Nicolas Machiavel : « Discours sur la première

Transcription

Nicolas Machiavel : « Discours sur la première
Collège universitaire franco-allemand de Sciences Po Paris à Nancy
Histoire et droit des États
Conférence Mme. Proeschel
Yannick Morten Jonathan Fiedler
Nicolas Machiavel :
« Discours sur la première décade de
Tite-Live »
1
Introduction
L’œuvre de Nicolas Machiavel, politicien et philosophe des XVème et XVIème siècles, est très marqué
par son époque, notamment par l'instabilité politique dans les Républiques italiennes. Républicain convaincu 1,
il s'engagea dans la politique de la jeune République florentine après que les Medici furent expulsés.
Connaissant de près le système politique des Républiques, il analysa leurs défauts – instabilité, manque
d'effectifs militaires, etc. Après la victoire militaire des Medici, Machiavel fut banni de Florence. Dans son
œuvre « Discours sur la première décade de Tite-Live », rédigé après la défaite, Machiavel essaye de
démontrer pourquoi certaines républiques, bien qu'elles soient bonnes, ne durent pas, alors que d'autres ont
une extrême longévité. Il prend comme référence la République romaine, qui dura très longtemps et analyse
ce qui fut à l'origine du succès romain.
Étant considéré comme un philosophe tout d'abord pragmatique, peu d'experts se demandent
pourtant si on trouve, dans l'histoire, l'exemple d'un pays où une « voie machiavélienne », telle que nous
allons la définir, a été prise.
Problématique:
« La voie que propose Machiavel pour l'édification d'un gouvernement bon et stable, peut-elle être comparée
à l'évolution institutionnelle du Royaume-uni? »
Nous allons d'abord analyser le modèle républicain de Machiavel (I) pour comparer ensuite sa théorie avec
l'évolution institutionnelle du Royaume-uni (II).
I.La République idéale selon Machiavel
1. D'un gouvernement bon et stable
Dans son œuvre « Discours sur la première décade de Tite-Live », Machiavel est à la recherche de ce
qui pourrait servir comme modèle pour l'édification d'une véritable république en Italie. Il établit d'abord une
distinction entre ce qu'il appelle les « bons gouvernements » (monarchie, aristocratie, démocratie) et les
« mauvais » (tyrannie, oligarchie, anarchie). 2 Selon lui, le problème des « bons gouvernements » est qu'ils
« durent trop peu »3, évoquant notamment le gouvernement populaire de Solon à Athènes. La chute rapide de
ces bons gouvernements serait due à une instabilité inhérente à ces systèmes qui entraînerait des
changements cycliques, des alternances entre bons et mauvais gouvernements. Ainsi, la monarchie
deviendrait forcément une tyrannie, qui entraînerait des révoltes des « grands » menant à une aristocratie qui
mènerait, quant à elle, à une oligarchie. Ensuite, le peuple installerait une démocratie qui finirait dans
l'anarchie ce qui mènerait à un retour à la monarchie.
Afin d'éviter que le même sort soit réservé aux républiques de son époque, il conseille aux
« législateurs prudents » de réunir « dans la même Constitution […] un prince, des grands et la puissance du
peuple, chacun de ces trois pouvoirs surveill[ant] l'autre ».4 A son avis, la longévité de Sparte était ainsi due à
l'intelligence de Lycurgue, qui sut donner à chacun sa part de fonctions et d'autorité. On retrouve dans cette
idée non seulement la première véritable apologie de la realpolitik, mais également du consensus, garant de
la stabilité institutionnelle.
1
2
3
4
Grafton, Anthony dans « Niccolò Machiavelli: The Prince », Penguin Classics, Londres, 1999, pages 15-17.
Artaud de Montor, Alexis-François: « Machiavel: son génie et ses erreurs », Tome premier, Firmin Didot Frères, Paris, 1833. pages 400-402.
Machiavel, Nicolas: « Le Prince et autres textes », Gallimard, Paris, 1980. page 159.
Ibidem.
2
Néanmoins, Machiavel avoue que toutes les républiques n'ont pas à leur disposition un législateur
aussi clairvoyant que Lycurgue. Ceci n'est cependant pas forcément un désavantage pour une république, il
peut même en être le contraire. Machiavel explique ainsi que la République romaine était, à son avis, parfaite,
bien qu'elle ne l'était pas du tout au début. Nous allons analyser dans la prochaine partie pourquoi il en est
ainsi et comment la république romaine a pu évoluer dans le bon sens.
2.) De la République romaine : Le progrès par la dispute
Contrairement à d'autres républiques, Rome arriva à éviter les changements constitutionnels
cycliques par une intégration progressive des différentes formes du bon gouvernement. Ainsi, quand les rois
furent chassés, les grands avait « banni de Rome biens moins l'autorité royale que le nom du roi »5. Les
romains conservèrent alors la fonction royale dans l'autorité du Consul et intégrèrent l'aristocratie en
établissant le Sénat. Suite à des révoltes provoquées par « l'insolence de la noblesse » les tribuns s'établirent.
Néanmoins, le Sénat et les consuls « retinrent une assez grande part » de leur pouvoir, ce qui mena à la
Constitution républicaine parfaite. Successivement, le pouvoir passât des « rois et des grands au peuple »6
sans pour autant priver les princes et les grands complètement de leur pouvoir.
Ces changements ne se firent jamais de manière automatique. Des mouvements de contestation
contre les gouvernements les précédaient toujours, d'abord contre les rois, puis contre le Sénat. Machiavel
défend ainsi la thèse qu'à Rome, le progrès a surtout eu lieu lors des troubles, et que « toutes les lois
favorables à la liberté ne naissent que de l'opposition » entre les grands et le peuple. 7 Le progrès se fait donc
par l'intermédiaire de la dispute, mais il s'agit là d'une dispute fructueuse, menant à un consensus entre les
différentes parties. Il ne serait donc pas nécessaire – et peut-être même pas souhaitable – d'établir un
gouvernement idéal au sens de Machiavel d'un seul coup. En revanche, un établissement progressif d'un tel
gouvernement demande une extrême prudence et clairvoyance des gouvernants d'un côté et une volonté de
choisir la voie de l'évolution des gouvernés de l'autre côté.
Est-il possible de trouver un exemple d'un État contemporain, encore existant, où une telle politique a
été menée? Nous allons étudier dans la partie suivante l'exemple du Royaume-Uni et son chemin vers la
monarchie parlementaire afin de trouver des points communs entre cette évolution et la théorie
machiavélienne.
II.Le Royaume-Uni : Stabilité constitutionnelle par la voie machiavélienne?
Le Royaume-Uni est connu pour avoir préféré la voie de l'évolution à celle de la révolution. Mais peuton trouver en Angleterre un processus comparable à celui que Machiavel évoque dans son œuvre « Discours
sur la première décade de Tite-Live »? Nous allons analyser deux grands évènements de l'histoire
britannique, la Glorieuse Révolution de 1688 et le « Parliament Act » de 1911 afin de voir si son évolution est
comparable à la voie machiavélienne.
5
6
7
Ibidem, page 160.
Ibidem, page 161.
Ibidem, page 163.
3
1.) La Glorieuse Révolution : quand le pouvoir passait des princes aux grands
A la fin de l'époque autocrate des Stuart (années 1620-1640), marquée par une concentration du
pouvoir dans les mains du roi et un mépris de l'aristocratie, une guerre civile de sept ans (1642-1949) opposa
les forces royales aux aristocrates. La victoire de Cromwell et l'établissement de la République en 1649
marquèrent la victoire de l'Aristocratie. Mais seulement onze ans après, apeuré par le chaos de la Républ ique,
celle-ci décida de rétablir la monarchie, en espérant trouver un consensus avec les Stuart. Le nouveau roi
Jacques II n'abandonna pourtant pas la politique autoritaire de ses parents qui avait déjà entraîné leur chute
en 1649. Après de nombreux affrontements, la Glorieuse Révolution de 1688 mît fin aux disputes entre les
aristocrates et les Stuart. Ce fut le début de la monarchie parlementaire 8 avec des élections tenues tous les
trois ans et l'établissement du « Bill of Rights ». Ceux-ci limitaient en fait fortement les pouvoirs royaux et
affirmèrent le Parlement comme souverain d'État.
En intégrant de façon permanente l'aristocratie dans la constitution des pouvoirs, tout en conservant le
pouvoir royal (qui fut transmis à la fille de Jacques II, Marie II et son mari Guillaume III), l'Angleterre fit le choix
de trouver un consensus afin de préserver la paix. Nous retrouvons dans cette partie de l'histoire an glaise le
schéma machiavélien du « progrès par la dispute » qui a mené à une meilleure répartition des pouvoirs. Dans
la partie suivante, nous allons analyser comment l'Angleterre évolua au XIX ème et XXème siècle, afin de
comprendre comment fut intégré le peuple dans le gouvernement.
2.) Le « Parliament Act » de 1911 : quand l'équilibre s'installait définitivement
Au XIXème siècle, les premières grandes révoltes contre le pouvoir de l'aristocratie et des rois, menés
notamment par les Chartistes, commencèrent. Les Chartistes reprochaient aux dirigeants de ne pas tenir
compte de l'évolution démographique. Ainsi, certaines grandes villes avaient moins de représentants que des
villages qui avant avaient eu à peu près le même nombre d'habitants. Les trois grandes reformes au XIXème
siècle (« Reform Acts » en 1832, 1867, 1884) ont successivement rééquilibré l'attribution de représentants par
une meilleure prise en compte de l'évolution démographique.
Néanmoins, au début du XX ème siècle, un nouveau conflit fut déclenché par les représentants de la
Chambre haute qui s'opposaient systématiquement aux réformes sociales et financièr es proposées par la
coalition de centre-gauche, majoritaire dans la Chambre basse depuis 1906. Quand les tensions s'aggravèrent
après deux élections gagnées par les libéraux en 1910, le roi Georges V décida de menacer les « Lords » de
nommer plusieurs centaines de délégués libéraux à la Chambre haute si ceux-ci ne se mettaient pas d'accord
avec les délégués de la Chambre basse. Les « Lords » acceptèrent finalement de limiter leurs pouvoirs afin de
ne pas perdre toute influence politique et votèrent majoritairement pour le « Parliament Act » en 1911, qui
limita les pouvoirs de la Chambre haute.
Même si ce ne fut pas encore la naissance d'une véritable démocratie (le suffrage universel ne fut
établi au Royaume-Uni qu'en 1918), les grandes réformes du XIX ème et XXème siècle établirent un véritable
équilibre entre le pouvoir royal, le pouvoir des grands et du peuple.
8
Wende, Peter: « Großbritannien 1500-2000 », Oldenbourg, Munich, 2001. pages 34-35.
4
Conclusion:
Même s'il est toujours extrêmement difficile et délicat de transposer une théorie dans la réalité
historique, nous avons vu qu'il y a beaucoup de ressemblances entre la « voie machiavélienne », définie dans
la première partie, et l'évolution politique au Royaume-Uni. Considérant que le Royaume-Uni a été – et est
toujours – un des pays les plus puissants du monde, il semble que Machiavel avait raison lorsqu'il expliquait
qu'en donnant à « chacun sa part d'autorité et de fonctions »9, une telle république serait toujours plus forte et
plus parfaite qu'une autre.
Sources:
Artaud de Montor, Alexis-François: « Machiavel: son génie et ses erreurs », Tome premier, Firmin Didot Frères, Paris, 1833.
Machiavel, Nicolas: « Le Prince et autres textes », Gallimard, Paris, 1980.
Machiavel, Nicolas: « The Prince », Penguin Classics, Londres, 1999.
Wende, Peter: « Großbritannien 1500-2000 », Oldenbourg, Munich, 2001.
http://www.parliament.uk/about/living-heritage/evolutionofparliament/houseofcommons/reformacts/
http://www.parliament.uk/about/living-heritage/evolutionofparliament/houseofcommons/reformacts/keydates/
http://www.legislation.gov.uk/ukpga/Geo5/1-2/13/contents
9
Machiavel, Nicolas: « Le Prince et autres textes », Gallimard, Paris, 1980. page 159.