Santé Le doute dans la peau

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Santé Le doute dans la peau
lundi 7 mai 2012, 10:01
publié le 22/04/2012 à 05:00
Santé Le doute dans la peau
Une étude américaine évoque une augmentation des
cancers de la peau chez les moins de 40 ans et met en cause
les cabines de bronzage. Les professionnels se défendent.
par François PRADAYROL
Les amateurs du bronzage en cabine sont de plus en plus nombreux malgré les inquiétudes des
dermatologues et de nombreux scientifiques sur les conséquences de cette pratique. Photo
Fotolia
Une étude récente révèle que les personnes recourant fréquemment à la lampe à bronzer ont
74 % plus de risques de développer un mélanome. » Sale temps pour les centres de bronzage.
Au début du mois, les résultats des travaux dirigés par le dermatologue Jerry Brewer ont été
publiés aux États-Unis, dans la revue Mayo Clinic Proceedings. Entre 1970 et 2009, des
chercheurs ont analysé les données cliniques de patients âgés de 18 à 39 ans afin d’établir un
diagnostic de mélanome cutané. Le verdict est sans appel : l’incidence du cancer de la peau
aurait été multipliée par huit chez les jeunes femmes et par quatre chez les hommes. Toujours
selon cette étude, une telle évolution serait en partie expliquée par l’utilisation de plus en plus
intensive des cabines à UV.
La France n’est pas épargnée par ce phénomène d’exposition de masse aux rayons artificiels.
D’après les chiffres du Syndicat national des professionnels du bronzage en cabine, 15 500
appareils seraient à la disposition des clients et 16 % de la population aurait déjà eu une
expérience en la matière. « J’ai déjà fait quelques séances pour me donner un peu de couleurs.
C’est pas mal occasionnellement, avant une soirée, mais il faut avoir le budget. C’est cher »,
témoigne Florence, 24 ans. Certains n’y remettront plus les pieds, la faute à une sensation
étrange : « J’ai essayé une fois, mais j’ai eu peur qu’on referme l’appareil comme dans le film
d’horreur Souviens-toi l’été dernier ! », se rappelle Mélanie, 27 ans, vaccinée par ce drôle de
baptême. Aux côtés de ces clients périodiques, il y a les fans, les accros, ceux qui ne peuvent
plus se passer de ce soleil factice depuis qu’ils y ont goûté. C’est le cas de Robert, 49 ans,
adepte invétéré des séances d’UV : « Tout l’hiver, j’y vais au moins une fois par semaine. Et
je garde ce rythme depuis vingt ans ! C’est important pour moi d’entretenir ma bonne mine ».
Le docteur Patrick Moureaux, dermatologue à Vannes, a décrypté les nouveaux rapports de
l’homme au soleil dans un livre, « Le soleil dans la peau ». À travers une démarche
pluridisciplinaire, accompagné d’un astrophysicien, d’un anthropologue et d’un psychiatreaddictologue, il dénonce la multiplication de ces comportements à risque : « Malgré une
éducation sanitaire, l’homo sapiens des temps postmodernes avance dans une dynamique de
soumission solaire et s’inscrit dans une spirale consumériste excessive, déconnectée de sa
matrice originelle, analyse-t-il. Cette addiction comportementale, très bien décrite par le
docteur William Lowenstein, s’inscrit toujours selon le même scénario, avec une triade
reproductible : consommation, abus et dépendance. » Pour la majorité des professionnels de la
santé, il est aujourd’hui établi qu’une fréquentation régulière des cabines de bronzage
augmente le risque de cancer de la peau.
Une position qui agace Ayrald Berthod, directeur général de Point soleil, société qui possède
plus de 140 centres de bronzage en France : « Nous n’acceptons pas cette ségrégation
permanente envers notre activité. C’est hérétique de faire le lien entre 9 000 mélanomes
détectés chaque année et les cabines à UV ». Même s’il reconnaît les risques d’une pratique
trop intensive, il refuse avec force la stigmatisation de la profession : « Dans nos centres, les
clients ne pratiquent en moyenne que sept séances par an. Nous les conseillons et les
accompagnons en permanence. Les chiffres avancés par les études, que reprennent en chœur
les journalistes, ne reposent sur rien ». Ayrald Berthod va même plus loin et livre ses propres
conclusions sur la question : « 95 à 97 % de la population ne risque rien si elle pratique un
bronzage raisonné. Que ce soit par le soleil naturel ou par des séances d’UV ». Confronté aux
résultats de l’étude américaine publiée au début du mois, il rétorque que les conditions sont
bien différentes ici. « La pratique en France et aux États-Unis n’a rien à voir. La
réglementation est beaucoup plus stricte chez nous. » Sur ce point, il est rejoint par Francis
Panozzo, directeur depuis onze ans du centre de bronzage Liberty Sun à Terville : « Certains
pays ne fixent pas de limites comme en Allemagne, où de nombreuses personnes sont
complètement accros aux séances d’UV. En France, non seulement l’activité est davantage
encadrée par la loi, mais les clients sont également plus raisonnables et plus sensibles aux
conseils de prévention ». Selon lui, il est possible de bronzer en cabine sans mettre sa vie en
danger. « Je suis contre les excès. Les UV, c’est comme tout, il faut les consommer avec
modération. C’est comme le bon vin. » Ces professionnels de la bronzette artificielle mettent
en avant leur attention envers le client. « L’important, c’est de proposer une diversité de
puissances pour s’adapter à chaque type de peau », rajoute ainsi Francis Panozzo.
Mais cette bienveillance exacerbée et les efforts de communication pour éloigner le spectre du
mélanome ne suffisent pas à rassurer les dermatologues. Le docteur Jean-Luc Rigon, membre
du conseil d’administration du Syndicat national des dermatologues vénérologues (SNDV) et
délégué régional pour la Lorraine, fustige ces postures commerciales : « Ils veulent nous faire
passer pour des fous. Les dermatologues sont aujourd’hui dans la même situation que les
pneumologues il y a vingt ans. Alors qu’ils tentaient de sensibiliser la population aux dangers
de la cigarette, on les faisait passer pour des enquiquineurs ». Lui n’en démord pas : « La
pratique massive des séances d’UV en cabine représente un vrai et grave problème de santé
publique ».
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François
PRADAYROL

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