Et si le meurtre était communément admis - Université Saint

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Et si le meurtre était communément admis - Université Saint
Prix littéraire des Facultés universitaires Saint-Louis 2011-2012
Concours de nouvelles littéraires sur le thème :
Une ville, Bruxelles
Et si le meurtre était communément admis de Karim Ben Abdallah
ET SI LE MEURTRE ÉTAIT COMMUNÉMENT ADMIS
Petit Liré ! Ma fermière endimanchée ! Proche de la terre et des clochers ! L’homme, loin de
créer, met en œuvre. En cela, il est chose congénitale qui s’exprime dans le temps, l’espace,
puis façonné par le mouvement séculaire d’hommes et de femmes. L’espace. La ville fut
d’abord terre plane, puis homme. Elle parle des hommes, pour les hommes.
Dans l’homme.
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Guilleret. Place Flagey. Bruxelles en larmes. Mi-crocodile, mi-routard. Mi-guide, miallégorie puissance dix. Le regard accroché par son ourlet remonté. Ses chevilles, dénudées.
De la chair rose vif au milieu de la grisaille matinale. Une serveuse slave interrompt soudain
sa rêverie anatomique. Il commande un gin and tonic et une salade balsamique. Il est 14 h et il
est las. Las du spectacle urbain. De la foule androgyne au regard sérieux et la mallette
pesante. Des faux bobos bien arrangés au regard vitreux aux clodos sillonnant sur le tracé des
camions poubelles, des matronnes et leur gouaille aux zouaves en chapeau de paille.
Il empoche sa monnaie et déambule sans grandes ambitions à la périphérie du centre
Urbain, où il lave sa torpeur iconoclaste dans un blasphème topographique. La « pope »
engoncée dans le pavillon, il poursuit une oie près des étangs en songeant avec angoisse au
seul moment de la journée où les contraintes de la Vie se font clairement sentir : les cabinets.
L’oie finit éventuellement par s’échapper de son sadisme enfantin. Il ramasse ensuite avec
grand soin les meilleurs galets du coin pour en faire des ricochets, jusque tard dans la soirée.
Ainsi s’achève son seul jour de congé de l’année.
De retour au cabinet, la journée passe. Ensoleillée. Il se retrouve coincé dans un trois-pièces
festif, direction le Cancer Noble, pour faire le plein de vie dans une énième apoptose
mondaine, où le mousseux, dit-on, se mêle à l’écume. Se pliant gracieusement à ces lubies
exhibitionnistes, il fait en sorte d’effectuer une entrée peu remarquée, mais une symphonie de
« Certes » de toutes parts l’assaille. Ah certes ! Certes ! Fameux tremplin linguistique vers un
registre plus soutenu, trop rarement sous-tendu par un propos qui vaille la peine de la
prémice voltigeante, le tout se terminant trop souvent en une répétition ânonnante pour les
moins hardis. Serrant quelques mains, enfilant les coupes, il sort sur le balcon.
Scrutant le firmament, il aperçoit l’être au cheval fou, en un relief qui n’est qu’une ornière,
mais qui doit pourtant lui sembler engageant, tant il s’acharne à y creuser son sillon, les sens
couverts par des œillères.
S’évadant de cette vision interstellaire, pour le coup vraiment burlesque, il se réfugie au bar,
tendant une oreille distraite au brouhaha hilare de jeunes écrivains en herbe, aux montures
oculaires intellectuellement percutantes mais aux paroles qui se veulent consistantes, siégeant
près des fûts à vin tel Bacchus en son temps. Dans l’espoir de saisir une narration intrigante,
mais en vain.
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Les inconnus désertèrent très vite sa conscience sous son œil sévère, pour laisser place à une
apparition féminine qui disparut aussitôt, et avec elle, son regard, se perdant dans la houle
enturbannée de jeunes gens bien nés. Il l’observa la soirée durant, déambulant avec grâce dans
son accoutrement couleur chair moulant, papillonnant de comités en comités jusque la porte
d’entrée, où elle s’engouffra dans la nuit.
La Nuit s’agite. Quelque chose s’agite en lui. Sans fin, tel un rêve à bâtons rompus ou le
son de pages qui claquent, sans fin. Le réel en ressort affaibli. Il est six heures et un
gémissement sourd, staccatos de brefs réveils qui ne laissent pas de repos, entrecoupé. Le
front perlé, les draps rosés et froids, il s’extirpe dans sa nudité pour enfiler son trois-pièces.
Par la fenêtre entrebâillée, les calomnies de sa concierge lui parviennent et fusent dans
l’espoir matinal, bouleversant le calme rituel de sa camomille qui infuse.
Son pendule oscillant lui indiquant que le retard l’accule, il saisit ses affaires à bras-lecorps et dévale la pente en bas de chez lui. Heurts plantaires et claquements dentaires, il finit
éventuellement par attraper son bus, dont la ponctualité oscille entre la présence vaporeuse et
la rigueur incontestée. Coincé entre un jeune de bourdonnante vitalité débordant et un
individu à l’haleine repoussante, il feuillète son Nabokov, cachant ses érections coupables à la
lecture amorale d’Humbert Humbert sous son attaché-case alourdi de pêchés. Il repense
soudain à la jeune femme de la veille et se surprend sans y penser à rêvasser d’une rencontre
surréaliste au détour d’un lampadaire place Sainte-Catherine, croyant de toutes ses forces
aseptisées au mythe de la belle inconnue, ode à la Vie de l’inattendu et de la non expectation,
reniant ainsi dans le même mouvement toutes ses croyances sociales. Le bus soudain s’arrêta.
La voix grésillante du chauffeur mal rasé vint bouleverser sa psyché : un accident imprévu
bouchait la chaussée. Les passagers, peu habitués aux drames matinaux, descendirent tout
penauds sur la chaussée qui s’encombra bientôt d’oisifs amoureux roulant des yeux en quête
de transport pour le boulot. Et pendant ce temps, la bruine légère martèle. Le climat matraque
la plume vengeresse, l’assèche de son encre, la force à l’ascèse. Et pourtant, ce liquide futile
interpelle ses tempes perlées, tamponne son esprit égaré de fraîches pensées, si fraîches
qu’elles excavent des profondeurs jadis-lazulis, perles du temps passé, pépites précieuses
d’un temps béni d’oubli, où l’homme s’affranchit de sa mortalité à clair de vue défendue en
vivant la nuit. Et pourtant, le jour se poursuivit.
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Papillon de nacre. Rouges pommettes, cils battants, chevelure ondule. Danse l’iris.
Elle s’envola de son perron, l’attirail soigné. Battant le pavé du haut de ses compensés, elle
s’engouffra dans son café place Brugmann.
Attablée devant son latté, elle repense à son dîner placé de la veille, dont elle narre aussitôt
les désagréments à une amie. Quelle horreur ! Elle s’était retrouvée entre un routard taciturne
ayant voyagé mille lieues, sans pour autant être capable de tenir une conversation
intéressante, belle. L’autre rive ne l’avait guère sauvée : un poltron de petite carrure, de
grande culture, mais aux avances beaucoup trop pressantes.
Quel ennui, si ce n’est le bel homme de la tablée d’en face. Un riche héritier à ce qu’il
paraît, avocat de surcroît. Et un brillant écrivain à succès, doublé d’un homme de cœur. S’il
n’était pas si absorbé dans sa conversation, elle se serait approchée. Satanée brunette qui le
garde chasse gardée, n’hésitant pas à jouer l’émotion, les yeux écarquillés, poussant le zèle
jusqu’aux pupilles embuées.
C’était cette incompréhensible et factice sensibilité qui l’avait toujours exaspérée. Ce n’était
de plus pas la première fois qu’elle accaparait. Elle lui règlerait son compte, tout en finesse et
en courtoisie, à la prochaine soirée. Justement, un stratagème lui vint à l’esprit : pourquoi ne
pas l’organiser elle-même ? Elle avait les ressources suffisantes et des connaissances
ahurissantes. Le thème serait littéraire. Les personnages de fiction. Elle demanda à son amie
de lui envoyer le numéro de la brunette, et décida afin de faire sa connaissance de l’inviter en
compagnie de connaissances communes au…. Bozar. Où elle croise souvent le bel homme.
L’étau se resserre. Le latté sifflé en deux gorgées vengeresses, elle redore ses rouges lèvres
dans son miroir. Danse l’iris, elle s’envole à la recherche de son apparat. Ce sera Hélène de
Troie. Qu’ils s’entretuent.
Trente-trois printemps et des poussières d’étoiles que j’inhale, et la comète comate,
fondant à vue d’œil dans son sillage temporel. Et comme la Céleste Halley, l’être au jour
d’huis ne se révèle à lui-même que périodiquement, avant de continuer avec réalisme lucide
son errance cosmique. La sirène du tram qui ouvre ses portes. Noyade matinale. Le regard
coupe le souffle, et malgré l’aplomb de sa position, les ailes ploient, à moins de les replier
sous soi. La vérité sur soi dans la pupille d’autrui devient irrémédiablement teintée de vanité5
tambour, car dans un monde sans au-delà, la perfection se mondanise et tout nous importe,
nous emporte. Peu importe. Si l’homme n’est pas parfait mais sa vérité-prunelle devient
commune, et du commun au divin, alors le couard peut devenir valeureux et l’agissement du
cœur se paralyse. La bonne action s’épie. La belle fragile aussi, et voile ce qui l’a fait naître.
Tambour. Encore une passagère. Tambour. La domination se substitue au paradis. Paralyse,
s’en sort. Car sans elle, comment savoir ? Tambour. L’œil dicte la raison d’êtres qui
s’effondrent dans le noir. L’homme chute dans l’allée. Je l’observe, indécis. Comme pour le
rappeler à la réalité, son brillantissime téléphone vibre sur ses quadriceps. Un message d’une
femme rencontrée il y a peu, étonnante de réceptivité, pratiquant l’art de se décentrer tel que
je n’en suis point capable. Une galaxie à lui tout seul.
Elle l’invitait à un concert au Bozar en compagnie de ses amis, le soir de la Saint-Valentin.
Au vu de ce qu’il en coûtait à sa timidité maladive de l’avoir contacté, il ne put que refouler
son émotion anticipative au risque de noyer l’évènement dans la mare du certain, avant
d’acquiescer positivement à sa proposition. Toutefois, les précautions cognitives de l’homme
prudent et diligent ne purent étouffer l’entrain qui saisit ses jambes d’airain ce jour-là.
Ses guiboles le portèrent chantantes de retard jusqu’aux portes. Le hall désert lui indiqua
l’ampleur de la bévue horaire. Les étudiantes souriantes ne purent malgré son insistance feinte
d’innocence le laisser passer, et c’est la tête basse qu’il sortit fumer, avant de s’apprêter à
suivre le concert au bar jusque l’entracte. Mais l’une d’entre elles lui fit signe à son retour
d’approcher. Inquisiteur et troublé d’espoir, il se fit proposer une porte dérobée à travers le
dédale des corridors. Des peintures ornaient les flambeaux électriques incandescents et, sur le
sol agenouillée, une petite touffe blonde s’étendait, à quelques pas de sa niche absorbée.
Perdue dans la contemplation. Celle du Saint-Supplice de l’amer Indien, toile avant-gardiste
de l’abîme qui guette, tandis que sa mère indignée l’observant se jeta mentalement de son
haut promontoire d’impatience entêtant, emportée par l’incompréhension donc la non
importance, emportant avec elle ses boucles et bijoux, son sourire avenant et sa contenance,
frappés d’émail et de stupeur. Vociférant à voix basse, elle le suppliait de se détacher de
l’œuvre pour rejoindre le spectacle.
Danse l’iris. Elle n’aperçut pas l’homme qu’elle attendait pour ce soir. La brunette se
tenait coite près d’elle, l’impatience dans l’œil, la contenance sereine. Elle tapotait
nerveusement son petit sac, jetant des regards furtifs sous couvert de tamisée lumière. Le chef
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d’orchestre entra et la salle se couvrit d’applaudissements. La mine imperturbable, la volée de
cordes frotta et le tambour sonna.
L’abcès mortifère gangrène, place un voile, coule d’encre. Les notes semblent si lointaines
et pourtant, l’olfaction du putride haillon se laisse bercer, de rose un peu. L’amour semble
bien loin, la brume épaisse. La corne retentit et pulse faible dans l’air épais. Mais il hésite
encore au bord et se refuse à lui même. Le chef gesticule ! Le chef se meut ! Il ne sait plus.
L’ardeur s’empare et semble si clair, si limpide, le moulinet brasse et embrasse, la larme
point, le corps est muse, la douleur se lit. Le vulnérable tacle. Se faire obstacle, car si le
sensible s’incarne et s’exerce, l’art se consomme. L’œuvre se sert, en lieu de fine bouchée, le
cœur se lacère. Soumettre ? Se soumettre ? La houle l’emporte, haut le cœur. Les corps se
lèvent, haut les mains.
Un ornement d’orient s’anima près de lui et sa main posa, sur son bras, la pupille embuée.
Crasse d’indigo, une autre le fixa. Sourire aux dents à l’ombre.
Lentement, nous sortîmes en fine procession, et sans états d’âme conversâmes légèrement.
Elle lui dit « Formidable », il lui répondit « admirable », sur quoi l’échange se termina par une
appréciation tacite et enjouée de leurs goûts raffinés.
Elle file, il enfile. Clac-clac. Cliquetis. Le fluide se déverse par les flots, les portes
refluent en saison marine. Combien de mouvements étaient-ce ? Connaissais-tu les pièces ?
Moi, je pense que les trois sont liées. Il y a là un fil. Ouverture, variations. Amor fati. Non,
écoute, j’ai vérifié (ça n’a rien avoir). Il acquiesce. C’était dingue non ? Vraiment chouette.
Cette solitude de l’être au néant. Tu as vu les autres ? Hochement de tête. On les rejoint. C’est
quoi comme bouquin qu’tu tiens ? Oui ! Tu ne l’as jamais lu ? Vous vous connaissez ? Un
anniversaire. Vous avez vu le metteur en scène ? Il était furax à l’entracte. Le violoncelliste
est un génie. Tu vas bien ? Tu as l’air éprouvé. C’est sûrement la fatigue. C’est qui ? Chuinte
l’oreille. Tu nous présentes ? Inquisition, charmée. Sûr terrain, filet établi. Impersonnel et
avenant. (Comment est-ce possible ? ). Voici Adamante. Ad-amante. Et votre charmante ?
Vénus, Vénale et Vestale. Je reviens. Rire appuyé, main sur l’poignet. Perles, nuque danseuse.
Épaule gracieuse. Enjouée. Du coin de l’œil, champagne en mouvement.
On sort ?
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(J’amorce et tu suis). Doux grain ! Effleure. Vaguelette d’ire. (Et l’autre ? Fièvre essence).
Paume sur le mur. Psaume baise. (Enlève. Vite).
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Silence.
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Mor–dille
V a , p u i s v i e n t
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C o u l e , c o u l e u v r e
C h â l e h e u r e
A n d a n t e , p r e s t o
T o u t a l l e g r o
Où es-tu ? Ché pas. Gloussons. L’encre se fait sentir. Cours sur le dos. (Et l’autre ? Fièvre
essence). N’oublie pas l’temps, les sentiments, ça prend quelques s’condes. Pas si mal. Mais
l’air est tendre, puis pustule. L’enculé furoncule, à mesure. Le corps balance et mord, car,
comment savoir ?
La piétaille de la mauvaise foi tambourine à son songe. En grande pompe, la fanfare veille
à étouffer le silence. Dans le sous-sol du grand palais, les hurlements de jouissance hurlent au
vent. Le promeneur égaré du cortège flamboyant fait de l’œil aux bœufs, et par le voile
entrebâillé s’empourpre. Circonsyphe fume sa pipe, pendant que son sexe sanguinolent
cicatrise. La plaie à peine fermée, il s’engouffre à nouveau, sous le sol. Et les hurlements
reprennent, de plus belle. La ruée vers l’or assèche. Songe d’une nuit d’été, la lance est
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secouée. Délice amer, délire en mer. Gaia nous plombe. L’humus est pâle, la brindille en
cendres. Combien de brindilles encor l’or empale ? Le promeneur reprend ses esprits. Le
soleil reste intouchable et ses bienfaits palpables. La clarté n’est-elle pas cygne de tendresse ?
Circonsyphe sort, sa plaie l’arrête. La compresse appliquée, l’écoulement se fait long et
l’inquiète. Fou de douleur, il ne reste plus que sa vie. La Vie. Il s’y accroche de ses serres,
enserrant l’orbe, empourpré. Béante chair. Béate chère. Le promeneur reprend ses esprits.
Danse l’iris. Il est à moi. La brunette enrage. Mon lasso l’enlace. Mon parfum l’envoûte.
Il ne s’en sortira pas. Elle a déjà envie de le revoir. Aaargh ! Elle crève d’envie de le prendre
dans ses bras. Elle sue rien qu’en y pensant. La sensation enivrante l’environne à présent de
quelques gémissements.
Le lyrisme éthéré tambourine à son songe. Écoutez ! Jeunes gens ! Je suis l’oracle du
Lambermont. L’horizon dessiné, la main se tend vers le fruit, de l’arbre émancipé. Les monts
rapetissent, les vallées se comblent, et le grimpeur séculaire trouve son plaisir en terre plane
ballotté. Les racines se retirent car sans effort, l’air enivre. Les tempêtes s’étouffent, car le
bienheureux est aveugle, sourd, muet, insensible, et les récifs épars. Ce n’est que sur la grève
vierge de pas qu’il s’éveille, échoué.
Deux statues grecques copulent et sous les coups de boutoir ruent et s’émiettent. Dans
l’allée à peine éclairée, les convives se pressent. Châle, frou-frou, béret, les accoutrements
s’entrelacent dans une foule disparate. Les épaules dénudées, les sourires sont émaillés.
L’ombre des arbres en couvrent certains, dénudés. La puissance irradie, la musique flatte
l’encolure sans pattes. Le pas élastique, il arpente. Il l’a aperçue. L’élan brame des yeux. Les
passes s’enchaînent, rock en fesse. Le désir monte et se fait palpable. Les pas perdent de
décorum à mesure que le temps passe. La passe devient impasse, délicieusement. Le torero
fusionne avec son voile et le rouge peu à peu s’enfile. Ulysse et ses trois sirènes apparaissent,
réconciliés et dansant à trois. L’hydre alcoolique court après Hercule. Virgile et Homère se
tripotent dans l’ombre. Seul Ménélas semble bouder, Hélène en proie, à lui-même. Les
mythes se défont et se portent allègrement. Goriot et sa clique déposent leur gerbe en fleur
près de la chaise. Le saxophone nasillard surgit dans le brouillard. Un vaisseau de groupies en
toges s’effeuillent les lauriers. D’art ne baroude que le profil aquilin, d’un berceau lunaire
entaché de cratères. Othello le jaloux est béat tandis que Roméo, oubliant Juliette, flâne de
profil. Une chimère l’empoigne et l’embrasse amoureusement dans ses doux tentacules, la
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patte dans sa calvitie orbitale. Rodrigue a oublié son dilemme et erre sans fougue, tandis que
Cyrano sirote son panaché. C’est alors qu’apparaît Rusalka haletante, sous le poids de
l’émotion. Elle venait juste d’échapper à son ravisseur mal avisé qui dans un essai de
plaisance s’est révélé porc. L’ambition première, clame-t-il emporté, c’est dénicher les truffes
roses sous terre de chair. C’en est trop. Une clef anglaise à la main, elle part se mettre en
orbite.
Le grand nez pose son breuvage affligeant. Ses paroles spectrales s’élèvent et rossent les
temps modernes. Le plaisir à tout prendre, qu’est-ce ? Un pied-de-nez d’un peu plus près à
l’assez-se ? Une allégeance de beaucoup trop près à ce que tout le monde panse ? Le tragique
l’est encore plus s’il est désiré pour son intensité !
L’accord frémit. L’aube naissante. La vielle entonne le chant de la veille. Qu’il est doux le
tapis, sans velours et piquant au fondement de tout. Spasme corporel. Le frisson matinal
parcourt la dorsale. La cambre. Il est étendu, nu comme un vers. Un étrange appareil sonne
près de lui. Les yeux fermés, il tâtonne. Les brins sont humides. La paupière s’entrebâille
mais la migraine s’en mêle. L’orme d’allure despote étend son ramage, jusque sa bouche.
Un fruit glabre et pulpeux repose à portée de dents. La vision éclipse les rais qui forment un
halo de frayeur, de stupeur. La couronne d’or reluit insistante. Les chicots pâteux agitent sa
pensée. Le sang tenaille. Le désir élude toutes réminiscences botaniques salvatrices et
s’impose comme substance à la noix évidée. L’innocente rosée allèche et s’apparente au
torrent. La maxillaire se tend, sans tenaille. De plein fouet, le zénith s’engouffre écarquillé.
La branche a disparu. Le torse se comprime d’angoisse. Le cœur rugit à l’étroit. Le poids du
monde s’abat. Il se débat sans bouger.
Sur son bras, la main se posa. La rétine brûlée, le baiser fut singulier.
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KARIM BEN ABDALLAH
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