Présentation d`ouvrage - Café, thé, chocolat
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Présentation d`ouvrage - Café, thé, chocolat
PRESENTATION D’OUVRAGE LORS DE LA SEANCE ACADEMIQUE DU 6 OCTOBRE 2010 « Café, thé, chocolat » par Pr Jean COSTANTIN et Pr Pierre DELAVEAU. Édition Odile Jacob, Paris 2010, ISBN 978-2-7381-2420-3, 271 pages Ouvrage présenté par Pr Jean-Paul TILLEMENT, membre de l’Académie nationale de Pharmacie Le titre de l’ouvrage : « Café, thé et chocolat » fait immédiatement penser à la classique question de l’oral de l’internat : caféine, théobromine, théophylline que des générations d’internes ont récitée, à commencer par les auteurs. Mais le sous-titre : « Les bienfaits pour le cerveau et pour le corps » nous montre bien qu’ils ont mis de côté la thérapeutique pour observer l’utilisation courante de ces substances sous forme de boissons, tablettes, desserts et autres préparations de mets gourmands. Pour préciser les origines, les actions et les bienfaits des trois substances et des préparations qui les contiennent, ils utilisent deux sources : l’Histoire et la Science. La première apporte des preuves empiriques dépourvues d’éléments statistiques mais consacrées par l’usage et évidentes. La seconde explique, à partir des données les plus récentes de la science, les raisons de ces choix. L’ouvrage commence par un « portrait de famille » où chacun peut retrouver dans ces plantes des substances actives de structures voisines ou même communes, des méthylxanthines. On note alors leurs particularités physico-chimiques : des substances organiques azotées qui ne sont pas des alcaloïdes, leur très grande stabilité, leur présence relativement rare dans le règne végétal. Bien plus, la présence d’adénine et de guanine, dans leur structure de base, évoque le règne animal et l’importance qualitative et quantitative dans le socle de la biologie que sont l’ADN et l’ARN. Le rapprochement est troublant et n’a pas à ce jour d’explication. On découvre ensuite que pratiquement toutes les grandes civilisations ont utilisé, sélectionné et préparé des boissons de compositions voisines associant des méthylxanthines, la caféine, la théobromine et la théophylline étant les principales. C’est ainsi que le lecteur peut découvrir les différentes préparations qui les contiennent. le café, originaire d’Éthiopie, transporté au Yémen puis en Turquie avant d’être introduit en Europe le thé, originaire du Tibet, développé en Chine, au Japon et introduit en Europe par les Hollandais et les Anglais ; le maté, originaire d’Amérique du Sud, le « thé des Indiens » (Jules Verne) ; le guarana, boisson du Brésil ; la cola, originaire de l’Ouest africain, associée longtemps au coca avant que celui-ci ne soit remplacé par la caféine, largement diffusée en France par le tonique Mariani, puis dans le monde entier sous la forme de colas gazeuse ; le cacao, dont les fèves originaires du Mexique ont servi longtemps à préparer des boissons jusqu’au moment où les espagnols l’associent au sucre de canne pour former le chocolat, base des « tablettes » actuelles. Nous laisserons le lecteur découvrir l’histoire de l’utilisation de ces différentes plantes, de la sélection des espèces les plus goûteuses, de l’amélioration constante des produits qui sont élaborés. Pratiquement, on peut affirmer qu’au delà de leurs qualités particulières et spécifiques, toutes ont en commun une ou des méthylxanthines. Le livre raconte leurs origines, leur développement et leurs succès avec une grande érudition mais aussi mille anecdotes où la petite histoire se mêle parfois à la grande pour une lecture aussi agréable qu’instructive. Ainsi, le café peut être un cadeau royal, le thé une monnaie d’échange contre des chevaux, le maté une prise de guerre, la cola un succès commercial impressionnant. Contentons-nous de rapporter les observations des effets du café dans notre pays soulignés par quelques écrivains : Quels sont les bienfaits du café ? pour soi-même, s’empêcher de dormir, travailler d’avantage (Fontenelle) : c’est l’aspect éveillant et stimulant du travail intellectuel, un effet psychostimulant ; pour l’entourage, c’est l’humeur aimable des buveurs de café, le côté convivial du café pris en commun, un effet thymorégulateur ; pour quelques sujets apparemment défavorisés, c’est l’inverse : certaines personnes éprouvent de la somnolence, disent que le café les fait dormir, d’autres parlent d’impuissance (Balzac). Où l’on voit poindre des éléments de pharmacogénétique… Et enfin l’intoxication aiguë, chronique : troubles digestifs, tachycardie, l’humeur hargneuse disputailleuse, la mauvaise foi (Balzac). Où l’on voit poindre la possibilité de toxicomanie… Très clairement toutes ces préparations vont dans le même sens, développer des effets psychostimulants, des effets thymorégulateurs, des effets toxiques en cas de surdosage ou d’idiosyncrasie et un risque de toxicomanie. L’expérience acquise permet de placer sans hésiter les méthylxanthines dans la classe des nooanaleptiques, stimulants de l’éveil, l’attention, l’idéation, la rapidité d’action, la prévention du sommeil. Tous ces effets résultent de la stimulation dopaminergique du noyau accumbens du striatum ventral, mais comment l’expliquer ? Une étude scientifique rigoureuse des effets observés ne peut utiliser le café ou le thé tels qu’on les boit, tant ces préparations sont des mélanges complexes et multiples de principes actifs différents. Une simplification préalable est donc nécessaire, on étudie d’abord les effets d’une seule substance, la caféine. La simplification est opportune car sa structure est proche de celle de l’adénine et peut mimer celle d’une substance active l’adénosine ou adénine ribose, structure de base qui, par phosphorylations successives, forme ATP, ADP, AMP, molécules porteuses d’énergie potentielle nécessaire au fonctionnement cellulaire. L’adénosine stimule quatre types de récepteurs : A1, A2a, A2b et A3. La caféine, et plus généralement les méthylxanthines, bloquent certains de ces récepteurs dans des conditions physiopathologiques bien précises. L’adénosine est un neurotransmetteur bien particulier. Ce n’est pas un neuromédiateur au sens classique du terme tel que défini par Eccles : elle n’est pas stockée par les neurones, sa libération est peu dépendante de l’influx nerveux et il n’existe pas de fibres « adénosinergiques ». Au contraire, la plupart des neurones peuvent la fabriquer et la libérer, elle régule l’activité des neurones proches de ceux qui la libèrent. Dernière particularité et non des moindres, elle peut être formée et libérée par des cellules non neuronales ! De telles particularités en font un neuromodulateur et un autacoïde ce qui ne facilite pas la compréhension des effets de ses antagonistes. Pratiquement, on admet actuellement que l’élévation des concentrations d’adénosine dans le cerveau signe l’impossibilité relative de la phosphoryler en ATP, c’est donc le signe d’un déficit énergétique et en conséquence d’une souffrance cellulaire. Elle s’observe dans l’ischémie cérébrale, dans certaines formes d’épilepsie, lors d’hypoglycémie. L’adénosine développe deux types d’effets : les faibles concentrations montrent une production suffisante d’ATP donc des actions neuroprotectrices. Les méthylxanthines bloquent l’activité de récepteurs A1 présynaptiques empêchant ou limitant la libération d’acides aminés excitotoxiques (acides aspartique et glutamique) et l’activité post-synaptique, réduisant l’entrée de Ca2+ dans la cellule. En revanche, lorsque la stimulation de ces mêmes récepteurs est opérée au long cours, l’effet s’inverse provoquant l’aggravation des destructions neuronales probablement par désensibilisation des mêmes récepteurs A1. La stimulation des récepteurs A2a a l’effet inverse, elle limite les lésions neuronales. Des deux effets antagonistes des méthylxanthines celui sur les récepteurs A2a prédomine, la résultante est un effets neuroprotecteur. On pense qu’il est utile, mais non prédominant dans différentes maladies neurodégénératives, en particulier les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Il existe des relations fonctionnelles étroites entre les récepteurs A2a de l’adénosine et les récepteurs D2 de la dopamine. L’adénosine provoque des effets proches de ceux des antagonistes des récepteurs D2. Les antagonistes des récepteurs A2a restaurent la transmission dopaminergique. Les auteurs décrivent aussi les effets périphériques des méthylxanthines, leurs rôles dans la sexualité, dans les fonctions respiratoires, chez le prématuré et dans nombre de maladies. Mais si les méthyxanthines semblent être des acteurs majeurs par leurs effets psychotropes, d’autres effets dus à d’autres substances présentes dans les préparations se développent conjointement. Nous ne retiendrons que ceux des acides chlorogéniques, des polyphénols, des catéchines, de la paraxanthine. Les auteurs apportent ici leur expérience personnelle, fruit de leurs travaux de recherche qui mettent en évidence des propriétés antioxydantes, antimutagènes qui laissent entrevoir d’autres possibilités de création de molécules de synthèse reprenant les motifs structuraux des composants du café et du thé. Les méthylxanthines sont-elles toxicomanogènes ? Les auteurs répondent par l’affirmative. La consommation régulière de café peut entraîner tolérance et dépendance. Celle-ci est essentiellement psychique mais parfois aussi physique. Le mécanisme de développement de cette addiction est une activation des fibres dopaminergiques du noyau accumbens mise en évidence chez l’Animal après injection de caféine. Faut-il pour autant bannir ces préparations ? Une telle décision serait irréaliste. Mais le risque existe. La dépendance au café est rarement isolée, elle s’accompagne souvent de prise d’alcool et de tabac. La caféine est un antidote puissant de l’alcool, cependant si elle est efficace sur la vigilance, elle l’est beaucoup moins sur l’ataxie ce qui rend les sujets particulièrement vulnérables. Par la nicotine qu’il contient le tabac favorise la dépendance. Enfin, l’association fréquente de chocolat au café réalise une synergie additive de méthylxanthines facilitant aussi la dépendance. Les auteurs nous proposent un état des lieux très précis des risques encourus, justifient la consommation de café tout en en précisant les limites. Ils proposent l’idée que la caféine est une « bonne drogue » et montrent les différences évidentes qui existent entre des substances toxiques comme la cocaïne, le cannabis, l’amphétamine et la prise de café, de thé, de cola et de chocolat. Cet ouvrage est le fruit d’un travail associant deux disciplines pharmaceutiques, la pharmacognosie et la pharmacologie. Les auteurs ont réussi une véritable symbiose de leurs compétences qui devrait susciter l’intérêt de nos collègues mais aussi d’un public plus large. Sachant que l’un et l’autre sont à juste titre particulièrement vigilants devant les risques des addictions et de toute tentative de les pérenniser, ou a fortiori de les accepter, il est particulièrement agréable d’observer le réalisme et le bon sens dont ils font preuve. Leurs prises de position sont d’autant plus justifiées qu’ils en apportent des preuves scientifiques indiscutables. C’est sans hésitation que je recommande la lecture de cet ouvrage.