Respect des droits fondamentaux : l`Europe fait face à une crise de

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Respect des droits fondamentaux : l`Europe fait face à une crise de
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DROITS EUROPÉEN ET DE L’UE
Respect des droits fondamentaux : l’Europe fait face
à une crise de confiance
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L’essentiel
Crise des réfugiés, montée de l’extrémisme en Europe, accès restreint à la justice, difficile équilibre entre
protection de la nation et respect des droits des citoyens, le rapport 2016 de l’Agence des Droits Fondamentaux
de l’Union européenne n’élude aucune question.
E
n déplacement à Paris
durant deux jours, c’est
Delphine IWEINS
avec une certaine gravité
que Michael O‘Flaherty,
nouveau directeur de l’Agence des Droits Fondamentaux
de l’Union européenne (FRA), a présenté, le 19 septembre
dernier, son rapport 2016 sur les droits fondamentaux. Le
constat est sans appel : l’Europe fait face à une crise de
confiance en matière de respect des droits fondamentaux.
« Les extrémistes et certaines personnes a priori plus raisonnables pensent que pour bâtir une société forte il faut
remettre en cause les droits fondamentaux. C’est de la
responsabilité de mon agence de mettre en avant la protection de droits fondamentaux. Les droits fondamentaux
ne concernent pas seulement les exclus, mais tout le
monde », revendique Michael O‘Flaherty.
par
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, encore méconnue. Et la première solution
envisagée pour résoudre cette crise de confiance est une
meilleure connaissance de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par les juges nationaux,
mais aussi par les pouvoirs publics des États membres.
En effet, l’Union européenne possède sa propre Charte
des droits fondamentaux depuis maintenant sept ans.
Juridiquement contraignante, elle vient compléter les
droits de l’Homme nationaux et la Convention européenne
des droits de l’Homme. Les États membres sont obligés
de la respecter, mais uniquement lorsqu’ils agissent dans
le champ d’application du droit de l’Union européenne. Or,
depuis plusieurs années, l’Agence européenne constate
que les juridictions nationales se réfèrent à la Charte
sans avancer d’arguments justifiant son application dans
les circonstances spécifiques du cas d’espèce. « Sa méconnaissance est un problème. Cette charte n’est pas
intégrée à la formation des jeunes juristes dans les universités », regrette Michael O‘Flaherty. Selon la FRA, les
juridictions lorsqu’elles statuent, ainsi que les gouvernements et les parlements lorsqu’ils évaluent l’impact et la
légalité d’un projet de loi, pourraient envisager de se référer plus systématiquement à l’article 51 relatif au champ
d’application de la Charte. En vertu de cet article, les
États membres ont l’obligation de respecter, d’observer
les principes et les droits fixés par la Charte, mais aussi
de promouvoir activement leur application. Et c’est sur
ce dernier point que l’Agence européenne souhaite que
les États membres fournissent des efforts significatifs.
L’élaboration de manuels présentant les étapes pratiques
pour vérifier l’applicabilité de la Charte est, par exemple,
vivement encouragée. C’est en ce sens, qu’en France, la
Commission nationale consultative des droits de l’Homme
(CNCDH) travaille, avec l’École nationale d’administration
(ENA) et l’École nationale de la magistrature (ENM), à la
mise en place de formations, séminaires ou rencontres
autour des grands textes internationaux et régionaux. Il
existe d’ailleurs d’ores et déjà à l’ENM une formation sur
la lutte contre le racisme et à l’ENA un cycle international
spécialisé d’administration publique (Cisap) sur les droits
de l’Homme.
“ La réponse à cette montée
de la xénophobie et du racisme
ne peut pas être exclusivement
pénale
”
Sensibiliser au vivre ensemble pour lutter contre la
montée de l’extrémisme. En 2015, la FRA a remarqué
une exacerbation de sentiments xénophobes, de manifestations racistes et de crimes de haine en Europe, même si
« dans l’ensemble les États membres et les institutions de
l’Union européenne ont poursuivi leurs efforts pour lutter
contre les crimes de haine, le racisme et la discrimination
ethnique ». Les gouvernements nationaux doivent donc
veiller à ce que tout crime ou discours de haine présumé
fasse l’objet d’une enquête, de poursuites et d’un procès.
Pour autant, la réponse à cette montée de la xénophobie
et du racisme, alimentée en grande partie par les attentats terroristes perpétués en Europe, ne peut pas être
exclusivement pénale. État d’urgence, lois anti-terrorisme, surveillance généralisée, il est impératif que ces
outils soient utilisés avec parcimonie. « L’état d’urgence
doit être en conformité avec les droits internationaux
et ne doit pas s’étendre pendant une longue période en
restant en statu quo. L’état d’urgence ne doit pas aller à
l’encontre des droits fondamentaux », rappelle Michael
O‘Flaherty, visant la situation française à demi-mot. La solution pour contrer ces sentiments réside aussi dans une
meilleure sensibilisation du public sur la question du vivre
ensemble. Ainsi, l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne encourage vivement les organismes
de droit public, les ONG et les associations à mettre en
avant, ensemble, des initiatives allant dans ce sens. « Un
État a le devoir de protéger ses citoyens. Les réponses de
la part du gouvernement doivent être en adéquation avec
les droits fondamentaux », insiste le directeur de la FRA.
Et c’est justement ce difficile équilibre entre la sécurité
de la nation et le respect de la vie privée de ses citoyens,
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que les États membres cherchent encore, notamment en
matière de surveillance et protection des données à caractère personnel. Pour le directeur de l’agence européenne,
« il faut justifier les mesures de sécurité nationale. La
surveillance des citoyens européens pose un problème
important car elle est pour l’instant d’ordre général. Or,
il serait préférable qu’elle se focalise sur des individus
en particulier ». Actuellement seuls cinq pays européens
ont opté pour cette stratégie, dont la France. « Un bon
exemple », selon Michael O‘Flaherty. Néanmoins, de l’avis
de la FRA, les États membres devraient veiller à fournir
aux autorités indépendantes, telles que la CNIL en France,
les ressources financières, techniques et humaines dont
elles ont besoin pour assurer leur rôle de vigie du respect
des données personnelles.
Améliorer la qualité d’accueil des réfugiés et favoriser le
regroupement familial. La multiplication des actes xénophobes et racistes en Europe s’explique aussi par l’arrivée
massive de réfugiés à qui peu de solutions dignes de leurs
droits fondamentaux sont proposées. « La situation est
inacceptable en Italie et en Grèce. Ce n’est pas de la faute
des gouvernements italien et grec, l’Union européenne
fait la sourde oreille face à la situation déplorable des
réfugiés », dénonce le directeur de la FRA. Et même si le
rôle de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne n’est pas de pointer du doigt les États membres,
mais de leur fournir des données fiables afin de mettre en
place une meilleure législation, lorsqu’il est question des
réfugiés, le ton diffère. En attendant qu’une solution européenne générale se dessine, plusieurs pistes de réflexions
peuvent être prises en compte. Celles d’offrir des possibilités de réinstallation, d’admissions humanitaires dans
des endroits accessibles ne sont que des exemples parmi
d’autres. Il faudrait aussi réduire le risque de sanctions
pénales contre ceux qui apportent une assistance aux personnes en situation irrégulière. « Ce qui est intolérable
c’est l’application stricte de la loi. Un système doit être mis
en place avec ceux qui aident les réfugiés sans paralyser le
système actuel », insiste Michael O’Flaherty. Néanmoins,
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la principale préoccupation de cet ancien membre du comité des droits de l’Homme des Nations Unies est le strict
respect du droit à la vie de famille inscrit à l’article 7 de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
« Je m’inquiète plus particulièrement des enfants non accompagnés, à Calais mais aussi en Italie et en Grèce, qui
font l’objet de nombreux abus. La pauvreté des enfants dépasse 50 % dans les pays de l’UE », développe-t-il. Aussi,
comme il a été annoncé dans le plan d’action de l’Union
européenne contre le trafic de migrants, la FRA préconise
que les États membres réduisent les obstacles pratiques
et juridiques empêchant ou retardant de manière significative le regroupement familial. Enfin, les auteurs du
rapport conseillent aux pouvoirs nationaux de « revoir
leurs stratégies et mesures d’intégration en se fondant
sur les principes de bases communs de la politique d’intégration des immigrants dans l’Union européenne », afin
de faciliter leur intégration dans les sociétés d’accueil. Au
tour des États membres et de leurs gouvernements à présent de s’appuyer sur ces recommandations.
L’ARLÉSIENNE DE L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR TOUS
« Il ne peut pas y avoir d’État de droit sans un accès à
la justice », martèle Michael O‘Flaherty. Or, aucun État
membre de l’Union européenne ne garantit aujourd’hui
un parfait accès à la justice. Beaucoup d’obstacles se
dressent encore. Le coût de la justice et les délais de
décisions sont les deux principaux. Un défi particulier
concerne les communautés minoritaires et vulnérables, qui ne parlent pas forcément la langue du pays
en question. « Les services d’interprétation ne sont
pas à la hauteur dans les États membres », explique
le directeur de l’agence européenne des droits fondamentaux. Et ce, malgré la transposition des directives
européennes relative au droit de l’interprétation et à
la traduction ainsi qu’au droit à l’information dans le
cadre des procédures pénales. Une conférence aura
lieu à Bratislava en novembre prochain à ce sujet.
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