Objet d`étude : Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à

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Objet d`étude : Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à
Objet d’étude : Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours
I- Etude du recueil Les yeux d’Elsa de Louis Aragon, 1942
(Seghers, Poésie d’abord)
Problématique
En quoi l’amour de la femme et l’amour de la France se trouvent-ils articulés dans ce recueil ?
Poèmes lus en lecture analytique
1°) « Les yeux d’Elsa » pp. 31-32
2°) « La nuit de Dunkerque », pp. 37-38 in Les nuits
3°) « Richard Cœur de Lion », pp. 67-68 in Les plaintes
4°) « Cantique à Elsa, 1. Ouverture », pp. 89-90 in Cantique à Elsa
Approches d’ensemble

Structures du recueil

Figures féminines du recueil

Fonctions du poète

Poésie et résistance

Art poétique
Activité proposée à la classe

Dans le cadre de la lecture cursive du recueil, prise en charge par chaque élève d’un poème :
préparation de la lecture à haute voix, choix d’un vers marquant et justification du choix.
Poème attribué :
Page 1
II- Femmes de poètes à travers les siècles
Problématique
En quoi la femme apparaît-elle à la fois comme un objet de désir et comme une femme
médiatrice?
Groupement de textes et documents abordés en lecture cursive (ne peuvent relever que de
questions d’entretien)
1°) Pierre de Ronsard, « Amours de Marie » (orthographe modernisée), Continuation des Amours,
1555
2°) Jan Vermeer, La Jeune Fille à la Perle, 1665
3°) Charles Baudelaire, « A une passante », Les Fleurs du Mal, 1857
4°) Paul Eluard, Le Phénix, 1951
5°) Salah Stétié, Fragments : Poème, 1978
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Lecture analytique n°1 : Aragon, « Les yeux d’Elsa » pp. 31-32
Les Yeux d'Elsa
1
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
5
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
10
15
20
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
25
30
35
L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
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40
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
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Lecture analytique n°2 : Aragon, « La nuit de Dunkerque », pp. 37-38 in Les nuits
La nuit de Dunkerque
1
La France sous nos pieds comme une étoffe usée
S'est petit à petit à nos pas refusée
Dans la mer où les morts se mêlent aux varechs
Les bateaux renversés font des bonnets d'évêque
5
Bivouac à cent mille au bord du ciel et l'eau
Prolonge dans le ciel la plage de Malo
Il monte dans le soir où des chevaux pourrissent
Comme un piétinement de bêtes migratrices
10
Le passage à niveau lève ses bras rayés
Nous retrouvons en nous nos cœurs dépareillés
Cent mille amours battant au cœur des Jean-sans-terre
Vont-ils à tout jamais cent mille fois se taire
O saints Sébastien que la vie a criblés
Que vous me ressemblez que vous me ressemblez
15
Sûr que seuls m'entendront ceux qui la faiblesse eurent
De toujours à leur cœur préférer sa blessure
Moi du moins je crierai cet amour que je dis
Dans la nuit on voit mieux les fleurs de l'incendie
20
Je crierai je crierai dans la ville qui brûle
A faire chavirer des toits les somnambules
Je crierai mon amour comme le matin tôt
Le rémouleur passant chantant Couteaux Couteaux
Je crierai je crierai Mes yeux que j'aime où êtesVous Où es-tu mon alouette ma mouette
25
Je crierai je crierai plus fort que les obus
Que ceux qui sont blessés et que ceux qui ont bu
Je crierai je crierai Ta lèvre est le verre où
J'ai bu le long amour ainsi que du vin rouge
30
Le lierre de tes bras à ce monde me lie
Je ne peux pas mourir Celui qui meurt oublie
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Je me souviens des yeux de ceux qui s'embarquèrent
Qui pourrait oublier son amour à Dunkerque
Je ne peux pas dormir à cause des fusées
Qui pourrait oublier l'alcool qui l'a grisé
35
Les soldats ont creusé des trous grandeur nature
Et semblent essayer l'ombre des sépultures
Visages de cailloux Postures de déments
Leur sommeil a toujours l'air d'un pressentiment
40
Les parfums du printemps le sable les ignore
Voici mourir le Mai dans les dunes du Nord
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Lecture analytique n°3 : Aragon, « Richard Cœur de Lion », pp. 67-68 in Les plaintes
Richard Cœur de Lion
1
Si l'univers ressemble à la caserne
À Tours en France où nous sommes reclus
Si l'étranger sillonne nos luzernes
Si le jour aujourd'hui n'en finit plus
5
Faut-il garder le compte de chaque heure
Haïr moi qui n'avais jamais haï
On n'est plus chez soi même dans son cœur
Ô mon pays est-ce bien mon pays
10
15
20
Je ne dois pas regarder l'hirondelle
Qui parle au ciel un langage interdit
Ni s'en aller le nuage infidèle
Ce vieux passeur des rêves de jadis
Je ne dois pas dire ce que je pense
Ni murmurer cet air que j'aime tant
Il faut redouter même le silence
Et le soleil comme le mauvais temps
Ils sont la force et nous sommes le nombre
Vous qui souffrez nous nous reconnaissons
On aura beau rendre la nuit plus sombre
Un prisonnier peut faire une chanson
Une chanson pure comme l'eau fraîche
Blanche à la façon du pain d'autrefois
Sachant monter au-dessus de la crèche
Si bien si haut que les bergers la voient
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30
Tous les bergers les marins et les mages
Les charretiers les savants les bouchers
Les jongleurs de mots les faiseurs d'images
Et le troupeau des femmes aux marchés
Les gens du négoce et ceux du trafic
Ceux qui font l'acier ceux qui font le drap
Les grimpeurs de poteaux télégraphiques
Et les mineurs noirs chacun l'entendra
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35
Tous les Français ressemblent à Blondel1
Quel que soit le nom dont nous l'appelions
La liberté comme un bruissement d'ailes
Répond au chant de Richard Cœur de Lion
1
Trouvère picard de la fin du XIIe siècle. Selon la légende, il aurait été un fidèle de Richard Cœur de Lion, et serait parti à sa
recherche quand celui-ci fut retenu captif en Autriche à la fin de la troisième croisade. Il l’aurait retrouvé en se faisant
connaître grâce à une chanson.
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Lecture analytique n°4 : Aragon, « Cantique à Elsa, 1. Ouverture », pp. 89-90 in Cantique à Elsa
Cantique à Elsa
1. Ouverture
1
5
Je te touche et je vois ton corps et tu respires
Ce ne sont plus les jours du vivre séparés
C'est toi tu vas tu viens et je suis ton empire
Pour le meilleur et pour le pire
Et jamais tu ne fus aussi lointaine à mon gré
10
Ensemble nous trouvons au pays des merveilles
Le plaisir sérieux couleur de l'absolu
Mais lorsque je reviens à nous que je m'éveille
Si je soupire à ton oreille
Comme des mots d'adieu tu ne les entends plus.
15
Elle dort Longuement je l'écoute se taire
C'est elle dans mes bras présente et cependant
Plus absente d'y être et moi plus solitaire
D'être plus près de son mystère
Comme un joueur qui lit aux dés le point perdant.
20
Le jour qui semblera l'arracher à l'absence
Me la rend plus touchante et plus belle que lui
De l'ombre elle a gardé les parfums et l'essence
Elle est comme un songe des sens
Le jour qui la ramène est encore une nuit
25
Buissons quotidiens à quoi nous nous griffâmes
La vie aura passé comme un air entêtant
Jamais rassasié de ces yeux qui m'affament
Mon ciel mon désespoir ma femme
Treize ans j'aurais guetté ton silence chantant
30
Comme le coquillage enregistre la mer
Grisant mon cœur treize ans treize hivers treize étés
J'aurais tremblé treize ans sur le seuil des chimères
Treize ans d'une peur douce-amère
Et treize ans conjuré des périls inventés
35
O mon enfant le temps n'est pas à notre taille
Que sont mille et une nuit pour des amants
Treize ans c'est comme un jour et c'est un feu de paille
Qui brûle à nos pieds maille à maille
Le magique tapis de notre isolement
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GT Femmes de poètes : Pierre de Ronsard, « Amours de Marie » (orthographe modernisée),
Continuation des Amours, 1555
En 1555, Ronsard exprime dans la Continuation des Amours les sentiments que lui inspire Marie, une
jeune paysanne angevine. Mais cette poésie, si spontanée soit-elle, n’exclut pas les références
philosophiques et mythologiques.
1
Marie, qui voudrait votre beau nom tourner,
Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie,
Faites cela vers2 moi dont votre nom vous prie,
Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner :
5
S’il vous plaît pour jamais un plaisir demener3,
Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie,
Pendus l’un l’autre au col4, et jamais nulle envie
D’aimer en autre lieu ne nous pourra mener.
10
Si faut il5 bien aimer au monde quelque chose :
Celui qui n’aime point, celui-là se propose
Une vie d’un Scythe6, et ses jours veut passer
Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure.
E7, qu’est-il rien de doux sans Vénus8 ? Las9 ! à l’heure
Que je n’aimerai point puissé-je trépasser !
2
pour
conserver
cou
5
et il faut
6
Synonyme de barbare
7
eh
8
Déesse de l’amour dans la mythologie grecque
9
hélas
3
4
Page 10
GT Femmes de poètes : Jan Vermeer, La Jeune Fille à la Perle, 1665
Page 11
GT Femmes de poètes : Charles Baudelaire, « A une passante », Les Fleurs du Mal, 1857
Dans les « Tableaux parisiens », le poète s’intéresse à l’univers urbain. La rue lui offre la possibilité de
rencontres lui permettant d’appréhender l’humaine condition.
XCIII. A une passante10
1
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
5
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
10
Un éclair... puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
10
Publié dans L’Artiste le 15 octobre 1860.
Page 12
GT Femmes de poètes : Paul Eluard, Le Phénix, 1951
Les figures féminines sont omniprésentes dans une grande partie de l’œuvre d’Eluard, évoquant les
compagnes qui se sont succédé dans sa vie. En 1946, la mort de Nusch, qu’il avait épousée en 1934, le
laisse désespéré, mais il retrouve une certaine sérénité avec la rencontre de Dominique en en 1949.
C’est cette résurrection qu’il évoque dans un recueil au titre évocateur, Le Phénix (1951).
Je t’aime
1
5
10
15
20
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi moi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
Page 13
GT Femmes de poètes : Salah Stétié, Fragments : Poème, 1978
Chez Salah Stétié, l’expérience amoureuse ouvre les amants au sentiment fulgurant de l’être : une
double fulguration du haut et du bas...
XXV
1
Le rouge de la femme rouge
Traverse l’arbre et porte l’éclat du sein
Dans la vision d’avant mourir, le lac
Pris et repris dans le corps de l’autre corps
5
De quel ici venu ce rouge ? Les dents
Brillant ; le froid du vieil été
Sur la montagne absente de son monde
Plusieurs corbeaux d’enfance encore étant
10
Le sein et l’autre inverse sein dominent
L’amour extrême jusqu’en la jambe criant
-D’aucune enfance. Sombre fille
Vérifiant l’été, la mort étant
Page 14