HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES

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HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES - 1re partie
de 1839 aux années 1960
Cours de Jean pierre Morcrette
COURS N°18
Plan et citations
MAN RAY
PLAN du cours :
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USA
Marcel DUCHAMP, 1887-1968
premières photographies, New York
arrivée à Paris
rayographies ou rayogrammes
solarisations
cinéma
mises en scène
peinture, dessin
mode, publicité
autoportraits
après la guerre
[…] “Stieglitz s’occupait sans cesse de photographie : il voulait prouver que c’était un art. A
cette fin, il publiait une luxueuse revue de photographie et faisait lui-même des photos quand il en
avait envie et, si le sujet l’attirait, il faisait le portrait de quiconque se trouvait dans la galerie, qu’il se
fût agi du liftier noir, ou d’un peintre qui fréquentait les lieux. […]
Les photos de Stieglitz étaient dépourvues d’anecdote et sentimentalité de bas étage, mais elles
demeuraient profondément figuratives, et contrastaient avec les tableaux et les sculptures qu’il
exposait. Je ne pouvais m’empêcher de penser que, la photographie ayant libéré le peintre de la
corvée de la représentation fidèle, celle-ci finirait par relever exclusivement de la photographie qui,
elle, deviendrait à son tour un art à part entière. D’où l’intérêt que Stieglitz portait à ces deux moyens
d’expressions”
In AUTOPORTRAIT, page 27, Robert Laffont, paris, 1964, Réédition Seghers, 1986
[…] “Les quelques reproductions de mes tableaux faites par des photographes professionnels
n’étaient pas satisfaisantes. Traduire la couleur en blanc et noir exigeait, non seulement une certaine
habileté technique, mais aussi une compréhension des œuvres à reproduire. Et nul, pensais-je,
n’était mieux placé pour faire ce travail que le peintre lui-même. Je n’avais jamais partagé le mépris
des autres peintres pour la photographie. Les deux métiers ne se faisaient pas concurrence : chacun
était engagé dans une voie différente. J’eus confirmation de cette thèse lorsque je rencontrai des
photographes accomplis qui étaient aussi des peintres et qui employaient ces deux moyens
d’expression en même temps, sans que l’un empiète sur l’autre. Je les admirais et les enviais.”
Ibid. page 61
[…] “Duchamp était en correspondance avec un jeune groupe de peintres et de poètes
parisiens, les dadaïstes, qui nous demandèrent de contribuer à leurs publications. Mais pourquoi ne
pas publier une revue dadaïste à New York ? Nous nous mîmes au travail. Duchamp dessina la
couverture, mais il me laissa la responsabilité de la mise en pages et du contenu de la revue. Tristan
Tzara, un des fondateurs du dadaïsme, nous envoya de Paris, une caricature d’autorisation officielle,
que nous traduisîmes. […]”
Ibid. page 101
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[…] “C’était une forme très importante d’introduction de l’humour dans un monde très sérieux à
l’époque. […] Nous avions soudainement eu le même esprit qu’à Zurich, où Tzara, Arp et
Huelsenbeck avaient commencé sous le même nom. Ils ont inventé un nom et cela aida beaucoup le
mouvement et c’était un bon drapeau pour toutes ces idées. L’esprit dada a toujours existé. Un
homme comme Rabelais était dada dans son essence. Ainsi, Jarry était quelqu’un d’important et on
peut en trouver d’autres. […]”
Marcel DUCHAMP, interview à la BBC, 1959
Question : “ Y a-t-il une manière de considérer le ready-made comme une œuvre d’art ?
Duchamp : “C’est là le point vraiment difficile parce qu’il faudrait d’abord définir l’art. On a
essayé, tout le monde a essayé, et chaque siècle il y a une nouvelle définition de l’art. J’imagine qu’il
ne doit pas y en avoir une essentielle qui soit valable pour tous les siècles. Donc si nous acceptons
l’idée de ne pas essayer de définir l’art, ce qui est une conception très légitime, alors le ready-made
peut être vu comme une sorte d’ironie, ou une tentative de montrer la futilité de tenter de définir l’art,
parce que voilà une chose que j’appelle art. Je ne l’ai pas fait moi-même. Comme on sait, art veut
dire étymologiquement faire, faire à la main. C’est un produit fait main et là à la place de le faire, je le
prends tout fait (ready-made), même si ça été fait dans une usine. Mais ce n’est pas fait à la main,
donc c’est une façon de nier la possibilité de définir l’art. […] Vous savez ce que fait l’art mais vous
ne savez pas ce que c’est. C’est une sorte de courant inné à l’homme, ou quelque chose que vous
ne devez pas définir. […] ”
Marcel DUCHAMP, interview à la BBC, 1959
“Que monsieur Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou non est sans importance.
Il l’a CHOISIE. Il a pris un objet de la vie quotidienne, l’as mis en situation, au point d’en faire oublier
sa fonction et sa signification utilitaires sous un nouveau titre et un nouveau point de vue – et a crée
une pensée nouvelle de cet objet.
Editorial (sans doute de Duchamp lui-même) in The Blind Man N°2, mai 1917
La photographie à l’envers, Préface de Tristan Tzara, Champs délicieux, 1922
“Ce n'est plus l'objet qui, entrecroisant les trajectoires de ses points extrêmes dans l'iris, projette sur
la surface une image mal renversée. Le photographe a inventé une nouvelle méthode : il présente à
l'espace l'image qui l'excède, et l'air avec ses mains crispées, ses avantages de tête, la capte et la
garde dans son sein.
Une ellipse tourne autour de la perdrix, est-ce un étui de cigarettes ? Le photographe tourne la
broche des pensées au crépitement de lune mal graissée.
La lumière est variable selon l'étourdissement de la pupille sur le froid du papier, selon son poids et
le choc qu'elle produit. Une mèche d'arbre délicat fait prévoir des gîtes métallifères, des girandoles à
tour de bras. Elle éclaire le vestibule du coeur avec un torchon de flocons de neige. Et ce qui nous
intéresse est sans raison et sans motif, comme un nuage crache sa voie d'abondance.
Mais parlons un peu art. Oui, art. Je connais un monsieur qui fait d'excellents portraits. Le monsieur
est un appareil photographique. Mais, dites-vous, il lui manque la couleur et le tremblement de
pinceau. Ce frisson incertain fut d'abord une faiblesse qui pour se justifier s'intitula sensibilité.
l'imperfection humaine, parait-il, a des vertus plus sérieuses que l'exactitude des machines. Et les
natures mortes ? Je voudrais savoir si les hors-d'oeuvres, les desserts et les paniers de gibier
n'attirent mieux l'haleine que notre appétit. J'écoute le ronflement d'un serpent de mine de pétrole,
une torpille se tord la bouche, la vaisselle se casse avec des querelles de ménage. Pourquoi ne faitCOURS N°18
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on pas le portrait de tout cela ? Parce que cela s'adresse à un canal communiquant une commotion
particulière à ceux qui l'approchent, mais qui ne consument ni yeux, ni couleurs.
Les peintres ont vu cela, ils se sont mis en rond, ont discuté longtemps et ont trouvé des lois de
décomposition. Et des lois de construction. Et de circonvolution. Et des lois d'intelligence et de
compréhension, de vente, de reproduction, de dignité et de conservation dans les musées. D'autres
sont venus en suite avec des cris éclairés pour dire que ce que les premiers avaient fait n'était qu'un
excrément d'oiseau bon marché. Ils ont proposé leur marchandise à la place, une épure
impressionniste réduite à un symbole vulgaire mais séduisant. J'ai cru un instant à leurs cris d'idiots
nettoyés par des fontes de neige, mais j'ai su bien vite que la jalousie stérile seulement les
tourmentait. Ils ont tous fini par la confection de cartes postales anglaises. Après avoir connu
Nietzsche et juré sur leurs maîtresses, après avoir tiré tout le ripolin du cadavre de leurs amis, ils ont
déclaré que les beaux enfants valaient la bonne peinture à l'huile, et que la meilleure était celle qui
se vendait le plus cher. la peinture à queue, à cheveux frisés, dans des cadres dorés. Voilà leur
marbre, voilà notre pissat de femme de chambre. Quand tout ce qu'on nomme art fut bien couvert de
rhumatismes, le photographe alluma les milliers de bougies de sa lampe, et le papier sensible
absorba par degrés le noir découpé dans quelques objets usuels. Il avait inventé la force d'un éclair
tendre et frais, qui dépassait en importance toutes les constellations destinées à nos plaisirs visuels.
la déformation mécanique, précise, unique et correcte est fixée, lisse et filtrée comme une chevelure
à travers un peigne de lumière.
Est-ce une spirale d'eau ou la lueur tragique d'un revolver, un œuf, un arc étincelant ou une écluse
de la raison, une oreille subtile avec un sifflet minéral ou une turbine de formules algébriques ?
Comme la glace rejette l'image sans effort, et l'écho la voix sans nous demander pourquoi, la beauté
de la matière n'appartient à personne, car elle est désormais un produit physico-chimique. Après les
grandes inventions et les tempêtes, toutes les petites escroqueries de la sensibilité, du savoir et de
l'intelligence sont emportées d'un coup de balai par les poches du vent magique. Le négociateur de
valeurs lumineuses tient le pari proposé par les garçons d'écurie. La mesure d'avoine qu'ils donnent
le soir et le matin aux chevaux de l'art moderne, ne pourra pas troubler le cours passionnant de sa
partie de soleils et d'échecs.»
(Ce texte fut également publié dans Les Feuilles libres. Paris, n° 30, déc, 1922 - janv. 1923)
“[…] Ce qui m’intéresse le plus maintenant, c’est ce que j’appellerai peut-être la rayographie,
impression directe des rayons lumineux, créatrice de pures inventions, technique d’une précision que
n’atteint pas la peinture. La photographie est-elle un art ? Il n’y a pas à chercher si c’est un art . L’art
est dépassé. Il faut autre chose. Il faut regarder travailler la lumière. C’est la lumière qui crée. Je
m’assieds devant ma feuille de papier sensible et je pense.”
Man ray, in L’art vivant, 1er avril 1929
“[…] Le dessin et la peinture me reposaient de la photographie mais je n’avais pas la moindre
intention de substituer l’un à l’autre. Cela m’agaçait qu’on me demandât, selon mes activités du
moment, si j’abandonnais l’un en faveur de l’autre. Il n’y avait aucun conflit entre les deux : pourquoi
les gens ne pouvaient-ils se faire à l’idée que certains consacrent leur vie à deux activités,
alternativement ou simultanément ? L’on sous-entendait, sans doute, que la photographie ne se
situait pas au même niveau que la peinture, que ce n’était pas un art. C’avait été un sujet de
controverses depuis l’invention même de la photographie, et la question ne m’intéressait pas. Pour
éviter les discussions, j’avais déclaré carrément que la photo n’était pas un art, et publié un pamphlet
auquel cette déclaration servait de titre [ La photographie n’est pas de l’art, titre original :
Photography is not art, pour la revue View, N°1, USA, avril 1943 ], à la grande consternation et à la
réprobation des photographes. Lorsque, plus récemment, on me demanda si j’étais toujours du
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même avis, je déclarai que j’avais modifié quelque peu mon attitude : selon moi, l’art n’est pas de la
photographie. […].”
In AUTOPORTRAIT, page 204
“[…] Vers le milieu des années 30, j’avais rétabli ma réputation de photographe, je fréquentais
les cercles mondains et j’étais sollicité par les agences de publicité et les revues de mode. C’était un
travail moins régulier que les portraits, mais mieux payé. […] J’étais désinvolte auprès des clients
avec lesquels j’entretenais des rapports d’affaires : je les faisais payer le plus possible. […] On
attendait de moi des résultats extraordinaires, mais je découvrais bientôt que les directeurs de
revues aimaient mieux se servir de mon nom que de mes idées nouvelles ou de ma manière de
présenter leur marchandise. S’ils hésitaient à prendre mes photos les plus outrées, et proposaient de
diminuer mes honoraires, je demandais, pour apaiser ma vanité blessée, le prix double. […]”
In AUTOPORTRAIT, page 260-261
Texte dactylographié de Man Ray
“ Qu’es que c’est une belle photo ?
Qu’es que c’est une belle femme ?
Je ne sais pas.
Qu’es que c’est une peinture abstraite ?
Qu’ es que c’est une peinture figurative ?
Je ne sais pas.
Je ne fais que des non-abstractions.
Si aujourd’hui je prends position,
demain il faut que je me contredis.
La poursuite de la liberté et du plaisir
efface toutes les idées. S’il y a
contradiction peu importe.
Une ligne, un triangle, un visage,
un œuf, sont tous bons comme point
de départ pour une aventure.
J’ai toujours envié ceux pour qui une
œuvre est un mystère.”
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