plan minguet : la preuve par la cogeneration biomasse

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plan minguet : la preuve par la cogeneration biomasse
POSITIONS, TEMOIGNAGES ET CONSEILS
PLAN MINGUET : LA PREUVE PAR
LA COGENERATION BIOMASSE
C’est devenu une constante dans les discours sur notre futur
mix énergétique : aucune solution « renouvelable », se hâtet-on en général de rappeler, ne pourrait à elle seule
remplacer l’attelage de ressources (essentiellement fossiles)
qui couvre aujourd’hui notre demande en électricité et en
chaleur. Faux, proclame aujourd’hui Laurent Minguet, un
industriel wallon, calculs à l’appui.
REMPLACER L’ENSEMBLE DES FILIERES FOSSILES PAR
DES CENTRALES DE COGENERATION BIOMASSE ET DES
RESEAUX DE CHALEUR
© APERe
Ce qu’il y a d’étrange avec ce que d’aucuns appellent désormais le « Plan Minguet », c’est qu’il ne s’est trouvé aucun
spécialiste du secteur de l’énergie pour mettre fondamentalement en cause les chiffres et évaluations qui étayent sa
démonstration. Et pourtant, il flotte dans le sillage de ce
« Plan cogénération à la biomasse » comme un parfum de
scepticisme. C’est que Laurent Minguet y propose ni plus ni
moins de remplacer l’ensemble des filières fossiles qui assurent actuellement notre approvisionnement en électricité et en
chaleur, par un millier de centrales de cogénération alimentées
par de la biomasse et raccordées à quelque 50 000 km de
réseaux de chaleur. Et, chiffres à l’appui, il démontre que
cette solution serait à la fois moins chère – même sans l’appoint des certificats verts – que celle (charbon, gaz, pétrole,
nucléaire) qui est pour l’essentiel à l’honneur actuellement
dans notre paysage énergétique, nettement plus intéressante
en termes d’emploi et de valorisation de notre savoir-faire
national et quasiment providentielle dans le cadre des
objectifs de Kyoto (30 millions de tonnes de C02 économisés). Qui dit mieux ?
Mise en place d’un réseau de chaleur à Bekerich (Grand Duché de Luxembourg)
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POSITIONS, TEMOIGNAGES ET CONSEILS
50 000 ha de forêts déjà exploités par l’industrie du bois
Soucieux de ne pas être pris pour des gogos, la plupart de
ceux qui s’aventurent à détailler ce plan pour le moins ambitieux se pressent de rappeler que son auteur n’est pas tombé
de la lune. Laurent Minguet est cofondateur du groupe EVS
Broadcast Equipment, une entreprise wallonne de haute
technologie qui cartonne, élu manager de l’année par TrendsTendances en 2004 et actuellement administrateur délégué
d’une filiale XDC spécialisée dans le cinéma numérique. Bref,
cela vaut au moins le coup de l’écouter.
La proposition de Minguet tient de l’œuf de Colomb. Elle
part de quelques constats déjà maintes fois répétés : les
ressources fossiles que nous exploitons actuellement pour
produire électricité et chaleur sont proches (à l’échelle industrielle s’entend) de leur épuisement et sont (mis à part l’uranium) la principale cause de l’effet de serre. Pour obtenir, par
d’autres moyens, les 59 Mtep d’énergie primaire actuellement
nécessaires au « fonctionnement » de la maison Belgique, on
peut, dans l’état actuel de la technologie, envisager plusieurs
sources alternatives. Essentiellement les énergies renouvelables : géothermie, hydraulique, solaire, éolien, biomasse.
Autant de technologies aujourd’hui largement maîtrisées,
mais dont chacune présente, on le sait, un ou plusieurs
inconvénients, technique (rendement, variabilité de la
ressource, potentiel…) et/ou financier (investissement, coût
par kWh produit, etc.) qui la disqualifie pour l’heure en tant
que source unique de remplacement des ressources fossiles.
D’où la conclusion généralement de mise que la solution résidera forcément dans un mix de ressources complémentaires
et éventuellement associées. Et c’est là qu’intervient Minguet.
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Pour lui, une filière renouvelable échappe à cette logique :
la biomasse énergie. En partant de la demande actuelle en
électricité et en chaleur, il imagine, à l’appui de sa démonstration, un système reposant sur un parc d’un millier d’unités
de cogénération à la biomasse dont il évalue la puissance
moyenne unitaire idéale à 14 MW par 10 000 habitants.
Unités judicieusement réparties sur notre territoire en fonction des besoins en chaleur et de la densité de la population.
De quoi alimenter 80 % de cette dernière1 en électricité via
le réseau de distribution existant et en chaleur via un réseau
de canalisations à installer sur base d’une distance moyenne
de 10 km entre l’utilisateur final et l’unité de production
locale. Coût global pour l’infrastructure de production (de
6 000 MW à 8 000 MW en pointe) : 35 milliards d’euros, soit
environ trois fois nos investissements de production actuels.
Coût total pour le réseau de chaleur (50 000 km, soit 50 %
des 102 000 km de voiries existantes) : 15 milliards d’¤.
DEVELOPPER LA FILIERE D’APPROVISIONNEMENT DE
BIOMASSE BELGE, MAIS SURTOUT, IMPORTER LA
BIOMASSE DU SUD
On vous fait grâce ici du détail des évaluations et projections
(coûts de transport et de production, amortissement, temps
de retour, etc.) minutieusement détaillées (1) par l’industriel, pour
en venir à ce qui d’emblée pose question, une fois la pertinence du propos admise. Avec un potentiel de production de
1
Les 20 % restants, considérés comme trop disséminés géographiquement pour pouvoir
bénéficier d’une telle approche, utiliseront la biomasse dans des chaudières individuelles
à pellets.
POSITIONS, TEMOIGNAGES ET CONSEILS
l’ordre de 12 tonnes de matières sèches à l’hectare, il apparaît très vite que toute la surface de notre territoire ne suffirait
pas à produire les quelque 75 000 tonnes de biomasse nécessaires pour alimenter annuellement une telle installation.
D’autant qu’une large part de cette surface est déjà utilisée par
l’industrie du bois (500 000 hectares de forêts) et par le secteur
agroalimentaire (1 700 000 hectares de pâtures/cultures).
Qu’à cela ne tienne rétorque Minguet, on fera venir cette
biomasse de pays où, le climat aidant, le rendement à
l’hectare est largement plus intéressant que chez nous2.
Essentiellement les régions de la zone subtropicale. Et c’est
là bien sûr que les esprits critiques commencent à s’échauffer.
Avec l’éolien, le solaire, les ressources sont disponibles en
abondance sur place et on échappe ainsi à deux problèmes
dont on sait qu’ils finiront toujours par poser problème : le
transport pondéreux sur de longues distances et la dépendance vis-à-vis de pays pas toujours très stables politiquement. D’autant que la démarche ne manque pas de rappeler
à certains des comportements qui n’ont pas laissé que de
bons souvenirs dans les anciennes colonies.
Côté transport, les tenants de l’hypothèse Minguet vous
rétorqueront que, notre pays étant ce qu’il est, on n’a cessé
Cogénération au bois construite par XYLOWATT pour le chauffage et
l’électrification du village de Gedinne
jusqu’ici d’affréter des navires pour acheminer jusque chez
nous les matières premières nécessaires à nos besoins essentiels : charbon, gaz, pétrole, minerais… Et ne s’apprête-t-on
pas à en remettre une couche sur la filière des biocarburants,
où il est tout aussi évident que nos productions locales ne
suffiront pas ? Quant à la dépendance énergétique, on s’accordera à reconnaître qu’elle est ici plus diversifiée que dans
la configuration Gasprom.
Reste que la perspective de voir se développer, dans
certaines régions tropicales, des cultures énergétiques (quand
bien même on les qualifierait de « durables ») destinées à
alimenter nos centrales, pose questions. Et celles-ci ont bien
entendu fusé lors du récent séminaire EDORA où Laurent
Minguet a détaillé sa proposition de cogénération biomasse.
Les réponses de l’industriel n’ont sans doute pas convaincu
tous les participants. Mais beaucoup se retrouveront sans
doute dans cette réflexion de l’un d’eux, acteur éclairé du
secteur wallon de l’énergie, pris à chaud à la sortie de la
manifestation : « Minguet force un peu le trait bien sûr. Mais
c’est dans un but de démonstration. Ceci dit, son plan
mérite d’être étudié. On aurait tort de le balayer d’un revers
de manche. Ses hypothèses doivent être validées et ses
évaluations affinées. Il y a toute une filière d’approvisionnement à imaginer, et une réflexion à mener – et pas seulement
au niveau wallon ou même belge - sur nos relations futures
avec les pays en développement… Il n’est pas question de
mettre tout cela en route du jour au lendemain. Peut-être arrivera-t-on à la conclusion qu’il faut étaler ce projet sur dix,
vingt ou cinquante ans… L’essentiel, c’est la pertinence de
son propos ». Qui vivra verra. u
JEAN CECH
(1) Le plan complet est téléchargeable sur le site
http://www.nowfuture.org > Plan belge de cogénération à
la biomasse
© XYLOWATT
IMPORTER DE LA BIOMASSE… DURABLE ?
Dans un récent avis relatif au rapport préliminaire de la
Commission Energie 2030, la CWaPE aborde précisément
un des aspects essentiels qui pose question dans le projet
Minguet : celui de l’approvisionnement durable en
biomasses importées. Réagissant à la prise en compte,
insuffisante à ses yeux, du potentiel de développement des
filières d’importation de biomasses solides issues de
cultures énergétiques ou de résidus des industries forestières et agroalimentaires et à la mise en doute du caractère durable de celles-ci, le régulateur wallon rappelle « (…)
que la Belgique bénéficie d’une reconnaissance internationale en la matière et participe à plusieurs groupes de
travail internationaux* qui devraient aboutir à moyen terme
à la mise en place d’un système de certification européen
permettant de garantir le caractère durable de toutes les
filières biomasse-énergie faisant l’objet d’un soutien au
niveau de l’UE-25… »
*Allusion aux travaux de l’IEA Bioenergy (Task 38, 40) ainsi qu’à ceux
de la fameuse Commission Cramer qui, aux Pays-Bas, analyse de
manière pluridisciplinaire la question des approvisionnements en
biomasses importées principalement de pays en développement.
2
80 000 millions de tonnes de biomasse sont produits naturellement chaque année sur la
planète, soit 4 fois la consommation d’énergie mondiale. Et d’autre part, la FAO estime que
500 millions de tonnes de déchets de biomasse ne sont pas valorisés aujourd’hui.
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