Monde + Echos et entreprise du dimanche 31 janvier 2016
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Dimanche 31 janvier - Lundi 1er février 2016 72e année No 22097 2,40 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio Iowa : premier test électoral pour les candidats antisystème Paris : Hidalgo veut fusionner les petits arrondissements POLITIQUE L a maire de Paris propose, dans une note interne, de réduire de vingt à dixsept le nombre des arrondissements de Paris. Les mairies des 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements de Paris seraient fusionnées d’ici aux élections municipales de 2020. Le projet sera débattu mifévrier par le Conseil de Paris mais doit faire l’objet d’une loi. L’affaire suscite des tensions politiques, les mairies concernées étant te nues par les Verts (2e et 4e), le PS (3e) et Les Républicains (1er). Anne Hidalgo voudrait aussi pouvoir fixer la date des douze dimanches ouvrés par an, comme les autres maires de France, et récupérer une partie des pouvoirs dévolus à la Préfec ture de police. → LIR E PAGE 6 SYRIE, UN PROCESSUS EN TROMPEL’ŒIL Des Moines (Iowa), le 28 janvier. → LI R E P A G E 24 CHRISTOPHER FURLONG/GETTY IMAGES/AFP ▶ La course à la Maison ▶ Pour le Grand Old Party, ▶ Dans la course à l’investi ▶ Le scrutin se tient Blanche s’ouvre lundi 1er février avec les caucus de l’Iowa. Chez les démo crates comme chez les républicains, des candidats « antisystème » à la primaire ont émergé Donald Trump canalise la colère des laisséspour compte, en majorité blancs, peu diplômés et aux revenus modestes. Ted Cruz, lui, parle aux ultraconservateurs ture démocrate, Bernie Sanders est porté par la frustration de ceux qui ju gent le bilan du président Obama à l’aune de la sta gnation des salaires et de la montée des inégalités sur fond d’incertitudes économiques, alors que la croissance américaine a flanché au quatrième trimestre 2015, à 0,7 % en rythme annualisé Jacques Rivette, le maître du jeu ▶ Fer de lance de la Nouvelle Vague, le cinéaste est mort à 87 ans → LIRE P. 2, 10 À 13 ET CAHIER ÉCO P. 3 PORTIQUES DE SÉCURITÉ WAUQUIEZ VEUT ÉQUIPER 15 LYCÉES D’ICI DEUX MOIS → LIR E APRÈS COLOGNE LES SILENCES COUPABLES SUR LE SORT DES FEMMES, PAR CLAUDE HABIB → LIR E DÉ B ATS PAGE 1 4 &0"4*,1/ &! 2,)8%!51 &"'*'6,') $#'"&%!&%! ./!6,34+ 1/ 24))/! (#$- PAGE 8 ADMIRABLE PACS EN ITALIE MONICA CIRINNA, ÉGÉRIE DES HOMOSEXUELS → LIR E PAGE 4 )# '/0%# SUPERBE )2&3,(*2/0 PUISSANT )# .2!(,/ LIMPIDE $/+2*2" ÉBLOUISSANT -(1( RÉFUGIÉS L’ITALIE REFUSE DE PAYER L’AIDE À LA TURQUIE Juliet Berto, Jacques Rivette et Dominique Labourier, en 1973. THE KOBAL COLLECTION/LES FILMS DU LOSANGE J acques Rivette rencontre JeanLuc Godard, François Truffaut et Claude Chabrol en arri vant à Paris, en 1949, à la Cinémathèque. Ces quatrelà vont fonder la Gazette du cinéma avant de devenir les piliers des Cahiers du cinéma. et de la Nouvelle Vague. Toute sa vie, le cinéaste, qui est décédé vendredi, restera fidèle à l’esprit de liberté qui caractérisa ce mouvement. Et qui se traduisait chez lui par une quête incessante du dérèglement. L’Amour fou, Out 1, La Belle Noiseuse , Va savoir !… En un demi siècle, de 1949 à 2009, Rivette a réalisé trente films, entre lesquels courent des passerelles sou terraines, des systèmes d’échos cryptés, dont l’en semble constitue un formidable jeu de piste. → LIR E PAGE S 1 6 - 1 7 → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 4 NOTRE-DAME-DES-LANDES EN ATTENDANT L’ÉPREUVE DE FORCE → LIR E LA TERRE ET L’OMBRE un ilm de César Acevedo AU CINÉMA LE 3 FÉVRIER PAGE 5 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2 | international 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Bernie Sanders, rival d’Hillary Clinton pour l’investiture démocrate, à Iowa Falls, le 25 janvier. MAX WHITTAKER/ NYT-REDUX-REA Dans l’Iowa, les caucus de la colère L’exaspération de l’électorat américain a poussé les candidats républicains et démocrates à durcir leurs discours des moines (iowa) - envoyé spécial U ne saison électorale s’ouvre aux Etats Unis, lundi 1er février, avec les caucus de l’Iowa, et cette saison est celle de la colère. L’exaspération qui unifie des pans distincts de la classe moyenne et des milieux populaires explique pourquoi trois candidats largement distancés il y a encore six mois pourraient l’emporter dans le premier Etat à se prononcer dans la course aux investitures démocrate et républicaine pour la présidentielle du 8 novembre. Elle permet égale- LES DATES 2016 1er février Caucus de l’Iowa. Première d’une série de primaires où les électeurs choisissent les délégués du Parti républicain et du Parti démocrate pour les conventions au cours desquelles les deux candidats seront investis par leur formation politique. Du 18 au 21 juillet Convention du Parti républicain à Cleveland (Ohio). Du 25 au 28 juillet Convention du Parti démocrate à Philadelphie (Pennsylvanie). 8 novembre Election du président des EtatsUnis. 2017 20 janvier Entrée en fonctions du président nouvellement élu. ment de comprendre pourquoi ceux qui paraissaient le mieux armés pour affronter cette course par élimination pourraient au contraire en faire rapidement les frais. Parmi les candidats portés par ce sentiment de rage, la présence du sénateur du Texas, Ted Cruz, est la moins surprenante. La colère qu’il canalise est celle des ultraconservateurs, souvent religieux, qu’a exaspérés l’impuissance du Parti républicain. Malgré des triomphes aux élections de mi-mandat de 2010 et de 2014, qui ont assuré à ce dernier le contrôle total du Congrès, le Grand Old Party a été en effet incapable de bloquer la réforme du système de santé voulue par le président démocrate Barack Obama, d’empêcher la légalisation du mariage homosexuel, ou plus récemment de supprimer les subventions au planning familial, accusé à tort de se livrer à un commerce illégal de tissus humains prélevés sur des fœtus. Laissés-pour-compte La rage qu’a identifiée pour sa part le magnat de l’immobilier Donald Trump est celle de laisséspour-compte, en majorité blancs, peu diplômés et aux revenus modestes. Cet électorat, qui mord sur certaines catégories de démocrates, selon Karlyn Bowman, du think tank conservateur American Enterprise Institute, s’identifie à M. Trump lorsqu’il décrit les Etats-Unis comme victimes d’accords de libre-échange synonymes de délocalisations et d’une immigration incontrôlée, qui participe à la transformation culturelle du pays. Ces Américains se réjouissent de voir M. Trump rudoyer les médias, y compris la chaîne conservatrice Fox News, court-circuités par les réseaux sociaux. Ils l’applaudissent chaque fois qu’il piétine les règles de la politique que défend une direction républicaine sanglée dans « la ceinture explosive du politiquement correct », selon la formule de Sarah Palin, figure de cette base républicaine révoltée qui soutient le milliardaire. Dans le camp démocrate, le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders est, pour sa part, porté par la frustration de ceux qui jugent le bilan du président Obama à l’aune de la stagnation des salaires. Le discours de M. Sanders chevauche parfois celui des deux républicains lorsqu’il dénonce la corruption de la politique du fait du poids de l’argent dans les campagnes électorales, le capitalisme de connivence ou l’impunité de Wall Street. Son électorat souscrit aux mesures très à gauche qu’il défend, à l’opposé des programmes de MM. Cruz et Trump : forte augmentation du salaire minimum, gratuité de l’enseignement supérieur, régime de sécurité sociale universel. L’Iowa, en dépit de sa sociologie Selon de récentes enquêtes, 48 % des républicains souhaitent l’élection d’un candidat « perturbateur » d’Etat du Midwest où les minorités ethniques restent marginales, n’échappe pas à la bourrasque. Dans son bureau de West Des Moines, J. Ann Selzer, grande spécialiste des sondages, reste songeuse face aux résultats de récentes enquêtes qui font apparaître que 48 % des républicains souhaitent l’élection d’un candidat « perturbateur », et que 40 % des démocrates considèrent favorablement le terme de « socialiste », qui relève pourtant presque de l’injure dans la terminologie politique américaine. « On oublie parfois que l’Iowa, Etat certes rural, compte aussi un secteur manufacturier très syndiqué et plutôt progressiste », explique Kendron Bardwell, professeur de sciences politiques au Simpson College d’Indianola, dans le sud de l’Etat. Côté républicain, « les valeurs sont effectivement centrales pour des organisations évangéliques, très influentes, mais M. Trump parvient à transcender les courants avec une image de “can do it” sur l’économie, l’immigration ou la lutte contre le terrorisme », ajoute-t-il. Rhétorique sombre La peur du déclin dont jouent MM. Cruz et Trump a forcé certains autres candidats républicains, dont l’ancien favori Jeb Bush et le sénateur de Floride Marco Rubio, à remiser la vision optimiste qu’ils souhaitaient défendre, et, pour le second, à imiter la rhétorique sombre du duo de tête. La favorite démocrate Hillary Clinton, qui s’est résignée à une course disputée après avoir joui pendant des mois d’une confortable avance, a également calqué une partie de son discours sur celui de M. Sanders. Ce dernier dénonce-t-il la famille Walton (richissime propriétaire de la chaîne de distribution Walmart) dont les employés, parce qu’ils sont mal payés, dépendent d’aides sociales ? Mme Clinton s’en prend à l’équipementier Johnson Controls qui, par le truchement d’une fusion, va s’exiler fiscalement en Irlande. Les révoltés iront-ils voter le 1er février ? Cette interrogation incite Kendron Bardwell à se garder de tout pronostic. Perdre dans l’Iowa a rarement précipité la fin de candidatures, mais une victoire dans cet Etat rural en a parfois placé d’autres sur orbite. p gilles paris Au volant du Bernie’s Bus, Sanders veut conduire une « révolution » le bernie’s bus stationne devant la salle qui accueille la réunion électorale. Sur les flancs du véhicule, un autocollant précise, à l’attention de qui en douterait, qu’il est « payé par Bernie Sanders, pas par les milliardaires ». Malgré la neige et le froid, la salle est comble dans la petite ville d’Underwood, 900 habitants, ce 19 janvier. « On avait dit que nous n’avions aucune chance, que j’étais mal coiffé, que je ne ferais jamais la couverture du magazine GQ », consacré à la mode masculine, raille le sénateur indépendant du Vermont, installé sur une estrade sous une boule à facettes. La salle gronde d’aise. Au début de l’été 2015, il était distancé en moyenne de 50 points par la favorite de la course à l’investiture démocrate, Hillary Clinton, soutenue notamment par l’ancien sénateur et baron démocrate de l’Iowa, Tom Harkin. Puis Bernie Sanders, 74 ans, n’a cessé de rattraper son retard. A Underwood, il apparaît comme un ultime recours pour les désespérés qui se lèvent, l’un après l’autre, lors de la séance de ques- tions qui suit un bref discours. Des sanglots dans la gorge, Natalie lui fait part de son incapacité à élever seule une fille handicapée, même en multipliant les petits boulots. Benjamin, jeune diplômé lesté d’une dette étudiante de 60 000 dollars (55 000 euros), ne voit pas comment il parviendra à la rembourser. Accommodant sur le cannabis Un peu plus tard, dans une salle de spectacles de Sioux City, celui qui est présenté comme « l’authenticité contre le statu quo » déroule ses arguments. Sans attaquer frontalement le président Barack Obama, il met en exergue un taux de chômage réel estimé à 10 % de la population – soit le double du chiffre officiel – qui grimpe même, selon lui, à 33 % pour les jeunes Blancs, et à 51 % pour les jeunes Noirs. « Les inégalités sont parvenues à un point intenable pour la nation », annonce-t-il, avant d’expliquer encore et toujours que seule une « révolution politique » pourra sortir les Etats-Unis de l’impasse. Cette révolution est à portée de main, assure-t-il. Il en veut pour preuve « les 2,5 millions de donateurs qui ont versé en moyenne 27 dollars [24 euros] » pour sa campagne, ce qui lui permet d’envisager de s’installer dans la durée. « C’est sans précédent ! », se réjouit-il. La promesse de gratuité des études supérieures et la dénonciation de la sévérité de la justice vis-à-vis des fumeurs de cannabis, opposée à l’impunité dont bénéficie Wall Street, expliquent en partie le soutien massif dont il bénéficie auprès des jeunes dans les villes universitaires de l’Iowa. Ce soutien ne sera peut-être pas suffisant, cependant, pour compenser sa faiblesse dans les zones rurales et contrer le maillage territorial mis en place par les équipes de campagne de Mme Clinton. Sans cesser d’opposer son pragmatisme à l’idéalisme du sénateur, cette dernière s’efforce cependant de le ménager. Pas question en effet de s’aliéner les foules qu’il est parvenu à rassembler à de nombreuses reprises depuis le début de la course à l’investiture. p g. p. (underwood, envoyé spécial) international | 3 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Burundi, les reporters Syrie : l’opposition rejoint Genève Au du « Monde » libérés Les anti-Assad ont décidé in extremis de participer aux discussions genève - envoyée spéciale L e climat d’incertitude qui a entouré l’ouverture de la réunion sur la Syrie au Palais des Nations, vendredi 29 janvier à Genève, s’est quelque peu dissipé en début de soirée. Alors que l’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, concluait sur les bords du lac Léman une réunion préliminaire de deux heures avec les seize membres de la délégation du gouvernement syrien, l’organe représentatif de l’opposition a annoncé depuis Riyad sa décision de se rendre à Genève samedi. Mais, pour la trentaine de membres du Haut Comité des négociations (HCN) qui feront le déplacement – dont quinze négociateurs –, la mise en œuvre de mesures humanitaires reste un préalable au lancement de négociations avec le régime de Bachar Al-Assad. Après quatre jours de tergiversations et d’ultimatums, l’émissaire de l’ONU et le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, ont obtenu du HCN que l’application des mesures humanitaires prévues par la résolution 2254, votée le 18 décembre 2015 par le Conseil de sécurité, ne soit pas une précondition à sa venue. « Des garanties ont été obtenues que la résolution 2254 serait pleinement appliquée (…). Le HCN ira à Genève [samedi] pour parler de ces questions humanitaires qui ouvriront la voie au processus de négociations politiques », a justifié son porte-parole, Salim Al-Mouslat, sur la chaîne de télévision Al-Arabiya Al-Hadath. « On a beaucoup débattu. C’est « On veut absolument séparer le politique et l’humanitaire » HIND KABAWAT membre du Haut Comité des négociations (opposition) normal qu’il y ait différentes opinions dans un comité de 34 personnes. Nous ne sommes pas comme le parti Baas [du président Assad]. C’est très important pour nous de venir négocier, mais on veut absolument séparer le politique et l’humanitaire », a justifié au Monde Hind Kabawat, l’une des membres du HCN, déjà présente à Genève. Faisant écho à cette « préoccupation », Staffan de Mistura a assuré qu’« un geste des autorités gouvernementales pour soulager le peuple syrien pendant les pourparlers, comme la libération de prisonniers ou la levée de sièges (…) n’était pas un sujet de négociation ». Sous-entendu, ces mesures sont déjà acquises. Risques d’un boycottage L’ouverture, bien que modeste et confuse, des pourparlers de Genève a donné à l’opposition un avant-goût des risques d’un boycottage, qui l’aurait fait apparaître comme le camp ayant torpillé la « chance historique » – selon les termes de M. Kerry – de mettre fin à un conflit de cinq ans, qui a fait plus de 260 000 morts. Et qui aurait laissé au régime de Bachar Al-Assad, que le soutien « Bachar Al-Assad doit être exclu des négociations » le prince turki al-fayçal, influent chef des services de renseignement du royaume saoudien de 1977 à 2001 et aujourd’hui à la tête du Centre de recherches et d’études islamiques Roi Fayçal, s’est entretenu avec le Monde sur la crise syrienne. Pensez-vous que le processus de négociations en cours puisse mettre fin au conflit en Syrie ? Pour chaque situation qui s’est développée dans le monde au cours de ma carrière, un « processus » a été lancé, sans jamais trouver de finalité. C’est une partie du problème. En 1967, après l’occupation israélienne du Sinaï, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté la célèbre résolution 242, qui a défini les objectifs de la paix. C’est devenu un processus dans lequel nous sommes toujours, cinquante ans après. J’espère donc que le processus lancé à Vienne ne s’étalera pas sur cinquante ans. Les puissances qui le parrainent ont les moyens politiques, économiques et militaires de mettre fin aux tueries en Syrie. Tous ces pays peuvent dire : « Aujourd’hui, à partir de minuit, nous n’allons plus permettre un seul mort en Syrie et nous allons prendre des actions contre quiconque agit en ce sens », et le faire. C’est un problème majeur de la crise syrienne : nous avons les capacités de mettre fin aux tueries, mais personne ne veut le faire. Quelle solution préconisezvous à cette crise ? Mettre un terme aux combats est la première chose. On doit aussi mettre les responsables du carnage face à leurs respon- sabilités. Qui est le plus grand terroriste en Syrie ? C’est Bachar Al-Assad. Il est responsable de plus de 300 000 morts, de plus de 50 000 emprisonnements sans procès… Tout autant que le Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida) et le soi-disant Etat islamique (EI) – que je préfère appeler « Faech » (« l’obscène », en arabe) – sont exclus des négociations, je ne vois pas pourquoi Bachar Al-Assad ne devrait pas en être exclu. Il a fait plus de mal à la Syrie que « Faech » et le Front Al-Nosra. Malheureusement, avec l’intervention russe, sa position est renforcée. Cette intervention est inexplicable et inacceptable car Bachar mérite le même sort qu’Abou Bakr Al-Baghdadi [le calife autoproclamé de l’EI]. Peut-on parvenir à une solution alors que l’Iran et l’Arabie saoudite, parrains respectifs du régime syrien et de l’opposition, sont en conflit ? La position du royaume saoudien est différente de celle de l’Iran. Nous aidons les Syriens à se débarrasser d’un boucher qui les a tués sauvagement pendant cinq ans. Le peuple s’oppose aux groupes extrémistes et à « Faech », qui veulent tous deux détruire la société syrienne. L’Iran, pour sa part, soutient à 100 %, voire 150 %, Bachar Al-Assad, pas seulement avec ses propres ressources mais en amenant des milices du Liban, d’Irak, des volontaires du Pakistan, d’Afghanistan, etc. Pour faire quoi ? Pas pour aider le peuple syrien, mais pour aider Bachar Al-Assad. L’Iran dit qu’il revient au peuple syrien de décider de son avenir. Mais il ne le laisse pas choisir. Les Gardiens de la révolution iraniens prennent parti pour un camp et tuent des Syriens. p propos recueillis par hé. s. militaire russe et iranien a remis en selle, le beau rôle sur le terrain diplomatique. La France et l’Arabie saoudite, qui auront défendu la position du HCN jusqu’au bout, se sont empressées de saluer son choix. « Tout doit être fait pour donner sa chance à une solution politique », a souligné l’Elysée. Le pessimisme demeure cependant entier quant à la possibilité de voir ce dialogue aboutir en six mois. Des divergences fondamentales opposent les deux camps dans l’interprétation des termes d’une transition politique. Au regard du HCN, le président Bachar Al-Assad doit quitter le pouvoir d’ici six mois au profit d’un organe de gouvernement transitoire ayant les pleins pouvoirs exécutifs, comme le prévoit la déclaration de « Genève I » de juin 2012. Damas et ses soutiens insistent pour que soit formé un gouvernement d’union nationale et que le sort de M. Assad soit tranché lors des élections prévues dans dix-huit mois, sous l’égide de l’ONU. Interpellé par la délégation gouvernementale, menée par l’ambassadeur syrien auprès des Nations unies, Bachar Al-Jaafari, sur la question de la lutte antiterroriste, M. de Mistura a déclaré, lors de sa conférence de presse, qu’elle ne relevait pas de sa mission, entièrement consacrée à l’esquisse d’une transition politique. Il s’est toutefois refusé à en préciser les termes et a renvoyé aux délégations du régime et du HCN la tâche de débattre de la teneur d’une « gouvernance inclusive ». Eux seuls devraient figurer au nombre des négociateurs. Staffan de Mistura a semblé écarter la possibilité d’une troisième délégation de personnalités de l’opposition considérées comme plus proches de Moscou et qui ont été invitées à Genève au titre de conseillers. p hélène sallon Jean-Philippe Rémy et Philip Moore ont été détenus vingt-quatre heures sans raison A rrêtés jeudi 28 janvier par les services de sécurité burundais lors d’une descente dans un quartier contestataire de Bujumbura, et retenus sans raison pendant vingt-quatre heures, le correspondant du Monde en Afrique Jean-Philippe Rémy et le photographe britannique Philip Moore ont été libérés vendredi en milieu d’après-midi. Les autorités ont affirmé que les deux envoyés spéciaux du Monde se trouvaient avec des hommes armés au moment de leur interpellation, soulignant qu’« un mortier, une kalachnikov et des pistolets » avaient été saisis au cours de l’opération. Philip Moore, qui dément cette version, affirme qu’il se trouvait dans une église lorsque des incidents ont éclaté dans le quartier Nyakabiga, bastion de la contestation contre le pouvoir du président Pierre Nkurunziza. Jean-Philippe Rémy a évoqué pour sa part un « quasi-enlèvement ». Interrogés une partie de la nuit et de la matinée par les services de renseignement, puis par le procureur général du Burundi, les deux journalistes n’ont pas été malmenés. A l’issue de leur détention, ils se sont vu retirer leur accréditation de presse, ce qui les contraint à quitter le pays. Malgré l’absence de charges retenues contre eux, leur matériel professionnel (téléphones, carnet de notes, enregistreur et deux appareils photo) ne leur a pas été rendu au terme des auditions. Cette confiscation fait courir des risques sérieux à leurs contacts et sources sur place, dans un contexte de répression généralisée depuis la réélection en juillet 2015 de Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat. p service international 4 | international 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Monica Cirinna, égérie des homosexuels italiens La sénatrice a porté au Parlement la proposition de loi sur le pacs « Le discours sur l’ouverture de droits pour les homosexuels est désormais irréversible » rome - correspondant D’ une certaine façon, elle a déjà gagné. Pour la première fois, jeudi 28 janvier, une proposition de loi sur le contrat d’union civile a fait son entrée au Parlement, même si la discussion proprement dite ne commencera que le 2 février. Toutes les précédentes tentatives ont échoué à la porte du Palais de Montecitorio (Assemblée) ou du Palais Madame (Sénat). Chevelure blonde en cascade, Monica Cirinna, Romaine de 53 ans, est le visage de cette révolution en cours. La loi sur la formation sociale spécifique (appellation officielle du pacs à l’italienne) porte son nom. C’est aussi celui que le million de manifestants attendus samedi au cirque Maxime de Rome pour contester cette avancée sociale et éthique conspueront à pleins poumons. Elle semble s’en moquer. « Le discours sur l’ouverture de droits pour les homosexuels est désormais irréversible, explique cette sénatrice du Parti démocrate (PD, centre gauche) en remuant son cappuccino dans le Bar del Senato, juste en face du Palais Madame. On ne pourra pas revenir en arrière. » Elle ne craint pas non plus les chausse-trappes d’un vote à bulletin secret sur l’article le plus contesté par l’Eglise italienne et le Vatican : celui qui ouvre la possibilité à l’un des membres d’un couple homosexuel d’adopter l’enfant de son MONICA CIRINNA sénatrice du Parti démocrate Monica Cirinna, au Sénat, à Rome, le 19 janvier. SAMANTHA ZUCCHI/INSIDE/PANORAMIC conjoint. Trente-quatre parlementaires de son parti ont exprimé leurs réserves sur cette disposition. Elle leur a répondu en se rendant la semaine dernière au premier rang du rassemblement romain en faveur de sa loi. Chacun tenait en main un réveil ou une pendule pour dire « Italie, réveille-toi ! ». « C’est d’eux que je tire mon énergie », avoue-t-elle. « Un enfer » Elle en a besoin. Des jours et des nuits de réunions au sein de la commission des lois du Sénat ont été nécessaires pour limer chaque phrase afin de ne pas donner aux partisans de la famille traditionnelle l’occasion de dénoncer la loi en la comparant à un mariage en bonne et due forme. L’opposition a déposé près de 5 000 amendements, finalement réduits à quelques centaines après un accord entre les présidents de groupe. « Un enfer, avoue-t-elle. Mais la véritable honte aurait été de donner le spectacle d’une Italie rétrograde. » I SRAËL- PALEST I N E Paris relance son projet de conférence internationale La France va relancer « dans les semaines qui viennent » son projet d’une conférence internationale « rassemblant autour des parties leurs principaux partenaires – américains, européens, arabes, notamment – afin de préserver et de faire aboutir la solution des deux Etats », Israël et Pales- tine, a déclaré, vendredi 29 janvier, le chef de la diplomatie française, lors de la cérémonie des vœux au corps diplomatique. « Nous ne devons pas laisser se déliter la solution des deux Etats », a souligné Laurent Fabius, regrettant que « malheureusement, la colonisation continue ». Il a ajouté qu’en cas d’échec « nous devrons prendre nos responsabilités en reconnaissant l’Etat palestinien ». – (AFP.) Ce dimanche à 12h10 GILLES DE KERCHOVE coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde). Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr 0123 Le premier ministre, Matteo Renzi, a bien compris l’importance de laisser s’exprimer cette battante. Lui, qui manifestait, en 2007, contre le Dico (un projet de pacs finalement abandonné par Romano Prodi sous la pression de la mobilisation catholique), la soutient. Conversion sincère ou tactique ? « Je ne sais pas, consent Monica Cirinna. Mais lui, il sait qu’il ne peut revendiquer le premier rôle en Europe en étant le premier ministre d’un pays pointé du doigt pour sa passivité sur ce sujet. Il a fait un choix de dignité pour la démocratie. Et puis, c’était dans son programme. » Monica Cirinna n’est pas novice en politique. Elevée dans une famille catholique, c’est dans les rangs écologistes qu’elle acquiert, en 1993, son premier mandat, après avoir été, dix ans durant, l’assistante d’un professeur de droit : conseillère municipale de Rome au sein de l’équipe de centre gauche guidée par Francesco Rutelli. Fondatrice d’une association de protection des animaux, elle est bombardée adjointe à la cause animale. « Il faut savoir que, à l’époque, un chien ou un chat abandonné était tué trois jours après sa capture. La question des droits et de la dignité est universelle. » Aujourd’hui, ses ennemis ne craignent pas de dire qu’elle a plus de « compassion pour les chats que pour les enfants ». Une manière insultante de lui rappeler qu’elle n’en a pas. Trois mandats suivront à la mairie de Rome, dont le dernier en tant que conseillère municipale d’opposition au maire Gianni Alemanno, issu des rangs néofascistes. « Des années humainement difficiles », se souvient-elle. Si elle n’abandonne pas la cause animale, elle élargit l’éventail de ses combats à celle des femmes. « Ce sont elles qui soutiennent la seule politique sociale de ce pays. Elles, qui s’occupent des enfants, des vieux. Il faudra bien un jour en venir à une politique des quotas afin qu’elles soient mieux repré- Désaccord Merkel-Renzi sur la Turquie L’entretien, vendredi 29 janvier à Berlin, entre la chancelière, Angela Merkel, et le président du conseil italien, Matteo Renzi, n’est pas parvenu à régler un des principaux différends entre l’Allemagne et l’Italie. Malgré force « Matteo » et « Angela » de part et d’autre et l’affirmation de poursuivre un objectif commun, l’Italie refuse toujours d’apporter sa quote-part à l’aide de 3 milliards d’euros promise par l’Union européenne à la Turquie afin de l’aider à retenir sur son territoire les 2,5 millions de Syriens qui y sont réfugiés. « J’attends des réponses des amis de l’Union européenne », a justifié, avec ironie, M. Renzi, qui souhaite des précisions sur l’utilisation de ses fonds. « La mise en œuvre de l’accord est urgente », a plaidé Mme Merkel. sentées. C’est un passage obligé. » En 2007, elle adhère au Parti démocrate naissant. En 2013, elle est élue sénatrice. Selon le calendrier du Sénat, la loi devrait être adoptée aux alentours du 10 février. Le passage à l’Assemblée, où le PD dispose d’une large majorité, ne devrait être qu’une formalité. « Lors de la manifestation de samedi dernier, j’ai vu aussi des hétérosexuels réclamer des droits pour les homos. C’est tout à fait nouveau en Italie, pays patriarcal fondé sur la famille et encore très homophobe. Jusqu’alors, les problèmes des gays étaient considérés comme lointains. Mais tout change finalement. Je suis sûr qu’un jour il faudra aborder la question du mariage. » Et si elle échoue ? « J’ai d’autres passions. » Avec son mari, elle s’occupe d’une ferme biologique produisant huile d’olive, vin, confitures et légumes. Là-bas, en Toscane, quatre chiens, quatre chats, des ânes et deux chevaux l’attendent. p philippe ridet La Russie s’inquiète du retour de « ses » djihadistes Plus de 800 personnes revenues du Proche-Orient sont poursuivies par la justice russe moscou - correspondante L a surveillance des frontières s’est accrue, les interpellations préventives se multiplient. Plus de 800 enquêtes ont été ouvertes en Russie contre des ressortissants revenus du ProcheOrient et soupçonnés d’avoir combattu dans les rangs de groupes armés en Syrie et en Irak. En parallèle, le ministère de la défense russe a annoncé le déploiement de sa police militaire afin de contrôler les accès de sa base aérienne installée en Syrie. Ces annonces interviennent alors que Moscou s’implique toujours davantage dans le dossier syrien. Selon le comité de lutte antiterroriste, qui en a fait état devant la presse à Moscou vendredi 29 janvier, « 832 personnes impliquées dans des organisations terroristes internationales sont actuellement poursuivies, dont 22 recruteurs ». Plus de 80 de ces suspects ont déjà été condamnés à des peines d’emprisonnement. « Nous assistons à une intensification du recrutement de mercenaires, a affirmé Andreï Prjezdomski, porte-parole du comité. Et même si le pic avait été atteint en 2013, le problème demeure. » En juin, le chef du FSB, les services de sécurité russe, Alexandre Bortnikov, avait estimé à 2 900 le nombre de combattants d’origine « Il s’agit d’un bataillon composé de membres essentiellement originaires du Caucase du Nord, mené par Ahmed Tchataiev, dit “le Manchot” » ANDREÏ PRJEZDOMSKI comité de lutte antiterroriste russe partis rejoindre les rangs djihadistes. Des « cellules de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] projettent des attentats en Russie et dans les pays européens, a insisté M. Prjezdomski. Il s’agit d’un bataillon composé de membres essentiellement originaires du Caucase du Nord, mené par Ahmed Tchataiev, dit “le Manchot”. » L’homme n’est pas un inconnu en Russie. Blessé lors de la guerre russo-tchétchène en 2000, ce dernier, qui a également perdu une jambe, avait obtenu trois ans plus tard le statut de réfugié en Autriche. Arrêté à la frontière entre l’Ukraine et la Slovaquie en 2010, il avait bénéficié d’une campagne internationale pour empêcher son extradition d’Ukraine alors que la Russie le réclamait. Plus récemment, en octobre 2015, Ahmed Tchataiev a été inscrit, à la demande de Moscou, sur la « liste noire » du terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU. Décrit comme l’un des leaders de l’organisation Etat islamique (EI), « localisé » en Syrie et « possiblement » en Irak en août 2015, le Tchétchène âgé de 35 ans serait à la tête d’une brigade forte de 130 combattants. Police militaire déployée en Syrie Un groupe de quatre combattants « bien entraînés a été envoyé en Russie dans le but de commettre un attentat dans une ville, a poursuivi le responsable de la lutte antiterroriste.Ils ont loué une maison et acheté des ingrédients pour la fabrication d’un engin explosif, mais ils étaient sous surveillance et ont été arrêtés. » Le 27 janvier, une enquête supplémentaire a été ouverte contre neuf hommes accusés d’avoir prêté allégeance à l’EI. Depuis le déclenchement, le 30 septembre 2015, des frappes aériennes russes en Syrie, l’EI a menacé à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux de s’en prendre à la Russie. Mais avant même l’engagement des forces de Moscou au côté de son allié, le président syrien Bachar Al-Assad, l’organisa- tion djihadiste s’était déjà rapprochée des frontières russes. Dès l’automne 2014, selon Alexandre Choumiline, spécialiste à Moscou des questions relatives au ProcheOrient, les combattants de l’Emirat du Caucase, au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchie, ont commencé à prêter allégeance à l’EI. Un engagement formalisé quelques mois plus tard. Jeudi, lors d’une rencontre « surprise », le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgou, a accueilli son homologue syrien, Fahd Jassem Al-Freij, venu à Moscou discuter du « développement » de la coopération militaire entre les deux pays. « Grâce aux frappes russes, l’armée syrienne a remporté de grands succès au cours de l’offensive au nord de Lattaquié », s’est félicité l’état-major russe, en affirmant que « 92 km2 et 28 lieux habités » avaient ainsi pu être « libérés ». Le lendemain, le ministère a annoncé le déploiement de la police militaire sur sa base aérienne de Hmeimim, dans la région de Lattaquié contrôlée par les forces du régime syrien. Cette police militaire, qui sera chargée de surveiller les « installations russes et la circulation sur la base », est une création récente en Russie. Elle n’existait pas avant une loi adoptée en 2014. p isabelle mandraud planète | 5 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 « Drôle de guerre » à Notre-Dame-des-Landes Agriculteurs et zadistes se préparent à l’épreuve de force avec le gouvernement pour défendre le bocage REPORTAGE LES DATES notre-dame-des-landes (loire-atlantique) - envoyé spécial S ur la route départementale 81 qui mène du carrefour des Ardillières à La Paquelais, dans la zone qui s’étend entre les villages de Notre-Dame-des-Landes et Vigneux-de-Bretagne, là où doit être construit le futur aéroport nantais, il faut conduire très lentement et faire preuve d’adresse pour slalomer entre barricades de fortune, palettes de bois, carcasses de voiture, pneus entassés, et éviter quelques trous. Ces obstacles sont destinés à retarder, voire empêcher, l’intervention des gendarmes mobiles. C’est désormais à ce scénario que se préparent les quelque 200 occupants de la zone à défendre (ZAD). Sur ces 1 600 hectares de bocage, Vinci-Aéroport du Grand Ouest (AGO), le concessionnaire, doit débuter les travaux de débroussaillage et de terrassement afin d’y construire la nouvelle aérogare et les deux pistes destinées à remplacer l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique. Le projet remonte aux années 1960, mais l’échéance paraît inévitable. Le 25 janvier, le tribunal de grande instance de Nantes a ordonné l’expulsion, dans un délai de deux mois, non pas des zadistes mais de onze familles et quatre exploitants agricoles, installés pour la plupart depuis des générations. Le lendemain, à l’Assemblée nationale, le premier ministre, Manuel Valls, a rappelé la « nécessité » de construire l’aéroport et évoqué un rendez-vous « à l’automne ». « Tracteurs vigilants » Rien ne semble plus s’opposer au démarrage du chantier, sauf la détermination des opposants. Depuis une semaine, la mobilisation bat son plein. Les réseaux ont été réactivés et Radio Klaxon, la radio de la ZAD qui émet sur 107.7, piratant la fréquence de Radio Vinci autoroute, a repris du service. Samedi 30 et dimanche 31 janvier, les opposants ont prévu de lancer leurs propres chantiers, une trentaine, pour aménager de nouvelles installations (salle de réunion, mur d’escalade, auberge…), entretenir les chemins qui sillonnent le bocage ou bâtir des bâtiments agricoles. Plusieurs centaines de militants, venant des collectifs de soutien – il y en aurait 200 en France, selon les anti-aéroport –, sont attendus pour prêter mainforte à cette résistance devenue 1965 Démarrage La préfecture de Loire-Atlantique recherche un « nouveau site aéronautique ». 1968 Choix du site Notre-Dame-des-Landes est retenu comme site « préférentiel ». 2000 Relance Le gouvernement de Lionel Jospin relance le projet d’un nouvel aéroport. 2008 Feu vert Le 10 février est publié le décret d’utilité publique. 2009 Occupation A l’été, les opposants au projet d’aéroport s’installent dans la « zone à défendre ». Des agriculteurs venus soutenir, le 27 janvier, Sylvie et Marcel Thébault, menacés d’expulsion. ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE » emblématique des luttes contre des grands projets d’infrastructure jugés « inutiles et coûteux ». Mais les membres de ces collectifs, des militants écologistes, anticapitalistes et antiautoritaires pour la plupart, ne seront pas les seuls à converger sur ce petit bout de terre. Au lendemain de la décision du tribunal, une centaine d’agriculteurs ont répondu au mot d’ordre du réseau Copain, le Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport. Manœuvrant une soixantaine de « tracteurs vigilants », ils ont « défendu » la ferme de futurs expulsés, Sylvie et Marcel Thébault, dans le hameau du Liminbout. Une répétition générale. Mais l’expulsion de ces opposants « historiques » ne pourra pas se faire sans évacuer l’ensemble de la zone. Depuis 2009, la ZAD a vu naître des lieux de vie que ses occupants ne souhaitent plus quitter, aéroport ou non. Simples huttes, cabanes perchées, caravanes et maisons réoccupées et entretenues parsèment le bocage, au cœur de bosquets touffus, de bois ardus à pénétrer, aux croisements de sentiers souvent boueux – zone humide oblige –, à proximité des fermes des agriculteurs et des habitants menacés aussi d’expulsion. Chaque lieu occupé porte un nom, Baraka, No Name, Les Fosses noires, Bellevue, La Rolandière, La Chat Teigne, la Wardine… Qui sont ces zadistes ? D’anciens salariés, des étudiants qui affirment refuser le système. Mais aussi, comme l’écrivent les auteurs du collectif Mauvaise Troupe, dans un livre paru en janvier, Défendre la ZAD (Editions l’Eclat), « ceux pour qui la ZAD est un refuge, parce que sans contrôle d’identité : des mineurs en fugue aux réfugiés de Calais venus se reposer quelque temps (…). Ceux burinés par les galères et la rue, pour qui la ZAD est un rivage ». Sur cette zone « hors la loi » se sont organisées de multiples activités, élevage, maraîchage, conserverie, boulangerie, studio d’enregistrement… Entre les militants les plus radicaux et les porteurs de projet, entre les zadistes et les opposants historiques, les discussions sont souvent rudes, comme en témoignent les assemblées générales, Plusieurs centaines de militants sont attendus pour prêter main-forte dont le rythme s’est accéléré depuis début janvier. L’histoire de la cohabitation entre zadistes, agriculteurs et habitants a connu de fréquentes tensions. Problèmes relationnels entre le bétail et les nombreux chiens circulant dans la ZAD. Heurts avec les chasseurs. Cambriolages dénoncés par les commerçants du bourg qui montrent, prudemment, la zone du doigt. Les occupants, qui ne nient pas « quelques histoires regrettables », ont distribué aux riverains une brochure : « Notre objectif n’est en tout cas pas de nuire aux habitants des bourgs environnant la zone. Nous désirons instaurer au contraire des rapports durables et cordiaux avec nos voisins et voisines », écrivent-ils. Ces mots ont peu de chance de séduire les 1 600 personnes qui auraient signé une pétition pour demander l’évacuation de la ZAD. Les pro-aéroports, Bruno Retailleau, le président (Les Républicains) de la région Pays de la Loire, en tête, ne cessent de demander au gouvernement d’intervenir. JeanPaul Naud, le maire de Notre-Dame-des-Landes, paisible bourgade de quelque 1 700 habitants, bien qu’hostile au projet d’aéroport, estime aussi nécessaire le retour à la « légalité républicaine » sur la zone. Opération à risque La complexité pour le gouvernement ne sera pas seulement d’affronter les zadistes sur un terrain morcelé par les haies, les fossés, les sentes glissantes. Il sait qu’il aura face à lui des militants qui n’hésiteront pas à se défendre par tous les moyens. Comme à l’automne 2012, quand le bocage s’était transformé en champ de bataille, lors de l’opération César, une tentative avortée d’évacuation de la ZAD par les forces de l’ordre. Il devra compter sur les milliers de manifestants qui re- joindront la zone ou qui, dans de nombreuses villes, prendront pour cible Vinci, ses infrastructures ou les représentations de l’Etat. Sans oublier les agriculteurs qui viendront soutenir leurs collègues expulsés. « Il y a une solidarité naturelle, surtout chez les éleveurs, et quand les gendarmes tenteront d’embarquer les vaches et de saisir le matériel, nous serons des centaines de tracteurs pour les en empêcher », promet Bruno Gris, responsable du Groupement des agriculteurs biologiques, membre de Copain. Une fois la zone évacuée, il faudra encore la « tenir » durant la durée, longue, du chantier. Rien d’impossible, mais une opération à risque, car la moindre victime bloquerait certainement le processus. La mort de Rémi Fraisse, jeune militant écologiste, lors des affrontements avec les gendarmes à Sivens, dans le Tarn, en octobre 2014, a signifié la fin des travaux de construction du barrage. Un scénario que veulent à tout prix éviter les autorités à Notre-Dame-des-Landes. p rémi barroux « On a maintenu ce que nos ancêtres nous ont légué » Onze familles et quatre fermiers ont décliné les offres de rachat de leurs terres et de leur maison par Vinci, refusant de rompre avec leurs racines D ans l’enceinte du palais de justice de Nantes, quand le juge a annoncé, lundi 25 janvier, qu’ils seraient expulsés de leur maison et de leurs terres, les onze familles et les quatre exploitants agricoles se sont regroupés comme les membres d’une grande tribu, loin des journalistes. Les Fresneau, les Thébault, les Bézeul et les autres sont les opposants « historiques » au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes Le délai de deux mois accordé par le juge pour quitter les habitations – à l’exception des terres et les bâtiments agricoles confiscables immédiatement – et l’absence d’astreinte financière que réclamait Vinci, le concessionnaire du futur aéroport, leur laissent un répit. D’autres habitants – ils seraient 240 – ont cédé à Vinci leurs terrains. Quarante exploitations agricoles étaient concernées, en 2008, par la zone d’aménagement du futur aéroport. Les accords passés entre la préfecture et la chambre d’agriculture ont fixé le tarif de l’indemnisation. Les propriétaires ont touché des sommes allant de 1 600 à 2 200 euros par hectare. Pour les fermiers, locataires des terres, le montant varie de 2 500 euros par hectare au double. « S’ils n’ont que quelques hectares dans la zone, sur l’ensemble des terres utilisées, le niveau d’indemnisation est moindre », avance Axel Gayraud, chargé du dossier de Notre-Dame-des-Landes à la chambre d’agriculture de LoireAtlantique. Mais indemnisation ne signifie pas départ. « Sur les quarante exploitants concernés, vingt-neuf sont toujours en activité et, pour certains, continuent d’exploiter ces terres avec un contrat précaire signé avec Vinci », explique encore M. Gayraud. Alphonse Fresneau n’en veut pas à ceux qui ont accepté l’offre de Vinci. « La plupart n’avaient pas le choix, ils étaient contraints », explique l’agriculteur, 83 ans, qui a toujours vécu ici, aux Domaines, quelques maisons entre Notre-Dame-des-Landes et Vigneuxde-Bretagne. Avant lui, son père, son grand-père et même ses arrière-grands-parents élevaient ici des vaches laitières et des bœufs pour l’attelage. Alphonse n’est pas seulement en colère, il est aussi « On est les racines et [les zadistes] sont les branches de l’arbre » SYLVAIN FRESNEAU agriculteur triste. « On a maintenu ce que nos ancêtres nous ont légué. Est-ce qu’on va pouvoir continuer ? » Son arrière-neveu, Justin Fresneau, 22 ans, vit dans la petite maison juste derrière chez lui. Depuis son plus jeune âge, il sait qu’il sera paysan. Salarié agricole depuis un an, BTS en économie et gestion agriculture « option lait » en poche, il espère pouvoir s’installer sur les terres familiales. L’aéroport, l’expulsion ? « On n’est sûr de rien, mais s’ils viennent, ils s’attaqueront à quelque chose de fort », prévient le jeune homme. Ses parents, Brigitte et Sylvain Fresneau, habitent juste en face et travaillent, avec Bruno Viaud, sur 192 hectares, dont 114 dans la zone d’aménagement de l’aéroport, avec 260 bêtes dont 88 vaches laitières. Figure emblématique de la lutte contre l’aéroport, Sylvain, 54 ans, aux faux airs de José Bové, un copain, croit en la victoire finale. Avec les zadistes, ses voisins, il voit la complémentarité. « On est les racines et ils sont les branches de l’arbre », résume l’agriculteur. « Mépris pour les citoyens » A quelques kilomètres de là, dans le hameau du Liminbout, Sylvie et Marcel Thébault sont arrivés en 1999 avec leurs deux enfants, Pauline et Robin. Mais ils se sont attachés à cet endroit, où ils élèvent 36 vaches laitières, des prim’holstein à la robe noir et blanc et des pie rouge des plaines, marron et blanc. Pour Marcel, l’aéroport est le symbole « de la consommation de terres agricoles, du gâchis de l’argent public et, surtout, des mensonges et du mépris pour les citoyens ». Joël Bizeul, 53 ans, partage le même avis… et le même sort. Il sait que la perte des terres signifiera la mort de sa petite entre- prise agricole à responsabilité limitée (EARL) Les Rochettes, du nom du lieu-dit. Avec sa femme, Marie-Denise, et ses deux enfants, Alexandre et Noémie, ils n’abandonneront pas. « J’ai toujours entendu parler du projet d’aéroport, depuis que j’ai 4 ou 5 ans. J’ai travaillé le dossier et je me suis rendu compte de son absurdité », raconte-t-il. Alain Bretesché, 48 ans, lui, n’est pas agriculteur. Il est électricien, dans une filiale d’Engie. Son syndicat, la CGT, a pris position contre le transfert de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes. Il pense aujourd’hui au bien-être de sa fille, Lilou, 13 ans. « Ce n’est pas facile pour elle, à l’âge où on veut être comme les autres, d’habiter dans la ZAD. Mais je ne veux pas lâcher La Rolandière », confie Alain Bretesché. p r. bx 6 | france 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Anne Hidalgo veut redessiner Paris La maire de la capitale propose de fusionner les quatre premiers arrondissements avant 2020 C’ est une page de l’histoire de Paris qui se tourne. La maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, a l’intention de réduire de vingt à dix-sept les mairies d’arrondissement de la capitale. Dans une note interne que Le Monde s’est procurée, l’exécutif parisien prévoit la fusion des mairies du 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements d’ici les municipales de 2020. « Les quatre arrondissements centraux seraient regroupés mais pas supprimés, précise au Monde Bruno Julliard, premier adjoint de Mme Hidalgo. Nous garderons les numéros des vingt arrondissements auxquels les Parisiens sont attachés », ajoute l’élu chargé de la culture. Mais un seul maire se substituerait aux quatre en place dans le centre de Paris. L’un des objectifs mis en avant est d’aboutir à « une meilleure représentation démocratique des Parisiens ». La taille des arrondissements date de 1860. La répartition des conseillers de Paris n’a pas suffisamment pris en compte les évolutions démographiques. Les Parisiens qui habitent le 1er arrondissement ont un seul conseiller pour une population totale de 17 000 habitants. Chacun des dixhuit conseillers de Paris du 15e, le plus peuplé, représente 13 200 habitants. En regroupant les huit sièges des quatre arrondissements visés en une seule « mairie de secteur », chaque élu représenterait environ 13 000 habitants, soit le ratio moyen actuel dans les autres secteurs de la capitale. Dans sa note, Mme Hidalgo se défend de toute « volonté partisane ». Elle souligne, pour convaincre ses opposants, que les propositions de rapprochements d’autres petits arrondissements tels que le 5e, 6e et 7e ou le 8e et le 9e – tous à droite – ont été écartées parce qu’ils « risquaient de renforcer aux prochaines élections la majorité actuelle ». « Arrière-pensées électoralistes » Le scénario de fusion retenu sera « neutre sur l’équilibre politique actuel entre majorité et opposition » au sein du Conseil de Paris, explique le document. « Sur la base des résultats des municipales de mars 2014, on aurait neuf maires de la majorité contre huit de l’opposition. » Le regroupement des quatre mairies d’arrondissement conduirait à supprimer deux mairies écologistes (2e et 4e), une mairie PS (3e) et une mairie Les Républicains (1er). La fermeture programmée de Vue aérienne du centre de Paris, dont les arrondissements de la rive droite (1er, 2e, 3e et 4e) pourraient fusionner. PH.GUIGNARD/AIR-IMAGES.NET quatre mairies soulève une farouche résistance dans les rangs de l’opposition. « Mme Hidalgo a des arrière-pensées électoralistes », a déclaré, vendredi, à L’Express, JeanFrançois Legaret, maire (LR) du 1er arrondissement. Vent debout à l’idée de mettre la clé sous la porte de son élégant hôtel de ville, en 2020, M. Legaret a le soutien de Nathalie KosciuskoMorizet et des centristes. « Anne Hidalgo veut exécuter Legaret au mur des fédérés, supprimer le 4e qui a failli tomber à droite en 2014, libérer le 2e et le 3e pour créer un grand boboland taillé sur mesure pour la gauche en 2020 », fustige Eric Azière, patron du groupe UDI-MoDem au Conseil de Paris. Deux autres grands chantiers plus consensuels sont détaillés dans la note de la Ville. Mme Hidalgo souhaite fusionner le département et la commune de Paris en « Il est légitime que les Parisiens puissent reprendre la main sur les affaires de leur ville » ANNE HIDALGO maire PS de la capitale une seule collectivité. Elle entend surtout renforcer ses pouvoirs au motif que Paris doit en finir avec « un statut d’exception » par rapport aux autres communes. « Il est légitime que les Parisiens puissent reprendre la main sur les affaires de leur ville, et que les élus choisis par eux puissent leur en rendre compte », insiste-t-elle. La maire de Paris revendique le transfert des pouvoirs de circulation dévolus au préfet « sur l’ensemble des axes » routiers de la ville. « Les négociations sont toujours en cours avec la préfecture », confie M. Julliard. Mme Hidalgo se dit prête à laisser l’Etat donner « un avis » sur les accès « présentant des enjeux importants pour la sécurité ». La ville veut également créer « une brigade de lutte contre les incivilités » à l’été 2016. Elle demande qu’y soit affectée une partie des agents chargés du contrôle du stationnement. Ce qui justifie que soit mis fin à la tutelle du préfet sur les « pervenches » pour les placer sous celle de la mairie. Mme Hidalgo rappelle qu’elle souhaite se voir reconnaître le même droit que tous les maires de fixer les dates des douze dimanches ouvrés par an. Impuissante à convaincre le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, de lui accor- der ce droit lors du vote du projet de loi sur le travail dominical, elle a bon espoir de parvenir à ses fins. Discussion avec Matignon La maire de Paris souhaite enfin que l’attribution des licences de taxis ne relève plus de la préfecture. « On pourrait envisager qu’elle soit du ressort de la Ville, voire du Syndicat des transports d’Ile-de-France, piloté par la région », suggère M. Julliard. L’ensemble des propositions consignées dans le document découle des conclusions d’un groupe de travail mis en place en octobre 2015 par la Mairie. Elles doivent être votées dans les arrondissements avant d’être soumises au Conseil de Paris des 15 et 16 février. « Le prochain conseil proposera au gouvernement des orientations à soumettre au Parlement dans l’année 2016 », précise la note. Si l’ambition de Mme Hidalgo exige pour se concrétiser le vote d’une loi, cela suppose l’accord de l’exécutif. Celui-ci n’est pas acquis d’emblée et les débats entre l’Hôtel de Ville et Matignon risquent d’être vifs, particulièrement sur les sujets qui relèvent du transfert de certains pouvoirs de l’Etat vers la commune. « Valls et une partie du PS prêtent à Hidalgo des ambitions présidentielles. Mais c’est à tort et parce qu’ils ne comprennent pas son logiciel », assure l’entourage de la maire de Paris. Les « discussions sur la réforme du statut de Paris se passent très bien avec Matignon, veut modérer M. Julliard. Depuis qu’ils ont compris qu’on n’avait pas la prétention de bâtir la République autonome de Paris, ils sont rassurés », ironise le numéro deux de la capitale. p béatrice jérôme Primaire à gauche : une idée qui progresse dans le doute Les frondeurs se rallient au projet lancé par Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot et Thomas Piketty C’ est la dernière initiative d’une série qui commence à faire sens. Les frondeurs du PS devaient se prononcer, samedi 30 janvier, en faveur d’une « primaire citoyenne de la gauche et des écologistes » afin de désigner le candidat pour 2017. « C’est la seule voie pour la gauche afin de prévenir le naufrage que nous redoutons lors de l’élection présidentielle », écrivent-ils. Leur appel vient s’ajouter à celui publié dans Libération à la mi-janvier par une quarantaine d’intellectuels et de personnalités politiques qui militent pour la tenue d’une telle consultation. Un autre collectif, rassemblé autour de Caroline de Haas – ancienne du syndicat étudiant UNEF et du cabinet de Najat Vallaud-Belkacem –, d’Arnauld Champremier-Trigano – ancien directeur de communication de Jean-Luc Mélenchon – et d’Elliot Lepers – un web-activiste écologiste –, a lancé de son côté le « comité d’organisation » de cette primaire. Lundi 1er février, le PCF organise un débat sur le sujet. L’historien Patrick Weil, le député socialiste Pouria Amirshahi (Français de l’étranger) et la présidente de la Ligue des droits de l’homme, Françoise Dumont, y sont annoncés. Et deux jours plus tard, ce sont Daniel Cohn-Bendit, Yannick Jadot et Thomas Piketty qui donnent rendez-vous pour une soirée-débat à La Bellevilloise avec les premiers signataires de leur appel. De quoi raviver cette interrogation qui traverse la majorité presque depuis les premiers jours du quinquennat : François Hollande est-il, en tant que président sortant, le candidat légitime de l’ensemble de la gauche en 2017 ? Pour les socialistes, la question est déli- cate. Solférino est le seul appareil assez solide pour organiser sans accroc une primaire citoyenne. C’est le PS qui a popularisé ce mode de désignation en 2011, jusqu’à l’inscrire dans ses statuts. Quelques mots gravés dans le marbre qui sont aujourd’hui encombrants. Périmètre flou La direction du PS a donc affiché une bonne volonté de façade en acceptant le principe d’une consultation allant « de Macron à Mélenchon ». « La primaire citoyenne doit être sans exclusive pour déboucher sur un candidat unique de la gauche ! Sinon, c’est sans nous », explique le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Une manière de renvoyer la responsabilité de l’échec sur le Front de gauche, qui ne veut pas de M. Hollande dans le casting. Le périmètre d’une telle initiative reste très flou. Chacun voit midi à sa porte. Pour Yannick Jadot, député européen EELV, cela va du PS au Parti de gauche. Mais les communistes ont mis leurs conditions : pas question d’y participer si le chef de l’Etat y est présent sur son orientation actuelle. « C’est un débat artificiel, juge Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. Tout le monde sait que le président de la République ne veut pas d’un tel processus. » Pas plus que leur partenaire du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui a refusé tout net d’en être, jugeant le dispositif destructeur. « Et alors ? Vous croyez qu’entre François Hollande et Mélenchon, il n’y a rien à gauche, répond M. Laurent. Pour un très grand nombre de socialistes, Hollande n’est pas le candidat naturel de la gauche. Idem chez les écologistes. » A Europe Ecologie-Les Verts, justement, Cécile Duflot a été l’une des premières à signer l’appel. Une manière pour la députée de Paris de sortir par le haut de l’épineuse question d’une candidature à la présidentielle et d’arracher un accord majoritaire avec le PS. Mais ses proches restent sur leurs gardes. « Il faut faire en sorte que ça puisse marcher mais sans être dans la paresse intellectuelle de se dire qu’une génération spontanée va s’en emparer », explique David Cormand, numéro deux d’EELV, qui veut une candidature écologiste en 2017. M. Hollande, intéressé au premier chef, se garde bien de réagir sur le sujet. Son entourage entretient l’idée qu’un président en fonction ne peut pas décemment s’abaisser à pareil exercice. « On a un président en exercice qui, s’il se présente, demandera aux citoyens de le laisser poursuivre son action : le ramener à des discussions d’appareil serait mortifère », lâche un conseiller. Les proches du chef de l’Etat estiment que derrière les appels à la primaire se cache une volonté d’affaiblir le couple exécutif. « C’est une primaire chevrotine, ça arrose large », commente l’un d’eux. Pourtant, la majorité est consciente que la victoire n’est pas possible en 2017 sans un rassemblement de la gauche, qui semble aujourd’hui hypothétique. « Cambadélis n’a pas fermé la porte à une primaire parce qu’il veut laisser la possibilité à François Hollande de l’utiliser en dernier recours », assure un dirigeant du PS. Dans cette partie d’échecs grandeur nature, chacun avance pour l’heure prudemment ses pions en espérant ne pas terminer mat. p raphaëlle besse desmoulières et nicolas chapuis france | 7 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Nicolas Sarkozy met le parti à sa main Le président des Républicains s’apprête à désigner cent secrétaires départementaux I l a beau y penser tous les jours, Nicolas Sarkozy n’est pas encore candidat à la primaire à droite pour la présidentielle de 2017. Pourtant, il s’y prépare activement. D’abord avec son livre, La France pour la vie (Plon), publié le 25 janvier, dans lequel il tente de rafraîchir son image profondément écornée. Ensuite, avec le tour de France qu’il a entamé mi-janvier pour partir à la rencontre des Français. En coulisses, le président des Républicains (LR) s’attelle à une autre tâche, non moins stratégique : faire du parti sa machine électorale pour la primaire. Après avoir enterré l’UMP, M. Sarkozy poursuit la refondation de la formation de droite avec les élections internes des 30 et 31 janvier, renouvelant les instances départementales. Comme le stipulent les nouveaux statuts, l’ensemble des présidents de fédération sera élu pour la première fois au suffrage universel des militants. Cette démocratisation n’empêche pas l’ancien président de la République d’asseoir son emprise sur le parti. Les cent secrétaires départementaux seront en effet tous nommés par lui. Ces sortes de « préfets » de LR seront chargés de l’organisation des fédérations et seront les animateurs de la vie militante. Autant de relais de terrain précieux pour mobiliser les adhérents en vue de la primaire. Un « verrouillage » du parti assumé par les sarkozystes. « Un président de parti n’est pas obligé de nommer des secrétaires départementaux qui lui soient opposés, sourit Eric Woerth. Il est rare qu’un président fasse en sorte que le parti lui échappe… » Ce week-end d’élection interne n’est qu’une nouvelle étape dans l’emprise croissante de M. Sarkozy sur sa formation. Après les régionales, il avait d’abord fait le ménage au sein de la direction, en évinçant sa numéro 2, Nathalie Kosciusko-Morizet, jugée trop centriste. A sa place, il avait promu Laurent Wauquiez, figure de l’aile droitière de LR. Et placé quatre de ses lieutenants au porte-parolat : Guillaume Larrivé, Valérie Debord, Brigitte Kuster et Guillaume Peltier. Luc Chatel, successeur désigné Autre signe de cette « sarkozysation » du parti : le président de LR a l’intention de proposer son conseiller politique, Luc Chatel, comme candidat à la succession de Jean-Pierre Raffarin à la tête du conseil national, les 13 et 14 février. En plaçant un de ses fidèles à un Certains de ses proches ont toujours redouté que la fonction de chef de parti ne le rabaisse poste-clé, M. Sarkozy prépare l’avenir : l’ex-ministre de l’éducation pourrait le remplacer à la tête du parti lorsqu’il se lancera dans la campagne officielle de la primaire. Si certains de ses proches ont toujours redouté que la fonction de chef de parti ne le rabaisse, l’exchef de l’Etat a, lui, décidé de profiter jusqu’au bout de cet atout pour rester au cœur du jeu et imposer son agenda. Lors du conseil national, il tentera d’imposer sa ligne politique à ses rivaux, en plaidant pour une grande fermeté sur le régalien (immigration, sécurité…). Jusqu’en juin, il conclura les conventions thématiques devant alimenter le projet du parti. Et il conserve enfin dans sa manche une carte maîtresse pour calmer les éventuelles velléités contestataires de ses députés : M. Sarkozy a l’intention d’attribuer les investitures pour les législatives au mois L’HISTOIRE DU JOUR Nadine Morano pourrait rejoindre le CNIP de juin. Un argument de poids pour attirer des soutiens. Lorsqu’il aura usé de cet atout, il pourra alors se déclarer candidat à la primaire. Le plus tard possible. Jusque-là, la rue de Vaugirard, où siège le parti, sera sa base arrière pour occuper le terrain médiatique. Reste que cette position de « président-candidat » est ambiguë. M. Sarkozy est-il encore président du parti ou déjà candidat ? Les déplacements qu’il a entamés depuis le début de l’année semblent davantage s’inscrire dans la campagne de la primaire. Le 15 janvier, il était à Anet, dans un village d’Eure-et-Loir, pour « se rapprocher des Français », selon son entourage. Une opération de communication visant à montrer que le lien n’est pas cassé et donc préparer sa future candidature. Cinq jours plus tard, il s’envolait à Nîmes pour deux jours de visite de terrain. Mardi 26 janvier, il aussi participé à une séance de dédicaces à la librairie Kleber à Strasbourg pour son livre. Un mail interne de LR a été envoyé à tous les militants pour les inciter à « précommander » son livre, qui n’est certes « pas un acte de candidature », mais un élément essentiel de la reconquête. Cette publicité a énervé le camp d’Alain Juppé. « Bon- soir@lesRepublicains pourriezvous adresser le même mail pour les livres de@FrancoisFillon et@AlainJuppe ? Merci », a ironisé Gilles Boyer, le directeur de campagne du maire de Bordeaux sur Twitter. « Il y a une tradition. On a toujours annoncé les actions du président. Cela ne veut pas dire que pour les autres nous ne faisons rien », se défend le sénateur sarkozyste Roger Karoutchi. Avant d’ajouter : « Quand Alain Juppé ou Jean-François Copé ont été président du parti, ils ne se sont jamais posé la question… » « Un problème de gouvernance » A demi-mot ou publiquement, les autres candidats commencent à s’irriter de la double casquette de M. Sarkozy. « Cette situation ne serait acceptée dans aucune démocratie moderne », peste un candidat, sous couvert d’anonymat. Une précaution que ne prend pas Hervé Mariton, candidat déclaré, très remonté contre M. Sarkozy depuis le début de l’année. « Ça n’est pas heureux pour la clarté du débat que le président du parti soit candidat à la primaire. Cela pose un problème de gouvernance, juge le député de la Drôme. L’autre problème est que la campagne officielle dure deux mois et demi alors qu’en réalité elle commence bien plus tôt. » Les sarkozystes rétorquent que les autres prétendants n’avaient qu’à s’emparer du parti au moment de l’élection à la présidence, à l’automne 2014. Et surtout, M. Sarkozy n’enfreint aucune règle. La charte de la primaire l’autorise en effet à cultiver cette ambiguïté. Selon ce document, le président de LR devra démissionner au plus tard le 9 septembre, date officielle du dépôt des candidatures. « Nous sommes dans une période grise, une période ante déclaration de candidature, pendant laquelle les choses ne sont pas clarifiées. En fonction du climat politique ou si un autre candidat nous interpelle là-dessus, nous n’hésiterons pas à nous prononcer sur cette question », prévient Anne Levade, présidente de la Haute Autorité de la primaire. Retrouver M. Sarkozy en « président-candidat » rappelle la campagne pour la présidentielle de 2012, quand il s’était lancé le plus tardivement possible pour profiter jusqu’au bout de sa position de chef de l’Etat. A l’époque, la gauche avait râlé contre certains déplacements, en suspectant un mélange des genres. Cette fois-ci, le président du parti LR fait face à une autre opposition. p alexandre lemarié et matthieu goar En voyage à New York, Christiane Taubira dit « rester loyale au président » L’ex-garde des sceaux a refusé d’évoquer son avenir politique P etit parti, grandes manœuvres. Le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) a beau jouir d’une notoriété toute relative et d’un réseau d’élus étique, ce dernier se trouve au cœur de tractations entre droite et extrême droite, alors qu’il devait élire – en théorie – son nouveau président, samedi 30 janvier. La députée européenne Nadine Morano, en rupture de ban avec Nicolas Sarkozy, lorgne en effet le parti pour pouvoir se présenter à la primaire des Républicains, les 20 et 27 novembre. Une candidature rendue compliquée par la nécessité de recueillir les parrainages d’au moins 20 parlementaires, 2 500 adhérents et 250 élus, répartis sur un minimum de 30 départements. Pas une formalité, donc, pour les candidats situés en dehors du carré de favoris constitué par Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, François Fillon et Bruno Le Maire. « Rien d’engagé concrètement » En adhérant à un parti associé aux Républicains, et en devenant sa représentante pour les primaires, l’ancienne ministre pourrait surmonter cet écueil, au même titre que les candidats de l’UDI ou du Parti chrétien-démocrate. Encore faut-il que le bureau politique de LR valide ensuite la candidature. « Bruno North [président par intérim du CNIP] souhaite qu’on se reparle après les élections internes mais il n’y a rien d’engagé concrètement », explique au Monde Mme Morano. Fondé en 1949, le CNIP a vu passer dans ses rangs des figures comme Antoine Pinay ou René Coty, et a longtemps représenté une passerelle entre droite et extrême droite. Ce rapprochement a de quoi étonner. Le CNIP a en effet engagé des discussions avec le Front national en vue de 2017 par l’intermédiaire de M. North. Ce dernier a rencontré le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, et le directeur de cabinet de Marine Le Pen, Nicolas Lesage, au lendemain des élections régionales. Dans les Alpes-Maritimes, un représentant du CNIP était quant à lui candidat sur les listes de Marion Maréchal-Le Pen. LA DÉPUTÉE EUROUne alliance de circonsPÉENNE LORGNE tance qui avait conduit, en novembre, le président du LE PARTI AFIN CNIP, Gilles Bourdouleix, député du Maine-et-Loire et DE POUVOIR maire de Cholet, à remettre SE PRÉSENTER À LA sa démission. Ce dernier s’oppose à un front comPRIMAIRE À DROITE mun entre le CNIP et le FN. Lors d’un comité directeur qui devait se tenir samedi 30 janvier, les dirigeants du parti devaient se mettre d’accord sur le nom d’un nouveau président : Bruno North était candidat. Gilles Bourdouleix a bien tenté de se présenter à nouveau, mais sa candidature a été considérée par M. North comme délivrée hors délai. En retour, le maire de Cholet estime pour sa part que la réunion du comité directeur « n’a pas de valeur légale » car elle a été convoquée hors délai, elle aussi. Mme Morano, quant à elle, ne devait pas y participer. Petit parti, grand imbroglio… p matthieu goar et olivier faye new york - correspondant L e préfixe former (« ex ») devant « ministre de la justice » a été ajouté à la hâte sur les programmes. Mais, malgré sa démission spectaculaire deux jours auparavant, Christiane Taubira était bien présente à New York, vendredi 29 janvier, pour donner une conférence à l’université de New York sur le thème « liberté et égalité pour tous ». Devant un amphithéâtre à majorité francophone, les organisateurs ont précisé que les frais du voyage de Mme Taubira avaient été pris en charge par l’université et non pas par le contribuable français. Puis, l’ex-ministre, qui s’exprimait en français, a cité Condorcet en rappelant que le rôle de l’éducation est de rendre « les citoyens indociles et difficiles à gouverner ». Balayant ses thèmes de prédilection, comme la laïcité ou le rôle de la puissance publique dans la lutte contre les inégalités qui permet « d’échapper au déterminisme des origines sociales », elle a appelé les étudiants « à se sentir responsables de la marche du monde » et à s’interroger sur leur capacité à le transformer pour combattre les égoïsmes et le rejet de l’autre. Son aisance oratoire et sa culture ont fait mouche devant un auditoire qui lui a réservé cinq bonnes minutes d’ovation debout, entrecoupée de « On t’aime ! » ou « 2017 ! ». Malgré cette sollicitude, l’avenir politique de Mme Taubira était visiblement la question qui fâche. « Je ne réponds pas à cette question parce qu’elle est nulle et non avenue », a-t-elle lâché, un brin agacée devant quelques journalistes à la sortie de la conférence. « Kangourou de la pensée » « Pour moi, il y a des sujets urgents, sérieux, qui appellent à ce que l’on mette toute son énergie pour les résoudre. Moi je suis incapable de raisonner par bonds. Je ne suis pas un kangourou de la pensée. Le raisonnement qui consiste à passer de la présidentielle de 2012 à la présidentielle de 2017, lorsque la société et le monde sont dans cet état-là, je ne sais pas m’y résoudre et je ne ferai pas l’effort de m’y résoudre. » L’ex-ministre de la justice a dit ne pas vouloir se « livrer au jeu des petites phrases », « je ne l’ai pas fait quand j’étais ministre, je ne le ferai pas après » ; et d’ajouter : « Quand on connaît les difficultés de gens, quand on sait à quel point ils sont démoralisés parce qu’ils craignent le déclassement social, parce qu’ils ne voient pas l’avenir de leurs enfants, il y a d’autres choses plus importantes que ma destinée, que le rendez-vous de 2017. » Puis, quand une journaliste lui a demandé si elle comptait rester loyale à l’égard de François Hollande, Mme Taubira est franchement sortie de ses gonds : « Que cela vous plaise ou non, je resterai loyale à l’égard du président de la République pour deux raisons : la première, c’est que lorsqu’un pays est en difficulté comme la France l’est, nous avons besoin d’institutions fortes ; ensuite parce que le président de la République mérite de l’estime, et c’est quelqu’un pour qui j’ai de l’estime. » A une étudiante qui demandait s’il est nécessaire de s’intéresser à la littérature quand on fait de la politique, Mme Taubira a répondu que c’est même essentiel. « Je lisais beaucoup la nuit, le grand changement dans ma vie, c’est que maintenant je vais recommencer à lire la journée. » C’est tout ce que l’on saura du futur emploi du temps de l’ex-garde des sceaux. p stéphane lauer 8 | france 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Les musulmans redoutent « le piège de la division » L’union affichée au lendemain des attentats est fragilisée par l’état d’urgence et la déchéance de nationalité D LE CONTEXTE es manifestations contre le maintien de l’état d’urgence et contre la déchéance de la nationalité française pour les binationaux condamnés pour terrorisme étaient organisées à Paris, place de la République, et dans diverses villes de province, samedi 30 janvier. Elles interviennent dans une atmosphère crispée, qu’a illustrée l’attaque de Manuel Valls contre Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité, accusé par le premier ministre, le 18 janvier, d’avoir accolé son nom à ceux de musulmans jugés infréquentables au bas d’une tribune parue dans Libération après les attentats du 13 novembre 2015. Que reste-t-il aujourd’hui du réflexe de communion nationale qui avait suivi les tueries de Paris et Saint-Denis ? Nous avons posé la question aux personnalités et aux représentants d’organisations musulmanes, qui, frappés de stupeur par les attaques indiscriminées de novembre, avaient signé la tribune « Nous sommes unis », mise en accusation par M. Valls. A l’initiative de Samuel Grzybowski, alors président de l’association Coexister, elle exprimait la condamnation de « la barbarie » et appelait à ne pas tomber « dans le piège d’une division programmée et orchestrée » du pays. Sentiment d’urgence Leurs noms côtoyaient ceux d’une telle variété de responsables religieux, associatifs, humanitaires, syndicaux et politiques que ce texte était apparu comme un fait politique. Fragile, à l’évidence, de façade peut-être en partie, mais qui pouvait être un point d’appui pour ravauder une opinion mise à l’épreuve au cours des mois précédents. Après s’être parfois opposés, après les attentats de janvier 2015, pour savoir si « être Charlie » était un devoir républicain, des acteurs souvent éloignés, certains en désaccord sur de nombreuses questions, avaient jugé urgent de mettre ce jour-là de côté ce qui divise. Si l’attaque de Manuel Valls contre Jean-Louis Bianco a surpris et même indigné certains d’entre eux, c’est d’abord parce que, en dépit de leur diversité, ils se souvien- MANIFESTATION Le collectif « Nous ne céderons pas », qui regroupe 123 associations et 19 syndicats français, appelait à manifester, samedi 30 janvier, contre l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence et de la déchéance de la nationalité. Parmi les membres du collectif figurent la Ligue des droits de l’homme, le Collectif contre l’islamophobie en France, le Collectif national pour les droits des femmes, la Confédération paysanne, Emmaüs France, la Ligue de l’enseignement ou encore le Syndicat de la magistrature. Mercredi 27 janvier, le Conseil d’Etat a refusé de suspendre l’état d’urgence « compte tenu du maintien de la menace terroriste ». Le collectif juge pourtant que les perquisitions et les assignations à résidence ont « donné lieu à de nombreux dérapages, à un accroissement des discriminations à l’égard de populations déjà stigmatisées en raison de leur origine et/ou religion supposée ou réelle ». nent n’avoir pas hésité un instant à signer le 14 novembre. Aucune des ambiguïtés et des tergiversations de janvier n’était plus alors de mise. « Il y avait la volonté d’un discours positif face à l’horreur. On avait le sentiment que cela aurait pu arriver à tout le monde », dit Anas Saghrouni, président des Etudiants musulmans de France (EMF), organisation proche de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). « En temps normal, j’aurais pinaillé sur les signataires. Mais il y avait urgence. Je me suis dit que l’essentiel, c’était l’union. Après Charlie, il y avait eu tous ces débats regrettables. Là, j’ai senti que tout cela était parti en fumée », se rappelle Nacer Kettane, président de Beur FM, à l’écart de toute référence religieuse. « Quand il y a un élan d’union comme celui-là dans un mouvement d’épouvante, il faut dire oui », affirme l’islamologue Ghaleb Ben- cheikh. « Il fallait incarner le fait qu’on puisse se retrouver sur un socle commun », explique Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France. « Les mots étaient très forts. Ça fait tomber les murs », veut croire Rachid Lahlou, président du Secours islamique. Pour le rappeur Médine, « l’objectif de ces attentats, c’était de mettre à sac la cohésion française. L’appel visait à montrer que cette cohésion existe toujours, qu’elle est transcourants, qu’elle allie des rabbins, des catholiques, des rappeurs, des sociologues, des travailleurs sociaux, des hauts fonctionnaires… » Au souvenir de ce sentiment d’urgence, la polémique déclenchée contre Jean-Louis Bianco par Manuel Valls est accueillie avec étonnement ou agacement. Voir avec le soupçon, pour M. Sahrouni (EMF), que « l’idéologie prend le pas sur l’intérêt général ». Le premier ministre n’a pas pré- cisé quels étaient les signataires à ses yeux infréquentables, mais il fait peu de doute que le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) est l’un d’eux. Même si son président, Samy Debah, fait mine de ne pas y croire : « Je ne me suis pas senti visé par Manuel Valls. Je ne pense pas que le premier ministre s’aventurerait à nous considérer comme une organisation non démocrate. Sinon, nous lui aurions fait un procès en diffamation. » « Islam politique diabolisé » Quant à d’éventuels proches des Frères musulmans, ironise M. Lahlou, « certains hommes politiques sont passés par des réseaux trotskistes ou ont pris les armes en Amérique latine, et ça ne les a pas empêchés de devenir conseiller à l’Elysée ou premier ministre ». Plusieurs signataires reprochent au chef du gouvernement de fracturer cette réaction collec- tive. « La menace de la division, c’est le terrorisme, mais c’est également le discours politique qui laisse penser que tous les Français ne seraient pas les mêmes », assène M. Debah. Nabil Ennasri, lui, y voit la volonté « d’exclure de la normalité » les « musulmans qui ont un minimum de référent religieux dans le débat politique ». « Cet islam politique est diabolisé, le seul islam accepté est un islam soumis », accuse-t-il. « C’est une polémique stérile pas digne de l’enjeu », tranche M. Bencheikh. Abdelhak Sahli, président des Scouts musulmans de France, témoigne de la fragilité d’une partie des jeunes : « Avec ces polémiques, on travaille sur l’émotionnel. Il y a une telle pression sociale sur la jeunesse musulmane aujourd’hui, que cela contribue parfois à une sorte de révolte intérieure. Il faut faire attention. Il faut qu’elle puisse se sentir aimée. » Polémique sur les portiques de sécurité dans les lycées Laurent Wauquiez, président d’Auvergne-Rhône-Alpes, veut équiper d’ici à la fin 2016 les établissements de la région L es attentats du 13 novembre ont entraîné un accroissement des contrôles de sécurité dans les établissements scolaires : vérification d’identité, fouille des sacs, rassemblements interdits aux abords des écoles, collèges et lycées… En AuvergneRhône-Alpes, le président de la deuxième région de France, Laurent Wauquiez, a décidé de renforcer ces mesures, en installant des portiques de sécurité à l’entrée des lycées volontaires. Huit jours après les attentats du 13 novembre 2015, le numéro deux des Républicains, engagé dans le scrutin régional, en avait fait une promesse de campagne. Le 21 janvier, il en a précisé les objectifs : la « lutte contre le trafic de drogue », « les intrusions d’armes à feu » ou d’éléments extérieurs, la « protection dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ». Reste qu’au sein de la communauté éducative l’expérimentation suscite à peu près autant de réserves que les tests salivaires promis, en Ile-de-France, par Valérie Pécresse (LR). D’autant que l’idée n’est pas tout à fait nouvelle : l’ancien mi- nistre de l’éducation Xavier Darcos ou le maire de Nice, Christian Estrosi, avaient déjà brandi le projet… vite abandonné. Le président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes compte, lui, prendre les sceptiques de vitesse, avec 15 lycées équipés « d’ici deux mois », et tous ceux qui le souhaiteront (parmi les quelque 320 relevant de sa compétence) « d’ici à la fin 2016 ». Coût de l’équipement : de 100 000 à 200 000 euros par établissement (20 millions d’euros prévus au total). Les mêmes critiques « Dans les trois académies concernées, Lyon, Grenoble et ClermontFerrand, aucun proviseur de notre réseau n’a été approché », assure Gérard Heinz, le secrétaire départemental à Lyon du SNPDENUNSA, syndicat majoritaire parmi les principaux et proviseurs, « à l’exception du lycée de Moirans [Isère] où Laurent Wauquiez a effectué un déplacement ». La commune avait fait parler d’elle, en octobre, après une émeute impliquant des gens du voyage. Coût de L’ancien ministre de l’éducation Xavier Darcos ou le maire de Nice, Christian Estrosi, avaient déjà brandi le projet… vite abandonné ces portiques, difficultés pratiques, limites juridiques… le microcosme enseignant résonne des mêmes critiques. « Prenez un lycée d’un millier d’élèves, comptez de 3 à 5 secondes pour que chacun passe sous le portique – à condition qu’il ne traîne pas des pieds… Il faudra plus de 70 minutes pour faire rentrer tout le monde ! », ironise M. Heinz. « Demandons-nous aussi à quelle heure il faudra reporter le début des cours ! », renchérit Frédérique Rolet, du syndicat d’enseignants SNES-FSU, majoritaire dans les collèges et lycées, en dénonçant une « mesure inepte ». « Inepte » : c’est aussi l’adjectif utilisé par le chercheur Eric Debarbieux, anciennement « Monsieur harcèlement scolaire » auprès du ministère de l’éducation nationale, qui n’a pas caché sa réserve, le 27 janvier, devant l’Association des journalistes éducation (Ajéduc) qui l’auditionnait. « Les portiques non seulement concentrent les personnes mais de plus les fixent ; tout point de concentration est potentiellement une cible », a expliqué ce professeur en sciences de l’éducation. Au-delà des discussions techniques, c’est un débat quasi philosophique qui affleure sur la réaction, la place, le rôle de l’éducation nationale à l’ère de l’état d’urgence. « Dans notre pays qui a une tradition de sacralisation de l’espace scolaire, je ne crois pas que l’opinion publique ait réellement le sentiment d’un problème de sécurisation des établissements, souligne M. Heinz. Cela dit, les chefs d’établissement ont toujours en attente des demandes plus concrètes et plus sensées en matière de sécurité : plus de personnels dédiés, des grilles magnétisées, des loges repo- sitionnées… » Un débat droitegauche ? Christian Chevalier, du syndicat d’enseignants SE-UNSA, dit réformiste, le suggère. « La droite réactive le curseur “sécurité” plutôt que le curseur “protection” pour flatter l’opinion publique. Ce faisant, elle renoue avec une conception de la jeunesse perçue comme dangereuse et potentiellement délinquante », regrette ce syndicaliste. A droite, on nie tout retour en arrière mais on assume la logique. « Bien sûr qu’il faut anticiper, prévenir, surveiller… mais aussi détecter, sanctionner et punir », affirme Annie Genevard, déléguée à l’éducation pour Les Républicains, par ailleurs maire de Morteau (Doubs). « Il y a encore dix ans, les portiques ou la vidéosurveillance pouvaient faire grincer des dents en salle des profs. C’est aujourd’hui dépassé côté enseignants mais aussi côté parents et élèves », soutient l’élue. Une affirmation qui laisse plus d’un enseignant songeur… A Morteau, en 2015, le lycée a été équipé en caméras de vidéoprotection. p mattea battaglia Tous n’ont pas la même vision de l’application de l’état d’urgence. Parmi eux, seul le CCIF appelait aux manifestations de samedi. Beaucoup, en revanche, ne le contestent pas. « Il faut que la justice fasse son travail », assure ainsi M. Sahli. Pourtant, le projet de déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme ne passe chez personne. « Que dois-je dire à mes enfants et à mes petits-enfants ?, s’insurge M. Kettane. Se rassembler le 13 novembre et aboutir à la déchéance, ça fait mal… » « Comme citoyen, je trouve le débat oiseux, les arguments spécieux, regrette M. Bencheikh. Introduire dans la Constitution quelque chose qui discrimine les citoyens, cela altère quelque chose. » Sur cette réforme, la fracture est nette. p cécile chambraud et julia pascual J UST I C E Grâce de Jacqueline Sauvage : Hollande se donne « le temps de la réflexion » François Hollande a reçu pendant une heure, vendredi 29 janvier, les filles et avocates de Jacqueline Sauvage, qui demandent la grâce de cette femme de 68 ans condamnée à dix ans de réclusion pour le meurtre de son mari violent. Selon son entourage, le président de la République n’a pas tranché et se donne « le temps de la réflexion » avant de prendre sa décision. – (AFP.) POLI C E Un nouveau fichier européen diffusé sur Internet Les polices des 28 pays de l’Union européenne ont lancé vendredi 29 janvier un site Internet qui affiche les visages, les identités et les parcours de criminels recherchés. Placé sous l’égide d’Europol (un office des polices européennes basé à La Haye), ce fichier accessible au public comprend 42 personnes en fuite, dont trois Français. Parmi eux, figure l’un des organisateurs des attentats du 13 novembre, Salah Abdeslam, recherché depuis. enquête | 9 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 luc leroux marseille - correspondant E l hamdou lillah ! Marseille a jusqu’à présent été épargnée par l’islamisme violent. » Pour Haroun Derbal, l’imam d’Islâh, la mosquée du marché aux puces, c’est « grâce à Dieu » que la deuxième ville de France, la plus musulmane d’Europe, échapperait au phénomène du djihadisme ; pour d’autres, c’est en raison de sa sociologie. Une exception d’autant plus étonnante pour une ville portuaire, point névralgique et historique de tous les trafics, haut lieu du narcobanditisme, où cinq arrondissements sont classés parmi les plus pauvres de France. C’est pourtant dans ces facteurs que Raphaël Liogier, sociologue et philosophe à l’IEP d’Aix-en-Provence, recense les antidotes marseillais au djihadisme. « Marseille est aussi la ville où le tissu associatif de solidarité est le plus intense, analyse-t-il. Les Marseillais pauvres ne se sentent pas exclus, à la différence de villes comme Lyon, Bordeaux, Paris avec leur centre-ville bourgeois et leurs banlieues livrées à elles-mêmes. A Marseille, les minorités sont dans le tissu urbain. » Pour le sociologue, la « vieille tradition de régulation sociale par le banditisme » joue son rôle. Les profils susceptibles de commettre des attentats sur le sol français sont, selon lui, des individus attirés par le statut de « “petit caïd” : or, à Marseille, il y a des débouchés offerts – avant l’islam – comme moyen de trouver cette reconnaissance, cette aura ». Le narcobanditisme et l’économie souterraine de la drogue qui ont envahi de nombreuses cités siphonneraient-ils des « vocations » d’islamistes radicaux, comme ils auraient empêché, en 2005, l’explosion des quartiers Nord de Marseille alors que les banlieues parisiennes flambaient ? Un avocat pénaliste marseillais l’assure : « Les jeunes ont moins envie de faire une révolution islamiste lorsque, en bas de chez eux, ils peuvent gagner 100 euros par jour en faisant le guetteur. Ou même beaucoup plus d’argent en dirigeant un réseau, pour s’acheter un petit snack ou une maison au pays. » Cette analyse est radicalement combattue par les autorités, police et justice confondues. Au lendemain de l’agression, le 11 janvier, d’un enseignant marseillais juif frappé avec une machette par un lycéen revendiquant agir « au nom de Daech », le préfet de police a souligné qu’il ne fallait pas minorer le phénomène. « Même si tous ne sont pas prêts à passer le cap, certains ont des profils inquiétants. La menace est la même qu’ailleurs. » Au palais de justice, on se refuse également à donner le moindre crédit au postulat selon lequel le banditisme éviterait le terrorisme. Au contraire même, la prégnance de réseaux criminels dans la ville, en particulier dans les cités, pourrait rendre l’accès aux armes de guerre plus aisé qu’ailleurs. Les kalachnikovs qui servent à la trentaine de règlements de comptes commis chaque année à Marseille entre trafiquants pourraient facilement tomber entre d’autres mains, considère un magistrat. Aucune investigation ne démontre un soutien ou un financement d’un réseau de stupéfiants à l’islamisme radical, ni de djihadiste avéré avec une velléité de départ vers la Syrie ou l’Irak qui serait en même temps dans le narcobanditisme. Les deux mondes sont décrits comme totalement étanches, bien que les services surveillent étroitement la radicalisation en prison du patron d’un des plus importants réseaux de stupéfiants dans les cités. « Mais ça n’en fait pas un futur djihadiste, indique un enquêteur. Je le vois mal partir avec les autocars d’Eurolines vers la Syrie quand il sortira de prison. Il a plus d’intérêts, même en termes de reconnaissance sociale, à reprendre son business. » PEU DE SIGNALEMENTS Mais ce fin connaisseur du banditisme marseillais s’inquiète davantage du « prolétariat » du narcotrafic, les guetteurs, les petits vendeurs. Rien ne dit que ceux-là, estimant qu’ils ne gravissent pas assez vite les échelons, ne basculent pas dans le terrorisme. Du côté de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui suit des milliers de mineurs délinquants, les éducateurs sont particulièrement attentifs aux signes de radicalisation. Très peu de signalements sont pourtant remontés, au point que la direction a soupçonné ses personnels de renâcler à dénoncer des adolescents en dérive. Ce n’est pas le cas. Les dix-huit fonctionnaires qui travaillent au renseignement pénitentiaire recensent, eux, une cinquantaine de détenus radicalisés à surveiller en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le matelas par terre en cellule, la présence de livres salafistes, la venue au parloir d’une épouse portant subitement la burqa… Le repérage donne lieu à une surveillance de ces prisonniers et à leur isolement lorsque des actions de prosélytisme sont mises au jour. Avec 400 individus radicalisés et fichés « S » JESSY DESHAYS Marseille sourde aux sirènes Des villes face au djihad 3|3 La cité phocéenne serait parée d’antidotes au départ de jeunes vers la Syrie. Une thèse balayée par la police et la justice dans les Bouches-du-Rhône, et une dizaine d’assignés à résidence depuis l’instauration de l’état d’urgence, le département se place néanmoins dans une moyenne nationale. Mais, en proportion, il y aurait moins de départs vers la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan depuis Marseille que depuis Nîmes, Montpellier, Lunel, Cannes et Nice où se recensent des foyers idéologiques. La ville serait-elle pour autant immunisée ? C’est aller vite en besogne. En 2014, Marseille a servi de base à Mehdi Nemmouche, l’auteur présumé de l’attentat du Musée juif de Bruxelles, qui a fait quatre morts le 24 mai 2014. Ce Roubaisien, radicalisé lors d’une incarcération au centre pénitentiaire de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) puis vraisemblablement parti rejoindre un groupe combattant en Syrie en 2013, a, six jours après l’attentat de Bruxelles, été interpellé à sa descente d’un bus à la gare routière de Marseille. La justice belge a mis en examen deux Marseillais, anciens compagnons de cellule de Nemmouche considérés comme « les seuls contacts ayant été en mesure de [lui] assurer le financement nécessaire à son séjour à Bruxelles et à l’acquisition du matériel indispensable à l’exécution des actes qui lui sont reprochés, particulièrement les armes ». Selon les policiers français, l’arme de calibre 38 ayant été utilisée par Nemmouche provenait d’Avignon. Ces complicités marseillaises prouvent au moins que la ville n’est pas totalement à l’abri de l’islamisme radical. Des départs de Marseillais vers la Syrie ont aussi eu lieu. Comme celui de Mohamed, un fils de notables marseillais exerçant des pro- fessions libérales, ayant pignon sur rue. Avant son départ vers la frontière turco-syrienne, l’étudiant fréquentait deux mosquées de la ville et avait pris contact avec un passeur régulier de futurs combattants de Daech. Marseillais encore l’un des auteurs de l’attentat déjoué contre des militaires du sémaphore du cap Béar (Pyrénées-Orientales)… Régulièrement, les juges des enfants marseillais sont saisis pour signer des interdictions de sortir du territoire frappant des mineur(e)s qui ont manifesté le désir de rallier Daech. Le parquet de Marseille a ainsi « bloqué » in extremis une mère de famille qui entendait partir faire le djihad avec ses très jeunes enfants. En janvier, un habitant de Marignane a été condamné à six ans de prison pour un « délire djihadiste » qui l’avait conduit à s’armer et à préparer des explosifs. Cet admirateur de Mohamed Merah n’avait jamais mis les pieds dans une mosquée ni ne connaissait les rudiments de l’islam. Haroun Derbal, l’imam de la mosquée du marché aux puces, évoque, lui, ces matches de foot où l’arbitre et les joueurs s’arrêtent pour faire la prière, le club de boxe d’une cité où l’on prie avant chaque entraînement et où les filles boxent en voile. Mais, déplore l’imam, c’est au sein de la famille que la radicalité gagnerait du terrain. A l’image de ce père de famille, fiché « S », qui doit être jugé en février par le tribunal correctionnel. « Si je réveille mes enfants à 5 heures du matin pour la première prière, c’est pour leur bien », a-t-il expliqué aux policiers. L’allégation de violences sur l’aîné de ses enfants – placés depuis juillet – a entraîné ces poursuites judiciaires. Ce père de famille revendique une « pratique L’UN DES PRINCIPAUX CONTREPOISONS AU DJIHADISME TIENDRAIT AUSSI À LA PRÉSENCE DE NOMBREUX MUSULMANS D’ORIGINE ALGÉRIENNE religieuse rigoriste, mais ce n’est pas pour cela que j’irai poser des bombes ». Sur les quatre-vingts salles de prières marseillaises, une demi-douzaine seraient dans le viseur de la préfecture de police. Des perquisitions ont eu lieu, comme à la mosquée d’Air Bel où la présence d’individus très radicalisés vaut à cette importante cité des quartiers Est de Marseille le surnom de « Petite Kaboul ». Deux autres mosquées, celles de la cité Consolat dans le 15e arrondissement et de La Bastide Saint-Jean dans le 12e, ont aussi été perquisitionnées. Des opérations jugées par la police « très intéressantes en termes de renseignement et de connaissance des relations entre les personnes ». A Consolat, un pistolet automatique et une somme de 130 000 euros ont été saisis au domicile de l’associé d’un des responsables de ce lieu de prières. Les enquêteurs penchent pour une « origine stupéfiants ». « ISLAM DE CHIBANIS » Mais les Marseillais musulmans – beaucoup préfèrent placer en tête leur identité marseillaise – seraient protégés de la radicalité par l’exercice d’un islam apaisé, « un islam de chibanis [vieux] », selon l’expression de l’imam Abdelaâli Kallab. Pour ce jeune imam, la plus grande ville musulmane d’Europe – on évoque le chiffre de 250 000 musulmans – aurait pu « facilement être un foyer du djihadisme, un centre idéologique », mais elle ne l’est pas devenue. Il se garde cependant de parler d’une « poche de résistance » marseillaise, craignant toujours une dérive « qui peut s’opérer par Internet ». L’un des principaux contrepoisons au djihadisme tiendrait aussi à la présence de nombreux musulmans d’origine algérienne et aux liens encore très forts entre Marseille et l’autre rive. « Avec 250 000 morts durant les années noires, les Algériens sont vaccinés dix fois contre le djihadisme », explique Abdessalem Souiki, imam itinérant et fondateur de l’association La Plume des savoirs qui organise un soutien scolaire auprès d’une centaine d’élèves. Comme d’autres, il prêche pour la création d’un collège d’imams et de théologiens, « à l’instar d’une chambre des métiers ou une chambre des artisans. Nous aurions les moyens de faire le tri, de valider ou non l’ouverture d’une salle de prière, mais il faudrait un geste fort des autorités locales, comme de mettre à la disposition des musulmans des lieux de prière salubres et dignes de ce nom ». Cette reconnaissance de la présence de musulmans à Marseille aurait dû se faire depuis des années, notamment avec la construction d’une grande mosquée. Une première pierre a été posée en mai 2010, mais elle ressemble bien à la dernière. p FIN 10 | géopolitique 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Etats-Unis La grande colère du peuple conservateur Derrière l’engouement pour l’extrémisme républicain d’un Donald Trump se profilent l’angoisse et la nostalgie d’une classe moyenne blanche en passe de devenir minoritaire REPORTAGE nicolas bourcier lakeland, winter haven (floride) envoyé spécial P olk County est un archipel de la taille d’un confetti. Un coin perdu de cette grande Amérique, peuplé d’un peu plus d’un demi-million d’habitants éparpillés façon puzzle dans une dizaine de petites et moyennes villes, plantées au cœur de la Floride, entre la grouillante Orlando et l’active Tampa, côté mer. Ici, 65 % des ré sidents se disent blancs, 18 % latinos et 14 % noirs. Le taux de chômage y est un peu plus élevé qu’ailleurs. Les salaires, lé gèrement plus bas. Et les votes plutôt ac quis au Parti républicain, comme dans la plupart de ces territoires éloignés des grands centresvilles depuis la vague conservatrice qui a accompagné l’élec tion de Ronald Reagan en 1980. Avec ses églises et ses foires aux armes, ses trailers parks (campings améliorés) et ses préfabriqués, ses vastes étendues de lacs et de champs d’orangers reliés entre eux par la longue coulée d’asphalte de l’autoroute Interstate 4 qui mène tout droit au parc d’attractions Disney World, Polk County évoque irrésistiblement l’Amérique profonde. Celle des cols bleus et de la petite bourgeoisie provinciale. Toute cette classe moyenne blanche qui, dans son écrasante majorité, a permis à George W. Bush de l’emporter de justesse en 2000, et préféré John McCain et Mitt Romney à Barack Obama les années suivantes. Polk County, c’est l’Amérique des gated communities, cités closes et protégées, pour lesquelles le rêve américain ne devrait jamais s’éteindre. Une Amérique du bas contre celle du haut, de Washington, de ces élites qui ne remplissent plus leur rôle, de Wall Street et d’Hollywood, toujours trop libérales, trop interven tionnistes et cosmopolites. C’est une Amérique qui doute et s’inquiète, comme l’indique un nombre croissant d’enquêtes d’opinion. Celle où les perdants, les losers, de plus en plus nombreux, frappés par les bouleversements économiques, côtoient ceux qui gagnent toujours plus. Celle qui ne fréquente plus ce parc Disney World, pourtant construit pour elle, en raison du prix élevé du tic ket d’entrée, passé de 3,50 dollars en 1971 à 105 dollars aujourd’hui. C’est l’Amérique qui se surprend à plébisciter les candidats républicains « antiestablishment », les Donald Trump et Ted Cruz. Celle où « il n’est question que d’armes, de guerre et d’Etat islamique, de flingues, d’impôts et de chômage », écrit l’éditorialiste Charles M. Blow dans le New York Times. Cette Amérique qui déroute tant les observateurs et commentateurs, d’ici ou d’ailleurs. « TROP D’ÉTAT » Pixie Rubin vit dans une de ces communautés fermées, près de Lakeland, la plus grande ville du comté. La zone est pavillonnaire, plutôt aisée, presque buco lique, les lotissements proprets. A 48 ans, cette ancienne journaliste locale, devenue éditrice parce qu’elle n’aimait pas poser de questions – « Je suis timide », susurret « L’ÉCONOMIE NE VA PAS TROP MAL, MAIS SI ON REGARDE AU NIVEAU DES SALAIRES, ON S’APERÇOIT QU’ILS NE SUIVENT PAS » DAVID MADLAND chercheur elle –, étale sur la table du salon ses diplô mes de l’école de tir comme d’autres affi chent un tableau de chasse amoureux. Pixie a acheté son premier pistolet Glock en mars 2015. Un deuxième le mois suivant. « Pourquoi ? Parce que le pays va mal, explique-t-elle. Parce que Obama est un faible, parce que personne ne sait qui va gagner en novembre, et parce que j’ai peur. » Elle ajoute : « Le shérif nous a bien expliqué que, si nous pensions qu’une attaque terroriste ne pouvait pas se produire ici, nous avions tout faux. » Pixie a été démocrate il y a bien longtemps. Comme ses parents, qui se disaient progressistes avant de voter républicain, « quand mon père a commencé à bien gagner sa vie ». Elle dit avoir été bouleversée par les attentats du 11-Septembre. Ces attaques « ont tout changé, tout détruit ». Comme beaucoup d’autres ici, elle alterne ses sources d’information entre la chaîne de télévision Fox News et les animateurs de radio ultraconservateurs, qui ont fait profession de mettre de l’huile sur le feu. Pixie lit Ayn Rand, la prêtresse de l’ultralibéralisme et de l’individualisme exalté, et s’est rapprochée des réseaux conservateurs : « Je ne me considère pas comme une républicaine, je suis une conservatrice constitutionnelle, proche des libertariens. » Elle soutient le candidat texan Ted Cruz, « parce qu’il est ferme dans ses principes contre l’interventionnisme de l’Etat », et respecte Donald Trump, car « il symbolise la liberté de parole, cette freedom [liberté] qui a fait l’Amérique ». Et puis ceci, toujours sur un même ton : « Toutes ces années, j’ai vu les suppressions d’emplois, les heures de travail réduites, les salaires baisser. J’ai vu la classe moyenne diminuer et souffrir. » Des mots qui font écho aux enquêtes de terrain qui soulignent que la croissance économique de ces dernières années a été inégale et peu généreuse envers les familles américaines ne disposant pas des revenus les plus élevés. En Floride, où ce décrochage a été un peu plus marqué qu’ailleurs, le Center for American Progress, un think tank démocrate, note que les revenus de la classe moyenne locale sont aujourd’hui plus bas que ceux perçus à la fin des années 1980. Pire, cette même classe moyenne, qui a représenté pendant des décennies la majorité démographique aux Etats-Unis, servant à la fois de pilier sur le plan économi que et politique, n’est statistiquement plus majoritaire depuis 2015, selon une étude publiée en décembre par le Pew Re search Center. Ce segment de la popula tion a même perdu davantage en termes de revenus. En données statistiques, les Américains de la middle class sont passés de 61 %, en 1970, à un peu moins de 50 % de la population aujourd’hui. Leur part dans les revenus globaux des ménages est passée de 62 % à 43 % quand celle des classes supérieures passait, dans le même temps, de 29 % à 49 %. « OBAMA-BASHING » « L’économie ne fonctionne pas, sauf pour les plus riches », avance David Madland, auteur d’un essai intitulé Hollowed Out, Why the Economy Doesn’t Work Without a Strong Middle Class (« En voie d’extinction, pourquoi l’économie ne fonctionne pas sans une classe moyenne forte », non tra duit, 2015). Ce blocage a pour effet de pro voquer de la frustration et un sentiment de trahison et, donc, selon l’auteur, « un accès de colère général, perceptible autant du côté républicain que démocrate ». « Certes, précisetil, l’économie nationale ne va pas trop mal, le PIB est bon, le chômage a même baissé, mais si on regarde au niveau des salaires, on s’aperçoit qu’ils ne suivent pas. On a beau travailler durement, on a pourtant du mal à s’en sortir, contrairement à il y a trente ou quarante ans. L’endettement de la classe moyenne a été multiplié par deux depuis 1989. Les coûts de santé, d’éducation, du logement ont, quant à eux, augmenté à une vitesse vertigineuse. » De quoi alimenter frustration et an xiété. Et provoquer un regain d’« Obama bashing » dans les cercles les plus conservateurs. « La classe moyenne américaine décline et ne constitue plus la majorité sous la présidence de Barack Obama », a ainsi écrit récemment le site Breitbart, omettant de préciser que la tendance avait commencé avant son arrivée à la Maison Blanche. « Qu’a fait Barack Obama pour les Blancs ? Qu’a-t-il fait pour la classe moyenne ? Il est le pire président qu’on ait géopolitique | 11 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 De gauche à droite : une des « gated communities », copropriétés fermées très nombreuses aux Etats-Unis, ici à Lakeland, en Floride ; Pixie Rubin, une éditrice de 48 ans, avec son arme devant l’église baptiste de Winter Haven, et le centre pour vétérans de Lake Wales, toujours en Floride. DARCY PADILLA eu », tranche Joel Miller, mécanicien militaire retraité, venu jusqu’à Pensacola, au nord de la Floride, pour soutenir Donald Trump dans un meeting à l’ambiance chauffée à blanc. A 70 ans, il dit s’être inscrit au Parti républicain il y a moins d’un mois, après des années passées aux côtés des démocrates : « J’ai fini par changer après les derniers attentats [à San Bernardino, en Californie, où 14 personnes ont été tuées par balles le 2 décembre 2015]. Obama n’a même pas utilisé le terme “terroristes” ! En période de crise, la politique, c’est agir et parler en homme à poigne ! » Reflet de ce blues de la classe moyenne, Joel Miller en veut aux élus et aux immigrés sans papiers d’avoir « tué le marché du travail en faisant plonger les salaires ». « Prenez Los Angeles, 50 % des travailleurs sont latinos, ils ont fait baisser les revenus de 20 à 10 dollars de l’heure. » Comme tant d’autres, qui s’expriment ici et là, il souhaite une restriction drastique des aides fédérales, alors que lui-même en bénéficie. Un comportement paradoxal en apparence mais profondément logique pour quiconque soutient l’idée que l’Etat « dilapide l’argent et le donne à des personnes qui ne le méritent pas ». Cette posture a été étudiée par Dean Lacy, professeur de sciences politiques à l’université de Dartmouth, dans le New Hampshire. Ses recherches ont fait apparaître que le soutien aux candidats républicains, qui promettent traditionnellement des coupes dans les budgets publics, a augmenté depuis les années 1980 dans les Etats où les gouvernements fédéraux dépensent plus qu’ils ne perçoivent. Sa conclusion : plus la dépendance est élevée, plus le soutien aux candidats républicains est important. Joe l’affirme, à sa manière, sans masquer son amertume : « Oui, je suis pour réduire le rôle de l’Etat dans nos vies. Cette dépendance est la source de tous nos maux. » TRAHISON Ils sont une cinquantaine, sagement assis dans une salle de l’église baptiste de Winter Haven, cité aux dizaines de petites étendues d’eau reliées par autant de canaux, située au cœur de l’entrelacs routier de Polk County. Comme chaque jeudi soir, les convives assistent à leur réunion dite du « 9-12 », du nom du projet lancé en 2009 par la star de Fox News, histrion et leader du Tea Party, Glenn Beck, dans l’idée de retrouver le sentiment nationaliste qui prévalait après les attentats de 2001. L’assemblée est âgée, des retraités pour la plupart, quelques jeunes aussi, Blancs sans exception, tous issus de cette classe moyenne, plutôt basse que haute. On y parle élections, de ces « bons candidats » qui se disputent la primaire républicaine, de la grandeur de l’Amérique, de ces petits riens qui ont fait sa gloire, des bénévoles qui œuvrent dans les communautés, de la Constitution qui permet librement de porter des armes. Tou- Basée à San Francisco, Darcy Padilla s’inscrit dans la tradition de la photographie sociale et documentaire. « Commise d’office auprès des pauvres », comme dit l’écrivain français Emmanuel Carrère, elle s’intéresse aux marginaux, sans-abri ou toxicomanes. Darcy Padilla couvre les élections américaines de 2016 pour « Le Monde ». tes ces petites choses essentielles menacées par l’administration Obama et la candidate démocrate Hillary Clinton. « Vous n’imaginez pas à quel point les gens sont en colère ! » Glynnda White n’a pas l’habitude de mâcher ses mots pour vilipender l’ensemble de la classe dirigeante. Seul Ted Cruz, « pour sa droiture et son rejet du système fiscal », trouve grâce à ses yeux. Originaire du Missouri, engagée dans l’armée à 19 ans pour payer ses études, diplômée d’un MBA en management, aujourd’hui installée à Polk County avec ses trois enfants et travaillant à Orlando, cette jeune quinquagénaire aux longs cheveux blonds et au rire sonore pourrait être un de ces symboles de réussite sociale à l’américaine. « J’ai travaillé dur, mais la colère est montée en moi comme jamais. » Glynnda dit avoir toujours été républicaine : « Reagan a remis le pays à flot en replaçant la morale au centre. Quand il parlait, on se sentait en sécurité. Il faisait sentir à quel point l’Amérique pouvait être grande. » La décision de George W. Bush d’injecter des milliards dans le système bancaire afin de juguler la crise financière en 2008 – « Je lui ai envoyé un fax pour lui demander pourquoi il nous avait trahis de la sorte » – et l’élection de Barack Obama finiront par rapprocher Glynnda d’une droite encore plus conservatrice. Pour elle, les défaites successives des républicains aux dernières présidentielles illustrent précisément que leurs candidats n’étaient pas assez durs. La génération Obama, résolument progressiste san francisco - correspondante A écouter les rodomontades de la campagne électorale, on croirait que l’Amérique a donné un coup de barre à droite, du côté du populisme et de la xénophobie. La réalité n’est pas aussi tranchée. Les années Obama auront été celles d’évolutions significatives de la société américaine. Si elles ne sont pas reflétées dans le processus des primaires, il ne faut pas en conclure qu’elles n’existent pas. Il y a huit ans, aucun des prétendants à la Maison Blanche n’aurait osé se prononcer en faveur du mariage entre personnes de même sexe. Barack Obama lui-même avait des réserves, estimant que le pays n’était pas prêt. Aujourd’hui, les transgenres se sont engouffrés dans la brèche. A l’été 2015, l’annonce qu’ils pourraient servir dans l’armée, sans avoir à se cacher, est pratiquement passée inaperçue. Il y a encore quelques années, l’idée d’augmenter le salaire minimum était audacieuse. Les centristes démocrates y étaient opposés. Seuls les militants d’Occupy Wall Street osaient proposer de le porter à 15 dollars (13 euros) l’heure. C’est ce qu’ont décidé de faire une série de municipalités, comme Los Angeles, qui s’y est engagée à l’horizon 2020. La légalisation de la marijuana était aussi un sujet tabou. Aujourd’hui, il n’effraie plus personne, et rares sont ceux qui disputent aux Etats le droit de décider de la question. Le 8 novembre, en même temps qu’ils voteront pour le président et le renouvellement d’un tiers du Congrès, une demi-douzaine d’Etats vont décider s’ils suivent l’exemple des cinq Etats qui autorisent déjà le cannabis à des fins récréatives. Proposer de vider les prisons aurait été suicidaire. Aujourd’hui, même les républicains veulent réformer la justice pénale et les peines obligatoires établies du temps de Bill Clinton. Les OGM ne préoccupaient que quelques écologistes. Les tentatives d’obliger les géants de l’agroalimentaire à inscrire sur les emballages la composition des produits avaient été étouffées à coups de mil- lions. Aujourd’hui, la mention « sans OGM » figure sur un nombre croissant de produits, à l’initiative de producteurs convaincus que c’est devenu un argument de vente. Agnostique et moins nationaliste Dans le magazine The Atlantic, le chercheur Peter Beinart défend l’idée que l’Amérique a pris un virage progressiste pendant la présidence de Barack Obama, évolution comparable à celle des années 1970. Pour lui, c’est le résultat d’un basculement générationnel. Les millenials, la génération Y, ont commencé à imprimer leur marque à la société. Certains vont voter pour la première fois. Leur poids dans l’électorat pourrait s’élever à 30 %. Les millenials sont résolument progressistes. Selon le Pew Research Center, une majorité d’entre eux considère l’immigration comme une chance. La moitié trouve trop élevés les profits des compagnies. Ils soutiennent (avec une marge de 17 points) une extension de la réforme de l’assurance-santé de 2010, alors que les plus de 65 ans réclament l’abrogation de l’Obamacare avec une marge de 29 points. Le clivage droitegauche est moins appuyé. Sur nombre de sujets, les jeunes républicains sont plus ouverts que les démocrates de plus de 65 ans. Un tiers d’entre eux seulement se rangent dans la faction conservatrice du mouvement contre deux tiers pour leurs aînés. Les millenials ont grandi avec l’Irak et la récession. Pour Peter Beinart, ils forment la génération « la plus mélangée, agnostique et la moins nationaliste » de l’histoire américaine. En 2008, Obama avait réussi à les amener aux urnes en leur faisant miroiter la perspective de changer le système. L’enjeu pour les candidats qui sortiront des primaires sera de réussir à les remobiliser. Pas facile, d’autant que la génération Facebook n’a plus besoin de la politique pour faire évoluer la société. Et que les candidats, même s’ils tweetent à tout-va, ont plutôt l’âge de leurs grand-parents : Clinton a 68 ans, Trump, 69, et Sanders, 74 ans. p corine lesnes Elle reconnaît que, dans les années 1970, les démocrates étaient plus conservateurs sur les questions culturelles, plus proches des syndicats, défendant les travailleurs et leurs salaires. « Mais ils ont changé, ils ont ouvert les vannes de l’immigration, déstabilisé notre marché du travail et attaqué les valeurs traditionnelles du pays, la famille, la patrie. » LA GLOIRE PERDUE DE L’AMÉRIQUE Selon Ellis Moose, 70 ans, originaire de l’Ohio et responsable local du Parti démocrate, ce sont les préoccupations morales telles que l’avortement, le mariage homosexuel ou le droit de porter des armes qui ont détourné les électeurs des véritables questions du quotidien, l’emploi, les salaires, l’éducation ou la santé : « Trump a vite compris à quel point la base républicaine était en colère avec l’establishment et son parti. Il a eu, en outre, l’habileté de mettre en avant son conservatisme sur le terrain des valeurs. Et ça marche. » Selon lui, le milliardaire new-yorkais vise cette classe moyenne en crise, blanche surtout, celle de la génération des baby-boomers de l’après-guerre pour qui les souvenirs de jeunesse ne riment qu’avec bonheur et insouciance, mis en images par la série télévisée « Happy Days ». « Le slogan de Trump “Bring our country back” [Ramenons notre pays sur le devant de la scène] ne répond-il pas très exactement à cette aspiration ? » Il fait beau, le soleil poudroie les feuillages, et un vent léger caresse les petits drapeaux étoilés. Au Center Crest, cité pavillonnaire pour retraités, la vie suit son cours comme si de rien n’était. A peine si les panneaux « A vendre » des maisonnettes, en bois pour la plupart, rappellent par intermittence que la crise n’en a pas totalement fini avec ses effets. Dan Baer et Brad forment un de ces couples de retraités anodins, comme le pays en compte tant, souriants, toujours aimables et roulant dans leur voiturette électrique au gré des humeurs et du temps. De bons Américains, pas radicaux, enregistrés comme « indépendants » et qui votent sans faire de vagues, mais qui pensent aujourd’hui qu’il faut faire le ménage, tourner cette page du « trop-Etat ». « Pour nous, Trump est trop agressif, admet Dan, il attaque les gens sans pitié, tout cela n’est pas très charitable. En revanche, Ted Cruz pourrait être ce chrétien qu’il nous faut. » Elle ajoute : « Prenez la dette du pays, ce n’est plus tenable. Prenez notre pouvoir d’achat, il s’est réduit de façon vertigineuse. Le prix de la nourriture a doublé en dix ans. Même la valeur de notre maison est passée de 75 000 dollars à 45 000 dollars. » Et de conclure en démarrant sa petite voiture : « Il faut changer ! » Comme s’il fallait remettre les pendules à l’heure de l’Amérique, celle qui avait fait sa gloire il y a bien longtemps déjà. p 12 | géopolitique 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 1 Depuis le début du XXIe siècle, le taux de mortalité des Américains blancs d’âge moyen a cessé de baisser pour remonter de façon significative et unique, comparée à tous les autres pays développés. Ce retournement concerne en particulier les personnes les moins éduquées. Il est dû à la drogue, à l’alcool, aux cirrhoses et au suicide. Si le taux de mortalité avait poursuivi sa baisse au rythme des années passées (1978-1998), un demi-million de décès auraient pu être évités entre 1999 et 2013. Un mal-être de la classe moyenne blanche... En Amérique, les Blancs ont le blues UNE MORTALITÉ EN HAUSSE CHEZ LES AMÉRICAINS BLANCS TAUX DE MORTALITÉ, pour 100 000 habitants âgés de 45 à 54 ans AMÉRICAINS BLANCS* 450 La classe moyenne américaine blanche regarde le passé avec nostalgie et l’avenir avec angoisse. Un malaise qui pourrait s’exprimer dans les urnes 400 AMÉRICAINS HISPANIQUES 350 FRANCE 300 250 CANADA 200 1990 2000 3 2010 ... et qui se concentre dans les Etats stratégiques de la campagne présidentielle EN PARTICULIER LES MOINS ÉDUQUÉS ÉVOLUTION DU TAUX DE MORTALITÉ DES BLANCS*, entre 1993 et 2013, selon le niveau d’étude MOINS QUE LE BACCALAURÉAT + 134 % ÉTUDES SUPÉRIEURES SANS DIPLÔME UN SENTIMENT DE DÉPOSSESSION DES AMÉRICAINS BLANCS*... Comté où les Blancs* sont minoritaires Etat où la classe moyenne a baissé de plus de 7 % entre 2000 et 2013 Etat dans lequel il y a eu le plus de saisies immobilières en décembre 2015 –3% DIPLÔME DE PREMIER CYCLE UNIVERSITAIRE – 57 % LIÉE À LA DROGUE, AU SUICIDE ET À L’ALCOOL TAUX DE MORTALITÉ PAR CAUSE, pour 100 000 Américains blancs* âgés de 45 à 54 ans DROGUES 30 CONNECTICUT CANCER DU POUMON NEVADA 25 OHIO ILLINOIS NEW JERSEY DELAWARE SUICIDES MARYLAND 20 MALADIES CHRONIQUES DU FOIE 15 TENNESSEE NOUVEAUMEXIQUE CAROLINE DU NORD DIABÈTE 10 0 2 La croissance de ces dernières années a été inégale et n’a principalement profité qu’aux plus riches. Selon les statistiques, les Américains de la middle class sont passés de 61 %, en 1970, à un peu moins de 50 % de a population aujourd’hui. Leur part dans l’économie a, quant à elle, chuté de 62 % à 43 % quand celle des classes supérieures passait, dans le même temps, de 29 % à 49 %. Enfin, l’endettement de la classe moyenne a été multiplié par deux depuis 1989. FLORIDE 2000 2005 2010 2015 ... pour qui les frustrations économiques s’accentuent... CLASSE INFÉRIEURE MOYENNE** LA CLASSE MOYENNE N’EST PLUS MAJORITAIRE RÉPARTITION DE LA POPULATION EN FONCTION DU REVENU, en millions 80 1971 51,6 120,8 121,3 2015 12 73 392 7 54 682 26 496 18 799 IDAHO 4 WYOMING 3 24 074 2000 2014 UTAH 6 COLORADO 9 NEW HAMPSHIRE 10 DAKOTA DU SUD 3 ARIZONA 11 5 NEBRASKA 5 KANSAS 6 49 43 **Pour une personne seule : revenus compris entre 24 000 et 73 000 dollars par an. Pour une famille de trois personnes, fourchette comprise entre 42 000 et 126 000 dollars. 29 10 9 1970 2014 IOWA 6 MISSOURI 10 OKLAHOMA ARKANSAS 7 6 TEXAS 38 62 4 WISCONSIN 10 55 ILS PÈSENT MOINS DANS L’ÉCONOMIE PART DES REVENUS DANS LES REVENUS GLOBAUX DES MÉNAGES, EN % *Américains blancs non hispaniques de la classe moyenne blanche pense que la culture américaine a changé en mal DAKOTA DU NORD 3 MONTANA 3 NEVADA 6 1970 62 % 174 625 118 617 76 819 des Blancs* pensent que la majorité blanche perd en influence … DONT LE POIDS ÉLECTORAL RESTE IMPORTANT Comté où les Blancs* sont majoritaires Etat acquis au vote républicain Swing States (Etat qui peut alterner, d'un scrutin à l'autre, entre les deux partis dominants et faire basculer le résultat du vote final) 55 Nombre de grands électeurs par Etat LEUR DÉCALAGE AVEC LES PLUS RICHES S’ACCROÎT REVENUS MOYENS PAR MÉNAGE, EN DOLLARS CONSTANTS (2014) 180 769 55 % Le sentiment de dépossession des classes blanches, confrontées à une Amérique qui change, contribue certainement au succès du candidat républicain Donald Trump. En 2012, le Parti républicain a obtenu 54 % des voix des électeurs blancs non diplômés du secondaire, contre 37 % pour les démocrates. Plus récemment, d’après un sondage ABC-Washington Post, 40 % des électeurs non diplômés du secondaire soutiennent Donald Trump, soit cinq fois plus que ses concurrents Ted Cruz (9 %) ou Jeb Bush (6 %). SUPÉRIEURE 3 16 29 PENNSYLVANIE OHIO 20 INDIANA 18 10 14 11 5 8 VIRGINIE KENTUCKY 13 TENNESSEE 15 11 20 ALABAMA 9 MISSISSIPPI 16 6 8 LOUISIANE 9 4 11 7 4 DELAWARE 3 DISTRICT OF COLUMBIA 3 CAROLINE DU SUD GÉORGIE FLORIDE 29 ALASKA 3 HAWAÏ 4 TEXTE NICOLAS BOURCIER Sources : « The American Middle Class is losing Ground », Pew Research Center, 2015 ; « Rising Morbidity and Mortality in Midlife Among White Non-Hispanic Americans », PNAS, 2015 ; « Drug Poisoning Deaths Involving Heroin », NCHS, 2015 ; Census Explorer ; The Cook Political Report ; RealtyTrac ; The Pew Charitable Trusts ; Public Religion Research Institute INFOGRAPHIE FLAVIE HOLZINGER, HENRI-OLIVIER ET VÉRONIQUE MALÉCOT géopolitique | 13 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 FranceEtats-Unis « Les partis ont cessé d’être des lieux de vie intellectuelle » Candidats antisystème, hypermédiatisation de la vie politique, big data… Les deux bords de l’Atlantique sont touchés par les mêmes évolutions ENTRETIEN propos recueillis par jérôme gautheret et thomas wieder J oel Benenson est responsable de la stratégie de la campagne d’Hillary Clinton. Julien Vaulpré a quant à lui été conseiller opinion de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2011. Ensemble, ils confrontent leur vision de l’art de mener une campagne présidentielle en France et aux Etats-Unis. Comment définiriez-vous l’état de l’opinion aux Etats-Unis et en France vis-à-vis de la nation, de la politique ? Joel Benenson : Je pense qu’il y a un consensus assez large sur le fait qu’Obama a remis le pays sur pied au sortir d’une situation désastreuse. Mais le problème est que les bases de la stabilité d’avant-crise se sont effondrées… Les gens se sont adaptés, certains ont pris deux emplois, mais le sentiment de précarité et d’incertitude a explosé. Julien Vaulpré : Je crois qu’il y a dans les deux pays un pessimisme très fort ; aux Etats-Unis, il est très lié aux effets de la crise économique de 2008 ; en France, il est plus lié aux difficultés du pays à entrer dans la modernité. La question économique est majeure aux Etats-Unis, alors qu’en France, la majorité des responsables politiques ont la conviction que l’économie ne « fabrique » pas du vote. Or, il n’y a pas de grand pays sans souveraineté économique forte. Le point commun dans les deux pays, c’est que les citoyens sont à la recherche d’outsiders qui symbolisent le ras-le-bol des élites et du langage politique. J. B. : Je ne suis pas certain que ce soit exactement pareil. Trump et les autres candidats républicains parlent aux gens qui sont fâchés, et cette population est assez limitée. Il y a plus de cinq ans, les républicains ont choisi de passer alliance avec le Tea Party. Or c’est impossible de diriger un parti à vocation majoritaire en étant soumis à une telle faction. Ce que fait Trump revient à flatter une base qui ne représente au mieux que 25 % de l’électorat. Or, dans Joel Benenson et Julien Vaulpré. M.CHAUMEIL/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » une campagne présidentielle, il vous faut une stratégie pour aller des primaires jusqu’à l’élection… De plus, selon moi, la France et les Etats-Unis sont deux pays plutôt centristes. Vous dites que nous sommes des pays centristes, mais vous soulignez que l’opinion est très clivée. Comment, dès lors, concilier cette aspiration à convaincre l’autre camp avec le besoin de mobiliser le sien ? J. B. : Personne n’essaie d’avoir 100 % des votes, il s’agit d’avoir 50 % + 1 voix. Un candidat doit savoir quelles valeurs, quels sujets lui sont favorables et insister sur ces points. Mais en parlant à une « cible » particulière, vous parlez à tous. J. V. : Aux Etats-Unis, il me semble que le système bipartisan est de plus en plus fort, que la mobilisation de son camp prime sur la persuasion des indécis, et que le combat pour les swing voters ne porte plus que sur 7 % à 8 % du corps électoral. Les chaînes d’information continue renforcent cette tendance : Fox News et MSNBC sont très polarisées, et confirment surtout les valeurs de leur public. Aujourd’hui, en France, on voit à l’œuvre deux stratégies. L’une, celle de Nicolas Sarkozy, vise à la mobilisation du noyau dur. L’autre tend à persuader des indécis, c’est celle d’Alain Juppé. La multiplication des « outsiders » extrémistes aux Etats-Unis ne témoigne-t-elle pas d’une radicalisation de l’opinion qui ferait écho à ce qui se passe en France ? J. B. : Si vous regardez n’importe lequel des candidats républicains actuels, leur popularité est bien plus faible que celles de McCain en 2008 ou de Romney en 2012. En réalité, ces candidats ne semblent pas mobiliser dans leur électorat. Dans de nombreux « swing states » [Etats qui peuvent alterner d’un scrutin à l’autre], ce manque d’approbation peut s’avérer décisif au profit des démocrates. Que nous apprennent l’histoire et la science politique américaines sur les primaires ? J. B. : La différence la plus importante, c’est que la primaire française est nationale. Aux Etats-Unis, nous élisons des délégués pour des conventions, qui désignent les candidats… Mais dans tous les cas, je pense que le système des primaires est très bon en termes de mobilisation. Les médias s’y intéressent, et plus les électeurs se sentent impliqués, plus ils votent. J. V. : Sur qui vote en France, l’enseignement de la primaire de gauche de 2011 est que c’est un électorat âgé, aisé, urbain, très CSP +. Et les enquêtes sur la droite indiquent la même chose : il s’agit d’un électorat très politisé, très informé, très favorisé. Ensuite, il y a deux solutions : parler à peu de personnes très activistes, ou à une base plus large. Mais je ne suis pas certain que si on a un vote plus large, cela sera forcément plus modéré. C’est le pari d’Alain Juppé mais, en fait, on n’en sait rien. Ce qui me paraît certain, c’est qu’à un moment, les votants choisissent le meilleur opposant. L’antihollandisme risque d’être un des moteurs lors des primaires de la droite. Cela implique-t-il, aux Etats-Unis, que les républicains choisiront finalement le meilleur opposant à Clinton ? J. B. : Je ne sais pas. C’est un parti en pleine crise identitaire. En 2012, le parti a su analyser les causes de sa défaite mais n’a rien fait pour y remédier. Rien sur les primaires, rien sur les candidats. L’autopsie qu’ils ont faite n’a eu aucun effet, pourtant les résultats en étaient très clairs. Par ailleurs, rien n’est joué. Ce n’est pas une précaution oratoire, c’est la réalité des faits. Qui se souvient qu’en novembre 2007, un an avant l’élection, le candidat favori des républicains était l’ancien maire de New York, Rudolph Giuliani, qui n’est même pas allé au bout ? Les sondages actuels ne veulent rien dire parce qu’ils sont nationaux, et que la primaire se déroule Etat par Etat. SUCCESS En 2012, Donald Trump lance « Success », son deuxième parfum. Le premier, simplement baptisé « Donald Trump The Fragrance » avait été créé en 2004 avec Estée Lauder. « Success » contient « des notes aiguës de genièvre, de gelée de groseille, de coriandre, de fève tonka, de géranium et de feuilles de bambou ». Mais, dès l’année de sa création, une pétition est lancée pour demander au magasin Macy’s, à New York, d’en cesser la vente après les propos controversés du magnat sur le changement climatique et la nationalité de Barack Obama. AMAZON Est-ce que l’introduction des primaires en France contribue à une forme d’américanisation de la vie politique ? J. V. : Je pense que oui. D’abord c’est un coup très fort porté aux partis, cela rappelle l’époque des seigneurs de la guerre dans la Chine des années 1920 : chacun son ambition, sa petite armée… Le parti est devenu un cadre vide. Les partis ont cessé depuis longtemps d’être des lieux de vie intellectuelle et, désormais, les ressources financières sont de plus en plus fragmentées. Quant aux programmes, personne n’en veut : on voit avec quelle difficulté Nicolas Sarkozy a du mal à dire qu’il y aura un socle commun. Ce coup porté est très dur, car il déporte le débat vers les extrêmes : l’activisme de certains candidats leur confère une visibilité médiatique, et par la suite une importance. J. B. : Je suis d’accord, mais j’ajouterais une différence : l’utilisation que nous faisons des big data et de l’analyse de données. On peut désormais avoir un impact considérable par le biais des réseaux sociaux, avec des messages numériques très ciblés. C’est particulièrement efficace avec les jeunes électeurs. Vous parliez d’américanisation, mais comme vos lois en matière de vie privée interdisent de tels recours au big data, vous faites en réalité référence à une américanisation qui aurait douze ou seize ans. Pas à l’Amérique de 2016. J. V. : Certes, les Etats-Unis sont une ploutocratie où l’argent domine, mais cela nous renvoie également à une vérité indicible : il n’y a pas assez d’argent pour la politique en France. Du coup, c’est la politique tout entière qui souffre de paupérisation. Derrière ces questions, il n’y a pas que du marketing : il y a aussi, plus largement, une manière beaucoup plus professionnelle d’aborder les campagnes. Ces données vous permettent d’arriver à des ciblages très précis. Du coup, votre principal travail comme responsable de la stratégie se limite-t-il à toucher ces populations très ciblées ? J. B. : Non. Ma première responsabilité, au contraire, est d’énoncer la grande stratégie et le grand message, à l’attention de tout le pays. C’est sur cela que je dois me concentrer. J. V. : Maintenant, en réalité, il y a deux campagnes aux Etats-Unis. Une « macrocampagne » visant à marteler auprès des mass medias les messages clés et à installer le leadership du candidat, et une autre campagne sur le terrain, via les réseaux sociaux, dans laquelle ces nouvelles techniques sont très utiles. En France, on ne fait que le premier type de campagne. On dit qu’on essaie de faire la seconde, mais la législation n’autorise pas d’avoir des fichiers politiques individuels… Revenons au « grand message ». Chaque campagne est marquée par une « controverse majeure ». Sur quoi vont se jouer les élections ? J. B. : Je pense que l’enjeu est de savoir sur qui les Américains pourront compter pour construire une économie qui serait de nouveau au service des gens. L’économie va rester le sujet majeur. J. V. : En France, aucun candidat n’a encore travaillé le sujet de la « grande controverse ». Chacun a un petit territoire qu’il essaie de consolider. Hollande, même avant les attentats, c’était l’unité, Sarkozy, c’est l’énergie, Fillon, c’est le radicalisme des propositions économiques… Il me semble que le candidat qui l’emportera sera celui qui aura réussi à gagner la bataille de la crédibilité à apporter un changement réel. On comprend que la réélection de François Hollande est arithmétiquement possible. Mais peut-on être réélu quand l’impopularité est si enracinée, durable, historique même ? J. B. : En 2011, les républicains disaient : la cote du président est de 42 %, le chômage est à plus de 8 % et on n’a jamais réélu de président avec un taux de chômage de plus de 7,8 %. Ils alignaient tous ces chiffres comme preuves de ce que Obama ne pouvait pas être réélu. Et il est finalement devenu le troisième candidat démocrate dans l’histoire à être réélu avec plus de 50 % des voix. En France, les attentats ont créé un climat nouveau, et il y a trop d’éléments en jeu. Mais ma conviction est que n’importe quel président, à un an et demi d’une élection, conserve des occasions de renforcer son image. Il est la voix dominante, celui qui obtient l’attention quand il parle. Pour toutes ces raisons, s’il manœuvre bien, François Hollande peut tout à fait être réélu. p 14 | débats 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Huit cents plaintes ont été déposées dans la ville allemande pour agression sexuelle, après la nuit de la Saint-Sylvestre. Comment interpréter cet événement ? Après Cologne, racisme ou sexisme ? Gare aux indignations sélectives ! Les agressions à Cologne lors du Nouvel An ne doivent pas être l’occasion de stigmatiser les cibles désignées par une politique de la peur par nacira guénif A près l’agression massive de femmes qui fêtaient le Nouvel An sur une place de Cologne, une vague d’indignation partie d’Allemagne s’étend progressivement à toute l’Europe. A mesure qu’enflent les accusations de silence et de complaisance, rien ne semble contrecarrer ce nouvel épisode de panique morale, qui se fracasse sur l’islamophobie, désormais la mieux partagée. Afin de comprendre, sans excuser, ce qui suscite une telle émotion, il importe de démêler les faits, en tant que tels, de l’écho qui résonne dans les médias et les opinions publiques européennes. Il est urgent de se démarquer des conclusions hâtives et partiales qui ne cessent d’être tirées sur la nature barbare et la culture rétrograde d’hommes nommés, en vrac, arabes, musulmans, bruns, réfugiés, migrants. Toutes ces appellations produisent déjà des dommages collatéraux. Reste à éviter d’alimenter un penchant très en vogue pour l’amalgame, qui met en gage des femmes devenues l’alibi d’un racisme anti-arabe que beaucoup d’entre elles, notamment en Allemagne, combattent énergiquement. PATRIARCAT Certes l’encerclement et l’agression de femmes n’est pas sans rappeler ces très rares passages à l’acte, en marge de l’occupation – par des foules plurielles des semaines durant – de la place Tahrir au Caire, en 2011. Mais il n’autorise pas à qualifier les hommes arabes mis en cause à Cologne de barbares comparables aux violeurs en temps de guerre. Ces délinquants, dont trop peu ont été arrêtés et entendus, ne sont que de vils opportunistes. Ils tirent profit d’un moment festif, s’approprient des corps féminins perçus comme disponibles, parce que visibles et proches, pour s’adonner au vol, au harcèlement sexuel, voire au viol, pour les plus désinhibés d’entre eux. Si l’événement est inédit et sidérant, en raison de son ampleur et du moment choisi, il n’en participe pas moins d’un ordre patriarcal fondé sur la disponibilité de femmes tenues d’être accessibles et dociles. Pour beaucoup d’hommes de par le monde, la prédation visuelle prélude au harcèlement. Convaincus de leur bon droit, ils s’en prennent à des femmes de tous âges en toute impunité et les réduisent à l’état d’objet sexuel. Il est, dès lors, plus que suspect de surenchérir pour faire diversion sur la violence sexiste aussitôt qu’elle est le fait d’hommes arabes, jetant l’opprobre simultanément sur les minorités, les réfugiés, les migrants et les musulmans. L’indignation a été immédiate, lorsqu’il a été avéré que les faits avaient été tenus confidentiels pour des raisons qui oscillent entre l’embarras de la police, qui doit avouer son incapacité à les empêcher, et la crainte d’aggraver le racisme ambiant. Mais qu’en est-il lorsque le silence persiste sur le harcèlement vécu dans la solitude par des milliers de femmes qui arpentent les artères de grandes villes présentées comme des havres de paix pour elles… tant qu’elles ne croisent pas un de ces Arabes, sans que cela trouble la bonne conscience de sociétés qui se proclament antisexistes ? La seule séquence concomitante de l’épisode de Cologne nous instruit sur ce deux poids, deux mesures de la dénonciation véhémente et sélective des violences sexistes. Qui s’est indigné du sort réservé aux femmes réfugiées, devenues monnaie d’échange sexuelle, tout au long du périple qui les conduit, avec leur famille ou seule, de leur pays en guerre au centre d’accueil en Allemagne ? Or un reportage, publié le 2 janvier dans le New York Times, retrace, dans la plus parfaite indifférence, ces supplices auxquels des femmes n’ont d’autre alternative que de se résoudre, en subissant le marché qui les gage sexuellement pour assurer, à chaque étape, l’issue favorable de leur odyssée. Qui s’offusque des viols répétés qu’endurent les ouvrières agricoles sans papiers dans les exploitations aux Etats-Unis, relatés dans un article du 15 janvier d’un journal anglophone ? Enfin, qui a pris la peine de souligner – en contrepoint des indispensables témoignages des femmes agressées, humiliées ou violées – le récit de cette étudiante américaine qui vit en Allemagne, secourue par des hommes, d’apparence arabe, contre ceux qui l’encerclaient, et dont l’un d’eux s’est avéré être un réfugié spontanément révolté par de tels agissements ? Tous les sévices ne se valent pas et ils sont soupesés, considérés et diffusés à l’aune des femmes qu’ils atteignent par des médias pétrifiés face aux stéréotypes éculés sur les Arabes, les Noirs et les musulmans incivilisés et incivilisables. Les femmes d’apparence blanche et hétérosexuelle sont plus susceptibles d’être présentées comme des victimes. Elles évincent, souvent contre leur gré, les femmes considérées comme « différentes », au prétexte d’une ethnicité ou d’une religion revendiquée ou assignée. Plusieurs aspects de cet épisode se conjuguent et résonnent de façon inquiétante avec la politique de la peur devenue un instrument de gouvernement liberticide et de surenchère sécuritaire sur fond d’intensification des attentats. La militarisation des esprits ne fait qu’aggraver la martialisation et la rectitude des corps masculins face à la vulnérabilité de corps féminins supposés offerts alternativement à la violation et à la protection. En rejouant cette fable, des hommes blancs hétérosexuels dominants, antisexistes de la dernière heure, s’approprient tout autant les femmes, qu’ils proclament protéger, en les soumettant à leur conception des relations entre sexes, la courtoisie en sus, que l’espace public, qu’ils ordonnent selon leur norme masculine et imposent à quiconque veut y exister en tant que femme. C’est toujours ainsi que les choses se passent : prendre la victime à témoin pour mieux la réduire à l’impuissance. C’est contre cela que des femmes se coalisent désormais, en luttant conjointement contre le sexisme et le racisme. p CHLOE POIZAT Les leçons d’un réveillon en Europe Cette nuit sordide révèle ce que l’on a trop longtemps tu. Certains espaces sont désormais interdits aux femmes tant se sont imposées les mœurs de pays où leur présence la nuit les désigne comme prostituées par claude habib I l y a près de trois siècles, Montesquieu faisait débarquer en Europe des Persans – c’est-à-dire des Iraniens. Le jeune Rica se montrait à la fois charmé par la franchise des Parisiennes et sidéré par leur légèreté de mœurs. D’une plume allègre et caustique, il décrit les avantages et les inconNacira vénients de cet autre rapport aux femGuénif mes qui est propre à l’Occident : laisser est sociologue les femmes se gouverner. et anthropoloLes graves événements survenus à la gue française, gare de Cologne et dans d’autres villes professeure européennes montrent que le choc est des universités toujours le même, quoique certains à Paris-VIII. des nouveaux arrivants soient moins Son ouvrage disposés à décrire et comparer qu’à Artisanes de li- faire main basse et violenter. Des combertés tempé- mentateurs ont avancé l’hypothèse rées, les desd’une attaque concertée, en raison de cendantes la simultanéité des délits et des crimes. d’immigrants C’est absurde : les prétendues preuves nord-africains d’une telle concertation se résument à en France endes SMS ou à des rendez-vous sur les tre sujétion et réseaux sociaux semblables à ceux subjectivité que les jeunes échangent en fin de se(Grasset, 2002) maine pour aller à la pizzeria. La seule a obtenu simultanéité, c’est la date du réveillon le prix qui a jeté dans les rues des foules comLe Monde de la posites, et mis en présence des peuples recherche pour qui la signification de la mixité universitaire n’est pas la même. Il faut souligner la faible présence de réfugiés syriens parmi les interpellés. Ceux qui ont connu la Syrie avant la guerre savent qu’on y voyait des femmes non voilées et des filles en minijupes, c’est-à-dire des chrétiennes. Les populations savaient cohabiter. Pour les jeunes fraîchement arrivés du Maghreb, cette coexistence est inconnue, et il n’y a pas besoin de concertation pour profiter d’une si extraordinaire aubaine : des jeunes femmes, de nuit, sans défense. Pour la plu- ¶ part des musulmans du Pakistan ou du Maghreb, une femme dehors de nuit est une prostituée. Une femme maquillée est une provocation sexuelle. Une femme non voilée se désigne comme proie. Habituées de plus longue date que les Allemandes au contact des Maghrébins, les Françaises ont appris à faire profil bas, notamment à troquer la jupe contre le pantalon quand elles doivent traverser des espaces où les musulmans sont majoritaires. Les territoires perdus de la République furent d’abord des territoires perdus pour les femmes, tout un réseau de rues et de places non mixtes, même de jour, et des cafés dont nulle cliente n’ose jamais pousser la porte. Ceux qui découvrent avec « stupeur » le déchaînement des attouchements et des viols qui a marqué la nuit de la Saint-Sylvestre auraient pu se demander comment, en France, des espaces s’étaient progressivement vidés de celles qui auparavant y vivaient librement. La réponse est simple : par le même cocktail d’intimidation et de harcèlement, mais peu à peu, à bas bruit, et surtout sans qu’on le signale. Car c’est le contraire qui captait l’attention. NE PAS OFFENSER LE 9-3 Quand des jeunes des cités se voyaient interdire l’entrée en boîte de nuit, la presse a toujours accusé la stigmatisation de la jeunesse : on ne s’est guère interrogé sur les raisons qui poussaient les tenanciers à se priver d’une clientèle. La consigne de ne pas désespérer Billancourt fut relayée par celle de ne pas offenser le 9-3. Les femmes y ont perdu de leur liberté de mouvement et de leur assurance, dans l’indifférence générale. L’enfer de ce renfermement fut pavé de bonnes intentions. La sous-information au sujet des violences subies par les femmes est la seule excuse de ceux qui découvrent aujourd’hui le problème. La politique de l’autruche n’est d’ailleurs pas une spécificité française. La police suédoise, confrontée aux mêmes conduites et aux mêmes crimes, dès avant la nuit du 31 décembre, avait pris le parti de dissimuler les faits, comme a tenté de le faire la police de Cologne. Tous les responsables – intellectuels et journalistes, policiers et magistrats – ont constamment minimisé les « incidents », tétanisés par la peur de réactions racistes, qui du reste existent bel et bien, comme l’ont prouvé les mani- festations néonazies de Dortmund. Que faire ? Il paraît inutile d’entonner la rengaine de l’éducation : en France, où les populations maghrébines sont installées de longue date, et donc exposées au système éducatif commun, l’hostilité à la mixité est intacte. Elle ne l’est pas seulement chez les islamistes. Chez l’épicier arabe, le sympathique Djerbien ouvert tard le soir, on ne voit dans la boutique que le patron, ses frères ou ses cousins. Il n’y a pas d’épicière à la caisse. Fort heureusement, quelques individus peuvent s’émanciper des lois de l’appartenance, mais globalement le monde musulman juge que les femmes doivent être respectées, et pour cette raison soustraites aux regards. Nous jugeons que les femmes sont libres, et qu’elles font ce qu’elles veulent de leur corps. Devant une telle divergence, certains en appellent à la tolérance, et d’autres à la répression. En Autriche, Johanna Mikl-Leitner, la ministre de l’intérieur, a fièrement déclaré : « Une chose est sûre, nous ne laisserons pas, nous les femmes, notre liberté de mouvement dans l’espace public reculer du moindre millimètre. » Ce sont des rodomontades, car elle a déjà reculé. Le philosophe Pierre Manent, quant à lui, conseille de chercher des accommodements raisonnables avec cette partie de la population qui suit d’autres mœurs, car « les relations entre les sexes sont un sujet d’une telle complexité et délicatesse qu’il est sans doute déraisonnable de damner une civilisation sur cette question ». Sans damner qui que ce soit, on peut espérer, pour les femmes comme pour les juifs, un autre destin que de raser les murs. Et puisque l’éducation est visiblement impuissante à modifier les mœurs, il faut au moins que l’information soit attentive et impartiale, ce qu’elle n’a pas été jusqu’ici ; il faut aussi qu’une répression systématique et proportionnée sanctionne les divers manquements que les jeunes femmes ont à subir et qui ne sont pas près de cesser. Notre tâche collective est de contenir, le plus humainement possible, la brutalité à laquelle elles sont et seront confrontées. p ¶ Claude Habib est essayiste et professeur de littérature. disparitions & carnet | 15 Daniel Fabre Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Anthropologue Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg. cppkxgtucktgu fg octkcig Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu L’ anthropologue Daniel Fabre s’est éteint le 24 janvier, à l’âge de 68 ans, à Toulouse, dans cette région du Midi à laquelle il était fortement attaché. Il laisse derrière lui une œuvre aussi dense qu’éclectique qui lui valut la reconnaissance de nombreux spécialistes de sciences humaines, bien au-delà de sa seule spécialité. Son rayonnement provenait en partie de la variété et de la fécondité de ses approches qui faisaient de lui « un semeur d’idées, de sujets, de projets », selon l’historien Yann Potin. Son fort charisme, son accent du Sud-Ouest comme sa finesse n’étaient pas indifférents non plus à cette aura. Son parcours fut celui d’un savant à l’esprit anticonformiste et à la culture ouverte, difficilement résumable sauf à dire que, spécialiste de l’étude des savoirs oraux traditionnels et des cultures régionales, il est devenu, aussi, au fil des années, un anthropologue de l’art, du patrimoine, des institutions culturelles et un historien de sa discipline. Transmission orale des contes Né le 21 février 1947 dans un quartier populaire de Narbonne, dans l’Aude, élevé entre trois langues (catalan, français et occitan), il enseigne dès 19 ans. Une activité qu’il mène en parallèle à son premier grand sujet de recherche : la transmission orale des contes. Situé dans le monde occitan, au sein de cantons pyrénéens, ce travail de terrain, qui donne lieu à une thèse et à un livre écrit avec Jacques Lacroix (La Tradition orale du conte occitan : les Pyrénées audoises, PUF, 1973), conduit à la redécouverte de la tradition orale, considérée jusqu’alors comme disparue d’Europe. De son intérêt pour la construction des identités locales découle une série de recherches, parfois englobées dans l’expression « vie quotidienne », qui lui permet d’entamer un dialogue fécond avec les historiens. Production sociale de la virilité, carnaval, relation aux morts… : des thèmes qu’il développe dans plusieurs articles et quelques livres (La Vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXe siècle, Hachette, 1976 ; La Fête en Languedoc, Privat, 1977 ; contribution à L’Histoire de la vie privée, tome 3, sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby, 1986). « Il a su restituer un monde imaginaire rural ancien mais encore susceptible de résurgences qu’il savait retrouver au cœur même de notre modernité », dit l’anthropologue Alban Bensa. Naissance Joanna et Nicolas HACQUEBART DESVIGNES, ses parents, ont la joie de faire part de la naissance de Alexandre, Jean, Stanislas, le 24 janvier 2015, à Paris. julie clarini survenu à Paris, le 26 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-deuxième année. Un recueillement, suivi de la crémation, aura lieu le lundi 1 er février, à 9 h 30, au crématorium du cimetière du PèreLachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. Cet avis tient lieu de faire-part. Paris. Narbonne. AU CARNET DU «MONDE» Daniel Fabre participe également aux Lieux de mémoire sous la direction de Pierre Nora (Gallimard, 1993) et garde, toute sa vie, une forte curiosité pour les pratiques ordinaires de l’écriture et pour l’autobiographie. Son Brigand de Cavanac, coécrit avec Dominique Blanc (réédité en 2015 chez Verdier/poche), est une merveille d’analyse. Chemin faisant, Daniel Fabre, devenu directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a dirigé une revue (Gradhiva) et fondé des laboratoires de recherche (le Centre d’anthropologie des sociétés rurales avec l’archéologue Jean Guilaine, en 1978 ; l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain en 2006). Il est aussi à l’origine, en 2000, du Lahic (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire sur l’institution de la culture), dont le titre dit bien le retournement qu’il opère, de la patrimonialisation du folklore à l’interrogation sur les processus de conservation et de muséification des arts et savoirs populaires. Sensible aux « émotions patrimoniales », il voit dans ces dernières un moyen d’accès à nos sociétés postindustrielles. Il développe aussi une réflexion sur les écrivains et les artistes. Bataille à Lascaux (L’Echoppe, 2014), son dernier ouvrage publié, en est issu. Peu de livres, néanmoins, au regard d’une œuvre si profonde, toujours située à des points de friction (anthropologie/histoire ; document/fiction ; sacralité/quotidienneté). « C’était un homme du collectif, dit son collègue à l’EHESS, l’historien Christian Jouhaud. Un homme d’articles plus que de livres. Il a écrit des articles magnifiques autant par la manière de penser que d’écrire. » Certains sont devenus des classiques. Lui-même disait en 2013 : « J’aime écrire des articles un peu comme des contes. » L’un des derniers qu’il a publiés fait allusion aux bals d’été de son adolescence, dans la montagne Noire. Il s’intitule : « Rock des villes et rock des champs ». p ancien professeur au lycée Janson de Sailly, rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. rtqlgevkqpu/ffidcvu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht 21 FÉVRIER 1947 Naissance à Narbonne (Aude) 1977 Publie « La Fête en Languedoc » 1978 Cofonde le Centre d’anthropologie des sociétés rurales 2014 « Bataille à Lascaux » 24 JANVIER 2016 Mort à Toulouse M. Francis BUSSON, 8, rue Madame, 75006 Paris. Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu ANNA LABAN ont la douleur de faire part du décès de Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu En janvier 2015. Mme Sylvie Busson, son épouse, Ses enfants, Ses petits-enfants Ainsi que toute sa famille, 13, rue Bonaparte, 75006 Paris. Le 26 janvier 2016, Emmanuel DARLEY a choisi de nous quitter, laissant sa famille et ses proches dans une immense peine. Il nous reste de lui un souvenir lumineux et des textes magnifiques, riches d’une sensibilité profonde. Les Éditions Verdier ont l’immense tristesse de faire part du décès de Emmanuel DARLEY, écrivain, le mardi 26 janvier, à l’âge de cinquante-deux ans. Nos pensées vont à Mona, Dominique, Ses parents Et tous ses proches, qui l’ont accompagné. M Betty Galdbart, son épouse, Le docteur Jacques Galdbart, son ils, Sa famille Et ses amis, me ont la douleur de faire part du décès de Décès Mme Chantal Lesault, sa compagne, M. Lionel Beltrando, son ils, Toute sa famille, Ses proches Et ses amis, ont la tristesse de faire part du décès du professeur Gérard BELTRANDO, survenu le 28 janvier 2016, à Maisons-Lafitte, à l’âge de cinquante-neuf ans. L’incinération aura lieu le mercredi 3 février, à 12 h 30, au crématorium du Mont-Valérien, rue du Calvaire, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Chantal Lesault, 2, avenue Poniatowski, 78600 Maisons-Lafitte. Le laboratoire PRODIG a la tristesse de faire part du décès de son collègue et ami, le professeur Gérard BELTRANDO, enseignant chercheur à l’université Paris Diderot, géographe et climatologue de renom, membre très apprécié de l’unité. L’ensemble du personnel présente à sa famille ses très sincères condoléances. Simon GALDBART, survenu le 26 janvier 2016. Les obsèques ont eu lieu le vendredi 29 janvier, à 14 heures, au cimetière parisien de Bagneux. L’OSE, Œuvre de Secours aux Enfants, partage le chagrin de la famille, à l’occasion du décès de Simon GALDBART, ancien enfant de l’OSE. Mme Charlotte Lange, M. et Mme Erik Akhund, M. et Mme Eric Lange, M. Nicolas LANG, survenu le 26 janvier 2016. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. Jean-Philippe Meunier, son frère, Les familles Meunier, Sulpice, Robert, Princé, Legallet, Marie, sa idèle gouvernante, Merci Maurice, nous pensons tous à toi. Gisèle Jouffray, 76, rue des Chardons, 38880 Autrans. # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. 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Collections EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons Il a joué un rôle décisif dans le dénouement de la crise entre les Etats-Unis et l’Iran pour la libération des otages américains à Téhéran et le dégel des avoirs iraniens. EGYPTOMANIA LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE Sésostris et le Conte de Sinouhé La construction des pyramides La pierre de Rosette La tombe de Néfertari Il a été inhumé le vendredi 22 janvier, dans la terre de son pays qu’il a tant aimé. 36, rue Bourbia (ex-Luciani), El Biar. Alger. [email protected] M. Claude Catala, président de l’Observatoire de Paris, M. Pierre Drossart, directeur du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique, M. Thierry Forveille, rédacteur en chef du journal « Astronomy & Astrophysics » M. Jean-Louis STEINBERG, Maurice Jouffray, le plus jeune de sa promotion des Gadzarts, a toujours été en recherche de créations importantes. C’est lui qui a eu l’idée des grues hydrauliques sur camion et a trouvé de nouveaux systèmes pour rendre plus iables ces engins qui animent actuellement nos chantiers. + A T L A S Ses obsèques ont eu lieu le 9 décembre, à Ardentes, en totale intimité. Simon GALDBART, survenu le 19 janvier 2016. LE BILAN DU MONDE ▶ GÉOPOLITIQUE ▶ ENVIRONNEMENT ▶ ÉCONOMIE survenu le 5 décembre 2015. ont la tristesse de faire part du décès de Maurice JOUFFRAY, H O R S - S É R I E ancien directeur des Services iscaux de l’Indre, conservateur des Hypothèques, annonce avec beaucoup de tristesse le décès de a la tristesse d’annoncer le décès de ÉDITION 2016 0123 Jacques MEUNIER, L’Amicale des anciens et sympathisants de l’OSE, Gisèle Jouffray, son épouse, K En kiosque ont la tristesse d’annoncer le décès de Et tous les personnels de l’Observatoire de Paris, membre de son conseil d’administration. en vente actuellement ont la tristesse d’annoncer le décès de LE BILAN DU MONDE | 0123 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 astronome de l’Observatoire de Paris, survenu à Paris, le jeudi 21 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-quatorzième année. Dès jeudi 28 janvier, le vol. n°3 Sésostris et le Conte de Sinouhé La construction des pyramides La pierre de Rosette - La tombe de Néfertari Juin - Novembre 1941 1939 - 1945 Les Forces aéri ennes français ossa(1) es Les as français Opération Barbar de la Seconde vers l’Ukraine L’offensive au Sud el Robert Kirchub Gerrard Howard Illustrations de Guerre mondiale Barry Ketley Mark Rolfe Illustrations de Dès mercredi 27 janvier, le n°8 2 LIVRES : OPÉRATION BARBAROSSA(1) et LES FORCES AÉRIENNES FRANÇAISES La communauté astrophysique salue la mémoire de ce grand homme de science, fondateur de la station de radioastronomie de Nançay en 1953, précurseur de la recherche spatiale en astrophysique en France, cofondateur du journal « Astronomy & Astrophysics » en 1968. Avis de messe Pour le dixième anniversaire de la disparition de Pierre POTIER, une messe sera célébrée à son intention, le mercredi 3 février 2016, à 12 h 15, en l’église Saint-François-Xavier, place du Président-Mithouard, Paris 7e. « La Chimie est à la Biologie ce que le Solfège est à la Musique. » Hommage Dès mercredi 27 janvier, le volume n°22 ROYAUME-UNI ET BÉNÉLUX Nos services Lecteurs K Abonnements La Fondation de France exprime toute sa reconnaissance à M. Michel BERNARD, décédé le 13 mai 2015, dans le Val-d’Oise, pour son legs généreux qui, selon son souhait, contribuera à inancer les actions prioritaires de notre fondation. www.lemonde.fr/abojournal K Boutique du Monde www.lemonde.fr/boutique K Le Carnet du Monde Tél. : 01-57-28-28-28 16 | culture 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 LA MORT DE JACQUES RIVETTE Jacques Rivette, le mystérieux de la bande Fer de lance de la Nouvelle Vague, pilier des « Cahiers du cinéma », expérimentateur hors pair, le réalisateur de « L’Amour fou », « Out 1 », « La Belle Noiseuse » et « Va savoir ! » est mort vendredi 29 janvier, à l’âge de 87 ans D es jeunes-turcs de la bande des quatre qu’il formait, quand ils avaient 20 ans, avec Jean-Luc Godard, François Truffaut et Claude Chabrol, il était, de loin, le plus secret. Jacques Rivette est mort à Paris vendredi 29 janvier, à l’âge de 87 ans, après plusieurs années de lutte contre la maladie d’Alzheimer, et le mystère qu’il emporte dans sa tombe est aussi vaste que celui qui continue de nimber sa filmographie. Trente films au total, réalisés en un demisiècle, de 1949 à 2009, entre lesquels courent des passerelles souterraines, des systèmes d’échos cryptés, dont l’ensemble constitue un formidable jeu de piste et un terreau poétique fertile. Critique aux Cahiers du cinéma à partir de 1952, rédacteur en chef de la revue de 1963 à 1965, Jacques Rivette laisse aussi de grands textes critiques et, plus largement, un héritage qui reste déterminant dans l’appréhension de la modernité cinématographique. Du très expérimental Out 1, variation improvisée sur L’Histoire des Treize, de Balzac, en huit épisodes (douze heures quarante au total !), au classicisme de La Belle Noiseuse, du dépouillement de Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot au psychédélisme pop de Céline et Julie vont en bateau, son œuvre a connu les mues les plus extravagantes. Son unité, bien réelle pourtant, se manifeste en surface par une fidélité à ses actrices – Bulle Ogier, Juliet Berto, Jane Birkin, Geraldine Chaplin, Sandrine Bonnaire, Emmanuelle Béart, Jeanne Balibar… – et à ses scénaristes – Jean Gruault, Suzanne Schiffman, Pascal Bonitzer, Christine Laurent… De manière plus cachée, elle tient à une éthique de la mise en scène. En observant ses acteurs plus qu’en les dirigeant, en laissant filer les scènes sans couper, en évitant les gros plans – en refusant, en somme, de morceler l’espace, le temps, les corps –, Jacques Rivette préservait le mystère du monde, et des êtres qu’il filmait. En résulte des films longs, parfois très longs, des intrigues cycliques, qu’il aimait à truffer de messages codés, de manipulations en tout genre, parfois à double détente, de conspirations, souvent sans objet, mais qui pouvaient « susciter une réalité ». Cette dialectique du vrai et du faux se traduit aussi dans le rapport au théâtre, qui occupe une place très importante dans son cinéma. La Nouvelle Vague Fer de lance de la Nouvelle Vague, Jacques Rivette en a donné le coup d’envoi, en 1956, quand son court-métrage Le Coup du berger, tourné en 35 mm dans l’appartement de Claude Chabrol, est sorti en salles. Tout au long du demi-siècle qui a suivi, le cinéaste est resté fidèle à l’esprit de liberté qui caractérisa ce mouvement, et qui se traduisait chez lui par une quête incessante du dérèglement. Sur ses tournages, en particulier, il distillait une forme de désordre, d’inconfort, poussant ses acteurs à improviser, invitant tous ses collaborateurs à entrer dans la danse, espérant ainsi provoquer l’accident, actionner la magie du hasard. Né à Rouen, le 1er mars 1928, Jacques Rivette sort de l’adolescence quand l’Europe sort de la guerre, et l’horreur des camps éclate au grand jour. Son rapport au monde, et au cinéma, se forgera ainsi sous le signe de la perte de l’innocence, comme en témoigne son texte le plus célèbre, « De l’abjection » (publié en 1961 dans Les Cahiers du cinéma), où il esquisse une éthique de l’artiste moderne, dont le regard a été à jamais altéré par l’horreur (et dans laquelle la question de la représentation des camps constitue évidemment le point critique). Sur un ton volontairement polémique, qui contribua à son retentissement – le texte continue aujourd’hui encore d’enflammer les débats cinéphiles –, Rivette attaque le travelling opéré par Gillo Pontecorvo dans Kapo, au moment du suicide de la déportée qu’interprète Emmanuelle Riva : « L’homme qui décide à ce moment de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. » Poursuivant la réflexion sur la mise en scène entamée par Luc Moullet (« la morale est affaire de travelling ») et Jean-Luc Godard (« les travellings sont affaire de morale »), il oppose à l’« abjection », ainsi disqualifiée, la justesse du point de vue de l’auteur, qui est aussi un rapport au monde. Avec Truffaut, Chabrol et Godard, qu’il rencontre à la Cinémathèque à son arrivée à Paris, en 1949, et avec qui il fonde La Gazette du cinéma, Rivette pose les fondements de la politique des auteurs, et du « hitchkoco-hawksisme » – doctrine qui visait à établir une égalité de statut entre, d’un côté, Hitchcock et Hawks, à une époque où ils étaient considérés comme des faiseurs à la solde des studios, et Balzac de l’autre. Inventeur de dispositifs Contrairement à ses camarades, il a déjà réalisé un court-métrage, Aux quatre coins, à Rouen, en 1949. Entre 1950 et 1954, il en tourne deux autres, travaille comme assistant de Jean Renoir sur French Cancan, opère la lumière sur des courts-métrages de Truffaut et Rohmer qui se sont lancés entre-temps. Après Le Coup du berger, il met en chantier son premier longmétrage, Paris nous appartient, qu’il peinera longtemps à faire financer. Cette difficulté, qui lui collera à la peau tout au long de sa carrière, le poussera à inventer des dispositifs permettant d’exprimer plus avec moins de moyens, comme l’explique Martine Marignac, la productrice de ses derniers films. Sur Jeanne La Pucelle, « Jacques a dit qu’il ne voulait pas filmer des batailles mais “une idée de bataille”. (…) [Il] sait qu’on se situe dans un système économique hors du système classique – qui, de toute façon, ne l’intéresse pas » (Jacques Rivette, secret compris, par Hélène Frappat, édition Cahiers du cinéma, 2001). Comme tous les titres des films de Rivette, Paris nous appartient renvoie à une référence cachée, une phrase de Charles Péguy en l’occurrence, « Paris n’appartient à personne ». Enquête paranoïaque dont l’objet, éclaté entre les trajectoires de dizaines de personnages, se dérobe en permanence, ce film met en crise le rapport traditionnel au spectateur. Celui-ci, comme le pose Gilles Deleuze dans L’Image-temps (Editions de Minuit, 1994), n’arrive plus à s’identifier à ces figures « flottantes » de marginaux que sont les personnages, ni à trouver ses marques dans un Paris privé de ses repères habituels. Putsch aux « Cahiers du cinéma » Aux Cahiers du cinéma, la sûreté de son jugement, la rigueur de son écriture inspirent le respect. « J’avais la réputation d’être le Saint-Just de l’époque », concède-t-il à Serge Daney, dans le documentaire Jacques Rivette, le veilleur, de Claire Denis (réalisé dans le cadre de la série « Cinéastes de notre temps »). Désireux de faire basculer la revue dans la modernité, il se heurte, à partir de 1962, à Eric Rohmer, le rédacteur en chef, mettant en question sa « fascination » (et celle de toute une partie de la rédaction) pour la beauté du cinéma classique américain, appelant au contraire les critiques à se placer dans un rapport de « compréhension ». Rivette, qui veut ouvrir les pages à la modernité européenne et aux nouveaux cinémas qui émergent dans le monde entier, ainsi qu’à d’autres disciplines artistiques et intellectuelles, prend le pouvoir à l’issue d’un « putsch ». Il imprime à la revue un virage théorique qui va la structurer en profondeur, et pour longtemps – et que symbolise une série d’entretiens avec des personnalités extérieures au cinéma comme Roland Barthes, Claude Lévi-Strauss et Pierre Boulez. L’épisode, pour autant, est bref. En 1965, après un an et demi passé à la rédaction en chef des Cahiers du cinéma, il revient à la mise en scène pour de bon et adapte La Religieuse de Diderot (qu’il avait déjà montée au théâtre deux ans plus tôt). Illuminé par la présence d’Anna Karina, ce film d’une austérité monacale n’avait rien d’un 1ER MARS 1928 Naissance à Rouen 1953 Premier article dans « Les Cahiers du cinéma » 1961 Sortie de « Paris nous appartient », tourné en 1958 1967 Sortie de « Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot », après la levée de la censure 1971 Projection unique des douze heures de « Out 1 », qui ne sortira sous cette forme qu’en 2015 1991 Succès critique et public de « La Belle Noiseuse » 29 JANVIER 2016 Mort à Paris brûlot mais s’est heurté à la censure avant même d’être achevé. En en interdisant l’exploitation, le gouvernement déchaîne les passions du milieu du cinéma, Godard en tête, qui adresse, dans les pages du Nouvel Observateur, une lettre vitriolée à André Malraux, surnommé pour l’occasion « ministre de la Kultur ». Au terme d’une bataille juridique, le film obtient l’autorisation d’être diffusé en 1967, assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans, et devient instantanément le plus grand succès de son auteur. La censure ne sera intégralement levée qu’en 1975. A l’issue de cette affaire, Rivette remet en question le primat du scénario. Pourquoi les acteurs ne seraient-ils pas le moteur du film ? Ou la musique ? Et pourquoi pas les décors ? Le portrait de Jean Renoir, Jean Renoir, le patron, qu’il réalise alors pour la série « Cinéastes de notre temps », en adoptant la méthode de Renoir, c’est-à-dire en laissant venir les choses, en l’occurrence la parole du maître, sans rien imposer, lui permet d’expérimenter ce qui va devenir sa marque de fabrique : un cinéma d’improvisation, de dialogue entre et avec les comédiens. Ces derniers, dorénavant, seront souvent crédités comme scénaristes de ses films. Période expérimentale Avec 1968, Rivette plonge dans une période expérimentale dont il n’émergera qu’au tournant des années 1980. Avec L’Amour fou, et plus encore avec Out 1, il s’essaye à des récits déstructurés, improvisés, gravitant autour des séances de répétitions d’une troupe de comédiens. En injectant dans la fiction des gestes déphasés, des actions non naturelles, le théâtre fait exploser le réalisme. Pour Out 1 : Noli me Tangere, le cinéaste s’inspire de la méthode de Jean Rouch : des acteurs qui inventent leurs propres personnages. Dans cette fresque romanesque inouïe – près de 13 heures découpées en huit épisodes, qui seront réduites à quatre heures quinze dans la version « courte », Out 1 : Spectres (qui peut être considérée comme son chef-d’œuvre) –, il s’affranchit des limites admises du récit cinématographique pour embarquer son spectateur dans une expérience de fiction hors normes, dont il parie à raison qu’il sortira transformé. Vient ensuite une séquence occulte, qui commence avec Céline et Julie vont en bateau, sorte d’Alice au pays des merveilles sous acide où, chaque fois qu’elles gobent un petit bonbon, Juliet Berto et Dominique Labourier atterrissent dans un monde parallèle bizarre, peuplé de personnages fantomatiques au teint verdâtre, avec qui elles revivent la même scène sous des angles différents. En faisant coexister ainsi les vivants et les spectres, comme il fera coexister dans Duelle, le film suivant, la lune et le soleil, Rivette met en scène la dualité et l’ambivalence du monde. Premier volet d’une tétralogie intitulée « Les Filles du feu », qui ne comptera finalement que trois films, Duelle sera culture | 17 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 « Le champion du geste libre » Collaborateurs et admirateurs réagissent à la disparition du cinéaste A travers son goût du jeu et de l’expérimentation, Jacques Rivette a fait bifurquer l’histoire du cinéma. Pour Le Monde, une dizaine de compagnons de route évoquent le parcours du cinéaste. Pascal Bonitzer : « Les films étaient constitués comme des complots » Critique, scénariste et cinéaste, il a coécrit tous les films de Rivette de 1984 à 2006 : « J’ai fait sa connaissance aux Cahiers du cinéma, en 1969. Il y était assez présent, dans une position de maître à penser ludique. Plus tard, sa productrice Martine Marignac nous a mis en contact pour ce qui est devenu L’Amour par terre. Sa méthode était de tourner un scénario écrit au fur et à mesure du tournage. Elle me semblait intéressante et dangereuse. On avait le sentiment d’écrire sur le fil, sans filet. J’ai apprécié cette liberté. Jacques m’a donné le goût des dialogues. Sans lui je n’aurais pas réalisé de films. C’était un metteur en scène très tenace. Il lui fallait une complicité avec ses collaborateurs, le directeur de la photo, le scénariste, les comédiens. Cette complicité reposait sur son charme, sur sa capacité secrète de manipulation. Pour ce balzacien, les films étaient constitués comme des complots contre la façon dominante de faire des films. Chaque film était un défi à relever : la comédie musicale dans Haut, bas, fragile, l’histoire dans Jeanne la Pucelle, la peinture et Balzac dans La Belle Noiseuse. Sur 36 vues du pic Saint-Loup, nous écrivions toujours au jour le jour. Mais il avait perdu la mémoire immédiate, il ne se souvenait pas de ce qu’il avait tourné la veille, c’était terrible et douloureux. Jacques n’aimait pas la mort, il n’a jamais assisté à un enterrement. Il était tourné vers le présent et l’avenir immédiat. » DENIS DARZACQ/AGENCE VU suivi de Noroît, une histoire de vengeance dans un monde de filles pirates, et, trois décennies plus tard, par Histoire de Marie et Julien, variation sur Vertigo d’Hitchcock. « Le monde comme une idée » Avec la fin des années 1970 vient la fin des folies. La grisaille bleutée du Pont du Nord, un de ses plus beaux films, en signe symboliquement le deuil. Cette filature dans un Paris en friche (les terrains vagues en construction aux abords du canal de l’Ourcq) qui réunit Bulle Ogier, sa fille Pascale Ogier (morte quelques brèves années plus tard) et Pierre Clémenti, l’ange noir de l’underground des années 1970, signale le début d’un nouveau chantier dans lequel, sans renoncer à expérimenter, le cinéaste va embrasser des formes plus classiques. Le théâtre reste présent (L’Amour par terre, La Bande des quatre, Va savoir !). Mais la grande forme de cette glorieuse période, et des plus grands films qui la composent – Jeanne la Pucelle I et II, Haut, bas, fragile, Secret Défense, Va savoir !, Ne touchez pas la hache –, sera le roman d’apprentissage féminin, forme avec laquelle Rivette, depuis Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, parlait le plus volontiers de lui. Il y eut aussi La Belle Noiseuse, histoire de magnétisation réciproque d’un peintre et de son modèle, dans laquelle il explorait métaphoriquement, mais tout aussi matériellement qu’un sculpteur sa glaise, le rapport entre le cinéaste et son actrice. Car, comme il l’écrivait dans Les Cahiers du cinéma (« Revoir Verdoux », août 1963) : « Quel est le but du cinéma ? Que le monde réel, tel qu’offert sur l’écran, soit aussi une idée du monde. Il faut voir le monde comme une idée, il faut le penser comme concret. » p isabelle regnier Jean Narboni : « Un exemple de rigueur, de tranchant » Critique, il a écrit à partir de 1963 aux Cahiers du cinéma, sous la direction de Rivette : « Rivette était pour moi le plus grand critique des Cahiers. Un exemple de rigueur, d’écriture, de tranchant. On ne pouvait le voir qu’à condition de travailler avec lui. Il était littéralement immergé dans le cinéma, ce qui ne l’empêcha pas d’ouvrir les Cahiers à d’autres disciplines, comme la psychanalyse ou le structuralisme. Un jour, il s’était mis en tête, de manière un peu délirante, de travailler le rapport du cinéma aux mathématiques : nous avons dû nous y mettre, à raison de quelques cours par semaine, mais ça n’a heureusement pas duré trop longtemps. » Jean-Louis Comolli : « Le rire du chat d’Alice » Critique et cinéaste, il a dirigé Les Cahiers du cinéma de 1966 à 1971, à la suite de Rivette : « Jacques était un rieur. Je me souviens voir son rire pour ainsi dire détaché de son visage, flottant, le rire du chat d’Alice, insituable. Ni mépris, ni supériorité, un étonnement, seulement, celui d’un enfant qui aimait filmer les femmes et qui n’avait pour cela besoin d’aucun laissez-passer de scénario. Rivette filme à peu près toujours la même situation : celle de l’improbable rencontre de chacun (chacune) avec son autre. Les chemins se croisent et les corps s’évitent, et voilà pourquoi ça dure, pourquoi ça n’a pas de fin. Tout est aimanté, les corps, les paroles, les gestes, les nuages, tout s’attire sans s’atteindre. » André Téchiné : « J’étais fasciné par ses rituels magiques » Critique et cinéaste, il a côtoyé Rivette aux Cahiers du cinéma, puis sur le tournage de L’Amour fou (1968), où il fut assistant réalisateur : « C’est Rivette qui a insisté pour que Les Cahiers publient ma première critique, sur La Peau douce, de Truffaut. J’ai eu l’occasion de le croiser, à la revue. Il adorait les films qui “partent dans tous les sens”, comme il disait en jubilant. Le tournage de L’Amour fou a été pour moi le contraire d’une école. J’étais fasciné par ces rituels magiques et enfantins qui se mettaient en place devant moi. Ses films étaient des expériences radicales, follement excitantes, l’équivalent d’un abandon. Je ne connais pas un cinéaste qui se protège moins que lui. » Axelle Ropert : « C’était l’intransigeance même » Critique et cinéaste, elle a réalisé deux longs-métrages : « Rivette, c’était l’intransigeance même. Elle nous manque parce qu’elle se doublait mystérieuse- ment d’un sens inouï de la rêverie. On dit souvent que les grands rêveurs sont bien gentils, mais qu’ils sont loin du monde. Et moi je dis : comment peut-on être un grand rêveur si ce n’est justement en observant le monde ? » Christine Laurent : « Comme un danseur inventant ses figures sur le rythme de la mélodie » Actrice, scénariste et cinéaste, elle a coécrit neuf films de Rivette, de 1989 à 2009 : « Jacques voulait que ses films soient une aventure pour son équipe et ceux qui les verraient. Nous, ses complices de travail, nous étions comme des sœurs et des frères, conspirant à construire des histoires d’adultes, avec l’énergie et la gravité de l’enfance. Agencer les histoires et les dialogues, mettre en scène, monter, toutes ces phases ne formaient qu’un arc. Et lui seul détenait l’intégralité du geste. Au moment de tourner, il était à l’affût, prêt à capturer l’imprévu, le presque rien qu’il transformerait en occasion. Il ressemblait à un danseur inventant ses figures sur le rythme de la mélodie qu’il avait en tête. Aussi, de son corps à celui de ses acteurs, se transmettait une sorte de fluide qui enchantait la séquence. C’était le champion du geste libre. » p propos recueillis par clarisse fabre, jacques mandelbaum, franck nouchi, thomas sotinel et aureliano tonet Retrouvez l’intégralité des réactions sur LeMonde.fr Bulle Ogier : « Il disparaissait deux jours… puis revenait » Actrice, elle a joué dans sept films de Rivette, de 1969 à 2007 : « Je voudrais parler du bonheur d’avoir rencontré Jacques, je ne veux pas rester dans ma tristesse, qui est pourtant très grande. Ce bonheur, c’était de préparer les films avec lui, autour d’une table, à partir d’inspirations, de discussions littéraires, d’une idée qui l’emmenait vers autre chose. Sur un tournage, il pouvait disparaître deux jours, les producteurs le cherchaient partout, inquiets… Puis il revenait. » Marcel Bozonnet : « Une culture immense, sans surplomb » Comédien, il a joué dans Out 1 (1971) et Jeanne la Pucelle (1994) : « J’ai été un collaborateur occasionnel, un homme de théâtre qui a frôlé son univers. Je me souviens de sa gentillesse, de sa culture immense. Il pouvait passer une soirée à refaire l’histoire du kodachrome ! Il y avait chez lui quelque chose qui poussait vers la camaraderie, il était disponible, ne surplombait pas les personnes. » TÉLÉRAMA COUP DE CŒUR André Marcon : « Il s’est mis à réciter “L’Après-midi d’un faune” » Comédien, il a joué dans trois films de Rivette, de 1994 à 2009 : « Avec Jacques, j’ai vécu des tournages heureux, ce qui est exceptionnel. Il avait la légèreté, la gravité, la précision. Un jour, sur Haut, bas, fragile, on a eu un problème technique. Il s’est assis sur un lit, et s’est mis à réciter L’Après-midi d’un faune, le poème de Mallarmé. Pendant ce temps, les techniciens ont résolu le problème. C’était merveilleux. » Martine Marignac : « Il arrivait avec une idée, sans prévenir » Productrice, elle a collaboré avec Rivette de 1981 à 2009 : « Au fil du temps, la méthode de Jacques n’a guère changé. Il arrivait avec une idée, sans prévenir. Cette idée était souvent un désir de comédien. Il avait suffisamment d’intuition et de connaissance pour ne pas se tromper. Pendant le tournage de 36 vues du pic Saint-Loup, il était conscient d’être Julie Bertuccelli dans ELLE UN FILM DE NAËL MARANDIN QIU LAN CRÉATION Jacques Rivette, en 1998. malade. Toute l’équipe était au courant, l’a aidé. Cette notion de troupe a joué à plein. C’était un homme de culture dans un sens que l’on ne connaît presque plus aujourd’hui, qui récitait par cœur des pages entières de Balzac. La maladie est tombée sur cette mémoire d’éléphant. On a vécu ça comme la pire des mutilations possibles. » YA N N I C K C H O I R AT /LaMarcheuse LOUISE CHEN PHILIPPE LAUDENBACH AU CINÉMA LE 3 FÉVRIER REZOFILMS.COM 18 | culture 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Entre fusion et confusion, le raï s’emmêle les micros Au Zénith de Paris, le concert célébrant les 30 ans de l’émergence du genre en France a laissé un sentiment mitigé MUSIQUE K adher est venu avec Najim, depuis Amiens, pour fêter « les 30 ans du raï », vendredi 29 janvier, au Zénith de Paris. Ils ont eux aussi la trentaine, et espèrent une belle fête qui rassemble. « J’avais un peu peur, parce que cette musique a toujours été menacée par les terroristes, mais il y a un bon service d’ordre ici, c’est rassurant. C’est dur pour nous les musulmans, mais moi j’aime tout le monde, les juifs, les chrétiens… On est là pour s’amuser et oublier tout ce qui se passe en ce moment ! » Les deux amis ont, comme beaucoup, entendu parler du festival de raï de janvier 1986 donné à la Maison de la culture de Bobigny, qui avait révélé en France les étoiles montantes de la scène oranaise, Cheb Khaled, Cheba Fadela, Cheb Mami ou encore Cheikha Rimitti. Khader et Najim venaient de naître. Trente ans plus tard, ils comptent bien entendre quelques « anciens », adulés de leurs parents, mais surtout se déhancher sur les rythmes « Raï’n’B » et les vocalises électroniques de leurs idoles, qui passent en boucle sur Skyrock ou Beur FM. C’est là le défi de Michel Lévy, l’organisateur de l’événement : faire cohabiter les générations et prouver que le raï n’est pas mort. C’est aussi l’espoir que caresse Jack Lang, qui s’éclipse aux prémices du concert, pour aller boire un verre à l’extérieur ; dans la salle, il n’y a pas d’alcool, et les jeunes se consolent avec des bouteilles d’eau et des cannettes de soda. Le président de l’Institut du monde arabe affiche son sourire radieux : « C’est une nation unie et multiple qui chante. Cet héritage africain, hébraïque, berbère, nous devrions le faire nôtre. Ce concert est un hymne à la fécondation mutuelle. » Nous aussi on a envie d’y croire, et pourtant, en pénétrant à l’intérieur du Zénith, on a un petit pincement au cœur, malgré le bon esprit qui règne dans le public. Audessus d’une fosse clairsemée, quelques drapeaux algériens dansent dans les airs. Sur scène, des écrans diffusent un terne jeu de lumières aléatoires, et DJ Kim, l’animateur de Beur FM, joue au Monsieur Loyal, s’agite, tente de faire grimper la température : « Faites du bruuiiiit, le Zéniiiith ! » Après les tristes blagues de l’humoriste Yaniss Kebab, arrive la Rachid Taha, vendredi 29 janvier, au Zénith de Paris. FRANCIS VERNHET/DALLE APRF Tout est millimétré, pas de place pour l’improvisation, alors que le lâcher-prise est l’essence même du raï jeune et belle Fella Japonia, dans sa longue robe émeraude. Sa voix trempée transperce l’orchestre ; son pop raï raconte l’amour et la nostalgie du pays. Fella Japonia doit son nom d’artiste à ses grands yeux bridés. Elle a étudié au conservatoire de Tlemcen et s’est imprégnée des mélismes des chanteuses ancestrales Meddahat oranaises, ces ensembles féminins qui chantent les louanges au prophète. « En Algérie, c’est encore mal vu de chanter quand tu es une femme, tu te fais insulter, dit-elle. Dans le raï, je m’exprime comme je veux, sans détours, j’aime, je bois, je raconte les difficultés de la vie, je donne tout. » Son mari, Yacine Allag, est son premier fan. Ancien plombier chauffagiste, il est à la fois son parolier et son manager. Mais tous deux sont un peu frustrés car elle n’a pu chanter que deux chansons. Ici, tout est milli- métré, pas de place pour l’improvisation, alors que le lâcher-prise est l’essence même du raï. Fella Japonia remercie les musiciens qui vont jouer pendant trois heures. Le chef d’orchestre aux claviers et aux machines, Amine Dehane, anime une émission de musique live sur la première chaîne algérienne. Il s’est entouré de grands noms, comme Djaffar Bensetti, le trompettiste de Khaled, majestueux en costume trois-pièces, et de l’oudiste et violoniste Nasro Begdhad, un fidèle de Mami. « On s’est fait carotter » Khaled, Mami, Faudel : tous ici se demandent si l’un d’eux viendra. A chaque fois que DJ Kim annonce une vedette, les yeux brillent dans la foule. Mais les hommages pleuvent, et toujours pas de chanteur de légende. C’est au tour du jeune Serani d’entrer en scène. Il reprend Ghi Cheftha Khatfat, de Cheb Hasni, assassiné en 1994, à Oran, par des fondamentalistes. Dans la salle, des petits groupes font la ronde. D’autres, la mine déconfite, quittent le navire. Assise sur les gradins, Soraya, 56 ans, est venue de Bruxelles pour revoir les anciens. Elle était à Bercy le 26 septembre 1998 lors du fameux concert 1, 2, 3 Soleils, avec Faudel, Khaled et Taha : « C’était grandiose, et Rachid Taha, comme il était sexy ! Là, c’est bien toute cette jeunesse, je suis rassurée de voir qu’il y a beaucoup de femmes qui s’amusent, mais je ne m’y retrouve pas. J’espère une apparition… » Soraya s’arrête net au son d’une nouvelle voix : Youness, qui avait enflammé l’émission « The Voice » en 2014 avec la chanson Abdel Kader, serait-il la réincarnation de Cheb Mami ? Le nouveau poulain de Michel Levy est l’une des stars de la soirée. Sourire, regard de velours, belle tessiture, le jeune prince capte l’auditoire. L’orchestre se fait plus intime, la trompette andalouse de Djaffar embrasse l’oud subtil de Nasro, et voici Cheb Hamid, vieux compagnon de Khaled, qui était à Bobigny trente ans plus tôt. Mais l’accueil est assez froid, Cheb Hamid est méconnu chez les plus jeunes. Le miel nous est vite confisqué, Rami le magicien fait son entrée. Il devait faire disparaître une colombe, il fait surgir les huées du public et se réfugie avec son oiseau côté jardin. Un membre du staff prend le micro pour démen tir une rumeur qui circule depuis quelques jours sur les réseaux so ciaux : les bénéfices de la soirée serviraient à financer une école en Israël, ce qui expliquerait pourquoi certaines stars programmées auraient boycotté le concert… De fait, la moitié des artistes annoncés ne sont pas venus. Parmi les absents : Cheba Fadela, la grande Zahouania, Mister you, Dj Sem, Rim-K, Cheb Khalas… Les huées reprennent de plus belle, la fusion fait place à la confusion. C’est dans cet étrange climat que Rachid Taha rallume l’électricité. Avec son chapeau, ses lunettes et sa veste de la garde royale, il balaye les polémiques d’un revers de rock’n raï. Droit dans ses bottes, il prévient en arabe : « Moi, je n’ai pas besoin de faire de discours, la réponse, elle est devant moi, et qu’il aille au diable celui qui ne nous aime pas ! » Avant d’entonner son hymne chaâbi, Ya Rayah, repris par toute la salle. Taha fait durer, honore les musiciens, joue bruitiste, post-punk, déchaîne la tradition, laisse place à un émouvant solo de trompette improvisé, donne enfin du sens à cette histoire, comme s’il était le seul capable de réunir et de donner son opinion – juste traduction du mot « raï ». Fin du show, lumière blanche, silence fracassant. Quelques personnes jettent des bouteilles d’eau et protestent : « On s’est fait carotter ! Moi je suis venu avec ma sœur de Lyon, on a payé 38 euros, et tous ceux qu’on voulait voir ne sont pas là ! Ils ont tué le raï ce soir, c’est dommage pour la France. » En coulisse, autre son de cloche. Un Japonais, paisiblement assis, savoure : « C’était magnifique. Cette musique me fait flotter dans le ciel. L’Algérie a tant de choses à donner. » p aurélie sfez A Angers, les vents tristes et les fjords glacés occupent les écrans Le festival Premiers Plans offre jusqu’au 31 janvier une belle sélection de films islandais à l’univers aussi singulier que leur île CINÉMA angers L’ Islande des films est une mère possessive, que l’on adore sans pouvoir la quitter, avec laquelle on vit en rêvant qu’on la quitte. Les cinéastes qu’elle voit naître la délaissent pour apprendre le métier ailleurs (faute, pour l’heure, d’une véritable école sur place), puis reviennent – et le cinéma qu’ils inventent alors ne ressemble à aucun autre. Au 28e festival Premiers Plans d’Angers, une sélection islandaise mêlant films de patrimoine et avant-premières en offrait du 22 au 31 janvier un bel échantillon, qui disait sur tous les tons et dans tous les genres cette réticence à couper le cordon. Même les plus aimants des enfants de l’Islande, ceux qui rimaillent pour chanter sa beauté, sentent la poudre d’escampette. Anna, dans Back Soon (2008), de Solveig Anspach, une poétesse lo- cale adulée par un étudiant français, est consommatrice enthousiaste de marijuana – et trafiquante à succès. Dans Life in a Fishbowl (2014), de Baldvin Zophoniasson, l’écrivain et le poivrot local sont une même personne, Mori, qui entre deux déclamations sublimes s’effondre sur le zinc, le nez dans la bière. Chanter l’Islande ne semble pouvoir se faire que dans la brume d’un paradis artificiel. Même sans être poète, on boit beaucoup dans ces films, et l’on s’y drogue plus encore. C’est bruyant et potache dans Back Soon, silencieux et terrible dans Sparrows (2015), de Runar Runarsson, poignant tableau d’adolescence qui pourrait ressembler à tous les autres et reste constamment en état de grâce – peut-être parce que, au-delà du jeu délicat du jeune Atli Oskar Fjalarsson, le paysage d’Islande, avec sa lumière singulière, ses larges étendues aux couleurs claires et froi- Le procédé souvent assez fade du film choral trouve en Islande plus de sens qu’ailleurs des, la voix triste de ses vents, habite le film à la manière d’un personnage. Quitter l’Islande, quitter sa mère, c’est parfois le même combat, littéralement. L’Histoire du géant timide (2015), de Dagur Kari, et celle de 101 Reykjavik (2000), de Baltasar Kormakur montrent deux hommes, quadragénaire et trentenaire, toujours coincés sous le toit maternel. « La seule raison pour laquelle les gens vivent ici, c’est qu’ils y sont nés », observe, fataliste, le héros de 101 Reykjavik. Quant à Fusi, le « géant timide », il passe sa vie à ranger des bagages dans les avions sans jamais y monter : à chaque pas vers la passerelle, il est retenu par une meute de profiteurs – collègue, amoureuse, sa mère évidemment – qui abusent de sa gentillesse et de ses talents de bricoleur. Se connaître sans se connaître Le groupe est peut-être plus difficile à quitter que la terre. Si le lancinant, presque dépressif Life in a Fishbowl a connu un triomphe national, c’est peut-être que le procédé souvent assez fade du film choral trouve en Islande plus de sens qu’ailleurs. Tous les personnages qui se croisent se connaissent sans se connaître. Dans les grands espaces faiblement peuplés de l’île, l’autre est trop rare pour qu’on le manque, mais on le voit de loin. A l’écran, cette semi-familiarité curieuse qui innerve les échanges est renforcée par l’éternel retour des mêmes acteurs – Ingvar Eggert Siguros- son, par exemple, joue dans Des chevaux et des hommes (2013), Jar City (2006), Back Soon et la série « Trapped ». On dit partout que le cinéma est un petit milieu, c’est sans doute encore plus vrai dans une île. Chaque personnage sait l’arbre généalogique du voisin, sans que cela soit la marque d’un intérêt réel. C’est plutôt celle d’un mirage né des vastes solitudes de glace : on sait s’appeler par son nom, cela suffit peut-être à croire qu’on vit ensemble. Raison pour laquelle, peut-être, il semble parfois plus aisé de murmurer à l’oreille des chevaux (Des chevaux et des hommes) ou des Béliers (sorti en France le 9 décembre 2015). Connaissant en Islande une vogue identique à celle qui anime le Danemark ou la Suède, le polar également prend dans cette vie en lointain voisinage des formes singulières que Baltasar Kormakur travaille élégamment sur grand et petit écran. Dans Jar City, la rumeur file plus vite que les voitures de police et ne laisse aux enquêteurs que des suspects avertis, qui ont eu le temps de se composer un discours. Dans le premier épisode de « Trapped », dont la date de diffusion française n’est pas encore connue, la même chaîne humaine s’esquisse, mais c’est l’île qui vient au secours de ses fils, retenant par une tempête de neige le ferry danois que les policiers locaux n’avaient pas réussi à garder au port. On ne s’évade pas si facilement d’Islande. Au générique inaugural, Baltasar Kormakur s’amuse à monter en parallèle des vues de l’île filmée du ciel et de très gros plans sur la peau d’un cadavre, blanche et marbrée de veines noires, sans que l’on distingue bien la terre du mort. Il ne sera pas simple de trouver des indices dans l’île, tant les hommes y font corps avec le paysage. p noémie luciani télévisions 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 | 19 La série documentaire « Making a Murderer », diffusée sur Netflix, réalimente le débat sur les failles du système pénal américain Graine de coupable L e titre annonce la couleur sans fard : « Making a Murderer », ou comment fabriquer un meurtrier aux yeux de la loi. Depuis sa sortie, le 18 décembre 2015 sur la plate-forme Netflix, la série documentaire « Making a Murderer » ulcère la chaîne de télévision Fox News, alimente des débats dans tous les médias américains et électrise les réseaux sociaux. On y joue au détective, on y refait l’enquête, on y réinterprète les documents judiciaires du procès de Steven Avery, condamné à l’emprisonnement à vie pour meurtre ; on s’indigne des failles du système pénal américain révélées au cours de ces dix heures de film, ou on accuse de partialité ses deux réalisatrices, Moira Demos et Laura Ricciardi. Il faut reconnaître que « Making a Murderer » est un document stupéfiant, si l’on veut croire au concept de justice. Au fil du mois de janvier, révoltés par l’histoire judiciaire de Steven Avery et de son neveu Brendan Dassey, que conte « Making a Murderer », près de 500 000 citoyens ont signé des pétitions demandant à Barack Obama et à l’Etat du Wisconsin la grâce présidentielle ou la révision de son procès. La Maison Blanche vient de rappeler que seul un crime fédéral peut être du ressort du président, ce qui n’est pas le cas ici ; le gouverneur du Wisconsin a dit ne vouloir gracier aucun des deux hommes, tous deux condamnés pour le meurtre d’une jeune femme, Teresa Halbach, un après-midi d’Halloween, en 2005, dans le comté rural de Manitowoc (Wisconsin). En termes d’images, tout commence par une explosion de joie. On est en 2003, Steven Avery est cerné par des caméras de télévision : il retrouve les siens, à l’entrée de l’immense casse automobile que sa famille possède dans une carrière située à l’extérieur de la ville. Il vient d’être libéré après dix-huit ans passés derrière les barreaux pour un viol qu’il n’avait pas commis. L’ADN, que l’on ne savait pas exploiter en 1985, l’a innocenté, incriminant un autre homme du comté – déjà fiché par les services du shérif, en tant qu’agresseur sexuel – qui a reconnu les faits. L’histoire devrait s’arrêter là, la série documentaire ne pas exister. Ce devrait être une fin, pas un début. Pourtant, moins de deux ans après cette libération, en 2005, le bureau du shérif arrête de nouveau Steven Avery, l’accusant cette fois du meurtre de Teresa Halbach, sur le terrain de la casse automobile où vit toute la famille. Coïncidence ou non, quelques semaines avant cette nouvelle incarcération, Steven Avery avait porté plainte contre ce comté, qui, vingt ans auparavant, avait fait de lui un coupable évident. A ce titre, il réclamait 36 millions de dollars de dommages et intérêts. Steven Avery clamera toujours son innocence, expliquant avoir été piégé, grâce à de fausses preuves, par ceux-là mêmes qu’il venait d’attaquer en justice et à qui il demandait réparation. C’est alors qu’entre en scène le couple de réalisatrices de « Making a Murderer » : diplômées en cinéma, elles découvrent dans le New York Times, en novembre 2005, un article titré « Libéré grâce à l’ADN, maintenant accusé d’assassinat ». « Nous voulions en savoir plus. Nous sommes parties dans le Wisconsin pour une semaine, pour voir s’il y avait matière à une histoire. Nous sommes arrivées le 5 décembre, le 6 nous commencions le tournage », ont expliqué Moira Demos et Laura Ricciardi au magazine américain Vulture, en décembre 2015. Intriguées par ce qu’elles commencent à découvrir – Laura Ricciardi était avocate avant d’étudier le cinéma –, elles emménagent sans plus attendre à Manitowoc, décidant de financer elles-mêmes leur documentaire. Dix ans derrière la caméra Quatre mois plus tard, elles s’apprêtent à repartir pour New York afin d’y monter leur film, lorsque intervient un coup de théâtre. Au terme d’interrogatoires très orientés, comme la police a appris à les mener depuis les années 1970 (la technique Reid), un neveu de Steven Avery, Brendan Dassey (16 ans, au retard mental notable), avoue avoir été le complice de son oncle. Et conforte d’autant l’accusation contre « l’ancien libéré ». Les documentaristes resteront un an et demi de plus sur place, avant de passer à des allers-retours mensuels entre Manitowoc et New York. Cette affaire d’une petite semaine, « pour voir », va finir par les retenir dix ans derrière la caméra. Jusqu’à aujourd’hui. Leur projet : non pas démontrer l’innocence de Steven Avery dans ce second dossier, insistent-elles sur les réseaux sociaux, mais enquêter, à travers lui, sur les failles du système pénal de leur pays. « Steven représentait une fenêtre absolument unique pour scruter le système, a précisé Laura Ricciardi au magazine Vulture. Au début, nous n’avi- Steven Avery, condamné à l’emprisonnement à vie pour meurtre, est au cœur de la série diffusée par Netflix « Making à Murderer ». NETFLIX Les réalisatrices Moira Demos et Laura Ricciardi captent, entre 2005 et 2015, un paysage social, familial, voire moral et psychologique de l’affaire ons aucune opinion quant à sa culpabilité ou à son innocence. Le fait que, dans une première affaire, Steven avait été attaqué par le système, qu’il tentait de le réformer et d’en pointer du doigt les responsables entraînait une foule de questions. Quelqu’un ayant une telle motivation pouvait-il commettre ce genre de crime ? Ou, autre question, est-ce parce qu’il tentait de changer le système qu’il le voyait se retourner contre lui ? Dans les deux cas, il y avait une histoire. » Pas de discrimination raciale Soucieuses de ne pas être accusées de présenter le seul point de vue de Steven Avery et de sa famille, les deux réalisatrices décident, dès le départ, de fonder leur documentaire sur les pièces à conviction retenues par le procureur, donc en faveur de l’accusation de meurtre. Difficile, pour autant, de suivre « Making a Murderer » sans être atterré par ce que les avocats découvrent… Pas de discrimination raciale ici, comme dans « Un coupable idéal », la série oscarisée du Français Xavier de Lestrade. « Making a Murderer » serait plutôt le miroir inversé de son autre impressionnante série documentaire, « The Staircase » : jouent ici, en ligne de basse, les composantes d’une discrimination sociale qui jamais ne déclare son nom. A l’encontre d’une famille assimilée à de la graine de criminels. Force est de reconnaître, souligne dans le documentaire l’avocate commise d’office en 1985 auprès de Steven Avery, que cette famille avait fort mauvaise réputation. Non seulement le casier judiciaire de Steve n’était pas vierge (vols, maltraitance à animal…), mais tout le clan Avery rebutait. Chez ces gens-là, on n’a aucun sens du savoir-vivre et du vivre-ensemble, expliquet-elle en résumant le sentiment des gens qui comptent à Manitowoc : on fait des gosses à tout-va, on s’habille n’importe comment (et ne porte même pas de sous-vêtements, dans le cas de Steven), on ne va quasiment pas à l’école, on ne participe à aucune activité de la ville… Mauvaise graine pour la communauté, bonne graine pour la prison. Après trois ans de tournage, Laura Ricciardi et Moira Demos envisagent de monter tout le matériau accumulé en un documentaire. Un film de deux heures au moins, estiment-elles, au vu des pièces qui continuent de s’accumuler. « Formidable travail », « incroyable », leur répondent des chaînes comme HBO ou PBS, qui les encouragent plutôt à en faire une série… Mais qui dit « série », à l’époque, pense « fiction », et rien n’aboutit. Les réalisatrices finiront par se tourner vers Netflix, en 2013, la plateforme produisant maintenant elle-même des films ; au vu de trois épisodes, accord est passé pour un documentaire de huit heures, qui s’étendra finalement à dix. Interrogatoires et témoignages, entretiens avec les parents de Steven Avery ou avec ses avocats (500 heures), images des procès (presque 200 heures) : les documentaristes captent, entre 2005 et 2015, un paysage social, familial, voire moral et psychologique, de l’affaire, sans oublier l’aspect très aléatoire de ce que l’on nomme « preuves scientifiques ». Ces centaines d’heures sont montées en entretenant l’attention et l’intérêt du spectateur, malgré la rigueur apparente du propos, et surtout sans voix off. L’émoi, la fièvre que suscite « Making a Murderer » aux Etats-Unis devraient amener à une réflexion sur la façon dont chaque cour de justice fonctionne, dans chaque Etat, et, de manière plus large, sur les réformes à exiger des autorités pour un système pénal moins faillible, rappellent les deux documentaristes sur les réseaux sociaux. Mais le débat, voire l’hystérie, parfois, que suscite ce programme, amène presse et télévision à se focaliser avant tout sur leur documentaire, pour le prolonger. La chaîne Investigation Discovery, par exemple, promeut un nouveau concept qui a tout pour faire peur : l’« instamentary » (oxymore syncopé de « documentaire instantané »), un programme bâti à partir des grandes affaires judiciaires à la « une » dans le temps présent, pour y apporter de supposés compléments d’enquête dans les semaines suivantes. Le réseau NBC s’est associé avec cette chaîne spécialisée dans les faits divers pour présenter au public, sous peu, « des détails essentiels manquant à la série documentaire de Netflix »… Pendant ce temps, des avocats spécialisés dans les erreurs judiciaires tentent de trouver le nouvel élément qui leur permettrait de sauver Steven Avery et son neveu de la prison à vie. Pour leur part, Netflix et les deux documentaristes n’excluent pas de nouveaux épisodes, si de nouvelles révélations le justifiaient. Ce qui n’est pas exclu, notamment de la part de jurés. p martine delahaye 20 | télévisions 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Bouchra Réjani, femme de valeurs La dirigeante de Shine France, qui produit « The Voice », « préfère le silence de l’action au bruit des déclarations » PORTRAIT D iscrète, la directrice générale de Shine France, dont le programme-phare, « The Voice », revient, samedi 30 janvier, sur TF1, pour une cinquième saison, accorde peu d’entretiens. Moins en raison d’un emploi du temps chargé, entre ses responsabilités au sein de la maison de production et ses activités à l’Observatoire de la diversité du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), que par nature et par principe. Comme elle le concède d’une voix douce et posée : « Au bruit des déclarations, je préfère le silence de l’action. Et puis, j’estime que cette question de diversité ne doit pas être la propriété d’un individu, il faut savoir dépasser ce que l’on a fait. Voilà pourquoi je n’aime pas évoquer mon parcours ; pour autant, j’ai compris l’utilité de le faire auprès des jeunes. » Un parcours qu’elle considère comme « privilégié », d’autant plus, souligne Bouchra Réjani, qu’elle a eu la chance de vivre la mixité sans avoir le sentiment d’être différente. Tout juste a-telle été surprise d’entendre son père parler de sa « fille africaine », lorsqu’elle avait 8 ans. En effet, si Bouchra Réjani est née à Casablanca, au Maroc, en 1972, c’est à Cholet (Maine-etLoire) – où ses parents, commerçants, ont immigré peu après sa naissance – qu’elle passe toute sa jeunesse. « Pour eux, cela a été un véritable déchirement de quitter leur pays. Avec le recul, je comprends mieux la dureté de l’éducation que nous avons reçue, mon frère et mes sœurs. C’était la condition nécessaire pour que l’on puisse attraper tout ce que la République française pouvait nous offrir : l’éducation, la culture, l’histoire d’un pays que j’aime et dont je défendrai toujours les valeurs, où que je sois. » A une époque où les revendications identitaires n’existaient pas encore – « ce qui change tout… », souligne cette Franco-Marocaine –, elle est élevée au sein d’une famille unie et, surtout, riche d’une double culture qui s’exprime dans le partage. A 18 ans, cependant, le désir de tracer librement sa voie professionnelle – son père souhaite qu’elle devienne médecin – l’amène à partir s’installer à Nantes. Bien qu’attirée par la philosophie, sa passion, elle entreprend LES DATES « Bouchra est une négociatrice fine, mais ferme. Elle aime les gens et fédérer les talents » 1972 Naissance à Casablanca (Maroc). 1996 THIERRY LACHKAR Diplômée de Sup de Co Nantes, elle entre au cabinet KPMG. patron de Shine France 1999 une maîtrise de langues étrangères appliquées, tout en préparant le concours d’entrée à Sup de Co en deuxième année, par souci d’économie… « La barrière financière est, malheureusement, encore trop souvent un frein à l’émergence de jeunes talents issus de la diversité », affirme-t-elle. Tout juste diplômée, elle entre dans le cabinet d’audit KPMG. « L’audit vous permet d’apprendre et de comprendre un environnement, une industrie. » « Enorme force de travail » Déjà, la jeune femme est attirée par le cinéma, mais c’est au sein d’industries moins glamour (l’automobile et le pétrole) qu’elle façonne un esprit d’audit qui va imprégner sa manière de faire. Que ce soit à Londres, chez Fox Kids Europe – où elle est recrutée, en 1999, en tant que chargée de mission avant d’être nommée directrice déléguée de Fox Kids France –, ou chez FremantleMedia, dirigée, alors, par Bibiane Godfroid, une femme qui l’a marquée « par son professionnalisme, sa bienveillance et sa vision ». Auprès de son mentor, elle endosse les fonctions de secrétaire générale, puis de directrice générale et s’occupe des partenariats stratégiques et de la gestion. « Bouchra est une femme de convictions, une grande professionnelle, qui possède une énorme force de travail. Elle a été un élément-clé de la restructuration de Fremantle », témoigne, aujourd’hui, Bibiane Godfroid, que Bouchra Réjani aurait, d’ailleurs, pu suivre à M6 en 2007. Sauf que l’envie de changement ne s’impose à elle que deux ans plus tard, lorsqu’elle apprend que Thierry Lachkar, patron de la toute jeune maison de production Shine France, est à la recherche d’un profil comme le sien. « Après deux heures d’entretien, sans même avoir parlé salaire, j’ai dit oui, car Chargée de projets auprès de la direction de Fox Kids Europe, puis, en 2002, directrice déléguée de Fox Kids France. 2004 Chez FremantleMédia, elle occupe notamment les postes de secrétaire générale et de directrice générale du groupe en France. 2010 Directrice générale chez Shine France. 2013 Membre de l’Observatoire de la diversité du CSA. JULIEN CAUVIN/STARFACE nous avions une vision et des valeurs communes », se souvient-elle avec enthousiasme. Celles de programmes positifs, fédérateurs, portés par le plaisir, l’émotion, l’idée de transmission et de dépassement de soi. Comme « MasterChef », lancé en 2010, ou encore le joyau de Shine, « The Voice ». « Ce sont des programmes qui parlent à tout le monde parce qu’ils représentent tout le monde, cela rejoint la question de la diversité qui m’est chère depuis longtemps. » Comme en témoigne son action au sein de diverses associations. « Chaque année, je choisis deux à trois projets dans lesquels je m’investis totalement. » Et de citer « Décolonisons l’information », mené en 2007-2008, aux côtés d’Hervé Bourges et d’Olivier Zegna-Rata, qui donnera naissance à Afrik TV ; ou la série de programmes courts « Citoyens visibles », entreprise avec Djamel Mazi, qui mettait en valeur des héros de la diversité tels Marie Curie, Gaston Monnerville, Flora Tristan ou les tirailleurs nord-africains. Malgré ses réticences face aux institutions, Bouchra Réjani rejoint, en 2013, l’Observatoire de la diversité du CSA présidé par Mémona Hintermann, qui, dit-elle, « avait besoin de son énergie ». Seule condition posée par l’intéressée : faire des choses concrètes. Ainsi a-t-elle lancé trois projets – qui devraient se concrétiser au cours de 2016, et qui touchent à l’éducation, au recrutement dans les médias – ainsi qu’une étude sur les stéréotypes dans les journaux télévisés, à laquelle toutes les chaînes ont accepté de participer. « Bouchra est une négociatrice fine, mais ferme, dit M. Lachkar, elle aime les gens et fédérer les talents. » Et lancer des passerelles entre les deux rives de la Méditerranée, comme l’illustre la belle déclinaison de « MasterChef » au Maroc, avant celle prévue en Algérie. « Je suis fière de contribuer à l’émergence d’une industrie audiovisuelle », dit encore cette femme pour qui, citant Alain, « le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté ». p christine rousseau « Les Beaux Malaises » à la française La série humoristique qui bat des records d’audience sur la chaîne québécoise TVA est en cours d’adaptation pour M6 avec Franck Dubosc À L’ÉTRANGER L a (fausse) vie au quotidien de Franck Dubosc, dans une belle maison de la banlieue parisienne, sera bientôt portée à l’écran. L’acteur et humoriste tourne actuellement, aux Clayes-sous-Bois (Yvelines), les quatre premiers épisodes d’une série québécoise à succès : « Les Beaux Malaises », prévue sur M6 d’ici quelques semaines. Franck Dubosc a eu le coup de foudre pour cette comédie de situation que lui ont proposée Martin Matte, presque son alter ego québécois, et François Rozon, qui produit l’œuvre originale chez Encore Télévision. Humoriste bien connu au Québec, Martin Matte est l’hommeorchestre de la série qui vient de battre des records d’audience, avec 2,2 millions de téléspectateurs au début de la troisième saison, sur la chaîne québécoise TVA. Diffusée en format de trente minutes, chaque saison comporte dix à douze épisodes. Avec Kabo, producteur de la mini-série « Scènes de ménages » sur M6, Franck Dubosc s’est glissé aisément dans cette adaptation, tout comme Anne Marivin, qui lui donne la réplique, et le réalisateur Eric Lavaine, avec lequel il a déjà travaillé sur trois longs-métrages (Incognito, Bienvenue à bord et Barbecue). Chronique de la vie quotidienne La proposition – bien que télévisuelle – a séduit d’emblée le comédien français par son texte et sa qualité artistique, musique et direction photo comprises. Cette chronique de la vie quotidienne d’une célébrité met l’accent sur ses travers et ceux de ses amis. Les personnages sont bien campés : une vedette dont la vie est parfois compliquée (comme « M. Tout-le-Monde ») ; sa copine qu’il ne comprend pas toujours ; deux enfants qui mettent le doigt sur ses défauts ; un ami tombeur de femmes ; un autre, gay, à peine sorti du placard ; un psy… et une superbe maison qui, dit-il, « est un personnage à part entière ». Au fil des épisodes, Martin Matte, l’auteur, aborde des thèmes sérieux comme l’intimidation, l’adultère, les relations mère-fils, la vie de couple, la famille, l’éducation – notamment sexuelle – la vieillesse, l’utilisation de la notoriété à des fins domestiques… Celui qui tient le premier rôle n’est pas toujours à son avantage ! Il provoque des malaises, en vit lui-même et, de ces « beaux malaises » qui auraient pu virer au cauchemar, naît un rire salvateur. On sourit, on rit franchement des situations tragicomiques dans lesquelles il s’empêtre comme de ses « malaises », aux antipodes d’une sitcom à l’américaine. Le message est clair : ce n’est pas parce qu’on est célèbre qu’on n’a pas les mêmes petits problèmes que tout le monde. « Avec cette série, confie Martin Matte, je voulais prendre le pari que l’humour peut parfois être triste ou touchant, et donner de la profondeur au propos. » Franck Dubosc et Kabo ont, ajoute-t-il, adopté le concept en réduisant l’adaptation au minimum. Pas question cependant de diffuser la version originale : il fallait « un artiste que les Français connaissent et, malheureusement, on a eu un mal fou à comprendre l’accent québécois », Ce n’est pas parce qu’on est célèbre qu’on n’a pas les mêmes petits problèmes que tout le monde s’amuse Franck Dubosc sur sa page Facebook. Pour le reste, quelques références culturelles et expressions québécoises en moins, quelques gags franchouillards en plus, et le tour est joué ! Facilement transposable La plupart des sujets abordés et des situations cocasses présentées ne connaissent pas de frontières et sont facilement transposables ailleurs qu’au Québec, souligne Martin Matte. Ravi de voir la France devenir le premier marché de la série, l’humoriste a également vendu les droits à l’Allemagne et au Canada anglais. Lui-même a choisi de s’effacer de la production française. « Ils m’avaient offert la réalisation, avoue-t-il, mais j’ai préféré m’abstenir », jugeant plus intéressant que ce soit une « pointure française » comme Eric Lavaine. Au Québec, on le presse d’écrire une quatrième saison, mais son ins- tinct lui dicte d’arrêter. Il veut retourner sur la « vraie » scène. Malgré tout, les fans de la série auront droit à un final en forme d’apothéose : une heure des « Beaux Malaises » dans quelques mois. En attendant, Martin Matte assiste au tournage français avec Franck Dubosc, qui est loin d’être un inconnu pour lui. Les deux ont en effet partagé quelques numéros sur la scène du festival montréalais « Juste pour rire » en 2002. « Il joue, note Martin Matte, le gars séducteur, toujours au-dessus de ses affaires, alors que je suis plutôt malhabile et de mauvaise foi dans la série, mais il a le même d’humour limite méchant, baveux et aussi touchant. » Comme lui, Franck Dubosc est père de deux enfants. Seule différence majeure, peut-être : « la série française devrait casser son image de frimeur ». p anne pélouas (montréal, correspondance) télévisions | 21 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Le poids du glaive V O T R E S O I R É E T É L É D IM AN CH E 31 JAN VIE R Voyage dans une justice française qui semble devoir être l’éternel parent pauvre des gouvernements FRANCE 5 DIMANCHE 31 – 22 H 25 DOCUMENTAIRE Q uand Albin Chalandon, ministre de la justice du gouvernement sortant de Jacques Chirac, en mai 1988, accueille son successeur, on sent le soulagement chez l’homme qui pourtant en a vu d’autres. « Bon courage, et il en faut ! », souhaite-t-il à Pierre Arpaillange, du gouvernement de Michel Rocard, avant de lui glisser sur le ton de la confidence : « C’est dur… c’est une maison très dure. » Ce moment volé au cours d’une rituelle passation de pouvoirs lève le voile sur une fonction régalienne assez méconnue. Quoi de mieux pour toucher du doigt la substance de ce poste emblématique de la République que de donner la parole à ceux qui se sont succédé place Vendôme pendant plus de trois décennies ? De Robert Badinter à Christiane Taubira, de Pierre Méhaignerie à Elisabeth Guigou, première femme à occuper cette fonction au double libellé de garde des sceaux et ministre de la justice, en passant par Henri Nallet ou Rachida Dati, tous ont accepté de donner leur vision de cette mission. Les mêmes humiliations Jean-Jacques Urvoas, nommé mercredi 27 janvier ministre de la justice, ne figure pas dans ce documentaire en deux parties de Joseph Beauregard, écrit en collaboration avec Laurent Greilsamer (ancien directeur adjoint du Monde). Il sera prévenu de ce qui l’attend en regardant ce voyage dans une justice française à laquelle la société demande toujours plus, mais qui semble devoir être l’éternel parent pauvre des gouvernements. Sous la droite ou la gauche, les mêmes humiliations frappent ces ministres dans les négociations perdues d’avance avec Bercy. « C’est un ministère régalien essentiel pour la République, mais derrière… un grand manque d’entretien et finalement un aspect un peu désespérant », résume Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux de juin 2009 à mai 2010. Le glaive de la justice se révèle bien émoussé. C’est au ministre des prisons qu’est consacrée la première partie de ce documentaire. Un univers que tous semblent découvrir une fois en poste. « J’ai ce sentiment d’oppression dans cet endroit où on entasse du malheur, de la violence, des maladies », témoigne Henri Nallet (octobre 1990 - avril 1992), qui partage un sentiment d’impuissance, terrible aveu pour ces responsables politiques : « Cela me pèse, parce que je suis responsable de ce qui s’y passe, et en même temps, je sais au fond de moi que c’est presque sans solution ! » Les drames humains qu’on cache derrière les barreaux ont ébranlé tous ces professionnels de la politique. Autre calvaire commun à ces générations de ministres, auquel est consacrée la seconde partie du film, la gestion des « affaires ». On avait presque oublié comment au temps des scandales Urba (financement du PS) ou des HLM de Paris (financement du RPR), l’une des missions des ministres de la justice était de faire le sale boulot pour arrêter une enquête ou muter un juge d’instruction trop curieux. Certains reconnaissent s’être sali les mains quand Jacques Toubon se débat pour justifier la piteuse expédition montée pour aller chercher le procureur d’Annemasse sur les pentes de l’Himalaya TF1 20.55 Malavita Comédie de Luc Besson (EU-Fr., 2013, 130 min). 23.05 Mentalist Série créée par Bruno Heller. Avec Simon Baker (saison 2, ép. 8 et 23/23). France 2 20.55 Camping Comédie de Fabien Onteniente (Fr., 2006, 100 min). 22.35 Faites entrer l’accusé Présenté par Frédérique Lantieri. France 3 20.55 Les Enquêtes de Vera Série créée par Elain Collins, d’après les romans d’Ann Cleeves (GB, 2014, 90 min). 0.20 Le Mort qui marche Film fantastique de Michael Curtiz (EU, 1936, 70 min). Canal+ 21.00 Football 23e journée de Ligue 1 : Saint-Etienne - Paris-SG. France 5 20.40 Une carotte presque parfaite Documentaire d’Anne-Fleur Delaistre (Fr., 2016, 50 min). 22.25 La parole est au garde des sceaux Documentaire de Joseph Beauregard (Fr., 2015, 1/2). De gauche à droite : Christiane Taubira, Albin Chalandon, Jacques Toubon et Robert Badinter, ministres de la justice et gardes des sceaux de la Ve République. DIDIER ALLARD / INA 2015 afin d’éviter que l’enquête sur les époux Tiberi avance. Au fil des ans, sous la pression de l’opinion, l’interventionnisme dans les affaires sensibles s’est estompé. La suspicion reste. Même depuis l’interdiction des instructions individuelles sous Christiane Taubira, comme en témoigne l’affaire des écoutes des conversations de Nicolas Sarkozy avec son avocat. Les auteurs de ce remarquable documentaire ne Les drames humains qu’on cache derrière les barreaux ont ébranlé tous ces professionnels de la politique croient plus aux promesses d’inscription dans la Constitution de l’indépendance des parquets. Chiche, leur a répondu par anticipation M. Urvoas lors de sa prise de fonctions. p jean-baptiste jacquin La parole est au garde des sceaux, de Joseph Beauregard et Laurent Greilsamer. La seconde partie sera diffusée dimanche 7 février à 22 h 25. La carotte fait la belle Les lunettes déformantes de Moreira Enquête sur le marché du deuxième légume le plus consommé en France Le documentariste applique à la guerre en Ukraine un parti pris grossier FRANCE 5 DIMANCHE 31 – 20 H 40 DOCUMENTAIRE L a carotte est le deuxième légume le plus consommé en France, juste après la tomate. Crue, cuite, râpée, elle offre en cuisine une multitude de possibilités, en plus de ses qualités nutritives. On dit même qu’elle pourrait rendre aimable. Joliment alignées sur les étals des supermarchés, elles ont aussi le mérite de se présenter sans le moindre défaut et d’un orange éclatant. Point de hasard à cette esthétique. La carotte doit subir les diktats de la beauté qu’impose la grande distribution. Gaspillage Juste après la récolte, elles sont triées, calibrées (mises aux même dimension), lavées à l’eau et brossées afin de pouvoir être écoulées dans les grandes surfaces. Et les autres, les « moches », comme on dit dans le jargon de l’agroalimentaire ? Elles sont vendues aux cantines, les plus grosses sont destinées au marché du surgelé, et toutes celles qui ne trouvent pas preneur sont tout simplement jetées. Pour éviter un trop gros gaspillage, des agriculteurs, assez malins, commencent à exploiter ces carottes indésirables pour fabriquer du biogaz transformé ensuite en… électricité. Dans son documentaire, AnneFleur Delaistre explore les dessous des filières de cette denrée. Pas seulement en France, mais aussi aux Etats-Unis. En Californie, par exemple, où la ville de Bakersfield est devenue la capitale mondiale de la « mini-carotte » (baby carrots). Et ce, grâce au fermier Mike Yurosek, qui, dans les années 1980, a eu l’idée de découper ses carottes difformes pour ne pas avoir à les jeter. Le succès a été tel qu’aujourd’hui un tiers des carottes fraîches vendues aux EtatsUnis le sont sous la forme de baby carrots. Deux entreprises de Bakersfield se partagent 90 % du marché national estimé à plusieurs milliards de dollars. Le rêve de Mike Yurosek, qui consistait à mettre un frein au gaspillage alimentaire, s’est transformé en cauchemar : les industriels ont intensifié leur production et ont ainsi accéléré la pollution des sols et des nappes phréatiques de la ville. Rappelons qu’aux Etats-Unis, les carottes sont lavées au chlore. p mustapha kessous Une carotte presque parfaite, d’Anne-Fleur Delaistre (France, 2015, 52 min) CANAL+ LUNDI 1ER – 22 H 30 DOCUMENTAIRE T omber les masques, révéler au grand jour ce que les médias auraient passé sous silence : le rôle de l’extrême droite dans la révolution de Maïdan et son emprise sur l’Ukraine post-Maïdan. Voilà l’ambition affichée par le film de Paul Moreira, Ukraine, les masques de la révolution, qui part d’un constat ou plutôt, dit-il, d’« une légère sensation de [s’]être fait avoir ». Il va donc lever le voile. Mais, au lieu de faire tomber les masques, le documentariste chausse des lunettes déformantes. Pravy Sektor, Azov, Svoboda… Moreira fait de ces groupes d’extrême droite les artisans de la révolution, lorsqu’ils n’en étaient que l’un des bras armés. Il les présente comme une force politique majeure, quand ses scores électoraux sont dérisoires. Il en fait également les nouveaux maîtres de la rue ukrainienne, qui ne tardent pas à se transformer – sans qu’on comprenne bien pourquoi – en milices lourdement armées. Moreira nous emmène, par exemple, dans « un hangar où l’on fabrique une nouvelle génération de chars ». Il s’agit, en réalité, d’un atelier où l’on retape les rares blindés, vieux et cabossés, que Kiev a fini par offrir sur le tard à différents bataillons de volontaires, après qu’ils ont subi de lourdes pertes au front. Le documentaire élude aussi toute analyse nuancée du nationalisme ukrainien et de ses ressorts, amalgamant nationalisme, extrême droite et néonazisme. Au sein même des groupes que Moreira étudie, les néonazis constituent une minorité. Allusions mystérieuses Il y a surtout une grande absente : l’agression russe contre l’Ukraine. Il faut attendre le milieu du film pour que soit évoquée, en quelques minutes, la guerre dans le Donbass. Celle-ci explique pourtant la radicalisation d’une partie de la population ukrainienne et le fait que Kiev ait dû se résoudre à armer des bataillons de volontaires. L’annexion par la force de la Crimée est, elle, balayée d’une phrase : « Après la révolution ukrainienne, sa population a massivement voté par référendum son allégeance à la Russie. » A la place, en guise d’analyse géopolitique, des allusions mystérieuses aux petits pains distribués sur Maïdan par la sous-secrétaire d’Etat américaine, Victoria Nuland, ou à la présence à Kiev, à l’occasion d’une conférence organisée depuis de longues années, de responsables de la CIA ou de militaires améri- cains. Le propos se fait elliptique, mais le tableau prend forme. Pour Moreira, si Washington a fermé les yeux sur l’installation d’un nouveau fascisme en Ukraine, c’est au nom de la lutte contre la Russie de Vladimir Poutine, et pour installer au pouvoir « des ministres “pro-business” ». Dans cet océan de partis pris idéologiques, d’inexactitudes et de distorsions, une séquence sonne à peu près juste : celle consacrée aux événements du 2 mai 2014 à Odessa, au cours desquels 42 manifestants prorusses moururent brûlés vifs en marge d’affrontements avec les pro-ukrainiens. Même s’il surestime le rôle de Pravy Sektor et distribue de façon un peu trop péremptoire les responsabilités dans le drame, le film fait œuvre salutaire en s’étendant longuement sur cet épisode souvent négligé de l’après-Maïdan. Pour le reste, le rôle de chevalier blanc que s’arroge Paul Moreira, en prétendant dévoiler des vérités passées sous silence, ne tient pas. L’expérimenté documentariste s’est attaqué à un sujet réel. Il a choisi de « regarder par lui-même », nous dit-il. Mais n’a vu que ce qu’il voulait voir, remplaçant les masques par des œillères. p benoît vitkine Ukraine, les masques de la révolution, de Paul Moreira (Fr., 2016, 55 min). Arte 20.45 Retour à Cold Mountain Drame d’Anthony Minghella. Avec Jude Law, Nicole Kidman et Renée Zellweger (EU, 2003, 150 min). 23.15 South Pole Opéra de Miroslav Srnka. Enregistré au Bayerische Staatsoper de Munich, le 31 janvier 2016. M6 20.55 Zone interdite Présenté par Wendy Bouchard. 23.00 Enquête exclusive Présenté par Bernard de La Villardière. LUN D I 1 E R F É VR IE R TF1 20.55 Camping Paradis Série créée par Michel Alexandre (Fr., 2013, 115 min). 22.50 New York Unité spéciale Série créée par Dick Wolf (EU, S16, ép. 18/23 ; S15 ép. 12/24 ; S9, ép. 11 et 10/19). France 2 20.55 Castle Série créée par Andrew W. Marlowe (EU, S7, ép. 22 et 23/23 ; S4, ép. 14/23). 23.05 Alcaline le mag Magazine animé par Laurent Tessier. France 3 20.55 Monaco, le Rocher était presque parfait Documentaire de Gérard Miller et Anaïs Feuillette (Fr., 2014, 90 min). 22.25 Ce que savait Jackie Documentaire de Patrick Jeudy (Fr., 2003, 55 min). Canal+ 21.00 Deutschland 83 Série créée par Anna et Joerg Winger (All., S1, ép. 7 et 8/8). 22.30 Spécial Investigation Présenté par Stéphane Haumant. France 5 20.40 La Tranchée des espoirs Téléfilm de Jean-Louis Lorenzi (Fr., 2003, 105 min). 22.25 C dans l’air Magazine présenté par Yves Calvi et Caroline Roux. Arte 20.55 La Vie devant ses yeux Thriller de Vadim Perelman (EU, 2008, 85 min). 22.15 Ne touchez pas à la hache Film de Jacques Rivette. Avec Jeanne Balibar (Fr.-It., 2007, 130 min). M6 20.55 Top Chef Présenté par Stéphane Rotenberg. 22 | télévisions 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 France Info, le réflexe sport SÉLECTION RADIO E M PLOI La station de Radio France propose depuis un an deux rendez-vous consacrés à cet univers RADIO S ur les ondes espagnoles, italiennes ou sud-américaines, le talk-show sportif existe depuis une éternité. Dans le paysage radiophonique français, il a fallu attendre le lendemain de la Coupe du monde 1998 pour qu’Eugène Saccomano, figure emblématique du commentaire sportif, lance sur Europe 1 « Le Match du lundi », émission de débats plus ou moins enflammés rebaptisée « On refait le match » lors de son passage sur RTL en 2001. L’émission existe toujours sur cette antenne : elle est animée par l’expérimenté Pascal Praud depuis 2012 et désormais programmée le samedi à 18 h 30. D’autres stations, RMC en tête, font du talk-show sportif un atout majeur dans leur grille de programmes. Et le phénomène ne touche pas seulement les radios privées puisque, depuis un an, même France Info propose à ses auditeurs deux rendez-vous de débats autour de l’actualité sportive. Chaque samedi de 22 heures à 23 heures, Catherine Pottier, grande voix de la station et habi- tuée des débats politiques, anime « Les Informés du sport ». Et chaque dimanche, de 19 h 45 à 20 heures, la même Catherine Pottier se prête à un exercice un peu différent : « Un débat à deux, avec deux thèmes abordés en deux fois six minutes. Le rythme est plus rapide que l’émission du samedi », souligne l’intéressée. Eviter le « copier-coller » De la matinale au 17-20, la journaliste a tout connu sur France Info et prend plaisir à ce nouvel exercice, tout en faisant attention à ne pas se cantonner au football. « Audelà des résultats, ce qui m’intéresse dans le sport, c’est de parler d’athlètes aptes à la souffrance, d’analyser l’impact économique, les dérives éventuelles. Lorsque j’invite un journaliste d’investigation comme Fabrice Lhomme [sur l’affaire de la sextape de Mathieu Valbuena] sur le plateau, par exemple, le débat peut aller plus loin… » Patron de France Info depuis mai 2014, Laurent Guimier a d’abord imposé « Les Informés » à l’antenne d’une station peu habituée à ce genre de rendez-vous. Cette émission de débats, classique dans la forme, avec un anima- Catherine Pottier anime les débats sur le sport de France Info. CHRISTOPHE ABRAMOWITZ/RADIO FRANCE teur (Jean-Mathieu Pernin) et quatre invités venus d’horizons divers (politiques, journalistes, artistes) réagissant sur l’actualité, est programmée du lundi au vendredi de 20 heures à 21 heures. Quelques mois plus tard, en janvier 2015, « Les Informés du sport » voyaient le jour. « Nous sommes arrivés sur ce créneau du talk-show sportif après les autres et, en tant que radio de service public, il nous faut nous différencier », explique Julien Brigot, le rédacteur en chef du week-end sur Info. « Pour y parvenir et ne pas faire du copier-coller de ce qui existe déjà, il faut d’abord composer nos plateaux avec des in- vités aux profils différents et qui ont une vision originale. Même si l’actualité sportive se prête bien à la polémique, certaines émissions débouchent sur des débats stériles. Nous voulons éviter ce défaut, offrir une expertise et des éclairages à des auditeurs exigeants. » Une année riche en événements Un an après leur apparition, ces deux rendez-vous sportifs ont trouvé leur place dans la grille d’une station qui crée de nouvelles chroniques le samedi (« Golf », de Fabrice Rigobert, « L’Ame olympique », de Cécilia Berder) et qui s’apprête à passer un été très sportif. Radio officielle de l’UEFA Euro 2016 (du 10 juin au 10 juillet en France), France Info prépare de nouveaux rendez-vous lors de cette compétition qui dépasse le cadre sportif. En août, la couverture massive des Jeux olympiques de Rio permettra de dynamiser la grille d’été. De quoi fêter les 30 ans de la station (le 1er juin 2017) en pleine forme. p alain constant « Les Informés du sport », samedi de 22 heures à 23 heures. « Le Débat du sport », dimanche de 19 h 45 à 20 heures sur France Info. Charles Enderlin, conteur averti du Proche-Orient France Culture donne la parole au journaliste qui a couvert le conflit israélo-palestinien pendant plus de trente ans RADIO I l se définit comme un « témoin engagé », un observateur privilégié de notre époque tortueuse, qui cherche ce qui se cache derrière les « informations officielles ». Ses détracteurs israéliens lui ont décerné « le diplôme du juif qui a la haine de soi ». Charles Enderlin s’en moque. De sa voix rauque et austère, il a couvert, pour France 2, le conflit sans fin entre Israël et la Palestine pendant plus de trois décennies (de 1981 à 2015). Durant cette période, le journaliste a été de tous les soulèvements, de toutes les guerres, de tous les massacres, de tous les coups politiques. Tous les soirs, à 20 heures, du lundi 1er au vendredi 5 février, l’émission « A voix nue », sur France Culture, donne la parole pendant près de trente minutes à cette personnalité empreinte de gravité. Sans pratiquement jamais être coupé, Charles Enderlin se raconte : ses grands-parents juifs autrichiens, qui ont fui Vienne lors de l’Anschluss, en 1938, son enfance à Nancy, son installation en Israël (en 1968), sa mauvaise expé- rience dans un kibboutz à la frontière libanaise, sa carrière de grand reporter, l’affaire Mohammed AlDoura, et ses livres. Aucune émotion dans sa voix Ce Franco-Israélien, âgé de 70 ans, parle sur un ton quasi monocorde, mais d’une étonnante puissance. Aucune émotion dans sa voix, même lorsqu’il narre sa première expérience d’un conflit armé, en 1973, lors de la guerre du Kippour. Il est alors journaliste pour la radio israélienne. Pris dans un bombardement, il raconte ne pas avoir eu peur alors qu’autour de lui étaient effrayés les chiens et les hommes. C’est lors de cette guerre qu’il découvre que les autorités israéliennes n’hésitent pas à communiquer de fausses informations : depuis, il se méfie des « propagandes » et s’attelle à vérifier toutes les annonces gouvernementales. Conteur de l’histoire israélienne d’une extrême rigueur, maîtrisant – c’est peu de le dire – son sujet, n’hésitant jamais sur une date et ne butant sur aucun nom de politique juif ou arabe, Charles Enderlin parle sans détour. Ses anecdotes sont toujours passionnantes et saisissantes : comment le Shin Beth écoutait Mahmoud Abbas, comment des officiels israéliens et palestiniens négociaient secrètement dans son bureau à Jérusalem… L’écouter, c’est aussi plonger dans les mémoires du conflit israélo-palestinien. p mustapha kessous « A voix nue », Charles Enderlin, « témoin engagé », du lundi 1er au vendredi 5 février à 20 heures sur France Culture. « 24 heures pour entreprendre dans l’artisanat » Lundi 1er février, RTL et l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA) lancent une opération inédite afin de faciliter la reprise d’entreprises. Grâce à une carte interactive, accessible depuis RTL.fr, les internautes accéderont à 6 000 offres de reprises, partout en France et dans tous les secteurs. RTL diffusera aussi durant toute la journée des reportages sur les opportunités offertes par la reconversion dans l’artisanat et la difficulté pour certains commerçants à trouver des repreneurs. Sur les réseaux sociaux (via le hashtag #RTLbougepourlemploi), les internautes auront un accès direct à la carte interactive et aux offres de reprises de commerces. LUNDI 1ER – RTL – À PARTIR DE 9 H 30. R E N CON TR E « Carte blanche à Juliette Gréco » Soirée autour et avec Juliette Gréco : table ronde, invités et live. L’événement sera animé par Didier Varrod, en direct de l’auditorium du Louvre, à Paris. VENDREDI 5 – FRANCE INTER – À PARTIR DE 21 HEURES CON CE RTS Beethoven (Créatures de Prométhée, Ouverture, Symphonie n° 1) et Brahms (Symphonie n° 4), en direct, au Quartz de Brest. Avec l’Ensemble Matheus, dirigé par Jean-Christophe Spinosi. MARDI 2 – RADIO CLASSIQUE – 20 H 30. Concert de Patrick Bruel, enregistré le jeudi 28 janvier au studio 105 de la Maison de la radio, à Paris. JEUDI 4 – FRANCE BLEU – 21 HEURES. 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 026 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII I. Remise en état pas toujours du meilleur efet. II. A retrouvé l’air libre. Plusieurs fois rois de Suède et du Danemark. III. Saint du cantal. Mettra de l’ordre dans les afaires. IV. Patron dans la Manche. Permet d’appliquer la loi. Fera de belles alliances. V. A la tête du vieux cerf. Bien enroulés. VI. Grecque en Thrace. Négation. Proposition pour gens d’actions. VII. Petit à un bout. Permet de changer le bénéiciaire à l’encaissement. Pareil. VIII. Entrent en résistance. On peut compter sur eux. Dans les comptes de l’entreprise. IX. Fait l’innocent. Prendrai en location. X. Avec application et respect. VERTICALEMENT VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 025 HORIZONTALEMENT I. Chênes-lièges. II. Rutilai. Kapo. III. Oman. TGV. Lam. IV. Qui. Diaspora. V. Usèrent. An. VI. Massues. Mi. VII. Miens. Russes. VIII. Ornière. Aile. IX. Rat. Raison. X. Tisonnassent. VERTICALEMENT 1. Croque-mort. 2. Humus. Irai. 3. Etaiements. 4. Nin. Rani. 5. El. Dessein. 6. Satins. 7. Ligaturera. 8. Vs. Eu. As. 9. Ek. Passais. 10. Galon. Sise. 11. Epar. Melon. 12. Somatisent. 1. Les plus vives peuvent être cinglantes. 2. Médecine classique et oicielle. 3. Navigateur portugais. S’exprime librement. Grande partie du globe. 4. Font leur entrée à table. 5. Passe beaucoup de temps à table. Préposition. Blanc et ductile. 6. Dans la gamme. A la tête du client. Avait son Littré auprès de lui. 7. Assurent les bonnes mesures. 8. Vu sous un angle nouveau. 9. Dieu ou déesse. A suivi son père sur l’Arche. 10. Espace de culture. Ne peut pas faire le malin. Porteur de disque solaire. 11. Tour de la Botte. Bonne noix. 12. Mettait à mal le régicide. SUDOKU N°16-026 du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 23 | usages 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 A près les poulaillers et le compost, le réveil au chant du coq : plus les Français s’urbanisent, plus la vie en campagne semble les inspirer. Voilà qu’ils redécouvrent les vertus du lever aux aurores, avec le chant du coq (ou, ici, du réveil). La traduction française du Miracle Morning d’Hal Elrod paraîtra le 10 mars en France, les éditions First ayant perçu l’appétence pour cette recette « simple et lumineuse » dont il s’est vendu 70 000 exemplaires cet été aux Etats-Unis : « Comme on ne quitte pas son boulot, on cherche en soi les moyens d’améliorer sa vie », résume-t-on chez l’éditeur. Hal Elrod est l’un de ces nombreux professionnels américains du développement personnel qui, à longueur de conférences et vidéos payantes, guide qui veut le suivre vers un changement de vie. Son créneau ? Le lever très tôt, qui permet de « dédier un moment à la personne que nous souhaitons devenir ». Une heure ou deux, avant de démarrer la journée, pour méditer, lire, écrire, songer aux objectifs fixés pour la journée ou la vie, et faire du sport. Rituel matinal prescrit à ceux qui aspirent tout autant au bien-être qu’à la réussite financière. Car renoncer à appuyer sur le bouton « snooze » du radioréveil, entamer chaque jour en étant plein d’entrain, doit amener au « niveau suivant », lit-on, au « plein potentiel » puis au Graal : « la hausse des revenus ». Une appli anti-rendormissement Il semble que, en France aussi, l’on en vienne à exploiter ce dernier créneau horaire disponible dans des emplois du temps toujours plus chargés. La surenchère à la remontée de la pendule est bien lancée. Dès 6 heures ou 7 heures du matin, dans les grandes villes, il devient possible de prendre des cours de yoga ou de gym, de nager ou de se faire coiffer. Quatre des vingt-deux salles parisiennes du CMG Sports Club, par exemple, offrent ce que d’aucuns considèrent comme un privilège : suer quand d’autres rêvent encore. « Et nous allons vers la généralisation, cela marche très bien, constate le PDG, Franck Hédin. La tendance globale est au 24 h/24, comme aux Etats-Unis. Les clients n’ont le temps ni en journée ni le week-end, qu’ils réservent aux enfants. Pour le “perso”, ils se lèvent donc plus tôt. Le sport ? C’est fait, se disent-ils. Ils peuvent ensuite passer la journée devant l’ordinateur. » Les nouvelles « routines matinales » génèrent aussi tout un nouveau business d’aide à l’extraction du lit. Des applications pour smartphone (qui contraignent à se lever, puis à tourner sur soi-même, téléphone en main, pour arrêter l’alarme, ou vous dénoncent auprès des amis sur Facebook en cas de rendormissement) aux tapis connectés, qu’il faut fouler aux pieds pour éteindre la sonnerie du réveil. Bien évidemment, l’exploit matinal accompli s’affiche fièrement sur les réseaux sociaux. Sur fonds photographiques de radioréveils réglés sur 5 heures, de soleils levants et d’appareils de musculation encore plongés dans la semi-pénombre, les agités de l’aube se motivent par le décompte : « Mon 32e jour aujourd’hui », « Premier jour, lever à 6 heures, focalisation, running une heure, lecture, petit déj’, prête pour la journée »… Ils ont l’enthousiasme communicatif des convertis. Comme Thomas Blondel, web designer de 26 ans, qui tweetait cet automne : « Courir à 6 heures. Fait » ou « Mon “miracle morning” s’améliore chaque jour ». Ce Nordiste, jadis surnommé « tour du cadran » par ses parents, traînait volontiers sur le Net, le soir, repoussant sans cesse les limites du réveil. « Je me levais à 8 h 15 pour être à 9 heures au bureau… avec une demi-heure de route. Cet été, j’ai lu The Miracle Morning, et ça m’a parlé. Je me suis progressivement couché et levé plus tôt. Ça a été dur pendant une vingtaine de jours. Aujourd’hui, c’est hallucinant, je me réveille à 6 heures quasi naturellement pour prendre un temps pour moi, me faire plaisir : méditation, yoga, course, bouquin, je travaille sur un projet, je note des choses dans un cahier, humeurs ou organisation de la journée… » Depuis, il se réjouit (« Ma vie a changé »), et son employeur au moins autant que lui. Sa productivité matinale s’en est ressentie. « J’arrive plus alerte, plus épanoui, avec un plat à réchauffer le midi que je me AURORE PETIT lève-toi tôt et marche ! Venue des Etats-Unis, la tendance des « morningophiles » gagne l’Hexagone. Ou comment mettre son réveil à l’aube pour méditer, courir ou faire la fête serait source de bien-être « QUAND TU POSTES UNE PHOTO DE RUNNING À 6 HEURES DU MATIN SUR INSTAGRAM, ON NE TE DIT PAS “T’ES MALADE”, MAIS “RESPECT, TU MAÎTRISES” » OLIVIER RAMEL fondateur des Fêtes matinales Wakatepe suis cuisiné le matin ! » Sur les sept trentenaires salariés de son entreprise, trois tentent désormais d’appliquer la formule magique du bonheur et de la réussite. Côté américain, cette dernière est constamment mise en avant. Les grands patrons, les people, les politiques qui comptent, font du rameur à 5 heures, répètet-on à l’envi, avant de citer la maxime du premier président, George Washington (« Se coucher de bonne heure et se lever le matin procure santé, fortune et sagesse »). Côté français, davantage que la maximisation de la journée, c’est celle du bienêtre qui prime. Les « before work » fleurissent Ce sont d’abord les jeunes salariés surmenés, et notamment les mères de famille, qui veulent croire au « miracle ». Comme Juliette Siozac, une Aixoise de 37 ans, conseil en communication, deux fois maman. « Avant, je me levais au dernier moment, et c’était la course. Depuis que j’ai mis le réveil à 6 heures, j’ai une petite heure pour moi plus ressourçante qu’une heure de sommeil. Quand je réveille les filles, je suis hyper zen, la journée commence du bon pied, je me suis déjà nourrie moi-même. » Charlotte Pignal, à Toulouse, s’est également saisie de ce « dernier créneau » sans travail, mari, ni enfants, pour faire ce qu’elle avait envie de faire et gagner en sérénité. « On prend le matin le temps de se rappeler qui l’on est, ce que l’on veut faire et pourquoi. On est ensuite moins dans le combat contre la liste des choses à faire, moins dans la procrastination, aussi. On se sent super bien, énergisé. » Avec une poignée de copines ayant en commun d’œuvrer dans le marketing ou la communication, et d’avoir connu, lors d’expatriations, les courses au supermarché, cours de gym et autres cafés entre amies dès potron-minet, Juliette Siozac a eu l’idée d’importer ce mode de vie à l’anglo-saxonne. Le concept « She is morning » est né. Fêtes d’avant-boulot, entre 6 h 30 et 9 h 30 du matin, réservées aux femmes, où l’on enchaîne yoga, ateliers antistress, müesli et yaourt de brebis, sur fond musical apaisant. L’idée éveille l’intérêt. Après Montpellier, Toulouse, Biarritz, Aix-en-Provence et Paris ont suivi – prochaine date dans la capitale, le 5 février. Fin 2016, onze villes auront leur before work féminin, quatre fois l’an. Depuis la première, en 2014, les soirées du matin, où l’on se trémousse sur fond de musique électronique, un jus de fruit frais à la main, prolifèrent, sur le modèle des « Morning Gloryville » londoniens. A Paris, on se lève pour les fêtes Wakatepe. « Le matin, c’est devenu cool », assure leur jeune cofondateur, Olivier Ramel, 24 ans, tout juste diplômé d’une école de commerce et témoin vivant d’une étonnante inversion du « cool » chez le jeune Parisien : « Quand tu postes une photo de running à 6 heures du matin sur Instagram, on ne te dit pas “T’es malade”, mais “Respect, tu maîtrises”. C’est un moment de déconnexion et de reconnexion avec soi-même. Ceux qui sortent tard le soir ne font rien de leur vie. » A Rennes, en octobre 2015, Anne-Claire Loaëc a lancé les Good Morning Rennes, avec deux autres trentenaires. Venir à 7 heures, un jeudi matin, déguisé. Les 300 places à 5 euros ont immédiatement trouvé preneur. « Des 20-40 ans, surtout », a observé l’organisatrice qui, avec une amie, pratiquait déjà la marche hebdomadaire au petit matin, horaire garant d’une absence d’imprévu. « Il y avait aussi des retraités et des enfants avec le cartable sur le dos. Le décalage apporte de la bonne humeur. Cela casse tellement la routine de se lever pour mettre un déguisement et aller faire la fête ! » Le « supplément de vie » du matin, comme sous-titré en couverture de la version française du Miracle Morning, impose une discipline – les éveillés au chant du coq se couchent avec les poules. Cela n’est pas donné à tout le monde, alertent par ailleurs certains médecins, qui préconisent, surtout, de respecter son rythme biologique et de ne pas trop jouer avec le sommeil, si facile à dérégler. Christophe André, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, et spécialiste des troubles anxieux, est un adepte de la méditation au réveil, quand tant de ses contemporains ont pour premier réflexe d’allumer le téléphone portable. « Si vous vous consacrez à vous-même un premier temps, dans la journée, si vous vous étirez, méditez, faites de la musique, marchez dans la nature, parlez avec des gens que vous aimez, cela change tout. » Pour la bonne raison, étaie-t-il, que l’on distingue alors ce qui est urgent (et vaut châtiment si on ne le fait pas) de ce qui est important et provoquera une carence à terme. « Vous vous accordez de l’attention, de la tendresse. Vous avez allumé le bon logiciel. » p pascale kremer 24 | 0123 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE par sylvie kauffmann Demain, une époque formidable V ous trouvez l’époque mouvementée ? Vous n’avez encore rien vu. Quand l’un des meilleurs joueurs professionnels de go au monde se fait battre par une machine, le moment est venu de faire une pause, souffler un peu et prendre la mesure de ce qui nous attend. Nous avions pourtant parfaitement intégré le fait que ce joueur, Fan Hui, champion d’Europe, fût d’origine chinoise. D’abord parce que le go a été inventé il y a trois mille ans en Chine, ensuite parce que, au XXIe siècle, l’ascension de la Chine fait partie de notre environnement économique et géopolitique. « L’Europe appartient au passé, l’Amérique au présent, l’Asie au futur », aime à déclamer le politologue singapourien Kishore Mahbubani. En réalité, tout ça est dépassé. Et, face à ce qui se prépare, les Chinois ne sont pas beaucoup mieux outillés que nous. Ce qui se prépare, ce grand bouleversement qui est là, au coin de la décennie, prêt à déferler, c’est ce qu’un vieux professeur suisse, sorte de professeur Tournesol très fort en marketing, appelle la quatrième révolution industrielle. Avant d’inventer la quatrième révolution industrielle, cet homme, Klaus Schwab, a inventé le Forum économique mondial de Davos ; tout naturellement, il a donc demandé au Forum, pour son édition de 2016, qui vient de se terminer, de se pencher sur les défis et promesses de ladite révolution. Pour mémoire, les trois précédentes sont celles de la vapeur, qui a mécanisé la production, puis celle de l’électricité qui a créé la production de masse, et la révolution numérique, qui a vu les technologies de l’information automatiser la production. La quatrième n’est pas simplement le prolongement de la troisième : l’accélération et l’ampleur du progrès technologique sont telles qu’elles nous font basculer dans une nouvelle ère, l’ère de l’intelligence artificielle, des objets connectés, de la robotique et des big data. Une ère, dit M. Schwab, où « la fusion des technologies efface les frontières entre les sphères physique, biologique et numérique ». Saut dans l’inconnu Le Pr Schwab n’a pas fait découvrir l’eau chaude aux cerveaux invités à Davos. D’autres cénacles, comme les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence en 2015, ont exploré les conséquences de ces ruptures technologiques, notamment pour le monde du travail ; bien des études savantes ont été menées. La recherche et les applications liées à l’intelligence artificielle ont donné une nouvelle jeunesse à la Silicon Valley. Cette révolution, pourtant, reste le secret le mieux gardé des élites économiques mondiales. Pourquoi ? Parce que, précisément, si son potentiel les fait rêver, son impact social les stresse terriblement. Tous savent que cela va être énorme. Mais quant à en définir les contours, c’est le saut dans l’inconnu. Si un ordinateur peut battre un champion professionnel de go, imaginez combien il peut pourrir la vie d’un DRH. Une étude du Forum économique, par exemple, avance le chiffre EN CINQ ANS, 7 MILLIONS D’EMPLOIS SERAIENT DÉTRUITS, MAIS SEULEMENT 2 MILLIONS CRÉÉS QUAND L’UN DES MEILLEURS JOUEURS DE GO EST BATTU PAR UNE MACHINE, LE MOMENT EST VENU DE PRENDRE LA MESURE DE CE QUI NOUS ATTEND de 7 millions d’emplois qui seront détruits en cinq ans dans quinze secteurs économiques. Heureusement, 2 millions d’autres emplois seront créés – en comptant bien, cela fait quand même un résultat net de 5 millions d’emplois en moins. Rassurez-vous, le pire n’est pas sûr. Des métiers disparaîtront ; d’autres, évidemment, apparaîtront. Lesquels ? Combien ? Nul ne le sait encore. Les progrès que permet cette nouvelle révolution dans la recherche sont époustouflants. « Mind-blowing », répète avec passion Bill Gates, l’homme le plus riche du monde qui, lui, a compris que le meilleur moyen d’en orienter l’impact social était d’investir sa fortune dans la philanthropie, tout en faisant progresser la science. L’être humain maîtrise aujourd’hui les moyens de rendre la machine plus intelligente que lui : c’est « mind-blowing », parce que l’humanité peut en tirer un profit fabuleux. La machine, on le sait, peut faire beaucoup de choses à notre place : la robotisation est déjà bien avancée dans les processus industriels. Mais elle sait aussi penser à notre place, et souvent plus loin que nous. Et là, beaucoup des implications de ces possibilités restent à découvrir. Ces implications nous concernent tous, travailleurs, entreprises, administrations, Etats, communauté internationale. Pour l’instant, les interrogations se concentrent sur les transformations qu’elles feront subir au travail, au nombre et à la nature des emplois, et sur les moyens d’éviter qu’elles aggravent les inégalités, tendance lourde du monde actuel. Vont-elles achever de laminer les classes moyennes ? « L’accent doit être mis sur les compétences, pas sur les emplois », répond Satya Nadella, PDG de Microsoft. Alors, comment former les travailleurs de demain ? C’est la partie visible de l’iceberg. Les défis, en réalité, vont bien au-delà. Ils portent sur la protection des données privées, le niveau de contrôle des Etats, l’éthique, la sécurité… José Maria Alvarez-Palette, DG de Telefonica, estime qu’il faut rendre aux individus la propriété de leurs données personnelles qui seront amassées lorsque tous les objets qui nous entourent seront connectés. Chuck Robbins, PDG de Cisco, note qu’un « nouveau degré de confiance est requis, au-delà de tout ce que nous avons connu dans l’histoire : confiance dans les systèmes qui gèrent les données, dans les gens qui ont accès aux données, dans les technologies qui protègent les données ». Lui s’attend à voir émerger 1 million d’emplois dans la cybersécurité, « sans que nous ayons pour l’instant les qualifications correspondantes ». Dans sa sagesse toute asiatique, Fan Hui, le champion de go, a confié au Monde après sa défaite : « Je pense que les ordinateurs vont changer le go. » Chacun voit midi à sa porte. Mais il n’y a pas que la vie des joueurs de go qui va changer. Et nous ferions bien, tous, de nous y préparer. p [email protected] Tirage du Monde daté samedi 30 janvier : 281 328 exemplaires SYRIE, UN PROCESSUS EN TROMPE-L’ŒIL C onsciente des risques d’un boycottage, l’opposition syrienne a annoncé, vendredi 29 janvier, l’envoi in extremis d’une délégation aux pourparlers de paix de Genève, qui se sont ouverts le même jour. Les opposants au régime de Bachar Al-Assad étaient soumis à de fortes pressions, tant de leur base populaire que de la communauté internationale. D’un côté, les Syriens vivant dans les zones insurgées jugent ce processus de paix, lancé à l’automne 2015 à Vienne et concrétisé par la conférence de Genève, indécent et inutile tant que se poursuivent les bombardements aveugles de civils par les avions syriens et russes, le siège des villes et villages et les entraves mis par le régime au passage de l’aide humanitaire. De l’autre, le secré- taire d’Etat américain, John Kerry, a mis en garde l’opposition contre le torpillage de ce qu’il présente comme une « chance historique » de mettre fin à l’épouvantable conflit syrien, qui a causé au moins 260 000 morts et poussé sur les routes de l’exil plus de 4 millions de personnes en près de cinq ans. Pour se tirer d’affaire, la délégation de l’opposition a exigé la mise en œuvre de mesures humanitaires, menaçant d’en faire une précondition à sa participation. L’émissaire des Nations unies sur la Syrie, Staffan de Mistura, a fait remarquer, à juste titre, à la délégation de l’opposition que ces mesures étaient incluses dans la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU, consacrant le processus de Vienne et de Genève, et qu’il n’y avait donc pas lieu d’en faire une condition préalable à toute négociation. Il semble que cela n’aille pas de soi pour la délégation du gouvernement syrien, uniquement préoccupée de discuter de la « lutte contre le terrorisme ». Ce démarrage en forme de fausse ouverture augure mal d’une conférence présentée comme « historique ». L’opposition syrienne, traversée par les divisions, contrairement au camp gouvernemental, n’est pas sortie grandie de ses tergiversations de dernière minute ; elle est apparue, une fois de plus, comme inexpérimentée, hésitante, versatile. Mais comment lui donner tort alors qu’elle pose la seule question qui PRÉSENTE vaille à l’orée de ces négociations : pourquoi discuter d’un partage du pouvoir et d’élections alors que l’on continue à mourir littéralement de faim en Syrie, comme c’est le cas dans la ville de Madaya, assiégée par l’armée du régime et son allié libanais du Hezbollah ? Selon Médecins sans frontières, 1,5 à 2 millions de Syriens sont pris au piège par les sièges imposés par le régime mais aussi par l’opposition. Comment accepter que la Russie, dont l’aviation détruit méthodiquement toute infrastructure de survie en zone rebelle (boulangeries industrielles, hôpitaux, etc.), veuille par-dessus le marché dicter la composition de la délégation de l’opposition, comme ce fut le cas ces derniers jours ? M. de Mistura semble avoir écarté la proposition insistante de Moscou d’inviter, en plus du régime et de l’opposition, une troisième délégation composée de vrais-faux opposants au régime. C’est une bonne chose, car cette troisième partie n’aurait fait que brouiller les cartes un peu plus dans une équation déjà passablement embrouillée. Mais le silence du médiateur de l’ONU et les ambiguïtés de l’administration américaine durant les jours précédant l’ouverture de la conférence de Genève ont entamé la confiance de l’opposition. Si les parrains du processus de paix veulent éviter un nouvel échec, il va leur falloir s’occuper un peu plus de paix et un peu moins de processus. p EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons NUMÉRO 3 7,99 seulement LE N°4 EN VENTE DÈS LE 4 FÉVRIER Une collection parrainée par Robert Solé Journaliste et écrivain, spécialiste de l’Egypte www.EgyptomaniaLeMonde.fr CHAQUE SEMAINE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Les Etats-Unis menacés par une reprise molle La V2 du « Safe Harbor » n’est pas pour tout de suite ▶ Au quatrième P arviendront-ils à un accord à temps ? La Commission européenne et le département américain du commerce ont jusqu’au lundi 1er février pour trouver un successeur au « Safe Harbor ». Le « Safe Harbor », c’est cet accord qui, pendant quinze ans, a permis à plus de quatre mille entreprises d’exporter des données personnelles de citoyens vers les Etats-Unis, alors que les lois américaines n’offrent pas de protection suffisante au regard du droit européen. Ce régime d’exception permanente a été aboli par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2015, à la suite d’une plainte déposée contre Facebook et des révélations d’Edward Snowden sur la surveillance des agences de renseignement américaines. A partir de mardi, les sociétés privées transférant des données de citoyens européens vers les Etats-Unis grâce à cet accord seront en infraction caractérisée. Parvenir à un nouveau texte dans les temps semble difficile, même si Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL et du G29, le groupe des 29 autorités de régulation européennes, veut y croire. « Il peut encore y avoir un accord. Tout le monde y a intérêt. Après, il faut qu’il soit suffisamment substantiel », affirme-t-elle. p trimestre, la croissance a ralenti à 0,7 % en rythme annuel ▶ Si la consommation résiste, l’activité industrielle fléchit ▶ La hausse du dollar pénalise les exportations ▶ La Réserve fédérale ne relèvera ses taux que très graduellement → LIR E PAGE 3 A New York. KARSTEIN MORAN/ « THE NEW YORK TIMES »/REDUX-REA La crise migratoire, nouveau front budgétaire en Europe ▶ Les Etats membres de l’Union rechignent à financer collectivement les coûts liés à l’accueil des réfugiés bruxelles - bureau européen C ombien la crise des migrants que connaît aujourd’hui le Vieux Continent va-t-elle coûter à l’Union européenne (UE) ? Qui va payer, et avec quel argent ? C’est un débat qui ne fait que commencer entre Bruxelles, Pa- ESPACE LES EUROPÉENS NE SE LANCENT PAS DANS LA BATAILLE DES FUSÉES RÉUTILISABLES → LIR E PAGE 3 PLEIN CADRE REVITALISER LE NORD DE L’ANGLETERRE, LE RÊVE BRUMEUX DE DAVID CAMERON → LIR E PAGE 2 j OR | 1 118 $ L'ONCE j PÉTROLE | 35,99 $ LE BARIL J EURO-DOLLAR | 1,0831 J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,92% J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,64 % VALEURS AU 30/01 - 9 H 30 ris, Berlin ou Rome… mais qui promet déjà d’être particulièrement ardu. Un exemple ? Fin novembre 2015, l’UE a promis 3 milliards d’euros à la Turquie, en échange de son engagement de limiter les flux de migrants quittant ses côtes pour la Grèce, porte d’entrée de la « route des Balkans ». Or, deux mois plus tard, l’argent n’est toujours pas sur la table. Les diplomates bruxellois étaient tout près d’aboutir, à la mi-janvier, avec 2 milliards d’euros devant venir des budgets des Etats membres et 1 milliard d’euros tirés directement du budget de l’UE. Mais l’Italie a bloqué ce montage. Elle demande que le budget européen soit da- vantage mis à contribution. Selon plusieurs sources bruxelloises, le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, tenterait aussi de monnayer son feu vert contre une meilleure prise en compte de ses intérêts européens. cécile ducourtieux → LIR E L A S U IT E PAGE 4 → LIR E PAGE 8 4 000 NOMBRE D’ENTREPRISES AMÉRICAINES (DONT FACEBOOK, GOOGLE ET AMAZON...) ADHÉRENTES AU « SAFE HARBOR » VU D’ORLANDO Compétences au rabais P our Leo Perrero et Dena Moore, le monde merveilleux de Disney s’est transformé en cauchemar il y a un an. Ces deux experts en informatique ont été victimes d’un plan de restructuration de 250 personnes au parc Disney World d’Orlando (Floride). A la perte de leur emploi s’est ajoutée l’humiliation : les derniers mois de leur contrat ont été passés à former leurs remplaçants. Dans les deux cas, il s’agissait de salariés indiens, bénéficiant d’un visa temporaire dit « H-1B ». Généralement, il est délivré à des travailleurs étrangers à haute compétence dans le domaine scientifique ou informatique, quand une entreprise n’arrive pas à recruter un Américain. Le procédé est très en vogue, notamment dans la Silicon Valley. Chaque année, 85 000 « H-1B » sont accordés. Leo Perrero et Dena Moore ont, eux, le sentiment de s’être fait remplacer poste pour poste par des salariés moins bien payés. Ils accusent Disney d’avoir détourné la procédure d’obtention de visa pour réduire la masse salariale. Ils ont décidé, comme l’a révélé le New York Times, d’attaquer la société devant la cour fédérale de Tampa. Les deux SSII qui lui ont fourni la main-d’œuvre – HCL et Cognizant – sont également citées à comparaître. Même s’il s’agit d’une première judiciaire pour les Etats-Unis, la vigilance des autorités s’accentue. Le ministère du travail enquête chez Disney et chez Southern California Edison, une compagnie d’électricité qui est aussi soupçonnée de remplacer certains salariés à bon compte grâce au « H-1B ». Disney se défend d’avoir contourné la loi, soulignant que, sur les 250 personnes remerciées, 95 ont retrouvé un poste dans le groupe. Mais, alors que le thème de l’immigration est au cœur de la campagne présidentielle, le Congrès s’est saisi de la question. Intense lobbying des géants du Net D’abord, en décembre 2015, les frais facturés aux sociétés souhaitant accueillir des « salariés H-1B » ont été doublés, à 4 000 dollars (3 665 euros). Puis, Ted Cruz, l’un des candidats à l’investiture républicaine, a proposé une loi pour porter le salaire minimum annuel d’un bénéficiaire d’un « H-1B » à 110 000 dollars, pour ôter tout effet d’aubaine pour les entreprises tentées de réduire leurs coûts salariaux. Au printemps 2015, Ronil Hira, un professeur d’Howard University (Washington DC), soulignait devant le Sénat que le recours à des étrangers sous visa « H-1B » pouvait faire économiser aux entreprises de 25 % à 49 % en termes de salaires. De son côté, l’Institut des ingénieurs en électricité et en électronique a lancé une pétition en ligne pour encourager les Américains victimes de ces abus à les dénoncer. En attendant, cette affaire risque de compliquer la tâche des géants de l’Internet comme Google, Facebook ou Microsoft, qui font un intense lobbying pour relever le nombre de « H-1B », ainsi que celle de nombreuses jeunes pousses qui ont du mal à trouver, aux EtatsUnis, les compétences dont elles ont besoin. p stéphane lauer Cahier du « Monde » No 22097 daté Dimanche 31 janvier - Lundi 1er février 2016 - Ne peut être vendu séparément 220 PAGES 12 € ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016 2 | plein cadre 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Liverpool (nord-ouest de l’Angleterre), dont les Beatles sont originaires, s’est débarrassée de son image de ville sinistrée. PHIL NOBLE/REUTERS Londres cherche son Nord REPORTAGE liverpool, manchester (angleterre) - C’ envoyé spécial est un quartier comme il en pousse un peu partout dans les villes européennes : autrefois à l’abandon, connu pour ses prostituées et ses sans-abri, le Baltic Triangle de Liverpool (nord-ouest du pays) est progressivement réhabilité. Il devient branché, et est pris d’assaut par des jeunes en tee-shirts et tatouages, qui profitent des tarifs bas et de l’ambiance décontractée pour y lancer leur start-up. Dans le bâtiment en briques apparentes, la petite équipe de l’entreprise de marketing Agent pratique tous les jours la méditation et, une fois par semaine, le yoga, tandis que leur caniche vient renifler les visiteurs. James Harper, 24 ans, est le « vidéographe » de l’équipe, selon l’expression de sa carte de visite. En 2015, il habitait Londres, où il avait trouvé un emploi après ses études. « C’était l’horreur. Je ne pouvais me payer aucun logement et je m’étais installé dans le [comté du] Buckinghamshire, à une heure et demie de mon travail. » Quand l’occasion de partir pour Liverpool s’est présentée, il a sauté dessus. « Ici, j’ai mon propre appartement, et il y a bien davantage d’offres de travail intéressantes. » Le gouvernement britannique rêve de voir les trajectoires comme celle de James se multiplier. Le Royaume-Uni est écrasé par Londres, qui concentre les entreprises et la richesse : 38 % de la valeur ajoutée du pays est produite dans le sud-est de l’Angleterre ; par comparaison, en France, l’Ile-de-France n’en produit « que » 30 %. L’écart entre le Nord et le Sud est béant : au Nord, le salaire médian est un tiers plus faible ; le taux de chômage, un point supérieur (6 % contre 5 %) ; les résultats scolaires sont moins bons… Et le fossé ne cesse de se creuser. La croissance de Londres en 2014 était de 5,4 %, tandis que celle du Nord tournait autour de 3 %. Dans sa superbe mairie néogothique, qui rappelle l’extraordinaire richesse de la révolution industrielle dans sa ville, le maire de Manchester, Richard Leese, enrage : « L’Angleterre est la troisième nation la plus centralisée d’Europe, après l’Albanie et l’Ecosse ! » Le chancelier de l’Echiquier, George Os- La réduction de l’écart Nord-Sud est un vieux serpent de mer britannique. Le ministre des finances conservateur, George Osborne, poursuit le « Northern Powerhouse », un projet de décentralisation borne, rêve de réduire cette profonde et historique division Nord-Sud. En juin 2014, il a lancé un concept un peu nébuleux, intitulé « Northern Powerhouse » (« le moteur du nord »). « Le moteur de Londres domine de plus en plus. Ce n’est pas sain pour notre économie. Ce n’est pas bon pour notre pays. Nous avons besoin d’un moteur du Nord », a-t-il déclaré. Depuis, il passe son temps à vanter ce projet. Sa vision : il faut rapprocher les cinq grandes villes du Nord (Liverpool, Manchester, Sheffield, Leeds et Newcastle). Ensemble, la région compte 15 millions d’habitants, dans une zone géographique limitée : à l’exception de Newcastle, toutes se trouvent dans un rayon de 60 kilomètres autour de Manchester. Avec de meilleures infrastructures, l’espoir est d’en faire un couloir économique à l’image de la région Rhin-Rhur en Allemagne. Jeudi 28 janvier, une étape importante a été franchie. Une grande loi de décentralisation a été promulguée, accordant des pouvoirs renforcés aux villes qui le souhaitent. Les cinq grandes cités du Nord vont en faire partie. Des agglomérations vont être créées, à l’image du grand Manchester, qui va rassembler dix communes. Un maire élu au suffrage direct sera à leur tête. « C’EST DU VENT » La décentralisation diffère d’une ville à l’autre, mais prévoit des pouvoirs sur les transports régionaux, les services de santé, le logement, la police, le développement économique… Financièrement, l’impact doit en principe être neutre : le changement n’implique ni coupe ni cadeau budgétaire. « Les décisions vont enfin être prises sur place par les gens qui connaissent la région, explique James Wharton, le secrétaire d’Etat chargé du Northern Powerhouse. Avant, la tendance « L’ANGLETERRE EST LA TROISIÈME NATION LA PLUS CENTRALISÉE D’EUROPE, APRÈS L’ALBANIE ET L’ÉCOSSE ! » RICHARD LEESE maire de Manchester était d’imposer des solutions imaginées depuis Londres. » Les nouvelles agglomérations obtiennent aussi un début d’autonomie fiscale : elles pourront augmenter ou baisser à leur guise l’impôt foncier local appliqué aux entreprises. Pourtant, au Baltic Triangle, l’initiative du Northern Powerhouse est accueillie avec un immense scepticisme. « C’est du vent, un concept politique vide », balaie Jacob Bolton, un collègue de James Harper, dans l’entreprise Agent. Dans l’atelier de la rue voisine, David Pichilingi ne cache pas son dédain. La cinquantaine, il a créé en 2008 Sound City, un festival de musique qui se tient tous les ans à Liverpool. « J’attends de voir ce qui sera vraiment fait. Pour l’instant, George Osborne s’approprie le crédit de la régénération de Liverpool, qui n’a rien à voir avec lui. » Liverpool a en effet tourné depuis longtemps la page désastreuse des années 1980, quand le chômage était endémique et le centre-ville quasiment déserté. Le long de la rivière Mersey, les anciens docks sont désormais une zone de culture très animée. Plusieurs musées ont ouvert, dont l’un consacré aux Beatles, et un autre à l’ancien trafic d’esclaves qui passait par le port. Un grand centre des congrès a été inauguré. Le centre-ville a été refait, en grande partie grâce à l’immense investissement de Grosvenor, la holding détenue par le duc de Westminster, l’un des hommes les plus riches du Royaume-Uni. Ce dernier a construit un grand centre commercial et des rues marchandes qui ne désemplissent pas. Liverpool a été couronnée capitale européenne de la culture en 2008. Un « festival international du business », soutenu par le gouvernement, s’y est aussi déroulé en 2014. Beryl Greenberg, qui travaille pour LecLight, une PME locale qui produit de l’éclairage à faible consommation d’énergie, y était. « Je me rappelle prendre une pause pendant le festival et regarder autour de moi : il faisait beau, les docks étaient complètement refaits, de beaux bateaux mouillaient dans la Mersey. C’était parfait. Je n’en revenais pas que ce soit ma ville. » S’il reste des poches de pauvreté très sévères, l’amélioration est évidente. Le même phénomène se produit à Manchester, et, dans une moindre mesure, dans les autres villes du Nord. Le secret ? La région a profité de la croissance exceptionnelle du RoyaumeUni du milieu des années 1990 à la crise de 2008-2009. Et les aides publiques du gouvernement britannique mais aussi de l’Union européenne ont beaucoup aidé. Pourtant, l’écart a continué à s’accroître avec le Sud, où la croissance était encore plus forte. Parmi les ambitions du projet figure celle de renforcer les axes de transport Est-Ouest, très mauvais. « De Manchester à Leeds, il y a 70 kilomètres. A l’heure de pointe, ça me prend deux heures et demi », s’agace Clive Memmott, le directeur de la chambre de commerce de Manchester. Se rendre à Londres en train est plus rapide. « UN POTENTIEL ÉNORME » Le problème principal est la chaîne de montagnes des Pennines, qui coupe la région en son cœur et fait goulot d’étranglement. Pour améliorer les routes dans cette zone, qui est un parc naturel protégé, il faudrait creuser l’un des plus grands tunnels au monde. Mais en attendant cet hypothétique projet pharaonique, le gouvernement a promis 13 milliards de livres (17 milliards d’euros) d’investissement dans les transports du Nord, en particulier pour les liaisons ferroviaires. Si l’argent était engagé avant le projet du Northern Powerhouse, les décisions vont désormais être prises de façon décentralisée. Le gouvernement espère aussi lancer une ligne de train à grande vitesse entre Londres, Manchester et Leeds. Véritable serpent de mer, le projet pourrait être approuvé en 2016, et les premières locomotives devraient circuler jusqu’au Nord vers 2027. Pour l’instant, beaucoup de projets donc, mais rien de très concret. « Nous en sommes au début, reconnaît James Wharton, le secrétaire d’Etat. Mais le potentiel est énorme. Nous donnons au Nord le capital politique et le soutien nécessaires à son développement. » Le Northern Powerhouse n’est cependant pas dénué d’arrière-pensées politiques. Le Nord est un bastion travailliste où les conservateurs sont presque entièrement absents. M. Osborne, dont la circonscription est située au sud de Manchester, est l’une des rares exceptions. Beaucoup de patrons d’entreprises de la région habitent son fief, et leur influence n’est sans doute pas étrangère à sa démarche. Il espère redresser l’image des Tories dans la région. Les leaders locaux ne sont bien sûr pas dupes. « Mais ça fait dix-sept ans que je me bats pour obtenir plus de pouvoirs décentralisés, explique M. Leese, le maire travailliste de Manchester. Qu’est-ce que je suis censé dire quand on me les accorde enfin, même si ça vient d’un gouvernement conservateur ? » L’égalité Nord-Sud est encore loin. Mais M. Leese et les autres leaders du Nord entendent désormais saisir leur chance. p éric albert économie & entreprise | 3 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 La croissance américaine a flanché en fin d’année Aux Etats-Unis, la consommation ralentit et l’industrie est en phase de récession new york - correspondant L’ économie américaine est tombée dans une certaine torpeur au quatrième trimestre 2015. Le produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis n’a progressé que de 0,7 % en rythme annualisé entre octobre et décembre, autant dire une quasi-stagnation en termes réels. Cette première estimation, publiée vendredi 29 janvier par le département américain du commerce, représente une nette décélération par rapport aux deux trimestres précédents, au cours desquels la croissance avait été respectivement de 3,9 % et de 2 %. Sur l’ensemble de l’année, le PIB du pays n’a progressé que de 2,4 %, comme en 2014. Une fois de plus, les espoirs d’assister à une franche accélération de la croissance après six ans de reprise s’envolent. Ces chiffres confirment la prudence exprimée deux jours auparavant par la Réserve fédérale (Fed, banque centrale) sur le dynamisme de l’économie des EtatsUnis. Constatant un ralentissement, l’institution monétaire s’est dite très vigilante de l’impact sur le pays du ralentissement chinois et des soubresauts des marchés financiers. Dans ce contexte, la Fed a préféré laisser ses taux inchangés après une première hausse en décembre 2015. Tout en résistant, la consommation des ménages, qui représente 70 % de l’activité économique aux Etats-Unis, a déçu les attentes avec une hausse limitée (+ 2,2 %) au quatrième trimestre. Il s’agit en fait d’un ralentissement par rapport au trimestre précédent, au cours duquel les dépenses des Américains avaient progressé de 3 %. C’est d’autant plus décevant que tout les poussait à sortir leur portefeuille : le dynamisme des créations d’emplois, avec un taux de chômage à 5 % de la population active, et un pouvoir d’achat dopé par la faiblesse des prix du pétrole. « Le ralentissement de la consommation reste assez intriguant, d’autant que la météo a été VARIATION TRIMESTRIELLE EN RYTHME ANNUALISÉ DU PIB DES ÉTATS-UNIS, EN % 4,6 4,3 3,9 2,1 2 0,7 0,6 T2 T3 2014 T4 T1 T2 T3 T4 2015 SOURCE : BLOOMBERG assez favorable », relève Thomas Julien, économiste chez Natixis à New York. Après une saison des fêtes très mitigée dans la distribution, la question est de savoir s’il s’agit d’un simple accident de parcours car, sur l’ensemble de 2015, avec +3,1 %, la consommation a connu sa meilleure performance depuis une décennie. Pour M. Julien, il existe même un potentiel de rebond avec le surcroît de pouvoir d’achat donné par la baisse des prix de l’essence. « Les ménages mettent du temps à s’ajuster à ce type de choc positif sur leurs revenus », insiste-t-il. Une observation que vient corroborer le moral des consommateurs, qui reste à un niveau élevé, d’après l’indice de l’université du Michigan, publié également vendredi. Baisse des investissements Du côté des entreprises, les choses se gâtent sensiblement. Les investissements ont reculé de 1,8 % en rythme annualisé. Il s’agit de la première baisse depuis le troisième trimestre de 2012. La croissance était encore de 2,6 % entre juillet et septembre 2015. Dans le secteur de l’énergie, qui subit l’impact de la baisse des prix du pétrole, c’est la chute libre. Les dépenses en infrastructures pour l’extraction pétrolière et gazière se Puits de pétrole dans le Dakota du Nord. Le secteur de l’énergie souffre de la baisse du prix de l’or noir. ANDREW CULLEN/REUTERS sont écroulées de 35 %, soit le plus fort recul depuis 1986. Plus généralement, les entreprises ont également réduit leurs stocks au quatrième trimestre, ce qui a coûté 0,45 point de pourcentage au PIB. Autre signe inquiétant, la chute de 5,1 % des commandes de biens durables en décembre 2015. Quasiment tous les secteurs sont touchés : l’industrie manufacturière (– 6,9 %), les machines-outils (–5,6 %), les ordinateurs et les équipements électroniques (–8,7 %) ainsi que les équipements de communication (– 20,5 %). Même l’automobile, qui faisait jusque-là preuve d’un dynamisme à toute épreuve, reflue (– 0,4 %). Sur l’en- semble de 2015, les commandes de biens durables ont reculé de 3,5 %. Il s’agit de la première baisse depuis 2009, alors que l’économie des Etats-Unis sortait à peine de la crise. Aujourd’hui l’industrie américaine est clairement en phase de récession, comme l’indiquent les derniers chiffres de l’ISM. Les exportations, freinées par la montée du dollar par rapport aux autres devises, sont également un sujet de préoccupation. Le déficit du commerce extérieur s’est ainsi creusé à 566,1 milliards de dollars (522 milliards d’euros), retranchant près d’un demi-point de pourcentage au PIB. Ce chiffre est toutefois à prendre avec précau- Les exportations ont été freinées par la hausse du dollar. Et le déficit du commerce extérieur s’est creusé tion dans la mesure où les données définitives de décembre 2015 ne sont pas encore intégrées. Le département du commerce doit publier deux nouvelles estimations d’ici le mois de mars. L’investissement dans l’immobilier résidentiel fait figure d’îlot de prospérité au milieu du ralentissement généralisé, avec une progression de 8,1 % au quatrième trimestre de 2015, après + 8,2 % au trimestre précédent. Malgré tout, le ralentissement de fin d’année incite les économistes à revoir à la baisse leurs anticipations de croissance pour 2016. Bank of America Merrill Lynch table sur + 2,1 %, contre les + 2,5 % prévus précédemment. De son côté, Natixis est passé de + 2,3 % à + 2 %. La croissance molle qui caractérise ce début de reprise aux Etats-Unis semble bien vouloir s’installer… p stéphane lauer L’Europe ne suivra pas Space X dans le cosmos… pour l’instant La priorité d’Airbus Safran Launchers (ASL) est de développer dans les temps de la nouvelle fusée Ariane 6 pour un lancement en 2020 P as la peine de se faire de nœud au cerveau : la seule manière d’être compétitif, c’est de lancer Ariane 6 le plus vite possible. » Mardi 26 janvier, François Auque, le président d’Airbus Defence & Space, a été catégorique. Face à l’Américain Elon Musk, qui, avec Space X, veut bouleverser la conception des lanceurs en les rendant réutilisables et donc moins chers, les Européens ne changeront pas de stratégie. Ils ne le suivront pas dans cette voie, du moins pour l’instant. « N’attendez pas de moi que je sous-estime la performance de Space X, bien au contraire », affirme en préalable M. Auque en revenant sur le succès enregistré midécembre 2015 par la fusée Falcon 9 qui s’est reposée en douceur sur son pas de tir après avoir mis en orbite un satellite. « Ce qui a été prouvé ce jour-là, c’est la récupération de la fusée, pas sa réutilisation », relativise-t-il. Or, « le pas est énorme » entre la prouesse technique et le réemploie des fusées dans des conditions économiques satisfaisantes. Cela dépend en grande partie de la taille du marché visé. « Il faut beaucoup de volume pour que cela devienne un business model rentable », dit-il, l’estimant à plusieurs dizaines de lancements par an. Certains évoquent le seuil de trente tirs, ce qui est loin d’être le cas, sur le seul marché commercial de mise en orbite des satellites de communication. Les tirs d’Ariane tout comme ceux de Falcon se comptent à peine sur les doigts des deux mains. Pour y parvenir, « le pari d’Elon Musk est d’utiliser en plus le volume de la NASA », explique M. Auque, très caustique sur la façon dont des investisseurs privés peuvent se développer grâce au soutien des commandes publiques pour des missions civiles ou militaires. « Mais, nous Européens n’avons pas cette possibilité », souligne-t-il, le nombre de lancements de tels satellites étant faible et très inférieur à ceux des Américains. Conçu dans l’urgence Dans ces conditions, tous les efforts sont concentrés sur Ariane 6, dont le premier vol est prévu en 2020. Conçu dans l’urgence pour répondre à l’arrivée du trublion américain qui a déstructuré le marché voici deux ans en cassant les prix, le nouveau lanceur sera 40 % moins cher qu’Ariane 5 et compétitif avec les offres de SpaceX. Ce ne sont pas seulement des modifications techniques qui permettent ces économies, mais aussi une réorganisation complète de la filière industrielle. Tous les acteurs ont été rassemblés au sein d’une société Airbus Safran Launchers (ASL). Détenue à parité par Airbus et Safran, elle contrôlera aussi Arianespace, chargée de la commercialisation et du lancement des fusées. Mais ASL, qui aurait dû être lancée en fin d’année 2015, connaît du retard à l’allumage en raison d’un problème fiscal. Pour arriver à être à parité au tour de table, Safran a versé à Airbus Group une soulte de 800 millions d’euros sur laquelle le groupe franco-allemand doit maintenant payer des impôts. C’est là que le bât blesse, Airbus renâclant à cette perspective. Des négociations sont en cours avec le ministère des finances pour sortir de l’impasse. « Sans toucher à une seule seconde du calendrier d’Ariane 6, nous continuons d’explorer des pistes de réutilisation », affirme néan- « Sans toucher au calendrier d’Ariane 6, nous explorerons des pistes de réutilisation » FRANÇOIS AUQUE président d’Airbus Défence & Space moins François Auque. Cependant, ces évolutions technologiques ne seront mises en œuvre qu’après 2020 sur la fusée européenne. En raison de son importance, ce sujet devrait être abordé lors de la prochaine conférence interministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), prévue à l’automne. « Absence de projets ambitieux » Pendant ce temps, Elon Musk poursuit ses essais avec, un objectif : emmener des passagers sur Mars d’ici une dizaine d’années. Même si, le 17 janvier, la deuxième tentative d’atterrissage en douceur de sa fusée Falcon 9 s’est soldée par un échec, le jeune milliardaire mise sur un taux de succès de 70 % cette année et de 90 % dans un an. Il vient d’étendre ces travaux à la capsule Dragon prévue pour transporter des astronautes vers la Station spatiale internationale (ISS) et surtout les ramener sur Terre. Depuis le 25 janvier, une vidéo sur Internet montre la réussite des tests sur les moteurs. Face à ce dynamisme américain dans le spatial, dont Space X est emblématique, François Auque regrette « l’absence de projets ambitieux des Européens ». Certes, tout ce qui est fait est « formidable », estime-t-il, mais il manque la dimension humaine. « Tant que l’Eu- rope n’aura pas une politique et une vision pour l’homme dans l’espace, l’ambition européenne ne sera pas de la même nature que celles des grandes puissances », comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine. Dans cet esprit, le patron de la division spatiale d’Airbus « soutient à fond » le projet de village lunaire avancé par Jan Wörner, le nouveau dirigeant de l’Agence spatiale européenne (ESA) dès sa prise de fonction en juillet 2015. « Il ne s’agit pas de bâtir de petites maisons et d’avoir une mairie, une église, etc. », a expliqué M. Wörner, le 15 janvier. « Dans mon idée, c’est un endroit où différentes personnes arrivent avec des idées et créent quelque chose qui n’est pas seulement individuel », a poursuivi l’ancien patron de l’agence spatiale allemande DLR. Cela va d’un organisme public intéressé par des expériences scientifiques à une compagnie minière privée venue faire de l’exploration en passant par l’installation d’une base relais pour aller plus loin dans l’espace. « Nous discutons au niveau mondial pour voir si cela suscite assez d’intérêt », a-t-il prévenu imaginant bien que ce village-laboratoire prenne le relais de la Station spatiale internationale dont la mission a été prolongée jusqu’en 2024. Cela laisse du temps au rêve. p dominique gallois LES CHIFFRES 70 C’est le nombre de lancements réussis d’Ariane 5 depuis 2003 après le succès du tir de la fusée mercredi 27 janvier à Kourou, en Guyane. Il s’agit du premier de l’année. 8 C’est le nombre de lancements de la fusée européenne qu’Arianespace envisage de réaliser cette année. Ce serait un record, pour le numéro un mondial des lanceurs. En 2015, il avait procédé à 6 tirs. 14 C’est le nombre de commandes de satellites géostationnaires décrochées par Arianespace en 2015, sur les 25 mis sur le marché. Le groupe européen conforte son avance sur son rival SpaceX qui a emporté neuf satellites, les deux restants allant à ILS et sa fusée russe Proton, et à l’américain ULA et son lanceur Atlas. 4 | économie & entreprise 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Réfugiés : l’Europe face à un casse-tête budgétaire Les pays membres de l’Union européenne montrent un défaut de solidarité face à la crise migratoire suite de la première page Depuis quelques semaines, Matteo Renzi est en froid avec Bruxelles. La Commission européenne refuse de lui accorder plus de marge de manœuvre budgétaire. Le président du Conseil italien a fait le voyage à Berlin, vendredi 29 janvier, pour tenter d’arrondir les angles avec la chancelière Angela Merkel – cette dernière a de nouveau promis aux Turcs, ces derniers jours, qu’ils auraient leur argent. Mais la réunion n’a pas été décisive : « l’Italie est prête à faire sa part », a toutefois déclaré M. Renzi en soirée. Il a aussi rappelé avoir dit sur le principe « oui à l’assistance à la Turquie » en novembre 2015. Mais il attend encore « des réponses des amis de la Commission européenne ». La difficulté des Européens à s’entendre sur une somme pourtant modeste au regard, par exemple, des dizaines de milliards d’euros qu’ils ont mobilisés ces cinq dernières années pour sauver la Grèce de la faillite reflète leur manque total de solidarité sur la crise migratoire. Les Etats rechignent aujourd’hui à payer collectivement pour un « fardeau » que seuls quelques-uns supportent : la Grèce et dans une moindre mesure l’Italie, en temps que « pays de première entrée » dans l’UE. Mais surtout l’Allemagne et la Suède, là où les migrants souhaitent tous déposer leurs demandes d’asile. Combien la crise a-t-elle d’ores et déjà coûté ? C’est pour l’instant difficile à calculer, le compte n’ayant pas encore été fait précisément par les Etats. Mais le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, a lancé le débat, à la mi-janvier. « Nous devons penser au-delà. Avec les trois milliards d’euros, nous ne faisons avancer qu’une partie de la solution », a-t-il déclaré dans une interview au quotidien Süddeutsche Zeitung. Il suggère l’instauration d’un prélèvement « réfugiés » assis sur la consommation de car- Les Etats rechignent à payer collectivement pour un « fardeau » que seuls quelquesuns supportent jeux : déjà 54 500 migrants sont arrivés en Europe depuis le 1er janvier, selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés. Remettre à plat le budget de l’UE ? C’est théoriquement possible, dès cette année, la Commission ayant promis une « clause de revue » du cadre 2014-2020. Mais procédera-t-elle plus avant, avec une « révision » complète ? C’est peu probable tant l’appétit est faible dans les Etats membres, hors l’Allemagne. Réfugiés sur le quai de la gare de Tabanovce (Macédoine), jeudi 28 janvier. BORIS GRDANOSKI/AP burant. « Si les budgets nationaux ou celui de l’Europe ne suffisent pas, mettons-nous d’accord pour instaurer par exemple une taxe d’un certain niveau sur chaque litre d’essence », avance-t-il. Remise à plat Ces sorties s’adressent directement à l’opinion publique de son pays. L’Allemagne a déjà accueilli l’essentiel des migrants arrivés en Europe en 2015 (1,1 million), et consacre à cette question des montants considérables. Certes, elle peut se le permettre : première économie de la zone euro, elle a dégagé un excédent colossal, de 12 milliards d’euros en 2015, qui va être entièrement consacré à l’accueil des migrants. Mais face à des citoyens de plus en plus inquiets, Berlin ne pourra sans doute pas continuer à ce rythme. Avec ces interventions publiques, M. Schäuble veut aussi poser la question du budget européen, qui pourrait prendre le relais de celui de son pays pour faire face au coût de la crise et permettre que les charges soient plus équitablement réparties. Mais ce budget est trop peu flexible et pas assez conséquent, a expliqué le ministre allemand, le 14 janvier, à Bruxelles. Il faudrait le remettre à plat, a-t-il suggéré, réallouer les fonds « flé- chés » depuis des années vers les mêmes priorités européennes historiques. Voire lui adjoindre des ressources propres supplémentaires, d’où sa suggestion d’un impôt sur l’essence. De fait, le budget de l’UE – soit 162 milliards d’euros pour 2015 – n’est pas « construit » pour répondre à un besoin urgent de financement. Alimenté par les contributions des Etats, il est négocié sur une base pluriannuelle. Il a ainsi fallu deux ans pour parvenir à le boucler pour la période 2014-2020 et ventiler ses différents chapitres – politique agricole commune (PAC), fonds de cohésion sociale et régionale, aides à l’emploi. La France entend faire fructifier l’accord sur la restructuration de la dette de Cuba Raul Castro effectue, à compter de lundi, une visite d’Etat dans l’Hexagone P our la première fois, le drapeau cubain flotte sur les Champs-Elysées. Lorsque Fidel Castro avait été embrassé par Danielle Mitterrand sur le perron de l’Elysée, en 1995, sa présence dans le cadre d’une visite non officielle avait été jugée embarrassante. La « diplomatie économique » prime désormais et Raul Castro est accueilli avec tous les honneurs d’une visite d’Etat, lundi 1er février. François Hollande avait été le premier chef d’Etat européen à se précipiter à La Havane, en mai 2015, dans la foulée de la normalisation des relations de l’île des Caraïbes avec les Etats-Unis, scellée en décembre 2014. Lors de cette visite, Paris espère capitaliser sur l’accord trouvé le 12 décembre 2015 entre le Club de Paris, présidé par la France, et Cuba sur la restructuration de 16 milliards de dollars (14,7 milliards d’euros) de dettes sur lesquels La Havane avait fait défaut en 1986. Le pays traînait cette ardoise comme un boulet, ne pouvant emprunter. La Russie, la première, avait décidé, en 2014, de passer par profits et pertes 90 % de ses créances, estimées à 35 milliards de dollars. Les sommes dues aux pays occidentaux et au Japon, réunis au sein du Club de Paris, s’élevaient à 11,9 milliards de dollars, dont 4,6 milliards pour la France. En décembre 2015, les bailleurs ont renoncé aux intérêts de retard. Les Français ont ensuite engagé une négociation bilatérale sur le principal de leur créance, soit 360 millions d’euros, avec l’idée de réinjecter ce montant dans des projets de développement à Cuba susceptibles d’intéresser des entreprises tricolores. Dépendances aux importations Une feuille de route devrait être actée pendant la visite de M. Castro. La première mesure portera sur l’installation d’une antenne de l’Agence française de développement (AFD) à La Havane. Les Cubains ont des besoins en infrastructure et en logistique qui pourraient intéresser les sociétés de l’Hexagone. Sont concernés, le réseau d’assainissement de La Havane, très mal entretenu depuis un demi-siècle, et les transports publics – la SNCF a d’ores et déjà procédé à un premier examen de l’état du chemin de fer qui traverse l’île. Et les entreprises présentes ne demandent qu’à voir croître leur activité. Dans le secteur des spiritueux, le groupe Pernod Ricard vise, depuis la fin de son bras de fer avec la marque de rhum Bacardi, le haut de gamme. Dans l’hôtellerie, Accor veut rattraper son retard sur ses rivaux espagnols, alors que le nombre de touristes bat des records : 3,5 millions de personnes, provenant d’Amérique du Nord et d’Europe. De son côté, Total songe à produire le bitume dont les routes et les rues de Cuba ont un grand besoin. Mais, malgré ses atouts, l’île n’est pas encore le paradis des affaires. Sur le port de Mariel, le méga projet financé et mis en œuvre par le groupe brésilien Odebrecht – il est assorti d’une « zone spéciale de développement » – tarde à attirer des entreprises. Une dizaine seulement aurait franchi le pas. Les installations portuaires ont bien été inaugurées en 2012, mais les cargos ne se bousculent pas. L’adoption d’une nouvelle loi, en 2014, pour les investissements étrangers et la présentation d’un portefeuille d’opportunités à destination des intéressés n’ont pas suscité la ruée. Résultat, depuis que Raul Castro est aux commandes de l’île (2006), la croissance annuelle moyenne n’a guère dépassé 2,8 %, avec une progression de seulement 0,6 % dans l’agriculture. Cette situation explique les pénuries que subit le pays et sa dépendance aux importations, un phénomène qui affecte le secteur hôtelier. Rodrigo Malmierca, le ministre cubain du commerce extérieur et de l’investissement étranger, estime que l’île a besoin de 8 milliards de dollars pour assurer son décollage économique. « L’embargo américain n’est pas le principal obstacle, mais l’absence de sécurité juridique et le flou sur le droit de propriété » sont autant d’obstacles, explique un entrepreneur européen sous couvert d’anonymat. L’opacité sur les comptes publics et sur les réserves de la banque centrale ne favorise pas davantage la confiance. Le problème est plus général. « L’ONG Reporters sans frontières [RSF] enjoint François Hollande de ne pas esquiver la question fondamentale de la liberté de la presse lors de ses échanges avec Raul Castro », a lancé Emmanuel Colombié, chef du bureau Amérique latine de RSF. La Havane peine à rompre avec ses vieux démons. p paulo a. paranagua Il n’est possible de l’ajuster d’une année sur l’autre qu’à la marge. Les budgets annuels restent consommés par la PAC (62 milliards d’euros pour 2015, 38 % du total) et les fonds de cohésion sociale et territoriale (61 milliards d’euros). La part pour les migrants et l’aide au développement n’était que de 2 milliards d’euros par an jusqu’à présent. Au prix d’intenses tractations entre la Commission de Bruxelles, le Conseil (les Etats membres) et le Parlement européen, cette enveloppe « migration, développement » a été portée à 4 milliards d’euros pour 2016. Mais cela reste très insuffisant au regard des en- Invendable « taxe migrants » En France, le débat sur la PAC est tabou, idem pour celui sur les fonds structurels dans les pays de l’Est. Et de toute façon, les tractations en cours entre Londres et Bruxelles pour éviter un « non » britannique au référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE « vitrifient » littéralement la discussion budgétaire. Le 10 Downing Street pointant régulièrement du doigt sa contribution, jugée trop importante, au « pot commun » européen, personne à Bruxelles n’a envie de relancer ce type de polémique en ce moment. Quant à l’instauration d’une « taxe migrants », vu le raidissement des opinions publiques partout en Europe sur le sujet, c’est une option qui paraît politiquement invendable, du moins pour le moment. Quoi qu’il en soit, si le flux des migrants vers le Vieux Continent continue à ce rythme, la question du financement va devenir explosive. p cécile ducourtieux I N T ER N ET Facebook régule les ventes d’armes sur son réseau Facebook veut empêcher que son réseau social ou son application de partage de photos Instagram soient utilisés comme intermédiaires pour négocier des ventes d’armes entre particuliers. Le groupe américain a mis à jour ses règles d’utilisation, vendredi 29 janvier. Elles interdisent aux utilisateurs qui ne sont pas des vendeurs d’armes licenciés d’utiliser Facebook pour proposer des armes à la vente ou négocier des transactions entre particuliers. I N FOR MAT I QU E Apple travaille sur des casques de réalité virtuelle Le groupe américain Apple a réuni une équipe d’experts de la réalité virtuelle et construit des prototypes de casques susceptibles de rivaliser avec ceux que préparent d’autres géants du secteur – le casque Rift de la société Oculus, rachetée en 2014 par Facebook, ou le prototype HoloLens de Microsoft –, a affirmé le Financial Times, vendredi 29 janvier. – (AFP.) PÉT R OLE Première perte depuis 2002 pour Chevron La chute des prix de l’or noir a englouti les profits du groupe américain Chevron. Il a accusé une perte de 588 millions de dollars (543 millions d’euros) au quatrième trimestre 2015, contre un bénéfice de 3,47 milliards de dollars à la même période de 2014, selon des résultats publiés vendredi 29 janvier. C’est la première fois depuis le troisième trimestre 2002 que la société perd de l’argent. – (AFP.) Vallourec prépare une augmentation de capital L’action du fabricant français de tubes sans soudure Vallourec a été suspendue, vendredi 29 janvier, à la Bourse de Paris. Elle avait décroché de plus de 14 % après l’annonce par l’agence financière Bloomberg que le groupe préparerait une augmentation de capital de 450 millions d’euros. Le titre a perdu près de 80 % de sa valeur en un an. La capitalisation boursière de Vallourec est tombée à 549 millions d’euros. – (AFP.) T EXT I LE Quicksilver sort du chapitre 11 La justice américaine a approuvé le plan de restructuration de Quiksilver aux EtatsUnis, a annoncé, jeudi 28 janvier, la marque de vêtements, spécialisée dans les sports de glisse. Ce plan prévoit la sortie du chapitre 11 sur les faillites de la société et sa prise de contrôle par le fonds d’investissement Oaktree Capital Management, actionnaire de la marque de surf australienne Billabong. C nc Htcp›ckug Ng ucxqkt/hcktg ! " ) $ *! ) $ *!! 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" 6 | bourses & monnaies 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 PARIS FRANCFORT LONDRES + 1,85 % + 0,34 % + 3,11 % CAC 40 DAX 3 0 F TS E 10 0 4 417,02 POINTS 9 798,11 POINTS 6 083,79 POINTS EURO STOXX 50 NEW YORK + 2,32 % + 0,72 % DOW JONES 3 045,09 POINTS 16 466,30 POINTS NASDAQ TOKYO + 3,30 % + 0,50 % NIKKEI 4 613,95 POINTS 17 518,30 POINTS Les marchés actions toujours en proie au doute La Bourse de Shanghaï a chuté de 23 % en janvier, entraînant à la baisse toutes les autres places mondiales V ivement février ! C’est ce que doivent se dire tous les traders de la planète, au terme d’un mois de janvier apocalyptique en Bourse. A l’image d’un navire sans capitaine, les marchés financiers ont semblé désemparés. Pris dans la tempête, sans boussole ni gouvernail, ils ont tangué, roulé, et cherché en vain leur voie durant les premières semaines de l’année, soumis à une forte volatilité, l’équivalent boursier du gros temps maritime. Il n’y a plus une semaine, désormais, sans sa « journée noire » sur une place ou sur une autre. Voire sur toutes. Mardi 26 janvier, c’est une fois encore la Bourse de Shanghaï, le maillon faible des marchés actions, qui a été touchée de plein fouet. Son indice phare s’est effondré de plus de 6,4 %, dans une atmosphère de dépression due, notamment, à la nouvelle chute des cours du pétrole. L’approche des vacances du Nouvel An lunaire – début février – a accentué par ailleurs la morosité car elle est synonyme de moindres mouvements sur les marchés, et donc de turbulences potentiellement encore plus prononcées. Au total, la place de Shanghaï s’est effondrée de 23 % en janvier, enregistrant sa pire performance mensuelle depuis la crise financière de 2008. Les raisons de cette débandade ? La deuxième économie mondiale a connu, en 2015, sa plus faible croissance depuis un quart de siècle. L’activité continue de s’essouffler, et les doutes sur la capacité du gouvernement chinois à éviter un atterrissage brutal s’intensifient. Ces Les banques italiennes ont la cote Plusieurs établissements bancaires italiens ont bondi, vendredi 29 janvier au matin, à la Bourse de Milan, à la suite d’informations de presse et de publication de résultats. Les médias transalpins affirment que la voie est désormais ouverte pour une fusion entre Banco Popolare et Banco Popolare di Milano (BPM). De cette opération naîtrait le troisième plus important groupe du secteur en Italie, derrière Intesa Sanpaolo et Unicredit. Les autorités italiennes auraient en effet été convaincues par les dirigeants des deux établissements qu’une des options qu’elles privilégiaient – une fusion entre BPM, Ubi Banca et Monte dei Paschi si Siena (BMPS) – risquait de se révéler longue et compliquée. De son côté, BMPS, considérée comme la plus vieille banque de la planète, a annoncé, jeudi, avoir enregistré un bénéfice net de 390 millions d’euros en 2015, son premier en cinq ans. incertitudes, conjuguées à un marché pétrolier qui enregistre des surplus, ont contribué à faire chuter violemment les cours de l’or noir, passés en janvier sous le seuil symbolique des 30 dollars le baril. Au final, sur la semaine, le CAC 40 a crû de 1,85 %, tandis que le DAX allemand progressait de 0,34 % et que le Footsie britannique s’adjugeait 3,11 %. Outre-Atlantique, le S&P 500 s’est apprécié de 1,75 %, quand le Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques, gagnait 0,50 %. Coup de frein américain Il semble difficile d’entrevoir la moindre embellie. Même les banquiers centraux, hier héros d’investisseurs prêts à les croire sur parole, semblent rencontrer les pires difficultés pour ramener un semblant de calme. Mercredi, c’est la réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale) qui a jeté le trouble dans l’esprit des investisseurs. « Le comité de politique monétaire surveille de très près la situation économique et financière mondiale, et évalue actuellement ses effets sur le marché du travail et sur l’inflation », a averti l’institution monétaire dirigée par Janet Yellen, dans un communiqué. Pas de quoi apaiser des marchés déjà confortés dans l’idée que 2016 s’ouvre sous les auspices les plus incertains… Côté Vieux Continent, même l’étoile du très écouté Mario Draghi, le président de la Banque cen- Héros d’hier, les banquiers centraux semblent rencontrer les pires difficultés pour ramener un semblant de calme trale européenne (BCE), semble pâlir. « Nous nous demandons pourquoi les marchés financiers sont suffisamment naïfs pour croire qu’une politique monétaire plus expansionniste de la BCE va les pousser fortement à la hausse », soulignaient cette semaine les analystes de Natixis dans une note. Et de rappeler qu’ajouter de la liquidité sine die – ce que fait l’institution de Francfort depuis mars 2015 en rachetant chaque mois quelque 60 milliards d’euros d’actifs sur les marchés – ne résoudra pas les problèmes structurels d’une zone économique où les chefs d’Etat ne veulent pas s’attaquer de front aux véritables problèmes. « La faible croissance en zone euro vient essentiellement de la faiblesse (…) des gains de productivité [et] des problèmes institutionnels (règles du marché du travail, comme la protec- tion de l’emploi, inefficacité dans certains pays du système de formation) », explique encore Natixis. Selon le gérant américain d’actif State Street, qui publie régulièrement un indice mondial de la confiance des investisseurs, ce dernier s’est établi à 108,8 en janvier, en baisse de 1,7 point par rapport au niveau enregistré en décembre 2015. « Ce recul résulte d’une baisse de 110,5 à 108,8 de l’indice de la confiance en Amérique du Nord, ainsi que du repli de 1,5 point de l’indice en Asie, et de 0,1 point en Europe », expliquent les gérants. Et ce n’est pas la première estimation de la croissance aux Etats-Unis au quatrième trimestre de 2015, publiée vendredi 29 janvier, qui va mettre du baume au cœur des investisseurs. Entre octobre et décembre de 2015, le produit intérieur brut (PIB) du pays n’a crû que de 0,7 % en rythme annualisé, après avoir enregistré une hausse de 3,9 % au deuxième trimestre et de 2 % au troisième. La chute des dépenses de consommation et le ralentissement des exportations causé par un dollar fort expliquent en grande partie ce coup de frein. Si nombre d’économistes tablent sur un rebond de l’activité au premier trimestre de 2016, cet indicateur décevant vient alimenter les craintes que le moteur de la croissance américaine ne soit en train de caler, à son tour. p audrey tonnelier MATIÈRES PREMIÈRES TAUX & CHANGES L’amande ne boit plus de petit-lait Gare au burn-out, Janet ! L’ amande devient amère. En particulier pour les producteurs californiens. Après avoir tutoyé les sommets, le cours du fruit sec se trouve broyé. Il a perdu près de la moitié de sa valeur en six mois. En août 2015, la livre d’amandes standard s’arrachait à 4,70 dollars (4,30 euros). Elle ne vaut plus que 2,60 dollars aujourd’hui. Une véritable douche froide pour les exploitants agricoles, alors que les pluies diluviennes, et même la neige, ont interrompu une longue phase de sécheresse dans cet Etat de l’Ouest américain. Le manque d’eau a d’ailleurs mis l’amande californienne sur le gril. Les critiques se sont élevées pour dénoncer la culture trop gourmande d’un arbre qui n’a rien d’un chameau. Un seul de ses fruits absorbe 3,80 litres d’eau avant d’arriver à maturité. Et les 400 000 hectares de vergers engloutissent 10 % du précieux liquide consommé par l’agriculture dans cette partie des Etats-Unis. Ses défenseurs mettent, eux, en avant son poids économique. Car la Californie ne se résume pas aux fortunes des géants de l’Internet. A quelques miles de la Silicon Valley, dans la Central Valley, vergers, champs de coton ou maraîchages se déploient sur l’horizon. Une véritable ruée vers l’or vert. Demande en berne Dans cette corne d’abondance agricole, l’amande tient une place à part. A elle seule, elle pèse plus de 4,1 milliards de dollars dans la balance des exportations américaines. Soit trois fois plus que les vins californiens. Et pour cause. Ce seul Etat américain concentre, Chute VARIATION DU PRIX DE L’AMANDE, EN DOLLARS LA LIVRE 4,6 2,8 1,1 JANVIER 2001 JANVIER 2016 SOURCE : DERCO FOODS à lui seul, 83 % de la production mondiale de ce fruit à coques. Le deuxième producteur est l’Australie (7 %), suivie de l’Europe (5 %). La crise climatique semble avoir glissé sur les vergers d’amandes californiens comme l’eau sur la plume des canards. En 2015, quatrième année consécutive de sécheresse, la récolte a encore progressé de 2,5 %, dépassant les 950 000 tonnes. Au gré de la baisse de pression dans les tuyaux d’arrosage, les agriculteurs ont préféré laisser en jachère champs de melons ou de coton plutôt que de se priver de leur culture la plus rentable. Ce calcul les avait déjà amenés à accorder de plus en plus de terres aux amandiers, snobant carottes ou fraises. Soit 50 % de surfaces en plus en une décennie. La flambée du prix, qui avait doublé en cinq ans, ne les a pas incités à faire amende honorable. D’autant que la collective des Amandes de Californie, qui pèse 5,7 milliards de dollars, ne lésine pas sur les moyens pour inciter les consommateurs du monde entier à croquer le fruit sec ou à boire son lait en vantant ses qualités nutritionnelles. Sauf que la machine s’est grippée. Les clients sont devenus plus regardants à la dépense. En particulier au Moyen-Orient, où l’or noir s’est terni. Les regards se tournent vers les pistaches et noix de cajou, qui croquent des parts de marché. Récolte abondante, demande en berne… l’amande ne boit plus de petit-lait. p laurence girard L es psychologues du travail appellent cela le « syndrome de Superman ». Depuis quelques années, il se manifeste de plus en plus souvent en entreprise. Ses victimes sont partout : cadres, employés, chefs de service qui, pour des raisons aussi diverses que la pression, le souseffectif ou le fantasme de la performance, se fixent soudain comme objectif de mener tous les combats de front. Grisé par un sentiment de toute-puissance, dopé à la caféine, le Superman s’imagine capable de gérer en maître toutes les tâches – y compris celles de ses collègues –, de travailler plus vite, mieux, sans limite. Il ne compte plus les heures, envoie des mails au milieu de la nuit, soulève des montagnes. Et cela fonctionne. Pendant un temps, les victimes du syndrome de Superman sont bel et bien des superhéros. Jusqu’à ce qu’elles s’effondrent, terrassées par l’épuisement professionnel : le burn-out. Cela se produit tous les jours, dans les PME comme dans les grands groupes. Mais pas seulement. Les banquiers centraux eux aussi sont victimes, depuis 2008, du syndrome de Superman. Et, aujourd’hui, ils sont menacés de burn-out. nois, l’activité indienne, les devises sudaméricaines et la volatilité des Bourses européennes, c’est la migraine assurée. Et la garantie de l’échec, tant ces problèmes ont des causes structurelles différentes. De l’autre côté de l’Atlantique, Mario Draghi souffre, lui aussi, du syndrome de Superman. Alors que son prédécesseur, JeanClaude Trichet, se préoccupait seulement de l’inflation, le président de la BCE a élargi sa mission à la stabilité financière, la sauvegarde de la monnaie unique, la convergence des taux souverains, la baisse de l’euro, la surveillance des banques… Trop pour une seule institution ? Difficile, il est vrai, de reprocher aux banquiers centraux d’avoir tout fait pour éviter l’effondrement des marchés en 2008, puis d’avoir fait preuve de créativité pour relancer le crédit. Tel le cadre de multinationale en surchauffe, ils se sont donnés pour mission de faire le travail de leurs collègues défaillants – les gouvernements. Ils ont agi à leur place pour relancer la croissance. Ils se sont crus tout-puissants. Cela a fonctionné un temps. Mais, comme le manageur en burn-out, les grands argentiers ont atteint leur limite. Leurs ressources s’épuisent. Leur créativité s’assèche. Malgré leur activisme, la croissance reste désespérément faible. Tout le monde commence à s’en rendre compte. Personne n’est encore capable d’en tirer les conséquences : qui prendra le relais si les banques centrales jettent à leur tour l’éponge ? p Migraine assurée C’est ainsi le cas de la Réserve fédérale américaine (Fed). Mercredi 27 janvier, sa présidente, Janet Yellen, a indiqué qu’elle suivrait de près, ces prochaines semaines, les développements de l’économie monmarie charrel diale. En fonction de ces derniers, elle décidera de relever, ou non, ses taux d’intérêt à nouveau, au mois de mars. LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE » Quoi ? Il y a deux ans encore, la Fed s’interdisait, comme tous les banquiers cenCOURS DE L'ACTION traux, de s’intéresser à autre chose que l’inVENDREDI 29 JANVIER flation, l’emploi et la croissance sur son Société des lecteurs du « Monde » propre territoire. Et pour cause : vouloir 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 prendre en compte le ralentissement chiTél. : 01 57 28 25 01 - [email protected] 0,61€ argent & placements | 7 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 CLIGNOTANT Quand faire appel à un architecte ? Leur coût peut sembler rédhibitoire, mais dès que le chantier devient complexe, leur présence est indispensable pour éviter les dérapages T rop de copropriétés votent des travaux complexes sans avoir recours aux services d’un maître d’œuvre », estime Claude Pouey, directeur technique de l’Association des responsables de copropriétés. Son rôle est pourtant crucial : le maître d’œuvre, qui peut être un architecte ou un simple bureau d’études, assure l’étude préalable (définition d’un cahier des charges, réalisation d’un appel d’offres, analyse et négociation des devis des entreprises) et veille ensuite au bon déroulement du chantier. C’est surtout lors de la réception des travaux que son expertise peut se révéler précieuse. Le procès-verbal rédigé à cette occasion marque le point de départ des garanties de parfait achèvement (un an), de bon fonctionnement (deux ans) et de la garantie décennale (dix ans), qui concerne les dommages affectant la toiture, les murs… « C’est à ce moment que les commanditaires des travaux doivent émettre des réserves si quelque chose cloche, explique M. Pouey. Or, bien souvent, cet acte est bâclé par le syndic qui ne relève quasiment rien. » « Un chef d’orchestre » Dans ce cas, les copropriétaires ne pourront plus rien réclamer, même si le conseil syndical constate par la suite des anomalies qui étaient visibles à la réception des travaux, comme la pose d’un carrelage alors que du marbre était prévu. « En revanche, si le commanditaire des travaux a fait appel à un maître d’œuvre, il pourra se retourner contre lui », confie l’architecte Jean-Pol Hindré. En cas de procédure judiciaire, les copropriétaires peuvent se retrouver en difficulté s’ils n’ont pas engagé de maître d’ouvrage car l’entreprise prestataire peut faire valoir qu’il s’agit d’une reconnaissance implicite de leurs compétences en matière de construction. Plus le nombre de corps de métier intervenant sur un chantier est important, plus la présence d’un maître d’œuvre est nécessaire pour éviter les dérapages. « L’architecte est un chef d’orchestre qui fait travailler les entreprises de concert et sert d’interface avec le client, qui maîtrise rarement le vocabulaire technique nécessaire », dit l’architecte Pascal Compérat. Combien coûte un architecte ? Un forfait est généralement proposé pour des missions de courte durée, comme la réalisation d’esquisses pour l’aménagement d’un appartement ou d’une maison. Pour une mission complète, c’est-àdire avec la supervision du chantier, l’option la plus fréquente est le versement de 8 % à 12 % du montant HT des travaux. La sécurité de l’assurance Pour exercer son métier, un architecte doit obligatoirement être assuré. Dans les faits, 90 % des 32 000 professionnels travaillant en France sont assurés auprès de la Mutuelle des architectes français. Ce détail a son importance, car, si l’assurance est chère (environ 10 000 euros par an pour un cabinet de taille moyenne), elle procure une sécurité précieuse au professionnel et, par ricochet, à ses clients. En effet, il arrive fréquemment qu’une entreprise de BTP indélicate se déclare en faillite lorsqu’elle est poursuivie en justice par des clients. « Dans ce cas, les juges rejettent souvent la responsabilité sur l’architecte, qui peut être condamné in solidum, c’est-à-dire par solidarité avec l’entreprise défaillante, car ils savent que l’assurance sera là pour payer », explique l’architecte Pascal Compérat. ÉPARGNE Gare aux placements atypiques Ce pourcentage dépend, outre du coût des travaux, de la complexité du chantier et du temps passé. Il est généralement possible de négocier : plus le coût des travaux est élevé, plus la part versée à l’architecte diminue. Il est aussi parfois possible de rémunérer un architecte à l’heure (comptez entre 100 euros et 120 euros HT). Ces coûts font reculer de nombreux copropriétaires, d’autant que la loi n’impose le recours à un architecte que dans certains cas très précis. « C’est obligatoire si le projet de travaux conduit la surface de plancher ou l’emprise au sol de l’ensemble à dépasser 170 m² », précise Pascal Compérat. Les copropriétaires sont d’autant moins enclins à faire appel à un architecte que leur syndic pousse pour assurer lui-même le suivi des travaux, ce qui lui permet de toucher entre 3 % et 5 % de leur montant. Le problème est que très peu possèdent les compétences techniques pour mener à bien ce type de mission. « Même lorsque le syndic a acquis au fil du temps une certaine expérience technique, il n’est pas toujours un spécialiste du bâtiment et de ce fait, il n’est pas à même de juger si un ouvrage présente ou non des désordres », explique M. Compérat. « Pour les petits travaux comme la réfection d’une cage d’escalier, cela porte peu à conséquence, complète M. Hindré. Mais pour des chantiers importants, comme un ravalement ou la réfection d’une toiture, les conséquences peuvent être graves. » Pour de gros chantiers, il est d’ailleurs fréquent que la compagnie d’assurances exige la présence d’un maître d’œuvre pour accorder sa garantie dommages-ouvrages. p jérôme porier Investir dans le vin, jouer les apprentis spéculateurs… trop peu pour vous ? Peut-être, en tout cas le grand public se voit de plus en plus proposer ces « placements », selon une étude du CSA pour le compte de l’Autorité des marchés financiers (AMF), publiée le 27 janvier. Selon ce sondage, 62 % des Français ont déjà entendu parler de telles offres, 28 % ont été en contact ou démarchés et 9 % déclarent avoir investi dans l’un d’entre eux. Enfin, 5 % des personnes interrogées disent avoir déjà été victimes d’une « arnaque ». L’AMF note que son centre d’information réservé aux épargnants (Epargne Info) a enregistré, en 2015, une hausse de 30 % des demandes de particuliers concernant le marché des changes. QUESTION À UN EXPERT murielle gamet, cheuvreux notaires Quels documents un bailleur peut-il demander à son locataire ou à sa caution ? En application de la loi sur le logement ALUR, un décret du 5 novembre 2015 a arrêté la liste des pièces qu’un bailleur peut demander à son locataire ou à sa caution pour tout bail conclu à compter du 8 novembre 2015. Jusqu’à cette date, la loi fixait, au contraire, les documents qu’un propriétaire ne pouvait exiger de son locataire potentiel. Selon ce qu’il doit être justifié, un document et non plusieurs peuvent désormais être demandés. Par exemple, un seul document justifiant de l’identité de la personne en cours de validité (comportant la photographie et la signature du titulaire parmi une liste visée) ; une seule pièce justificative de domicile parmi les documents listés, par exemple les trois dernières quittances de loyer ou l’attestation du précédent bailleur, ou de son mandataire, indiquant que le locataire est à jour de ses loyers et charges. Pour s’assurer de la solvabilité du locataire, un propriétaire a le droit de lui demander son dernier ou avant-dernier avis d’impôt, ses trois derniers bulletins de salaire, ou bien un justificatif des pensions de retraite, prestations sociales et familiales perçues au cours des trois derniers mois. Autre nouveauté, ces nouvelles règles s’appliquent tant aux locations nues qu’à celles meublées. p VILLES EN MUE Rudy Ricciotti rénovera la gare de Nantes présentent MBA FAIR Le MBA, un accélérateur de carrière ! Pour choisir votre MBA Rencontrez les directeurs des programmes les plus prestigieux Assistez aux conférences animées par les journalistes du Monde Participez aux nombreuses prises de parole des exposants R égulièrement classée en tête des palmarès des villes où il fait bon vivre, Nantes voit sa population croître chaque année. Pourtant, la ville dispose d’une gare peu fonctionnelle, qui ne permettra pas d’accueillir les 25 millions de voyageurs annuels prévus en 2030, contre un peu plus de 11 millions aujourd’hui. Ce constat a conduit la SNCF à lancer une rénovation intégrale du bâtiment, en partenariat avec la métropole, le département, la région et l’Etat. En octobre 2015, le projet de Rudy Ricciotti, architecte du MuCEM à Marseille, a été retenu. Il prévoit la construction d’une large passerelle au-dessus des quais, qui deviendra le trait d’union entre le centre-ville au nord, et le futur quartier d’affaires EuroNantes au sud. Cette mezzanine vitrée, de 25 mètres de large sur 160 mètres de long et 18 mètres de haut, offrira un panorama à 360 degrés sur les trains en contrebas, mais aussi sur la ville et la Loire. Les 4 000 m2 créés intégreront 1 500 m2 de commerces et lieux de détente. Enfin, la nouvelle passerelle-promenade sera recouverte d’une treille en résille métallique reposant sur dix-huit poteaux de béton en forme d’arbres. Chaque quai sera desservi directement par des ascenseurs et des Escalator, l’ancien accès souterrain étant conservé. La mairie souhaite que ce bâtiment, prévu pour la fin 2019, devienne le porte-étendard du dynamisme nantais. « La gare est la première image que les voyageurs ont d’une ville, nous avons donc choisi un projet emblématique qui marquera notre image », souligne Johanna Rolland, maire de la ville et présidente de Nantes Métropole. La mezzanine vitrée offrira un panorama à 360 degrés sur les trains en contrebas, mais aussi sur la ville et la Loire. Un projet à 123 millions d’euros En parallèle, les espaces publics limitrophes seront rénovés. Au nord, l’espace reliant le parvis au Jardin des plantes sera piétonnisé, et les stations de la ligne 1 de tramway modernisées. L’ensemble devrait être terminé pour l’inauguration de la nouvelle gare. Côté sud, la réhabilitation « vise à créer un pôle regroupant tous les moyens de transport en localisant au même endroit les stations de taxis, la desserte courte durée, les loueurs de voitures, une nouvelle gare routière et une station de Chronobus [bus circulant sur des voies protégées] qui accueillera trois lignes pour rallier facilement l’agglomération », détaille Eric Chevalier, directeur général délégué cohérence territoriale à Nantes Métropole. Au total, le budget investi dans ce projet de nouvelle gare et de ses alentours doit s’élever à 123 millions d’euros et les travaux s’achever d’ici à 2023. p marie pellefigue RUDY RICCIOTTI/ FORMA6 SAMEDI 19 MARS 2016 11 H - 18 H PALAIS BRONGNIART 28, PLACE DE LA BOURSE 75002 PARIS ENTRÉE GRATUITE INSCRIVEZ-VOUS POUR ÉVITER L’ATTENTE INFORMATIONS SUR : www.mbafair-lemonde.com 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 DIMANCHE 31 JANVIER - LUNDI 1ER FÉVRIER 2016 Données personnelles : « Safe Harbor 2 » est mal parti Les Etats-Unis et l’Europe ont jusqu’au 1er février pour trouver un accord sur le transfert de données L es Etats-Unis et l’Europe parviendront-ils à s’entendre sur une nouvelle version du « Safe Harbor » ? La Commission européenne et le département américain du commerce n’ont plus que quelques jours pour négocier. A partir du mardi 2 février, les sociétés privées transférant des données de citoyens européens vers les Etats-Unis grâce à cet accord transatlantique seront en infraction caractérisée. « Il peut encore y avoir un accord. Tout le monde y a intérêt. Après, il faut qu’il soit suffisamment substantiel. Mais c’est encore possible », veut croire Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL et du G29, le groupe des 29 autorités de régulation européennes. Ce regain d’optimisme, alors que les négociations paraissaient dans l’impasse, s’explique peutêtre par la vaste rencontre qui a L’une des exigences de l’UE est que les EtatsUnis autorisent les Européens à porter plainte devant les tribunaux américains réuni cette semaine sept autorités de régulation, dont la CNIL. Etait présente aussi une délégation de hauts dignitaires américains, dont les négociateurs du département du commerce et Robert Litt, le secrétaire général de l’autorité chargée de la coordination des agences de renseignement américaines. « Nous avons discuté de l’état du droit aux Etats-Unis, de la surveillance de masse et des garanties requises par le droit européen », dit la présidente de la CNIL, sans préjuger de l’état d’esprit de ses interlocuteurs, partis ensuite poursuivre les négocations à Bruxelles. Le G29 se réunira mardi afin de faire le point sur la situation, et proposera le cas échéant des solutions alternatives, et d’éventuelles sanctions. Attaqué de tous les côtés Pendant quinze ans, « Safe Harbor » a permis à plus de 4 000 entreprises d’exporter des données personnelles de citoyens vers les Etats-Unis, alors que les lois américaines n’offrent pas une protection suffisante au regard du droit européen. Ce régime d’exception permanente a été aboli par la cour de justice de l’Union européenne en octobre 2015, à la suite d’une plainte déposée par un militant autrichien contre la filiale européenne de Facebook en Irlande, et aux révélations d’Edward Snowden sur les program- L’HISTOIRE DU JOUR James Murdoch, le retour du banni mes de surveillance de masse des agences de renseignement américaines. Malgré l’urgence, les négociations pour la mise en place d’un Safe Harbor 2, qui serait plus respectueux des droits des Européens, n’ont pas encore abouti. L’une des exigences de l’UE est que les Etats-Unis autorisent les Européens à porter plainte devant les tribunaux américains au cas où leurs données personnelles seraient exploitées de façon abusive – une simple mesure de réciprocité, car les Américains possèdent déjà ce droit en Europe. Pour satisfaire cette demande, la Chambre des représentants américaine a voté en octobre 2015 une loi spéciale, baptisée Judicial Redress Act (JRA). Le Sénat aurait dû en faire autant le 20 janvier, mais le débat a été annulé au dernier moment, sans explication. En réalité, aux Etats-Unis, le JRA est attaqué de tous les côtés. D’une part, certains sénateurs conservateurs estiment que les demandes européennes arrivent à contretemps : après les attentats de Paris, la lutte contre le terrorisme exige, selon eux, de renforcer la surveillance des données personnelles et d’allonger leur durée de rétention. Contrat bilatéral Le 28 janvier, une commission sénatoriale a adopté deux amendements au JRA qui réduisent les droits accordés aux Européens dans les tribunaux américains et limitent sa portée aux pays « dont les politiques ne viennent pas entraver la sécurité nationale des Etats-Unis ». L’un des auteurs des amendements, le sénateur républicain John Cornyn, explique sans détour que sa mission est de « défendre les intérêts des EtatsUnis, pas forcément les intérêts de l’Union européenne ». Le Safe Harbor 2 semble donc mal parti, du moins à court terme, sauf si l’Europe cède à nou- Les grandes entreprises américaines font du lobbying pour que l’UE accepte un nouvel accord veau aux exigences américaines. En coulisses, à Bruxelles et dans plusieurs capitales européennes, les grandes entreprises américaines et leurs associations professionnelles font un lobbying intense pour pousser l’Union européenne à accepter un nouvel accord, même si toutes ces demandes ne sont pas satisfaites. Les entreprises fortement impliquées dans l’exportation de données sont parallèlement déjà en train de s’adapter. Selon le cabinet juridique américain Jones Day, qui possède un bureau à Paris, la situation actuelle est incer- taine, mais pas aussi critique qu’on pourrait le croire. Pour rester dans la légalité, de nombreuses sociétés américaines ont recours à un autre instrument juridique : un contrat bilatéral entre l’expéditeur et le destinataire des données (souvent la maison-mère américaine et sa filiale européenne) contenant des clauses types garantissant que les données européennes bénéficieront aux Etats-Unis d’une protection conforme au droit européen – une procédure plus complexe et plus coûteuse que le Safe Harbor, mais pas insurmontable. De même, les PME européennes qui font traiter leurs données aux Etats-Unis sont prises en charge par leurs fournisseurs de service, c’est-à-dire les grandes entreprises de cloud américaines comme Amazon, Salesforce ou IBM, qui se chargent à leur place des formalités juridiques. p sandrine cassini et yves eudes LA MATINALE DU MONDE LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7 londres - correspondance J ames Murdoch tient sa revanche. Le fils benjamin de l’empire Murdoch a été nommé vendredi 29 janvier à la présidence non exécutive de Sky, le bouquet satellite britannique, quatre ans après avoir été forcé à la démission du même poste à la suite du scandale des écoutes téléphoniques. Pince-sans-rire, M. Murdoch se dit « fier d’avoir été choisi par le conseil d’administration », omettant de préciser que sa famille est le premier actionnaire du groupe, avec 39 % de participation. La décision prise à l’unanimité par le conseil d’administration de Sky (y compris par Matthieu Pigasse, membre non exécutif, et par ailleurs actionnaire à titre individuel du Monde) est très controversée. Un actionnaire, Royal London Asset Management (RLAM), s’en est publiquement ému et la juge « inappropriée ». Sky est le groupe qui a fait grandir James Murdoch au sein de l’empire familial (qui comprend notamment le Wall Street Journal, Fox News, 20th Century Fox…). En 2003, à tout juste 30 ans, il est propulsé directeur général du bouquet satellite britannique par son père, Rupert, qui en a la présidence. Comprenant qu’Internet et la télévision sont en train de converger, le benjamin de la famille réussit le virage technologique, et augmente de façon spectaculaire le nombre d’abonnés. Grâce à ce succès, il prend du galon cinq ans plus tard et est nommé à la tête de toutes les actiLE BENJAMIN DE vités de l’empire hors des Etats-Unis, y compris les journaux britanniques. L’EMPIRE MURDOCH C’est ce qui vaudra sa chute. Peu intéressé par le monde de la presse, il ne REDEVIENT comprend pas l’ampleur du scandale des écoutes au News of the World, le PRÉSIDENT DE SKY, tabloïd dominical du groupe. En reQUATRE ANS vanche, il a les yeux braqués sur la vaà lait financière qu’est devenu APRÈS SA DÉMISSION che Sky. Son objectif : acheter les 61 % que la famille ne possède pas. Il lance une offre de rachat, qui provoque une levée de boucliers. Ses adversaires craignent la domination absolue de l’empire Murdoch sur les médias britanniques, déjà propriétaire du Times et du Sun. La polémique prend une ampleur politique, le gouvernement conservateur de David Cameron étant accusé d’être trop proche de la famille australo-américaine. En juillet 2011, à la suite du scandale des écoutes, la famille Murdoch tente le tout pour le tout : elle ferme le News of the World. Mais les plaintes du public contre le risque de la mainmise des Murdoch sur Sky ne cessent pas. La situation devient intenable politiquement. James Murdoch annule l’opération financière, avant de déménager à New York, pour tourner la page. Il est aujourd’hui le directeur général de 21st Century Fox, le groupe audiovisuel de l’empire familial. Mais il n’a jamais perdu de vue l’opération de rachat avortée sur Sky. Son retour va relancer les spéculations sur une nouvelle tentative. En 2015, la société de consultants Enders Analysis estimait que la question n’était pas de savoir si une nouvelle offre serait faite, mais quand. Ce moment semble s’être rapproché. p éric albert SWIPEZ, SÉLECTIONNEZ, LISEZ L’application La Matinale du Monde est téléchargeable gratuitement dans vos stores. A retrouver en intégralité pour 4,99 € par mois sans engagement avec le premier mois offert. Les abonnés du Monde ont accès à l’intégralité des contenus.