L`emploi atypique, une forme d`emploi à valoriser

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L`emploi atypique, une forme d`emploi à valoriser
ENQUÊTE
QUEL EMPLOI TOURISTIQUE DEMAIN ?
L’EMPLOI ATYPIQUE
UNE FORME D’EMPLOI
À VALORISER ?
INTERVIEW DE CHANTAL PRINA
[[email protected]]
Chargée de mission, Aravis (Agence Rhône-Alpes
pour la valorisation de l’innovation sociale et l’amélioration des conditions de travail)
Emploi saisonnier, temps partiel, contrats à durée déterminée,
auto-entreprenariat… Les formes atypiques d’emploi et de travail sont très présentes dans le tourisme. On peut penser que,
dans vingt ans, l’emploi que l’on juge aujourd’hui “atypique” sera
la norme. Les travailleurs atypiques ne bénéficient que de peu
de soutien social avec, souvent, des missions courtes et des
périodes d’intermission non rémunérées ; ils n’ont pas d’accompagnement dans un projet professionnel… La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences territoriale peut alors
permettre de créer localement des emplois pérennes, de qualité, au service de la performance des entreprises et de l’attractivité du territoire. Emploi atypique doit pouvoir rimer avec
emploi de qualité !
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CHANTAL PRINA
es mutations économiques de ces
dernières années ont eu des effets
sur le contenu du travail, son organisation, sur les relations de travail
et sur les modes de gestion de l’emploi et des ressources humaines. Les exigences
de production et de services ont évolué et
entraîné l’apparition et le développement de
formes d’emploi telles que CDD, intérim, portage, multi-salariat. La multiplication et l’utilisation accrue de ces formes d’emploi et de
travail dites atypiques tentent de répondre à
différents enjeux : performance des entreprises, employabilité des salariés, gestion des
mobilités…
Pour venir en appui aux politiques publiques
dans leur soutien aux entreprises et aux territoires en mutation, Aravis(1) a conduit, entre
2010 et 2014, un ensemble de travaux sur les
formes d’emploi atypiques et leur impact en
matière de conditions de travail, de parcours
professionnels, de dialogue social et de performance globale des entreprises(2). Pour délimiter le champ des observations, nous avons
retenu la définition officielle des emplois atypiques : tout ce qui n’est pas CDI, à temps plein,
pour un seul employeur et dans ses locaux. En
dehors de ce cadre, on parle de formes atypiques soit d’emploi, soit de travail, soit des
deux (cf. encadré).
FLEXIBILITÉ. L’uniformisation des formes
d’emploi vers le contrat à durée indéterminée à
temps plein comme norme d’emploi renvoie à
un contexte économique bien particulier, celui
de la période des Trente Glorieuses.
Après les Trente Glorieuses, on constate une
sortie progressive du contrat de travail classique pour répondre aux besoins de flexibilité
des entreprises et aux besoins d’emploi des uns
et des autres : la norme de l’emploi a évolué de
façon implicite. Si l’on regarde l’emploi aujourd’hui, on constate qu’il y a toujours 75 % à
80 % d’emplois classiques en CDI. Plus précisément, la part de l’emploi salarié à durée indéterminée à temps plein en France représente
87 % de l’emploi salarié et environ 76 % de
l’emploi total(3). Mais ce qui est vrai pour l’em-
L
ploi global ne l’est pas pour les embauches. À
ce niveau-là, les chiffres sont inversés, avec
80 % de formes atypiques à l’embauche. Ce
pourcentage est encore plus élevé dans certains
secteurs, dans certaines branches dont le tourisme, l’hôtellerie-restauration, le BTP et les
services à la personne…
Depuis plusieurs décennies, on observe une
certaine diversification de la structure de l’emploi, remettant en question le concept d’emploi unique. Sous l’effet de la montée d’un chômage de masse et de mutations économiques
et technologiques sont apparues, aux côtés du
contrat à durée indéterminée, des formes d’emploi moins stables, dites atypiques, faisant varier
l’une ou l’autre des composantes de l’emploi
classique.
Depuis les années 1980, la flexibilité est devenue un enjeu majeur pour la compétitivité des
entreprises. Celles-ci intensifient leur recours à
des formes atypiques d’emploi, majoritairement les contrats à durée déterminée et l’intérim, mais également des formes moins connues,
parfois à la frontière du salariat, comme le portage salarial. La recherche de souplesse s’observe également par le recours au temps partiel dans les contrats à durée indéterminée et à
des modalités renouvelées d’organisation du
travail (horaires atypiques ou flexibles, télétravail).
Enfin, la crise de 2008 a montré la fragilité du
travail temporaire. Les travailleurs intérimaires
ont été et sont encore la variable d’ajustement
des entreprises. C’est là que la crise a fait le plus
de dégâts, et très vite. Du jour au lendemain,
dans les entreprises qui faisaient largement
appel à l’intérim, les permanents ont dû récupérer des tâches supplémentaires, et pas forcément les plus simples. Car c’est aux intérimaires
que sont, le plus souvent, confiées les tâches les
plus complexes, les moins intéressantes, quand
ce ne sont pas les plus dangereuses. On imagine bien ce que cela peut produire dans une
entreprise qui récupère tout cela avec moins de
main-d’œuvre. En touchant de plein fouet les
emplois intérimaires, la crise a bousculé l’ensemble de l’emploi.
(1) Aravis (Agence RhôneAlpes pour la valorisation de
l’innovation sociale et
l’amélioration des conditions
de travail) est une
association paritaire,
membre du réseau Anact
(Agence nationale pour
l’amélioration des conditions
de travail) au service des
pouvoirs publics (État, région
Rhône-Alpes) et des
partenaires sociaux
(employeurs et salariés). Elle
est financée à 90 % sur
fonds publics.
(2) Les résultats de ces
travaux sont disponibles sur
le site internet d’Aravis
[http://www.aravis.aract.fr/n
os-domainesdexpertise/emploi-etcompetence/ressourcesateliers]. À la demande
d'Aravis, Christophe
Everaere, de l’université
Jean Moulin de Lyon 3, a
accompagné cette réflexion.
(3) Source : CONSEIL
D’ORIENTATION POUR L’EMPLOI,
L’évolution des formes
d’emploi, 8 avril 2014 [ http://
www.coe.gouv.fr/DetailPublication.html?id_article=1
175 ].
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Les formes atypiques d’emploi et de travail
Travail à temps partiel // Auto-entrepreneuriat et indépendants // Télétravail //
Travail saisonnier // Pluriactivité // CDD // Entrepreneuriat salarial // Travail
à temps partagé // Portage salarial // Stages et apprentissage // Travail
temporaire // Mise à disposition, prêt de personnel
On compte aujourd’hui neuf millions de personnes concernées par les emplois atypiques.
Parmi elles, 30 000 sont salariées dans les groupements d’employeurs, 40 000 dans des entreprises de portage et 6 500 dans les coopératives d’activités.
GESTION AU COUP PAR COUP. Il n’y a pas d’estimation de l’impact économique de ces formes
de travail et d’emploi. Les entreprises recherchent de la souplesse, de la réactivité pour gérer
des urgences de production, pour se recentrer
sur leur cœur de métier. On constate cependant
une évolution. Désormais, les entreprises ont
davantage recours au CDD, à l’intérim, au
temps partiel, sans qu’une vision globale ne
guide les choix.
Mais, il est difficile de dénombrer ces différentes formes d’emploi parce que, bien souvent, elles se cumulent. Il y a des formes salariées, des formes qui poussent vers
l’indépendance et des formes hybrides à michemin entre travail salarié et travail indépendant. Un auto-entrepreneur, par exemple, peut
en même temps être salarié à mi-temps, avoir un
CDI en temps partagé via un groupement d’employeurs…
Du côté des entreprises, on observe souvent
une gestion au coup par coup de la maind’œuvre : gestion selon les à-coups de l’activité,
les opportunités territoriales ou sectorielles.
Certaines de ces formes d’emploi atypiques permettent de mutualiser du personnel et d’embaucher “à plusieurs” soit en direct, soit via
un tiers : détachement, mise à disposition, groupements d’employeurs, groupements de coopé-
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ration sanitaire… D’autres permettent de créer
de l’emploi à partir d’emplois à temps partiel,
ce qui implique de mailler les besoins dans un
territoire ou dans un secteur d’activité : contrats
intermittents, temps partagé, groupements
d’employeurs… Parfois, les entreprises utilisent les emplois atypiques pour externaliser les
tâches pénibles ou déqualifiées, voire certains
risques professionnels.
Dans l’entreprise, l’impact des emplois atypiques est d’autant plus sensible que la proportion des salariés “atypiques” ou outsiders est
élevée par rapport à celle des permanents ou
insiders. Cela entraîne des difficultés d’intégration, de l’isolement, un affaiblissement des
coopérations, une concurrence interne, une distanciation et un faible sentiment d’appartenance, une complexification de la position
managériale, une diminution du rôle et des
actions des représentants du personnel. En
outre, l’externalisation de l’expertise peut entraîner la perte de la compétence et le risque d’affaiblissement de la capacité d’innovation.
RELATIONS DE TRAVAIL. L’intervention d’un
tiers employeur comme dans les cas de soustraitance, de travail en régie, de l’intérim et des
groupements d’employeurs modifie les relations de travail.
Se développent alors des modalités hybrides
à mi-chemin entre salariat et indépendance,
entre relation de travail et relations commerciales. Avec le portage salarial ou les coopératives d’activités qui embauchent des salariésentrepreneurs, la responsabilité de trouver des
clients et de négocier les conditions d’activité
revient à ces derniers qui sont de fait centrés
sur un rapport individuel au travail. Le sentiment d’appartenance à une entreprise ou à un
collectif s’émousse et tend même à disparaitre.
De plus, ces salariés ne bénéficient d’aucune
représentation et ne peuvent donc pas participer ni bénéficier aux modalités d’expression
sur le travail, l’emploi.
Ces travailleurs atypiques, sauf lorsqu’ils sont
salariés d’une structure qui “joue le jeu” de
l’accompagnement individuel (certaines sociétés de portage, des groupements d’employeurs
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ou des coopératives d’activités et d’emploi)
bénéficient rarement d’un soutien social avec,
selon les cas, des missions courtes et des
périodes d’intermission non rémunérées ; ils
n’ont pas d’accompagnement dans un projet
professionnel, pas de parcours ni de formation
en dehors des formations d’intégration indispensables (techniques, consignes de production…). Il leur est difficile, voire impossible, de
s’insérer dans un collectif mouvant au gré des
missions et dans lequel ils n’ont en général pas
de relations d’égal à égal avec leurs collègues
insiders, et ne peuvent pas participer au dialogue social. Avec des missions aléatoires, ils
subissent une forme de précarité sociale avec
peu ou pas de couverture sociale. De plus, il
leur est difficile de construire des projets de vie
personnelle.
De leur côté, les managers de ces équipes
mixtes sont en perte de repères. Se pose alors la
question de la responsabilité (hiérarchique ou
fonctionnelle), de la prescription du travail hors
relation hiérarchique et de la gestion de statuts
différents dans les équipes pour une même fonction.
SÉCURISATION DES PARCOURS. Sécuriser les
parcours et la mobilité des salariés, tout en permettant aux entreprises d’ajuster la maind’œuvre aux variations saisonnières (notamment dans le tourisme) et de fidéliser celle-ci
afin d’offrir des prestations de qualité, est alors
au cœur des enjeux.
L’enjeu de sécurisation des parcours professionnels est au centre des débats actuels ; en
témoigne l’accord national interprofessionnel du
11 janvier 2013 visant à sécuriser l’emploi et
les parcours professionnels des salariés(4). Cette
réflexion des partenaires sociaux s’inscrit dans
une démarche de flexicurité, néologisme désignant le double objectif de conciliation de la
flexibilité pour les entreprises et de la sécurité
pour les individus.
Aujourd’hui, alors que les individus sont peu
mobiles – c’est un constat –, la sécurisation des
parcours professionnels est une orientation
majeure des politiques d’emploi. C’est ce qui
explique la montée de la GPEC (gestion prévi-
sionnelle de l’emploi et des compétences) dite
“territoriale” (GPEC-T) comme moyen au service de la performance des entreprises et des
territoires.
Avec les formes atypiques, l’individu est, bien
plus qu’il ne l’était auparavant, responsable de
son parcours professionnel. Il n’a pas le choix,
il faut qu’il soit autonome. Plus il est qualifié,
plus il a des compétences d’agilité, plus c’est
facile pour lui. Beaucoup de gens qui ne sont
pas autonomes ou en capacité socialement de
prendre cela en charge se retrouvent hors jeu.
Cette question est un véritable enjeu au niveau
des territoires.
La région Rhône-Alpes est très sensible à la
nécessité de sécuriser les parcours professionnels
et la mobilité des salariés, tout en répondant
aux besoins de flexibilité des entreprises de la
région. Pour la sécurisation des parcours, la
région a mis en place de nombreux dispositifs
de soutien et apporte son soutien financier à
de nombreuses structures d’aide et d’insertion.
Car il n’est pas si facile de prendre en charge
son parcours et de travailler seul à son employabilité. Et les formes d’emploi atypiques posent
la question d’une manière encore plus aiguë.
Dans les groupements d’employeurs, il y a
des compétences compétences évidentes, recherchées, mais non reconnues, d’agilité : pour travailler chaque jour de la semaine dans un
endroit différent, il faut être capable de maîtriser des méthodes et des outils différents, et
aussi gérer des déplacements. Il faut que les
salariés soient réactifs et agiles pour s’adapter
à ces situations qui leur conviennent peut-être
très bien, car elles leur permettent d’obtenir un
travail équivalent temps plein en CDI, mais qui
ne les accompagnent pas forcément très bien
dans les périodes de transition.
Lorsqu’une entreprise adhérente au groupement d’employeurs arrête sa mission, le salarié est bien pris en charge par le groupement.
Mais ce dernier a lui aussi des objectifs de rentabilité et va faire en sorte de remplir rapidement la mission manquante, au détriment parfois de la formation et de l’accompagnement
du projet du salarié.
(4) [http://direccte.gouv.fr/IM
G/pdf/ANI_securisation_de_l
_emploi-2.pdf].
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Les groupements d’employeurs sont souvent
des petites structures (sauf en Bretagne, où les
structures sont de taille importante et ont les
moyens d’assurer l’employabilité, la formation
et l’intégration des salariés). En Rhône-Alpes,
on compte une multitude de petites structures,
créées il y a déjà quelques années. Aujourd’hui
la question se pose de réorganiser ces groupements d’employeurs ou de les aider différemment : ne pas forcément faciliter leur naissance
dans tous les sens mais essayer de construire
des choses un peu plus solides.
ÉCONOMIE DE PROXIMITÉ. Comme la maind’œuvre est peu mobile, il faut que le territoire
mette les moyens pour que les gens y restent
bien. Les acteurs du territoire en sont bien
conscients. C’est ce qui motive la GPEC territoriale, d’autant que les entreprises de la région
sont à plus de 80 % des PME et que les actions
interentreprises expérimentées pour faciliter la
mobilité des personnes et des compétences,
dans un même secteur ou dans un même territoire, n’ont pas toujours abouti ou n’ont pas
construit de démarche pérenne. L’enjeu de la
GPEC territoriale est de sécuriser les parcours
de salariés travaillant dans des entreprises différentes, voire dans des secteurs différents.
L’objectif est de lutter contre le risque de développement d’emplois de faible qualité : les “bad
jobs”. Le tourisme fait figure de précurseur en
la matière : des structures proposent du travail
en station de ski l’hiver et dans l’agriculture ou
dans le bâtiment l’été.
La GPEC territoriale est un moyen au service de la performance des entreprises, mais
aussi au service de l’attractivité du territoire.
L’objectif est que les gens puissent travailler et
vivre sur le même territoire, que ce dernier ne
perde pas de compétences indispensables. Le
territoire a tout à gagner si les saisonniers y restent toute l’année : ils ne vont pas dépenser
ailleurs l’argent qu’ils gagnent pendant la saison ; ils sont intégrés socialement. De leur côté,
les entreprises y gagnent, car elles fidélisent des
employés qui se forment au fil du temps, ce qui
leur permet d’augmenter la qualité de leurs
prestations.
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Le développement de l’économie de proximité est au cœur de la GPEC territoriale en
Rhône-Alpes. L’économie de proximité, c’est
l’alliance de l’économie résidentielle, de l’économie touristique, de l’économie productive
locale, et de l’économie sociale et solidaire :
l’économie de proximité, c’est l’économie qui
n’est pas délocalisable. C’est une partie de l’économie sociale et solidaire, mais ce n’est pas que
cela. L’économie de proximité, ce sont tous les
emplois, toutes les compétences qui permettent
de produire localement des produits ou des services qui vont être consommés localement.
L’économie de proximité, constituée par les
TPE locales, l’artisanat, le commerce et l’économie sociale, regroupe en effet la majeure partie des entreprises d’un territoire. En RhôneAlpes, elle représente plus de 100 000 TPE,
autant d’entreprises artisanales, plus de
87 000 commerces et 23 000 structures de l’économie sociale et solidaire. Elle est présente sur
tous les territoires de la région, qu’ils soient
urbains, périurbains ou ruraux, en plaine ou
en montagne. Plusieurs secteurs d’activité en
font partie : le bâtiment, les services à la personne, le tourisme, l’hôtellerie-restauration,
l’alimentaire avec les métiers de bouche, l’artisanat, les secteurs du sanitaire et du juridique…
On constate que, dans cette forme d’économie, il y a une majorité de formes atypiques du
fait de la prédominance de petites structures
(PME et surtout TPE), avec beaucoup de petits
temps de travail, des temps partiels, des CDD,
des horaires atypiques…
L’économie de proximité est de plus en plus
perçue comme un gisement d’emplois intéressant pour les territoires : d’une part, parce ces
activités n’étant pas soumises au risque de délocalisation, elles exposent moins les territoires
à des chocs brutaux de réduction d’emploi,
d’autre part, parce que l’économie de proximité serait plus ouverte aux populations peu
ou pas qualifiées.
Le développement de l’économie de proximité est affirmé par le conseil régional RhôneAlpes dans le cadre de sa “stratégie régionale de
CHANTAL PRINA
développement économique et d’innovation”
(SRDEI) 2011-2015, qui souhaite accroître la
contribution de l’économie résidentielle au développement local et accompagner les territoires
dans l’élaboration de leurs diagnostics, stratégies et plans d’action.
QUALITÉ DE L’EMPLOI. La réflexion des territoires dans leurs stratégies de développement
économique est tournée vers l’activité, le sousentendu étant que cette activité sera créatrice
d’emploi. Mais cette réflexion n’intègre que
peu la question de la qualité de l’emploi. Or
l’attractivité et le dynamisme des territoires
dépendent aussi de la qualité des emplois présents. Si les évolutions de l’économie de proximité sont associées à de la création d’emploi,
les emplois sont également associés à des risques
de précarité et d’insécurité pour les salariés,
notamment en ce qui concerne leur employabilité, leur parcours professionnel, leurs conditions d’emploi et les avantages sociaux qui leur
sont liés, ainsi que leurs conditions de travail.
En effet, on l’a vu, les services à la personne,
le BTP, le tourisme, l’hôtellerie-restauration
sont les secteurs dominants dans l’économie
de proximité. La majorité des emplois dans ces
secteurs sont des emplois atypiques : temps partiels, CDD, travail en temps partagé, horaires
atypiques... De plus, ils concernent essentiellement des publics fragilisés (femmes, jeunes,
salariés peu qualifiés).
Pendant des années, les acteurs institutionnels ont pensé que, du moment où l’on crée de
l’activité, on crée de l’emploi. Et tous les chiffres
de l’Insee prenaient en compte les aspects quantitatifs des créations d’emplois.
Depuis quelques années maintenant, on se
rend compte que création d’emplois n’est pas
forcément synonyme de qualité d’emploi pour
le travailleur (pérennité et stabilité sur un territoire, évolution des compétences, évolution salariale, articulation des temps de vie…).
Désormais, les statistiques intègrent davantage
de données comme les temps partiels, les
CDD… Mais ce n’est pas encore assez précis et
il est difficile de faire des constats complets sur
un territoire. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des
Création d’emplois n’est pas
forcément synonyme de qualité
d’emploi pour le travaileur
(pérennité et stabilité sur
un territoire, évolution des
compétences, évolution salariale,
articulation des temps de vie…)
chiffres de turnover énormes dans certains
métiers.
Quand on voit que, sur une création de poste,
il peut y avoir plusieurs personnes à l’année, on
peut se dire que, certes, on a créé un poste, mais
que rien n’est stabilisé. Et ce n’est bénéfique ni
pour les salariés qui tournent sur le poste, ni
pour le territoire qui ne peut que constater que
des ressources sont produites sur le territoire,
mais que l’argent n’est pas forcément dépensé
sur le territoire. S’il est dépensé ailleurs, le territoire a tout perdu.
Prenons l’exemple d’un département qui développe une offre touristique, convaincu que cela
va créer de l’activité économique et de l’emploi.
Souvent, il y a effectivement des emplois créés,
mais relativement peu. Et les gens qui travaillent
sur place pendant six mois, douze heures par
jour, économisent : ils ne dépensent pas sur le
territoire Au bout de six mois, une fois la saison
terminée, ils s’en vont avec leurs économies.
Car créer des emplois, c’est bien, mais encore
faut-il qu’ils soient de qualité. Il y a d’autres
secteurs, comme celui des services à la personne,
qui créent effectivement beaucoup d’emplois,
mais des petits bouts d’emploi avec des petites
heures de travail, engendrant des situations très
précaires pour les salariés, sans parcours sécurisé, sans formation, sans évolution possible.
Emploi rime alors avec précarité et insécurité.
C’est peut-être moins vrai dans le secteur tou-
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QUEL EMPLOI TOURISTIQUE DEMAIN ?
(5) [http://www.queltravailda
ns20ans.com/wpcontent/uploads/2011/02/V1
1-Formes-d-emploi-etcontrat-de-travail-D10.pdf].
risme, mais cela reste encore très vrai dans l’hôtellerie-restauration.
Aujourd’hui, l’échelon territorial s’affirme
comme lieu de réflexion et de coopération
autour de la qualité de l’emploi. S’appuyer sur
les proximités et la connaissance des spécificités locales pour permettre de sécuriser les trajectoires professionnelles est l’enjeu auquel peut
répondre le niveau territorial. Il est un lieu de
réflexion et de coopération entre les acteurs.
Dans les territoires de la région Rhône-Alpes,
il y a des maillages à faire, sur les aspects touristiques, entre territoires voisins et entre secteurs complémentaires. Pour réussir le pari d’une
économie de proximité, la région devra se doter
d’outils permettant d’établir des diagnostics
qualitatifs de l’emploi. L’intégration, par les
acteurs territoriaux, de la question de la qualité de l’emploi dans leurs plans d’action économiques et dans le déploiement éclairé de
formes atypiques, tout en répondant aux besoins
des entreprises, est un enjeu majeur. Aucune
forme d’emploi atypique n’est intrinsèquement
vertueuse, ni intrinsèquement pénible.
DANS VINGT ANS. Pour marquer ses vingt ans
d’existence, Aravis a engagé, en 2010, avec
quatre-vingts acteurs de la région et le soutien
méthodologique du cabinet Futuribles, une
démarche prospective sur le thème “Quel travail dans vingt ans (5)?”. Ces travaux font apparaître six grandes tendances et tensions :
– l’individualisation du travail, qui vient percuter la notion de collectif de travail ;
– la perméabilité des frontières entre la sphère
professionnelle et la sphère privée ;
– l’évolution des modèles de contractualisation
entre travail salarié et travail indépendant ;
– la fracture sociale entre travailleurs, du fait
de la diversité des statuts (CDI temps plein,
CDD, temps partiels voire très partiels, intérimaires…) ;
– le renouvellement et l’élargissement du cercle
des acteurs de la régulation, qui complexifie le
dialogue social ;
– des intentions éthiques difficiles à mettre en
œuvre en restant économiquement efficace.
L’un des scénarios envisagés pour l’avenir est
que le “contrat social” ne repose plus sur la
seule entreprise, et qu’il soit régulé par un
ensemble d’acteurs (les pouvoirs publics, les
entreprises, les citoyens…). De nouveaux dispositifs (qui restent à inventer) permettraient à
la fois de compenser les effets négatifs de la précarisation et de répondre aux aspirations individuelles en matière de mobilité et de parcours
professionnel.
n n n
Les emplois atypiques sont-ils l’avenir ? Il est
clair que l’on ne reviendra pas en arrière, que
l’époque des Trente Glorieuses et du CDI roi
est révolue. Ces grandes tendances modifient
et interrogent en profondeur la sphère du travail
et les termes de l’échange salarial, ainsi que l’entreprise dans sa gouvernance, son organisation.
PROPOS RECUEILLIS PAR CLAUDINE DESVIGNES
L’un des scénarios envisagés pour l’avenir est que le “contrat
social” ne repose plus sur la seule entreprise, et qu’il soit régulé
par un ensemble d’acteurs. Il faut inventer de nouvelles modalités
de coopération territoriale pour compenser les effets négatifs de
la précarisation et répondre aux aspirations individuelles en
matière de mobilité et de parcours professionnels
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