Comment 89% des clients du Forex perdent leur mise, en plus des

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Comment 89% des clients du Forex perdent leur mise, en plus des
Comment 89% des clients du Forex perdent leur mise, en plus des
escroqueries
On sait peu de choses sur les performances réellement obtenues par les épargnants
dans la gestion de leurs économies. Dans le cas du Forex, le marché des devises, et
des CFD, qui sont de purs paris spéculatifs, le verdict est sans appel : ce ne sont
pas des placements mais des machines à perdre sa chemise, comme le montre une
récente étude de l’AMF.
Les risques élevés inhérents aux marchés financiers peuvent être démultipliés selon les
qualités, la légalité et l’implantation réelle en France ou non des intermédiaires et
officines proposant des services et prestations financières en tout genre. (photo ©
GPouzin)
On sait à peu près comment les Français répartissent leurs économies, grâce aux enquêtes
de l’Insee (1). On a aussi des historiques de performances des grandes familles de
placements (Bourse, Sicav, assurance vie, livrets ou immobilier…), voire de leurs sousfamilles à des niveaux pointus (actions ou obligations, pays ou secteurs, SCPI ou FCPI…)
mais on n’étudie pas suffisamment les comportements détaillés des épargnants
pour savoir ce qu’il arrive vraiment à leur argent.
De ce point de vue, l’étude réalisée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), et
présentée à sa réunion du 13 octobre 2014, mérite une attention particulière, d’autant
qu’elle porte sur le Forex (marché des devises, ou « foreign exchange ») et les CFD
(contract for difference), des opérations hautement spéculatives dont Deontofi.com
dénonce régulièrement les dangers.
Deux façons de perdre sur le Forex : chez de vrais courtiers ou par des escrocs
Car ces paris financiers sont effectivement des traquenards, comme le confirme
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escroqueries
l’étude de l’AMF : 89% des épargnants y perdent de l’argent, et pas qu’un peu ! Pour
l’échantillon d’environ 15 000 clients dont l’AMF a observé 16 millions de
transactions réalisées sur quatre ans, la perte globale atteint la somme
vertigineuse de 161 millions d’euros, engloutis dans le gouffre sans fond du Forex et des
CFD ! Attention, il s’agit exclusivement des pertes réalisées chez des intermédiaires agréés
parfaitement légaux, qui s’ajoutent à celles causées aux épargnants par les centaines
d’escrocs du Forex sévissant sur Internet.
« Notre étude ne porte pas sur les escrocs mais sur la partie des intermédiaires agréés et
régulés, précise Yannick Guivant, qui présentait ces travaux réalisés au sein de la direction
des marchés de l’AMF. Notre étude a porté sur des intermédiaires représentant 50% du
marché des particuliers intervenant sur le forex et les CFD, sur une période
étendue à 4 ans afin d’éviter les biais conjoncturels », explique-t-il en préambule. Une
précision importante car, comme nous le reverrons et l’avons déjà expliqué sur
Deontofi.com, il existe deux façons de perdre de l’argent sur le Forex : chez des
intermédiaires légaux ou via des escrocs hors-la-loi. L’étude de l’AMF porte
logiquement sur les clients d’intermédiaires agréés, puisqu’il n’y a aucune transaction réelle
à étudier chez les escrocs qui plument leurs victimes crédules en leur faisant croire qu’elles
ont fait de mauvais paris, alors qu’il s’agit de purs coups montés.
Il y a bien quinze ou vingt ans que le gendarme boursier n’avait pas ausculté si
méticuleusement les comptes d’investisseurs individuels pour analyser leurs
performances réelles. Voyons donc plus en détail ce bilan des vraies transactions sur le
Forex. Combien perd-on en jouant au trader sur devises chez un vrai courtier en ligne ?
Selon l’étude de l’AMF, les 14 799 clients observés ont perdu un total de 161,115 millions
d’euros, soit une perte de 10 887 euros en moyenne par client. La perte médiane des
clients du vrai Forex est plus modérée, à 1843 euros, c’est-à-dire que la moitié des
clients ont perdu moins de 1843 euros et l’autre moitié plus de 1843 euros.
Malheureusement, beaucoup de joueurs ont tendance à augmenter leur mise pour tenter de
se refaire quand ils perdent, ce qui explique que la perte moyenne soit dix fois plus élevée
que la médiane.
Jusqu’à combien peut-on perdre sur le Forex et les CFD ?
En réalité, les écarts sont encore plus extrêmes quand on regarde les comptes des
centaines de très gros perdants par rapport à ceux des très rares gagnants. Au total, l’AMF
a recensé 722 clients dont les pertes sur le Forex dépassaient 50 000 euros. Ces 722
malheureux devraient être interdits de casino et autres paris d’argent, qu’ils soient sportifs,
hippiques ou boursiers ! Car au total, ils ont englouti près de 103 millions d’euros de
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leurs économies pour éponger leurs pertes abyssales sur le Forex et les CFD, soit
142 547 euros de perte chacun en moyenne. A l’autre extrémité, l’AMF n’a pas trouvé
plus d’une centaine de parieurs ayant gagné plus de 24 000 euros, et leur gain total atteint
à peine 10,4 millions d’euros, soit dix fois moins que les pertes des gros perdants. En gros,
les chances de sortir gagnant du Forex sont inférieures aux probabilités de survie
d’un soldat lors du débarquement en Normandie le 6 juin 1944 ! A qui le tour ?
Bien sûr, les marchands de rêves vous expliqueront que ça n’arrive qu’aux débutants et
qu’on s’en sort mieux avec un peu d’expérience. Hé bien non, c’est l’inverse ! Avec
le Forex et les CFD, plus on joue, plus on perd ! On pourrait effectivement penser qu’on
apprend de ses erreurs. Mais l’étude de l’AMF montre que les particuliers les plus actifs
sont ceux qui perdent le plus : « 52% des clients ont passé plus de 250 ordres et ont
perdu 18 741 euros en moyenne », explique ainsi Yannick Guivant. Vous avez bien suivi :
les clients du vrai Forex ont perdu environ 11 000 euros chacun en moyenne, mais ceux qui
ont fait plus de 250 opérations ont perdu en moyenne près de 19 000 euros chacun. Et les
pertes vont en empirant avec la quantité de transactions : 31 000 euros de perte
moyenne pour les clients ayant passé plus de 1000 ordres et jusqu’à 75 400 euros
en moyenne pour les joueurs ayant passé plus de 5000 ordres.
Est-ce que l’on s’améliore avec le temps ? Pas davantage. Au contraire ! Là aussi, les
chiffres de l’AMF sont édifiants. Au bout d’un an, 82,5% des clients sont perdants et ce
taux ne cesse d’augmenter pour ceux qui restent, même si leur nombre diminue au fur et à
mesure que les plus raisonnables ou les plus ruinés jettent l’éponge : 85% sont perdants
au bout de deux ans et 89,4% au bout de quatre ans. Evidemment, les pertes
s’aggravent aussi avec le temps. « Ils perdent en moyenne 5000 euros la première année, et
jusque 27000 en moyenne la quatrième », confirme Yannick Guivant.
Avec le Forex et les CFD, plus on joue, plus on perd !
La France n’est pas un cas isolé, car les études similaires arrivent aux mêmes
conclusions dans d’autres pays, comme en Pologne où une étude a montré que 82%
des clients du Forex avaient perdu leur mise en 2011. Et ce phénomène est intemporel.
De mémoire, la COB (ancêtre de l’AMF) avait réalisé, dans les années 1990, une étude
comparable sur les résultats obtenus par les particuliers intervenant sur le Monep
(le marché des options négociables à Paris), des options qui s’apparentent davantage aux
warrants popularisés depuis, c’est-à-dire avec un risque financier déjà bien moindre que
ceux du Forex et des CFD. Or, les observations de la COB à l’époque montraient que la
plupart des personnes perdaient rapidement l’essentiel de leur mise sur ce marché avant de
renoncer à y intervenir.
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On récapitule. Jouer sur le Forex et les CFD est un pari perdant. Plus on fait de paris,
plus on perd. Plus on y passe d’années, plus on se fait plumer. Mais pourquoi au juste ?
Parce que, contrairement à l’investissement boursier traditionnel, qui consiste à
acheter des actions et les conserver longtemps pour engranger les dividendes et
plus-values, les paris sur le Forex et les CFD ne sont pas des actifs. Ils ne
rapportent rien du tout, pas un centime d’intérêts. Pour reprendre l’analogie, il y a
autant de différence entre les parieurs hippique et les propriétaires de chevaux de
course, qu’entre un joueur du Forex et le détenteur d’un portefeuille d’actions.
Et encore ! Les paris sportifs sont bien moins risqués que le Forex. « Sur les dérivés
cotés, comme les warrants, il peut y avoir un effet de levier important, mais ils fonctionnent
comme des tickets de loterie, on ne perd que sa mise; alors qu’avec les CFD et le
Forex, on peut perdre beaucoup plus que sa mise», explique un expert de l’AMF. Cet
« effet de levier », ou « effet de râteau », c’est-à-dire la possibilité de miser sur un
montant démultiplié par rapport à l’argent que l’on investit réellement, est la
principale raison des pertes sur le Forex.
En voulant se refaire, les joueurs du Forex augmentent leurs pertes !
Sur la parité euro-dollar, l’étude de l’AMF a permis d’observer que l’effet de levier varie
entre 100 et 400 fois les montants réellement engagés par les apprentis-traders
individuels. « C’est une caractéristique fondamentale qui fait que les positions sont
souvent coupées quand elles sont perdantes. On observe aussi que les particuliers
coupent plus rapidement leurs positions quand ils sont gagnants que perdants,
explique Philippe Guillot, directeur à la division des marchés financiers de l’AMF qui a
piloté l’étude. C’est un biais comportemental, on prend ses profits trop tôt et on
laisse courir les pertes. » Une faille psychologique qui n’épargne pas les traders
professionnels, de Nick Leeson (Barings 1995) à Jérôme Kerviel (SocGen 2008) en passant
par leurs collègues moins célèbres.
Marielle Cohen-
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Branche, médiateur
de l’Autorité des
marchés financiers
(AMF) s’inquiète des
dégâts causés par les
promesses de gains
illusoires du Forex.
(photo © GPouzin)
Mais quel est l’effet de levier maximum autorisé en France ? Quel est l’effet
multiplicateur maximum des pertes que peut subir un particulier par rapport à sa
mise ? « Il n’y a pas de réglementation par la France dans ce domaine et pas de limite en
droit européen, car il s’agit de contrats négociés de gré à gré, et non de produits
financiers cotés sur un marché », précise Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF. On
ne sait presque rien du profil des clients venus perdre leurs économies chez des
intermédiaires agréés du marché des changes, sinon qu’ils ressemblent à ceux
plumés par les escrocs du pseudo-Forex, souvent sans compétences financières.
« Pour la médiation, que les sites soient agréés ou non, les profils sont identiques »,
explique ainsi Marielle Cohen-Branche, médiatrice de l’AMF.
Des courtiers peuvent ainsi être agréés tout en étant en infraction vis-à-vis de leur
obligation de connaître leurs clients et de vérifier leurs compétences pour ne leur
proposer que des produits adaptés à leur situation et leurs besoins, en vertu de
l’article L533-13 du Code monétaire et financier (2). Dans le passé, des clients ont fait
condamner leur intermédiaire en justice pour ne pas avoir bien évalué leur
compréhension du risque de perdre plus que leur mise.
Attention, car pour espérer obtenir réparation d’un préjudice sur le Forex et les CFD,
les épargnants ont intérêt à ce que leur intermédiaire soit domicilié et agréé en
France directement par l’AMF, car nos gendarmes boursiers et nos tribunaux ont
peu de prise sur les intermédiaires venus de pays européens à la réputation
financière frelatée. L’AMF ne le dira pas, mais on pense bien sûr à Chypre ou Malte, sans
oublier le « caillou » de Gibraltar, parmi d’autres destinations. « Beaucoup d’intermédiaires
opérant dans le cadre d’une libre prestation de services sans succursale en France, nos
moyens juridiques sont vite limités, admet Benoît de Juvigny. Nous avons lancé une
action au sein de l’Esma [NDLR, l’autorité des marchés financiers européenne,
European Securities & Markets Authority] pour qu’il y ait un contrôle plus rigoureux
des régulateurs européens de ces prestataires. Mais la meilleure solution reste la
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prévention et la communication ». Une conviction partagée avec Deontofi.com.
Retrouvez ici l’étude de l’AMF sur les pertes des épargnants sur le Forex et les CFD
chez des courtiers agréés.
Notes:
(1) : Les revenus et le patrimoine des ménages – Insee Références – Édition 2014
(2) : Article L 533-13 du Code monétaire et financier : « les prestataires de services
d’investissement s’enquièrent auprès de leurs clients, notamment potentiels, de
leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de
leur situation financière et de leurs objectifs, afin de pouvoir leur recommander les
instruments financiers adaptés ou gérer leur portefeuille de manière adaptée à leur
situation. »
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