Revue Œnologie N°194 - Union des oenologues de France
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Revue Œnologie N°194 - Union des oenologues de France
“DOSSIER : NOUVELLES TECHNOLOGIES ET TRADITION” Nouvelles technologies dans le domaine du bouchage. Cibles : les chloroanisoles et leurs précurseurs - la perméabilité des obturateurs. ARACIL J.-M. Sabaté Diosos, Espace Tech Ulrich, 66403 Céret cedex. Les objectifs assignés au Département Recherche Développement de la Branche Liège du Groupe Sabaté Diosos étaient et sont clairement énoncés : proposer à nos clients des solutions de bouchage respectant les vins embouteillés sans amener de déviations organoleptiques et répondant à leur fonction en matière d’étanchéité. Aucune solution simple ne permettant de répondre à ces objectifs, notre démarche consiste donc en priorité à supprimer les facteurs de risques les uns après les autres, en s’appuyant sur l’évolution de la connaissance et sur une meilleure compréhension des phénomènes en jeu. Lorsqu’on examine la complexité de la chaîne d’élaboration des bouchons, depuis la forêt jusqu’à la mise en bouteilles, on constate que chacune des étapes est susceptible d’influer sur la qualité du produit fini. C’est pourquoi notre groupe a, depuis de nombreuses années, mis en place une politique d’intégration de la filière liège en maîtrisant, au travers de ses filiales, la sélection et le contrôle des matières premières depuis les forêts jusqu’à la livraison chez nos clients. Grâce à cette politique d’intégration verticale, Sabaté Diosos est en mesure d’exercer un contrôle le plus précis possible sur chacune des opérations conduisant au bouchon fini. Parmi les axes d’investigation suivis par notre département, deux projets particulièrement importants sont ici développés : • la réduction des risques de déviations organoleptiques liés aux bouchons de liège, • l’optimisation du bouchon en liège dans sa fonction de produit œnologique. 1 Réduire les risques de déviations organoleptiques liés aux bouchons de liège 1.1- La problématique Etre en mesure de proposer des bouchons ayant des taux de molécules polluantes (au sens organoleptique du terme) les plus bas possibles afin de garantir une incidence organoleptique proche de la neutralité, tout en conservant aux bouchons les caractéristiques mécaniques et d’étanchéité qui sont la base de leur fonction. Le respect du Code International des Pratiques Bouchonnières permet de minimiser la fréquence des goûts indésirables. Ces goûts sont le plus souvent reliés à la présence de molécules organiques, dont les plus souvent citées sont les chloroanisoles (dont le 2,4,6-TCA trichloroanisole) et leurs précurseurs, les chlorophénols. Plusieurs opérations de nettoyage (bouillage, lavage) interviennent à divers stades de la fabrication des bouchons. Les techniques actuellement utilisées lors de ces opérations présentent certains inconvénients, dont une efficacité plus ou moins constatée envers les composés organiques responsables des goûts indésirables. Certaines d’entre elles utilisent des produits chimiques induisant des risques, des nuisances, aussi bien pour le personnel qui les met en œuvre que pour l’environnement. Notre groupe a donc cherché à développer un procédé “propre” de traitement et de nettoyage du liège, ce afin d’en éliminer de manière sélective les composés organiques contaminants, tels les chlorophénols et chloroanisoles, sans affecter pour autant les autres composés organiques qui confèrent au liège des propriétés indispensables à son utilisation sous forme de bouchons. Les recherches menées ont rapidement fait apparaître la nécessité de fonder un tel procédé sur une démarche d’extraction sélective. A cette fin, une collaboration a été initiée depuis 1997 avec le Laboratoire des Fluides Supercritiques et des Membranes (Commissariat à l’Energie Atomique), situé à Pierrelatte. Cette collaboration a permis de réaliser tout d’abord une étude de faisabilité sur la possibilité d’utiliser du CO2 supercritique pour extraire certaines molécules du liège, puis d’optimiser à partir d’essais en laboratoire les paramètres du procédé et de vérifier leur efficacité à l’échelle d’un pilote industriel (figure 1). Le CO2 à l’état supercritique (état fluide intermédiaire entre liquide et gaz) a le pouvoir d’extraction d’un liquide et le pouvoir de pénétration d’un gaz. Extraction CO2 supercritique P≥ 100 bars ; T≥ 40°C Valve de Echangeur décompression Events Liège Demixion Compresseur gaz 1.2- La démarche Le liège est un produit naturel aux propriétés particulièrement adaptées à la conservation du vin en bouteilles. Cependant, certaines altérations occasionnelles de l’odeur et/ou du goût viennent compromettre la cohérence du couple naturel formé par le liège et le vin. Le liège n’est pas inerte vis-à-vis du vin car il apporte des composants qui peuvent interagir avec le vin, soit de manière positive, soit de manière négative. 34 monde pour rechercher l’origine et résoudre le problème des altérations provenant des bouchons. De très nombreux travaux ont été réalisés partout dans le Cuve CO2 Echangeur Autoclave Séparateur Réserve cosolvant Pompe cosolvant Figure 1- Schéma de principe d’un appareil de traitement utilisant le CO2 supercritique Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2002 - N° 194 Le CO2 à l'état supercritique solubilise la plupart des composés organiques de poids moléculaire inférieurs ou égaux à 2000 g/mole. Il s’agit donc là d’un solvant intéressant vis-à-vis des composés organiques “indésirables” comme les chlorophénols et les chloroanisoles provenant d’une charge naturelle contenue dans le liège et/ou d’une contamination accidentelle. De plus, sa faible viscosité, son coefficient de diffusion élevé et sa très faible tension interfaciale permettent le nettoyage de pièces en liège complexes par leurs formes et leurs caractéristiques physiques, en particulier lorsqu'on se trouve en présence de phénomènes d'adsorption à la surface ou au cœur de la pièce. Parmi les avantages de l’utilisation du CO2 en complément ou en substitution des procédés classiquement mis en œuvre, on peut citer : • une efficacité d’extraction quasi parfaite vis-à-vis des composés organiques indésirables, grâces à des caractéristiques physico-chimiques spécifiques ; • une modularité du pouvoir solvant de la molécule variable en fonction des conditions d'utilisation (pression et température, ajout d’un cosolvant choisi), permettant de s'adapter à la nature des produits à extraire et/ou à l’application recherchée en réalisant une extraction sélective ; • un volume d'effluents quasi nul, strictement limité à la récupération des polluants extraits et au recyclage du CO2 gaz épuré ; Pression de retour (N/cm2) 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 5 10 15 20 25 30 2,5 2 1,5 1 0,5 0 5 10 15 20 25 30 Pièce bouillie traitée CO2 supercritique Pièce bouillie témoin non traitée CO2 supercritique Pression de compression 0 (N/cm2) Pression de retour (N/cm2) 3 Pièce non bouillie traitée CO2 supercritique Pièce non bouillie témoin non traitée CO2 supercritique Pression de compression 0 (N/cm2) Figure 3- Mesures comparatives de caractéristiques mécaniques • le respect de l'environnement (pas d’effluents aqueux). De plus, le CO2 ne laisse pas de trace résiduelle sur la pièce traitée. Enfin, les propriétés bactériostatiques et antifongiques du CO2 peuvent, sous des conditions appropriées, accroître et/ou se substituer à une partie ou à la totalité des procédés (par voie chimique) mis en œuvre pour éliminer ou contenir la présence et la prolifération bactérienne et mycologique. 1.3- Les résultats Ce procédé a fait l’objet d’un brevet international, déposé en France en septembre 1999 (co-propriété Sabaté / C.E.A.). Les résultats obtenus en laboratoire sur des échantillons artificiellement contaminés (plaques de liège avant ou après bouillage et farine de liège) ont montré une très bonne efficacité et ont permis de déterminer les paramètres du procédé (figure 2). % extraction 100% 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 2,4,6-Trichloroanisole % extraction 97% 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 2,4,6-Trichloroanisole 94% Pentachlorophénol Figure 4- Efficacité à l’échelle pilote sur échantillons naturellement contaminés 96% Pentachlorophénol Figure 2- Efficacité à l’échelle laboratoire sur échantillons supplémentés En parallèle, de très nombreux essais nous ont permis de confirmer que le procédé n’affectait pas de manière négative la structure interne du liège, qui conserve ses performances mécaniques (figure 3). Les résultats sur pilote semi-industriel obtenus à partir de lots de liège naturellement contaminés ont confirmé l’efficacité du traitement et nous ont permis d’affiner et de valider les paramètres du procédé (figure 4 et 5). Figure 5- Pilote industriel et exemples d’échantillons traités A ce jour, des lots de bouchons expérimentaux produits à partir de liège traité ont été fabriqués et mis en bouteilles. Les premiers résultats des dégustations et des analyses sont très positifs. La phase de réalisation industrielle de ce projet fait actuellement l’objet d’un A.P.S. (Avant Projet Sommaire) par un bureau d’études. Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2002 - N° 194 35 2 Optimiser le bouchon en liège sa fonction de produit œnologique dans rateurs, et ont conduit à l’élaboration d’un modèle déterminant les paramètres de structure sur lesquels jouer pour moduler la perméabilité des bouchons Altec (figure 6). 2.1- La problématique Proposer au marché un obturateur reproductible permettant de contrôler les transferts d’oxygène, afin de compléter la palette d’outils dont disposent les œnologues pour élaborer des vins qui répondent à leur attente. Diverses modulations testées en laboratoire sur des fabrications pilotes ont permis de vérifier que le modèle s’appliquait et qu’il était possible de réaliser des bouchons composites de perméabilités différentes, tout en maintenant des performances mécaniques proches de nos bouchons composites standard. 2.2- La démarche A l’issue de ces tests en laboratoire plusieurs questions restaient ouvertes : La conservation et l’évolution des vins est un processus dans lequel les réactions d’oxydation (entre autres variables) et donc la vitesse de transfert de gaz (majoritairement l’oxygène) sont d’une importance fondamentale. Les systèmes de fermeture actuels consistent essentiellement dans l’utilisation de bouchons en liège, un matériau hétérogène en raison de son origine naturelle et de sa composition. Des études préliminaires réalisées par le Laboratoire des Matériaux et Procédés Membranaires (UMR 5635 CNRS) ont montré que le transfert gazeux à travers le liège naturel est une propriété non maîtrisée, totalement incontrôlable. L’hétérogénéité de ce matériau se traduit par des perméabilités gazeuses variant de façon aléatoire d’un échantillon à l’autre, phénomène qui pourrait être en relation avec le caractère lui-même aléatoire du vieillissement des vins. Pour cette raison, l’utilisation pour la fermeture de bouteilles de produits composites à base de liège, dotés d’une structure reproductible et permettant un transfert gazeux contrôlé, apparaît comme une option attractive du point de vue de l’évolution des vins en bouteilles. • ces perméabilités différentes risquent-elles d’influer sur les excellentes performances de ce bouchon en matière de protection contre l’oxydation et le brunissement ? Des bouchons ont donc été fabriqués à l’échelle industrielle, en choisissant certaines de ces modulations, et des essais de bouchage en situation réelle ont été réalisés chez un certain nombre de clients partenaires du groupe. Un suivi régulier de ces essais est mené par dégustation et mesures d’un certain nombre de paramètres œnologiques, parmi lesquels l’évolution du SO2. A travers ces deux axes de recherche poursuivis par notre département, le Groupe Sabaté Diosos réaffirme sa volonté d’écoute permanente des besoins des professionnels de la filière viti-vinicole, ainsi que sa forte implication dans l’évolution des process et produits destinés à l’obturation des bouteilles de vins. Avec au cœur une conviction forte : en matière de bouchage, la fatalité n’existe pas. Lors de ces mêmes études préliminaires, le bouchon Altec a donné des résultats encourageants en matière de perméabilité au gaz. BIBLIOGRAPHIE Dans le cadre d’un partenariat scientifique et technique (convention CIFRE entre Sabaté Diosos et l’Institut Européen des Membranes - Ecole Nationale de Chimie de Montpellier) qui arrive à son terme cette année, un chercheur de l’I.E.M. a été chargé d’étudier de façon approfondie les relations structure/propriétés de transfert gazeux de différents matériaux utilisés pour l’obturation des vins, ce afin d’établir des corrélations entre les paramètres structuraux et les propriétés de transfert. ASHRAF-KHORASSANI M., COMBS M. T., TAYLOR L. T. 1995. Effect of moisture on supercritical fluids extraction of polycyclic aromatic hydrocarbons and phenols from soil using an automated extractor. J. High Resolution Chromatography, 18 (11). 2.3- Les résultats Cette collaboration a permis au groupe d’accroître ses connaissances sur les caractéristiques des bouchons afin de mieux répondre aux attentes spécifiques du monde de l’embouteillage. Contrôleur de pression Vanne automatique Ordinateur ARNON J. M., VANDEPEER J. M., SIMPSON R. F. 1989. Compounds responsible for cork taint in wine. Aust. N. Z. Wine Ind. J., (4). COMBS M. T., ASHRAF-KHORASSANI M., TAYLOR L. T. 1996. PH effects on the direct supercritical fluid extraction of phenols from aqueous matrixes. J. Supercrit. Fluids, 9(2). FISCHER C., FISCHER U. 1997. Analysis of cork taint in wine and cork material at olfactory subthreshold levels by solid phase micro extractions. J. Agric. Food Chem., (45). LEE T. H., SIMPSON R. F. 1993. Microbiology and chemistry of cork taint in wine. Wine Microbiology and Biotechnology, Fleet, G. N. Harwood Academic Publ. Philadelphia, PA. MIRANDA A. M., MACHADO A. S., REIS PEREIRA H., NUNES DA PONTE M. 1996. High - pressure extraction of cork with CO2 and 1,4–dioxane. Process Technol. Proc. High Pressure Chemical Engineering, (12). POLLNITZ A. P., PARDON K. H., LIACOPOULOS D., SKOUROUMOUNIS G. K., SEFTON M. A. 1996. The analysis of 2,4,6-Trichloroanisol and other chloroanisols in tainted wines and corks. J. Aust. Grape Wine Res., (2). Echantillon Gaz Capteur pression Pompe à vide 36 • quel niveau de perméabilité doit être choisi en regard des caractéristiques des vins ? RABIOT D., SANCHEZ J., ARACIL J.-M. 1999. Study of the oxygen transfer through synthetic corks for wine conservation. Recents Prog. Genie Procedes, 13(71), 385-392. Figure 6– Schéma de principe d’un appareil de mesure de la perméabilité SANCHEZ J., ARACIL J.-M. 1998. Gas permeability of wine corks and stoppers. Bull. O.I.V., 71(805-806), 279-283. Outre le perfectionnement du matériel de mesure, les travaux menés par ce chercheur au cours de sa thèse ont permis de confirmer l’existence d’un transfert gazeux au travers des obtu- TAYLOR M. K., YOUNG T. M., BUTZKE CH. E., EBELER S. E. 2000. Supercritical fluid extraction of 2,4,6-Trichloroanisol from cork stoppers. American Chemical Society, (48). 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