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Volume 101, produits chimiques industriels et produits de
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Volume 101 : Cancérogénicité de produits chimiques
industriels et produits de consommation, colorants et
additifs alimentaires, et sous­produits de chloration de
l’eau
En octobre 2009, le CIRC a achevé une recension de la littérature concernant plus de cent agents classés «
cancérogènes pour l’homme » (groupe 1). Ces évaluations seront publiées en six parties dans le volume 100
des Monographies du CIRC (Volumes 100A­F).
Le programme des Monographies du CIRC a repris son calendrier habituel en février 2011, et 18 chercheurs
venus de huit pays se sont réunis pour évaluer la cancérogénicité de 18 produits chimiques présents dans
des produits industriels, de consommation ou des produits alimentaires ­ tels que les constituants naturels,
contaminants ou arômatisants ­ ou sous­produits de chloration de l’eau (voir tableau). Certains de ces agents
sont discutés en détail ci­dessous. Ces évaluations seront publiées dans le volume 101 des Monographies du
CIRC1.
Agents évalués par le Groupe de Travail des Monographies du CIRC
2­nitrotoluène*
Utilisation, présence
Groupe Précurseurs de colorant
2A
1­amino­2,4­
dibromoanthraquinone
Précurseurs de colorant Anthraquinone
2B
2B
Cumène
Industrie chimique
2B
Di(2­
éthylhexyl)phtalate*
Présent dans les produits de consommation (plastifiant),
2B
contaminant alimentaire
Diéthanolamine*
Présent dans les produits de consommation, additif dans
2B
les fluides de coupe
Condensé de
diéthanolamine de
coprah
Présent dans les produits de consommation
Benzophénone
2,4­hexadiénal
Méthyleugénol
2B
Industries chimiques, arômes alimentaires, présence
2B
naturelle dans les aliments, présents dans les produits de 2B
2B
Méthylisobutylcétone
consommation
2B
2B
2B
1,3­dichloro­2­
propanol
3­monochloro­1,2­
propanediol
Contaminants de transformation des aliments
2­méthylimidazole Industrie chimique
2B
4­méthylimidazole
Contaminant alimentaire, industrie chimique
2B
Acide
bromochloracétique
Sous­produit de désinfection de l'eau
Acide di­bromacétique
Di­bromacétonitrile*
2B
2B
2B
*Précédemment évalué comme "inclassable quant à sa cancérogénicité pour l'homme"
(groupe 3) Pour la plupart des substances étudiées, plusieurs sources d’exposition existent, y compris des mélanges
complexes présents en milieu professionnel, dans la nourriture, l’eau de boisson, les produits de
consommation et l’environnement. Par exemple, le diéthanolamine est l’un des principaux constituants des
fluides d’usinage en industrie métallurgique auxquels la plupart des travailleurs sont exposés, et l’acide
bromochloracétique, l’acide di­bromochloracétique et le di­bromacétanitrile sont trois des nombreux sous­
produits de chloration présents dans l’eau de boisson et dans les piscines. C’est la raison pour laquelle il n’y a
pas ou très peu d’études épidémiologiques évaluant l’exposition à un agent particulier.
En raison des informations limitées issues des études épidémiologiques concernant ces agents spécifiquement,
nos analyses se sont plus particulièrement appuyées sur des études biologiques de cancérogenèse. La
pertinence chez l’homme des tumeurs rapportées dans ces études a été discutée par rapport aux
mécanismes de cancérogenèse – par exemple la génotoxicité ou d’autres effets tels que la prolifération des
peroxysomes, l’activation du récepteur PPARalpha, la néphropathie à alpha2u­globuline et le métabolisme via
les enzymes CYP2F. Pour quelques­uns de ces composés, des types tumoraux similaires, avec des incidences
spontanées faibles, ont été observés. Pour l’ensemble des 18 agents, le groupe de travail a conclu qu’il
existait des « indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire », menant à une
évaluation globale – en l’absence d’informations suffisantes issues d’études épidémiologiques – de « peut­être
cancérogène pour l’homme » (groupe 2B). La seule exception est le 2­nitrotoluène (groupe 2A).
Il y a exposition professionnelle au 2­nitrotoluène pendant la production de colorants, de produits chimiques
pour le traitement du caoutchouc, d’engrais chimiques et d’explosifs. Dans une étude alimentaire suivant les
Bonnes Pratiques de Laboratoires (BPL), le 2­nitrotoluène entraîne une incidence élevée et inhabituelle de
tumeurs chez les rats qui présentent des fibrosarcomes de la peau, des mésothéliomes malins, des
fibroadénomes de la glande mammaire (également constatés chez les rats males) et des
cholangiocarcinomes. Même de courtes expositions de 13 à 26 semaines entraînent des cancers chez les rats.
Chez les souris, des incidences élevées et inhabituelles de carcinomes du cæcum et d’hémangiosarcomes sont
observées2. Chez les rongeurs, le métabolisme du 2­nitrotoluène entraîne la formation de composés
électrophiles réactifs vis­à­vis de l’ADN qui forment des adduits à l'ADN dans le foie 3. Un mécanisme semblable
existe probablement chez l’homme. En effet, des travailleurs exposés à un mélange de nitrotoluène dont le 2­
nitrotoluène, ont présenté une activité mutagène des urines et une augmentation du taux d’aberrations
chromosomiques des lymphocytes sanguins. Des concentrations d’adduits de la 2­méthylaniline hémoglobine
(spécifique de l’exposition au 2­nitrotoluène) ont également été retrouvées chez les travailleurs exposés4.
Chez le rat, ce marqueur biologique est lié aux adduits à l’ADN dans le foie 3. De plus, des mutations ont été
identifiées sur les gènes Catnb, p53 et K­Ras dans les tumeurs du caecum chez les souris, qui sont des
caractéristiques communes des cancers du côlon chez l’homme5. Sur la base de ces considérations
mécanistiques, de la grande précocité et de l’incidence élevée de tumeurs rapportées, le 2­nitrotoluène a été
classé dans le groupe 2A : « probablement cancérogène pour l’homme ».
La population générale est exposée au 4­méthylimidazole par le biais des caramels colorants (classe III et IV),
fréquemment utilisés, notamment dans les boissons. Le 4­méthylimidazole a été testé pour son effet
cancérogène chez les souris et les rats dans une étude alimentaire suivant les BPL, et a entraîné une
augmentation de l’incidence des carcinomes broncho­alvéolaires chez les souris males et femelles, ainsi que
des leucémies mononucléaires chez les rats femelles6. Les mécanismes de cancérogénicité n’ont pas été
élucidés.
Le Di(2­éthylhexyl)phtalate (DEHP) est très utilisé comme plastifiant. L’exposition de la population générale se
fait par la libération du DEHP contenu dans les matériels médicaux comme les poches à perfusion sanguine,
les tubulures médicales ainsi que par la contamination des aliments emballés dans des matériels contenant du
DEHP. La cancérogénicité du DEHP par exposition orale (alimentaire) a été testée chez les souris et les rats ;
les adénomes et carcinomes hépatocellulaires étaient augmentés de façon constante dans les deux espèces.
Des études complémentaires ont montré une augmentation d’adénomes des cellules acino­pancréatiques
chez les rats mâles7, et une augmentation de l’incidence des tumeurs des cellules de Leydig chez les rats8.
Précédemment, le Groupe de Travail avait évalué le DEHP comme « inclassable quant à sa cancérogénicité
pour l’homme (Groupe 3). Le Groupe de Travail précédent avait établi que le DEHP avait entraîné des
tumeurs du foie chez les rats et souris selon un mécanisme non génotoxique impliquant la prolifération des
peroxysomes, mécanisme considéré comme non transposable à l’homme9. Depuis, des données
mécanistiques complémentaires sont disponibles, incluant des études avec du DEHP chez la souris possédant
un gène PPARalpha (récepteurs alpha activés par la prolifération des peroxysomes) inactivé10, des études
chez différentes lignées de souris transgéniques porteuses du gène PPARalpha humain ou du gène PPARalpha
constitutivement activé, présent dans les hépatocytes11­12, ainsi qu’une étude chez l’homme exposé au
DEHP de l’environnement13. Il est évident que l’activation des récepteurs PPARalpha et les événements qui
en découlent constituent des mécanismes importants de cancérogenèse induite par le DEHP chez les rats et
les souris. Les données de ces nouvelles études suggèrent néanmoins que de nombreux signaux moléculaires
et voies de signalisation dans différents types de cellules du foie, plutôt qu’un seul événement moléculaire,
contribuent au développement du cancer chez les rongeurs. Ainsi, le Groupe de Travail a conclu que la
pertinence chez l‘homme des événements moléculaires entraînant un cancer induit par le DEHP dans
différents tissus cibles (comme le foie et les testicules) chez les rats ou les souris, ne peut pas être exclue, et il
en résulte une évaluation du DEHP en groupe 2B, au lieu du groupe 3.
Pour les agents ayant « des indications suffisantes de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire » et des
données épidémiologiques inexistantes ou limitées, l’examen rigoureux des mécanismes moléculaires est
nécessaire pour informer la classification des risques de cancers. Des études approfondies des modifications
moléculaires induites dans des modèles animaux pertinents et des échantillons de tissus humains, ont été
déterminantes pour les évaluations globales effectuées lors de cette réunion du Groupe de Travail.
Références :
1. IARC. IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, vol 101. Some Chemicals in
Industrial and Consumer Products, some Food Contaminants and Flavourings, and Water Chlorination By
products. Lyon: International Agency for Research on Cancer (in press).
2. National Toxicology Program. Toxicology and carcinogenesis studies of o­nitrotoluene (CAS 88–72–2) in
F344/N rats and B6C3F(1) mice (feed studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 2002; 504: 1–357.
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Carcinogenesis 2003; 24: 779–87.
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36–6) in F344/N rats and B6C3F1 mice (feed studies). Natl Toxicol Program Tech Rep Ser 2007; 535: 1–
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13. Hauser R, Meeker JD, Singh NP, et al. DNA damage in human sperm is related to urinary levels of
phthalate monoester and oxidative metabolites. Hum Reprod 2007; 22: 688–95.
Yann Grosse, Robert Baan, Béatrice Secretan­Lauby, Fatiha El Ghissassi, Véronique Bouvard, Lamia
Benbrahim­Tallaa, Neela Guha, Farhad Islami, Laurent Galichet, Kurt Straif, pour le Groupe de travail des Monographies du Centre international de Recherche sur le Cancer/OMS
Centre international de Recherche sur le Cancer, Lyon, France
Nous déclarons ne pas avoir de conflit d’intérêt.
Pour plus d’informations sur les monographies du CIRC, voir le site internet.
Retrouvez l'article publié en anglais dans la revue The Lancet Oncology : Carcinogenicity of chemicals in
industrial and consumer products, food contaminants and fl avourings, and water chlorination byproducts;
Volume 12, Avril 2011
Traduit de l'anglais par l'Unité Cancer Environnement, Centre Léon Bérard, Lyon. Relecture : Nicolas Gaudin (section Communication du CIRC) et Yann Grosse (section Monographies du
CIRC).
Lien vers le Volume 101 (2012) Some Chemicals Present in Industrial and Consumer Products,
Food and Drinking­water, disponible en anglais sur le site internet des Monographies du CIRC ici.
21 déc. 2016
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