LE SECRET MEDICAL AUJOURD`HUI Par Mme Amsatou

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LE SECRET MEDICAL AUJOURD`HUI Par Mme Amsatou
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LE SECRET MEDICAL AUJOURD'HUI
Par Mme Amsatou SOW SIDIBE
Maître de Conférences Agrégé
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Jusqu'ici nous nous accommodions du caractère absolu du Secret médical. Mais depuis
l'apparition du VIH/SIDA, la question de secret médical nous préoccupe compte tenu des
risques qu'implique cette forme d'infection.
En effet l'infection à VIH/SIDA, par sa capacité d'anéantissement des vies humaines, a
fortement perturbé cette fin de millénaire avec une vague d'angoisses et de souffrances.
Aucun domaine n'a été épargné et surtout pas le droit, par les multiples problèmes pratiques
posés par le VIH/SIDA et auxquels il est parfois difficile d'apporter des réponses fermes. En
menant une réflexion à propos des rapports éthiques et juridiques entre médecins et malades,
on peut jauger l'épreuve que subit une règle fondamentale, celle du secret médical, face aux
risques de propagation du VIH/SIDA.
Un médecin raconte : une jeune femme est séropositive. Elle a un amant marié non averti
de son état de santé et avec qui elle entretient des relations charnelles non protégées. Chargé
de l'accompagnement 1 de la jeune femme, le médecin affirme lui demander régulièrement de
prévenir son ami afin que celui-ci prenne ses précautions, mais en vain. On sait que le VIH/
SIDA est une maladie sexuellement transmissible, ce qui fait penser que l'amant risque de
devenir séropositif et de contaminer son épouse ou ses épouses2. Les enfants à naître du
couple légitime sont tout aussi exposés que leurs parents. Lorsque l'on demande au médecin
ce qu'il attend pour prévenir l'amant, il répond qu'il est tenu de respecter le secret médical.
Cette situation constitue à notre avis une cause d'expansion du VIH/SIDA. Mais, les
médecins semblent prendre le secret médical comme une fatalité qu'il faut accepter. Le juriste
ou même le simple citoyen est évidemment interpellé.
Le cas de figure que nous venons d'envisager concerne une jeune femme séropositive
faisant preuve d'une grave irresponsabilité Malheureusement, cette hypothèse est fréquente et
1
L'accompagnement est "la capacité de présence auprès de personnes, de réponse à leurs questions et à leurs
attentes. C'est une relation interpersonnelle d'aide active et de soutien afin de permettre aux personnes atteintes du
SIDA de se sentir et de développer de manière autonome des attitudes et des ressources propres pour faire face aux
situations difficiles" (extrait de la présentation du Pr. Omar SYLLA au forum national sur la problématique de
l'accompagnement dans le cadre de l'infection par le VIH/SIDA au Sénégal).
2
Si le mari est polygame comme cela se pratique couramment en Afrique, en particulier au Sénégal où la
polygamie constitue le régime matrimonial de droit commun.
2
s'observe aussi dans les rapports entre conjoints. Il arrive souvent, en effet, que l'un des
conjoints, cache sa séropositivité à l'autre.
Mais il convient de préciser dès l'abord que les femmes sont très souvent victimes du silence
de leur partenaire homme séropositif ou sidéen.
Il se crée un conflit véritable entre le droit qu'a la personne malade de garder l'intimité
de sa vie privée et le droit des personnes en danger. Notamment l'entourage immédiat du
malade et surtout son conjoint ont le droit de sauvegarder leur intégrité physique et leur vie.
Certes, il est difficile de garder un secret, même d'ordre médical, et il faut rappeler les
propos de Socrate : "il y a plus de peine à garder un secret qu'à tenir un charbon ardent dans
sa bouche". Néanmoins le secret médical est un vieux principe que les médecins évoluant
dans les systèmes de tradition romano-germanique suivent depuis le serment hippocratique3
qui remonte à environ plus de vingt-cinq siècles. Le droit canonique voyait dans la violation
du secret médical, un pêché grave qui entraînait l'application de peines sévères4.
Au Sénégal, l'article 363 alinéa premier du code pénal, s'inspirant de l'article 378 de
l'ancien code pénal français, réprime la violation du secret médical. Le code de déontologie
médicale également fait du respect du secret médical une obligation professionnelle 5. Dans
l'Ancien droit, la violation de ce secret était sanctionnée au pénal et au civil 6.
Mais, quels sont les contours du secret médical ? Il s'agit d'une variété de secret
professionnel c'est-à-dire une obligation pour les personnes 7 qui ont eu connaissance de faits
confidentiels dans l'exercice de leurs fonctions, de ne pas les divulguer hors des cas prévus
par la loi. Depuis longtemps, en effet, on considère que certaines activités mettant
nécessairement en cause l'intimité des particuliers doivent être entourées d'une grande
discrétion. Lorsque le professionnel est un médecin, on parle de secret médical.
Le secret médical, destiné à protéger la confidence d'un client, tend à assurer la
confiance dans l'exercice de la profession médicale. Il est, en effet, convenu que le malade
doit donner à son médecin une confiance entière et sans réserve. Il doit pouvoir sans crainte et
sans hésitation lui confier ses secrets, faute de quoi, des réticences seraient à craindre qui
pourraient perturber l'exercice de ces activités. Le secret médical est donc destiné à garantir,
dans l'intérêt général, l'exercice satisfaisant de la profession médicale8. "Il n'y a pas de
médecine sans confidences ni de confidences sans secret", écrivait le Professeur L. Portes 9.
3
Voir supra I - B - a.
4
Voir dans le même sens, l'Avocat Général ALBUCHER, conclusions sous Paris, 6 février 1954, J.C.P 1954, II,
8107.
5
Article 7.
6
Voir dans le même sens l'Avocat Général ALBUCHER, conclusions précitées.
7
Toutes les personnes dépositaires par état, profession ou fonctions de secrets qu'on leur confie : médecins,
chirurgiens, pharmacien, sages-femmes, avocats, notaires, ministres du culte etc.
8
Voir dans le même sens J.PRADEL, "L’incidence du secret médical sur les cours de la justice pénale".J.C.P.
1900 - Doctrine 2234.
9
L.PORTES, "A la recherche d'une éthique médicale", Paris, ed. Masson - PUF, 1954 pp.131 et s.
3
Le secret médical est la variété de secret professionnel qui pose le plus de difficultés
aux juristes. Il se trouve au carrefour de quatre domaines : juridique, moral, déontologique et
social. Il présente toujours un intérêt particulier et connaît un sursaut complémentaire avec
l'apparition du VIH/SIDA. Cet intérêt pratique est encore plus important dans le contexte
africain où de nombreux travailleurs immigrés ayant laissé leurs épouses au pays reviennent
porteurs du virus et se gardent de le révéler. On se demande alors s'il n'est pas opportun que le
médecin informe celles-là de l'état de santé de leur conjoint.
Le secret médical a suscité une doctrine 10 et une jurisprudence assez abondantes en
France. En revanche, au Sénégal les sources doctrinales et jurisprudentielles sont quasi
inexistantes. Notre étude se fera donc avec une référence constante 11 aux informations
données pour le droit français qui est une source d'inspiration du droit sénégalais.
Il faut retenir d'emblée que les droits individuels du porteur du VIH/SIDA doivent,
dans tous les cas, être protégés pour un certain nombre de raisons parmi lesquelles trois
semblent essentielles. D'abord, la protection des droits de la personne humaine est devenue
une exigence de la communauté internationale tout entière 12. Ensuite, le SIDA est une
maladie 13, une souffrance, liée à la condition humaine. Il ne doit donc pas exister une
corrélation entre culpabilité et infection par le VIH/SIDA 14. Enfin l'accompagnement du
10
A. TSITSINOPOULOS "Le secret professionnel et la médecine sociale" thèse Nice 1931. Docteur LEGENDRI,
"Secret médical et monde Contemporain" éd. G.DOIN et Cie. 1955 ; R. SAVATIER, note sous Aix, 18 janvier
1962: JCP 1962, II, 12892; GARCON et BROUARDEL ( cités par Louis MELENNEC et J.SICARD in “ Le
secret professionnel et le médecin poursuivi ” GAZ.PAL.1974. p.85) ; V.ANZALAC “ Les seules exceptions
au principe du secret médical" ” GAZ.PAL 1971.Doct.p.113 ; C.LIENHARD et J.VUILLEZ “ "Les aspects
juridiques dans le cadre de l’infection par le VIH", in Méd. Mal. Infecti. 1998, n°28, p.4. ; Jean PRADEL, “
“ L’incidence du secret médical sur le cours de la justice, ” JCP 1969, Doc 2234 ; PERRAUD
CHARMANTIER, "Le secret professionnel, ses limites, ses abus", Paris 1926 ; GARRAUD, "Traité théorique
et pratique du droit pénal français", 2e ed.1891-1902, tome 5 ; ABATINI "Occultations et déformations : le
secret médical tel qu'on le raconte", Journal de médecine légale et droit médical, T.30 n°1 ; M.D. GREMWK
"L'origine et les vicissitudes du secret médical", cahier LAENNEC, sept.1969 ; C.VALENTINO "Le secret
professionnel des médecins, sa valeur sociale", Paris, C. Naud.1903 ; BAUDOUIN, "Le secret médical en droit
comparé (Québec, France, Common Law)", thèse Paris 1965 et rapport travaux Association H. CAPITANT,
1974, T XXX ; L. MELENNEC et G. BELLEIC. "Le secret professionnel médical à l'égard de la famille" Gaz
Pal 1974 2e sem.p.832.x ; M. REBOUL, "Des cas-limite du secret professionnel médical" : JCP, 1950, I, 825 ;
R et J. SAVATIER, J.M. AUBY et H. PEQUIGNOT, "Traité de droit médical", 1956 n. 302 et s ; R.VOUIN et
J.B HERZOG, Rapport au Ve Congrès international de droit comparé, Bruxelles 1958, supplément au n.2 de la
Revue de Sciences criminelles 1958, pp.29 et s ; G. LEVASSEUR, observ. in Revue de Sciences criminelles
1967, pp.453 et s ; A. CHAVANNE, J.-Cl Pénal, art.378, Rappr. Blondet ; Bernard, BEIGNIER "Secret
médical et assurance des personnes", D. 1999, pp.469 et s.
11
Ce qui n'exclut pas la référence à d'autres sources.
12
Voir à cet égard tous les textes internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme. Mais, voir plus
précisément la déclaration de Londres sur le SIDA adoptée par le sommet mondial des Ministres de la Santé le
28 janvier 1988, la Résolution WHA, 41.24 sur la "Non-discrimination à l'égard des personnes infectées par le
VIH et des sidéens, adoptée par la 41e Assemblée mondiale de la santé le 13 mai 1988.
13
Le SIDA est apparu pendant longtemps comme un mal mérité par le malade, une malédiction, un châtiment
de Dieu, fléau d'une société dépravée et frappant des déviants ou des pêcheurs impurs. Ainsi, les porteurs du
VIH vivent, dans leur milieu familial et social, des réactions de méfiance, d'hostilité et d'exclusion rendant la
maladie beaucoup plus insupportable et ouvrant la porte à son expansion. La même réaction négative a existé
4
malade est une obligation pour les communautés. La personne infectée par le VIH doit rester
dans un environnement favorable fait de soutien et de respect de ses droits et intérêts, et fondé
sur une solidarité humaniste. La protection des droits individuels de la personne a, du reste,
des incidences positives sur l'intérêt général et plus précisément en matière de santé publique.
La discrimination et le rejet amènent, en effet, les porteurs du VIH à vivre dans la
clandestinité et à adopter des comportements négatifs pouvant être des facteurs de
propagation de la maladie. Il existe en effet des cas de transmission volontaire et en pleine
connaissance de cause de la maladie.
S'il est nécessaire de protéger le malade, il faut quand même noter que les médecins se
trouvent parfois confrontés à des problèmes complexes et douloureux lorsque, malgré
l'accompagnement du malade et les conseils qui lui sont prodigués, celui-ci continue
d'entretenir des relations sexuelles non protégées avec son conjoint ou d'autres partenaires. Il
se produit alors un conflit entre deux valeurs positives : celle du respect des droits de la
personne et celle de la protection de la communauté. Entre ces deux valeurs essentielles, le
médecin doit jouer un rôle charnière. Il doit veiller à protéger la société contre toute
propagation de la maladie. Il doit également protéger sa relation avec le patient dont il doit
respecter l'intérêt. Il faut donc déterminer cas par cas qui, de la communauté ou de l'individu,
doit primer. La protection juridique des personnes comporte un enjeu éthique
fondamental 15, d'où l'intérêt d'une réflexion autour des fondements et sources d'une part, de
l'étendue du secret médical d'autre part.
Quels sont les fondements et sources du secret médical ? L'intérêt de s'interroger sur
cette question réside dans ce que la loi pose le principe du secret médical, sans laisser
entendre quelque réponse que ce soit à propos de cette question. Une analyse des fondements
du secret médical révèle que celui-ci se justifie essentiellement par l'obligation de discrétion,
la confiance, l'ordre public et le pouvoir médical. Quant à ses sources, elles sont d'abord
légales, puisées notamment du code pénal, et du code de déontologie médicale. Les sources
sont également extra-légales dans la mesure où le secret médical est une obligation qui naît
d'un contrat entre le malade et le médecin et de l'engagement unilatéral de ce dernier.
Quid de l'étendue du secret médical ? Celui-ci est-il absolu ou relatif? A l'heure
actuelle, il ne paraît pas raisonnable de défendre le caractère absolu du secret médical. Le
relativisme semble l'emporter car ni l'histoire des institutions, ni le droit comparé, ni les
arguments d'ordre rationnel (l'existence d'une vie privée familiale, les conflits d'intérêts, la
hiérarchie des devoirs, l'état de nécessité, les textes juridiques existants, l'inexistence de droits
absolus ou "discrétionnaires"), ni les valeurs négro-africaines ne permettent de faire du
au moyen âge lors des grandes épidémies de lèpre considérées comme des calamités correspondant à des
châtiments de Dieu pour des comportements diaboliques commis par les hommes.
14
Voir dans le même sens, Ch. RUBY K. NOUVEL, "Regards sur l'actualité - SIDA, sexe et société.
Le révélateur SIDA", documentation française – n° spécial septembre - novembre 1993. p.82.
L'idée de faute imputable à la personne atteinte de VIH est à écarter. La victime n'est pas toujours responsable
de sa maladie. Les multiples infections par transfusion sanguine, par l'usage d'instruments souillés ou par
relation sexuelle avec un conjoint atteint sont la preuve que maladie du SIDA et responsabilité ne riment
pratiquement plus.
15
Voir dans le même sens "C.LIENHARD et J.VUILLEZ "Les aspects juridiques dans le cadre de l'infection
par le VIH" - in Méd. Mal. Infecti.1998 - 28 p.4.
5
caractère absolu du secret médical une règle de portée générale. Dans tous les cas, la réponse
aux diverses questions posées permettrait de nous édifier sur la teneur de l'obligation qui lie le
médecin à son client.
Cette étude qui se veut une contribution au droit médical suppose une réflexion autour
de ses fondements et de ses sources d'une part (I) et de son autorité d'autre part (II).
I) FONDEMENTS ET SOURCES DU SECRET MEDICAL
Il convient de traiter d'abord des fondements, c'est-à-dire des justifications du secret
médical, avant de présenter ses sources.
A) FONDEMENTS DU SECRET MEDICAL
Les fondements du secret médical sont essentiellement l'obligation de discrétion et la
confiance d'une part, l'ordre public et le pouvoir médical d'autre part.
1) L'obligation de discrétion et la confiance
Chaque individu a droit à la protection de sa personnalité. Les droits de la personnalité
sont ceux qui ont pour objet les éléments constitutifs de la personnalité de l'être humain, sous
ses aspects physiques et moraux. Tous les intérêts personnels des individus dignes d'être
protégés sont visés. Parmi ceux-ci figure le secret de la vie privée16. La protection de la vie
privée implique un devoir de discrétion17 qui revêt une importance toute particulière pour les
personnes dont les activités professionnelles impliquent la connaissance de faits de nature
intime se rapportant à la personnalité d'autrui. Tel est le cas pour les médecins. Par exemple,
la connaissance et la divulgation de la séropositivité sont, semble-t-il, vécues comme une
intrusion dans la vie privée de l'individu. C'est le mode de transmission de la maladie ainsi
que les catégories de personnes les plus touchées qui justifient un tel sentiment. La
transmission se fait par voie sanguine ou sexuelle et les porteurs sont souvent des
homosexuels, des prostituées, des toxicomanes, des personnes ayant plusieurs partenaires
sexuels18. Dans ces cas, la révélation de la séropositivité permet alors de connaître deux
16
Il correspond à la définition des droits de la personnalité c'est-à-dire des pouvoirs déterminés appartenant à
toutes les personnes et leur permettant d'assurer la protection d'intérêts extrapatrimoniaux (Cf Pierre KAYSER
"Les droits de la personnalité, Aspects théoriques et pratiques", RT D.Civ., 1971, p.445 ; O.IONESCU, "La
notion de droit subjectif dans le droit privé", 2ème ed?.1978 -préface G.RIPERT, n?s 150 à 165). Il comporte,
entre autres, le pouvoir de toute personne de s'opposer à la divulgation de sa vie privée.
Il existe un accord général des auteurs et de la jurisprudence sur cette nature. Voir : R.BADINTER "Le droit au
respect de la vie privée". J.C.P. 1968.1.2136; nos 24 et 38; D.FERRIER "La protection de la vie privée", thèse
dactylographiée, Toulouse 1973 n?138 ; M. CONTAMINE - RAYNAUD, "Le secret de la vie privée" in
"L'information en droit privé", Travaux de la conférence d'Agrégation sous la direction d'Y.LOUSSOUARN et
P. LAGARDE, préface de Y.LOUSSOUARN, Bibliothèque de droit privé, T.C.LII, 1978, p.411, n°6 ; Paris,
1ère chambre 20 décembre 1976, Tribu de BUNLAP et BONGWATASE c/époux GOURGUECHON et
Assoc. Connaissance du Monde", D. 1978.J.373 note E AGOSTINI ; Gaz Pal 1977.1.261, Conclusions Avocat
général SIMON.
17
Par exemple l'obligation de discrétion en droit Suisse, voir "Le secret professionnel et le droit Suisse", in "Le
secret et le droit", Travaux de l'Association H. CAPITANT, pp.15 et s.
18
Pas toujours. Une personne peut être contaminée sans appartenir à ces catégories de personnes. Voir par
exemple les malades infectés par suite de transfusion sanguine.
6
éléments de la vie privée : la vie sexuelle de la personne et son état de santé19. Or, la vie
sexuelle qui touche la sphère génito-anale a une importance essentielle dans la
personnification de l'individu20, et fait peser sur lui à tort ou à raison une sorte de présomption
d'immoralité. Le médecin ne peut donc, en application du droit au respect de la vie privée,
droit portant sur l'aspect moral de la personnalité, divulguer, sans l'accord du patient, sa
séropositivité. Cette obligation de discrétion qui incombe au médecin soulève un certain
nombre d'interrogations. D'abord, le secret médical n'est-il qu'une obligation, ou est-il en
même temps un droit pour le médecin ? Ensuite, quelle est la réelle justification de la
protection de la vie privée ?
A la première question, il convient de faire remarquer que de prime abord, le serment
d'Hippocrate et les textes organisant le secret médical semblent faire de celui-ci une
obligation imposée au médecin. Ici, l'obligation est prise d'abord dans son sens général, de
devoir à respecter. Ainsi, dès l'origine, le secret médical est apparu comme un devoir de
conscience. Mais ce devoir crée par ailleurs des liens de droit entre deux personnes : le
médecin est débiteur, donc tenu d'exécuter l'obligation, le patient est créancier de l'obligation
de discrétion. Cette obligation est professionnelle,
puis légale et d'ordre public21.
Si le médecin est tenu d'une obligation de discrétion, a-t-il par ailleurs le droit de se
taire ? 22. Pour répondre à cette question, il faut préciser que le secret médical est institué
dans l'intérêt premier du patient. Dans ces conditions, le malade peut délier le médecin du
secret professionnel. Mais, le secret médical est également lié à l'intérêt plus général de la
santé publique 23. D'où certains auteurs 24 émettent des doutes par rapport à une possibilité
pour le malade de délier le médecin. D'ailleurs la théorie selon laquelle le secret médical
est fondé sur un contrat tacite est en recul. COMBALDIEU ajoute qu'on ne peut
valablement délier que d'un secret dont on connaît exactement l'étendue. Pour alimenter la
réflexion, l'auteur, cite BROUARDEL selon qui : "le secret de notre client est tellement
notre, que le client ignore souvent son étendue ; il ne peut nous en libérer parce que lui
même ignore ce dont il nous lie" 25. En France, le Professeur CHAVANNE indique que le
consentement donné par l'intéressé à la révélation de son secret n'oblige pas pour autant le
19
Voir dans le même sens C.LIENHARD ET J. VUILLEZ ", Les aspects juridiques dans le cadre de l'infection
par le VIH", Md. Mal. Infect. 1998.28.4.14 ,p.6).
20
Voir "la justice face aux fonctions sociales du secret", La documentation française,1981, p.51.
21
C'est la position de la Cour de cassation française qui reconnaît au secret médical un caractère général et
absolu. Voir arrêt WATELET. Cass. Crim. 19 décembre 1985 : D. 1886. I., 347.
22
Ce droit est souvent invoqué. Voir en ce sens : P.MAISTRE du CHAMBON et FIECHTER-BOULVARD,
"La responsabilité du médecin", - in Med. Mal. Infect.1998 24.28.34-p.33.
23
Voir infra I, A, b.
24
COMBALDIEU, Rapport sous Cass.Crim. 22 décembre 1966. Affaire DECRAENE, D. 1967. 122.
25
Voir dans le même sens : L.PORTES "Du secret médical", Presse Médicale, 22 juillet 1950 ; J.TRILLOT "Le
secret professionnel médical" Ann. Méd., 22 juillet 1950 ; M. REBOUL "Des cas limites du secret
professionnel médical" op. cit., p.825 ; voir les notes de jurisprudence, notamment GULPHE (D., 1948, 109) ;
LEGAL (J.C.P., 1948, II, 4141) ; BADINTER (D.1963, 471).
7
médecin à parler, ce dernier pouvant estimer, malgré tout, qu'il existe des raisons de
prudence sociale ou professionnelle en faveur du silence26. Le Professeur VOUIN partage
le même point de vue lorsqu'il affirme que le consentement des intéressés permet au
médecin de révéler le secret professionnel, mais ne lui impose pas de procéder à cette
révélation27. COMBALDIEU pense enfin que par humanité ou simplement par prudence,
le médecin est parfois amené à ne pas révéler à son client toute la vérité pour la nature de
certaines maladies qu'il a diagnostiquées ou sur le pronostic qui en résulte.
Quant à la chambre criminelle de la Cour de Cassation, elle invoque les mêmes
raisons pour se refuser à accorder une efficacité quelconque au consentement du malade.
Il convient d'ajouter à ce qui précède que le consentement du malade ne peut être
pris en compte que lorsque l'ordre public n'est pas vraiment en cause. Il en est ainsi par
exemple lorsqu'il s'agit d'informer un membre de la famille et surtout le conjoint. Donc le
médecin peut parfois refuser de révéler le secret médical même lorsque le patient l'autorise
à le faire. Le médecin use alors de son droit de se taire28. Le secret médical est une
obligation et un droit chaque fois que le médecin décide de se taire malgré l'existence du
consentement du patient.
Sur la seconde question de savoir quelles sont les justifications de la protection de
la vie privée29, on peut dire que la vie de toute personne comporte une part tournée vers
l'extérieur et une autre repliée sur la personne elle-même, sur sa famille, sur ses amis. Si la
part extérieure, celle des rapports sociaux, des activités publiques, peut faire l'objet de
divulgation aux tiers parce qu'elle est publique, il en va autrement de l'autre aspect de la
vie. Ce dernier aspect, intime, ne doit pas être l'objet de divulgations30 au risque de blesser
la pudeur, de troubler la paix et la tranquillité nécessaires à l'épanouissement physique,
intellectuel et moral des personnes. C'est ce qui justifie, pour l'essentiel, le respect de la vie
privée qui s'impose dans les rapports entre l'Etat lui-même et les particuliers, mais
également dans les rapports entre particuliers. Toute atteinte au secret doit être
exceptionnelle et doit assurer la sauvegarde de valeurs supérieures à ce secret. Il en est
ainsi parce que le secret de la vie privée est reconnu comme un droit fondamental de la
personne humaine31. Il est ainsi considéré par l'article 12 de la Déclaration Universelle des
26
A. CHAVANNE Juris-classeur Pénal art.378, n?252.
27
R. VOUIN, "La notion de secret médical en droit pénal français, Ve Congrès International de droit comparé
BRUXELLES. Août 1958, op.cit. pp.33-34.
28
Voir dans le même sens "P. MAISTRE du CHAMBON et F.FIECHTER BOULVARD, "La responsabilité
pénale du médecin", op.cit.,p.34.
29
Sur la protection de la vie privée, voir l'important ouvrage de Pierre KAYSER "La protection de la vie privée.
Protection du secret de la vie privée", Economica - Presses Universitaires d'Aix-Marseille 1984.
30
Voir dans le même sens Pierre KAYSER, "La protection de la vie privée. Protection du secret de la vie
privée" op.cit., pp.11 et s.
31
Cette reconnaissance initiée par la jurisprudence est intervenue après la seconde guerre mondiale en raison
des menaces nouvelles nées des progrès scientifiques et techniques. Voir en ce sens Pierre KAYSER, "La
protection de la vie privée", op.cit., p.13. Les législations de nombreux pays ont consacré cette solution en
érigeant en infractions pénales les atteintes les plus graves au respect de la vie privée. Ex. article 9, al.1er, du
code civil français.
8
droits de l'homme32, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques33 par les
conventions européenne et américaine des droits de l'homme etc. Si le droit civil protège la
vie privée contre toute violation, la loi pénale n'est pas en reste. Celle-ci, prend en charge le
sentiment d'intimité en réprimant les agissements qui y portent atteinte.
Outre l'obligation de discrétion, le secret médical est justifié par la confiance qui
doit s'instaurer dans les relations entre médecin et malade. En effet, celui qui a fait à autrui
la confidence de choses tenant à l'intimité de sa vie privée peut souffrir profondément de
voir son confident révéler ce qui lui a été communiqué. Le médecin doit respecter la
confiance entre lui et le malade parce que celle-ci a un support mystique et quasi religieux
qui fait parler de "sacerdoce médical". De plus et surtout, la confiance en question est celle
d'un ignorant envers un savant, celle d'un ignorant envers son conseiller intime, celle d'un
profane à un initié 34. Il y a ici un rapport de force entre le patient dont les intérêts
risqueraient d'être lésés et le plus fort, à savoir le médecin. Ce rapport doit être protégé par
le droit.
Outre l'obligation de discrétion et la confiance, l'ordre public et le pouvoir médical
constituent d'autres fondements du secret médical.
2) L'ordre public et le pouvoir médical
Le secret médical peut être considéré comme étant un principe de droit public
poursuivant un but de protection de la santé générale et de la société. Il s'agit d'un principe
d'ordre public35, c'est à dire un mécanisme d'Etat institué pour protéger ses intérêts les
plus primordiaux et précisément ses intérêts de santé publique. C'est la raison pour
laquelle, le médecin doit assurer au malade la sécurité et éviter sa crise de confiance.
Autrement, ce dernier risque de se confesser plus rarement et de façon moins complète au
médecin, en lui cachant certains détails qui pourraient éclairer son diagnostic. Il aura
également tendance à se soigner lui même, avec le concours de "charlatans" ou ne pas du
tout se soigner ou se cacher. C'est la santé publique qui risque évidemment d'en souffrir
surtout lorsque le malade est contagieux.
Il faut ajouter à ce qui précède qu'il est nécessaire d'assurer aux familles la sécurité
et la tranquillité en gardant secrètes leurs douleurs.
32
Proclamée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Selon l'art. de cette déclaration ;
"Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée". La déclaration est intégrée dans le corpus
juridique sénégalais en vertu du préambule de la constitution selon lequel, "le peuple du Sénégal proclame
solennellement son indépendance et son attachement aux droits fondamentaux tels qu'ils sont définis dans la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans la Déclaration Universelle du 10 décembre
1948".
33
Adopté le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations Unies : article 17 : "Nul ne sera l'objet
d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée"; ratifié le 13 février 1978 par le Sénégal où il entre en
vigueur le 13 mai 1978.
34
Voir dans ce sens René SAVATIER, "Les métamorphoses économiques et sociales du droit public
aujourd'hui", Paris - Librairie Dalloz, 1959, pp.186 et s.
35
La jurisprudence est française est fixée dans ce sens D.H. 1927 p.433.
9
Cet ordre public est au demeurant relatif et non absolu36.
En outre, le pouvoir médical explique également le secret médical. En effet, les
rapports entre le médecin et le patient doivent s'encadrer dans le contexte des rapports
sociaux entre médecins eux-mêmes et vis-à-vis de la société humaine. Les médecins37, en
tant qu'initiés, conseillers et savants forment une "aristocratie"38. Ils ont eux mêmes
conscience que la mission qui leur est confiée est importante. Il est alors naturel qu'à leur
éminente responsabilité s'attache un certain prestige, mais aussi un certain pouvoir, une
certaine autorité. Un certain orgueil est inséparable de la profession médicale qui se donne
une morale sociale particulière par rapport à la morale commune, les deux ne se raccordant
pas toujours39. Le souci de maintenir leur prestige et la confiance qu'ils inspirent justifie en
bonne partie la volonté tenace de la plupart des médecins de préserver le secret médical.
Ces derniers exercent alors sur eux-mêmes une autodiscipline à la fois individuelle et
corporative, qui crée quelquefois des rapports de domination entre le médecin et les autres.
Il s'ensuit qu'au plan juridique, le lien contractuel dépasse le principe de l'autonomie de la
volonté pour fonder l'existence d'un véritable pouvoir juridique. Il faut noter que ce pouvoir
juridique est, une nouvelle catégorie substantielle du droit40, à propos de laquelle il
convient d'apporter quelques éclairages. En effet, ce pouvoir juridique n'est pas conçu
comme une fonction, c'est-à-dire, les prérogatives reconnues au titulaire du droit subjectif
qui lui permettent d'exécuter une prestation. Ici, le pouvoir41 doit être entendu en partant
des précisions apportées par E. GAILLARD selon qui, "si l'on devait définir d'un mot la
prérogative qu'emporte tout pouvoir, c'est le terme de décision qui viendrait aussitôt à
l'esprit. Le titulaire du pouvoir est en effet investi du droit de faire prévaloir sa décision, de
trancher par l'exercice de sa volonté, une situation juridique et d'imposer à autrui la
décision prise : le titulaire du pouvoir est bien le décideur"42. Ces mêmes observations sont
applicables dans le secret médical, le médecin pouvant refuser de parler même avec le
consentement du malade. Il faut ajouter que, en prenant sa décision, le décideur exprime un
36
37
Voir Infra II.
Comme du reste les autres membres des professions libérales.
38
Voir dans le même sens R.SAVATIER, "Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé
d'aujourd'hui", op. cit., p.195. Il en est ainsi même dans l'hypothèse où ils seraient mal rémunérés.
39
Voir dans le même sens R.SAVATIER, ibid, p.196.
40
Le pouvoir est une nouvelle catégorie du droit. Cf E.GAILLARD. "Le pouvoir en droit privé", thèse Paris I,
Economica, 1985 ; A.SAKHO. "Les groupes de société et le droit (contribution à la recherche sur la notion de
pouvoir en droit privé. Thèse UCAD - Dakar, 1993, pp.412 et s. Bien que ce terme n'ait jamais été absent du
vocabulaire juridique. Il faut cependant noter que cette catégorie juridique n'est pas encore reconnue par le droit
formel, cf.A.SAKHO, ibid. p.4140. Ainsi à côté du pouvoir de l'Etat, existe d'autres pouvoirs. Ainsi en est-il
des "pouvoirs privés économiques" (cf. G.FARJAT, Droit Economique PUF, Thèmis 1982 pp.373 et s) qui sont
"les personnes privées qui se trouvent investies souvent derrière l'apparence comparable au fond à celui de la
puissance publique (cf. Laurence BOY "Le cadre civil des affaires, "Economica, 1989, p.67).
41
Qui se distingue ici des droits subjectifs. Sur cette distinction, voir E.GAILLARD, "Le pouvoir en droit
privé, Economica 1985,pp.137 et s.
42
E. GAILLARD ibid. p.138 n?216.
10
intérêt qui est différent du sien, mais surtout, édicte une norme susceptible d'être
contraignante pour ses destinataires43. Nous avons vu à ce propos que le secret médical
tendait surtout à protéger le patient et la société44. Le pouvoir du médecin est une
prérogative finalisée. Il "est tout entier orienté vers la satisfaction d'un intérêt qui ne se
confond jamais totalement avec celui de son titulaire"45. La conséquence de cette finalité
est la subordination de ce pouvoir à un contrôle juridique soumis à la sanction 46. C'est ce
qui justifie l'existence de sanctions pénales, civiles et disciplinaires organisées pour
protéger le secret médical. En somme, ce pouvoir se manifeste surtout à travers
l'engagement unilatéral de volonté du médecin, une des sources du secret médical.
B) LES SOURCES DU SECRET MEDICAL
Ces sources sont légales et extra légales.
1) Sources légales du secret médical
Les sources légales du secret médical sont surtout la loi pénale et les règles du code
de déontologie médicale.
En matière pénale, l'article 363 alinéa 1er du code pénal sénégalais dispose que :
"Les médecins, chirurgiens, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres
personnes dépositaires, par état ou par profession ou par fonctions temporaires ou
permanentes, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les
autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d'un
emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 50.000 à 300.000 francs".
L'interprétation de l'article 363 du code pénal sénégalais, n'est pas aisée. Cependant
en s'inspirant des commentaires à propos de l'article 378 de l'ancien code pénal français qui
est le pendant de l'article 363 du code pénal sénégalais, on peut relever l'existence de quatre
éléments constitutifs de l'infraction : l'appartenance du coupable à une certaine catégorie de
professions, le fait que le professionnel ait recueilli le secret dans l'exercice de ses
fonctions, la révélation du secret47 et enfin l'intention délictueuse.
Sur le premier élément, à savoir l'appartenance du coupable à une certaine
catégorie de professions, il faut observer que les professions médicales et para-médicales
43
Dans le même sens A.SAKHO, ibid. p.432.
44
Supra (I.A.a).
45
E. GAILLARD "Le pouvoir en droit privé" op. cit. n?25.
46
47
Dans le même sens A.SAKHO, ibid. p.432.
Sur ces éléments constitutifs de violation du secret professionnel, voir MERLE et A. VITU "Traité de droit
criminel - Droit pénal spécial" Ed. Cujas. 1982 pp.1611 et s ; M. VERON "Droit pénal spécial" 4e édition 1994, pp.133 et s.
11
sont nommément soumises à l'obligation au secret par l'article 363 du code pénal
sénégalais48. Sont visés de façon expresse les médecins, les chirurgiens, les pharmaciens,
les sages femmes.
Le second élément constitutif de la violation du secret professionnel et
spécialement du secret médical à savoir le fait pour le coupable de recueillir le secret dans
l'exercice de ses fonctions, implique qu'un fait confidentiel49 donc non destiné à être
divulgué a été porté à la connaissance d'autrui, même si la révélation ne cause aucun
préjudice. Cette confidence doit avoir été connue dans l'exercice des fonctions, par
exemple lors de l'examen du malade par le médecin.
La révélation de la confidence, troisième élément constitutif de la violation du
secret est constituée par tout acte ayant pour conséquence directe ou indirecte de porter à la
connaissance des tiers tout ou partie du fait confidentiel. Il peut s'agir d'écrit, de
communication verbale. En revanche, il n'y a pas de délit de révélation lorsque le médecin
fait connaître au malade son diagnostic, même si, très souvent le médecin cache au malade
l'issue fatale de sa maladie, par souci d'humanisme. Il n'y a pas non plus de faute lorsque le
médecin donne des renseignements à la famille proche du malade pour recommander des
soins à ce dernier. Dans ce cas, il est supposé que le patient consent à une telle révélation50.
Il en est de même lorsque le médecin remet un certificat médical au patient qui peut alors
en faire l'usage souhaité.
La question peut être posée de savoir si le médecin peut remettre aux héritiers d'un
malade décédé son certificat médical à des fins notamment judiciaires. En droit français la
jurisprudence n'a pas apporté de solutions concordantes sur cette question. Certaines
décisions sont hostiles à la remise du certificat médical aux héritiers51. D'autres admettent
le contraire52. Quant à la doctrine française, elle est favorable à cette dernière conception
lorsque l'héritier justifie avoir un intérêt personnel à la révélation et que celle-ci ne porte
pas atteinte à la mémoire du défunt. La jurisprudence française53 a décidé que la révélation
est punissable lorsqu'elle a été faite sans le consentement de l'intéressé, à des tiers, même
48
Outre les professions se santé, l'article 363 ajoute "toutes autres personnes dépositaires par état ou par
profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu'on leur confie". Il appartient ainsi aux
tribunaux de déterminer les professions concernées par l'article 363.
49
Un fait reste confidentiel même s'il est déjà connu de certaines personnes, qui cependant n'ont pas une
certitude totale sur ce fait.
50
Voir dans ce sens R. MERLE et A. VITU "Droit pénal spécial" op., cit., p.1620.
51
Cf. Civ. I, 22 janv. 1957, D., 1957, 445 note R. SAVATIER, Civ.I. 13 oct. 1970 D, 1970, 765, concl.
LINDON ; Grenoble, 22 mai 1957, J.C.P., 1957.II, 10246 observ. R. SAVATIER.
52
Civ. I, 12 juin 1958, J.C.P. 1959.II.10940, note CHAVANNE ; Civ. 26 mai 1964, D., 1965. 199, note Le
BRIS, J.C.P. 1964, II.13751, concl. Lindon ; Paris 2 Déc. 1964, Gaz. Pal. 1965.1.202, concl. RIVALEWS.
53
Voir Bibliographie MERLE et VITU, op. cit., p.1621 note 4 et ouvrages plus récents.
12
s'il s'agit de proches54. Cette dernière solution peut être parfois abusive si l'on considère
que le secret ne peut être toujours absolu55.
Le quatrième élément constitutif de l'infraction de violation du secret médical est
l'élément intentionnel. La violation du secret est un délit intentionnel qui n'est pas
suffisamment caractérisé par une simple faute de négligence ou d'imprudence. Elle suppose
chez son auteur, la claire conscience qu'étant tenu au secret, il a néanmoins révélé un fait
confidentiel. Cette conscience ne doit pas être confondue avec les mobiles ou les motifs de
la révélation qui, sauf cas exceptionnels, importent peu. Cette conscience ne saurait non
plus être confondue avec la malveillance ou l'intention de nuire qui n'est pas requise, car le
préjudice même éventuel pour la victime n'est pas un élément constitutif du délit 56.
L'élément intentionnel fait défaut lorsque l'auteur de la révélation bénéficie de
justifications.
La violation du secret médical est punie d'un emprisonnement d'un à six mois et
d'une amende de 50.000 à 300.000 francs.
L'article 363 alinéa 2 du code pénal sénégalais ajoute dans son alinéa 2 que le
secret professionnel n'est jamais opposable au juge qui, pour les nécessités des
investigations qu'il accomplit ou ordonne, peut en délier ceux qui y sont astreints. Cette
limite est apportée par la loi pour les besoins d'une bonne administration de la justice.
Quant au code de déontologie médicale, il met à la charge du médecin l'obligation de
respecter le secret médical à travers son article 7 selon lequel "tout médecin est astreint au
secret professionnel ; il peut en être délié dans les cas prévus par la loi". Cette règle
déontologique médicale appelle un certain nombre de remarques. D'abord elle est une règle
de droit57.
Ensuite, cette règle de droit ne s'applique qu'aux personnels de santé. Il
s'agit en troisième lieu, d'une règle qui intéresse l'ordre public58 donc applicable par le juge
de droit commun. C'est parce qu'elle est d'ordre public qu'elle est du reste énoncée
également dans le code pénal.
Enfin, il faut signaler que la règle déontologique du secret médical est une règle
indépendante qui s'ajoute au droit commun. Cela signifie qu'étant en même temps une faute
pénale, la violation du secret médical peut être sanctionnée à la fois aux plans disciplinaire
et pénal.
54
Ainsi en a-t-il été pour le certificat médical délivré à une femme au sujet de son mari. (crim.13 juil. 1875,
D.1900, 1.43) ou au mari au sujet de sa femme (T. Correc. Seine, 4 janvier 1928, J.C.P. 1928.401, note
FERRAUD - CHARMANTIER.
55
Voir les développements dans la 2e partie de l'étude (II).
56
Crim. 9 mai 1913, D.P. 1914, 1.206 ; Crim 8 mai 1947, D.1948.109, note M.GULPHE. Sur l'élément
intentionnel du délit, voir MERLE et VITU "Droit Pénal Spécial" - ed.cujas 1982, p.1622 ; M.VERON "Droit
pénal spécial" 4e ed. Masson, 1994, pp.133 et s.
57
Voir dans le même sens J.P. ALMENRAS et H. PEQUINOT "La déontologie médicale" éd. Litec-1996, pp.2
et s.
58
Voir supra I.B.
13
Telles sont les sources légales du secret médical. Elles ne sont pas exclusives. IL
existe en effet des sources extra légales du secret médical.
2) Sources extralégales du secret médical
Deux sources extralégales doivent être signalées : le contrat et
unilatéral de volonté.
l'engagement
Selon certains auteurs59, le médecin est lié au malade par un contrat qui constitue
également le fondement juridique du devoir de respecter la confidence. Ils avancent que le
malade qui confie un secret au médecin, agit pour ses propres intérêts, en sauvegardant
l'intimité de sa vie privée. Le médecin quant à lui, accepte de recevoir et de garder le secret
dans l'intention de protéger les intérêts du malade et les siens propres car voulant préserver
la confiance que lui voue le malade. Selon ces auteurs, cet échange de consentement entre
le malade et son médecin est un contrat. Ainsi, le secret médical a été classé dans la
catégorie des contrats nommés. Déjà, dans l'Ancien Droit français, les criminalistes suivis
plus tard par de nombreux autres auteurs60, prétendaient que le secret médical était un
contrat de dépôt. Ces auteurs tiraient argument de ce que l'ancien article 378 du code
pénal français relatif au secret médical, parlait de "personnes dépositaires des secrets qu'on
leur confie". L'argument n'est évidemment pas dirimant, car le mot "dépositaires" est utilisé
ici dans un sens non conforme à la définition du dépôt. Le contrat de dépôt obéit à des
conditions ne pouvant s'appliquer au secret. Le dépôt a pour objet des choses mobilières et
corporelles61, et non des confidences, c'est à dire des pensées intimes. Le dépôt ne peut
avoir pour objet une chose incorporelle. Le dépôt est un contrat réel. Le confident ne peut
restituer en nature le secret qui lui a été confié62.
D'autres auteurs ont qualifié le secret médical de contrat de mandat63. Mais, le
secret médical n'a certainement pas pour origine le contrat de mandat. Le mandat est un
contrat par lequel une personne (le mandant) donne à une autre (le mandataire) le pouvoir
d'accomplir en son nom et pour son compte un ou plusieurs actes juridiques64. Le mandat
59 CHAVEAU et HELIE, Tome 5, n°1879 ; MERLIN, Répertoire de jurisprudence, 5e Ed? Voir témoignage
judiciaire, paragraphe 1, art.6, n°14 ; MERGER "Le secret professionnel" Thèse Paris 1894, p.19 ; ASDOUL
"Du secret professionnel" thèse Paris 1892 p.113 ; PIETTRE "Essai sur le secret médical et la déclaration des
maladies contagieuses" thèse MONTPELLIER 1920, p.167) ; dans l'arrêt WATELET du 5 mai 1885, S. 1886.I.
p.86, la Cour de Cassation emploie l'expression "dépôt de confiance" PERRRAUD - CHARMANTIER "Le
secret professionnel, ses limites, ses abus", 1926 p.225" ; VERVAEST "Le secret médical" - Paris 1892.
60
CHAVEAU et HELIE, Tome 5, n?1879 ; MERLIN, Répertoire de jurisprudence, 5e ed. Voir témoignage
judiciaire, paragraphe 1, art 6, n?14 ; MERGER "Le secret professionnel" Thèse Paris 1894, p.19 ; ASDOUL
"Du secret professionnel" thèse Paris 1892, p.113 ; PIETTRE "Essai sur le secret médical et la déclaration des
maladies contagieuses" thèse MONTPELLIER 1920, p.167) ; dans l'arrêt WATELET du 5 mai 1885, S.
1886.I., p.86, la Cour de Cassation emploie l'expression "dépôt de confiance" PERRRAUD - CHARMANTIER
"Le secret professionnel, ses limites, ses abus", 1926, p.225".
61 Art.497, COCC.
62
63
64
Voir dans le même sens ; GARCON "code pénal annoté sur l'article 378 du code pénal français n°9).
VERVAEST "Le secret médical" - Paris 1892.
Art. 457 COCC.
14
porte donc sur un acte juridique et constitue un mécanisme de représentation. Or, tel n'est
pas le cas pour le secret médical dans lequel l'idée de représentation n'apparaît guère.
Notons que la nature contractuelle du secret médical n'est pas partagée par tous.
GARCON65 pensait que le secret n'avait aucune origine contractuelle. Il soutenait que le
secret obéissait à une théorie autonome et indépendante des autres institutions juridiques et
que les analogies et déductions devaient être évitées, s'agissant du secret professionnel en
général. Évidemment, à cette argumentation, un auteur66 a eu raison de répondre que
"l'autonomie du secret n'empêche pas la constatation de l'existence d'un contrat entre le
malade et le médecin". D'ailleurs, seule l'origine contractuelle du secret médical peut
justifier l'usage par le médecin des certificats médicaux délivrés sur la demande de son
client. Les certificats médicaux permettent une levée du secret médical par le consentement
des deux volontés qui avaient elles-mêmes donné naissance au secret67. Il faut cependant
préciser que le secret médical n'est pas en lui même un contrat. Il est précisément un effet,
une obligation d'un contrat général qui est le contrat médical. Celui-ci est un accord de
volontés entre le malade et le médecin. En effet le malade choisit librement son médecin et
ce dernier "s'engage à donner au malade des soins, non pas quelconques, mais
consciencieux, conformes aux données actuelles de la science"68. Ainsi, l'arrêt MERCIER
posait le principe de la responsabilité contractuelle du médecin. Ajoutons qu'il s'agit
précisément d'un contrat d'entreprise également appelé louage de service, par lequel une
personne s'engage, moyennant rémunération, à accomplir de manière indépendante un
travail, au profit d'une autre personne, sans la représenter. Ce contrat porte sur une chose
immatérielle69 c'est-à-dire principalement le traitement du malade. De façon générale, le
contrat médical est générateur d'obligations à l'égard des deux parties. Il s'agit d'un contrat
synallagmatique. La principale obligation du malade est de payer des honoraires au
médecin70. Ce dernier quant à lui est tenu d'une obligation essentielle qui est de soigner au
mieux, mais pas de guérir. Cette obligation étant alors de moyen et non de résultat, Il
s'ensuit que lorsque le malade n'est pas guéri, le médecin qui le soigne n'est responsable
que s'il a été démontré sa faute. Le médecin est également tenu de respecter le secret
médical, le contrat médical étant basé sur la confiance.
65
Code pénal annoté article 378 n°5 précité.
66
A. TSITSINOPOULOS "Le secret professionnel et la médecine sociale" thèse, Nice 1931, p.56, note (I).
67
Voir dans le même sens A.TSITSINOPOULOS "Le secret professionnel et la médecine sociale" op. cit. p.57.
Sur ce point, voir infra, 2e partie.
68
Cf. Cass. civ. arrêt MERCIER - 20 mai 1936.J.C.P. 1936, 1079 ; D.P. 1936, 1,88 avec rapport Josserand,
concl. Matter ; Gaz. Pal. 1939,2, 41 ; S.1937, 1, 321.
69
Il existe toute une catégorie de contrats d'entreprise qui ont pour objet une chose matérielle. Ainsi en est-il
par exemple du contrat de fabrication, de transformation ou d'entretien d'une chose etc.
70
Il faut préciser que l'obligation de payer le prix à laquelle est tenue le malade n'est en fait pas caractéristique.
De façon générale, une obligation monétaire ne permet pas de qualifier un contrat. Cependant, elle confère au
contrat une nature essentiellement onéreuse. (Cf. PH. Malaurie, L. Aynes- Droit civil - Les contrats spéciaux 1990, ed. cujas, p.369.
15
En fait, par rapport à la théorie générale des obligations, le contrat n'est pas l'unique
source du secret médical. Celui-ci tient aussi son origine dans l'engagement unilatéral de
volonté 71. Le serment hippocratique semble orienter vers cette direction. Rappelons en les
termes : "...Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité dans
l'exercice de la médecine. Admis dans l'intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce
qui s'y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés, et mon état ne servira pas à
corrompre les m œ urs ni à favoriser le crime..."
Mais qu'est-ce que l'engagement unilatéral de volonté? Celui-ci peut être défini
comme étant "l'acte par lequel une personne manifeste l'intention de se lier
personnellement, par la seule expression de sa propre volonté en vue de créer une
obligation à sa charge".
L'engagement unilatéral de volonté fait donc naître une dette à la charge du
déclarant, ce qui se traduit corrélativement par une créance au profit d'un tiers.
De façon générale, pour avoir force obligatoire72, l'engagement unilatéral de
volonté doit réunir deux conditions fondamentales. Il doit d'abord être socialement
souhaitable de considérer le déclarant comme étant devenu le débiteur dès sa manifestation
de volonté et par le seul effet de cette manifestation73. Le serment hippocratique remplit-il
cette condition ? La réponse à cette question est positive car le secret de manière générale,
joue un rôle important dans le mouvement de la société. Il a des fonctions sociales, ce que
traduisait le sociologue SIMMEL par l'idée que le secret constitue un rouage essentiel de
l'ordre social74. Il contribue à tracer les limites d'un groupe social donné en définissant ceux
qui sont dans le secret et ceux qui n'y sont pas75. Le secret a en outre et surtout une fonction
de relation en constituant un moyen de résistance, de protection76. Cette fonction sociale de
protection se retrouve dans le secret médical. Il est question de protéger l'intérêt supérieur
de toute la société contre les risques d'une divulgation du secret médical. Le secret médical
permet ici de préserver la liberté et la morale des malades en tant qu'individus et de limiter
les risques de propagation de maladie lorsque des malades craignant une divulgation du
secret, préfèrent la clandestinité. Ajoutons aussi que le secret assure le soutien de la
profession médicale car l'absence de secret médical peut pousser professionnels de la
médecine et patients en quête de discrétion à développer une médecine occulte, donc
incontrôlable tant au plan technique qu'éthique, ce qui est dangereux.
71
Sur l'engagement unilatéral de volonté, voir notre ouvrage "Le pluralisme juridique en Afrique", L.G.D.J.
Paris, 1991 pp.203 et s.
72
Selon la conception la plus répandue aujourd'hui, certains engagements unilatéraux seulement sont
obligatoires.
73
FLOUR et AUBERT "Les obligations. L'acte juridique" 4e éd. - Armand COLIN 1990 - p.398 ; F.GENY
"Méthodes d'interprétation et sources en droit privé positif" n?172 bis.
74
In "La justice et les fonctions sociales du secret", op. cit. p.13.
75
"La justice et les fonctions sociales du secret", op.cit., p.8.
76
Voir dans le même sens "La justice et les fonctions sociales du secret", op. cit., p.19.
16
La seconde condition d'efficacité de l'engagement unilatéral de volonté est liée aux
circonstances où il a été pris et qui doivent révéler de la part de celui qui s'engage une
volonté certaine et réfléchie77. Cette condition existe dans le serment hippocratique qui
n'est prononcé par le candidat au titre de docteur qu'après de longues études non seulement
théoriques mais encore pratiques. Ce serment apparaît comme un engagement à effectuer
une mission sociale devant des juges d'une école c'est-à-dire devant les maîtres. Aucun
médecin ne doit exercer son métier en se soustrayant aux obligations contenues dans le
serment.
Enfin une troisième condition de l'engagement unilatéral de volonté78,
généralement négligée par les auteurs est moins évidente s'agissant de l'engagement du
médecin. Cette condition est celle de la subsidiarité par laquelle il faut comprendre que
l'engagement unilatéral ne peut être retenue que lorsque l'obligation de celui qui s'engage
ne peut avoir d'autres sources, notamment contractuelles ou légales. S'agissant précisément
du secret médical, cette condition n'est pas réunie. En effet le secret médical a par ailleurs
sa source dans le contrat médical79 et dans la loi pénale. Mais cela ne semble pas remettre
en cause l'idée d'un engagement moral et déontologique80 de volonté du médecin.
L'engagement unilatéral contenu dans le serment hippocratique est indépendant du rapport
contractuel tissé entre le médecin et le malade et des autres sources du secret médical. Au
demeurant, ce cas n'est pas isolé. Sur une question voisine, précisément en matière
d'engagement du banquier dans le crédit documentaire irrévocable, la jurisprudence81 n'a
pas vu dans le principe de subsidiarité, un obstacle à la validité de l'engagement unilatéral
de volonté82.
Telles sont les origines du secret médical. Ses fondements sont multiples, ses
sources également. Il reste à savoir ce que ces fondements et sources peuvent avoir comme
incidence sur l'autorité du secret médical.
II) AUTORITE DU SECRET MEDICAL
Le devoir de silence du médecin s'impose-t-il de manière absolue ou relative? Voilà
une question à laquelle la loi ne donne pas de réponse expresse et qu'il faut résoudre en
tenant compte d'intérêts supérieurs. Deux conceptions s'affrontent à cet égard. Il s'agit de la
thèse absolutiste et de celle relativiste.
77
J. FLOUR et J.L. AUBERT "Les actes juridiques l'obligation", op. cit., p.339.
78
Voir en ce sens J.FLOUR et J.L. AUBERT in "Les actes juridiques. L'obligation "op. cit. p.398-399.
79
Voir supra I.A. - a-
80
Voir infra I.B. - a - b -
81
La jurisprudence française qui est une source d'inspiration du droit sénégalais.
82
Voir dans ce sens : Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET "La lettre de garantie internationale". p.9. Sur la
jurisprudence française, voir Paris, 2 juin 1967, Journal des agréées, 1967 - p.709 ; Paris, 3e ch., 15 juin 1973,
Rev. Jur. Com. 1973.273 ; Paris, 5e ch. Com.14 Nov. 1978, D.1979.J.259, obs. VASSEUR.
17
A) LA CONCEPTION ABSOLUTISTE
Il convient de présenter la substance de cette thèse avant d'en apprécier la valeur.
1) Substance de la thèse absolutiste
La conception absolutiste du secret médical, de stricte orthodoxie, fidèle à une
conception individualiste et dogmatique, affirme le primat absolu du devoir de discrétion
du médecin83. Cette thèse a conduit pendant longtemps à considérer que le médecin ne
saurait dévoiler les confidences de ses malades84. Le secret était alors considéré comme
étant destiné à protéger le malade. Le médecin ne pouvait l'utiliser à des fins égoïstes et
personnelles, même s'il s'exposait à une condamnation, la profession médicale comportant
des risques qu'il faut assumer. En France la chambre criminelle avait considéré que le
secret médical demeurait "général et absolu"85. Certains auteurs86 avaient vivement critiqué
cette jurisprudence en avançant que la haute juridiction avait fait du secret médical un
carcan dont le professionnel ne pouvait se débarrasser même dans l'intérêt de son client ou
de la justice. C'était, pour ces auteurs traiter le patient en "mineur psychologique" incapable
de juger ce qui est ou non de son intérêt. C'était également ignorer les exigences de la
justice et surtout des preuves, en privant les parties et les juges d'une vérité complète87.
Suivant la conception absolue, un médecin qui, par exemple, est sollicité pour
éclairer un fiancé sur la santé de son futur conjoint devra taire les tares qu'il a pu déceler
sur la santé de ce dernier, même s'il est atteint d'une maladie grave et incurable
incompatible avec le mariage et dangereuse pour l'autre conjoint et les enfants à naître.
Les partisans88 de l'intangibilité du secret fondent leur argumentation sur plusieurs
propositions principales. Ils font d'abord référence au fondement de l'institution tiré de la
protection de la vie privée et de l'ordre public en insistant sur les dangers d'ordre privé et
d'ordre général qu'entraînerait sa disparition.
83
Voir dans le même sens Docteur LEGENDRI, "Secret médical et monde
Contemporain", éd.G.DOIN et Cie. 1955, p.28 ; R. SAVATIER, note sous Aix, 18 janvier 1962 ; J.C.P., 1962,
II, 12892.
84
GARCON et BROUARDEL ( cités par Louis MELENNEC et J.SICARD in “ Le secret professionnel et le
médecin poursuivi ” GAZ.PAL.1974. p.85) enseignaient qu’il est interdit au médecin d'invoquer, pour se
défendre, des faits dont il n’a connaissance que parce qu’il en a reçu la confidence, ou fait la constatation dans
l’exercice de son ministère. La théorie du secret absolu a été consacrée à un moment donné par la jurisprudence
( cf. Cass.Crim.18.12.1885 ? D.1886. 1.347 ; Aix 19.6.1902 ? D.1903. 2. 451)
85
Cass. Crim., 8 mai 1947, aff. DECRAENE, D., 1948.109, note GULPHE, JCP, 1948.II.4141, note LEGAL ;
22 déc.1966, D., 1967.122, Concl. COMBALDIEU, J.C.P., 1967.II.15.126, note R. SAVATIER, RSC,
1967.453, observ. LEVASSEUR; 27 juin 1967, Gaz. Pal., 1967, .2.178, R.S.Crim., 1968.432, observ.
LEVASSEUR.
86
Voir dans ce sens R.MERLE et A.VITU "Droit pénal spécial". Ed. Cujas - 1982-p.1629.
87
R. MERLE et A.VITU, op. cit. p.1629.
88
V.ANZALAC “ Les seules exceptions au principe du secret médical ” GAZ.PAL 1971.Doct.p.113 ;
C.LIENHARD et J.VUILLEZ “ Les aspects juridiques dans le cadre de l’infection par le VIH, op.cit., p.7 ;
COMBALDIEU note sous Cass.crim. 22 déc.1966 précité.
18
Les tenants de la thèse absolutiste se fondent ensuite sur le caractère légal du secret
institué par une loi et en déduisent qu'il ne peut y être apporté d'exception que par une
disposition expresse contraire. On constate pourtant que le caractère légal du secret
médical n'est pas une généralité en droit comparé. En Angleterre par exemple, aucune
disposition législative particulière ne traite du secret médical. Le respect de ce dernier y a
sa source dans la coutume et dans les règles morales auxquelles sont assujettis les médecins
89
. En outre, même dans les hypothèses où le secret médical est institué par une loi, le fait
même de pouvoir y apporter des exceptions par une disposition expresse contraire, semble
remettre en cause le caractère absolu du secret médical.
Le troisième argument invoqué par les partisans de l'absolutisme est tiré de l'idée
que l'obligation au silence du médecin échappe à la volonté des parties qui ne peuvent
s'accorder sur sa violation. On a cependant vu que l'autorisation expresse du malade
pouvait parfois délier le médecin s'il y consent90. En outre, il existe encore de multiples
opérations réalisées par le médecin et qui peuvent être considérées comme étant la
conséquence d'un accord de volonté entre les parties. Ainsi en est-il de l'expertise médicale
privée. Lorsque le médecin est un expert au service d'une collectivité ou d'une entreprise,
on considère qu'il a accepté d'avance de celle-ci la mission d'expertise pour tous les cas qui
lui seraient soumis. De même, les personnes qui sont présentées à son examen ont
d'avance, en adhérant au contrat qui les lie à la collectivité ou à l'entreprise, accepté d'être
examinées par l'expert médecin. Cet expert doit rendre compte à son mandant qui est la
collectivité ou l'entreprise. Il est en même temps délié du secret par la personne examinée
91
. Le même raisonnement est valable lorsque le médecin délivre des ordonnances à ses
malades, celles-ci pouvant être portées à la connaissance des tiers par le malade lui-même.
L'autorisation du malade est sous-entendue dans ces hypothèses de violation du secret
médical.
Le quatrième argument avancé par les absolutistes est que le médecin poursuivi en
justice par son client ne peut se défendre en invoquant des faits, normalement couverts par
le secret. Cependant, à la question de savoir si l'existence d'un secret professionnel impose
au médecin l'obligation de se taire devant la justice, les juristes répondent à l'heure actuelle
le plus souvent par la négative92. Aujourd'hui, la jurisprudence admet très fermement la
possibilité pour le médecin inculpé d'assurer sa défense au besoin en portant atteinte à
certains faits secrets qu'il divulgue93. Cette jurisprudence admet que le médecin est un
citoyen à part entière qui doit défendre sa réputation et celle de la profession médicale94.
89
Voir Docteur René LEGENDRI "Secret médical et monde contemporain" ed?. G.DOIN et Cie-1955 ; pp.130
et s.
90
Supra.
91
Voir dans le même sens Alexandre TSITSINOPOULOS, “ Le secret professionnel et la médecine sociale, ”
Thèse, Nice 1931, pp.23 et S ; 89 et 5.
92
Voir dans le même sens “ Jean PRADEL, “ “ L’incidence du secret médical sur le cours de la justice, ”
J.C.P. 1969, Doc. 2234, n°17.
93
Certes, au début du 20ème siècle, certains juges ont refusé au médecin le droit de parler, donc de se défendre.
En France, une décision du tribunal correctionnel d’Amiens du 12 Mars 1902, (D.1902,2,493) pose la règle que
le médecin ne peut disposer du secret médical “ quelque engagé qu’il soit pour les besoins de sa défense en
19
Enfin les arguments de stabilité juridique sont également invoqués. Le conseiller
COMBALDIEU écrit 95 à ce propos qu'une solution nuancée plutôt qu'absolue "aurait
l'inconvénient, ainsi qu'en témoigne d'ailleurs devant la difficulté du problème, l'éventail
des décisions rendues à cet égard en matière civile, de jeter un halo d'indécision autour de
la zone d'application du secret médical car, si la doctrine s'efforce d'une façon louable de
délimiter l'objet du secret, il faut bien convenir que les limites de ce secret se laissent
difficilement cerner. Dans ces conditions, n'apparaît-il pas préférable, en déclarant que
l'obligation au secret médical est générale et absolue, d'adopter une solution que l'on peut
accuser certes d'être trop rigoriste et de manquer peut-être de souplesse, mais qui a du
moins le mérite, non seulement de puiser profondément ses racines dans la tradition et les
précédents mais encore de fixer une règle de comportement précise et ne laissant place à
aucune hésitation".
Certaines décisions jurisprudentielles appliquent la thèse absolutiste. On peut citer à
cet égard la décision de la chambre criminelle du 22 décembre 196696. La Cour de
Cassation affirme que: "Fait une exacte application de l'article 378 c.pen., la Cour d'Assises
qui déclare que l'obligation au secret professionnel, établie et sanctionnée par l'article 378
c.pen. pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions ou de
certaines fonctions, s'impose aux médecins comme un devoir de leur état, qu'elle est
générale et absolue et qu'il n'appartient à personne de les en affranchir".
2)Valeur de la thèse absolutiste
De manière générale, les médecins restent déontologiquement et sentimentalement
hostiles à toute révélation du secret médical. la chambre criminelle avait considéré que le
secret médical demeurait "général et absolu".
Le secret médical présente en effet des intérêts indéniables. D'abord, aux plans
thérapeutique et de santé publique, car la confidentialité permet aux malades de se sentir à
l'aise pour suivre un traitement sans courir le risque d'être frappés d'ostracisme par
l'entourage et la communauté. Cela est valable notamment pour certaines maladies
justice ” Voir dans le même sens Aix, 19 Mars 1902,. D., 1903,2, 451. Cette jurisprudence est aujourd’hui
révolue. Cf. pour le droit français Douai, 20 octobre 1951 Gaz., Pal., 1951,2,425. En l’espèce, le médecin était
poursuivi pour omission de porter secours. Pour assurer sa défense, il avait photocopié quelques pages du
registre de l’hôpital ayant accueilli le malade, afin de prouver que ce dernier ne pouvait pas survivre. La cour a
estimé que le procédé était licite et qu’il n’y y avait pas violation fautive du secret professionnel. Cette
jurisprudence a par la suite été confirmée et même approuvée (Trib. Grande inst. Seine 18 janvier 1965, J.C.P.
1965, éd.G.IV., p 75 ; Paris , 16 février 1966. J.C.P 1966, éd.G.IV, p.48 ; Cass.Crim., 20 Décembre 1967,
Bull.Crim n° 338).
94
La doctrine approuve cette solution : cf. en France, A.CHAVANNE, J.CL.Pénal art 378 n° 154 et S ; A.
PEYTEL “ le secret médical", Paris 1935, p.139. Il subsiste cependant quelques médecins qui s'en tiennent
encore à la thèse absolutiste, même dans l'hypothèse où le médecin est attrait devant la justice. Cf. J. VIDAL et
J.B. CARLOTTI "les raisons morales du secret médical" premier congrès international de morale médicale
II.,p.63 ; L.PORTES “ A la recherche d’une éthique médicale", Paris, 1954.p.149.
95
Rapport à propos de Cass.crim.22 déc.1966 affaire DECRAENE - D.1967, JP, p.124.
96
Affaire DECRAENE, précitée.
20
injustement considérées comme honteuses pour lesquelles une stigmatisation du malade
peut entraîner une réaction naturelle de vivre dans la clandestinité, de refuser de se soigner
et de favoriser une rapide propagation des maladies. Le secret médical présente également
un intérêt pour les familles car il préserve leur repos, leur honneur et leur réputation.
L'intérêt de la profession médicale et son fonctionnement sont également concernées.
Également dans l'intérêt de la société tout entière et de l'ordre public en général. Le secret
médical a donc une portée sociale incontestable. Une divulgation inconsidérée du secret
médical créerait des désordres graves. L'ordre public est en jeu. Enfin, le secret médical est
une règle d'éthique. C'est une charte fondamentale de la médecine selon laquelle la
confiance entre le médecin et le patient doit être protégée. Le Professeur Noël
FIESSENGER97 écrivait qu’on peut épiloguer sans arrêt sur le secret professionnel, il reste
et restera la clef de voûte de l'exercice de notre profession. Nous devons le défendre avec
âpreté parce que le malade n'a pas d'autre défenseur que nous". De même, s'appuyant sur la
valeur inestimable du secret médical, le Professeur PORTES98 rappelait en des phrases
devenues aujourd'hui classiques que "Le secret professionnel est, en France au moins, la
pierre angulaire de l'édifice médical, et il doit le rester, parce qu'il n'y a pas de médecine
sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans conscience".
C'est sans doute ce qui explique les solutions admises en France où la Commission
Nationale Informatique et Libertés (CNIL) a souligné la nécessité d'identifier les personnes
contaminées dans le respect du droit à la vie privée. En outre, la loi du 1er juillet 199499
relative aux fichiers sanitaires automatisés tente d'instituer un véritable équilibre entre
d'une part l'intérêt général 100 et d'autre part, l'intérêt individuel, c'est-à-dire le respect de la
vie privée du malade. La loi permet seulement la déclaration anonyme où seules figurent
les initiales, la date et la commune de naissance de l'intéressé. La confidentialité des
données nominatives traitées est protégée pénalement par les articles 226-13 et 226-18 du
nouveau code pénal français.
Néanmoins, les arguments avancés par les tenants de la thèse absolutiste ne sont
pas toujours pertinents101. En outre, il faut savoir mesure garder car le caractère absolu du
secret médical poussé à ce degré est parfois incompatible avec les exigences sociales qu'il
tend à protéger et peut être très dangereux. Le secret médical peut constituer une barrière
artificielle limitant l'intérêt de la société spécialement en matière de santé publique. C'est
au demeurant ce qui faisait dire au Docteur FERRAND, dans un rapport sur les épidémies
ayant régné en France pendant l'année 1896, et à propos de la loi française du 15 février
1902 sur la protection de la santé publique que "cette loi crée au médecin, dans l'exercice
normal de sa profession, une série de difficultés auxquelles il n'hésite pas à se soustraire en
97
In "Les directives de la médecine sociale," Paris, Masson et Cie, 1945, p.6.
98
Louis PORTES "Communication des Sciences Morales et Politiques", 5 juin 1950, .
99
Sur cette loi, voir GRANET, "Les fichiers sanitaires automatisés", D.1995, p.10.
100
Qui réside dans "l'essor des recherches épidémiologiques, lesquelles passent par la collecte de données
individuelles réalisées par de nombreux organismes publics et privés à partir de renseignements divulgués par
des médecins en dépit de leur obligation au secret " cf. FEUILLET. Le MINTIER, "SIDA, séropositivité et
droit des personnes, cité par Gilles MATHIEU, op. cit., p.95.
101
Les observations relatives aux arguments avancés par les tenants de la thèse absolutiste, voir supra.
21
éludant cette obligation. Je fais allusion surtout à la situation que fait au médecin une
clientèle dont l'éducation sur ce chapitre est à faire et qui considère le plus souvent cette
déclaration comme une délation et comme une trahison de la confiance qu'elle a mise en
lui. Je n’hésite pas à taxer de fâcheuse une loi qui, tous les jours, met le médecin dans la
dure alternative, ou de se soustraire aux devoirs qu’elle lui impose ou de trahir avec ses
propres intérêts les plus légitimes la confiance de ses clients"102.
En fait, le secret médical, bien que fondé sur l'ordre public103", doit pouvoir être
atténué dans l'intérêt de ce même ordre public. Le secret médical ne semble pas s'adapter à
l'état actuel de la science, en constante évolution, aux conséquences pratiques qui
s'ensuivent au point de vue social ainsi qu'à la mission sociale de plus en plus importante
dévolue au médecin, à son devoir de prévenir les maladies contagieuses et de les
soigner104. La nécessité de promouvoir la médecine prophylactique, de supprimer un foyer
épidémique, une maladie infectieuse et contagieuse, d'éviter des extensions redoutables,
justifie que des limites soient apportées au secret médical. Le secret médical envisagé dans
sa conception absolutiste est suranné et doit être relativisé au nom de l'intérêt public luimême. C'est ce qu'ont compris les tenants de la thèse relativiste du secret médical.
B. LE CARACTERE RELATIF DU SECRET MEDICAL
La conception relativiste du secret médical est rejetée par la majorité des médecins
qui préfèrent le secret absolu. Pourtant, cette conception nous semble plus défendable105.
La thèse du relativisme du secret médical est de plus en plus défendue. L'évolution du
secret médical va dans le sens de son affaiblissement106. Plusieurs facteurs nous confortent
dans cette idée. Les uns sont d'ordre historique et comparatif, les autres sont d'ordre
rationnel.
a) Arguments historiques et comparatifs
Historiquement, la notion de secret médical est éminemment relative. Le secret en
général, et le secret médical en particulier, ont connu des mutations sociales, des
102
cf. Cité par M. CHATARD, in "Des mesures sanitaires prescrites par la loi du 15 février 1902 sur la
protection de la santé publique", thèse Droit, Paris 1903 p.60.
D'autres médecins sont moins nuancés que le Docteur FERRAND. Ainsi, le Docteur Charles VALENTINO (in
"Le secret professionnel en médecine ; sa valeur sociale, thèse Paris C.NAUD 1903) écrivait que : "de quelque
côté qu'on l'examine, le secret médical apparaît comme néfaste à la société, il semble que les mesures qu'on
prendra pour enrayer la maladie seront constamment insuffisantes, si l'on ne remonte pas résolument à la source
du mal, en présence de la dépopulation et de la dégénérescence dont les savants nous menacent, l'urgence
s'impose, et ce qu'il faut, c'est effondrer à jamais le déplorable principe du secret médical".
103
104
Voir supra (I.B.b).
Voir dans ce sens : A.TITSINOPOULOS, "Le secret professionnel et la médecine sociale", op. cit., p.10.
105
Parmi les partisans de la thèse relativiste, on peut citer : PERRAUD CHARMANTIER, "Le secret
professionnel, ses limites, ses abus", Paris 1926 ; GARRAUD, "Traité théorique et pratique du droit pénal
français", 2e ed.1891-1902, tome 5.
106
Voir dans le même sens SABATINI "Occultations et déformations : le secret médical tel qu'on le raconte",
Journal de médecine légale et droit médical, T.30 n°1 p.37.
22
déplacements et des transformations de toutes sortes 107. C'est qu'il s'est produit des
modifications profondes du contexte, du contenu et de la signification de ces secrets.
Si l'on prend l'exemple de la France, on observe que l'évolution du secret médical y a
comporté 108 trois phases appelées successivement par un auteur contemporain109 "le secret
ignoré", "le secret magnifié", "le secret négocié".
"Le secret ignoré" correspond à une période où le secret médical n'était pas une
exigence légale, du moins fondamentale. Ainsi, la civilisation antique, qui a été la première
à définir les devoirs du médecin, ne les considérait que comme des prescriptions morales et
religieuses110. Le droit romain ne sanctionnait que les fautes du médecin ayant causé des
dommages corporels au malade, à l'exclusion des simples indiscrétions du médecin111. Ce
n'est que dans l'Ancien droit qu'apparaît l'idée d'une condamnation judiciaire de la violation
du secret médical112. Cette condamnation se limitait à l'octroi de dommages et intérêts à la
victime. En outre, la violation du secret médical ne faisait l'objet de poursuites que sur
plainte de la victime et à condition qu'elle ait eu lieu de façon malicieuse et en vue de
porter tort au client113.
Au demeurant, si les auteurs font remonter le secret médical, du moins pour les
origines écrites, à HIPPOCRATE, il faut préciser que ce texte n'a pas eu, jusqu'au 19e
siècle, l'importance et la valeur qu’on a voulu lui donner114. Durant toute cette longue
période, semble-t-il, peu de textes parlent du secret médical, et ceux qui en parlaient le
faisaient de manière occasionnelle. Le secret professionnel se confond alors surtout avec le
secret de confession, le secret d'Etat115.
C'est au cours du 18e que se développe la théorie absolue. Le secret est magnifié, avec
le grand mouvement d'idées contre le pouvoir absolu. Il correspond à la société libérale et à
107
Cette observation est valable par exemple pour le secret des fortunes qui s'est profondément modifié.
108
Voir dans le même sens "La justice face aux fonctions sociales du secret", op. cit., p.31.
109
Jérôme DUMOULIN, "Le secret professionnel et les embarras de la médecine", in "La justice face aux
fonctions sociales du secret", op. cit., p.56 et s.
110
J.HONORAT & L.MELENNEC, "Vers une relativisation du secret médical", J.C.P.,1979, Doct., N?2936.
111
J.HONORAT & L.MELENNEC, "op. cit.,.
112
J.HONORAT & L.MELENNEC, op. cit.
113
Voir DOMAT "Lois civiles" 2e partie, p.129 ; Droit public L.I.T. III, section II ; BOUCHEL, Bibliothèque
de droit français 1967. Voir médecin I.II. p.722 ; TREBUCHET "Conférences des ordonnances" 1678, p.69 ;
DELAMARRE "Traité de la Police" 1722 38, T1. p.143 ; J.LAMBERT "Anciennes lois françaises" TXV.III.
N?495 : Toute cette bibliographie est citée par PERRAUD- CHARMANTIER, in "Le secret médical, ses
limites, ses abus", Paris, 1926, p.56.
114
cf. supra -Voir M.D. GREMWK "L'origine et les vicissitudes du secret médical", cahier LAENNEC,
sept.1969.
115
J. DUMOULIN op. cit., p.58.
23
la médecine dite libérale. L'épanouissement de la notion de secret absolu "est un
phénomène qui appartient surtout à la société européenne occidentale du XIXe siècle"116.
La société européenne a "magnifié" le secret médical en en faisant un secret absolu. Le
secret absolu est donc une institution de l'économie libérale mais aussi une compétence
fondée sur l'anatomo-clinique117. Rattaché à l'économie libérale, le secret médical permet
de défendre les intérêts des individus118. Quant à la méthode anatomo-clinique, qui étudie
les maladies dans leurs rapports avec le corps, elle se référait également au secret médical
en considérant que la maladie était un fait individuel, non social. Leurs résultats des
examens médicaux ne pouvaient être laissés à la portée de tout le monde. Le secret médical
devenait dès lors indispensable119.
Dans cette société libérale, le secret médical est étendu aux familles bourgeoises, leur
permettant de défendre leur honorabilité et leur image face à certaines maladies
considérées comme honteuses. Mais il comportait des limites car, il n'y avait pas de secret
vis-à-vis des parents120. A ce niveau, on observait une certaine ouverture du secret qui
permettait à la famille de régler ses problèmes. En outre, le secret du nom des malades dans
les communications scientifiques n'était, semble-t-il, pas tout à fait respecté. C'était sans
doute autant de brèches qui devaient conduire au "secret négocié".
En fait le secret absolu s'est montré inapplicable. Il y a eu des débats et des conflits
entre médecins d'une part, Etat et particuliers d'autre part, qui ont dilué le secret médical.
Beaucoup de médecins ont considéré le secret comme un privilège et s'y sont accrochés
sans tenir compte d'intérêts supérieurs. Il s'est donc produit comme une phase de
négociation121 entre les médecins et la société "obligeant ceux-ci à la fois à mieux
préserver certains secrets et à les ouvrir dans certains cas précis"122.
L'évolution historique montre ainsi que le secret médical n'a pas toujours prévalu. Au
contraire, il est apparu comme un phénomène sans grande envergure.
A l'argument historique, il convient d'ajouter d'autres justificatifs, à commencer par
les enseignements du droit comparé. En effet, la tendance dans la plupart des législations
contemporaines est à la relativisation du secret médical123. Ainsi, dans les pays de la
116
GREMWK "L'origine et les vicissitudes du secret médical" op. cit.
117
J.DUMOULIN, op. cit., p.59.
118
cf. C.VALENTINO "Le secret professionnel des médecins, sa valeur sociale", Paris, C. Naud.1903.
119
Voir dans le même sens J. DUMOULIN, op. cit. p.60.
120
J. DUMOULIN, op. cit., p.60.
121
J. DUMOULIN, op. cit., p.60.
122
J. DUMOULIN, "Le secret médical et les embarras de la médecine", op. cit., p.60.
123
Sur le droit comparé, voir R. LEGENDRI, "Secret médical et monde contemporain", thèse précitée.
24
Common law, le secret médical occupe une place infime124. En Angleterre, depuis l'affaire
de la Duchesse de Kingston125, le médecin ne peut pas refuser de témoigner en justice. Aux
Etats-Unis d'Amérique, de nombreux Etats refusent de sanctionner pénalement la violation
du secret médical126. En outre, des pays comme l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, le Portugal,
la Yougoslavie127, etc.. subordonnent toute poursuite de la violation du secret médical à la
plainte de la victime, ôtant ainsi au secret tout caractère impératif.
L'Allemagne s'est prononcée pour la conception relative du secret médical. Le droit
allemand recèle donc d'hypothèses dans lesquelles la protection du secret médical cède
devant l'obligation du médecin de révéler des informations nécessaires128.
Un regard vers le droit africain à travers la Charte africaine des droits de l'homme et
des peuples permet également de faire un certain nombre d'observations. D'abord la Charte
Africaine ne fait pas une allusion expresse au droit à la vie privée. Faut-il en déduire pour
autant que le respect de la vie privée n'est pas un droit de l'homme en Afrique ? Il serait
hasardeux de répondre par la négative, ce d'autant plus que le préambule de la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples réaffirme l'engagement des Etats africains
membres de O.U.A., dans l'article 2 de la Charte de O.U.A., de favoriser la coopération
internationale en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration
Universelle des droits de l'homme qui consacrent le respect de la vie privée comme un
droit de l'homme. Mais, toujours est-il que la non allusion expresse au respect de la vie
privée semble reléguer ce droit au second plan par rapport à d'autres droits tels que celui
des peuples, le droit de propriété, le droit à l'éducation, à la santé …etc.129. C'est peut être
l'occasion de se demander s'il peut exister une hiérarchie entre les droits de l'homme 130.
Certains auteurs soutenant la thèse de la hiérarchie avancent l'existence d'une catégorie
particulière de libertés dites libertés fondamentales de premier rang et une autre dite de
second rang. Cette thèse a été soutenue en France par le Conseil d'Etat, le Conseil
Constitutionnel, la Cour de Cassation et par le Doyen Louis FAVOREU131. Les libertés de
premier rang seraient généralement absolues. Il en serait ainsi de la liberté de la presse, du
124
cf. BAUDOUIN, "Le secret médical en droit comparé (Québec, France, Common Law)", thèse Paris 1965 et
rapport travaux Association H. CAPITANT, 1974, T XXX.
125
Chambre des Lords 1776.
126
Elle peut seulement donner lieu à des dommages et intérêts sur la base de la Law of torts, cf. BAUDOUIN
"Le secret médical en droit comparé" précité. Cependant certaines législations d'Etats aux USA adoptent une
solution différente. Cf. R.LEGENDRI "secret médical et monde contemporain" thèse Paris 1955 p.116.
127
cf. art.300 C. pen. all. ; art.321 c.pen. Suisse ; art.622 c.pen. italien ; art.290 c.pen. portugais ; art.157 c.pen.
Yougoslavie. La même solution est adoptée en France et au Sénégal en matière de diffamation (art).
128
Voir dans ce sens Heike JUNG "Introduction au droit médical allemand". R.S.C. crim., Janv-mars 1996,
p.42.
129
Pour plus de développements sur la conception africaine des droits de l'homme, voir la 2e partie de l'article
concernant la relativisation du secret.
130
Cette question est agitée depuis une période récente. Voir Jacques Israël "Droit des libertés fondamentales",
LGDJ, Paris, 1998, pp.51 et s.
131
Cf. J.Jacques Israël, "Droit des libertés fondamentales", op. cit., p.51.
25
droit à la sûreté. Celles de second rang ne seraient ni générales, ni absolues comme le droit
de propriété, la liberté d'entreprendre etc.
Quant à la seconde thèse, soutenue notamment par le Doyen VEDEL132, elle réfute
l'idée de hiérarchie entre les droits de l'homme car la valeur constitutionnelle n'est pas
hiérarchisée. Cet argument est certes important. Nous sommes même tentée d'y ajouter
qu'il n'y a pas d'étalon pour mesurer les droits de l'homme. Cependant un sentiment
également très fort nous indique qu'il n'y a pas de commune mesure entre d'une part des
droits tels que le droit à la vie de façon générale, les droits économiques et sociaux et,
d'autre part, le droit à la vie privée, bien que celle-ci soit importante. Au fond, l'universalité
des droits de l'homme n'exclut pas un certain relativisme de ceux-ci puisqu'il existe un
noyau dur des droits de l'homme, commun à tous, sans distinction d'appartenance
communautaire ou culturelle. Ainsi en est-il du droit à la vie, du droit à l'intégrité physique,
etc. Cependant, ce principe doit être relativisé dans certaines hypothèses où les droits de
l'homme sont largement dépendants des spécificités culturelles133. Quelque part, la
hiérarchie entre les droits de l'homme est une réalité. Elle est fonction de chaque peuple et
de chaque individu.
Mais la lecture de la Charte Africaine des droits de l'homme appelle un second
commentaire. En effet, cette Charte met plutôt l'accent sur les droits du groupe. Cette
conception présente des originalités certaines par rapport à celle connue en Occident. Alors
que la conception occidentale est fondée sur l'individualisme, celle, négro-africaine repose
plutôt sur des valeurs communautaires qui privilégient le groupe134. Cette dernière
conception envisage les droits comme les devoirs de façon collective en fonction du groupe
d'appartenance, de l'âge et du sexe135. Cela ne signifie évidemment pas que les Africains
ignorent les droits de l'homme. Les droits de l'homme constituaient le fondement de leur
structure sociale et politique pendant la période pré-coloniale136.L'objectif essentiel des
africains est, dans la société traditionnelle, de préserver la dignité humaine, la protection et
l'épanouissement des individus vivant dans la communauté137. Seulement, ils mettent
l'accent sur la dimension collective des droits et devoirs plus conforme aux mentalités, à la
132
In "Pouvoirs" n?13 "Le Conseil constitutionnel", PUF, 3e ed.,1991.
133
Sur l'Universalisme ou le relativisme des droits de l'homme, voir "Universalité des droits de l'homme et
diversité des cultures". Actes du premier colloque interuniversitaire" Fribourg 1982 Ed?. Universitaires
Fribourg Suisse - 1984.
134
Voir dans le même sens F.M. SAWADOGO, "fondements anthropologiques des droits de l'homme.
Exigence du respect des droits de l'homme dans différentes cultures et sociétés". Institut International des
Droits de l'Homme, Strasbourg, juillet 1995 ; "Babacar GUEYE "L'insertion d'une clause relative aux droits de
l'homme dans la convention de Lomé : l'attitude des Etats africains", in Revue internationale de droit africain
EDJA, n?28, pp.13 et s.
135
Cf. Babacar GUEYE, ibid p.13.
136
Le concept de droits de l'homme n'était pas étranger aux sociétés pré-coloniales, Cf. Makan WA MUTUA.
"La Charte de Banjul et l'empreinte de la culture africaine: une évaluation du langage des obligations", in Revue
de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples T.6 n?1-2 1996-97 p.53. Cependant, il existe
très peu de sources bibliographiques sur la question.
137
F.M. SAWADOGO, ibid., p.39 et Babacar GUEYE, ibid., p.13.
26
perception des choses et aux comportements. C'est ce qui a fait dire à un auteur138 que "les
droits de l'homme ne sont conçus dans cette optique, qu'enracinés dans la collectivité".
Mais, il n'y a pas d'opposition entre société et individu139. Cette conception s'accommode
mieux avec le relativisme du secret médical qui peut aussi se fonder sur l'importance que
les africains accordent aux devoirs de l'homme. Le chapitre II de la Charte Africaine est
consacré aux devoirs. L'article 27 édicte que : "1. chaque individu a des devoirs envers la
famille et la société, envers l'État et les autres collectivités légalement reconnues et envers
la communauté internationale. 2. Les droits et les libertés de chaque personne s'exercent
dans le respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt
commun", tiré de la solidarité communautaire. La jouissance des droits et libertés implique
donc également l'assujettissement à certains devoirs, car droits et devoirs sont deux faces
d'une même réalité140. Les devoirs des personnes constituent autant de droits pour la
communauté141. Il en résulte un double lien dialectique entre le groupe et l'individu et entre
les devoirs et les droits142. C'est ce qui découle du paragraphe 7 du préambule de la Charte
Africaine qui déclare que "la jouissance des droits et libertés implique l'accomplissement
des devoirs de chacun".
Il faudrait ajouter à ce qui précède que les Africains fonctionnent dans le cadre d'une
famille élargie qui prend en charge les jeunes, les personnes âgées, les malades en somme
tous les défavorisés. L'intérêt individuel s'efface devant le sens de la communauté, de la
solidarité, de l'interdépendance, de la responsabilité collective pour la survie de la
communauté. Ainsi, par rapport au secret médical, les valeurs143 culturelles négroafricaines privilégient le principe du "secret partagé". La divulgation d'un secret médical au
sein de la famille n'y est pas considérée comme une violation du secret médical, donc
répréhensible, mais plutôt comme un acte de confiance vis-à-vis du groupe.
2)Arguments d'ordre rationnel
Outre les arguments d'ordre historique et comparatif, des justifications d'ordre
rationnel expliquent la nécessaire relativisation du secret médical.
138
B.S. NGOM "Les droits de l'homme en Afrique" SILEX ed. , 1984, p.24. Il ne faut cependant pas croire que
la société africaine précoloniale était idyllique ni exempt d'abus. Voir dans le même sens. Makau Wa MUTUA.
"La Charte de Banjul et l'empreinte de la culture africaine" op.cit.p.53.
139
Voir dans le même sens Babacar GUEYE ibid. p.17.
140
cf. B.TRAORE "Les droits de l'homme en Afrique" Institut des Droits de l'Homme et de la Paix, Université
Cheikh Anta Diop de Dakar.1991 p.12 ; F.M SAWADOGO ibid. p.46.
141
Voir dans le même sens B. GUEYE ibid. p.17.
142
R.DEGNI-SEGUI. "L'apport de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des peuples au droit
international de l'Homme" R.A.D.I.C, T.3. n?4 p.723.
143
Voir dans le même sens : David Patterson "Vie privée confidentialité, VIH et droit", Réseau Africain sur
l'éthique, le droit et le VIH ; Actes de la consultation inter-pays Dakar-Sénégal.1994, p.131.
27
Il peut s'agir de l'existence d'une vie privée familiale, de conflits d'intérêts, d'une
hiérarchie entre les devoirs et l'état de nécessité, d'arguments textuels, de l'inexistence de
droits absolus, enfin de l'idée "d'intérêt moral légitime" invoquée en droit des assurances.
Il faudrait d'abord admettre la légitimité des ingérences de l'autorité publique dans
l'exercice du droit au respect de la vie privée, à condition que cela constitue une mesure
qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale
etc144. Le droit au respect de la vie privée comporte en effet des limitations comme la
plupart ou peut être tous les droits subjectifs145. La vie privée est d'ailleurs traquée de
toutes parts146, ce qui a même fait dire à certains, poussés à l'extrême, qu’il faut oublier la
vie privée, puisque nous n'en avons plus"147.
Mais au delà de la vie privée de l'individu, il y a une vie privée familiale. Le droit au
respect de la vie privée appartient donc non seulement à l'intéressé mais aussi, et même de
son vivant, à sa famille148. C'est sans doute pourquoi un juge français écrit149 "que quelle
que soit la personne, des renseignements relatifs à ses ascendants, conjoints et descendants,
relèvent en tout état de cause de sa vie privée". Sous cet angle, le droit au respect de la vie
privée peut être considéré comme un droit de famille, à l'instar d'autres droits de la
personnalité, tels que le droit au nom patronymique, le droit à la sépulture, le droit moral de
l'auteur. S'agissant spécialement des époux, il faudrait admettre que l'atteinte à la vie privée
de l'un est le plus souvent et en même temps, une atteinte à celle de l'autre. Il faudrait aussi
déduire de cette même idée que la vie privée d'un conjoint étant en principe la même que
celle de l'autre, une atteinte à la vie privée de l'un par l'autre n'a pas de sens. Le couple
forme un tout, la vie privée des époux également. Donc si la vie privée d'une personne doit
être respectée par les tiers, elle est par contre inopposable à l'autre conjoint. Cette
observation permet alors à l'un des conjoints d'avoir le maximum d'informations sur la vie
144
Voir dans le même sens article 8 paragraphe 2 de la convention européenne des droits de l'homme qui réalise
un progrès par rapport à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Sur ce point, voir Pierre KAYSER
"La protection de la vie privée" op. cit.p.17.
145
Voir dans le même sens Pierre KAYSER, "La protection de la vie privée", op. cit., p.201.
146
Notamment par les communications électroniques Voir en ce sens Denis DUCLOS ,"La vie privée traquée
par les technologies" in "Le Monde diplomatique", Août 1999, pp.16-17. Les communications électroniques
agressent la vie privée.
147
Cette position est excessive, mais reflète les attaques menées contre la vie privée. En réalité, défense et
attaque de la vie privée sont désormais imbriquées. Voir en ce sens, Denis DUCLOS "La vie privée traquée par
les technologies", op. cit., p.16. L'auteur soupçonne que le privatif soit attaqué parce qu'il est convoité
individuellement et collectivement.
148
Voir dans le même sens : R. LINDON "Les droits de la personnalité" 1974, pp. 592 et s ; Cour d'Appel de
Paris 4e ch. 17-12 1973 et trib. de grande instance de Paris 16-1.1974 ,D.1976, pp.120 et s ; Trib grande Inst. de
Paris 16-11.1976 J.C.P 1977, JP, 18701 ; Paris 1ère ch. 25 oct.1982, TARANTO contre épouse JARRE,
D.1983 JP, 363 ; note R.LINDON, Paris 1ère ch. 3 Nov.1982, M.& P. MATISSE contre Antenne II et
L.ARAGON -D.1983, JP, 248.
149
Tribunal grande instance de Paris, 16 janvier 1976 précité.
28
de l'autre 150. Il convient de faire remarquer que dans un pays comme la France, l'Académie
de médecine à travers un rapport de la Commission SIDA a considéré que "sans aucune
obligation et à titre exceptionnel, en tout dernier recours, et après avoir apprécié toutes les
conséquences de son acte, un médecin devrait pouvoir, en son âme et conscience, avec
toute l'humanité désirable, décider de lever le secret professionnel vis-à-vis d'un futur
conjoint, d'un conjoint, ou d'un partenaire, sans tomber sous le coup d'une condamnation
pénale151".
Quid des rapports d'intérêts ? Il faut noter à ce propos que le droit au secret reconnu
à une personne peut entrer en contradiction avec le droit à la vérité d'un autre individu. A
qui donner raison ? Pourquoi choisir le malade et non autrui ? La question nous semble
particulièrement intéressante dans le cadre familial et notamment dans les rapports entre
conjoints. Certes, le secret médical doit exister à l'égard de la famille. Le secret est en effet,
l'affaire du patient dans ses relations avec son médecin et on peut donc en déduire qu'il
n'appartient pas à la famille du malade de délier le médecin de son obligation au secret. En
principe, le médecin ne peut être délié de cette obligation que si le patient y consent
librement152. Cependant, la communauté d'intérêts, entre membres d'une même famille,
doit, à notre avis, justifier que le médecin puisse, en toute conscience, et pour des raisons
de nécessité pratique, porter à la connaissance de la famille certains faits concernant le
patient. Cette faculté est offerte aux familles lorsque le patient donne expressément ou de
façon tacite, son consentement153. Mais, il semble que la révélation doive pouvoir être
possible même dans certaines hypothèses où l'autorisation de révéler n'existe pas.
D'ailleurs, l'expérience quotidienne révèle que dans de nombreux cas, la famille est mise
dans les secrets par le médecin et est plus informée que le patient sur sa santé.
Généralement, le médecin qui procède à ces révélations est guidé par le souci de protection
du malade que la famille peut alors encadrer, mais aussi et par la même occasion, par un
intérêt social à garantir154.
150
Contra Pierre KAYSER qui soutient que : "une même publication peut contenir des allégations relatives à la
vie privée d'un conjoint et d'autres relatives à celle de son conjoint. Elle porte atteinte au droit au respect de la
vie privée de chacun. Elle peut aussi ne contenir que des allégations relatives à la vie privée de ce conjoint".
Cependant P. KAYSER s'empresse d'ajouter que "cette atteinte est le plus souvent la cause d'un préjudice, au
moins moral, non seulement pour ce conjoint, mais aussi par l'autre. Une seule faute est la cause d'un préjudice
pour chacun des conjoints". P.KAYSER reconnaît ainsi l'existence d'une solidarité étroite entre les conjoints,
même si cela n'est pas pour lui une raison suffisante pour considérer le droit au respect de la vie privée comme
un droit de famille. Sur la position de P. KAYSER, voir "La protection de la vie privée" op.cit. p.205.
151
Citée par Gilles MATHIEU "SIDA et droit pénal" R.S.C. crim, janv.mars 1996 p.94.
152
Cf. Supra.
153
Voir dans le même sens L. MELENNEC et G. BELLEIC. "Le secret professionnel médical à l'égard de la
famille" op. cit. p.833 et s.
154
C'est le cas lorsque le patient est atteint d'une maladie mentale. Le malade peut alors être gardé par sa famille
qui participe également à son traitement thérapeutique. Notons qu'en France, la jurisprudence a consacré cette
solution. Ainsi, dans sa décision du 4 janvier 1928 (gaz.Pal. 1928.1.41) le Tribunal civil de la Seine, évoque
"l'intérêt supérieur de la malade par la révélation d'un état, faite à des proches susceptibles, par leur intervention
ou par leur connaissance du secret, de donner des soins particuliers ou plus éclairés, et d'apporter ainsi une
amélioration ou un soulagement à cet état".
29
La révélation du secret à la famille doit être fonction de la gravité de l'affection dont
souffre la patient. Si celle-ci est bénigne et sans incidence particulière, le problème du
secret ne présente d'ailleurs pas d'intérêt particulier car la famille peut, sans dommage, ne
pas savoir.
Notons que la communauté d'intérêts et de sentiments qui justifie certaines révélations
faites à la famille est encore plus forte entre conjoints unis pour le meilleur et pour le pire.
D'où la nécessité de faire partager le secret entre conjoints lorsque la situation l'impose. A
notre avis le conjoint doit jouir d'un véritable droit à l'information justifié par son statut de
partenaire privilégié de l'autre conjoint.
Un autre argument d'ordre rationnel peut être tiré de la hiérarchie des devoirs. Il faut
noter d'emblée que l'ordre public qui constitue l'un des fondements du secret médical, est
un agencement d'intérêts sociaux qui peuvent être différents et dont aucun ne peut
opprimer les autres155. Si le rôle du médecin est de guérir les malades, il est également de
conserver la vie. L'application du secret médical peut faire naître un conflit de devoirs et,
notamment, un conflit entre le respect du secret et l'obligation d'assister une personne en
danger. A cet égard, il convient de rappeler que les articles 48 et 49 du code pénal
sénégalais répriment la non assistance à personne en danger156. L'obligation de porter
secours concerne le cas de personnes se trouvant dans un état de péril, nécessitant une
intervention immédiate. Cette obligation incombe à tous. Le médecin peut-il alors se
retrancher derrière le secret médical pour ne pas révéler par exemple l'infection par le
VIH/SIDA de quelqu'un qui, par ses agissements, risque de contaminer d'autres personnes
? La non- assistance est punissable dès lors que la personne non secourue était en péril. Peu
importe la source du péril. Ainsi, par exemple, la personne qui, ignorant l'infection de son
partenaire, entretient avec lui des relations charnelles non protégées, se trouve dans une
situation de péril, la maladie du SIDA, mortelle, étant particulièrement transmissible par
voie sexuelle. Le virus du VIH/SIDA est une substance mortifère157 qui détruit les cellules
humaines. Son inoculation ou sa transmission génère une maladie évolutive, fatale à plus
ou moins long terme. Le patient infecté , par son comportement peut alors être considérée
comme auteur d'un empoisonnement défini par l'article 286 du code pénal sénégalais
comme "tout attentat à la vie d'une personne par l'effet de substances qui peuvent donner la
mort plus ou moins promptement, de quelque manière que ces substances aient été
employées ou administrées et quelles qu'en aient été les suites"158.
155
Voir dans le même sens : M. REBOUL "Du cas - limite du secret professionnel médical", op. cit., p.825 ; J.
PRADEL "L'incidence du secret médical sur le cours de la justice pénale" op. cit., p.2234.
156
Il s'agit d'un délit instantanée punissable d'une peine d'emprisonnement de 2 mois à 3 ans et d'une amende de
25.000 francs à 1.000.000 de francs ou de l'une de ces deux peines lorsque l'auteur de l'infraction ne dénonce
pas un crime dont il a connaissance alors qu'il était encore possible de prévenir ou de limiter ses effets négatifs.
Cette peine est d'un emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d'une amende de 25.000 francs à 1 million de francs,
ou de l'une de ces deux peines seulement lorsque l'auteur de l'infraction, pouvant empêcher par son action
immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, un crime ou un délit contre l'intégrité corporelle de la
personne, s'abstient volontairement de le faire.
157
Voir en ce sens : Alain PROTHAIS, note sous Cass. crim., 22 juin 1994, D.1995, J.P. 87 ; Voir également
D. MAYER "La notion de substance mortelle en matière d'empoisonnement D.1994 - chron.pp.325-326.
158
En France une controverse est soulevée à propos de la question de savoir si la transmission volontaire du
virus du SIDA est ou non constitutive d'acte d'empoisonnement. Certains auteurs répondent par l'affirmative,
30
Ajoutons que celui qui s'abstient de porter secours à autrui est punissable s'il le fait en
connaissance de cause. Un médecin qui manque de révéler au partenaire sexuel de son
client l'infection par VIH de celui-ci pourrait très bien être poursuivi pour non assistance à
personne en danger. Cette solution se justifie d'autant plus qu'il existe ici une hiérarchie
entre les devoirs du médecin : celui de se taire, et celui de sauver des vies et de participer à
la sécurité des personnes. L'obligation de sauver des vies paraît ici plus impérieuse.
Admettre une telle solution aurait une portée considérable en Afrique où les femmes sont
particulièrement vulnérables devant certaines maladies telles que le SIDA.
Ces précisions apportées, il faudrait ajouter à la non assistance à personne en danger,
la permission de la loi, fait justificatif. En effet, les textes de lois eux-mêmes permettent
une interprétation relative du secret professionnel. C'est le lieu de présenter les arguments
d'ordre textuel justifiant le relativisme du secret médical.
Les textes législatifs qui posent le principe de la protection pénale du secret médical y
apportent des exceptions. Au Sénégal, l'article 7 du code de déontologie prévoit le cas où la
loi oblige ou autorise les détenteurs du secret à se porter dénonciateur. C’est le cas par
exemple lorsque le code de sécurité sociale impose au médecin de l’entreprise d'établir un
certificat médical en cas d’accident de travail. Ce certificat médical est établi en plusieurs
exemplaires remis entre autres à l’employeur et à l’inspecteur du travail qui sont des tiers.
De même, le code de l’hygiène impose au médecin de déclarer à l’autorité sanitaire les cas
de maladies contagieuses. Le code de la famille fait de la déclaration des naissances une
obligation légale. Mais, à ces dérogations expresses, il faut ajouter que les pays de tradition
absolutiste en matière de secret médical élaborent actuellement de nouvelles législations
qui le relativisent. En France par exemple, le nouveau code pénal qui réorganise le secret
professionnel159 renvoie à la liberté de conscience du professionnel160. Cette solution
découle des travaux préparatoires de la loi portant réforme du code pénal et au cours
desquels François COLOMBET a affirmé, pour les articles 434.1, 434-3 et 434-11, qu'on
avait "souhaité laisser à la personne tenue au secret professionnel la faculté de déterminer
en conscience, selon chaque cas d'espèce, quelle conduite doit être suivie et d'apprécier si
l'obligation de dénoncer justifie ou non la révélation du secret professionnel".
Il faut faire remarquer aussi que, si les textes législatifs prévoient des sanctions
pénales, concrètement, ces sanctions ne peuvent s'appliquer que si la victime de la violation
du secret médical se constitue partie civile afin de déclencher l'action publique ou si elle
agit directement par voie de citation devant la juridiction correctionnelle compétente pour
connaître du délit de violation du secret professionnel161. C'est la preuve que la sanction de
notamment Alain PROTHAIS note sous TGI MULHOUSE - Ch. Correctionnel - D.1992, JP., pp.302 et s ; J.J.
PERFETTI, conclusions note sous Cass.crim., 22 juin 1994 - D.1995, JP., pp.67 et s. Mais la Cour de Cassation
s'est prononcée dans un sens contraire
Voir Cass. Crim. 22 juin 1994, précité.
159
Article 226-13.
160
Ch. HOMIENNE et Ch. GUERY, "Secret, révélation abstention, ou les limites de la liberté de conscience du
professionnel dans le nouveau code pénal", D.1995, actualité législative, pp.88 et s.
161
Voir dans le même sens : C.LIENHARD et J. VUILIEZ, "Les aspects juridiques dans le cadre de l'infection
par le VIH", op. cit.,p.7.
31
la violation du secret médical est une sanction privée, exceptionnelle, laissée entre les
mains des particuliers.
Un autre argument d'ordre rationnel favorable à la relativisation du secret médical, est
tiré de l'idée qu'il n'existe plus de droits "absolus" ou "discrétionnaires". Le droit du
médecin de se taire pourrait-il être qualifié d'absolu ou de discrétionnaire162 ? Nous ne le
pensons pas. En effet, l'exercice sans limite du secret médical pourrait conduire à un abus
de droit163 constitutif d'une menace pour l'idée de justice même. Cet abus de droit se
justifierait tant par la faute dans l'exercice des droits, que par la méconnaissance de la
fonction sociale des droits164. S'agissant de la faute dans l'exercice des droits, elle pourrait
être invoquée dans certaines hypothèses où le silence du médecin serait à l'origine d'un
dommage causé à quelqu'un, par exemple lorsqu'un partenaire est contaminé par une
personne atteinte d'une maladie contagieuse. Quant à la méconnaissance de la fonction
sociale des droits, elle mettrait en pratique la théorie "finaliste" ou "téléologique" de l'abus
de droit 165 selon laquelle tous les droits ont une finalité qui est d'abord d'ordre social. Dès
lors, un droit ne peut être légitimement utilisé que conformément à cette finalité. Cette
finalité sociale existe dans toutes les prérogatives, même dans celles qui, en apparence,
sont des plus égoïstes, car, la société fait des titulaires des droits subjectifs des agents actifs
de la défense de l'intérêt général. Tous les droits étant investis d'une fonction sociale, "ils
doivent demeurer dans le plan de la fonction à laquelle ils correspondent, sinon leur
titulaire commet un détournement, un abus de droit"166. Cette conception communautaire,
proche des valeurs traditionnelles africaines167, peut être invoquée à l’appui du relativisme
du secret médical.
Il faut souligner également que, dans la plupart des cas où l'obligation au secret n'est
pas strictement observée par des médecins, c'est dans une intention louable. Les médecins
savent résister avec beaucoup de délicatesse aux sollicitations diverses168.
Enfin, l'idée d’intérêt moral légitime" apparaît comme une forte justification du
caractère relatif du secret médical. Cette expression est utilisée par la jurisprudence
162
Sur la question voir ROUAST, "Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés", R.T.D.Civ., 1944, pp.1 et
s. ; Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, "Droit civil -introduction générale", LGDJ, Paris 1990, pp.687
et s. On a pu citer comme échappant au contrôle des abus, le droit de tester et d’exhéréder les enfants naturels
dans la limite de la quotité disponible, le droit de propriété, le droit moral de l'auteur sur son œuvre etc.
163
Sur l’abus de droit, voir J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, “ op. cit., pp. 675 et s. et l’importante
bibliographie citée par ces auteurs.
164
Les recherches théoriques des critères de l’abus de droit ont abouti à la proposition de plusieurs critères sans
que l’unanimité soit faite à ce propos. Les critères avancés sont : la faute dans l’exercice des droits, l’intention
de nuire, la méconnaissance de la fonction sociale des droits. S’agissant du secret médical, l’intention de nuire
n’est certainement pas un critère de l’abus de droit.
165
Élaborée par le doyen JOSSERAND, “ De l’esprit des droits et de leur relativité, 1927, 2me d. 1939.
166
JOSSERAND “ De l’esprit des droits et de leur relativité", op. cit., n° 292.
167
Voir supra.
168
Voir dans le même sens, l'Avocat Général ALBUCHER, Conclusions sous Paris, 6 février 1954, J.C.P,
1954, II. ; 8107.
32
française à propos de la légitimité du secret médical en droit des assurances. La Cour
d'Appel d'Orléans illustre cette idée dans un attendu de principe de la décision du 18 février
1998169 : "considérant que le secret médical ne peut être invoqué que pour défendre un
intérêt moral légitime...". Cette jurisprudence s'inspire d'un arrêt de la Cour de Cassation du
3 janvier 1991170 par lequel elle affirme que l'assuré "qui était contractuellement obligé
d'informer l'assureur de manière complète et loyale, ne pouvait s'opposer à ce que fussent
communiqués à l'expert judiciaire les pièces et documents le concernant, dès lors que son
opposition à la levée du secret médical tendait, non pas à faire respecter un intérêt moral
légitime, mais à faire écarter un élément de preuve contraire à ses prétentions et à faire
échec à l'exécution de bonne foi du contrat auquel il était partie en mettant l'assureur dans
l'impossibilité de prouver les réticences et omissions volontaires qu'il lui imputait"171. La
Cour de Cassation française a fortifié cette position par un très important arrêt du 9 juin
1993172 qui reprit le critère de l’intérêt légitime" : "qu'ayant constaté que le certificat
médical litigieux se bornait à énoncer que (l'assuré) suivait depuis 1984 un traitement
médical, mais sans aucun rapport avec l'affection ayant causé le décès, la Cour d'Appel en
a exactement déduit que (la veuve) ne pouvait pas légitimement s'opposer à la production
d'un tel certificat, dès lors qu'il ne s'agissait pas pour elle de faire respecter un intérêt
légitime, mais de faire écarter un élément de preuve contraire à ses prétentions". Ici, la
Cour de Cassation paraît avoir abandonné sa conception absolutiste illustrée par un arrêt de
la première chambre civile du 18 mars 1986173.
En fait, cette jurisprudence mérite d'être replacée dans un cadre plus vaste. La cour de
cassation n'accepte plus aujourd'hui, que l'on invoque la protection d'un droit de la
personnalité dès lors que l'usage que l'on en attend est sans lien avec la finalité de ce droit
174
. Le même raisonnement peut-être valable lorsque le patient infecté de VIH/SIDA
invoque le secret médical contre les droits fondamentaux d'autrui.
Le critère "d'intérêt moral légitime" permet alors de délimiter le champ du secret médical,
permettant au médecin de l'écarter dans certaines circonstances.
169
Juris Data, n° 023569.
170
Cass. crim., 1ère, I. Lexis, n?89-13.808.
171
La Cour de Cassation française a raffermi cette position.
172
Bull. Civ. I., n°214 ; "Le secret médical et les exigences de la preuve en matière d'assurance", Resp.civ. et
assur. 1993, chron., n°34 ; L.Homont "Médecine asservie à l'assurance ou médecine au service de l'assurance",
Assur. Fr.1995, n°711, p.18, P.BICLET, "Respect du contrat ou respect du décret, un dilemme", Médecine et
droit 1995, n°10, p.6).
173
JCP 1986, II. N° 20.629, Concl. GULPHES ; R.G.A.T. 1986, p.204. En l'espèce un assureur contestait la
production de certificats médicaux peu crédibles du fait d'une rédaction en ternes généraux et sollicitait de plus
amples justifications. La Cour avait alors affirmé que, "sauf dans les cas où sa révélation est permise ou
imposée par la loi, le secret médical, doit être observé à l'égard des tiers, en particulier quand ils en demandent
la révélation par l'intermédiaire d'un malade lui-même".
174
Voir dans le même sens : Bernard BEIGNIER "Secret médical et assurance des personnes" D.1999,
doctrine, p.469.
33
CONCLUSION
Tout est question de dosage. Le devoir de discrétion est toujours fondamental. Cela
signifie que, même dans les situations les plus compliquées, il faut d'abord privilégier le
respect du secret médical et mettre en place un système efficace d’accompagnement du
malade. Les conseils qui sont prodigués au malade, afin qu’il adopte une attitude
responsable vis-à-vis des autres et surtout de son partenaire sexuel, sont d’une importance
essentielle. Il ne s'agit donc pas d'apporter au principe du secret médical des dérogations
multiples qui risqueraient de l'annihiler. Il faut une attention particulière afin que le respect
de ce principe soit aussi fidèle que nécessaire. Mais des motifs légitimes, notamment
l’inconscience du patient et la nécessité de protéger autrui, peuvent justifier que dans
certaines hypothèses le secret médical ne soit pas respecté. D’ailleurs, certains médecins
interrogés ne sont pas hostiles à la divulgation du secret médical dans quelques cas fort
embarrassants. Leurs soucis sont alors de deux sortes : d’abord qu'ils soient protégés par
une loi, ensuite que la violation du secret soit exceptionnelle. Évidemment, les plus
orthodoxes des médecins répondent qu’ils n’ont pas à violer le secret médical, et qu'il
appartient aux pouvoirs publics de prendre leur responsabilité en créant une infraction de
mise en danger175 permettant de réprimer un patient inconscient. Cette dernière proposition
nous semble opportune. L'infraction consisterait pour un individu qui contrevient
intentionnellement à une obligation de sécurité176 ou de prudence177 à mettre
consciemment autrui dans une situation périlleuse sans pour autant vouloir lui causer un
dommage178.
Mais la création d'une infraction de mise en danger ne doit pas exclure, à notre avis,
que le législateur puisse statuer sur les cas dans lesquels le secret médical pourrait être
remis en cause.
L'intervention du législateur permettrait alors d'éviter les inconvénients d'une solution
qui laisserait aux médecins la possibilité de choisir eux mêmes les cas dans lesquels le
secret peut être levé c'est-à-dire ceux où la non révélation constitue une menace sur la
sécurité d'un proche ou de la société en général. Nous ne partageons donc pas l'avis de
COMBALDIEU179 selon qui, "le secret professionnel est avant tout un problème de
conscience et qu'il vaut mieux en chercher les règles à l'intérieur de soi-même que dans le
code". Sans doute, la solution préconisée par COMBALDIEU consiste à reconnaître au
médecin la confiance qu'il mérite, mais ce n'est pas le tirer d'embarras devant des cas
difficiles à résoudre parce que les intérêts moraux les plus contraires s'y opposent. Il est
possible d'écrire comme l'a fait Heike JUNG que "dans une démocratie, il incombe
175
En France, cette infraction est prévue par l'article 223-1 du nouveau code pénal.
176
C'est-à-dire l'obligation de ne pas porter atteinte à la vie ou à l'intégrité des personnes. Voir dans le même
sens Marc PUECH "De la mise en danger d'autrui" D.1994, chron., p.153.
177
C'est-à-dire l'obligation d'avoir une attitude réfléchie quant aux conséquences de ses actes. Voir Marc
PUECH Ibid., p.153
178
Voir en ce sens Patrick LEBAS, note sous C. Appel Grenoble, 1ère ch.com. 19 fév.1999- Eriksson et autres
J.C.P.,1999, n?40.10171.
179
Conclusions sous Cass.crim. 22 déc. 1966, affaire DECRAENE, précitée, p.125.
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toujours au législateur, s'il s'avère nécessaire, de se prononcer sur un nouveau consensus
normatif, de guider l'action médicale dans les conflits existentiels de valeurs, et de marquer
les limites de l'action médicale. La tâche du législateur est délicate, parce qu'il s'agit ici de
conflits existentiels où la discussion n'arrive jamais à terme. Il faut donc avant tout que
l'ensemble des groupes concernés aient voix au chapitre. Par ailleurs, le législateur doit
trouver le bon moment, ainsi que la bonne formule qui donne une orientation claire pour le
présent, sans qu'elle cimente le futur"180.
Il est certain que la réaction de l'entourage à l'adoption d'une loi pourrait également
être stigmatisante pour le malade et le pousser à vivre dans la clandestinité. Mais à ce
stade, le problème qui se pose devient surtout une question éthique et d'éducation de la
société. Il appartient alors à l'entourage de changer de comportement et d'intégrer le
malade. De fortes campagnes de sensibilisation pourraient aider à cela.
180
cf. Herke JUNG "Introduction au droit médical allemand" op. cit. p.46.