Monde + Echos et entreprise du dimanche 31 janvier 2016

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Monde + Echos et entreprise du dimanche 31 janvier 2016
Dimanche 31 janvier - Lundi 1er février 2016 ­ 72e année ­ No 22097 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
Iowa : premier test électoral
pour les candidats anti­système
Paris : Hidalgo
veut fusionner
les petits
arrondissements
POLITIQUE
L
a maire de Paris propose,
dans une note interne, de
réduire de vingt à dix­sept
le nombre des arrondissements
de Paris. Les mairies des 1er, 2e, 3e
et 4e arrondissements de Paris
seraient fusionnées d’ici aux
élections municipales de 2020.
Le projet sera débattu mi­février
par le Conseil de Paris mais doit
faire l’objet d’une loi. L’affaire
suscite des tensions politiques,
les mairies concernées étant te­
nues par les Verts (2e et 4e), le PS
(3e) et Les Républicains (1er).
Anne Hidalgo voudrait aussi
pouvoir fixer la date des douze
dimanches ouvrés par an,
comme les autres maires de
France, et récupérer une partie
des pouvoirs dévolus à la Préfec­
ture de police.
→ LIR E PAGE 6
SYRIE,
UN PROCESSUS
EN TROMPEL’ŒIL
Des Moines (Iowa),
le 28 janvier.
→ LI R E P A G E 24
CHRISTOPHER FURLONG/GETTY IMAGES/AFP
▶ La course à la Maison
▶ Pour le Grand Old Party,
▶ Dans la course à l’investi­
▶ Le scrutin se tient
Blanche s’ouvre lundi
1er février avec les caucus
de l’Iowa. Chez les démo­
crates comme chez les
républicains, des candidats
« anti­système » à la
primaire ont émergé
Donald Trump canalise
la colère des laissés­pour­
compte, en majorité
blancs, peu diplômés
et aux revenus modestes.
Ted Cruz, lui, parle
aux ultraconservateurs
ture démocrate, Bernie
Sanders est porté par la
frustration de ceux qui ju­
gent le bilan du président
Obama à l’aune de la sta­
gnation des salaires et de
la montée des inégalités
sur fond d’incertitudes
économiques, alors que
la croissance américaine
a flanché au quatrième
trimestre 2015, à 0,7 %
en rythme annualisé
Jacques Rivette, le maître du jeu
▶ Fer de lance de la Nouvelle Vague, le cinéaste est mort à 87 ans
→ LIRE P. 2, 10 À 13 ET CAHIER ÉCO P. 3
PORTIQUES DE SÉCURITÉ
WAUQUIEZ VEUT
ÉQUIPER 15 LYCÉES
D’ICI DEUX MOIS
→ LIR E
APRÈS COLOGNE
LES SILENCES
COUPABLES SUR LE
SORT DES FEMMES,
PAR CLAUDE HABIB
→ LIR E
DÉ B ATS PAGE 1 4
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ADMIRABLE
PACS EN ITALIE
MONICA CIRINNA,
ÉGÉRIE DES
HOMOSEXUELS
→ LIR E
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ÉBLOUISSANT
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RÉFUGIÉS
L’ITALIE REFUSE
DE PAYER L’AIDE
À LA TURQUIE
Juliet Berto, Jacques Rivette et Dominique Labourier, en 1973. THE KOBAL COLLECTION/LES FILMS DU LOSANGE
J
acques Rivette rencontre Jean­Luc Godard,
François Truffaut et Claude Chabrol en arri­
vant à Paris, en 1949, à la Cinémathèque. Ces
quatre­là vont fonder la Gazette du cinéma
avant de devenir les piliers des Cahiers du cinéma.
et de la Nouvelle Vague.
Toute sa vie, le cinéaste, qui est décédé vendredi,
restera fidèle à l’esprit de liberté qui caractérisa ce
mouvement. Et qui se traduisait chez lui par une
quête incessante du dérèglement. L’Amour fou,
Out 1, La Belle Noiseuse , Va savoir !… En un demi­
siècle, de 1949 à 2009, Rivette a réalisé trente
films, entre lesquels courent des passerelles sou­
terraines, des systèmes d’échos cryptés, dont l’en­
semble constitue un formidable jeu de piste.
→ LIR E PAGE S 1 6 - 1 7
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 4
NOTRE-DAME-DES-LANDES
EN ATTENDANT
L’ÉPREUVE DE FORCE
→ LIR E
LA TERRE
ET L’OMBRE
un ilm de César Acevedo
AU CINÉMA LE 3 FÉVRIER
PAGE 5
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF,
Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Bernie Sanders,
rival d’Hillary
Clinton pour
l’investiture
démocrate,
à Iowa Falls,
le 25 janvier.
MAX WHITTAKER/
NYT-REDUX-REA
Dans l’Iowa, les caucus de la colère
L’exaspération de l’électorat américain a poussé les candidats républicains et démocrates à durcir leurs discours
des moines (iowa) - envoyé spécial
U
ne saison électorale
s’ouvre aux Etats­
Unis, lundi 1er février,
avec les caucus de
l’Iowa, et cette saison est celle de
la colère. L’exaspération qui unifie des pans distincts de la classe
moyenne et des milieux populaires explique pourquoi trois candidats largement distancés il y a
encore six mois pourraient l’emporter dans le premier Etat à se
prononcer dans la course aux investitures démocrate et républicaine pour la présidentielle du
8 novembre. Elle permet égale-
LES DATES
2016
1er février
Caucus de l’Iowa. Première
d’une série de primaires où les
électeurs choisissent les délégués du Parti républicain et du
Parti démocrate pour les
conventions au cours desquelles
les deux candidats seront investis par leur formation politique.
Du 18 au 21 juillet
Convention du Parti républicain
à Cleveland (Ohio).
Du 25 au 28 juillet
Convention du Parti démocrate
à Philadelphie (Pennsylvanie).
8 novembre
Election du président des EtatsUnis.
2017
20 janvier
Entrée en fonctions du président
nouvellement élu.
ment de comprendre pourquoi
ceux qui paraissaient le mieux
armés pour affronter cette
course par élimination pourraient au contraire en faire rapidement les frais.
Parmi les candidats portés par
ce sentiment de rage, la présence
du sénateur du Texas, Ted Cruz,
est la moins surprenante. La colère qu’il canalise est celle des ultraconservateurs, souvent religieux, qu’a exaspérés l’impuissance du Parti républicain. Malgré des triomphes aux élections
de mi-mandat de 2010 et de 2014,
qui ont assuré à ce dernier le contrôle total du Congrès, le Grand
Old Party a été en effet incapable
de bloquer la réforme du système
de santé voulue par le président
démocrate Barack Obama, d’empêcher la légalisation du mariage
homosexuel, ou plus récemment
de supprimer les subventions au
planning familial, accusé à tort
de se livrer à un commerce illégal
de tissus humains prélevés sur
des fœtus.
Laissés-pour-compte
La rage qu’a identifiée pour sa
part le magnat de l’immobilier
Donald Trump est celle de laisséspour-compte, en majorité blancs,
peu diplômés et aux revenus modestes. Cet électorat, qui mord sur
certaines catégories de démocrates, selon Karlyn Bowman, du
think tank conservateur American Enterprise Institute, s’identifie à M. Trump lorsqu’il décrit les
Etats-Unis comme victimes d’accords de libre-échange synonymes de délocalisations et d’une
immigration incontrôlée, qui participe à la transformation culturelle du pays.
Ces Américains se réjouissent
de voir M. Trump rudoyer les médias, y compris la chaîne conservatrice Fox News, court-circuités
par les réseaux sociaux. Ils l’applaudissent chaque fois qu’il piétine les règles de la politique que
défend une direction républicaine sanglée dans « la ceinture
explosive du politiquement correct », selon la formule de Sarah
Palin, figure de cette base républicaine révoltée qui soutient le milliardaire.
Dans le camp démocrate, le sénateur indépendant du Vermont
Bernie Sanders est, pour sa part,
porté par la frustration de ceux
qui jugent le bilan du président
Obama à l’aune de la stagnation
des salaires. Le discours de M. Sanders chevauche parfois celui des
deux républicains lorsqu’il dénonce la corruption de la politique
du fait du poids de l’argent dans
les campagnes électorales, le capitalisme de connivence ou l’impunité de Wall Street. Son électorat
souscrit aux mesures très à gauche qu’il défend, à l’opposé des
programmes de MM. Cruz et
Trump : forte augmentation du
salaire minimum, gratuité de l’enseignement supérieur, régime de
sécurité sociale universel.
L’Iowa, en dépit de sa sociologie
Selon de récentes
enquêtes, 48 %
des républicains
souhaitent
l’élection
d’un candidat
« perturbateur »
d’Etat du Midwest où les minorités ethniques restent marginales,
n’échappe pas à la bourrasque.
Dans son bureau de West Des
Moines, J. Ann Selzer, grande spécialiste des sondages, reste songeuse face aux résultats de récentes enquêtes qui font apparaître
que 48 % des républicains souhaitent l’élection d’un candidat
« perturbateur », et que 40 % des
démocrates considèrent favorablement le terme de « socialiste »,
qui relève pourtant presque de
l’injure dans la terminologie politique américaine.
« On oublie parfois que l’Iowa,
Etat certes rural, compte aussi un
secteur manufacturier très syndiqué et plutôt progressiste », explique Kendron Bardwell, professeur
de sciences politiques au Simpson College d’Indianola, dans le
sud de l’Etat. Côté républicain,
« les valeurs sont effectivement
centrales pour des organisations
évangéliques, très influentes, mais
M. Trump parvient à transcender
les courants avec une image de
“can do it” sur l’économie, l’immigration ou la lutte contre le terrorisme », ajoute-t-il.
Rhétorique sombre
La peur du déclin dont jouent
MM. Cruz et Trump a forcé certains autres candidats républicains, dont l’ancien favori Jeb Bush
et le sénateur de Floride Marco Rubio, à remiser la vision optimiste
qu’ils souhaitaient défendre, et,
pour le second, à imiter la rhétorique sombre du duo de tête. La favorite démocrate Hillary Clinton,
qui s’est résignée à une course disputée après avoir joui pendant des
mois d’une confortable avance, a
également calqué une partie de
son discours sur celui de M. Sanders. Ce dernier dénonce-t-il la famille Walton (richissime propriétaire de la chaîne de distribution
Walmart) dont les employés, parce
qu’ils sont mal payés, dépendent
d’aides sociales ? Mme Clinton s’en
prend à l’équipementier Johnson
Controls qui, par le truchement
d’une fusion, va s’exiler fiscalement en Irlande.
Les révoltés iront-ils voter le
1er février ? Cette interrogation incite Kendron Bardwell à se garder
de tout pronostic. Perdre dans
l’Iowa a rarement précipité la fin
de candidatures, mais une victoire dans cet Etat rural en a parfois placé d’autres sur orbite. p
gilles paris
Au volant du Bernie’s Bus, Sanders veut conduire une « révolution »
le bernie’s bus stationne devant la salle
qui accueille la réunion électorale. Sur les
flancs du véhicule, un autocollant précise,
à l’attention de qui en douterait, qu’il est
« payé par Bernie Sanders, pas par les milliardaires ». Malgré la neige et le froid, la
salle est comble dans la petite ville
d’Underwood, 900 habitants, ce 19 janvier.
« On avait dit que nous n’avions aucune
chance, que j’étais mal coiffé, que je ne ferais
jamais la couverture du magazine GQ »,
consacré à la mode masculine, raille le sénateur indépendant du Vermont, installé
sur une estrade sous une boule à facettes.
La salle gronde d’aise.
Au début de l’été 2015, il était distancé en
moyenne de 50 points par la favorite de la
course à l’investiture démocrate, Hillary
Clinton, soutenue notamment par l’ancien
sénateur et baron démocrate de l’Iowa,
Tom Harkin. Puis Bernie Sanders, 74 ans,
n’a cessé de rattraper son retard. A Underwood, il apparaît comme un ultime recours pour les désespérés qui se lèvent,
l’un après l’autre, lors de la séance de ques-
tions qui suit un bref discours. Des sanglots dans la gorge, Natalie lui fait part de
son incapacité à élever seule une fille handicapée, même en multipliant les petits
boulots. Benjamin, jeune diplômé lesté
d’une dette étudiante de 60 000 dollars
(55 000 euros), ne voit pas comment il parviendra à la rembourser.
Accommodant sur le cannabis
Un peu plus tard, dans une salle de spectacles de Sioux City, celui qui est présenté
comme « l’authenticité contre le statu quo »
déroule ses arguments. Sans attaquer frontalement le président Barack Obama, il
met en exergue un taux de chômage réel
estimé à 10 % de la population – soit le
double du chiffre officiel – qui grimpe
même, selon lui, à 33 % pour les jeunes
Blancs, et à 51 % pour les jeunes Noirs. « Les
inégalités sont parvenues à un point intenable pour la nation », annonce-t-il, avant
d’expliquer encore et toujours que seule
une « révolution politique » pourra sortir
les Etats-Unis de l’impasse.
Cette révolution est à portée de main, assure-t-il. Il en veut pour preuve « les 2,5 millions de donateurs qui ont versé en moyenne
27 dollars [24 euros] » pour sa campagne, ce
qui lui permet d’envisager de s’installer
dans la durée. « C’est sans précédent ! », se réjouit-il. La promesse de gratuité des études
supérieures et la dénonciation de la sévérité
de la justice vis-à-vis des fumeurs de cannabis, opposée à l’impunité dont bénéficie
Wall Street, expliquent en partie le soutien
massif dont il bénéficie auprès des jeunes
dans les villes universitaires de l’Iowa.
Ce soutien ne sera peut-être pas suffisant,
cependant, pour compenser sa faiblesse
dans les zones rurales et contrer le maillage
territorial mis en place par les équipes de
campagne de Mme Clinton. Sans cesser d’opposer son pragmatisme à l’idéalisme du sénateur, cette dernière s’efforce cependant
de le ménager. Pas question en effet de
s’aliéner les foules qu’il est parvenu à rassembler à de nombreuses reprises depuis le
début de la course à l’investiture. p
g. p. (underwood, envoyé spécial)
international | 3
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Burundi, les reporters
Syrie : l’opposition rejoint Genève Au
du « Monde » libérés
Les anti-Assad ont décidé in extremis de participer aux discussions
genève - envoyée spéciale
L
e climat d’incertitude qui
a entouré l’ouverture de
la réunion sur la Syrie au
Palais des Nations, vendredi 29 janvier à Genève, s’est
quelque peu dissipé en début de
soirée. Alors que l’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, concluait
sur les bords du lac Léman une
réunion préliminaire de deux
heures avec les seize membres de
la délégation du gouvernement
syrien, l’organe représentatif de
l’opposition a annoncé depuis
Riyad sa décision de se rendre à
Genève samedi. Mais, pour la
trentaine de membres du Haut
Comité des négociations (HCN)
qui feront le déplacement – dont
quinze négociateurs –, la mise en
œuvre de mesures humanitaires
reste un préalable au lancement
de négociations avec le régime de
Bachar Al-Assad.
Après quatre jours de tergiversations et d’ultimatums, l’émissaire
de l’ONU et le secrétaire d’Etat
américain, John Kerry, ont obtenu
du HCN que l’application des mesures humanitaires prévues par la
résolution 2254, votée le 18 décembre 2015 par le Conseil de sécurité, ne soit pas une précondition à sa venue. « Des garanties
ont été obtenues que la résolution
2254 serait pleinement appliquée
(…). Le HCN ira à Genève [samedi]
pour parler de ces questions humanitaires qui ouvriront la voie au
processus de négociations politiques », a justifié son porte-parole,
Salim Al-Mouslat, sur la chaîne de
télévision Al-Arabiya Al-Hadath.
« On a beaucoup débattu. C’est
« On veut
absolument
séparer
le politique et
l’humanitaire »
HIND KABAWAT
membre du Haut Comité des
négociations (opposition)
normal qu’il y ait différentes opinions dans un comité de 34 personnes. Nous ne sommes pas
comme le parti Baas [du président
Assad]. C’est très important pour
nous de venir négocier, mais on
veut absolument séparer le politique et l’humanitaire », a justifié au
Monde Hind Kabawat, l’une des
membres du HCN, déjà présente à
Genève. Faisant écho à cette « préoccupation », Staffan de Mistura a
assuré qu’« un geste des autorités
gouvernementales pour soulager
le peuple syrien pendant les pourparlers, comme la libération de prisonniers ou la levée de sièges (…)
n’était pas un sujet de négociation ». Sous-entendu, ces mesures
sont déjà acquises.
Risques d’un boycottage
L’ouverture, bien que modeste et
confuse, des pourparlers de Genève a donné à l’opposition un
avant-goût des risques d’un
boycottage, qui l’aurait fait apparaître comme le camp ayant torpillé la « chance historique » – selon les termes de M. Kerry – de
mettre fin à un conflit de cinq ans,
qui a fait plus de 260 000 morts.
Et qui aurait laissé au régime de
Bachar Al-Assad, que le soutien
« Bachar Al-Assad doit être
exclu des négociations »
le prince turki al-fayçal,
influent chef des services de
renseignement du royaume
saoudien de 1977 à 2001 et
aujourd’hui à la tête du Centre
de recherches et d’études islamiques Roi Fayçal, s’est entretenu avec le Monde sur la crise
syrienne.
Pensez-vous que le processus de négociations en cours
puisse mettre fin au conflit
en Syrie ?
Pour chaque situation qui
s’est développée dans le monde
au cours de ma carrière, un
« processus » a été lancé, sans
jamais trouver de finalité. C’est
une partie du problème.
En 1967, après l’occupation israélienne du Sinaï, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du
plateau du Golan, le Conseil de
sécurité des Nations unies a
voté la célèbre résolution 242,
qui a défini les objectifs de la
paix. C’est devenu un processus dans lequel nous sommes
toujours, cinquante ans après.
J’espère donc que le processus
lancé à Vienne ne s’étalera pas
sur cinquante ans. Les puissances qui le parrainent ont les
moyens politiques, économiques et militaires de mettre fin
aux tueries en Syrie. Tous ces
pays
peuvent
dire
:
« Aujourd’hui, à partir de minuit, nous n’allons plus permettre un seul mort en Syrie et nous
allons prendre des actions contre quiconque agit en ce sens »,
et le faire. C’est un problème
majeur de la crise syrienne :
nous avons les capacités de
mettre fin aux tueries, mais
personne ne veut le faire.
Quelle solution préconisezvous à cette crise ?
Mettre un terme aux combats
est la première chose. On doit
aussi mettre les responsables
du carnage face à leurs respon-
sabilités. Qui est le plus grand
terroriste en Syrie ? C’est Bachar
Al-Assad. Il est responsable de
plus de 300 000 morts, de plus
de 50 000 emprisonnements
sans procès… Tout autant que le
Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida) et le soi-disant Etat islamique (EI) – que je
préfère
appeler
« Faech »
(« l’obscène », en arabe) – sont
exclus des négociations, je ne
vois pas pourquoi Bachar Al-Assad ne devrait pas en être exclu.
Il a fait plus de mal à la Syrie que
« Faech » et le Front Al-Nosra.
Malheureusement, avec l’intervention russe, sa position est
renforcée. Cette intervention est
inexplicable et inacceptable car
Bachar mérite le même sort
qu’Abou Bakr Al-Baghdadi [le
calife autoproclamé de l’EI].
Peut-on parvenir à une solution alors que l’Iran et l’Arabie saoudite, parrains respectifs du régime syrien et de
l’opposition, sont en conflit ?
La position du royaume saoudien est différente de celle de
l’Iran. Nous aidons les Syriens à
se débarrasser d’un boucher qui
les a tués sauvagement pendant
cinq ans. Le peuple s’oppose aux
groupes extrémistes et à
« Faech », qui veulent tous deux
détruire la société syrienne.
L’Iran, pour sa part, soutient à
100 %, voire 150 %, Bachar Al-Assad, pas seulement avec ses propres ressources mais en amenant des milices du Liban,
d’Irak, des volontaires du Pakistan, d’Afghanistan, etc. Pour
faire quoi ? Pas pour aider le
peuple syrien, mais pour aider
Bachar Al-Assad. L’Iran dit qu’il
revient au peuple syrien de décider de son avenir. Mais il ne le
laisse pas choisir. Les Gardiens
de la révolution iraniens prennent parti pour un camp et
tuent des Syriens. p
propos recueillis par hé. s.
militaire russe et iranien a remis
en selle, le beau rôle sur le terrain
diplomatique.
La France et l’Arabie saoudite,
qui auront défendu la position du
HCN jusqu’au bout, se sont empressées de saluer son choix.
« Tout doit être fait pour donner sa
chance à une solution politique », a
souligné l’Elysée.
Le pessimisme demeure cependant entier quant à la possibilité
de voir ce dialogue aboutir en six
mois. Des divergences fondamentales opposent les deux camps
dans l’interprétation des termes
d’une transition politique. Au regard du HCN, le président Bachar
Al-Assad doit quitter le pouvoir
d’ici six mois au profit d’un organe de gouvernement transitoire ayant les pleins pouvoirs
exécutifs, comme le prévoit la déclaration de « Genève I » de
juin 2012. Damas et ses soutiens
insistent pour que soit formé un
gouvernement d’union nationale
et que le sort de M. Assad soit
tranché lors des élections prévues
dans dix-huit mois, sous l’égide
de l’ONU.
Interpellé par la délégation gouvernementale, menée par l’ambassadeur syrien auprès des Nations unies, Bachar Al-Jaafari, sur
la question de la lutte antiterroriste, M. de Mistura a déclaré,
lors de sa conférence de presse,
qu’elle ne relevait pas de sa mission, entièrement consacrée à
l’esquisse d’une transition politique. Il s’est toutefois refusé à en
préciser les termes et a renvoyé
aux délégations du régime et du
HCN la tâche de débattre de la teneur d’une « gouvernance inclusive ». Eux seuls devraient figurer
au nombre des négociateurs.
Staffan de Mistura a semblé
écarter la possibilité d’une troisième délégation de personnalités de l’opposition considérées
comme plus proches de Moscou
et qui ont été invitées à Genève au
titre de conseillers. p
hélène sallon
Jean-Philippe Rémy et Philip Moore ont été
détenus vingt-quatre heures sans raison
A
rrêtés jeudi 28 janvier par
les services de sécurité
burundais lors d’une descente dans un quartier contestataire de Bujumbura, et retenus
sans raison pendant vingt-quatre
heures, le correspondant du
Monde en Afrique Jean-Philippe
Rémy et le photographe britannique Philip Moore ont été libérés
vendredi en milieu d’après-midi.
Les autorités ont affirmé que les
deux envoyés spéciaux du Monde
se trouvaient avec des hommes
armés au moment de leur interpellation, soulignant qu’« un mortier, une kalachnikov et des pistolets » avaient été saisis au cours de
l’opération. Philip Moore, qui dément cette version, affirme qu’il
se trouvait dans une église lorsque des incidents ont éclaté dans
le quartier Nyakabiga, bastion de
la contestation contre le pouvoir
du président Pierre Nkurunziza.
Jean-Philippe Rémy a évoqué
pour sa part un « quasi-enlèvement ». Interrogés une partie de la
nuit et de la matinée par les services de renseignement, puis par le
procureur général du Burundi, les
deux journalistes n’ont pas été
malmenés. A l’issue de leur détention, ils se sont vu retirer leur accréditation de presse, ce qui les
contraint à quitter le pays.
Malgré l’absence de charges retenues contre eux, leur matériel
professionnel (téléphones, carnet
de notes, enregistreur et deux appareils photo) ne leur a pas été
rendu au terme des auditions.
Cette confiscation fait courir des
risques sérieux à leurs contacts et
sources sur place, dans un contexte de répression généralisée
depuis la réélection en juillet 2015
de Pierre Nkurunziza pour un
troisième mandat. p
service international
4 | international
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Monica Cirinna,
égérie des
homosexuels
italiens
La sénatrice a porté au Parlement
la proposition de loi sur le pacs
« Le discours
sur l’ouverture
de droits pour
les homosexuels
est désormais
irréversible »
rome - correspondant
D’
une certaine façon,
elle a déjà gagné.
Pour la première
fois, jeudi 28 janvier, une proposition de loi sur le
contrat d’union civile a fait son
entrée au Parlement, même si la
discussion proprement dite ne
commencera que le 2 février. Toutes les précédentes tentatives ont
échoué à la porte du Palais de
Montecitorio (Assemblée) ou du
Palais Madame (Sénat).
Chevelure blonde en cascade,
Monica Cirinna, Romaine de
53 ans, est le visage de cette révolution en cours. La loi sur la formation sociale spécifique (appellation officielle du pacs à l’italienne) porte son nom. C’est aussi
celui que le million de manifestants attendus samedi au cirque
Maxime de Rome pour contester
cette avancée sociale et éthique
conspueront à pleins poumons.
Elle semble s’en moquer.
« Le discours sur l’ouverture de
droits pour les homosexuels est désormais irréversible, explique
cette sénatrice du Parti démocrate (PD, centre gauche) en remuant son cappuccino dans le
Bar del Senato, juste en face du
Palais Madame. On ne pourra pas
revenir en arrière. » Elle ne craint
pas non plus les chausse-trappes
d’un vote à bulletin secret sur l’article le plus contesté par l’Eglise
italienne et le Vatican : celui qui
ouvre la possibilité à l’un des
membres d’un couple homosexuel d’adopter l’enfant de son
MONICA CIRINNA
sénatrice du Parti démocrate
Monica Cirinna, au Sénat, à Rome, le 19 janvier. SAMANTHA ZUCCHI/INSIDE/PANORAMIC
conjoint. Trente-quatre parlementaires de son parti ont exprimé leurs réserves sur cette disposition. Elle leur a répondu en se
rendant la semaine dernière au
premier rang du rassemblement
romain en faveur de sa loi. Chacun tenait en main un réveil ou
une pendule pour dire « Italie, réveille-toi ! ». « C’est d’eux que je tire
mon énergie », avoue-t-elle.
« Un enfer »
Elle en a besoin. Des jours et des
nuits de réunions au sein de la
commission des lois du Sénat
ont été nécessaires pour limer
chaque phrase afin de ne pas donner aux partisans de la famille traditionnelle l’occasion de dénoncer la loi en la comparant à un
mariage en bonne et due forme.
L’opposition a déposé près de
5 000 amendements, finalement
réduits à quelques centaines
après un accord entre les présidents de groupe. « Un enfer,
avoue-t-elle. Mais la véritable
honte aurait été de donner le spectacle d’une Italie rétrograde. »
I SRAËL- PALEST I N E
Paris relance son projet
de conférence
internationale
La France va relancer « dans
les semaines qui viennent »
son projet d’une conférence
internationale « rassemblant
autour des parties leurs principaux partenaires – américains,
européens, arabes, notamment – afin de préserver et de
faire aboutir la solution des
deux Etats », Israël et Pales-
tine, a déclaré, vendredi
29 janvier, le chef de la diplomatie française, lors de la
cérémonie des vœux au corps
diplomatique. « Nous ne devons pas laisser se déliter la solution des deux Etats », a souligné Laurent Fabius, regrettant
que « malheureusement, la
colonisation continue ». Il a
ajouté qu’en cas d’échec
« nous devrons prendre nos
responsabilités en reconnaissant l’Etat palestinien ». – (AFP.)
Ce dimanche à 12h10
GILLES DE KERCHOVE
coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde).
Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
0123
Le premier ministre, Matteo
Renzi, a bien compris l’importance de laisser s’exprimer cette
battante. Lui, qui manifestait,
en 2007, contre le Dico (un projet
de pacs finalement abandonné
par Romano Prodi sous la pression de la mobilisation catholique), la soutient. Conversion sincère ou tactique ? « Je ne sais pas,
consent Monica Cirinna. Mais lui,
il sait qu’il ne peut revendiquer le
premier rôle en Europe en étant le
premier ministre d’un pays pointé
du doigt pour sa passivité sur ce sujet. Il a fait un choix de dignité pour
la démocratie. Et puis, c’était dans
son programme. »
Monica Cirinna n’est pas novice
en politique. Elevée dans une
famille catholique, c’est dans les
rangs écologistes qu’elle acquiert,
en 1993, son premier mandat,
après avoir été, dix ans durant,
l’assistante d’un professeur de
droit : conseillère municipale de
Rome au sein de l’équipe de centre gauche guidée par Francesco
Rutelli. Fondatrice d’une association de protection des animaux,
elle est bombardée adjointe à la
cause animale. « Il faut savoir que,
à l’époque, un chien ou un chat
abandonné était tué trois jours
après sa capture. La question des
droits et de la dignité est universelle. » Aujourd’hui, ses ennemis
ne craignent pas de dire qu’elle a
plus de « compassion pour les
chats que pour les enfants ». Une
manière insultante de lui rappeler qu’elle n’en a pas.
Trois mandats suivront à la mairie de Rome, dont le dernier en
tant que conseillère municipale
d’opposition au maire Gianni Alemanno, issu des rangs néofascistes. « Des années humainement difficiles », se souvient-elle.
Si elle n’abandonne pas la cause
animale, elle élargit l’éventail de
ses combats à celle des femmes.
« Ce sont elles qui soutiennent la
seule politique sociale de ce pays.
Elles, qui s’occupent des enfants,
des vieux. Il faudra bien un jour en
venir à une politique des quotas
afin qu’elles soient mieux repré-
Désaccord Merkel-Renzi sur la Turquie
L’entretien, vendredi 29 janvier à Berlin, entre la chancelière,
Angela Merkel, et le président du conseil italien, Matteo Renzi,
n’est pas parvenu à régler un des principaux différends entre
l’Allemagne et l’Italie. Malgré force « Matteo » et « Angela » de part
et d’autre et l’affirmation de poursuivre un objectif commun,
l’Italie refuse toujours d’apporter sa quote-part à l’aide de 3 milliards d’euros promise par l’Union européenne à la Turquie afin
de l’aider à retenir sur son territoire les 2,5 millions de Syriens qui
y sont réfugiés. « J’attends des réponses des amis de l’Union
européenne », a justifié, avec ironie, M. Renzi, qui souhaite des
précisions sur l’utilisation de ses fonds. « La mise en œuvre de
l’accord est urgente », a plaidé Mme Merkel.
sentées. C’est un passage obligé. »
En 2007, elle adhère au Parti démocrate naissant. En 2013, elle est
élue sénatrice.
Selon le calendrier du Sénat, la
loi devrait être adoptée aux alentours du 10 février. Le passage à
l’Assemblée, où le PD dispose
d’une large majorité, ne devrait
être qu’une formalité. « Lors de la
manifestation de samedi dernier,
j’ai vu aussi des hétérosexuels réclamer des droits pour les homos.
C’est tout à fait nouveau en Italie,
pays patriarcal fondé sur la famille
et encore très homophobe. Jusqu’alors, les problèmes des gays
étaient considérés comme lointains. Mais tout change finalement. Je suis sûr qu’un jour il faudra aborder la question du mariage. » Et si elle échoue ? « J’ai
d’autres passions. » Avec son mari,
elle s’occupe d’une ferme biologique produisant huile d’olive, vin,
confitures et légumes. Là-bas, en
Toscane, quatre chiens, quatre
chats, des ânes et deux chevaux
l’attendent. p
philippe ridet
La Russie s’inquiète du retour de « ses » djihadistes
Plus de 800 personnes revenues du Proche-Orient sont poursuivies par la justice russe
moscou - correspondante
L
a surveillance des frontières
s’est accrue, les interpellations préventives se multiplient. Plus de 800 enquêtes ont
été ouvertes en Russie contre des
ressortissants revenus du ProcheOrient et soupçonnés d’avoir combattu dans les rangs de groupes armés en Syrie et en Irak. En parallèle, le ministère de la défense
russe a annoncé le déploiement de
sa police militaire afin de contrôler les accès de sa base aérienne
installée en Syrie. Ces annonces interviennent alors que Moscou
s’implique toujours davantage
dans le dossier syrien.
Selon le comité de lutte antiterroriste, qui en a fait état devant la
presse à Moscou vendredi 29 janvier, « 832 personnes impliquées
dans des organisations terroristes
internationales sont actuellement
poursuivies, dont 22 recruteurs ».
Plus de 80 de ces suspects ont déjà
été condamnés à des peines d’emprisonnement. « Nous assistons à
une intensification du recrutement
de mercenaires, a affirmé Andreï
Prjezdomski, porte-parole du comité. Et même si le pic avait été atteint en 2013, le problème
demeure. »
En juin, le chef du FSB, les services de sécurité russe, Alexandre
Bortnikov, avait estimé à 2 900 le
nombre de combattants d’origine
« Il s’agit d’un
bataillon
composé
de membres
essentiellement
originaires du
Caucase du Nord,
mené par
Ahmed Tchataiev,
dit “le Manchot” »
ANDREÏ PRJEZDOMSKI
comité de lutte antiterroriste
russe partis rejoindre les rangs djihadistes.
Des « cellules de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat
islamique] projettent des attentats
en Russie et dans les pays européens, a insisté M. Prjezdomski. Il
s’agit d’un bataillon composé de
membres essentiellement originaires du Caucase du Nord, mené par
Ahmed Tchataiev, dit “le Manchot”. » L’homme n’est pas un inconnu en Russie. Blessé lors de la
guerre russo-tchétchène en 2000,
ce dernier, qui a également perdu
une jambe, avait obtenu trois ans
plus tard le statut de réfugié en
Autriche. Arrêté à la frontière entre
l’Ukraine et la Slovaquie en 2010, il
avait bénéficié d’une campagne
internationale pour empêcher son
extradition d’Ukraine alors que la
Russie le réclamait. Plus récemment, en octobre 2015, Ahmed
Tchataiev a été inscrit, à la demande de Moscou, sur la « liste
noire » du terrorisme du Conseil
de sécurité de l’ONU. Décrit
comme l’un des leaders de l’organisation Etat islamique (EI), « localisé » en Syrie et « possiblement » en
Irak en août 2015, le Tchétchène
âgé de 35 ans serait à la tête d’une
brigade forte de 130 combattants.
Police militaire déployée en Syrie
Un groupe de quatre combattants
« bien entraînés a été envoyé en
Russie dans le but de commettre un
attentat dans une ville, a poursuivi
le responsable de la lutte antiterroriste.Ils ont loué une maison et
acheté des ingrédients pour la fabrication d’un engin explosif, mais ils
étaient sous surveillance et ont été
arrêtés. » Le 27 janvier, une enquête
supplémentaire a été ouverte contre neuf hommes accusés d’avoir
prêté allégeance à l’EI.
Depuis le déclenchement, le
30 septembre 2015, des frappes
aériennes russes en Syrie, l’EI a
menacé à plusieurs reprises sur les
réseaux sociaux de s’en prendre à
la Russie. Mais avant même l’engagement des forces de Moscou au
côté de son allié, le président syrien Bachar Al-Assad, l’organisa-
tion djihadiste s’était déjà rapprochée des frontières russes. Dès
l’automne 2014, selon Alexandre
Choumiline, spécialiste à Moscou
des questions relatives au ProcheOrient, les combattants de l’Emirat du Caucase, au Daghestan, en
Tchétchénie et en Ingouchie, ont
commencé à prêter allégeance à
l’EI. Un engagement formalisé
quelques mois plus tard.
Jeudi, lors d’une rencontre « surprise », le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgou, a accueilli
son homologue syrien, Fahd Jassem Al-Freij, venu à Moscou discuter du « développement » de la
coopération militaire entre les
deux pays. « Grâce aux frappes
russes, l’armée syrienne a remporté de grands succès au cours de
l’offensive au nord de Lattaquié »,
s’est félicité l’état-major russe, en
affirmant que « 92 km2 et 28 lieux
habités » avaient ainsi pu être « libérés ».
Le lendemain, le ministère a annoncé le déploiement de la police
militaire sur sa base aérienne de
Hmeimim, dans la région de Lattaquié contrôlée par les forces du
régime syrien. Cette police militaire, qui sera chargée de surveiller les « installations russes et
la circulation sur la base », est une
création récente en Russie. Elle
n’existait pas avant une loi adoptée en 2014. p
isabelle mandraud
planète | 5
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
« Drôle de guerre » à Notre-Dame-des-Landes
Agriculteurs et zadistes se préparent à l’épreuve de force avec le gouvernement pour défendre le bocage
REPORTAGE
LES DATES
notre-dame-des-landes
(loire-atlantique) - envoyé spécial
S
ur la route départementale 81 qui mène du carrefour des Ardillières à La
Paquelais, dans la zone
qui s’étend entre les villages de
Notre-Dame-des-Landes et Vigneux-de-Bretagne, là où doit être
construit le futur aéroport nantais, il faut conduire très lentement et faire preuve d’adresse
pour slalomer entre barricades de
fortune, palettes de bois, carcasses de voiture, pneus entassés, et
éviter quelques trous. Ces obstacles sont destinés à retarder, voire
empêcher, l’intervention des gendarmes mobiles.
C’est désormais à ce scénario
que se préparent les quelque
200 occupants de la zone à défendre (ZAD). Sur ces 1 600 hectares
de bocage, Vinci-Aéroport du
Grand Ouest (AGO), le concessionnaire, doit débuter les travaux de débroussaillage et de terrassement afin d’y construire la
nouvelle aérogare et les deux pistes destinées à remplacer l’actuel
aéroport de Nantes-Atlantique. Le
projet remonte aux années 1960,
mais l’échéance paraît inévitable.
Le 25 janvier, le tribunal de grande
instance de Nantes a ordonné
l’expulsion, dans un délai de deux
mois, non pas des zadistes mais
de onze familles et quatre exploitants agricoles, installés pour la
plupart depuis des générations.
Le lendemain, à l’Assemblée nationale, le premier ministre, Manuel Valls, a rappelé la « nécessité »
de construire l’aéroport et évoqué
un rendez-vous « à l’automne ».
« Tracteurs vigilants »
Rien ne semble plus s’opposer au
démarrage du chantier, sauf la détermination des opposants. Depuis une semaine, la mobilisation
bat son plein. Les réseaux ont été
réactivés et Radio Klaxon, la radio
de la ZAD qui émet sur 107.7, piratant la fréquence de Radio Vinci
autoroute, a repris du service. Samedi 30 et dimanche 31 janvier, les
opposants ont prévu de lancer
leurs propres chantiers, une trentaine, pour aménager de nouvelles
installations (salle de réunion,
mur d’escalade, auberge…), entretenir les chemins qui sillonnent le
bocage ou bâtir des bâtiments
agricoles. Plusieurs centaines de
militants, venant des collectifs de
soutien – il y en aurait 200 en
France, selon les anti-aéroport –,
sont attendus pour prêter mainforte à cette résistance devenue
1965
Démarrage
La préfecture de Loire-Atlantique
recherche un « nouveau site
aéronautique ».
1968
Choix du site
Notre-Dame-des-Landes est retenu comme site « préférentiel ».
2000
Relance
Le gouvernement de Lionel
Jospin relance le projet
d’un nouvel aéroport.
2008
Feu vert
Le 10 février est publié le décret
d’utilité publique.
2009
Occupation
A l’été, les opposants au projet
d’aéroport s’installent dans
la « zone à défendre ».
Des agriculteurs venus soutenir, le 27 janvier, Sylvie et Marcel Thébault, menacés d’expulsion. ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »
emblématique des luttes contre
des grands projets d’infrastructure jugés « inutiles et coûteux ».
Mais les membres de ces collectifs, des militants écologistes, anticapitalistes et antiautoritaires
pour la plupart, ne seront pas les
seuls à converger sur ce petit bout
de terre. Au lendemain de la décision du tribunal, une centaine
d’agriculteurs ont répondu au mot
d’ordre du réseau Copain, le Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le
projet d’aéroport. Manœuvrant
une soixantaine de « tracteurs vigilants », ils ont « défendu » la ferme
de futurs expulsés, Sylvie et Marcel Thébault, dans le hameau du Liminbout. Une répétition générale.
Mais l’expulsion de ces opposants « historiques » ne pourra pas
se faire sans évacuer l’ensemble de
la zone. Depuis 2009, la ZAD a vu
naître des lieux de vie que ses occupants ne souhaitent plus quitter, aéroport ou non. Simples huttes, cabanes perchées, caravanes et
maisons réoccupées et entretenues parsèment le bocage, au
cœur de bosquets touffus, de bois
ardus à pénétrer, aux croisements
de sentiers souvent boueux – zone
humide oblige –, à proximité des
fermes des agriculteurs et des habitants menacés aussi d’expulsion. Chaque lieu occupé porte un
nom, Baraka, No Name, Les Fosses
noires, Bellevue, La Rolandière, La
Chat Teigne, la Wardine…
Qui sont ces zadistes ? D’anciens
salariés, des étudiants qui affirment refuser le système. Mais
aussi, comme l’écrivent les auteurs
du collectif Mauvaise Troupe, dans
un livre paru en janvier, Défendre
la ZAD (Editions l’Eclat), « ceux
pour qui la ZAD est un refuge, parce
que sans contrôle d’identité : des
mineurs en fugue aux réfugiés de
Calais venus se reposer quelque
temps (…). Ceux burinés par les
galères et la rue, pour qui la ZAD est
un rivage ». Sur cette zone « hors la
loi » se sont organisées de multiples activités, élevage, maraîchage,
conserverie, boulangerie, studio
d’enregistrement…
Entre les militants les plus radicaux et les porteurs de projet, entre les zadistes et les opposants
historiques, les discussions sont
souvent rudes, comme en témoignent les assemblées générales,
Plusieurs
centaines
de militants sont
attendus pour
prêter main-forte
dont le rythme s’est accéléré depuis début janvier. L’histoire de la
cohabitation entre zadistes, agriculteurs et habitants a connu de
fréquentes tensions. Problèmes
relationnels entre le bétail et les
nombreux chiens circulant dans
la ZAD. Heurts avec les chasseurs.
Cambriolages dénoncés par les
commerçants du bourg qui montrent, prudemment, la zone du
doigt. Les occupants, qui ne nient
pas « quelques histoires regrettables », ont distribué aux riverains
une brochure : « Notre objectif
n’est en tout cas pas de nuire aux
habitants des bourgs environnant
la zone. Nous désirons instaurer au
contraire des rapports durables et
cordiaux avec nos voisins et voisines », écrivent-ils.
Ces mots ont peu de chance de
séduire les 1 600 personnes qui
auraient signé une pétition pour
demander l’évacuation de la ZAD.
Les pro-aéroports, Bruno Retailleau, le président (Les Républicains) de la région Pays de la Loire,
en tête, ne cessent de demander au
gouvernement d’intervenir. JeanPaul Naud, le maire de Notre-Dame-des-Landes, paisible bourgade
de quelque 1 700 habitants, bien
qu’hostile au projet d’aéroport, estime aussi nécessaire le retour à la
« légalité républicaine » sur la zone.
Opération à risque
La complexité pour le gouvernement ne sera pas seulement d’affronter les zadistes sur un terrain
morcelé par les haies, les fossés,
les sentes glissantes. Il sait qu’il
aura face à lui des militants qui
n’hésiteront pas à se défendre par
tous les moyens. Comme à
l’automne 2012, quand le bocage
s’était transformé en champ de
bataille, lors de l’opération César,
une tentative avortée d’évacuation de la ZAD par les forces de
l’ordre. Il devra compter sur les
milliers de manifestants qui re-
joindront la zone ou qui, dans de
nombreuses villes, prendront
pour cible Vinci, ses infrastructures ou les représentations de
l’Etat. Sans oublier les agriculteurs qui viendront soutenir leurs
collègues expulsés. « Il y a une solidarité naturelle, surtout chez les
éleveurs, et quand les gendarmes
tenteront d’embarquer les vaches
et de saisir le matériel, nous serons
des centaines de tracteurs pour les
en empêcher », promet Bruno
Gris, responsable du Groupement
des agriculteurs biologiques,
membre de Copain.
Une fois la zone évacuée, il faudra encore la « tenir » durant la
durée, longue, du chantier. Rien
d’impossible, mais une opération
à risque, car la moindre victime
bloquerait certainement le processus. La mort de Rémi Fraisse,
jeune militant écologiste, lors des
affrontements avec les gendarmes à Sivens, dans le Tarn, en
octobre 2014, a signifié la fin des
travaux de construction du barrage. Un scénario que veulent à
tout prix éviter les autorités à
Notre-Dame-des-Landes. p
rémi barroux
« On a maintenu ce que nos ancêtres nous ont légué »
Onze familles et quatre fermiers ont décliné les offres de rachat de leurs terres et de leur maison par Vinci, refusant de rompre avec leurs racines
D
ans l’enceinte du palais de
justice de Nantes, quand
le juge a annoncé, lundi
25 janvier, qu’ils seraient expulsés
de leur maison et de leurs terres,
les onze familles et les quatre exploitants agricoles se sont regroupés comme les membres d’une
grande tribu, loin des journalistes.
Les Fresneau, les Thébault, les
Bézeul et les autres sont les opposants « historiques » au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes
Le délai de deux mois accordé
par le juge pour quitter les habitations – à l’exception des terres et
les bâtiments agricoles confiscables immédiatement – et l’absence d’astreinte financière que
réclamait Vinci, le concessionnaire du futur aéroport, leur laissent un répit.
D’autres habitants – ils seraient
240 – ont cédé à Vinci leurs terrains. Quarante exploitations
agricoles étaient concernées,
en 2008, par la zone d’aménagement du futur aéroport. Les accords passés entre la préfecture et
la chambre d’agriculture ont fixé
le tarif de l’indemnisation. Les
propriétaires ont touché des sommes allant de 1 600 à 2 200 euros
par hectare.
Pour les fermiers, locataires des
terres, le montant varie de
2 500 euros par hectare au double.
« S’ils n’ont que quelques hectares
dans la zone, sur l’ensemble des
terres utilisées, le niveau d’indemnisation est moindre », avance
Axel Gayraud, chargé du dossier
de Notre-Dame-des-Landes à la
chambre d’agriculture de LoireAtlantique. Mais indemnisation
ne signifie pas départ. « Sur les
quarante exploitants concernés,
vingt-neuf sont toujours en activité et, pour certains, continuent
d’exploiter ces terres avec un
contrat précaire signé avec Vinci »,
explique encore M. Gayraud.
Alphonse Fresneau n’en veut
pas à ceux qui ont accepté l’offre
de Vinci. « La plupart n’avaient pas
le choix, ils étaient contraints »,
explique l’agriculteur, 83 ans, qui
a toujours vécu ici, aux Domaines, quelques maisons entre Notre-Dame-des-Landes et Vigneuxde-Bretagne. Avant lui, son père,
son grand-père et même ses arrière-grands-parents élevaient ici
des vaches laitières et des bœufs
pour l’attelage. Alphonse n’est pas
seulement en colère, il est aussi
« On est
les racines et [les
zadistes] sont
les branches
de l’arbre »
SYLVAIN FRESNEAU
agriculteur
triste. « On a maintenu ce que nos
ancêtres nous ont légué. Est-ce
qu’on va pouvoir continuer ? »
Son arrière-neveu, Justin
Fresneau, 22 ans, vit dans la petite
maison juste derrière chez lui. Depuis son plus jeune âge, il sait qu’il
sera paysan. Salarié agricole depuis un an, BTS en économie et
gestion agriculture « option lait »
en poche, il espère pouvoir s’installer sur les terres familiales.
L’aéroport, l’expulsion ? « On n’est
sûr de rien, mais s’ils viennent, ils
s’attaqueront à quelque chose de
fort », prévient le jeune homme.
Ses parents, Brigitte et Sylvain
Fresneau, habitent juste en face
et travaillent, avec Bruno Viaud,
sur 192 hectares, dont 114 dans la
zone d’aménagement de l’aéroport, avec 260 bêtes dont 88 vaches laitières. Figure emblématique de la lutte contre l’aéroport,
Sylvain, 54 ans, aux faux airs de
José Bové, un copain, croit en la
victoire finale. Avec les zadistes,
ses voisins, il voit la complémentarité. « On est les racines et ils
sont les branches de l’arbre », résume l’agriculteur.
« Mépris pour les citoyens »
A quelques kilomètres de là, dans
le hameau du Liminbout, Sylvie et
Marcel Thébault sont arrivés
en 1999 avec leurs deux enfants,
Pauline et Robin. Mais ils se sont
attachés à cet endroit, où ils élèvent 36 vaches laitières, des
prim’holstein à la robe noir et
blanc et des pie rouge des plaines,
marron et blanc. Pour Marcel, l’aéroport est le symbole « de la
consommation de terres agricoles,
du gâchis de l’argent public et, surtout, des mensonges et du mépris
pour les citoyens ».
Joël Bizeul, 53 ans, partage le
même avis… et le même sort. Il
sait que la perte des terres signifiera la mort de sa petite entre-
prise agricole à responsabilité limitée (EARL) Les Rochettes, du
nom du lieu-dit. Avec sa femme,
Marie-Denise, et ses deux enfants, Alexandre et Noémie, ils
n’abandonneront pas. « J’ai toujours entendu parler du projet
d’aéroport, depuis que j’ai 4 ou
5 ans. J’ai travaillé le dossier et je
me suis rendu compte de son absurdité », raconte-t-il.
Alain Bretesché, 48 ans, lui, n’est
pas agriculteur. Il est électricien,
dans une filiale d’Engie. Son syndicat, la CGT, a pris position
contre le transfert de l’aéroport
actuel de Nantes-Atlantique vers
Notre-Dame-des-Landes. Il pense
aujourd’hui au bien-être de sa
fille, Lilou, 13 ans. « Ce n’est pas facile pour elle, à l’âge où on veut
être comme les autres, d’habiter
dans la ZAD. Mais je ne veux pas
lâcher La Rolandière », confie
Alain Bretesché. p
r. bx
6 | france
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Anne Hidalgo veut redessiner Paris
La maire de la capitale propose de fusionner les quatre premiers arrondissements avant 2020
C’
est une page de l’histoire de Paris qui se
tourne. La maire (PS)
de Paris, Anne Hidalgo, a l’intention de réduire de
vingt à dix-sept les mairies d’arrondissement de la capitale. Dans
une note interne que Le Monde
s’est procurée, l’exécutif parisien
prévoit la fusion des mairies du 1er,
2e, 3e et 4e arrondissements d’ici les
municipales de 2020.
« Les quatre arrondissements centraux seraient regroupés mais pas
supprimés, précise au Monde
Bruno Julliard, premier adjoint de
Mme Hidalgo. Nous garderons les
numéros des vingt arrondissements auxquels les Parisiens sont
attachés », ajoute l’élu chargé de la
culture. Mais un seul maire se
substituerait aux quatre en place
dans le centre de Paris.
L’un des objectifs mis en avant
est d’aboutir à « une meilleure représentation démocratique des Parisiens ». La taille des arrondissements date de 1860. La répartition
des conseillers de Paris n’a pas suffisamment pris en compte les évolutions démographiques. Les Parisiens qui habitent le 1er arrondissement ont un seul conseiller
pour une population totale de
17 000 habitants. Chacun des dixhuit conseillers de Paris du 15e, le
plus peuplé, représente 13 200 habitants. En regroupant les huit sièges des quatre arrondissements
visés en une seule « mairie de secteur », chaque élu représenterait
environ 13 000 habitants, soit le
ratio moyen actuel dans les autres
secteurs de la capitale.
Dans sa note, Mme Hidalgo se défend de toute « volonté partisane ». Elle souligne, pour convaincre ses opposants, que les
propositions de rapprochements
d’autres petits arrondissements
tels que le 5e, 6e et 7e ou le 8e et le 9e
– tous à droite – ont été écartées
parce qu’ils « risquaient de renforcer aux prochaines élections la
majorité actuelle ».
« Arrière-pensées électoralistes »
Le scénario de fusion retenu sera
« neutre sur l’équilibre politique actuel entre majorité et opposition »
au sein du Conseil de Paris, explique le document. « Sur la base des
résultats des municipales de
mars 2014, on aurait neuf maires de
la majorité contre huit de l’opposition. » Le regroupement des quatre
mairies d’arrondissement conduirait à supprimer deux mairies écologistes (2e et 4e), une mairie PS (3e)
et une mairie Les Républicains (1er).
La fermeture programmée de
Vue aérienne du centre de Paris, dont les arrondissements de la rive droite (1er, 2e, 3e et 4e) pourraient fusionner. PH.GUIGNARD/AIR-IMAGES.NET
quatre mairies soulève une farouche résistance dans les rangs de
l’opposition. « Mme Hidalgo a des
arrière-pensées électoralistes », a
déclaré, vendredi, à L’Express, JeanFrançois Legaret, maire (LR) du
1er arrondissement.
Vent debout à l’idée de mettre la
clé sous la porte de son élégant hôtel de ville, en 2020, M. Legaret a le
soutien de Nathalie KosciuskoMorizet et des centristes. « Anne
Hidalgo veut exécuter Legaret au
mur des fédérés, supprimer le 4e qui
a failli tomber à droite en 2014, libérer le 2e et le 3e pour créer un grand
boboland taillé sur mesure pour la
gauche en 2020 », fustige Eric
Azière, patron du groupe UDI-MoDem au Conseil de Paris.
Deux autres grands chantiers
plus consensuels sont détaillés
dans la note de la Ville. Mme Hidalgo souhaite fusionner le département et la commune de Paris en
« Il est légitime
que les Parisiens
puissent
reprendre la main
sur les affaires de
leur ville »
ANNE HIDALGO
maire PS de la capitale
une seule collectivité. Elle entend
surtout renforcer ses pouvoirs au
motif que Paris doit en finir avec
« un statut d’exception » par rapport aux autres communes. « Il est
légitime que les Parisiens puissent
reprendre la main sur les affaires de
leur ville, et que les élus choisis par
eux puissent leur en rendre
compte », insiste-t-elle.
La maire de Paris revendique le
transfert des pouvoirs de circulation dévolus au préfet « sur l’ensemble des axes » routiers de la
ville. « Les négociations sont toujours en cours avec la préfecture »,
confie M. Julliard. Mme Hidalgo se
dit prête à laisser l’Etat donner « un
avis » sur les accès « présentant des
enjeux importants pour la sécurité ». La ville veut également créer
« une brigade de lutte contre les incivilités » à l’été 2016. Elle demande
qu’y soit affectée une partie des
agents chargés du contrôle du stationnement. Ce qui justifie que
soit mis fin à la tutelle du préfet sur
les « pervenches » pour les placer
sous celle de la mairie.
Mme Hidalgo rappelle qu’elle souhaite se voir reconnaître le même
droit que tous les maires de fixer
les dates des douze dimanches
ouvrés par an. Impuissante à convaincre le ministre de l’économie,
Emmanuel Macron, de lui accor-
der ce droit lors du vote du projet
de loi sur le travail dominical, elle a
bon espoir de parvenir à ses fins.
Discussion avec Matignon
La maire de Paris souhaite enfin
que l’attribution des licences de
taxis ne relève plus de la préfecture. « On pourrait envisager
qu’elle soit du ressort de la Ville,
voire du Syndicat des transports
d’Ile-de-France, piloté par la région », suggère M. Julliard.
L’ensemble des propositions
consignées dans le document découle des conclusions d’un groupe
de travail mis en place en octobre 2015 par la Mairie. Elles doivent
être votées dans les arrondissements avant d’être soumises au
Conseil de Paris des 15 et 16 février.
« Le prochain conseil proposera au
gouvernement des orientations à
soumettre au Parlement dans l’année 2016 », précise la note.
Si l’ambition de Mme Hidalgo
exige pour se concrétiser le vote
d’une loi, cela suppose l’accord de
l’exécutif. Celui-ci n’est pas acquis
d’emblée et les débats entre l’Hôtel de Ville et Matignon risquent
d’être vifs, particulièrement sur
les sujets qui relèvent du transfert
de certains pouvoirs de l’Etat vers
la commune. « Valls et une partie
du PS prêtent à Hidalgo des ambitions présidentielles. Mais c’est à
tort et parce qu’ils ne comprennent
pas son logiciel », assure l’entourage de la maire de Paris.
Les « discussions sur la réforme
du statut de Paris se passent très
bien avec Matignon, veut modérer M. Julliard. Depuis qu’ils ont
compris qu’on n’avait pas la prétention de bâtir la République
autonome de Paris, ils sont rassurés », ironise le numéro deux de la
capitale. p
béatrice jérôme
Primaire à gauche : une idée qui progresse dans le doute
Les frondeurs se rallient au projet lancé par Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot et Thomas Piketty
C’
est la dernière initiative
d’une série qui commence à faire sens. Les
frondeurs du PS devaient se prononcer, samedi 30 janvier, en faveur d’une « primaire citoyenne de
la gauche et des écologistes » afin
de désigner le candidat pour 2017.
« C’est la seule voie pour la gauche
afin de prévenir le naufrage que
nous redoutons lors de l’élection
présidentielle », écrivent-ils.
Leur appel vient s’ajouter à celui
publié dans Libération à la mi-janvier par une quarantaine d’intellectuels et de personnalités politiques qui militent pour la tenue
d’une telle consultation. Un autre
collectif, rassemblé autour de Caroline de Haas – ancienne du syndicat étudiant UNEF et du cabinet
de Najat Vallaud-Belkacem –, d’Arnauld Champremier-Trigano –
ancien directeur de communication de Jean-Luc Mélenchon – et
d’Elliot Lepers – un web-activiste
écologiste –, a lancé de son côté le
« comité d’organisation » de cette
primaire.
Lundi 1er février, le PCF organise
un débat sur le sujet. L’historien
Patrick Weil, le député socialiste
Pouria Amirshahi (Français de
l’étranger) et la présidente de la Ligue des droits de l’homme, Françoise Dumont, y sont annoncés.
Et deux jours plus tard, ce sont Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot et
Thomas Piketty qui donnent rendez-vous pour une soirée-débat à
La Bellevilloise avec les premiers
signataires de leur appel.
De quoi raviver cette interrogation qui traverse la majorité presque depuis les premiers jours du
quinquennat : François Hollande
est-il, en tant que président sortant, le candidat légitime de l’ensemble de la gauche en 2017 ? Pour
les socialistes, la question est déli-
cate. Solférino est le seul appareil
assez solide pour organiser sans
accroc une primaire citoyenne.
C’est le PS qui a popularisé ce
mode de désignation en 2011, jusqu’à l’inscrire dans ses statuts.
Quelques mots gravés dans le
marbre qui sont aujourd’hui encombrants.
Périmètre flou
La direction du PS a donc affiché
une bonne volonté de façade en
acceptant le principe d’une consultation allant « de Macron à Mélenchon ». « La primaire citoyenne
doit être sans exclusive pour déboucher sur un candidat unique de
la gauche ! Sinon, c’est sans nous »,
explique le premier secrétaire du
PS, Jean-Christophe Cambadélis.
Une manière de renvoyer la responsabilité de l’échec sur le Front
de gauche, qui ne veut pas de
M. Hollande dans le casting. Le
périmètre d’une telle initiative
reste très flou. Chacun voit midi à
sa porte. Pour Yannick Jadot, député européen EELV, cela va du PS
au Parti de gauche. Mais les communistes ont mis leurs conditions : pas question d’y participer
si le chef de l’Etat y est présent sur
son orientation actuelle.
« C’est un débat artificiel, juge
Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. Tout le monde sait que
le président de la République ne
veut pas d’un tel processus. » Pas
plus que leur partenaire du Parti
de gauche, Jean-Luc Mélenchon,
qui a refusé tout net d’en être, jugeant le dispositif destructeur.
« Et alors ? Vous croyez qu’entre
François Hollande et Mélenchon, il
n’y a rien à gauche, répond M. Laurent. Pour un très grand nombre
de socialistes, Hollande n’est pas le
candidat naturel de la gauche.
Idem chez les écologistes. »
A Europe Ecologie-Les Verts, justement, Cécile Duflot a été l’une
des premières à signer l’appel.
Une manière pour la députée de
Paris de sortir par le haut de l’épineuse question d’une candidature à la présidentielle et d’arracher un accord majoritaire avec le
PS. Mais ses proches restent sur
leurs gardes. « Il faut faire en sorte
que ça puisse marcher mais sans
être dans la paresse intellectuelle
de se dire qu’une génération spontanée va s’en emparer », explique
David Cormand, numéro deux
d’EELV, qui veut une candidature
écologiste en 2017.
M. Hollande, intéressé au premier chef, se garde bien de réagir
sur le sujet. Son entourage entretient l’idée qu’un président en
fonction ne peut pas décemment
s’abaisser à pareil exercice. « On a
un président en exercice qui, s’il se
présente, demandera aux citoyens
de le laisser poursuivre son action :
le ramener à des discussions d’appareil serait mortifère », lâche un
conseiller. Les proches du chef de
l’Etat estiment que derrière les appels à la primaire se cache une volonté d’affaiblir le couple exécutif.
« C’est une primaire chevrotine, ça
arrose large », commente l’un
d’eux. Pourtant, la majorité est
consciente que la victoire n’est pas
possible en 2017 sans un rassemblement de la gauche, qui semble
aujourd’hui hypothétique. « Cambadélis n’a pas fermé la porte à une
primaire parce qu’il veut laisser la
possibilité à François Hollande de
l’utiliser en dernier recours », assure un dirigeant du PS.
Dans cette partie d’échecs grandeur nature, chacun avance pour
l’heure prudemment ses pions en
espérant ne pas terminer mat. p
raphaëlle besse desmoulières
et nicolas chapuis
france | 7
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Nicolas Sarkozy met le parti à sa main
Le président des Républicains s’apprête à désigner cent secrétaires départementaux
I
l a beau y penser tous les
jours, Nicolas Sarkozy n’est
pas encore candidat à la primaire à droite pour la présidentielle de 2017. Pourtant, il s’y
prépare activement. D’abord avec
son livre, La France pour la vie
(Plon), publié le 25 janvier, dans lequel il tente de rafraîchir son
image profondément écornée.
Ensuite, avec le tour de France
qu’il a entamé mi-janvier pour
partir à la rencontre des Français.
En coulisses, le président des Républicains (LR) s’attelle à une
autre tâche, non moins stratégique : faire du parti sa machine
électorale pour la primaire.
Après avoir enterré l’UMP,
M. Sarkozy poursuit la refondation de la formation de droite avec
les élections internes des 30 et
31 janvier, renouvelant les instances départementales. Comme le
stipulent les nouveaux statuts,
l’ensemble des présidents de fédération sera élu pour la première
fois au suffrage universel des militants.
Cette démocratisation n’empêche pas l’ancien président de la
République d’asseoir son emprise
sur le parti. Les cent secrétaires
départementaux seront en effet
tous nommés par lui. Ces sortes
de « préfets » de LR seront chargés
de l’organisation des fédérations
et seront les animateurs de la vie
militante. Autant de relais de terrain précieux pour mobiliser les
adhérents en vue de la primaire.
Un « verrouillage » du parti assumé par les sarkozystes. « Un
président de parti n’est pas obligé
de nommer des secrétaires départementaux qui lui soient opposés,
sourit Eric Woerth. Il est rare
qu’un président fasse en sorte que
le parti lui échappe… »
Ce week-end d’élection interne
n’est qu’une nouvelle étape dans
l’emprise croissante de M. Sarkozy
sur sa formation. Après les régionales, il avait d’abord fait le ménage au sein de la direction, en
évinçant sa numéro 2, Nathalie
Kosciusko-Morizet, jugée trop
centriste. A sa place, il avait promu
Laurent Wauquiez, figure de l’aile
droitière de LR. Et placé quatre de
ses lieutenants au porte-parolat :
Guillaume Larrivé, Valérie Debord, Brigitte Kuster et Guillaume
Peltier.
Luc Chatel, successeur désigné
Autre signe de cette « sarkozysation » du parti : le président de LR a
l’intention de proposer son conseiller politique, Luc Chatel,
comme candidat à la succession
de Jean-Pierre Raffarin à la tête du
conseil national, les 13 et 14 février.
En plaçant un de ses fidèles à un
Certains de ses
proches ont
toujours redouté
que la fonction
de chef de parti
ne le rabaisse
poste-clé, M. Sarkozy prépare l’avenir : l’ex-ministre de l’éducation
pourrait le remplacer à la tête du
parti lorsqu’il se lancera dans la
campagne officielle de la primaire.
Si certains de ses proches ont toujours redouté que la fonction de
chef de parti ne le rabaisse, l’exchef de l’Etat a, lui, décidé de profiter jusqu’au bout de cet atout pour
rester au cœur du jeu et imposer
son agenda. Lors du conseil national, il tentera d’imposer sa ligne
politique à ses rivaux, en plaidant
pour une grande fermeté sur le régalien (immigration, sécurité…).
Jusqu’en juin, il conclura les conventions thématiques devant alimenter le projet du parti. Et il conserve enfin dans sa manche une
carte maîtresse pour calmer les
éventuelles velléités contestataires de ses députés : M. Sarkozy a
l’intention d’attribuer les investitures pour les législatives au mois
L’HISTOIRE DU JOUR
Nadine Morano pourrait
rejoindre le CNIP
de juin. Un argument de poids
pour attirer des soutiens. Lorsqu’il
aura usé de cet atout, il pourra
alors se déclarer candidat à la primaire. Le plus tard possible.
Jusque-là, la rue de Vaugirard, où
siège le parti, sera sa base arrière
pour occuper le terrain médiatique. Reste que cette position de
« président-candidat » est ambiguë. M. Sarkozy est-il encore président du parti ou déjà candidat ? Les
déplacements qu’il a entamés depuis le début de l’année semblent
davantage s’inscrire dans la campagne de la primaire. Le 15 janvier,
il était à Anet, dans un village
d’Eure-et-Loir, pour « se rapprocher des Français », selon son entourage. Une opération de communication visant à montrer que
le lien n’est pas cassé et donc préparer sa future candidature. Cinq
jours plus tard, il s’envolait à Nîmes pour deux jours de visite de
terrain.
Mardi 26 janvier, il aussi participé à une séance de dédicaces à la
librairie Kleber à Strasbourg pour
son livre. Un mail interne de LR a
été envoyé à tous les militants
pour les inciter à « précommander » son livre, qui n’est certes « pas
un acte de candidature », mais un
élément essentiel de la reconquête. Cette publicité a énervé le
camp d’Alain Juppé. « Bon-
soir@lesRepublicains pourriezvous adresser le même mail pour
les livres de@FrancoisFillon
et@AlainJuppe ? Merci », a ironisé
Gilles Boyer, le directeur de campagne du maire de Bordeaux sur
Twitter. « Il y a une tradition. On a
toujours annoncé les actions du
président. Cela ne veut pas dire que
pour les autres nous ne faisons
rien », se défend le sénateur sarkozyste Roger Karoutchi. Avant
d’ajouter : « Quand Alain Juppé ou
Jean-François Copé ont été président du parti, ils ne se sont jamais
posé la question… »
« Un problème de gouvernance »
A demi-mot ou publiquement, les
autres candidats commencent à
s’irriter de la double casquette de
M. Sarkozy. « Cette situation ne serait acceptée dans aucune démocratie moderne », peste un candidat, sous couvert d’anonymat.
Une précaution que ne prend pas
Hervé Mariton, candidat déclaré,
très remonté contre M. Sarkozy
depuis le début de l’année. « Ça
n’est pas heureux pour la clarté du
débat que le président du parti soit
candidat à la primaire. Cela pose un
problème de gouvernance, juge le
député de la Drôme. L’autre problème est que la campagne officielle dure deux mois et demi alors
qu’en réalité elle commence bien
plus tôt. » Les sarkozystes rétorquent que les autres prétendants
n’avaient qu’à s’emparer du parti
au moment de l’élection à la présidence, à l’automne 2014. Et surtout, M. Sarkozy n’enfreint aucune
règle. La charte de la primaire
l’autorise en effet à cultiver cette
ambiguïté. Selon ce document, le
président de LR devra démissionner au plus tard le 9 septembre,
date officielle du dépôt des candidatures. « Nous sommes dans une
période grise, une période ante déclaration de candidature, pendant
laquelle les choses ne sont pas clarifiées. En fonction du climat politique ou si un autre candidat nous interpelle là-dessus, nous n’hésiterons pas à nous prononcer sur cette
question », prévient Anne Levade,
présidente de la Haute Autorité de
la primaire.
Retrouver M. Sarkozy en « président-candidat » rappelle la campagne pour la présidentielle de 2012,
quand il s’était lancé le plus tardivement possible pour profiter jusqu’au bout de sa position de chef
de l’Etat. A l’époque, la gauche avait
râlé contre certains déplacements,
en suspectant un mélange des
genres. Cette fois-ci, le président
du parti LR fait face à une autre opposition. p
alexandre lemarié
et matthieu goar
En voyage à New York, Christiane
Taubira dit « rester loyale au président »
L’ex-garde des sceaux a refusé d’évoquer son avenir politique
P
etit parti, grandes manœuvres. Le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) a beau jouir d’une notoriété toute relative et d’un réseau d’élus étique, ce dernier se trouve au cœur de tractations entre droite et extrême droite, alors
qu’il devait élire – en théorie – son nouveau
président, samedi 30 janvier.
La députée européenne Nadine Morano, en
rupture de ban avec Nicolas Sarkozy, lorgne
en effet le parti pour pouvoir se présenter à la
primaire des Républicains, les 20 et 27 novembre. Une candidature rendue compliquée
par la nécessité de recueillir les parrainages
d’au moins 20 parlementaires, 2 500 adhérents et 250 élus, répartis sur un minimum de
30 départements. Pas une formalité, donc,
pour les candidats situés en dehors du carré
de favoris constitué par Alain Juppé, Nicolas
Sarkozy, François Fillon et Bruno Le Maire.
« Rien d’engagé concrètement »
En adhérant à un parti associé aux Républicains, et en devenant sa représentante pour
les primaires, l’ancienne ministre pourrait
surmonter cet écueil, au même titre que les
candidats de l’UDI ou du Parti chrétien-démocrate. Encore faut-il que le bureau politique de
LR valide ensuite la candidature. « Bruno
North [président par intérim du CNIP] souhaite qu’on se reparle après les élections internes mais il n’y a rien d’engagé concrètement »,
explique au Monde Mme Morano.
Fondé en 1949, le CNIP a vu passer dans ses
rangs des figures comme Antoine Pinay ou
René Coty, et a longtemps représenté une
passerelle entre droite et extrême droite.
Ce rapprochement a de quoi étonner. Le CNIP
a en effet engagé des discussions avec le Front
national en vue de 2017 par l’intermédiaire de
M. North. Ce dernier a rencontré le secrétaire
général du FN, Nicolas Bay, et le directeur de cabinet de Marine Le Pen, Nicolas Lesage, au lendemain des élections régionales.
Dans les Alpes-Maritimes, un représentant
du CNIP était quant à lui
candidat sur les listes de
Marion Maréchal-Le Pen.
LA DÉPUTÉE EUROUne alliance de circonsPÉENNE LORGNE
tance qui avait conduit, en
novembre, le président du
LE PARTI AFIN
CNIP, Gilles Bourdouleix,
député du Maine-et-Loire et
DE POUVOIR
maire de Cholet, à remettre
SE PRÉSENTER À LA
sa démission. Ce dernier
s’oppose à un front comPRIMAIRE À DROITE
mun entre le CNIP et le FN.
Lors d’un comité directeur qui devait se tenir samedi 30 janvier, les
dirigeants du parti devaient se mettre d’accord
sur le nom d’un nouveau président : Bruno
North était candidat. Gilles Bourdouleix a bien
tenté de se présenter à nouveau, mais sa candidature a été considérée par M. North comme
délivrée hors délai. En retour, le maire de Cholet estime pour sa part que la réunion du comité directeur « n’a pas de valeur légale » car
elle a été convoquée hors délai, elle aussi.
Mme Morano, quant à elle, ne devait pas y participer. Petit parti, grand imbroglio… p
matthieu goar
et olivier faye
new york - correspondant
L
e préfixe former (« ex ») devant « ministre de la justice » a été ajouté à la hâte
sur les programmes. Mais, malgré
sa démission spectaculaire deux
jours auparavant, Christiane
Taubira était bien présente à New
York, vendredi 29 janvier, pour
donner une conférence à l’université de New York sur le thème « liberté et égalité pour tous ».
Devant un amphithéâtre à majorité francophone, les organisateurs ont précisé que les frais du
voyage de Mme Taubira avaient été
pris en charge par l’université et
non pas par le contribuable français. Puis, l’ex-ministre, qui s’exprimait en français, a cité Condorcet
en rappelant que le rôle de l’éducation est de rendre « les citoyens indociles et difficiles à gouverner ».
Balayant ses thèmes de prédilection, comme la laïcité ou le rôle de
la puissance publique dans la
lutte contre les inégalités qui permet « d’échapper au déterminisme
des origines sociales », elle a appelé
les étudiants « à se sentir responsables de la marche du monde » et
à s’interroger sur leur capacité à le
transformer pour combattre les
égoïsmes et le rejet de l’autre.
Son aisance oratoire et sa culture
ont fait mouche devant un auditoire qui lui a réservé cinq bonnes
minutes d’ovation debout, entrecoupée de « On t’aime ! » ou
« 2017 ! ». Malgré cette sollicitude,
l’avenir politique de Mme Taubira
était visiblement la question qui
fâche. « Je ne réponds pas à cette
question parce qu’elle est nulle et
non avenue », a-t-elle lâché, un brin
agacée devant quelques journalistes à la sortie de la conférence.
« Kangourou de la pensée »
« Pour moi, il y a des sujets urgents,
sérieux, qui appellent à ce que l’on
mette toute son énergie pour les résoudre. Moi je suis incapable de raisonner par bonds. Je ne suis pas un
kangourou de la pensée. Le raisonnement qui consiste à passer de la
présidentielle de 2012 à la présidentielle de 2017, lorsque la société et le
monde sont dans cet état-là, je ne
sais pas m’y résoudre et je ne ferai
pas l’effort de m’y résoudre. »
L’ex-ministre de la justice a dit
ne pas vouloir se « livrer au jeu des
petites phrases », « je ne l’ai pas fait
quand j’étais ministre, je ne le ferai
pas après » ; et d’ajouter : « Quand
on connaît les difficultés de gens,
quand on sait à quel point ils sont
démoralisés parce qu’ils craignent
le déclassement social, parce qu’ils
ne voient pas l’avenir de leurs enfants, il y a d’autres choses plus importantes que ma destinée, que le
rendez-vous de 2017. »
Puis, quand une journaliste lui a
demandé si elle comptait rester
loyale à l’égard de François Hollande, Mme Taubira est franchement sortie de ses gonds : « Que
cela vous plaise ou non, je resterai
loyale à l’égard du président de la
République pour deux raisons : la
première, c’est que lorsqu’un pays
est en difficulté comme la France
l’est, nous avons besoin d’institutions fortes ; ensuite parce que le
président de la République mérite
de l’estime, et c’est quelqu’un pour
qui j’ai de l’estime. »
A une étudiante qui demandait
s’il est nécessaire de s’intéresser à
la littérature quand on fait de la
politique, Mme Taubira a répondu
que c’est même essentiel. « Je lisais beaucoup la nuit, le grand
changement dans ma vie, c’est que
maintenant je vais recommencer à
lire la journée. » C’est tout ce que
l’on saura du futur emploi du
temps de l’ex-garde des sceaux. p
stéphane lauer
8 | france
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Les musulmans redoutent « le piège de la division »
L’union affichée au lendemain des attentats est fragilisée par l’état d’urgence et la déchéance de nationalité
D
LE CONTEXTE
es
manifestations
contre le maintien de
l’état d’urgence et contre la déchéance de la
nationalité française pour les binationaux condamnés pour terrorisme étaient organisées à Paris, place de la République, et dans
diverses villes de province, samedi 30 janvier.
Elles interviennent dans une atmosphère crispée, qu’a illustrée
l’attaque de Manuel Valls contre
Jean-Louis Bianco, le président de
l’Observatoire de la laïcité, accusé
par le premier ministre, le 18 janvier, d’avoir accolé son nom à ceux
de musulmans jugés infréquentables au bas d’une tribune parue
dans Libération après les attentats
du 13 novembre 2015. Que reste-t-il
aujourd’hui du réflexe de communion nationale qui avait suivi les
tueries de Paris et Saint-Denis ?
Nous avons posé la question aux
personnalités et aux représentants d’organisations musulmanes, qui, frappés de stupeur par les
attaques indiscriminées de novembre, avaient signé la tribune
« Nous sommes unis », mise en accusation par M. Valls. A l’initiative
de Samuel Grzybowski, alors président de l’association Coexister,
elle exprimait la condamnation
de « la barbarie » et appelait à ne
pas tomber « dans le piège d’une
division programmée et orchestrée » du pays.
Sentiment d’urgence
Leurs noms côtoyaient ceux
d’une telle variété de responsables religieux, associatifs, humanitaires, syndicaux et politiques
que ce texte était apparu comme
un fait politique. Fragile, à l’évidence, de façade peut-être en partie, mais qui pouvait être un point
d’appui pour ravauder une opinion mise à l’épreuve au cours des
mois précédents. Après s’être parfois opposés, après les attentats
de janvier 2015, pour savoir si
« être Charlie » était un devoir républicain, des acteurs souvent
éloignés, certains en désaccord
sur de nombreuses questions,
avaient jugé urgent de mettre ce
jour-là de côté ce qui divise.
Si l’attaque de Manuel Valls contre Jean-Louis Bianco a surpris et
même indigné certains d’entre
eux, c’est d’abord parce que, en dépit de leur diversité, ils se souvien-
MANIFESTATION
Le collectif « Nous ne céderons
pas », qui regroupe 123 associations et 19 syndicats français,
appelait à manifester, samedi
30 janvier, contre l’inscription
dans la Constitution de l’état
d’urgence et de la déchéance de
la nationalité. Parmi les membres du collectif figurent la Ligue
des droits de l’homme, le Collectif contre l’islamophobie en
France, le Collectif national pour
les droits des femmes, la Confédération paysanne, Emmaüs
France, la Ligue de l’enseignement ou encore le Syndicat de la
magistrature.
Mercredi 27 janvier, le Conseil
d’Etat a refusé de suspendre
l’état d’urgence « compte tenu du
maintien de la menace terroriste ». Le collectif juge pourtant
que les perquisitions et les assignations à résidence ont « donné
lieu à de nombreux dérapages, à
un accroissement des discriminations à l’égard de populations
déjà stigmatisées en raison de
leur origine et/ou religion supposée ou réelle ».
nent n’avoir pas hésité un instant à
signer le 14 novembre. Aucune des
ambiguïtés et des tergiversations
de janvier n’était plus alors de
mise. « Il y avait la volonté d’un discours positif face à l’horreur. On
avait le sentiment que cela aurait
pu arriver à tout le monde », dit
Anas Saghrouni, président des Etudiants musulmans de France
(EMF), organisation proche de
l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). « En temps
normal, j’aurais pinaillé sur les signataires. Mais il y avait urgence. Je
me suis dit que l’essentiel, c’était
l’union. Après Charlie, il y avait eu
tous ces débats regrettables. Là, j’ai
senti que tout cela était parti en fumée », se rappelle Nacer Kettane,
président de Beur FM, à l’écart de
toute référence religieuse.
« Quand il y a un élan d’union
comme celui-là dans un mouvement d’épouvante, il faut dire oui »,
affirme l’islamologue Ghaleb Ben-
cheikh. « Il fallait incarner le fait
qu’on puisse se retrouver sur un socle commun », explique Nabil Ennasri, président du Collectif des
musulmans de France. « Les mots
étaient très forts. Ça fait tomber les
murs », veut croire Rachid Lahlou,
président du Secours islamique.
Pour le rappeur Médine, « l’objectif
de ces attentats, c’était de mettre à
sac la cohésion française. L’appel visait à montrer que cette cohésion
existe toujours, qu’elle est transcourants, qu’elle allie des rabbins, des
catholiques, des rappeurs, des sociologues, des travailleurs sociaux,
des hauts fonctionnaires… »
Au souvenir de ce sentiment
d’urgence, la polémique déclenchée contre Jean-Louis Bianco par
Manuel Valls est accueillie avec
étonnement ou agacement. Voir
avec le soupçon, pour M. Sahrouni (EMF), que « l’idéologie
prend le pas sur l’intérêt général ».
Le premier ministre n’a pas pré-
cisé quels étaient les signataires à
ses yeux infréquentables, mais il
fait peu de doute que le Collectif
contre l’islamophobie en France
(CCIF) est l’un d’eux. Même si son
président, Samy Debah, fait mine
de ne pas y croire : « Je ne me suis
pas senti visé par Manuel Valls. Je
ne pense pas que le premier ministre s’aventurerait à nous considérer comme une organisation non
démocrate. Sinon, nous lui aurions
fait un procès en diffamation. »
« Islam politique diabolisé »
Quant à d’éventuels proches des
Frères musulmans, ironise M. Lahlou, « certains hommes politiques
sont passés par des réseaux trotskistes ou ont pris les armes en Amérique latine, et ça ne les a pas empêchés de devenir conseiller à l’Elysée
ou premier ministre ».
Plusieurs signataires reprochent au chef du gouvernement
de fracturer cette réaction collec-
tive. « La menace de la division,
c’est le terrorisme, mais c’est également le discours politique qui
laisse penser que tous les Français
ne seraient pas les mêmes », assène M. Debah. Nabil Ennasri, lui,
y voit la volonté « d’exclure de la
normalité » les « musulmans qui
ont un minimum de référent religieux dans le débat politique ».
« Cet islam politique est diabolisé,
le seul islam accepté est un islam
soumis », accuse-t-il.
« C’est une polémique stérile pas
digne de l’enjeu », tranche M. Bencheikh. Abdelhak Sahli, président
des Scouts musulmans de France,
témoigne de la fragilité d’une partie des jeunes : « Avec ces polémiques, on travaille sur l’émotionnel.
Il y a une telle pression sociale sur
la
jeunesse
musulmane
aujourd’hui, que cela contribue
parfois à une sorte de révolte intérieure. Il faut faire attention. Il faut
qu’elle puisse se sentir aimée. »
Polémique sur les portiques de sécurité dans les lycées
Laurent Wauquiez, président d’Auvergne-Rhône-Alpes, veut équiper d’ici à la fin 2016 les établissements de la région
L
es attentats du 13 novembre ont entraîné un accroissement des contrôles de sécurité dans les établissements
scolaires : vérification d’identité,
fouille des sacs, rassemblements
interdits aux abords des écoles,
collèges et lycées… En AuvergneRhône-Alpes, le président de la
deuxième région de France, Laurent Wauquiez, a décidé de renforcer ces mesures, en installant des
portiques de sécurité à l’entrée
des lycées volontaires.
Huit jours après les attentats du
13 novembre 2015, le numéro
deux des Républicains, engagé
dans le scrutin régional, en avait
fait une promesse de campagne.
Le 21 janvier, il en a précisé les objectifs : la « lutte contre le trafic de
drogue », « les intrusions d’armes
à feu » ou d’éléments extérieurs,
la « protection dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme ». Reste
qu’au sein de la communauté
éducative l’expérimentation suscite à peu près autant de réserves
que les tests salivaires promis, en
Ile-de-France, par Valérie Pécresse
(LR). D’autant que l’idée n’est pas
tout à fait nouvelle : l’ancien mi-
nistre de l’éducation Xavier Darcos ou le maire de Nice, Christian
Estrosi, avaient déjà brandi le projet… vite abandonné.
Le président du conseil régional
d’Auvergne-Rhône-Alpes compte,
lui, prendre les sceptiques de vitesse, avec 15 lycées équipés « d’ici
deux mois », et tous ceux qui le
souhaiteront (parmi les quelque
320 relevant de sa compétence)
« d’ici à la fin 2016 ». Coût de
l’équipement : de 100 000 à
200 000 euros par établissement
(20 millions d’euros prévus au total).
Les mêmes critiques
« Dans les trois académies concernées, Lyon, Grenoble et ClermontFerrand, aucun proviseur de notre
réseau n’a été approché », assure
Gérard Heinz, le secrétaire départemental à Lyon du SNPDENUNSA, syndicat majoritaire parmi
les principaux et proviseurs, « à
l’exception du lycée de Moirans
[Isère] où Laurent Wauquiez a effectué un déplacement ». La commune avait fait parler d’elle, en octobre, après une émeute impliquant des gens du voyage. Coût de
L’ancien ministre
de l’éducation
Xavier Darcos ou
le maire de Nice,
Christian Estrosi,
avaient déjà
brandi le projet…
vite abandonné
ces portiques, difficultés pratiques, limites juridiques… le microcosme enseignant résonne
des mêmes critiques. « Prenez un
lycée d’un millier d’élèves, comptez
de 3 à 5 secondes pour que chacun
passe sous le portique – à condition qu’il ne traîne pas des pieds… Il
faudra plus de 70 minutes pour
faire rentrer tout le monde ! », ironise M. Heinz.
« Demandons-nous aussi à
quelle heure il faudra reporter le
début des cours ! », renchérit Frédérique Rolet, du syndicat d’enseignants SNES-FSU, majoritaire
dans les collèges et lycées, en dénonçant une « mesure inepte ».
« Inepte » : c’est aussi l’adjectif
utilisé par le chercheur Eric Debarbieux, anciennement « Monsieur harcèlement scolaire »
auprès du ministère de l’éducation nationale, qui n’a pas caché
sa réserve, le 27 janvier, devant
l’Association des journalistes éducation (Ajéduc) qui l’auditionnait.
« Les portiques non seulement
concentrent les personnes mais de
plus les fixent ; tout point de concentration est potentiellement une
cible », a expliqué ce professeur
en sciences de l’éducation.
Au-delà des discussions techniques, c’est un débat quasi philosophique qui affleure sur la réaction, la place, le rôle de l’éducation
nationale à l’ère de l’état d’urgence. « Dans notre pays qui a une
tradition de sacralisation de l’espace scolaire, je ne crois pas que
l’opinion publique ait réellement le
sentiment d’un problème de sécurisation des établissements, souligne M. Heinz. Cela dit, les chefs
d’établissement ont toujours en attente des demandes plus concrètes
et plus sensées en matière de sécurité : plus de personnels dédiés, des
grilles magnétisées, des loges repo-
sitionnées… » Un débat droitegauche ? Christian Chevalier, du
syndicat d’enseignants SE-UNSA,
dit réformiste, le suggère. « La
droite réactive le curseur “sécurité”
plutôt que le curseur “protection”
pour flatter l’opinion publique. Ce
faisant, elle renoue avec une conception de la jeunesse perçue
comme dangereuse et potentiellement délinquante », regrette ce
syndicaliste.
A droite, on nie tout retour en
arrière mais on assume la logique.
« Bien sûr qu’il faut anticiper, prévenir, surveiller… mais aussi détecter, sanctionner et punir », affirme
Annie Genevard, déléguée à l’éducation pour Les Républicains, par
ailleurs maire de Morteau
(Doubs). « Il y a encore dix ans, les
portiques ou la vidéosurveillance
pouvaient faire grincer des dents
en salle des profs. C’est aujourd’hui
dépassé côté enseignants mais
aussi côté parents et élèves », soutient l’élue. Une affirmation qui
laisse plus d’un enseignant songeur… A Morteau, en 2015, le lycée
a été équipé en caméras de vidéoprotection. p
mattea battaglia
Tous n’ont pas la même vision
de l’application de l’état d’urgence. Parmi eux, seul le CCIF appelait aux manifestations de samedi. Beaucoup, en revanche, ne
le contestent pas. « Il faut que la
justice fasse son travail », assure
ainsi M. Sahli. Pourtant, le projet
de déchéance de la nationalité
pour les binationaux condamnés
pour terrorisme ne passe chez
personne.
« Que dois-je dire à mes enfants
et à mes petits-enfants ?, s’insurge
M. Kettane. Se rassembler le 13 novembre et aboutir à la déchéance,
ça fait mal… » « Comme citoyen, je
trouve le débat oiseux, les arguments spécieux, regrette M. Bencheikh. Introduire dans la Constitution quelque chose qui discrimine les citoyens, cela altère quelque chose. » Sur cette réforme, la
fracture est nette. p
cécile chambraud
et julia pascual
J UST I C E
Grâce de Jacqueline
Sauvage : Hollande
se donne « le temps
de la réflexion »
François Hollande a reçu
pendant une heure, vendredi
29 janvier, les filles et avocates de Jacqueline Sauvage,
qui demandent la grâce de
cette femme de 68 ans condamnée à dix ans de réclusion pour le meurtre de son
mari violent. Selon son entourage, le président de la République n’a pas tranché et
se donne « le temps de la réflexion » avant de prendre sa
décision. – (AFP.)
POLI C E
Un nouveau fichier
européen diffusé
sur Internet
Les polices des 28 pays de
l’Union européenne ont
lancé vendredi 29 janvier un
site Internet qui affiche les visages, les identités et les parcours de criminels recherchés. Placé sous l’égide
d’Europol (un office des polices européennes basé à
La Haye), ce fichier accessible
au public comprend 42 personnes en fuite, dont trois
Français. Parmi eux, figure
l’un des organisateurs des attentats du 13 novembre, Salah
Abdeslam, recherché depuis.
enquête | 9
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
luc leroux
marseille - correspondant
E
l hamdou lillah ! Marseille a jusqu’à présent été épargnée par l’islamisme violent. » Pour Haroun
Derbal, l’imam d’Islâh, la mosquée du marché aux puces, c’est
« grâce à Dieu » que la deuxième
ville de France, la plus musulmane d’Europe,
échapperait au phénomène du djihadisme ;
pour d’autres, c’est en raison de sa sociologie.
Une exception d’autant plus étonnante pour
une ville portuaire, point névralgique et historique de tous les trafics, haut lieu du narcobanditisme, où cinq arrondissements sont
classés parmi les plus pauvres de France.
C’est pourtant dans ces facteurs que Raphaël Liogier, sociologue et philosophe à l’IEP
d’Aix-en-Provence, recense les antidotes marseillais au djihadisme. « Marseille est aussi la
ville où le tissu associatif de solidarité est le
plus intense, analyse-t-il. Les Marseillais pauvres ne se sentent pas exclus, à la différence de
villes comme Lyon, Bordeaux, Paris avec leur
centre-ville bourgeois et leurs banlieues livrées
à elles-mêmes. A Marseille, les minorités sont
dans le tissu urbain. » Pour le sociologue, la
« vieille tradition de régulation sociale par le
banditisme » joue son rôle. Les profils susceptibles de commettre des attentats sur le sol
français sont, selon lui, des individus attirés
par le statut de « “petit caïd” : or, à Marseille, il
y a des débouchés offerts – avant l’islam –
comme moyen de trouver cette reconnaissance, cette aura ».
Le narcobanditisme et l’économie souterraine de la drogue qui ont envahi de nombreuses cités siphonneraient-ils des « vocations » d’islamistes radicaux, comme ils
auraient empêché, en 2005, l’explosion des
quartiers Nord de Marseille alors que les banlieues parisiennes flambaient ? Un avocat pénaliste marseillais l’assure : « Les jeunes ont
moins envie de faire une révolution islamiste
lorsque, en bas de chez eux, ils peuvent gagner
100 euros par jour en faisant le guetteur. Ou
même beaucoup plus d’argent en dirigeant un
réseau, pour s’acheter un petit snack ou une
maison au pays. »
Cette analyse est radicalement combattue
par les autorités, police et justice confondues.
Au lendemain de l’agression, le 11 janvier,
d’un enseignant marseillais juif frappé avec
une machette par un lycéen revendiquant
agir « au nom de Daech », le préfet de police a
souligné qu’il ne fallait pas minorer le phénomène. « Même si tous ne sont pas prêts à passer le cap, certains ont des profils inquiétants.
La menace est la même qu’ailleurs. »
Au palais de justice, on se refuse également
à donner le moindre crédit au postulat selon
lequel le banditisme éviterait le terrorisme.
Au contraire même, la prégnance de réseaux
criminels dans la ville, en particulier dans
les cités, pourrait rendre l’accès aux armes
de guerre plus aisé qu’ailleurs. Les kalachnikovs qui servent à la trentaine de règlements de comptes commis chaque année à
Marseille entre trafiquants pourraient facilement tomber entre d’autres mains, considère un magistrat.
Aucune investigation ne démontre un soutien ou un financement d’un réseau de stupéfiants à l’islamisme radical, ni de djihadiste
avéré avec une velléité de départ vers la Syrie
ou l’Irak qui serait en même temps dans le
narcobanditisme. Les deux mondes sont décrits comme totalement étanches, bien que
les services surveillent étroitement la radicalisation en prison du patron d’un des plus importants réseaux de stupéfiants dans les cités. « Mais ça n’en fait pas un futur djihadiste,
indique un enquêteur. Je le vois mal partir
avec les autocars d’Eurolines vers la Syrie
quand il sortira de prison. Il a plus d’intérêts,
même en termes de reconnaissance sociale, à
reprendre son business. »
PEU DE SIGNALEMENTS
Mais ce fin connaisseur du banditisme marseillais s’inquiète davantage du « prolétariat »
du narcotrafic, les guetteurs, les petits vendeurs. Rien ne dit que ceux-là, estimant qu’ils
ne gravissent pas assez vite les échelons, ne
basculent pas dans le terrorisme. Du côté de
la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ),
qui suit des milliers de mineurs délinquants,
les éducateurs sont particulièrement attentifs aux signes de radicalisation. Très peu de
signalements sont pourtant remontés, au
point que la direction a soupçonné ses personnels de renâcler à dénoncer des adolescents en dérive. Ce n’est pas le cas.
Les dix-huit fonctionnaires qui travaillent
au renseignement pénitentiaire recensent,
eux, une cinquantaine de détenus radicalisés
à surveiller en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le
matelas par terre en cellule, la présence de livres salafistes, la venue au parloir d’une
épouse portant subitement la burqa… Le repérage donne lieu à une surveillance de ces
prisonniers et à leur isolement lorsque des
actions de prosélytisme sont mises au jour.
Avec 400 individus radicalisés et fichés « S »
JESSY DESHAYS
Marseille sourde
aux sirènes
Des villes face au djihad 3|3
La cité phocéenne serait parée d’antidotes
au départ de jeunes vers la Syrie.
Une thèse balayée par la police et la justice
dans les Bouches-du-Rhône, et une dizaine
d’assignés à résidence depuis l’instauration
de l’état d’urgence, le département se place
néanmoins dans une moyenne nationale.
Mais, en proportion, il y aurait moins de départs vers la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan depuis Marseille que depuis Nîmes, Montpellier, Lunel, Cannes et Nice où se recensent des
foyers idéologiques.
La ville serait-elle pour autant immunisée ?
C’est aller vite en besogne. En 2014, Marseille
a servi de base à Mehdi Nemmouche, l’auteur
présumé de l’attentat du Musée juif de
Bruxelles, qui a fait quatre morts le
24 mai 2014. Ce Roubaisien, radicalisé lors
d’une incarcération au centre pénitentiaire
de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône)
puis vraisemblablement parti rejoindre un
groupe combattant en Syrie en 2013, a, six
jours après l’attentat de Bruxelles, été interpellé à sa descente d’un bus à la gare routière
de Marseille.
La justice belge a mis en examen deux Marseillais, anciens compagnons de cellule de
Nemmouche considérés comme « les seuls
contacts ayant été en mesure de [lui] assurer le
financement nécessaire à son séjour à Bruxelles et à l’acquisition du matériel indispensable
à l’exécution des actes qui lui sont reprochés,
particulièrement les armes ». Selon les policiers français, l’arme de calibre 38 ayant été
utilisée par Nemmouche provenait d’Avignon. Ces complicités marseillaises prouvent
au moins que la ville n’est pas totalement à
l’abri de l’islamisme radical.
Des départs de Marseillais vers la Syrie ont
aussi eu lieu. Comme celui de Mohamed, un
fils de notables marseillais exerçant des pro-
fessions libérales, ayant pignon sur rue.
Avant son départ vers la frontière turco-syrienne, l’étudiant fréquentait deux mosquées de la ville et avait pris contact avec un
passeur régulier de futurs combattants de
Daech. Marseillais encore l’un des auteurs de
l’attentat déjoué contre des militaires du sémaphore du cap Béar (Pyrénées-Orientales)…
Régulièrement, les juges des enfants marseillais sont saisis pour signer des interdictions de sortir du territoire frappant des mineur(e)s qui ont manifesté le désir de rallier
Daech. Le parquet de Marseille a ainsi « bloqué » in extremis une mère de famille qui entendait partir faire le djihad avec ses très jeunes enfants. En janvier, un habitant de Marignane a été condamné à six ans de prison
pour un « délire djihadiste » qui l’avait conduit à s’armer et à préparer des explosifs. Cet
admirateur de Mohamed Merah n’avait jamais mis les pieds dans une mosquée ni ne
connaissait les rudiments de l’islam.
Haroun Derbal, l’imam de la mosquée du
marché aux puces, évoque, lui, ces matches
de foot où l’arbitre et les joueurs s’arrêtent
pour faire la prière, le club de boxe d’une cité
où l’on prie avant chaque entraînement et où
les filles boxent en voile. Mais, déplore
l’imam, c’est au sein de la famille que la radicalité gagnerait du terrain. A l’image de ce
père de famille, fiché « S », qui doit être jugé
en février par le tribunal correctionnel. « Si je
réveille mes enfants à 5 heures du matin pour
la première prière, c’est pour leur bien », a-t-il
expliqué aux policiers. L’allégation de violences sur l’aîné de ses enfants – placés depuis
juillet – a entraîné ces poursuites judiciaires.
Ce père de famille revendique une « pratique
L’UN DES
PRINCIPAUX
CONTREPOISONS
AU DJIHADISME
TIENDRAIT AUSSI
À LA PRÉSENCE
DE NOMBREUX
MUSULMANS
D’ORIGINE
ALGÉRIENNE
religieuse rigoriste, mais ce n’est pas pour cela
que j’irai poser des bombes ».
Sur les quatre-vingts salles de prières marseillaises, une demi-douzaine seraient dans le
viseur de la préfecture de police. Des perquisitions ont eu lieu, comme à la mosquée d’Air
Bel où la présence d’individus très radicalisés
vaut à cette importante cité des quartiers Est
de Marseille le surnom de « Petite Kaboul ».
Deux autres mosquées, celles de la cité Consolat dans le 15e arrondissement et de La Bastide
Saint-Jean dans le 12e, ont aussi été perquisitionnées. Des opérations jugées par la police
« très intéressantes en termes de renseignement et de connaissance des relations entre les
personnes ». A Consolat, un pistolet automatique et une somme de 130 000 euros ont été
saisis au domicile de l’associé d’un des responsables de ce lieu de prières. Les enquêteurs
penchent pour une « origine stupéfiants ».
« ISLAM DE CHIBANIS »
Mais les Marseillais musulmans – beaucoup
préfèrent placer en tête leur identité marseillaise – seraient protégés de la radicalité
par l’exercice d’un islam apaisé, « un islam de
chibanis [vieux] », selon l’expression de
l’imam Abdelaâli Kallab. Pour ce jeune imam,
la plus grande ville musulmane d’Europe –
on évoque le chiffre de 250 000 musulmans –
aurait pu « facilement être un foyer du djihadisme, un centre idéologique », mais elle ne
l’est pas devenue. Il se garde cependant de
parler d’une « poche de résistance » marseillaise, craignant toujours une dérive « qui
peut s’opérer par Internet ».
L’un des principaux contrepoisons au djihadisme tiendrait aussi à la présence de
nombreux musulmans d’origine algérienne
et aux liens encore très forts entre Marseille
et l’autre rive. « Avec 250 000 morts durant les
années noires, les Algériens sont vaccinés dix
fois contre le djihadisme », explique Abdessalem Souiki, imam itinérant et fondateur de
l’association La Plume des savoirs qui organise un soutien scolaire auprès d’une centaine d’élèves. Comme d’autres, il prêche
pour la création d’un collège d’imams et de
théologiens, « à l’instar d’une chambre des
métiers ou une chambre des artisans. Nous
aurions les moyens de faire le tri, de valider ou
non l’ouverture d’une salle de prière, mais il
faudrait un geste fort des autorités locales,
comme de mettre à la disposition des musulmans des lieux de prière salubres et dignes de
ce nom ».
Cette reconnaissance de la présence de musulmans à Marseille aurait dû se faire depuis
des années, notamment avec la construction
d’une grande mosquée. Une première pierre
a été posée en mai 2010, mais elle ressemble
bien à la dernière. p
FIN
10 | géopolitique
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Etats-Unis
La grande colère
du peuple
conservateur
Derrière l’engouement pour l’extrémisme républicain
d’un Donald Trump se profilent l’angoisse et la nostalgie
d’une classe moyenne blanche en passe de devenir minoritaire
REPORTAGE
nicolas bourcier
lakeland, winter haven (floride) envoyé spécial
P
olk County est un archipel
de la taille d’un confetti. Un
coin perdu de cette grande
Amérique, peuplé d’un peu
plus d’un demi-million
d’habitants éparpillés façon puzzle dans une dizaine de petites et
moyennes villes, plantées au cœur de la
Floride, entre la grouillante Orlando et
l’active Tampa, côté mer. Ici, 65 % des ré­
sidents se disent blancs, 18 % latinos et
14 % noirs. Le taux de chômage y est un
peu plus élevé qu’ailleurs. Les salaires, lé­
gèrement plus bas. Et les votes plutôt ac­
quis au Parti républicain, comme dans la
plupart de ces territoires éloignés des
grands centres­villes depuis la vague
conservatrice qui a accompagné l’élec­
tion de Ronald Reagan en 1980.
Avec ses églises et ses foires aux armes,
ses trailers parks (campings améliorés) et
ses préfabriqués, ses vastes étendues de
lacs et de champs d’orangers reliés entre
eux par la longue coulée d’asphalte de
l’autoroute Interstate 4 qui mène tout
droit au parc d’attractions Disney World,
Polk County évoque irrésistiblement
l’Amérique profonde. Celle des cols bleus et
de la petite bourgeoisie provinciale. Toute
cette classe moyenne blanche qui, dans
son écrasante majorité, a permis à George
W. Bush de l’emporter de justesse en 2000,
et préféré John McCain et Mitt Romney à
Barack Obama les années suivantes.
Polk County, c’est l’Amérique des gated
communities, cités closes et protégées,
pour lesquelles le rêve américain ne
devrait jamais s’éteindre. Une Amérique
du bas contre celle du haut, de Washington, de ces élites qui ne remplissent plus
leur rôle, de Wall Street et d’Hollywood,
toujours trop libérales, trop interven­
tionnistes et cosmopolites. C’est une
Amérique qui doute et s’inquiète,
comme l’indique un nombre croissant
d’enquêtes d’opinion. Celle où les
perdants, les losers, de plus en plus nombreux, frappés par les bouleversements
économiques, côtoient ceux qui gagnent
toujours plus. Celle qui ne fréquente plus
ce parc Disney World, pourtant construit
pour elle, en raison du prix élevé du tic­
ket d’entrée, passé de 3,50 dollars en 1971
à 105 dollars aujourd’hui.
C’est l’Amérique qui se surprend à
plébisciter les candidats républicains
« anti­establishment », les Donald Trump
et Ted Cruz. Celle où « il n’est question que
d’armes, de guerre et d’Etat islamique, de
flingues, d’impôts et de chômage », écrit
l’éditorialiste Charles M. Blow dans le
New York Times. Cette Amérique qui
déroute tant les observateurs et
commentateurs, d’ici ou d’ailleurs.
« TROP D’ÉTAT »
Pixie Rubin vit dans une de ces communautés fermées, près de Lakeland, la plus
grande ville du comté. La zone est
pavillonnaire, plutôt aisée, presque buco­
lique, les lotissements proprets. A 48 ans,
cette ancienne journaliste locale, devenue
éditrice parce qu’elle n’aimait pas poser de
questions – « Je suis timide », susurre­t­
« L’ÉCONOMIE
NE VA PAS TROP
MAL, MAIS SI
ON REGARDE
AU NIVEAU
DES SALAIRES,
ON S’APERÇOIT
QU’ILS NE
SUIVENT PAS »
DAVID MADLAND
chercheur
elle –, étale sur la table du salon ses diplô­
mes de l’école de tir comme d’autres affi­
chent un tableau de chasse amoureux.
Pixie a acheté son premier pistolet
Glock en mars 2015. Un deuxième le mois
suivant. « Pourquoi ? Parce que le pays va
mal, explique-t-elle. Parce que Obama est
un faible, parce que personne ne sait qui
va gagner en novembre, et parce que j’ai
peur. » Elle ajoute : « Le shérif nous a bien
expliqué que, si nous pensions qu’une attaque terroriste ne pouvait pas se produire
ici, nous avions tout faux. »
Pixie a été démocrate il y a bien longtemps. Comme ses parents, qui se disaient progressistes avant de voter républicain, « quand mon père a commencé à
bien gagner sa vie ». Elle dit avoir été bouleversée par les attentats du 11-Septembre. Ces attaques « ont tout changé, tout
détruit ». Comme beaucoup d’autres ici,
elle alterne ses sources d’information
entre la chaîne de télévision Fox News et
les animateurs de radio ultraconservateurs, qui ont fait profession de mettre
de l’huile sur le feu. Pixie lit Ayn Rand, la
prêtresse de l’ultralibéralisme et de l’individualisme exalté, et s’est rapprochée
des réseaux conservateurs : « Je ne me
considère pas comme une républicaine, je
suis une conservatrice constitutionnelle,
proche des libertariens. » Elle soutient le
candidat texan Ted Cruz, « parce qu’il est
ferme dans ses principes contre l’interventionnisme de l’Etat », et respecte Donald Trump, car « il symbolise la liberté de
parole, cette freedom [liberté] qui a fait
l’Amérique ».
Et puis ceci, toujours sur un même ton :
« Toutes ces années, j’ai vu les suppressions
d’emplois, les heures de travail réduites, les
salaires baisser. J’ai vu la classe moyenne
diminuer et souffrir. » Des mots qui font
écho aux enquêtes de terrain qui soulignent que la croissance économique de
ces dernières années a été inégale et peu
généreuse envers les familles américaines
ne disposant pas des revenus les plus
élevés. En Floride, où ce décrochage a été
un peu plus marqué qu’ailleurs, le Center
for American Progress, un think tank démocrate, note que les revenus de la classe
moyenne locale sont aujourd’hui plus bas
que ceux perçus à la fin des années 1980.
Pire, cette même classe moyenne, qui a
représenté pendant des décennies la majorité démographique aux Etats-Unis, servant à la fois de pilier sur le plan économi­
que et politique, n’est statistiquement
plus majoritaire depuis 2015, selon une
étude publiée en décembre par le Pew Re­
search Center. Ce segment de la popula­
tion a même perdu davantage en termes
de revenus. En données statistiques, les
Américains de la middle class sont passés
de 61 %, en 1970, à un peu moins de 50 %
de la population aujourd’hui. Leur part
dans les revenus globaux des ménages
est passée de 62 % à 43 % quand celle des
classes supérieures passait, dans le même
temps, de 29 % à 49 %.
« OBAMA-BASHING »
« L’économie ne fonctionne pas, sauf pour
les plus riches », avance David Madland,
auteur d’un essai intitulé Hollowed Out,
Why the Economy Doesn’t Work Without a
Strong Middle Class (« En voie d’extinction,
pourquoi l’économie ne fonctionne pas
sans une classe moyenne forte », non tra­
duit, 2015). Ce blocage a pour effet de pro­
voquer de la frustration et un sentiment
de trahison et, donc, selon l’auteur, « un
accès de colère général, perceptible autant
du côté républicain que démocrate ».
« Certes, précise­t­il, l’économie nationale ne va pas trop mal, le PIB est bon, le
chômage a même baissé, mais si on
regarde au niveau des salaires, on s’aperçoit qu’ils ne suivent pas. On a beau travailler durement, on a pourtant du mal à
s’en sortir, contrairement à il y a trente ou
quarante ans. L’endettement de la classe
moyenne a été multiplié par deux depuis
1989. Les coûts de santé, d’éducation, du
logement ont, quant à eux, augmenté à
une vitesse vertigineuse. »
De quoi alimenter frustration et an­
xiété. Et provoquer un regain d’« Obama
bashing » dans les cercles les plus
conservateurs. « La classe moyenne américaine décline et ne constitue plus la
majorité sous la présidence de Barack
Obama », a ainsi écrit récemment le site
Breitbart, omettant de préciser que la
tendance avait commencé avant son
arrivée à la Maison Blanche.
« Qu’a fait Barack Obama pour les
Blancs ? Qu’a-t-il fait pour la classe
moyenne ? Il est le pire président qu’on ait
géopolitique | 11
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
De gauche à droite : une des « gated communities », copropriétés fermées
très nombreuses aux Etats-Unis, ici à Lakeland, en Floride ; Pixie Rubin,
une éditrice de 48 ans, avec son arme devant l’église baptiste de Winter Haven,
et le centre pour vétérans de Lake Wales, toujours en Floride. DARCY PADILLA
eu », tranche Joel Miller, mécanicien militaire retraité, venu jusqu’à Pensacola,
au nord de la Floride, pour soutenir
Donald Trump dans un meeting à l’ambiance chauffée à blanc. A 70 ans, il dit
s’être inscrit au Parti républicain il y a
moins d’un mois, après des années passées aux côtés des démocrates : « J’ai fini
par changer après les derniers attentats
[à San Bernardino, en Californie, où 14
personnes ont été tuées par balles le
2 décembre 2015]. Obama n’a même pas
utilisé le terme “terroristes” ! En période
de crise, la politique, c’est agir et parler en
homme à poigne ! »
Reflet de ce blues de la classe moyenne,
Joel Miller en veut aux élus et aux immigrés sans papiers d’avoir « tué le marché
du travail en faisant plonger les salaires ».
« Prenez Los Angeles, 50 % des travailleurs
sont latinos, ils ont fait baisser les revenus
de 20 à 10 dollars de l’heure. » Comme
tant d’autres, qui s’expriment ici et là, il
souhaite une restriction drastique des
aides fédérales, alors que lui-même en
bénéficie. Un comportement paradoxal
en apparence mais profondément
logique pour quiconque soutient l’idée
que l’Etat « dilapide l’argent et le donne à
des personnes qui ne le méritent pas ».
Cette posture a été étudiée par Dean
Lacy, professeur de sciences politiques à
l’université de Dartmouth, dans le New
Hampshire. Ses recherches ont fait apparaître que le soutien aux candidats républicains, qui promettent traditionnellement des coupes dans les budgets
publics, a augmenté depuis les années
1980 dans les Etats où les gouvernements fédéraux dépensent plus qu’ils
ne perçoivent. Sa conclusion : plus la
dépendance est élevée, plus le soutien
aux candidats républicains est important. Joe l’affirme, à sa manière, sans
masquer son amertume : « Oui, je suis
pour réduire le rôle de l’Etat dans nos
vies. Cette dépendance est la source de
tous nos maux. »
TRAHISON
Ils sont une cinquantaine, sagement assis dans une salle de l’église baptiste de
Winter Haven, cité aux dizaines de petites étendues d’eau reliées par autant de
canaux, située au cœur de l’entrelacs
routier de Polk County. Comme chaque
jeudi soir, les convives assistent à leur
réunion dite du « 9-12 », du nom du
projet lancé en 2009 par la star de Fox
News, histrion et leader du Tea Party,
Glenn Beck, dans l’idée de retrouver le
sentiment nationaliste qui prévalait
après les attentats de 2001. L’assemblée
est âgée, des retraités pour la plupart,
quelques jeunes aussi, Blancs sans exception, tous issus de cette classe
moyenne, plutôt basse que haute. On y
parle élections, de ces « bons candidats »
qui se disputent la primaire républicaine, de la grandeur de l’Amérique, de
ces petits riens qui ont fait sa gloire, des
bénévoles qui œuvrent dans les communautés, de la Constitution qui permet librement de porter des armes. Tou-
Basée à
San Francisco,
Darcy Padilla
s’inscrit dans
la tradition de
la photographie
sociale et
documentaire.
« Commise
d’office auprès
des pauvres »,
comme dit
l’écrivain français
Emmanuel
Carrère, elle
s’intéresse
aux marginaux,
sans-abri
ou toxicomanes.
Darcy Padilla
couvre
les élections
américaines
de 2016 pour
« Le Monde ».
tes ces petites choses essentielles menacées par l’administration Obama et la
candidate démocrate Hillary Clinton.
« Vous n’imaginez pas à quel point les
gens sont en colère ! » Glynnda White n’a
pas l’habitude de mâcher ses mots pour
vilipender l’ensemble de la classe dirigeante. Seul Ted Cruz, « pour sa droiture
et son rejet du système fiscal », trouve
grâce à ses yeux. Originaire du Missouri,
engagée dans l’armée à 19 ans pour payer
ses études, diplômée d’un MBA en management, aujourd’hui installée à Polk
County avec ses trois enfants et travaillant à Orlando, cette jeune quinquagénaire aux longs cheveux blonds et au
rire sonore pourrait être un de ces symboles de réussite sociale à l’américaine.
« J’ai travaillé dur, mais la colère est
montée en moi comme jamais. »
Glynnda dit avoir toujours été républicaine : « Reagan a remis le pays à flot en
replaçant la morale au centre. Quand il
parlait, on se sentait en sécurité. Il faisait
sentir à quel point l’Amérique pouvait être
grande. » La décision de George W. Bush
d’injecter des milliards dans le système
bancaire afin de juguler la crise financière en 2008 – « Je lui ai envoyé un fax
pour lui demander pourquoi il nous avait
trahis de la sorte » – et l’élection de Barack
Obama finiront par rapprocher Glynnda
d’une droite encore plus conservatrice.
Pour elle, les défaites successives des républicains aux dernières présidentielles
illustrent précisément que leurs candidats n’étaient pas assez durs.
La génération Obama, résolument progressiste
san francisco - correspondante
A
écouter les rodomontades de la
campagne électorale, on croirait que l’Amérique a donné un
coup de barre à droite, du côté du populisme et de la xénophobie. La réalité
n’est pas aussi tranchée. Les années
Obama auront été celles d’évolutions significatives de la société américaine. Si
elles ne sont pas reflétées dans le processus des primaires, il ne faut pas en conclure qu’elles n’existent pas.
Il y a huit ans, aucun des prétendants à
la Maison Blanche n’aurait osé se prononcer en faveur du mariage entre personnes de même sexe. Barack Obama
lui-même avait des réserves, estimant
que le pays n’était pas prêt. Aujourd’hui,
les transgenres se sont engouffrés dans
la brèche. A l’été 2015, l’annonce qu’ils
pourraient servir dans l’armée, sans
avoir à se cacher, est pratiquement
passée inaperçue.
Il y a encore quelques années, l’idée
d’augmenter le salaire minimum était
audacieuse. Les centristes démocrates y
étaient opposés. Seuls les militants
d’Occupy Wall Street osaient proposer
de le porter à 15 dollars (13 euros) l’heure.
C’est ce qu’ont décidé de faire une série
de municipalités, comme Los Angeles,
qui s’y est engagée à l’horizon 2020.
La légalisation de la marijuana était
aussi un sujet tabou. Aujourd’hui, il n’effraie plus personne, et rares sont ceux
qui disputent aux Etats le droit de décider de la question. Le 8 novembre, en
même temps qu’ils voteront pour le président et le renouvellement d’un tiers
du Congrès, une demi-douzaine d’Etats
vont décider s’ils suivent l’exemple des
cinq Etats qui autorisent déjà le
cannabis à des fins récréatives.
Proposer de vider les prisons aurait été
suicidaire. Aujourd’hui, même les républicains veulent réformer la justice
pénale et les peines obligatoires établies
du temps de Bill Clinton. Les OGM ne
préoccupaient que quelques écologistes. Les tentatives d’obliger les géants de
l’agroalimentaire à inscrire sur les emballages la composition des produits
avaient été étouffées à coups de mil-
lions. Aujourd’hui, la mention « sans
OGM » figure sur un nombre croissant
de produits, à l’initiative de producteurs
convaincus que c’est devenu un
argument de vente.
Agnostique et moins nationaliste
Dans le magazine The Atlantic, le chercheur Peter Beinart défend l’idée que
l’Amérique a pris un virage progressiste
pendant la présidence de Barack
Obama, évolution comparable à celle
des années 1970. Pour lui, c’est le résultat
d’un basculement générationnel. Les
millenials, la génération Y, ont commencé à imprimer leur marque à la société. Certains vont voter pour la première fois. Leur poids dans l’électorat
pourrait s’élever à 30 %.
Les millenials sont résolument progressistes. Selon le Pew Research Center,
une majorité d’entre eux considère l’immigration comme une chance. La moitié trouve trop élevés les profits des
compagnies. Ils soutiennent (avec une
marge de 17 points) une extension de la
réforme de l’assurance-santé de 2010,
alors que les plus de 65 ans réclament
l’abrogation de l’Obamacare avec une
marge de 29 points. Le clivage droitegauche est moins appuyé. Sur nombre
de sujets, les jeunes républicains sont
plus ouverts que les démocrates de plus
de 65 ans. Un tiers d’entre eux seulement se rangent dans la faction conservatrice du mouvement contre deux
tiers pour leurs aînés.
Les millenials ont grandi avec l’Irak et
la récession. Pour Peter Beinart, ils forment la génération « la plus mélangée,
agnostique et la moins nationaliste » de
l’histoire américaine. En 2008, Obama
avait réussi à les amener aux urnes en
leur faisant miroiter la perspective de
changer le système. L’enjeu pour les candidats qui sortiront des primaires sera
de réussir à les remobiliser. Pas facile,
d’autant que la génération Facebook n’a
plus besoin de la politique pour faire
évoluer la société. Et que les candidats,
même s’ils tweetent à tout-va, ont plutôt l’âge de leurs grand-parents : Clinton
a 68 ans, Trump, 69, et Sanders, 74 ans. p
corine lesnes
Elle reconnaît que, dans les années
1970, les démocrates étaient plus conservateurs sur les questions culturelles,
plus proches des syndicats, défendant
les travailleurs et leurs salaires. « Mais ils
ont changé, ils ont ouvert les vannes de
l’immigration, déstabilisé notre marché
du travail et attaqué les valeurs traditionnelles du pays, la famille, la patrie. »
LA GLOIRE PERDUE DE L’AMÉRIQUE
Selon Ellis Moose, 70 ans, originaire de
l’Ohio et responsable local du Parti démocrate, ce sont les préoccupations morales
telles que l’avortement, le mariage
homosexuel ou le droit de porter des
armes qui ont détourné les électeurs des
véritables questions du quotidien, l’emploi, les salaires, l’éducation ou la santé :
« Trump a vite compris à quel point la base
républicaine était en colère avec l’establishment et son parti. Il a eu, en outre, l’habileté de mettre en avant son conservatisme
sur le terrain des valeurs. Et ça marche. »
Selon lui, le milliardaire new-yorkais
vise cette classe moyenne en crise, blanche surtout, celle de la génération des baby-boomers de l’après-guerre pour qui
les souvenirs de jeunesse ne riment
qu’avec bonheur et insouciance, mis en
images par la série télévisée « Happy
Days ». « Le slogan de Trump “Bring our
country back” [Ramenons notre pays sur
le devant de la scène] ne répond-il pas très
exactement à cette aspiration ? »
Il fait beau, le soleil poudroie les
feuillages, et un vent léger caresse les petits drapeaux étoilés. Au Center Crest,
cité pavillonnaire pour retraités, la vie
suit son cours comme si de rien n’était. A
peine si les panneaux « A vendre » des
maisonnettes, en bois pour la plupart,
rappellent par intermittence que la crise
n’en a pas totalement fini avec ses effets.
Dan Baer et Brad forment un de ces couples de retraités anodins, comme le pays
en compte tant, souriants, toujours
aimables et roulant dans leur voiturette
électrique au gré des humeurs et du
temps. De bons Américains, pas radicaux, enregistrés comme « indépendants » et qui votent sans faire de vagues, mais qui pensent aujourd’hui qu’il
faut faire le ménage, tourner cette page
du « trop-Etat ». « Pour nous, Trump est
trop agressif, admet Dan, il attaque les
gens sans pitié, tout cela n’est pas très
charitable. En revanche, Ted Cruz pourrait
être ce chrétien qu’il nous faut. »
Elle ajoute : « Prenez la dette du pays, ce
n’est plus tenable. Prenez notre pouvoir
d’achat, il s’est réduit de façon vertigineuse. Le prix de la nourriture a doublé en
dix ans. Même la valeur de notre maison
est passée de 75 000 dollars à 45 000 dollars. » Et de conclure en démarrant sa petite voiture : « Il faut changer ! » Comme
s’il fallait remettre les pendules à l’heure
de l’Amérique, celle qui avait fait sa gloire
il y a bien longtemps déjà. p
12 | géopolitique
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
1
Depuis le début du XXIe siècle, le
taux de mortalité des Américains
blancs d’âge moyen a cessé
de baisser pour remonter
de façon significative et unique,
comparée à tous les autres pays
développés. Ce retournement
concerne en particulier les
personnes les moins éduquées.
Il est dû à la drogue, à l’alcool,
aux cirrhoses et au suicide. Si
le taux de mortalité avait
poursuivi sa baisse au rythme des
années passées (1978-1998), un
demi-million de décès auraient
pu être évités entre 1999 et 2013.
Un mal-être de la classe
moyenne blanche...
En Amérique,
les Blancs ont le blues
UNE MORTALITÉ EN HAUSSE
CHEZ LES AMÉRICAINS BLANCS
TAUX DE MORTALITÉ,
pour 100 000 habitants âgés de 45 à 54 ans
AMÉRICAINS
BLANCS*
450
La classe moyenne américaine blanche regarde
le passé avec nostalgie et l’avenir avec angoisse.
Un malaise qui pourrait s’exprimer dans les urnes
400
AMÉRICAINS
HISPANIQUES
350
FRANCE
300
250
CANADA
200
1990
2000
3
2010
... et qui se concentre dans les Etats stratégiques
de la campagne présidentielle
EN PARTICULIER LES MOINS ÉDUQUÉS
ÉVOLUTION DU TAUX DE MORTALITÉ DES BLANCS*,
entre 1993 et 2013, selon le niveau d’étude
MOINS QUE
LE BACCALAURÉAT
+ 134 %
ÉTUDES SUPÉRIEURES
SANS DIPLÔME
UN SENTIMENT DE DÉPOSSESSION DES AMÉRICAINS BLANCS*...
Comté où les Blancs* sont minoritaires
Etat où la classe moyenne a baissé de plus de 7 % entre 2000 et 2013
Etat dans lequel il y a eu le plus de saisies immobilières en décembre 2015
–3%
DIPLÔME DE PREMIER
CYCLE UNIVERSITAIRE – 57 %
LIÉE À LA DROGUE, AU SUICIDE ET À L’ALCOOL
TAUX DE MORTALITÉ PAR CAUSE,
pour 100 000 Américains blancs*
âgés de 45 à 54 ans
DROGUES
30
CONNECTICUT
CANCER
DU POUMON
NEVADA
25
OHIO
ILLINOIS
NEW JERSEY
DELAWARE
SUICIDES
MARYLAND
20
MALADIES
CHRONIQUES
DU FOIE
15
TENNESSEE
NOUVEAUMEXIQUE
CAROLINE
DU NORD
DIABÈTE
10
0
2
La croissance de ces dernières
années a été inégale et n’a
principalement profité qu’aux
plus riches. Selon les statistiques,
les Américains de la middle class
sont passés de 61 %, en 1970,
à un peu moins de 50 % de
a population aujourd’hui. Leur
part dans l’économie a, quant à
elle, chuté de 62 % à 43 % quand
celle des classes supérieures
passait, dans le même temps,
de 29 % à 49 %. Enfin,
l’endettement de la classe
moyenne a été multiplié par deux
depuis 1989.
FLORIDE
2000
2005
2010
2015
... pour qui les frustrations
économiques s’accentuent...
CLASSE
INFÉRIEURE
MOYENNE**
LA CLASSE MOYENNE
N’EST PLUS MAJORITAIRE
RÉPARTITION DE LA POPULATION
EN FONCTION DU REVENU, en millions
80
1971
51,6
120,8
121,3
2015
12
73 392
7
54 682
26 496
18 799
IDAHO
4
WYOMING
3
24 074
2000
2014
UTAH
6
COLORADO
9
NEW HAMPSHIRE
10
DAKOTA
DU SUD
3
ARIZONA
11
5
NEBRASKA
5
KANSAS
6
49
43
**Pour une personne seule :
revenus compris entre
24 000 et 73 000 dollars par an.
Pour une famille de trois
personnes, fourchette comprise
entre 42 000 et 126 000 dollars.
29
10
9
1970
2014
IOWA
6
MISSOURI
10
OKLAHOMA
ARKANSAS
7
6
TEXAS
38
62
4
WISCONSIN
10
55
ILS PÈSENT MOINS DANS L’ÉCONOMIE
PART DES REVENUS DANS LES REVENUS
GLOBAUX DES MÉNAGES, EN %
*Américains blancs
non hispaniques
de la classe moyenne blanche
pense que la culture américaine
a changé en mal
DAKOTA
DU NORD
3
MONTANA
3
NEVADA
6
1970
62 %
174 625
118 617
76 819
des Blancs* pensent que la majorité
blanche perd en influence
… DONT LE POIDS ÉLECTORAL RESTE IMPORTANT
Comté où les Blancs* sont majoritaires
Etat acquis au vote républicain
Swing States (Etat qui peut alterner, d'un scrutin à l'autre,
entre les deux partis dominants et faire basculer le résultat du vote final)
55 Nombre de grands électeurs par Etat
LEUR DÉCALAGE AVEC LES PLUS
RICHES S’ACCROÎT
REVENUS MOYENS PAR MÉNAGE,
EN DOLLARS CONSTANTS (2014)
180 769
55 %
Le sentiment de dépossession des classes
blanches, confrontées à une Amérique qui change,
contribue certainement au succès du candidat
républicain Donald Trump.
En 2012, le Parti républicain a obtenu 54 % des
voix des électeurs blancs non diplômés
du secondaire, contre 37 % pour les démocrates.
Plus récemment, d’après un sondage
ABC-Washington Post, 40 % des électeurs non
diplômés du secondaire soutiennent Donald
Trump, soit cinq fois plus que ses concurrents
Ted Cruz (9 %) ou Jeb Bush (6 %).
SUPÉRIEURE
3
16
29
PENNSYLVANIE
OHIO
20
INDIANA
18
10 14
11
5
8
VIRGINIE
KENTUCKY
13
TENNESSEE
15
11
20
ALABAMA
9
MISSISSIPPI
16
6
8
LOUISIANE
9
4
11
7 4
DELAWARE
3
DISTRICT
OF COLUMBIA
3
CAROLINE
DU SUD
GÉORGIE
FLORIDE
29
ALASKA
3
HAWAÏ
4
TEXTE NICOLAS BOURCIER
Sources : « The American Middle Class is losing Ground », Pew Research
Center, 2015 ; « Rising Morbidity and Mortality in Midlife Among White
Non-Hispanic Americans », PNAS, 2015 ; « Drug Poisoning Deaths Involving
Heroin », NCHS, 2015 ; Census Explorer ; The Cook Political Report ;
RealtyTrac ; The Pew Charitable Trusts ; Public Religion Research Institute
INFOGRAPHIE FLAVIE HOLZINGER, HENRI-OLIVIER ET VÉRONIQUE MALÉCOT
géopolitique | 13
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
FranceEtats-Unis
« Les partis ont
cessé d’être
des lieux de vie
intellectuelle »
Candidats antisystème, hypermédiatisation de la vie politique,
big data… Les deux bords
de l’Atlantique sont touchés
par les mêmes évolutions
ENTRETIEN
propos recueillis par
jérôme gautheret et thomas wieder
J
oel Benenson est responsable de la
stratégie de la campagne d’Hillary
Clinton. Julien Vaulpré a quant à lui
été conseiller opinion de Nicolas
Sarkozy de 2007 à 2011. Ensemble, ils
confrontent leur vision de l’art de
mener une campagne présidentielle
en France et aux Etats-Unis.
Comment définiriez-vous l’état de
l’opinion aux Etats-Unis et en France
vis-à-vis de la nation, de la politique ?
Joel Benenson : Je pense qu’il y a un consensus assez large sur le fait qu’Obama a remis le pays sur pied au sortir d’une situation
désastreuse. Mais le problème est que les bases de la stabilité d’avant-crise se sont
effondrées… Les gens se sont adaptés, certains ont pris deux emplois, mais le sentiment de précarité et d’incertitude a explosé.
Julien Vaulpré : Je crois qu’il y a dans les
deux pays un pessimisme très fort ; aux
Etats-Unis, il est très lié aux effets de la crise
économique de 2008 ; en France, il est plus lié
aux difficultés du pays à entrer dans la modernité. La question économique est majeure
aux Etats-Unis, alors qu’en France, la majorité
des responsables politiques ont la conviction
que l’économie ne « fabrique » pas du vote.
Or, il n’y a pas de grand pays sans souveraineté économique forte. Le point commun
dans les deux pays, c’est que les citoyens sont
à la recherche d’outsiders qui symbolisent le
ras-le-bol des élites et du langage politique.
J. B. : Je ne suis pas certain que ce soit exactement pareil. Trump et les autres candidats républicains parlent aux gens qui sont fâchés, et
cette population est assez limitée. Il y a plus de
cinq ans, les républicains ont choisi de passer
alliance avec le Tea Party. Or c’est impossible
de diriger un parti à vocation majoritaire en
étant soumis à une telle faction. Ce que fait
Trump revient à flatter une base qui ne représente au mieux que 25 % de l’électorat. Or, dans
Joel Benenson et Julien Vaulpré.
M.CHAUMEIL/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
une campagne présidentielle, il vous faut une
stratégie pour aller des primaires jusqu’à
l’élection… De plus, selon moi, la France et les
Etats-Unis sont deux pays plutôt centristes.
Vous dites que nous sommes des pays centristes, mais vous soulignez que l’opinion
est très clivée. Comment, dès lors, concilier cette aspiration à convaincre l’autre
camp avec le besoin de mobiliser le sien ?
J. B. : Personne n’essaie d’avoir 100 % des votes, il s’agit d’avoir 50 % + 1 voix. Un candidat
doit savoir quelles valeurs, quels sujets lui
sont favorables et insister sur ces points. Mais
en parlant à une « cible » particulière, vous
parlez à tous.
J. V. : Aux Etats-Unis, il me semble que le système bipartisan est de plus en plus fort, que la
mobilisation de son camp prime sur la persuasion des indécis, et que le combat pour les
swing voters ne porte plus que sur 7 % à 8 % du
corps électoral. Les chaînes d’information
continue renforcent cette tendance : Fox
News et MSNBC sont très polarisées, et confirment surtout les valeurs de leur public.
Aujourd’hui, en France, on voit à l’œuvre deux
stratégies. L’une, celle de Nicolas Sarkozy, vise
à la mobilisation du noyau dur. L’autre tend à
persuader des indécis, c’est celle d’Alain Juppé.
La multiplication des « outsiders » extrémistes aux Etats-Unis ne témoigne-t-elle
pas d’une radicalisation de l’opinion qui
ferait écho à ce qui se passe en France ?
J. B. : Si vous regardez n’importe lequel des
candidats républicains actuels, leur popularité est bien plus faible que celles de McCain
en 2008 ou de Romney en 2012. En réalité, ces
candidats ne semblent pas mobiliser dans
leur électorat. Dans de nombreux « swing
states » [Etats qui peuvent alterner d’un scrutin à l’autre], ce manque d’approbation peut
s’avérer décisif au profit des démocrates.
Que nous apprennent l’histoire
et la science politique américaines
sur les primaires ?
J. B. : La différence la plus importante, c’est
que la primaire française est nationale. Aux
Etats-Unis, nous élisons des délégués pour des
conventions, qui désignent les candidats…
Mais dans tous les cas, je pense que le système
des primaires est très bon en termes de mobilisation. Les médias s’y intéressent, et plus les
électeurs se sentent impliqués, plus ils votent.
J. V. : Sur qui vote en France, l’enseignement
de la primaire de gauche de 2011 est que c’est
un électorat âgé, aisé, urbain, très CSP +. Et les
enquêtes sur la droite indiquent la même
chose : il s’agit d’un électorat très politisé, très
informé, très favorisé. Ensuite, il y a deux solutions : parler à peu de personnes très activistes, ou à une base plus large. Mais je ne suis
pas certain que si on a un vote plus large, cela
sera forcément plus modéré. C’est le pari
d’Alain Juppé mais, en fait, on n’en sait rien.
Ce qui me paraît certain, c’est qu’à un moment, les votants choisissent le meilleur opposant. L’antihollandisme risque d’être un
des moteurs lors des primaires de la droite.
Cela implique-t-il, aux Etats-Unis, que
les républicains choisiront finalement
le meilleur opposant à Clinton ?
J. B. : Je ne sais pas. C’est un parti en pleine
crise identitaire. En 2012, le parti a su analyser
les causes de sa défaite mais n’a rien fait pour
y remédier. Rien sur les primaires, rien sur les
candidats. L’autopsie qu’ils ont faite n’a eu
aucun effet, pourtant les résultats en étaient
très clairs. Par ailleurs, rien n’est joué. Ce n’est
pas une précaution oratoire, c’est la réalité
des faits. Qui se souvient qu’en novembre 2007, un an avant l’élection, le candidat
favori des républicains était l’ancien maire de
New York, Rudolph Giuliani, qui n’est même
pas allé au bout ? Les sondages actuels ne
veulent rien dire parce qu’ils sont nationaux,
et que la primaire se déroule Etat par Etat.
SUCCESS
En 2012, Donald Trump
lance « Success »,
son deuxième parfum.
Le premier, simplement baptisé « Donald
Trump The Fragrance »
avait été créé en 2004
avec Estée Lauder.
« Success » contient
« des notes aiguës
de genièvre, de gelée
de groseille, de coriandre, de fève tonka,
de géranium et
de feuilles de bambou ». Mais, dès
l’année de sa création,
une pétition est lancée
pour demander au
magasin Macy’s, à
New York, d’en cesser
la vente après les propos controversés du
magnat sur le changement climatique
et la nationalité
de Barack Obama.
AMAZON
Est-ce que l’introduction des primaires
en France contribue à une forme
d’américanisation de la vie politique ?
J. V. : Je pense que oui. D’abord c’est un
coup très fort porté aux partis, cela rappelle
l’époque des seigneurs de la guerre dans la
Chine des années 1920 : chacun son ambition, sa petite armée… Le parti est devenu un
cadre vide. Les partis ont cessé depuis longtemps d’être des lieux de vie intellectuelle
et, désormais, les ressources financières
sont de plus en plus fragmentées. Quant aux
programmes, personne n’en veut : on voit
avec quelle difficulté Nicolas Sarkozy a du
mal à dire qu’il y aura un socle commun. Ce
coup porté est très dur, car il déporte le débat vers les extrêmes : l’activisme de certains candidats leur confère une visibilité
médiatique, et par la suite une importance.
J. B. : Je suis d’accord, mais j’ajouterais une
différence : l’utilisation que nous faisons des
big data et de l’analyse de données. On peut
désormais avoir un impact considérable par le
biais des réseaux sociaux, avec des messages
numériques très ciblés. C’est particulièrement efficace avec les jeunes électeurs. Vous
parliez d’américanisation, mais comme vos
lois en matière de vie privée interdisent de
tels recours au big data, vous faites en réalité
référence à une américanisation qui aurait
douze ou seize ans. Pas à l’Amérique de 2016.
J. V. : Certes, les Etats-Unis sont une ploutocratie où l’argent domine, mais cela nous renvoie également à une vérité indicible : il n’y a
pas assez d’argent pour la politique en France.
Du coup, c’est la politique tout entière qui
souffre de paupérisation. Derrière ces questions, il n’y a pas que du marketing : il y a aussi,
plus largement, une manière beaucoup plus
professionnelle d’aborder les campagnes.
Ces données vous permettent d’arriver
à des ciblages très précis. Du coup, votre
principal travail comme responsable
de la stratégie se limite-t-il à toucher
ces populations très ciblées ?
J. B. : Non. Ma première responsabilité, au
contraire, est d’énoncer la grande stratégie et
le grand message, à l’attention de tout le
pays. C’est sur cela que je dois me concentrer.
J. V. : Maintenant, en réalité, il y a deux
campagnes aux Etats-Unis. Une « macrocampagne » visant à marteler auprès des
mass medias les messages clés et à installer
le leadership du candidat, et une autre campagne sur le terrain, via les réseaux sociaux,
dans laquelle ces nouvelles techniques sont
très utiles. En France, on ne fait que le premier type de campagne. On dit qu’on essaie
de faire la seconde, mais la législation
n’autorise pas d’avoir des fichiers politiques
individuels…
Revenons au « grand message ».
Chaque campagne est marquée par une
« controverse majeure ». Sur quoi vont
se jouer les élections ?
J. B. : Je pense que l’enjeu est de savoir sur
qui les Américains pourront compter pour
construire une économie qui serait de
nouveau au service des gens. L’économie va
rester le sujet majeur.
J. V. : En France, aucun candidat n’a encore
travaillé le sujet de la « grande controverse ».
Chacun a un petit territoire qu’il essaie de
consolider. Hollande, même avant les attentats, c’était l’unité, Sarkozy, c’est l’énergie,
Fillon, c’est le radicalisme des propositions
économiques… Il me semble que le candidat
qui l’emportera sera celui qui aura réussi à
gagner la bataille de la crédibilité à apporter
un changement réel.
On comprend que la réélection de
François Hollande est arithmétiquement
possible. Mais peut-on être réélu quand
l’impopularité est si enracinée, durable,
historique même ?
J. B. : En 2011, les républicains disaient : la
cote du président est de 42 %, le chômage est
à plus de 8 % et on n’a jamais réélu de président avec un taux de chômage de plus de
7,8 %. Ils alignaient tous ces chiffres comme
preuves de ce que Obama ne pouvait pas être
réélu. Et il est finalement devenu le troisième
candidat démocrate dans l’histoire à être
réélu avec plus de 50 % des voix. En France,
les attentats ont créé un climat nouveau, et il
y a trop d’éléments en jeu. Mais ma conviction est que n’importe quel président, à un
an et demi d’une élection, conserve des occasions de renforcer son image. Il est la voix dominante, celui qui obtient l’attention quand
il parle. Pour toutes ces raisons, s’il
manœuvre bien, François Hollande peut
tout à fait être réélu. p
14 | débats
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Huit cents plaintes ont été déposées
dans la ville allemande pour agression
sexuelle, après la nuit de la Saint-Sylvestre.
Comment interpréter cet événement ?
Après Cologne,
racisme ou sexisme ?
Gare aux indignations
sélectives !
Les agressions à Cologne
lors du Nouvel An ne
doivent pas être l’occasion
de stigmatiser les cibles
désignées par
une politique de la peur
par nacira guénif
A
près l’agression massive de
femmes qui fêtaient le Nouvel
An sur une place de Cologne,
une vague d’indignation partie d’Allemagne s’étend progressivement à toute
l’Europe. A mesure qu’enflent les accusations de silence et de complaisance,
rien ne semble contrecarrer ce nouvel
épisode de panique morale, qui se fracasse sur l’islamophobie, désormais la
mieux partagée. Afin de comprendre,
sans excuser, ce qui suscite une telle
émotion, il importe de démêler les
faits, en tant que tels, de l’écho qui résonne dans les médias et les opinions
publiques européennes.
Il est urgent de se démarquer des conclusions hâtives et partiales qui ne cessent d’être tirées sur la nature barbare
et la culture rétrograde d’hommes
nommés, en vrac, arabes, musulmans,
bruns, réfugiés, migrants. Toutes ces
appellations produisent déjà des dommages collatéraux. Reste à éviter d’alimenter un penchant très en vogue
pour l’amalgame, qui met en gage des
femmes devenues l’alibi d’un racisme
anti-arabe que beaucoup d’entre elles,
notamment en Allemagne, combattent
énergiquement.
PATRIARCAT
Certes l’encerclement et l’agression de
femmes n’est pas sans rappeler ces très
rares passages à l’acte, en marge de l’occupation – par des foules plurielles des
semaines durant – de la place Tahrir
au Caire, en 2011. Mais il n’autorise pas à
qualifier les hommes arabes mis en
cause à Cologne de barbares comparables aux violeurs en temps de guerre.
Ces délinquants, dont trop peu ont été
arrêtés et entendus, ne sont que de vils
opportunistes. Ils tirent profit d’un moment festif, s’approprient des corps féminins perçus comme disponibles,
parce que visibles et proches, pour
s’adonner au vol, au harcèlement
sexuel, voire au viol, pour les plus désinhibés d’entre eux. Si l’événement est
inédit et sidérant, en raison de son ampleur et du moment choisi, il n’en participe pas moins d’un ordre patriarcal
fondé sur la disponibilité de femmes tenues d’être accessibles et dociles.
Pour beaucoup d’hommes de par le
monde, la prédation visuelle prélude au
harcèlement. Convaincus de leur bon
droit, ils s’en prennent à des femmes de
tous âges en toute impunité et les réduisent à l’état d’objet sexuel. Il est, dès
lors, plus que suspect de surenchérir
pour faire diversion sur la violence
sexiste aussitôt qu’elle est le fait d’hommes arabes, jetant l’opprobre simultanément sur les minorités, les réfugiés,
les migrants et les musulmans. L’indignation a été immédiate, lorsqu’il a été
avéré que les faits avaient été tenus confidentiels pour des raisons qui oscillent
entre l’embarras de la police, qui doit
avouer son incapacité à les empêcher,
et la crainte d’aggraver le racisme ambiant. Mais qu’en est-il lorsque le silence persiste sur le harcèlement vécu
dans la solitude par des milliers de femmes qui arpentent les artères de grandes villes présentées comme des havres
de paix pour elles… tant qu’elles ne croisent pas un de ces Arabes, sans que cela
trouble la bonne conscience de sociétés
qui se proclament antisexistes ?
La seule séquence concomitante de
l’épisode de Cologne nous instruit sur
ce deux poids, deux mesures de la dénonciation véhémente et sélective des
violences sexistes. Qui s’est indigné du
sort réservé aux femmes réfugiées, devenues monnaie d’échange sexuelle,
tout au long du périple qui les conduit,
avec leur famille ou seule, de leur pays
en guerre au centre d’accueil en Allemagne ? Or un reportage, publié le
2 janvier dans le New York Times, retrace, dans la plus parfaite indifférence,
ces supplices auxquels des femmes
n’ont d’autre alternative que de se résoudre, en subissant le marché qui les
gage sexuellement pour assurer, à chaque étape, l’issue favorable de leur odyssée. Qui s’offusque des viols répétés
qu’endurent les ouvrières agricoles
sans papiers dans les exploitations aux
Etats-Unis, relatés dans un article du
15 janvier d’un journal anglophone ?
Enfin, qui a pris la peine de souligner –
en contrepoint des indispensables témoignages des femmes agressées, humiliées ou violées – le récit de cette étudiante américaine qui vit en Allemagne, secourue par des hommes, d’apparence arabe, contre ceux qui
l’encerclaient, et dont l’un d’eux s’est
avéré être un réfugié spontanément révolté par de tels agissements ?
Tous les sévices ne se valent pas et ils
sont soupesés, considérés et diffusés à
l’aune des femmes qu’ils atteignent par
des médias pétrifiés face aux stéréotypes éculés sur les Arabes, les Noirs et les
musulmans incivilisés et incivilisables.
Les femmes d’apparence blanche et hétérosexuelle sont plus susceptibles
d’être présentées comme des victimes.
Elles évincent, souvent contre leur gré,
les femmes considérées comme « différentes », au prétexte d’une ethnicité ou
d’une religion revendiquée ou assignée. Plusieurs aspects de cet épisode
se conjuguent et résonnent de façon inquiétante avec la politique de la peur
devenue un instrument de gouvernement liberticide et de surenchère sécuritaire sur fond d’intensification des attentats.
La militarisation des esprits ne fait
qu’aggraver la martialisation et la rectitude des corps masculins face à la
vulnérabilité de corps féminins supposés offerts alternativement à la violation et à la protection. En rejouant
cette fable, des hommes blancs hétérosexuels dominants, antisexistes de la
dernière heure, s’approprient tout
autant les femmes, qu’ils proclament
protéger, en les soumettant à leur conception des relations entre sexes, la
courtoisie en sus, que l’espace public,
qu’ils ordonnent selon leur norme
masculine et imposent à quiconque
veut y exister en tant que femme. C’est
toujours ainsi que les choses se passent : prendre la victime à témoin pour
mieux la réduire à l’impuissance. C’est
contre cela que des femmes se coalisent
désormais, en luttant conjointement
contre le sexisme et le racisme. p
CHLOE POIZAT
Les leçons d’un réveillon en Europe
Cette nuit sordide révèle
ce que l’on a trop longtemps
tu. Certains espaces sont
désormais interdits aux
femmes tant se sont
imposées les mœurs
de pays où leur présence
la nuit les désigne
comme prostituées
par claude habib
I
l y a près de trois siècles, Montesquieu faisait débarquer en Europe
des Persans – c’est-à-dire des Iraniens. Le jeune Rica se montrait à la
fois charmé par la franchise des Parisiennes et sidéré par leur légèreté de
mœurs. D’une plume allègre et caustique, il décrit les avantages et les inconNacira
vénients de cet autre rapport aux femGuénif
mes qui est propre à l’Occident : laisser
est sociologue les femmes se gouverner.
et anthropoloLes graves événements survenus à la
gue française, gare de Cologne et dans d’autres villes
professeure
européennes montrent que le choc est
des universités toujours le même, quoique certains
à Paris-VIII.
des nouveaux arrivants soient moins
Son ouvrage
disposés à décrire et comparer qu’à
Artisanes de li- faire main basse et violenter. Des combertés tempé- mentateurs ont avancé l’hypothèse
rées, les desd’une attaque concertée, en raison de
cendantes
la simultanéité des délits et des crimes.
d’immigrants
C’est absurde : les prétendues preuves
nord-africains d’une telle concertation se résument à
en France endes SMS ou à des rendez-vous sur les
tre sujétion et réseaux sociaux semblables à ceux
subjectivité
que les jeunes échangent en fin de se(Grasset, 2002) maine pour aller à la pizzeria. La seule
a obtenu
simultanéité, c’est la date du réveillon
le prix
qui a jeté dans les rues des foules comLe Monde de la posites, et mis en présence des peuples
recherche
pour qui la signification de la mixité
universitaire
n’est pas la même.
Il faut souligner la faible présence de
réfugiés syriens parmi les interpellés.
Ceux qui ont connu la Syrie avant la
guerre savent qu’on y voyait des femmes non voilées et des filles en minijupes, c’est-à-dire des chrétiennes. Les
populations savaient cohabiter.
Pour les jeunes fraîchement arrivés
du Maghreb, cette coexistence est inconnue, et il n’y a pas besoin de concertation pour profiter d’une si extraordinaire aubaine : des jeunes femmes, de nuit, sans défense. Pour la plu-
¶
part des musulmans du Pakistan ou
du Maghreb, une femme dehors de
nuit est une prostituée. Une femme
maquillée est une provocation
sexuelle. Une femme non voilée se désigne comme proie.
Habituées de plus longue date que les
Allemandes au contact des Maghrébins, les Françaises ont appris à faire
profil bas, notamment à troquer la
jupe contre le pantalon quand elles
doivent traverser des espaces où les
musulmans sont majoritaires. Les territoires perdus de la République furent
d’abord des territoires perdus pour les
femmes, tout un réseau de rues et de
places non mixtes, même de jour, et
des cafés dont nulle cliente n’ose jamais pousser la porte. Ceux qui découvrent avec « stupeur » le déchaînement
des attouchements et des viols qui a
marqué la nuit de la Saint-Sylvestre
auraient pu se demander comment, en
France, des espaces s’étaient progressivement vidés de celles qui auparavant
y vivaient librement. La réponse est
simple : par le même cocktail d’intimidation et de harcèlement, mais peu à
peu, à bas bruit, et surtout sans qu’on le
signale. Car c’est le contraire qui captait
l’attention.
NE PAS OFFENSER LE 9-3
Quand des jeunes des cités se voyaient
interdire l’entrée en boîte de nuit, la
presse a toujours accusé la stigmatisation de la jeunesse : on ne s’est guère
interrogé sur les raisons qui poussaient les tenanciers à se priver d’une
clientèle. La consigne de ne pas désespérer Billancourt fut relayée par celle
de ne pas offenser le 9-3. Les femmes y
ont perdu de leur liberté de mouvement et de leur assurance, dans l’indifférence générale. L’enfer de ce renfermement fut pavé de bonnes intentions.
La sous-information au sujet des violences subies par les femmes est la
seule excuse de ceux qui découvrent
aujourd’hui le problème. La politique
de l’autruche n’est d’ailleurs pas une
spécificité française. La police suédoise, confrontée aux mêmes conduites et aux mêmes crimes, dès avant la
nuit du 31 décembre, avait pris le parti
de dissimuler les faits, comme a tenté
de le faire la police de Cologne.
Tous les responsables – intellectuels
et journalistes, policiers et magistrats –
ont constamment minimisé les « incidents », tétanisés par la peur de réactions racistes, qui du reste existent bel
et bien, comme l’ont prouvé les mani-
festations néonazies de Dortmund.
Que faire ?
Il paraît inutile d’entonner la rengaine de l’éducation : en France, où les
populations maghrébines sont installées de longue date, et donc exposées
au système éducatif commun, l’hostilité à la mixité est intacte. Elle ne l’est
pas seulement chez les islamistes.
Chez l’épicier arabe, le sympathique
Djerbien ouvert tard le soir, on ne voit
dans la boutique que le patron, ses frères ou ses cousins. Il n’y a pas d’épicière
à la caisse. Fort heureusement, quelques individus peuvent s’émanciper
des lois de l’appartenance, mais globalement le monde musulman juge que
les femmes doivent être respectées, et
pour cette raison soustraites aux regards. Nous jugeons que les femmes
sont libres, et qu’elles font ce qu’elles
veulent de leur corps.
Devant une telle divergence, certains
en appellent à la tolérance, et d’autres à
la répression. En Autriche, Johanna
Mikl-Leitner, la ministre de l’intérieur,
a fièrement déclaré : « Une chose est
sûre, nous ne laisserons pas, nous les
femmes, notre liberté de mouvement
dans l’espace public reculer du moindre
millimètre. » Ce sont des rodomontades, car elle a déjà reculé. Le philosophe
Pierre Manent, quant à lui, conseille de
chercher des accommodements raisonnables avec cette partie de la population qui suit d’autres mœurs, car « les
relations entre les sexes sont un sujet
d’une telle complexité et délicatesse
qu’il est sans doute déraisonnable de
damner une civilisation sur cette question ». Sans damner qui que ce soit, on
peut espérer, pour les femmes comme
pour les juifs, un autre destin que de raser les murs.
Et puisque l’éducation est visiblement impuissante à modifier les
mœurs, il faut au moins que l’information soit attentive et impartiale, ce
qu’elle n’a pas été jusqu’ici ; il faut aussi
qu’une répression systématique et
proportionnée sanctionne les divers
manquements que les jeunes femmes
ont à subir et qui ne sont pas près de
cesser. Notre tâche collective est de
contenir, le plus humainement possible, la brutalité à laquelle elles sont et
seront confrontées. p
¶
Claude Habib
est essayiste et professeur
de littérature.
disparitions & carnet | 15
Daniel Fabre
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Anthropologue
Pckuucpegu. dcrv‒ogu.
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L’
anthropologue Daniel
Fabre s’est éteint le
24 janvier, à l’âge de
68 ans, à Toulouse, dans
cette région du Midi à laquelle il
était fortement attaché. Il laisse
derrière lui une œuvre aussi
dense qu’éclectique qui lui valut la
reconnaissance de nombreux
spécialistes de sciences humaines, bien au-delà de sa seule spécialité. Son rayonnement provenait en partie de la variété et de la
fécondité de ses approches qui faisaient de lui « un semeur d’idées,
de sujets, de projets », selon l’historien Yann Potin. Son fort charisme, son accent du Sud-Ouest
comme sa finesse n’étaient pas indifférents non plus à cette aura.
Son parcours fut celui d’un savant à l’esprit anticonformiste et à
la culture ouverte, difficilement
résumable sauf à dire que, spécialiste de l’étude des savoirs oraux
traditionnels et des cultures régionales, il est devenu, aussi, au fil
des années, un anthropologue de
l’art, du patrimoine, des institutions culturelles et un historien
de sa discipline.
Transmission orale des contes
Né le 21 février 1947 dans un quartier populaire de Narbonne, dans
l’Aude, élevé entre trois langues
(catalan, français et occitan), il enseigne dès 19 ans. Une activité
qu’il mène en parallèle à son premier grand sujet de recherche : la
transmission orale des contes. Situé dans le monde occitan, au
sein de cantons pyrénéens, ce travail de terrain, qui donne lieu à
une thèse et à un livre écrit avec
Jacques Lacroix (La Tradition
orale du conte occitan : les Pyrénées audoises, PUF, 1973), conduit
à la redécouverte de la tradition
orale, considérée jusqu’alors
comme disparue d’Europe.
De son intérêt pour la construction des identités locales découle
une série de recherches, parfois
englobées dans l’expression « vie
quotidienne », qui lui permet
d’entamer un dialogue fécond
avec les historiens. Production sociale de la virilité, carnaval, relation aux morts… : des thèmes
qu’il développe dans plusieurs articles et quelques livres (La Vie
quotidienne des paysans du Languedoc au XIXe siècle, Hachette,
1976 ; La Fête en Languedoc, Privat,
1977 ; contribution à L’Histoire de
la vie privée, tome 3, sous la direction de Philippe Ariès et Georges
Duby, 1986). « Il a su restituer un
monde imaginaire rural ancien
mais encore susceptible de résurgences qu’il savait retrouver au
cœur même de notre modernité »,
dit l’anthropologue Alban Bensa.
Naissance
Joanna et Nicolas
HACQUEBART DESVIGNES,
ses parents,
ont la joie de faire part de la naissance de
Alexandre, Jean, Stanislas,
le 24 janvier 2015, à Paris.
julie clarini
survenu à Paris, le 26 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-deuxième année.
Un recueillement, suivi de la crémation,
aura lieu le lundi 1 er février, à 9 h 30,
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Paris. Narbonne.
AU CARNET DU «MONDE»
Daniel Fabre participe également aux Lieux de mémoire sous
la direction de Pierre Nora (Gallimard, 1993) et garde, toute sa vie,
une forte curiosité pour les pratiques ordinaires de l’écriture et
pour l’autobiographie. Son Brigand de Cavanac, coécrit avec Dominique Blanc (réédité en 2015
chez Verdier/poche), est une merveille d’analyse.
Chemin faisant, Daniel Fabre,
devenu directeur de recherches à
l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a dirigé une
revue (Gradhiva) et fondé des laboratoires de recherche (le Centre
d’anthropologie des sociétés rurales avec l’archéologue Jean Guilaine, en 1978 ; l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain en 2006). Il est aussi à
l’origine, en 2000, du Lahic (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire sur l’institution de la culture), dont le titre dit bien le retournement qu’il opère, de la patrimonialisation du folklore à
l’interrogation sur les processus
de conservation et de muséification des arts et savoirs populaires.
Sensible aux « émotions patrimoniales », il voit dans ces dernières
un moyen d’accès à nos sociétés
postindustrielles. Il développe
aussi une réflexion sur les écrivains et les artistes. Bataille à Lascaux (L’Echoppe, 2014), son dernier ouvrage publié, en est issu.
Peu de livres, néanmoins, au regard d’une œuvre si profonde,
toujours située à des points de
friction (anthropologie/histoire ;
document/fiction ; sacralité/quotidienneté). « C’était un homme du
collectif, dit son collègue à
l’EHESS, l’historien Christian Jouhaud. Un homme d’articles plus
que de livres. Il a écrit des articles
magnifiques autant par la manière de penser que d’écrire. » Certains sont devenus des classiques.
Lui-même disait en 2013 : « J’aime
écrire des articles un peu comme
des contes. » L’un des derniers
qu’il a publiés fait allusion aux
bals d’été de son adolescence,
dans la montagne Noire. Il s’intitule : « Rock des villes et rock des
champs ». p
ancien professeur
au lycée Janson de Sailly,
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23 79 4: 4: 4:
23 79 4: 43 58
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21 FÉVRIER 1947 Naissance
à Narbonne (Aude)
1977 Publie « La Fête
en Languedoc »
1978 Cofonde le Centre
d’anthropologie des sociétés
rurales
2014 « Bataille à Lascaux »
24 JANVIER 2016 Mort
à Toulouse
M. Francis BUSSON,
8, rue Madame,
75006 Paris.
Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu.
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ANNA LABAN
ont la douleur de faire part du décès de
Eqnnqswgu. eqphfitgpegu.
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vjflugu. JFT.
fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu
En janvier 2015.
Mme Sylvie Busson,
son épouse,
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Ainsi que toute sa famille,
13, rue Bonaparte,
75006 Paris.
Le 26 janvier 2016,
Emmanuel DARLEY
a choisi de nous quitter,
laissant sa famille et ses proches
dans une immense peine.
Il nous reste de lui un souvenir lumineux
et des textes magnifiques, riches d’une
sensibilité profonde.
Les Éditions Verdier
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Emmanuel DARLEY,
écrivain,
le mardi 26 janvier,
à l’âge de cinquante-deux ans.
Nos pensées vont à
Mona,
Dominique,
Ses parents
Et tous ses proches,
qui l’ont accompagné.
M Betty Galdbart,
son épouse,
Le docteur Jacques Galdbart,
son ils,
Sa famille
Et ses amis,
me
ont la douleur de faire part du décès de
Décès
Mme Chantal Lesault,
sa compagne,
M. Lionel Beltrando,
son ils,
Toute sa famille,
Ses proches
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès du
professeur
Gérard BELTRANDO,
survenu le 28 janvier 2016,
à Maisons-Lafitte,
à l’âge de cinquante-neuf ans.
L’incinération aura lieu le mercredi
3 février, à 12 h 30, au crématorium
du Mont-Valérien, rue du Calvaire,
à Nanterre (Hauts-de-Seine).
Chantal Lesault,
2, avenue Poniatowski,
78600 Maisons-Lafitte.
Le laboratoire PRODIG
a la tristesse de faire part du décès
de son collègue et ami,
le professeur
Gérard BELTRANDO,
enseignant chercheur
à l’université Paris Diderot,
géographe et climatologue de renom,
membre très apprécié de l’unité.
L’ensemble du personnel présente
à sa famille ses très sincères
condoléances.
Simon GALDBART,
survenu le 26 janvier 2016.
Les obsèques ont eu lieu le vendredi
29 janvier, à 14 heures, au cimetière
parisien de Bagneux.
L’OSE,
Œuvre de Secours aux Enfants,
partage le chagrin de la famille,
à l’occasion du décès de
Simon GALDBART,
ancien enfant de l’OSE.
Mme Charlotte Lange,
M. et Mme Erik Akhund,
M. et Mme Eric Lange,
M. Nicolas LANG,
survenu le 26 janvier 2016.
Cet avis tient lieu de faire-part et de
remerciements.
Jean-Philippe Meunier,
son frère,
Les familles Meunier, Sulpice, Robert,
Princé, Legallet,
Marie,
sa idèle gouvernante,
Merci Maurice, nous pensons tous
à toi.
Gisèle Jouffray,
76, rue des Chardons,
38880 Autrans.
# # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+
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# # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %-
D E
1 9 8
P A Y S
Hors-série
Il avait deux passions : le service public
et la montagne sous tous ces aspects.
Jean-Philippe Meunier
[email protected]
Hors-série
Fatiha Sahraoui-Mostefaï,
son épouse,
Amine et Ghazi,
ses enfants,
Neil et Adem,
ses petits-enfants,
Nailya,
sa belle-ille,
Parents et alliés,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès, le jeudi 21 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-neuvième année de
Seghir MOSTEFAï,
Mensuel
ancien avocat,
membre de la délégation algérienne
signataire des accords d’Evian
du 19 mars 1962,
premier gouverneur
de la Banque centrale d’Algérie.
Collections
EGYPTOMANIA
Une collection pour découvrir la vie
et les mystères de l’Egypte des pharaons
Il a joué un rôle décisif dans le
dénouement de la crise entre les Etats-Unis
et l’Iran pour la libération des otages
américains à Téhéran et le dégel des avoirs
iraniens.
EGYPTOMANIA
LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE
Sésostris et le Conte de Sinouhé
La construction des pyramides
La pierre de Rosette
La tombe de Néfertari
Il a été inhumé le vendredi 22 janvier,
dans la terre de son pays qu’il a tant aimé.
36, rue Bourbia (ex-Luciani),
El Biar. Alger.
[email protected]
M. Claude Catala,
président de l’Observatoire de Paris,
M. Pierre Drossart,
directeur
du Laboratoire d’études spatiales
et d’instrumentation en astrophysique,
M. Thierry Forveille,
rédacteur en chef du journal
« Astronomy & Astrophysics »
M. Jean-Louis STEINBERG,
Maurice Jouffray, le plus jeune de
sa promotion des Gadzarts, a toujours été
en recherche de créations importantes.
C’est lui qui a eu l’idée des grues
hydrauliques sur camion et a trouvé de
nouveaux systèmes pour rendre plus
iables ces engins qui animent actuellement
nos chantiers.
+ A T L A S
Ses obsèques ont eu lieu le 9 décembre,
à Ardentes, en totale intimité.
Simon GALDBART,
survenu le 19 janvier 2016.
LE BILAN
DU MONDE
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE
survenu le 5 décembre 2015.
ont la tristesse de faire part du décès de
Maurice JOUFFRAY,
H O R S - S É R I E
ancien directeur
des Services iscaux de l’Indre,
conservateur des Hypothèques,
annonce avec beaucoup de tristesse
le décès de
a la tristesse d’annoncer le décès de
ÉDITION 2016
0123
Jacques MEUNIER,
L’Amicale des anciens
et sympathisants de l’OSE,
Gisèle Jouffray,
son épouse,
K En kiosque
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Et tous les personnels
de l’Observatoire de Paris,
membre de son conseil d’administration.
en vente
actuellement
ont la tristesse d’annoncer le décès de
LE BILAN DU MONDE | 0123
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
astronome de l’Observatoire de Paris,
survenu à Paris, le jeudi 21 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-quatorzième année.
Dès jeudi 28 janvier, le vol. n°3
Sésostris et le Conte de Sinouhé
La construction des pyramides
La pierre de Rosette - La tombe de Néfertari
Juin - Novembre
1941
1939 - 1945
Les Forces aéri
ennes français
ossa(1)
es
Les as français
Opération Barbar
de la Seconde
vers l’Ukraine
L’offensive au
Sud
el
Robert Kirchub Gerrard
Howard
Illustrations de
Guerre mondiale
Barry Ketley
Mark Rolfe
Illustrations de
Dès mercredi 27 janvier, le n°8
2 LIVRES : OPÉRATION BARBAROSSA(1)
et LES FORCES AÉRIENNES FRANÇAISES
La communauté astrophysique
salue la mémoire de ce grand homme
de science, fondateur de la station de
radioastronomie de Nançay en 1953,
précurseur de la recherche spatiale
en astrophysique en France, cofondateur
du journal « Astronomy & Astrophysics »
en 1968.
Avis de messe
Pour le dixième anniversaire
de la disparition de
Pierre POTIER,
une messe sera célébrée à son intention,
le mercredi 3 février 2016, à 12 h 15,
en l’église Saint-François-Xavier, place
du Président-Mithouard, Paris 7e.
« La Chimie est à la Biologie
ce que le Solfège est à la Musique. »
Hommage
Dès mercredi 27 janvier,
le volume n°22
ROYAUME-UNI ET BÉNÉLUX
Nos services
Lecteurs
K Abonnements
La Fondation de France
exprime toute sa reconnaissance à
M. Michel BERNARD,
décédé le 13 mai 2015,
dans le Val-d’Oise,
pour son legs généreux qui,
selon son souhait, contribuera à inancer
les actions prioritaires de notre fondation.
www.lemonde.fr/abojournal
K Boutique du Monde
www.lemonde.fr/boutique
K Le Carnet du Monde
Tél. : 01-57-28-28-28
16 | culture
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
LA MORT DE JACQUES RIVETTE
Jacques Rivette,
le mystérieux
de la bande
Fer de lance de la Nouvelle Vague, pilier
des « Cahiers du cinéma », expérimentateur
hors pair, le réalisateur de « L’Amour fou »,
« Out 1 », « La Belle Noiseuse » et « Va savoir ! »
est mort vendredi 29 janvier, à l’âge de 87 ans
D
es jeunes-turcs de la
bande des quatre qu’il
formait, quand ils
avaient 20 ans, avec
Jean-Luc Godard, François Truffaut et Claude
Chabrol, il était, de loin, le plus secret. Jacques Rivette est mort à Paris vendredi
29 janvier, à l’âge de 87 ans, après plusieurs années de lutte contre la maladie
d’Alzheimer, et le mystère qu’il emporte
dans sa tombe est aussi vaste que celui
qui continue de nimber sa filmographie.
Trente films au total, réalisés en un demisiècle, de 1949 à 2009, entre lesquels courent des passerelles souterraines, des systèmes d’échos cryptés, dont l’ensemble
constitue un formidable jeu de piste et
un terreau poétique fertile.
Critique aux Cahiers du cinéma à partir
de 1952, rédacteur en chef de la revue de
1963 à 1965, Jacques Rivette laisse aussi de
grands textes critiques et, plus largement, un héritage qui reste déterminant
dans l’appréhension de la modernité cinématographique.
Du très expérimental Out 1, variation
improvisée sur L’Histoire des Treize, de
Balzac, en huit épisodes (douze heures
quarante au total !), au classicisme de La
Belle Noiseuse, du dépouillement de Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot au
psychédélisme pop de Céline et Julie vont
en bateau, son œuvre a connu les mues
les plus extravagantes.
Son unité, bien réelle pourtant, se manifeste en surface par une fidélité à ses actrices – Bulle Ogier, Juliet Berto, Jane Birkin, Geraldine Chaplin, Sandrine Bonnaire, Emmanuelle Béart, Jeanne Balibar… – et à ses scénaristes – Jean Gruault,
Suzanne Schiffman, Pascal Bonitzer,
Christine Laurent… De manière plus cachée, elle tient à une éthique de la mise
en scène. En observant ses acteurs plus
qu’en les dirigeant, en laissant filer les
scènes sans couper, en évitant les gros
plans – en refusant, en somme, de morceler l’espace, le temps, les corps –, Jacques
Rivette préservait le mystère du monde,
et des êtres qu’il filmait.
En résulte des films longs, parfois très
longs, des intrigues cycliques, qu’il aimait
à truffer de messages codés, de manipulations en tout genre, parfois à double détente, de conspirations, souvent sans objet, mais qui pouvaient « susciter une réalité ». Cette dialectique du vrai et du faux
se traduit aussi dans le rapport au théâtre,
qui occupe une place très importante
dans son cinéma.
La Nouvelle Vague
Fer de lance de la Nouvelle Vague, Jacques Rivette en a donné le coup d’envoi,
en 1956, quand son court-métrage Le
Coup du berger, tourné en 35 mm dans
l’appartement de Claude Chabrol, est sorti
en salles. Tout au long du demi-siècle qui a
suivi, le cinéaste est resté fidèle à l’esprit
de liberté qui caractérisa ce mouvement,
et qui se traduisait chez lui par une quête
incessante du dérèglement. Sur ses tournages, en particulier, il distillait une forme
de désordre, d’inconfort, poussant ses acteurs à improviser, invitant tous ses collaborateurs à entrer dans la danse, espérant
ainsi provoquer l’accident, actionner la
magie du hasard.
Né à Rouen, le 1er mars 1928, Jacques Rivette sort de l’adolescence quand l’Europe
sort de la guerre, et l’horreur des camps
éclate au grand jour. Son rapport au
monde, et au cinéma, se forgera ainsi sous
le signe de la perte de l’innocence, comme
en témoigne son texte le plus célèbre, « De
l’abjection » (publié en 1961 dans Les Cahiers du cinéma), où il esquisse une éthique de l’artiste moderne, dont le regard a
été à jamais altéré par l’horreur (et dans laquelle la question de la représentation des
camps constitue évidemment le point critique). Sur un ton volontairement polémique, qui contribua à son retentissement –
le texte continue aujourd’hui encore d’enflammer les débats cinéphiles –, Rivette
attaque le travelling opéré par Gillo Pontecorvo dans Kapo, au moment du suicide
de la déportée qu’interprète Emmanuelle
Riva : « L’homme qui décide à ce moment
de faire un travelling avant pour recadrer le
cadavre en contre-plongée, en prenant soin
d’inscrire exactement la main levée dans
un angle de son cadrage final, cet homme
n’a droit qu’au plus profond mépris. » Poursuivant la réflexion sur la mise en scène
entamée par Luc Moullet (« la morale est
affaire de travelling ») et Jean-Luc Godard
(« les travellings sont affaire de morale »), il
oppose à l’« abjection », ainsi disqualifiée,
la justesse du point de vue de l’auteur, qui
est aussi un rapport au monde.
Avec Truffaut, Chabrol et Godard, qu’il
rencontre à la Cinémathèque à son arrivée
à Paris, en 1949, et avec qui il fonde La Gazette du cinéma, Rivette pose les fondements de la politique des auteurs, et du
« hitchkoco-hawksisme » – doctrine qui visait à établir une égalité de statut entre,
d’un côté, Hitchcock et Hawks, à une époque où ils étaient considérés comme des
faiseurs à la solde des studios, et Balzac de
l’autre.
Inventeur de dispositifs
Contrairement à ses camarades, il a déjà
réalisé un court-métrage, Aux quatre
coins, à Rouen, en 1949. Entre 1950 et 1954,
il en tourne deux autres, travaille comme
assistant de Jean Renoir sur French Cancan, opère la lumière sur des courts-métrages de Truffaut et Rohmer qui se sont
lancés entre-temps. Après Le Coup du berger, il met en chantier son premier longmétrage, Paris nous appartient, qu’il peinera longtemps à faire financer. Cette difficulté, qui lui collera à la peau tout au long
de sa carrière, le poussera à inventer des
dispositifs permettant d’exprimer plus
avec moins de moyens, comme l’explique
Martine Marignac, la productrice de ses
derniers films. Sur Jeanne La Pucelle, « Jacques a dit qu’il ne voulait pas filmer des batailles mais “une idée de bataille”. (…) [Il]
sait qu’on se situe dans un système économique hors du système classique – qui, de
toute façon, ne l’intéresse pas » (Jacques Rivette, secret compris, par Hélène Frappat,
édition Cahiers du cinéma, 2001).
Comme tous les titres des films de Rivette, Paris nous appartient renvoie à une
référence cachée, une phrase de Charles
Péguy en l’occurrence, « Paris n’appartient
à personne ». Enquête paranoïaque dont
l’objet, éclaté entre les trajectoires de dizaines de personnages, se dérobe en permanence, ce film met en crise le rapport traditionnel au spectateur. Celui-ci, comme
le pose Gilles Deleuze dans L’Image-temps
(Editions de Minuit, 1994), n’arrive plus à
s’identifier à ces figures « flottantes » de
marginaux que sont les personnages, ni à
trouver ses marques dans un Paris privé
de ses repères habituels.
Putsch aux
« Cahiers du cinéma »
Aux Cahiers du cinéma, la sûreté de son
jugement, la rigueur de son écriture inspirent le respect. « J’avais la réputation d’être
le Saint-Just de l’époque », concède-t-il à
Serge Daney, dans le documentaire Jacques Rivette, le veilleur, de Claire Denis
(réalisé dans le cadre de la série « Cinéastes de notre temps »). Désireux de faire
basculer la revue dans la modernité, il se
heurte, à partir de 1962, à Eric Rohmer, le
rédacteur en chef, mettant en question sa
« fascination » (et celle de toute une partie
de la rédaction) pour la beauté du cinéma
classique américain, appelant au contraire les critiques à se placer dans un rapport de « compréhension ». Rivette, qui
veut ouvrir les pages à la modernité européenne et aux nouveaux cinémas qui
émergent dans le monde entier, ainsi qu’à
d’autres disciplines artistiques et intellectuelles, prend le pouvoir à l’issue d’un
« putsch ». Il imprime à la revue un virage
théorique qui va la structurer en profondeur, et pour longtemps – et que symbolise une série d’entretiens avec des personnalités extérieures au cinéma comme
Roland Barthes, Claude Lévi-Strauss et
Pierre Boulez.
L’épisode, pour autant, est bref. En 1965,
après un an et demi passé à la rédaction en
chef des Cahiers du cinéma, il revient à la
mise en scène pour de bon et adapte La
Religieuse de Diderot (qu’il avait déjà montée au théâtre deux ans plus tôt). Illuminé
par la présence d’Anna Karina, ce film
d’une austérité monacale n’avait rien d’un
1ER MARS 1928 Naissance
à Rouen
1953 Premier article dans
« Les Cahiers du cinéma »
1961 Sortie de « Paris nous
appartient », tourné en 1958
1967 Sortie de « Suzanne
Simonin, la Religieuse
de Diderot », après la levée
de la censure
1971 Projection unique
des douze heures de
« Out 1 », qui ne sortira sous
cette forme qu’en 2015
1991 Succès critique
et public de « La Belle
Noiseuse »
29 JANVIER 2016 Mort
à Paris
brûlot mais s’est heurté à la censure avant
même d’être achevé. En en interdisant
l’exploitation, le gouvernement déchaîne
les passions du milieu du cinéma, Godard
en tête, qui adresse, dans les pages du Nouvel Observateur, une lettre vitriolée à André Malraux, surnommé pour l’occasion
« ministre de la Kultur ». Au terme d’une
bataille juridique, le film obtient l’autorisation d’être diffusé en 1967, assorti d’une
interdiction aux moins de 18 ans, et devient instantanément le plus grand succès de son auteur. La censure ne sera intégralement levée qu’en 1975.
A l’issue de cette affaire, Rivette remet
en question le primat du scénario. Pourquoi les acteurs ne seraient-ils pas le moteur du film ? Ou la musique ? Et pourquoi pas les décors ? Le portrait de Jean
Renoir, Jean Renoir, le patron, qu’il réalise
alors pour la série « Cinéastes de notre
temps », en adoptant la méthode de Renoir, c’est-à-dire en laissant venir les choses, en l’occurrence la parole du maître,
sans rien imposer, lui permet d’expérimenter ce qui va devenir sa marque de fabrique : un cinéma d’improvisation, de
dialogue entre et avec les comédiens. Ces
derniers, dorénavant, seront souvent crédités comme scénaristes de ses films.
Période expérimentale
Avec 1968, Rivette plonge dans une période expérimentale dont il n’émergera
qu’au tournant des années 1980. Avec
L’Amour fou, et plus encore avec Out 1, il
s’essaye à des récits déstructurés, improvisés, gravitant autour des séances de répétitions d’une troupe de comédiens. En injectant dans la fiction des gestes déphasés,
des actions non naturelles, le théâtre fait
exploser le réalisme. Pour Out 1 : Noli me
Tangere, le cinéaste s’inspire de la méthode de Jean Rouch : des acteurs qui inventent leurs propres personnages.
Dans cette fresque romanesque inouïe –
près de 13 heures découpées en huit épisodes, qui seront réduites à quatre heures
quinze dans la version « courte », Out 1 :
Spectres (qui peut être considérée comme
son chef-d’œuvre) –, il s’affranchit des limites admises du récit cinématographique pour embarquer son spectateur dans
une expérience de fiction hors normes,
dont il parie à raison qu’il sortira transformé.
Vient ensuite une séquence occulte, qui
commence avec Céline et Julie vont en bateau, sorte d’Alice au pays des merveilles
sous acide où, chaque fois qu’elles gobent
un petit bonbon, Juliet Berto et Dominique Labourier atterrissent dans un
monde parallèle bizarre, peuplé de personnages fantomatiques au teint verdâtre, avec qui elles revivent la même scène
sous des angles différents. En faisant
coexister ainsi les vivants et les spectres,
comme il fera coexister dans Duelle, le
film suivant, la lune et le soleil, Rivette
met en scène la dualité et l’ambivalence
du monde. Premier volet d’une tétralogie
intitulée « Les Filles du feu », qui ne comptera finalement que trois films, Duelle sera
culture | 17
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
« Le champion du geste libre »
Collaborateurs et admirateurs réagissent à la disparition du cinéaste
A
travers son goût du jeu et
de l’expérimentation, Jacques Rivette a fait bifurquer l’histoire du cinéma.
Pour Le Monde, une dizaine de compagnons de route évoquent le parcours du cinéaste.
Pascal Bonitzer : « Les films étaient
constitués comme des complots »
Critique, scénariste et cinéaste, il a coécrit tous les films de Rivette de 1984 à
2006 : « J’ai fait sa connaissance aux Cahiers du cinéma, en 1969. Il y était assez
présent, dans une position de maître à
penser ludique. Plus tard, sa productrice
Martine Marignac nous a mis en contact pour ce qui est devenu L’Amour par
terre. Sa méthode était de tourner un
scénario écrit au fur et à mesure du
tournage. Elle me semblait intéressante
et dangereuse. On avait le sentiment
d’écrire sur le fil, sans filet. J’ai apprécié
cette liberté. Jacques m’a donné le goût
des dialogues. Sans lui je n’aurais pas
réalisé de films.
C’était un metteur en scène très tenace. Il lui fallait une complicité avec ses
collaborateurs, le directeur de la photo,
le scénariste, les comédiens. Cette complicité reposait sur son charme, sur sa
capacité secrète de manipulation. Pour
ce balzacien, les films étaient constitués
comme des complots contre la façon
dominante de faire des films. Chaque
film était un défi à relever : la comédie
musicale dans Haut, bas, fragile, l’histoire dans Jeanne la Pucelle, la peinture
et Balzac dans La Belle Noiseuse.
Sur 36 vues du pic Saint-Loup, nous
écrivions toujours au jour le jour. Mais il
avait perdu la mémoire immédiate, il ne
se souvenait pas de ce qu’il avait tourné
la veille, c’était terrible et douloureux.
Jacques n’aimait pas la mort, il n’a jamais assisté à un enterrement. Il était
tourné vers le présent et l’avenir immédiat. »
DENIS DARZACQ/AGENCE VU
suivi de Noroît, une histoire de vengeance
dans un monde de filles pirates, et, trois
décennies plus tard, par Histoire de Marie
et Julien, variation sur Vertigo d’Hitchcock.
« Le monde
comme une idée »
Avec la fin des années 1970 vient la fin
des folies. La grisaille bleutée du Pont du
Nord, un de ses plus beaux films, en signe
symboliquement le deuil. Cette filature
dans un Paris en friche (les terrains vagues
en construction aux abords du canal de
l’Ourcq) qui réunit Bulle Ogier, sa fille Pascale Ogier (morte quelques brèves années
plus tard) et Pierre Clémenti, l’ange noir
de l’underground des années 1970, signale le début d’un nouveau chantier
dans lequel, sans renoncer à expérimenter, le cinéaste va embrasser des formes
plus classiques.
Le théâtre reste présent (L’Amour par
terre, La Bande des quatre, Va savoir !).
Mais la grande forme de cette glorieuse
période, et des plus grands films qui la
composent – Jeanne la Pucelle I et II, Haut,
bas, fragile, Secret Défense, Va savoir !, Ne
touchez pas la hache –, sera le roman d’apprentissage féminin, forme avec laquelle
Rivette, depuis Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, parlait le plus volontiers
de lui. Il y eut aussi La Belle Noiseuse, histoire de magnétisation réciproque d’un
peintre et de son modèle, dans laquelle il
explorait métaphoriquement, mais tout
aussi matériellement qu’un sculpteur sa
glaise, le rapport entre le cinéaste et son
actrice. Car, comme il l’écrivait dans Les
Cahiers du cinéma (« Revoir Verdoux »,
août 1963) : « Quel est le but du cinéma ?
Que le monde réel, tel qu’offert sur l’écran,
soit aussi une idée du monde. Il faut voir le
monde comme une idée, il faut le penser
comme concret. » p
isabelle regnier
Jean Narboni : « Un exemple
de rigueur, de tranchant »
Critique, il a écrit à partir de 1963 aux
Cahiers du cinéma, sous la direction de
Rivette : « Rivette était pour moi le plus
grand critique des Cahiers. Un exemple
de rigueur, d’écriture, de tranchant. On
ne pouvait le voir qu’à condition de travailler avec lui. Il était littéralement immergé dans le cinéma, ce qui ne l’empêcha pas d’ouvrir les Cahiers à d’autres
disciplines, comme la psychanalyse ou
le structuralisme. Un jour, il s’était mis
en tête, de manière un peu délirante, de
travailler le rapport du cinéma aux
mathématiques : nous avons dû nous y
mettre, à raison de quelques cours par
semaine, mais ça n’a heureusement
pas duré trop longtemps. »
Jean-Louis Comolli : « Le rire du chat
d’Alice »
Critique et cinéaste, il a dirigé Les Cahiers du cinéma de 1966 à 1971, à la suite
de Rivette : « Jacques était un rieur. Je
me souviens voir son rire pour ainsi dire
détaché de son visage, flottant, le rire du
chat d’Alice, insituable. Ni mépris, ni supériorité, un étonnement, seulement,
celui d’un enfant qui aimait filmer les
femmes et qui n’avait pour cela besoin
d’aucun laissez-passer de scénario. Rivette filme à peu près toujours la même
situation : celle de l’improbable rencontre de chacun (chacune) avec son autre.
Les chemins se croisent et les corps s’évitent, et voilà pourquoi ça dure, pourquoi ça n’a pas de fin. Tout est aimanté,
les corps, les paroles, les gestes, les nuages, tout s’attire sans s’atteindre. »
André Téchiné : « J’étais fasciné
par ses rituels magiques »
Critique et cinéaste, il a côtoyé Rivette
aux Cahiers du cinéma, puis sur le
tournage de L’Amour fou (1968), où il
fut assistant réalisateur : « C’est Rivette
qui a insisté pour que Les Cahiers publient ma première critique, sur La Peau
douce, de Truffaut. J’ai eu l’occasion de
le croiser, à la revue. Il adorait les films
qui “partent dans tous les sens”,
comme il disait en jubilant. Le tournage
de L’Amour fou a été pour moi le contraire d’une école. J’étais fasciné par ces
rituels magiques et enfantins qui se
mettaient en place devant moi. Ses
films étaient des expériences radicales,
follement excitantes, l’équivalent d’un
abandon. Je ne connais pas un cinéaste
qui se protège moins que lui. »
Axelle Ropert : « C’était
l’intransigeance même »
Critique et cinéaste, elle a réalisé deux
longs-métrages : « Rivette, c’était l’intransigeance même. Elle nous manque
parce qu’elle se doublait mystérieuse-
ment d’un sens inouï de la rêverie. On
dit souvent que les grands rêveurs sont
bien gentils, mais qu’ils sont loin du
monde. Et moi je dis : comment
peut-on être un grand rêveur si ce n’est
justement en observant le monde ? »
Christine Laurent : « Comme
un danseur inventant ses figures
sur le rythme de la mélodie »
Actrice, scénariste et cinéaste, elle a
coécrit neuf films de Rivette, de 1989 à
2009 : « Jacques voulait que ses films
soient une aventure pour son équipe et
ceux qui les verraient. Nous, ses complices de travail, nous étions comme des
sœurs et des frères, conspirant à construire des histoires d’adultes, avec
l’énergie et la gravité de l’enfance. Agencer les histoires et les dialogues, mettre
en scène, monter, toutes ces phases ne
formaient qu’un arc. Et lui seul détenait
l’intégralité du geste.
Au moment de tourner, il était à l’affût, prêt à capturer l’imprévu, le presque
rien qu’il transformerait en occasion. Il
ressemblait à un danseur inventant ses
figures sur le rythme de la mélodie qu’il
avait en tête. Aussi, de son corps à celui
de ses acteurs, se transmettait une sorte
de fluide qui enchantait la séquence.
C’était le champion du geste libre. » p
propos recueillis par clarisse
fabre, jacques mandelbaum,
franck nouchi, thomas sotinel
et aureliano tonet
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sur LeMonde.fr
Bulle Ogier : « Il disparaissait
deux jours… puis revenait »
Actrice, elle a joué dans sept films de
Rivette, de 1969 à 2007 : « Je voudrais
parler du bonheur d’avoir rencontré
Jacques, je ne veux pas rester dans ma
tristesse, qui est pourtant très grande.
Ce bonheur, c’était de préparer les films
avec lui, autour d’une table, à partir
d’inspirations, de discussions littéraires, d’une idée qui l’emmenait vers
autre chose. Sur un tournage, il pouvait
disparaître deux jours, les producteurs
le cherchaient partout, inquiets… Puis il
revenait. »
Marcel Bozonnet : « Une culture
immense, sans surplomb »
Comédien, il a joué dans Out 1 (1971) et
Jeanne la Pucelle (1994) : « J’ai été un
collaborateur occasionnel, un homme
de théâtre qui a frôlé son univers. Je me
souviens de sa gentillesse, de sa culture
immense. Il pouvait passer une soirée à
refaire l’histoire du kodachrome ! Il y
avait chez lui quelque chose qui poussait vers la camaraderie, il était disponible, ne surplombait pas les personnes. »
TÉLÉRAMA
COUP DE CŒUR
André Marcon : « Il s’est mis à réciter
“L’Après-midi d’un faune” »
Comédien, il a joué dans trois films de
Rivette, de 1994 à 2009 : « Avec Jacques, j’ai vécu des tournages heureux,
ce qui est exceptionnel. Il avait la légèreté, la gravité, la précision. Un jour, sur
Haut, bas, fragile, on a eu un problème
technique. Il s’est assis sur un lit, et s’est
mis à réciter L’Après-midi d’un faune,
le poème de Mallarmé. Pendant ce
temps, les techniciens ont résolu le problème. C’était merveilleux. »
Martine Marignac : « Il arrivait
avec une idée, sans prévenir »
Productrice, elle a collaboré avec Rivette de 1981 à 2009 : « Au fil du temps,
la méthode de Jacques n’a guère
changé. Il arrivait avec une idée, sans
prévenir. Cette idée était souvent un
désir de comédien. Il avait suffisamment d’intuition et de connaissance
pour ne pas se tromper.
Pendant le tournage de 36 vues du
pic Saint-Loup, il était conscient d’être
Julie Bertuccelli dans ELLE
UN FILM DE NAËL MARANDIN
QIU LAN
CRÉATION
Jacques Rivette,
en 1998.
malade. Toute l’équipe était au courant, l’a aidé. Cette notion de troupe a
joué à plein. C’était un homme de culture dans un sens que l’on ne connaît
presque plus aujourd’hui, qui récitait
par cœur des pages entières de Balzac.
La maladie est tombée sur cette mémoire d’éléphant. On a vécu ça comme
la pire des mutilations possibles. »
YA N N I C K C H O I R AT
/LaMarcheuse
LOUISE CHEN
PHILIPPE LAUDENBACH
AU CINÉMA LE 3 FÉVRIER
REZOFILMS.COM
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Entre fusion et confusion, le raï s’emmêle les micros
Au Zénith de Paris, le concert célébrant les 30 ans de l’émergence du genre en France a laissé un sentiment mitigé
MUSIQUE
K
adher est venu avec Najim, depuis Amiens,
pour fêter « les 30 ans du
raï », vendredi 29 janvier, au Zénith de Paris. Ils ont eux
aussi la trentaine, et espèrent une
belle fête qui rassemble. « J’avais
un peu peur, parce que cette musique a toujours été menacée par les
terroristes, mais il y a un bon service
d’ordre ici, c’est rassurant. C’est dur
pour nous les musulmans, mais
moi j’aime tout le monde, les juifs,
les chrétiens… On est là pour s’amuser et oublier tout ce qui se passe en
ce moment ! »
Les deux amis ont, comme beaucoup, entendu parler du festival de
raï de janvier 1986 donné à la Maison de la culture de Bobigny, qui
avait révélé en France les étoiles
montantes de la scène oranaise,
Cheb Khaled, Cheba Fadela, Cheb
Mami ou encore Cheikha Rimitti.
Khader et Najim venaient de naître. Trente ans plus tard, ils comptent bien entendre quelques « anciens », adulés de leurs parents,
mais surtout se déhancher sur les
rythmes « Raï’n’B » et les vocalises
électroniques de leurs idoles, qui
passent en boucle sur Skyrock ou
Beur FM.
C’est là le défi de Michel Lévy, l’organisateur de l’événement : faire
cohabiter les générations et prouver que le raï n’est pas mort. C’est
aussi l’espoir que caresse Jack
Lang, qui s’éclipse aux prémices
du concert, pour aller boire un
verre à l’extérieur ; dans la salle, il
n’y a pas d’alcool, et les jeunes se
consolent avec des bouteilles
d’eau et des cannettes de soda. Le
président de l’Institut du monde
arabe affiche son sourire radieux :
« C’est une nation unie et multiple
qui chante. Cet héritage africain,
hébraïque, berbère, nous devrions
le faire nôtre. Ce concert est un
hymne à la fécondation mutuelle. »
Nous aussi on a envie d’y croire,
et pourtant, en pénétrant à l’intérieur du Zénith, on a un petit pincement au cœur, malgré le bon esprit qui règne dans le public. Audessus d’une fosse clairsemée,
quelques drapeaux algériens dansent dans les airs. Sur scène, des
écrans diffusent un terne jeu de lumières aléatoires, et DJ Kim, l’animateur de Beur FM, joue au Monsieur Loyal, s’agite, tente de faire
grimper la température : « Faites
du bruuiiiit, le Zéniiiith ! »
Après les tristes blagues de l’humoriste Yaniss Kebab, arrive la
Rachid Taha, vendredi 29 janvier, au Zénith de Paris. FRANCIS VERNHET/DALLE APRF
Tout est
millimétré, pas
de place pour
l’improvisation,
alors que
le lâcher-prise
est l’essence
même du raï
jeune et belle Fella Japonia, dans sa
longue robe émeraude. Sa voix
trempée transperce l’orchestre ;
son pop raï raconte l’amour et la
nostalgie du pays. Fella Japonia
doit son nom d’artiste à ses grands
yeux bridés. Elle a étudié au conservatoire de Tlemcen et s’est imprégnée des mélismes des chanteuses ancestrales Meddahat oranaises, ces ensembles féminins
qui chantent les louanges au prophète. « En Algérie, c’est encore mal
vu de chanter quand tu es une
femme, tu te fais insulter, dit-elle.
Dans le raï, je m’exprime comme je
veux, sans détours, j’aime, je bois, je
raconte les difficultés de la vie, je
donne tout. » Son mari, Yacine Allag, est son premier fan. Ancien
plombier chauffagiste, il est à la
fois son parolier et son manager.
Mais tous deux sont un peu frustrés car elle n’a pu chanter que
deux chansons. Ici, tout est milli-
métré, pas de place pour l’improvisation, alors que le lâcher-prise est
l’essence même du raï. Fella Japonia remercie les musiciens qui
vont jouer pendant trois heures.
Le chef d’orchestre aux claviers et
aux machines, Amine Dehane,
anime une émission de musique
live sur la première chaîne algérienne. Il s’est entouré de grands
noms, comme Djaffar Bensetti, le
trompettiste de Khaled, majestueux en costume trois-pièces, et
de l’oudiste et violoniste Nasro Begdhad, un fidèle de Mami.
« On s’est fait carotter »
Khaled, Mami, Faudel : tous ici se
demandent si l’un d’eux viendra.
A chaque fois que DJ Kim annonce
une vedette, les yeux brillent dans
la foule. Mais les hommages pleuvent, et toujours pas de chanteur
de légende. C’est au tour du jeune
Serani d’entrer en scène. Il reprend
Ghi Cheftha Khatfat, de Cheb
Hasni, assassiné en 1994, à Oran,
par des fondamentalistes.
Dans la salle, des petits groupes
font la ronde. D’autres, la mine déconfite, quittent le navire. Assise
sur les gradins, Soraya, 56 ans, est
venue de Bruxelles pour revoir les
anciens. Elle était à Bercy le
26 septembre 1998 lors du fameux
concert 1, 2, 3 Soleils, avec Faudel,
Khaled et Taha : « C’était grandiose,
et Rachid Taha, comme il était
sexy ! Là, c’est bien toute cette jeunesse, je suis rassurée de voir qu’il y
a beaucoup de femmes qui s’amusent, mais je ne m’y retrouve pas.
J’espère une apparition… »
Soraya s’arrête net au son d’une
nouvelle voix : Youness, qui avait
enflammé l’émission « The Voice »
en 2014 avec la chanson Abdel Kader, serait-il la réincarnation de
Cheb Mami ? Le nouveau poulain
de Michel Levy est l’une des stars
de la soirée. Sourire, regard de velours, belle tessiture, le jeune
prince capte l’auditoire. L’orchestre se fait plus intime, la trompette
andalouse de Djaffar embrasse
l’oud subtil de Nasro, et voici Cheb
Hamid, vieux compagnon de Khaled, qui était à Bobigny trente ans
plus tôt. Mais l’accueil est assez
froid, Cheb Hamid est méconnu
chez les plus jeunes.
Le miel nous est vite confisqué,
Rami le magicien fait son entrée. Il
devait faire disparaître une colombe, il fait surgir les huées du
public et se réfugie avec son
oiseau côté jardin. Un membre du
staff prend le micro pour démen­
tir une rumeur qui circule depuis
quelques jours sur les réseaux so­
ciaux : les bénéfices de la soirée
serviraient à financer une école en
Israël, ce qui expliquerait pourquoi certaines stars programmées
auraient boycotté le concert…
De fait, la moitié des artistes annoncés ne sont pas venus. Parmi
les absents : Cheba Fadela, la
grande Zahouania, Mister you, Dj
Sem, Rim-K, Cheb Khalas… Les
huées reprennent de plus belle, la
fusion fait place à la confusion.
C’est dans cet étrange climat que
Rachid Taha rallume l’électricité.
Avec son chapeau, ses lunettes et
sa veste de la garde royale, il balaye
les polémiques d’un revers de
rock’n raï. Droit dans ses bottes, il
prévient en arabe : « Moi, je n’ai pas
besoin de faire de discours, la réponse, elle est devant moi, et qu’il
aille au diable celui qui ne nous
aime pas ! » Avant d’entonner son
hymne chaâbi, Ya Rayah, repris
par toute la salle. Taha fait durer,
honore les musiciens, joue bruitiste, post-punk, déchaîne la tradition, laisse place à un émouvant
solo de trompette improvisé,
donne enfin du sens à cette histoire, comme s’il était le seul capable de réunir et de donner son opinion – juste traduction du mot
« raï ».
Fin du show, lumière blanche, silence fracassant. Quelques personnes jettent des bouteilles d’eau
et protestent : « On s’est fait carotter ! Moi je suis venu avec ma sœur
de Lyon, on a payé 38 euros, et tous
ceux qu’on voulait voir ne sont pas
là ! Ils ont tué le raï ce soir, c’est
dommage pour la France. » En coulisse, autre son de cloche. Un Japonais, paisiblement assis, savoure :
« C’était magnifique. Cette musique me fait flotter dans le ciel. L’Algérie a tant de choses à donner. » p
aurélie sfez
A Angers, les vents tristes et les fjords glacés occupent les écrans
Le festival Premiers Plans offre jusqu’au 31 janvier une belle sélection de films islandais à l’univers aussi singulier que leur île
CINÉMA
angers
L’
Islande des films est une
mère possessive, que l’on
adore sans pouvoir la
quitter, avec laquelle on vit en rêvant qu’on la quitte. Les cinéastes
qu’elle voit naître la délaissent
pour apprendre le métier ailleurs
(faute, pour l’heure, d’une véritable école sur place), puis reviennent – et le cinéma qu’ils inventent alors ne ressemble à aucun
autre. Au 28e festival Premiers
Plans d’Angers, une sélection islandaise mêlant films de patrimoine et avant-premières en offrait du 22 au 31 janvier un bel
échantillon, qui disait sur tous les
tons et dans tous les genres cette
réticence à couper le cordon.
Même les plus aimants des enfants de l’Islande, ceux qui rimaillent pour chanter sa beauté,
sentent la poudre d’escampette.
Anna, dans Back Soon (2008), de
Solveig Anspach, une poétesse lo-
cale adulée par un étudiant français, est consommatrice enthousiaste de marijuana – et trafiquante à succès. Dans Life in a Fishbowl (2014), de Baldvin
Zophoniasson, l’écrivain et le poivrot local sont une même personne, Mori, qui entre deux déclamations sublimes s’effondre
sur le zinc, le nez dans la bière.
Chanter l’Islande ne semble pouvoir se faire que dans la brume
d’un paradis artificiel.
Même sans être poète, on boit
beaucoup dans ces films, et l’on
s’y drogue plus encore. C’est
bruyant et potache dans Back
Soon, silencieux et terrible dans
Sparrows (2015), de Runar Runarsson, poignant tableau d’adolescence qui pourrait ressembler
à tous les autres et reste constamment en état de grâce – peut-être
parce que, au-delà du jeu délicat
du jeune Atli Oskar Fjalarsson, le
paysage d’Islande, avec sa lumière singulière, ses larges étendues aux couleurs claires et froi-
Le procédé
souvent assez
fade du film
choral trouve en
Islande plus de
sens qu’ailleurs
des, la voix triste de ses vents, habite le film à la manière d’un personnage.
Quitter l’Islande, quitter sa
mère, c’est parfois le même combat, littéralement. L’Histoire du
géant timide (2015), de Dagur
Kari, et celle de 101 Reykjavik
(2000), de Baltasar Kormakur
montrent deux hommes, quadragénaire et trentenaire, toujours coincés sous le toit maternel. « La seule raison pour laquelle
les gens vivent ici, c’est qu’ils y sont
nés », observe, fataliste, le héros
de 101 Reykjavik. Quant à Fusi, le
« géant timide », il passe sa vie à
ranger des bagages dans les avions sans jamais y monter : à chaque pas vers la passerelle, il est retenu par une meute de profiteurs
– collègue, amoureuse, sa mère
évidemment – qui abusent de sa
gentillesse et de ses talents de bricoleur.
Se connaître sans se connaître
Le groupe est peut-être plus difficile à quitter que la terre. Si le lancinant, presque dépressif Life in a
Fishbowl a connu un triomphe
national, c’est peut-être que le
procédé souvent assez fade du
film choral trouve en Islande plus
de sens qu’ailleurs. Tous les personnages qui se croisent se connaissent sans se connaître. Dans
les grands espaces faiblement
peuplés de l’île, l’autre est trop
rare pour qu’on le manque, mais
on le voit de loin. A l’écran, cette
semi-familiarité curieuse qui innerve les échanges est renforcée
par l’éternel retour des mêmes
acteurs – Ingvar Eggert Siguros-
son, par exemple, joue dans Des
chevaux et des hommes (2013), Jar
City (2006), Back Soon et la série
« Trapped ». On dit partout que le
cinéma est un petit milieu, c’est
sans doute encore plus vrai dans
une île.
Chaque personnage sait l’arbre
généalogique du voisin, sans que
cela soit la marque d’un intérêt
réel. C’est plutôt celle d’un mirage
né des vastes solitudes de glace :
on sait s’appeler par son nom,
cela suffit peut-être à croire qu’on
vit ensemble. Raison pour laquelle, peut-être, il semble parfois plus aisé de murmurer à
l’oreille des chevaux (Des chevaux
et des hommes) ou des Béliers
(sorti en France le 9 décembre 2015).
Connaissant en Islande une vogue identique à celle qui anime le
Danemark ou la Suède, le polar
également prend dans cette vie
en lointain voisinage des formes
singulières que Baltasar Kormakur travaille élégamment sur
grand et petit écran. Dans Jar City,
la rumeur file plus vite que les
voitures de police et ne laisse aux
enquêteurs que des suspects
avertis, qui ont eu le temps de se
composer un discours.
Dans le premier épisode de
« Trapped », dont la date de diffusion française n’est pas encore
connue, la même chaîne humaine s’esquisse, mais c’est l’île
qui vient au secours de ses fils, retenant par une tempête de neige
le ferry danois que les policiers locaux n’avaient pas réussi à garder
au port. On ne s’évade pas si facilement d’Islande. Au générique
inaugural, Baltasar Kormakur
s’amuse à monter en parallèle
des vues de l’île filmée du ciel et
de très gros plans sur la peau d’un
cadavre, blanche et marbrée de
veines noires, sans que l’on distingue bien la terre du mort. Il ne
sera pas simple de trouver des indices dans l’île, tant les hommes y
font corps avec le paysage. p
noémie luciani
télévisions
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
| 19
La série
documentaire
« Making
a Murderer »,
diffusée sur Netflix,
réalimente
le débat sur les
failles du système
pénal américain
Graine de coupable
L
e titre annonce la couleur sans fard :
« Making a Murderer », ou comment fabriquer un meurtrier aux
yeux de la loi. Depuis sa sortie, le
18 décembre 2015 sur la plate-forme Netflix,
la série documentaire « Making a Murderer » ulcère la chaîne de télévision Fox News,
alimente des débats dans tous les médias
américains et électrise les réseaux sociaux.
On y joue au détective, on y refait l’enquête,
on y réinterprète les documents judiciaires
du procès de Steven Avery, condamné à
l’emprisonnement à vie pour meurtre ; on
s’indigne des failles du système pénal américain révélées au cours de ces dix heures de
film, ou on accuse de partialité ses deux réalisatrices, Moira Demos et Laura Ricciardi. Il
faut reconnaître que « Making a Murderer »
est un document stupéfiant, si l’on veut
croire au concept de justice.
Au fil du mois de janvier, révoltés par l’histoire judiciaire de Steven Avery et de son neveu Brendan Dassey, que conte « Making a
Murderer », près de 500 000 citoyens ont signé des pétitions demandant à Barack
Obama et à l’Etat du Wisconsin la grâce présidentielle ou la révision de son procès. La
Maison Blanche vient de rappeler que seul
un crime fédéral peut être du ressort du président, ce qui n’est pas le cas ici ; le gouverneur du Wisconsin a dit ne vouloir gracier
aucun des deux hommes, tous deux condamnés pour le meurtre d’une jeune
femme, Teresa Halbach, un après-midi
d’Halloween, en 2005, dans le comté rural
de Manitowoc (Wisconsin).
En termes d’images, tout commence par
une explosion de joie. On est en 2003, Steven Avery est cerné par des caméras de télévision : il retrouve les siens, à l’entrée de
l’immense casse automobile que sa famille
possède dans une carrière située à l’extérieur de la ville. Il vient d’être libéré après
dix-huit ans passés derrière les barreaux
pour un viol qu’il n’avait pas commis.
L’ADN, que l’on ne savait pas exploiter
en 1985, l’a innocenté, incriminant un autre
homme du comté – déjà fiché par les services du shérif, en tant qu’agresseur sexuel –
qui a reconnu les faits. L’histoire devrait
s’arrêter là, la série documentaire ne pas
exister. Ce devrait être une fin, pas un début.
Pourtant, moins de deux ans après cette
libération, en 2005, le bureau du shérif arrête de nouveau Steven Avery, l’accusant
cette fois du meurtre de Teresa Halbach, sur
le terrain de la casse automobile où vit toute
la famille. Coïncidence ou non, quelques semaines avant cette nouvelle incarcération,
Steven Avery avait porté plainte contre ce
comté, qui, vingt ans auparavant, avait fait
de lui un coupable évident. A ce titre, il réclamait 36 millions de dollars de dommages et intérêts. Steven Avery clamera toujours son innocence, expliquant avoir été
piégé, grâce à de fausses preuves, par
ceux-là mêmes qu’il venait d’attaquer en
justice et à qui il demandait réparation.
C’est alors qu’entre en scène le couple de
réalisatrices de « Making a Murderer » : diplômées en cinéma, elles découvrent dans
le New York Times, en novembre 2005, un
article titré « Libéré grâce à l’ADN, maintenant accusé d’assassinat ». « Nous voulions
en savoir plus. Nous sommes parties dans le
Wisconsin pour une semaine, pour voir s’il y
avait matière à une histoire. Nous sommes
arrivées le 5 décembre, le 6 nous commencions le tournage », ont expliqué Moira Demos et Laura Ricciardi au magazine américain Vulture, en décembre 2015.
Intriguées par ce qu’elles commencent à
découvrir – Laura Ricciardi était avocate
avant d’étudier le cinéma –, elles emménagent sans plus attendre à Manitowoc, décidant de financer elles-mêmes leur documentaire.
Dix ans derrière la caméra
Quatre mois plus tard, elles s’apprêtent à repartir pour New York afin d’y monter leur
film, lorsque intervient un coup de théâtre.
Au terme d’interrogatoires très orientés,
comme la police a appris à les mener depuis
les années 1970 (la technique Reid), un neveu de Steven Avery, Brendan Dassey
(16 ans, au retard mental notable), avoue
avoir été le complice de son oncle. Et conforte d’autant l’accusation contre « l’ancien
libéré ». Les documentaristes resteront un
an et demi de plus sur place, avant de passer
à des allers-retours mensuels entre Manitowoc et New York. Cette affaire d’une petite
semaine, « pour voir », va finir par les retenir
dix ans derrière la caméra. Jusqu’à
aujourd’hui.
Leur projet : non pas démontrer l’innocence de Steven Avery dans ce second dossier, insistent-elles sur les réseaux sociaux,
mais enquêter, à travers lui, sur les failles du
système pénal de leur pays. « Steven représentait une fenêtre absolument unique pour
scruter le système, a précisé Laura Ricciardi
au magazine Vulture. Au début, nous n’avi-
Steven Avery,
condamné à
l’emprisonnement
à vie pour meurtre,
est au cœur
de la série diffusée
par Netflix
« Making
à Murderer ».
NETFLIX
Les réalisatrices
Moira Demos
et Laura Ricciardi
captent,
entre 2005
et 2015,
un paysage
social, familial,
voire moral
et psychologique
de l’affaire
ons aucune opinion quant à sa culpabilité ou
à son innocence. Le fait que, dans une première affaire, Steven avait été attaqué par le
système, qu’il tentait de le réformer et d’en
pointer du doigt les responsables entraînait
une foule de questions. Quelqu’un ayant une
telle motivation pouvait-il commettre ce
genre de crime ? Ou, autre question, est-ce
parce qu’il tentait de changer le système qu’il
le voyait se retourner contre lui ? Dans les
deux cas, il y avait une histoire. »
Pas de discrimination raciale
Soucieuses de ne pas être accusées de présenter le seul point de vue de Steven Avery
et de sa famille, les deux réalisatrices décident, dès le départ, de fonder leur documentaire sur les pièces à conviction retenues par le procureur, donc en faveur de
l’accusation de meurtre. Difficile, pour
autant, de suivre « Making a Murderer »
sans être atterré par ce que les avocats découvrent…
Pas de discrimination raciale ici, comme
dans « Un coupable idéal », la série oscarisée
du Français Xavier de Lestrade. « Making a
Murderer » serait plutôt le miroir inversé de
son autre impressionnante série documentaire, « The Staircase » : jouent ici, en ligne
de basse, les composantes d’une discrimination sociale qui jamais ne déclare son
nom. A l’encontre d’une famille assimilée à
de la graine de criminels.
Force est de reconnaître, souligne dans le
documentaire l’avocate commise d’office
en 1985 auprès de Steven Avery, que cette
famille avait fort mauvaise réputation.
Non seulement le casier judiciaire de Steve
n’était pas vierge (vols, maltraitance à animal…), mais tout le clan Avery rebutait.
Chez ces gens-là, on n’a aucun sens du savoir-vivre et du vivre-ensemble, expliquet-elle en résumant le sentiment des gens
qui comptent à Manitowoc : on fait des gosses à tout-va, on s’habille n’importe comment (et ne porte même pas de sous-vêtements, dans le cas de Steven), on ne va quasiment pas à l’école, on ne participe à
aucune activité de la ville… Mauvaise
graine pour la communauté, bonne graine
pour la prison.
Après trois ans de tournage, Laura Ricciardi et Moira Demos envisagent de monter tout le matériau accumulé en un documentaire. Un film de deux heures au
moins, estiment-elles, au vu des pièces qui
continuent de s’accumuler. « Formidable
travail », « incroyable », leur répondent des
chaînes comme HBO ou PBS, qui les encouragent plutôt à en faire une série… Mais qui
dit « série », à l’époque, pense « fiction », et
rien n’aboutit. Les réalisatrices finiront par
se tourner vers Netflix, en 2013, la plateforme produisant maintenant elle-même
des films ; au vu de trois épisodes, accord est
passé pour un documentaire de huit heures, qui s’étendra finalement à dix.
Interrogatoires et témoignages, entretiens avec les parents de Steven Avery ou
avec ses avocats (500 heures), images des
procès (presque 200 heures) : les documentaristes captent, entre 2005 et 2015, un paysage social, familial, voire moral et psychologique, de l’affaire, sans oublier l’aspect
très aléatoire de ce que l’on nomme « preuves scientifiques ». Ces centaines d’heures
sont montées en entretenant l’attention et
l’intérêt du spectateur, malgré la rigueur apparente du propos, et surtout sans voix off.
L’émoi, la fièvre que suscite « Making a
Murderer » aux Etats-Unis devraient amener à une réflexion sur la façon dont chaque
cour de justice fonctionne, dans chaque
Etat, et, de manière plus large, sur les réformes à exiger des autorités pour un système
pénal moins faillible, rappellent les deux
documentaristes sur les réseaux sociaux.
Mais le débat, voire l’hystérie, parfois, que
suscite ce programme, amène presse et télévision à se focaliser avant tout sur leur documentaire, pour le prolonger. La chaîne Investigation Discovery, par exemple, promeut un nouveau concept qui a tout pour
faire peur : l’« instamentary » (oxymore syncopé de « documentaire instantané »), un
programme bâti à partir des grandes affaires judiciaires à la « une » dans le temps présent, pour y apporter de supposés compléments d’enquête dans les semaines suivantes. Le réseau NBC s’est associé avec cette
chaîne spécialisée dans les faits divers pour
présenter au public, sous peu, « des détails
essentiels manquant à la série documentaire
de Netflix »…
Pendant ce temps, des avocats spécialisés
dans les erreurs judiciaires tentent de trouver le nouvel élément qui leur permettrait
de sauver Steven Avery et son neveu de la
prison à vie. Pour leur part, Netflix et les
deux documentaristes n’excluent pas de
nouveaux épisodes, si de nouvelles révélations le justifiaient. Ce qui n’est pas exclu,
notamment de la part de jurés. p
martine delahaye
20 | télévisions
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Bouchra Réjani, femme de valeurs
La dirigeante de Shine France, qui produit « The Voice », « préfère le silence de l’action au bruit des déclarations »
PORTRAIT
D
iscrète, la directrice
générale de Shine
France, dont le programme-phare, « The
Voice », revient, samedi 30 janvier, sur TF1, pour une cinquième
saison, accorde peu d’entretiens.
Moins en raison d’un emploi du
temps chargé, entre ses responsabilités au sein de la maison de production et ses activités à l’Observatoire de la diversité du Conseil
supérieur de l’audiovisuel (CSA),
que par nature et par principe.
Comme elle le concède d’une voix
douce et posée : « Au bruit des déclarations, je préfère le silence de
l’action. Et puis, j’estime que cette
question de diversité ne doit pas
être la propriété d’un individu, il
faut savoir dépasser ce que l’on a
fait. Voilà pourquoi je n’aime pas
évoquer mon parcours ; pour
autant, j’ai compris l’utilité de le
faire auprès des jeunes. »
Un parcours qu’elle considère
comme « privilégié », d’autant
plus, souligne Bouchra Réjani,
qu’elle a eu la chance de vivre la
mixité sans avoir le sentiment
d’être différente. Tout juste a-telle été surprise d’entendre son
père parler de sa « fille africaine »,
lorsqu’elle avait 8 ans.
En effet, si Bouchra Réjani est
née à Casablanca, au Maroc,
en 1972, c’est à Cholet (Maine-etLoire) – où ses parents, commerçants, ont immigré peu après sa
naissance – qu’elle passe toute sa
jeunesse. « Pour eux, cela a été un
véritable déchirement de quitter
leur pays. Avec le recul, je comprends mieux la dureté de l’éducation que nous avons reçue, mon
frère et mes sœurs. C’était la condition nécessaire pour que l’on
puisse attraper tout ce que la République française pouvait nous offrir : l’éducation, la culture, l’histoire d’un pays que j’aime et dont je
défendrai toujours les valeurs, où
que je sois. »
A une époque où les revendications identitaires n’existaient pas
encore – « ce qui change tout… »,
souligne cette Franco-Marocaine
–, elle est élevée au sein d’une famille unie et, surtout, riche d’une
double culture qui s’exprime dans
le partage. A 18 ans, cependant, le
désir de tracer librement sa voie
professionnelle – son père souhaite qu’elle devienne médecin –
l’amène à partir s’installer à Nantes. Bien qu’attirée par la philosophie, sa passion, elle entreprend
LES DATES
« Bouchra est une
négociatrice fine,
mais ferme.
Elle aime les gens
et fédérer
les talents »
1972
Naissance à Casablanca (Maroc).
1996
THIERRY LACHKAR
Diplômée de Sup de Co Nantes,
elle entre au cabinet KPMG.
patron de Shine France
1999
une maîtrise de langues étrangères appliquées, tout en préparant
le concours d’entrée à Sup de Co
en deuxième année, par souci
d’économie… « La barrière financière est, malheureusement, encore trop souvent un frein à l’émergence de jeunes talents issus de la
diversité », affirme-t-elle. Tout
juste diplômée, elle entre dans le
cabinet d’audit KPMG. « L’audit
vous permet d’apprendre et de
comprendre un environnement,
une industrie. »
« Enorme force de travail »
Déjà, la jeune femme est attirée
par le cinéma, mais c’est au sein
d’industries moins glamour
(l’automobile et le pétrole) qu’elle
façonne un esprit d’audit qui va
imprégner sa manière de faire.
Que ce soit à Londres, chez Fox
Kids Europe – où elle est recrutée,
en 1999, en tant que chargée de
mission avant d’être nommée directrice déléguée de Fox Kids
France –, ou chez FremantleMedia, dirigée, alors, par Bibiane Godfroid, une femme qui l’a marquée
« par son professionnalisme, sa
bienveillance et sa vision ».
Auprès de son mentor, elle endosse les fonctions de secrétaire
générale, puis de directrice générale et s’occupe des partenariats
stratégiques et de la gestion.
« Bouchra est une femme de convictions, une grande professionnelle, qui possède une énorme force
de travail. Elle a été un élément-clé
de la restructuration de Fremantle », témoigne, aujourd’hui,
Bibiane Godfroid, que Bouchra Réjani aurait, d’ailleurs, pu suivre à
M6 en 2007.
Sauf que l’envie de changement
ne s’impose à elle que deux ans
plus tard, lorsqu’elle apprend que
Thierry Lachkar, patron de la toute
jeune maison de production Shine
France, est à la recherche d’un profil comme le sien. « Après deux
heures d’entretien, sans même
avoir parlé salaire, j’ai dit oui, car
Chargée de projets auprès de la
direction de Fox Kids Europe, puis,
en 2002, directrice déléguée de
Fox Kids France.
2004
Chez FremantleMédia, elle occupe
notamment les postes de secrétaire générale et de directrice générale du groupe en France.
2010
Directrice générale
chez Shine France.
2013
Membre de l’Observatoire de la
diversité du CSA.
JULIEN CAUVIN/STARFACE
nous avions une vision et des valeurs communes », se souvient-elle
avec enthousiasme. Celles de programmes positifs, fédérateurs,
portés par le plaisir, l’émotion,
l’idée de transmission et de dépassement de soi. Comme « MasterChef », lancé en 2010, ou encore le
joyau de Shine, « The Voice ». « Ce
sont des programmes qui parlent à
tout le monde parce qu’ils représentent tout le monde, cela rejoint la
question de la diversité qui m’est
chère depuis longtemps. »
Comme en témoigne son action
au sein de diverses associations.
« Chaque année, je choisis deux à
trois projets dans lesquels je m’investis totalement. » Et de citer
« Décolonisons l’information »,
mené en 2007-2008, aux côtés
d’Hervé Bourges et d’Olivier Zegna-Rata, qui donnera naissance à
Afrik TV ; ou la série de programmes courts « Citoyens visibles »,
entreprise avec Djamel Mazi, qui
mettait en valeur des héros de la
diversité tels Marie Curie, Gaston
Monnerville, Flora Tristan ou les
tirailleurs nord-africains.
Malgré ses réticences face aux
institutions, Bouchra Réjani rejoint, en 2013, l’Observatoire de la
diversité du CSA présidé par Mémona Hintermann, qui, dit-elle,
« avait besoin de son énergie ».
Seule condition posée par l’intéressée : faire des choses concrètes.
Ainsi a-t-elle lancé trois projets –
qui devraient se concrétiser au
cours de 2016, et qui touchent à
l’éducation, au recrutement dans
les médias – ainsi qu’une étude sur
les stéréotypes dans les journaux
télévisés, à laquelle toutes les chaînes ont accepté de participer.
« Bouchra est une négociatrice fine,
mais ferme, dit M. Lachkar, elle
aime les gens et fédérer les talents. »
Et lancer des passerelles entre
les deux rives de la Méditerranée,
comme l’illustre la belle déclinaison de « MasterChef » au Maroc,
avant celle prévue en Algérie. « Je
suis fière de contribuer à l’émergence d’une industrie audiovisuelle », dit encore cette femme
pour qui, citant Alain, « le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme
est de volonté ». p
christine rousseau
« Les Beaux Malaises » à la française
La série humoristique qui bat des records d’audience sur la chaîne québécoise TVA est en cours d’adaptation pour M6 avec Franck Dubosc
À L’ÉTRANGER
L
a (fausse) vie au quotidien
de Franck Dubosc, dans
une belle maison de la banlieue parisienne, sera bientôt
portée à l’écran. L’acteur et humoriste tourne actuellement,
aux Clayes-sous-Bois (Yvelines),
les quatre premiers épisodes
d’une série québécoise à succès :
« Les Beaux Malaises », prévue
sur M6 d’ici quelques semaines.
Franck Dubosc a eu le coup de
foudre pour cette comédie de situation que lui ont proposée
Martin Matte, presque son alter
ego québécois, et François Rozon, qui produit l’œuvre originale chez Encore Télévision.
Humoriste bien connu au Québec, Martin Matte est l’hommeorchestre de la série qui vient de
battre des records d’audience,
avec 2,2 millions de téléspectateurs au début de la troisième
saison, sur la chaîne québécoise
TVA. Diffusée en format de trente
minutes, chaque saison comporte dix à douze épisodes.
Avec Kabo, producteur de la
mini-série « Scènes de ménages »
sur M6, Franck Dubosc s’est
glissé aisément dans cette adaptation, tout comme Anne Marivin, qui lui donne la réplique, et
le réalisateur Eric Lavaine, avec
lequel il a déjà travaillé sur trois
longs-métrages (Incognito, Bienvenue à bord et Barbecue).
Chronique de la vie quotidienne
La proposition – bien que télévisuelle – a séduit d’emblée le comédien français par son texte et
sa qualité artistique, musique et
direction photo comprises. Cette
chronique de la vie quotidienne
d’une célébrité met l’accent sur
ses travers et ceux de ses amis.
Les personnages sont bien campés : une vedette dont la vie est
parfois compliquée (comme
« M. Tout-le-Monde ») ; sa copine
qu’il ne comprend pas toujours ;
deux enfants qui mettent le doigt
sur ses défauts ; un ami tombeur
de femmes ; un autre, gay, à peine
sorti du placard ; un psy… et une
superbe maison qui, dit-il, « est
un personnage à part entière ».
Au fil des épisodes, Martin
Matte, l’auteur, aborde des thèmes sérieux comme l’intimidation, l’adultère, les relations mère-fils, la vie de couple, la famille,
l’éducation
–
notamment
sexuelle – la vieillesse, l’utilisation de la notoriété à des fins domestiques… Celui qui tient le premier rôle n’est pas toujours à son
avantage ! Il provoque des malaises, en vit lui-même et, de ces
« beaux malaises » qui auraient
pu virer au cauchemar, naît un
rire salvateur. On sourit, on rit
franchement des situations tragicomiques dans lesquelles il s’empêtre comme de ses « malaises »,
aux antipodes d’une sitcom à
l’américaine.
Le message est clair : ce n’est pas
parce qu’on est célèbre qu’on n’a
pas les mêmes petits problèmes
que tout le monde. « Avec cette série, confie Martin Matte, je voulais prendre le pari que l’humour
peut parfois être triste ou touchant, et donner de la profondeur
au propos. »
Franck Dubosc et Kabo ont,
ajoute-t-il, adopté le concept en
réduisant l’adaptation au minimum. Pas question cependant de
diffuser la version originale : il
fallait « un artiste que les Français
connaissent et, malheureusement, on a eu un mal fou à comprendre l’accent québécois »,
Ce n’est pas parce
qu’on est célèbre
qu’on n’a pas
les mêmes petits
problèmes
que tout
le monde
s’amuse Franck Dubosc sur sa
page Facebook. Pour le reste,
quelques références culturelles et
expressions québécoises en
moins, quelques gags franchouillards en plus, et le tour est
joué !
Facilement transposable
La plupart des sujets abordés et
des situations cocasses présentées ne connaissent pas de frontières et sont facilement transposables ailleurs qu’au Québec,
souligne Martin Matte. Ravi de
voir la France devenir le premier
marché de la série, l’humoriste a
également vendu les droits à l’Allemagne et au Canada anglais.
Lui-même a choisi de s’effacer de
la production française. « Ils
m’avaient offert la réalisation,
avoue-t-il, mais j’ai préféré m’abstenir », jugeant plus intéressant
que ce soit une « pointure française » comme Eric Lavaine. Au
Québec, on le presse d’écrire une
quatrième saison, mais son ins-
tinct lui dicte d’arrêter. Il veut retourner sur la « vraie » scène.
Malgré tout, les fans de la série
auront droit à un final en forme
d’apothéose : une heure des
« Beaux Malaises » dans quelques
mois.
En attendant, Martin Matte assiste au tournage français avec
Franck Dubosc, qui est loin d’être
un inconnu pour lui. Les deux
ont en effet partagé quelques numéros sur la scène du festival
montréalais « Juste pour rire »
en 2002. « Il joue, note Martin
Matte, le gars séducteur, toujours
au-dessus de ses affaires, alors
que je suis plutôt malhabile et de
mauvaise foi dans la série, mais il
a le même d’humour limite méchant, baveux et aussi touchant. »
Comme lui, Franck Dubosc est
père de deux enfants. Seule différence majeure, peut-être : « la série française devrait casser son
image de frimeur ». p
anne pélouas
(montréal, correspondance)
télévisions | 21
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Le poids
du glaive
V O T R E
S O I R É E
T É L É
D IM AN CH E 31 JAN VIE R
Voyage dans une justice française
qui semble devoir être l’éternel
parent pauvre des gouvernements
FRANCE 5
DIMANCHE 31 – 22 H 25
DOCUMENTAIRE
Q
uand Albin Chalandon, ministre de la justice du gouvernement
sortant de Jacques
Chirac, en mai 1988,
accueille son successeur, on sent le
soulagement chez l’homme qui
pourtant en a vu d’autres. « Bon
courage, et il en faut ! », souhaite-t-il
à Pierre Arpaillange, du gouvernement de Michel Rocard, avant de
lui glisser sur le ton de la confidence : « C’est dur… c’est une maison
très dure. » Ce moment volé au
cours d’une rituelle passation de
pouvoirs lève le voile sur une fonction régalienne assez méconnue.
Quoi de mieux pour toucher du
doigt la substance de ce poste emblématique de la République que
de donner la parole à ceux qui se
sont succédé place Vendôme pendant plus de trois décennies ? De
Robert Badinter à Christiane
Taubira, de Pierre Méhaignerie à
Elisabeth Guigou, première
femme à occuper cette fonction au
double libellé de garde des sceaux
et ministre de la justice, en passant
par Henri Nallet ou Rachida Dati,
tous ont accepté de donner leur
vision de cette mission.
Les mêmes humiliations
Jean-Jacques Urvoas, nommé mercredi 27 janvier ministre de la justice, ne figure pas dans ce documentaire en deux parties de
Joseph Beauregard, écrit en collaboration avec Laurent Greilsamer
(ancien directeur adjoint du
Monde). Il sera prévenu de ce qui
l’attend en regardant ce voyage
dans une justice française à laquelle la société demande toujours plus, mais qui semble devoir
être l’éternel parent pauvre des
gouvernements. Sous la droite ou
la gauche, les mêmes humiliations
frappent ces ministres dans les négociations perdues d’avance avec
Bercy. « C’est un ministère régalien
essentiel pour la République, mais
derrière… un grand manque d’entretien et finalement un aspect un
peu désespérant », résume Michèle
Alliot-Marie, garde des sceaux de
juin 2009 à mai 2010. Le glaive de
la justice se révèle bien émoussé.
C’est au ministre des prisons
qu’est consacrée la première partie de ce documentaire. Un univers
que tous semblent découvrir une
fois en poste. « J’ai ce sentiment
d’oppression dans cet endroit où on
entasse du malheur, de la violence,
des maladies », témoigne Henri
Nallet (octobre 1990 - avril 1992),
qui partage un sentiment d’impuissance, terrible aveu pour ces
responsables politiques : « Cela me
pèse, parce que je suis responsable
de ce qui s’y passe, et en même
temps, je sais au fond de moi que
c’est presque sans solution ! » Les
drames humains qu’on cache derrière les barreaux ont ébranlé tous
ces professionnels de la politique.
Autre calvaire commun à ces générations de ministres, auquel est
consacrée la seconde partie du
film, la gestion des « affaires ». On
avait presque oublié comment au
temps des scandales Urba (financement du PS) ou des HLM de Paris
(financement du RPR), l’une des
missions des ministres de la justice était de faire le sale boulot
pour arrêter une enquête ou muter un juge d’instruction trop curieux. Certains reconnaissent
s’être sali les mains quand Jacques
Toubon se débat pour justifier la
piteuse expédition montée pour
aller chercher le procureur d’Annemasse sur les pentes de l’Himalaya
TF1
20.55 Malavita
Comédie de Luc Besson
(EU-Fr., 2013, 130 min).
23.05 Mentalist
Série créée par Bruno Heller. Avec
Simon Baker (saison 2, ép. 8 et 23/23).
France 2
20.55 Camping
Comédie de Fabien Onteniente
(Fr., 2006, 100 min).
22.35 Faites entrer l’accusé
Présenté par Frédérique Lantieri.
France 3
20.55 Les Enquêtes de Vera
Série créée par Elain Collins,
d’après les romans d’Ann Cleeves
(GB, 2014, 90 min).
0.20 Le Mort qui marche
Film fantastique de Michael Curtiz
(EU, 1936, 70 min).
Canal+
21.00 Football
23e journée
de Ligue 1 : Saint-Etienne - Paris-SG.
France 5
20.40 Une carotte
presque parfaite
Documentaire d’Anne-Fleur Delaistre
(Fr., 2016, 50 min).
22.25 La parole est au garde
des sceaux
Documentaire de Joseph Beauregard
(Fr., 2015, 1/2).
De gauche à droite : Christiane Taubira, Albin Chalandon, Jacques Toubon et Robert
Badinter, ministres de la justice et gardes des sceaux de la Ve République. DIDIER ALLARD / INA 2015
afin d’éviter que l’enquête sur les
époux Tiberi avance.
Au fil des ans, sous la pression de
l’opinion,
l’interventionnisme
dans les affaires sensibles s’est estompé. La suspicion reste. Même
depuis l’interdiction des instructions individuelles sous Christiane Taubira, comme en témoigne l’affaire des écoutes des conversations de Nicolas Sarkozy avec
son avocat. Les auteurs de ce remarquable documentaire ne
Les drames
humains
qu’on cache
derrière
les barreaux
ont ébranlé tous
ces professionnels
de la politique
croient plus aux promesses d’inscription dans la Constitution de
l’indépendance des parquets.
Chiche, leur a répondu par anticipation M. Urvoas lors de sa prise
de fonctions. p
jean-baptiste jacquin
La parole est au garde des sceaux,
de Joseph Beauregard et Laurent
Greilsamer. La seconde partie sera
diffusée dimanche 7 février à
22 h 25.
La carotte fait la belle
Les lunettes déformantes de Moreira
Enquête sur le marché du deuxième légume
le plus consommé en France
Le documentariste applique à la guerre en Ukraine un parti pris grossier
FRANCE 5
DIMANCHE 31 – 20 H 40
DOCUMENTAIRE
L
a carotte est le deuxième
légume le plus consommé
en France, juste après la tomate. Crue, cuite, râpée, elle offre
en cuisine une multitude de possibilités, en plus de ses qualités
nutritives. On dit même qu’elle
pourrait rendre aimable. Joliment alignées sur les étals des supermarchés, elles ont aussi le
mérite de se présenter sans le
moindre défaut et d’un orange
éclatant. Point de hasard à cette
esthétique. La carotte doit subir
les diktats de la beauté qu’impose la grande distribution.
Gaspillage
Juste après la récolte, elles sont
triées, calibrées (mises aux
même dimension), lavées à l’eau
et brossées afin de pouvoir être
écoulées dans les grandes surfaces. Et les autres, les « moches »,
comme on dit dans le jargon de
l’agroalimentaire ? Elles sont
vendues aux cantines, les plus
grosses sont destinées au marché du surgelé, et toutes celles
qui ne trouvent pas preneur sont
tout simplement jetées.
Pour éviter un trop gros gaspillage, des agriculteurs, assez
malins, commencent à exploiter
ces carottes indésirables pour
fabriquer du biogaz transformé
ensuite en… électricité.
Dans son documentaire, AnneFleur Delaistre explore les dessous
des filières de cette denrée. Pas
seulement en France, mais aussi
aux Etats-Unis. En Californie, par
exemple, où la ville de Bakersfield
est devenue la capitale mondiale
de la « mini-carotte » (baby carrots). Et ce, grâce au fermier Mike
Yurosek, qui, dans les années
1980, a eu l’idée de découper ses
carottes difformes pour ne pas
avoir à les jeter. Le succès a été tel
qu’aujourd’hui un tiers des carottes fraîches vendues aux EtatsUnis le sont sous la forme de baby
carrots. Deux entreprises de
Bakersfield se partagent 90 % du
marché national estimé à plusieurs milliards de dollars.
Le rêve de Mike Yurosek, qui
consistait à mettre un frein au
gaspillage alimentaire, s’est transformé en cauchemar : les industriels ont intensifié leur production et ont ainsi accéléré la pollution des sols et des nappes phréatiques de la ville. Rappelons
qu’aux Etats-Unis, les carottes
sont lavées au chlore. p
mustapha kessous
Une carotte presque parfaite,
d’Anne-Fleur Delaistre
(France, 2015, 52 min)
CANAL+
LUNDI 1ER – 22 H 30
DOCUMENTAIRE
T
omber les masques, révéler
au grand jour ce que les
médias auraient passé
sous silence : le rôle de l’extrême
droite dans la révolution de
Maïdan et son emprise sur
l’Ukraine post-Maïdan. Voilà l’ambition affichée par le film de Paul
Moreira, Ukraine, les masques de
la révolution, qui part d’un constat
ou plutôt, dit-il, d’« une légère sensation de [s’]être fait avoir ». Il va
donc lever le voile.
Mais, au lieu de faire tomber les
masques, le documentariste
chausse des lunettes déformantes. Pravy Sektor, Azov, Svoboda…
Moreira fait de ces groupes d’extrême droite les artisans de la révolution, lorsqu’ils n’en étaient
que l’un des bras armés. Il les présente comme une force politique
majeure, quand ses scores électoraux sont dérisoires.
Il en fait également les nouveaux maîtres de la rue ukrainienne, qui ne tardent pas à se
transformer – sans qu’on comprenne bien pourquoi – en milices
lourdement armées. Moreira
nous emmène, par exemple, dans
« un hangar où l’on fabrique une
nouvelle génération de chars ». Il
s’agit, en réalité, d’un atelier où
l’on retape les rares blindés, vieux
et cabossés, que Kiev a fini par
offrir sur le tard à différents
bataillons de volontaires, après
qu’ils ont subi de lourdes pertes
au front.
Le documentaire élude aussi
toute analyse nuancée du nationalisme ukrainien et de ses ressorts, amalgamant nationalisme,
extrême droite et néonazisme. Au
sein même des groupes que
Moreira étudie, les néonazis constituent une minorité.
Allusions mystérieuses
Il y a surtout une grande absente :
l’agression russe contre l’Ukraine.
Il faut attendre le milieu du film
pour que soit évoquée, en quelques minutes, la guerre dans le
Donbass. Celle-ci explique pourtant la radicalisation d’une partie
de la population ukrainienne et le
fait que Kiev ait dû se résoudre à
armer des bataillons de volontaires. L’annexion par la force de la
Crimée est, elle, balayée d’une
phrase : « Après la révolution ukrainienne, sa population a massivement voté par référendum son allégeance à la Russie. »
A la place, en guise d’analyse
géopolitique, des allusions mystérieuses aux petits pains distribués sur Maïdan par la sous-secrétaire d’Etat américaine,
Victoria Nuland, ou à la présence
à Kiev, à l’occasion d’une conférence organisée depuis de longues années, de responsables de
la CIA ou de militaires améri-
cains. Le propos se fait elliptique,
mais le tableau prend forme. Pour
Moreira, si Washington a fermé
les yeux sur l’installation d’un
nouveau fascisme en Ukraine,
c’est au nom de la lutte contre la
Russie de Vladimir Poutine, et
pour installer au pouvoir « des ministres “pro-business” ».
Dans cet océan de partis pris
idéologiques, d’inexactitudes et de
distorsions, une séquence sonne à
peu près juste : celle consacrée aux
événements du 2 mai 2014 à
Odessa, au cours desquels 42 manifestants prorusses moururent
brûlés vifs en marge d’affrontements avec les pro-ukrainiens.
Même s’il surestime le rôle de
Pravy Sektor et distribue de façon
un peu trop péremptoire les responsabilités dans le drame, le film
fait œuvre salutaire en s’étendant
longuement sur cet épisode souvent négligé de l’après-Maïdan.
Pour le reste, le rôle de chevalier
blanc que s’arroge Paul Moreira, en
prétendant dévoiler des vérités
passées sous silence, ne tient pas.
L’expérimenté documentariste
s’est attaqué à un sujet réel. Il a
choisi de « regarder par lui-même »,
nous dit-il. Mais n’a vu que ce qu’il
voulait voir, remplaçant les
masques par des œillères. p
benoît vitkine
Ukraine, les masques
de la révolution, de Paul Moreira
(Fr., 2016, 55 min).
Arte
20.45 Retour à Cold Mountain
Drame d’Anthony Minghella. Avec
Jude Law, Nicole Kidman et Renée
Zellweger (EU, 2003, 150 min).
23.15 South Pole
Opéra de Miroslav Srnka. Enregistré
au Bayerische Staatsoper de Munich,
le 31 janvier 2016.
M6
20.55 Zone interdite
Présenté par Wendy Bouchard.
23.00 Enquête exclusive
Présenté par Bernard de La Villardière.
LUN D I 1 E R F É VR IE R
TF1
20.55 Camping Paradis
Série créée par Michel Alexandre
(Fr., 2013, 115 min).
22.50 New York Unité spéciale
Série créée par Dick Wolf
(EU, S16, ép. 18/23 ; S15 ép. 12/24 ;
S9, ép. 11 et 10/19).
France 2
20.55 Castle
Série créée par Andrew W. Marlowe
(EU, S7, ép. 22 et 23/23 ; S4, ép. 14/23).
23.05 Alcaline le mag
Magazine animé par Laurent Tessier.
France 3
20.55 Monaco, le Rocher
était presque parfait
Documentaire de Gérard Miller et
Anaïs Feuillette (Fr., 2014, 90 min).
22.25 Ce que savait Jackie
Documentaire de Patrick Jeudy
(Fr., 2003, 55 min).
Canal+
21.00 Deutschland 83
Série créée par Anna et Joerg Winger
(All., S1, ép. 7 et 8/8).
22.30 Spécial Investigation
Présenté par Stéphane Haumant.
France 5
20.40 La Tranchée des espoirs
Téléfilm de Jean-Louis Lorenzi
(Fr., 2003, 105 min).
22.25 C dans l’air
Magazine présenté par Yves Calvi
et Caroline Roux.
Arte
20.55 La Vie devant ses yeux
Thriller de Vadim Perelman
(EU, 2008, 85 min).
22.15 Ne touchez pas à la hache
Film de Jacques Rivette. Avec
Jeanne Balibar (Fr.-It., 2007, 130 min).
M6
20.55 Top Chef
Présenté par Stéphane Rotenberg.
22 | télévisions
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
France Info,
le réflexe sport
SÉLECTION
RADIO
E M PLOI
La station de Radio France propose depuis un
an deux rendez-vous consacrés à cet univers
RADIO
S
ur les ondes espagnoles,
italiennes ou sud-américaines, le talk-show sportif existe depuis une éternité. Dans le paysage radiophonique français, il a fallu attendre le lendemain de la Coupe du
monde 1998 pour qu’Eugène
Saccomano, figure emblématique du commentaire sportif,
lance sur Europe 1 « Le Match du
lundi », émission de débats plus
ou moins enflammés rebaptisée
« On refait le match » lors de son
passage sur RTL en 2001.
L’émission existe toujours sur
cette antenne : elle est animée par
l’expérimenté Pascal Praud depuis 2012 et désormais programmée le samedi à 18 h 30. D’autres
stations, RMC en tête, font du
talk-show sportif un atout majeur dans leur grille de programmes. Et le phénomène ne touche
pas seulement les radios privées
puisque, depuis un an, même
France Info propose à ses auditeurs deux rendez-vous de débats
autour de l’actualité sportive.
Chaque samedi de 22 heures à
23 heures, Catherine Pottier,
grande voix de la station et habi-
tuée des débats politiques, anime
« Les Informés du sport ». Et chaque dimanche, de 19 h 45 à
20 heures, la même Catherine
Pottier se prête à un exercice un
peu différent : « Un débat à deux,
avec deux thèmes abordés en deux
fois six minutes. Le rythme est plus
rapide que l’émission du samedi »,
souligne l’intéressée.
Eviter le « copier-coller »
De la matinale au 17-20, la journaliste a tout connu sur France Info
et prend plaisir à ce nouvel exercice, tout en faisant attention à ne
pas se cantonner au football. « Audelà des résultats, ce qui m’intéresse dans le sport, c’est de parler
d’athlètes aptes à la souffrance,
d’analyser l’impact économique,
les dérives éventuelles. Lorsque j’invite un journaliste d’investigation
comme Fabrice Lhomme [sur l’affaire de la sextape de Mathieu Valbuena] sur le plateau, par exemple,
le débat peut aller plus loin… »
Patron de France Info depuis
mai 2014, Laurent Guimier a
d’abord imposé « Les Informés » à
l’antenne d’une station peu habituée à ce genre de rendez-vous.
Cette émission de débats, classique dans la forme, avec un anima-
Catherine Pottier anime les débats sur le sport de France Info. CHRISTOPHE ABRAMOWITZ/RADIO FRANCE
teur (Jean-Mathieu Pernin) et quatre invités venus d’horizons divers
(politiques, journalistes, artistes)
réagissant sur l’actualité, est programmée du lundi au vendredi de
20 heures à 21 heures. Quelques
mois plus tard, en janvier 2015,
« Les Informés du sport » voyaient
le jour. « Nous sommes arrivés sur
ce créneau du talk-show sportif
après les autres et, en tant que radio de service public, il nous faut
nous différencier », explique Julien
Brigot, le rédacteur en chef du
week-end sur Info. « Pour y parvenir et ne pas faire du copier-coller
de ce qui existe déjà, il faut d’abord
composer nos plateaux avec des in-
vités aux profils différents et qui
ont une vision originale. Même si
l’actualité sportive se prête bien à la
polémique, certaines émissions débouchent sur des débats stériles.
Nous voulons éviter ce défaut, offrir une expertise et des éclairages à
des auditeurs exigeants. »
Une année riche en événements
Un an après leur apparition, ces
deux rendez-vous sportifs ont
trouvé leur place dans la grille
d’une station qui crée de nouvelles chroniques le samedi (« Golf »,
de Fabrice Rigobert, « L’Ame
olympique », de Cécilia Berder) et
qui s’apprête à passer un été très
sportif. Radio officielle de l’UEFA
Euro 2016 (du 10 juin au 10 juillet
en France), France Info prépare de
nouveaux rendez-vous lors de
cette compétition qui dépasse le
cadre sportif. En août, la couverture massive des Jeux olympiques
de Rio permettra de dynamiser la
grille d’été. De quoi fêter les 30 ans
de la station (le 1er juin 2017) en
pleine forme. p
alain constant
« Les Informés du sport »,
samedi de 22 heures à 23 heures.
« Le Débat du sport »,
dimanche de 19 h 45 à 20 heures
sur France Info.
Charles Enderlin, conteur averti du Proche-Orient
France Culture donne la parole au journaliste qui a couvert le conflit israélo-palestinien pendant plus de trente ans
RADIO
I
l se définit comme un « témoin
engagé », un observateur privilégié de notre époque tortueuse, qui cherche ce qui se cache
derrière les « informations officielles ». Ses détracteurs israéliens lui
ont décerné « le diplôme du juif qui
a la haine de soi ». Charles Enderlin
s’en moque. De sa voix rauque et
austère, il a couvert, pour France 2,
le conflit sans fin entre Israël et la
Palestine pendant plus de trois décennies (de 1981 à 2015). Durant
cette période, le journaliste a été de
tous les soulèvements, de toutes
les guerres, de tous les massacres,
de tous les coups politiques.
Tous les soirs, à 20 heures, du
lundi 1er au vendredi 5 février,
l’émission « A voix nue », sur
France Culture, donne la parole
pendant près de trente minutes à
cette personnalité empreinte de
gravité. Sans pratiquement jamais
être coupé, Charles Enderlin se raconte : ses grands-parents juifs
autrichiens, qui ont fui Vienne lors
de l’Anschluss, en 1938, son enfance à Nancy, son installation en
Israël (en 1968), sa mauvaise expé-
rience dans un kibboutz à la frontière libanaise, sa carrière de grand
reporter, l’affaire Mohammed AlDoura, et ses livres.
Aucune émotion dans sa voix
Ce Franco-Israélien, âgé de 70 ans,
parle sur un ton quasi monocorde,
mais d’une étonnante puissance.
Aucune émotion dans sa voix,
même lorsqu’il narre sa première
expérience d’un conflit armé,
en 1973, lors de la guerre du Kippour. Il est alors journaliste pour la
radio israélienne. Pris dans un
bombardement, il raconte ne pas
avoir eu peur alors qu’autour de lui
étaient effrayés les chiens et les
hommes. C’est lors de cette guerre
qu’il découvre que les autorités israéliennes n’hésitent pas à communiquer de fausses informations : depuis, il se méfie des « propagandes » et s’attelle à vérifier
toutes les annonces gouvernementales.
Conteur de l’histoire israélienne
d’une extrême rigueur, maîtrisant
– c’est peu de le dire – son sujet,
n’hésitant jamais sur une date et
ne butant sur aucun nom de politique juif ou arabe, Charles Enderlin
parle sans détour. Ses anecdotes
sont toujours passionnantes et
saisissantes : comment le Shin
Beth écoutait Mahmoud Abbas,
comment des officiels israéliens et
palestiniens négociaient secrètement dans son bureau à Jérusalem… L’écouter, c’est aussi plonger
dans les mémoires du conflit israélo-palestinien. p
mustapha kessous
« A voix nue », Charles Enderlin,
« témoin engagé », du lundi 1er
au vendredi 5 février à 20 heures
sur France Culture.
« 24 heures pour entreprendre
dans l’artisanat »
Lundi 1er février, RTL et l’Assemblée
permanente des chambres de
métiers et de l’artisanat (APCMA)
lancent une opération inédite afin de
faciliter la reprise d’entreprises. Grâce
à une carte interactive, accessible
depuis RTL.fr, les internautes
accéderont à 6 000 offres de reprises,
partout en France et dans tous les
secteurs. RTL diffusera aussi durant
toute la journée des reportages sur
les opportunités offertes par la
reconversion dans l’artisanat et la
difficulté pour certains commerçants
à trouver des repreneurs. Sur les
réseaux sociaux (via le hashtag
#RTLbougepourlemploi), les
internautes auront un accès direct à
la carte interactive et aux offres de
reprises de commerces.
LUNDI 1ER – RTL – À PARTIR DE 9 H 30.
R E N CON TR E
« Carte blanche
à Juliette Gréco »
Soirée autour et avec Juliette Gréco :
table ronde, invités et live.
L’événement sera animé par Didier
Varrod, en direct de l’auditorium
du Louvre, à Paris.
VENDREDI 5 – FRANCE INTER – À PARTIR
DE 21 HEURES
CON CE RTS
Beethoven (Créatures de Prométhée,
Ouverture, Symphonie n° 1) et Brahms
(Symphonie n° 4), en direct, au Quartz
de Brest. Avec l’Ensemble Matheus,
dirigé par Jean-Christophe Spinosi.
MARDI 2 – RADIO CLASSIQUE – 20 H 30.
Concert de Patrick Bruel, enregistré
le jeudi 28 janvier au studio 105
de la Maison de la radio, à Paris.
JEUDI 4 – FRANCE BLEU – 21 HEURES.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 026
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. Remise en état pas toujours du
meilleur efet. II. A retrouvé l’air libre.
Plusieurs fois rois de Suède et du
Danemark. III. Saint du cantal. Mettra
de l’ordre dans les afaires. IV. Patron
dans la Manche. Permet d’appliquer
la loi. Fera de belles alliances. V. A la
tête du vieux cerf. Bien enroulés.
VI. Grecque en Thrace. Négation. Proposition pour gens d’actions. VII. Petit à un bout. Permet de changer le
bénéiciaire à l’encaissement. Pareil.
VIII. Entrent en résistance. On peut
compter sur eux. Dans les comptes
de l’entreprise. IX. Fait l’innocent.
Prendrai en location. X. Avec application et respect.
VERTICALEMENT
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 025
HORIZONTALEMENT I. Chênes-lièges. II. Rutilai. Kapo. III. Oman. TGV. Lam.
IV. Qui. Diaspora. V. Usèrent. An. VI. Massues. Mi. VII. Miens. Russes.
VIII. Ornière. Aile. IX. Rat. Raison. X. Tisonnassent.
VERTICALEMENT 1. Croque-mort. 2. Humus. Irai. 3. Etaiements. 4. Nin.
Rani. 5. El. Dessein. 6. Satins. 7. Ligaturera. 8. Vs. Eu. As. 9. Ek. Passais.
10. Galon. Sise. 11. Epar. Melon. 12. Somatisent.
1. Les plus vives peuvent être cinglantes. 2. Médecine classique et oicielle.
3. Navigateur portugais. S’exprime
librement. Grande partie du globe.
4. Font leur entrée à table. 5. Passe
beaucoup de temps à table. Préposition. Blanc et ductile. 6. Dans la
gamme. A la tête du client. Avait son
Littré auprès de lui. 7. Assurent les
bonnes mesures. 8. Vu sous un angle
nouveau. 9. Dieu ou déesse. A suivi
son père sur l’Arche. 10. Espace de
culture. Ne peut pas faire le malin.
Porteur de disque solaire. 11. Tour de
la Botte. Bonne noix. 12. Mettait à
mal le régicide.
SUDOKU
N°16-026
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;
Par courrier électronique :
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Médiateur : [email protected]
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Finances : http://inance.lemonde.fr ;
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n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
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Corinne Mrejen
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80, bd Auguste-Blanqui,
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Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
23 |
usages
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
A
près les poulaillers et le compost, le réveil au chant du coq :
plus les Français s’urbanisent,
plus la vie en campagne semble les inspirer. Voilà qu’ils redécouvrent
les vertus du lever aux aurores, avec le
chant du coq (ou, ici, du réveil). La traduction française du Miracle Morning d’Hal
Elrod paraîtra le 10 mars en France, les
éditions First ayant perçu l’appétence
pour cette recette « simple et lumineuse »
dont il s’est vendu 70 000 exemplaires
cet été aux Etats-Unis : « Comme on ne
quitte pas son boulot, on cherche en soi les
moyens d’améliorer sa vie », résume-t-on
chez l’éditeur.
Hal Elrod est l’un de ces nombreux professionnels américains du développement personnel qui, à longueur de conférences et vidéos payantes, guide qui veut
le suivre vers un changement de vie. Son
créneau ? Le lever très tôt, qui permet de
« dédier un moment à la personne que
nous souhaitons devenir ». Une heure ou
deux, avant de démarrer la journée, pour
méditer, lire, écrire, songer aux objectifs
fixés pour la journée ou la vie, et faire du
sport. Rituel matinal prescrit à ceux qui
aspirent tout autant au bien-être qu’à la
réussite financière. Car renoncer à appuyer sur le bouton « snooze » du radioréveil, entamer chaque jour en étant plein
d’entrain, doit amener au « niveau suivant », lit-on, au « plein potentiel » puis au
Graal : « la hausse des revenus ».
Une appli anti-rendormissement
Il semble que, en France aussi, l’on en
vienne à exploiter ce dernier créneau horaire disponible dans des emplois du
temps toujours plus chargés. La surenchère à la remontée de la pendule est bien
lancée. Dès 6 heures ou 7 heures du matin, dans les grandes villes, il devient possible de prendre des cours de yoga ou de
gym, de nager ou de se faire coiffer. Quatre des vingt-deux salles parisiennes du
CMG Sports Club, par exemple, offrent ce
que d’aucuns considèrent comme un privilège : suer quand d’autres rêvent encore.
« Et nous allons vers la généralisation, cela
marche très bien, constate le PDG, Franck
Hédin. La tendance globale est au 24 h/24,
comme aux Etats-Unis. Les clients n’ont le
temps ni en journée ni le week-end, qu’ils
réservent aux enfants. Pour le “perso”, ils se
lèvent donc plus tôt. Le sport ? C’est fait, se
disent-ils. Ils peuvent ensuite passer la journée devant l’ordinateur. »
Les nouvelles « routines matinales » génèrent aussi tout un nouveau business
d’aide à l’extraction du lit. Des applications pour smartphone (qui contraignent
à se lever, puis à tourner sur soi-même, téléphone en main, pour arrêter l’alarme,
ou vous dénoncent auprès des amis sur
Facebook en cas de rendormissement)
aux tapis connectés, qu’il faut fouler aux
pieds pour éteindre la sonnerie du réveil.
Bien évidemment, l’exploit matinal accompli s’affiche fièrement sur les réseaux
sociaux. Sur fonds photographiques de
radioréveils réglés sur 5 heures, de soleils
levants et d’appareils de musculation encore plongés dans la semi-pénombre, les
agités de l’aube se motivent par le décompte : « Mon 32e jour aujourd’hui »,
« Premier jour, lever à 6 heures, focalisation, running une heure, lecture, petit déj’,
prête pour la journée »…
Ils ont l’enthousiasme communicatif
des convertis. Comme Thomas Blondel,
web designer de 26 ans, qui tweetait cet
automne : « Courir à 6 heures. Fait » ou
« Mon “miracle morning” s’améliore chaque jour ». Ce Nordiste, jadis surnommé
« tour du cadran » par ses parents, traînait
volontiers sur le Net, le soir, repoussant
sans cesse les limites du réveil. « Je me levais à 8 h 15 pour être à 9 heures au bureau… avec une demi-heure de route. Cet
été, j’ai lu The Miracle Morning, et ça m’a
parlé. Je me suis progressivement couché et
levé plus tôt. Ça a été dur pendant une vingtaine de jours. Aujourd’hui, c’est hallucinant, je me réveille à 6 heures quasi naturellement pour prendre un temps pour
moi, me faire plaisir : méditation, yoga,
course, bouquin, je travaille sur un projet,
je note des choses dans un cahier, humeurs
ou organisation de la journée… »
Depuis, il se réjouit (« Ma vie a changé »),
et son employeur au moins autant que
lui. Sa productivité matinale s’en est ressentie. « J’arrive plus alerte, plus épanoui,
avec un plat à réchauffer le midi que je me
AURORE PETIT
lève-toi tôt et marche !
Venue des Etats-Unis, la tendance des « morningophiles » gagne
l’Hexagone. Ou comment mettre son réveil à l’aube pour méditer,
courir ou faire la fête serait source de bien-être
« QUAND TU POSTES
UNE PHOTO DE RUNNING
À 6 HEURES DU MATIN
SUR INSTAGRAM,
ON NE TE DIT PAS
“T’ES MALADE”,
MAIS “RESPECT,
TU MAÎTRISES” »
OLIVIER RAMEL
fondateur
des Fêtes matinales Wakatepe
suis cuisiné le matin ! » Sur les sept trentenaires salariés de son entreprise, trois tentent désormais d’appliquer la formule
magique du bonheur et de la réussite.
Côté américain, cette dernière est constamment mise en avant. Les grands patrons, les people, les politiques qui comptent, font du rameur à 5 heures, répètet-on à l’envi, avant de citer la maxime du
premier président, George Washington
(« Se coucher de bonne heure et se lever le
matin procure santé, fortune et sagesse »).
Côté français, davantage que la maximisation de la journée, c’est celle du bienêtre qui prime.
Les « before work » fleurissent
Ce sont d’abord les jeunes salariés surmenés, et notamment les mères de famille,
qui veulent croire au « miracle ». Comme
Juliette Siozac, une Aixoise de 37 ans, conseil en communication, deux fois maman.
« Avant, je me levais au dernier moment, et
c’était la course. Depuis que j’ai mis le réveil
à 6 heures, j’ai une petite heure pour moi
plus ressourçante qu’une heure de sommeil. Quand je réveille les filles, je suis hyper
zen, la journée commence du bon pied, je
me suis déjà nourrie moi-même. » Charlotte Pignal, à Toulouse, s’est également
saisie de ce « dernier créneau » sans travail,
mari, ni enfants, pour faire ce qu’elle avait
envie de faire et gagner en sérénité. « On
prend le matin le temps de se rappeler qui
l’on est, ce que l’on veut faire et pourquoi.
On est ensuite moins dans le combat contre
la liste des choses à faire, moins dans la procrastination, aussi. On se sent super bien,
énergisé. »
Avec une poignée de copines ayant en
commun d’œuvrer dans le marketing ou
la communication, et d’avoir connu, lors
d’expatriations, les courses au supermarché, cours de gym et autres cafés entre
amies dès potron-minet, Juliette Siozac a
eu l’idée d’importer ce mode de vie à
l’anglo-saxonne. Le concept « She is morning » est né. Fêtes d’avant-boulot, entre
6 h 30 et 9 h 30 du matin, réservées aux
femmes, où l’on enchaîne yoga, ateliers
antistress, müesli et yaourt de brebis, sur
fond musical apaisant. L’idée éveille l’intérêt. Après Montpellier, Toulouse, Biarritz,
Aix-en-Provence et Paris ont suivi – prochaine date dans la capitale, le 5 février. Fin
2016, onze villes auront leur before work
féminin, quatre fois l’an.
Depuis la première, en 2014, les soirées
du matin, où l’on se trémousse sur fond de
musique électronique, un jus de fruit frais
à la main, prolifèrent, sur le modèle des
« Morning Gloryville » londoniens. A Paris, on se lève pour les fêtes Wakatepe. « Le
matin, c’est devenu cool », assure leur jeune
cofondateur, Olivier Ramel, 24 ans, tout
juste diplômé d’une école de commerce et
témoin vivant d’une étonnante inversion
du « cool » chez le jeune Parisien : « Quand
tu postes une photo de running à 6 heures
du matin sur Instagram, on ne te dit pas
“T’es malade”, mais “Respect, tu maîtrises”.
C’est un moment de déconnexion et de reconnexion avec soi-même. Ceux qui sortent
tard le soir ne font rien de leur vie. »
A Rennes, en octobre 2015, Anne-Claire
Loaëc a lancé les Good Morning Rennes,
avec deux autres trentenaires. Venir à
7 heures, un jeudi matin, déguisé. Les
300 places à 5 euros ont immédiatement
trouvé preneur. « Des 20-40 ans, surtout »,
a observé l’organisatrice qui, avec une
amie, pratiquait déjà la marche hebdomadaire au petit matin, horaire garant d’une
absence d’imprévu. « Il y avait aussi des retraités et des enfants avec le cartable sur le
dos. Le décalage apporte de la bonne humeur. Cela casse tellement la routine de se
lever pour mettre un déguisement et aller
faire la fête ! »
Le « supplément de vie » du matin,
comme sous-titré en couverture de la version française du Miracle Morning, impose une discipline – les éveillés au chant
du coq se couchent avec les poules. Cela
n’est pas donné à tout le monde, alertent
par ailleurs certains médecins, qui préconisent, surtout, de respecter son rythme
biologique et de ne pas trop jouer avec le
sommeil, si facile à dérégler.
Christophe André, psychiatre à l’hôpital
Sainte-Anne à Paris, et spécialiste des troubles anxieux, est un adepte de la méditation au réveil, quand tant de ses contemporains ont pour premier réflexe d’allumer le téléphone portable. « Si vous vous
consacrez à vous-même un premier temps,
dans la journée, si vous vous étirez, méditez,
faites de la musique, marchez dans la nature, parlez avec des gens que vous aimez,
cela change tout. » Pour la bonne raison,
étaie-t-il, que l’on distingue alors ce qui est
urgent (et vaut châtiment si on ne le fait
pas) de ce qui est important et provoquera
une carence à terme. « Vous vous accordez
de l’attention, de la tendresse. Vous avez allumé le bon logiciel. » p
pascale kremer
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0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE
par sylvie kauffmann
Demain, une
époque formidable
V
ous trouvez l’époque
mouvementée ? Vous
n’avez encore rien vu.
Quand
l’un
des
meilleurs joueurs professionnels
de go au monde se fait battre par
une machine, le moment est venu
de faire une pause, souffler un peu
et prendre la mesure de ce qui
nous attend.
Nous avions pourtant parfaitement intégré le fait que ce joueur,
Fan Hui, champion d’Europe, fût
d’origine chinoise. D’abord parce
que le go a été inventé il y a trois
mille ans en Chine, ensuite parce
que, au XXIe siècle, l’ascension de
la Chine fait partie de notre environnement économique et géopolitique. « L’Europe appartient au
passé, l’Amérique au présent, l’Asie
au futur », aime à déclamer le politologue singapourien Kishore Mahbubani. En réalité, tout ça est dépassé. Et, face à ce qui se prépare,
les Chinois ne sont pas beaucoup
mieux outillés que nous.
Ce qui se prépare, ce grand bouleversement qui est là, au coin de
la décennie, prêt à déferler, c’est ce
qu’un vieux professeur suisse,
sorte de professeur Tournesol très
fort en marketing, appelle la quatrième révolution industrielle.
Avant d’inventer la quatrième révolution industrielle, cet homme,
Klaus Schwab, a inventé le Forum
économique mondial de Davos ;
tout naturellement, il a donc demandé au Forum, pour son édition de 2016, qui vient de se terminer, de se pencher sur les défis et
promesses de ladite révolution.
Pour mémoire, les trois précédentes sont celles de la vapeur, qui
a mécanisé la production, puis
celle de l’électricité qui a créé la
production de masse, et la révolution numérique, qui a vu les technologies de l’information automatiser la production. La quatrième n’est pas simplement le
prolongement de la troisième :
l’accélération et l’ampleur du progrès technologique sont telles
qu’elles nous font basculer dans
une nouvelle ère, l’ère de l’intelligence artificielle, des objets connectés, de la robotique et des big
data. Une ère, dit M. Schwab, où
« la fusion des technologies efface
les frontières entre les sphères physique, biologique et numérique ».
Saut dans l’inconnu
Le Pr Schwab n’a pas fait découvrir
l’eau chaude aux cerveaux invités
à Davos. D’autres cénacles,
comme les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence en 2015,
ont exploré les conséquences de
ces ruptures technologiques, notamment pour le monde du travail ; bien des études savantes ont
été menées. La recherche et les applications liées à l’intelligence artificielle ont donné une nouvelle
jeunesse à la Silicon Valley. Cette
révolution, pourtant, reste le secret le mieux gardé des élites économiques mondiales. Pourquoi ?
Parce que, précisément, si son potentiel les fait rêver, son impact social les stresse terriblement. Tous
savent que cela va être énorme.
Mais quant à en définir les contours, c’est le saut dans l’inconnu.
Si un ordinateur peut battre un
champion professionnel de go,
imaginez combien il peut pourrir
la vie d’un DRH.
Une étude du Forum économique, par exemple, avance le chiffre
EN CINQ ANS,
7 MILLIONS
D’EMPLOIS SERAIENT
DÉTRUITS, MAIS
SEULEMENT
2 MILLIONS CRÉÉS
QUAND L’UN DES
MEILLEURS JOUEURS
DE GO EST BATTU
PAR UNE MACHINE,
LE MOMENT EST VENU
DE PRENDRE
LA MESURE DE CE
QUI NOUS ATTEND
de 7 millions d’emplois qui seront
détruits en cinq ans dans quinze
secteurs économiques. Heureusement, 2 millions d’autres emplois
seront créés – en comptant bien,
cela fait quand même un résultat
net de 5 millions d’emplois en
moins. Rassurez-vous, le pire n’est
pas sûr. Des métiers disparaîtront ; d’autres, évidemment, apparaîtront. Lesquels ? Combien ?
Nul ne le sait encore.
Les progrès que permet cette
nouvelle révolution dans la recherche sont époustouflants.
« Mind-blowing », répète avec passion Bill Gates, l’homme le plus riche du monde qui, lui, a compris
que le meilleur moyen d’en orienter l’impact social était d’investir
sa fortune dans la philanthropie,
tout en faisant progresser la
science. L’être humain maîtrise
aujourd’hui les moyens de rendre
la machine plus intelligente que
lui : c’est « mind-blowing », parce
que l’humanité peut en tirer un
profit fabuleux. La machine, on le
sait, peut faire beaucoup de choses
à notre place : la robotisation est
déjà bien avancée dans les processus industriels. Mais elle sait aussi
penser à notre place, et souvent
plus loin que nous. Et là, beaucoup
des implications de ces possibilités restent à découvrir.
Ces implications nous concernent tous, travailleurs, entreprises, administrations, Etats, communauté internationale. Pour
l’instant, les interrogations se concentrent sur les transformations
qu’elles feront subir au travail, au
nombre et à la nature des emplois,
et sur les moyens d’éviter qu’elles
aggravent les inégalités, tendance
lourde du monde actuel. Vont-elles achever de laminer les classes
moyennes ? « L’accent doit être mis
sur les compétences, pas sur les emplois », répond Satya Nadella, PDG
de Microsoft. Alors, comment former les travailleurs de demain ?
C’est la partie visible de l’iceberg. Les défis, en réalité, vont
bien au-delà. Ils portent sur la
protection des données privées,
le niveau de contrôle des Etats,
l’éthique, la sécurité… José Maria
Alvarez-Palette, DG de Telefonica,
estime qu’il faut rendre aux individus la propriété de leurs données personnelles qui seront
amassées lorsque tous les objets
qui nous entourent seront connectés. Chuck Robbins, PDG de
Cisco, note qu’un « nouveau degré
de confiance est requis, au-delà de
tout ce que nous avons connu
dans l’histoire : confiance dans les
systèmes qui gèrent les données,
dans les gens qui ont accès aux
données, dans les technologies qui
protègent les données ». Lui s’attend à voir émerger 1 million d’emplois dans la cybersécurité, « sans
que nous ayons pour l’instant les
qualifications correspondantes ».
Dans sa sagesse toute asiatique,
Fan Hui, le champion de go, a confié au Monde après sa défaite : « Je
pense que les ordinateurs vont
changer le go. » Chacun voit midi
à sa porte. Mais il n’y a pas que la
vie des joueurs de go qui va changer. Et nous ferions bien, tous, de
nous y préparer. p
[email protected]
Tirage du Monde daté samedi 30 janvier : 281 328 exemplaires
SYRIE,
UN PROCESSUS
EN TROMPE-L’ŒIL
C
onsciente des risques d’un boycottage, l’opposition syrienne a annoncé, vendredi 29 janvier, l’envoi
in extremis d’une délégation aux pourparlers de paix de Genève, qui se sont ouverts
le même jour. Les opposants au régime de
Bachar Al-Assad étaient soumis à de fortes
pressions, tant de leur base populaire que
de la communauté internationale. D’un
côté, les Syriens vivant dans les zones insurgées jugent ce processus de paix, lancé à
l’automne 2015 à Vienne et concrétisé par la
conférence de Genève, indécent et inutile
tant que se poursuivent les bombardements aveugles de civils par les avions syriens et russes, le siège des villes et villages
et les entraves mis par le régime au passage
de l’aide humanitaire. De l’autre, le secré-
taire d’Etat américain, John Kerry, a mis en
garde l’opposition contre le torpillage de ce
qu’il présente comme une « chance historique » de mettre fin à l’épouvantable conflit
syrien, qui a causé au moins 260 000 morts
et poussé sur les routes de l’exil plus de
4 millions de personnes en près de cinq ans.
Pour se tirer d’affaire, la délégation de
l’opposition a exigé la mise en œuvre de
mesures humanitaires, menaçant d’en
faire une précondition à sa participation.
L’émissaire des Nations unies sur la Syrie,
Staffan de Mistura, a fait remarquer, à juste
titre, à la délégation de l’opposition que ces
mesures étaient incluses dans la résolution
2254 du Conseil de sécurité de l’ONU, consacrant le processus de Vienne et de Genève,
et qu’il n’y avait donc pas lieu d’en faire une
condition préalable à toute négociation. Il
semble que cela n’aille pas de soi pour la
délégation du gouvernement syrien, uniquement préoccupée de discuter de la
« lutte contre le terrorisme ».
Ce démarrage en forme de fausse ouverture augure mal d’une conférence présentée comme « historique ». L’opposition syrienne, traversée par les divisions, contrairement au camp gouvernemental, n’est pas
sortie grandie de ses tergiversations de dernière minute ; elle est apparue, une fois de
plus, comme inexpérimentée, hésitante,
versatile. Mais comment lui donner tort
alors qu’elle pose la seule question qui
PRÉSENTE
vaille à l’orée de ces négociations : pourquoi discuter d’un partage du pouvoir et
d’élections alors que l’on continue à mourir
littéralement de faim en Syrie, comme c’est
le cas dans la ville de Madaya, assiégée par
l’armée du régime et son allié libanais du
Hezbollah ? Selon Médecins sans frontières, 1,5 à 2 millions de Syriens sont pris au
piège par les sièges imposés par le régime
mais aussi par l’opposition. Comment accepter que la Russie, dont l’aviation détruit
méthodiquement toute infrastructure de
survie en zone rebelle (boulangeries industrielles, hôpitaux, etc.), veuille par-dessus le
marché dicter la composition de la délégation de l’opposition, comme ce fut le cas
ces derniers jours ?
M. de Mistura semble avoir écarté la proposition insistante de Moscou d’inviter, en
plus du régime et de l’opposition, une troisième délégation composée de vrais-faux
opposants au régime. C’est une bonne
chose, car cette troisième partie n’aurait fait
que brouiller les cartes un peu plus dans une
équation déjà passablement embrouillée.
Mais le silence du médiateur de l’ONU et les
ambiguïtés de l’administration américaine
durant les jours précédant l’ouverture de la
conférence de Genève ont entamé la confiance de l’opposition. Si les parrains du processus de paix veulent éviter un nouvel
échec, il va leur falloir s’occuper un peu plus
de paix et un peu moins de processus. p
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Les Etats-Unis menacés
par une reprise molle
La V2 du
« Safe Harbor »
n’est pas pour
tout de suite
▶ Au quatrième
P
arviendront-ils à un accord à temps ? La Commission européenne et le département américain du commerce ont jusqu’au lundi
1er février pour trouver un successeur au « Safe Harbor ».
Le « Safe Harbor », c’est cet accord qui, pendant quinze ans, a
permis à plus de quatre mille entreprises d’exporter des données
personnelles de citoyens vers les
Etats-Unis, alors que les lois américaines n’offrent pas de protection suffisante au regard du droit
européen.
Ce régime d’exception permanente a été aboli par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2015, à la suite d’une plainte
déposée contre Facebook et des
révélations d’Edward Snowden
sur la surveillance des agences de
renseignement américaines.
A partir de mardi, les sociétés
privées transférant des données
de citoyens européens vers les
Etats-Unis grâce à cet accord seront en infraction caractérisée.
Parvenir à un nouveau texte
dans les temps semble difficile,
même si Isabelle Falque-Pierrotin,
la présidente de la CNIL et du G29,
le groupe des 29 autorités de régulation européennes, veut y croire.
« Il peut encore y avoir un accord.
Tout le monde y a intérêt. Après, il
faut qu’il soit suffisamment substantiel », affirme-t-elle. p
trimestre,
la croissance
a ralenti à 0,7 %
en rythme
annuel
▶ Si la consommation résiste,
l’activité
industrielle
fléchit
▶ La hausse du
dollar pénalise
les exportations
▶ La Réserve
fédérale ne
relèvera ses
taux que très
graduellement
→ LIR E
PAGE 3
A New York.
KARSTEIN MORAN/
« THE NEW YORK TIMES »/REDUX-REA
La crise migratoire, nouveau front budgétaire en Europe
▶ Les Etats membres de l’Union rechignent à financer collectivement les coûts liés à l’accueil des réfugiés
bruxelles - bureau européen
C
ombien la crise des migrants que
connaît aujourd’hui le Vieux
Continent va-t-elle coûter à
l’Union européenne (UE) ? Qui va payer,
et avec quel argent ? C’est un débat qui ne
fait que commencer entre Bruxelles, Pa-
ESPACE
LES EUROPÉENS NE SE
LANCENT PAS DANS
LA BATAILLE DES FUSÉES
RÉUTILISABLES
→ LIR E
PAGE 3
PLEIN CADRE
REVITALISER LE NORD
DE L’ANGLETERRE,
LE RÊVE BRUMEUX
DE DAVID CAMERON
→ LIR E
PAGE 2
j OR | 1 118 $ L'ONCE
j PÉTROLE | 35,99 $ LE BARIL
J EURO-DOLLAR | 1,0831
J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,92%
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,64 %
VALEURS AU 30/01 - 9 H 30
ris, Berlin ou Rome… mais qui promet
déjà d’être particulièrement ardu.
Un exemple ? Fin novembre 2015, l’UE
a promis 3 milliards d’euros à la Turquie,
en échange de son engagement de limiter
les flux de migrants quittant ses côtes
pour la Grèce, porte d’entrée de la « route
des Balkans ». Or, deux mois plus tard,
l’argent n’est toujours pas sur la table. Les
diplomates bruxellois étaient tout près
d’aboutir, à la mi-janvier, avec 2 milliards
d’euros devant venir des budgets des Etats
membres et 1 milliard d’euros tirés directement du budget de l’UE.
Mais l’Italie a bloqué ce montage. Elle
demande que le budget européen soit da-
vantage mis à contribution. Selon plusieurs sources bruxelloises, le chef du
gouvernement italien, Matteo Renzi, tenterait aussi de monnayer son feu vert
contre une meilleure prise en compte de
ses intérêts européens.
cécile ducourtieux
→ LIR E L A S U IT E PAGE 4
→ LIR E PAGE 8
4 000
NOMBRE D’ENTREPRISES
AMÉRICAINES (DONT FACEBOOK,
GOOGLE ET AMAZON...)
ADHÉRENTES AU « SAFE HARBOR »
VU D’ORLANDO
Compétences au rabais
P
our Leo Perrero et Dena Moore, le
monde merveilleux de Disney s’est
transformé en cauchemar il y a un an.
Ces deux experts en informatique ont
été victimes d’un plan de restructuration de
250 personnes au parc Disney World d’Orlando
(Floride). A la perte de leur emploi s’est ajoutée
l’humiliation : les derniers mois de leur contrat
ont été passés à former leurs remplaçants.
Dans les deux cas, il s’agissait de salariés indiens, bénéficiant d’un visa temporaire dit
« H-1B ». Généralement, il est délivré à des travailleurs étrangers à haute compétence dans le
domaine scientifique ou informatique, quand
une entreprise n’arrive pas à recruter un Américain. Le procédé est très en vogue, notamment
dans la Silicon Valley. Chaque année,
85 000 « H-1B » sont accordés.
Leo Perrero et Dena Moore ont, eux, le sentiment de s’être fait remplacer poste pour poste
par des salariés moins bien payés. Ils accusent
Disney d’avoir détourné la procédure d’obtention de visa pour réduire la masse salariale. Ils
ont décidé, comme l’a révélé le New York Times,
d’attaquer la société devant la cour fédérale de
Tampa. Les deux SSII qui lui ont fourni la
main-d’œuvre – HCL et Cognizant – sont également citées à comparaître.
Même s’il s’agit d’une première judiciaire
pour les Etats-Unis, la vigilance des autorités
s’accentue. Le ministère du travail enquête chez
Disney et chez Southern California Edison, une
compagnie d’électricité qui est aussi soupçonnée de remplacer certains salariés à bon compte
grâce au « H-1B ». Disney se défend d’avoir contourné la loi, soulignant que, sur les 250 personnes remerciées, 95 ont retrouvé un poste dans
le groupe. Mais, alors que le thème de l’immigration est au cœur de la campagne présidentielle, le Congrès s’est saisi de la question.
Intense lobbying des géants du Net
D’abord, en décembre 2015, les frais facturés
aux sociétés souhaitant accueillir des « salariés
H-1B » ont été doublés, à 4 000 dollars
(3 665 euros). Puis, Ted Cruz, l’un des candidats
à l’investiture républicaine, a proposé une loi
pour porter le salaire minimum annuel d’un
bénéficiaire d’un « H-1B » à 110 000 dollars,
pour ôter tout effet d’aubaine pour les entreprises tentées de réduire leurs coûts salariaux.
Au printemps 2015, Ronil Hira, un professeur
d’Howard University (Washington DC), soulignait devant le Sénat que le recours à des étrangers sous visa « H-1B » pouvait faire économiser
aux entreprises de 25 % à 49 % en termes de salaires. De son côté, l’Institut des ingénieurs en
électricité et en électronique a lancé une pétition en ligne pour encourager les Américains
victimes de ces abus à les dénoncer.
En attendant, cette affaire risque de compliquer la tâche des géants de l’Internet comme
Google, Facebook ou Microsoft, qui font un intense lobbying pour relever le nombre de
« H-1B », ainsi que celle de nombreuses jeunes
pousses qui ont du mal à trouver, aux EtatsUnis, les compétences dont elles ont besoin. p
stéphane lauer
Cahier du « Monde » No 22097 daté Dimanche 31 janvier - Lundi 1er février 2016 - Ne peut être vendu séparément
220 PAGES
12 €
ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016
2 | plein cadre
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Liverpool (nord-ouest
de l’Angleterre),
dont les Beatles
sont originaires,
s’est débarrassée
de son image
de ville sinistrée.
PHIL NOBLE/REUTERS
Londres cherche son Nord
REPORTAGE
liverpool, manchester (angleterre) -
C’
envoyé spécial
est un quartier comme il
en pousse un peu partout dans les villes européennes : autrefois à
l’abandon, connu pour
ses prostituées et ses
sans-abri, le Baltic Triangle de Liverpool
(nord-ouest du pays) est progressivement réhabilité. Il devient branché, et est pris d’assaut par des jeunes en tee-shirts et tatouages,
qui profitent des tarifs bas et de l’ambiance
décontractée pour y lancer leur start-up.
Dans le bâtiment en briques apparentes, la
petite équipe de l’entreprise de marketing
Agent pratique tous les jours la méditation et,
une fois par semaine, le yoga, tandis que leur
caniche vient renifler les visiteurs. James Harper, 24 ans, est le « vidéographe » de l’équipe,
selon l’expression de sa carte de visite.
En 2015, il habitait Londres, où il avait
trouvé un emploi après ses études. « C’était
l’horreur. Je ne pouvais me payer aucun logement et je m’étais installé dans le [comté du]
Buckinghamshire, à une heure et demie de
mon travail. » Quand l’occasion de partir pour
Liverpool s’est présentée, il a sauté dessus.
« Ici, j’ai mon propre appartement, et il y a bien
davantage d’offres de travail intéressantes. »
Le gouvernement britannique rêve de voir
les trajectoires comme celle de James se multiplier. Le Royaume-Uni est écrasé par Londres, qui concentre les entreprises et la richesse : 38 % de la valeur ajoutée du pays est
produite dans le sud-est de l’Angleterre ; par
comparaison, en France, l’Ile-de-France n’en
produit « que » 30 %. L’écart entre le Nord et le
Sud est béant : au Nord, le salaire médian est
un tiers plus faible ; le taux de chômage, un
point supérieur (6 % contre 5 %) ; les résultats
scolaires sont moins bons… Et le fossé ne
cesse de se creuser. La croissance de Londres
en 2014 était de 5,4 %, tandis que celle du Nord
tournait autour de 3 %.
Dans sa superbe mairie néogothique, qui
rappelle l’extraordinaire richesse de la révolution industrielle dans sa ville, le maire de
Manchester, Richard Leese, enrage : « L’Angleterre est la troisième nation la plus centralisée d’Europe, après l’Albanie et l’Ecosse ! »
Le chancelier de l’Echiquier, George Os-
La réduction de l’écart Nord-Sud
est un vieux serpent de mer
britannique. Le ministre
des finances conservateur,
George Osborne, poursuit
le « Northern Powerhouse »,
un projet de décentralisation
borne, rêve de réduire cette profonde et historique division Nord-Sud. En juin 2014, il a
lancé un concept un peu nébuleux, intitulé
« Northern Powerhouse » (« le moteur du
nord »). « Le moteur de Londres domine de
plus en plus. Ce n’est pas sain pour notre économie. Ce n’est pas bon pour notre pays. Nous
avons besoin d’un moteur du Nord », a-t-il déclaré. Depuis, il passe son temps à vanter ce
projet.
Sa vision : il faut rapprocher les cinq grandes villes du Nord (Liverpool, Manchester,
Sheffield, Leeds et Newcastle). Ensemble, la
région compte 15 millions d’habitants, dans
une zone géographique limitée : à l’exception
de Newcastle, toutes se trouvent dans un
rayon de 60 kilomètres autour de Manchester. Avec de meilleures infrastructures, l’espoir est d’en faire un couloir économique à
l’image de la région Rhin-Rhur en Allemagne.
Jeudi 28 janvier, une étape importante a été
franchie. Une grande loi de décentralisation
a été promulguée, accordant des pouvoirs
renforcés aux villes qui le souhaitent. Les
cinq grandes cités du Nord vont en faire partie. Des agglomérations vont être créées, à
l’image du grand Manchester, qui va rassembler dix communes. Un maire élu au suffrage direct sera à leur tête.
« C’EST DU VENT »
La décentralisation diffère d’une ville à
l’autre, mais prévoit des pouvoirs sur les
transports régionaux, les services de santé,
le logement, la police, le développement économique… Financièrement, l’impact doit en
principe être neutre : le changement n’implique ni coupe ni cadeau budgétaire. « Les décisions vont enfin être prises sur place par les
gens qui connaissent la région, explique James Wharton, le secrétaire d’Etat chargé du
Northern Powerhouse. Avant, la tendance
« L’ANGLETERRE EST
LA TROISIÈME NATION
LA PLUS CENTRALISÉE
D’EUROPE,
APRÈS L’ALBANIE
ET L’ÉCOSSE ! »
RICHARD LEESE
maire de Manchester
était d’imposer des solutions imaginées depuis Londres. » Les nouvelles agglomérations
obtiennent aussi un début d’autonomie fiscale : elles pourront augmenter ou baisser à
leur guise l’impôt foncier local appliqué aux
entreprises.
Pourtant, au Baltic Triangle, l’initiative du
Northern Powerhouse est accueillie avec un
immense scepticisme. « C’est du vent, un concept politique vide », balaie Jacob Bolton, un
collègue de James Harper, dans l’entreprise
Agent. Dans l’atelier de la rue voisine, David
Pichilingi ne cache pas son dédain. La cinquantaine, il a créé en 2008 Sound City, un
festival de musique qui se tient tous les ans à
Liverpool. « J’attends de voir ce qui sera vraiment fait. Pour l’instant, George Osborne s’approprie le crédit de la régénération de Liverpool, qui n’a rien à voir avec lui. »
Liverpool a en effet tourné depuis longtemps la page désastreuse des années 1980,
quand le chômage était endémique et le centre-ville quasiment déserté. Le long de la rivière Mersey, les anciens docks sont désormais une zone de culture très animée. Plusieurs musées ont ouvert, dont l’un consacré
aux Beatles, et un autre à l’ancien trafic d’esclaves qui passait par le port.
Un grand centre des congrès a été inauguré.
Le centre-ville a été refait, en grande partie
grâce à l’immense investissement de Grosvenor, la holding détenue par le duc de Westminster, l’un des hommes les plus riches du
Royaume-Uni. Ce dernier a construit un
grand centre commercial et des rues marchandes qui ne désemplissent pas. Liverpool
a été couronnée capitale européenne de la
culture en 2008. Un « festival international
du business », soutenu par le gouvernement,
s’y est aussi déroulé en 2014.
Beryl Greenberg, qui travaille pour LecLight,
une PME locale qui produit de l’éclairage à faible consommation d’énergie, y était. « Je me
rappelle prendre une pause pendant le festival et regarder autour de moi : il faisait beau,
les docks étaient complètement refaits, de
beaux bateaux mouillaient dans la Mersey.
C’était parfait. Je n’en revenais pas que ce soit
ma ville. »
S’il reste des poches de pauvreté très sévères, l’amélioration est évidente. Le même
phénomène se produit à Manchester, et,
dans une moindre mesure, dans les autres
villes du Nord. Le secret ? La région a profité
de la croissance exceptionnelle du RoyaumeUni du milieu des années 1990 à la crise de
2008-2009. Et les aides publiques du gouvernement britannique mais aussi de l’Union
européenne ont beaucoup aidé. Pourtant,
l’écart a continué à s’accroître avec le Sud, où
la croissance était encore plus forte.
Parmi les ambitions du projet figure celle
de renforcer les axes de transport Est-Ouest,
très mauvais. « De Manchester à Leeds, il y a
70 kilomètres. A l’heure de pointe, ça me
prend deux heures et demi », s’agace Clive
Memmott, le directeur de la chambre de
commerce de Manchester. Se rendre à Londres en train est plus rapide.
« UN POTENTIEL ÉNORME »
Le problème principal est la chaîne de montagnes des Pennines, qui coupe la région en
son cœur et fait goulot d’étranglement.
Pour améliorer les routes dans cette zone,
qui est un parc naturel protégé, il faudrait
creuser l’un des plus grands tunnels au
monde. Mais en attendant cet hypothétique
projet pharaonique, le gouvernement a promis 13 milliards de livres (17 milliards
d’euros) d’investissement dans les transports du Nord, en particulier pour les
liaisons ferroviaires. Si l’argent était engagé
avant le projet du Northern Powerhouse, les
décisions vont désormais être prises de façon décentralisée.
Le gouvernement espère aussi lancer une
ligne de train à grande vitesse entre Londres,
Manchester et Leeds. Véritable serpent de
mer, le projet pourrait être approuvé en 2016,
et les premières locomotives devraient circuler jusqu’au Nord vers 2027.
Pour l’instant, beaucoup de projets donc,
mais rien de très concret. « Nous en sommes
au début, reconnaît James Wharton, le secrétaire d’Etat. Mais le potentiel est énorme.
Nous donnons au Nord le capital politique et
le soutien nécessaires à son développement. »
Le Northern Powerhouse n’est cependant
pas dénué d’arrière-pensées politiques. Le
Nord est un bastion travailliste où les conservateurs sont presque entièrement absents.
M. Osborne, dont la circonscription est située au sud de Manchester, est l’une des rares exceptions. Beaucoup de patrons d’entreprises de la région habitent son fief, et leur
influence n’est sans doute pas étrangère à sa
démarche. Il espère redresser l’image des Tories dans la région.
Les leaders locaux ne sont bien sûr pas dupes. « Mais ça fait dix-sept ans que je me bats
pour obtenir plus de pouvoirs décentralisés,
explique M. Leese, le maire travailliste de
Manchester. Qu’est-ce que je suis censé dire
quand on me les accorde enfin, même si ça
vient d’un gouvernement conservateur ? »
L’égalité Nord-Sud est encore loin. Mais
M. Leese et les autres leaders du Nord entendent désormais saisir leur chance. p
éric albert
économie & entreprise | 3
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
La croissance américaine a flanché en fin d’année
Aux Etats-Unis, la consommation ralentit et l’industrie est en phase de récession
new york - correspondant
L’
économie américaine
est tombée dans une
certaine torpeur au quatrième trimestre 2015.
Le produit intérieur brut (PIB) des
Etats-Unis n’a progressé que de
0,7 % en rythme annualisé entre
octobre et décembre, autant dire
une quasi-stagnation en termes
réels. Cette première estimation,
publiée vendredi 29 janvier par le
département américain du commerce, représente une nette décélération par rapport aux deux trimestres précédents, au cours desquels la croissance avait été respectivement de 3,9 % et de 2 %.
Sur l’ensemble de l’année, le PIB
du pays n’a progressé que de 2,4 %,
comme en 2014. Une fois de plus,
les espoirs d’assister à une franche
accélération de la croissance après
six ans de reprise s’envolent.
Ces chiffres confirment la prudence exprimée deux jours auparavant par la Réserve fédérale (Fed,
banque centrale) sur le dynamisme de l’économie des EtatsUnis. Constatant un ralentissement, l’institution monétaire s’est
dite très vigilante de l’impact sur le
pays du ralentissement chinois et
des soubresauts des marchés financiers. Dans ce contexte, la Fed
a préféré laisser ses taux inchangés après une première hausse en
décembre 2015.
Tout en résistant, la consommation des ménages, qui représente
70 % de l’activité économique aux
Etats-Unis, a déçu les attentes
avec une hausse limitée (+ 2,2 %)
au quatrième trimestre. Il s’agit
en fait d’un ralentissement par
rapport au trimestre précédent,
au cours duquel les dépenses des
Américains avaient progressé de
3 %. C’est d’autant plus décevant
que tout les poussait à sortir leur
portefeuille : le dynamisme des
créations d’emplois, avec un taux
de chômage à 5 % de la population
active, et un pouvoir d’achat dopé
par la faiblesse des prix du pétrole. « Le ralentissement de la
consommation reste assez intriguant, d’autant que la météo a été
VARIATION TRIMESTRIELLE
EN RYTHME ANNUALISÉ
DU PIB DES ÉTATS-UNIS, EN %
4,6
4,3
3,9
2,1
2
0,7
0,6
T2
T3
2014
T4
T1
T2
T3
T4
2015
SOURCE : BLOOMBERG
assez favorable », relève Thomas
Julien, économiste chez Natixis à
New York.
Après une saison des fêtes très
mitigée dans la distribution, la
question est de savoir s’il s’agit
d’un simple accident de parcours
car, sur l’ensemble de 2015, avec
+3,1 %, la consommation a connu
sa meilleure performance depuis
une décennie. Pour M. Julien, il
existe même un potentiel de rebond avec le surcroît de pouvoir
d’achat donné par la baisse des
prix de l’essence. « Les ménages
mettent du temps à s’ajuster à ce
type de choc positif sur leurs revenus », insiste-t-il. Une observation
que vient corroborer le moral des
consommateurs, qui reste à un niveau élevé, d’après l’indice de
l’université du Michigan, publié
également vendredi.
Baisse des investissements
Du côté des entreprises, les choses
se gâtent sensiblement. Les investissements ont reculé de 1,8 % en
rythme annualisé. Il s’agit de la
première baisse depuis le troisième trimestre de 2012. La croissance était encore de 2,6 % entre
juillet et septembre 2015. Dans le
secteur de l’énergie, qui subit l’impact de la baisse des prix du pétrole, c’est la chute libre. Les dépenses en infrastructures pour l’extraction pétrolière et gazière se
Puits de pétrole dans le Dakota du Nord. Le secteur de l’énergie souffre de la baisse du prix de l’or noir. ANDREW CULLEN/REUTERS
sont écroulées de 35 %, soit le plus
fort recul depuis 1986. Plus généralement, les entreprises ont également réduit leurs stocks au quatrième trimestre, ce qui a coûté
0,45 point de pourcentage au PIB.
Autre signe inquiétant, la chute
de 5,1 % des commandes de biens
durables en décembre 2015. Quasiment tous les secteurs sont touchés : l’industrie manufacturière
(– 6,9 %), les machines-outils
(–5,6 %), les ordinateurs et les équipements électroniques (–8,7 %)
ainsi que les équipements de communication (– 20,5 %). Même
l’automobile, qui faisait jusque-là
preuve d’un dynamisme à toute
épreuve, reflue (– 0,4 %). Sur l’en-
semble de 2015, les commandes de
biens durables ont reculé de 3,5 %.
Il s’agit de la première baisse depuis 2009, alors que l’économie
des Etats-Unis sortait à peine de la
crise. Aujourd’hui l’industrie américaine est clairement en phase de
récession, comme l’indiquent les
derniers chiffres de l’ISM.
Les exportations, freinées par la
montée du dollar par rapport aux
autres devises, sont également un
sujet de préoccupation. Le déficit
du commerce extérieur s’est ainsi
creusé à 566,1 milliards de dollars
(522 milliards d’euros), retranchant près d’un demi-point de
pourcentage au PIB. Ce chiffre est
toutefois à prendre avec précau-
Les exportations
ont été freinées
par la hausse du
dollar. Et le déficit
du commerce
extérieur
s’est creusé
tion dans la mesure où les données définitives de décembre 2015
ne sont pas encore intégrées. Le
département du commerce doit
publier deux nouvelles estimations d’ici le mois de mars.
L’investissement dans l’immobilier résidentiel fait figure d’îlot
de prospérité au milieu du ralentissement généralisé, avec une
progression de 8,1 % au quatrième
trimestre de 2015, après + 8,2 % au
trimestre précédent. Malgré tout,
le ralentissement de fin d’année
incite les économistes à revoir à la
baisse leurs anticipations de croissance pour 2016. Bank of America
Merrill Lynch table sur + 2,1 %, contre les + 2,5 % prévus précédemment. De son côté, Natixis est
passé de + 2,3 % à + 2 %. La croissance molle qui caractérise ce début de reprise aux Etats-Unis semble bien vouloir s’installer… p
stéphane lauer
L’Europe ne suivra pas Space X dans le cosmos… pour l’instant
La priorité d’Airbus Safran Launchers (ASL) est de développer dans les temps de la nouvelle fusée Ariane 6 pour un lancement en 2020
P
as la peine de se faire de
nœud au cerveau : la seule
manière d’être compétitif,
c’est de lancer Ariane 6 le plus vite
possible. » Mardi 26 janvier, François Auque, le président d’Airbus
Defence & Space, a été catégorique. Face à l’Américain Elon Musk,
qui, avec Space X, veut bouleverser la conception des lanceurs en
les rendant réutilisables et donc
moins chers, les Européens ne
changeront pas de stratégie. Ils ne
le suivront pas dans cette voie, du
moins pour l’instant.
« N’attendez pas de moi que je
sous-estime la performance de
Space X, bien au contraire », affirme en préalable M. Auque en revenant sur le succès enregistré midécembre 2015 par la fusée Falcon 9 qui s’est reposée en douceur
sur son pas de tir après avoir mis
en orbite un satellite. « Ce qui a été
prouvé ce jour-là, c’est la récupération de la fusée, pas sa réutilisation », relativise-t-il. Or, « le pas est
énorme » entre la prouesse technique et le réemploie des fusées
dans des conditions économiques
satisfaisantes.
Cela dépend en grande partie de
la taille du marché visé. « Il faut
beaucoup de volume pour que cela
devienne un business model rentable », dit-il, l’estimant à plusieurs
dizaines de lancements par an.
Certains évoquent le seuil de
trente tirs, ce qui est loin d’être le
cas, sur le seul marché commercial
de mise en orbite des satellites de
communication. Les tirs d’Ariane
tout comme ceux de Falcon se
comptent à peine sur les doigts des
deux mains. Pour y parvenir, « le
pari d’Elon Musk est d’utiliser en
plus le volume de la NASA », explique M. Auque, très caustique sur la
façon dont des investisseurs privés
peuvent se développer grâce au
soutien des commandes publiques pour des missions civiles ou
militaires. « Mais, nous Européens
n’avons pas cette possibilité », souligne-t-il, le nombre de lancements
de tels satellites étant faible et très
inférieur à ceux des Américains.
Conçu dans l’urgence
Dans ces conditions, tous les efforts sont concentrés sur Ariane 6,
dont le premier vol est prévu
en 2020. Conçu dans l’urgence
pour répondre à l’arrivée du trublion américain qui a déstructuré
le marché voici deux ans en cassant les prix, le nouveau lanceur
sera 40 % moins cher qu’Ariane 5 et
compétitif avec les offres de SpaceX. Ce ne sont pas seulement des
modifications techniques qui permettent ces économies, mais aussi
une réorganisation complète de la
filière industrielle.
Tous les acteurs ont été rassemblés au sein d’une société Airbus
Safran Launchers (ASL). Détenue à
parité par Airbus et Safran, elle
contrôlera aussi Arianespace,
chargée de la commercialisation et
du lancement des fusées. Mais
ASL, qui aurait dû être lancée en fin
d’année 2015, connaît du retard à
l’allumage en raison d’un problème fiscal. Pour arriver à être à
parité au tour de table, Safran a
versé à Airbus Group une soulte de
800 millions d’euros sur laquelle
le groupe franco-allemand doit
maintenant payer des impôts.
C’est là que le bât blesse, Airbus renâclant à cette perspective. Des négociations sont en cours avec le
ministère des finances pour sortir
de l’impasse.
« Sans toucher à une seule seconde du calendrier d’Ariane 6,
nous continuons d’explorer des pistes de réutilisation », affirme néan-
« Sans toucher
au calendrier
d’Ariane 6, nous
explorerons
des pistes
de réutilisation »
FRANÇOIS AUQUE
président
d’Airbus Défence & Space
moins François Auque. Cependant, ces évolutions technologiques ne seront mises en œuvre
qu’après 2020 sur la fusée européenne. En raison de son importance, ce sujet devrait être abordé
lors de la prochaine conférence interministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), prévue à
l’automne.
« Absence de projets ambitieux »
Pendant ce temps, Elon Musk
poursuit ses essais avec, un objectif : emmener des passagers sur
Mars d’ici une dizaine d’années.
Même si, le 17 janvier, la deuxième
tentative d’atterrissage en douceur de sa fusée Falcon 9 s’est soldée par un échec, le jeune milliardaire mise sur un taux de succès de
70 % cette année et de 90 % dans
un an. Il vient d’étendre ces travaux à la capsule Dragon prévue
pour transporter des astronautes
vers la Station spatiale internationale (ISS) et surtout les ramener
sur Terre. Depuis le 25 janvier, une
vidéo sur Internet montre la réussite des tests sur les moteurs.
Face à ce dynamisme américain
dans le spatial, dont Space X est
emblématique, François Auque regrette « l’absence de projets ambitieux des Européens ». Certes, tout
ce qui est fait est « formidable », estime-t-il, mais il manque la dimension humaine. « Tant que l’Eu-
rope n’aura pas une politique et une
vision pour l’homme dans l’espace,
l’ambition européenne ne sera pas
de la même nature que celles des
grandes puissances », comme les
Etats-Unis, la Russie ou la Chine.
Dans cet esprit, le patron de la division spatiale d’Airbus « soutient
à fond » le projet de village lunaire
avancé par Jan Wörner, le nouveau
dirigeant de l’Agence spatiale européenne (ESA) dès sa prise de fonction en juillet 2015. « Il ne s’agit pas
de bâtir de petites maisons et
d’avoir une mairie, une église, etc. »,
a expliqué M. Wörner, le 15 janvier.
« Dans mon idée, c’est un endroit où
différentes personnes arrivent avec
des idées et créent quelque chose
qui n’est pas seulement individuel »,
a poursuivi l’ancien patron de
l’agence spatiale allemande DLR.
Cela va d’un organisme public
intéressé par des expériences
scientifiques à une compagnie minière privée venue faire de l’exploration en passant par l’installation
d’une base relais pour aller plus
loin dans l’espace. « Nous discutons au niveau mondial pour voir si
cela suscite assez d’intérêt », a-t-il
prévenu imaginant bien que ce
village-laboratoire prenne le relais
de la Station spatiale internationale dont la mission a été prolongée jusqu’en 2024. Cela laisse du
temps au rêve. p
dominique gallois
LES CHIFFRES
70
C’est le nombre de lancements
réussis d’Ariane 5 depuis 2003
après le succès du tir de la fusée
mercredi 27 janvier à Kourou,
en Guyane. Il s’agit du premier
de l’année.
8
C’est le nombre de lancements
de la fusée européenne qu’Arianespace envisage de réaliser
cette année. Ce serait un record,
pour le numéro un mondial
des lanceurs. En 2015, il avait
procédé à 6 tirs.
14
C’est le nombre de commandes
de satellites géostationnaires
décrochées par Arianespace
en 2015, sur les 25 mis sur le
marché. Le groupe européen
conforte son avance sur son rival
SpaceX qui a emporté neuf satellites, les deux restants allant
à ILS et sa fusée russe Proton, et
à l’américain ULA et son lanceur
Atlas.
4 | économie & entreprise
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Réfugiés : l’Europe face à un casse-tête budgétaire
Les pays membres de l’Union européenne montrent un défaut de solidarité face à la crise migratoire
suite de la première page
Depuis quelques semaines, Matteo Renzi est en froid avec Bruxelles. La Commission européenne
refuse de lui accorder plus de
marge de manœuvre budgétaire.
Le président du Conseil italien
a fait le voyage à Berlin, vendredi
29 janvier, pour tenter d’arrondir
les angles avec la chancelière Angela Merkel – cette dernière a de
nouveau promis aux Turcs, ces
derniers jours, qu’ils auraient leur
argent. Mais la réunion n’a pas été
décisive : « l’Italie est prête à faire
sa part », a toutefois déclaré
M. Renzi en soirée. Il a aussi rappelé avoir dit sur le principe « oui
à l’assistance à la Turquie » en novembre 2015. Mais il attend encore « des réponses des amis de la
Commission européenne ».
La difficulté des Européens
à s’entendre sur une somme
pourtant modeste au regard, par
exemple, des dizaines de milliards d’euros qu’ils ont mobilisés
ces cinq dernières années pour
sauver la Grèce de la faillite reflète
leur manque total de solidarité
sur la crise migratoire.
Les
Etats
rechignent
aujourd’hui à payer collectivement pour un « fardeau » que
seuls quelques-uns supportent :
la Grèce et dans une moindre mesure l’Italie, en temps que « pays
de première entrée » dans l’UE.
Mais surtout l’Allemagne et la
Suède, là où les migrants souhaitent tous déposer leurs demandes
d’asile.
Combien la crise a-t-elle d’ores
et déjà coûté ? C’est pour l’instant
difficile à calculer, le compte
n’ayant pas encore été fait précisément par les Etats. Mais le ministre allemand des finances,
Wolfgang Schäuble, a lancé le débat, à la mi-janvier. « Nous devons
penser au-delà. Avec les trois milliards d’euros, nous ne faisons
avancer qu’une partie de la solution », a-t-il déclaré dans une interview au quotidien Süddeutsche
Zeitung. Il suggère l’instauration
d’un prélèvement « réfugiés » assis sur la consommation de car-
Les Etats
rechignent
à payer
collectivement
pour un
« fardeau » que
seuls quelquesuns supportent
jeux : déjà 54 500 migrants sont
arrivés en Europe depuis le 1er janvier, selon l’agence des Nations
unies pour les réfugiés.
Remettre à plat le budget de
l’UE ? C’est théoriquement possible, dès cette année, la Commission ayant promis une « clause de
revue » du cadre 2014-2020. Mais
procédera-t-elle plus avant, avec
une « révision » complète ? C’est
peu probable tant l’appétit est faible dans les Etats membres, hors
l’Allemagne.
Réfugiés sur le quai de la gare de Tabanovce (Macédoine), jeudi 28 janvier. BORIS GRDANOSKI/AP
burant. « Si les budgets nationaux
ou celui de l’Europe ne suffisent
pas, mettons-nous d’accord pour
instaurer par exemple une taxe
d’un certain niveau sur chaque litre d’essence », avance-t-il.
Remise à plat
Ces sorties s’adressent directement à l’opinion publique de son
pays. L’Allemagne a déjà accueilli
l’essentiel des migrants arrivés en
Europe en 2015 (1,1 million), et
consacre à cette question des
montants considérables. Certes,
elle peut se le permettre : première économie de la zone euro,
elle a dégagé un excédent colossal, de 12 milliards d’euros en 2015,
qui va être entièrement consacré
à l’accueil des migrants. Mais face
à des citoyens de plus en plus inquiets, Berlin ne pourra sans
doute pas continuer à ce rythme.
Avec ces interventions publiques, M. Schäuble veut aussi poser la question du budget européen, qui pourrait prendre le relais de celui de son pays pour faire
face au coût de la crise et permettre que les charges soient plus
équitablement réparties.
Mais ce budget est trop peu
flexible et pas assez conséquent,
a expliqué le ministre allemand,
le 14 janvier, à Bruxelles. Il faudrait le remettre à plat, a-t-il suggéré, réallouer les fonds « flé-
chés » depuis des années vers les
mêmes priorités européennes
historiques. Voire lui adjoindre
des ressources propres supplémentaires, d’où sa suggestion
d’un impôt sur l’essence.
De fait, le budget de l’UE – soit
162 milliards d’euros pour 2015 –
n’est pas « construit » pour répondre à un besoin urgent de financement. Alimenté par les contributions des Etats, il est négocié sur
une base pluriannuelle. Il a ainsi
fallu deux ans pour parvenir à le
boucler pour la période 2014-2020
et ventiler ses différents chapitres
– politique agricole commune
(PAC), fonds de cohésion sociale et
régionale, aides à l’emploi.
La France entend faire fructifier l’accord
sur la restructuration de la dette de Cuba
Raul Castro effectue, à compter de lundi, une visite d’Etat dans l’Hexagone
P
our la première fois, le drapeau cubain flotte sur les
Champs-Elysées. Lorsque
Fidel Castro avait été embrassé
par Danielle Mitterrand sur le perron de l’Elysée, en 1995, sa présence dans le cadre d’une visite
non officielle avait été jugée embarrassante. La « diplomatie économique » prime désormais et
Raul Castro est accueilli avec tous
les honneurs d’une visite d’Etat,
lundi 1er février.
François Hollande avait été le
premier chef d’Etat européen à se
précipiter à La Havane, en
mai 2015, dans la foulée de la normalisation des relations de l’île
des Caraïbes avec les Etats-Unis,
scellée en décembre 2014.
Lors de cette visite, Paris espère
capitaliser sur l’accord trouvé le
12 décembre 2015 entre le Club de
Paris, présidé par la France, et
Cuba sur la restructuration de
16 milliards de dollars (14,7 milliards d’euros) de dettes sur lesquels La Havane avait fait défaut
en 1986. Le pays traînait cette ardoise comme un boulet, ne pouvant emprunter. La Russie, la première, avait décidé, en 2014, de
passer par profits et pertes 90 %
de ses créances, estimées à 35 milliards de dollars. Les sommes
dues aux pays occidentaux et au
Japon, réunis au sein du Club de
Paris, s’élevaient à 11,9 milliards
de dollars, dont 4,6 milliards pour
la France. En décembre 2015, les
bailleurs ont renoncé aux intérêts
de retard. Les Français ont ensuite
engagé une négociation bilatérale
sur le principal de leur créance,
soit 360 millions d’euros, avec
l’idée de réinjecter ce montant
dans des projets de développement à Cuba susceptibles d’intéresser des entreprises tricolores.
Dépendances aux importations
Une feuille de route devrait être
actée pendant la visite de M. Castro. La première mesure portera
sur l’installation d’une antenne
de l’Agence française de développement (AFD) à La Havane. Les
Cubains ont des besoins en infrastructure et en logistique qui pourraient intéresser les sociétés de
l’Hexagone. Sont concernés, le réseau d’assainissement de La Havane, très mal entretenu depuis
un demi-siècle, et les transports
publics – la SNCF a d’ores et déjà
procédé à un premier examen de
l’état du chemin de fer qui traverse l’île. Et les entreprises présentes ne demandent qu’à voir
croître leur activité.
Dans le secteur des spiritueux,
le groupe Pernod Ricard vise, depuis la fin de son bras de fer avec
la marque de rhum Bacardi, le
haut de gamme. Dans l’hôtellerie,
Accor veut rattraper son retard
sur ses rivaux espagnols, alors
que le nombre de touristes bat des
records : 3,5 millions de personnes, provenant d’Amérique du
Nord et d’Europe. De son côté, Total songe à produire le bitume
dont les routes et les rues de Cuba
ont un grand besoin.
Mais, malgré ses atouts, l’île
n’est pas encore le paradis des affaires. Sur le port de Mariel, le
méga projet financé et mis en
œuvre par le groupe brésilien
Odebrecht – il est assorti d’une
« zone spéciale de développement » – tarde à attirer des entreprises. Une dizaine seulement
aurait franchi le pas. Les installations portuaires ont bien été
inaugurées en 2012, mais les cargos ne se bousculent pas.
L’adoption d’une nouvelle loi,
en 2014, pour les investissements
étrangers et la présentation d’un
portefeuille d’opportunités à destination des intéressés n’ont pas
suscité la ruée.
Résultat, depuis que Raul Castro
est aux commandes de l’île (2006),
la croissance annuelle moyenne
n’a guère dépassé 2,8 %, avec une
progression de seulement 0,6 %
dans l’agriculture. Cette situation
explique les pénuries que subit le
pays et sa dépendance aux importations, un phénomène qui affecte
le secteur hôtelier.
Rodrigo Malmierca, le ministre
cubain du commerce extérieur et
de l’investissement étranger, estime que l’île a besoin de 8 milliards de dollars pour assurer son
décollage économique. « L’embargo américain n’est pas le principal obstacle, mais l’absence de sécurité juridique et le flou sur le droit
de propriété » sont autant d’obstacles, explique un entrepreneur
européen sous couvert d’anonymat. L’opacité sur les comptes publics et sur les réserves de la banque centrale ne favorise pas davantage la confiance.
Le problème est plus général.
« L’ONG Reporters sans frontières
[RSF] enjoint François Hollande de
ne pas esquiver la question fondamentale de la liberté de la presse
lors de ses échanges avec Raul Castro », a lancé Emmanuel Colombié, chef du bureau Amérique latine de RSF. La Havane peine à
rompre avec ses vieux démons. p
paulo a. paranagua
Il n’est possible de l’ajuster
d’une année sur l’autre qu’à la
marge. Les budgets annuels restent consommés par la PAC
(62 milliards d’euros pour 2015,
38 % du total) et les fonds de cohésion sociale et territoriale (61 milliards d’euros). La part pour les
migrants et l’aide au développement n’était que de 2 milliards
d’euros par an jusqu’à présent.
Au prix d’intenses tractations
entre la Commission de Bruxelles, le Conseil (les Etats membres)
et le Parlement européen, cette
enveloppe « migration, développement » a été portée à 4 milliards
d’euros pour 2016. Mais cela reste
très insuffisant au regard des en-
Invendable « taxe migrants »
En France, le débat sur la PAC est
tabou, idem pour celui sur les
fonds structurels dans les pays de
l’Est. Et de toute façon, les tractations en cours entre Londres et
Bruxelles pour éviter un « non »
britannique au référendum sur
l’appartenance du Royaume-Uni
à l’UE « vitrifient » littéralement la
discussion budgétaire.
Le 10 Downing Street pointant
régulièrement du doigt sa contribution, jugée trop importante, au
« pot commun » européen, personne à Bruxelles n’a envie de relancer ce type de polémique en ce
moment.
Quant à l’instauration d’une
« taxe migrants », vu le raidissement des opinions publiques partout en Europe sur le sujet, c’est
une option qui paraît politiquement invendable, du moins pour
le moment. Quoi qu’il en soit, si le
flux des migrants vers le Vieux
Continent continue à ce rythme,
la question du financement va devenir explosive. p
cécile ducourtieux
I N T ER N ET
Facebook régule
les ventes d’armes
sur son réseau
Facebook veut empêcher que
son réseau social ou son application de partage de photos
Instagram soient utilisés
comme intermédiaires pour
négocier des ventes d’armes
entre particuliers. Le groupe
américain a mis à jour ses règles d’utilisation, vendredi
29 janvier. Elles interdisent
aux utilisateurs qui ne sont
pas des vendeurs d’armes licenciés d’utiliser Facebook
pour proposer des armes à la
vente ou négocier des transactions entre particuliers.
I N FOR MAT I QU E
Apple travaille
sur des casques
de réalité virtuelle
Le groupe américain Apple a
réuni une équipe d’experts de
la réalité virtuelle et construit
des prototypes de casques
susceptibles de rivaliser avec
ceux que préparent d’autres
géants du secteur – le casque
Rift de la société Oculus, rachetée en 2014 par Facebook,
ou le prototype HoloLens de
Microsoft –, a affirmé le Financial Times, vendredi
29 janvier. – (AFP.)
PÉT R OLE
Première perte depuis
2002 pour Chevron
La chute des prix de l’or noir a
englouti les profits du groupe
américain Chevron. Il a accusé
une perte de 588 millions de
dollars (543 millions d’euros)
au quatrième trimestre 2015,
contre un bénéfice de
3,47 milliards de dollars à la
même période de 2014, selon
des résultats publiés vendredi
29 janvier. C’est la première
fois depuis le troisième trimestre 2002 que la société
perd de l’argent. – (AFP.)
Vallourec prépare une
augmentation de capital
L’action du fabricant français
de tubes sans soudure Vallourec a été suspendue, vendredi
29 janvier, à la Bourse de Paris. Elle avait décroché de plus
de 14 % après l’annonce par
l’agence financière Bloomberg que le groupe préparerait
une augmentation de capital
de 450 millions d’euros. Le titre a perdu près de 80 % de sa
valeur en un an. La capitalisation boursière de Vallourec est
tombée à 549 millions
d’euros. – (AFP.)
T EXT I LE
Quicksilver sort
du chapitre 11
La justice américaine a approuvé le plan de restructuration de Quiksilver aux EtatsUnis, a annoncé, jeudi
28 janvier, la marque de vêtements, spécialisée dans les
sports de glisse. Ce plan prévoit la sortie du chapitre 11 sur
les faillites de la société et sa
prise de contrôle par le fonds
d’investissement Oaktree Capital Management, actionnaire de la marque de surf
australienne Billabong.
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
PARIS
FRANCFORT
LONDRES
+ 1,85 %
+ 0,34 %
+ 3,11 %
CAC 40
DAX 3 0
F TS E 10 0
4 417,02 POINTS
9 798,11 POINTS
6 083,79 POINTS
EURO STOXX 50
NEW YORK
+ 2,32 %
+ 0,72 %
DOW JONES
3 045,09 POINTS
16 466,30 POINTS
NASDAQ
TOKYO
+ 3,30 %
+ 0,50 %
NIKKEI
4 613,95 POINTS
17 518,30 POINTS
Les marchés actions toujours en proie au doute
La Bourse de Shanghaï a chuté de 23 % en janvier, entraînant à la baisse toutes les autres places mondiales
V
ivement février ! C’est ce
que doivent se dire tous les
traders de la planète, au
terme d’un mois de janvier apocalyptique en Bourse. A l’image d’un
navire sans capitaine, les marchés
financiers ont semblé désemparés.
Pris dans la tempête, sans boussole
ni gouvernail, ils ont tangué, roulé,
et cherché en vain leur voie durant
les premières semaines de l’année,
soumis à une forte volatilité, l’équivalent boursier du gros temps maritime. Il n’y a plus une semaine, désormais, sans sa « journée noire »
sur une place ou sur une autre.
Voire sur toutes.
Mardi 26 janvier, c’est une fois encore la Bourse de Shanghaï, le
maillon faible des marchés actions,
qui a été touchée de plein fouet. Son
indice phare s’est effondré de plus
de 6,4 %, dans une atmosphère de
dépression due, notamment, à la
nouvelle chute des cours du pétrole.
L’approche des vacances du Nouvel
An lunaire – début février – a accentué par ailleurs la morosité car elle
est synonyme de moindres mouvements sur les marchés, et donc de
turbulences potentiellement encore plus prononcées. Au total, la
place de Shanghaï s’est effondrée de
23 % en janvier, enregistrant sa pire
performance mensuelle depuis la
crise financière de 2008.
Les raisons de cette débandade ?
La deuxième économie mondiale a
connu, en 2015, sa plus faible croissance depuis un quart de siècle.
L’activité continue de s’essouffler,
et les doutes sur la capacité du gouvernement chinois à éviter un atterrissage brutal s’intensifient. Ces
Les banques italiennes ont la cote
Plusieurs établissements bancaires italiens ont bondi, vendredi 29 janvier au matin, à la Bourse de Milan, à la suite d’informations de presse et de publication de résultats. Les médias transalpins affirment que la voie est désormais ouverte
pour une fusion entre Banco Popolare et Banco Popolare di
Milano (BPM). De cette opération naîtrait le troisième plus important groupe du secteur en Italie, derrière Intesa Sanpaolo
et Unicredit. Les autorités italiennes auraient en effet été convaincues par les dirigeants des deux établissements qu’une
des options qu’elles privilégiaient – une fusion entre BPM, Ubi
Banca et Monte dei Paschi si Siena (BMPS) – risquait de se révéler longue et compliquée. De son côté, BMPS, considérée
comme la plus vieille banque de la planète, a annoncé, jeudi,
avoir enregistré un bénéfice net de 390 millions d’euros
en 2015, son premier en cinq ans.
incertitudes, conjuguées à un marché pétrolier qui enregistre des surplus, ont contribué à faire chuter
violemment les cours de l’or noir,
passés en janvier sous le seuil symbolique des 30 dollars le baril.
Au final, sur la semaine, le CAC 40
a crû de 1,85 %, tandis que le DAX allemand progressait de 0,34 % et que
le Footsie britannique s’adjugeait
3,11 %. Outre-Atlantique, le S&P 500
s’est apprécié de 1,75 %, quand le
Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques, gagnait 0,50 %.
Coup de frein américain
Il semble difficile d’entrevoir la
moindre embellie. Même les banquiers centraux, hier héros d’investisseurs prêts à les croire sur parole,
semblent rencontrer les pires difficultés pour ramener un semblant
de calme. Mercredi, c’est la réunion
de la Réserve fédérale américaine
(Fed, banque centrale) qui a jeté le
trouble dans l’esprit des investisseurs. « Le comité de politique monétaire surveille de très près la situation
économique et financière mondiale,
et évalue actuellement ses effets sur
le marché du travail et sur l’inflation », a averti l’institution monétaire dirigée par Janet Yellen, dans
un communiqué. Pas de quoi apaiser des marchés déjà confortés dans
l’idée que 2016 s’ouvre sous les auspices les plus incertains…
Côté Vieux Continent, même
l’étoile du très écouté Mario Draghi, le président de la Banque cen-
Héros d’hier,
les banquiers
centraux
semblent
rencontrer les
pires difficultés
pour ramener
un semblant
de calme
trale européenne (BCE), semble pâlir. « Nous nous demandons pourquoi les marchés financiers sont suffisamment naïfs pour croire qu’une
politique monétaire plus expansionniste de la BCE va les pousser
fortement à la hausse », soulignaient cette semaine les analystes
de Natixis dans une note. Et de rappeler qu’ajouter de la liquidité sine
die – ce que fait l’institution de
Francfort depuis mars 2015 en rachetant chaque mois quelque
60 milliards d’euros d’actifs sur les
marchés – ne résoudra pas les problèmes structurels d’une zone économique où les chefs d’Etat ne veulent pas s’attaquer de front aux véritables problèmes. « La faible croissance en zone euro vient
essentiellement de la faiblesse (…)
des gains de productivité [et] des
problèmes institutionnels (règles du
marché du travail, comme la protec-
tion de l’emploi, inefficacité dans
certains pays du système de formation) », explique encore Natixis.
Selon le gérant américain d’actif
State Street, qui publie régulièrement un indice mondial de la confiance des investisseurs, ce dernier
s’est établi à 108,8 en janvier, en
baisse de 1,7 point par rapport au
niveau enregistré en décembre 2015. « Ce recul résulte d’une
baisse de 110,5 à 108,8 de l’indice de
la confiance en Amérique du Nord,
ainsi que du repli de 1,5 point de l’indice en Asie, et de 0,1 point en Europe », expliquent les gérants.
Et ce n’est pas la première estimation de la croissance aux Etats-Unis
au quatrième trimestre de 2015, publiée vendredi 29 janvier, qui va
mettre du baume au cœur des investisseurs. Entre octobre et décembre de 2015, le produit intérieur brut
(PIB) du pays n’a crû que de 0,7 % en
rythme annualisé, après avoir enregistré une hausse de 3,9 % au
deuxième trimestre et de 2 % au
troisième. La chute des dépenses de
consommation et le ralentissement des exportations causé par un
dollar fort expliquent en grande
partie ce coup de frein.
Si nombre d’économistes tablent
sur un rebond de l’activité au premier trimestre de 2016, cet indicateur décevant vient alimenter les
craintes que le moteur de la croissance américaine ne soit en train de
caler, à son tour. p
audrey tonnelier
MATIÈRES PREMIÈRES
TAUX & CHANGES
L’amande ne boit plus de petit-lait
Gare au burn-out, Janet !
L’
amande devient amère.
En particulier pour les
producteurs californiens.
Après avoir tutoyé les sommets, le
cours du fruit sec se trouve broyé.
Il a perdu près de la moitié de sa
valeur en six mois. En août 2015,
la livre d’amandes standard s’arrachait à 4,70 dollars (4,30 euros).
Elle ne vaut plus que 2,60 dollars
aujourd’hui. Une véritable douche froide pour les exploitants
agricoles, alors que les pluies diluviennes, et même la neige, ont interrompu une longue phase de sécheresse dans cet Etat de l’Ouest
américain.
Le manque d’eau a d’ailleurs mis
l’amande californienne sur le gril.
Les critiques se sont élevées pour
dénoncer la culture trop gourmande d’un arbre qui n’a rien
d’un chameau. Un seul de ses
fruits absorbe 3,80 litres d’eau
avant d’arriver à maturité. Et les
400 000 hectares de vergers engloutissent 10 % du précieux liquide consommé par l’agriculture
dans cette partie des Etats-Unis.
Ses défenseurs mettent, eux, en
avant son poids économique. Car
la Californie ne se résume pas aux
fortunes des géants de l’Internet.
A quelques miles de la Silicon Valley, dans la Central Valley, vergers,
champs de coton ou maraîchages
se déploient sur l’horizon. Une véritable ruée vers l’or vert.
Demande en berne
Dans cette corne d’abondance
agricole, l’amande tient une place
à part. A elle seule, elle pèse plus
de 4,1 milliards de dollars dans la
balance des exportations américaines. Soit trois fois plus que les
vins californiens. Et pour cause.
Ce seul Etat américain concentre,
Chute
VARIATION DU PRIX DE L’AMANDE, EN DOLLARS LA LIVRE
4,6
2,8
1,1
JANVIER 2001
JANVIER 2016
SOURCE : DERCO FOODS
à lui seul, 83 % de la production
mondiale de ce fruit à coques. Le
deuxième producteur est l’Australie (7 %), suivie de l’Europe (5 %).
La crise climatique semble avoir
glissé sur les vergers d’amandes
californiens comme l’eau sur la
plume des canards. En 2015, quatrième année consécutive de sécheresse, la récolte a encore progressé de 2,5 %, dépassant les
950 000 tonnes. Au gré de la
baisse de pression dans les
tuyaux d’arrosage, les agriculteurs ont préféré laisser en jachère champs de melons ou de coton plutôt que de se priver de leur
culture la plus rentable.
Ce calcul les avait déjà amenés à
accorder de plus en plus de terres
aux amandiers, snobant carottes
ou fraises. Soit 50 % de surfaces en
plus en une décennie. La flambée
du prix, qui avait doublé en cinq
ans, ne les a pas incités à faire
amende honorable. D’autant que
la collective des Amandes de Californie, qui pèse 5,7 milliards de dollars, ne lésine pas sur les moyens
pour inciter les consommateurs
du monde entier à croquer le fruit
sec ou à boire son lait en vantant
ses qualités nutritionnelles.
Sauf que la machine s’est grippée. Les clients sont devenus plus
regardants à la dépense. En particulier au Moyen-Orient, où l’or
noir s’est terni. Les regards se
tournent vers les pistaches et noix
de cajou, qui croquent des parts
de marché. Récolte abondante,
demande en berne… l’amande ne
boit plus de petit-lait. p
laurence girard
L
es psychologues du travail appellent
cela le « syndrome de Superman ».
Depuis quelques années, il se manifeste de plus en plus souvent en entreprise.
Ses victimes sont partout : cadres, employés, chefs de service qui, pour des raisons aussi diverses que la pression, le souseffectif ou le fantasme de la performance,
se fixent soudain comme objectif de mener
tous les combats de front.
Grisé par un sentiment de toute-puissance, dopé à la caféine, le Superman s’imagine capable de gérer en maître toutes les
tâches – y compris celles de ses collègues –,
de travailler plus vite, mieux, sans limite. Il
ne compte plus les heures, envoie des mails
au milieu de la nuit, soulève des montagnes. Et cela fonctionne. Pendant un temps,
les victimes du syndrome de Superman
sont bel et bien des superhéros. Jusqu’à ce
qu’elles s’effondrent, terrassées par l’épuisement professionnel : le burn-out.
Cela se produit tous les jours, dans les
PME comme dans les grands groupes. Mais
pas seulement. Les banquiers centraux eux
aussi sont victimes, depuis 2008, du syndrome de Superman. Et, aujourd’hui, ils
sont menacés de burn-out.
nois, l’activité indienne, les devises sudaméricaines et la volatilité des Bourses
européennes, c’est la migraine assurée. Et la
garantie de l’échec, tant ces problèmes ont
des causes structurelles différentes.
De l’autre côté de l’Atlantique, Mario Draghi souffre, lui aussi, du syndrome de Superman. Alors que son prédécesseur, JeanClaude Trichet, se préoccupait seulement
de l’inflation, le président de la BCE a élargi
sa mission à la stabilité financière, la sauvegarde de la monnaie unique, la convergence des taux souverains, la baisse de
l’euro, la surveillance des banques… Trop
pour une seule institution ?
Difficile, il est vrai, de reprocher aux banquiers centraux d’avoir tout fait pour éviter l’effondrement des marchés en 2008,
puis d’avoir fait preuve de créativité pour
relancer le crédit. Tel le cadre de multinationale en surchauffe, ils se sont donnés
pour mission de faire le travail de leurs
collègues défaillants – les gouvernements.
Ils ont agi à leur place pour relancer la
croissance. Ils se sont crus tout-puissants.
Cela a fonctionné un temps. Mais, comme
le manageur en burn-out, les grands argentiers ont atteint leur limite. Leurs ressources s’épuisent. Leur créativité s’assèche.
Malgré leur activisme, la croissance reste
désespérément faible. Tout le monde commence à s’en rendre compte. Personne n’est
encore capable d’en tirer les conséquences :
qui prendra le relais si les banques centrales
jettent à leur tour l’éponge ? p
Migraine assurée
C’est ainsi le cas de la Réserve fédérale
américaine (Fed). Mercredi 27 janvier, sa
présidente, Janet Yellen, a indiqué qu’elle
suivrait de près, ces prochaines semaines,
les développements de l’économie monmarie charrel
diale. En fonction de ces derniers, elle décidera de relever, ou non, ses taux d’intérêt à
nouveau, au mois de mars.
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Quoi ? Il y a deux ans encore, la Fed s’interdisait, comme tous les banquiers cenCOURS DE L'ACTION
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DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
CLIGNOTANT
Quand faire appel à un architecte ?
Leur coût peut sembler rédhibitoire, mais dès que le chantier devient complexe,
leur présence est indispensable pour éviter les dérapages
T
rop de copropriétés votent
des travaux complexes sans
avoir recours aux services
d’un maître d’œuvre », estime Claude Pouey, directeur technique
de l’Association des responsables de copropriétés. Son rôle est pourtant crucial : le maître d’œuvre, qui peut être un
architecte ou un simple bureau d’études,
assure l’étude préalable (définition d’un
cahier des charges, réalisation d’un appel d’offres, analyse et négociation des
devis des entreprises) et veille ensuite
au bon déroulement du chantier.
C’est surtout lors de la réception des
travaux que son expertise peut se révéler précieuse. Le procès-verbal rédigé à
cette occasion marque le point de départ des garanties de parfait achèvement (un an), de bon fonctionnement
(deux ans) et de la garantie décennale
(dix ans), qui concerne les dommages affectant la toiture, les murs… « C’est à ce
moment que les commanditaires des travaux doivent émettre des réserves si quelque chose cloche, explique M. Pouey. Or,
bien souvent, cet acte est bâclé par le syndic qui ne relève quasiment rien. »
« Un chef d’orchestre »
Dans ce cas, les copropriétaires ne pourront plus rien réclamer, même si le conseil syndical constate par la suite des
anomalies qui étaient visibles à la réception des travaux, comme la pose d’un
carrelage alors que du marbre était
prévu. « En revanche, si le commanditaire des travaux a fait appel à un maître
d’œuvre, il pourra se retourner contre
lui », confie l’architecte Jean-Pol Hindré.
En cas de procédure judiciaire, les copropriétaires peuvent se retrouver en difficulté s’ils n’ont pas engagé de maître
d’ouvrage car l’entreprise prestataire
peut faire valoir qu’il s’agit d’une reconnaissance implicite de leurs compétences en matière de construction.
Plus le nombre de corps de métier intervenant sur un chantier est important, plus la présence d’un maître
d’œuvre est nécessaire pour éviter les
dérapages. « L’architecte est un chef d’orchestre qui fait travailler les entreprises
de concert et sert d’interface avec le
client, qui maîtrise rarement le vocabulaire technique nécessaire », dit l’architecte Pascal Compérat.
Combien coûte un architecte ? Un forfait est généralement proposé pour des
missions de courte durée, comme la réalisation d’esquisses pour l’aménagement d’un appartement ou d’une maison. Pour une mission complète, c’est-àdire avec la supervision du chantier,
l’option la plus fréquente est le versement de 8 % à 12 % du montant HT des
travaux.
La sécurité de l’assurance
Pour exercer son métier, un architecte doit obligatoirement être assuré. Dans les faits, 90 % des 32 000 professionnels travaillant en France sont assurés auprès de la
Mutuelle des architectes français. Ce détail a son importance, car, si l’assurance est chère (environ 10 000 euros
par an pour un cabinet de taille moyenne), elle procure
une sécurité précieuse au professionnel et, par ricochet,
à ses clients.
En effet, il arrive fréquemment qu’une entreprise de BTP
indélicate se déclare en faillite lorsqu’elle est poursuivie
en justice par des clients. « Dans ce cas, les juges rejettent
souvent la responsabilité sur l’architecte, qui peut être condamné in solidum, c’est-à-dire par solidarité avec l’entreprise défaillante, car ils savent que l’assurance sera là pour
payer », explique l’architecte Pascal Compérat.
ÉPARGNE
Gare aux placements atypiques
Ce pourcentage dépend, outre du coût
des travaux, de la complexité du chantier et du temps passé. Il est généralement possible de négocier : plus le coût
des travaux est élevé, plus la part versée
à l’architecte diminue. Il est aussi parfois
possible de rémunérer un architecte à
l’heure (comptez entre 100 euros et
120 euros HT).
Ces coûts font reculer de nombreux
copropriétaires, d’autant que la loi n’impose le recours à un architecte que dans
certains cas très précis. « C’est obligatoire si le projet de travaux conduit la surface de plancher ou l’emprise au sol de
l’ensemble à dépasser 170 m² », précise
Pascal Compérat. Les copropriétaires
sont d’autant moins enclins à faire appel à un architecte que leur syndic
pousse pour assurer lui-même le suivi
des travaux, ce qui lui permet de toucher entre 3 % et 5 % de leur montant.
Le problème est que très peu possèdent les compétences techniques pour
mener à bien ce type de mission.
« Même lorsque le syndic a acquis au fil
du temps une certaine expérience technique, il n’est pas toujours un spécialiste du
bâtiment et de ce fait, il n’est pas à même
de juger si un ouvrage présente ou non
des désordres », explique M. Compérat.
« Pour les petits travaux comme la réfection d’une cage d’escalier, cela porte
peu à conséquence, complète M. Hindré.
Mais pour des chantiers importants,
comme un ravalement ou la réfection
d’une toiture, les conséquences peuvent
être graves. » Pour de gros chantiers, il
est d’ailleurs fréquent que la compagnie
d’assurances exige la présence d’un maître d’œuvre pour accorder sa garantie
dommages-ouvrages. p
jérôme porier
Investir dans le vin, jouer les apprentis spéculateurs…
trop peu pour vous ? Peut-être, en tout cas le grand public se voit de plus en plus proposer ces « placements »,
selon une étude du CSA pour le compte de l’Autorité des
marchés financiers (AMF), publiée le 27 janvier. Selon ce
sondage, 62 % des Français ont déjà entendu parler de
telles offres, 28 % ont été en contact ou démarchés et
9 % déclarent avoir investi dans l’un d’entre eux. Enfin,
5 % des personnes interrogées disent avoir déjà été victimes d’une « arnaque ». L’AMF note que son centre
d’information réservé aux épargnants (Epargne Info) a
enregistré, en 2015, une hausse de 30 % des demandes
de particuliers concernant le marché des changes.
QUESTION À UN EXPERT
murielle gamet, cheuvreux notaires
Quels documents un bailleur
peut-il demander à son locataire
ou à sa caution ?
En application de la loi sur le logement ALUR, un décret du 5 novembre 2015 a arrêté la liste des pièces qu’un bailleur peut demander à
son locataire ou à sa caution pour tout bail conclu à compter du 8 novembre 2015. Jusqu’à cette date, la loi fixait, au contraire, les documents qu’un propriétaire ne pouvait exiger de son locataire potentiel.
Selon ce qu’il doit être justifié, un document et non plusieurs peuvent désormais être demandés. Par exemple, un seul document justifiant de l’identité de la personne en cours de validité (comportant
la photographie et la signature du titulaire parmi une liste visée) ; une
seule pièce justificative de domicile parmi les documents listés, par
exemple les trois dernières quittances de loyer ou l’attestation du
précédent bailleur, ou de son mandataire, indiquant que le locataire
est à jour de ses loyers et charges. Pour s’assurer de la solvabilité du
locataire, un propriétaire a le droit de lui demander son dernier ou
avant-dernier avis d’impôt, ses trois derniers bulletins de salaire, ou
bien un justificatif des pensions de retraite, prestations sociales et familiales perçues au cours des trois derniers mois. Autre nouveauté,
ces nouvelles règles s’appliquent tant aux locations nues qu’à celles
meublées. p
VILLES EN MUE
Rudy Ricciotti rénovera la gare de Nantes
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R
égulièrement classée en tête des
palmarès des villes où il fait bon vivre, Nantes voit sa population croître chaque année. Pourtant, la ville dispose
d’une gare peu fonctionnelle, qui ne permettra pas d’accueillir les 25 millions de
voyageurs annuels prévus en 2030, contre
un peu plus de 11 millions aujourd’hui.
Ce constat a conduit la SNCF à lancer une
rénovation intégrale du bâtiment, en partenariat avec la métropole, le département,
la région et l’Etat. En octobre 2015, le projet
de Rudy Ricciotti, architecte du MuCEM à
Marseille, a été retenu. Il prévoit la construction d’une large passerelle au-dessus
des quais, qui deviendra le trait d’union entre le centre-ville au nord, et le futur quartier d’affaires EuroNantes au sud. Cette
mezzanine vitrée, de 25 mètres de large sur
160 mètres de long et 18 mètres de haut, offrira un panorama à 360 degrés sur les
trains en contrebas, mais aussi sur la ville
et la Loire. Les 4 000 m2 créés intégreront
1 500 m2 de commerces et lieux de détente.
Enfin, la nouvelle passerelle-promenade
sera recouverte d’une treille en résille métallique reposant sur dix-huit poteaux de
béton en forme d’arbres. Chaque quai sera
desservi directement par des ascenseurs et
des Escalator, l’ancien accès souterrain
étant conservé.
La mairie souhaite que ce bâtiment, prévu
pour la fin 2019, devienne le porte-étendard
du dynamisme nantais. « La gare est la première image que les voyageurs ont d’une
ville, nous avons donc choisi un projet emblématique qui marquera notre image », souligne Johanna Rolland, maire de la ville et
présidente de Nantes Métropole.
La mezzanine
vitrée offrira
un panorama
à 360 degrés
sur les trains
en contrebas,
mais aussi
sur la ville
et la Loire.
Un projet à 123 millions d’euros
En parallèle, les espaces publics limitrophes
seront rénovés. Au nord, l’espace reliant le
parvis au Jardin des plantes sera piétonnisé,
et les stations de la ligne 1 de tramway modernisées. L’ensemble devrait être terminé
pour l’inauguration de la nouvelle gare.
Côté sud, la réhabilitation « vise à créer un
pôle regroupant tous les moyens de transport en localisant au même endroit les stations de taxis, la desserte courte durée, les
loueurs de voitures, une nouvelle gare routière et une station de Chronobus [bus circulant sur des voies protégées] qui accueillera
trois lignes pour rallier facilement l’agglomération », détaille Eric Chevalier, directeur général délégué cohérence territoriale à Nantes Métropole. Au total, le budget investi
dans ce projet de nouvelle gare et de ses
alentours doit s’élever à 123 millions d’euros
et les travaux s’achever d’ici à 2023. p
marie pellefigue
RUDY RICCIOTTI/
FORMA6
SAMEDI 19 MARS 2016
11 H - 18 H
PALAIS BRONGNIART
28, PLACE DE LA BOURSE
75002 PARIS
ENTRÉE GRATUITE
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ÉVITER L’ATTENTE
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www.mbafair-lemonde.com
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016
Données personnelles : « Safe Harbor 2 » est mal parti
Les Etats-Unis et l’Europe ont jusqu’au 1er février pour trouver un accord sur le transfert de données
L
es Etats-Unis et l’Europe
parviendront-ils à s’entendre sur une nouvelle
version du « Safe Harbor » ? La Commission européenne et le département américain du commerce n’ont plus que
quelques jours pour négocier. A
partir du mardi 2 février, les sociétés privées transférant des
données de citoyens européens
vers les Etats-Unis grâce à cet accord transatlantique seront en infraction caractérisée. « Il peut encore y avoir un accord. Tout le
monde y a intérêt. Après, il faut
qu’il soit suffisamment substantiel. Mais c’est encore possible »,
veut croire Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL et du
G29, le groupe des 29 autorités de
régulation européennes.
Ce regain d’optimisme, alors
que les négociations paraissaient
dans l’impasse, s’explique peutêtre par la vaste rencontre qui a
L’une des
exigences de l’UE
est que les EtatsUnis autorisent
les Européens
à porter plainte
devant
les tribunaux
américains
réuni cette semaine sept autorités de régulation, dont la CNIL.
Etait présente aussi une délégation de hauts dignitaires américains, dont les négociateurs du
département du commerce et
Robert Litt, le secrétaire général
de l’autorité chargée de la coordination des agences de renseignement américaines.
« Nous avons discuté de l’état du
droit aux Etats-Unis, de la surveillance de masse et des garanties requises par le droit européen », dit la présidente de la
CNIL, sans préjuger de l’état d’esprit de ses interlocuteurs, partis
ensuite poursuivre les négocations à Bruxelles. Le G29 se réunira mardi afin de faire le point
sur la situation, et proposera le
cas échéant des solutions alternatives, et d’éventuelles sanctions.
Attaqué de tous les côtés
Pendant quinze ans, « Safe Harbor » a permis à plus de 4 000 entreprises d’exporter des données
personnelles de citoyens vers les
Etats-Unis, alors que les lois américaines n’offrent pas une protection suffisante au regard du droit
européen. Ce régime d’exception
permanente a été aboli par la
cour de justice de l’Union européenne en octobre 2015, à la suite
d’une plainte déposée par un militant autrichien contre la filiale
européenne de Facebook en Irlande, et aux révélations d’Edward Snowden sur les program-
L’HISTOIRE DU JOUR
James Murdoch,
le retour du banni
mes de surveillance de masse des
agences de renseignement américaines.
Malgré l’urgence, les négociations pour la mise en place d’un
Safe Harbor 2, qui serait plus respectueux des droits des Européens, n’ont pas encore abouti.
L’une des exigences de l’UE est
que les Etats-Unis autorisent les
Européens à porter plainte devant
les tribunaux américains au cas
où leurs données personnelles seraient exploitées de façon abusive
– une simple mesure de réciprocité, car les Américains possèdent
déjà ce droit en Europe.
Pour satisfaire cette demande,
la Chambre des représentants
américaine a voté en octobre 2015
une loi spéciale, baptisée Judicial
Redress Act (JRA). Le Sénat aurait
dû en faire autant le 20 janvier,
mais le débat a été annulé au dernier moment, sans explication.
En réalité, aux Etats-Unis, le JRA
est attaqué de tous les côtés.
D’une part, certains sénateurs
conservateurs estiment que les
demandes européennes arrivent
à contretemps : après les attentats de Paris, la lutte contre le terrorisme exige, selon eux, de renforcer la surveillance des données personnelles et d’allonger
leur durée de rétention.
Contrat bilatéral
Le 28 janvier, une commission sénatoriale a adopté deux amendements au JRA qui réduisent les
droits accordés aux Européens
dans les tribunaux américains et
limitent sa portée aux pays « dont
les politiques ne viennent pas entraver la sécurité nationale des
Etats-Unis ». L’un des auteurs des
amendements, le sénateur républicain John Cornyn, explique
sans détour que sa mission est de
« défendre les intérêts des EtatsUnis, pas forcément les intérêts de
l’Union européenne ».
Le Safe Harbor 2 semble donc
mal parti, du moins à court
terme, sauf si l’Europe cède à nou-
Les grandes
entreprises
américaines font
du lobbying pour
que l’UE accepte
un nouvel accord
veau aux exigences américaines.
En coulisses, à Bruxelles et dans
plusieurs capitales européennes,
les grandes entreprises américaines et leurs associations professionnelles font un lobbying intense pour pousser l’Union européenne à accepter un nouvel
accord, même si toutes ces demandes ne sont pas satisfaites.
Les entreprises fortement impliquées dans l’exportation de
données sont parallèlement déjà
en train de s’adapter. Selon le cabinet juridique américain Jones
Day, qui possède un bureau à Paris, la situation actuelle est incer-
taine, mais pas aussi critique
qu’on pourrait le croire.
Pour rester dans la légalité, de
nombreuses sociétés américaines ont recours à un autre instrument juridique : un contrat bilatéral entre l’expéditeur et le destinataire des données (souvent la
maison-mère américaine et sa filiale européenne) contenant des
clauses types garantissant que les
données européennes bénéficieront aux Etats-Unis d’une protection conforme au droit européen
– une procédure plus complexe et
plus coûteuse que le Safe Harbor,
mais pas insurmontable.
De même, les PME européennes
qui font traiter leurs données aux
Etats-Unis sont prises en charge
par leurs fournisseurs de service,
c’est-à-dire les grandes entreprises de cloud américaines comme
Amazon, Salesforce ou IBM, qui
se chargent à leur place des formalités juridiques. p
sandrine cassini
et yves eudes
LA MATINALE DU MONDE
LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7
londres - correspondance
J
ames Murdoch tient sa revanche. Le fils benjamin de l’empire Murdoch a été nommé vendredi 29 janvier à la présidence non exécutive de Sky, le bouquet satellite britannique, quatre ans après avoir été forcé à la démission du même
poste à la suite du scandale des écoutes téléphoniques.
Pince-sans-rire, M. Murdoch se dit « fier d’avoir été choisi par le
conseil d’administration », omettant de préciser que sa famille
est le premier actionnaire du groupe, avec 39 % de participation.
La décision prise à l’unanimité par le conseil d’administration
de Sky (y compris par Matthieu Pigasse, membre non exécutif,
et par ailleurs actionnaire à titre individuel du Monde) est très
controversée. Un actionnaire, Royal London Asset Management
(RLAM), s’en est publiquement ému et la juge « inappropriée ».
Sky est le groupe qui a fait grandir James Murdoch au sein de
l’empire familial (qui comprend notamment le Wall Street Journal, Fox News, 20th Century Fox…). En 2003, à tout juste 30 ans,
il est propulsé directeur général du bouquet satellite britannique par son père, Rupert, qui en a la présidence. Comprenant
qu’Internet et la télévision sont en train de converger, le benjamin de la famille réussit le virage technologique, et augmente
de façon spectaculaire le nombre d’abonnés. Grâce à ce succès,
il prend du galon cinq ans plus tard et
est nommé à la tête de toutes les actiLE BENJAMIN DE
vités de l’empire hors des Etats-Unis,
y compris les journaux britanniques.
L’EMPIRE MURDOCH
C’est ce qui vaudra sa chute. Peu intéressé par le monde de la presse, il ne
REDEVIENT
comprend pas l’ampleur du scandale
des écoutes au News of the World, le
PRÉSIDENT DE SKY,
tabloïd dominical du groupe. En reQUATRE ANS
vanche, il a les yeux braqués sur la vaà lait financière qu’est devenu
APRÈS SA DÉMISSION che
Sky. Son objectif : acheter les 61 % que
la famille ne possède pas. Il lance une
offre de rachat, qui provoque une levée de boucliers.
Ses adversaires craignent la domination absolue de l’empire
Murdoch sur les médias britanniques, déjà propriétaire du Times et du Sun. La polémique prend une ampleur politique, le
gouvernement conservateur de David Cameron étant accusé
d’être trop proche de la famille australo-américaine. En
juillet 2011, à la suite du scandale des écoutes, la famille Murdoch
tente le tout pour le tout : elle ferme le News of the World. Mais les
plaintes du public contre le risque de la mainmise des Murdoch
sur Sky ne cessent pas. La situation devient intenable politiquement. James Murdoch annule l’opération financière, avant de
déménager à New York, pour tourner la page. Il est aujourd’hui le
directeur général de 21st Century Fox, le groupe audiovisuel de
l’empire familial.
Mais il n’a jamais perdu de vue l’opération de rachat avortée
sur Sky. Son retour va relancer les spéculations sur une nouvelle
tentative. En 2015, la société de consultants Enders Analysis estimait que la question n’était pas de savoir si une nouvelle offre serait faite, mais quand. Ce moment semble s’être rapproché. p
éric albert
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