La prime pour l`emploi est-elle favorable à l`emploi

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La prime pour l`emploi est-elle favorable à l`emploi
N° 31
— 28 septembre 2006
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§Point de vue
la prime pour l’emploi est-elle
favorable à l’emploi ?
Différents systèmes d’impôts négatifs sont en vigueur à l’étranger, dont
une variante a été mise en place en France à travers la prime pour l’emploi
introduite par la loi du 30 mai 2001. Vivement critiqué dès ses débuts, ce
dispositif a pourtant été maintenu et étendu par la suite. Ce faisant, il s’est
éloigné de son inspiration d’origine.
§ quelques chiffres
1 La PPE est destinée aux salariés à temps plein ou à temps partiel rémunérés
entre 0,3 et 1,4 fois le SMIC. Son montant est déterminé en fonction du revenu
et de la composition du foyer fiscal.
2 Depuis 2001, année de création de la PPE, les données relatives au nombre de
ses bénéficiaires, à son coût dans le budget de l’État ainsi qu’à son montant
moyen n’ont cessé d’augmenter :
2001
2004
2005
2006
Foyers fiscaux bénéficiaires
8,7
8,8
9,1
9,2
Montant global en milliards
d’euros
2,5
2,45
2,7
3,2
Montant moyen en euros
290
280
295
347
3 Les chiffres annoncés par le gouvernement pour 2007 confirment cette
tendance : 4,2 milliards d’euros seront consacrés à la PPE.
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la prime pour l’emploi est-elle
favorable à l’emploi ?
Par Philippe Brongniart Membre du directoire de la
Fondation pour l’innovation politique.
§ La Fondation pour l’innovation politique a réalisé plusieurs études
sur les politiques d’emploi en Europe et a observé que les politiques
dites d’« activation » y prenaient une place croissante. En France, ce basculement est encore peu affirmé. La gravité des problèmes de chômage a
plutôt conduit a des interventions multiformes et tous azimuts couvrant
tous les domaines – assistance, création d’emplois publics, protection
des emplois existants, aide à l’emploi –, qui sont autant de dispositifs
dont le coût et la complexité n’ont cessé de croître et dont les effets sont
parfois contradictoires (trappes à inactivité, travail au noir). Les choses
pourtant évoluent et le centre de gravité de l’action se déplace vers le
retour à l’emploi. Dans ce cadre, les pouvoirs publics se sont inspiré des
systèmes d’impôt négatifs existants à l’étranger pour créer en 2001 la
prime pour l’emploi.
§ En Angleterre et aux États-Unis fonctionnent des crédits d’impôts
visant les familles à très bas revenus et avec des enfants. Dans ces pays où
le salaire minimum et les aides publiques sont faibles, ces incitations ont
été efficaces pour solvabiliser ces familles et les orienter vers l’emploi.
§ La PPE a le même objet, mais sa mise en œuvre est différente. Son
pivot est le Smic. Elle est de ce fait versée de façon permanente à 9 millions de personnes environ et son montant moyen est faible. Son coût
budgétaire est par contre très élevé. La PPE est par ailleurs intégrée à
la feuille d’impôt, ce qui ne contribue pas à sa popularité et à sa clarté :
son mode de calcul est difficile à comprendre. Quant au calendrier, il
est celui de l’impôt sur le revenu, qui se traduit par un versement tardif
(18 mois après l’année de référence).
Tous ces éléments conduisent à penser que la PPE a peu d’impact sur le
comportement des acteurs.
§ S’agissant des mesures qui viennent d’être prises pour améliorer la
situation, elles vont, à notre sens, plutôt aggraver les défauts du système.
La PPE a été augmentée en 2006, puis encore en 2007 pour la rendre plus
visible et plus motivante (340 euros en moyenne en 2007 avec un plafond
de 940 euros au niveau du Smic). Mais ce faisant, elle devient de façon
manifeste un complément de revenu ; son caractère incitatif s’affaiblit et
il sera de plus en plus difficile de la réformer et a fortiori de la supprimer. Cette mutation progressive de la PPE est d’ailleurs confirmée par la
création en 2006 d’une nouvelle prime, la prime pour le retour à l’emploi
instaurée par la loi du 29 mars 2006.
Les contraintes liées à l’impôt sur le revenu ont été assouplies grâce la
mensualisation, mais les inconvénients de cette dernière, d’ailleurs prévus et qui se répéteront en 2007, viennent d’apparaître avec le remboursement de la prime demandé à 250 000 bénéficiaires. La directive donnée
aux services par le gouvernement de traiter ces cas avec compréhension
ne peut qu’augmenter le désarroi et affecter la réputation de la PPE.
§ Ainsi, la Fondation pour l’innovation politique émet les plus grands
doutes sur l’avenir d’une politique dans laquelle l’État subventionne en
permanence et en direct les salaires modestes. Il y a sûrement d’autres
voies pour augmenter les petits revenus. Elle craint également que le
Smic, objet de tous les soins (hausse répétée, exonérations de charges,
PPE), redevienne le pilote de la politique salariale, ce qui peut freiner la
progression des rémunérations et la fluidité du marché de l’emploi.
l’eitc (earned income tax credit) américain
et le wftc (working family tax credit) anglais
Dans ses travaux réalisés pour le Centre d’observation économique présentés en
mars 2002, Pierre Cahuc comparait la PPE aux mesures américaines et anglaises.
L’EITC fut instauré en 1975 et bénéficiait au moment de l’étude à 1 ménage sur 5.
Il s’adresse essentiellement aux ménages ayant des enfants et dans lesquels au
moins un parent travaille. Son montant varie selon le revenu des bénéficiaires,
mais il peut être très élevé.
Le WFTC remplace en 1999 le dispositif de family credit instauré au début des
années 1980. Il est destiné aux ménages ayant au moins un enfant. Ses conditions
d’éligibilité sont donc plus rigoureuses, d’autant que la perception du WFTC
induit une réduction des autres minima sociaux versés aux bénéficiaires. Au
total, au moment de l’étude, c’est donc 1 ménage sur 20 seulement qui bénéficie
du WFTC. Enfin, le montant du WFTC est proportionnel aux revenus du ménage
et peut atteindre 5 500 livres par an pour un revenu annuel de 3 500 livres.
§ qui dit quoi ?
§ Selon le rapport n° 343 du Sénat déposé le 10 juin 2003 « sur les réfor-
mes fiscales intervenues dans les pays européens au cours des années
1990 », la PPE, à la différence de l’EITC et du WFTC, est considérée prioritairement comme « un outil de subvention à l’emploi, et non un instrument
de redistribution au profit des familles ».
§ Olivier Cortès, dans son étude réalisée pour la Fondation, intitulée « Quelles réformes pour les politiques de l’emploi ? Enseignements
d’une comparaison internationale » (avril 2004), tire un premier bilan de
la PPE : comme celle-ci représente une aide financière modeste et profite
essentiellement aux personnes qui ont déjà un emploi ou ont la possibilité
d’en trouver un, elle est « certainement très inefficace en termes de lutte
contre le chômage ».
§ Ces conclusions sont confirmées dans le rapport public annuel 2005
de la Cour des Comptes qui juge que « l’efficacité du dispositif apparaît
limitée […] : la prime ne semble avoir qu’un faible impact sur l’offre de travail et l’emploi et n’améliore que marginalement le revenu disponible des
bénéficiaires ».
§ propositions
§ La Fondation pour l’innovation politique est très favorable à des aides
puissantes mais limitées dans le temps, au moment où des efforts sont demandés aux familles, soit à l’occasion du retour à l’emploi, d’une mobilité géographique ou d’un changement de métier. Dans un marché de l’emploi encore figé,
ces étapes sont, chacun le sait, les plus risquées et les plus coûteuses.
Les 4 milliards d’euros prévus pour la PPE en 2007 pourraient en être l’instrument. Il est regrettable que la réflexion et le dialogue n’aient pas été initiés
plus tôt pour discuter du meilleur emploi de cette ressource.
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