bouleverse le sport

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bouleverse le sport
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France Sarko et Ségo vus d’Allemagne
PAKISTAN Entre talibans et Al-Qaida
CHINE “La Vie des autres” cartonne
ÉCONOMIE Washington bafoue l’OMC
www.courrierinternational.com
N° 858 du 12 au 18 avril 2007 - 3
€
Climat
COMMENT LE RÉCHAUFFEMENT
BOULEVERSE LE SPORT
M 03183 - 858 - F: 3,00 E
3:HIKNLI=XUXUU[:?a@i@p@i@k;
AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €
AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN
DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £
GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥
LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 €
SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU
Publicite
20/03/07
16:05
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PUBLICITÉ
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s o m m a i re
e n
●
c o u v e r t u r e
L’HIVER 2007 AURA ÉTÉ PARTICULIÈREMENT
DOUX. PLUSIEURS COMPÉTITIONS DE SKI ONT
ÉTÉ PERTURBÉES PAR LE MANQUE DE NEIGE.
EN AUSTRALIE, LA SÉCHERESSE EMPÊCHE
LES AMATEURS DE CRICKET OU DE PÊCHE DE
PRATIQUER LEUR DISCIPLINE PRÉFÉRÉE. PARTOUT,
LES DÉRÈGLEMENTS DU CLIMAT CONTRAIGNENT
LE MONDE DU SPORT À S’ADAPTER. pp. I à XII
Ian Kenins
En Australie. Nulle part où s’entraîner, car le lac Wendouree, où eurent lieu les courses
nautiques des Jeux olympiques de 1956, est asséché depuis le printemps 2006.
36 ■ a f r i q u e Z I M B A B W E To r t u r e s , v i o l s e t
emprisonnement pour les opposants S I E R R A L E O N E Les
forçats du diamant sont éternels AFRIQUE DU SUD Transformer
les collégiens en policiers
E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S
10 ■ dossier Enquête sur le Talibanistan Les
Zones tribales pakistanaises grouillent de djihadistes :
des talibans pachtounes qui veulent arracher
l’autonomie au pouvoir pakistanais et des combattants
ouzbeks, tchétchènes et arabes d’Al-Qaida qui se
préparent à des actions terroristes.
Les frères jumeaux Bill et Tom (17 ans), Gustav
(18 ans) et Georg (19 ans) sont actuellement les plus
grandes stars du show-biz allemand. Leur groupe de
rock,Tokio Hotel, a déjà vendu plus d’un million et
demi de disques sur le marché national.
4 ■ les sources de cette semaine
6 ■ l’éditorial Regardons-nous avec les yeux
des autres, par Philippe Thureau-Dangin
6 ■ l’invité Daniele Mastrogiacomo,
le livre La Mesure du temps, de Helon Habila
42 ■ reportage Comment peut-on être
nord-coréen ? Shin Eun-hee est une enseignante
canadienne d’origine coréenne. Depuis quatre ans,
elle se rend régulièrement à Pyongyang et y donne
des cours. Pour elle, les jeunes Nord-Coréens ne sont
pas si différents des jeunes Américains ; ils sont
seulement moins individualistes.
épices et saveurs Asie centrale :
44 ■ enquête Au secours de la forêt
La Repubblica, Rome
■
■
■
■
33 ■ moyen-orient IRAN Qui gouverne vraiment
à Téhéran ? R E V U E D E P R E S S E La “bonne nouvelle”
d’Ahmadinejad É G Y P T E La démocratie n’intéresse plus
personne MINORITÉS La grave erreur du patriarche Chenouda
40 ■ portrait Quatre garçons dans le ventilo
RUBRIQUES
9
9
51
51
nationalisme C H I N E La Vie des autres, si loin, si proche
PHILIPPINES Pour museler la presse, le couple Arroyo attaque
au portefeuille JAPON Revue et corrigée, l’Histoire est bien
plus belle ■ Le mot de la semaine jiketu, le suicide
à l’affiche
ils et elles ont dit
le soumalak, ce délice printanier
Enquête sur le “Talibanistan”
52 ■ voyage Splendeurs d’un bled roumain
54 ■ insolites L’organe du haïdouk
p. 10
malgache La Grande Ile a déjà vu disparaître plus
des trois quarts de sa couverture boisée, riche en
espèces rares aux propriétés médicinales prometteuses.
Autorités, ONG et scientifiques locaux commencent
à se mobiliser pour freiner cette destruction.
D’UN CONTINENT À L’AUTRE
INTELLIGENCES
14 ■ france É LY S É E 2007 Plus fort La Marseillaise !
46 ■ économie
C O M M E R C E Les règles de l’OMC
bafouées par Washington MATIÈRES PREMIÈRES Prospection…
dans les caves d’un musée ■ La vie en boîte Google
roule pour ses salariés
Aubade, la dernière leçon I D E N T I T É N AT I O N A L E Un
bon conseil de voyage : n’oubliez pas votre drapeau !
C O M M E N TA I R E La République fraudeuse F R A N C O P H O N I E Est-il
encore utile de parler français ? IMMIGRATION Sarkozy divise
les Algériens
R E P O RTA G E
19 ■ europe U K R A I N E Tenez bon, Monsieur le
Président, vous êtes sur la bonne voie POLOGNE - RUSSIE Deux
fois victimes d’Auschwitz ROYAUME - UNI A quoi servent les
troupes britanniques en Irak ? ESPAGNE ETA privée de son
“bulletin interne” U N I O N E U R O P É E N N E Le Limbourg, “jardin
expérimental de l’Europe” G R È C E Les 300 rebelles sans
bonne cause R U S S I E Le business de la manche en plein
essor ROUMANIE Plutôt mendiant et libre qu’ouvrier !
25 ■ amériques BRÉSIL Le pape attendu de pied
ferme MEXIQUE Croisade catholique contre l’IVG COSTA RICA
Une université où l’on apprend à faire la paix JAMAÏQUE La
politique à coups de batte de cricket É TAT S - U N I S Les
démocrates remplissent leurs caisses pour 2008 ÉTATS U N I S Que faire des enfants de sans-papiers ? J U S T I C E La
Cour suprême refuse de se prononcer sur Guantanamo
29 ■ asie
B A N G L A D E S H Le fardeau de l’héritage
pakistanais THAÏLANDE Attention à ne pas mêler religion et
Sur RFI Retrouvez CI tous les jeudis dans l’émission Les Visiteurs du
jour, animée par Hervé Guillemot. Cette semaine, le succès du film
allemand La Vie des autres en Chine populaire, avec Agnès Gaudu. Cette
émission sera diffusée en direct sur 89 FM le mercredi 11 avril à 11 h 15,
puis disponible sur le site <www.rfi.fr>.
48 ■ multimédia
PRESSE
The Independent, un
malade qui se porte bien
49 ■ sciences VIROLOGIE Des pièges pour stopper
les infections
Des piles au jus d’orange
p. 50
50 ■ technologie
ÉNERGIE
Rechargez votre
portable avec du jus d’orange
LA SEMAINE PROCHAINE
présidentielle La
presse étrangère
s’interroge à la veille du premier tour
industrie Les secrets de Toyota
culture Faire du rap à Kaboul
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
3
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
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l e s s o u rc e s
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PA R M I L E S S O U R C E S C E T T E S E M A I N E
ABC 267 000 ex., Espagne, quotidien.
Journal monarchiste et conservateur
depuis sa création en 1903, ABC a un
aspect un peu désuet unique en son
genre : une centaine de pages agrafées, avec une grande photo à la une.
L’ACTUALITÉ 200 000 ex., Canada,
bimensuel. “Le plus grand magazine d’information francophone hors
de France”, libéral et international,
toujours original, est lu par un
Canadien francophone sur cinq.
AL-ARABI 30 000 ex., Egypte, hebdomadaire. Crée en 2004, le titre est
l’hebdomadaire officiel du parti nassérien, dit le Parti arabe démocratique nassérien. Le ton est quelque
peu militant et antiaméricain. Ce
média incarne les valeurs d’une
gauche nostalgique de l’époque
du président Gamal Abdel Nasser.
HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en
hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le Pays” est le
journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens.
ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éd. du
matin) et 4 400 000 ex. (éd. du soir),
Japon, quotidien. Fondé en 1879,
chantre du pacifisme nippon depuis
la Seconde Guerre mondiale, le
“Journal du Soleil-Levant” est une
institution.Trois mille journalistes,
répartis dans trois cents bureaux
nationaux et trente à l’étranger,
veillent à la récolte de l’information.
ASIA SENTINEL <http://www.asiasentinel.com>, Chine. Créé en 2006,
ce site publie des analyses et des
éclairages rédigés par des spécialistes de l’Asie. On y retrouve des
signatures issues de grands titres de
la presse hongkongaise anglophone
disparus ces dernières années.
BANGKOK POST 55 000 ex., Thaïlande,
quotidien. Fondé en 1946,
ce journal indépendant, en
anglais, réalisé par une équipe
internationale, s’adresse à l’élite
urbaine et aux expatriés.
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR
70 000 ex., Etats-Unis, quotidien.
Publié à Boston mais lu “from coast
to coast”, cet élégant tabloïd est
réputé pour sa couverture des
affaires internationales et le sérieux
de ses informations nationales.
D (LA REPUBBLICA DELLE DONNE)
540 400 ex., Italie, hebdomadaire.
Le titre paraît en 1996 comme supplément hebdomadaire de La Repubblica. Son graphisme épuré à l’extrême, son papier soyeux mille fois imité
depuis et la grande place faite à l’actualité et aux reportages en font le
féminin le plus lu par les hommes.
DAWN 138 000 ex., Pakistan, quotidien. Dawn a été créé en 1947 lors
de l’indépendance du Pakistan par
Muhammad Ali Jinnah, père de la
nation et premier président. Un
des premiers journaux pakistanais
de langue anglaise, il jouit d’un
lectorat d’environ 800 000 personnes. Il appartient au groupe
Pakistan Herald Publications,
fondé également par M. A. Jinnah.
ELEFTHEROTYPIA 80 000 ex., Grèce,
quotidien. Créé juste après la
chute de la dictature militaire
en 1974, avec pour devise “Le
journal des journalistes”, “Liberté
de la presse” a toujours été marqué au centre gauche. Il appartient au groupe Tegopoulos SA.
O ESTADO DE SÃO PAULO 350 000 ex.,
Brésil, quotidien. Fondé en 1891,
le plus traditionnel des quatre
grands quotidiens brésiliens
appartient à O Estado, l’un des
plus importants groupes de presse
du pays. Plutôt conservateur et
austère, il publie depuis 1997 une
sélection hebdomadaire d’articles
du Wall Street Journal.
FERGANA.RU
<http://www.fergana.ru>, Russie.
Cette agence d’information en
ligne, créée en 1998, est l’une des
plus riches sources d’information
russophones sur l’Asie centrale
post-soviétique. Très populaire
dans toute la CEI, elle possède
un réseau de correspondants dans
grandes villes centrasiatiques.
FINANCIAL TIMES 432 500 ex., RoyaumeUni, quotidien. Le journal
de référence, couleur saumon,
de la City et du reste du monde.
Une couverture exhaustive de la
politique internationale, de l’économie et du management.
FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG
377 000 ex., Allemagne, quotidien. Fondée en 1949 et menée
par une équipe de 5 directeurs,
la FAZ, grand quotidien conservateur et libéral, est un outil de référence dans les milieux d’affaires
et intellectuels allemands.
THE FRIDAY TIMES 60 000 ex., Pakistan,
hebdomadaire. Se définissant
comme “audacieux, indépendant
et sérieux”, le magazine dirigé par
Najam Sethi, journaliste de
renom, a souvent subi des pressions de la part des autorités
pakistanaises. Malgré ces difficultés, il continue à mener son combat pour la liberté d’expression.
GRIST <http://www.gristmagazine.com>,
Etats-Unis. Fier de refuser toute
publicité, ce site suit l’actualité de
l’environnement aux Etats-Unis.
Il se veut impertinent et humoristique, mais propose aussi des articles de fond sérieux et informatifs.
THE GUARDIAN 375 200 ex., RoyaumeUni, quotidien. Depuis le 12 septembre 2005, il est le seul quotidien
national britannique imprimé au
format berlinois (celui du Monde) et
tout en couleur. L’indépendance, la
qualité et l’engagement à gauche
caractérisent depuis 1821 ce titre,
qui abrite certains des chroniqueurs
les plus respectés du pays.
THE INDEPENDENT 252 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986,
ce journal s’est fait une belle place
dans le paysage médiatique. Rache-
Offre spéciale
d’abonnement
Bulletin à retourner
sans affranchir à :
té en 1998 par le patron de presse
irlandais Tony O’Reilly, il reste indépendant et se démarque par son
engagement proeuropéen, ses positions libérales sur des problèmes
de société et son illustration.
INSIDE SPORT 75 000 ex., Australie,
mensuel. Depuis son lancement,
en 1991, ce magazine explore les
dessous du sport. Selon certains,
sa propension à publier des photos
de jeunes femmes légèrement
vêtues nuit à son image de mensuel d’investigation, mais ses
reportages et ses enquêtes sont
souvent de qualité.
INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE
240 000 ex., France, quotidien.
Le quotidien mondial par excellence, créé par des Américains
en 1887, édité à Paris, imprimé
dans 28 villes du monde, lu dans
180 pays, le Herald Tribune est
beaucoup plus que l’édition internationale du New York Times, son
unique propriétaire.
AL-KHALEEJ Emirats arabes unis, quotidien. Créé en 1973, “Le Golfe”
est affilié au Centre d’études du
Golfe, qui regroupe des universitaires et des chercheurs spécialisés
dans les questions géopolitiques
et macroéconomiques. Ce qui
explique la place importante
accordée aux questions internationales dans ses pages.
KYIV POST 20 000 ex., Ukraine, hebdomadaire. Paraît en ukrainien
et en anglais, dispose d’un site
Internet très actif, qui touche
un lectorat composé “d’hommes
d’affaires et de touristes d’Ukraine
et de l’étranger”.
MAIL & GUARDIAN 30 000 ex., Afrique
du Sud, hebdomadaire. Fondé
en 1985, l’ancien Weekly Mail n’a
plus d’attache avec le grand patronat libéral, au contraire de la plupart des autres publications anglophones sud-africaines, depuis que
le Guardian de Londres est entré
dans son capital. Résolument
à gauche, il milite pour une
Afrique du Sud plus tolérante.
AN-NAHAR 55 000 ex., Liban, quotidien. “Le Jour” a été fondé en
1933. Au fil des ans, il est devenu
le quotidien libanais de référence.
Modéré et libéral, il est lu par
l’intelligentsia libanaise.
NATURE 50 000 ex., Royaume-Uni,
hebdomadaire. Depuis 1869, cette
revue scientifique au prestige
mérité accueille – après plusieurs
mois de vérifications – les comptes
rendus des innovations majeures.
Son âge ne l’empêche pas de
rester d’un étonnant dynamisme.
THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex.
(1 700 000 le dimanche), EtatsUnis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et
plus de 80 prix Pulitzer, c’est de
loin le premier quotidien du pays,
dans lequel on peut lire “all the
news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée).
NOVYÉ IZVESTIA 107 200 ex., Russie,
quotidien. Né en 1997 d’une scission avec les Izvestia, il se proclame le “premier quotidien russe en
couleurs”. Il offre un panorama
complet d’informations politiques, sociales, culturelles, le
tout illustré de caricatures. Sans
avoir la stature de son grand
prédécesseur, il est populaire
et de bonne qualité.
NRC HANDELSBLAD 254 000 ex., PaysBas, quotidien. Né en 1970, le
titre est sans conteste le quotidien
de référence de l’intelligentsia
néerlandaise. Libéral de tradition,
rigoureux par choix, informé sans
frontières.
LE QUOTIDIEN D’ORAN 190 000 ex.,
Algérie, quotidien. Quotidien
régional fondé en 1994 à Oran,
devenu national en 1997, c’est
désormais le premier quotidien
francophone du pays. Sérieux, surtout lu par les cadres, il rassemble
les meilleures signatures de journalistes et d’intellectuels d’Algérie
dans son édition du jeudi.
LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie,
quotidien. Né en 1976, le titre
se veut le journal de l’élite intellectuelle et financière du pays.
Orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour les Démocrates
de gauche (ex-Parti communiste),
il est fortement critique vis-à-vis
de l’ancien président du Conseil,
Silvio Berlusconi.
Courrier international
+ Jahr. Toujours à la recherche
d’un scoop, cette “étoile” a un peu
pâli depuis l’affaire du faux journal intime de Hitler.
TECHNOLOGY REVIEW 92 000 ex., EtatsUnis, paraît toutes les six semaines. Née en 1899, la revue est
installée sur le campus du célèbre
Massachusetts Institute of Technology (MIT). C’est le magazine des
ingénieurs, scientifiques et
hommes d’affaires soucieux de
s’informer des nouvelles tendances technologiques et des décisions politiques en la matière.
RÉDACTION
6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01
Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02
Site web www.courrierinternational.com
Courriel [email protected]
Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin
Assistante Dalila Bounekta (16 16)
TIME 6 000 000 ex., Etats-Unis,
hebdomadaire. Fondé en 1923,
l’hebdomadaire américain au
plus fort tirage est devenu l’un
des monuments de la presse
mondiale. Ses reportages, ses
images chocs – ou encore le
numéro toujours très attendu
dans lequel est désigné l’homme
de l’année –, ont contribué
à construire sa légende.
Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98)
Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),
Claude Leblanc (16 43)
Chef des informations Anthony Bellanger (16 59)
Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)
Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)
Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59),
Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,
16 22), Philippe Randrianarimanana (Royaume-Uni, 16 68), Daniel Matias
(Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus
Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce,
Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro
(Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay
(chef de rubrique, Russie, Caucase, 16 36), Iwona Ostapkowicz (Pologne,
16 74), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Iulia Badea-Guéritée
(Roumanie, Moldavie), Alda Engoian (Caucase), Agnès Jarfas (Hongrie), Kamélia
Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie),
Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Gabriela Kukurugyova
(Rép.tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine) Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord,
16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine
Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Catherine André (Amérique
latine, 16 78), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil)
Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef
de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud,
16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Alda Engoian (Asie
centrale), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak
(Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc
Saghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby
(Egypte, 16 35), Nur Dolay (Turquie), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri
(Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient)
Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Anne Collet (Mali, Niger,
16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), Hoda Saliby (Maroc,
Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique),
Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie
Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43)
Ecologie, sciences, technologie Eric Glover (chef de service, 16 40) Insolites
Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit
Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)
SEGA 10 000 ex., Bulgarie, hebdomadaire. “Maintenant”, seul
newsmagazine bulgare, paraît
depuis janvier 1996. Il milite pour
un journalisme de qualité, ouvrant
ses pages à des opinions de tous
les bords politiques.
SCIENCE NEWS 200 000 ex., EtatsUnis, hebdomadaire. Fondé en
1922 sous le nom de Science NewsLetter, le magazine se présente aujourd’hui comme l’unique newsmagazine consacré à la science
aux Etats-Unis. L’information est
condensée, complétée par de très
nombreuses références à des
travaux universitaires.
SHINDONGA Corée du Sud, mensuel.
Le titre est créé en 1931 par le
journal Dong-a Ilbo. Il est suspendu en 1936 pour avoir publié
une photo du champion coréen
du marathon aux Jeux olympiques
de Berlin, Sohn Kee-chung, photo
où le drapeau japonais figurant sur
la tenue du coureur avait été
effacé. Réédité à partir de 1964,
il atteint 400 000 exemplaires
dans les années 80. De tendance
centre droit, il est spécialisé dans
les révélations politiques.
SPORT BILD 450 000 ex., Allemagne,
hebdomadaire. Numéro un
de la presse sportive en
Allemagne, ce magazine s’appuie
sur un traitement spectaculaire
de l’information.
SPORTS ILLUSTRATED 3 212 000 ex.,
Etats-Unis, hebdomadaire. Lancé
en 1954, le magazine domine la
presse sportive outre-Atlantique.
Très porté sur les disciplines
populaires, comme le base-ball
et le basket, il publie régulièrement de longues enquêtes sur les
affaires liées au sport.
DER STANDARD 63 000 ex., Autriche,
quotidien. Jeune journal libéral,
à dominante économique, et qui
pratique une politique de
suppléments vivants et variés.
STERN 1 275 000 ex., Allemagne,
hebdomadaire. Premier magazine
d’actualité allemand. Appartient
au groupe de presse Gruner
n° 858
Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire
et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.
Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président
et directeur de la publication ; Chantal Fangier
Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président
Dépôt légal : avril 2007 - Commission paritaire n° 0707C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
USA TODAY 1 800 000 ex., Etats-Unis,
quotidien. Seul titre véritablement
national, USA Today est le journal
le plus vendu aux Etats-Unis.
Centriste, grand public, il est
souvent en avance par rapport
à ses confrères sur les sujets qu’il
traite. Il propose également une
importante rubrique sportive.
Site Internet Marco Schütz (directeur délégué, 16 30), Olivier Bras (16 15), Anne
Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (webmestre, 16 61), Pierrick
Van-Thé (webmestre, 16 82)
THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien. C’est la
bible des milieux d’affaires. Mais
à manier avec précaution : d’un
côté, des enquêtes et reportages
de grande qualité ; de l’autre, des
pages éditoriales tellement
partisanes qu’elles tombent trop
souvent dans la mauvaise foi
la plus flagrante.
Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)
Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain,
16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle
Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais),
Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),
Julie Marcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage
Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Olivier Ragasol
(anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)
Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe
Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche
THE WASHINGTON POST 715 000 ex.
(983 000 le dimanche), EtatsUnis, quotidien. Le journal qui a
dévoilé le scandale du Watergate et
publié les rapports secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam
reste fidèle à sa réputation de
sérieux et d’indépendance. Un
grand quotidien de centre droit.
Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),
Anne Doublet (16 83), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés
d’Agnès Mangin (16 91)
Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey,
Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller,
Jonnathan Renaud-Badet Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie
Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie
Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (16 84)
Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi
de 15 heures à 18 heures
YAZHOU ZHOUKAN 95 000 ex., Chine
(Hong Kong), hebdomadaire.
Newsmagazine du groupe Ming
Pao, “Semaine d’Asie” se dit le
“journal des Chinois du monde
entier”. Il se focalise intensément
sur l’Asie-Pacifique, avec un fort
penchant pour la Chine.
Fabrication Patrice Rochas (directeur) et Nathalie Communeau (directrice
adjointe, 01 48 88 65 35). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes.
Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg
Ont participé à ce numéro Chloé Baker, Marie Bélœil, Alessia Bertoli, Marc-Olivier
Bherer, Aurélie Boissière, Valérie Brunissen, Hélène Chatrousse, Lucy Conticello,
Laurence Grivet, Delphine Halgand, Caroline Lelong, Charlotte de L’Escale, Marina
Niggli, Carlotta Ranieri, Jonnathan Renaud-Badet, Marcus Rothe, Isabelle Taudière,
Emmanuel Tronquart, Anh Hoa Truong, Janine de Waard
DIE ZEIT 464 400 ex., Allemagne,
hebdomadaire. Le magazine de l’intelligentsia allemande.Tolérant et
libéral, c’est un grand journal d’information et d’analyse politique.
ADMINISTRATION - COMMERCIAL
Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :
Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust
(16 05). Comptabilité : 01 48 88 45 02
Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Lionel
Guyader (16 73) et Fatima Johnson
Ventes au numéro Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable
publications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud.Chef de
produit: Jérôme Pons (01 57 28 3378, fax : 01 57 28 21 40).Promotion : Christiane Montillet
Marketing, abonnement : Pascale Latour (directrice, 16 90), Sophie Gerbaud (16 18),
Véronique Lallemand (1691), Mathilde Melot (16 87)
Publicité Publicat, 7, rue Watt, 75013 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel :
<[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de
la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05).
Directrice de clientèle : Hedwige Thaler (14 07). Chefs de publicité : Kenza Merzoug
(13 46), Claire Schmidt (13 47). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97).
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Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de
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COURRIER INTERNATIONAL N° 858
Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrier
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l’invité
ÉDITORIAL
Regardons-nous avec
les yeux des autres
●
Daniele Mastrogiacomo,
Benjamin Kanarek
A quelque dix jours du scrutin présidentiel, il reste dit-on encore quatre
indécis sur dix électeurs, ce qui est
beaucoup. Pour les aider, on trouvera
dans nos pages quelques articles allemands et autrichien, et, la semaine
prochaine, un dossier complet qui
dressera un portrait en creux de la France, de ses institutions et de ses élites politiques. Rien de tel en effet
que ce regard en miroir, qui fait la saveur de nos pages
France, pour se comprendre soi-même et décider de
notre avenir. Ici, ne soyons pas modestes : Courrier international a fait œuvre de précurseur. Et nous sommes
heureux de voir que nos confrères, presse écrite mais
aussi et surtout radios et télés, ont repris cette idée et
invitent de nombreux correspondants étrangers à livrer
leurs observations et commentaires.
Trois livres, coup sur coup, viennent de paraître qui
partent du même principe.
Citons d’abord le plus drôle, La France vue par les
Suisses (1), où une dizaine de dessinateurs helvètes s’en
donnent à cœur joie pour croquer Chirac et le Français moyen : Chappatte, Barrigue, Herrmann, Mix
& Remix et d’autres, souvent publiés dans nos colonnes,
ont le trait vif et parfois cruel, mais c’est tant mieux.
Plus classique, Désirs de France (2), où quinze correspondants de la presse internationale auscultent un
Hexagone un peu patraque. Là aussi, nos lecteurs reconnaîtront des noms connus, de José Marti, d’El País, à
Michaela Wiegel, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung,
dont nous reproduisons souvent les articles.
Enfin, le plus ambitieux, Regards sur la France (3), un
épais volume où ont été rassemblés une trentaine d’entretiens avec des spécialistes, pour la plupart étrangers,
qui connaissent bien notre pays. Il y a là Tony Judt,
Borislav Geremek, Stanley Hofman et quelques autres
dont la réflexion porte au-delà de la présidentielle, audelà même de la France, puisqu’il y est question de
démocratie, d’Europe, du devenir-monde et du vivreensemble. On lira notamment l’interview qu’Edward
Saïd a donnée quelques semaines avant sa mort et dans
laquelle il démolit avec élégance l’intelligentsia française, de Camus à Glucksmann.
Philippe Thureau-Dangin
(1) Ed. Glénat.
(2) Ed. Michalon.
(3) Ed. du Seuil, sous la direction de Karim Emile Bitar
et Robert Fadel.
La Repubblica, Rome
A
djmal… Adjmal, on nous laisse partir. On est
et ils ont perdu les clés dans le désert. Ils se mettent à
libres.Tu te rends compte ? On rentre à la maideux, puis à trois et à quatre pour tenter de casser les
son.” Mon ami et interprète afghan, Adjmal
chaînes avec tout ce qui leur tombe sous la main. Ils comNaqshbandi, est abasourdi. Il ne comprend
mencent par Adjmal. Dans le fond, ils sont contents de
pas ce que je lui dis. Il me voit sautiller avec
nous libérer et de ne pas avoir été obligés de nous tuer.
la chaîne qui me serre les chevilles. Il
Ils l’auraient fait, certes, sans hésitation : ce sont des solm’adresse un sourire timide. Il regarde autour
dats et des soldats fanatiques.
de lui, il voit Haji Lalai, le bras droit du molIls réussissent à briser les chaînes. Mon interprète écarte
lah Dadullah, le grand chef qui gère notre enlèvement
enfin les jambes, il saute, marche à grands pas jusqu’au
depuis deux semaines.
jardin extérieur. C’est maintenant mon tour. “Il faut y
Nous sommes le 19 mars, un lundi. Le commandant
aller”, exhorte le commandant, le chef de cette bande d’asregarde par la petite fenêtre de notre cellule et annonce :
sassins. A l’extérieur de la ferme, au beau milieu du dis“Good news, good news. Préparez-vous, dans deux heures
trict de Gramser – au sud de la province d’Helmand, le
vous rentrez chez vous.”
cœur du territoire taliban –,
Je me jette dans les bras de
deux véhicules nous attenmon ami, je le serre fort. Les
dent. Ils me poussent vers le
larmes coulent le long de nos
premier. Je me retourne et
visages, sales de terre et de
je dis au revoir à Adjmal
poussière. Adjmal tremble en
d’un geste de la main. Il me
sanglotant. Il ne retient plus
répond, je le vois finalement
ses larmes. Mais il fait non
sourire. Il est content, il quitte
avec la tête. Il ne veut pas y
la prison ; il y croit vraiment.
croire. Il a peur d’être encore
“On se voit à Kaboul, peut■ Daniele Mastrogiacomo, 52 ans, est
journaliste au quotidien La Repubblica
déçu. C’est déjà arrivé, cela
être en Italie”, me crie-t-il en
depuis 1980. Spécialiste du Moyenpeut arriver encore une fois.
anglais. Du coin de l’œil, je
Orient, il a couvert plusieurs conflits,
Adjmal Naqshbandi avait
vois Adjmal monter dans un
dont la guerre de l’été 2006 au Liban.
23 ans, deux sœurs et trois
pick-up. Je demande où il sera
Le 5 mars, il a été enlevé en Afghanisfrères. Il s’était marié il y a
libéré. Le commandant Haji
tan avec son interprète, Adjmal Naqsept mois. Je l’avais connu en
Lalai reste vague : “On le
shbandi et son chauffeur. Il a été relâ2001. Il s’était présenté à la
remet à d’autres amis.”
ché le 19 mars, alors que ses deux colbase de l’armée italienne, sur
Je suis tendu. Le moment de
laborateurs afghans ont été décapités.
Jalalabad Road, et s’était prola libération est toujours le
posé comme interprète. Toujours souriant, un peu grasplus dangereux. Mais je suis heureux, on rentre à la maisouillet, le visage rondouillard, les yeux sombres et doux,
son. Tous les deux. Mais Adjmal, je ne le reverrai plus
un filet de barbe qui se terminait en un petit bouc très
jamais. Il a disparu dans le trou noir des talibans. Libéré
soigné. Il avait l’air un peu pédant. Il parlait un anglais
et refait prisonnier. Otage à nouveau de la bande du molimpeccable, appris au Pakistan durant les années d’exil
lah Dadullah. Peut-être encore battu, interrogé, puni.
de la longue guerre civile. Et il avait un rêve : devenir
Menacé de mort. Tué. Décapité.
journaliste.
Adjmal a été décapité à 11 h 30 le dimanche 8 avril, jour
On est encore dans la cellule. Adjmal est sceptique, il
de Pâques, peu avant la grande prière de l’après-midi. Les
ne croit pas à ce que nous dit le commandant Haji Lalai.
talibans sont tatillons jusque dans leurs communiqués de
Pourtant, c’est vrai, ils nous libèrent. Nos geôliers, des
presse. Une sentence lue au nom d’Allah, avec en fond
jeunes âgés d’une petite vingtaine d’années, débarquent
sonore des chants de guerre des étudiants coraniques. Les
dans la pièce en sautant et en criant de joie. Ils nous
mains liées derrière le dos, les yeux bandés. Quatre bras
embrassent et nous prennent les mains. Ils répètent en
le traînent dans le sable, l’étouffent. Un couteau lui tranche
chœur : “Free, free, you are free.” Ils se penchent sur les
la gorge... puis en avant, en arrière, calmement, dans
chaînes qui nous serrent les pieds. Ils n’arrivent pas à les
un silence glacial... jusqu’à lui couper la tête. Un geste
ouvrir. Elles n’ont pas été ouvertes depuis quinze jours
barbare, cruel. Une mort injuste, gratuite, lâche.
■
Adjmal,
mon ami
DR
invité p.6
DESSINS DE PRESSE
World Press Cartoon, troisième
■ Les prix de la troisième édition du World Press Cartoon
■ L’Union
européenne
et l’immigration
illégale
(WPC), auquel Courrier international est associé depuis sa
création, sont remis à Sintra, au Portugal, ce vendredi 13 avril.
Neuf dessins ont été distingués, dans trois catégories
– dessin éditorial, caricature et dessin d’humour –, par un
jury composé de dessinateurs que nos lecteurs connaissent
bien : António, dessinateur à l’Expresso (Lisbonne), et
créateur, avec Rui Paulo da Cruz, du WPC, l’Américaine
Ann Telnaes, le Japonais Nó-rio et le Canadien
Bado. Alain Grandremy, un ancien du Canard
enchaîné, en était aussi. Le palmarès complet
sera visible sur www.courrierinternational.com,
rubrique Cartoons à partir du samedi 14 au
matin. En voici un avant-goût, avec trois des
dessins primés.
Dessin de Cristina
Sampaio, Portugal.
■ Sale gosse
Dessin de Tommy
Thomdean, Indonésie.
■ Poutine
Dessin de Riber,
Suède.
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à l ’ a ff i c h e
Etats-Unis
●
Dire, médire, resplendir (hélas)
e Roxy, une boîte de nuit sur Sunset Strip à Hollywood, adore les
soirées mondaines. Aussi, quand,
il y a quelques jours, Paris Hilton,
Amy Winehouse, John Stamos,
Kelly Osbourne et Dita Von Teese
sont arrivés pour danser jusqu’au
bout de la nuit, c’est tout juste si
les portiers ont cillé. L’invité d’honneur était
un Cubain-Américain gay aux cheveux bleus
et aux joues fardées de blush du nom de
Perez Hilton, star des blogueurs dont le site
au vitriol est capable de faire et de défaire
des carrières. Les commérages de Perezhilton.com sont si virulents, et sa fréquentation si importante (un jour, en février dernier, le site a enregistré 4,75 millions de
consultations), que Perez est devenu un
acteur incontournable de l’usine à célébrités hollywoodienne. En fait, comme le montrent à la fois la liste des invités à la fête donnée pour son vingt-neuvième anniversaire
et le nombre croissant de rumeurs à son
propre sujet, il n’est pas loin de devenir une
star à part entière.
“Oh, je ne sais pas. Franchement, moi,
je ne me considère pas comme tel”, déclare
Hilton, dont le véritable nom est Mario
Lavandeira. Or, s’il n’est pas lui-même une
célébrité, comment a-t-il fait pour attirer
tout ce beau monde à son anniversaire ? Les
stars qu’il avait invitées ne craignaient-elles
pas de faire l’objet d’articles peu flatteurs
sur son site ? “Elles sont venues parce qu’elles
savaient que ça serait super, assure-t-il. Tous
les gens qui sont effectivement venus sont ceux
qui ont de l’humour et qui ne se prennent pas
trop au sérieux. […] Paris Hilton a beaucoup
d’humour. Elle se moque de ce que l’on peut dire
d’elle.” La partialité de Perez Hilton explique
en partie son succès. Et il est ravi quand les
M. Mc Grath/Getty/AFP
L
PEREZ HILTON, 29 ans, blogueur hollywoodien.
Ce Cubain-Américain s’est fait un nom et une
réputation sulfureuse en deux ans dans le petit
monde des people américains. Son site, très consulté, se plaît à dévoiler l’homosexualité des stars.
invités sur son site manifestent violemment
leur désaccord, et même quand ils l’insultent directement. “Je ne censure rien”, commente-t-il. Il n’en reste pas moins que ce
qu’il aime, c’est être l’ami d’un groupe de
stars. D’après Mr Holy Moly, éditorialiste
londonien à scandales, cela pourrait bien un
jour lui coûter cher. “On ne peut pas éviter
de médire sur Paris Hilton juste parce qu’on
la considère maintenant comme une amie. C’est
manifestement une imbécile.Aussi, s’il veut que
le site continue, il faut qu’il campe sur sa position anticélébrités.”
Hilton commence à pâtir des inconvénients de la gloire. L’article qui lui est consacré dans Wikipedia s’est récemment enrichi
d’un chapitre, selon lequel “Lavandeira [sic]
a appris qu’il était séropositif en 2004.Il a caché
ce fait jusque-là, mais, comme lui-même sort les
célébrités du placard, nous pensons qu’il est de
notre devoir de révéler sa maladie.” Ce chapitre
a été enlevé et Hilton ne confirmera ni
n’infirmera sa véracité, se contenant de dire
que “les gens mettent tout le temps des choses
sur les sites”.
Pourtant, l’épisode rappelle que Hilton
s’est fait quelques ennemis durant sa carrière de blogueur, depuis deux ans. Sa
spécialité – dévoiler l’homosexualité des
hommes célèbres – a suscité la polémique
à Hollywood. “Je crois à la nécessité de dire la
vérité et, si je sais que quelque chose est vrai,
je le dis, martèle-t-il. Je ne crois pas à la discrimination. Je vais traiter tout le monde de
la même façon – les gays comme les hétéros,
avoués ou non.”
Une chose est sûre, les agences photo
s’intéressent de plus en plus à ses portraits
non crédités de célébrités. De fait, l’agence
X17 réclame à Hilton 7,5 millions de dollars en dommages et intérêts pour violation
de copyright. Ce procès renvoie à un problème plus général concernant les sites web.
D’après Mr Holy Moly, c’est “l’avenir des
blogs” qui se joue à ce procès.
“Si [Hilton] perd, poursuit-il, ce sont pas
moins de 95 % des blogs américains sur les célébrités qui vont cesser de fonctionner du jour au
lendemain, du fait que ce sont essentiellement
des galeries de photos avec des commentaires.
S’il gagne, les paparazzi n’ont qu’à aller se faire
voir et laisser les gamins prendre des photos avec
leurs téléphones.”
PERSONNALITÉS DE DEMAIN
GATO FEDORENTO
Un rire réconfortant
(D’après Diário de Notícias, Lisbonne)
MUHAMMED DEMIRCI
Riche de promesses
“Vas-y, enfile la culotte !” a-t-elle
déclaré, en guise d’encouragement,
à la vice-porte-parole de la MaisonBlanche, Dana Perino, appelée à
remplacer l’actuel porte-parole, Tony
Snow, atteint d’un cancer du colon.
(The Washington Post, Washington)
Comment les enfants de Jamil ElBanna, un Jordanien détenu depuis
2002 sur la base américaine à Cuba,
supportent-ils son absence ? “Ils
pensent que Guantanamo est un
bel endroit pour partir en voyage,
qu’il est avec des amis et qu’il fait
des barbecues”, explique leur mère.
Quelques jours avant son arrestation, les services secrets britanniques avaient tenté de recruter ElBanna, qui serait donc détenu par
erreur. (The Guardian, Londres)
CHARLES, prince de Galles
■ Provocateur
“Ça fait des années qu’on me ridiculise”, se plaint-il à propos du
traitement que lui réservent les
médias. Récemment, il a été pris
en photo en robe
de chambre.
(The Daily Mail,
Londres)
Dessin de Glez,
Burkina Faso
TRAIAN BASESCU,
président de la Roumanie
■ Alambiqué
Malgré la trêve pascale, il n’a pu
s’empêcher d’évoquer – devant la
cathédrale de Sibiu – le conflit qui
l’oppose à son Premier ministre,
Calin Popescu-Tariceanu. “Je connais
bien les trois piliers [de la religion] :
être en paix avec Dieu, avec toimême et avec tes semblables.
Mais, parfois, en tant que chef de
l’Etat, pour être en paix avec Dieu
et avec toi-même, tu ne peux pas
l’être avec tes semblables…”
(Evenimentul Zilei, Bucarest)
SEAN CONNERY,
acteur britannique
■ Patriote
“J’attends l’indépendance depuis
aussi longtemps que je me souvienne. Comme beaucoup d’Ecossais de l’étranger, j’ai hâte de
rentrer dans une Ecosse indépendante”, explique le natif d’Edimbourg, qui vit aux Bahamas depuis
huit ans. Les indépendantistes sont
donnés favoris pour les élections
régionales du 3 mai.
(The Scotsman, Edimbourg)
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LECH WALESA,
ex-président
de la Pologne
■ Blanchi
et nourri
“J’ai déjà 54 ans et,
quand je regarde les Dessin
femmes, je ne les consi- de Bubec,
dère que du point de Allemagne.
vue pratique.”
(Gazeta Wyborcza, Varsovie)
ROSE HACKER, ex-chroniqueuse
britannique âgée de 101 ans
■ Pionnière
“On peut vivre sans sexe, mais pas
sans amour. Plus on fait l’amour,
plus on veut de l’amour. L’amour,
c’est essentiel, c’est la seule chose
qui compte.” Devenue veuve à
76 ans, elle confie qu’elle a fréquenté des hommes jusqu’à son
90e printemps.
(The Observer, Londres)
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
DR
SABAH EL-BANNA, épouse
d’un détenu à Guantanamo Bay
■ Maternelle
e jeunes fans de
foot au Japon,
en Europe ou au Brésil se promèneront un
jour avec des teeshirts à l’effigie d’un
joueur turc”, prophétise l’hebdomadaire
turc Aksiyon. “Ce sera
le portrait de Muhammed Demirci.” Cet adolescent de 13 ans, qui est désormais conduit
à l’entraînement dans une grosse Mercedes,
fait aujourd’hui l’objet de la convoitise des
grands clubs turcs ainsi que du célèbre FC Barcelone. Issu d’une famille très modeste originaire de la région du mont Ararat, à l’extrême
est de la Turquie, Muhammed est né à Istanbul dans un quartier populaire. C’est par le
biais d’un club de quartier qu’il a croisé la route
de son futur manager ; celui-ci lui a ouvert les
portes du grand club stambouliote de Besiktas, qui assume désormais tous ses frais, y
compris de scolarité, et a trouvé du travail à
son père sans emploi. Elu meilleur joueur lors
de deux tournois organisés en Suisse et en
Allemagne, il est actuellement courtisé par
le Barça, qui a proposé de l’acheter 3 millions
d’euros. En préférant rester auprès de sa
famille, Muhammed Demirci a déjà fait grimper
les enchères.
D
Ed Caesar, The Independent (extraits), Londres
ILS ET ELLES ONT DIT
MARGARET SPELLINGS, ministre
de l’Education américaine
■ Féministe
epuis le 28 mars,
un immense panneau publicitaire installé sur la place
Marquês Pombal, au
cœur de Lisbonne,
proclame “Assez d’immigration” et incite
les immigrés à rentrer
chez eux, photo d’avion à l’appui. Il est l’œuvre
du Parti national rénovateur (PNR), extrême
droite , un mouvement marginal (0,1 % aux
législatives de 2005) dans un pays où l’émigration reste importante. L’ensemble de la
classe politique a bien évidemment condamné
cette initiative, mais la réaction la plus spectaculaire est venue des Gato Fedorento (les
Chats Puants), les humoristes les plus populaires du pays. Ils sont quatre, Ricardo de
Araújo Pereira (photo), Tiago Dores, Miguel
Góis et José Diogo Quintela, et font depuis près
de deux ans les beaux jours de la télévision
publique avec une émission à sketches dans
le droit fil des Monty Python, leur modèle revendiqué. Ils ont décidé de répondre au message
agressif du PNR sur le terrain de l’humour,
en installant à leurs frais un panneau publicitaire à côté de celui du mouvement d’extrême
droite. En tous points identique, au message
près : “[Nous voulons] plus d’immigration ! La
meilleure façon d’embêter les étrangers, c’est
de les obliger à vivre au Portugal. Soyez les
bienvenus !” Retirée trois jours plus tard pour
des raisons administratives, l’affiche leur aura
valu des menaces de mort. Et de nombreux
coups de chapeau.
D
ERT
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858p10-11-12-13
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dossier
●
ENQUÊTE SUR LE
TALIBANISTAN
■ Les Zones tribales pakistanaises grouillent de djihadistes. Des talibans
pachtounes qui veulent imposer leur pouvoir. Et des combattants ouzbeks,
tchétchènes et arabes d’Al-Qaida, encore moins bien tolérés par les villageois.
n février dernier, les habitants de Dara
Adam Khel, un village d’armuriers situé
à une cinquantaine de kilomètres au sud
de Peshawar, au Pakistan, ont trouvé à
leur réveil les rues pleines de tracts leur
ordonnant d’observer la loi islamique. Du
jour au lendemain, les femmes ont dû se mettre
à porter la burqa et les hommes se laisser pousser la barbe. La musique et la télévision ont été
interdites. Puis les djihadistes sont passés aux
choses sérieuses. Ces jours-ci, l’aube résonne
souvent de pleurs de femmes : on vient découvrir un nouveau corps sans tête au bord de la
route, avec un mot épinglé sur la poitrine affirmant qu’il s’agissait d’un espion à la solde des
Américains ou du gouvernement pakistanais.
Les décapitations sont filmées et vendues en
DVD dans les marchés de la région. “C’est le couteau qui me fait le plus peur, dit Hafizullah, armurier de 40 ans. Avant de vous tuer, ils l’aiguisent
sous vos yeux. Ils sont pires que des bouchers.”
Les histoires comme celle-ci sont monnaie
courante dans les Zones tribales du Pakistan,
ce rude no man’s land à la limite de l’Afghanistan où se forme et s’organise une nouvelle
génération de terroristes. Poussés par le fanatisme et endurcis par la guerre, de jeunes extrémistes religieux ont pris le contrôle de dizaines
de villes et villages avec l’intention d’imposer
leur vision rigoriste de l’islam à des populations
trop faibles pour résister. A l’image des talibans
afghans à la fin des années 1990, ces djihadistes
sont soupçonnés d’offrir leur protection aux
chefs d’Al-Qaida et à leurs hommes. Des responsables américains du renseignement pensent qu’Oussama Ben Laden et son bras droit,
l’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, ont trouvé
refuge dans cette zone. Et, si les Etats-Unis et
l’OTAN disposent de 49 000 soldats de l’autre
côté de la frontière, en Afghanistan, ils ne sont
pas autorisés à mener des opérations au Pakistan. Isolée, tribale et profondément conservatrice, cette région frontalière est un monde à
part, un territoire hors la loi qui échappe si
complètement au contrôle de l’Occident et de
E
ses alliés qu’on le surnomme le “Talibanistan”.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les
Etats-Unis s’appuient sur le gouvernement
pakistanais pour lutter contre le terrorisme islamiste. Mais, si les services de renseignements
pakistanais ont longtemps été soupçonnés
d’avoir partie liée avec les talibans, l’administration Bush n’a cessé de saluer l’action du président du Pakistan, Pervez Musharraf, qui a participé à la traque des membres du réseau de Ben
Laden. Mais la talibanisation de la zone frontalière – et le rôle que joue celle-ci dans l’armement et le financement des insurgés afghans –
a ravivé les doutes sur l’engagement réel de
Musharraf contre les djihadistes.
Ces incertitudes refont surface alors que
Musharraf fait face à la plus grave crise politique
depuis son arrivée au pouvoir, il y a huit ans.
Depuis le 12 mars, les rues sont en effet le théâtre
d’affrontements entre la police et des milliers
d’opposants – dont de nombreux avocats – indignés par le limogeage du président de la Cour
Le 26 mars
dernier, près de Wana,
des combattants
tribaux posent devant
un bâtiment dont
ils viennent de
prendre le contrôle.
Cette maison servait
auparavant de geôle
aux djihadistes
étrangers. De violents
affrontements
ont opposé les Waziris
aux militants
étrangers à la région.
LE S Z ONE S TRIBALE S :
LE NOUVE AU “TALIBANISTAN ”
PROVINCEDE-LA-FRONTIÈREDU-NORD-OUEST
Passe de
Khyber
Kunar
Jalalabad
Kaboul
Tora Bora
Peshawar
Islamabad
Dara Adam Khel
A F G H A N I S TA N
Nord-Waziristan
Wana
Sud-Waziristan
Kandahar
PEN DJA B
P A K I S T A N
BALOUTCHISTAN
Quetta
ZONES TRIBALES (quasi autonomes)
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
0
Courrier international
TIME
New York
200 km
“Pachtounistan” : zone majoritairement
peuplée par les pachtounes
Pachtounes
10
DU 12 AU 18 AV RIL 2007
suprême, Iftikhar Muhammad Chaudhry, pour
“abus d’autorité”. Le chef de l’Etat est accusé par
ses détracteurs de vouloir pervertir le système
judiciaire afin de se maintenir au pouvoir. Leur
colère n’a fait que redoubler après qu’un raid de
la police a empêché une chaîne de télévision
de couvrir les manifestations. Certains Pakistanais qui, par le passé, s’accommodaient de l’autoritarisme de leur président le décrivent maintenant comme un dictateur.“Je pense qu’il s’est
condamné lui-même”, commente le général
Hamid Gul, ancien chef de l’ISI, l’agence de renseignements pakistanaise. “Il ne pourra pas contrôler les forces qu’il a libérées.”
Musharraf étant chef des armées et les militaires ayant un rôle central dans le fonctionnement du pays, il est peu probable qu’il soit
chassé du pouvoir. Mais, privé du soutien de sa
base modérée, il est de plus en plus dépendant
des partis fondamentalistes, fervents défenseurs
des talibans. Si les manifestations continuent,
Musharraf sera moins enclin à poursuivre les
extrémistes du Talibanistan. Mauvaise nouvelle
pour les Etats-Unis et leurs alliés ; bonne nouvelle pour leurs ennemis dans la région. Selon
un haut responsable militaire américain en Afghanistan,“les talibans sont désormais libres de faire
ce qu’ils veulent dans les Zones tribales, parce que
l’armée [pakistanaise] n’ira jamais les chercher”.
En réalité, le cœur du Talibanistan – une zone
montagneuse couverte d’épaisses forêts, officiellement appelée le Waziristan – ne s’est jamais
entièrement soumis à quelque domination que
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FIGURE
Ishtiaq Mahsud/AP-Sipa
Le pouvoir de l’émir Nazir
ce soit. A l’époque coloniale, les Britanniques
n’étaient pas parvenus à conquérir cette région
de tribus pachtounes et ils les ont laissées vivre
selon leurs coutumes. En échange, les populations tribales protégeaient le sous-continent des
invasions venues du nord. Cet arrangement a
perduré avec le Pakistan, à sa création, en 1947.
Après le 11 septembre 2001, Islamabad ne s’est
guère préoccupé de la situation dans cette région.
DES RELATIONS DIFFICILES
AVEC L’ARMÉE PAKISTANAISE
Mais, quand il est devenu évident que les
membres d’Al-Qaida et les talibans fuyaient les
soldats américains en passant la frontière, des
troupes pakistanaises y ont été envoyées. Le
nombre des soldats a grossi par la suite, jusqu’à
atteindre 80 000 hommes. Des chefs terroristes
ont été capturés, et plusieurs camps d’entraînement détruits. Mais plus la pression militaire
augmentait, plus les habitants rejetaient la présence des soldats gouvernementaux, surtout
quand des civils trouvaient la mort au cours
d’opérations bâclées.
Dans le cadre des accords de paix signés en
septembre 2006 avec les chefs des tribus du
Nord-Waziristan, l’armée pakistanaise s’est
engagée à retirer ses barrages routiers, à cesser
ses patrouilles et à regagner ses casernes. En
contrepartie, les combattants locaux ont promis de ne pas attaquer les soldats et de ne plus
mener d’opérations en Afghanistan à partir de
la frontière. Selon Hamid Gul, ce changement
de stratégie est un “aveu d’échec” pour l’armée
pakistanaise. Plus de 700 soldats ont en effet
trouvé la mort dans cette zone au cours des
deux dernières années. Mais les militaires ne
sont pas les seuls à payer les pots cassés. Depuis
que les forces pakistanaises sont moins présentes
à la frontière, les violences en Afghanistan sont
en forte recrudescence.
En réalité, le retrait des militaires a surtout
permis aux extrémistes locaux d’imposer leur loi
dans la région. Ils ont mis en place des tribunaux
appliquant la charia et exécuté plusieurs “criminels” selon la loi islamique. Certains convois
militaires pakistanais sont même parfois escortés
par des talibans qui assurent leur protection, ainsi
qu’en a récemment été témoin un journaliste de
Time au Nord-Waziristan.“L’Etat s’est retiré et
a abandonné cette région”, déclare Samina Ahmed,
de l’ONG International Crisis Group. “On a tout
simplement donné un territoire aux talibans.”
Les vieux chefs tribaux indiquent que les
extrémistes se servent de mosquées complaisantes pour recruter et héberger de nouveaux
combattants. Ils recrutent de jeunes hommes
attirés par l’argent et le fanatisme religieux,
et arrivent à obtenir le soutien des habitants
sous la menace. Malik Haji Awar Khan, 55 ans,
chef des 2 000 hommes de la tribu Mutakhel
Wazir, au Nord-Waziristan, a été approché il y
a un an pour rallier la cause des talibans. Quand
il a refusé, les extrémistes ont kidnappé ses
jeunes enfants. “Ils croyaient pouvoir m’enrôler, mais je suis fatigué de combattre”, explique COURRIER INTERNATIONAL N° 858
11
■ Maulvi Nazir a presque surgi de
nulle par t. Personne n’en avait
vraiment entendu parler avant le
dernier trimestre 2006, quand il a
endossé le rôle d’émir [grand leader] des tribus waziries protalibans
dans le Sud-Waziristan. Il s’était vu
ostensiblement confier la mission
de les réorganiser afin qu’elles
puissent inter venir plus efficacement contre les unités américaines
et de l’OTAN durant l’été prochain.
Maulvi Muhammad Nazir a une
grande expérience de la guérilla.
Adolescent, il a combattu pendant
les derniers mois du conflit soviéto-afghan – à la fin des années
1980 – et faisait par tie du mouvement afghan Hezb-e-Islami du seigneur de la guerre pachtoune Gulbuddin Hekmatyar. Le Hezb était
alors le groupe le mieux organisé
et bénéficiait du soutien massif des
ser vices de renseignements américains et pakistanais.
“Nazir est jeune, modéré, et c’est
un bon musulman”, commente au
téléphone un ancien des tribus
qui l’a rencontré. Aujourd’hui, il
est âgé d’une quarantaine d’années. Mais l’émir des talibans est
confronté à la menace sérieuse
qu’incarne un commandant local,
Haji Omar. Ce dernier, chef taliban
dans le Sud-Waziristan, appuie les
combattants ouzbeks du Mouvement islamique d’Ouzbékistan
(IMU) et d’autres terroristes étrangers. Il défie l’autorité de Nazir, et
leur rivalité a déclenché des heurts
sanglants près de Wana au début
du mois de mars.
Nazir était porté sur la liste des personnes les plus recherchées par
le gouvernement pakistanais. Il
s’est même rendu aux autorités en
2004. Ses interrogateurs l’ont blanchi et il a finalement été relâché à
la fin de 2004, au moment où cinq
commandants importants signaient
un accord de paix avec le gouvernement à Wana. Sa nomination en
tant qu’émir a été la conséquence
d’une jirga [assemblée] au sommet
des talibans afghans, sous la direction du puissant mollah Dadullah.
Selon cer taines sources, la jirga
aurait été convoquée par le chef
suprême des “étudiants en religion”, le mollah Mohammad Omar.
Dans la population locale, l’exaspération allait croissant face au
“mauvais comportement” des militants ouzbeks. D’après les anciens
des tribus, la jirga des talibans a
longuement siégé avec des chefs
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
tribaux. C’est à la suite de ces
réunions que le mollah Nazir a été
“unanimement” nommé émir des
moudjahidin du Sud-Waziristan.
Deux commissions, une de huit
membres et l’autre de quatre, ont
également été constituées afin
d’“améliorer l’image publique des
talibans” dans les Zones tribales
pakistanaises.
Dans le cadre de cette organisation, aucune décision prise par la
commission de huit membres ne
peut être mise en application sans
l’assentiment de celle de quatre
membres, considérée comme l’organe suprême. Ce dernier comprend le mollah Nazir, Haji Omar,
Haji Bakhta Jan, chef de guerre
afghan basé dans le Nord-Waziristan, et Usman, présenté comme un
Ouzbek. Conformément aux nouvelles règles d’engagement, aucune
exécution ne peut avoir lieu sans
que le verdict, voté par la commission de huit membres, ait été
approuvé par celle de quatre
membres. Un bureau central a été
ouvert à Wana pour le mollah Nazir.
Une commission spéciale a également été constituée pour la collecte
des dons. Depuis qu’il a pris les
commandes, il a en outre interdit
le recrutement de jeunes de moins
de 18 ans. “Les enfants en âge
d’aller à l’école doivent y aller plutôt que de mener la guerre sainte”,
a-t-il déclaré en transmettant ses
directives après avoir assumé officiellement ses fonctions.
Le problème, pour les autorités
d’Islamabad, c’est que Nazir a mis
l’accent sur des règles d’engagement qui passent par un recours
sélectif à la violence et interdisent
aux militants de s’en prendre aux
troupes pakistanaises. Comme le
dit un haut responsable : “Ce qu’il
y a de positif, avec le nouveau chef
des talibans, c’est qu’il évite l’affrontement avec l’armée. Il considère qu’attaquer les forces de
sécurité pakistanaises, c’est attaquer son propre peuple.” Pourtant,
si, grâce à Nazir, la situation est
moins difficile pour les soldats et
les unités paramilitaires pakistanaises, sous son commandement,
les dif férents groupes unifiés ne
font pas mystère de leur intention
de lancer des opérations de l’autre
côté de la frontière, en Afghanistan, et d’établir une chaîne de commandement unique pour augmenter leur efficacité au combat.
Iqbal Khattak, The Friday Times, Lahore
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dossier
Khan, qui s’est battu aux côtés des moud-
■
jahidin contre l’armée soviétique. “Ce djihad
est commandé de l’extérieur, par Al-Qaida. Ce n’est
pas une guerre sainte. Il n’y a que le pouvoir et
l’argent qui les intéressent.”
Les chefs de tribu que nous avons interrogés
affirment ne pas soutenir la cause des djihadistes.
Mais la campagne de terreur menée par les talibans a épuisé les résistances locales. Malik Sher
Muhammad Khan, un vieux chef tribal de Wana,
déclare : “Les talibans crient dans les rues que les
enfants ne doivent pas aller à l’école parce qu’on leur
apprend des matières modernes comme les mathématiques ou les sciences. Nous voulons être modernes.
Ce n’est pas seulement les filles qui sont concernées. Dans mon village, personne ne sait écrire son
nom.” Muhammad Khan estime que seuls 5 %
des habitants du Waziristan soutiennent activement les islamistes. Certains reçoivent de l’argent pour services rendus ou louent des terres
pour y installer des camps d’entraînement. Les
autres ne sont soumis que par la peur. Il y a
quelques mois, des talibans ont attaqué sa maison parce qu’il avait ouvertement critiqué leur
présence dans la région. Durant l’assaut, une
grenade a tué sa femme.“Si j’avais eu des armes,
j’aurais peut-être pu la sauver, dit-il. Mais nous
n’avons aucun moyen de les chasser.”
L’émergence du Talibanistan est une menace
potentielle directe contre les Etats-Unis et l’Occident. Les habitants affirment que la zone est
devenue un immense camp, où des garçons parfois âgés de seulement 17 ans sont formés pour
commettre des attaques suicides. “Ici, on accueille
les jeunes en leur disant : ‘Puisse Allah t’accorder la bénédiction de devenir un martyr’”,
explique Obaidullah Wazir, 35 ans, membre
d’une tribu de Miranshah. John McConnell,
directeur de l’Agence nationale de renseignements américaine, a déclaré le mois dernier à
Washington devant la commission sénatoriale
des services armés : “Al-Qaida est en train de
construire des centres opérationnels forts qui rayonnent à partir des camps du Pakistan dans tout le
Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe.”
Au Waziristan, plusieurs
types de combattants
se côtoient. Il y a
d’abord les militants
locaux, qui parlent le
pachto et s’opposent
à Islamabad,
le plus souvent
pour revendiquer
l’autonomie d’un
“grand Pachtounistan”.
Il y a ensuite
plusieurs milliers de
militants d’Al-Qaida,
venus d’Afghanistan
mais aussi d’Asie
centrale, d’Afrique
du Nord et du MoyenOrient. Contrairement
aux islamistes locaux,
ces derniers ont une
vision globale de leur
cause et s’entraînent
sur place avant de
partir commettre des
attentats en
Afghanistan, en Irak
et en Europe. Or les
combattants locaux
supportent de plus en
plus mal leur présence.
En mai 2005, les
chefs tribaux avaient
même signé un
accord avec l’armée
pour les chasser. En
septembre 2006, un
nouvel accord de paix
entre les locaux et
l’armée stipulait que
les Waziris devaient
dénoncer les
terroristes étrangers.
De nombreux
affrontements
opposent ces deux
groupes depuis le
mois de mars 2007.
Londres ou n’importe où ailleurs : ‘Ça suffit ! Y en
a marre, remettez de l’ordre dans tout ça’, ça
ne nous aide pas beaucoup, ici.”
C’est peut-être vrai. Mais l’administration
Bush commence à comprendre que la stabilisation de l’Afghanistan et la lutte contre AlQaida passent par le contrôle du Talibanistan.
Le secrétaire d’Etat adjoint Richard Boucher a
annoncé l’intention américaine de soutenir le
développement des Zones tribales en offrant
à Musharraf 750 millions de dollars [environ
560 millions d’euros] supplémentaires dans les
cinq prochaines années. “Je pense que cet engagement pour le développement, pour une relation
durable, est une nouvelle illustration des liens profonds qui nous unissent et que nous renforçons, at-il déclaré. Nous sommes profondément attachés
à l’idée que le Pakistan reste un Etat musulman
démocratique, modéré et stable.”
Muzafar Khan, chef d’une tribu locale, a corroboré ces propos. Selon lui, le commandant
ouzbek TahirYuldashev, chef du Mouvement islamique d’Ouzbékistan [IMU, organisation terroriste ouzbèke qui opère en Asie centrale et
en Asie du Sud depuis 1998] et lieutenant supposé de Ben Laden, serait à la tête de combattants ouzbeks, tchétchènes, arabes et pakistanais
massés dans la zone frontalière. “Nous savons
qu’ils font partie d’Al-Qaida, déclare Muhammad
Khan. Ce sont des étrangers, ils ne nous ressemblent pas et ne parlent pas le pachto.” Il ajoute que
“leurs camps sont faciles à trouver. Même un enfant
pourrait vous les montrer.”
Ces camps abritent entre 10 et 300 hommes
et sont généralement cachés dans la forêt, disent
les habitants. On y trouve des constructions
simples, en béton et parpaings, entourées de
hauts murs. Certains disposent d’abris souterrains en cas d’attaque. Un responsable du renseignement pakistanais affirme que son gouvernement fait tout son possible pour les trouver et
les détruire. “Je ne dis pas qu’il n’y a pas de terroristes étrangers sur notre sol, mais, quand nous en
localisons, nous les poursuivons”, dit-il. En fait, la
meilleure chance de déloger Al-Qaida se trouve
peut-être du côté des tribus locales qui se sont
violemment opposés à la présence des extrémistes,
qu’ils soient locaux ou non-Pachtounes, dans
la ville de Wana, fin mars et début avril 2007.
Musharraf se joindra-t-il au combat ? Même
si Washington fait pression pour qu’il lutte
davantage contre le terrorisme, sa survie politique dépend encore largement de partis qui
condamnent son soutien aux Américains. Et
puis, le vice-président Dick Cheney, en visite
sur place au début du mois de mars dernier, lui
a ouvertement reproché son incapacité à éradiquer les extrémistes – même si les porte-parole
des deux côtés soutiennent que la relation entre
les deux hommes est toujours solide. “En faire
plus ? Bien sûr qu’ils en font plus ! Tout le monde
en fait plus, mieux et différemment. C’est la guerre”,
déclare un diplomate occidental en poste à Islamabad. “Mais, quand ils disent, à Washington, à
LE PRÉSIDENT MUSHARRAF
DE MOINS EN MOINS CRÉDIBLE
WPN
Tensions
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
12
DU 12 AU 18 AV RIL 2007
Ces capitaux américains pourraient évidemment
améliorer considérablement le sort de cette
région pratiquement dépourvue d’infrastructures. Il ne fait aucun doute que, à terme, des
écoles, des hôpitaux, des routes et l’accès à l’électricité seraient bien plus efficaces contre les extrémistes qu’un accroissement de la présence militaire. Mais ce genre de développement prend
des années. A l’heure où les terroristes renforcent leur emprise, le président doit prendre des
mesures plus radicales. La crise judiciaire et les
manifestations de ces dernières semaines ont
miné sa crédibilité aux yeux des Pakistanais
modérés et laïcs qui formeraient un rempart efficace contre la menace du djihad. Musharraf s’est
engagé à organiser des élections législatives d’ici
à la fin de l’année, mais, pour reconquérir cet
électorat, il lui faudra peut-être aller plus loin et
ouvrir l’élection aux chefs de l’opposition, Nawaz
Sharif et Benazir Bhutto, actuellement en exil.
S’il parvient à faire la preuve de son engagement
en faveur de la démocratie, les Pakistanais pourraient bien le maintenir en place. Assuré de cette
légitimité, il serait sans doute mieux à même de
combattre l’extrémisme dans les Zones tribales.
En février dernier, un étrange défilé composé
de 45 vieux chefs tribaux a emprunté les sentiers
de montagne par lesquels passent généralement
les extrémistes qui vont attaquer les forces américaines ou celles de l’OTAN en Afghanistan. Ils
allaient rencontrer Hamid Karzai, le président
afghan, qui avait ouvertement critiqué l’incapacité de Musharraf à éradiquer le soutien pakistanais aux talibans. “Nous n’avons eu que trop
d’années de guerre, trop de veuves, trop d’orphelins, trop de blessés. Si le djihad continue, il détruira
l’Afghanistan et le Waziristan, a déclaré l’un des
vieux leaders. Nous avons besoin d’aide. Nous ne
faisons plus confiance au gouvernement pakistanais.”
Le chef de la délégation a offert au président Karzai un grand turban traditionnel waziri en soie
jaune. Alors qu’il en coiffait le président, il
déclara : “Vous êtes notre président.Vous pouvez nous
sauver de la catastrophe. Nous sommes à votre service et nous vous soutenons.” En se tournant vers
l’un des rivaux de Musharraf pour lutter contre
les talibans, les tribus désavouent ouvertement
sa politique. Et, si le président pakistanais ne parvient pas à reprendre au plus vite le contrôle
du Talibanistan, ses soutiens à Washington pourraient bien, eux aussi, l’abandonner à leur tour.
Aryn Baker
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ENQUÊTE SUR LE TALABANISTAN
AFP
●
La deuxième vague d’Al-Qaida
Trentenaires, venus d’horizons divers et rompus
à la lutte armée, les nouveaux chefs de l’organisation
inquiètent les spécialistes du contre-terrorisme.
THE NEW YORK TIMES
New York
lusieurs experts américains du renseignement et du contre-terrorisme assurent qu’Al-Qaida est en train de se
reconstruire dans les Zones tribales au
Pakistan. Et qu’Oussama Ben Laden
s’appuie désormais sur une nouvelle
génération de lieutenants pour consolider son
contrôle sur les opérations du réseau. Issus de
la base, ces nouveaux dirigeants se sont imposés après la mort ou la capture des principaux
cadres qui avaient bâti Al-Qaida avant les
attaques du 11 septembre 2001. Cette capacité
de la nébuleuse à se relever de la vaste offensive
menée contre elle par les Etats-Unis a suscité la
surprise et le désarroi des agences de renseignements américaines.
Depuis plusieurs mois, les autorités américaines, européennes et pakistanaises s’efforcent
de reconstituer l’organigramme de ce nouveau
leadership en se fondant en partie sur les preuves
collectées lors d’enquêtes réalisées ces deux dernières années. Les services de renseignements
ont intercepté des communications entre plusieurs agents opérationnels basés dans les Zones
tribales au Pakistan, qui leur ont permis d’en
apprendre davantage sur la structure d’Al-Qaida,
mais le groupe se serait également doté d’un
réseau complexe de messagers humains pour
échapper aux écoutes électroniques. L’enquête
sur le projet d’attentat contre les avions de ligne
décollant de Londres a par ailleurs permis de
remonter jusqu’au cerveau de l’opération : un
commandant paramilitaire égyptien du nom
d’Abou Ubaidah Al-Masri, un des leaders d’AlQaida pour le Pakistan. Ancien de l’Afghanistan,
P
Un groupe
d’étudiants fuit
le Waziristan, secoué
par des heurts entre
l’armée pakistanaise
et les djihadistes.
Des étudiants
d’une madrasa
extrémiste dans
la ville pakistanaise
de Dara, non loin
du Waziristan.
Leur école forme
de nombreux jeunes
hommes avant leur
départ pour le djihad
en Afghanistan.
il ferait régulièrement la navette entre le Pakistan et l’Afghanistan, utilisant les points de passage les plus dangereux et les moins bien gardés
de la frontière. Longtemps soupçonné d’être à
la tête des opérations de la milice dans la province afghane de Kunar, il serait en fait l’un des
principaux stratèges d’Al-Qaida depuis la mort
d’Abou Hamza Rabia, un autre Egyptien tué au
Pakistan en 2005 par un tir de missile.
UNE MULTITUDE DE CELLULES
TERRORISTES “LOCALES”
Les preuves que les experts affirment avoir accumulées sur le rôle d’Al-Masri et d’une poignée
d’autres personnalités les ont conduits à réévaluer la vigueur du noyau dur du réseau dans les
Zones tribales pakistanaises et son rôle dans des
complots terroristes parmi les plus graves de ces
deux dernières années. Ils pensent par exemple
au projet visant les avions de ligne et les attentats
kamikazes de Londres qui, en juillet 2005, ont
fait 56 morts. Cette réévaluation a remis à l’ordre
du jour la nécessité de collaboration entre les services de renseignements pakistanais et américains, et laisse penser que le démantèlement des
infrastructures d’Al-Qaida au Pakistan pourrait
contrecarrer des projets d’attaque de grande
envergure qui ont peut-être déjà été lancés.
A Washington, nombre de hauts responsables
assurent en fait depuis plusieurs années que Ben
Laden et ses lieutenants ne tiennent plus qu’un
rôle secondaire au Pakistan depuis la montée en
puissance de la branche irakienne de l’organisation, nommée Al-Qaida en Mésopotamie, et
l’apparition de réseaux terroristes régionaux
et de cellules dites “locales”. C’est en partie sur
cette analyse que s’est fondée la CIA pour décider de dissoudre à la fin 2005 son unité Alex
Station, qui, pendant dix ans, a été chargée de
capturer le Saoudien et ses plus proches
conseillers, et de demander aux analystes de
sa cellule antiterroriste de se concentrer sur l’expansion de la nébuleuse. Contrairement à la
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
structure relativement hiérarchisée d’Al-Qaida
en Afghanistan avant le 11 septembre 2001, le
commandement de l’organisation serait aujourd’hui plus diffus, réparti sur plusieurs centres
de planification qui travailleraient de façon autonome et n’entretiendraient pas forcément de
contacts suivis avec Ben Laden ou son bras droit,
l’Egyptien Ayman Al-Zawahiri.
On ignore toujours beaucoup de choses sur
les nouveaux chefs du réseau, dont certains ont
adopté un nom de guerre. Les spécialistes pensent qu’ils auraient en moyenne une trentaine
d’années et qu’ils auraient longtemps pratiqué la
lutte armée dans des pays comme l’Afghanistan
et la Tchétchénie. Ils sont issus d’horizons plus
divers que leurs prédécesseurs, qui étaient pour
la plupart des combattants égyptiens aguerris.
Selon les sources américaines, le nouvel encadrement comporterait plusieurs agents opérationnels pakistanais et maghrébins. Les experts sont
convaincus que le conflit irakien produira les
futurs leaders du réseau terroriste. “Les djihadistes
qui rentrent d’Irak sont beaucoup plus performants
que ne l’ont jamais été les moudjahidin qui se sont battus contre les Soviétiques en Afghanistan” [de 1979
à 1989], assure Robert Richer, ancien directeur
adjoint des opérations de la CIA en 2004-2005.
Parmi les autres étoiles montantes de la nébuleuse qui prépareraient des attentats à l’étranger,
les Américains ont identifié un Marocain, Khalid Habib, et un Kurde, Abdoul Hadi Al-Iraqi,
qui est passé en Afghanistan – après avoir servi
dans l’armée de Saddam Hussein – pour se battre
contre l’occupant soviétique. Les officiels américains reconnaissent ne toujours pas très bien
comprendre comment ces cadres opérationnels
communiquent avec Ben Laden et Al-Zawahiri.
Ils sont également partagés et quelque peu
déconcertés à propos du jeu trouble de l’Iran
pour mettre la main sur les chefs d’Al-Qaida.
Des agents du renseignement pensent que Téhéran aurait dans certains cas été très efficace dans
cette traque et aurait placé en résidence surveillée
plusieurs cadres de haut niveau qui avaient fui
l’Afghanistan après les attentats du 11 septembre,
parmi lesquels l’Egyptien Saïd Al-Adel, responsable des opérations du réseau, et Saad Ben
Laden, l’un des fils du chef historique d’Al-Qaida.
Mais ils pensent également que plusieurs autres
grandes personnalités seraient actives sur le sol
iranien, et notamment un Egyptien connu sous
le nom d’Abou Jihad Al-Masri et un spécialiste
libyen en explosifs du nom d’Atiyah AbdEl-Rahbman, lequel irait régulièrement dans les
Zones tribales pakistanaises.
Malgré les dégâts infligés à la structure d’Al-Qaida après les attentats du 11 septembre,
les hauts responsables américains continuent
de craindre que le groupe ne soit déterminé
à lancer une offensive à l’échelle mondiale.
“Nous craignons depuis un certain temps que les
chefs tentent de reconstruire une chaîne de commandement et une structure organisationnelle”,
nous a déclaré Robert S. Mueller III, directeur
du FBI. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’AlQaida prépare “des opérations complexes et de
grande envergure”. “C’est se voiler la face que
de clamer que la nébuleuse a été anéantie au simple
prétexte qu’elle n’a pas attaqué les Etats-Unis
depuis 2001”, souligne Michael Scheuer, ancien
directeur de l’unité Ben Laden de la CIA. “AlQaida continue d’œuvrer dans l’ombre, et avec une
nouvelle génération de dirigeants.”
Mark Mazzetti
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f ra n c e
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É LY S É E 2 0 0 7
Plus fort, “La Marseillaise” !
Le drapeau, l’identité nationale, l’hymne… Cette campagne agite les symboles mais évite les vrais débats.
Ce que le correspondant de l’hebdomadaire Die Zeit n’apprécie manifestement pas…
DIE ZEIT (extraits)
modèle républicain d’intégration, sait
pourtant qu’il n’est souvent que dans
la moyenne européenne. Alors que jusqu’à présent le plus grand malheur de
la classe politique sortante a été d’embellir la situation, la génération suivante
se plaît à prédire une catastrophe imminente. Dans les scénarios cauchemardesques de Nicolas Sarkozy, l’Etat est
menacé de banqueroute, de conflits
raciaux, de violence, d’invasion étrangère et de perte d’autorité.
Hambourg
es Français attendaient
beaucoup de cette élection
présidentielle. Une nouvelle
génération d’hommes politiques devait balayer la gérontocratie
au pouvoir, mettre fin à la monarchie
présidentielle, dépoussiérer les institutions, réformer la protection sociale,
dynamiser les entreprises et donner
une nouvelle chance aux exclus. La
France allait s’ouvrir à nouveau à l’Europe, surmonter son égoïsme missionnaire dans les affaires étrangères
et tout faire pour que ses 62 millions
d’habitants reviennent à la réalité, affirmaient les principaux candidats.
Deux semaines avant le premier
tour, on ne voit pas grand-chose de
tout cela. En revanche, dans les meetings de campagne, qui ont rarement
été aussi bondés, c’est à qui chantera
le plus fort La Marseillaise. En quelques
jours, ce chant est devenu le premier
devoir du citoyen. Comme les virages
de supporters dans les stades de football, les salles de réunion retentissent
de cet air guerrier que chantait l’armée
du Rhin face aux troupes germanoautrichiennes et qui est l’hymne national depuis 1795. Les logos des partis
et les affiches des candidats se perdent
dans la mer de drapeaux tricolores
qu’on a distribués gratuitement. Au
lieu d’ouvrir des perspectives, les candidats de gauche comme de droite
sèment les illusions.
Pour les railleurs, ce changement
d’opinion s’explique par des raisons
bassement matérielles : depuis que
l’Institut de l’entreprise a calculé que
les principaux candidats avaient désespérément sous-estimé le coût de leur
programme, les protagonistes sont passés à des promesses plus abordables.
Cette explication sous-estime cependant la passion avec laquelle les candidats prêchent ce nouveau patriotisme. Voilà des mois que Nicolas
Sarkozy a déplacé une campagne auparavant axée sur l’optimisme économique et l’ouverture sur le monde sur
le terrain du retour à la France et à
l’identité nationale. Au début, c’était
plutôt anodin, il invoquait par exemple
les deux mille ans d’histoire et tous les
héros, de gauche comme de droite, du
pays. Mais, dernièrement, il a prôné la
création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Horrifié, Le Monde a rappelé que seul Vichy
avait auparavant créé une administration publique pour protéger l’identité
nationale : “C’était un instrument politique de nettoyage ethnique.”
Nicolas Sarkozy souhaite tellement
éviter d’être associé à cette période de
l’histoire de France qu’il a récemment
expliqué, avec des accents nettement
germanophobes, que la France ne
L
Dessin de
Schneider, Montréal.
POUR L’OPINION, SEUL LE PLUS
PATRIOTE ASSURERA L’ORDRE
Le Pen
et Henri IV
Pour le correspondant
de la Süddeutsche
Zeitung,
la campagne
présidentielle montre
que le modèle
de présidence
“monarchique”
façonné sur mesure
par de Gaulle
s’est épuisé. Aucun
des 12 candidats
n’a l’assurance
d’être “l’élu”
du peuple français.
Car près de la moitié
des électeurs sont
encore indécis.
L’incertitude qui
plane sur cette
élection
se manifeste dans
la versatilité
des thèmes de
campagne. Il est
donc peu surprenant
que les candidats
versent dans une
surenchère de
promesses qu’ils ne
pourront pas tenir.
Dans cette course
absurde, Le Pen
remporte la palme :
en cas de victoire,
il inviterait les
Français à un buffet
géant allant de l’Arc
de triomphe jusqu’à
la Concorde. Après
tout, Henri IV
n’a-t-il pas assuré
sa popularité grâce
à la promesse
d’une poule au pot ?
serait “jamais victime de la tentation totalitaire”, et n’avait d’ailleurs “jamais
commis de génocide, ni inventé la solution
finale”. Notre candidat se moque du
fait que Jacques Chirac, en 1995, a
reconnu – au prix de vraies douleurs
pour l’identité nationale – la coresponsabilité de l’Etat français dans la
déportation des Juifs. Ségolène Royal
entonne désormais l’hymne national à
chacune de ses apparitions et demande
à tous les Français de se procurer un
drapeau tricolore et de l’accrocher à
leur fenêtre le 14 juillet. Cette fille d’officier élevée dans l’ultracatholicisme
n’a personnellement pas de gêne visà-vis des symboles nationaux.
DISPUTER LE MONOPOLE DE
LA NATION À JEAN-MARIE LE PEN
Les deux principaux candidats affirment hypocritement qu’ils entendent
ainsi contester le monopole de l’amour
de la patrie dont jouissent les extrémistes de droite. Il serait donc logique
de constater un début de panique du
côté du président du Front national
car, après tout, sa marque de fabrique
traditionnelle semble désormais menacée. Pourtant, quand on observe JeanMarie Le Pen en ce moment, il est difficile de voir en lui ce radical excité qui
clamait toujours plus fort son traditionnel “la France aux Français”. Au
contraire, à 78 ans, le président du
Front affiche une humeur rayonnante.
C’est cette année la cinquième et la
dernière fois qu’il se présente à la fonction suprême, et il n’a même pas besoin
de gagner l’élection pour se targuer
d’avoir réussi sur toute la ligne : ses slogans contre la sécurité et la souveraineté menacée de la France se sont
depuis longtemps frayé un passage
dans la société et les partis dit “de gouvernement”.
Voilà des décennies que Jean-Marie
Le Pen est l’éternel intrus de la politique, celui qui nie toutes les mauvaises
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
14
actions de la France, de la collaboration aux guerres coloniales, et réoriente
à son profit les débats nationaux.
Depuis qu’il s’est retrouvé au second
tour face à Jacques Chirac en 2002,
il est devenu le diable pour les classes
dirigeantes qui font tout pour le marginaliser – quitte à l’imiter pour cela.
Mais quelle différence entre l’original et la copie ! Nicolas Sarkozy
prêche en transpirant et en brayant
qu’il faut s’adapter aux valeurs de la
République et demande à ceux qui
n’aiment pas la France de la quitter.
Ségolène Royal déclare sur un ton pontifiant qu’une identité nationale fermement établie est la condition d’une
intégration réussie. Jean-Marie Le Pen,
lui, livre la moins agressive de ses campagnes et se montre sur ses affiches
avec des Maghrébins en “bons” immigrés. Il sait que beaucoup considèrent
La Marseillaise avec suspicion parce
qu’on y demande “qu’un sang impur
abreuve nos sillons”. Mais, pour lui, l’important, c’est le côté révolutionnaire…
le patriotisme viendra tout seul.
Si les électeurs de Jean-Marie Le
Pen sont, comme le veut une blague
française, “des anciens communistes qui
se sont fait agresser deux fois dans la rue”,
on se demande ce qui est arrivé aux
autres Français pour qu’ils s’enthousiasment pour les slogans aguichants
de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal.
On peut comprendre que ce pays qui
pleure encore son rôle de leader culturel en Europe ait manifestement du
mal à définir ce qui fonde son identité
culturelle. Mais le besoin d’affirmation
de la France, qui a quand même une
tendance au nombrilisme et qui est
championne du monde pour convoquer les symboles historiques, les traditions et les mentalités, est plus profond. Ce pays, qui s’est toujours pris
pour le premier de la classe dans tous
les domaines, du système de santé au
système scolaire en passant par le
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Les pronostics de Ségolène Royal parlent de désolidarisation, de désintégration, d’inégalité, d’absence de perspectives et d’effondrement de l’Etat.
Cette campagne pessimiste, qui dure
depuis des mois, a donné aux Français
le sentiment que la cinquième puissance économique du monde était
quasiment un pays en voie de développement. En chantant soudain les
louanges de la construction nationale,
les chantres de l’apocalypse ont bien
calculé leur coup. Depuis que le
sentiment subjectif de détresse des
citoyens s’ajoute à la conscience objective d’une crise, les pionniers de l’identité nationale apparaissent bel et bien
comme la seule bouée de sauvetage.
Mais les Français sont facilement
irritables, et en mettant en avant une
menace, on risque d’en venir aux
mains. C’est ce qui s’est produit pendant les émeutes des banlieues de
novembre 2005. Nicolas Sarkozy avait
alors gratifié le pays de trois semaines
d’état d’urgence et avait en prime
insulté les jeunes des banlieues. Après
des années de travail acharné de la
police et de renforcement des sanctions
pénales, le ministre de l’Intérieur ne
peut aujourd’hui toujours pas se rendre
dans les banlieues. Il compense donc
son bilan sécuritaire déficitaire par des
appels au patriotisme.
Le cas de François Bayrou est
typique. Au milieu de cette campagne
tout en émotion, le chrétien-démocrate
est le seul à garder la tête froide et à
dénoncer la “névrose identitaire” de ses
adversaires. De récents sondages montrent toutefois que le raccourci entre
la rhétorique nationale et la rhétorique
sécuritaire fonctionne : aux yeux du
citoyen, seul le plus patriote peut protéger l’ordre public. Aujourd’hui, celui
qui promet sécurité et identité de façon
convaincante peut caresser les espoirs
les plus fous. Le spectre de l’extrême
droite ne planera peut-être que jusqu’au premier tour. D’ici là, les candidats remueront ciel et terre pour rester dans la course. Ensuite, il leur
restera deux semaines jusqu’aux résultats pour se souvenir de ce qu’ils
avaient promis aux Français pour ce
changement de génération politique.
Michael Mönninger
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f ra n c e
R E P O RTA G E
C O M M E N TA I R E
Aubade, la dernière leçon
La République
fraudeuse
Les politiques n’ont pas réussi à sauver les emplois de l’entreprise de lingerie
de La Trimouille. Pas même Ségolène Royal,
présidente de la Région.
DER STANDARD
Vienne
l règne un silence de mort à La
Trimouille. Seul un chat traverse
la place du village. Ah, enfin
quelqu’un ! “L’usine Aubade ?
Elle est définitivement fermée”, assure la
dame en désignant un bâtiment délabré derrière un portail de fer. Maintenant que les ouvrières ne sont plus là,
il ne se passe plus rien ici. “C’est une
catastrophe.” La Trimouille tirait l’essentiel de ses revenus des soutiensgorge, des slips et des strings du célèbre
fabricant de lingerie fine. En 2005,
Aubade annonça avoir des difficultés
à rivaliser avec la concurrence internationale. La marque a donc procédé
à une restructuration : sur les
180 emplois de couturière que comptait l’entreprise poitevine, 140 ont été
délocalisés en Tunisie. Les ouvrières
qui travaillent encore chez Aubade
s’occupent de la logistique à SaintSavin, la bourgade voisine. Le visiteur
qui arrive là-bas après quelques
minutes de voiture à travers des
champs dénudés n’y trouve pas une
meilleure ambiance. La direction refuse
de parler aux journalistes. Une dame
d’un certain âge arrête un instant son
vélo et déclare, après un bref regard
vers le bureau de la direction, ne pas
savoir combien de temps l’usine va
encore “tenir”.
Une autre ouvrière, qui a travaillé
trente-huit ans chez Aubade, raconte
qu’elle a été “jetée dehors comme une
voleuse” en février. “Quand je suis revenue des vacances d’hiver, mon emploi
n’existait plus.” Les “filles” – c’est
comme ça ici que l’on appelle les
ouvrières d’Aubade, malgré une
moyenne d’âge de 47 ans – qui restent
I
Dessin de Bengt
Fosshag paru dans
la FAZ, Francfort.
doivent s’estimer heureuses de percevoir encore leur salaire minimum de
1 100 euros par mois.
Au début de “l’affaire Aubade”,
Ségolène Royal, la présidente de la
Région Poitou-Charentes, est intervenue en leur faveur. La candidate
socialiste à l’élection présidentielle
a même menacé, fin 2006, d’occuper l’usine avec le personnel.
Les personnalités politiques
locales conservatrices s’étaient
elles aussi rangées au côté des
“filles”. Mais les politiques n’obtinrent rien, à part un bref sursis.
“C’est là qu’on voit à quoi ça sert,
la politique”, s’énerve le maire communiste de Saint-Savin. “Si les
habitants de ma commune veulent
trouver du travail aujourd’hui, ils doivent aller à Poitiers, la grande ville la plus
proche, à 50 kilomètres d’ici. Et les petits
commerces locaux partent avec eux. Le
village meurt à petit feu.”
Toute la région souffre de cet
exode. En France, l’industrie manufacturière a perdu 800 000 emplois au
cours des quinze dernières années ; le
textile a perdu près de neuf emplois
sur dix depuis les années 1970 et
n’emploie plus que 100 000 personnes. Aubade n’a pas eu d’autre
choix que de délocaliser sa production
en Afrique du Nord, où les salaires
sont deux fois moins élevés que le
salaire minimum français. “Le pire, c’est
que les gens n’attendent plus rien de la
classe politique, confie le syndicaliste
Alain Barreau. Ils ne s’étonnent même
plus que Ségolène Royal ait dû, elle aussi,
accepter la fermeture de l’usine sans rien
faire. C’est pour ça qu’ils votent ensuite
pour des extrémistes comme Le Pen.Tout
simplement par colère.”
Stefan Brändle
Le libre arbitre
existe-t-il ?
■
Der Standard se pose
la question en
égratignant Nicolas
Sarkozy. “Avec sa
phrase ‘J’inclinerais
pour ma part
à penser que l’on naît
pédophile’, le
candidat conservateur
se donne des airs
de philosophe
du dimanche,
tendance déterministe.
Il faut dire que lui,
pour le coup, a la
politique inscrite dans
ses gènes. Or, à moins
de deux semaines du
premier tour, Royal et
Bayrou semblent trop
faibles pour s’opposer
à la volonté quasi
innée de Sarkozy
de l’emporter.
Pourtant, la victoire
du candidat
conservateur est loin
d’être inscrite dans
les gènes du peuple
français. Plus du tiers
des Français sont
encore indécis et ont
prouvé maintes fois,
dans l’isoloir, leur
imprévisibilité.”
I D E N T I T É N AT I O N A L E
Un bon conseil de voyage : n’oubliez pas votre drapeau !
Les judicieux conseils du quotidien de gauche
Die Tageszeitung aux Allemands qui
passeront leurs vacances dans l’Hexagone.
a prochaine fois que vous irez en France,
mieux vaut vous procurer un petit drapeau
bleu blanc rouge avant de partir. Ce serait aussi
une bonne idée d’apprendre le refrain de La Marseillaise (vous trouverez les paroles sur la page
d’accueil du site de l’Elysée, <elysee.fr>). Et
si vous voulez être parfaitement préparé, posezvous quelques questions sur votre propre identité nationale. L’allemande, en l’occurrence.
Si jamais vous en avez trop honte, adoptez au
moins une identité européenne.
Ces recommandations sont valables dans tous
les cas de figure – quel que soit le vainqueur de
l’élection présidentielle. Car cette année, les
drapeaux, chansons et symboles patriotiques
sont à la mode. Pas seulement pour Jean-Marie
Le Pen – cela fait des décennies déjà que la
flamme de son parti brûle aux couleurs de la
L
France –, mais aussi pour les trois autres candidats les mieux placés, qui se livrent à une surenchère de patriotisme. Un homme de droite
(Nicolas Sarkozy) promet un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Sur la scène
de ses meetings, l’autre homme de droite (François Bayrou), droit comme un I et les yeux fermés, chante l’hymne national. La socialiste
(Ségolène Royal) conseille à chaque ménage
d’acheter un drapeau tricolore et de le hisser à
sa fenêtre le jour de la fête nationale.
“Cocorico”, fait le coq gaulois. On se frotte les
yeux. Il y a peu encore, les Français avaient pourtant de toutes autres préoccupations : ils sont
descendus dans la rue pour manifester contre
le contrat première embauche (CPE). Ils ont
incendié des voitures et des bus dans les ghettos de banlieue. Et le pays a dit non à une Constitution qui ne leur offrait pas assez de justice
sociale. Tout cela sans drapeaux et sans hymne.
A chaque fois, les “grands” candidats à la présidentielle ont été surpris par leurs compatriotes.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
Et à chaque fois aussi ils ont dû trouver déplacé
que leur propre peuple manifeste, s’enflamme
et vote contre leur politique. Mais ils peuvent
difficilement le dire. Et encore moins maintenant, alors que chaque voix compte. Ce serait
insulter les citoyens. Cela diviserait. Et cela
ne leur rapporterait que des ennuis.
Si vous allez en France, c’est que vous recherchez l’harmonie et de nouveaux amis. Alors il
vous suffira d’agiter votre petit drapeau et de
chanter l’hymne national pour y parvenir. Et songez que le drapeau tricolore et La Marseillaise
ont déjà servi toutes les causes : tantôt la Révolution, tantôt la contre-révolution ; ici la Résistance, là la collaboration ; un jour les fanfares
militaires, un autre les chanteurs de reggae révoltés. Le drapeau tricolore et La Marseillaise sont
des symboles adaptables. C’est pour cela qu’ils
plaisent tant aux responsables politiques de
tout bord. Et c’est justement pour cela qu’il serait
utile de les mettre dans vos valises.
Dorothea Hahn, Die Tageszeitung, Berlin
15
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
’usager noir n’avait pas de titre
de transport. Les contrôleurs,
qu’il traitait de racistes, ont appelé des renforts, le passager contrôlé
aussi. C’est ainsi qu’ont éclaté les
émeutes de la gare du Nord, qui ont
ouvert la phase finale de la campagne
présidentielle [le 27 mars]. Sarko, alias
Nicolas Sarkozy, a reproché à Ségo,
soit Ségolène Royal, de se ranger dans
le camp des resquilleurs. En riposte,
elle l’a traité de menteur. Puis, un peu
hâtivement, le ministre de l’Intérieur
a décrit le Noir voyageant à l’œil
comme un clandestin multirécidiviste. Il semble qu’il n’y ait pas que l’intégration qui se porte mal en France,
la justice aussi. Et pas seulement dans
ce cas : 30 % des peines de prison ne
sont jamais effectuées.
La proportion d’amendes réglées
est à peu près aussi élevée que celle
des séjours à l’ombre qui ne sont pas
accomplis : un tiers. Autrement dit,
deux tiers des contraventions ne sont
pas payées. Longtemps, les compteurs
ont été remis à zéro à l’issue de la présidentielle, par le biais d’une amnistie. Cette fois, ce sera difficile. Car la
sécurité du territoire et les étrangers
occupent une place centrale dans la
campagne. Le nouveau président ne
pourra donc pas tout simplement
ouvrir les portes des prisons. En outre,
la France a enfin l’intention de se rapprocher de ce qu’est une démocratie
moderne. Par conséquent, on parle
davantage de prévention. On vient
d’annoncer que les bénéficiaires du
revenu minimum d’insertion pourront
emprunter gratuitement le métro et le
RER [une mesure prise par la Région
Ile-de-France]. Or, qui dit moins de
resquilleurs dit également moins de
risques d’émeutes. Ainsi, les trains de
banlieue seront désormais moins dangereux que l’autoroute, où personne
ne peut échapper aux péages. De toute
façon, sur l’autoroute, on ne peut pas
faire grand-chose : les automobilistes
français se collent aux fesses, se poussent, se font des queues de poisson, se
doublent par la droite, tout cela est
parfaitement banal.
En première ligne sur ce terrain de
violence routière : le futur président,
quel qu’il soit. Les journalistes ont suivi
les voitures de tous les candidats.
Résultat : la nuit, sous la pluie, Sarkozy
double à 130 km/h là où la vitesse est
limitée à 70 km/h. Quant à Le Pen, il
appuie sans sourciller sur le champignon. Mais à gauche aussi, on contribue à la terreur sur les routes. En tout
cas, personne ne respecte la loi.
Comme ministre de l’Intérieur, Sarkozy a hérissé la France de radars qui
empêchent les citoyens libres de partir en roue libre et a ainsi sauvé des milliers de vies. Dans la course à l’Elysée,
en revanche, même en cas d’accident,
voire de défaite, pas besoin d’amnistie. Car aucun policier n’a encore osé
retirer leur permis aux politiques en
excès de vitesse et à leurs chauffeurs.
Jürg Altwegg, Frankfurter Allgemeine
Zeitung, Francfort
L
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f ra n c e
FRANCOPHONIE
Est-il encore utile de parler français ?
Au Liban, l’usage du français se perd petit à petit, surtout chez les plus jeunes. Et lorsque les universités
françaises cherchent à recruter des étudiants arabes, elles exigent un “bon niveau d’anglais”.
Les Libanais
ont oublié Hugo…
puter à Internet, en passant par le chat,
il suffit d’écouter parler les jeunes dans
nos écoles, universités, cafés et boîtes
de nuit pour se rendre compte de la
place qu’a pris l’anglais. Les termes
techniques et les expressions courantes qu’ils utilisent montrent que
l’anglais n’est plus seulement la langue
des affaires, comme on le pensait par
le passé, mais également celle de la
vie sociale, des relations amicales et
même de l’amour.
Raëd Jubair
AN-NAHAR
Beyrouth
aut-il avoir pour le français
cette tendresse qui sied à
tout ce qui appartient au
passé ? Qu’est devenue cette
langue qui nous a permis d’entrer dans
la modernité et à travers laquelle nous
avons découvert tant d’histoires, de
poèmes et de romans ? Qu’en est-il de
cette langue de Molière, d’Hugo, de
Racine, de La Fontaine, de Baudelaire,
de Rimbaud, de La Bruyère, de
Colette, de Sartre, de Camus, de
Beauvoir, d’Aragon et de tant d’autres
grâce auxquels notre conscience
culturelle s’est ouverte ? Est-ce une
langue de salon qui n’a plus sa place
dans le monde d’aujourd’hui ? Ce sont
toutes ces questions que je me pose
quand j’entends parler du français
comme d’une “langue vivante”. Qu’est
donc une langue vivante et comment
se distingue-t-elle d’une langue
morte ? Décidément, d’autres langues,
voire toutes, connaissent les mêmes
difficultés d’adaptation à la vivacité de
nos temps modernes. Et en premier
lieu l’arabe.
Je ne peux que déplorer le recul
du français au Liban, à commencer
par celui de son enseignement dans
les écoles, même francophones. C’est
comme si, dans la bouche des étudiants et des élèves, cette langue s’était
asséchée. Devant la progression de
l’anglais, qui a tout d’une invasion, le
français semble se replier sur luimême, se recroqueviller sur ce qui
F
… et les facs françaises
préfèrent Shakespeare
AL-KHALEEJ
Chardja
’ai été surpris récemment par
une campagne censée promouvoir les cursus universitaires en
France. Le texte, en arabe, insistait curieusement sur la nécessité de
maîtriser l’anglais, la langue de Shakespeare, comme ils disent. Il est vrai
que de plus en plus d’universités françaises assurent leurs cours partiellement ou entièrement en anglais.
Pourtant, les Français ont l’habitude
d’insister sur la richesse de leur
langue et sur son importance internationale puisqu’elle est parlée par
près de 200 millions de personnes à
travers le monde, qu’elle est apprise
par plus de 80 millions d’autres et
qu’elle est l’une des deux langues officielles de diverses organisations internationales, au premier rang desquelles
l’ONU. Et la France déploie
d’énormes efforts pour soutenir son
rang linguistique. Ainsi finance-t-elle
J
reste d’une élite francophone qui persiste à parler en français à ses enfants.
Mais ces mêmes enfants n’ont qu’une
envie en grandissant : embrasser la
langue anglaise.
Est-ce la loi du plus fort qui s’appliquerait aux langues ? Quoi qu’il en
soit, la jeune génération semble avoir
tranché la question puisqu’elle a
adopté l’anglais en tant qu’outil pour
s’ouvrir au monde moderne. Du com-
Dessin d’Ajubel
paru dans
El Mundo,
Madrid.
un réseau impressionnant d’instituts
et de centres culturels à travers le
monde. Tous ceux qui s’intéressent
un tant soit peu aux enjeux culturels
de la mondialisation savent que la
France s’est beaucoup impliquée
dans le dialogue entre les cultures.
Elle est l’un des pays les plus actifs
dans la coopération culturelle avec
l’étranger, y compris les pays arabes,
et ses élites réfléchissent beaucoup à
la manière de résister à l’américanisation culturelle.
Quant à nous, nous pouvons affirmer sans forfanterie que la France est
toujours perçue comme le pays des
Lumières, de la démocratie, de la
culture, de la philosophie et du pluralisme. Ainsi, un étudiant ne peut
qu’être séduit à l’idée d’un séjour en
France, non seulement pour goûter
au style de vie des Français, mais également pour s’ouvrir à des points de
vue différents de ceux qu’il connaît
et se frotter à la diversité des opinions.
Il n’en est que plus étonnant que les
Français eux-mêmes semblent se sentir obligés de donner des gages aux
anglophones. Cette façon de promouvoir l’anglais au sein de leurs
propres universités s’inscrit-elle dans
la promotion de la diversité culturelle
dont l’Hexagone se fait l’avocat au
niveau international ? Ou bien est-ce
une manière d’attirer davantage
d’étudiants qui, sans cela, iraient aux
Etats-Unis ? A moins que ce ne soit
une sorte de capitulation face à la
suprématie de l’anglais dans le monde
actuel. Suprématie de la langue
anglaise qui va de pair avec un style
de vie dans lequel Shakespeare n’a
même plus sa place.
Hassan Madan
I M M I G R AT I O N
Sarkozy divise les Algériens pour mieux régner
En rencontrant d’abord les harkis, puis les
Berbères, le candidat de l’UMP chercherait
à fissurer l’unité des Algériens de France.
deux semaines du premier tour de la
présidentielle française, Nicolas Sarkozy tente de séduire les électeurs d’origine algérienne. Selon nos informations, le
candidat de droite devait recevoir, le mercredi 12 avril, une délégation d’associations berbères composée d’une vingtaine
de personnes. La réunion devrait durer une
heure et se tenir au siège de campagne du
candidat de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), à Paris. Rachida Dati, d’origine algéro-marocaine et por te-parole du
candidat Sarkozy, est à l’origine de cette
initiative. Mais certaines associations ont
déjà décliné l’invitation, estimant que la démarche de Nicolas Sarkozy est dangereuse et pourrait être por teuse de divisions
A
au sein des Français d’origine algérienne.
Début avril, le candidat de droite avait en
ef fet déjà reçu une délégation de la
communauté harkie. Dans son discours, M. Sarkozy a clairement opposé cette communauté aux autres
membres de la communauté algérienne de France. Le candidat de
l’UMP s’est engagé, par exemple,
à développer pour les harkis une
“discrimination positive forte et ciblée” et à travailler à l’amélioration
de la circulation des personnes
entre la France et l’Algérie. Il
s’est également engagé en faveur d’une repentance de la
France pour les crimes commis contre les harkis durant et
après la guerre d’Algérie. Ces
déclarations ont suscité un malaise au sein
même de la communauté harkie. Et pour
cause : “Les harkis n’ont pas de problèmes avec l’Algérie ni avec les Français
d’origine algérienne. Parler aujourd’hui d’une discrimination positive
renforcée pour les harkis suppose que les autres Français
d’origine algérienne mais qui ne
sont pas harkis auront droit à
une discrimination positive
light ?” s’indigne un représentant
d’une association d’enfants de
harkis qui a pris par t à la rencontre de samedi dernier.
La condition des femmes d’origine
musulmane constitue également un des
thèmes de prédilection de Nicolas Sarkozy. Depuis quelques années, il tente
systématiquement de les présenter
comme des victimes, opprimées par
leurs frères ou époux. Il dénonce systématiquement ceux qui “excisent leurs
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
16
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
filles, empêchent leurs femmes ou leurs
sœurs de s’habiller comme elles le souhaitent…” Le 11 avril, Nicolas Sarkozy
devrait multiplier les promesses en direction des associations berbères, accentuant ainsi le malaise au sein de la diaspora algérienne de France.
Depuis quelques années, toutes les composantes des Français d’origine algérienne
militent ensemble autour de revendications
communes et loin des divisions. Aujourd’hui,
ils redoutent ouvertement que la démarche
du candidat Sarkozy qui consiste à faire des
promesses ciblées – harkis, Kabyles… – ne
débouche sur de nouvelles divisions et ne
fasse oublier les problèmes auxquels sont
confrontés les Français d’origine algérienne :
discriminations, chômage, racisme…
Rabah Yanis, Le Quotidien d’Oran, Algérie
Dessin de Pérez D’Elías paru dans ABC, Madrid.
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e u ro p e
●
UKRAINE
Tenez bon, Monsieur le Président, vous êtes sur la bonne voie !
Après des mois d’atermoiements, Viktor Iouchtchenko a enfin pris la décision qui s’imposait : dissoudre
le Parlement et provoquer des législatives anticipées, se félicite dans son éditorial le quotidien Kyiv Post.
KYIV POST
se serait peut-être apaisé. Mais la
Cour elle-même est paralysée, divisée en fonction des partis qui ont
nommé ses juges. Iouchtchenko avait
donc raison quand il a déclaré que le
système constitutionnel du pays était
en panne.
Spectacle troublant : pendant huit
mois, Iouchtchenko est resté inactif
alors que la coalition de Ianoukovitch
au Parlement violait les règlements
constitutionnels, extirpait des députés de l’opposition pour raffermir sa
prise sur le pouvoir. Une dissolution
moins tardive aurait été plus utile au
président. Avec du recul, toutefois, on
peut supposer que cette mesure
constitue un précédent important
pour notre jeune démocratie. Iouchtchenko n’a cessé d’inviter à un juste
compromis et a rappelé qu’il se devait
d’offrir à l’équipe de Ianoukovitch
la possibilité de changer.
Kiev
éputé pour sa tendance à
tergiverser et pour avoir
toujours plusieurs trains de
retard sur ses adversaires,
Viktor Iouchtchenko nous a tous pris
par surprise la semaine dernière en
tentant ce que l’on peut sans doute
considérer comme le coup le plus difficile et le plus risqué de sa carrière.
Le 2 avril dernier, il a proclamé la dissolution du Parlement. Celui-ci bénéficie du soutien de la coalition au
pouvoir, sous la férule du Premier
ministre Viktor Ianoukovitch.
Pour la première fois depuis des
mois, le dos au mur, le président
ukrainien a pris la bonne décision.
Confronté à la menace réaliste de voir
compromise sa politique de rapprochement avec l’Occident, trahi par des
législateurs qui avaient quitté son parti
[Notre Ukraine], les mains liées par
des amendements confus de la
Constitution votés après sa prise de
fonctions, Iouchtchenko n’avait
d’autre choix que “d’étendre” son
autorité constitutionnelle face à ses
adversaires avides de pouvoir.
Certes, sur la scène politique
ukrainienne, aussi opaque que susceptible de basculer du jour au lendemain, la situation reste explosive.
Le décret présidentiel qui a renvoyé
la Rada [l’Assemblée] pourrait encore
R
METTRE FIN AU BLOQUAGE
CONSTITUTIONNEL DU PAYS
être annulé par une décision de la
Cour constitutionnelle, mais nous n’y
croyons pas, et espérons que le président, littéralement assiégé, tienne bon
et garde le cap.
Les événements récents au sein
de la Cour démontrent la sagesse de
la décision de Iouchtchenko. Conçue
par les auteurs de la Constitution
ukrainienne comme un arbitre, la
Cour constitutionnelle s’est révélée
incapable de statuer sur quoi que ce
soit durant ces huit derniers mois.
Si elle avait tranché chaque fois que
Iouchtchenko et Ianoukovitch avaient
fait appel à elle afin de clarifier leurs
domaines de responsabilité, le pénible
affrontement entre les deux hommes
Ianoukovitch
(à gauche)
et Iouchtchenko.
Dessin de Tiounine
paru dans
Kommersant,
Moscou.
POLOGNE-RUSSIE
Deux fois victimes d’Auschwitz
La question de la nationalité – soviétique
ou polonaise – des victimes du camp
originaires des territoires annexés par l’URSS
en 1939 oppose Moscou à Varsovie.
es Polonais ont libéré Auschwitz” : c’est
sous ce titre ironique que le quotidien
russe Kommersant a révélé, le 3 avril, le dernier contentieux diplomatique russo-polonais.
Sous-entendu : “Les Polonais ont libéré [le
musée d’] Auschwitz de la présence russe”.
En effet, la direction du musée de l’ancien
camp de concentration nazi refuse la réouverture du pavillon russe, fermé pour rénovation depuis 2005, au motif que les victimes
du nazisme originaires des voïvodies orientales de la Pologne et des Etats baltes sont
comptabilisées comme “soviétiques”.
“Une fois de plus, les relations entre la
Pologne et la Russie sont mises à rude
épreuve. Les Russes sont choqués que la
direction du musée de l’ancien camp de
concentration d’Auschwitz refuse de considérer comme soviétiques les victimes originaires des voïvodies polonaises annexées le
17 septembre 1939 par l’Union soviétique”,
L
s’étonne le quotidien varsovien Gazeta
Wyborcza. L’exposition, datant de 1961, à la
mémoire des ressortissants soviétiques morts
au camp, a été fermée à la demande des
Russes, il y a trois ans, pour restauration.
Rouverte exceptionnellement en janvier 2005,
à l’occasion de la visite de Vladimir Poutine,
lors du 60e anniversaire de la libération du
camp l’exposition fait depuis l’objet de négociations entre les deux pays quant à sa
forme définitive.
“Les Russes veulent s’attribuer des victimes
polonaises, juives et baltes”, s’indigne dans
le quotidien Dziennik Wladyslaw Bartoszewski,
ancien résistant et prisonnier du camp,
membre du Conseil international du musée
d’Auschwitz. “Avant les accords de Yalta et
de Potsdam (1945), ces territoires n’avaient
jamais appar tenu à l’URSS. Si l’on pense
le contraire, alors le pacte Ribbentrop-Molotov
(1939) est toujours valable. Dans ce cas,
qu’ils le disent ouvertement.”
Au Conseil de la Fédération de Russie, le sénateur Mikhaïl Marguelov accuse la Pologne
d’insulter la mémoire des victimes de l’Holocauste, “otages de la dégradation des rela-
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
tions russo-polonaises”. Et Kommersant de
rappeler le veto opposé par les Polonais au
lancement des négociations UE-Russie, à la
suite de l’embargo russe sur les produits agricoles polonais.
“Toute l’Europe obser ve avec l’inquiétude
notre russophobie et le ‘révisionnisme historique’ qui en résulte”, constate le quotidien
Rzeczpospolita. “Mais, comme chaque enfant
russe le sait, poursuit-il avec un humour noir,
tous ces gens ont adopté avec joie la citoyenneté soviétique après le 17 septembre 1937,
voté à 99,9 % pour le pouvoir des soviets,
puis sont partis dans des wagons à bestiaux
en direction de la Sibérie et du Kazakhstan…”
“Ni les Russes ni les Polonais n’ont l’intention de modifier leur position quant à la question de la nationalité des détenus”, conclut
provisoirement Kommersant. Le ministère des
Affaires étrangères russe juge “absurde” l’exigence des Polonais, qui veulent mentionner
sur les cartes de l’exposition les “territoires
annexés” (à savoir l’Ukraine et la Biélorussie
occidentales, et les Pays baltes), et demande
que des représentants russes fassent partie
du Conseil international d’Auschwitz.
19
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Si tout se passe bien, et si l’Ukraine
est le théâtre de législatives anticipées,
alors la position du président sera vue
comme une étape majeure sur le chemin de la démocratie, et peut-être
même comme une leçon pour des
politiciens obsédés par le pouvoir au
détriment de l’intérêt national.
Parmi les membres de la classe
politique, les premiers qui devraient
commencer à réfléchir sont ces gens
riches et influents qui privilégient des
relations amicales avec Moscou pour
s’assurer à court terme du gaz à un
bon prix pour leurs usines. Un calcul
dangereux qui, selon nous, n’a fait
qu’alimenter la corruption des élites.
Le principal risque que court
l’Ukraine aujourd’hui, avec ou sans
élections, tient à sa Constitution estropiée. Elle ne fonctionne plus depuis
que Iouchtchenko a accepté le compromis politique qui a mis fin à la
“révolution orange”. Cet accord a
transféré le pouvoir présidentiel au
Parlement. Mais, au lieu de déboucher sur un Etat de droit, il a accouché d’un énorme vide, et d’une
absence totale de clarté quant au partage des responsabilités.
Or c’est ce manque de règles précises qui a abouti à la crise constitutionnelle que nous traversons. Ce vide
créé par les amendements constitutionnels a laissé une marge de manœuvre suffisante à Ianoukovitch pour
détourner des pouvoirs présidentiels
en toute impunité. Fort heureusement, le président a fini par décréter que c’en était trop.
On peut espérer que ces législatives anticipées placent aux commandes des députés un peu plus soucieux du bien public. Mais, au moins,
maintenant, c’est aux Ukrainiens de
décider !
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e u ro p e
R O YAU M E - U N I
A quoi servent les troupes en Irak ?
Malgré une solution pacifique, l’affaire des quinze marins britanniques capturés par l’Iran souligne la situation
difficile dans laquelle se trouve Tony Blair, sur le terrain diplomatique et vis-à-vis de son opinion publique.
THE INDEPENDENT (extraits)
Londres
’il est un symbole pour illustrer à quel point la politique
étrangère hasardeuse de Tony
Blair a entraîné la GrandeBretagne dans des conflits dangereux,
imprévisibles et aux retombées plus
qu’inattendues, il s’agit bien de la
juxtaposition de la joie et de l’horreur
du jeudi 5 avril. Les chaînes d’information ont diffusé d’interminables
séquences montrant les quinze marins
de la Royal Navy libérés par l’Iran au
terme d’une détention de deux semaines. Mais en bas de nos écrans
défilait une autre information : quatre
de nos militaires, dont deux femmes,
et un interprète irakien avaient été tués
dans une explosion dans le sud de
l’Irak, la plus grosse perte britannique
enregistrée dans ce pays ces derniers
mois au cours d’un seul incident.
Avec les deux soldats morts et un
autre grièvement blessé à Bassorah, ce
sont six militaires qu’a perdus la
Grande-Bretagne en une semaine – un
record depuis juin 2003. Le bilan des
pertes britanniques en Irak s’élève
désormais à 140 victimes, dont 109
tombées au combat. Ç’a été un choc
pour l’opinion publique. Cela faisait
près d’un mois qu’aucun soldat n’était
mort à Bassorah, et le retrait annoncé
par le gouvernement [le 21 février]
doit débuter ce mois-ci ; il fera passer
le contingent britannique en Irak à
environ 5 500 hommes.
Contraint de réagir simultanément
aux deux événements, le Premier
ministre britannique s’est félicité que
les soldats capturés soient rentrés
“sains et saufs”, avant de se tourner
vers “la gravité et l’horreur” de la situa-
S
De retour
du Golfe… Dessin
de Martin Rowson
paru dans
The Guardian,
Londres.
■
Polémique
C’est au Sun
que le matelot Faye
Turner a choisi
de raconter
son “épreuve”,
moyennant
100 000 livres
(environ
147 000 euros).
“Il n’y a pas
beaucoup de raisons
d’être fier dans
ce qu’ont montré
les otages, qui sont
apparemment
entraînés pour
résister à un ennemi
impitoyable, mais
qui ont capitulé
devant Rupert
Murdoch [le
propriétaire du Sun]
encore plus vite
qu’ils n’ont cédé
à leurs interrogateurs
iraniens”, commente
The Guardian.
tion en Irak. Mais ce que Tony Blair
s’est efforcé de ne pas dire, et que
beaucoup ont dû penser en l’écoutant,
c’est que ni le drame des otages ni l’attentat de Bassorah n’auraient eu lieu
s’il n’avait pas pris la décision d’envahir l’Irak aux côtés de George Bush
en 2003. Pour les téléspectateurs, les
deux événements sont liés par les
images d’Irakiens et d’Iraniens jubilant de tenir des militaires britanniques
à leur merci.Tony Blair a eu beau rappeler avec insistance que la GrandeBretagne n’avait ni négocié ni subi
d’humiliation, l’issue de la crise des
otages vient conforter le sentiment que
l’aventure irakienne a affaibli la position personnelle du Premier ministre,
mais aussi et surtout celle de notre
pays. Une position guère confortable
alors que tant de questions graves restent à résoudre avec l’Iran, au premier
rang desquelles la volonté de Téhéran
de fabriquer des armes nucléaires.
Ces deux semaines de crise ont eu
des répercussions positives, nous diton, notamment l’amélioration durable
des relations entre le Royaume-Uni et
la Syrie, dont l’offre de médiation avait
été acceptée par Londres. Certains
espèrent également que la GrandeBretagne pourra exploiter de nouveaux
canaux de communication avec l’Iran
pour améliorer la situation en Irak.
Reste que, maintenant que les
otages sont rentrés, Londres craint
que Téhéran n’exploite dans l’affaire
du nucléaire l’avantage acquis en
termes d’image au cours de cette crise.
“Ils nous ont coupé l’herbe sous le pied
une première fois en capturant nos
hommes, et une seconde lors de leur libération”, déplore un haut responsable
britannique.
La plus grave des conséquences
inattendues de l’occupation de l’Irak
a été de fournir un énorme atout à
l’Iran. Maintenant qu’ils ont écarté la
minorité sunnite et donné le pouvoir
à la majorité chiite, qui considère
Téhéran comme son éternel allié naturel, Britanniques et Américains n’ont
d’autre choix que de chercher à obtenir la coopération des Iraniens. Ce qui
implique pour Tony Blair de parvenir
à réfréner les ardeurs de George Bush
au moins autant que celles de l’Iran.
Ce qui est en jeu ici, c’est bien
davantage que la réduction du contingent britannique dans le sud de l’Irak
ou les joutes navales entre embarcations britanniques et vedettes iraniennes dans le Golfe. La “montée en
puissance” des Américains à Bagdad,
qui a pour but de ramener les violences
à un niveau permettant une stratégie
de sortie, dépend pour une part du
bon vouloir des Iraniens. Il est loin le
temps où, à Washington, les néoconservateurs triomphants, ayant vu chuter le régime irakien en quelques
semaines, parlaient ouvertement d’enchaîner avec la conquête de l’Iran.
Certes, il n’a jamais été facile de
composer avec Téhéran et son attitude
passive-agressive à l’égard du reste du
monde. Mais la Grande-Bretagne, qui
s’apprête à envoyer le prince Harry sur
les dangereux champs de bataille du
Sud irakien, où l’influence de l’Iran ne
fait aucun doute, doit se contenter de
serrer les dents et de faire de son
mieux. Quant à faire comprendre tout
cela à une opinion déjà déroutée par
les explications données à la présence
prolongée des Britanniques en Irak,
c’est une tout autre affaire.
Raymond Whitaker,
Anne Penketh et Angus McDowall
ESPAGNE
ETA privée de son “bulletin interne”
Zutabe est l’“organe central”
de l’organisation terroriste basque.
Son démantèlement, fin mars, est donc
un vrai succès pour la police espagnole.
’opération menée le 28 mars par la Guardia civil [la gendarmerie] a certes permis
de démanteler un commando d’ETA en voie
de reconstitution, le commando Donosti ;
mais elle a aussi porté un coup fatal à la
revue Zutabe. La revue en question est une
sorte d’organe central, de bulletin interne,
pour ETA. Pendant des années, l’organisation
terroriste s’est servie de cette publication
pour faire connaître ses exigences en période
de négociations et de trêve, proférer des
menaces et exposer ses “réflexions politiques”, qui concernent aussi bien le Pays
basque que le mouvement tamoul du Sri
Lanka. D’une périodicité plus ou moins mensuelle, Zutabe a rendu compte au fil des ans
L
des “stratégies” d’ETA, tantôt en castillan,
tantôt en basque. Les criminels utilisent les
deux langues, même si, lorsqu’ils veulent
être compris directement, sans passer par
des traducteurs, ils s’expriment en castillan.
L’élaboration de la revue a toujours été aux
mains de l’“appareil politique”. Un lieutenant
de “Mikel Antza”, arrêté en 2001 à Toulouse,
a ainsi été, des années durant, responsable
de la publication. On a trouvé en sa possession le matériel et la documentation avec
lesquels il réalisait la publication. La police
espagnole avait toujours cru que la “rédaction” de Zutabe se trouvait en France. Les
agents de la Guardia civil qui ont fait irruption dans la maison du quartier d’Errotaburu,
à Saint-Sébastien, ont été étonnés de découvrir que le siège de l’organe d’ETA se trouvait donc au Pays basque espagnol.
Zutabe n’a pas une pagination fixe et sert,
outre les communiqués, à faire connaître
la “pensée” des terroristes basques. C’est
dans ses colonnes, au mois d’octobre, que
ceux-ci ont annoncé pour la première fois que
la trêve entamée en mars 2006 était compromise. Ainsi, les terroristes faisaient savoir
au gouvernement Zapatero qu’ils n’allaient
renoncer à aucune de leurs revendications
et exigeaient de négocier sur un pied d’égalité. Dans ce numéro de Zutabe, ETA, après
avoir annoncé “un nouvel effort dans la négociation avec le gouvernement de l’Espagne”
et reconnu le vol de 350 pistolets en France,
avertissait que, si Zapatero “ne [tenait] pas
ses engagements et s’il n’y [avait] pas d’avancées visibles”, le processus serait rompu.
Le 30 décembre dernier, l’explosion d’une
voiture piégée à l’aéroport de Barajas tuait
deux immigrants équatoriens.
Les pages de la revue sont utilisées pour
“signaler” des chefs d’entreprise, basques
en particulier, qui refusent de payer l’impôt
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
20
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
révolutionnaire. A plusieurs reprises, des
listes d’industriels et de victimes d’assassinats ont été publiées côte à côte. Dans
le numéro 108, les etarras ont même publié
des listes noires d’entreprises, réclamant
leur boycott par les citoyens, tout en précisant qu’elles étaient dans leur ligne de mire.
Des journalistes, des politiques, des juges
et des intellectuels, entre autres, ont été mis
à l’index par Zutabe. Même des footballeurs
se sont retrouvés dans le collimateur. C’est
dans cette revue qu’ETA a révélé qu’elle avait
envoyé une lettre d’extorsion au joueur de
foot français Bixente Lizarazu. Dans cette
missive, l’organisation terroriste affirmait
que l’ailier gauche de l’Athletic de Bilbao
s’était enrichi “en jouant sous le maillot d’un
Etat oppresseur” et exigeait donc de lui qu’il
“finance l’organisation, des centres scolaires
ou encore des médias”.
D. Martínez, El País (extraits), Madrid
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UNION EUROPÉENNE
Le Limbourg, “jardin expérimental de l’Europe”
Dans cette région à cheval sur les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne, les autorités locales ont décidé
de mettre leurs efforts en commun pour développer l’économie et les infrastructures.
NRC HANDELSBLAD
PAYS-BAS
Rotterdam
S
MER
DU NORD
ROYAUMEUNI
■
Eurorégions
Développées à partir
du début
des années 1970,
en particulier
sous l’égide
de l’Association des
régions frontalières
européennes (ARFE),
les eurorégions
sont aujourd’hui
plus de soixante-dix
sur le continent.
Depuis les années
1990, elles
bénéficient
du soutien financier
de l’Union
européenne, dans
le cadre de l’Initiative
communautaire
INTERREG.
L’eurorégion MeuseRhin a été créée
en 1976.
PROVINCE DU
LIMBOURG
BELGIQUE
A LLE MA GNE
Heerlen
Maastricht Aix-la-Chapelle
ARRONDISSEMENT
Liège
D’AIX-LA-CHAPELLE*
PROVINCE DE LIÈGE
A
L
L
E
M
A
G
N
E
PAYSBAS
PROVINCE DU
LIMBOURG
EURORÉGION MEUSE-RHIN
BELGIQUE
0
LUX.
*(Land de Rhénaniedu-Nord-Westphalie)
30 km
FRANCE
AUTRICHE
Eurorégion Meuse-Rhin
0
Les récriminations du Limbourg
vis-à-vis de La Haye n’ont rien de nouveau. Mais les autorités locales et le
secteur privé limbourgeois n’attendent
plus rien de ce que Léon Frissen
appelle les “petits pouvoirs paralysants
de La Haye”. En 2005, les dirigeants
provinciaux et municipaux ont présenté au Parlement un programme de
développement économique pour
acquérir une position déterminante
dans les domaines de la nutrition, de
la santé, des énergies renouvelables et
de la chimie d’ici à 2012.
“Je ne dis pas qu’il ne se passe rien,
précise le gouverneur. Mais il faut tout
conquérir de haute lutte.” La Haye a ainsi déboursé 150 millions d’euros pour
un grand projet de médecine moléculaire, auquel participe également
l’université de Maastricht. Et les pe-
200 km
Courrier international
i la décision avait relevé des
Ponts et Chaussées et des
chemins de fer néerlandais,
le pont qui enjambe la
Meuse sur la ligne désaffectée entre
Maastricht et la commune belge de
Lanaken serait déjà démoli. “Mais
nous avons dit que la voie ferrée avait
un avenir”, explique Edward de Vries,
le directeur régional du papetier
Sappi, qui possède des sites de production de chaque côté de la frontière néerlando-belge. La voie ferrée est désormais redynamisée grâce
à des fonds flamands et limbourgeois.
Des capitaux provinciaux et locaux
ont également été nécessaires pour
assurer à Maastricht un train de voyageurs régulier à destination de Liège,
permettant une correspondance avec
la ligne à grande vitesse. La circulation
d’une navette entre Heerlen et Aix-laChapelle est elle aussi devenue possible grâce à un financement régional.
Pour les chemins de fer néerlandais,
ces liaisons n’étaient pas prioritaires.
“Tout vient de cette façon de penser en
termes nationaux”, regrette le gouverneur de la province du Limbourg,
Léon Frissen.
C’est aussi ce que constate Gosse
Boxhoorn, directeur de Solland Solar,
un fabricant de cellules photovoltaïques. Son entreprise est à cheval
sur la frontière, entre Heerlen et Aixla-Chapelle, et il a dû déplacer une
chaîne de production pour qu’elle ne
soit plus en partie sur le territoire allemand. “Sinon, je ne pouvais pas obtenir de subvention des Pays-Bas.”
tites et moyennes entreprises dotées de
kennisvouchers [les chèques recherche]
peuvent désormais venir frapper à la
porte d’institutions de recherche en
Flandre ou en Allemagne, pour des
missions d’innovation.
DES INITIATIVES QUI ONT
LA BÉNÉDICTION DE BRUXELLES
Mais il est presque aussi important que
le Limbourg dispose d’une plus grande marge de manœuvre pour collaborer avec les régions voisines en Belgique
et en Allemagne, car la législation nationale agit trop comme un frein. L’eurorégion Meuse-Rhin, dans le cadre
de laquelle le Limbourg collabore avec
ses voisines dans les domaines de la sécurité, de l’enseignement et de la culture, est, selon M. Frissen, “un processus lent”, à cause du grand nombre de
participants (le Limbourg, Aix-laChapelle, Liège, le Limbourg belge et
la Belgique germanophone).
Léon Frissen veut donc accélérer
la coopération bilatérale avec le Limbourg belge et la région d’Aix-la-Chapelle. Il souhaite par exemple que les
régions et les municipalités des deux
côtés de la frontière puissent partager
leurs compétences. Les infrastructures,
les projets touristiques et la création
de zones industrielles dans les régions
frontalières seraient ainsi facilités. Mais
La Haye se montre hésitante.
Pour M. Frissen, le Limbourg est
un “jardin expérimental de l’Europe”.
Son homologue belgo-limbourgeois,
Steve Stevaert, est de son avis. Tous
deux travaillent à une charte pour le
Limbourg sur les projets de coopération. M. Frissen est convaincu que
l’intensification de la collaboration
transfrontalière peut dissiper l’euroscepticisme des citoyens. Les personnes qui prennent des initiatives
ont la bénédiction de Bruxelles. Les
subventions pour la coopération territoriale européenne vont augmenter
pour la période 2007-2013 : de
19 millions d’euros à 72 millions
d’euros en ce qui concerne l’eurorégion Meuse-Rhin.
Hans Buddingh et Guido de Vries
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
GRÈCE
Les 300 rebelles sans bonne cause
Depuis plus d’un an, les étudiants grecs
manifestent contre le gouvernement. Mais
leur lutte est entravée par les agissements
de quelques anarchistes.
endant que l’un d’eux enlève son costume noir, l’autre fait le guet. Depuis
des années, historiens, chercheurs, journalistes et sociologues les comptent, et ils
en dénombrent 300. Pas un de plus, pas
un de moins. Ils sont presque devenus un
mythe et c’est la raison pour laquelle ils se
cachent dans les ruelles d’Exarhia, ce quartier anarchiste autoproclamé de l’Etat
d’Athènes. Dans ce quartier, il n’y a ni loi,
ni sondage, ni police.
Les 300 sont ces “étudiants” qui sèment
le trouble à chaque rassemblement, quel
qu’en soit l’objet. Grèves étudiantes, derbys de football ou matchs de volley-ball,
comme celui qui a coûté la vie à un supporter à Athènes le 28 mars. Ces hooligans
P
sont les mêmes depuis de nombreuses
années. Mais aujourd’hui l’opinion publique
demande aux autorités de réagir pour mettre
fin à ces violences et permettre aux autres
citoyens de mener à bien leurs combats.
Mais, dans cette bataille des Thermopyles
moderne, ces 300 n’ont pas de Léonidas,
ce sont des soldats sans héros capable
de défier Xerxès ou de se battre pour la victoire. [En 480 av. J.-C., 300 Spartiates affrontèrent l’armée perse, permettant un repli en
bon ordre des forces grecques. Le film 300
vient de sor tir en salles] Au contraire, ils
auront contribué à la défaite de la lutte étudiante, qui dure depuis près d’un an.
Chaque semaine, des milliers d’étudiants
continuent de manifester dans les rues
d’Athènes contre la réforme de l’éducation
que veut imposer le gouvernement conservateur. Chaque semaine, les étudiants ont
un nouveau cri de guerre. Mais les armes ne
sont pas les mêmes. Ce matin-là, les 300
rejoignent à nouveau le cortège qui se forme
avenue Panepistimiou, au cœur de la capitale. Ils cachent leurs visages sous des foulards et des masques de protection, mais
les policiers les connaissent bien, car ils
les ont plusieurs fois arrêtés puis relâchés.
Ils n’ont pas les mêmes revendications que
les étudiants. Ces derniers contestent la
modification de l’article 16 de la Constitution grecque, qui donnera l’autorisation aux
universités privées de s’installer dans le
pays. Non pas qu’elles soient aujourd’hui
interdites, mais leurs diplômes ne sont pas
reconnus. “Les ‘autres’, les anarchistes,
parlent uniquement de l’asile universitaire”,
fait remarquer Dionysis, un étudiant. Cette
mesure historique, conquise à la chute du
régime des colonels, empêche la police d’entrer dans l’enceinte de l’université, et “permet aux anarchistes de vivre librement et
de cultiver de nombreuses substances illégales, explique Dionysis. Ils font ce qu’ils
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
veulent et personne ne les arrête. Mais
au bout du compte, après tant de mois dans
la rue, ce ne sont pas eux les véritables perdants, ce sont ceux qui veulent étudier,
comme les étudiants partout ailleurs.”
Leur défaite est double, en effet. D’une part,
le gouvernement n’a pas cédé et le Parlement a voté la modification de l’article 16.
Et d’autre part ces jeunes qui luttaient pour
un meilleur avenir sont obligés de réviser en
solitaire pendant les vacances de Pâques
et d’été pour pouvoir passer leurs examens
en septembre. Rejoints par les professeurs
fin mars, les étudiants demandent désormais que cette réforme ne soit pas appliquée. Mais là encore le mouvement sera fragilisé et “les médias se focaliseront sur les
troubles et pas sur les revendications”,
regrette Dionysis. Une lutte pour la gloire,
sans véritable héros. Alors, à quoi servent
donc les 300 sans Léonidas ?
Manos Stefanides, Eleftherotypia, Athènes
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e u ro p e
RUSSIE
Le business de la manche en plein essor
A Moscou, seuls 10 % des mendiants seraient de véritables indigents. Tous les autres – soit 100 000 personnes –
seraient des professionnels employés par des organisations mafieuses. Enquête.
estropiés en treillis militaire sont
donc très représentés, et constituent
plus de 20 % des mendiants professionnels. Après leur “journée de travail”, un bus vient les ramasser et ils
sont conduits jusqu’à l’appartement
loué pour eux.
Les mendiants du métro de Moscou
pourraient en remontrer à n’importe
quel manager. Leurs mouvements le
long des différentes lignes sont réglés
au millimètre. Les plus exploitées
sont la rouge et la bleue. Là, des histoires terribles de malheurs atroces
vous sont débitées presque à chaque
station, à intervalles de trois minutes.
NOVYÉ IZVESTIA (extraits)
Moscou
ors de sa dernière réunion,
la commission gouvernementale chargée des
mineurs a proposé d’aggraver les condamnations des adultes
qui poussent les enfants à se livrer à
la mendicité. Sous des dehors inoffensifs, cette activité est en effet l’une
des principales écoles du crime.
Aujourd’hui, le terme même de
“mendiant” suscite plus souvent la
peur que la compassion.
En 1993, l’article 209 du Code
pénal, qui prévoyait des poursuites
pour “parasitisme”, a été abrogé. Pour
la première fois dans toute son histoire,
la Russie a non seulement légalisé la
mendicité, mais lui a conféré une protection. Résultat, en quelques années,
les vrais indigents ont été remplacés
par des mendiants professionnels. Aux
dires des experts, ils représenteraient
aujourd’hui 90 % de tous ceux qui
demandent la charité. Dans les grandes
villes, les “zones” contrôlées par des
structures mafieuses se comptent par
dizaines de milliers. Rien qu’à Moscou
et dans sa région, le chiffre d’affaires
annuel de cette activité, qui emploie
près de 100 000 personnes, atteint
[l’équivalent en roubles de] plusieurs
millions de dollars. Et, demain, de nouvelles recrues pourraient venir grossir en masse les rangs de cette “armée
des pauvres”.
La crédulité des Russes et l’inaction des pouvoirs publics sont les
principaux atouts du “business de la
mendicité”. Un récent sondage
indique que 55 % de nos concitoyens
sont persuadés que les mendiants ont
d’autres moyens de se nourrir que de
faire la manche. Pourtant, 69 % des
gens leur donnent régulièrement
quelque chose. Dans la conscience
collective, encore conservatrice, faire
la charité est un acte pieux. Les professionnels profitent sans vergogne
de cette gentillesse et ne cessent de
perfectionner leurs méthodes. Voici
ce que nous a confié l’un des agents
de la direction de l’Intérieur affecté
aux transports publics de la capitale :
“Nous n’avons pas de véritables outils
pour briser ce business. Que peut-on légalement reprocher à une personne qui
passe d’un wagon à l’autre en récoltant
des aumônes ? Même si on soupçonne ce
mendiant d’être un escroc, il est difficile de le prouver. Nous sommes également impuissants lorsque ce sont des
enfants qui mendient sous le contrôle
L
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
PARTAGE DU MARCHÉ,
COMPLICITÉS DE LA POLICE
d’adultes. Cela tombe bien sous le coup
de l’article 151 du Code pénal, mais
celui-ci ne s’applique pas dans le cas où
les parents forcent leurs enfants à demander un peu d’argent parce qu’ils n’ont
rien à manger.”
L’époque est propice aux escrocs,
et ceux-ci le savent. Pour Maria Koudriavtseva, du Centre indépendant
d’études sociologiques de SaintPétersbourg, “un bon mendiant professionnel est un expert en problèmes
sociaux et situations de crise. Nombreux
sont les retraités aux pensions misérables,
nous le savons bien. Nous allons donc
croiser ce type de mendiants dans la rue.
Pour les femmes, la valeur sociale de la
maternité est un grand avantage. C’est
pour cela que la mendiante avec enfant
est aussi un cas de figure répandu”.
Nous sommes bien informés sur les
problèmes des anciens combattants
d’Afghanistan ou de Tchétchénie – les
Dessin d’Igor
Smirnov, Moscou.
Sur la ligne rouge, station IougoZapadnaïa, l’activité effrénée des
mendiants est contrôlée toutes les
heures. En bout de quai, un handicapé à l’air respectable tend la main.
Mais il suffit de l’observer assez longtemps pour s’apercevoir que tous les
mendiants de la ligne rouge viennent
plusieurs fois par jour lui remettre
leurs gains. Il paraît que son siège
social change chaque année, récemment encore il était à la station Fili,
où, là aussi, il triait l’argent avant de
distribuer leurs parts aux vaillants travailleurs du monde souterrain. Deux
lignes, la verte et l’orange, sont “nonSlaves”. Aucun mendiant, même le
plus audacieux, n’oserait s’y aventurer. Elles appartiennent à la mafia tsigane. “C’est n’importe quoi ! Des SDF,
des Tsiganes, des estropiés, des enfants,
des musiciens ! Je me demande vraiment
ce que fait la police !” s’indigne Klavdia Silaïeva, une employée du métro
de Moscou. En fait, on sait très bien
ce que fait la police. “Nous sommes
‘gérés’ par les flics”, avoue Galia, une
des jeunes musiciennes de la station
Place-de-la-Révolution.“Sans ça, nous
ne pourrions même pas rester une journée. Nous leur versons entre 30 % et
40 % de ce que nous gagnons.” Galia et
sa sœur arrivent à récolter jusqu’à
3 000 roubles en une journée [environ 85 euros]. Elles sont toutes les
deux en première année d’université
et viennent de Barnaoul [aux confins
du Kazakhstan et de la Chine].
Dans l’un de ses discours, le
patriarche orthodoxe Alexis II a
magnifiquement cerné la psychologie
de ceux qui font l’aumône : “Même
si dix mendiants vous trompent, le
onzième peut être quelqu’un qui a vraiment été frappé par le malheur.” Il a ainsi
confirmé involontairement les chiffres
des sociologues, selon lesquels la proportion de véritables malheureux ne
dépasse pas 10 %. Au reste, la mendicité est aussi un problème pour
l’Eglise orthodoxe russe, car les
hommes aux longues barbes et les
vieilles femmes vêtues de noir récoltant de l’argent [prétendument] au
profit d’églises ou de monastères ont
envahi les rues. Le patriarche a même
été contraint de limiter ces démarches
aux parvis des lieux de culte.
Pratiquer la charité est considéré
comme l’une de nos coutumes ancestrales. Pourtant, à toutes les époques,
on a mené une lutte farouche contre
les faux pauvres et ceux qui les exploitent. Pierre Ier, dans l’un de ses oukazes,
frappait d’une amende de 5 roubles
ceux qui donnaient à de faux indigents.
Forcer les enfants à mendier pouvait
conduire les adultes en prison ou au
bagne. Dans le même temps, la Russie disposait d’un vaste réseau d’asiles
et d’orphelinats. La miséricorde allait
de pair avec la justice. C’est souvent le
cas aujourd’hui dans le reste du
monde, mais, en Russie, les voies de la
miséricorde et de la justice ont tellement divergé que l’espace entre les
deux ne peut qu’être colonisé par une
dangereuse incurie.
Mikhaïl Pozdniaïev,
Andreï Pankov, Karina Naraïevskaïa
et Maxime Roudometkine
ROUMANIE
Plutôt mendiant et libre qu’ouvrier !
a ville de Pitesti, à 107 kilomètres de Bucarest, a tout de la success story roumaine :
des entreprises prospères (dont la plus
connue, Dacia, qui fabrique en partenariat avec
Renault la voiture bon marché Logan, a pratiquement doublé ses bénéfices en 2006),
une autoroute (la seule du pays) en par fait
état qui la relie à la capitale, un taux de chômage ridiculement bas et des habitants au
pouvoir d’achat croissant (les salariés de Dacia
ont, par exemple, obtenu en début d’année
une revalorisation de 20 % de leurs salaires).
Mais, même à Pitesti, il y a des mendiants,
se désole Adevarul (“La Vérité”), l’ancien journal du parti unique, qui a voulu en savoir un
peu plus sur leurs motivations, à quelques
L
jours de l’entrée en vigueur de l’initiative “Un
emploi pour chaque mendiant” lancée par
le gouvernement, qui ambitionne de résorber
cette “plaie” de la Roumanie. “L’idée d’accorder aux mendiants 70 % du salaire minimal [environ 90 euros] est louable, mais que
faire si ces derniers ne sont guère intéressés
par cette offre de l’Etat ?” demande le journal, dont l’envoyé spécial a rencontré plusieurs de ces demandeurs d’aumône, qui
assurent pouvoir gagner “jusqu’à cinq fois
plus” en faisant la manche dans la rue. De
surcroît, à les écouter, ils “n’ont pas à se
lever de bonne heure, pas d’horaires à respecter et, surtout, il leur semble plus commode de tendre la main plutôt que d’y tenir
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24
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
une bêche ou un balai”, poursuit Adevarul.
Aussi, peu d’entre eux sont prêts à abandonner leur occupation et leur mode de vie,
estime le quotidien de Bucarest. Deux mille
emplois sont pour tant disponibles, notamment dans les mairies du dépar tement, et
les responsables locaux ne désespèrent pas
de transformer les mendiants en employés
municipaux. “Jusqu’à présent, nous avons
œuvré à l’identification des mendiants aptes
au travail. Nous irons bientôt à la rencontre
des maires des localités de la région d’où
proviennent le plus de mendiants, pour mettre
les choses au point”, explique Aurel Iacsa,
coordinateur de l’initiative “Un emploi pour
■
chaque mendiant” à Pitesti.
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●
BRÉSIL
Le pape attendu de pied ferme
A un mois de l’arrivée de Benoît XVI, les secteurs progressistes de l’Eglise brésilienne s’inquiètent du virage
réactionnaire que pourrait prendre la 5e Conférence de l’épiscopat d’Amérique latine.
São Paulo
es théologiens de la libération et les mouvements
populaires paroissiaux de
l’Eglise s’organisent pour
suivre de près la 5e Conférence générale de l’épiscopat d’Amérique latine
et des Caraïbes. Celle-ci sera inaugurée le 13 mai par le pape Benoît XVI,
à Aparecida, dans l’Etat de São Paulo,
et durera jusqu’au 31 mai, en présence de près de 300 évêques, ecclésiastiques et conseillers. Les manifestations parallèles aux débats officiels
visent à garantir l’approbation de résolutions assurant la continuité des
conférences précédentes, notamment
celles de Medellín (Colombie) et de
Puebla (Mexique), qui avaient été
consacrées en grande partie au sort
des plus démunis.
“Nous n’organiserons ni un débat
marginal, ni un débat clandestin, car nous
voulons être pris en compte dans l’esprit
d’Aparecida et contribuer par nos réflexions aux défis que l’Eglise et le christianisme doivent relever sur le continent”,
affirme Carlos Signorelli, président du
Conseil national de la laïcité, qui parraine le Séminaire latino-américain de
théologie, dont le thème sera l’Amérique latine, le christianisme et l’Eglise
au XXIe siècle. Ce séminaire, qui aura
lieu du 18 au 20 mai à Pindamonhangaba, une ville située à 20 kilomètres d’Aparecida, comptera près de
200 participants brésiliens et étrangers. Parmi les conférenciers se distinguent le Péruvien Gustavo Gutiérrez et le Chilien Pablo Richard, deux
des principaux théoriciens de la théologie de la libération. L’Espagnol Jon
Sobrino, jésuite installé au Salvador et
L
censuré en mars par le Vatican [la
Congrégation pour la doctrine de la
foi a rendu publique, le 14 mars, une
“notification” selon laquelle les écrits
de Jon Sobrino “ne sont pas conformes
à la doctrine de l’Eglise”], n’assistera
pas à ces rencontres, mais a participé
avec d’autres théologiens et sociologues à la rédaction du document
intitulé Signes d’espoir, un ensemble de
réflexions sur les thèmes de la conférence d’Aparecida. Ce texte incisif part
d’une analyse des défis lancés à la religion et demande à l’épiscopat le maintien de l’esprit de Medellín et de Puebla. “Nous n’aurons pas accès à la séance
plénière des évêques, mais nous espérons
que certains d’entre eux accompagneront
nos débats et deviendront les porte-parole
de nos propositions”, prévient Signorelli.
UNE COMMÉMORATION POUR LES
“MARTYRS D’AMÉRIQUE LATINE”
Par ailleurs, un pèlerinage organisé la
nuit du 19 mai par le Forum de participation à la 5e Conférence partira
de Roseira vers le sanctuaire d’Aparecida. Les coordinateurs espèrent
réunir près de 30 000 paroissiens.
Munis de bougies et de torches, ils
parcourront à pied les 10 kilomètres
d’une route parallèle à la Via Dutra,
avec cinq pauses de réflexion sur chacune des conférences latino-américaines – Rio (1955), Medellín (1968),
Puebla (1979), Santo Domingo (1992)
et Aparecida (2007).
La manifestation, avec pour point
d’orgue une messe célébrée dans le
sanctuaire, commémorera les “martyrs d’Amérique latine”, dont Mgr Oscar
Romero, assassiné en mars 1980 au
Salvador, l’ouvrier Santos Dias, le père
João Bosco Penido et sœur Dorothy
Stang, qui ont péri au Brésil. “Les
Car toonists & Writers Syndicate
O ESTADO DE SÃO PAULO
chrétiens de notre continent sont impatients de voir canoniser ces martyrs, un
geste fort qui inviterait tous les baptisés à
embrasser la passion, la tendresse et la
lutte pour la justice, sur les traces de JésusChrist”, affirme un texte adressé par
le Conseil permanent de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) au Conseil épiscopal
latino-américain (CELAM). Ce document comporte également des sug-
Dessin
d’Arcadio Esquivel
paru dans La Prensa,
Panamá.
gestions des évêques brésiliens pour
la Conférence d’Aparecida.
Le texte final du CELAM, qui
servira d’outil de travail à la Conférence d’Aparecida, tient en partie
compte des suggestions de la CNBB.
Il rappelle que l’Eglise ne peut rester indifférente aux injustices et aux
inégalités sociales en Amérique latine,
critique la mondialisation et le néolibéralisme comme idéologies au service du pouvoir économique et pointe
du doigt l’augmentation de groupes
religieux [évangéliques pentecôtistes]
qui enlèvent des fidèles aux Eglises
traditionnelles. Mais l’union de personnes du même sexe, le mariage des
prêtres qui ont abandonné leur ministère et l’accueil des catholiques divorcés et remariés sont autant de défis
qui sont à peine abordés, dans un
unique paragraphe.
Le texte, qui a déjà été approuvé
par Rome, défend le célibat des prêtres
et ne tient pas compte de l’observation de la CNBB selon laquelle “la
question de l’ordination des femmes
reste à être étudiée”.“Cet outil de travail représente la position actuelle du
CELAM”, constate le père Oscar
Beozzo, venu récemment examiner en
Colombie avec d’autres théologiens
de la libération certains points avec le
CELAM. Ils se sont aussi interrogés
sur la censure imposée à Jon Sobrino,
dont la sanction, deux mois avant
la conférence d’Aparecida, a été interprétée comme un avertissement
adressé à ceux qui prétendraient ressusciter l’esprit de Medellín. Sobrino,
qui devait en principe participer au
séminaire de théologie, conformément
aux espoirs de ses collègues brésiliens,
n’a pas été invité.
José Maria Mayrink
MEXIQUE
Croisade catholique contre l’IVG
lors que les députés de l’Assemblée
législative de Mexico doivent voter, le
24 avril prochain, une loi instaurant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans la capitale fédérale, la hiérarchie
catholique a lancé une véritable offensive
contre cette initiative. Le président conservateur Felipe Calderón, qui s’est opposé publiquement le 20 mars dernier à la légalisation
de l’avortement, a ainsi reçu le soutien du
président de la Conférence de l’épiscopat
mexicain (CEM), qui a qualifié la future loi
d’“initiative d’extermination”.
Les évêques mexicains ne sont pas seuls
dans cette croisade. Le 17 février dernier, le
pape Benoît XVI a réuni ses vingt nonces désignés pour l’Amérique latine et leur a demandé
de s’opposer à toute législation qui tenterait
A
de dépénaliser l’avortement. Il s’est aussi
inquiété de l’accroissement des divorces
ainsi que du nombre de mariages entre personnes du même sexe dans la région. Pour
couronner le tout, il a nommé un nouveau
nonce pour Mexico, le Français Pierre Christophe, et a dépêché de Rome le Colombien
Alfonso López Trujillo, président du Conseil
pontifical pour la famille. Ce cardinal ultraconservateur est ainsi venu diriger les travaux du 3e Congrès international Provida, qui
s’est tenu du 23 au 25 mars dans la basilique Guadalupe, dans la capitale.
Et il n’est pas un jour sans que les dirigeants
catholiques ne s’expriment sur le thème. L’archevêque de Mexico, le cardinal Norberto
Rivera Carrera, a par exemple qualifié
d’“inique” le projet de loi puis affirmé que
“l’allégresse de la semaine sainte est assombrie par l’assaut lancé contre les valeurs les
plus chères des Mexicains, les valeurs de la
famille”. L’archevêché de Mexico tente aussi
de recueillir sur son site Internet 7 millions
de signatures qui lui permettraient d’exiger
un référendum sur l’avortement.
L’ingérence du Vatican dans les affaires
internes du pays a été dénoncée par un
groupe de femmes – députées, intellectuelles,
artistes – qui ont demandé l’expulsion de
l’envoyé papal. Sans succès. Pour l’écrivaine
Guadalupe Loaza, “l’Eglise catholique est
tout simplement en train de répandre la peur
dans la population sur le thème de l’avortement”. La directrice de l’association CDD
[Catholiques pour le droit à décider], qui milite
en faveur de la légalisation de l’avortement,
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
a déclaré, après avoir reçu des menaces de
mort : “Voici le résultat de la campagne de
haine lancée par l’Eglise.”
L’avor tement, considéré comme un délit
selon le Code pénal (qui date de 1931), punit
tant les femmes que les médecins qui le pratiquent par des peines allant de un à six ans
de prison. Le projet de loi, proposé par le
Parti de la révolution démocratique (PRD,
gauche), majoritaire dans la capitale, est bloqué depuis près de sept ans par les conservateurs. Il prévoit d’autoriser l’avortement
dans les douze premières semaines de la
grossesse. Selon les chiffres de l’organisation non gouvernementale Human Rights
Watch, au moins 1 million de femmes et de
jeunes filles avor tent chaque année au
(D’après Proceso, Mexico)
Mexique.
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C O S TA R I C A
Une université où l’on apprend à faire la paix
Créée au début des années 1980 par le Prix Nobel de la paix Oscar Arias et les Nations unies, l’Université
pour la paix est unique au monde. Des étudiants de tous les pays viennent s’y former. Reportage.
l’année suivante, à 100 en 2005 et
à 110 en 2006. Ils étudient dans des
bâtiments blancs disséminés dans la
verdure, qui abritent salles de classe,
bureaux administratifs, bibliothèque,
salles de sport ou d’informatique. Les
liens avec le Palais de verre, à New
York, sont étroits et vont au-delà des
matières enseignées. Tous les ans, le
secrétaire général de l’ONU est tenu
de présenter à l’Assemblée générale un
rapport sur les progrès de l’UPEACE.
D (LA REPUBBLICA DELLE DONNE)
Milan
haque matin, dans un grand
parc protégé, cerné par les
montagnes du Costa Rica,
des jeunes de tous horizons
débarquent de trois autocars. Les étudiants de l’Université pour la paix
(UPEACE) détiennent des passeports
chinois, congolais, péruviens, suisses,
canadiens ou américains, et ils ont
choisi cette école unique au monde,
créée par les Nations unies, pour devenir diplomates, coopérants, bénévoles
ou experts en conflits. Ils espèrent faire
carrière à l’ONU ou travailler dans une
organisation non gouvernementale, et
ils sont ici pour apprendre et, pourquoi
pas, retourner chez eux aider leurs
concitoyens.
Nous sommes à 30 kilomètres à
peine de San José, la capitale de l’un
des pays les plus riches et les plus
stables de l’Amérique centrale, presque
une oasis de félicité au milieu d’un
continent assailli de problèmes économiques et sociaux. “En 1948,le Costa
Rica a aboli l’armée”, explique Adriana
Molina, responsable des relations
publiques à l’Université pour la paix.
“Alors, l’Etat investit massivement dans
l’éducation et la protection de l’environnement.Sans compter l’extraordinaire tolérance d’une population très diversifiée sur
le plan ethnique.”
C’est en 1978 que le philanthrope
Cruz Rojas Bennett et sa famille ont
fait don de 300 hectares de parc, pour
la construction d’une école, à Oscar
Arias Sánchez, alors un homme politique comme tant d’autres, qui allait
pourtant devenir président de la République [de 1986 à 1990 et depuis 2006]
et Prix Nobel de la paix [en 1987].
C
LES COURS SONT CONCRETS,
BASÉS SUR DES SIMULATIONS
Dessin de Kemchs,
Mexique.
Arias songeait à créer une institution
de stature internationale unique en son
genre. Un rêve ambitieux qui repose
sur une collaboration importante, celle
des Nations unies. L’UPEACE est la
première Université pour la paix dans
le monde, voulue par l’ONU, mais
absolument autonome (une structure
similaire existe à Tokyo, mais il s’agit
là davantage d’un centre de recherche).
Au début des années 1980, l’institution démarre, mais elle ne réussit pas
immédiatement à acquérir cette dimension mondiale voulue par Arias :
les étudiants provenaient uniquement
d’Amérique centrale et du Sud. Ce
n’est qu’avec la nomination de Kofi
Annan comme secrétaire général des
Nations unies [en 1997 et jusqu’en
2006] qu’elle parvient enfin à ouvrir
ses salles de classe au reste du monde.
La première année, les étudiants ne
sont même pas une dizaine. Leur
nombre passe à 30 en 2003 et à 70
Les étudiants viennent pour un an seulement, suivre des programmes spécialisés (sécurité environnementale et
paix, droit international et droits de
l’homme, études sur les questions
hommes-femmes et la promotion de
la paix, droit international et gestion
des conflits, rôle des médias dans les
crises internationales, ressources naturelles et développement durable).Tous
arrivent avec un rêve. “Beaucoup de
jeunes étudient ici pour pouvoir intégrer
les Nations unies et d’autres organisations.
Moi, je désire retourner en Ethiopie, où
j’ai déjà travaillé deux ans au ministère
des Affaires étrangères”, confie Bereket
Bambore, 27 ans, diplômé en droit à
Addis-Abeba. “L’Ethiopie est encore un
pays pauvre, poursuit-il, vivant de l’agriculture et qui risque de se faire écraser par
la mondialisation. Il est important pour
moi de faire des études à l’étranger.Je veux
comprendre les systèmes politiques et sociaux
qui régissent les autres pays et ramener
de nouvelles idées de développement.”
Anat Nir, 28 ans, souhaite aussi
rentrer en Israël où, avant cette expérience, elle a travaillé dans la section
administrative du College for Women’s
Empowerment. “A l’UPEACE, je suis
le cursus ‘études sur les questions hommesfemmes et la promotion de la paix’, rapporte-t-elle, dans l’optique de rapporter
au pays, dans mon école, une nouvelle
façon de faire de la politique.” Histoires
diverses que celles racontées par les
futurs bâtisseurs de la paix. Comme
celle de Marcel Fomotar, un cinéaste
de 25 ans. “Je viens du Cameroun,
explique-t-il, je me trouve ici pour le
programme,‘médias, conflits et paix’. Je
connais bien la vie dans mon pays, j’ai
vécu dans une ville et dans un village, et
les problèmes sont nombreux, tellement
nombreux : mauvais gouvernements,
guerres, faim et pauvreté. Je raconte
l’Afrique par l’intermédiaire de documentaires, mais pas seulement : j’ai un
projet de film de fiction avec des acteurs
africains, j’entends offrir à mon peuple des
spectacles dont il soit le protagoniste.”
Cette année, les étudiants sont au
nombre de 137, originaires de 37 pays.
Ils ont été sélectionnés parmi 500 personnes. Les critères d’admission sont
simples : un diplôme de premier cycle,
un excellent niveau d’anglais (langue
dans laquelle sont enseignés tous les
cours) et une forte motivation. Les programmes sont dispensés par des professeurs titulaires, mais aussi par des
professionnels ou des enseignants
venus d’autres universités. Les cours
sont souvent très concrets, basés sur
des simulations et des jeux de rôle,
pour faire comprendre que la vérité
n’est jamais unique – parce qu’il n’y a
pas de solutions simples ni de règles
certaines dans les affaires internationales et diplomatiques. Chaque situation est unique, et l’institution nourrit
l’ambition d’offrir des connaissances
et des points de vue nouveaux que chacun pourra appliquer plus tard.
Giulia Crepaldi
JAMAÏQUE
La politique à coups de batte de cricket
DE KINGSTON (JAMAÏQUE)
e Premier ministre jamaïquain, Portia Simpson-Miller, au pouvoir depuis mars 2006,
n’est pas membre de l’équipe de cricket des
Antilles britanniques qui participe à la Coupe
du monde [qui a débuté le 13 mars pour se
terminer le 28 avril]. Mais Sista P, comme
on la surnomme, qui est aussi ministre des
Sports, agit parfois comme si c’était le cas.
Elle a récemment posé en tenue de cricket,
avec jambières, gants et batte, pour une publicité vantant le tournoi qui se déroule actuellement en Jamaïque et dans huit autres pays
des Caraïbes. Elle émaille aussi ses discours
politiques de termes empruntés à ce sport.
“Nous devons éliminer beaucoup de batteurs”, s’est-elle ainsi écriée, à la grande joie
des militants du People’s National Party (PNP,
Parti national populaire). Mme Simpson-Miller
n’est pas la seule personnalité politique jamaïquaine à être férue de ce spor t. Son pré-
L
décesseur, P. J. Patterson, a joué un rôle
déterminant dans l’organisation de la Coupe
du monde dans les Caraïbes, une première
depuis la création de cette compétition en
1975. Les Antilles britanniques avaient
d’ailleurs rempor té la première Coupe.
Lorsque Patterson a quitté ses fonctions l’année dernière et que Mme Simpson-Miller, avec
le slogan “Venez avec maman”, a évincé ses
rivaux masculins au sein du parti au pouvoir,
elle a hérité du grand événement.
Elle en tire aujourd’hui le maximum de bénéfice. Comme le président du parti, Robert
Pickersgill, l’a dit à The Gleamer, le plus grand
quotidien de la Jamaïque, “la dynamique
créée par le cricket a cloué le bec à l’opposition”. Prenant ombrage de la remarque, le
journal a suggéré que le cricket devrait rester en dehors de la politique : “L’organisation de la Coupe du monde est à notre avis
une question nationale et non partisane.”
Le gouvernement de Mme Simpson-Miller soutient que le tournoi aura des effets durables.
La vente des billets s’est révélée quelque
peu décevante, et l’afflux espéré de touristes
n’a pas eu lieu. Mais, pour le Premier ministre, les résultats des travaux d’amélioration des infrastructures ne disparaîtront pas
après la remise de la coupe – qui reviendra,
on l’espère, aux Antilles britanniques. Le cricket jouera à l’évidence un rôle dans les
futures élections, qui doivent se tenir au plus
tard en octobre. Quand Mme Simpson-Miller
a pris ses fonctions en février 2006, on pensait qu’elle choisirait une date assez proche
pour profiter de l’énorme popularité que lui
avait procuré le fait d’être la première femme
à ce poste. Mais, comme la Coupe du monde
approchait, ses conseillers ont décidé qu’il
serait prudent d’attendre afin de surfer sur
l’engouement frénétique suscité par le tournoi. Reste à savoir si le calcul va payer. La
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
cote de popularité de Sista P a bien baissé
depuis l’année dernière, et l’opposition a
dénoncé la corruption et l’inefficacité de son
gouvernement. Elle prend donc des risques
en liant son sort au cricket. Pour couronner
le tout, le meur tre de Bob Woolmer, l’entraîneur de l’équipe du Pakistan, le 18 mars
dernier [voir CI n° 857, du 5 avril 2007], a
poussé les médias à rivaliser d’articles et de
reportages sur le thème “la mort au paradis”, ce que détestent les Jamaïquains.
Mme Simpson-Miller a récemment reconnu
devant les journalistes que cet assassinat
avait “jeté une ombre” sur le tournoi. Mais,
dans un même souffle, elle a exprimé sa
confiance dans l’enquête, qui pour l’heure
n’a donné lieu à aucune interpellation, et a
assuré que le meilleur moyen de rendre hommage à Woolmer était de se concentrer sur
ce sport qu’il aimait tant.
Marc Lacey, The New York Times, Etats-Unis
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É TAT S - U N I S
Les démocrates remplissent leurs caisses pour 2008
En trois mois, Hillary Clinton et Barack Obama ont levé plus de fonds qu’aucun candidat à la présidence n’avait
réussi à le faire par le passé. Et ils dépassent de loin les républicains. Pourront-ils conserver cette avance ?
vont devoir être à la hauteur côté
finances pour faire le poids face à
Obama ou à Clinton. C’est un sujet
d’inquiétude.”
“Cela reflète non seulement le sentiment des démocrates sur leurs chances
de victoire en 2008, mais aussi la façon
dont ils exploitent leur retour électoral
de 2006”, explique Costas Panagopoulos, professeur de sciences politiques à l’université Fordham. “Du
côté des candidats républicains, les électeurs ont l’impression d’avoir le choix
entre la peste et le choléra.” Cet avantage financier en faveur des démocrates est peut-être la suite des élections de mi-mandat en 2006, quand
les comités de campagne démocrates
sont parvenus à égaler ou à battre
leurs pendants républicains, contribuant ainsi à la reconquête du
Congrès par les démocrates.
THE NEW YORK TIMES
New York
Q
uiconque s’interrogeait sur
le dynamisme du Parti démocrate par rapport à la
campagne présidentielle
de 2008 a été rassuré par la publication du montant des fonds réunis par les principaux candidats
pendant le premier trimestre.
Avec un budget de 25 millions
de dollars, le sénateur Barack
Obama se rapproche des 26 millions d’Hillary Clinton, qui
constituaient déjà un record. Ensemble, les candidats démocrates
dépassent les républicains et de loin :
ils disposent au total de 78 millions
de dollars, contre à peine plus de
51 millions pour leurs adversaires.
Cet événement vaut la peine
d’être souligné car, traditionnellement, ce sont les républicains qui
réunissent le plus de fonds. Lors de
toutes les primaires depuis 1976, le
champion de la récolte de fonds a
toujours été un républicain. De l’avis
même de certains républicains, ces
derniers chiffres sont une preuve
concrète de l’optimisme des démocrates, qui ont bon espoir de reconquérir la Maison-Blanche et sont
satisfaits – comme rarement – de
leurs candidats. Cette différence
d’état d’esprit apparaît comme l’un
des premiers signes de la dynamique
de la campagne de 2008. “Les démocrates semblent nettement mieux armés
que nous pour gagner la Maison-
LES RÉPUBLICAINS, EUX,
MANQUENT DE DONATEURS
Blanche”, déclare Scott Reed, un
ancien responsable de la campagne
1996 du républicain Bob Dole. “Cela
s’explique en partie par l’usure de Bush.
Mais il est évident que les républicains
Hillary Clinton
et Barack Obama
Dessin de Graff paru
dans Dagbladet,
Oslo.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
27
En guise de consolation, les républicains peuvent toujours se dire
que les démocrates, notamment
Barack Obama et Hillary Clinton,
auront les moyens de s’entredévorer au cours des neuf mois
qui les séparent du début des primaires, marqué par le caucus de
l’Iowa. Quoi qu’il en soit, il reste
encore bien des trimestres avant
l’élection. Même les démocrates qui
se disent ravis de leurs résultats sont
convaincus que le candidat républicain aura plus d’argent que nécessaire pour participer au scrutin.
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
“Je ne pense pas que les républicains
perdront les élections de l’année prochaine
par manque d’argent”, estime David
Plouffe, le directeur de campagne
d’Obama. “Mais, pour une fois, ils vont
devoir se battre un peu plus pour récolter des fonds.” Le favori des candidats
républicains, le sénateur de l’Arizona
John McCain, a réuni à peu près la
moitié des budgets d’Obama et d’Hillary, et est dépassé par John Edwards,
le sénateur démocrate de Caroline du
Nord, qui a reçu 14 millions de dollars pour présenter sa deuxième candidature à la présidence.
David Magleby, professeur de
sciences politiques à l’université Brigham Young, soupçonne les républicains d’être en manque de donateurs.
Dans les mois à venir, la perspective
d’avoir une Clinton à la MaisonBlanche devrait inciter les républicains à sortir leurs carnets de
chèques.
Adam Nagourney
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amériques
É TAT S - U N I S
Que faire des enfants des sans-papiers ?
Alors que les raids contre les immigrés clandestins se multiplient, le problème des enfants nés aux Etats-Unis
de parents entrés illégalement dans le pays se pose avec de plus en plus d’acuité.
sa fillette reste seule. Mais le bracelet
en plastique noir entourant sa cheville
est là pour lui rappeler que cette situation n’est que provisoire. Elle est placée en résidence surveillée jusqu’à son
procès. Ses chances de ne pas être
expulsée sont minces. En vertu des lois
adoptées par le Congrès en 1996, les
juges ne peuvent plus autoriser les clandestins à rester aux Etats-Unis sous le
seul prétexte que leur enfant est citoyen
américain. Les parents doivent prouver que leur expulsion entraînerait “des
souffrances exceptionnelles et inhabituelles”
pour leur enfant. Par exemple que leur
enfant est atteint d’une grave maladie,
selon l’interprétation la plus courante
de ce texte.
THE WASHINGTON POST
Washington
es derniers mois, les autorités ont considérablement
durci leur lutte contre l’immigration illégale, avec des
conséquences parfois dramatiques pour
certains citoyens américains : les enfants
nés aux Etats-Unis de parents clandestins. Selon une récente estimation
du Urban Institute et du Pew Hispanic Center, on en compte aujourd’hui
environ 3,1 millions dans tout le pays.
Il y a peu, la situation illégale de
leurs parents ne changeait rien à la vie
de ces enfants. Même si des centaines
de milliers d’immigrés clandestins sont
arrêtés chaque année au moment où ils
traversent illégalement la frontière avec
les Etats-Unis, jusque récemment ceux
qui réussissaient à entrer dans le pays
n’avaient plus grand-chose à craindre.
Mais la multiplication des raids dans
les entreprises qui emploient des immigrés clandestins a changé la donne.
En décembre dernier, des agents
de l’immigration ont fait une descente
dans six usines de conditionnement de
viande appartenant à la société Swift
& Co et y ont arrêté 1 297 travailleurs
sans papiers.
Dans l’une de ces usines, à Worthington dans le Minnesota, les personnes arrêtées étaient parents d’au
moins 360 enfants nés sur le sol des
Etats-Unis, selon un pasteur local qui
a organisé une collecte de fonds en leur
faveur. De même, sur les 361 ouvriers
arrêtés lors d’une descente, le mois dernier, dans l’une des usines de l’entreprise Michael Bianco, à New Bedford
dans le Massachusetts, 90 étaient
parents d’un ou de plusieurs enfants
nés aux Etats-Unis.
Depuis que les agents de l’immigration ont contrôlé l’usine Dixie Printing and Packaging, à Baltimore dans
le Maryland, où ses deux parents travaillaient sous de faux numéros de
sécurité sociale, Jessica Guncay fait
désormais partie ces enfants. Jessica,
10 ans, savait que ses parents étaient
C
LE DROIT DU SOL EST GARANTI
PAR LA CONSTITUTION
Dessin
d’Angel Boligan paru
dans El Universal,
Mexico.
clandestins, mais elle n’avait jamais
imaginé qu’ils puissent être arrêtés. “Je
me sens mal”, marmonne-t-elle en
fixant ses chaussures. Sa mère, Ana
Tapia, assise à côté d’elle, la prend dans
ses bras sans pouvoir cacher ses larmes.
Le père de Jessica, Juru Guncay, 45 ans,
est resté en détention. Ana Tapia, âgée
de 40 ans, a été libérée quelques heures
après son arrestation pour ne pas que
Mme Tapia est donc confrontée à un
dilemme qui s’impose désormais à de
nombreux immigrés clandestins :
confier son enfant à des amis ou des
parents résidant légalement aux EtatsUnis, ou la ramener avec elle dans son
pays d’origine, qui offre beaucoup
moins de perspectives d’avenir.
Dans le Maryland, souligne-t-elle,
elle et son mari gagnaient correctement
leur vie, ils avaient réussi à offrir à leur
fille un ordinateur, le confort d’une
maison modeste et l’accès à une école.
Avant de quitter l’Equateur, il y a quatorze ans, leurs salaires d’ouvriers dans
la métallurgie leur permettaient à peine
de sous-louer un studio. Mme Tapia
craint même de ne pas pouvoir retrouver son ancien travail si elle est renvoyée dans son pays, parce que les
patrons locaux préfèrent les ouvriers
plus jeunes. “Je ne sais même pas si moi
et mon mari pourrons survivre là-bas,
et je ne vous parle pas de Jessica”, se lamente-t-elle.
Mark Krikorian, directeur du
Centre d’études sur l’immigration, un
think tank conservateur favorable à une
politique très restrictive en matière
d’immigration, dit éprouver de la compassion pour ces enfants, tout comme
il en éprouve pour tous les enfants qui
paient les erreurs de leurs parents. Car,
pour lui, les parents “savaient ce qu’ils
faisaient quand ils ont eu des enfants alors
qu’ils étaient dans l’illégalité”. Il salue ces
nouvelles mesures répressives contre
les patrons qui emploient des clandestins. Pour lui, c’est un bon point
après des années de laxisme en matière
d’immigration.
Au cours de l’année fiscale 2004,
par exemple, le gouvernement a expulsé environ 51 000 clandestins qui
vivaient aux Etats-Unis depuis plus
d’un an, ce qui représente à peine 3 %
du nombre total des clandestins expulsés cette année-là et moins de 0,5 %
des 12 millions d’immigrés clandestins
que compte le pays.
Toujours selon M. Krikorian, les
législateurs ne feront qu’aggraver les
choses s’ils donnent aux juges plus de
latitude pour permettre aux clandestins arrêtés de rester aux Etats-Unis si
leurs enfants ont la citoyenneté américaine. “Cela reviendrait à dire que tout
clandestin est autorisé à s’installer de
manière définitive aux Etats-Unis s’il fait
un enfant dès qu’il a franchi la frontière.”
Il avertit également que, si les partisans
de l’immigration vont trop loin dans
leur défense des sans-papiers, ils ne
feront que renforcer le camp des personnes favorables à une remise en
question du droit du sol, garanti par le
14e amendement de la Constitution
américaine.
De leur côté, les associations de
défense des droits des immigrants se
servent de plus en plus du cas de ces
enfants comme argument dans les
débats sur la régularisation des immigrés clandestins. Selon eux, ils offrent
un argument imparable. “Une fois que
les familles américaines moyennes seront
au courant des situations de ces familles,
elles ne voudront pas qu’elles soient
séparées. Car la famille est une valeur
fondamentale aux Etats-Unis”, souligne
Emma Lozano, cofondatrice de Familia Latina Unida à Chicago, l’une des
nombreuses associations qui se sont
emparées du sujet à travers le pays.
N. C. Aizenman
JUSTICE
La Cour suprême refuse de se prononcer sur Guantanamo
■ Très divisée, la Cour suprême
américaine a refusé, le 2 avril, de
se prononcer sur l’une des questions légales les plus épineuses de
la guerre contre le terrorisme menée
par Bush : le droit pour les détenus
de Guantanamo de saisir un tribunal fédéral pour contester leur
détention sans inculpation.
Cette décision, qui marque une victoire impor tante pour la MaisonBlanche, valide le jugement rendu
par la cour d’appel de Washington
le 20 février dernier, selon lequel
les détenus de Guantanamo ne
peuvent avoir directement accès
à la justice fédérale.
Les avocats de 45 des 385 prisonniers de la base navale américaine de Guantanamo avaient
demandé aux juges suprêmes
d’examiner l’affaire dans le cadre
d’une procédure accélérée. Ils souhaitaient que la Cour suprême
puisse rendre sa décision avant la
fin du mois de juin.
Mais la Cour n’a pas voulu s’engager dans la polémique. Pour elle,
les détenus doivent épuiser les
recours légaux fixés par le Congrès
[dans sa loi du 29 septembre 2006
sur les tribunaux militaires] et par
l’armée avant de s’adresser à la
Cour suprême.
Pour que celle-ci se saisisse d’une
affaire, il faut que quatre de ses
neuf juges se prononcent dans ce
sens. Lorsqu’elle a rendu sa décision, le 2 mars, trois d’entre eux
– Stephen Breyer, David Souter et
Ruth Bader Ginsburg – ont exprimé
leur désaccord, estimant que la
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
28
Cour aurait dû s’en saisir. Le rejet
de la Cour suprême signifie que les
procédures de révision du statut de
combattant des détenus de Guantanamo et leur procès devant les
commissions militaires pourront se
poursuivre durant tout le printemps
sans que les procureurs militaires
et les autres responsables du
ministère de la Défense ne soient
inquiétés par une décision contraire
de la Cour.
Mais deux juges, John Paul Stevens
et Anthony Kennedy, ont tout de
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
même mis en garde le gouvernement Bush.
Ils ont rappelé que les juristes ne
devaient pas considérer ce refus de
la Cour suprême comme une approbation du traitement infligé aux détenus par le gouvernement, et que les
détenus pourraient déposer de nouveaux recours devant la Cour suprême, notamment si les procédures les concernant prenaient un
retard abusif.
Warren Richey,
The Christian Science Monitor, Boston
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asie
●
BANGLADESH
Le fardeau de l’héritage pakistanais
Le Bangladesh avait tout pour être une démocratie laïque et stable. Mais c’était compter sans les divisions
héritées de l’époque où ce territoire s’appelait encore Pakistan oriental.
DAWN
Karachi
e Bangladesh est peut-être
le pays du sous-continent
indien qui devrait avoir le
moins de problèmes intérieurs. Il ne connaît pas de conflits ethniques ni linguistiques, n’a pas à faire
face aux controverses auxquelles les
éléments d’une fédération sont souvent confrontés, et il s’est doté de lois
pour conduire ses affaires de manière
démocratique. Les troubles qui ont
éclaté récemment à propos de la question des élections législatives [qui
devaient avoir lieu fin janvier et ont été
repoussées sine die] et qui ont été suivis
par l’instauration de l’état d’urgence
le 11 janvier dernier font cependant
planer un formidable point d’interrogation sur les perspectives de la démocratie dans le pays.
En 1990, les deux principaux partis politiques bangladais, la Ligue
Awami et le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), étaient parvenus à s’accorder sur un mécanisme qui soit idéal
pour que les élections se déroulent
dans une atmosphère libre et juste, sans
la moindre pression politique ou administrative : quelques mois avant le vote,
le gouvernement du moment doit quitter le pouvoir ; il est remplacé par un
cabinet intérimaire qui a pour objectif
spécifique de conduire des élections
libres et impartiales ; celui-ci est normalement dirigé par le président de la
Cour suprême, qui désigne les personnes chargées d’organiser le scrutin.
Mais cette fois-ci les choses se sont passées différemment. La Ligue Awami,
dans l’opposition depuis 2001, a rejeté
cet arrangement prévu par la Constitution au motif que le président de la
Cour suprême n’était pas impartial,
Khaleda Zia,
le Premier ministre
sortant, et Sheikh
Hasina, la chef
de l’opposition.
Dessin paru dans
The Economist,
Londres.
L
Islamistes
car il était connu pour avoir de profondes sympathies pour le parti sortant, le BNP. Ses militants sont descendus dans la rue et ont provoqué de
sérieux désordres au début de l’année.
Plusieurs membres et sympathisants
des partis rivaux ont perdu la vie dans
des querelles absurdes. La méfiance et
la peur sont énormes et ne diminuent
pas avec le temps. Pourquoi ?
Malgré ses efforts pour s’en sortir,
le Bangladesh ne peut oublier qu’il n’y
a encore pas si longtemps [avant 1971]
il faisait partie du Pakistan, et il a hérité
d’une partie de ses maux. Il ne peut
balayer la “guerre froide” qui a eu lieu
pendant plusieurs décennies entre le
Pakistan et l’Inde. La Ligue Awami,
pour des raisons pratiques, préconise
l’établissement de relations cordiales
avec l’Inde. Au contraire, le BNP, le
parti fondé par le général Ziaur Rahman [1936-1981, ancien officier pakistanais et héros de la guerre d’indé-
pendance], est pour sa part opposé à
une telle politique. Cette divergence
entre les deux partis a divisé les Bangladais, pas tellement la base, mais
assurément la hiérarchie des partis. Et
ce fossé, qui ne cesse de se creuser, crée
un terrain favorable à un coup d’Etat
militaire. Les observateurs constatent
en outre une nette émergence des
groupes politiques religieux. On pense
par exemple au Jaamatul Mujahideen
[JMB, Groupe des moudjahidin, formation clandestine ayant orchestré
434 attentats simultanés dans tout le
pays en août dernier], au Jagarata Muslim Janata Bangladesh [JMJB, Peuple
musulman éclairé du Bangladesh,
mouvement se réclamant des talibans]
et au Harkat Ul-Jihad Al-Islami [HUJI,
Mouvement pour le djihad islamique,
groupe proche d’Al-Qaida]. Ces organisations extrémistes sont toutes le produit d’une démocratie fragile et corrompue.
Fin mars,
six islamistes
ont été pendus
à Dacca. Ils avaient
été condamnés
à mort pour
leur implication
dans les quelque
400 attentats
à la bombe
simultanés qui ont
frappé le pays
en 2005. Parmi eux
figure le tristement
célèbre “Bangla
Bhai” (Frère
bengali), qui
se réclamait
des talibans et qui
dirigeait le Jagrata
Muslim Janata
Bangladesh (JMJB).
Tout cela a conduit à des grèves, à
des violences et à des confrontations
qui ont coûté la vie à plusieurs personnes et plongent les gens ordinaires
dans l’incertitude et l’insécurité. Et
puis, l’homme de la rue en a marre
du jeu de chaises musicales entre
Mmes Sheikh Hasina, leader de l’opposition, et Khaleda Zia, Premier
ministre sortant. Ces deux femmes qui
monopolisent le pouvoir sont désormais des sources d’anxiété pour tout
le pays. L’état d’urgence a provoqué
un vide : les activités politiques sont
interrompues, les droits fondamentaux,
la liberté d’expression et de circulation
sont suspendus, et aucune date n’est
annoncée pour la tenue des élections.
Il n’est pas difficile de penser que l’armée, qui s’est imposée en force après
l’imposition de l’état d’urgence et
assure le maintien de l’ordre dans tout
le pays, a peut-être décidé de rester un
peu plus longtemps au pouvoir dans
ce pays troublé.
Si le gouvernement intérimaire
veut prouver qu’il est assez honnête
pour organiser un scrutin libre et juste,
il devrait s’y mettre le plus tôt possible.
Mais il semble avant tout vouloir nettoyer la sphère politique en menant des
coups de filet contre des personnalités
incompétentes et corrompues. C’est là
une tâche difficile, qui requiert une
patience que les Bangladais ne possèdent pas. Sirajul Islam Chowdhury,
l’un des principaux intellectuels du
Bangladesh, confie à cet égard : “Les
responsables politiques ne peuvent supporter la démocratie pendant très longtemps. Ils s’y soumettent mais ils n’y adhèrent pas vraiment, et c’est là le problème
qu’il faut résoudre.” Et il ajoute : “L’imposition de l’état d’urgence n’est pas la
solution au chaos politique qui règne
actuellement.”
Yasmin Mustafa
THAÏLANDE
Attention à ne pas mêler religion et nation
Des militants demandent l’inscription
du bouddhisme comme religion nationale
dans la Constitution. Une exigence
qui risque d’envenimer les violences
dans le Sud musulman.
aut-il déclarer le bouddhisme religion nationale et l’inscrire en tant que tel dans la
nouvelle Constitution ? Cette question devrait
être largement débattue, une fois que le texte
intégral du projet de Constitution aura été
rendu public, le 19 avril. La Constitution Drafting Committee [CDC, commission constituante] est divisée sur ce point.
Un groupe de nationalistes bouddhistes fait
actuellement signer des pétitions pour réclamer que la nouvelle Constitution comporte
F
une clause faisant du bouddhisme la religion
nationale. A défaut, il fait valoir que ses partisans pourraient voter contre le texte lors du
référendum prévu pour le mois de septembre.
Ce regain de nationalisme bouddhiste parmi
de nombreux moines et leurs partisans coïncide avec la flambée de violence dans le sud
du royaume. [Depuis 2004, trois provinces
méridionales voisines de la Malaisie sont
secouées par des attentats et des actes de
violence. Près de 2 000 personnes ont perdu
la vie dans des attentats et des attaques
contre des mosquées, des pagodes ou lors
de meurtres.] Les extrémistes musulmans
accusés de ces violences voudraient faire
croire qu’il existe une guerre de religion avec
une minorité musulmane qui se sentirait
oppressée par la majorité bouddhiste. Heureusement, les extrémistes ne trompent personne : les victimes de leur sale guerre sont
des civils innocents. Autant de musulmans
que de bouddhistes ont été tués lors de
vagues d’assassinats aveugles, et des
moines ont dû être escortés par la police
lorsqu’ils sortaient mendier. Il n’en fallait pas
plus pour amener cer tains membres du
clergé bouddhiste à se demander si leur religion n’était pas sérieusement menacée,
notamment dans cette région troublée.
De telles craintes ne sont pas dénuées de
fondement, mais pour autant elles ne justifient pas que le bouddhisme soit consacré
religion d’Etat par la Constitution. Les bouddhistes nationalistes sont sans doute ani-
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
29
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
més des meilleures intentions, mais ils
devraient tenir compte des susceptibilités
des adeptes d’autres confessions, en particulier des musulmans. D’autant que dans
le Sud, où les violences paraissent sans fin,
le fossé d’incompréhension entre musulmans
et bouddhistes se creuse toujours davantage,
si bien que toute tentative d’officialisation
du bouddhisme pourrait être facilement exploitée par les extrémistes. Dans d’autres
régions, les musulmans modérés, qui sont
aussi patriotes que leurs concitoyens bouddhistes, pourraient se sentir rejetés par une
telle législation, au point de se demander
s’ils sont encore des citoyens thaïlandais
à part entière.
Bangkok Post, Thaïlande
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CHINE
“La Vie des autres”, si loin, si proche
Diffusé sous forme de DVD piraté, le film allemand fait un tabac en Chine populaire. Les spectateurs chinois
y trouvent en effet de nombreuses similitudes avec les réalités locales actuelles.
couple, et va même jusqu’à les protéger. En montrant comment l’aurore
de la nature humaine réussit à percer
les ténèbres d’une étouffante oppression, LaVie des autres a non seulement
réveillé des sentiments multiples chez
les citoyens de l’ex-RDA, pour la première fois confrontés à l’histoire de
leur police secrète, mais a également
fait vibrer et ému jusqu’aux larmes les
spectateurs chinois.
YAZHOU ZHOUKAN
Hong Kong
ors de l’annonce du palmarès de la 79e cérémonie
des Oscars à Los Angeles,
le film allemand de Florian
Henckel von Donnersmarck, La Vie
des autres, a remporté le prix du meilleur film étranger. Ce long-métrage,
dont la sortie en salles n’a pas été
autorisée en Chine, a pourtant connu
un grand succès dans le pays au
moment de la fête du Printemps [le
nouvel an chinois, en février], en particulier au sein de l’intelligentsia et
dans le milieu de la culture, où le
bouche à oreille a joué à plein. Acheter le DVD piraté de La Vie des autres
pour le regarder tout à loisir chez soi
est devenu l’une des activités au programme de la fête du Printemps pour
de nombreux Chinois.
Et, quand on rencontrait des amis
au moment du nouvel an, au lieu de
leur présenter les traditionnels vœux
de bonheur, santé et richesse, on leur
demandait s’ils avaient vu La Vie des
autres. Certains ressortissants de Chine
populaire ont profité de l’opportunité
de “voyager librement” [autorisation
donnée depuis le 28 juillet 2003 à certains Chinois de Chine populaire de
se rendre à Hong Kong à des fins touristiques en dehors des voyages organisés] pour aller à Hong Kong voir le
film qu’ils n’ont pu s’empêcher d’applaudir debout à la fin. Regarder le
film et en débattre en établissant des
liens avec la réalité chinoise fait désormais fureur, au point d’introduire de
nouveaux éléments dans le sujet brûlant de la réforme du système politique, à six mois de l’ouverture du
XVIIe Congrès du Parti communiste
L
LES INTERNAUTES EXPRIMENT
LEUR ÉMOTIONS
DR
Sur plusieurs sites, par exemple Tianya shequ [<www.tianya.cn>, un forum remarqué pour ses discussions
animées sur des sujets parfois sensibles], des internautes écrivent : “La
Vie des autres est un film excellent,
comme il y a longtemps que je n’en avais
pas vu. Alors que dans La Liste de
Schindler les Allemands cherchent à se
racheter une bonne conscience, dans La
Vie des autres, c’est un Allemand qui se
rachète une âme. Cela doit donner
matière à réflexion aux Chinois.” Un
autre confie : “A la fin du film, j’ai ressenti un inexplicable sentiment d’oppression. N’en pouvant plus, je suis allé
sur mon balcon et j’ai crié plusieurs fois
face au ciel. Dans la Chine d’aujourd’hui, on peut encore voir des scènes
comme celles décrites dans le film.”
Dès les années 1940, le PCC possédait des techniques et des moyens
de mise sur écoute déjà avancés.
Depuis la prise du pouvoir du PCC
[en 1949], pour obtenir les renseignements et les preuves dont elles
avaient besoin, les autorités sont devenues coutumières des abus de pouvoir, des mises sur écoute à grande
échelle et du recours à des moyens
illégaux de collecte de l’information
L’affiche du film
La Vie des autres
à Hong Kong.
chinois (PCC). L’histoire de ce film
décrit l’usage extensif de la Stasi, la
police secrète de l’ex-RDA, pour
écouter et surveiller les citoyens de
base. Le personnage principal est un
policier de la Stasi, un homme glacial,
chargé d’espionner un dramaturge
célèbre. Au fil de ses écoutes, il est
ému par la femme de l’auteur. Le policier devient de manière totalement
imprévue partie prenante de la vie du
sous prétexte de lutte contre les tentatives de sédition, d’infiltration, de
restauration de l’empire, puis contre
la corruption et le terrorisme.
Voici ce qu’a déclaré Wang Yi, qui
enseigne à la faculté de droit de l’université de Chengdu et fait des recherches sur le libéralisme et la mutation
de la Chine en une démocratie constitutionnelle, après avoir vu La Vie des
autres : “Je suis pour ainsi dire tombé
amoureux de ce film ! Il m’a fait pleurer
à plusieurs reprises. Je n’ai pu m’empêcher de le recommander à tous les dissidents que je connais.” Il a ajouté :“Ce
film, c’est une chance pour le monde, mais
c’est surtout une chance pour les Chinois !” Le réalisateur du film appartient à la génération de l’après-mur
de Berlin, alors que Wang Yi appartient à celle de l’après-Tian’anmen
[répression sanglante du mouvement
étudiant en faveur de la démocratie,
en juin 1989].
Ce dernier explique : “Je comprends très bien qu’un jeune réalisateur
de l’après-mur de Berlin ait pu porter
à l’écran ce genre de blessures chevillées
au corps.” Quand à Liu Xiaobo, président de l’Independent Chinese PEN
Club, il affirme : “Les organismes de
police du PCC se livrent en dehors de tout
cadre légal à de longues persécutions sur
des personnalités dites sensibles en recourant à toutes sortes de méthodes : mise sur
écoute téléphonique, filature à l’extérieur,
îlotage policier, assignation à résidence
déguisée, rapatriement forcé, privation de
tout gagne-pain, etc.” Et il ajoute : “Les
nombreuses atteintes aux droits de l’homme
sont la conséquence d’un système où il est
impossible de se fier aux lois qui sont
violées par ceux-là même en charge de les
appliquer !”
Jiang Xun
PHILIPPINES
Pour museler la presse, le couple Arroyo attaque au portefeuille
La présidente et son sulfureux mari
n’aiment pas qu’on dévoile au grand jour
leurs affaires de corruption. A quelques
semaines des législatives, ils multiplient
les procès en diffamation.
e 13 novembre dans l’après-midi, Mia
Gonzales, journaliste au Business Mirror de Manille, reçoit un coup de fil alarmé
d’un de ses collègues du bureau de presse
du palais présidentiel. “Il y a cinq policiers
en civil qui vous cherchent”, lui dit-on. Surprise, Mia appelle son bureau et demande
d’urgence un congé. Elle apprend alors que
les policiers ont un mandat d’arrêt contre
elle. Mike Arroyo, le sulfureux mari de la présidente Gloria Macapagal Arroyo, a déposé
une plainte en diffamation contre elle à
cause d’un ar ticle qu’elle avait écrit sur
lui trois ans auparavant dans un magazine
régional… Le lendemain, elle s’est rendue
L
au commissariat pour payer sa caution. Les
journalistes du Philippine Daily Inquirer, le
plus gros quotidien du pays, n’ont pas été
aussi chanceux. Le 19 mars, des policiers
sont venus dans leurs bureaux pour arrêter
leur rédacteur en chef et sept autres rédacteurs. Cette fois, Mike Arroyo réclamait
22 millions de pesos philippins [340 000
euros] de dommages pour des articles écrits
par l’éditorialiste Ramon Tulfo. Ce dernier
avait établi la responsabilité de Mike Arroyo
dans des activités de contrebande.
Le couple présidentiel, qui croule sous des
accusations de corruption plus ou moins
graves – allant de la fraude électorale à la
participation à des paris clandestins –, se
sert d’une loi pratiquement obsolète sur la
diffamation pour harceler la presse la plus
libre d’Asie. A ce jour, M. Arroyo, dont le
nom est régulièrement cité dans les médias
pour des affaires de corruption et de paris
truqués, a déposé 11 plaintes pour diffamation contre 46 journalistes, et réclame
un total de plus de 140 millions de pesos
[2 millions d’euros] en dommages et intérêts. Ce n’est pas la prison qui fait peur aux
journalistes. Ils savent que la justice s’apercevra que les accusations à leur encontre
sont dénuées de fondement, ou même totalement fantaisistes, mais en revanche ils
se plaignent du coût financier et du stress
qu’entraîne cette avalanche de procès. Les
publications du groupe Inquirer ont déboursé
presque 1 million de pesos [15 000 euros]
pour payer les cautions des journalistes
et les frais annexes. Newsbreak, qui, pour
des raisons financières, est depuis le mois
de janvier un journal en ligne, a prélevé
quelques milliers de dollars sur son budget
déjà serré pour faire sor tir de prison son
rédacteur en chef et ses journalistes. Selon
Glenda Gloria, rédactrice en chef de News-
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
30
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
break, Mike Arroyo mène campagne contre
les médias avec la bénédiction de la présidente, qui tolère mal qu’on critique son
mandat. Les élections prévues pour mai ne
l’ont pas gêné dans ses actions, bien au
contraire.
En mars, des membres de l’opposition ont
demandé que la loi sur la diffamation soit
amendée lors de l’installation d’un nouveau
Congrès, après le scrutin de mai. Il y a quelques semaines, un tribunal a débouté Mike
Arroyo de sa plainte contre l’ancien avocat général Frank Chavez (celui-ci avait établi un lien entre lui et un détournement de
fonds publics destinés à l’agriculture, qui
avaient servi à financer la campagne de Gloria Arroyo). Le juge a déclaré que M. Arroyo
était désormais une personnalité publique,
dont les affaires ne relevaient plus du
domaine privé.
Asia Sentinel, Hong Kong
Publicite
20/03/07
16:05
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JAPON
Revue et corrigée, l’Histoire est bien plus belle
L’armée impériale n’a jamais incité aux suicides collectifs à Okinawa. Telle est
la version que le gouvernement entend enseigner malgré les faits et les nombreux
témoignages qui ont toujours accrédité la version inverse.
ASAHI SHIMBUN
Tokyo
l’issue de la procédure de
contrôle des manuels d’histoire destinés aux lycées, il
a été demandé aux éditeurs
de rectifier les passages portant sur les
“suicides collectifs” lors de la bataille
d’Okinawa. Le ministère de l’Education a exigé que toute mention d’une
intervention directe de l’armée soit
supprimée, arguant qu’il “[n’était] pas
clairement établi que les militaires en aient
donné l’ordre”. La phrase où il était dit
que “certains habitants [avaient] été forcés de se suicider par l’armée impériale”
a donc été remplacée par : “Certains
habitants n’ont pas eu d’autre recours que
le suicide collectif.” Les suicides collectifs se sont principalement produits
dans les îles Kerama, où les troupes
américaines ont d’abord débarqué. Des
familles entières se sont donné mutuellement la mort. Il y eut plusieurs centaines de victimes.
En occultant le rôle de l’armée
dans ces morts tragiques, les autorités
tentent d’effacer l’aberrant militarisme
nippon qui a contraint les habitants à
se suicider plutôt que de tomber aux
mains de l’ennemi. Nous assistons
ainsi à un travail de déformation de
l’Histoire.
La dernière opération de contrôle
des manuels scolaires soulève plusieurs
questions. Tout d’abord, on peut se
demander pourquoi le rôle de l’armée
est aujourd’hui remis en cause, alors
qu’en 2005, lors de la précédente opération, il avait été accepté sans que cela
pose problème. Le ministère de l’Education nationale s’est justifié en invoquant “un changement de situation”. Le
A
en doute ? Feu Shinjun Toyama, qui
à l’époque était responsable de la
conscription à la mairie de Takashiki,
a parlé de la responsabilité de l’armée
dans une interview accordée à l’Asahi
Shimbun en 1988. Sur ordre militaire,
il avait rassemblé une vingtaine de personnes, des jeunes non-combattants
et des employés de la mairie. Un sousofficier leur avait distribué à chacun
deux grenades, l’une à lancer sur les
ennemis s’ils en rencontraient et l’autre
pour se donner la mort s’ils devaient
être capturés. Les suicides collectifs se
sont produits une semaine plus tard.
Shigeaki Kinjo, 78 ans, ancien président de l’université chrétienne d’Okinawa, est un survivant de cette
période. Il se trouvait là au moment
où des grenades ont été distribuées.
Comme il n’y en avait pas assez pour
qu’il en reçoive, il a été obligé de tuer
de ses mains sa mère, sa sœur et son
jeune frère. “Le fait que l’armée distribuait des grenades aux non-combattants
donne corps au caractère coercitif des suicides collectifs”, affirme-t-il.
Depuis que M. Abe est arrivé à la
tête du pays, à l’automne dernier, on
assiste à un mouvement qui tend à
minimiser autant que possible les
actions de l’armée impériale, notamment dans l’affaire des femmes de
réconfort [voir CI n° 855, du 22 mars
2007]. C’est à se demander si les nouvelles directives du ministère de l’Education ne participent pas de la même
volonté. Il est indispensable que les
Japonais ne détournent pas les yeux
de leur histoire, même si certains épisodes sont difficiles à accepter. Il
appartient aux éducateurs de les faire
connaître aux enfants, qui représentent l’avenir du pays.
■
LE MOT DE LA SEMAINE
“JIKETU”
LE SUICIDE
exceptionnel
ucun incident diplomatique n’est
à déplorer à la suite des modifications relatives à la bataille d’Okinawa imposées par le ministère de
l’Education japonais aux éditeurs
de manuels d’histoire. Rien de plus
normal : l’archipel d’Okinawa, en
tant que préfecture, fait partie intégrante du territoire japonais. Et une
préfecture, ça n’aboie pas… L’absence d’incident ne signifie pas pour
autant que cette censure soit d’une
autre nature que les précédentes
– mieux connues car ayant provoqué des réactions indignées de
la par t de la Chine et des deux
Corées – qui niaient le massacre de
Nankin (décembre 1937) ou l’implication de l’Etat dans la réquisition des esclaves sexuelles durant
la guerre du Pacifique. Elle participe
de la même démarche révisionniste,
initiée par les forces conservatrices
du pays, qui, par petites touches,
triturent l’Histoire, piétinent la
mémoire et promeuvent une vision
du monde axée sur la grandeur du
Japon. Autant dire qu’aujourd’hui
comme hier les Japonais se conduisent avec désinvolture vis-à-vis de
ces îles du Sud, sur lesquelles ils
ont exercé une domination coloniale,
puis postcoloniale. En 2007, Okinawa est en effet tout à la fois un
objet de consommation (sable fin,
musique exotique, nourriture qui
rime avec longévité) et un indispensable dépotoir (bases américaines). En 1945, les militaires l’ont
sacrifiée pour assurer la défense de
la métropole. A la boucherie que fut
la bataille menée contre les Américains viennent s’ajouter des atrocités imposées par le régime impérial aux habitants – en particulier
les suicides collectifs, les civils étant
amenés à tuer leurs proches avant
de se donner la mort. C’est cette
vérité que tente d’occulter le ministère, vérité que Chris Marker a
approchée au plus près dans son
Level 5, film à voir et à revoir.
chez votre marchand de journaux
Kazuhiko Yatabe
Calligraphie de Kyoko Mori
seul changement notoire concerne un
procès en diffamation intenté en 2005
par un ancien chef de garnison qui
contestait le fait d’avoir donné l’ordre
aux insulaires de se tuer. N’est-il pas
exagéré de réécrire des passages dans
des manuels d’histoire sur la base de
ce seul changement ?
Les auteurs des manuels n’ont
jamais écrit que l’ensemble des suicides collectifs avait été imposé par
l’armée. Ils se sont contentés de mentionner que cela s’était produit dans
certains cas. Dans L’Histoire de la préfecture d’Okinawa ou L’Histoire du village de Takashiki, on peut lire plusieurs
récits d’habitants qui ne laissent aucun
doute sur l’implication de l’armée. Les
militaires ont ainsi fourni aux insulaires des grenades pour se tuer. Le
ministère mettrait-il ces témoignages
Dessin de Vince
paru dans La Libre
Belgique, Bruxelles.
Pourquoi
tant de guerres
de religion ?
Un hors-série
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
A
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●
IRAN
Qui gouverne vraiment à Téhéran ?
La libération des marins britanniques a démontré l’exacerbation des luttes de pouvoir au sein du régime iranien.
Mais aussi la suprématie du guide suprême Ali Khamenei, estime Ha’Aretz.
HA’ARETZ (extraits)
ran. On estime à 150 000 le nombre
de gardiens de la révolution, un Etat
dans l’Etat.
Ancien officier des pasdarans, le
président Mahmoud Ahmadinejad a
nommé de nombreux miliciens à des
postes élevés de la bureaucratie centrale. Récemment, ce sont les gardiens qui ont arbitré un conflit entre
le ministère de l’Intérieur et le
Conseil de sécurité nationale, rappelant ainsi à l’armée que c’étaient les
pasdarans, bien mieux payés et mieux
équipés que les soldats, qui dirigeaient les affaires militaires.
Tel-Aviv
n million de nouveaux
billets de 50 000 rials iraniens [4 euros] ont été
imprimés en mars. La
nouveauté, ce sont les motifs :
d’un côté, le symbole nucléaire,
de l’autre, le visage de l’ayatollah
Khomeyni. Le message est clair : les
sanctions internationales n’intimident
pas l’Iran. Coïncidence, c’est le lendemain que les 15 marins britanniques ont été arrêtés par les gardiens
de la révolution [pasdarans] dans les
eaux du Chatt Al-Arab. Autre message : l’agenda iranien se décidera à
Téhéran et pas dans les capitales occidentales. Deux semaines plus tard,
en présentant la libération des soldats
britanniques comme un geste de
bonne volonté, les gardiens de la révolution démontrent à la fois leur capacité à entraîner le Moyen-Orient dans
la confrontation avec l’Occident et le
fait qu’un conflit armé, même de
basse intensité, n’est pas si simple.
La difficulté est de savoir qui
décide à Téhéran et donc sur qui faire
pression. A première vue, le guide
spirituel Ali Khamenei est l’autorité
suprême en Iran. Mais celui qui est
en mesure de le contourner ou de le
défier est le commandant des gardiens de la révolution,Yahia Rahim
Safavi, qui, bien que considéré
comme loyal, n’en est pas moins violemment opposé aux négociations
menées avec l’UE sur le nucléaire iranien. De même, et contrairement à
Khamenei, Safavi a été directement
touché par les sanctions internationales décidées en décembre 2006.
Son nom figure sur la liste des propriétaires de comptes gelés à l’étran-
U
KHAMENEI DISPOSE D’UNE
RÉELLE MARGE DE MANŒUVRE
ger et, le concernant, on parle de plusieurs dizaines de millions de dollars.
L’origine de ces dépôts se trouve dans
les activités économiques des gardiens, lesquels possèdent entre autres
des concessions pétrolières d’une
valeur de 7 milliards de dollars, que
des sociétés étrangères exploitent
moyennant finance. L’aéroport international Khomeyni est également
géré par une société travaillant pour
les pasdarans. Enfin, ils sont aussi les
maîtres d’œuvre du métro de Téhé-
Les liens puissants entre Ahmadinejad
et les miliciens radicaux sont un sujet
de préoccupation, pas seulement en
Occident, mais aussi dans l’entourage
du guide suprême de la révolution, Ali
Khamenei.Tout simplement parce que
la puissance militaro-économique est
détenue par un Safavi aussi ambitieux
que fanatique et que c’est le système
politique de la République islamique
tout entier qui doit mettre son poids
dans la balance pour encourager les
gardiens à accepter une sortie de crise
douce. Et que dire lorsque la conduite
de l’administration américaine offre
des arguments à Safavi pour mettre
dans sa poche une opinion iranienne
tétanisée par le risque d’une attaque
étrangère contre le pays.
La crainte d’une attaque est telle
qu’elle a créé des dissensions au sein
des 290 membres du Majlis [Parlement]. Voici quelques mois, quelque
150 députés ont signé un manifeste
demandant au président de se présenter devant le Parlement pour
répondre à des interpellations sur les
questions économiques et militaires.
L’ayatollah
Ali Khamenei.
Dessin de Cajas
paru dans
El Comercio,
Quito.
Dans le même temps, Hachemi Rafsandjani, ancien président de la
République et président du Majlis,
Mohammad Khatami, président de la
République sortant, et le religieux révolutionnaire Hussein Ali Montazeri ont
mis sur pied une “cellule de crise” censée modérer autant que faire se peut
les dérapages verbaux du président.
Il semble que même Khamenei ne soit
pas particulièrement heureux du style
politique imposé par Ahmadinejad et
les gardiens de la révolution.
La gestion par les pasdarans de
l’affaire des marins britanniques a mis
dans tous leurs états des responsables
politiques iraniens, harcelés de rumeurs annonçant des bombardements
anglo-américains ciblés, ces derniers
suscitant une riposte iranienne. Une
telle escalade est la dernière chose que
souhaite Khamenei. En effet, il ne
craint pas tant une confrontation militaire qu’une déflagration ethnique
voyant les Azéris [nord-ouest], les
Baloutches [sud-est] et les Arabes de
la province d’Ahvaz [sud-ouest, frontière irakienne] devenir une “cinquième colonne”. La vague d’arrestations qui frappe les Azéris témoigne
de cette crainte.Voilà sans doute la raison pour laquelle c’est la modération
qui a fini par l’emporter. Il se peut
donc que l’issue diplomatique de la
crise des otages témoigne de ce que
Khamenei dispose encore d’une réelle
marge de manœuvre et d’une capacité
à imposer des “lignes rouges”, même
aux gardiens de la révolution, surtout
quand on soupçonne Safavi de fomenter des troubles. Mais l’autre enseignement de la crise, c’est que, désireuse de retirer progressivement ses
troupes d’Irak en 2008, la GrandeBretagne cherche tout sauf un conflit
réel avec l’Iran.
Tzvi Bare
REVUE DE PRESSE
La “bonne nouvelle” d’Ahmadinejad
■ C’est la plus grande réussite
scientifique de l’histoire de la République islamique d’Iran”, se félicite
le quotidien gouvernemental Iran,
après l’annonce par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le lundi
9 avril, du passage au “stade industriel” de l’enrichissement de l’uranium, lors d’un discours prononcé
dans le complexe nucléaire de
Natanz. Les responsables iraniens
ont affirmé vouloir installer jusqu’à
50 000 centrifugeuses dans cette
usine. “Nous serons capables de
produire le combustible nécessaire
pour faire fonctionner nos centrales
sans dépendre des pays étrangers,
notamment de la Russie [qui a
récemment annoncé des retards de
livraison de combustible pour la centrale en construction de Bushehr].
Arriver au dernier stade du cycle
nucléaire iranien nous permettra de
ne plus subir la pression de certains
pays occidentaux. Ceux-ci tiennent
le Conseil de sécurité de l’ONU et
ont fait voter deux résolutions contre
nous [en décembre et en mars] pour
des raisons uniquement politiques.
Mais, malgré les dures sanctions
économiques qui nous ont été imposées, nous avons pu accomplir cet
exploit scientifique”, insiste le quotidien de Téhéran.
Le site de la BBC en persan est
beaucoup plus sceptique sur la por-
tée des annonces grandiloquentes
faites par le régime iranien. Il considère que celle du président peut
être considérée “comme une opération de communication à l’attention de l’opinion intérieure, visant
notamment à satisfaire ceux qui,
en Iran, ont placé leurs espoirs
dans la poursuite du programme
nucléaire promis maintes fois par
le gouvernement. En d’autres
termes, l’annonce du passage de
l’Iran à un enrichissement industriel de l’uranium peut très bien
n’avoir qu’une fonction irano-iranienne sans que cela implique
d’évolution substantielle du programme nucléaire. Ce serait un
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
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signe supplémentaire démontrant
que ceux qui contrôlent le pouvoir
en Iran n’ont décidément toujours
pas compris qu’à l’heure de la
révolution des moyens de communication modernes, les questions
internes sensibles ne peuvent plus
être circonscrites à l’intérieur des
frontières nationales.”
Mardomsalari, journal proche des
partis politiques réformateurs, commente avec ironie ce nouveau développement dans le dossier du
nucléaire iranien. “Les affaires diplomatiques iraniennes ressemblent
à une série télévisée. Après l’épisode des otages britanniques,
voici celle de la nouvelle étape dans
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
l’enrichissement de l’uranium. Ce
feuilleton est sans doute un peu
trop complexe et le peuple ne comprend pas tout ce qu’il implique.
Même les Iraniens qui suivaient
avec intérêt l’évolution de l’affaire
semblent perdre patience, affirme
le journal iranien. Généralement,
à la télévision iranienne, tout se finit
toujours bien. L’épisode des marins
britanniques s’est bien terminé.
Mais le dossier nucléaire peut encore avoir des conséquences douloureuses pour les Iraniens. Les
autorités ont annoncé lundi une
bonne nouvelle, mais nous devons
veiller à ce que cette aventure se
termine aussi bien.”
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ÉGYPTE
La démocratie n’intéresse plus personne
Libéré de la pression américaine, le président Moubarak a fait voter des amendements antidémocratiques,
constate An-Nahar. Et l’opposition islamiste ne montre pas plus d’ouverture.
AN-NAHAR (extraits)
Beyrouth
a récente modification de la
Constitution par le président égyptien Hosni Moubarak, approuvée par un
référendum à la crédibilité douteuse
[26 mars], a réduit à néant les derniers
espoirs d’une démocratisation graduelle et pacifique du pays. Le plus
important des pays arabes continuera
donc de bannir la démocratie et, avec
lui, la région tout entière continuera
d’obéir à la logique binaire consistant
à choisir entre la tyrannie et le chaos.
Les principaux points de cette
réforme sont le droit donné au président de dissoudre l’Assemblée, l’interdiction de créer des partis fondés
sur l’appartenance religieuse et la limitation des candidatures à l’élection présidentielle aux membres des partis politiques représentés au Parlement. De
même, cette réforme constitutionnalise l’état d’urgence et la violation des
libertés individuelles en autorisant le
jugement de civils devant des cours
militaires. Finalement, elle réduit le
rôle des juges en tant qu’observateurs
des élections, simplement en prévoyant
que les élections se tiennent le même
jour dans toutes les régions, et non plus
à trois dates successives. Comme les
juges ne sont pas assez nombreux pour
être présents dans tous les bureaux de
vote sur l’ensemble du territoire, le
régime a décidé de leur adjoindre des
fonctionnaires de la haute administration, qui lui est acquise [les juges ont
rejeté les résultats du référendum].
En 2005, le régime avait essayé de
faire croire qu’il voulait vraiment aller
de l’avant dans les réformes démocratiques. Hosni Moubarak avait com-
L
“Tu utilises
beaucoup le mot
‘démocratie’,
comme ça on ne
remarque pas trop
que tu es fasciste.”
Dessin d’El Roto
paru dans El País,
Madrid.
■
Violations
En Egypte, la guerre
contre le terrorisme
ainsi que l’état
d’urgence,
qui perdure depuis
des décennies,
continuent
de porter de graves
atteintes aux droits
de l’homme,
écrit Amnesty
International dans
un rapport publié
cette semaine. Pour
cette organisation,
les derniers
amendements
de la Constitution
égyptienne risquent
de normaliser
les arrestations
arbitraires, la
torture et les procès
inéquitables
mencé son cinquième mandat par un
discours qui répondait aux pressions
extérieures et intérieures en promettant de consacrer les années à venir à
de véritables réformes. Auparavant, il
avait adopté le principe d’une élection présidentielle pluraliste. Mais il
n’avait pas fallu attendre longtemps
pour se rendre compte du contenu
réel de ces réformes. Ayman Nour, du
parti Ghad [opposition laïque], qui
s’était permis de concourir aux élections, ne fût-ce que pour la forme, est
aujourd’hui en prison. Et, pendant
que le fils du président, Gamal Moubarak, poursuit son ascension au sein
du Parti national démocratique
(PND) au pouvoir, les partis d’opposition, progressistes ou islamistes,
sont soumis à des restrictions croissantes, et leurs militants emprisonnés.
Cette trahison des promesses
démocratiques intervient dans un
contexte régional et international qui
n’est plus du tout celui des lendemains du 11 septembre 2001. A
l’époque, après avoir constaté que
la quasi-totalité des pirates de l’air
étaient ressortissants des deux principaux pays arabes alliés des Américains, à savoir l’Arabie Saoudite et
l’Egypte, l’administration Bush avait
pensé qu’il fallait rompre avec la
doctrine de la stabilité à tout prix et
promouvoir de véritables réformes
politiques afin de donner de l’oxygène à une population exaspérée et
ainsi amortir les ressentiments antiaméricains qui s’y étaient accumulés. Or les illusions démocratiques
se sont évanouies depuis. Car les
Américains sont embourbés jusqu’au cou en Irak, et effrayés par la
perspective de victoires électorales
islamistes, comme celle du Hamas
en Palestine.
Le régime égyptien n’a donc plus
rien à craindre des pressions de son
allié américain, et les officiels égyptiens se sont même enhardis à
répondre vertement aux Américains
quand ceux-ci osent faire quelques
prudentes remarques. Ainsi, lorsque
Condoleezza Rice en visite au Caire
a exprimé une certaine déception
devant la tournure des réformes
démocratiques, le ministre des Affaires
étrangères égyptien, Ahmed Aboul
Gheit, a claironné que “l’Egypte ne
pouvait accepter aucune ingérence dans
ses affaires intérieures de la part d’aucun
de ses amis”.
Dans le camp de l’opposition, les
Frères musulmans égyptiens [qui
avaient publiquement renoncé au
recours à la violence] ont commis ces
derniers temps un certain nombre de
grossières erreurs. Afin de renforcer
leur popularité à peu de frais, huit de
leurs députés se sont amusés à attaquer le ministre de la Culture au sujet
du voile. [Celui-ci avait déclaré que
l’extension du port du voile en Egypte
était un recul regrettable.] De même,
ses représentants parmi les étudiants
se sont laissés aller à rouler des mécaniques en organisant des défilés quasi
militaires sur les campus. Certains de
ses dirigeants ont également souhaité
occuper seuls le rôle de l’opposition
et marginaliser tous les autres partis.
Ils auraient mieux fait d’engager leurs
forces dans la bataille pour la démocratie et contre la succession dynastique entre Moubarak père et fils. Ils
auraient mieux fait de rassurer les
autres courants politiques afin de se
faire accepter par eux en tant qu’organisation respectueuse des règles
démocratiques et du pluralisme.
Mohamed Ali Al-Attassi
MINORITÉS
La grave erreur du patriarche Chenouda
Soucieuse de contrecarrer
la poussée islamiste, l’Eglise
copte a choisi de soutenir
le régime autoritaire de Moubarak.
Ce faisant, souligne l’écrivain
égyptien Alaa Al-Aswani,
elle se marginalise un peu plus.
n dépit des pressions, de la
répr ession sauvage et de
multiples arrestations, le régime
égyptien a échoué, pour la première
fois, à mobiliser suffisamment de
monde pour donner une apparence
de respectabilité à son pseudoréférendum [constitutionnel, le
26 mars]. Selon les observateurs,
le taux de par ticipation n’a pas
dépassé les 3 %. Les images de
bureaux de vote désespérément
vides démentaient de façon flagrante les affirmations du président
E
Hosni Moubarak sur le consensus
populaire. Les Egyptiens ont administré une claque retentissante à
leur régime corrompu et tyrannique.
Il faut se féliciter de la dignité
retrouvée de millions de citoyens,
l’attitude de certains dirigeants religieux n’en est que plus déplorable.
Ainsi, le directeur de l’université
religieuse Al-Azhar a déclaré que
le boycott du référendum serait un
péché assimilable à un refus de
prononcer la profession de foi
musulmane. Aucun argument, ni
religieux ni rationnel, ne peut justifier de tels propos. Si le référendum est truqué, s’il ser t à
consolider la tyrannie, à justifier
la répression, et à introniser Moubarak fils comme successeur de
son père, comme si l’Egypte était
un poulailler, n’a-t-on pas le droit
de le boycotter ? Le directeur d’AlAzhar parle-t-il au nom de l’islam
ou bien au nom du Parti national
démocratique (PND) au pouvoir ?
Et, lorsque le patriarche copte
Chenouda III a appelé à soutenir la
réforme constitutionnelle, notre
déception a été à la hauteur de l’estime que nous lui por tions. Comment un homme aussi respectable
que lui peut-il apporter son concours
à ce référendum ? Pense-t-il que
la consolidation du régime en place
empêchera l’arrivée au pouvoir des
extrémistes [islamistes] ? Non seulement ce calcul est faux, mais il
est dangereux. Car l’extrémisme
est le produit de la tyrannie et on
ne peut en venir à bout qu’à condition d’accorder des libertés.
Cette attitude enferme les coptes
dans une logique de minorité
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
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confessionnelle qui défend ses
propres intérêts, quitte à le faire
au détriment des intérêts de l’ensemble de la population. Je pense
que personne ne contestera le fait
que les coptes ont des revendications légitimes à faire valoir.
Mais, à partir de ce constat, il n’y
a que deux moyens d’agir. Le premier consiste à fonctionner en tant
que minorité confessionnelle qui
cherche à obtenir des avantages
en contrepar tie d’une attitude
accommodante face au régime.
C’est malheureusement dans ce
sens que vont les dernières prises
de position de Chenouda. Le second consiste à ne pas se mettre
en marge de la communauté
nationale, mais à s’inscrire dans
la lutte nationale en faveur de la
démocratie. C’est l’attitude qui
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
correspondrait à la grandeur historique de l’Eglise copte. En 1919,
quand le leader copte Boutros
Ghali avait obtempéré aux souhaits de la puissance mandataire anglaise et accepté le poste
de Premier ministre, au moment
même où le leader indépendantiste
Saad Zaghloul avait été condamné
à l’exil, l’Eglise copte s’était dissociée de Ghali et avait affirmé que
tous les coptes, au même titre que
les musulmans, étaient solidaires
de Zaghloul. Et un religieux copte,
Al-Qumus Sergius, avait lancé
dans la mosquée Al-Azhar : “Si les
Anglais justifient leur occupation
par la nécessité de protéger les
coptes, alors, que les coptes meurent et que les musulmans vivent
et soient libres !”
Alaa Al-Aswani, Al-Arabi (extraits), Le Caire
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afrique
●
ZIMBABWE
Tortures, viols et emprisonnements pour les opposants
Un membre des escadrons de la mort du président Mugabe est parvenu à s’enfuir en Namibie. Il témoigne
des atrocités que le régime l’a forcé à commettre.
MAIL & GUARDIAN (extraits)
de la marijuana. Ses collègues et lui se
sont alors mis à frapper les pieds du
prisonnier jusqu’à ce qu’ils noircissent
et que la victime défèque avant de
s’évanouir. Gweru pleurait encore en
racontant comment le deuxième homme avait été torturé au moyen d’un
système électronique qui ressemblait
à un “vieil amplificateur”. Puis le détenu s’est lui aussi vidé, et s’est évanoui. Des mois plus tard, le groupe
a été emmené dans la région de Goromonzi, dans une ferme gardée par
la Force de défense zimbabwéenne.
Là, ses membres sont descendus dans
un sous-sol où se trouvaient environ
vingt personnes enchaînées, toutes
portant des marques de terribles tortures. Ces gens, leur a-t-on dit, étaient
également des “prisonniers politiques”
qui avaient tenté d’assassiner le président Robert Mugabe. Quelques-uns
n’avaient qu’entre 18 et 22 ans.
Johannesburg
n étroite collaboration avec
la division du contre-espionnage de la Central Intelligence Organisation (CIO),
la Zanu-PF [Zimbabwe African National Union, Patriotic Front, le parti du
président Robert Mugabe] a mis en
place des escadrons de la mort composés de membres du programme de
formation du Service national de la
jeunesse. Les escadrons incendient le
domicile des opposants à coups de
cocktails Molotov, commettent des
actes de sabotage et torturent les adversaires du régime du président Robert
Mugabe. C’est ce que vient de révéler
un ancien membre de ces groupes.
John Gweru (un pseudonyme) est
âgé de 22 ans. C’est par désespoir
qu’il a rejoint les rangs du Service
national de la jeunesse à la fin de l’année 2005. Il dévoile, avec une précision crue et souvent insupportable,
l’existence de prisons et camps de torture secrets, de viols systématiques au
camp d’entraînement de Bindura
Farm, et de centres de détention clandestins dans tout le pays.
Ne supportant plus “son travail”,
Gweru a fui le Zimbabwe au début de
l’année et a fini par atteindre la Namibie, où il s’est réfugié, avec d’autres
Zimbabwéens. Mais, à la fin du mois
de mars, il s’est aperçu qu’un homme
le suivait et le photographiait. Il a alors
reconnu son ancien officier traitant du
CIO. Puis il a compris que ses jours
étaient en danger quand quelqu’un est
entré par effraction dans sa hutte et
a dérobé une sacoche contenant des
preuves des activités d’espionnage du
CIO à l’encontre d’ambassadeurs
occidentaux et de ministres zimbabwéens. Gweru avait récupéré ces
documents dans la demeure de Didymus Mutasa, ministre du Territoire et
de la Sécurité, parce qu’il souhaitait
disposer de preuves des activités du
service de renseignements. Ils comportaient, affirme-t-il, des rapports de
surveillance du site du British Council et de l’ambassade américaine à
Harare [capitale du Zimbabwe]. Il a
alors contacté le Mail & Guardian
pour raconter son histoire. “Si je
meurs, je veux que les gens sachent pourquoi”, déclare calmement cet ancien
green bomber (surnom des volontaires
du Service national de la jeunesse).
Tout au long de leur entraînement,
qui englobait l’endoctrinement politique, le maniement d’armes, les arts
martiaux et les techniques de torture,
on ne cessait de rappeler aux membres
des escadrons qu’ils devaient soutenir
la campagne présidentielle d’Emmerson Mnangagwa, non celle du viceprésident Joyce Mujuru, considéré
comme peu fiable par le CIO.
E
LES FEMMES UTILISÉES COMME
ESCLAVES SEXUELLES
Dessin d’Eko
paru dans Letras
Libres, Mexico.
■ L’Eglise
s’engage
La Conférence
des évêques
catholiques
du Zimbabwe
s’est élevée,
le 9 avril, contre
le président
Robert Mugabe,
l’accusant
de diriger
un Etat corrompu,
et a réclamé
des réformes
politiques
radicales.
Durant les six mois qu’a duré sa
formation, au cours de laquelle il s’est
également vu confier des “affectations
techniques” qui consistaient entre
autres à monter la garde et à espionner les demeures de certains ministres
à Harare, Gweru a été impliqué dans
le sabotage de la voie ferrée reliant
Harare à Bulawayo. Il a pris part à des
attaques au cocktail Molotov contre
certains bureaux et domiciles et à la
dispersion d’une manifestation du
Mouvement pour le changement
démocratique [MDC, le principal
mouvement d’opposition]. Pendant
cette dernière, l’opposant Trudi Stevenson a eu un bras cassé. Chacune
de ces “affectations” était considérée dans les faits comme une mise à
l’épreuve de la loyauté et de la fiabilité du groupe. Elles étaient de plus
en plus violentes.
PRISONS SECRÈTES POUR
LES DÉTENUS POLITIQUES
Selon des défenseurs namibiens des
droits de l’homme qui ont écouté le témoignage de Gweru, les détails qu’il a
fournis sont confirmés par les rapports
dont ils disposent, qui font état de tortures, de violences et de l’existence de
prisons secrètes au Zimbabwe. Gweru, qui a quitté la Namibie pour une
destination inconnue quelque part en
Europe avec l’aide d’activistes namibiens, craint toujours pour sa vie et
pour ses proches restés au pays. Au
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
36
fil de leur formation, les membres du
Service national de la jeunesse ont pris
conscience du sort terrible qui menaçait quiconque tenterait de quitter l’organisation. Gweru affirme avoir vu
plusieurs prisons secrètes où étaient
enfermés ceux qui avaient défié le régime de Mugabe. Lors de leur première visite au quartier général de la
Zanu-PF à Harare, vers le milieu de
l’an dernier, un certain Tawanda les a
emmenés jusqu’à la section B2, un ancien parking situé sous le bâtiment.
Là, à l’aide d’une télécommande,
Tawanda a ouvert une porte dissimulée donnant sur les cellules. Parmi les
prisonniers se trouvaient deux Blancs.
L’un d’entre eux a expliqué à Gweru qu’il avait été enlevé et accusé d’être
un espion de la CIA. Plus tard, Tawanda a affirmé au groupe que toutes
les personnes présentes là-bas étaient
des “prisonniers politiques”. On leur a
assuré qu’il s’agissait de prisonniers à
long terme “qui ne manque[raient] à
personne” et sur lesquels ils devaient
tester les techniques de torture qu’ils
avaient apprises “électroniquement, au
hasard, en tapant où ça fait mal”.
Quand le premier prisonnier a été
menotté à une table spéciale, on leur
a ordonné de le frapper sur la plante
des pieds. Estimant qu’il ne faisait pas
preuve de suffisamment d’enthousiasme à son goût, l’instructeur de Gweru l’a battu avec une matraque en
caoutchouc, puis lui a donné du gin et
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Dès le début de sa formation, on a fait
comprendre à Gweru qu’une fois entré
dans le système du Service national
de la jeunesse, on ne pouvait pas en
sortir. Un jour, il a été obligé, avec
quatre de ses amis, de violer à plusieurs
une jeune volontaire en guise de “punition” pour avoir passé un coup de téléphone sans autorisation. C’est là que,
avec son ami Gideon, il a décidé de
s’enfuir. Les volontaires féminines,
qui étaient entre 50 et 60 sur les
250 jeunes de Bindura Farm, étaient
régulièrement violées. Certains des
jeunes hommes se vantaient de s’être
“fait” telle ou telle fille, et beaucoup,
selon Gweru, arboraient des morsures
sur les épaules. La nuit, il entendait
des cris montant des dortoirs voisins,
réservés aux filles, et leurs instructeurs
avaient coutume d’utiliser les femmes
comme des esclaves sexuelles.
Personne n’avait le droit de sortir.
Quand Gideon et lui ont été pris alors
qu’ils tentaient de s’échapper, on les a
enfermés. Le lendemain, ils ont été
fouettés en public. Comme leur bourreau l’avait pris en affection, Gweru
n’a pas été battu trop sévèrement. En
outre, il avait affirmé à ses instructeurs
qu’il avait juste cherché à faire un tour
dehors, mais qu’il avait eu l’intention
de rentrer avant le réveil de 5 heures.
Son ami Gideon, lui, a résisté : il en
avait assez d’être “traité comme un
chien” et a répété qu’il voulait s’en aller.
Ivres, les instructeurs ont frappé Gideon
si sauvagement que certaines des
femmes qui étaient contraintes d’assister à la scène se sont mises à pleurer. Le surlendemain, quand il a été
relâché, Gweru a appris que Gideon
était mort des suites de ses blessures.
Le cuisinier, qui lui apportait du chou
froid, lui alors asséné : “Que ça te serve
de leçon.”
John Grobler
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afrique
SIERRA LEONE
AFRIQUE DU SUD
Les forçats du diamant sont éternels
Transformer
les collégiens
en policiers
Longtemps l’industrie du diamant a financé la guerre civile en Sierra Leone.
Aujourd’hui, les conflits ont cessé, mais l’exploitation des mineurs reste féroce.
THE NEW YORK TIMES
New York
ichée dans sa paume calleuse, la pierre au reflet
jaune était presque invisible, même au clair de
lune. C’était la première que Tambaki
Kamanda avait trouvée depuis des
jours et il pensait en retirer un peu
plus de 1 dollar. Cela ne valait vraiment pas la peine, compte tenu du
nombre de journées qu’il avait passées accroupi dans la boue à creuser le sol, laver le gravier et le trier.
Mais les travaux de la terre ne lui rapportaient pas assez pour nourrir ses
deux femmes et ses cinq enfants. Et
il n’avait pas pu se faire embaucher
comme maçon. “Je n’ai pas le choix”,
explique Tambaki, enfoncé dans l’eau
boueuse de la mine de Bondobush,
où il travaille tous les jours. “C’est
vraiment mon seul espoir.”
L’extraction de diamants n’est
plus l’industrie sanglante rendue
célèbre par une guerre civile de dix
ans dans laquelle ces pierres précieuses ont joué un rôle central.
Grâce au système international
de surveillance mis en place après
la guerre, l’exploitation des diamants n’a pas entraîné d’autres
conflits ni financé de réseaux terroristes. Mais elle n’en demeure
pas moins une sinistre activité,
qui rapporte bien trop peu de
revenus à l’Etat pour reconstruire
un pays dévasté et qui se nourrit du
désespoir d’un des peuples les plus
pauvres du monde. “On cherche davantage à assainir l’industrie du côté du marché que du côté de l’offre”, indique John
Kanu, conseiller du Programme de
gestion de l’industrie du diamant, qui
vise à améliorer l’usage de ses revenus.
“C’est pour que les gens puissent acheter une bague en se disant que l’ère des
‘diamants du sang’ est révolue et que leur
épouse comme leur conscience peuvent être
tranquilles. Mais cela ne signifie pas qu’il
y ait plus de justice.”
Souvent, les étrangers propriétaires de concessions minières mis au
pilori ont été remplacés par des
notables locaux, qui ont assuré leur
mainmise sur l’industrie. Les principaux perdants sont les mineurs, qui
travaillent gratuitement ou presque
en espérant faire fortune, mais qui
sont pris dans un réseau de relations
semi-féodales rendant cette éventualité quasi impossible.
La grande majorité des diamants
du pays étant contenus dans les alluvions près de la surface, il suffit de
posséder une pelle, un seau et un
tamis pour se lancer dans cette activité. Dans ce pays où les emplois réguliers sont rares, on recense, selon les
chiffres officiels, plus de 150 000 chercheurs de diamants.
Comme tous ses semblables,
Charles Kabia, 25 ans, travaille dans
les mines depuis que des rebelles l’y
N
ont contraint à l’adolescence. Il ne
trouve pas souvent de diamants. Sa
dernière découverte – une pierre d’un
demi-carat – remonte à deux mois, et
il l’a vendue 65 dollars, somme qu’il
a dû partager avec ses trois partenaires. “Après tant d’années passées dans
les mines, je n’ai même pas pu me payer
un vélo”, dit-il, les mains tremblantes.
“Ça ne m’a rien rapporté.”
Le combat mené pour réformer
l’industrie du diamant est emblématique des difficultés que ce pays, petit
et pauvre, rencontre dans ses tentatives de reconstruction. Des Etats
comme le Botswana, où les diamants
sont enterrés à de grandes profondeurs, ont fait de leurs gisements une
formidable source de richesse grâce
à une gestion et à un contrôle rigoureux. Mais, en Sierra Leone, les gise-
ments se trouvent dans les rivières,
souvent à quelques centimètres de
la surface, et ils sont difficiles à gérer.
Cette industrie en pleine expansion
compte 2 500 petites exploitations. A
la différence du pétrole, du minerai
de fer et même de l’or, les diamants
sont si faciles à transporter que,
lorsque les réglementations deviennent trop lourdes et les taxes trop
élevées, les mineurs, comme les exportateurs, ont recours à la contrebande.
En 2005, la Sierra Leone a officiellement exporté 141 millions de
dollars en diamants, ce qui représente
un net progrès par rapport aux
24 millions de dollars enregistrés en
2001, année où le processus de Kimberley est venu réglementer les ventes
de diamants en exigeant qu’elles
soient certifiées par les autorités. Avant
cette date, la plupart des diamants
étaient sortis du pays en contrebande
et échangés contre des armes.
Mais, aujourd’hui encore, les
redevances versées à l’Etat demeurent
modestes : 3 % des ventes, soit
3,7 millions de dollars en 2006.
Même avec les droits sur les concessions, le montant est loin d’être suf-
fisant pour reconstruire un pays
comptant 6 millions d’habitants.
Selon Kamara, le directeur adjoint
du Bureau des mines, les nouvelles
lois, qui exigent que les négociants,
les propriétaires des mines et les
exportateurs détiennent une licence,
ont débarrassé le pays des opérateurs
véreux, des trafiquants et des circuits
de blanchiment d’argent. Elles fixent
des niveaux minimaux de salaire et
d’avantages pour les mineurs, même
s’ils sont rarement respectés, au dire
des experts.
LES CHERCHEURS DE DIAMANTS
REÇOIVENT 1 DOLLAR PAR JOUR
Dessin de Pawel
Galka paru dans
Rzeczpospolita,
Varsovie.
■ Une décennie
de guerre
La guerre en Sierra
Leone a duré
une dizaine d’années :
elle a fait plus
de 50 000 morts
et s’est achevée
en 2002. Elle avait
été déclenchée
par des rebelles
qui avaient souhaité
prendre le contrôle
des mines
de diamant.
Ces derniers
étaient soutenus
par Charles Taylor,
qui dirigeait
à l’époque
le Liberia.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
38
Avec ses centaines de chercheurs qui
tamisent des tonnes de gravier, la
mine de Bondobush offre un exemple
de la sinistre routine de l’extraction
des diamants. La carrière est divisée
en plusieurs zones de 200 mètres carrés qui sont chacune contrôlées par le
détenteur d’une licence. La loi veut
que ce dernier soit de nationalité
sierra-léonaise mais, dans la pratique,
il s’agit souvent d’un prête-nom qui
travaille pour le compte d’un commanditaire étranger.
En outre, bien que la loi exige que
ces mines soient sous contrôle local,
les conditions de travail ne s’y sont
guère améliorées. Celle où travaille
Kabia est dirigée par Paul Saquee. Cet
ancien chauffeur de camions de
46 ans a passé les vingt dernières
années aux Etats-Unis, dont les dernières dans la région d’Atlanta. Son
frère, Prince, est président de l’association locale des négociants de diamants, le premier Sierra-Léonais à
exercer une telle fonction.
Paul Saquee emploie deux types
de chercheurs de diamants. Certains
reçoivent l’équivalent de 1 dollar par
jour et 30 % de la valeur des pierres
qu’ils trouvent. Ils remettent leur butin
à un autre frère du chef, Tamba, son
bras droit, qui les surveille d’un œil de
lynx. D’autres chercheurs, comme
Kabia, travaillent pour un pourcentage du gravier qu’ils extraient et possèdent toutes les pierres qu’ils trouvent. En théorie, ils peuvent gagner
beaucoup d’argent, mais ils se font
arnaquer par les négociants.
Prince Saquee, qui revend les diamants de son frère, finance plusieurs
mines et ne peut imaginer écouler ses
pierres auprès d’un seul négociant. “Si
vous travaillez pour un exportateur,ce sera
lui qui dictera les prix, dit-il. Pour moi,
c’est de l’esclavage déguisé.” Mais il n’a
aucun scrupule à imposer cette règle
à ceux qui sont au-dessous de lui dans
la chaîne de production. Les chercheurs de diamants, comme les propriétaires des mines qu’il finance, doivent lui vendre toutes leurs pierres.
“Pour les chercheurs, ce n’est pas la même
chose, assure-t-il. Ils sont tributaires de
nous. Ils ne connaissent pas la valeur des
pierres et, en tant que négociants, c’est à
nous de la fixer.”
Lydia Polgreen
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Pour faire face à la criminalité,
le ministère de l’Intérieur
mobilise les plus jeunes.
es jeunes vont s’impliquer davantage dans la lutte contre la
criminalité en devenant apprentis policiers, a souhaité le ministère de l’Intérieur sud-africain.
“Chaque citoyen doit considérer le métier de policier comme le sien. La lutte
contre la criminalité devrait être une
priorité pour tous”, a affirmé son porte-parole, Nosisa Sogayise. Le commissariat de Schoemansdal, près de
Nelspruit, à Mpumalanga, a nommé
son premier apprenti commissaire de
police le 17 mars dernier. Samson Zitha, du lycée de Tintlontla, un élève
de 16 ans, a été choisi parce qu’il
“bouillonne d’idées formidables”, a déclaré le lieutenant Thulani Mnizi, l’un
des responsables du projet au commissariat de police de Schoemansdal.
Chaque établissement scolaire
situé dans le secteur du commissariat s’est vu désigner un “apprenti
policier” – de 16 ans dans les lycées,
de 12 ans dans les collèges. “Les
jeunes sont les premières victimes de la
délinquance, de la drogue et des armes
à l’école : c’est pour cette raison que nous
avons mis en place ce projet.” Les élèves
viennent d’être sélectionnés et vont
suivre une formation : ils partiront
camper dans quelques semaines avec
les policiers de leur commissariat.
“Les réactions sont formidables, tout
le monde veut participer”, poursuit le
lieutenant Mnizi. Le jeune Zitha fera
régulièrement son rapport au commissaire de police sur la sécurité
dans son établissement. Il participera au forum de la lutte contre la
criminalité, ainsi qu’à des rencontres
avec des jeunes. Sa présence permettra à la police de mieux comprendre les jeunes et peut-être de
redorer son blason auprès d’eux.
“L’apprenti commissaire aidera la police
dans la lutte contre la criminalité et fera
de la prévention auprès des jeunes. Sa
priorité sera de rapporter les délits dont
il pourrait être témoin”, explique
Mme Sogayise.
Ces apprentis policiers seront
chargés de faire appliquer des programmes sur la sécurité dans leurs
établissements et seront “en première
ligne” en matière de lutte contre la
criminalité, surtout quand leurs
camarades en seront les victimes.
Pour le ministère de l’Intérieur, ce
projet présente de nombreux avantages : il devrait décourager la délinquance chez les jeunes, créer un lien
entre les établissements scolaires et
les forces de l’ordre, et également
pousser les élèves à envisager une
carrière dans la police. “L’objectif est
de créer une police sud-africaine dévouée
qui formera au mieux les policiers de
demain” conclut Mme Sogayise.
News 24.com, Johannesburg
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p o r t ra i t
Tokio Hotel
Quatre garçons dans le ventilo
STERN
Hambourg
Il est tard. La nuit est
tombée depuis longtemps
sur Moscou. Et les idoles d’une
certaine jeunesse récupèrent dans
le restaurant The Park. Des bouquets
de lys blancs trônent sur les tables. Quatre fourchettes,
quatre couteaux et trois cuillères encadrent chaque
assiette. Bill Kaulitz, un garçon dégingandé de 17 ans,
est assis tout au fond de la salle à une longue table couverte de bougies blanches. Ses yeux noircis au khôl
prennent des dimensions fabuleuses, ses cheveux noirs
crêpés forment des piques pointues. Son frère jumeau
Tom est assis à côté de lui, une casquette de base-ball
rouge enfoncée sur la tête. Des dreadlocks blondes tombent sur ses fines épaules comme des serpents. Assis
en face, Georg Listing, 19 ans, ne cesse de replacer
sa crinière fine derrière ses oreilles. Enfin, à côté,
Gustav Schäfer, 18 ans, un blond robuste, martèle nerveusement la table avec les couverts.
Deux serveurs du restaurant s’évertuent à ne pas
regarder dans leur direction, en vain. Ils ne cessent
de chuchoter en étouffant des ricanements. Ils ne savent
pas que les quatre clients vautrés sur leurs chaises, las,
sont les plus grandes stars actuelles de l’Allemagne.
S’ils avaient des filles, ils les reconnaîtraient peut-être.
A Berlin, mais aussi à Moscou et à Paris, les jeunes
âgées de 6 à 13 ans sont folles de Tokio Hotel. Depuis
le petit matin, dans l’air glacial de Moscou, quelque
300 adolescents russes sont postés devant l’hôtel. Ils
s’égosillent à en devenir tout rouges : “Biiill !”,“Tooom !”,
“Gustav !” et “Geooorg !” En 2006, leur premier album,
Schrei [cri], s’est hissé à la 19e place du Top 50 français.
Et, aujourd’hui, le groupe a même vendu 50 000 CD
dans l’Hexagone. Quatre garçons originaires d’Allemagne de l’Est font un tabac en France, le pays de la
chanson à texte, avec un album entièrement en allemand : qui eût cru cela possible ? Au total,Tokio Hotel
a vendu plus de 1,5 million de disques. Même si d’autres
groupes en vendent à peu près autant, son succès est
hors norme. Car, aujourd’hui, ce n’est plus la vente de
CD qui rapporte, mais les recettes des concerts et, sur
ce plan,Tokio Hotel défie toute concurrence. Auparavant, une tournée, c’était une campagne destinée à
vendre un album. A présent, à l’ère de la musique gratuite sur Internet et des copies pirates, c’est l’inverse :
sortir un album, c’est un prétexte pour se lancer dans
une nouvelle tournée. Et, lors de la dernière tournée,
Tokio Hotel a vendu 350 000 places au prix moyen de
24 euros. “Dans toute l’histoire de notre maison de disques,
c’est la première fois qu’une tournée connaît un tel succès”,
s’enthousiasme Alex Richter, de Four Artists, la société
chargée de l’organisation des concerts.
Il y a deux ans, lorsque le groupe s’est lancé sur
le marché, ses membres avaient entre 15 et 18 ans,
l’idéal pour séduire le groupe cible des filles âgées
de 6 à 13 ans, qui, depuis un certain temps déjà, exer-
cent une influence considérable sur les ventes de
disques et de places de concert. Sur le plan économique, ces préados sont particulièrement intéressants
puisqu’ils gardent une grande ouverture et ne se sont
pas encore scindés en fonction de leurs préférences
pour le rock, le hip-hop, le reggae, la pop ou la techno.
Qui plus est, le groupe s’accorde parfaitement aux différentes tendances actuelles. Le nom Tokio Hotel et le
look du chanteur évoquent les mangas japonais ; les
dreadlocks et le style vestimentaire de Tom, le guitariste, s’inspirent de la mode de rue américaine ; Georg,
le bassiste, avec sa raie sur le côté, rappelle pour sa part
les groupes de britpop dont il raffole ; enfin, Gustav,
le batteur, est le membre le plus terre-à-terre du
groupe : pas de gadgets ni de chichis. Leur musique :
du rock allemand. Ce sont avant
tout les refrains qui séduisent les ■ Dates
fans, des refrains entraînants 2001 Quatre garçons
comme les chansons que les sup- de Magdebourg
porters entonnent dans les stades fondent le groupe
de rock Devellish,
de foot. La plupart de leurs morqui deviendra plus
ceaux sont construits à la manière tard Tokio Hotel.
de tremblements de terre. Ils com- 2005 Soutenu
mencent en douceur, comme une par Universal,
balade. Bill Kaulitz chante de sa leur premier disque,
voix claire et triste, tandis que les Schrei [Crie],
guitares électriques grondent dou- sort en Allemagne.
cement, puis se déchaînent quand 2007 Sortie
arrive le refrain. Du Nirvana pour de leur deuxième
jeunes ados. La bande-son de la album, Zimmer 483
[Chambre 483].
puberté. Une niche commerciale.
En concert à guichets
Tokio Hotel marque peut-être fermés le 17 avril
la fin de la pop enfantine innocente au Zénith de Paris
et guillerette. Les réformes écono- et le 18 avril au
miques, le chômage, la violence à Zénith de Nantes.
l’école, l’extrême droite, la dissolu- Le 28 mai, Tokio
tion des familles, tout cela fait par- Hotel part à l’assaut
tie du quotidien de cette génération du marché angloqui ne connaît l’insouciance des saxon avec Scream
années de prospérité que par ouï- [Crie], un album
hybride qui regroupe
dire. Dans le morceau Gegen mei- 12 titres tirés
nen Willen [contre mon gré], le du premier et
divorce d’un couple est raconté du du deuxième album
point de vue de l’enfant : “Vous ne et réenregistrés
vous regardez même plus/Et vous en anglais.
croyez que je ne le remarque pas.”
C’est avec ce genre de textes que les fans s’identifient.
“Nous ne pouvons écrire que sur les choses qui nous touchent, tout le reste serait une imposture”, déclare Bill. Et,
sur ce point, il s’y connaît, ses parents se sont séparés
quand il était encore enfant. En écoutant Bill Kaulitz
parler musique, spectacles et écriture, on a du mal à
croire qu’il a laissé tomber l’école. C’est une star. Et
c’est avant tout à lui que Tokio Hotel doit son fabuleux
succès. Tout a commencé en 2003. Après avoir vu le
garçon, alors âgé de 13 ans, dans le show Star Search
de la chaîne de télévision Sat 1, le producteur Peter
Hoffmann va assister à un concert du groupe dans
un petit club de Magdebourg. A l’époque déjà, Bill était
maquillé comme une sorte de créature hybride entre
le vampire et l’elfe. “C’est peut-être à cause de David
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
40
Bowie : je ne sais pas combien de fois j’ai regardé son film
de science-fiction Labyrinthe, je le trouve génial.” Bowie y
incarnait le roi des gobelins avec une sorte de crinière.
Lorsqu’il a choisi de s’en inspirer, Bill avait 11 ans.
Le groupe était déjà formé, mais il s’appelait Devilish
[en anglais, “diabolique”] et faisait du rock assez conventionnel. Mais tous les ingrédients étaient réunis, estime
M. Hoffmann, qui les a aidés à se lancer. Devilish est
alors devenu Tokio Hotel. Les garçons ont trouvé que
ça sonnait bien et, en plus, ajoute Bill, “ça doit être une
ville géniale, même si on n’y est jamais allés”.
Pour Alex Gernandt, de la rédaction de Bravo
[magazine allemand destiné aux adolescents], la particularité de Tokio Hotel, c’est la “fascination” et
l’“image de folie” qu’il véhicule. C’est ainsi que Bravo
a décidé de soutenir le groupe corps et âme. Et, avec
ce magazine comme parrain, rien ne pouvait mal tourner. Bien sûr, ce soutien à Tokio Hotel a aussi de
solides raisons commerciales. Aucun autre magazine
que Bravo n’est à ce point dépendant de la découverte de stars pour adolescents. Avec quelques titres
dédiés à Tokio Hotel, ses tirages ont augmenté de
12,2 % au premier trimestre de 2006. Dans les mois
à venir, le magazine se concentrera sur la carrière
mondiale du groupe.
Pourtant, lorsqu’on interroge les garçons à propos de ces projets internationaux, ils deviennent laconiques, presque timides. “Nous ne voulons pas crier victoire”, reconnaît Georg. Ont-ils peur de faire un bide ?
“Non, on n’a vraiment rien à perdre. On a déjà obtenu
beaucoup plus que ce qu’on pouvait espérer”, assure Bill.
C’est vrai.Toutes les grandes figures du rock allemand
comme Westernhagen, Grönemeyer ou Maffay ont joué
pendant des années dans les petites salles.Tokio Hotel,
en revanche, a fait une entrée tonitruante, attirant
18 000 personnes dans les stades. D’une certaine façon,
le succès de Tokio Hotel contredit le vieux principe de
l’industrie de la musique qui veut qu’on puisse faire
une star de n’importe quel type moyen du moment
qu’on met en branle toute la machinerie. Ce groupe de
gamins de Magdebourg était au départ un diamant
brut, il n’y avait plus qu’à le trouver et à le tailler.
Cela suffira-t-il pour que Tokio Hotel fasse une
carrière internationale ? On verra bien. Si les jeunes
Américains connaissent déjà le groupe, c’est grâce à
une méthode simple mais efficace qui consiste à mettre
quelques nouveautés sur la Toile, quelques photos
et quelques clips, et la célébrité se fait toute seule. Les
magazines comme Bravo et les télévisions allemandes
n’auraient jamais réussi à toucher un public étranger
aussi rapidement que les sites communautaires MySpace et YouTube. Les fans, qui sont des adeptes chevronnés du web 2.0, qui utilisent la Toile comme un
moyen de communication interactif, favorisent avant
tout les stars qui ont l’air authentiques, qui ont l’air
de sortir directement de leurs rangs. Et c’est exactement ce que font ces quatre jeunes originaires de la
province allemande. Ils ont le bon look, le bon son.
Tout ce qu’il leur faut, maintenant, c’est encore une
dose de chance.
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Hannes Ross et Andrea Ritter
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DR
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Photos de Frank Peterschroeder/Bilderberg/Studio X
■ Gustav, Bill,
Tom et Georg posent
pour la presse.
■ A Bonn,
une foule
majoritairement
composée de jeunes
filles attend leur
entrée en scène
avec une impatience
non dissimulée.
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●
Teun Voeten/Panos
enquête
CHEZ LES ÉTUDIANTS DE PYONGYANG
Comment peut-on être nord-coréen ?
SHINDONGA
hin Eun-hee, professeur de religion au Simpson
College dans l’Iowa, enseigne pour la cinquième
année à l’université Kim Il-sung. Agée de 38 ans,
elle a la nationalité canadienne et vit aux EtatsUnis, ce qui normalement lui permet de se sentir libre
de parler de la Corée du Nord. Elle avoue cependant
que ce n’est pas le cas. Quand elle donne une conférence, elle aperçoit souvent au fond de la salle un agent
des services de sécurité sud-coréens en train de prendre
des notes. La Corée du Nord reste un sujet tabou,
même dans la société sud-coréenne.
La première fois qu’elle s’est rendue au Nord,
c’était en mars 2003. A l’arrivée des vacances de printemps, elle a sauté dans le premier avion à destination
de Pyongyang. Elle n’avait alors aucun lien avec ce
pays, si ce n’est le fait que sa mère est née à Pukchong,
dans la province du Hamgyong-Nord, qui fait aujourd’hui partie de la Corée du Nord. Sa visite était motivée par sa passion de chercheuse, par une curiosité née
de la lecture de livres nord-coréens trouvés dans une
librairie de Los Angeles et de la rencontre de quelques
personnalités nord-coréennes. Depuis, elle y retourne
régulièrement au printemps et à l’automne pour donner des conférences sur les religions du monde devant
un parterre d’étudiants nord-coréens.
“Les Nord-Coréens ne ressentent pas le besoin d’avoir
une religion, et surtout pas le christianisme. Il y a bien des
temples protestants, mais il s’agit d’organisations caritatives
qui font de la propagande. La religion des Nord-Coréens,
S
DR
Séoul
Shin Eun-hee
est une enseignante
canadienne
d’origine coréenne.
Depuis quatre ans, elle se rend
régulièrement à Pyongyang.
Pour elle, les jeunes
n’y sont pas si différents
des jeunes Américains.
c’est l’idéologie du juche [voir note page suivante].” Chrétienne et professeur de religion, Shin Eun-hee avance
une théorie qui ne manque pas d’audace : “Jésus aussi
était un idéologue du juche.” Si le christianisme est une
religion dont les adeptes croient en Dieu, le juche serait
une religion où l’on croit dans le Grand Leader – de
façon “moins sectaire”, ajoute-t-elle.
“La société nord-coréenne paraît de prime abord très
étrange. Mais, en l’observant sans préjugés, on peut y déceler un esprit religieux, difficile à apprécier suivant nos critères moraux habituels. […] L’idéologie du juche s’est
transformée en religion d’Etat avec la déification de Kim
Il-sung. C’est un phénomène religieux comparable à celui
de Jésus. Il faut remettre en question l’idée que la déifi-
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
42
cation de Kim Il-sung n’est pas normale alors que celle de
Jésus le serait.” Rien d’étonnant, à partir de là, que cette
religiosité ait engendré de fervents adeptes. Il ne faut
pas, affirme le professeur Shin, juger l’institutrice nordcoréenne qui s’est immolée en tentant de sauver un
portrait du Grand Leader lors de l’explosion à la gare
de Yongchon, en 2004. “Il n’y a pas de différence entre
elle et un chrétien qui se fait tuer au cœur de l’Afrique, où
il s’est rendu pour évangéliser la population. Le lamento
des Nord-Coréens à la mort de Kim Il-sung peut être rapproché de celui de la foule qui a défilé devant la dépouille
du pape Jean-Paul II. […] En Corée du Sud, on dit que
si le régime nord-coréen se maintient, c’est à cause du lavage
de cerveau. Mais nous subissons tous plus ou moins un tel
traitement. C’est le cas des adeptes d’une religion, mais
aussi de ceux qui vivent dans une société capitaliste et qui
sont conditionnés par l’argent.”
Vue ainsi, la société nord-coréenne n’est pas
bizarre, mais différente. “Soyons justes”, déclare Shin
Eun-hee, en nous invitant à nous ouvrir davantage au
Nord avant de le condamner. Aux accusations de certains Sud-Coréens qui lui reprochent de faire l’apologie du juche elle répond : “La manière de penser des
Sud-Coréens manque d’ouverture. Il s’agit pour moi
d’avoir une approche culturelle visant à comprendre, et
non de prôner un plan gauchiste ou pro-nord-coréen.”
En effet, elle n’hésite pas à critiquer certains points
concernant ce pays, tels que le droit limité au savoir,
l’obsession de la pureté du sang ou le manque de souplesse dans la pensée. “Je veux critiquer et non haïr. Une
expérience banale revêt un caractère étrange et exotique
quand elle se produit en Corée du Nord, sans doute à cause
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de cette impression de distance qui s’est confortée depuis si
longtemps en nous. Il faudra du temps pour l’effacer.”
Elle déclare avoir compris au bout de quatre ans
que les hommes sont partout pareils, même si leurs
idées sont différentes. “On pense qu’en Corée du Nord
tout est tellement mécanique qu’il ne subsiste rien d’humain. Or la vie quotidienne des Nord-Coréens ressemble
beaucoup à la nôtre. Ils sont comme nous à 80 %.” Le premier jour qu’elle a passé à Pyongyang était un jour
férié, l’équivalent de la Journée des femmes chez nous.
Ce jour-là, les Nord-Coréennes sont libérées de tout
travail et les hommes sont à leur service. Mme Shin
était persuadée qu’il n’y avait pas de discrimination
sexuelle dans ce régime socialiste. Mais une fonctionnaire venue l’accueillir l’a détrompée en lui
confiant que la Corée du Nord garde certaines habitudes moyenâgeuses et que, si la discrimination à
l’égard des femmes n’est pas très importante au travail, elle l’est dans les familles, car les hommes ne participent pas du tout aux tâches
ménagères. Un de ses collègues Promenade aux
masculins s’est tout de suite récrié abords de la tour du
devant cette déclaration ! Ce jour- Juche, à Pyongyang,
sur la rive droite
là, la spontanéité de ses hôtes a du fleuve Taedong.
beaucoup amusé la Canadienne.
“Ils disent du mal des Etats-Unis, ■ “Juche”
mais ils adorent les produits améri- C’est en 1955 que
cains. Les gens sont tout aussi dévoués le dirigeant nordà l’éducation de leurs enfants qu’en coréen Kim Il-sung
Corée du Sud : ils sont capables de aurait utilisé pour
se ruiner pour payer à leurs rejetons la première fois le
des cours particuliers qui vont leur per- terme juche (qu’on
mettre d’entrer à l’université Kim Il- pourrait traduire par
“autonomie”) pour
sung. Même s’il faut pour cela sauévoquer la nécessité
ter des repas, ils leur paieront un de libérer
dictionnaire électronique d’anglais qui la Corée du Nord
coûte 500 dollars.”
de l’influence
Le pic de la Pivoine est une soviétique. L’idée
des promenades favorites des d’autarcie s’est
amoureux de Pyongyang. Il est ar- rapidement révélée
rivé à Shin Eun-hee d’apercevoir utile au maintien
quelques scènes très chaudes à d’un régime
l’ombre des arbres. “A cause de la dictatorial
qui y trouve
pénurie d’électricité, la nuit de Pyon- une justification
gyang est vraiment très sombre. Je ne à l’isolement de la
sais pas si c’est cela qui rend le spec- population du reste
tacle encore plus érotique ou si c’est du monde. Mélange
mon préjugé à l’égard de ce pays.” En de marxisme,
dépit de l’idéologie et du militan- de nationalisme
tisme, le quotidien des Nord-Co- et de confucianisme,
réens serait donc très humain et la doctrine du juche
plein d’humour. Les histoires gri- a servi de base
voises seraient monnaie courante, au culte du Grand
Leader et a orienté
sans doute parce que toute discus- l’ensemble
sion à caractère politique est pros- de la politique
crite. Il existe en Corée du Nord nord-coréenne.
ce qu’on appelle le “travail du vendredi”. Quel que soit son statut social, chacun est obligé d’effectuer un travail manuel au moins une fois par
semaine. Cette tradition, paraît-il, est à l’origine d’une
série de plaisanteries. “Quand vous sortez avec une vierge, c’est un ‘travail social’ ; quand vous sortez avec une veuve, c’est un ‘travail patriotique’ ; quand vous couchez avec
votre femme, c’est un ‘travail forcé’, et ainsi de suite. Il y
a de quoi exaspérer les féministes.”
Les étudiants nord-coréens ont un but dans la vie :
faire briller leur patrie sur la scène internationale. C’est
pourquoi ils apprennent l’anglais. “Le monde s’est diversifié. Il faut connaître les autres civilisations pour vivre
ensemble”, lui répondent les jeunes, alors qu’elle s’attend à une réponse plus martiale du genre : “Pour réduire
en miettes les impérialistes américains.” Beaucoup d’entre
eux sont fous de la langue de Shakespeare. Malgré l’absence de tout séjour linguistique, certains se débrouillent
mieux que leurs camarades du Sud. “A l’Université des
langues étrangères de Pyongyang,c’est l’anglais la plus populaire, avec le chinois. Les cours d’anglais sont composés
d’échanges libres à partir de documents préparés. Ils discutent par exemple du climat, des mœurs et de la culture
d’un pays.Tous les cours sont donnés en anglais. D’ailleurs,
sur le campus tous doivent parler dans cette langue ou dans
celle qu’ils étudient. L’apprentissage se fait de façon très disciplinée et rapide. C’est peut-être une conséquence de l’influence du militantisme.”
Ils utilisent des manuels importés de GrandeBretagne et regardent régulièrement les journaux télévisés ou des films plutôt classiques, du genre La Mélodie du bonheur. Les étudiants raffolent de comédies
sentimentales. Mme Shin a voulu leur montrer Titanic,
mais ils l’avaient déjà vu plusieurs fois.
D’après les professeurs de l’Université des langues
étrangères de Pyongyang, les étudiants délaisseraient
de plus en plus l’anglais britannique pour l’américain
– la langue des “ennemis du peuple” certes, mais aussi
celle qui est la plus utilisée sur la scène internationale.
“Des Nord-Coréens font du commerce avec la Chine
ou d’autres pays. Les étudiants se procurent par leur intermédiaire des livres ou des films américains et les apprennent par cœur comme si leur vie en dépendait. Certains
d’entre eux sont capables de parler un anglais soutenu et
impeccable. Pourtant, ils étudient dans des conditions difficiles. Ils ont les mains gelées car il n’y a pas de chauffage.
J’ai de l’admiration pour eux, j’ai envie de les aider.”
L’Université des langues étrangères de Pyongyang forme aussi les futurs interprètes. Dans les
années 1980, le pays n’en avait pas et devait en trouver à l’étranger quand il y avait une réunion internationale. Aujourd’hui, avec la montée de la tension
avec Washington, la formation des interprètes est considérée comme aussi importante que celle des soldats.
“L’université Kim Il-sung et l’Université des langues étrangères de Pyongyang sont les deux meilleures du pays. Les
disciplines enseignées ne sont pas très différentes de celles
de nos universités, à part bien sûr l’apprentissage du juche.
L’atmosphère est très différente dans les deux établissements,
peut-être plus ouverte dans le second. Ils sont en rivalité,
et cette rivalité ne joue pas au niveau individuel comme
chez nous, mais au niveau collectif.”
Elle a demandé aux étudiants quels étaient leurs
sujets de préoccupation. Ils ont tous répondu qu’ils
ne cogitaient pas sur les problèmes personnels et abstraits comme leurs camarades du Sud, mais réfléchissaient pour savoir comment ils pourraient se rendre
utiles à leur patrie. “Ils ne se battent pas pour améliorer leur destin individuel. Ils pensent que les problèmes personnels peuvent se résoudre au sein de la communauté.
S’ils se sacrifient pour la patrie, celle-ci le leur rendra ; c’est
ainsi qu’ils raisonnent. La patrie leur dicte ce qu’il faut
faire, alors pourquoi se poser des questions ?”
Travailler pour le pays est considéré comme la valeur suprême pour ces étudiants. Si demain les dirigeants leur disent qu’ils manquent de main-d’œuvre
pour la pêche et lancent le slogan “Jeunesse ! A la
mer !”, chacun se précipitera pour devenir pêcheur.
Pour ces jeunes, les valeurs sont fonction des besoins
de la communauté. Ils croient ferment que la vie humaine et les droits de l’homme ne peuvent exister sans
elle. L’accomplissement de soi n’est possible que dans
une patrie autonome et digne. “Et ils sont étonnamment comblés, forts et heureux”, déclare Mme Shin.
Certes, ils ont leurs goûts personnels en matière
de métier. Les jeunes filles rêvent de devenir actrices
et de faire partie des troupes nationales. Ces derniers
temps, être hôtesse de l’air est en vogue. Il paraît qu’il
faut être belle, compétente et de bonne famille. Par
ailleurs, certaines veulent se lancer dans le journalisme, domaine jusque-là réservé aux garçons. Quant
à ces derniers, ils estiment, comme leurs aînés, que le
métier des armes est le plus glorieux, mais commencent à s’intéresser au commerce et à l’informatique.
Il paraît qu’être journaliste sur le web est également
apprécié. Le professorat continuerait à attirer les
jeunes, aussi bien les filles que les garçons. “Nous pensons sans doute trop facilement que le Nord doit devenir
comme le Sud, partant de l’idée que le Nord c’est le mal
et que le Sud c’est le bien. Il nous faut nous débarrasser de
ces préjugés qui reposent sur l’orgueil”, martèle Mme Shin.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
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Paek Kyong-son
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enquête
●
UNE AUTRE CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE
Au secours de la forêt malgache
L’ACTUALITÉ
Montréal
L
3 000 km2 supplémentaires. Si rien n’est fait, la forêt
aura été éliminée de l’île d’ici quinze ans, estiment des
scientifiques malgaches – et, avec elle, des espèces végétales qu’on ne trouve nulle part ailleurs. “Au même titre
que l’Amazonie est le poumon de la planète, Madagascar
en est le réservoir de molécules”, explique le biologiste
Mondher El-Jaziri, de l’Université libre de Bruxelles.
Les molécules en question sont à la base de médicaments consommés partout sur la planète. Certains
composants chimiques de la pervenche de Madagascar [une plante herbacée], par exemple, jouent un rôle
majeur dans la lutte contre la leucémie, les cancers
du sein et du poumon, la tachycardie et l’insuffisance
Chris de Bode/Panos
e colosse a fini par s’effondrer au beau milieu de la
chaussée. Ses bourreaux se sont aussitôt rués sur
lui et l’ont achevé à grands coups de hache. En une
heure, cet eucalyptus de 60 m a été abattu, débité
et jeté dans le fossé. L’île de Madagascar venait de
perdre un arbre. Un de plus. Les quinze bûcherons ont
sévi sur une dizaine de kilomètres le long de la route
nationale 7, axe reliant Antananarivo, la capitale du
pays, et Fianarantsoa, pôle économique situé à plusieurs
centaines de kilomètres plus au sud. Ce jour-là, une
dizaine d’eucalyptus ont été coupés. Seuls indices de
l’abattage : les branchages et les feuilles odorantes broyés
sous les roues des voitures et des camions. Les arbres,
eux, deviendront soit du bois d’œuvre, soit du charbon.
Madagascar, quatrième île au monde avec ses
587 000 km, perd son couvert forestier à un rythme
effréné. L’Institut de recherche pour le développement
(IRD) estime que la déforestation y est “l’une des plus
alarmantes dans le monde tropical”. La Grande Ile,
comme on surnomme le pays, a déjà perdu plus des
trois quarts de sa forêt. Chaque année, elle en perd
La Grande Ile a déjà vu
disparaître plus des trois quarts
de sa couverture boisée, riche
en plantes médicinales uniques.
Autorités et ONG se mobilisent.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
44
cardiaque. “La déforestation met en péril la découverte des
médicaments de demain, ajoute Mondher El-Jaziri. Qui
nous dit que le remède contre une prochaine pandémie
n’est pas en train de disparaître ?” Au moins 7 700 des
12 000 espèces végétales recensées dans l’île auraient,
à des degrés divers, des propriétés médicinales. Le botaniste Armand Rakotozafy, retraité de l’enseignement
supérieur et petit-fils d’une mpitsabo (guérisseuse), en
est un ardent promoteur. Ce septuagénaire aux yeux
rieurs travaille pour l’Institut malgache de recherches
appliquées (IMRA), premier centre de recherche de
Madagascar, en compagnie d’une cinquantaine de
scientifiques qui étudient entre autres les propriétés
médicinales des plantes. A l’IMRA, les Malgaches peuvent aussi consulter gratuitement un médecin.
Dans la forêt d’Anjozorobe, vestige de la forêt du
haut plateau central de la province d’Antananarivo, des
chercheurs de l’IMRA et moi marchons d’un pas hésitant sur un sentier escarpé et boueux, bordé de murailles végétales impénétrables. Armand Rakotozafy,
qui a donné son nom à au moins une quinzaine de végétaux – il en a perdu le compte –, parcourt la forêt
comme d’autres font leur chemin de croix. Il s’arrête
devant certaines plantes, les contemple, puis en énumère les propriétés médicinales. Le
Dans le parc
psychotria est efficace contre la toux.
national de Kirindy
L’uapaca contre les dysfonctions
Mite, sur la côte ouest
érectiles. Le harungana apaise les
de Madagascar.
brûlures d’estomac… “Papa Armand”, comme on l’appelle amicalement à l’IMRA, se
désole, car derrière les murailles végétales se cache
un problème grave. “Il ne reste presque plus rien de la
forêt que l’on trouvait ici il y a tout juste une dizaine d’années”, dit-il. De plus, dans cette région rurale de la Grande Ile, on a reboisé exclusivement avec de l’eucalyptus
et du pin, deux espèces importées de Nouvelle-Zélande et d’Europe dans les années 1960. Une erreur, estiment les chercheurs de l’IMRA, car l’eucalyptus est
vorace et draine le sol de tous ses nutriments. “Il ne laisse rien pour les espèces indigènes”, dit Christian
Rabemanantsoa, médecin et biologiste à l’IMRA. Le
pin acidifie le sol et l’étouffe chaque automne sous
un épais tapis d’aiguilles. “Les autres arbres ne parviennent plus à s’imposer”, ajoute l’expert en biotechnologie Denis Randriamampionona. Résultat : la forêt
indigène d’Anjozorobe est détruite. “A l’heure actuelle,
nous en sommes réduits à tenter de préserver les lambeaux
qui restent”, déplore Christian Rabemanantsoa.
Claudine Ramiarison, directrice générale du Service d’appui à la gestion de l’environnement (SAGE),
un organisme gouvernemental, refuse toutefois d’empêcher le recours aux espèces exotiques. “Nous avons
presque atteint le point de non-retour, déclare-t-elle. La
désertification causée par le déboisement gagne du terrain,
surtout dans le sud du pays. On n’a pas le choix : il faut
reboiser avec des espèces à croissance rapide. En cela, l’eucalyptus est idéal.” Il atteint en huit ans la hauteur que le
palissandre – une espèce locale – met un demi-siècle à
atteindre. Il est vrai que le temps presse. Les ravages
causés par la déforestation sont spectaculaires. Il n’y
a plus d’arbres, ou presque. Le paysage est constitué
de montagnes et de collines pelées. A leur sommet, des
arbustes et de hautes herbes brûlées par le soleil ; au
creux des vallées, des rizières vert tendre que des femmes
courbées, genoux dans l’eau, entretiennent vaillamment.
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Chris de Bode/Panos
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paysans incendient les champs pour mieux surveiller
les troupeaux de zébus et pour voir venir les sangliers,
qui dévorent les récoltes. Les voleurs de zébus, de leur
côté, mettent le feu pour éviter que les propriétaires ne
les retrouvent en suivant les traces laissées par le troupeau. “Quand les ‘tavystes’ perdent le contrôle du feu”, ditil en éteignant sa cigarette et en la mettant dans sa
poche, “les forêts des alentours y passent.” Et des ravimaitso (plantes médicinales) partent en fumée.
L’Aloe vahombe, qui pousse dans le sud-ouest du
pays – et nulle part ailleurs –, est menacé par ces feux
de brousse. Une catastrophe, estime Denis Randriamampionona. “Cette plante produit un stimulant du système immunitaire qui pourrait être utile contre l’hépatite
et le sida. Elle aura disparu d’ici cinq ans.” En 2002,
l’IMRA a songé à recourir à la cryoconservation
– congélation dans l’azote liquide – pour en préserver
l’ADN. Mais l’alimentation en électricité, à Madagascar,
est trop incertaine pour assurer à la fois la fabrication
DISPARITION DE LA FORÊT PRIMAIRE À MADAGASCAR
Avant
l’occupation
humaine
1950
1985
Anjozorobe
Antananarivo
Vohimana
Fianarantsoa
Courrier international
Plus loin vers le sud, c’est la steppe africaine, stérile et
austère. Seuls quelques baobabs poussent çà et là, géants
orphelins au pied desquels sont installées des huttes
où vivent des nomades dans une indigence extrême.
La misère, à Madagascar, sème le désespoir à la ville
comme à la campagne. Avenue de l’Indépendance, au
cœur d’Antananarivo, des enfants crasseux font voler
des cerfs-volants bricolés avec de vieux sacs en plastique jaunis. D’autres imitent Zidane, leur idole, en
dribblant du papier journal roulé en boule. Plus loin,
des mères, assises sur le bord d’un trottoir, lavent leurs
bébés dans une flaque d’eau grisâtre. Avec son PIB par
habitant d’à peine 915 dollars – deux fois moins que
celui d’Haïti –, Madagascar se classe parmi les 25 pays
les plus pauvres de la planète, selon l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies. La situation est si grave que l’ONG Médecins sans frontières
a dû plier bagages.Venue dans la capitale il y a douze
ans pour soigner les enfants de la rue – ce qui a été
fait –, l’ONG a été prise d’assaut par toute la population. La tâche était si lourde que MSF en est presque
venu à jouer le rôle de système de santé à Antananarivo, ce qui n’est pas son mandat. L’organisme n’exclut
toutefois pas de revenir dans la région si une situation d’urgence rendait sa présence nécessaire.
Les ONG environnementales, elles, se sont ruées
dans l’île comme des pompiers dans un bâtiment en
flammes. Non seulement elles travaillent à reboiser
Madagascar, mais elles tentent aussi de revaloriser la
forêt auprès des populations rurales, de concert avec le
gouvernement. Il y a trois ans, le ministère de l’Environnement, des Eaux et des Forêts (MINENVEF) a lancé
le programme Zéro Tavy, visant à convaincre les paysans de ne plus brûler les forêts. Leurs efforts furent
vains. La population voit toujours dans chaque parcelle
de terrain une rizière potentielle. Les Malgaches continuent de détruire la forêt en ayant recours au tavy, c’està-dire au brûlis. La steppe n’est pas épargnée non plus.
Toutes les raisons sont bonnes pour mettre le feu à
ces vastes plaines herbeuses, explique Bernard, guide
au parc national Isalo, une zone forestière protégée. Les
Aire de répartition de la forêt primaire
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45
0
300 km
de l’azote et le bon fonctionnement des congélateurs.
L’ONG franco-malgache L’Homme et l’environnement s’attaque aussi au tavy, et ce avec plus de succès que le MINENVEF. “Il ne suffit pas d’interdire cette
pratique, on doit proposer des solutions de rechange aux paysans, dit son fondateur, Olivier Behra. Il faut leur prouver qu’ils peuvent tirer des bienfaits de leur environnement
sans tout brûler.” Derrière lui, dans son modeste bureau
d’Antananarivo, une bibliothèque déborde d’œuvres
d’art malgaches et de flacons d’huiles essentielles. Une
odeur flotte d’ailleurs dans l’air : les émanations apaisantes de l’huile d’eucalyptus. La substance provient
entre autres de la forêt de Vohimana, à 125 km à l’est
d’Antananarivo.Vohimana est le grand laboratoire de
L’Homme et l’environnement. Dans ses profondeurs,
Olivier Behra et ses collaborateurs ont installé une véritable petite entreprise de production d’huiles essentielles et de recherche sur les plantes médicinales. Après
quarante-cinq minutes de marche, derrière un rocher,
des cases de bois et de paille apparaissent ainsi que des
poules et des chiens. Plus loin, un dortoir d’une dizaine
de lits superposés et une cafétéria en plein air.
Au centre de ce village de chercheurs, on trouve un
alambic qui sert à distiller les huiles essentielles. Cellesci sont piégées dans les feuilles des plantes aromatiques.
“C’est la substance volatile de la plante – son odeur, en
quelque sorte”, dit le biologiste William Andrianantenaina. André, vêtu d’un bleu de travail, veille à la bonne
marche de l’alambic. Il pèse les feuilles qui donneront
l’huile, les plonge dans la grande
La forêt de Kirindy
cuve de distillation, alimente le feu
est de type tropical
et recueille le précieux liquide qui
sec. Elle abrite
s’écoule goutte à goutte. Lors de
une faune et une flore
notre passage, il récoltait l’huile
exceptionnelles.
essentielle du dingadingana, une
plante qui pousse en abondance dans les alentours. Il
faut 140 kilos de feuilles pour obtenir 30 ml d’huile.
“Nous nous inspirons du savoir des sorciers de la région”,
explique la biologiste Chantal Rakotoarison, 28 ans.
“Selon eux, le dingadingana est efficace pour éloigner les
moustiques. C’est ce que nous vérifions en ce moment.”
A Vohimana, l’ONG L’Homme et l’environnement
fournit du travail à 50 personnes de façon plus ou moins
régulière, grâce à un budget annuel de 90 000 dollars. “C’est beaucoup, pour Madagascar”, précise Olivier
Behra devant mon étonnement. Les femmes qui récoltent les feuilles reçoivent 20 ariarys le kilo, ce qui leur
donne un salaire quotidien équivalant à un peu moins
de 1 dollar canadien [0,60 euro]. Le responsable de
l’alambic et les hommes qui travaillent à la construction de cases et de huttes – l’ONG s’apprête à se lancer dans le tourisme écologique – gagnent 3 000 ariarys par jour [0,90 euro]. A titre comparatif, un repas
pour cinq adultes dans un boui-boui du coin coûte environ 12 000 ariarys [3,60 euros]. L’ONG d’Olivier Behra
ratisse large : valorisation et diversification de l’agriculture, récolte d’huiles essentielles et reboisement.
L’organisation ne reproduira pas les erreurs commises
à Anjozorobe. A Vohimana, pas d’eucalyptus ni de pins.
L’ONG ne plantera que des espèces locales.
De 1960 à 2005, la moitié de la forêt de Vohimana
a été récoltée ou brûlée. Le gouvernement malgache
a cédé la gestion de ce qui reste à L’Homme et l’environnement pour vingt-cinq ans, avec pour mission
de remettre la forêt dans son état d’origine. “Déjà,
nous avons presque réussi à éliminer le tavy dans la région,
dit William Andrianantenaina. Nous travaillons maintenant à recréer un corridor forestier entre deux forêts séparées par une coupe abusive.” Au total, l’ONG recouvrira
de végétation 150 hectares. Les botanistes ont choisi
une trentaine d’espèces locales, dont le Beccariophoenix madagascariensis, un palmier en voie d’extinction.
Ils espèrent ainsi permettre à la nature de reprendre
ses droits et d’augmenter leur récolte de plantes médicinales. “Toute la planète en bénéficiera”, assure William
Andrianantenaina.
Daniel Chrétien
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
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Page 46
économie
■ multimédia
“The
Independent”,
un malade qui
se porte bien
p. 48
■ sciences
Des pièges
à virus pour
stopper les
infections p. 49
■ technologie
Recharger
votre portable
avec du jus
d’orange
i n t e l l i ge n c e s
p. 50
i n t e l l i g e n c e s
●
Les règles de l’OMC bafouées par Washington
COMMERCE Les accords bilatéraux se
■
multiplient en marge de l’Organisation
mondiale du commerce. Dernier
exemple : le traité signé par
les Etats-Unis et la Corée du Sud.
FINANCIAL TIMES (extraits)
Londres
e mois d’avril marque le 60e anniversaire de l’Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce,
ou GATT, l’ancêtre de l’OMC. Il
voit aussi l’annonce d’un “accord de
libre-échange” entre les Etats-Unis et
la Corée du Sud. Le GATT reposait
sur la non-discrimination. Le nouvel
accord fait exactement le contraire.
A première vue, il permet une libéralisation considérable des échanges entre
la première économie mondiale et la
onzième : près de 95 % du commerce
bilatéral de produits industriels et de
grande consommation seront exempts
de droits de douane d’ici trois ans, et
le reste, pour l’essentiel, dans dix ans.
La Corée du Sud ouvrira son marché
à de nombreux produits agricoles américains, mais pas au riz. L’accès au secteur américain des services sera libéralisé, notamment dans les domaines
juridique, comptable et audiovisuel. La
propriété intellectuelle sera mieux protégée. Les marchés publics s’ouvriront
substantiellement. De nouveaux engagements sont pris sur l’administration
des douanes. Enfin, un nouvel organe
de règlements des litiges sera créé.
Pourquoi cela ne me plaît-il pas ?
Une libéralisation des échanges comme
celle-ci n’est-elle pas exactement ce
que la plupart des économistes s’intéressant au commerce appellent de leurs
vœux ? Oui et non. Oui, parce que le
libre-échange est souhaitable, mais
non, parce que cette forme de libéralisation ne va pas nécessairement dans
le sens du libre-échange. Jagdish Bhagwati, de l’université Columbia [naguère
conseiller auprès de l’OMC], a proposé de rebaptiser “accords commerciaux préférentiels” ce qu’on appelle
les “accords de libre-échange”. Pour
ma part, je préférerais parler d’“accords
commerciaux discriminatoires”.
En l’occurrence, les Etats-Unis et
la Corée du Sud conviennent de pratiquer une discrimination en faveur des
exportateurs ou des investisseurs domiciliés sur le territoire du partenaire.
Le coût économique évident d’un tel
accord est sans doute ce que Jacob
Viner, le grand économiste spécialisé
dans le commerce de l’entre-deuxguerres, qualifiait de “diversion des
échanges”. Les deux partenaires risquent de se détourner de fournisseurs
compétitifs au profit d’autres qui le
seraient moins. Dans le cas présent,
cette diversion devrait toutefois être
modeste, puisque les deux pays figurent parmi les fournisseurs les plus
compétitifs du monde pour un large
éventail de biens et services.
Mais un coût économique plus
important est d’ordre systémique.
Depuis quelques années, le nombre
L
Dessin
de Christopher
Zacharow paru dans
Business Week,
New York.
■ Négociations
avec Bruxelles
Séoul va bientôt
engager des
négociations
avec Bruxelles
afin de parvenir
à un accord
de libre-échange
semblable à celui
qui vient d’être
conclu avec
les Etats-Unis,
a déclaré, le 4 avril,
devant le Parlement
de Séoul, le ministre
du Commerce
sud-coréen,
Kim Hyun-chong.
Le volume
des échanges
commerciaux entre
la Corée du Sud
et l’UE s’est élevé
à 71 milliards
de dollars en 2006.
Un tel traité
pourrait créer
300 000 emplois
en Corée et
accroître le PIB
de 2 % à court
terme, estime
l’Institut coréen
de politique
économique
internationale.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
d’accords commerciaux préférentiels
a explosé. Celui qui vient d’être
conclu représente un énorme pas supplémentaire. En 2005, les Etats-Unis
ont été le premier importateur de
marchandises du monde et la Corée
du Sud le sixième (si l’on exclut le
commerce interne à l’Union européenne et les réexportations de Hong
Kong). Les Etats-Unis sont également
le premier importateur mondial de
services commerciaux et la Corée du
Sud le douzième (en incluant cette
fois les échanges intra-européens). Les
autres pays devront se battre désespérément pour éviter que ce traité
n’ait pour eux des répercussions négatives. Ce qui accroîtra probablement
encore un peu plus la prééminence de
ce type d’accords.
Sur le plan économique, deux
conséquences seront inévitables. En
premier lieu, une part croissante du
commerce mondial sera certainement
régie par les procédures spéciales d’une
multitude d’accords discriminatoires
bilatéraux et plurilatéraux, gage d’une
explosion de la complexité administrative. En second lieu, chaque nouvel
accord bilatéral modifiera le degré de
préférence dont bénéficient les fournisseurs existants, ce qui rendra d’autant plus incertain le climat des affaires.
Et les conséquences politiques
sont au moins aussi importantes.
D’abord, l’accès d’une entreprise à
d’autres marchés dépendra de plus en
plus de la capacité de son gouverne-
BILATÉRALISME
Nombre d’accords commerciaux
préférentiels (cumul)
200
150
100
Sources : OMC, “Financial Times”
858p46-47
46
50
0
1960
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
2005
ment à en obtenir l’ouverture, et non
de sa propre compétitivité. Ensuite,
les grandes puissances rivaliseront
entre elles pour arracher des conditions plus favorables pour leurs
propres producteurs. L’apparition de
tels blocs commerciaux fondés sur
un rapport de forces est à des annéeslumière des espoirs des pères fondateurs du GATT.
Les capacités politiques et diplomatiques sont également limitées.
Alors que les Etats-Unis se concentrent sur les accords préférentiels, le
cycle de Doha de l’OMC n’est toujours pas bouclé. Bruxelles est au
moins aussi responsable que Washington de l’impossibilité de mener à bien
des négociations qui favoriseraient
bien davantage le commerce mondial
que tous les accords bilatéraux possibles et imaginables. Mais, si les Américains se désintéressent des accords
multilatéraux, alors le cycle de Doha
a encore moins de chances d’aboutir.
En l’état actuel des choses, il est
probable que la tendance en faveur du
commerce discriminatoire conduira à
une fragmentation de l’économie
mondiale et non à son intégration.
L’économiste John Maynard Keynes
[représentant de la Grande-Bretagne
à la conférence de Bretton Woods, qui
a donné naissance à la Banque mondiale, au FMI puis au GATT] a formulé clairement la question en 1946 :
“La constitution de blocs séparés et la fin
de l’amitié qu’ils provoquent forcément
constituent un expédient auquel on peut
recourir dans un monde hostile, où l’on
cesse de commercer dans de vastes zones
de coopération pacifique […]. Mais il est
certainement fou de préférer cela.”
Espérons qu’il ne nous faudra
pas réapprendre à quel point ce serait
fou. Je reste optimiste sur le long
terme. Alors que les accords se multiplient, quelque sage décideur se
demandera sûrement pourquoi son
pays mène une politique commerciale reposant sur une centaine de
traités bilatéraux. Pourquoi, se dirat-il, ne pas avoir un seul accord multilatéral ? Il voudra peut-être même
lui donner un nom. J’ai une idée.
Pourquoi ne pas l’appeler “Organisation mondiale du commerce” ?
Martin Wolf
858p46-47
10/04/07
12:34
Page 47
économie
Prospection minière dans… les caves d’un musée
RÉP. CENTRAFRICAINE
■
Au musée royal
de l’Afrique centrale,
à Bruxelles, les experts
miniers peuvent étudier
de vieilles cartes
géologiques du Congo.
SO UDAN
Cong o
Kisangani
OU
RÉ P. DÉ M.
DU CONGO
N
GA
DA
RWANDA
BURUNDI
Kinshasa
TANZANIE
THE WALL STREET JOURNAL (extraits)
New York
endant des années, le géologue
Johan Lavreau a tranquillement veillé sur des monceaux
de cailloux, de cartes et de vieux
papiers africains, précieusement
conservés dans les sous-sols du Musée
royal de l’Afrique centrale, à Tervuren,
dans la banlieue de Bruxelles. C’était
un travail solitaire, rarement troublé
par la visite d’étudiants ou de chercheurs. Aujourd’hui, on se bouscule
pour voir ses archives. Les grandes
compagnies minières espèrent y trouver des informations sur les vastes
réserves du Congo-Kinshasa en cuivre,
cobalt, or, étain et autres richesses.
Dernièrement, Johan Lavreau, qui
dirige le département de géologie
et de minéralogie de l’institut de
recherche du musée, a reçu la visite de
l’australien BHP Billiton, du sud-africain De Beers et du français Areva,
tous attirés par l’envolée des prix des
matières premières. “J’imagine que
nous devons commencer à penser comme
une entreprise”, commente-t-il avec une
pointe de mélancolie.
Pour les groupes miniers, il est
beaucoup plus simple de prospecter
dans un sous-sol en Belgique, et les
informations ainsi recueillies sont bien
meilleures que celles fournies par des
radars ou des sonars hautement sophistiqués. Rien, semble-t-il, ne peut remplacer le travail de terrain à l’ancienne.
P
A N G O L A
ZAMBIE
Lubumbashi
0
500 km
Sources : USGS, “Atlas de l’Afrique” Ed. du Jaguar.
MATIÈRES PREMIÈRES
Principales concentrations de minerais et de matières premières
Fer
Cadmium
Coltan
Tantale
Diamant
Cuivre
Tungstène
Charbon
Manganèse
Pétrole
Cobalt
Or
Zinc
Etain
“La cartographie était alors plus précise
et plus détaillée”, explique David
Ovadia, responsable du département
international du Service géologique
britannique (BGS). “Aujourd’hui,il faudrait monter une véritable opération militaire pour obtenir les renseignements que
recueillait en une vie un géologue à cheval à l’époque coloniale.” Le BGS, propriétaire de vieilles cartes de l’Afghanistan ou de la Zambie, réalise la moitié
de ses 106 millions de dollars de chiffre
d’affaires annuel grâce à ce genre de
consultations. A Orléans, le Bureau
de recherches géologiques et minières,
qui gère les archives d’anciennes colonies françaises comme l’Algérie ou le
Laos, fait naître lui aussi un grand
intérêt. “Ils ont tous commencé à frapper à notre porte il y a dix-huit mois”,
se souvient Marielle Arregros, historienne cartographe. Le géant angloaustralien Rio Tinto est ainsi devenu
un client régulier.
Peu de pays éveillent toutefois
autant d’intérêt que la république
démocratique du Congo, depuis longtemps considérée comme la plus
grande réserve mondiale de minerais.
Aujourd’hui, prospecter sérieusement
sur place est à la fois très cher et très
dangereux. Le pays sort à peine d’une
sanglante guerre civile et les milices
armées patrouillent toujours le bush.
Consulter les documents de Johan
Lavreau ne coûte en revanche que
250 euros par jour.
Cette exploitation commerciale des
archives de Bruxelles, qui appartiennent au gouvernement belge, est plutôt mal vue à Kinshasa. “Il est légitime
de se demander pourquoi elles ne sont pas
ici”, souligne Valentin Kanda Nkula,
directeur du Service national de géologie. “Il serait juste que l’on partage
les bénéfices.” Le Congo possédait
autrefois des copies de ces archives,
mais la plupart ont été perdues,
pillées ou détruites. En outre, ajoute
Johan Lavreau, le pays a réduit en
miettes ses échantillons de roches pour
en faire du gravier de parking.
Les groupes miniers peuvent
remercier le roi Léopold II (qui a
contrôlé le Congo jusqu’en 1908) pour
les trésors préservés à Tervuren. Le
monarque avait envoyé des enquêteurs
– et leurs esclaves – arpenter tout le territoire pour cartographier le pays à la
main. Leurs successeurs ont lavé des
millions d’échantillons de sol et recueilli
des millions de fragments de roches.
En 1940, le gouvernement colonial de
Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) a
ordonné aux entreprises minières privées de lui transmettre leurs propres
dossiers afin d’aider les Alliés à trouver des matières premières pouvant
contribuer à l’effort de guerre. Après
la guerre, des caisses de cailloux et de
documents ont été transférées au musée
de Léopold, construit en 1898 pour
célébrer les vertus de la colonisation.
Depuis des années, les archives
africaines de la Belgique aident les
compagnies minières à trouver les bons
filons. En 1997, la société australienne
Anvil Mining voulait prospecter dans
le sud-est du Congo, où des Belges
avaient exploité des mines de cuivre
après 1910. Anvil a alors demandé
l’aide du musée pour analyser ses cartes
satellite. “Nous avons superposé une carte
géologique de 1953 – elle-même élaborée
d’après des archives plus anciennes – sur
une vue de satellite pour avoir une image
complète”, explique Johan Lavreau.
Avec un investissement de seulement
6 millions de dollars, dont une petite
partie au profit du musée, Anvil a pu
commencer à extraire du cuivre en 2002.
Au final, ce projet devrait générer un
profit de 19 millions de dollars.
Les archives peuvent aussi éviter
de mauvais investissements. Il y a deux
ans, BHP Billiton pensait qu’il y avait
suffisamment de bauxite (utilisée pour
produire de l’aluminium) près de la
côte Atlantique du Congo pour y
ouvrir une nouvelle mine. Le groupe
a alors fait appel à Guy Franceschi, un
consultant géologue belge, qui a suggéré de visiter le musée. Les représentants du groupe australien ont pu y
consulter une carte de 1950, un document couvert d’une trame où chaque
intersection, tous les 200 mètres,
représente un puits percé par les ingénieurs belges pour collecter des échantillons, qui sont également conservés
au musée. Après trois semaines d’analyses, BHP a conclu que les ressources
en bauxite étaient insuffisantes. Au
total, le groupe a déboursé 7 756 euros.
“Si nous avions dû refaire tous les échantillonnages, ça nous aurait coûté extrêmement cher en temps et en argent”, souligne Harri Illtud, porte-parole de
BHP Billiton.
Aujourd’hui, le seul regret de Johan
Lavreau est de ne plus avoir le temps
d’errer, solitaire, au milieu de ses
roches et de ses papiers. “De nos jours,
constate-t-il, les gens n’ont du temps que
pour chercher de l’argent.”
John W. Miller
la vie en boîte
Google roule pour ses salariés
oute la Silicon Valley est jalouse des
avantages accordés aux salariés de
Google. Ces derniers peuvent, à toute heure
et gratuitement, se sustenter de petits plats
préparés par des chefs, profiter du mur d’escalade, du terrain de volley ou de l’une des
deux piscines du site. Sans compter le coiffeur et les visites médicales offertes.
Mais il y a encore mieux : le transport du
matin. Dans cette région connue pour être
l’une des plus embouteillées de toute la Californie, Google le géant des moteurs de
recherche est aussi Google le transporteur.
Son objectif est de faciliter le trajet de ses
chers employés de leur domicile au bureau
et d’attirer de nouvelles recrues sur le marché très concurrentiel des ingénieurs de
talent. L’entreprise obtient en outre quelques
heures de travail supplémentaires de ses
salariés, qui ne perdent plus de temps coincés derrière le volant de leur voiture.
T
Aujourd’hui, Google transporte quotidienticulière, l’ampleur du système correspond
nement près de 1 200 salariés (près du
aussi par faitement aux ambitions démequart de son effectif local) à bord de 32 nasurées du groupe. Après tout, Google est
vettes équipées de confortables
une entreprise dont le but
sièges en cuir et d’un accès wiavoué est d’organiser l’inforfi à Internet. Les vélos sont emmation à l’échelle mondiale
barqués sur le porte-bagages ex– et dont les fondateurs voyatérieur et les chiens, à l’arrière
gent pour leurs af faires en
de la navette ou sur les genoux
Boeing 767. “Au fond, nous
de leurs propriétaires. Les usagérons une petite agence de
gers peuvent recevoir des alertes
transpor t municipal”, résume
sur leur ordinateur ou leur téMarty Lev, directeur de la séculéphone portable en cas de rerité et responsable du pro Dessin d’Astromujoff
tard du bus. Le système flatte
gramme de navettes. Pas si
également leur fibre écolo, non paru dans La Vanguardia, petite que ça, en réalité : au
Barcelone.
seulement parce qu’ils laissent
siège de Google, une équipe de
leur voiture au garage, mais aussi parce
spécialistes du transport surveille le trafic
que tous les bus Google roulent au biorégional, enregistre les adresses des noudiesel. Et le trajet est évidemment gratuit.
velles recrues et élabore de nouveaux traSi le concept por te bien la marque de
jets, sur un rayon de 80 kilomètres, pour
Google et de sa culture d’entreprise si parrépondre à une demande croissante.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
47
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
“C’est l’avantage non financier le plus utile
de Google”, s’enthousiasme l’ingénieur
informatique Wiltse Carpenter. “Cela a
changé ma qualité de vie.” Quant à Michael
Gaiman, qui vit à San Francisco, il explique
avoir refusé une offre chez Apple avant
d’accepter récemment un poste chez
Google. “[Le système de navette] a réellement pesé dans mon choix.”
D’autres sociétés de la Silicon Valley ont
remarqué que ce genre de détails faisait
la différence. Yahoo!, le principal concurrent de Google, a lancé un système de
navettes aussi proche de celui de Google
que Pepsi l’est de Coca. Les bus Yahoo!
roulent également au biodiesel et sont eux
aussi équipés d’un accès wi-fi. Selon l’entreprise, ce projet n’est qu’“indirectement”
inspiré de celui de Google.
Miguel Helft,
The New York Times (extraits), Etats-Unis
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10/04/07
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Page 48
multimédia
i n t e l l i g e n c e s
●
“The Independent”, un malade qui se porte bien
PRESSE Même s’il demeure le Petit
■
Poucet de la presse britannique,
le quotidien londonien entend
conserver sa spécificité. Pour son
rédacteur en chef, le multimédia
n’est pas la priorité.
THE GUARDIAN
Londres
’éditorialiste Stephen Glover, surnommé affectueusement par certains “le Puritain”, risque d’en avaler son chapeau. Lui qui s’était un
jour déclaré “scandalisé” par la grossièreté du rédacteur en chef de
The Observer, Roger Alton, lui reprochant de parler “comme un voyou alors
que le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il
n’a pas grandi dans une cité”, risque de
rester pantois devant la liberté de langage de son patron.
“J’en ai marre que The Guardian
choisisse toujours des photos merdiques de
ma personne”, s’emporte le rédacteur
en chef de The Independent, Simon
Kelner, lors de la séance de photos.
“Sur vos photos, j’ai toujours l’air énorme,
vous le faites exprès ou quoi ?”
Je doute qu’il y ait une conspiration de ce genre du côté du service iconographie du Guardian. Personne à
L
Dessin de Ruben
L. Oppenheimer
paru dans
NRC Handelsblad,
Rotterdam.
■
Evolution
Depuis le 29 mars,
The Washington Post
a mis en place
une nouvelle page
d’accueil de son site
Internet, sur
laquelle un espace
vidéo permet
désormais
de visualiser à tout
moment les films
produits par
le journal.
<www.washington
post.com>
ma connaissance ne cherche à souligner son menton recouvert d’un bouc
ni son ventre replet d’ours anorexique,
mais on lui pardonne volontiers d’être
un peu à cran. Avec l’annonce de quarante départs négociés dans le cadre
d’un plan de restructuration, soit une
rédaction amputée de certains de ses
éléments les plus chevronnés et une
redistribution des tâches pour ceux
qui restent, les dernières semaines ont
été éprouvantes pour l’ensemble des
deux rédactions.
Pourtant, Kelner se veut rassurant.
Il ne veut pas qu’on présente son journal comme le seul à traverser une mauvaise passe. Car, rappelle-t-il, c’est toute
la profession qui s’est lancée dans une
quête désespérée de réduction des
coûts. “Ecoutez, vous pouvez présenter
les choses comme vous voudrez, une chose
est sûre, nous ne sommes pas les premiers
ni les derniers à vivre ce genre de situation. Les temps sont durs pour tout le
monde”, lâche-t-il, énervé. Il a évidemment raison. Reste que près de
70 journalistes de The Independent et
The Independent on Sunday ont cherché à bénéficier de ce plan de licenciement. Faut-il voir dans ces départs
volontaires l’expression de craintes plus
profondes pour l’avenir des deux journaux qui, comme The Times et The
Guardian, ne sont pas rentables.
“LE PODCAST N’EST PAS DU TOUT
L’AVENIR DU JOURNALISME”
Kelner en profite pour tuer dans l’œuf
un certain nombre de rumeurs qui circulent depuis qu’on a appris la nouvelle des licenciements. On murmurait, par exemple, que le quotidien et
le titre dominical allaient fusionner et
que The Independent on Sunday allait
ensuite être relancé sous la forme d’un
magazine, sur le modèle de Newsweek.
Kelner dément formellement, mais il
explique qu’il veut rationaliser certains
services qui font double emploi. Il est
vrai que c’est une question de bon sens.
Pourtant, un bref sondage au journal
montre qu’il règne une certaine frustration dans les deux rédactions. Les
gens regrettent – à cette occasion, du
moins – que Kelner n’ait pas trouvé
une “grande idée éditoriale pour battre le
rappel des troupes”, en référence à son
coup de génie de relancer le journal
dans un format plus petit (qui, selon
lui, a conduit 55 journaux du monde
entier à faire la même chose).
Kelner a beau avoir été un pionnier en matière de format, il fait preuve
d’une grande prudence, voire d’une
méfiance qui confine à la technophobie, envers la révolution numérique et
la convergence de la presse écrite et
d’Internet. Alors que d’autres quotidiens, comme The Guardian,The Daily
Telegraph et The Times, investissent masCOURRIER INTERNATIONAL N° 858
48
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
sivement dans leur site Internet, Kelner n’est pas du tout convaincu de la
pertinence de ce genre d’investissement. Son budget étant des plus serré,
il préfère laisser ses concurrents aller
au charbon. “Pour une fois, c’est une
bonne chose de ne pas être pionniers en la
matière : au moins, personne ne nous tirera
dans le dos. Pour l’instant, nous préférons
privilégier une approche plus progressive,
nous n’allons pas nous lancer tête baissée dans des investissements coûteux,
explique-t-il. Je suis plutôt sceptique en
matière d’intégration, mais surtout je ne
suis pas du tout d’accord quand j’entends
dire que la presse écrite est vouée à disparaître. J’ai l’impression de prêcher dans le
désert, les gens aiment bien se faire du mal.
Que les journalistes de la presse écrite
jouent les Cassandre me révulse. Au
contraire, je suis convaincu qu’une partie
du budget marketing de chaque journal
devrait servir à faire la promotion de la
presse en général.”
Contrairement à ses collègues de
la presse dite de qualité, Kelner n’a que
mépris pour le journalisme multiplateforme, surtout les podcasts et la vidéo.
“Vous connaissez des gens qui écoutent des
podcasts ? Personnellement,je n’en connais
aucun ! La dernière fois que j’ai lu dans
The Daily Telegraph : ‘Téléchargez le
podcast de Simon Heffer sur les dernières déclarations de David Cameron’, j’ai éclaté de rire ! Ils se foutent vraiment de nous ! Vous ne me ferez jamais
croire que le podcast est l’avenir du journalisme”, s’emporte-t-il. Il reconnaît
cependant que le site de The Independent, comparé à ceux de ses rivaux, est
un peu austère, voire négligé. “Nous
avons conscience que nous devons améliorer notre site et, cette année, nous allons
nous y attaquer, affirme-t-il. Il va être
complètement repensé,il sera tout beau tout
neuf. Je sais que nous devons passer à la
vitesse supérieure sur la Toile. Mais je vais
vous dire une chose : contrairement à ce
que vous pensez, notre présence sur Internet génère des profits. Combien d’autres
journaux peuvent en dire autant ?”
Kelner se targue d’une grande lucidité sur les faiblesses de son journal.
– “Je crois qu’il y a beaucoup de choses
à revoir…”–, mais il ne veut pas en dire
plus. Sommé de s’expliquer, il prend
une grande inspiration et lâche : “Il me
semble que nous ne tenons pas nos promesses.Avec nos unes, nous avons l’air de
proposer un produit radicalement différent, et finalement le contenu de notre journal reste assez traditionnel. J’aimerais
repousser les limites et aller encore plus loin.
Vous le verrez d’ailleurs bientôt.” En
2008, il fêtera sa dixième année à la
tête du journal. Il détient d’ailleurs le
record de longévité à ce poste. On a
beau lui avoir proposé la direction d’un
titre concurrent, qu’il refuse de nommer, Kelner envisage de finir sa vie professionnelle dans le même journal.
“Mon avenir est ici, dit-il avec fougue.
Je fais une petite sieste dans mon bureau
tous les après-midi, mais je ne suis pas
encore à court d’énergie. Avec l’aide de
Dieu et de Tony O’Reilly [le propriétaire
des deux titres], c’est ici que je veux rester.” Les prétendants à sa succession
devront encore patienter.
James Silver
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Page 49
sciences
i n t e l l i g e n c e s
●
Des pièges pour stopper les infections
VIROLOGIE Des chercheurs américains
■
veulent utiliser les globules rouges
pour empêcher le VIH ou d’autres
virus de s’installer dans le corps.
THE NEW YORK TIMES
New York
I
■ Selon la revue
britannique
New Scientist,
l’ecstasy serait
un véritable
philtre d’amour.
Des expériences
réalisées sur
des rats par Iain Mac Gregor,
de l’université de Sydney
en Australie, montrent que
cette drogue induirait un pic
de sécrétion d’ocytocine dans
le cerveau. Cette hormone
est connue pour agir
sur le comportement social
des mammifères. Elle participe
aux liens affectifs qui unissent
les couples mais aussi les mères
à leurs bébés. Des travaux
antérieurs sur les rongeurs
ont montré qu’après l’orgasme
les mâles présentaient un pic
similaire d’ocytocine. La prise
d’ecstasy plongerait donc
les hommes dans un état
postorgasmique, dans lequel
ils n’ont pas d’appétit sexuel,
mais se sentent en harmonie
sentimentale avec leur compagne.
virus ne sont pas totalement détruits,
diminuer leur nombre aurait déjà des
effets bénéfiques. Entre autres, cela
empêcherait l’effondrement du système immunitaire, comme le feraient
des antirétroviraux, à cela près que ces
pièges cellulaires seraient beaucoup
moins onéreux.
Robert Finberg explore également
d’autres pistes pour piéger les virus.
“Nous avons réussi avec des globules
rouges, mais on pourrait essayer avec des
microbilles, par exemple.” Lui et son
équipe travaillent actuellement sur des
perles minuscules recouvertes de protéines, dans l’espoir qu’elles puissent
faire de bons leurres. “Certains virus
seront plus faciles que d’autres à piéger,
reconnaît-il. Par exemple, nous ne pourrons jamais piéger un virus qui vit en permanence à l’intérieur des cellules. En
revanche, pour commencer, les virus
mobiles représentent des proies plus faciles.”
Carl Zimmer
DÉTRUIRE LE VIH EN L’EMPRISONNANT
Remède
Le VIH se fixe
sur les récepteurs CD4
d’un lymphocyte T
et se multiplie grâce
à l’ADN de la cellule.
Pour lutter contre les formes très
résistantes du VIH, le darunavir
(Prezista), un tout nouveau
médicament du laboratoire
pharmaceutique Tibotec, s’avère
être beaucoup plus efficace
que tous les traitements existants,
annonce le Los Angeles Times.
Sur une étude rassemblant
110 patients, cette substance
de la famille des inhibiteurs de
la protéase a quasiment éradiqué
le virus chez 45 % des patients
en quarante-huit semaines, alors
que ce taux est généralement
de 10 % avec les autres traitements.
Il présente néanmoins les mêmes
effets secondaires, entre autres
une sensibilité au virus de l’herpès.
Récepteur
CD4
Le lymphocyte est détruit
par la libération des virus,
qui passent ensuite
dans la circulation sanguine.
VIH
VIH
Lymphocyte T
Récepteur CD4
On injecte
des globules
rouges
modifiés
porteurs
de récepteurs
CD4.
Warner Bros.
Les virus se fixent
sur les cellules sanguines
modifiées plutôt
que sur les lymphocytes.
Globule rouge
■ Le célèbre Taz de la Warner
Les globules rouges n’ayant pas
de noyau, le virus ne peut pas
se reproduire.
Les globules
rouges, dont
la durée de vie
est de quatre
mois, sont
détruits dans
le foie ou
la rate. Les
virus piégés
sont détruits
par la même
occasion.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
Sources : Paul Turner, Université Yale ; “The New York Times”
l n’y a pas trente-six solutions pour
se débarrasser d’un virus. Il y a
d’abord le vaccin, qui prépare le système immunitaire et lui donne les
moyens de repousser le virus dès son
arrivée. Si le virus réussit à s’installer, il y a le médicament que le médecin peut prescrire pour ralentir la progression virale. Et, en dernier recours,
le médecin peut mettre le patient en
quarantaine afin de circonscrire l’épidémie. Mais certains scientifiques sont
en train de mettre au point une stratégie radicalement différente pour lutter contre les virus : ils comptent leur
tendre de véritables pièges.
Les virus attaquent les cellules en
se fixant à certaines protéines de leur
membrane. Une fois accrochés à la
cellule, ils peuvent pénétrer à l’intérieur. Celle-ci est alors contrainte d’aider ses hôtes à se multiplier. Mais les
virus ne peuvent pas infecter les globules rouges. Quand ces cellules ont
achevé leur maturation dans la
moelle osseuse, elles perdent leur
noyau d’ADN. Donc, si un virus s’introduisait dans un globule rouge, il
n’aurait pas de gènes à sa disposition
et il ne pourrait pas se multiplier.
“Si un virus se fixe à un globule
rouge, il est littéralement coincé”, explique
Robert W. Finberg, professeur à la
faculté de médecine du Massachusetts.
Lui et ses collègues ont ainsi eu l’idée
de transformer des globules rouges en
pièges à virus chez des souris. Ils ont
pris pour appât une protéine de surface appelée CAR qui attire le virus
coxsackie [responsable de pharyngites,
entre autres infections]. Les résultats
de ces expériences se sont révélés très
prometteurs, mais les chercheurs n’ont
pas réussi à éradiquer le virus.
“Combien faut-il de pièges pour se
débarrasser du virus ?” s’interroge Paul
E.Turner, biologiste spécialisé dans les
questions d’évolution à l’universitéYale.
Actuellement, Paul E. Turner et son
équipe étudient le VIH. En règle générale, le VIH s’attaque aux cellules
immunitaires, comme les lymphocytes
CD4. L’équipe de Paul Turner essaie
de concevoir des globules rouges munis
de protéines CD4, dans l’espoir d’attirer et de piéger le VIH [voir schéma].
L’étape suivante consistera à mélanger
ces globules rouges modifiés avec des
cellules immunitaires normales dans
une éprouvette et à voir s’ils peuvent
piéger le virus. Selon Paul Turner, il
sera un jour possible de transfuser des
patients séropositifs avec des globules
rouges modifiés. Les globules rouges
attireraient les virus et les éloigneraient
donc des lymphocytes, permettant
ainsi au système immunitaire du
patient de se reconstituer. Et, puisque
les globules rouges ne survivent que
quelques mois avant d’être détruits
dans la moelle osseuse, le foie et la rate,
les virus piégés de la sorte disparaîtraient peu à peu du corps du patient.
“Bien sûr, pour l’instant, c’est encore
de la science-fiction”, avoue Turner.
Dominik Wodarz, spécialiste de l’écologie des virus à l’université de Californie à Irvine, ne participe pas à ces
travaux, mais trouve que “c’est un
concept sensé et très intéressant”. Il reste
tout de même prudent et rappelle que
le succès de cette stratégie dépend de
l’ampleur de la contamination. A des
stades avancés de la maladie, un seul
millilitre de sang peut contenir jusqu’à
10 millions de virus. “Il me semble peu
probable qu’on puisse poser autant de
pièges.” Paul Turner est conscient des
limites de sa théorie, d’autant plus que
les virus sont également capables de
muter afin d’éviter les pièges. “Les données sont très prometteuses, mais il reste
encore un tas de difficultés à résoudre.”
Pourtant, souligne-t-il, même si les
EN BREF
49
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Bros. vient en aide à ses
homologues du monde réel.
Depuis une dizaine d’années,
la population des diables
de Tasmanie – des marsupiaux
carnivores qu’on ne trouve
que dans cette île située au sud
de l’Australie – est décimée
par une maladie infectieuse
se manifestant sous forme
de tumeurs faciales et qui reste
un mystère pour les scientifiques.
Afin de financer la recherche,
le gouvernement tasmanien
a passé un accord avec
la Warner pour fabriquer
et vendre 5 000 peluches Taz,
rapporte le magazine
● américain The Scientist.
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technologie
i n t e l l i g e n c e s
●
Rechargez votre portable avec du jus d’orange !
ÉNERGIE Des
Dessin d’Imma
Pla paru dans
El País, Madrid.
■
chercheurs américains
ont inventé une pile
à combustible qui
carbure au sucre. Cette
technologie à base
d’enzymes pourrait
arriver sur le marché
d’ici trois ans.
SCIENCE NEWS
Washington
n nouveau type de pile à combustible est capable de produire de l’électricité à partir de
sucre. Elle utilise pour cela des
enzymes que l’on trouve dans les cellules vivantes. Si cette technologie
peut un jour être reproduite à grande
échelle, il suffira de quelques gouttes
de votre boisson sucrée préférée pour
recharger votre téléphone.
Les piles à combustible génèrent
du courant électrique grâce à des réactions chimiques. Généralement, ce
processus fait appel à des métaux précieux – comme le platine – qui jouent
le rôle de catalyseurs. Dans les cellules
vivantes, les enzymes jouent un rôle
analogue : elles décomposent les
sucres afin de produire de l’énergie.
Quand les chercheurs ont commencé
à utiliser des enzymes dans les piles à
combustible, ils avaient du mal à les
faire travailler de façon durable,
explique Shelley Minteer, de l’université de Saint Louis. Alors que les
cellules biologiques produisent continuellement de nouvelles enzymes, les
piles à combustible ne disposent pas
U
■
d’un mécanisme permettant de remplacer les enzymes à mesure qu’elles
se dégradent.
Shelley Minteer et sa collaboratrice
Tamara Klotzbach, elle aussi de l’université de Saint Louis, ont mis au point
des polymères qui viennent envelopper l’enzyme et la préservent dans une
poche microscopique. “Nous faisons en
sorte que ces poches offrent le micro-environnement idéal [pour l’enzyme]”, assure
Shelley Minteer. Elles maintiennent
l’enzyme active pendant plusieurs
mois, au lieu de quelques jours. Dans
la nouvelle pile à combustible, les
minuscules poches en polymère sont
incorporées à une membrane qui
entoure l’une des électrodes. Quand le
glucose d’un quelconque liquide sucré
pénètre dans une poche, l’enzyme
l’oxyde, libérant ainsi des électrons et
des protons. Les électrons traversent
alors la membrane et atteignent l’autre
électrode en passant par un fil. Ce flux
d’électrons qui circule dans le fil constitue un courant électrique.
“L’élimination des métaux précieux
permet de réduire les coûts, mais [l’utilisation d’enzymes] élargit aussi la gamme
de combustibles qu’on pourra employer”,
assure Paul Kenis, ingénieur chimiste
à l’université de l’Illinois à Urbana-
Revue
Publié depuis 1922
aux Etats-Unis,
l’hebdomadaire
scientifique Science
News propose une
formule de seize
pages d’articles
courts destinés
à un large public.
Champaign. Les piles à combustible
enzymatiques mises au point par
d’autres équipes de chercheurs font
généralement appel à des combustibles
plus classiques, comme l’éthanol.
L’utilisation directe de sucre comme
combustible serait plus économique,
puisque la fabrication d’éthanol nécessite de passer par la fermentation de
maïs, de canne à sucre ou d’autres
végétaux, fait valoir Minteer.
Sous leur forme actuelle, les piles
à combustible de Minteer n’oxydent
que partiellement le glucose, si bien
qu’elles ne produisent que peu d’électricité. “Pourtant, c’est déjà une grande
réussite d’arriver à les faire fonctionner”,
soutient Kenis. L’équipe de Minteer
s’efforce maintenant d’intégrer à ses
piles un ensemble d’enzymes différentes, afin d’extraire davantage d’énergie du sucre. Par rapport aux piles à
combustible actuelles ou aux batteries, les modèles biologiques auraient
évidemment un autre avantage, celui
d’être biodégradables.
Il ne faudra peut-être pas plus de
trois ans pour que cette technologie
entre dans sa phase industrielle, à en
croire Shelley Minteer. Le ministère
de la Défense américain, qui finance
ces recherches, espère aussi trouver
des applications au sucre en tant que
source d’énergie très concentrée sur
les champs de bataille.
Davide Castelvecchi
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
s
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Les élections prés ec la revue de presse d’Anthony
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COURRIER INTERNATIONAL N° 858
50
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
*858 p51 SA
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l e l i v re
épices & saveurs
●
VIES PARALLÈLES
Le soldat
et l’historien
ASIE CENTRALE
Le soumalak,
ce délice printanier
Londres
es jumeaux sont un thème récurrent de la
mythologie et de la littérature du Nigeria,
dont la fonction est le plus souvent de récuser une vision de la société fondée sur la primauté de l’individu.Vu la façon dont le pays a évolué – le Nigeria étant désormais synonyme
d’égoïsme calculateur et de corruption –, ce n’est
pas un hasard si les jumeaux jouent un si grand
rôle dans le renouveau du roman nigérian, incarné
par Helon Habila, Chimamanda Ngozi Adichie et
Helen Oyeyemi.
Cette renaissance est une bonne nouvelle
pour tous les amateurs de littérature africaine,
car, depuis les années 1970, le continent n’avait
guère produit d’auteurs susceptibles d’avoir un
retentissement mondial. Il y a à cela beaucoup
de raisons, la principale étant la conjonction
néfaste d’une désintégration des mécanismes
sociétaux (y compris l’édition) et d’une détérioration plus générale de ce que l’on pourrait appeler la mémoire citoyenne, un phénomène dont
l’Afrique n’a en aucun cas le monopole.
Le captivant roman d’Helen Oyeyemi The Icarus Girl (La petite Icare) [voir CI n° 752, du 31 mars
2005] évoque les relations entre jumeaux et entre
doubles pour aborder la question des différences
culturelles. L’exceptionnel Half of aYellow Sun [La
moitié d’un soleil jaune] de Chimamanda Ngozi
Adichie parle également de jumeaux mais aussi de
religion, de loyauté tribale et d’éducation, reflétant
l’entreprise de rénovation citoyenne que la jeune
génération d’auteurs nigérians s’est donné pour
mission d’accomplir. Un idéal difficile à atteindre
mais crucial, car la réhabilitation de la société civile
en Afrique passe nécessairement par une compréhension de l’Histoire.
Dans le nouveau roman de Helon Habila, Measuring Time* [La mesure du temps], les jumeaux
et l’histoire occupent également une place centrale.
C’est une œuvre extrêmement subtile, où l’histoire
d’une famille et d’un village du nord du Nigeria
dans les années 1980 et 1990 s’insère dans un récit
sociopolitique plus vaste, tournant autour de l’éducation, de la responsabilité de l’héritage colonial et
du substrat mythique du folklore.
Les jumeaux de Habila, Mamo et LaMamo,
sont deux êtres très différents en dépit de leurs prénoms quasi identiques. Mamo est infirme (il souffre
de drépanocytose) et maladroit, alors que LaMamo
est fort et intrépide. La seule chose qui unit les
deux frères est la haine qu’ils éprouvent pour leur
L
■
Biographie
Né en 1967
à Kaitungu, dans
le nord du Nigeria,
Helon Habila
réside actuellement
à Washington,
où il enseigne
la littérature
anglo-américaine.
Il se lance dans
l’écriture en 1997
avec le recueil
de nouvelles Prison
Stories. Parallèlement,
il écrit des poèmes
et des nouvelles
qui lui vaudront
de remporter
en l’an 2000 deux
des prix littéraires
les plus prestigieux
du Nigeria. La même
année, il remanie
ses Prison Stories
pour en faire
un roman, qu’il édite
à compte d’auteur
sous le titre
Waiting for an Angel
(En attendant
un ange, Actes
Sud 2004, voir
CI n° 652,
du 30 avril 2003).
Le livre reçoit
en 2001 le prix
Caine de littérature
africaine, ce qui
permettra à Helon
Habila de se faire
publier par
un grand éditeur.
Measuring Time
est son deuxième
roman.
Graham Turner/The Guardian
Pour son deuxième roman, Measuring Time,
le Nigérian Helon Habila a choisi
de revisiter un thème cher aux conteurs
de son pays : les jumeaux.
THE GUARDIAN
■
père, Lemang, un don Juan égoïste qui les délaisse.
Pour se venger, ils mettront des scorpions dans les
chaussures de ce père indigne, métaphore de tous
les mauvais dirigeants qui se sont succédé à la tête
du pays. Après un étrange épisode où les jumeaux
tuent le chien d’une sorcière, ils décident de fuguer
et de s’enrôler dans l’armée, mais Mamo, souffrant, tournera vite les talons. Pendant une vingtaine d’années, il ne verra plus son frère mais en
aura des nouvelles par l’intermédiaire de lettres où
il lui parle de ses combats comme mercenaire au
Tchad, au Mali et au Liberia.
Mamo devient un spécialiste de l’histoire locale
et un enseignant, tandis qu’il continue à batailler
avec son père et avec sa maladie. Lemang s’est
métamorphosé en riche homme d’affaires et en
politicien. Il a le vent en poupe, jusqu’au jour où
l’un de ses rivaux lui dérobe son projet d’alimentation des campagnes en eau potable. L’école de
Mamo devient un enjeu électoral. Racontées sur
le mode de la farce, ces scènes de luttes politiques
intestines sont très amusantes, mais la gravité de
l’enjeu – rien de moins que l’avenir d’un pays – est
toujours présente en arrière-plan.
Choisi par le waziri (vizir) pour écrire l’histoire
de l’émir local et de sa famille, Mamo voit sa situation s’améliorer, tandis que celle de son père se
dégrade. Il vit une histoire d’amour avec une femme
nommée Zara, qui veut elle aussi devenir écrivain et entame une nouvelle vie en tant que secrétaire de l’émir. Mais les choses ne sont pas toujours
ce qu’elles paraissent, et Mamo se retrouve à devoir
déjouer les sombres machinations du waziri. Les
lecteurs se souviendront de l’intrigant Sam Adekunle d’Un Anglais sous les tropiques, qui avait été
inspiré à William Boyd par l’extraordinaire waziri
du roman Missié Johnson, de Joyce Cary. Ce qu’il
y a de passionnant, chez Habila, c’est qu’il allie ces
archétypes de la littérature occidentale au style oraculaire, beaucoup plus ancien, du conteur africain.
Measuring Time est à la fois un roman historique qui “mesure le temps”, au sens où il compare des périodes historiques, et également une
étude psychologique d’un homme qui doit “se
mesurer” à son frère et aux exigences d’une société
en crise. Mais il est plus encore une célébration
triomphale du relativisme. A la fin, malgré toutes
les tragédies, Mamo aura découvert que le secret
de la survie réside non pas dans l’individualisme,
mais dans cette sorte d’entre-deux fluctuant dont
sa gémellité est l’exemple même. Giles Foden**
* Ed. Hamish Hamilton, Londres, 2007. Pas encore traduit
en français.
** Auteur du roman Le Dernier Roi d’Ecosse, qui vient d’être
adapté au cinéma.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
51
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Si vous êtes déjà allé en Asie centrale pendant
la fête de Navrouz, qui tombe le 21 mars et qui
marque l’arrivée du printemps, vous avez sans
doute goûté au soumalak. La préparation de ce
plat, qui s’accompagne de danses et de chants
féminins, peut nécessiter jusqu’à 20 kilos de
blé ou même davantage.
Il faut du blé de première qualité, de l’huile végétale et de la farine. On commence par faire tremper le blé dans une bassine pendant toute une
nuit. Le blé est ensuite réparti dans des sacs
de lin que l’on suspend à des poutres. Lorsque
l’eau s’est écoulée, on étale le blé sur une table
de bois : la couche doit être épaisse de 3 cm à
5 cm. Celle-ci est alors arrosée d’eau jusqu’à
ce que les racines sortent (mais pas la tige !).
Elles sont ensuite broyées dans un mor tier
en pierre ou en bois. La masse homogène et
visqueuse obtenue est essorée à la main. On
obtient ainsi plusieurs seaux de jus de blé blanchâtre légèrement farineux et sucré. Tout est
prêt pour cuisiner un soumalak. Dans un grand
kazan (marmite traditionnelle en métal), on fait
chauffer de l’huile, puis on ajoute du blé, et
enfin du jus de blé. On touille la préparation en
y ajoutant progressivement de la farine. Pour
que cette bouillie ne brûle pas, on place dans
le kazan quelques petites pierres, qui seront
ensuite conservées comme des talismans. Il
est vivement conseillé de faire des vœux pendant la préparation : ils seront exaucés ! On
laisse ensuite le soumalak refroidir et reposer à la belle étoile pendant une nuit. Le matin,
on le servira dans de petits bols, où l’on trempera des morceaux de pain. Si les ingrédients
sont d’une qualité irréprochable et si le blé n’a
pas germé, le soumalak est délicatement et
délicieusement sucré.
Plusieurs légendes circulent en Asie centrale
au sujet de l’origine de ce plat. Parmi les plus
populaires, citons l’histoire de Fatima et de ses
deux fils, Hassan et Houssan. Un jour, pour
nourrir ses fils affamés, elle cueille des brins
de blé dans un champ abandonné. Dans un
kazan, elle met du blé avec des petites racines
naissantes, de l’eau et quelques pierres. La
cuisson est si longue que la famille s’endort
avec le ventre vide. Mais quarante anges veillent
à ce que le repas soit prêt le matin. Ayant pitié
de la pauvre femme, ils versent secrètement
de la farine et de l’huile dans le kazan. C’est
ainsi que Fatima peut enfin, à sa grande joie,
rassasier ses enfants.
Alexandre Kouprine, Fergana.ru, Moscou
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
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voya ge
●
L’EXOTISME À LA MODE BULGARE
Splendeurs d’un bled roumain
Du temps du communisme, Bulgares
et Roumains se connaissaient à peine.
Aujourd’hui, ils découvrent avec
un émerveillement enfantin la vie
que l’on mène de l’autre côté du fleuve.
SEGA
Sofia
e long du Danube, les villes bulgares et
roumaines vont par paires : Ruse-Giurgiu,
Svichtov-Zimnicea, Toutrakan-Oltenita.
Ainsi, lorsqu’on dit Vidin [prononcer “Vidine”],
l’association spontanée est Calafat. Calafat est bien
plus qu’une association, la ville est même visible
de l’autre côté du grand fleuve, mais jusqu’à récemment, c’était un endroit où l’on ne pouvait pas aller
comme ça, sur un coup de tête. Il fallait un passeport et même un visa de sortie. C’est pour cela
que nous avons décidé de nous rendre dans cette
ville voisine en utilisant ce sésame européen nouvellement acquis qu’est la carte d’identité.
L’embarcadère du ferry Vidin-Calafat se trouve
à 2,5 kilomètres de Vidin. On accède facilement jusqu’au quai en taxi. Ce ferry dessert le couloir de
transport paneuropéen n° 4, celui qui part de l’Allemagne, traverse l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie,
la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce pour arriver
jusqu’en Turquie ; un couloir qui passe ici, sur
quelques milles nautiques du Danube, pour effectuer la jonction entre Vidin et Calafat. [La construction d’un pont, sur les modalités de laquelle Bucarest et Sofia n’arrivent pas à se mettre d’accord
depuis des décennies, est prévue pour “bientôt”.]
La distance entre les deux villes ne dépasse pas
les 3 à 4 kilomètres en ligne droite, une ligne qui
traverse obliquement le fleuve puisque Calafat est
légèrement en amont de Vidin. Avant d’arriver
au port du ferry, on passe par le poste-frontière,
où il fallait se soumettre, il y a encore quelques
mois, à des procédures complexes. Aujourd’hui, il
suffit de montrer sa carte d’identité à un employé
écrasé par l’ennui.
Le ferry n’a pas d’horaires, c’est son seul inconvénient. L’attente n’excède cependant jamais une
heure, le temps nécessaire pour que le bateau
arrive, décharge et se remplisse à nouveau. En une
dizaine de minutes, il engloutit douze poids lourds
et quelques voitures de tourisme. Les derniers à
monter sont les piétons, d’habitude une dizaine
de personnes qui s’apprêtent à rendre une visite
ou à faire des emplettes de l’autre coté. S’il fait
beau, vous restez sur le pont pour observer le
Danube, qui est ici, près de Vidin, particulièrement beau et majestueux. S’il fait mauvais, vous
pouvez entrer dans la cabine réservée aux passagers. Mais elle est exiguë, avec sa petite fenêtre et
son banc sur le côté. Comme elle fait penser à une
cellule de prison, personne n’y reste bien longtemps. Le trajet jusqu’à Calafat dure une vingtaine de minutes. L’aller coûte 6 leva [3 euros].
Le tarif du retour est équivalent, sauf qu’il faut
payer en monnaie roumaine (13 lei) ou en euros.
L
Reportage photo :
Petrut Calinescu
Il faut donc penser à s’en procurer. Certains, à
Vidin, nous avaient fait peur en nous disant que
les flics roumains ne vous laissaient pas passer avec
la carte d’identité et exigeaient parfois des passeports. Nous étions prêts à protester et à faire un
scandale lorsque nous avons tendu nos cartes au
douanier roumain. A notre grande déception, il
les a vaguement regardées avant de nous souhaiter un bon séjour. Et cela en bulgare, s’il vous plaît,
même s’il avait un fort accent valaque.
Ce passage en douceur nous a tout de suite
donné des ailes. Nous nous sommes donc empressés de découvrir cette fameuse cité de Calafat. C’est
une petite ville qui ne compte guère plus de
12 000 habitants. La première impression est celle
d’un endroit paisible et tranquille. Les pigeons y
roucoulent de la même façon qu’en Bulgarie, mais
ils ne sont pas perchés sur les mêmes toits. Car
les maisons roumaines ont des toits un poil plus
pentus que les nôtres. Ce qui est normal, compte
tenu de la géographie et du climat ; du nord au sud
les toits s’aplatissent progressivement pour devenir
horizontaux dans les pays arabes. On sait pourquoi.
Ce qui nous a le plus frappés, ce sont les rues.
Elles sont relativement propres. Mais peu importe.
Elles sont surtout incroyablement larges ! Et quand
je dis larges, je ne plaisante pas : la chaussée fait de
15 à 20 mètres, alors qu’il n’y a pratiquement pas
de circulation automobile. Et les rues sont presque
partout goudronnées. On y voit, bien entendu,
quelques nids-de-poule, tout comme chez nous.
Mais on y voit peu de voitures et à peine plus de
piétons. Il y règne un profond calme provincial.
Bien décidés à goûter la bière roumaine, nous
cherchons un bureau de change. Sauf qu’ici il n’y
en a pas ! Une vendeuse interloquée nous explique
que seul un “banco” nous sortira d’affaire. On en
trouve finalement un et l’on se met sagement dans
la queue en compagnie de quelques épargnants
calafatais. Quand vient notre tour, que vous le
croyez ou pas, l’employé de banque doit noircir
cinq ou six formulaires pour changer nos dix malheureux euros. Nous sommes surpris par cet excès
de bureaucratie. Mais c’est ainsi, et l’Etat perçoit
un pourcentage.
L’embarcadère
sur le Danube,
d’où part un ferry
qui transporte
véhicules et passagers
entre Calafat
et Vidin.
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
52
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Cela dit, accordons un bon point à nos voisins
roumains. Je ne sais pas si vous avez remarqué ce
phénomène très agaçant : quand on entre dans un
établissement bulgare – que ce soit une poste, une
banque, un magasin ou un restaurant –, on se
retrouve immanquablement témoin d’une bruyante
conversation entre employés. On y apprend ce qu’ils
ont mangé la veille, comment Untelle était habillée,
comment Untel a avalé deux cognacs, comment
toute une bande de potes ont fait une apparition
inattendue, ce qu’Untel a dit à son beau-frère et
comment ce dernier s’est fâché tout rouge… Soit
personne ne leur a jamais expliqué de ne pas déballer leur vie privée en public, soit ils sont imperméables à l’idée qu’ils sont là au service de leurs
clients, et que ces derniers ne sont pas une bande
d’importuns qui tentent de s’incruster pour leur
gâcher la journée. Nos voisins de Calafat semblent,
eux, comprendre l’importance du client : lorsque
celui-ci arrive, ils le fixent silencieusement et se
mettent à sa disposition. C’est bien de lui que
dépend leur salaire, non ?
Nous passons à côté de la grande église SaintNicolas, qui est malheureusement fermée. Nous
décidons alors de suivre le meilleur conseil que l’on
puisse donner à tous les touristes : va là où vont les
gens du cru ! Car ils savent où l’on mange bien
et pour pas cher. Il semble malheureusement que
les habitants de Calafat restent chez eux et se bornent à aller au travail. Les rues sont désertes et les
restaurants – quand il y en a (en tout cas, moins
qu’en Bulgarie) – le sont aussi. Nous arrivons au
marché couvert, pour constater que les prix ne sont
pas différents de ceux pratiqués à Vidin. A propos,
nous avons pu constater que les marchands ambulants locaux importent de Bulgarie des choses surprenantes : des cartons pleins de paquets de graines
de tournesol grillées, des céréales, des petits gâteaux
et d’autres broutilles. En revanche, nous avons
vu le ferry se remplir, dans l’autre sens, de poids
lourds transportant des voitures de marque Dacia.
Les affaires marchent !
A la sortie du marché, un homme bizarre surgit, visiblement désireux de nouer des relations avec
nous. S’il y a un dieu des reporters, c’est certai-
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carnet de route
Y ALLER ■ Air France, Bulgarie Air et Tarom (la
compagnie nationale roumaine) proposent
plusieurs vols directs de Paris vers Sofia et
Bucarest. Prix moyen : 350 euros l’aller-retour.
Côté bulgare, on peut se rendre de Sofia à
Vidin par la route (la N81, puis la E79) ou par
le train (quatre dépar ts quotidiens, en passant par Vratsa). Côté roumain, on accède à
Calafat par la route en passant soit par
Craiova, soit par Corabia (la route longe
ensuite le Danube). Par le train, cinq liaisons
existent quotidiennement dans les deux sens
entre Bucarest et Calafat, avec une correspondance à Craiova.
SE LOGER ■ A Vidin, l’hôtel Bononia est sans
doute la meilleure adresse : il est situé près
du Danube, en plein centre-ville. Côté bulgare
comme côté roumain, il est possible de loger
chez l’habitant : c’est peu onéreux et c’est
un bon moyen pour faire connaissance avec
les gens du cru. Les loueurs, qui portent souvent de petits badges, attendent les voyageurs
à la sortie des ferrys ou aux abords de la gare
ferroviaire.
A VOIR ■ Presque absents des guides et des
Au centre
de Calafat près
de la grande église
Saint-Nicolas,
des rues
particulièrement
“larges” aux yeux
du visiteur bulgare
(et vides).
au “securistu-KGBistu”, et que, personnellement,
nous détestons tourner en rond… Popescu se
résigne ; il est prêt à tout pour avoir un contact
international. Nous nous attablons près du port
pour goûter la bière Ursus, qui s’avère, au passage, buvable. La bouteille coûte 2 lei [1 lev ou
0,50 euro].
C’est là que le docteur s’empare du sujet des
Daces et des Thraces et de ce qu’avait dit Hérodote sur la question. Mais, lorsqu’il faut trinquer,
l’homme cultivé laisse tomber les sujets de haute
culture pour lancer un toast local typique : “Hai
norok si bucurie, toti tiganii in puscarie !” La traduction qu’il nous fait avec une certaine pudeur
révèle que le toast n’est pas très flatteur pour les
minorités, c’est-à-dire que l’on boit à notre santé
et notre bonne fortune à nous, en revanche pour
ce qui concerne les Tsiganes, ils peuvent aller…
Bref, ils peuvent aller quelque part, mais on n’a
pas trop bien compris où. Oui, bon d’accord, ce
n’est pas très en phase avec la politique antidiscriminatoire de l’Union européenne, mais nous
avons promis de ne pas en souffler mot lorsque
nous irons à Bruxelles.
Boïko Lambovski
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
ROU MA NI E
Oltenita
Giurgiu
Toutrakan
Zimnicea
Danube
Ruse
Svichtov
Calafat
Vidin
S ER B I E
Sofia
B U LGA RI E
Mer
Noire
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Courrier international
nement lui qui nous a envoyé le domnul [“monsieur” en roumain] en question. M. Popescu est
vétérinaire, aujourd’hui à la retraite. Il brûle d’envie d’expliquer la situation politique roumaine aux
deux “invités de Bulgarie” qui se baladent si désœuvrés dans sa ville natale. Il parle beaucoup, le
Dr Popescu. Il s’emporte dans au moins quatre
langues : nous avons perçu des bribes de russe, de
français et de bulgare, considérablement altérés.
Quant au roumain, nous ne le pratiquons pas, hélas.
Malgré tout, M. Popescu arrive à nous convaincre
que les services secrets roumains sont toujours aussi
puissants et empêchent les gens libres comme lui
de vivre leur vie. “Securistu, KGBistu !” s’exclame
le docteur, alors que les passants se retournent en
sursaut à la vue de notre trio.
Il nous a gentiment emmenés jusqu’à la primaria [mairie], nous expliquant que le bâtiment
appartenait jadis à un gros exploitant agricole
dont les communistes avaient confisqué les biens.
Il nous a montré aussi le centre culturel bulgare,
malheureusement fermé par trois cadenas. Il voulait encore nous emmener dans les larges rues
désertes, mais nous avons déclaré fermement que,
dans notre pays natal, on préfère la bière fraîche
circuits touristiques, Vidin et Calafat ne font
pas partie des étapes “incontournables”. Ces
villes constituent une étape pratique pour ceux
qui veulent visiter les deux pays et n’ont de
charme que parce qu’elles sor tent des sentiers battus. Vidin la bulgare possède néanmoins quelques monuments dignes d’intérêt,
comme la forteresse ottomane Baba Vida, une
belle cathédrale et, plus près de nous, un étonnant Mémorial des victimes du communisme,
installé sur les bords du Danube en souvenir
de ceux qui ont péri dans les camps de travail,
notamment celui de Béléné, un peu plus bas
sur le fleuve. Côté roumain, on se contentera
de flâner sur le port et de visiter le petit musée
d’art de la ville.
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insolites
●
Le roi de l’évasion sortira-t-il du tombeau ?
U
muscles abdominaux. Son certificat
de décès attribue la mort du magicien
à une péritonite due à une rupture de
l’appendice. Mais aucune autopsie
n’est pratiquée, et les rumeurs d’assassinat ne tardent pas à se répandre.
Une biographie publiée l’an dernier,
The Secret Life of Houdini [La vie
secrète d’Houdini], a étudié ces
rumeurs. Elle fait état d’une injection
de “sérum expérimental” qui aurait été
faite à Houdini peu avant sa mort au
Grace Hospital de Detroit. Selon ses
auteurs,William Kalush et Larry Sloman, les principaux suspects sont un
groupe de médiums dont Houdini
dénonçait régulièrement les mystifications et qui lui auraient envoyé plusieurs menaces de mort dans les dernières années de sa vie.
La biographie divulgue une lettre de
novembre 1924, dans laquelle Arthur
Conan Doyle, le père de Sherlock
Holmes, proche des adeptes du spiri-
tisme, écrivait qu’Houdini allait “avoir
ce qu’il méritait”, qu’il allait “bientôt
devoir payer”. Le projet d’exhumation
a reçu le soutien d’Anna Thurlow, l’arrière petite-fille du médium Margery
Crandon, dont le mari, le docteur Le
Roi Crandon, était l’un des principaux
tenants du mouvement spirite et un
ennemi déclaré d’Houdini. “Ce qui est
sûr,c’est qu’un groupe de gens lui voulaient
du mal”, dit-elle, obligée d’admettre
que ses ancêtres ont peut-être commis
un assassinat.
Si Houdini a été empoisonné avec des
métaux lourds (arsenic ou mercure),
on en retrouvera la trace, même au
bout de quatre-vingts ans, explique le
professeur Starrs, qui a déjà procédé
à l’exhumation de Jesse James et de
l’“Etrangleur de Boston”. “Je n’aurais
pas accepté ce travail si je l’avais considéré comme un simple tour de passepasse”, dit-il.
Larry McShane, USA Today, New York
Rue des Archives/The Granger Collection NYC
ne équipe de médecins légistes
va se pencher sur la dépouille de
Harry Houdini pour tenter
d’établir si le célèbre magicien a
été victime d’un assassinat, il y a plus
de quatre-vingts ans. “Tout sera minutieusement analysé”, a promis le professeur James Starrs, qui dirigera une
escouade de pathologistes, d’anthropologues, de toxicologues et de radiologues. “Nous examinerons ses cheveux,
ses ongles et ses éventuelles fractures.”
Selon l’avocat de la famille Houdini,
Joseph Tacopina, une demande officielle d’exhumation a été déposée fin
mars, mais, bien que la famille et les
autorités du cimetière de New York
soient d’accord pour exhumer le corps,
la procédure pourrait durer plusieurs
mois. Harry Houdini est mort à l’âge
de 52 ans, le 31 octobre 1926, deux
semaines après avoir reçu dans l’estomac une volée de coups de poing assenée par un étudiant qui testait ses
L’“objet rabougri” de Napoléon
L’organe du haïdouk
C’est la verge la plus célèbre de Roumanie, selon le quotidien Cotidianul.
L’organe de 22 cm conservé en état d’érection appartenait au bandit Terente,
réputé pour sa cruauté. Au terme de quatre-vingts ans passés dans du
formol, la chose s’était affreusement dégradée : la peau devenue quasi
transparente ne couvrait plus qu’un morceau de coton. Les spécialistes de l’institut médico-légal de Bucarest ont travaillé toute une
journée sur l’organe du haïdouk (bandit). La relique restructurée
repose désormais dans une solution de glycérine. Un sauvetage temporaire : “Pour en assurer la pérennité, il faut un implant de silicone”,
indique l’équipe, qui pense faire effectuer cette délicate intervention
à l’étranger. La verge de Vasali Stefan Terente, fusillé en 1927, vaut aussi
Ainsi,
les reliques de Jeanne
d’Arc n’étaient que des
bouts de momie égyptienne,
révèle Nature. Intéressonsnous donc à d’autres
restes.
par son tatouage. “Je baise bien et profond”, lit-on sur la peau parcheminée.
La jambe de Sarah Bernhardt
60 ans passés, la “divine Sarah” se blesse au genou droit en sautant du parapet
dans la scène finale de Tosca. La gangrène s’installe : dix ans plus tard, l’actrice est
amputée. Elle affrontera l’opération avec un rare courage et refusera de laisser son
handicap mettre fin à sa carrière : la mort la surprend en 1923, en plein tournage d’un film. Après son amputation, elle n’hésitera pas à se rendre au front pour rendre
visite aux poilus. On raconte plusieurs histoires sur son membre amputé. L’une d’elles
semble véridique. Pendant sa convalescence, la comédienne aurait reçu un message du
directeur de l’exposition panaméricaine à San Francisco lui offrant 100 000 livres en
échange du droit d’exposer sa jambe. “Laquelle ?” lui aurait-elle répondu par télégramme.
Une chose est sûre, c’est que personne ne sait où se trouve la droite.
The Independent, Londres
A
n 1969, Christie’s inclut dans son catalogue un
article décrit de façon énigmatique comme un “objet
rabougri” d’environ 2,5 cm de long ressemblant à
une petite anguille ratatinée. Aucun acquéreur. Peu
de temps après, des rumeurs commencent à circuler :
l’objet en question aurait été retranché du corps de
Napoléon Bonaparte après sa mort à Sainte-Hélène.
L’abbé Ange Vignali, qui avait administré l’extrêmeonction à l’empereur déchu, avait gardé quelques souvenirs – des couteaux, des fourchettes, une tasse d’argent et (à en croire le valet de chambre de Napoléon,
Ali), une toute petite partie de la personne de Napoléon. Ali n’a jamais dit laquelle. La collection Vignali
changera de propriétaire à plusieurs reprises. A l’issue d’une énième vente à Paris en 1997, la partie en
question finit entre les mains d’un urologue new-yorkais
réputé, John K. Lattimer. L’objet est-il réellement ce que
l’on pense ? Rien n’est moins sûr. Sauf pour un tabloïd
anglais, qui relatera la vente ratée de Christie’s sous le titre
“Pas ce soir, Joséphine”.
The Independent, Londres
E
L’objet moins rabougri de Raspoutine
Grigori Raspoutine, dit “le
Moine fou”, sortit un beau
jour des steppes russes et
usa de son charme pour se
faire accepter par la cour
impériale. Le jour où il fut présenté au tsar Nicolas et la tsa-
Les neurones d’Einstein
rine Alexandra, ceux-ci étaient
très inquiets pour leur fils
e cerveau d’Einstein a été extrait de son crâne moins de
sept heures après sa mort – avec son consentement préalable. Pendant trente ans, l’organe fera plutôt l’objet
de controverses que de recherches scientifiques. Plusieurs études seront finalement réalisées par des universités
américaines dans les années 1980 et 1990. L’une d’elles, publiée
en 1999, compare le cerveau du génie avec celui de trente-cinq
hommes et cinquante-six femmes : chez Einstein, la région impliquée
Rue des Archives
dans le calcul mathématique et la représentation de l’espace et du mouvement est de 15 % plus grande que la moyenne. Chez la plupart des individus, un
sillon traverse cette partie du cerveau, mais pas chez Einstein. La communication entre
les neurones s’en trouvait peut-être accélérée. Le reste du cerveau du génie est conservé
aujourd’hui à l’hôpital de Princeton, dans le New Jersey. Ses yeux, en revanche, se trouveraient dans le coffre-fort d’une banque de New York.
The Independent, Londres
L
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
AFP
unique, qui souffrait d’une
crise d’hémophilie. Raspou-
tine réussit à arrêter les saignements. Il prêchait un christianisme étrange, selon lequel
une femme pouvait assurer le salut de son âme en couchant avec un saint homme. Beaucoup de femmes aristocrates auraient emprunté cette voie vers le paradis. La partie du
corps de Raspoutine qui a sauvé tant d’âmes est exposée depuis 2004 dans le premier
musée érotique de Saint-Pétersbourg. “Nous n’avons rien à envier aux Etats-Unis, où est
conservé le pénis de Napoléon”, plastronnera le musée. “Face à notre organe de 30 centimètres, ce haricot vert ne fait pas le poids.”
54
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
The Independent, Londres
858-couv sport ok BAF
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www.courrierinternational.com
T
R
O
P
S
Supplément au n° 858 du 12 au 18 avril 2007
Ian Kenins
LE
CLIMAT
CHANGE LES RÈGLES DU JEU
À L’OCCASION DE CE CAHIER SPÉCIAL, COURRIER INTERNATIONAL
LANCE SON SITE CONSACRÉ AU SPORT SOUS TOUTES LES LATITUDES.
http://sport.courrierinternational.com
858-II-XII couv sport baf
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e n
Page II
c o u v e r t u r e
L’HIVER 2007 AURA ÉTÉ PARTICULIÈREMENT DOUX. PLUSIEURS COMPÉTITIONS DE SKI ONT
ÉTÉ PERTURBÉES PAR LE MANQUE DE NEIGE. EN AUSTRALIE, LA SÉCHERESSE EMPÊCHE LES
AMATEURS DE CRICKET OU DE PÊCHE DE PRATIQUER LEUR DISCIPLINE PRÉFÉRÉE. PARTOUT,
LES DÉRÈGLEMENTS DU CLIMAT CONTRAIGNENT LE MONDE DU SPORT À S’ADAPTER.
Les sportifs rattrapés
par l’écologie
Pour éviter de voir certaines
pratiques sportives totalement
remises en cause par
les bouleversements climatiques,
il est temps que le monde du sport
s’implique dans la bataille
pour sauver la planète.
SPORTS ILLUSTRATED
New York
a prochaine fois qu’un match du championnat de base-ball sera annulé à cause
des pluies d’automne, vous pourrez maudire l’inutilité momentanée des billets au
fond de votre poche. Ou alors vous pourrez vous demander pourquoi il pleut autant
ou pourquoi des entraînements ont été annulés l’été dernier quand il n’y avait pas un seul
nuage dans le ciel, ou bien pourquoi cette jetée
sur laquelle vous remontiez autrefois du poisson
à chaque coup n’existe plus. Ou encore pourquoi vous n’avez pas sorti vos superskis Titanium
du garage depuis plusieurs hivers. Le réchauffement planétaire n’est pas à venir, il est là. Avec
la hausse de la température sur l’ensemble de la
planète, les océans se réchauffent, les cultures
souffrent de la sécheresse, la neige fond, il pleut
davantage et le niveau de la mer monte.
Tout cela influe sur notre façon de pratiquer
le sport ou de suivre les compétitions. Les preuves
que le futur se rue sur nous plus vite que les
scientifiques ne le pensaient sont présentes partout. Les grandes chaleurs vont obliger les responsables du football universitaire au Texas à
passer à un seul match par jour au lieu de deux,
ce qui marquait un véritable rite de passage pour
les athlètes concernés. Dans la cour des grands,
l’équipe de football américain des Miami Dolphins – les joueurs de ce club sont soumis à un
entraînement dans des conditions extrêmes – a
fini par se faire construire une “bulle” d’entraî-
L
■ “Sports
Illustrated”
Leader
sur le marché
de la presse
sportive
aux Etats-Unis,
l’hebdomadaire
est plus connu pour
son numéro spécial
“Maillots de bain”
que pour
ses articles
consacrés
aux sujets
de société. Aussi,
lorsqu’il décide
de faire son dossier
de couverture
sur la question
du réchauffement
climatique,
cela suscite
de nombreuses
réactions. Plusieurs
sites ont écrit
sur cet intérêt
soudain pour
l’environnement,
soulignant
cependant que cela
pourrait bien
favoriser une prise
de conscience,
dans un pays
où une majorité
de personnes
restent insensibles
à la cause
environnementale.
nement climatisée. A cause de la fonte des glaciers et de la banquise polaire, et parce que l’eau
chaude occupe plus de volume que l’eau froide,
les océans gagnent du terrain. D’après les scientifiques, leur niveau devrait monter de 1 mètre
d’ici à 2100, ce qui signifie que les zones humides
seront inondées. Si nous continuons à émettre
des gaz à effet de serre à ce rythme, la température de la Terre montera de 5 °C d’ici à la fin
du siècle. Les scientifiques sont unanimes pour
dire que la hausse qui nous attend dans les cent
prochaines années fera des dégâts. “Il y a de nombreux combats environnementaux à mener,” estime
Bill McKibben, écrivain, militant et passionné
de ski de fond. “Mais, si nous perdons celui-ci – ce
qui est en train de se passer –, aucun autre n’aura
d’importance. Le moment est critique.”
LES CHANGEMENTS
CLIMATIQUES INFLUENT
SUR LA PRATIQUE
DU SPORT
Le sport nous conditionne à voir d’abord les
actions rapides, et, jusqu’à récemment, l’action
du changement climatique se déroulait dans la
durée, un peu comme une rencontre sportive où
le score reste nul. Mais cette perception est en
train de changer très rapidement, en particulier chez les skieurs, qui viennent de passer d’un
extrême à l’autre dans la même saison. Un certain jour de novembre, il est tombé tellement de
neige à la station de Beaver Creek, dans le Colorado, qu’il a fallu reporter l’entraînement de la
descente hommes comptant pour la Coupe du
monde. Le lendemain, à l’autre bout de la Terre,
à la station française de Val-d’Isère, une autre
descente de la Coupe du monde était annulée
parce qu’il n’y avait pas assez de neige et parce
que la météo annonçait la poursuite de températures clémentes. Au total, sept épreuves de la
Coupe du monde ont été annulées en Europe
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
II
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
pour la même raison. L’équipe américaine de ski
nordique est rentrée à la maison plus tôt que
prévu après l’annulation, quatre fois en l’espace
d’une semaine, d’une compétition, et elle a laissé
sur le Vieux Continent des stations de ski qui
essaient désespérément d’attirer les touristes en
leur proposant des week-ends de remise en
forme, des marchés de Noël et des randonnées
à savourer en cet “automne indien”.
Le départ de l’une des plus prestigieuses
courses de chiens de traîneau au monde, l’Iditarod, en Alaska, n’a pas été donné depuis 2002
à Wasilla, comme le veut la tradition, parce qu’il
n’y a jamais assez de neige. L’Elfstedentocht,
le marathon de patinage reliant onze villes que
les Néerlandais organisent dès que les canaux
gèlent, n’a eu lieu qu’une fois depuis vingt ans.
Les pistes de ski les plus hautes de la planète,
qui se trouvent à Chacaltaya, en Bolivie (à
5 300 mètres d’altitude), seront bientôt impraticables par manque de neige, et les Suisses sont
en train d’emmailloter un glacier millénaire dans
une couverture isolante comme si c’était un nouveau-né. Le ski de randonnée en Amérique du
Nord et la pêche sur glace dans le haut Midwest
sont des activités en voie de disparition, et les
stations de ski situées au-dessous de 1 200 mètres
sont inquiètes.
La bonne nouvelle est que les stades, si on
les conçoit en pensant à l’environnement, peuvent être autre chose que des Walhalla symboliques qui nous rappellent que nous sommes tous
logés à la même enseigne. Placez-les près d’une
station de ligne de transport, et il deviendra moins
nécessaire de les doter de ce grand ennemi de la
Terre entre tous qu’est le parking (le stade de
base-ball le plus écolo du pays est sans doute
le Fenway Park, car seul un imbécile tenterait de
s’y rendre en voiture). De plus, en installant des
éoliennes sur des plates-formes surélevées, on
pourrait capturer ce vent farceur qui s’amuse
avec les balles frappées en chandelle et fournir
au moins une partie de l’électricité nécessaire
pour un événement sportif. Le Gillette Stadium,
à Foxborough, dans le Massachusetts, est déjà
équipé d’un système de recyclage de l’eau, 858-II-XII couv sport baf
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1. Les temps sont durs
pour Chacaltaya, la station
de ski la plus haute
du monde. Pourtant située
à 5 300 mètres d’altitude,
dans les Andes
boliviennes, la neige
s’y fait de plus en plus
rare.
2. Le point de départ
de la course de traîneau
sur le lac gelé de Willow
a été déplacé depuis 2002
faute de neige.
David Mercado/Reuters - Jim Watson/AFP - J.D. Pooley/AP/Sipa - K. Josch/AFP - Scott Boehm/Getty/AFP - Darrell Ingham/Getty/AFP - Herman Wouters/Hollandse Hoogte - Clive Mason/Getty/AFP - Samantha Sin/Getty/AFP - Doug Pensinger/Getty/AFP
1
3. Des bûcherons
américains abattent
des frênes victimes
d’un parasite d’origine
asiatique qui prolifère
aux Etats-Unis
et au Canada
du fait du réchauffement
climatique.
2
3
4. A Kitzbuehel,
des soldats autrichiens
commencent à étaler
la neige transportée
par hélicoptère en vue
de préparer la piste
pour la descente hommes
comptant pour la Coupe du
monde du 15 janvier 2007.
4
5. Match de football
américain entre les Miami
Dolphins et les New
England Patriots
au Gillette Stadium,
l’un des rares stades
qui recyclent les eaux
usées aux Etats-Unis.
6. Dan Wheldon au volant
de sa Honda lors
de la course d’Indy 300,
le 24 mars 2007.
Sa voiture roule avec
un carburant complété
par de l’éthanol.
5
7
6
7. Monument
commémorant
l’Elfstedentocht, marathon
de patinage reliant onze
villes du nord
des Pays-Bas. Celui-ci n’a
pas été organisé depuis
1997 en raison
des températures trop
clémentes.
8. Des trombes d’eau
s’abattent sur le stade
de Stamford Bridge,
à Londres, lors
de la rencontre
Chelsea-Fulham
du 30 décembre 2006.
8
9. Le marathon de Hong
Kong du 12 février 2006
a été couru malgré la très
mauvaise qualité de l’air.
Résultat : vingt
marathoniens ont été
hospitalisés, dont
deux dans un état grave
pour des problèmes
respiratoires.
9
10. La descente hommes
de la Coupe du monde
de ski, à Avon dans
le Colorado, a été
perturbée le 28 novembre
2006 par de trop fortes
chutes de neige.
10
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
III
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
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PORTRAIT
Streeter Lecka/Getty/AFP
■
Bob Burnquist roule pour la planète
Toujours prêt à relever les défis les plus fous
avec sa planche à roulettes, le champion
américain tente désormais de convaincre
ses contemporains de l’importance
de préserver l’environnement.
l n’a pas peur de prendre des risques. Bob Burnquist en a même fait son métier. Ce professionnel de la planche à roulettes a 30 ans. Il a
déjà remporté douze médailles aux X Games [les
JO des sports extrêmes]. Il a inventé et baptisé
plusieurs figures. En 2006, il s’est catapulté avec
une rampe au-dessus du Grand Canyon et, par la
même occasion, dans le Livre des records. Mais,
lorsqu’il s’agit de sa santé et de celle de la planète, Burnquist refuse de prendre des risques. Il
est né et a grandi au Brésil, où il s’est toujours
nourri de produits locaux, frais et biologiques, une
habitude qu’il a gardée dans sa vie d’adulte. Après
avoir dirigé pendant plusieurs années un restaurant végétarien à Encinitas, en Californie, il
a décidé d’agir en accord avec ses principes dans
le domaine alimentaire et de recueillir des fonds
pour mettre le jardinage et l’agriculture biologiques
au programme des écoles. Son initiative, qui a
démarré par un petit projet dans une école californienne sous l’égide de la Bob Burnquist Foundation, a pris de l’envergure grâce à un partenariat avec Toyota.
Dans sa vie professionnelle, Bob Burnquist s’est
toujours efforcé de rester fidèle à ses idéaux. Il
choisit comme sponsors des entreprises écologiques telles que Stonyfield Farm et Sambazon,
une société spécialisée dans les boissons énergétiques à base d’açaí, un fruit riche en anti-
I
Olympisme
Depuis 1994,
le Comité
international
olympique (CIO)
considère désormais
“l’environnement
comme la troisième
dimension
de l’olympisme,
aux côtés du sport
et de la culture”.
oxydants originaire du Brésil. Il se bat également
pour que les manifestations de sports extrêmes
respectent l’environnement, en demandant par
exemple aux organisateurs des X Games d’utiliser du bois certifié FSC (Forest Stewardship Council) [organisation internationale qui garantit que
le bois provient de forêts gérées de façon durable]
pour fabriquer les rampes et de proposer des aliments sains fournis par des partenaires tels que
Whole Foods.
Avec sa femme, Jen O’Brien (également championne de planche à roulettes), il a cofondé l’ONG
Action Sports Environmental Coalition, dont le but
est de développer une conscience écologique
dans l’univers de la planche, du surf et du BMX
(bicross), univers qui s’étend bien au-delà de la
scène californienne. A la fin du mois de janvier,
70 000 personnes se sont rendues à Aspen pour
assister aux X Games d’hiver, et des millions
de téléspectateurs ont suivi les compétitions sur
la chaîne sportive ESPN. Les X Games d’hiver et
d’été font les plus grosses audiences des chaînes
sportives, et les sponsors signent de très gros
chèques dans l’espoir d’atteindre un public qui
appartient majoritairement à la tranche d’âge très
convoitée des 12-24 ans. Bob Burnquist est
conscient que la plupart de ses admirateurs sont
à un âge où l’on se laisse facilement impressionner. “Lorsque j’étais enfant, j’admirais les
champions de planche à roulettes et tout ce qu’ils
faisaient me paraissait cool, explique-t-il. S’ils
étaient punks, je voulais être punk.” Mais, aujourd’hui, il espère avoir une influence positive en
étant plutôt “du genre hippie écolo”.
Mobilisation
Depuis 1999,
l’ONG japonaise
Global Sports
Alliance multiplie
les opérations
pour sensibiliser
le monde du sport
à la cause
écologiste.
Parmi ses actions
les plus
spectaculaires,
la création
du mouvement
Ecoflag,
en association
avec le Programme
des Nations
unies pour
l’environnement.
Il s’agit d’associer
la protection
de l’environnement
à chaque
manifestation
sportive,
en signalant
au public
et aux athlètes
que la défense
de la nature
est désormais
une priorité
s’ils veulent profiter
encore longtemps
de leurs activités
physiques.
<www.gsa.or.jp>
Sarah Van Schagen, Grist, Seattle
3000
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
IV
C’est le nombre
d’arbres que
la Ligue nationale
de football
américain (NFL)
a décidé de planter
en Floride
pour compenser
les émissions de gaz
à effet de serre
liées à la finale
du championnat.
DU 12 AU 18 AV RIL 2007
u
r
e
qui permet de récupérer les eaux usées. Un
équipement sportif très courant est déjà prêt à
servir notre cause : le parcours de golf. C’est par
définition un espace vert protégé et, s’il n’est pas
transformé en dépôt de pesticides ou s’il ne sert
pas à aligner des villas le long des fairways, il
fonctionne comme un filtre à grande échelle, car
l’eau qui s’en écoule est plus propre que lorsqu’elle y arrive.
Depuis sa maison de Ripton, dans le Vermont, Bill McKibben, qui a tiré très tôt la sonnette d’alarme du changement climatique avec
son livre The End of Nature [La Nature assassinée, éd. Fixot, 1994], observe la défiguration de
la planète avec autant de mélancolie que d’indignation. Il participe actuellement à l’organisation d’une manifestation nationale, qui aura
lieu le 14 avril, pour appeler tous les Américains
à agir contre le changement climatique. Des rassemblements sont prévus dans les sites emblématiques des activités et des sports de plein air.
“Si j’étais mû par de grands principes moraux,
l’image de centaines de millions de Bangladais fuyant
la montée des eaux, la dengue et la famine m’empêcherait de dormir, explique-t-il. Mais je ressens
davantage l’urgence de la situation en hiver, lorsque
je me rends compte que j’ai de moins en moins d’occasions de chausser mes skis.”
Et c’est peut-être là que réside la grande
valeur du sport. Si l’alarme est donnée dans un
univers aussi familier et que nous aimons tant,
peut-être l’entendrons-nous et en tiendrons-nous
compte. En cette époque où presque tout dans
notre vie, depuis l’économie jusqu’à la technologie, est linéaire et numérique, le sport continue à évoluer en cycles gracieux et à marquer le
rythme des saisons. “C’est le dernier des calendriers
semi-païens qu’il nous reste, poursuit Bill McKibben, et une bonne partie va disparaître. Si les entraînements de printemps ne se font plus en Floride mais
plus au nord, les belles phrases de Bart Giamatti
[ancien commissionnaire du base-ball, il a décrit
ce sport en des termes très bucoliques] n’auront pas
le même poids. Nous sommes tellement convaincus
que nous pouvons affronter les forces de la nature que
nous n’hésitons pas à baptiser nos équipes ‘les Hurricanes’ ou ‘les Cyclones’. Dans dix ans, il nous semblera tout aussi normal de leur donner des noms tels
que ‘les Fléaux’.”
Dix ans. L’équivalent de deux olympiades et
demie. Suffisamment de temps pour que nos
sportifs et nos équipes montent en première ligne,
enflamment les foules et influencent les comportements. Lorsqu’ils le feront, espérons que
nous réagirons en les acclamant et en suivant
leur exemple. Mais, pour nous, spectateurs, ce
match sera différent. Nous ne pourrons pas nous
contenter d’y assister depuis la touche. Nous
devrons nous aussi aller sur le terrain.
Alexander Wolff
Engagement
Fondée en 2001,
l’ONG Action Sports
Environmental
Coalition (ASEC),
profite
de l’engouement
pour les sports
extrêmes pour
délivrer un message
en faveur
de l’environnement.
858-II-XII couv sport baf
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Page V
Ian Kenins
COMMENT LE CLIMAT CHANGE LE SPORT
Graeme Scannell est responsable du terrain de cricket de Geelong depuis vingt-cinq ans. La sécheresse de janvier 2007 est la plus grave qu’il ait jamais connue. La saison a d’ailleurs été écourtée faute d’eau.
Le vert gazon australien a disparu
L’Australie, qui refuse toujours
de ratifier le protocole de Kyoto,
est frappée par la sécheresse
depuis plusieurs mois.
Une situation aux conséquences
dramatiques pour un pays
où le sport est roi.
INSIDE SPORT
Sydney
Q
u’avez-vous fait de votre eau ? Et de vos
sports ? Chaque matin, c’est la même
vaste étendue bleue et sans la moindre
goutte d’eau qui s’étend d’est en ouest,
inondant le paysage défraîchi sous des
vagues de chaleur dédaigneuse. Où sont
passés vos sports ? La complainte sarcastique
d’un corbeau dans le bruissement desséché des
eucalyptus semble être le dernier bruit sur terre.
Tandis que la chlorophylle disparaît de nos
pelouses, c’est le sport qui agonise. Nous
devrions en être aussi alarmés que si c’était la
grenouille qui disparaissait. Car cela veut dire
que notre monde perd sa couleur. En mauvais
gestionnaires de l’eau, nous murmurons désormais notre peur et notre culpabilité : “Nous n’aurions pas dû tenir l’eau pour acquise. Nous allons
maintenant devoir payer.” Tout se paie. Un jour,
il se pourrait qu’on nous annonce officiellement
la fin du sport. Un pays fondé sur le sport devrait
s’inquiéter pour ses espaces verts, pour ses lacs
et ses rivières. Le souvenir des journées chaudes
qui défilaient à toute vitesse dans la fraîcheur des
arroseurs crachotants, dans cette odeur d’humidité qui nous était si agréable qu’elle en venait
à nous manquer, mène à une prise de conscience :
notre identité de peuple fort et indépendant,
amoureux du plein air, reposait sur l’eau. Le
désespoir s’étend sournoisement, telle une sclérose dans le système nerveux. Un agriculteur du
Mallee [au nord-ouest de l’Etat de Victoria, dans
le sud-est de l’Australie] abandonne une centaine de têtes de bétail et égorge les agneaux. Les
cadavres sont desséchés, ratatinés. Le régisseur
d’un terrain de cricket regarde l’herbe dépérir.
Même les vieux ormes privilégiés des bords du
fleuve Yarra sont abattus. Ce sont les premiers
craquements qui précèdent l’effondrement.
La majeure partie de l’ouest de l’Etat de
Victoria est une fenêtre sur l’enfer, un lieu de
géhenne. Chacun de nous devrait aller voir ce
qui s’y passe.Voilà qui nous passerait définitivement l’envie de tenir quoi que ce soit pour acquis.
Le lac artificiel Wendouree, au bord duquel se
trouve la ville de Ballarat, a connu le pire de la
crise il y a trois ans. Il en est mort. Même si on
le reconstitue, ce ne sera jamais plus ce lac urbain
prospère, grouillant d’une vie sur laquelle
s’appuyait auparavant un riche écosystème qui
a rendu son dernier soupir. Geoff Cramer,
président de l’association aquatique de ce lac qui
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
V
Reportage photo :
Ian Kenins.
■
Vélo
A l’initiative
de l’Association
européenne de
cyclosport (AEC),
cinq des plus
importants
événements
de Cyclisme pour
tous européen
(cyclosport)
en 2007, auxquels
participeront
entre 35 000 et
40 000 personnes,
auront notamment
pour but
de promouvoir
les enjeux
environnementaux
associés aux
activités sportives
de masse, et ainsi
d’encourager
les participants
et les spectateurs
à mieux saisir
l’importance
de préserver
l’environnement.
<www.veloconcept.com>
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
n’existe plus et représentant d’un groupe de
pêcheurs désormais aussi incongru qu’un refuge
de montagne aux Bahamas, en sait trop pour
garder espoir. “Les concours de pêche à la truite,
l’aviron, tout ça c’est terminé. La course d’aviron
Head of the Lake est partie pour le lac Nagambie.
Les pêcheurs, à la ligne et à la mouche, doivent maintenant aller pêcher en eau salée, en Tasmanie ou en
Nouvelle-Zélande.Terminé la plaisance. Le nombre
des adhésions au yacht-club est tombé au ras des
pâquerettes. Le club de canoë n’a plus d’installations
d’entraînement ; ils étaient nombreux à s’entraîner
pour le Murray River Marathon. Les épreuves nautiques des triathlons avaient souvent lieu ici.Les jeunes
vont désormais se tourner vers les sports non aquatiques. Lors des concours de pêche à la ligne du Commonwealth, les Gallois, les Canadiens, les Anglais,
tout le monde nous disait : ‘C’est génial. Faites bien
attention à préserver cela.’ Mais, aujourd’hui, la
sécheresse a mis fin à tout cela. Maintenant que les
herbes aquatiques (myriophylles, scirpes ou éléocharides, qui garantissent la clarté de l’eau) sont mortes,
il y a peu de chances de revoir des mouches de mai.
Les rameurs d’aviron qui sont venus pour le cinquantième anniversaire des Jeux olympiques de 1956
[de Melbourne] étaient effarés à la vue du lac. Ce
n’était pas un simple site sportif, c’était notre cœur”,
affirme Cramer, qui travaille aussi au Central
Highlands Water [le service local de l’eau].
Et il n’y a pas d’autre solution que de s’en
remettre à Dame Nature. Il y a bien un projet
de pompage visant à injecter 4 millions de litres
par jour dans le lac à partir des réserves des envi-
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L’entraîneur David Noonan et le jockey Jack Hill ont dû renoncer à courir cette année.
rons, mais encore faudrait-il qu’il pleuve. Pleins
d’espoir, des échassiers se rassemblent dans
les endroits boueux. Quelques carpes suffoquent dans des flaques de trente centimètres
de profondeur. Il n’y a pas si longtemps, ces
poissons étaient le cauchemar des pêcheurs.
Aujourd’hui, tout le monde espère la survie de
ces malheureuses rescapées. Des anguilles, animaux robustes, s’étaient réfugiées au centre du
lac : on les a trouvées mortes dans les derniers
vestiges d’eau, elles qui avaient résisté au pire
par le passé. “J’ai vu dépérir l’anguille là où elle
s’était enroulée/Dans la dernière goutte de sang de
ce monde usé”, dit Judith Wright dans son poème
intitulé DroughtYear [année de sécheresse].
Paul Blanchfield et ses quatre barreurs,
arrivés deuxièmes au dernier championnat
australien d’aviron des moins de 23 ans, passent aujourd’hui plus de temps sur les rameurs
des salles de gym. Deux bateaux de plaisance
gisent, bancals, sur une étendue de terre craquelée. Des kayaks immobilisés s’entrechoquent avec un bruit creux dans le vent sec. Les
avirons bringuebalent dans leur rangement.
Le silence de la rivière Wimmera n’est troublé
que par le bourdonnement des mouches. Le
concours de pêche de la ville d’Horsham a été
annulé. Chris Spence se tient sur un banc de
terre dans le lit de la rivière, au milieu de
racines enchevêtrées et de plantes aquatiques
à l’agonie tendues désespérément vers le ciel.
Cet ami et compère de Rex Hunt [animateur
d’une émission sur la chasse et la pêche] était
l’arbitre principal de la compétition de pêche.
“Le lac artificiel de Toolondo était un bijou,
raconte-t-il. La plus belle pêcherie de truites d’Aus-
Les courses de chevaux à Great Western ne sont plus qu’un lointain souvenir.
tralie, qui valait plusieurs dizaines de millions.”
En 1997, au début de la sécheresse, la truite
rapportait à elle seule 136 millions de dollars australiens [82 millions d’euros] à l’économie de l’Etat de Victoria. “Les lacs Natimuk,
Dock et Pine sont asséchés. Le Lachlan est réduit
à 2 % de son étendue. Le Green Lake, un habitat
vital pour la morue de la Murray et la perche, a
disparu”, explique Chris Spence. On dirait un
général énumérant la chute de grandes places
fortes. Même pour un optimiste comme lui,
cette litanie déprimante invite au silence.
Mais la sécheresse n’affecte pas que les
sports aquatiques. L’ouest de l’Etat de Victoria, comme une grande partie de l’Australie, est grêlé de terrains de sport brûlés et poussiéreux. La saison dernière, la plupart des
matchs de football australien junior ont été
annulés. Une question de gros sous. Les
chiffres font mal aux pouvoirs publics : “Un
terrain de sport normal a besoin de 70 000 à
80 000 litres par arrosage, avec trois arrosages par
semaine. Or l’acheminement de l’eau depuis une
station de traitement pour un terrain jusqu’à la fin
du mois d’avril [fin de l’été austral] coûte près
de 100 000 dollars. Faites le calcul, il faudrait
1 million de dollars pour arroser dix terrains de
sport…” A en croire David Neil, le président
du Cricket Club de Geelong [Victoria], la pluie
arrivera trop tard – si elle arrive. “Il n’y a plus
rien à faire repousser, souligne-t-il. Je travaille
pour la mairie. Les autorités refusent de semer sans
avoir la certitude que des précipitations tomberont
dans des quantités au moins conformes aux
moyennes. Nous pouvons certes installer des équipements économes en eau,herser la terre,ensemencer,
COURRIER INTERNATIONAL N° 858
VI
■
Promesse
Soucieux de montrer
l’exemple,
les responsables
de la Ligue
de football
australienne (AFL)
ont mis sur pied
un programme
destiné à neutraliser
les 120 000 tonnes
de gaz à effet
de serre que
les activités de la
Ligue généreront
au cours des trois
prochaines années.
Ils souhaitent
notamment inciter
les spectateurs à
ne plus utiliser
leur voiture pour
se rendre dans
les stades et
entendent planter
quelque
500 000 arbres.
mettre de l’engrais,mais si c’est pour regarder ensuite
les semences se faire manger par les oiseaux ou
balayer par le vent… Dans le meilleur des cas, il
nous faudra sans doute deux ou trois ans pour nous
en remettre. Mais la pelouse des terrains de cricket
sera sans doute morte d’ici à la saison prochaine.”
L’Association de cricket de Geelong
(GCA) n’est pas allée au bout de la saison
après avoir été informée de l’adoption de
mesures de restrictions d’eau de niveau 3.
Appelés à cesser l’arrosage par le service des
parcs et jardins, sur ordre de la Barwon Region
Water Authority, les présidents de club ont
écourté la saison. Graham Scannell est responsable du terrain de la Winter Reserve, à
Belmont. “S’il ne pleut pas cet hiver, nous pourrions ne pas être là l’année prochaine, pronostique-t-il. Et il est difficile de demander aux joueurs
de bien se préparer alors qu’ils ne savent même pas
s’ils vont pouvoir jouer. La dernière saison a été
atroce, avec des chutes sur un sol dur comme de la
pierre – les joueurs mettaient des jours à récupérer.
Il y aura un travail énorme pour que les terrains
soient à nouveau en état. Et si la pluie arrive tôt,
tout se transformera en boue. L’installation de surfaces synthétiques coûte très cher, et elle prendrait
beaucoup de temps. Et puis, ce n’est pas la question, l’Australie est unique : je n’imagine pas qu’on
puisse se passer du gazon. Il n’est pas envisageable
pour moi que nous jetions l’éponge. Les clubs vont
se battre. C’est peut-être un discours trop mélodramatique, je ne sais pas. Mais le sport au niveau
local joue un rôle tellement important chez nous.”
C’est même plus que du sport. C’est la vie
sociale qui est en jeu. “A Noël, on entendait
les filles dire : ‘Je ne sais pas quand je vais te DU 12 AU 18 AVRIL 2007
Photos : Ian Kenins
Faute de pouvoir ramer sur le lac, aujourd’hui asséché, les avironeurs s’entraînent en salle.
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Racing Victoria. “Notre secteur n’est pas vraiment
menacé, mais quatorze sites sont dans une situation critique. Nous avons tout de même des sites de
remplacement.” Le secteur n’est donc “pas vraiment menacé”, mais, dans les zones rurales de
l’Etat de Victoria, une manifestation sportive est
un événement essentiel. Déménager une course
ne vaut guère mieux que l’annuler. Towong
accueille ainsi deux courses par an, chacune attirant quelque 4 000 spectateurs. Le site naturel
de Hanging Rock avait coutume de voir des
foules affluer à l’occasion de la fête nationale, le
26 janvier. En 2007, elle a été annulée. Pour Matt
Hall, en charge des courses à Great Western, le
plus important sera d’arriver à faire revivre la
manifestation. “Financièrement, cette journée est
un gros manque à gagner pour le club, mais c’est
grave pour toute la ville, qui n’avait que ça et le rodéo
de Pâques. Le cricket risque d’être suspendu, et on
s’inquiète aussi pour le football. Perdre la course hippique, c’est un coup dur”, reconnaît-il.
DE NOMBREUSES
COMPÉTITIONS ONT ÉTÉ
ANNULÉES À CAUSE
DE LA SÉCHERESSE
Photos : Ian Kenins
Le yacht-club de Ballarat n’a plus de raison d’être depuis que le lac Wendouree est totalement à sec.
Même s’il reste optimiste, Chris Spence sait bien que la pratique de la pêche est pour longtemps perturbée dans la rivière Wimmera.
revoir.’ Les jeunes viennent sur le terrain pour
jouer. C’est un club familial. Mais, sans le cricket, ça
n’est plus pareil”, déplore Graham Scannell.
La légende du foot australien John “Swooper” Northey entraîne désormais le club de Ballarat. C’est la première fois qu’il assiste au report
d’une saison. “Il tombe normalement près de
600 mm de précipitations, mais on dirait aujourd’hui
que la pluie se volatilise avant d’arriver sur Ballarat”, raconte le footballeur. Il a déjà mis ses jeunes
joueurs en vacances pour qu’ils puissent faire
face à une saison qui se terminera tard dans l’année. Doté du flair qu’ont les entraîneurs pour les
statistiques, “Swooper” sait ce que représente la
perte d’un terrain. “Entre le foot et le cricket, les
juniors et les adultes, ce sont 600 à 800 personnes sur
le terrain toutes les semaines, calcule-t-il. L’école
■
En couverture
Nulle part
où s’entraîner, car
le lac Wendouree,
où eurent lieu
les courses des Jeux
olympiques de 1956,
est asséché depuis
le printemps 2006.
aussi s’en sert. Ne pas avoir d’eau pour un terrain,
c’est un très gros problème,y compris au niveau social.
L’annulation pure et simple d’une saison serait extrêmement grave. Les clubs s’appuient sur des bénévoles
pour lever des fonds, les sportifs ne sont pas les seuls
concernés. Cela ne touche pas une personne, cela
touche tout le monde, tous les aspects de la vie.”
La sécheresse a aussi creusé le fossé entre la
campagne et les villes. C’est dans le secteur des
courses hippiques, le troisième plus gros pourvoyeur d’emplois dans l’Etat de Victoria, que
le phénomène est le plus criant. En revanche, la
sécheresse reste une menace floue pour les zones
urbaines. [Les hippodromes de] Caulfield et
Moonee Valley, dans la banlieue de Melbourne,
“manquent d’eau, mais cela reste vivable”, estime
Lee Jordan, en charge des courses pour la société
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DU 12 AU 18 AV RIL 2007
Même constat pour les clubs de golf, qui peuvent
éventuellement opter pour la solution du gazon
artificiel. Mais ce n’est de toute façon pas la panacée. Anglesea, Portarlington, Bareena, Ocean
Grove, Geelong et bien d’autres sont passés au
synthétique. Mais les frais à court terme s’élèvent
à quelque 150 000 dollars par green, et le synthétique a lui aussi besoin d’eau. Sans compter
que le découpage et la mise en place représentent un travail considérable et que, la terre s’étant
déformée sous l’effet de la sécheresse, certains de
ces clubs ne fonctionnent pas normalement.Tony
Long est las d’avoir une épée de Damoclès audessus de la tête. Après avoir regardé se flétrir les
vastes pelouses de St Leonards et fait quelques
calculs, il en a conclu qu’il s’agissait de préserver
non plus l’identité du club, mais le club tout court,
en tant qu’entreprise rentable. Et tant pis s’il faut
pour cela renoncer au gazon et au jeu de boules.
Un week-end, la pluie sembla à tous imminente.
Quelques gouttes appétissantes se sont évaporées
sans même toucher le sol. L’ombre de la mort
plane toujours sur les sports. Certains veulent
pourtant croire que la résurrection n’est pas loin.
Des pêcheurs optimistes, tel Chris Spence, croient
voir les joncs et les acacias se préparer au retour
de la pluie, imaginent des lacs grouillant de vie,
le retour de micro-organismes, suivis par les
insectes, puis les crustacés et les petits poissons,
et enfin par les gros poissons, ramenés par la montée des eaux : le retour de l’abondance. L’espoir
fait vivre, diront certains. Comme en politique,
certains avancent la théorie des cycles quand ça
les arrange, tandis que d’autres nous annoncent
la fin du monde. Dans tous les domaines, les opinions sont légion. Mais, comme la sécheresse,
l’idéologie fait des victimes.
De temps en temps, lorsque le vent vient du
nord, un tourbillon de terre venu du Mallee
souffle jusqu’à Melbourne, telle une mise en
garde importune mais minuscule, née dans la
gueule brûlante de l’enfer, que lanceraient les
campagnes à la ville.
Robert Drane
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COMMENT LE CLIMAT CHANGE LE SPORT
La F1 n’a pas trouvé la bonne formule
Biocarburant, récupération de
l’énergie. Les idées ne manquent
pas pour réconcilier l’automobile
avec l’environnement. Mais tout
le monde n’est pas encore prêt
à franchir le pas.
SPORT BILD
Hambourg
vec un mélange de sérieux glacial et
d’humour anglais, l’homme, d’un certain âge, lâche : “L’environnement ? On
en fait déjà assez. On trie les ordures dans
les paddocks.” A 76 ans, Bernie Ecclestone, le grand manitou de la F1, est
aussi connu que craint pour ses petites phrases.
Car l’humour qu’il utilise pour parler de l’évolution de la Formule 1 cache souvent de réelles
préoccupations d’avenir.
Et, de fait, les voitures sont à la veille du plus
grand bouleversement technique de leur histoire.
À partir de 2011, la F1 va devoir montrer la voie
en matière de technologies de l’environnement
et de récupération de l’énergie. Au freinage, les
disques peuvent chauffer jusqu’à 800 degrés.
Max Mosley, président de la Fédération internationale de l’automobile, souhaite voir cette
chaleur récupérée et réutilisée. Ses ambitions ne
font cependant pas l’unanimité dans le monde
de la F1. Pour certains, vouloir faire de la F1 un
sport écologique, c’est aller dans la mauvaise
direction. Le problème, ce ne sont pas les émissions de CO2 de “quelques voitures” de F1,
explique Mark Webber, 30 ans, pilote de l’écurie Red Bull. “Le problème, c’est plutôt ces grands
pays comme la Chine ou l’Inde, où on constate une
pollution de l’air importante dans certaines régions.”
Mario Theissen, 54 ans, directeur de BMW
Motorsport, est du même avis. “Dire que la F1
nuit à l’environnement à cause de ses 22 voitures,
A
Abus
Le collectif Alliance
pour la planète,
qui regroupe
80 mouvements,
associations et ONG
en France, dénonce
l’usage abusif
de l’argument
écologique dans
la publicité.
Il estime
qu’elles minimisent
et banalisent
la nécessité
impérative
de changer
nos comportements
de consommation.
C’est notamment
le cas des messages
concernant
l’automobile,
où l’on promeut
notamment
des 4 x 4 qui
rapprochent
le conducteur de
la nature sauvage
alors que dans
le même temps
ces véhicules sont
de gros pollueurs.
<www.lalliance.fr>
Jenson Button au volant de la Honda RA107. Le bolide est aux couleurs de la terre pour sensibiliser le public.
c’est un peu trop facile”, estime-t-il. Comme d’habitude, la vérité se trouve entre les deux. Ce qui
est sûr, c’est qu’une voiture de F1 consomme
60 litres aux 100 kilomètres. Lors d’une course,
une voiture rejette 1 500 grammes de dioxyde
de carbone par kilomètre, contre une moyenne
de 160 grammes en moyenne pour une voiture
particulière. Mais même les défenseurs de l’environnement avouent que les émissions de CO2
deviennent si minimes en F1 qu’elles jouent
un rôle insignifiant dans le débat sur le climat.
Pour Wolfgang Lohbeck, 62 ans, directeur des
projets spéciaux à Greenpeace, “le problème de la
F1, ce n’est pas l’émission de substances nocives, mais
c’est qu’elle donne une image néfaste de la voiture”.
Il n’est pas le seul de cet avis. “Je ne suis pas
contre la réduction du débit de carburant. Récupérer
l’énergie et utiliser des biocarburants est aussi une
bonne idée. Nous avons toujours dit que nous soutenions ces mesures”, explique Mario Theissen.
Son homologue chez Mercedes, Norbert Haug,
voit les choses sous le même angle. “Mercedes est
leader en matière de technologie automobile. Nous
sommes ouverts à toute innovation technique qui
apporte un plus”, affirme-t-il. Il y a toutefois un
problème pour les deux constructeurs : les coûts.
“Nous avons rappelé que ces projets vont à l’encontre
des efforts de réduction des coûts”, confie Theissen.
Il ne peut pas encore donner de chiffres précis.
Mais il ajoute que “cela va entraîner un dépassement des coûts que nous avions réussi à éviter grâce
au bridage des moteurs”.
Mercedes et BMW s’accordent sur un autre
point : “Il faut que la F1 garde son caractère de compétition de très haut niveau.” Dans les années 1980,
rappelle Mario Theissen, une quantité fixe de
carburant était allouée à chaque voiture pour
chaque course. “Résultat : la plupart des voitures
roulaient à fond tandis que d’autres devaient aller
lentement pour ne pas être à court de carburant.
Ça n’a rien à voir avec une course.”
Ralf Bach et Alexander Ohrt
COURSE AUTOMOBILE
Les pilotes changent de pompe
■ Cette saison, quand les pilotes de la NASCAR ou de l’IndyCar, ces championnats qui
se déroulent sur des circuits très rapides,
mettront le pied au plancher, ils participeront à la transition vers des carburants plus
propres. Lors de la coupe NASCAR Nextel,
qui s’est déroulée le 25 février dernier, les
réservoirs des 43 concurrents ont pour la
première fois été remplis de sans-plomb.
Quant aux voitures qui participent à l’IndyCar 2007, elles vont recevoir un complément
d’éthanol, et non plus de méthanol, un carburant dérivé du gaz naturel fossile. Cette
tendance ne se limite pas aux courses qui
font la une des journaux. Le championnat
Le Mans américain de voitures de sport et
de prototypes se convertit actuellement à
l’E10, un mélange composé de 10 % d’étha-
nol et de 90 % d’essence. Même des carburants qu’on ne trouve pas encore dans les
stations-service entrent dans la compétition.
En janvier, une nouvelle écurie a annoncé
qu’elle organiserait une course Hydrogène 500 en 2009.
La transition de la NASCAR vers le sansplomb a été lente et assez coûteuse. Un programme d’élaboration de carburant de course
avait été lancé avec Unocal, l’ancien fournisseur de carburant pour la NASCAR. Mais
ce changement a été remis à plus tard,
lorsque Unocal a quitté le championnat en
2003. Sunoco a pris la succession, élaborant un mélange qu’il appelle 260GTX, avec
un indice d’octane à 98, soit très au-dessous de son essence de course (indice 112).
Malgré la baisse de l’indice d’octane, les
équipes de la NASCAR affirment avoir mis
au point des moteurs aussi puissants que
ceux alimentés à l’essence plombée. Les
voitures participant au championnat de l’IndyCar, dont le principal événement est Indianapolis 500, devraient utiliser un carburant
contenant 98 % d’éthanol présenté comme
une essence renouvelable, produite nationalement. Mais elles ne figureront pas pour
autant en tête de la liste des véhicules peu
gourmands en carburant que dresse l’Agence
de protection de l’environnement.
Le directeur technique de l’IndyCar, Les Mactaggart, assure que les moteurs alimentés
à l’éthanol devaient consommer 67,2 litres
aux 100 km, contre 117,6 litres aux 100 km
pour la formule méthanol-éthanol à 90-10
utilisée la saison dernière. Les réservoirs de
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IX
DU 12 AU 18 AVRIL 2007
l’IndyCar ont aussi été réduits de 113 litres
à 83, afin de maintenir le même nombre d’arrêts au stand pendant une course, explique
Les Mactaggart.
Le nouveau carburant contient 2 % d’essence
– qui a dû être incorporée au mélange –, sans
quoi il serait soumis aux contrôles de l’Administration des alcools, des tabacs et des
armes à feu car l’éthanol n’est autre que de
l’alcool éthylique. Pendant la prohibition, pour
échapper à la police, les trafiquants d’alcool
conduisaient des voitures aux moteurs gonflés, et, le week-end, ils organisaient des
courses. Ces dernières sont à l’origine des
championnats de la NASCAR. Autant dire que
la course automobile, tout en progressant,
semble avoir bouclé la boucle.
Dave Caldwell, The New York Times, Etat-Unis
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A Pékin, ça sent le soufre
THE WALL STREET JOURNAL
New York
a manifestation des Jeux olympiques de
2008 n’est pas la seule chose à se profiler à l’horizon de Pékin. Il y a aussi
la pollution des provinces voisines : le
Shanxi, le Shandong, la Mongolie-Intérieure et le Hebei. Ces provinces, qui
comptent parmi les régions les plus polluées
du monde, sont connues pour leurs mines
de charbon, leurs centrales électriques, leurs
cimenteries et leurs aciéries.
Les scientifiques chinois et étrangers s’accordent à dire que, même si Pékin ordonne la
fermeture de ses usines, interdit les déplacements non indispensables et demande à ses
habitants de ne pas se servir de leurs installations de climatisation, il sera impossible d’empêcher les vents de passer d’une province à
l’autre. Ce phénomène inquiète un certain
nombre d’athlètes de premier plan qui s’entraînent pour les Jeux de 2008. Des médecins
britanniques ont testé certains participants aux
championnats du monde juniors 2006, qui se
sont déroulés sur les sites des Jeux olympiques.
Ils ont constaté que, au fur et à mesure que la
semaine s’écoulait, la qualité de l’air se dégradait rapidement. “Je ne pense pas qu’un nouveau record du monde puisse être établi au marathon”, estime le médecin Marco Cardinale,
directeur de recherche au sein du Comité
olympique britannique. La pollution risque
d’engendrer des crises d’asthme chez des athlètes prédisposés à ce genre de pathologie et
d’avoir des conséquences néfastes sur ceux qui
resteront longtemps en plein air. “Ce n’est pas
seulement la qualité de l’air qui est en cause, c’est
sa combinaison avec la chaleur et l’humidité”,
ajoute-t-il. Voilà pourquoi les autorités chinoises ont mis sur pied un groupe d’étude pour
tenter de réduire la pollution des provinces voi-
L
■
Eolienne
Le village olympique
des JO de 2012,
qui auront lieu
à Londres,
sera alimenté
en électricité grâce
à une éolienne
de 120 mètres
de hauteur
implantée dans
l’est de la capitale
britannique.
L’électricité produite
pourra alimenter
l’équivalent
de 1 200 foyers,
assure le Comité
d’organisation,
qui supervisera
la construction
de cette
infrastructure.
Les travaux
commenceront
au printemps 2008.
Le 12 mars 2007, des ouvriers pékinois apprennent la délocalisation de leurs usines, jugées trop polluantes.
sines de la capitale. He Kebin, professeur à
la prestigieuse université de Tsinghua, admet
que la tâche n’est pas facile, d’autant que les
attentes sont plus grandes à l’égard de Pékin
puisqu’il y a une prise de conscience généralisée des questions environnementales.
Les Jeux de 2008 représentent un enjeu
de taille pour la Chine. Quelque 2 millions de
visiteurs et plusieurs dizaines de milliers de
journalistes assisteront à cette manifestation,
qui pourrait connaître le plus grand afflux
d’étrangers que le pays ait jamais connu. Les
autorités chinoises cherchent à éviter un scandale comme celui qui s’est produit à une plus
petite échelle, en 2006, à Hong Kong, quand
des marathoniens ont eu des malaises après
avoir couru dans une atmosphère très polluée.
En 2001, la Chine avait promis, pour défendre sa candidature, de ramener aux niveaux
recommandés par l’Organisation mondiale de
la santé (OMS) la concentration de polluants
dangereux, comme le dioxyde de soufre, le
dioxyde d’azote et l’ozone. Elle s’était également
engagée à maintenir la teneur en matière particulaire, un composant du smog, aux niveaux
observés dans les pays développés. Selon les
scientifiques, l’ozone et la matière particulaire
fine sont tout particulièrement dangereux.
A ce jour, les autorités chinoises ne sont
pas parvenues à tenir leurs promesses. Elles
ont beau affirmer que le ciel est bleu les deux
Guang Niu/Getty/AFP
Difficultés pulmonaires,
crises d’asthme, malaises :
les athlètes qui participeront
aux Jeux olympiques de 2008
ont tout à craindre
de la pollution ambiante.
tiers du temps, comme dans le reste du pays,
une brume épaisse continue d’envelopper la
capitale – et de remplir les poumons – une
grande partie de l’année. Des études ont montré que, au cours de l’été, la pollution peut
grimper à des niveaux deux à trois fois supérieurs aux plafonds recommandés par les EtatsUnis et l’OMS. Soucieuses de résoudre ce problème, des équipes de chercheurs modélisent
des flux de pollution pour déterminer d’où
vient l’air pollué et quelles régions du pays
devront être paralysées pour que la pollution
ne vienne pas ruiner les Jeux. A la périphérie
de la ville, M. He et d’autres scientifiques tentent de déterminer le nombre de provinces où
il faudra ralentir les activités et la durée de ces
mesures. Il ne sera pas facile d’obtenir leur
coopération. Le Hebei, qui entoure la capitale,
ne peut se permettre d’arrêter son activité économique en fermant de vastes secteurs de son
industrie pour un événement dont il n’attend
guère de retombées.
Malgré tous ces défis à relever, l’optimisme
reste de mise. “La Chine est capable d’obtenir
une amélioration rapide de la qualité de l’air”,
assure Jill Geer, directeur de la communication au sein de la Fédération américaine d’athlétisme. “Elle l’a déjà fait pour les Jeux universitaires mondiaux de 2001 : la qualité de l’air s’est
améliorée un jour ou deux avant l’ouverture.”
Shai Oster
12 AVRIL 2007 À L’OCCASION DE CE CAHIER SPÉCIAL
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DU 12 AU 18 AVRIL 2007
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