Plutôt nu et bien portant (que vêtu et malade)

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Plutôt nu et bien portant (que vêtu et malade)
Plutôt nu et bien portant (que vêtu et malade)
Tout au long du XXe siècle, le rapport au corps a bien évolué. Il est
devenu fréquent de s’exposer. Le nu s’est, d’une certaine façon,
banalisé. Ce qui, il y a quelques années, était inacceptable est
dorénavant presque commun. En effet, notre corps, et plus encore
quand il est nu, est utilisé pour promouvoir, pour protester et même
pour se faire remarquer.
Ainsi, de nombreuses publicités jouent sur l’esthétique de corps
dénudés pour toucher leur public et « surfer » sur une des grandes
nouveautés du XXIe siècle : la possibilité de faire le « buzz ». De
fait, l’essor d’internet et de la transmission de l’information peut
faire d’une simple photo le « hit » du web. Il est donc de plus en plus
fréquent de voir des corps nus ou érotisés promouvant des objets
sans liens réels avec ceux-ci. [1]
De plus, la nudité est devenue un fort moyen de protestation. Le nu
est aujourd’hui un véritable vecteur de propagande, que ce soit pour
s’opposer au port de vêtements en fourrure [2], ou pour faire passer
des messages politiques. [3]
Enfin, l’essor des sextapes et des streakers [4] tend à banaliser le nu
et à en faire définitivement une simple technique de communication.
Pourtant, et ce depuis plusieurs siècles, le fait de se montrer nu
s’avère être bien plus que cela pour certains. En effet, plus qu’une
simple lubie ou qu’une communication choc, la nudité s’apparente à
une véritable philosophie de vie pour certains groupes et individus.
Ce mouvement, le naturisme, se développe de façon disparate en
France dès la fin du XIXe siècle autour de principes simples tels que
: « Revenons à la nature et régénérons-nous » [5]. En opposition à la
dégénérescence de leur temps, les naturistes visent à retrouver dans
la nature ce qui manque à leur société. Ainsi, bien
que les mouvements naturistes soient nombreux au début du siècle
dernier, l’historien Arnaud Baubérot considère qu’on retrouve
toujours les éléments suivant : « le naturisme est toujours associé à
la modération dans l’alimentation, à l’abandon des substances
toxiques ou excitantes [...] à l’allégement du vêtement, à l’entretien
de la propreté corporelle, à la pratique des exercices physiques et à
l’exposition régulière du corps aux éléments naturels. » [6] Ainsi, le
naturisme est bien loin de se contenter d’une exposition de corps
nus. De nombreuses propositions naturistes visaient à promouvoir
une meilleure hygiène de vie, que ce soit par la prise en compte de
besoins d’hygiène ou par celle du bien-être par la pratique du sport.
Certains médecins voyant la dégénérescence de leurs concitoyens en
plus de celle de la société souhaitaient que le naturisme se fasse en
lien avec la médecine afin d’assurer au mouvement une vraie
reconnaissance et une réelle efficacité. [7]
En ce qui concerne la pratique du sport, les débuts des mouvements
naturistes coïncident, et non sans raison, avec les prémices d’une
pratique sportive favorisée, encouragée, et ce jusque dans les écoles.
[8] En effet, le sport rejoint de nombreux intérêts naturistes; il
permet l’accomplissement de soi, participe au fait d’avoir une bonne
hygiène (la transpiration naturelle étant prônée) et reste une activité
qui, historiquement déjà, et ce dès l’antiquité, pouvait se disputer nu.
[9]. Ainsi, on assiste, parallèlement aux mouvements naturistes, à
l’avènement de nombres d’associations prônant l’activité sportive.
Notons, entre autres, la création de la fédération internationale de
gymnastique, [10] et bien évidemment le retour, par l’entreprise du
baron de Coubertin, des jeux olympiques dès 1896.
Aujourd’hui, le sport reste fortement lié à la pratique du naturisme.
En effet, nombres des activités proposées par les différentes
associations, clubs, naturistes concernent des pratiques sportives.
[11] L’hygiène du naturiste actuel conserve cette idée de bien-être
par l’exercice et ce, si possible nu. Enfin, si la plupart des activités
naturistes se pratiquent dans des lieux isolés et fermés (le naturisme
rejetant l’exhibitionnisme), il est dorénavant de plus en plus fréquent
de voir certaines activités nues se développer pour tout un chacun.
On notera l’existence de certaines ballades pour promeneurs nus et
d’un phénomène nouveau qui nous vient de New-York et qui fait de
plus en plus d’adeptes, la pratique du yoga nu(e).
Ainsi, si le naturisme reste souvent associé à la simple pratique du
nudisme, il apparaît qu’il est en vérité bien plus complexe. Loin de
la seule nudité, le naturisme
se veut défenseur de valeurs culturelles et sociales riches et
intéressantes pour tout un chacun, même si sa pratique nue n’est pas
forcément au goût de chacun. Malgré tout, reconnaissons aux
naturistes que le rapport à l’autre dans son plus simple appareil
range au placard tous les préjugés sociaux que les vêtements
transmettent aujourd’ hui.
Alexis Jornod
[1] https://www.youtube.com/watch?v=8D7yPkrausM
[2] cf. mouvement "i’d rather go naked than wear fur"
[3] voir le mouvement Femen
[4] streaker = personne s’exhibant en public lors d’événements,
principalement sportifs
[5] G. ROUHET, Revenons à la nature et régénérons-nous, BergerLevrault, Paris, 1913.
[6] A. BAUBEROT, Histoire du naturisme, PUR, Rennes, 2004,
p.11.
[7] Dr L. PATHAULT, Naturisme, une base, un programme,
Librairie Baillière et fils, Paris, 1937.
[8] S. VILLARET, Naturisme et éducation corporelle, L’Harmattan,
Paris, 2005. [9] H. MARROU, Histoire de l'éducation dans
l'Antiquité. I : le monde grec, Seuil, Paris, 1981. [10]
https://www.fig-gymnastics.com/site/page/view?id=417[11]
http://www.clubnatur.ch/; http://www.snu-uns.ch/