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larevuenouvelle, n° 6-7 / juin-juillet 2007
le mois
« En finir avec la présidence ! »
Benjamin Korn
Le metteur de théâtre et essayiste Benjamin Korn travaille dans les plus grands théâtres européens.
Il a reçu, pour ses essais, le prix Brentano de littérature.
Souverain absolu dans un État
démocratique, le président français
est intouchable. L’étendue de son
pouvoir, un scandale.
Ce texte est paru dans Die Zeit
du 4 avril 2007 et est reproduit
avec l’aimable autorisation de son
auteur.
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La France est tombée sur la tête !
Depuis la fin de la guerre du
Liban et du Tour de France en
aout 2006, oui, pour être précis,
depuis le « Non » tonitruant à
l’Europe, annonçant le crépuscule des dieux de Chirac, on ne
parle plus que d’un sujet : qui
sera le nouveau président ? Sur
les unes des journaux, dans les
hebdomadaires, sur les écrans, les
candidats nous scrutent : Sarkozy
et sa tête de Polichinelle, Royal et
son éternel sourire, le Pen, le bou-
ledogue, et Bayrou, le nounours.
Tous les demi-dieux et les dieux
de pacotille, les hommes politiques ambitieux et leur petite ribambelle de partisans participent
à la rixe pour l’entrée à l’Élysée.
Ils se font des crocs-en-jambe et
se lancent des peaux de banane :
les trotskistes et les souverainistes, les racistes et les socialistes,
les communistes et les altermondialistes, tous ces candidats qui
ne peuvent pas se blairer, car ils
sont de droite ou de gauche et
le mois « En finir avec la présidence ! » Benjamin Korn
surtout parce qu’un seul passera,
comme dans la fécondation.
En France, depuis deux ans, les
journalistes interprètent chaque
évènement politique sous l’angle
des élections. Les insurrections
enflammées de novembre 2005
dans les ghettos ? Mauvais pour
les insurgés, bon pour Sarkozy :
60 % des Français sont derrière
lui. Les grèves massives des étudiants et des syndicalistes contre
le CPE en mars 2006 ? Bon pour
les manifestants, mauvais pour
de Villepin : ses chances de devenir président s’évanouissent.
Les concurrents se surpassent. Le
Parti communiste, jadis Parti des
travailleurs, appelle aux trentedeux heures ! Pour Le Pen le
fasciste, le phénomène de la pollution est dû aux immigrés qui empestent l’air de la France. Sarkozy,
le ministre de l’Intérieur, charge
les Renseignements généraux
de fouiller le patrimoine de ses
adversaires politiques ainsi que
le passé de leurs collaborateurs,
sans que l’opinion publique, devenue indifférente et cynique, ne
crie au scandale. Des hommes de
main rémunérés divulguent des
rumeurs sur internet à propos des
aventures extraconjugales, des
drames familiaux et de la fortune
cachée des candidats. La France a
la fièvre de l’élection. Elle en parle
et elle en rêve.
Y a-t-il quelque chose de spécial
à gagner ? Oh oui ! Un pouvoir
illimité ! Le président a un poste
divin. Il trône loin au-dessus
des nuages. Au-dessous de lui
règne le chaos. Tous ses collègues
malchanceux, engloutis par des
scandales, démissionnent et sont
condamnés, tandis que furieusement il jette ses éclairs, annule
une loi adoptée par le Parlement
ou décore avec condescendance
un cardinal chevalier de la Légion
d’honneur, et, comme un enfant
avec ses soldats de plomb, joue
avec les institutions politiques de
son pays.
Il est un préjugé répandu et même
une erreur totale de croire que la
Constitution française soit uniquement enfantée par la Révolution. Elle a deux parents. Elle est
le résultat d’une histoire pleine
de conflits et de virages, de soulèvements et de contrerévolutions,
de barricades et de restaurations,
le croisement entre des forces démocratiques et absolutistes. Son
parchemin porte encore les traces de sang séché. Son texte est
la synthèse de deux institutions
qui depuis la prise de la Bastille
sont imbriquées impitoyablement
l’une dans l’autre : la monarchie et
la République.
L’héritier de la Révolution, c’est le
gouvernement. L’héritier des rois,
le président. Ce régime bizarre
s’appelle : « monarchie parle-
mentaire » ou « monarchie élective ». On appelle le président « le
Prince ». Il habite le « palais »,
ses ministres sont les « barons ».
La France semble satisfaite de
l’enchevêtrement de ses institutions politiques. Mais les institutions sont bancales. Entre 1875
et 1958, dans la Troisième et la
Quatrième République, après la
mort de Napoléon III, qui prit
le pouvoir à la suite d’un coup
d’État militaire, le président était
élu par le gouvernement ou par
une assemblée de députés et de
sénateurs dont il dépendait. Mais
depuis le « coup d’État légal » de
Gaulle en 1962 qui méprisait les
partis et fit adopter l’élection présidentielle au suffrage universel
par référendum, les rapports de
force se sont déplacés en faveur du
principe monarchique. Depuis,
comme a dit le général : l’élection
présidentielle est « la rencontre
d’un homme avec le peuple. »
Le président est au-dessus des lois.
Personne n’a le droit d’influencer
ses décisions, ni de les désavouer.
Le Parlement est impuissant. Les
ministres, courbés comme des esclaves, peuvent à tout instant être
congédiés. Il peut changer son
Premier ministre, dissoudre l’Assemblée nationale et proclamer de
nouvelles élections. Son pouvoir
est absolu.
Le président est le chef des armées, du ministre de la Défense,
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décide de la politique étrangère et
a le pouvoir d’appuyer sur le bouton de l’arme nucléaire. Il fait la
pluie et le beau temps. Il nomme
les préfets et le corps diplomatique, il influence à sa guise la
nomination de l’administrateur
général de la Comédie-Française
ou de l’Opéra Bastille.
Cette situation ahurissante, qui
ne ressemble en rien à celle de
l’Allemagne, de l’Angleterre ou
même des États-Unis, est la partie
émergente d’un iceberg nommé la
présidence : l’humiliation permanente des règles démocratiques
et l’incarnation de l’opacité totale
des structures du pouvoir, opacité
ancrée dans la Constitution.
Le président n’est pas seulement
inattaquable sur le plan politique
et juridique. Son budget échappe
à tout contrôle. On ne parle pas
d’argent, c’est vulgaire. On préfère parler des affaires sexuelles
du président. L’argent, c’est trop
intime. Le budget de l’Élysée
est un scandale politique dont
on parle en catimini : pas touche
aux « dessous » de la Nation ! On
connait le budget de la maison
royale d’Angleterre, pas celui de
l’Élysée.
Le 20 novembre 2004, un article
est paru dans Le Monde sur « les
dépenses incontrôlées de la présidence », où l’on a appris que
depuis dix ans, date de l’entrée
en fonction de Chirac, ses frais se
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sont multipliés et ont grimpé jusqu’à 31,9 millions d’euros. Avec
cet argent, le président finançait
un gouvernement fantôme de
spécialistes de la politique militaire, de politique étrangère, de
politique européenne, de politique africaine (véritable écurie
d’Augias de contrats militaires
secrets avec des dictateurs), d’attachés personnels, de « nègres »,
de chefs cuisiniers, de jardiniers,
de valets, de gendarmes, de chauffeurs et de conseillers pour la
culture et le pétrole : en tout septcent-quatorze, dont nonante-trois
étaient payés par le ministère de
la Culture, cinquante-quatre par
le ministère de l’Économie, quatre-cent-soixante-trois par le ministère de la Défense, qui prenait
également en charge la plupart
des vols, ce qui veut dire qu’avec
ces « fonds souterrains », le budget réel était estimé à plus du double du budget officiel, c’est-à-dire
à plus de 77 millions d’euros. Ce
sont des approximations, car ce
budget occulte n’est contrôlé ni
par le Parlement ni par la Cour
des comptes.
En 2002, la Cour Constitutionnelle a souligné que « l’autonomie
financière des pouvoirs publics »,
est due au principe de la « séparation des pouvoirs ». Bénit soit le
cloaque !
Mais le comble du pouvoir du
président, c’est son immunité
juridique. Dans un procès qui remonte à l’époque où Chirac était
maire de Paris, plusieurs de ses
collaborateurs ont été condamnés
pour un « système de corruption
commis en bande organisée »,
mais, comme le procureur Henri
Génin l’a regretté, « les chaises
d’illustres prévenus sont restées
vides ». Et d’où venait l’argent liquide avec lequel Chirac honorait
ses factures ? De cette question a
résulté un scandale national en
2001 : Jacques Chirac entre 1992
et 1995 a payé plus de vingt vols
pour lui, sa famille et ses collaborateurs pour plus de deux
millions et demi de francs, et en
cash. C’était souvent son chauffeur qui apportait les enveloppes
pleines de coupures de 500 francs
à l’agence de voyages, voyages qui
l’ont emmené, lui et sa suite, au
Japon, à l’ile Maurice, en Syrie et
une fois, avec son garde du corps
et sa fille Claude, pour un week­
end à New York : 119 339 francs
en liquide. Avec quel argent ?
Un juge voulait élucider la question : on lui a coupé le sifflet. Le
président ne peut ni être accusé
ni être entendu comme témoin,
il contemple l’agitation terrestre
d’un calme olympien.
Les présidents se haïssent cordialement. Qu’ils soient de droite
ou de gauche, cela ne joue aucun
rôle. Comme les monarques, les
présidents commettent leurs plus
beaux assassinats dans leur pro-
le mois « En finir avec la présidence ! » Benjamin Korn
pre famille. De Gaulle traitait
déjà Pompidou, son successeur,
de « renégat », de « parvenu »,
« d’usurpateur » qui ne pensait
qu’à s’emparer de son poste et
qu’il ne recevrait pas avant d’être
sur son lit de mort. Quand Pompidou alla se recueillir sur sa
dépouille, la famille avait déjà
fermé le cercueil. Trois mois
avant sa mort, Mitterrand a avoué
à Giscard d’Estaing qu’en 1980,
Jacques Chirac, en plein combat
pour la présidence, lui avait proposé : « Éliminons Giscard. C’est
un danger pour la France ! » Ce
dernier était déjà informé de la
trahison de son Premier ministre.
Il avait décroché son téléphone,
appelé le bureau de campagne
de Chirac avec un mouchoir sur
le combiné et demandé pour qui
voter. La réponse de Chirac : « Pas
pour Giscard, pour Mitterrand ! »
Que nous enseigne cette histoire effarante ? Que la haine du
concurrent de son propre camp
peut être plus implacable que
celle de son adversaire. Il s’agit
de guerres de succession de clans
et celles-ci sont toujours menées
avec acharnement. On ne peut
pas se débarrasser ouvertement
de son ennemi, on doit lui planter
un couteau dans le dos, le sourire
aux lèvres.
Cette scène des Mémoires de Giscard d’Estaing, récemment édités,
nous apprend que nous avons une
idée très limitée du comportement
politique et que sous le film couleur A, avec ses discours pathétiques, ses envolées idéologiques et
ses grandes promesses, se tourne
un film B, brutal, en noir et blanc,
où seule règne la soif insatiable du pouvoir et où l’on se bat
comme des chiffonniers. D’après
Giscard, le président Pompidou
est un « pugiliste », Mitterrand
un « escrimeur », et Chirac un
« empoigneur de mains professionnel sans conviction ». Et l’élégant et noble Giscard d’Estaing
qui déguise sa voix comme un
cabotin, n’est-il pas fait du même
bois que Chirac, « le bulldozer »,
qui cherche à le liquider ?
La lutte pour la présidence est
une guerre impitoyable entre des
rivaux qui cherchent à s’éliminer
pour accéder au pouvoir. Il n’y a
que des ennemis et les « amis »
sont les plus redoutables. Chirac a
trahi Giscard ? Et alors ? En 1981,
Mitterrand a fait échouer l’élection de son camarade socialiste,
Lionel Jospin, qui avait menacé
de faire l’« inventaire » des années Mitterrand. Même le beaufrère et le neveu de Mitterrand
ont appelé à voter Chirac. Avec
succès. Si Chirac avait eu la moindre chance de faire un crochepied
à son enfant nourricier et ennemi
intime, Sarkozy, qui l’avait trahi
en 1995 en rejoignant le candidat Balladur, il ne s’en serait pas
privé. Mais pour le vieux gorille,
c’était trop tard. Sa garde rappro-
chée avait déjà changé de veste,
en premier Alain Juppé, son ancien Premier ministre, qu’il avait
surnommé le « meilleur d’entre
nous ». En politique, la trahison
n’est pas une insulte, mais un
principe de survie.
Tout cela n’a jamais entaché la réputation des présidents. Toutes les
fautes de Mitterrand, les mensonges éhontés sur son état de santé,
les écoutes illicites de l’Élysée
dont le seul but était de cacher
l’existence de sa fille illégitime,
son amitié pour René Bousquet,
responsable des déportations de
Juifs à Auschwitz, rien n’a jamais
ébranlé son aura. Le surnom de
Chirac « super menteur », le fait
qu’Alain Duhamel, le journaliste
l’ait appelé « le plus impitoyable
démolisseur de la politique française », sa fameuse maxime « Une
promesse n’engage que celui qui
y croit » n’ont jamais affecté sa renommée, mais n’ont fait que saper
l’indignation du peuple, devenu
apathique face à la fourberie et
aux promesses rompues de ses dirigeants. Il semble même qu’une
certaine roublardise du président
soit nécessaire à sa crédibilité.
Le calvaire du candidat est d’être
de gauche ou de droite depuis sa
jeunesse et qu’il doive, comme
futur président, se tenir au-dessus des partis. L’impartialité du
président est le mensonge le plus
enraciné de la Cinquième Répu17
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blique. Comment des gens qui ont
eu une idée extrêmement partiale
de la politique durant toute leur
vie peuvent-ils faire un tel grand
écart ? Ils doivent composer, simuler, louvoyer. Parfois ils jouent
la comédie et propagent l’illusion
d’un bonapartisme indépendant
de tout parti politique, ou bien ils
braconnent sur le terrain idéologique de leur adversaire.
Ségolène Royal a commencé à
glisser dans ses discours les icônes de la droite nationale comme
Jeanne d’Arc et le général de
Gaulle. Nicolas Sarkozy, dont
les témoins de mariage étaient le
milliardaire Arnaud et le pape
des médias Bouygues, s’est mis à
citer Émile Zola, l’écrivain de la
classe ouvrière, et Léon Blum, le
président du Front populaire. Devant un public stupéfait, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’il
avait « changé » et s’est apitoyé
sur « la France qui souffre ». Pas
longtemps, car peu après il a fait
arrêter vingt-et-un sans-papiers
devant la soupe populaire, place
de la République.
Ils sautent comme des puces de
gauche à droite. Ils font des promesses de tous les côtés et projettent, c’est selon, de baisser
les impôts ou d’augmenter les
salaires. En fait, ils préfèrent se
propulser vers le haut et chanter
la France : « La France qui souffre », « La France qui travaille »,
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« La France profonde », « La
France métissée », « La France
Unique ». La France : « Super
Star ! » Ils aiment la France et le
claironnent. « Vive la France ! »,
trompetait de Gaulle. « Aimez-la
ou quittez-la ! », tonitrue Sarkozy
au visage des immigrés, en roulant des mécaniques. « La France
aime tous ses enfants ! », vocalise
Royal. « La France est une femme,
philosophe de Villepin, elle veut
être prise, ça la démange dans le
bassin. » Le populisme fleurit. Or,
la France n’est ni une mère, ni une
maitresse, ni une putain, mais un
pays de jeunes, de vieux, de pauvres, de riches, de gens hostiles
et de gens serviables. Le mot magique « France » doit souder les
électeurs autour du candidat. Il
a un effet « anesthésiant » et correspond à un besoin d’harmonie
nationale qui revient périodiquement. Mais il est mensonger.
La guerre fait encore rage entre
les partisans de la gauche et de
la droite. On ne sait même plus
pourquoi, mais ils tiennent précieusement à leurs mortelles inimitiés. Les vagues à la suite de
l’exécution de Louis XVI se sont
apaisées. La Révolution russe et la
guerre froide font partie du passé.
Depuis Mitterrand, les nationalisations ont disparu et, depuis la
chute du mur de Berlin, le communisme est mort, mais l’ombre de la guillotine est toujours
présente. Les soubresauts de la
Révolution française sont encore
perceptibles, et les enfants des enfants de la gauche et de la droite
sont encore brouillés, même dans
les villages les plus retirés. Les
spectres de cette guerre bicentenaire hantent encore les esprits,
alors qu’en réalité, il n’y a guère
de différence entre les camps.
En 2007, au beau milieu de la
campagne électorale, les frontières
des partis en lutte ont commencé
à s’effriter. Un homme du parti
conservateur « UDF », François
Bayrou, est entré en scène, en
s’appelant « centriste ». Il a réuni
tous les mécontents de la droite
modérée, ceux qui ne veulent pas
d’un Sarkozy carriériste et bouffi
d’ambition, aspirant à la grandeur
sur ses talons de dix centimètres,
et les innombrables machos du
Parti socialiste dont la testostérone se rebelle contre l’idée d’une
femme qui les domine. L’espace
entre la gauche et la droite rétrécit et, quand sonne la cloche du
dernier tour de piste annonçant
les grandes manœuvres, Sarkozy
se faufile dans le couloir de l’extrême droite, en évoquant pathétiquement « La France éternelle »
à laquelle il appartient depuis peu
comme fils d’immigrés hongrois.
S’il est élu, il prévoit de fonder un
« ministère de l’Immigration et
de l’Identité nationale », dénomination empruntée au vocabulaire
fasciste. La Nation vire à droite.
le mois « En finir avec la présidence ! » Benjamin Korn
La gauche n’existe plus. Pour ne
pas perdre les élections, même
Ségolène Royal s’est distanciée
du Parti socialiste. Mais le pire
dans tout cela, c’est qu’il n’y a
plus de vision, ni de courage. Les
candidats soulignent leurs différences, mais ils se ressemblent,
dans ce qu’ils ne disent pas et ne
font pas. Aucun d’entre eux n’a
de programme contre la situation
déplorable du logement et contre
la surpopulation dans les prisons, contre le manque total de
cliniques psychiatriques et pour
l’abolition urgente des ghettos.
Ils ne font que la pêche aux voix
et cèdent aux plus bas instincts
de leurs électeurs et surtout au racisme épidémique, profondément
bétonné dans la société française.
Dans le fier pays des « droits de
l’homme », il n’y a plus aucune
compassion. Il n’y a plus qu’une
société sévère et punitive. Sarkozy
veut étendre le droit pénal, valable pour les adultes, aux récidivistes de seize ans et Royal, fille
d’officier, veut les rééduquer dans
un encadrement militaire.
Au virage à droite s’ajoutent les
vieilles rengaines : aux Affaires
étrangères, rien de nouveau. Tous
les candidats égrènent le même
chapelet : pour la conservation de
la force de frappe, pour le contrôle
de la Banque européenne par
l’État, contre une prise de position claire vis-à-vis de l’Europe
pour ne pas effrayer les « nonis-
tes », la majorité de leurs électeurs. Au début de la campagne,
les candidats voulaient rajeunir
l’État. Entretemps, ils ont pris un
coup de vieux.
N’est-il pas infantile de penser
qu’un seul homme puisse changer
le destin d’une nation ? Prenons
la seule proposition profonde de
Ségolène Royal, « la décentralisation de la France ». Elle devrait
commencer par l’abolition du président, qui centralise et monopolise tous les pouvoirs de l’État. Il
est la tête centrale et immortelle
de l’hydre, cela ne sert à rien de
couper les autres. Il n’y a qu’une
solution : en finir avec le président.
Mais pour cela, il faut l’accord du
président.
Pendant ce temps, Jacques Chirac
erre, perdu, dans les galeries de
son palais. Il décore ici ou là quelques vieilles connaissances. Il
nomme un quelconque ambassadeur pour hisser les couleurs dans
une ile lointaine au petit matin. Il
fourgue au seul ami qui lui reste
le poste de président du Conseil
constitutionnel, oublie s’il a téléphoné ou non à Poutine la semaine dernière et comme il ne peut
plus lire que des grosses lettres, à
la suite de son attaque cérébrale, il
raccourcit ses discours.
Aucun bruit du monde extérieur
ne transperce les murs de son palais néoclassique avec son jardin
paradisiaque et ses galeries ruisselantes de dorures, là où jadis vivait la Pompadour, encore moins
les lamentations des sans-abris
parqués dans leurs tentes le long
du canal Saint-Martin. Le président leur a fait cadeau, dans sa superbe allocution du jour de l’An,
pas d’un logement, non, mais
d’un droit opposable au logement
qui atterrira dans la fosse commune des lois sans conséquences. Mais un beau discours, c’est
déjà presque une bonne action.
De toute manière, en France, on
méprise les partis, mais on révère
l’homme qui domine l’État. n
Traduction : Dominique Valentin
Il a, parait-il, perdu toutes ses illusions sur la nature humaine. Il
aurait dû se regarder plus tôt dans
le miroir.
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