Se distraire à en mûrir

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Se distraire à en mûrir
Se distraire à en mûrir
Regards croisés sur le divertissement télévisuel éducatif
Micheline Frenette *
Université de Montréal, Département de communication
Cet article 1 propose une réflexion-synthèse sur les orientations
théoriques sous-jacentes aux programmes ludo-éducatifs télévisuels dans la littérature américaine. Ces études sont examinées à
la lumière du cas concret d’un programme québécois à vocation
sociale pour les adolescents. Les facteurs de succès spécifiques
au public et au programme sont explorés à tour de rôle. Les différentes visions du public qui sous-tendent la pratique et l’évaluation (“imitateur, interprète et membre d’une collectivité”)
sont présentées et commentées. L’article aborde également d’autres considérations en lien avec la production et l’évaluation de
programmes ludo-éducatifs tels que les facteurs organisationnels
et la concurrence médiatique ainsi que les questions éthiques.
Enfin, sont envisagées les perspectives pour la recherche et le
développement du genre ludo-éducatif.
Introduction
Dans le monde télévisuel, le concept ludo-éducatif fait référence à l’utilisation du jeu, et par extension de la fiction, dans des émissions poursuivant des buts éducatifs. Le rationnel est simple : puisque la prise de
contact de la part du public visé est totalement volontaire, l’expérience
se doit de plaire. L’intégration d’éléments narratifs favorisant la planification familiale dans une série dramatique diffusée en Amazonie en
constitue un exemple. Une série mettant en scène des adolescents
québécois qui surmontent leurs dilemmes dans un cadre scolaire en vue
*
1
[email protected]
Cet article s’inscrit dans les activités de recherche sur le transfert des
connaissances du consortium GRAVE-ARDEC. Je tiens à remercier sincèrement Céline Lavoie de la Direction du développement des programmes et
Colette Noiseux du Service de la recherche et de la planification de TéléQuébec, ainsi que Anna-Maria Martin, étudiante à l’Université de Montréal,
pour leur précieuse collaboration à la préparation de ce texte.
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de créer une attitude favorable à l’endroit de l’école auprès des jeunes
susceptibles de décrocher en est un autre. Se pose alors la question du
fonctionnement de ce genre d’émission en tant que problématique de
recherche. Existe-t-il des repères pour la conception de telles émissions ? Avons-nous une idée de leur influence véritable ? Ce numéro
thématique de MEI me donne l’occasion d’examiner les approches
théoriques employées dans ce qui est devenu un secteur spécialisé de la
recherche sur les médias.
Sans prétendre faire une recension exhaustive du domaine, je vais prendre comme pivot de cette réflexion un bilan de l’approche ludoéducative (“education-entertainment”) paru récemment dans la prestigieuse revue américaine Communication Theory. Je vais également situer ce
bilan dans le contexte plus large de la recherche sur le ludo-éducatif à
partir de deux ouvrages clés sur la question (Singhal & Rogers, 1999 et
Nariman, 1993). Mon examen critique des concepts et des études présentés comme étant à la fine pointe du secteur se fera à l’aune d’un cas
concret, soit l’émission québécoise Ramdam, qui servira pour ainsi dire
de contrepartie empirique virtuelle. Le lecteur est donc invité à prendre
connaissance du descriptif en annexe puisque je vérifierai la pertinence
de cette littérature pour expliquer le succès de ce programme tout au
long de l’article.
Je vais d’abord examiner les facteurs de succès du genre ludo-éducatif ;
conformément aux études recensées, l’accent sera mis sur les facteurs
spécifiques au programme et plus particulièrement, sur les diverses
approches théoriques qui sont sollicitées pour expliquer l’engagement
du public vis-à-vis de ces émissions. Par la suite seront abordés à tour
de rôle l’agenda de recherche dans le secteur, les dilemmes éthiques et
les perspectives de développement du genre.
Les facteurs de succès, vue d’ensemble
D’entrée de jeu, Singhal et Rogers (2002) précisent que le ludo-éducatif
n’est pas une théorie de communication mais plutôt un processus de
conception et d’implantation d’un message médiatique dans le but de
divertir et d’éduquer pour augmenter la connaissance face à un enjeu,
pour créer des attitudes favorables ou pour changer un comportement
spécifique. L’émission Ramdam correspond donc à cette définition
puisque l’objectif des concepteurs est d’influencer les valeurs des jeunes
adolescents dans une direction humaniste au moyen d’une comédie de
situation.
Au-delà de la pertinence sociale de ce genre de programmation, les
auteurs y trouvent un intérêt théorique particulier. En effet, le rôle des
émotions en tant que forme valide d’expérience humaine pouvant amener à la pratique de comportements préventifs en santé, est souvent
sous-estimé, minimisé et négligé. Les interventions en ludo-éducatif,
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permettant d’étudier les médias de masse simultanément comme des
agents de divertissement et de persuasion, constituent un domaine important et unique de la science des communications. Avec le nombre
croissant d’interventions ludo-éducatives dans le monde et les vastes
recherches d’évaluation sur leurs impacts, le temps est propice à l’exploration en profondeur des fondements théoriques du ludo-éducatif. La
question principale à laquelle s’intéresse ce numéro thématique de
Communication Theory est la suivante : « Comment fonctionnent les émissions
ludo-éducatives » ?
Dans leur ouvrage devenu une référence de base, Singhal et Rogers
(1999) avaient déjà dressé une liste des variables nécessaires au succès
des émissions ludo-éducatives et celles-ci sont présentées au Tableau 1.
Nous allons nous attarder à quelques-unes parmi les plus pertinentes à
la compréhension de la popularité de Ramdam et plus spécialement aux
caractéristiques du public ainsi qu’aux facteurs spécifiques au
programme.
Les caractéristiques du public-cible
Les auteurs nous rappellent d’abord la nécessité de considérer les caractéristiques du public car une hypothèse fondamentale dans les théories
actuelles sur les médias est que le public négocie activement les sens
d’un programme. Ainsi, n’importe quel effet de divertissement télévisuel auprès des enfants est augmenté, canalisé, ou mitigé par ce que
l’enfant-spectateur en fait, d’où la nécessité de considérer la psychologie
de celui-ci. Valkenburg et Cantor (2000) soulignent l’importance de
comprendre ce qui rend les programmes télévisuels attrayants auprès du
jeune public de 8 à 12 ans. Deux facteurs déterminants sont l’âge ou le
niveau de développement cognitif et le sexe. Examinons en premier lieu
comment le développement cognitif peut jouer un rôle dans l’appréciation ou l’aversion pour la programmation de divertissement.
Les enfants de 9 ans et plus s’intéressent au divertissement conçu pour
les adultes de sorte que le réalisme de l’environnement et des personnages augmente leur plaisir à regarder un programme. À cet âge, les
personnages fantaisistes ont été démystifiés et les enfants s’attachent à
des héros de la vraie vie : héros sportifs, célébrités et héros des films
d’action. Les auteurs supputent que ces jeunes téléspectateurs sont à
l’affût de leçons sur la manière de se comporter en société et dans les
relations interpersonnelles. Ce penchant pourrait expliquer la grande
popularité des comédies de situation mettant en vedette une famille
auprès des enfants. À cet égard, les concepteurs de Ramdam ont misé
juste en faisant de la famille le cadre de l’action.
Les préadolescents recherchent des amis qui leur sont psychologiquement semblables. Voir des personnages dans une série télévisuelle qui
lui ressemblent permet au jeune d’observer une variété d’événements et
de résultats potentiellement pertinents dans sa propre vie. C’est pour75
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quoi les enfants portent plus d’attention aux actions des personnages de
même sexe et légèrement plus âgés qu’eux. Les enfants plus âgés
appuient davantage leur appréciation sur les aspects psychologiques et
sociaux de la personnalité d’un personnage plutôt que sur ses caractéristiques physiques. Aussi, commencent-ils à reconnaître et à ne pas aimer
le jeu de piètre qualité des protagonistes dans les programmes de divertissement. Les préadolescents développent aussi un sentiment d’engagement et de loyauté aux normes du groupe d’appartenance et deviennent
très sensibles à ce qui est “cool” et ce qui est mal vu parmi leurs pairs.
Les personnages de Ramdam incarneraient donc des modèles que les
enfants jugent plausibles et aimables puisque ceux-ci ont la cote auprès
du jeune public. Les habiletés cognitives permettent aussi aux enfants
de cet âge de faire une appréciation critique et fine de la qualité de
réalisation d’un programme. Les effets spéciaux gratuits ne suffisent
plus à les impressionner. On peut alors déduire que les effets spéciaux
de Ramdam sont perçus comme étant originaux et pertinents (i.e. au
service de l’histoire) puisque ceux-ci sont très appréciés par le jeune
public.
Le sexe est une autre variable importante qui intervient dans la dynamique de réception. Des différences importantes et significatives ont
systématiquement été notées quant à la façon dont les filles et les garçons pensent, comment ils s’expriment, et ce qu’ils valorisent. Toujours
selon Valkenburg et Cantor (2000), les filles seraient moins orientées
vers les objets que les garçons, donc moins intéressées par la technique.
Elles aiment les séries dramatiques sur des thèmes réalistes, avec une
préférence pour les situations familiales. Les filles de cet âge s’intéressent à des personnages plausibles et attirants ainsi qu’au développement des relations interpersonnelles. Elles accordent plus d’importance
que les garçons à la compréhensibilité du programme de divertissement,
ce que révèle l’intérêt plus poussé des filles pour les scénarios. Enfin,
les filles sont plus intéressées à rechercher de l’information sur les émissions et les personnages et préfèrent regarder une émission de divertissement du début à la fin.
Les facteurs spécifiques au programme
Singhal et Rogers (1999) rappellent la nécessité d’utiliser un langage
conversationnel dans lequel le public cible peut se reconnaître et de
mettre en scène des personnages dans des situations réalistes, tout en
maintenant un équilibre entre le contenu proprement éducatif et la
dimension divertissante. La formule narrative qui permet aux auteurs de
Ramdam de rencontrer ce critère sera analysée plus en détails un peu
plus loin. Même dans le cas de programmes pour adultes, les auteurs
suggèrent d’avoir recours à des épilogues qui dégagent explicitement le
message de l’émission. Or, l’originalité de Ramdam sur le plan formel
s’inscrit d’emblée dans cette volonté de souligner le message éducatif.
Nous y reviendrons. Toutefois, la suggestion des auteurs de faire appel
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à des acteurs célèbres semble moins pertinente dans le cas de Ramdam.
Hormis quelques acteurs déjà connus localement, la plupart des
comédiens en étaient à leurs débuts mais la popularité de l’émission, la
couverture médiatique et le site Web aidant, contribuent à en faire de
nouvelles vedettes locales. Ce phénomène s’inscrit probablement dans
une tendance forte de la programmation actuelle assez généralisée, soit
la transformation de membres ordinaires du public en figures
d’identification à l’écran à travers divers stratagèmes de participation.
Enfin, le choix de l’heure de diffusion la plus propice (après le repas du
soir) et la périodicité de l’émission qui crée un rendez-vous avec le
jeune public les jours scolaires ont également leur importance.
Dans le bilan que font Singhal et Rogers (1999) de la littérature sur le
genre ludo-éducatif, l’accent est mis sur la dramatique et peu d’importance est accordé à l’humour. Or, cet aspect est particulièrement important pour les jeunes, particulièrement les garçons, qui en redemandent.
Bryant et Miron (2002) suggèrent que l’humour est souvent recherché
par les téléspectateurs comme moyen de réguler leurs humeurs. On
peut facilement comprendre que les jeunes adolescents soient à l’affût
de soupapes émotives et le programme qui saura leur en procurer une
gagnera leur adhésion. Les responsables de Ramdam ont judicieusement
misé sur l’humour comme ingrédient central d’attraction pour le public
adolescent.
L’engagement du public comme variable centrale
En regard de cet ouvrage classique, les contributions au numéro de
Communication Theory se concentrent sur les facteurs spécifiques au programme et l’engagement du public y apparaît comme le concept central
pour expliquer le fonctionnement du genre ludo-éducatif. Différents
processus théoriques sont explorés pour comprendre comment se produit cet engagement et nous allons les examiner à tour de rôle. En
prenant la peine de dégager leur prémisse fondamentale au sujet du
téléspectateur, on se rend compte que celui-ci est vu soit comme un
imitateur, comme un interprète ou encore, comme membre d’une
collectivité.
Le public imitateur
La théorie de l’apprentissage social est le fondement des approches qui
considèrent le public comme imitateur et, bien qu’elle ne soit pas évoquée en tant que telle dans le bilan de 2002, nous en discuterons en
guise d’introduction. Deux des contributions dans Communication Theory
s’intéressent en effet à des facteurs de médiation de cette imitation, l’un
émotif (la théorie du drame), l’autre cognitif (le modèle d’élaboration
probable).
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La théorie de l’apprentissage social
Nariman (1993) a eu recours à la théorie de l’apprentissage social pour
expliquer comment la fiction dramatique peut servir des fins éducatives.
Cette théorie avancée par le psychologue américain Albert Bandura
postule que les gens peuvent apprendre de nouveaux comportements
par l’observation des modèles de la télévision. Les spectateurs bénéficient par procuration des récompenses obtenues par les personnages
qui s’adonnent au comportement prosocial visé. Cette identification
implique un processus d’apprentissage accidentel car le modèle n’essaie
pas intentionnellement de transmettre des pensées, des impressions, et
des actions pour que l’observateur les adopte. De la même manière, les
comportements antisociaux peuvent être inhibés en voyant des modèles
de la télévision qui se font punir.
La structure du mélodrame éducatif est conçue pour favoriser ce processus d’apprentissage. Celui-ci présente la réalité sous un jour légèrement exagéré, dans lequel les univers moraux du bien et du mal sont en
discorde. Comment donc opère ce processus de modélisation ? En
premier lieu, le modèle doit capter l’attention de l’observateur. Puis, le
comportement du modèle a plus de chances d’être retenu lorsque le
modèle et la situation sont perçus comme étant proches de la vie de
l’observateur. Ensuite, le modèle doit illustrer concrètement comment
actualiser les valeurs préconisées (i.e. harmonie interpersonnelle) à travers des comportements spécifiques (i.e. le personnage offre des excuses à un autre). Toutes les récompenses doivent être réalistes et sont
généralement aussi simples qu’un sourire de la part d’une personne
aimée. Si le spectateur peut discerner dans quelles situations il s’applique ou non, il y a de bonnes chances qu’il reçoive des formes directes
de renforcement intermittent pour la pratique de ce comportement, ce
qui va l’encourager à l’adopter de manière permanente. Finalement, le
succès de cet apprentissage par observation dépend de la motivation et
de l’occurrence du renforcement et de sa pertinence.
Toutes les positions de départ et les développements des personnages
devraient être représentatifs d’un spectre de points de vue authentiques
et d’adaptations possibles selon ces points de vue pour le public cible.
Les personnages qui représentent des attitudes et des comportements
anti-sociaux peuvent, soit commencer à changer ces attitudes et ces
comportements, ou dans un esprit de défi, maintenir leur position de
façon encore plus véhémente. Ces personnages sont récompensés ou
punis selon la situation. Ainsi, les personnages des dramatiques contemporaines ont pour but d’être les fournisseurs de mythes modernes, en
illustrant des valeurs et des comportements qui nous aident à rencontrer les défis d’adaptation dans une société qui subit des transformations sociales et technologiques significatives presque du jour au
lendemain.
À la base, cette théorie repose sur un processus d’imitation et en cela,
elle convient mieux pour prédire l’adoption de comportements spéci78
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fiques. Dans le cas de Ramdam, il faudrait que les valeurs préconisées
soient traduites en gestes concrets qui seraient observables chez les
personnages et dont l’imitation pourrait ensuite être mesurée chez le
jeune public (i.e. faire du bénévolat, offrir des excuses,…). Inversement,
le programme ne vise pas à enrayer un comportement nocif particulier
et les personnages ne sont pas punis expressément mais plutôt confrontés aux conséquences de leurs décisions malheureuses (i.e. l’ami maladroit qu’on ne voulait pas dans notre équipe révèle un talent au jeu qui
fait gagner l’équipe adverse).
La théorie du drame
À l’instar de la théorie de l’apprentissage social, la théorie du drame
(Kincaid, 2002) suggère que l’engagement du public se produit principalement par le biais de l’identification aux personnages, à la différence
qu’elle insiste sur la qualité dramatique de la narration comme condition
de cette imitation. Le drame aurait plus d’impact sur un public que plusieurs autres formes de communication car il raconte une histoire engageante, qui implique le public émotionnellement, et qui montre des
changements chez les personnages avec lesquels le public peut s’identifier. L’essence du drame est la confrontation, qui génère de l’émotion.
Pour apporter une force dramatique, les personnages – le protagoniste
et l’antagoniste – doivent voir leurs chemins se croiser et doivent se
confronter l’un l’autre. L’émotion est la force qui motive l’action des
personnages, ce qui mène à des conflits et à des résolutions. Par contre,
l’émotion à elle seule est insuffisante pour favoriser l’adoption d’un
comportement à moins que des arguments rationnels, une logique
solide, et des preuves ne viennent l’appuyer. Par l’engagement et l’identification, la confrontation et la réponse émotionnelle des personnages
provoqueraient des réponses similaires chez le public. Lorsqu’un personnage adoptant un comportement indésirable se convertit et adopte
un comportement socialement désirable pour résoudre une confrontation dramatique, alors le comportement du segment de public s’identifiant le plus avec ce personnage devrait converger vers un segment
pratiquant déjà le comportement désirable, résultant ainsi dans un gain
remarquable de comportements socialement désirables dans la
population.
Dans Ramdam, les personnages résolvent des conflits et des dilemmes
en exposant leur processus intérieur à la caméra et seraient donc
susceptibles d’influencer le téléspectateur selon la théorie du drame.
Toutefois, le modèle génère des attentes irréalistes quant à l’effet global
qui pourrait être obtenu et qui serait de toute manière impossible à mesurer dans le cas de Ramdam. Le processus sous-jacent pour expliquer
l’engagement avec les personnages en est un fondamentalement d’imitation et ce processus apparaît trop simple pour être totalement satisfaisant car il suppose une passivité importante du public. En effet, cette
approche s’apparente à un modèle d’effet direct qui laisse peu de place
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à la résistance et néglige le contexte social. Au mieux, pourrait-on dire,
la théorie du drame est utile pour pointer les ingrédients narratifs
susceptibles d’accrocher et de retenir l’intérêt du téléspectateur.
Le modèle d’élaboration probable
Une autre théorie invoquée pour expliquer le fonctionnement des émissions ludo-éducatives se situe sur un plan cognitif. Slater (2002) explore
le modèle développé par Petty et Cacioppo (1986) nommé « elaboration
likelihood model » ou ELM, soit un modèle consacré à estimer la probabilité d’élaboration cognitive chez le destinataire. Le modèle ELM fait
référence aux processus mentaux qui feront qu’un individu va intégrer
les idées dans le sens persuasif souhaité ou au contraire érigera des
défenses mentales en développant une contre-argumentation. Ce
modèle repose sur une tradition de recherche persuasive bien établie,
mais sa transposition au genre ludo-éducatif, plus spécifiquement la
narration, n’a généré que de rares études expérimentales. L’une d’elles a
toutefois démontré une association entre le degré d’absorption dans le
programme et les effets persuasifs souhaités (Green et Brock, 2000
dans Slater, 2002).
L’absorption qu’on souhaite provoquer chez le téléspectateur peut s’appuyer sur les personnages ou le scénario, selon les motivations à l’origine de l’écoute. Si les besoins et les buts du récepteur incluent des relations sociales et des expériences par procuration, alors le degré d’absorption et le fait d’être transporté par le récit font que quelqu’un s’implique émotionnellement face aux personnages. Cette identification
serait essentielle dans le cas des buts éducatifs poursuivis par Ramdam.
Si les besoins et les buts du récepteur incluent l’excitation et le divertissement, alors l’engagement face au récit dépendra plutôt de l’intérêt
que l’individu porte au scénario.
Comment l’absorption contribue-t-elle à la persuasion ? Dans la logique
de ce modèle, une dramatique aurait un effet persuasif fort parce que
l’engagement émotif de l’individu avec le récit et les personnages le
distrait et empêche la formation de contre-arguments à l’endroit du
message sous-jacent, même si le sous-texte de persuasion est incompatible avec des attitudes, des croyances et des valeurs antérieures de la
personne. Celle-ci a des chances de ne pas se rappeler la source du message et a encore plus de chances d’avoir (par la suite) des croyances
conformes à l’information contenue dans le message.
Selon Slater (2002), une série quotidienne renforce l’attachement aux
personnages parce qu’elle permet la répétition de réponses cognitives
compatibles avec le message persuasif implicite aussi bien que des répétitions cognitives et du renforcement social à travers la discussion de la
série avec d’autres. Une réponse cognitive dans le cas de Ramdam
pourrait être par exemple comment exprimer son désaccord de manière
constructive. Toutefois, la série ne vise pas des changements de
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comportement spécifiques comme dans les émissions sur la promotion
de la santé.
Enfin, l’auteure mentionne que l’épilogue renforce le message persuasif
du programme. Un épilogue typique est un monologue de 30 secondes,
avec une célébrité ou un acteur de la série, mettant l’emphase sur les
points clés concernant les comportements sociaux véhiculés par l’histoire. Sur ce plan, Ramdam fait appel à plusieurs procédés techniques
servant à expliciter les sentiments et les dilemmes vécus par les personnages, clarifiant ainsi les processus psychologiques que les auteurs
souhaitent porter à l’attention du jeune public. Le moins qu’on puisse
dire au sujet du modèle ELM, c’est que nous avons affaire à une vision
forte de l’influence. Tout compte fait, cette approche s’apparente au
courant de la persuasion, qui cherche à convaincre avant tout, sans
égard à la participation de l’auditoire, autrement que comme obstacle à
la persuasion. L’analyse de type ELM semble donc moins convenir aux
objectifs et à la philosophie de la série Ramdam.
Le public interprète
Une conception active du public nous conduit à une tout autre compréhension de l’engagement du téléspectateur dans les programmes ludoéducatifs. Toutefois, cette vision d’un public interprète dans une perspective individualiste n’apparaît que dans un seul article du bilan paru
dans Communication Theory.
La réception active
Sood (2002) envisage l’influence de la programmation ludo-éducative
dans une optique de réception active qui se situe dans la lignée des travaux de Katz et Liebes (1991). L’engagement du public serait composé
de deux dimensions principales : a) la réflexion (critique ou référentielle), et b) l’interaction parasociale (cognitive, affective) avec les personnages. La “réflexion référentielle” est le degré auquel les individus
du public font un lien entre le programme et leurs expériences personnelles. La “réflexion critique” est le degré auquel les membres du public
se distancient des contenus et se préoccupent plutôt de la construction
esthétique du programme.
Les émissions ludo-éducatives, on le sait, espèrent provoquer des changements chez les membres du public. Le concept d’efficience individuelle fait référence aux croyances des individus dans leurs capacités
d’exercer un contrôle sur les événements qui affectent leur vie. L’efficience collective fait référence aux croyances des individus dans la
capacité collective de rassembler des intérêts divergents en un agenda
partagé, d’établir des stratégies d’action collective et de les exécuter avec
succès. Les objectifs des émissions à vocation éducative pour les jeunes
comme Ramdam s’inscrivent plutôt dans la perspective de l’efficience
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individuelle car on ne retrouve pas d’objectif collectif précis. La
réflexion référentielle serait donc propice à susciter le type d’engagement qui servirait de médiateur pour accroître l’efficience personnelle
du jeune public, selon Sood (2002).
Néanmoins, l’auteur ne spécifie pas réellement le processus de médiation qui mènerait à un changement de comportement. Ainsi, une
réflexion référentielle ne pourrait-elle pas tout aussi bien en rester au
stade de l’interprétation ? Et la réflexion critique ne pourrait-elle pas
s’inscrire dans une réflexion générale sur le plan des valeurs qui aille
dans le sens des objectifs globaux du programme, sans pour autant être
lié à un contenu spécifique ? Il est intéressant d’observer que de fait,
Ramdam tente de stimuler les deux types d’engagement, soit une identification affective avec les personnages mais également une distance
critique à l’endroit de la télévision. En réalité, l’auteure fait une
utilisation limitée de l’approche de la réception active. Katz et Liebes
(1991) pour leur part ont identifié des modes de vulnérabilité et de
résistance aux productions culturelles étrangères en lien avec les différents types de visionnement dont l’occurrence découle d’un ensemble
de facteurs comprenant la personnalité du téléspectateur, le contexte de
visionnement, la résonance culturelle du programme, etc. Un examen
plus attentif de cette approche en vue d’en tirer des enseignements pour
mieux comprendre la réception des programmes ludo-éducatifs reste à
faire.
Le public membre d’une collectivité
Enfin, une troisième conception du public, en tant que membre d’une
collectivité, est présente dans le numéro thématique sur l’approche
ludo-éducative. Nous verrons que l’exposé sur l’approche communautaire se situe aux antipodes des autres textes. Nous évoquerons également une étude d’une autre source afin de souligner la pertinence des
études culturelles qui peuvent aisément s’inscrire dans cette section.
L’approche communautaire intégrée. Davenport et al. (2002) se penchent sur
le cas d’une émission radiophonique concernant la santé reproductive et
considèrent comment celle-ci est construite socialement dans les communautés riveraines de l’Amazone péruvien. Bienvenida Salud ! est une
émission radio comprenant du socio-drame, des entrevues avec des
professionnels, des lettres du public et des témoignages, de la musique
locale et des nouvelles communautaires. Le projet représente plus de 10
ans d’engagement dans les communautés à l’étude et souligne un
groupe d’activités intégrées qui furent co-construites par le chercheur et
les “étudiés”, à qui il fut demandé de nommer leurs propres mondes et
de parler de leurs propres voix. Lorsque le programme reçoit un tel
soutien des agents de changement sur le terrain, les médias ne sont
alors qu’un élément parmi une panoplie d’outils d’intervention communautaire.
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Le fondement théorique de cette intervention est le constructivisme
social dont la prémisse de base stipule que les sens dérivés des contenus
des médias sont construits socialement. La communication est le processus par lequel les compréhensions partagées et la construction collective sont rendus possibles. Les actions et les interactions des membres de la communauté deviennent alors le point central pour l’observation et l’analyse. Ces connaissances localisées sont impératives pour
concevoir des campagnes participatives et “sensibles” culturellement.
Ce cas est très différent des autres émissions ludo-éducatives car le programme en question est un genre hybride et de plus, un investissement
intensif dans la communauté est consenti, en concordance avec les objectifs de santé poursuivis. Or, les objectifs de Ramdam se situent sur un
plan beaucoup plus général et le public visé ne forme pas une
communauté dans le même sens qu’un village éloigné des grands centres urbains. Toutefois, et sans prétendre au même niveau d’intégration
de l’auditoire, il demeure que le développement de Ramdam est alimenté
par la contribution des jeunes dans le même esprit constructiviste que
celui des promoteurs de Bienvenida Salud ! Des rencontres régulières
avec les jeunes servent à comprendre leurs préoccupations, à saisir la
culture changeante dans laquelle ils évoluent et à recueillir leurs points
de vue sur le scénario et les personnages.
Les études culturelles. À défaut d’illustration spécifique de l’approche des
études culturelles dans la littérature américaine sur le genre ludoéducatif, nous allons évoquer les recherches de Pasquier (1998). La
chercheuse s’est penchée sur la relation entre les personnages des séries
télévisuelles en France et le public adolescent. Certaines de ses observations sont donc très pertinentes pour comprendre le cas de Ramdam.
Selon elle, la lecture du personnage transige par les valeurs spécifiques
de la culture adolescente, avec une valeur centrale, soit le principe de
solidarité à l’égard du groupe. L’auteure a trouvé deux grands pôles
d’appréciation des personnages en fonction du sexe : l’axe sensibilité /
beauté du côté des filles et l’axe audace/marginalité du côté des
garçons.
L’auteure parle aussi de « communautés de lecture » parmi les jeunes. En
effet, la série constitue pour ses fans « une expérience collective à domicile ». Il
y a localement une succession de célébrations à travers des interactions
autour de la série dans la sociabilité des pairs. Suivre le programme est
alors avant tout une activité sociale fondée sur la participation à des
groupes locaux et à une communauté imaginée. L’appartenance à ces
deux formes de communautés suscite une activité collaborative d’interprétation des personnages, qui peut prendre plusieurs formes :
discussions, jeux de rôle, échanges d’objets et d’informations.
D’ailleurs, Pasquier a pu observer à quel point les jeunes fans d’une série
s’appliquent à déconstruire le personnage comme personne civile. « Le
personnage incarne un rôle, le comédien exerce un métier, la personne a une existence
réelle. C’est cette dernière, dans sa dimension physique, humaine, affective, qui
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intéresse la fan. » (Pasquier, 1998, p. 227). Les jeunes vont chercher à
mieux connaître la personne ordinaire derrière le personnage et vouloir
placer ainsi la relation dans une dimension humaine, qui permet la
réciprocité dans l’expression des sentiments. Vraisemblablement,
l’interaction que permet le site Web de Ramdam avec les comédiens et
les artisans de la série solidifie et amplifie la communauté des
téléspectateurs de l’émission. On saisit facilement le potentiel
d’influence qu’une telle situation recèle et partant, la responsabilité des
acteurs et des producteurs de la série. Nous aborderons la question
éthique plus loin.
D’autres facteurs importants de succès
Les contraintes d’espace ne nous permettent pas d’examiner en détail
tous les facteurs de succès des programmes ludo-éducatifs énumérés au
Tableau 1. Toutefois, nous attirerons l’attention du lecteur sur deux
considérations particulièrement importantes pour les sociétés affluentes, soit la concurrence médiatique et les facteurs organisationnels.
La concurrence médiatique
Les réflexions sur le potentiel du genre ludo-éducatif évoquées à date
s’appuient presque exclusivement sur des expériences dans des pays en
développement. Par exemple, le livre de Nariman (1993) présente l’approche mise au point par un réalisateur mexicain. Les succès de
l’approche ludo-éducative dans le Tiers-monde sont bien documentés,
nous dit Sherry (2002), mais dans ces contextes sociaux, il n’y a pas
beaucoup de débouchés médiatiques et donc très peu de compétition
pour l’attention du public. Or, dans les pays à forte saturation médiatique comme en Europe et en Amérique, la situation est fort différente et
le défi des concepteurs se trouve décuplé. L’auteure suggère qu’il est
alors nécessaire de faire appel à l’ensemble des théories en communication médiatique pour comprendre la complexité des facteurs qui déterminent au départ l’exposition à un message donné et la réceptivité au
contenu par la suite.
Selon l’auteure, la théorie la plus utile à court terme pour la conception
des programmes ludo-éducatifs serait la théorie des usages et gratifications, rappelant comment les différences individuelles et les pressions
contextuelles jouent dans l’exposition initiale au programme et dans les
effets de celui-ci. Schramm, Lyle et Parker (1961 ; dans Sherry, 2002)
avaient ainsi identifié trois raisons majeures pour lesquelles les enfants
regardent la télévision, soit le divertissement, l’information et l’utilité
sociale. Une émission aurait aussi des effets en fonction de variables
telles la personnalité, le tempérament, la solitude chronique, la recherche de sensations fortes etc. Les autres théories de communication de
masse évoquées par l’auteur (la “cultivation”, la fonction d’agenda,
84
Se distraire à en mûrir : regards croisés
M. Frenette
l’écart des connaissances) sont davantage utiles pour situer l’impact
dans une perspective à long terme et à un niveau macro-social. Ce
genre d’effet demeure beaucoup plus difficile à évaluer à moins d’un
objectif comportemental bien spécifique.
Enfin, Sherry (2002) mentionne l’intermédialité comme variable
importante. Dans les environnements médiatiques saturés, les effets les
plus puissants seront réalisés en développant des thèmes à travers les
différents canaux disponibles. Parmi les facteurs liés à l’environnement
médiatique, nous observons que le site Web dédié à l’émission et les
reportages sur Ramdam dans les magazines pour les jeunes contribuent à
créer une synergie autour de l’émission. La concurrence aiguë qui
caractérise les sociétés à forte saturation médiatique ne laisse guère le
choix que de miser sur la qualité, l’originalité et la résonance avec l’auditoire pour se démarquer dans le paysage surchargé. L’article a le mérite
de nous rappeler que le contexte social plus large doit être pris en
compte pour anticiper les conséquences d’un produit ludo-éducatif et
ce, d’autant plus dans les sociétés à forte concentration médiatique,
mais demeure néanmoins vague quant aux préceptes à suivre. On peut
d’ailleurs regretter que l’auteur ne mentionne pas les théories de la
réception active et des études culturelles comme approches pertinentes.
Les facteurs organisationnels
Pour revenir aux variables de succès énumérées par Singhal et Rogers
(1999), mentionnons au passage que les facteurs organisationnels ne
sont certes pas étrangers au succès de l’émission Ramdam puisque nous
avons affaire à un télédiffuseur public investi d’un mandat social et fort
d’une expérience de 35 ans dans la conception d’émissions éducatives.
Le recours à la quatrième variable, soit la recherche sur l’auditoire, y
contribue certainement puisque celle-ci est fortement intégrée au
processus de production du programme. Enfin, les facteurs d’infrastructure dans le milieu évoqués par les auteurs seraient nécessaires
pour des programmes qui prônent des changements spécifiques sur le
plan des comportements liés à la santé mais sont moins cruciaux dans le
cas d’émissions poursuivant des objectifs sociaux plus généraux. Néanmoins, on pourrait envisager la possibilité de référer les jeunes à des
ressources spécialisées si par exemple, un épisode de la série traitait de
moyens constructifs pour exprimer sa colère, certains pouvant avoir
besoin d’aide spécifique sur ce plan.
Les considérations éthiques. Compte tenu de la puissance de l’approche
ludo-éducative pour influencer le public, Singhal et Rogers (1999)
insistent sur le devoir éthique qui doit accompagner ce privilège. Ils
suggèrent que les praticiens de l’approche ludo-éducative doivent tenir
compte d’au moins sept dilemmes éthiques importants qui sont énumérés au Tableau 2. Pour résoudre le dilemme éthique fondamental lié
au pouvoir d’influence que détiennent les médias, Singhal et Rogers
(1999) ainsi que Nariman (1993) évoquent la théorie du public actif
85
MEI « Médiation et information », nº 18, 2003
selon laquelle les gens exercent véritablement un niveau de contrôle
dans leur exposition à des messages de médias de masse et dans leur
traitement de ceux-ci, rendant ainsi invraisemblable le fait qu’un programme ludo-éducatif puisse être utilisé pour forcer subrepticement les
gens à faire quelque chose contre leur gré. Ils mentionnent également la
sophistication de l’auditoire qui sait reconnaître quand on cherche à les
influencer (et soit dit en passant, on suppose que ce dilemme est plus
aigu dans les sociétés ayant moins d’expérience avec les médias). Suivant ce raisonnement, une émission ludo-éducative ne pourrait provoquer un changement d’attitude ou de comportement que lorsqu’un
individu éprouve déjà les inquiétudes correspondantes et souhaite, à un
niveau conscient ou latent, y remédier. Le cas des jeunes publics doit
recevoir une attention spéciale mais les entrevues avec les enfants de 9 à
12 ans à l’écoute de Ramdam donnent raison aux auteurs car ils
semblent conscients des “ficelles” de l’émission, allant même jusqu’à
moduler leur écoute “juste pour le plaisir” en choisissant d’ignorer à
l’occasion le message éducatif.
Singhal et Rogers (1999) concluent leur discussion sur les questions
éthiques en insistant sur le nécessaire arrimage du programme avec la
société en tant que sauvegarde contre des abus possibles de pouvoir. La
stratégie ludo-éducative découle d’une croyance dans l’habileté des
structures de divertissement de masse, telles qu’elles existent présentement, à apporter des modèles utiles et cohérents au niveau des valeurs
pour vivre dans le monde d’aujourd’hui. Les meilleures séries ludo-éducatives se font l’écho de certains problèmes et des solutions qui leur
sont associées tels qu’ils existent dans une société donnée. Différentes
alternatives réalistes devraient être présentées au téléspectateur qui a
alors la possibilité de les adopter ou de les rejeter. Les responsables de
programmes ludo-éducatifs devraient produire une diversité de formules, représentant la multitude de gens, de coutumes, de perspectives
et de contextes de vie continuellement en évolution dans chaque société. Ceci dit, il est paradoxal que plusieurs articles dans le numéro thématique sur l’approche ludo-éducative dirigé par ces mêmes auteurs traduisent une nette volonté de persuasion qui s’appuie sur une vision du
public perçu comme influençable.
Perspectives de développement. Je concluerai cet article avec des réflexions
orientées vers l’avenir, tant sur le plan de la recherche que de la
production.
Un agenda pour la recherche. Le domaine du ludo-éducatif en général
semble relativement peu exploré sur le plan de la recherche. Selon
Singhal et Rogers (1999), plus d’études sont nécessaires sur l’approche
ludo-éducative afin de mieux comprendre comment, pourquoi, et
quand de tels programmes sont plus ou moins efficaces. De nombreuses questions restent sans réponse pour le moment. Quels sont les
mérites des divers canaux de diffusion ? À l’intérieur du genre narratif,
quels sont les mérites de diffuser des séries de différentes longueurs et à
différentes fréquences ? De quels types de supports les programmes
86
Se distraire à en mûrir : regards croisés
M. Frenette
ludo-éducatifs ont-ils besoin pour augmenter leur efficacité ? Est-ce que
la stratégie ludo-éducative est plus efficace pour certains enjeux éducationnels que pour d’autres ? Quels sont les effets du recours à ce genre,
sur les individus et sur la société, à court terme et à long terme ?
Nariman (1993) s’avance à formuler des hypothèses spécifiques que la
recherche pourrait mettre à l’épreuve. Certaines se rapportent au plan
perceptif : les spectateurs perçoivent-ils les éléments éducatifs dans les
fictions ludo-éducatives ? et les interprètent-ils correctement ? D’autres
hypothèses se situent au niveau des attitudes ou des connaissances : les
spectateurs d’une fiction ludo-éducative développeront-ils une attitude
plus favorable au comportement social proposé que les non-spectateurs ? et seront-ils davantage conscients des bénéfices du comportement préconisé ? Enfin, une série d’hypothèses a trait au plan comportemental, mais celles-ci concernent plutôt le domaine de la santé. Dans
le cas de Ramdam, on pourrait souhaiter par exemple une augmentation
du nombre d’inscriptions dans les clubs scientifiques ou sportifs
comme alternatives aux activités de consommation. Toutefois, c’est
peut-être davantage au niveau des micro-changements qu’on arriverait
éventuellement à déceler des tendances (i.e. offrir des excuses, faire
preuve de générosité…), mais il faudrait pour cela, développer des
instruments de mesure en conséquence.
Singhal et Rogers (1999) ne manquent pas de souligner les défis que
devra relever la recherche dans ce secteur. Tout d’abord, les débats
théoriques actuels ne prennent pas en considération la variabilité substantielle entre les interventions ludo-éducatives qui peuvent d’ailleurs
dépasser le strict cadre des médias de masse pour inclure l’artisanat,
l’art, les textiles, les murales, les jouets et toute autre expression créative. Il serait également judicieux d’approfondir l’exploration théorique
du plaisir qui est au cœur même du rationnel ludo-éducatif. Par exemple, les recherches employant la théorie narrative pourraient étudier
pourquoi le public perçoit certaines narrations comme plus cohérentes,
plus crédibles et plus engageantes que d’autres. Les auteurs suggèrent
également d’aller vers des explications théoriques culturelles, mises en
contexte et à niveaux multiples pour compléter les approches inspirées
des préceptes des sciences sociales qui prédominent actuellement. Une
trop grande concentration sur le changement du comportement individuel risque de prendre faussement pour acquis que tous les individus
sont capables de contrôler leur environnement, sont sur un même terrain et prennent des décisions de leur propre gré et librement.
Dans un autre ordre d’idées, Singhal et Rogers (1999) pensent qu’il
serait aussi souhaitable d’en arriver à une compréhension plus nuancée
des types de comportements désirés en distinguant l’individuel du collectif, le comportement unique du comportement récurrent, le privé du
public, le préventif du curatif, et enfin, le coûteux de l’économique.
Cette énumération suppose qu’on veut encourager un comportement
spécifique mais ce n’est pas toujours le but recherché, comme en
témoigne Ramdam. De plus, le questionnement théorique en ludo87
MEI « Médiation et information », nº 18, 2003
éducatif doit tenir compte du fait que ce genre de programmation n’est
qu’un des nombreux discours en compétition dans un environnement
complexe de messages multiples dans les pays à forte saturation médiatique. Finalement, les auteurs insistent sur la nécessité du pluralisme
méthodologique et suggèrent de combiner les techniques de sondage
avec les méthodes ethnographiques pour une évaluation plus fine des
programmes ludo-éducatifs. Force est d’admettre que le numéro thématique de Communication Theory sur l’approche ludo-éducative dirigé par
ces mêmes auteurs ne rencontre que très partiellement cet agenda de
recherche qui demeure un objectif idéal à viser.
Je rajouterai qu’afin d’avoir une idée plus précise des impacts véritables
d’une émission ludo-éducative comme Ramdam, il faudrait consentir un
investissement significatif du côté de l’évaluation. Pour aller au-delà de
l’appréciation, il y aurait lieu de sonder en profondeur la signification
personnelle de l’émission pour les jeunes et tenter de cerner comment
celle-ci s’insère dans la dynamique des variables qui participent au
façonnement de leur identité, de leurs valeurs et de leurs comportements. Idéalement, c’est en suivant différentes cohortes de jeunes et en
ayant des groupes de comparaison qu’on arriverait à saisir dans quelles
circonstances le programme peut contribuer à une synergie constructive
dans la vie des jeunes. L’insertion de thématiques précises dans le
scénario comme la conscience environnementale ou les relations interculturelles faciliterait le repérage d’attitudes ou de comportements en
résonance avec la série.
Le genre ludo-éducatif. Singhal et Rogers (1999) professent un grand optimisme quant au potentiel de l’approche ludo-éducative. Si celle-ci était
implantée de manière systématique, que la conception du message
s’appuyait sur une base théorique solide, sur la recherche formative et
d’autres éléments nécessaires, la stratégie ludo-éducative pourrait être
une influence puissante dans le changement des connaissances, des attitudes et des comportements du public sur des enjeux sociaux, disent-ils.
Dans les années à venir, ils suggèrent que la stratégie « centrée sur le
public » devrait prendre le pas sur la stratégie « centrée sur la production ». À
cet égard, on peut dire que la série Ramdam est exemplaire puisqu’on y
fait une large place aux préoccupations des jeunes et à leur culture.
Singhal et Rogers (1999) anticipent aussi l’intégration de canaux médiatiques de divertissement traditionnels et modernes pour disséminer les
messages éducationnels à plus grande échelle. Le recours à l’Internet
par les concepteurs de l’émission Ramdam dès son entrée en ondes
illustre le bien-fondé de cette prévision. Enfin, se situant dans une
perspective mondiale, les auteurs envisagent un élargissement des thématiques abordées dans les fictions ludo-éducatives, concentrées à date
dans le domaine de la santé. Le programme Ramdam dépasse justement
ce cadre étroit en situant ses objectifs sur le plan complexe des valeurs
sociales. Dans les années à venir, croient-ils, la portée de la stratégie
ludo-éducative englobera des sujets comme la conservation de
l’environnement, les droits de l’Homme, la tolérance ethnique et raciale
88
Se distraire à en mûrir : regards croisés
M. Frenette
et la paix dans le monde. Devant la prolifération des médias commerciaux et la multiplicité des problèmes sociaux, il est évident que tant les
concepteurs des programmes ludo-éducatifs que les chercheurs qui ont
leur succès à cœur, seront appelés à consentir un investissement soutenu et à faire preuve de créativité dans ce secteur dont on ne peut que
souhaiter l’épanouissement.
Tableau 1.
Variables liées au succès des émissions ludo-éducatives
1. Caractéristiques du public
–
–
–
–
–
Normes sociales
Degré d’interconnectivité
Valeurs et croyances
Degré d’exposition
Interprétation sélective
2. Facteurs organisationnels
–
–
–
–
Présence de champions
Disponibilité d’un capital de départ
Consensus et collaboration entre les partis intéressés
Qualité de l’expertise technique
3. Environnement médiatique
–
–
–
–
–
Degré de saturation médiatique
Crédibilité de la source
Accessibilité aux médias pour les publics cibles
Choix du mix médiatique
Influences politiques et économiques
4. Recherche sur les publics
–
–
–
–
–
–
–
Recherche formative et sommative
Triangulation dans la collecte de données et dans l’analyse
Évaluation des besoins du public
Participation du public dans la conception du message
Pré-tests des messages médiatiques
Mécanismes en cours pour incorporer la rétroaction du public
Collaboration entre chercheurs et producteurs
5. Facteurs spécifiques au programme
–
–
–
–
–
–
Langue de diffusion
Choix du format
Horaire du programme
Habileté des scénaristes, des acteurs, etc.
Base théorique du message
Degré de libéralisme
89
MEI « Médiation et information », nº 18, 2003
–
–
–
Répétition du message
Présence de célébrités
Qualité de l’épilogue
6. Facteurs d’infrastructure
–
Disponibilité des services de support
Source : Singhal, Arvind et Rogers Everett M., 1999. Entertainment-Education. A
Communication Strategy for Social Change. Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum, 254
pages.
Tableau 2.
Les dilemmes éthiques liés à l’approche ludo-éducative
1)
2)
3)
4)
5)
6)
Le dilemme du développement prosocial. Savoir s’il est éthique d’utiliser les
médias comme un outil de persuasion pour le changement pro-social
dépend de la nature du comportement promu, de qui décide si un comportement est prosocial et des effets que la promotion risque d’avoir sur
le public.
Le dilemme du contenu prosocial : “Étiqueter” un enjeu implique, de toute évidence, un jugement de valeurs de la part de la source du message, ce qui
peut diverger du jugement de valeur du récepteur.
Le dilemme centré sur la source. Qui devrait déterminer le contenu prosocial
pour autrui ? L’assurance que les médias seront utilisés à des fins prosociales n’est pas plus grande dans les pays où la responsabilité incombe aux
producteurs commerciaux plutôt qu’aux gouvernements nationaux.
Le dilemme de la segmentation du public : Qui dans le public devrait être identifié pour recevoir le contenu prosocial ? La segmentation du public fignole
les messages pour qu’ils correspondent aux besoins d’un groupe relativement homogène afin de maximiser les résultats. Par contre, une telle segmentation peut aliéner d’autres segments importants du public.
Le dilemme de persuasion oblique : Comment justifier l’emboîtement de
messages éducationnels dans le divertissement ? Les publics peuvent penser qu’on les divertit, tout en les éduquant subtilement à propos d’un
enjeu prosocial. Par contre, la majorité des publics réalisent le fait que les
messages sont à la fois éducationnels et divertissants.
Le dilemme d’équité socioculturelle : Comment s’assurer que les médias prosociaux soutiennent l’égalité socioéconomique entre les spectateurs ? Lorsqu’un message ludo-éducatif ne donne pas une égalité d’expression à
toutes les voix, il présente un dilemme éthique pour certains points de vue
pouvant avoir l’impression que leur vision des choses n’est pas représentée.
90
Se distraire à en mûrir : regards croisés
7)
M. Frenette
Le dilemme des conséquences indésirables : Comment s’assurer que toutes les
conséquences du programme sont positives ? Des conséquences indésirées, non voulues découlent parfois de la diffusion de messages
prosociaux.
Source : Singhal, Arvind et Rogers Everett M., 1999. Entertainment-Education. A
Communication Strategy for Social Change. Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum, 254
pages.
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Oxford University Press, 408 pages.
Singhal, Arvind et Rogers Everett M., 1999. Entertainment-Education. A
Communication Strategy for Social Change. Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum,
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91
MEI « Médiation et information », nº 18, 2003
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Annexe. – Descriptif de la série Ramdam
Détails techniques
Ramdam est une comédie dramatique qui s’adresse aux 9-12 ans, produite et
diffusée par le réseau Télé-Québec du lundi au jeudi à 18 h 30 et en rediffusion
les lendemains à 12 h 00. Chaque épisode dure trente minutes et présente des
histoires bouclées avec huit comédiens par épisode. La galerie complète des
personnages comprend une vingtaine de rôles. La saison 2002-2003 constitue
la troisième année de la série. À l’automne 2002, l’émission était cinquième au
palmarès des émissions régulières les plus regardées par les 7-11 ans. Ramdam
rejoint 25 000 préadolescents par émission : c’est 27,3 % de leur écoute
télévisuelle en semaine à 18 h 30. En d’autres termes, plus de 8 % de toute la
population francophone du Québec âgée de 9-12 ans regarde Ramdam. En
2002, Ramdam a remporté les Gémeaux (prix de la télévision québécoise) pour
la meilleure émission jeunesse et pour le meilleur texte. Au total, l’émission
attire plus de 160 000 téléspectateurs à chaque semaine et la moyenne avait
atteint 232 000 pendant la 2e année de diffusion.
Objectifs de la série
La série vise à fournir des modèles d’identification et de projection positifs aux
préadolescents et faire ainsi contrepoids aux valeurs de la société de consommation (puissance, compétition, violence, culte de l’apparence, séduction).
Ramdam véhicule plutôt des valeurs telles la persévérance, l’entraide, la
tolérance, le courage et l’estime de soi. On cherche également à valoriser le
sens critique des jeunes, stimuler leur capacité à poser des questions et à formuler leur propre opinion. En corollaire, la série se propose de refléter la
culture authentique des jeunes à travers des lieux d’appartenance, de valoriser
leur point de vue, de toucher également garçons et filles, et enfin, de refléter la
diversité culturelle du Québec.
92
Se distraire à en mûrir : regards croisés
M. Frenette
L’approche narrative
L’émission évolue autour d’une famille reconstituée, avec des enfants des deux
sexes, accueillant les amis des enfants, s’intéressant au sort des jeunes du quartier et ayant des liens serrés avec la parenté. Le concept de famille été adopté
pour sécuriser les jeunes et répondre à leur besoin de repères. Malgré un taux
de natalité de 1,6 dans la société québécoise, Télé-Québec a choisi de présenter
une famille nombreuse, car celle-ci fait rêver les enfants, à qui la fratrie manque. La famille reconstituée est un microcosme de ce que vit le préadolescent.
Elle fait appel à la nécessité de gestion pacifique des conflits lors de confrontations entre l’ancienne et la nouvelle famille et souligne la valeur de s’ouvrir à la
diversité. La fiction dramatique permet d’approfondir la richesse, la complexité
et les paradoxes de la préadolescence dans une optique chaleureuse. La série
mise beaucoup sur l’humour car cela permet aux jeunes de se détendre, d’être
émus, de voir des thèmes d’un œil attendri, de dédramatiser.
Les personnages
L’émission met en scène une galerie de personnages attachants. La famille
L’Espérance-Laporte réunit six enfants issus du premier mariage des parents,
Claude et Victoria. Ceux-ci font rêver les enfants car ils s’aiment d’amour et sont
épris de leur famille. L’ex-conjoint de la mère, Denis Carpentier, occupe aussi
une place importante dans l’émission. Les relations entre les adultes sont
empreintes de respect et de convivialité malgré les accrochages occasionnels.
Les jeunes sont des personnages miroirs car ils reflètent la psychologie des 12
ans, mais en même temps ce sont des personnages phare car ils ont une forte
personnalité et une bonne estime d’eux-mêmes : Sélina (Laporte-Carpentier),
12 ans – active, intelligente, performante en sciences, aidante ; Manolo (LaporteCarpentier), 11 ans – a un côté rebelle, réussit mal à l’école mais a un talent
artistique ; Simon (L’Espérance), 12 ans – sportif, cool et sensible, mais avec un
soupçon de vanité ; identifié à son relationnel avec les autres plutôt qu’à ses
activités ; Marianne (L’Espérance), 14 ans – a des idées fantaisistes et drôles ;
c’est la diva, la belle jeune fille dont tous les garçons rêvent ; Magali (L’Espérance), 17 ans – la figure de proue de la famille, un peu maternelle, fait des interventions critiques dans l’intérêt des autres ; Nathan (L’Espérance), 8 ans – le
bébé de la famille, mignon et attachant. Enfin, plusieurs ami(e)s gravitent
autour des enfants de la famille et incarnent différents types (le maladroit, le
timide, le grand frère, etc.).
Les thématiques
Les passions des personnages reflètent les intérêts des jeunes, soit la musique
(le ciment de la famille), le sport, l’aventure, les sciences, l’Internet et la mode.
Pour les nouvelles technologies, des références sont faites aux découvertes sur
Internet afin d’inciter des prises de position ou le déclenchement de discussions sur les valeurs, la société de consommation, l’actualité, le monde en
général. La mode est exploitée comme valeur de projection et d’expression de
soi. Les sciences sont abordées pour stimuler la curiosité pour le fonctionnement de l’univers et le goût des études.
Les situations de vie sont calquées sur l’univers psychologique des 12 ans et
reflètent leurs besoins affectifs et cognitifs et leur penchant pour l’action et
l’expérimentation. Ils visent à témoigner de l’ambivalence et l’incertitude
vécues par les préadolescents : la hantise de faire bébé et le besoin de régresser,
93
MEI « Médiation et information », nº 18, 2003
le besoin d’une famille sécurisante et la distanciation des parents au profit des
amis. Les thèmes permettent aussi d’illustrer la différence entre filles et
garçons : les filles plus soucieuses des relations interpersonnelles, plus performantes à l’école ; les garçons plus tournés vers l’action, le défi physique et
moins motivés par le rendement scolaire.
Les concepteurs de l’émission ont établi une collaboration active et soutenue
avec le jeune public par l’intermédiaire de recherchistes constamment en relation avec des élèves de cinquième et sixième années de manière à pouvoir
refléter la culture des jeunes (toujours très mouvante) telle qu’elle se vit au
présent et de rester en proximité affective avec le public cible.
Les aspects formels
La série expérimente une nouvelle approche narrative pour stimuler les jeunes
dans leur réflexion et les encourager à avoir un sens critique face à la télévision.
Les mises en abyme permettent d’illustrer visuellement l’imaginaire des trois principaux personnages (Sélina, Simon et Manolo) et interrompent momentanément la narration principale. Il en existe quelques sortes. Mentionnons la
réécriture, lorsqu’un personnage recrée un bout de la scène à sa satisfaction ; la
rumination, lorsqu’un personnage revoie une scène de plus en plus décalée et
déformée de la réalité ; le rêve éveillé, lorsque le traitement de l’image diffère
pour distinguer le rêve de la réalité ; la voix de la conscience, soit un double lilliputien qui apparaît dès que quelque chose tourmente un personnage. La technique de l’aparté permet au personnage de se distancier de l’action pendant un
bref moment pour la commenter, la questionner, la modifier, la critiquer ou
exprimer une émotion, en s’adressant directement au téléspectateur. L’ensemble de ces procédés permettent au téléspectateur de devenir complice du cheminement intérieur du protagoniste, à l’insu des autres personnages. Enfin, à
l’occasion, des scènes extérieures sont tournées par l’aînée Magali qui filme son
journal intime plutôt que de l’écrire. Ce sont de faux films amateurs au style
anarchique qui apportent un autre point de vue critique.
Le site Web
L’émission est complétée par un site Web (http://www.telequebec.tv/ramdam/
indexflash.asp) conçu comme un lieu d’appartenance qui cherche à faire contrepoids au « murmure marchand sur le Net ». Le site Web se divise en sept rubriques : « L’accueil », « L’aventure Ramdam », « Cette semaine », « Clavardage »,
« Photos et vidéo », « Nouveautés », « Plus d’infos ». Le site offre un courrier
qui permet aux jeunes de s’adresser aux personnages pour poser des questions,
conseiller ou désapprouver leurs faits et gestes. Les idées qui circulent ainsi
dans ce forum servent à valider et enrichir les thèmes. Le site vise également à
stimuler les jeunes à utiliser les nouvelles technologies et leur fait connaître les
différentes étapes de la production d’une émission. En février 2003, le site a
reçu au-delà de 20 000 visiteurs, qui y passaient en moyenne dix minutes par
session. Le nombre de celles-ci s’est élevé à plus de trente-cinq mille pendant
tout le mois, amenant le nombre de pages vues au-dessus de 850 000. Ces
chiffres de fréquentation sont en progression constante depuis l’inauguration
du site.
Source : Documents internes de Télé-Québec, Direction des programmes,
Montréal.
94

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