Sambou_Aly_Article épreuve de traduction w-fr - Crisco

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Sambou_Aly_Article épreuve de traduction w-fr - Crisco
L’épreuve de traduction français-wolof à travers la presse orale sénégalaise
Aly SAMBOU
RSD, Université Gaston Berger de St Louis (Sénégal)
CRISCO, Université de Caen Basse-Normandie (France)
Courriel : [email protected].
Abstract :
The great interest that the language used in oral press arouses among linguists and sociolinguists is no
longer a novelty in the Senegalese media landscape.
In the present paper, we propose to draw out an outline of ways and means to help in the improvement
of oral production in the journalism community, especially by the systematic use of translation
techniques adapted to multilingual context. First, we’ll provide a synthetic overview of Senegal’s
some sociolinguistic realities, along with a brief description of the radio landscape and national
broadcasting. Then, before proposing any process of translation as well as appropriate solutions to
improve the expression in Wolof, we conduct a plural analysis of the relevant elements of our corpus,
focusing on radio and television information broadcast from 2010 to 2011.
Introduction
Ce fut, pour la plupart des Etats francophones, comme une sorte de mesure impérative, que
de choisir, au lendemain de leur émancipation du joug de la colonisation française, le français comme
langue officielle. Cette mesure immédiate, mentionnée dans les différentes constitutions, va constituer,
dès lors, le noyau essentiel autour duquel s’articulera presque toute la politique linguistique mise en
œuvre dans ces Etats, sans pour autant que l’on ait réussi à faire du français le premier medium de
communication entre les groupes ethniques.
C’est pourquoi, bien des chercheurs ont tendance à opposer deux situations évoluant de
façon parallèle dans l’espace francophone africain, en particulier: la situation du français en tant
langue officielle héritée de la colonisation et la situation du français entrevu et pratiqué comme langue
étrangère ou de communication internationale.
En effet, la polyglossie qui caractérise le paysage linguistique sénégalais n’est pas sans
conséquence directe sur l’efficacité des prestations orales et écrites produites dans le paysage
journalistique sénégalais. La prédominance incontestée du wolof, première langue nationale, ne fait
que renforcer cette tendance généralisée à une sorte de « sénégalisation » de la langue française, lui
octroyant progressivement un statut de « langue locale ». C’est là un phénomène qui, à l’image de la
créolisation, semble nous mener lentement mais résolument vers une « bilinguisation » à terme de la
société sénégalaise, du reste assez dangereuse pour la promotion, l’appropriation et la pratique
effectives des langues, nationales ou étrangères. Il y va certainement de leur coexistence pacifique.
Cet article se propose de tenter une ébauche de voies et moyens susceptibles d’aider à
l’amélioration des productions orales dans le milieu journalistique, notamment par un recours
systématique à des techniques de traduction adaptées au contexte de multilinguisme. Nous nous
emploierons, tout d’abord, à dégager un état des lieux succinct de quelques réalités sociolinguistiques
du Sénégal, assorti d’un bref descriptif du paysage radiophonique et audiovisuel national; ensuite,
avant de proposer quelques procédés de traduction appropriés ainsi que des solutions à l’amélioration
de l’expression en wolof, nous nous attacherons à une analyse plurielle des éléments pertinents du
corpus. Par ailleurs, en raison d’une disproportion fort grande entre les nombreuses erreurs relevées
dans le corpus « oral » et celles du corpus écrit, du reste bien peu significatives et généralement
anodines, le travail d’analyse portera essentiellement sur des informations radiodiffusées ou télévisées,
de 2010 et 2011.
I.
Une sociolinguistique à plusieurs visages
Le Sénégal, à l’instar de la plupart des pays francophones d’Afrique subsaharienne, présente
une sociolinguistique à plusieurs facettes. Bien des études 1 ayant abordé ce phénomène relèvent
souvent une sorte de paradoxe sociolinguistique essentiellement due aux différents statuts et rôles
qu’assument chacune des grandes langues de communication utilisées par les quelque douze million
cinq cent mille Sénégalais.
En effet, sur un patrimoine linguistique de vingt-cinq langues repertoriées, seules quelque six
émergent véritablement aux côtés du français et, dans une moindre mesure, l’anglais et l’arabe. Dans
ce paysage multilingue, le wolof, première langue nationale, dynamique à bien des égards, est parlé
par un peu plus de quatre-vingts pour cent (80%) des Sénégalais, loin devant cinq principales langues
partenaires que sont le diola, le sereer, le pulaar, le mandingue et le soninke, dont les locuteurs sont
concentrés dans une région ou une autre du pays, où leur prédominance ethnique est bien marquée.
Pourtant, malgré un pourcentage si élevé, le wolof n’en est pas pour autant la langue officielle, statut
que la Constitution sénégalaise confère au français, qui compte seulement près de trente-cinq pour cent
(35%) de locuteurs réels. Tout le paradoxe est donc là : pendant que le wolof, lingua franca, est parlé
par plus de neuf millions de citoyens, moins de la moitié sont à même de communiquer en français,
langue des institutions, des médias, de l’enseignement formel, des échanges internationaux, etc.
Cette situation de paradoxe n’est pas sans impact sur la configuration et l’évolution de la
sociolinguistique nationale. En effet, la cohabitation entre langues nationales et langues étrangères se
manifeste aujourd’hui assez amplement à travers les rapports de force voire un conflit de moins en
moins latent entre le français et le wolof. Tandis que le premier semble se battre pour conserver un
statut, le second ne cesse de réussir une percée spectaculaire, notamment ces dix dernières années,
dans des domaines et secteurs de la vie censés être, jusque là, l’exclusivité de la langue officielle.
C’est ainsi que dans les médias radiodiffusés et télévisés le wolof prend peu à peu le dessus sur le
français, à l’exception des créneaux réservés aux informations et émissions ayant trait à l’actualité.
Pourtant, c’est justement à ce niveau que les attitudes et usages linguistiques nous intéressent le plus
dans le présent article. Les pratiques linguistiques dans la presse orale sont d’une complexité toute
particulière aux rôles confus que jouent les diverses langues couramment utilisées dans les
communications et dialogues au quotidien. Mais, avant d’en arriver à une description de la complexité
des rapports français-wolof, notamment dans une perspective de traduction interlinguistique, explicite
ou implicite, jetons d’abord un bref regard sur la configuration actuelle du paysage radiophonique et
audiovisuel du Sénégal.
C’est surtout en 2000, avec l’avènement de l’alternance politique, que le paysage médiatique
sénégalais a commencé un développement soutenu à la mesure du niveau de démocratie du moment.
Les statistiques font aujourd’hui état de plus de trente chaînes de radio, dont une publique, cinq
privées nationales et quelque vingt-cinq urbaines ou communautaires, à côté d’un patrimoine
audiovisuel composé de six chaînes, une publique et cinq privées couvrant l’intégralité ou une partie
du territoire national. Cet essor quantitatif des médias a surtout le double avantage d’être, d’une part,
le reflet visible de l’état de la liberté d’expression et, d’autre part, un excellent relais et à la fois un
instrument de mesure des attitudes linguistiques, au-delà des journalistes et auditeurs, de tous les
Sénégalais dans leur diversité sociolinguistique. C’est ainsi qu’au concept d’aménagement
linguistique, est venu s’ajouter celui d’aménagement médiatique, avec le tout combiné dans une sorte
de concept hybride connu sous l’appellation d’aménagement médiato-linguistique2. Il s’agira, dès lors,
d’envisager des mécanismes essentiellement sociolinguistiques qui soient susceptibles d’améliorer les
rapports complexes entre médias et langues, tout en instaurant un système de traitement égalitaire et
un certain climat de coexistence pacifique. Ce sera aussi l’occasion de travailler à un usage plus ou
1
Diouf, Jean-Léopold (1990), Daff, Moussa (1996), Calvet, Louis-Jean (1994), etc. ont déjà
évoqué, chacun sous un aspect particulier, divers phénomènes relevant du multilinguisme sénégalais, tels le
code-switching, les interférences, l’insécurité linguistique, la coexistence des langues étrangères et nationales,
etc.
2
Camille Roger ABOLOU (2010 : 5-17) aborde ce concept sous ses divers aspects, non sans manquer de relever
le faible taux de participation des langues africaines dans le dynamisme des médias francophones du continent
noir, au profit du français langue officielle.
moins normé et élargi des langues nationales. Dans le flot des communications passées au travers de
ces moyens incontournables, c’est une autre face de la sociolinguistique sénégalaise et de l’état des
langues nationales, en l’occurrence ici le wolof, que nous nous évertuerons à mettre au jour dans les
développements qui vont suivre.
II. Présentation et analyse du corpus
La diversité du corpus glané aux fins du présent article explique à bien des égards la pluralité
des attitudes linguistiques dans la presse sénégalaise, de façon générale. Comme le rappelle JeanPhilippe Dalbera (2002), « pour que l’analyse prétende à quelque validité », l’échantillon du corpus
choisi doit nécessairement être « représentatif ». Le présent corpus ne prétend point comporter
l’ensemble des caractéristiques propres aux pratiques linguistiques courantes, mais constitue pour le
moins, un échantillon assez représentatif des manifestations sociolinguistiques récurrentes dans le
paysage médiatique sénégalais. C’est d’ailleurs aux fins d’une analyse traductologique que les
différents énoncés ont été relevés, suivant des aspects et des critères intéressant en particulier la
problématique de la traduction orale du français au wolof d’informations radiodiffusées ou télévisées.
II.1. Présentation du corpus
Les éléments constitutifs de notre corpus sont des énoncés recueillis à travers les médias
radiophonique et audiovisuel sénégalais, avec une nette prédominance du premier sur le second,
surtout due au boom qu’il a connu ces dix dernières années. Dans un certain souci d’objectivité et de
précision pour l’analyse des différents énoncés, ceux-ci ont été recueillis avec des éléments essentiels
du paratexte et du contexte, à savoir la date, le lieu, l’auteur, les circonstances (répondant aux
questions fondamentales: qui, quoi, où quand et comment ?), dont une quelconque modification
pourrait biaiser les résultats attendus. Pour en faciliter une meilleure lisibilité, nous présentons, cidessous, les cinq principaux énoncés ; les termes mis en relief sont, à notre sens, ceux qui comportent
un certain enjeu traductologique, dans le cadre de l’interaction linguistique français-wolof :
Enoncé 1 : « Ci wàllu lamb la ñuy wax : Cng bi defna bilan atmi, manàm xayma. » Mamadou
Mouhamed Ndiaye, journaliste, dixit le 26 octobre 2010 au journal de 13h Rfm.
Enoncé 2 : « … Sénélec mun gi ci digente dundu ak dè » dixit Souleymane N. Ndiaye, Premier
Ministre, sur les résultats de l’audit du cabinet Mackinsey le 13 février 2011 ;
Enoncé 3 : Journal RFM du 28 février 2011 à 16h (Flash Infos internationales) : Sur la Libye, le
journaliste déclare : ‘‘Kadhafi mungi continue di ñakal fayda li di dole opposition bi ; wayè opposition
bile’ ngi xùus, manaam di gañe tèreŋ …’’
Enoncé 4 : «kocc yeglekaay nè : kër bi nga xamantene moom la Hilary Clinton Jiite, gënna na bataxal,
manaam ab Komunike, di wonne Senegal nuñu ko jiite 2010 bi rafètuluùñuko » ; Ahmed Aïdra, revue
de la presse sénégalaise, sur Seneweb.com, du jeudi 14 avril 2011.
Enoncé 5 : « Ñu ngui lèn di jaajëfël te jox dox daje … », formule récurrente sur la quasi-totalité des
chaînes radio, à la fin du journal en wolof.
Enoncé 6 : « Le sommet du G8 se penche sur la question énergétique » (phrase originale) traduite
ainsi : « Sommet G8 bi mungi xalaat ci wàllu kattan gi ».
Il ne nous a pas paru pertinent de proposer, pour chacun des énoncés ci-dessus, une traduction
du sens, d’autant plus que l’exercice en question revient en bonne place dans l’analyse. La typologie
même du corpus ici semble recommander un peu plus de prudence dans son traitement, surtout qu’il
s’agit là d’un domaine relativement nouveau dans les divers paradigmes épistémologiques en sciences
humaines.
II.1. Analyse du corpus
On dit souvent que la configuration du corpus reflète inévitablement la nature des résultats, et
que finalement l’on n’obtient que les résultats que l’on attendait. Quoi qu’il en soit, nous estimons que
le choix d’un corpus doit être inspiré par toute l’ossature théorique du thème traité, allant de la
problématique à la méthode d’analyse, en passant par les hypothèses de travail. En traductologie
appliquée, le corpus (en général une ou des traductions, écrite ou orale) n’oriente pas seulement la
démarche mais constitue le seul et vrai support concret sans lequel l’on ne peut prétendre aboutir à un
quelconque résultat.
La plupart des cinq énoncés du corpus révèlent des problèmes de traduction essentiellement
liés à deux aspects globaux: interférence du français et choix du lexique.
II.1.1. Interférence du français
Dans le processus de représentation verbale de certaines réalités de la vie quotidienne, les
langues peuvent bien présenter des limites expressives. Cette réalité devient plus manifeste lorsqu’on
en vient à l’expression de termes scientifiques, des termes relativement nouveaux ou dont
l’appréhension du sens relève directement d’une culture étrangère. En considérant la structure lexicale
de la plupart des langues du groupe ouest-atlantique, on constate qu’elle renferme une diversité
d’emprunts au français, essentiellement dus au niveau plus ou moins bas d’élaboration de ces
dernières. Cette situation va déteindre sur l’efficacité de la traduction d’informations du français en
langue locale. Le cas qui nous intéresse ici, à savoir le couple français-wolof dans la presse orale
sénégalaise, présente une variété de difficultés traductionnelles illustratives du poids des interférences
dans le processus de reformulation, de réexpression de l’information dans une langue pourtant
considérée comme la plus élaborée du Sénégal.
[2]… Sénélec mun gi ci digente dundu ak dè » (Traduction : la Sénélec3 se trouve entre la vie
et la mort…)
Il n’existe aucun effort d’originalité dans cette traduction, du reste fortement calquée sur une
expression assez courante en français : être entre la vie et la mort! Pour rappel, l’auteur de cet énoncé
venait, quelques petites minutes plus tôt, d’annoncer la même information en langue française devant
les médias nationaux. Il va donc de soi que ses propos en wolof ne sont que le résultat d’une tentative
de traduction, comme cela est de coutume dans la presse audiovisuelle et radiodiffusée locale. Même
si, d’un point de vue sémantique digente dundu ak dè semble bien représenter l’image mentale que
l’on pourrait se faire de l’expression française, il n’en demeure pas moins que l’effet qu’il produit en
wolof pourrait bien choquer l’auditeur wolophone. En fait, il existe dans les langues africaines, en
général, une certaine sensibilité à toute représentation verbale ‘crue’ ou ‘brutale’ de la réalité, surtout
lorsque celle-ci renvoie à des faits relevant de la pudeur ; en wolof, le sens de la sutura (ou pudeur)
transparaît bien à travers cette tendance à enrober de termes euphémistiques tout fait ou réalité
susceptible de heurter la conscience collective. Ce phénomène ne relève pas seulement d’un certain
code de langage recommandé en des situations données, mais tire ses fondements dans le fait religieux
dont l’influence est fortement marquée dans la culture wolof et les usages langagiers au quotidien du
Sénégalais, de façon générale. Voilà pourquoi, si l’on tient au respect de toute cette symbolique
normative, on dirait plutôt :
« … Sénélec mun gi ci loxo Yàlla », que l’on traduira littéralement par « la Sénélec est entre les
Mains de Dieu ».
La traduction n’est pas un simple exercice de transfert linguistique. Il ne s’agit pas toujours
de procéder à une opération de juxtaposition de correspondances ou même d’équivalences
sémantiques; lorsqu’un locuteur, journaliste ou leader d’opinion, exprime en wolof une idée
originellement énoncée en langue française, le caractère quasi-mécanique et non spontané de
l’exercice lui fait perdre de vue une réalité fondamentale à son accomplissement : dans tout son
déroulement, le processus est avant tout un ‘‘acte de communication’’. Autrement dit, le locuteur doit
3
Société sénégalaise d’électricité.
se placer ici dans une perspective d’énonciation directe et spontanée, et non de traduction en une
langue qui, pourtant, est sa langue maternelle.
[5]… Ñu ngui lèn di jaajëfël te di lèn jox dox daje … (que l’on traduirait littéralement par
‘nous vous remercions et vous donnons rendez-vous…’).
Il est une coutume quasi-universelle qui voudrait qu’à la fin du journal télévisé ou radiodiffusé
le présentateur, par courtoisie et gratitude envers ses auditeurs, prononce cette formule consacrée dans
le métier. C’est ainsi que, dans toutes les langues sénégalaises, on en retrouve presque les mêmes
termes essentiels. Toutefois, la forte récurrence d’une telle formule cache malheureusement mal les
nuances sémantiques qu’elle comporte en wolof, surtout dues à un calque subtil de sa structure en
français. La subtilité des interférences du français réside dans le caractère polysémique même des
termes traduits, à savoir le verbe remercier et le nom rendez-vous. En effet, dans une optique de
traduction, remercier renvoie généralement à trois termes en wolof, du reste sémantiquement proches :
sant (remercier dans le sens de louer), gërëm (en guise de reconnaissance) et jàjëfël (encouragement).
On remarquera alors que l’expression « ñu ngui lèn di jaajëfël » est impropre ici. On devrait donc dire,
sans exagérer aucunement dans le style, « ñu ngui lèn di gërëm te sant ci dèglu bi», pour traduire
« nous vous remercions de votre attention ».
On peut appliquer le même traitement au terme ‘‘rendez-vous’’. En partant de son sens
classique en français, on ne retient qu’un acte physique, une rencontre et un lieu. Ce sens global est
d’autant plus omniprésent qu’il influence même les traductions (ou simples emprunts dans certains
cas) du terme dans la quasi-totalité des langues nationales. On perd ainsi de vue toute expansion
sémantique, notamment d’un point de vue simplement virtuel, renvoyant non à un événement
« physique » mais à un contact audiovisuel, une « liaison à distance ». C’est cette complexité qu’on a
bien souvent du mal à rendre sur les plateaux des journaux télévisés ou radiodiffusés en wolof comme
dans les autres langues. Et pourtant, il existe une formule authentique, reconnue comme telle par des
linguistes4 et puristes du wolof, pour son originalité et son sens logique : « … te di lèn di dig jokko
… », littéralement traduite par « et vous donnons rendez-vous (à l’antenne) ». Le choix de cette
traduction est principalement justifié par le sens du terme jokko, signifiant ‘‘entrer en contact’’.
Le poids des interférences du français constitue ainsi l’un des obstacles ponctuels à surmonter pour
une traduction efficace et intelligente des informations de presse française en wolof ou toute autre
langue nationale. C’est pourquoi l’essentiel du travail linguistique aujourd’hui, à cet égard, devrait
essentiellement porter sur le lexique.
II.1.2. Choix du lexique
Le choix du lexique constitue sans doute une problématique cruciale dans le processus de
reformulation en wolof d’informations françaises. Lorsqu’un mot ou une expression assume une
fonction sémantique importante dans un énoncé, sa mauvaise traduction ou non traduction pourrait
être source de confusion dans l’appréhension de ce dernier ; mais c’est surtout quand il y a tentative de
traduction que l’on note des problèmes de lexicalisation de notions plus ou moins techniques.
L’analyse suivante va couvrir concomitamment tous les quatre énoncés restants (1, 3, 4 et 6), vu le
caractère transversal des difficultés traductionnelles qui les caractérise.
[1]… « Cng bi defna bilan atmi, manaam xayma. », traduit littéralement par : « le Cng a fait
le bilan de la saison, c’est-à-dire le ‘bilan’ ».
[3]… ‘‘Kadhafi mungi continue di ñakal fayda li di dole opposition bi ; wayè opposition bile’
ngi xùus, manaam di gañe tèreŋ …’’ traduit littéralement par : « Khadafi continue de sousestimer la force de l’opposition; pourtant l’opposition ne cesse de gagner du terrain, c’est-àdire ‘gagner du terrain’…».
[4]… « Kocc yeglekaay nè : kër bi nga xamantene moom la Hilary Clinton Jiite, gënna na
batàxal, manaam ab komunike, di wonne Senegal nuñu ko jiite 2010 bi rafètuluùñuko ».
4
On peut citer, à ce propos, Arame Fall, Sakhir Thiam, Moumar Guèye, etc.
La richesse et le niveau d’élaboration lexicale élevé du wolof par rapport aux langues
sénégalaises sont plutôt manifestes dans des champs lexicaux propres à la culture et aux usages
locaux. Le processus de traduction du français (tout comme de l’anglais ou de l’espagnol) vers le
wolof (ou toute autre langue nationale) a ceci de particulier qu’il achoppe essentiellement sur le plan
des choix lexicaux ; le problème se pose tant en termes de correspondance que d’équivalence. Toute la
difficulté de la traduction ‘‘linguistique’’ français-wolof est là : lorsqu’un terme français ne
correspond à aucun autre dans le répertoire lexical wolof, la solution est quasi-systématique : le
recours à l’emprunt. Seulement, ce procédé est très abondamment et souvent si mal utilisé – comme
l’illustrent les énoncés 1, 3 et 4 – que le flot de mots français dans le discours wolof gêne et encombre
la langue ; et qui plus est, il existe bien souvent en wolof un équivalent généralement approximatif au
terme en question (ici, par exemple : énoncé 1, bilan = xayma ; énoncé 3, gagner du terrain = xùus ;
énoncé 4, communiqué = batàxal). Il se pose ainsi une question que nous qualifierons
d’« opportunité de traduction ». En d’autres termes, dès lors qu’un terme intervient en wolof pour
rendre son équivalent ou correspondant français, introduire une incise explicative dans la traduction
(manaam …) est susceptible de créer de la surcharge et quelque confusion dans cette dernière. De
toute cette problématique, émerge la question suivante : devrait-on toujours s’efforcer de traduire un
terme français quand on sait qu’il n’en est prévu aucune correspondance de signification en langue
wolof ? A cet égard, deux réponses sont envisageables :
(i) non, on procède par emprunt ;
[1]: « Cng bi defna bilan atmi »
Traductions : [3]: « … wayè opposition bile’ ngi gañe tèreŋ... »
[4]: « … gënna na ab komuniké… »
Dans ce cas, il y a risque de glottophagie à terme : à force de recourir systématiquement aux emprunts,
lorsqu’un terme français ne semble pas avoir de correspondant en wolof, on finira par corrompre cette
langue et freiner inévitablement son progrès.
(ii) oui, on procède par néologisation ou recourt à un équivalent polysémique;
[1]: « Cng bi defna xayma atmi »
Traductions : [3]: « …wayè opposition bile’ ngi xùus... »
[4]: « …gënna na batàxal… »
Dès lors qu’elle est opérée dans le strict respect d’un certain nombre de règles terminologiques
consacrées, la création néologique a surtout cet avantage qu’elle contribue à la valorisation de la
langue. Elle témoigne de sa vivacité et de sa capacité à se représenter le monde en constante évolution.
C’est là, entre autres, un des principaux leviers langagiers sur lesquels pourrait s’appuyer, de façon
efficace, la traduction orale en wolof d’informations françaises.
III. Propositions
L’ intérêt de corriger ces diverses erreurs de traduction revêt un caractère pluriel.
En effet, d’un point de vue communicationnel, il nous paraît essentiel qu’il y ait, dans le cadre de la
transmission d’informations wolof traduites du français, un paradigme lexical commun entre le
journaliste et son public. Il s’agit là d’établir une sorte de common ground (Clark, 1996) devant
permettre et faciliter, grâce à l’utilisation d’un lexique commun aux deux parties, une compréhension
rapide par l’auditeur des informations qu’il reçoit.
Ainsi, afin d’aider à l’allègement de cet exercice de traduction régulier et éprouvant, nous présentons
ci-dessous deux propositions pratiques portant sur le style et le lexique.
III.1. Sur le style
Le succès incontestable de la Stylistique comparée du français et de l’anglais de Vinay et Darbelnet
(1958) reflète quelque part, sans doute, cette proximité ou encore cette sorte de complicité
caractéristiques des rapports entre langues européennes dites de grande diffusion. Même si ce constat
est à relativiser dans une certaine mesure, notamment au regard de la conception sapirienne et de bien
des caractéristiques, dont le génie, propres à chaque langue, il n’en demeure pas moins vrai que dans
le cas d’une traduction impliquant deux langues à dimensions et horizons culturels différents, comme
le français et le wolof, l’exercice de transfert sémantique peut s’avérer un peu plus complexe et encore
plus délicat. En effet, lors du passage au wolof, l’effort de traduction peut bien se heurter à des
difficultés stylistiques indéniables. Afin d’aider à les surmonter, nous proposons le recours à deux
procédés de traductions essentiellement axés sur le style.

La paraphrase et la simplification
Dans le processus de transfert du sens, la paraphrase constitue certainement une excellente voie de
contournement des obstacles liés aux spécificités stylistiques des deux langues à unir. Elle permet non
seulement de bien appréhender le sens mais aussi et surtout d’assouplir l’épreuve de traduction en
wolof d’informations françaises.
Empruntant le même cheminement, le procédé de simplification permet de rendre l’énoncé originel
plus flexible et accessible à l’exercice de traduction. Dans son élaboration, il intégère essentiellement
les aspects fondamentaux véhiculaires du sens de l’énoncé. Dans l’un comme dans l’autres cas,
l’exigence de fidélité reste de mise. En voici une illustration portant sur un énoncé assez complexe sur
le plan stylistique et lexical :
[6]: « Le sommet du G8 se penche sur la question énergétique »
Les principaux obstacles auxquels le journaliste pourrait être confronté résident dans la recherche
d’équivalences pour les termes mis en relief, à savoir sommet du G8 et se penche. Toutefois, lorsqu’on
leur applique les procédés ci-dessus, on obtiendrait ce qui suit :
[7]: « les pays les plus riches se réunissent pour réfléchir sur l’énergie »
Simplifiée sous cette forme, cette information reçue en français pourrait être rendue en wolof sans
grande difficulté :
[8]: « Reew yu naat yi ñungi dajè ngir xalaat ci wàllu kattan »
L’énoncé ainsi obtenu respecte non seulement le niveau de langue utilisé dans l’original français ainsi
que le vouloir-dire porté par celui-ci, mais encore ne semble comporter aucun véritable problème de
réception en langue d’arrivée.
III.2. Sur le lexique
Le travail sur le lexique s’avère indispensable lorsque le niveau d’élaboration lexicale entre les deux
langues à unir paraît inégal. Dans le cas du couple français-wolof, il est surtout question d’aller audelà de la simple recherche d’équivalences, dynamique ou formelle, encore moins de correspondances,
et explorer des mécanismes scientifiques de renforcement lexical, notamment par le truchement de la
néologisation. C’est ainsi que le travail pourra être déroulé sur deux niveaux successifs :

Niveau 1, création lexicale ou néologisation : il ne s’agira point ici de s’adonner à des
créations lexicales fantaisistes, inspirées ni guidées d’aucune norme ou règle scientifique consacrée en
la matière, mais d’impliquer les spécialistes (linguistes et lexicologues) dans l’étude des langues
nationales, en particulier du wolof, lingua franca. La création lexicale intervient en égénral dans une
communauté linguistique lorsque celle-ci veut répondre à des besoins nouveaux de communication ou
de traduire en paroles de nouvelles réalités linguistiques nées de nouvelles expériences. C’est pourquoi
son élaboration ne devrait constituer point un simple fait du hasard.
Ainsi, compte tenu de la spécificité des difficultés lexicales auxquelles les traductions de journalistes
achoppent, il nous semble plus pertinent d’orienter cet effort de néologisation vers des domaines
particulièrement étrangers à la langue-culture wolof. C’est sans doute dans cette perspective que
l’ouvrage de Arame Fall, baatukaayu xamtèf5, constitue en soi une originalité fort à saluer. Sur un peu
plus de soixante pages, l’auteure propose en langue wolof un lexique informatique assez riche, fruit
d’une étude scientifique préalable et d’une longue expérience dans le domaine. Etendu aux domaines
des TIC, de l’économie et de la politique (lesquels occupent l’essentiel de l’actualité des médias), ce
travail pourrait aider considérablement à juguler le gap lexical qu’accuse le wolof vis-à-vis de langues
telles le français, l’anglais ou l’arabe dont il est constamment appelé à traduire des informations de
presse ou autres données utiles. Toutefois, l’appropriation et l’application d’un tel champ lexical dans
la presse orale sénégalaise nécessitent le respect d’un certain nombre de préalables.

Niveau 2, adoption, normalisation et vulgarisation : une fois un lexique technique créé dans
un domaine précis, il conviendra alors de travailler, pour son adoption consensuelle, à sa normalisation
puis à sa vulgarisation.
Sur le plan de la normalisation, il s’agira essentiellement de veiller à ce que les nouveaux termes
soient conformes avec les règles consacrées en lexicologie et terminologie, tant du point de vue de la
forme que de celui du sens. Pour ce faire, le terme nouvellement créé ne doit pas trop s’éloigner de la
structure formelle des mots de la langue wolof ; en d’autres termes, il doit être conçu, soit par
extension sémantique (par exemple xel xèllu = logique ; etc.), soit de façon à ce que le locuteur lambda
puiss le relier à un autre dans son répertoire linguistique courant, et aussi d’en inférer le sens.
En voici quelques exemples :
muul (pour imprimer un document)
xamtèef (pour informatique)
etc.
Cette règle reste applicable aux termes empruntés au français ou aux autres langues étrangères pour
exprimer des idées nouvelles issues des cultures de ces denières. Ces termes, pour leur part,
épouseront les règles de phonologie et d’orthographe de la langue wolof. C’est le cas de termes
suivants :
gaaraas (pour garage)
sarbèt bi (la serviette)
etc.
Le travail de vulgarisation, quant à lui, devra concerner et impliquer directement les différents usagers
de la langue. Dans une communauté linguistique, le besoin de vulgarisation lexicale naît généralement
du fait qu’une partie des locuteurs, spécialistes, s’adressent à une grande majorité, de non spécialistes,
sur des questions relevant exclusivement d’un domaine de spécialité donné. Une telle situation peut
facilement être à l’origine de malentendus, de problèmes d’intercompréhenion dus à un manque de
champ de référenciation lexicale commun (common ground).
Dans le contexte de la présente étude, la traduction en wolof d’informations françaises devra s’appuyer
sur un lexique accessible au grand public recepteur. En effet, la plupart des termes relativement
nouveaux dont se servent certains journalistes et hommes politiques ou leaders d’opinions sénégalais
sont peu connus de la majorité des wolophones. Cet état de fait constitue un vrai blocage à une
communication efficace. Voilà pourquoi il semble fondamental, à ce niveau, de travailler à vulgariser
davantage cette terminologie, tant dans le public que parmi les professionnels de l’information,
notamment en la divulguant à travers les cours d’alphabétisation en wolof, des sketches télévisés et
aussi des séminaires de formation des journalistes à son appropriation effective. Il ne s’agit pas là
d’une gageure mais d’un simple défi qu’on ne pourrait véritablement relever sans une implication au
premier plan des pouvoirs publics compétents.
Conclusion
5
Lexique informatique
Les différents constats qui se dégagent de l’analyse du corpus indiquent que les difficultés de
traduction français-wolof à travers la presse orale relèvent globalement de trois facteurs : la subtilité,
le manque de maîtrise de la stylistique par les journalistes et le faible niveau d’élaboration de la langue
wolof, notamment dans des domaines propres aux langues-cultures étrangères. Ce sont là de réels
obstacles à la souplesse du processus de traduction, et qui ne peuvent être surmontés sans l’adoption
d’une méthode appropriée. Celle-ci implique, en effet, un travail en amont sur un lexique pertinent et
un style adapté au sens des informations traduites en langue wolof.
Par ailleurs, dans un tel contexte de multilinguisme, la traduction et toute activité y afférant, dans le
milieu des médias en l’occurrence, doivent servir, non à accentuer une certaine « guerre latente » mais
plutôt à renforcer les rapports de coexistence pacifique et de complémentarité entre le français et les
langues nationales au Sénégal.
RÉFÉRENCES
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