L`art de l`enluminure en islam
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L`art de l`enluminure en islam
L’événement L’art de l’enluminure en islam LE SHAHNAMEH (LE LIVRE DES ROIS), de Ferdowsi, compte parmi les chefs-d’œuvre de la littérature perse. Chiraz, 1567. Paris, Bibliothèque nationale de France. © BnF 4 / LE MONDE DE LA BIBLE EXPOSITION par ISABELLE DUR ANTON journaliste L’art de l’enluminure en islam À l’origine, l’art du livre arabe, notamment religieux, résidait dans l’aniconisme. Ce n’est qu’au XIe siècle qu’apparaît la figuration dans l’art islamique profane. L’exposition de la Bibliothèque nationale de France présente de magnifiques manuscrits aux formes d’enluminures variées, marquées par des influences culturelles diverses. n pénétrant dans la petite salle aux lumières tamisées, le visiteur entre dans un autre monde, celui de l’art du livre arabe. Il découvre tout d’abord une sélection de corans d’une grande beauté : ici, un rouleau coranique du XVIIIe siècle à usage talismanique que le propriétaire portait sur lui dans un petit étui. Le texte du Coran y est copié en écriture microscopique sur une surface large de dix centimètres sur cinq mètres de long ! Plus loin, un feuillet de coran du XVIe siècle dont les versets calligraphiés à l’encre bleue et dorée sont encadrés d’un somptueux papier marbré. Ou bien encore un album en forme d’accordéon avec des sourates écrites selon différentes calligraphies, destiné à des apprentis calligraphes. Chacun de ces livres anciens a sa spécificité mais tous ont un point commun : ils sont dépourvus d’image figurée. La première partie du parcours de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France montre de façon simple cette règle non écrite mais décisive pour l’histoire de l’art arabe, et notamment pour l’art du livre religieux. La calligraphie sublime la pa- Retrouvez dans chaque numéro un « événement » lié à l’histoire de l’Antiquité et de la Bible ou aux grandes découvertes et expositions. role divine transmise par le Livre des livres, le Coran. L’art d’une enluminure sans figuration qui se développe dans un premier temps dans le champ religieux concerne le Coran mais aussi ce qui touche aux sciences religieuses, c’est-à-dire les livres de théologie, de droit et les hadiths (actes et paroles du Prophète). Née au début du IXe siècle et utilisée jusqu’au XIe siècle, le coufique, cette belle écriture angulaire va traduire le constant souci esthétique qui guide la main du scribe qui, avec le calame, étire ou resserre à volonté les lettres du texte sacré dans l’espace de la page. Alors que le parchemin disparaît au profit du papier, d’autres écritures, plus souples, apparaissent ensuite. Corollaires de l’écriture et motifs décoratifs essentiels à la transmission de la parole sacrée, l’arabesque et la figure géométrique tapissent et organisent la page – ou le plat de la reliure – dans un entrelacs de formes, d’octogones, de polygone étoilés, qui semblent se prolonger à l’infini, interrompus uniquement par le cadre physique de l’objet-livre. Si l’aniconisme (absence de représentations humaines ou animales) s’affirme comme une règle intangible dans le N° 199 bis / 5 ▲ La rubrique compte 6 pages E L’événement L’événement L’art de l’enluminure en islam du numéro 197 de juin-juillet-août 2011. ▲ Le sujet « L’art de l’enluminure dans l’islam » domaine religieux, l’exposition explore ensuite un tout autre monde, celui du livre profane, richement illustré, où la figuration se déploie avec des variations propres aux différentes ères culturelles (arabe, persane ou turque) et cela dès le XIe siècle, date des L’une des origines de la mise en place de l’image figurée est à chercher du côté des sciences. premiers manuscrits illustrés dans le monde arabo-musulman. L’une des origines de la mise en place de l’image figurée est à chercher du côté des sciences. Le grand mouvement de traduction des traités scientifiques grecs, impulsé par la cour de Bagdad dès le VIIIe siècle, a pour conséquence la reprise de modèles iconographiques grecs adaptés au monde arabe. La représentation se diversifie ci-dessus : LE LEVER DES ASTRES CHANCEUX Mehmet el-Su’udî, Istanbul, 1582. Paris, Bibliothèque nationale de France. © BnF 6 / LE MONDE DE LA BIBLE les genres littéraires et historiques, les chevaux sont stylisés, leur robe pommelée se teinte de rose et de bleu, les astres sourient, et des personnages types envahissent les pages (le prince, le marchand, le musicien…). Le recueil de fables d’ori- gine indienne Kalila wa Dimna qui raconte les aventures de deux chacals, traduit en arabe dès le VIIIe siècle, est illustré aussi bien dans les mondes arabes que persan ou turc avec de subtiles variantes formelles et stylistiques (dans le manuscrit persan par exemple, le paysage et un cadre apparaissent, plusieurs successions de plans sont visibles). À l’inverse, le conte des Maqâmât (le Livre des séances d’AlHarîrî, un texte du XIe siècle) séduit tous les traducteurs, mais n’est illustré que par les Arabes. Enfin, les grandes épopées historiques sont un moyen pour de nouvelles dynasties (les Ilkhanides mogholes aux XIIIe-XIVe siècles, puis les Timourides un siècle plus tard) d’asseoir leur légitimité nouvelle ; de se créer une histoire, en y intégrant d’ailleurs certains événements religieux comme l’Hégire, ce qui explique la présence dans les miniatures de représentations… du Prophète. Ici encore se joue la grande différence, essentielle, entre les trois cultures persane, turque et arabe. Cette dernière privilégie la représentation symbolique du prophète (avec un élément symbolique comme la sandale). La littérature illustrée consacrée aux différents prophètes de l’islam (les Qisas al-anbiyâ, Histoires de prophètes) et à Muhammad (le Mi’raj-Nameh ou Voyage nocturne) sera, quant à elle, uniquement produite dans les mondes persan et turc. ● L’exposition présente une large sélection de manuscrits (traité de pharmacopée de Dioscoride, livres de zoologie, de botanique), dont la Thériaque du pseudo-Gallien (vers 1199), qui détaille les processus pharmacologiques antidotes aux morsures de serpents. L’ouvrage a la particularité d’être illustré sur la page de droite de planches botaniques et sur la page de gauche de calligraphie. L’esthétique va se diversifier à partir du XVe siècle, lorsque Persans et Turcs introduisent des scènes plus narratives (le médecin en train de cautériser le pied d’un patient par exemple, dans un manuscrit turc du XVe siècle) à la différence de la miniature arabe qui n’aura jamais de reproduction du réel aussi explicite. Influencé par le courant rigoriste malékite (l’une des quatre écoles de jurispruDéjà parus : dence de l’islam sunnite), le Maghreb adopte une posiLes manuscrits de la mer Morte à tion vis-à-vis de l’image figurée la Bibliothèque nationale de France plus restrictive. De réel ou de réalisme, il n’est d’ailleurs pas quesChagall et la Bible au musée tion pour les artistes attentifs aux d’Art et d’Histoire du judaïsme préceptes des théologiens. Si la représentation d’êtres vivants ou Le nouveau musée d’Israël animés s’impose, surtout dans à Jérusalem Tell Halaf au musée de Pergame MÂQÂMÂT (LES SÉANCES) Al-Harîrî, Irak, vers 1240. Paris, Bibliothèque nationale de France. © BnF N°199 bis / 7