giono au bonheur du patrimoine - Lettre d`information des patrimoines
Transcription
giono au bonheur du patrimoine - Lettre d`information des patrimoines
GIONO AU BONHEUR DU PATRIMOINE Jacques Mény, Président des Amis de Jean Giono Patrimoine religieux Dans Voyage en Italie, évoquant son passage par Brescia, Giono écrit : « Le Duomo Vecchio est une très belle construction romane. L’architecture guerrière du Moyen Âge (rocca, castello, bastions perdus dans les bois) et l’architecture politique de la Renaissance (palais, Italie – Brescia, duomo Vecchio © Association des Amis de Jean Giono balcons destinés aux discours et pendaisons) me touche plus, c’est-à-dire me donne un plaisir plus vif que l’architecture religieuse des Xe, XIe et XIIe siècles. Je sais, comme tout autre, ce qu’il y a dans une voûte romane ; ce qu’elle exprime m’atteint. Ce n’est pas mon modèle et surtout je ne crois pas que tout est là, ni que tout peut se dire de cette façon ». En 1952, au cours de ses entre- tiens radiophoniques avec Jean et Taos Amrouche, Giono explicite son regard sur le Duomo de Milan, jugé sévèrement dans Voyage en Italie : « Voyez le Dôme de Milan, c’est un monument regrettable, dirons-nous. J’ai fait la découverte du Dôme de Milan en regardant les détails. Les détails sont tous admirables, mais il y en a trop. Ils sont trop loin de nous, nous ne pouvons pas les utiliser. J’ai vu des sculptures représentant la crucifixion et les deux larrons, puis des paysages extraordinaires qui se trouvent dans les petits bas-reliefs. Il y a des œuvres admirables dans les sculptures du Dôme de Milan, mais il y en a trop. Elles ne sont pas visibles de loin. Elles sont inutilisables. C’est une générosité qui ne peut pas être utilisée par les autres ». Giono se reprochait à lui-même cette « richesse inutile » dans certaines de ses œuvres d’avant 1939, gouvernées par son « démon de la démesure » et à travers le contreexemple du Duomo milanais, il plaide ici pour une « économie de richesse » en art comme en littérature. Dans sa méditation sur la pierre et l’utilisation qu’en ont faite les hommes, Giono observe que « le monde chrétien a utilisé plus de pierres que de prières pour s’élever vers dieu. Toutes les basiliques, les cathédrales, les chapelles, les plus humbles oratoires sont festonnés de feuillages de pierre et habités par une foule innombrable de saints et de saintes ». Devant les chapiteaux romans de l’abbatiale de Payerne en pays de Vaud, qu’il voit comme des autoportraits du sculpteur, il admire que la pierre ait ici « pris la place d’un cœur humain » qui continue à « lancer du sang et de l’espoir dans nos artères ». L’artiste a élevé ses modèles, les paysans de Payerne, à la dignité des messagers éternels, leur faisant rejoindre « les prophètes de Borgo San Donnino, le masque de Saint-Philibert de Tournus, le vigneron dans sa cuve du tympan d’Autun ». Suivent des références à d’autres portails monumentaux, ceux des cathédrales de Reims, de Chartres, de Bourges ou de Canterbury. N°28 septembre 2015 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 1 Si l’arc roman n’est pas son « modèle », le décor sculpté des édifices médiévaux le touche et il va faire l’acquisition, au cours de l’été 1939, d’une « admirable figure de pierre » qui témoigne de cet art. Au cours d’un voyage à pied dans la haute Drôme, la pluie oblige Giono à s’abriter sous la porte d’une grange. L’orage passé, il fait quelques pas qui l’écartent de son abri de fortune et aperçoit au-dessus de l’imposte dans le mur qui domine l’auvent de la grange ce qu’il © Association des Amis de Jean Giono pense être « certainement un ancien corbeau de cathédrale ». Désireux de posséder cette curieuse tête de pierre, probablement venue d’une abbaye voisine dont l’origine remonte au Ve siècle et qui a été détruite au moment des guerres de religion, il traite avec son propriétaire qui ne consent à la lui vendre que s’il achète la grange entière. L’affaire conclue, Giono fait démonter la sculpture qui, depuis 1939, est posée sur le dessus d’une cheminée dans sa maison de Manosque, dont elle est encore aujourd’hui l’une des plus belles pièces de la collection d’œuvres qu’il a réunies au Paraïs. Dans les paysages qui lui sont familiers, Giono a retenu plusieurs sites caractérisés par la présence d’édifices religieux, comme l’église de Valensole qu’il lui apparaît « espagnole » : « Elle émerge du plateau par la pointe de son extraordinaire clocher. Pendant quelques instants, il semble qu’elle sorte toute vivante d’un océan de lavande : une sorte de Cypris chrétienne… L’église que l’on croyait espagnole n’est que le monument des grandeurs, des sévérités et des mélancolies inhérentes aux vastes solitudes ». Adolescent, il a découvert Notre-Dame-de-Beauvoir, « cachée dans ses rochers blancs » à Moustiers-Sainte-Marie, après que sa mère lui ait vivement recommandé de participer au traditionnel pèlerinage de l’aube, qui a lieu chaque année, le 8 septembre, dans la cité de la faïence. Mais c’est surtout « la grande mise en scène du paysage » de Moustiers qui frappe à jamais cet athée convaincu : « Brusquement, après un détour de la route, on entre au Châtelet un soir où se jouerait à 04 – Moustiers-Sainte-Marie, église © J. Mény grand spectacle La Passion d’Arnoul Gréban. Voilà Bethléem, voilà le Golgotha rêvé par Hubert Robert et, près de vous, au bord de la route les prairies, les narcisses, les saules, les fontaines, les ruisseaux où Poussin campait ses mythologies ». De Riez, Giono écrit que « cette vieille petite ville conserve encore quatre très belles colonnes d’un temple achalandé sous Auguste et des ruelles d’un Moyen Âge poignant », mais ne dit mot de sa cathédrale. Sensible aux « voûtes virgiliennes de la chapelle de Saint-Ours » à Voreppe dans l’Isère, Giono aimait les édifices religieux modestes. Dans l’un de ses textes sur la Provence, il nous guide sur dix-huit kilomètres de route entre Fayence et Bargemon, où « on rencontre treize N°28 septembre 2015 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 2 83 – Seillans, Notre-Dame-de-l’Ormeau © Association des Amis de Jean Giono chapelles romanes, toutes dans ce style tibétain ou aztèque à quoi obligent les grandes terreurs primaires : Notre-Dame-desCyprès, Notre-Dame-de-l’Ormeau, SaintAnne, le Saint-Bel-Homme, Notre-Damedes-Selves, le Martyr-Reclos, la Vierge-des4-Chemins, Saint-Auxile et d’autres… Toutes bonnes constructions de pierres dures et de terreur, toutes le bonnet tiré sur les yeux, ces chapelles, la bouche dans la poussière, clament depuis des siècles dans le désert ». N°28 septembre 2015 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 3