d`olivier de serres a planchon - Union des oenologues de France

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d`olivier de serres a planchon - Union des oenologues de France
PARCOURS SCIENTIFIQUES DANS LES VIGNES DES ERUDITS
PROTESTANTS : D’OLIVIER DE SERRES A PLANCHON
Jean-Claude MARTIN
E.N.S.A.M., 2 place Viala, 34060 Montpellier
Dans l’agriculture, la vigne et le vin constituent un centre
d’intérêt majeur pour les élites de toutes les époques. Les
voyageurs parcourant l’Europe manifestent toujours une
certaine admiration tant pour les produits que pour les
paysages. Les frères Platters (Bâle, Suisse) en 1550-1595, et
Locke (Anglais) en 1676-1679, figurent parmi les plus illustres.
Mais cette réussite économique et culturelle résulte de
l’implication de nombreuses compétences, dont celles issues
de communautés religieuses sans cesse mise en avant comme
caution culturelle.
Cette intervention porte le regard sur le rôle des hommes, qui,
à partir d’Olivier de Serres, ont recherché des pratiques de
production à la lumière des savoirs et de leurs propres
expériences.
En Languedoc, quelques grandes familles protestantes ont
joué un rôle de premier plan. Certes, il n’y a pas un label
« agronome protestant » mais des regards et des
comportements originaux et novateurs.
Dès lors, le parcours proposé, sous forme virtuelle dans
l’espace montpelliérain, n’est pas une simple promenade
nostalgique et bucolique : c’est une remise en mémoire de
quelques enseignements majeurs délivrés par des hommes
réfléchis, alliant science et pratique.
Les cinq enseignements majeurs pour le développement de la
viticulture :
!
La place du travail dans la réalisation personnelle
(Weber et calvinisme).
!
L’engagement complet dans l’activité agricole avec
intelligence, observation et expérimentation : à l’opposé de
l’absentéisme de nombreux propriétaires rentiers.
!
La rigueur dans la gestion quotidienne, tant sur le plan
technique que financier.
!
Le dynamique de progrès scientifique et technique.
Liaisons étroites avec la faculté de pharmacie.
!
L’élaboration d’une vision et d’une pensée sur
l’agriculture et la viticulture. Diffusion des idées et des
savoir-faire, etc.
OLIVIER DE SERRES ET LA VITICULTURE RAISONNEE
Olivier de Serres est né en 1539, dans une famille protestante
du Vivarais (Villeneuve de Berg). Très jeune, en 1558, il achète
un domaine d’une centaine d’hectares, Le Pradel.
Il rédige le Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs, fruit
de ses propres expériences et de ses connaissances des
agronomes latins. Il est reconnu comme l’un des tous premiers
agronomes français, mais, au-delà de la technique, c’est un
véritable penseur de l’agronomie moderne, avec un recours
aux premiers savoirs scientifiques. Cet ouvrage n’est pas une
reprise des textes d’agronomes latins, ce qui est alors courant
dans les ouvrages des religieux monastiques, avec les Predium
rusticum.
Observer et comprendre, c’est l’approche géologique dans la
connaissance des sols : des fosses sont creusées pour voir la
vigueur de l’enracinement et en dédire le potentiel productif.
L’ENGAGEMENT PERSONNEL, L’ŒIL DU MAITRE DANS TOUTES
LES ETAPES DE LA PRODUCTION :
UNE VERITABLE CHARTE ET DES INSTRUCTIONS TECHNIQUES
Olivier de Serres ne conçoit pas un comportement de rentier,
de propriétaire absentéiste en agriculture. Il prend exemple sur
les grands notables bordelais, qui se rendent dans leurs
domaines au moment des vendanges, pour surveiller la
préparation des caves et la qualité des raisins à la vendange.
D’où une étroite relation avec la qualité finale du vin. Sa vision
aristocratique le pousse à lier la finesse des vins à des
propriétaires dégagés des dures contraintes matérielles, alors
subies par les paysans pauvres. Base de la pensée de J.
Branas dans les années 1930 !
Empreint de culture protestante, il affirme que « Les choses ne
valent que ce qu’on les fait valoir ». Cette idée est renforcée
par sa croyance dans le pouvoir de l’esprit humain éveillé à la
science : « La science ici sans usage ne sert à rien, et l’usage
ne peut être assuré sans science ».
PARCOURIR
SON
TERROIR
POUR
EN
CONNAITRE
SES
POTENTIALITES PRODUCTIVES, COMMERCIALES ET ECONOMIQUES
Il faut adopter une démarche méthodique, en rupture avec les
automatismes habituellement acceptés sous couvert de tradition.
Les facteurs de base pour une viticulture de qualité sont bien
explicités : « L’air, la terre et le complant font le fondement du
vignoble ».
Ainsi, le vigneron se doit de respecter ce principe d’équilibre,
voire d’harmonie, dans ses choix techniques, et, en premier,
sur les cépages et le terroir. Le poids de la localisation
géographique dans la commercialisation et la taille du
vignoble.
Olivier de Serres fixe un objectif en matière de caractéristiques
qualitatives : il faut élaborer un vin de belle couleur, agréable en
arômes, délicat, avec de la vivacité, une bonne aptitude à la garde.
Toutes les étapes de l’élaboration, des traitements et de la
conservation des vins sont minutieusement décrites. Elles
doivent être respectées pour élaborer un vin apte à la
conservation et au transport.
La place de l’hygiène est primordiale dans un univers rural peu
sensible à la propreté. Avant les vendanges, tout contenant
fait l’objet de soins attentifs : les moyens de transport de la
vendange, la cave, la futaille.
Cette pensée se retrouve dans tous les ouvrages français et
européens des siècles suivants. Olivier de Serres tombe dans
l’oubli avec les guerres de Religion. Il faut attendre l’abbé
Rozier pour le redécouvrir et le republier au début du XIXème
siècle [J-C Martin, Fondements viticoles et œnologiques chez
Olivier de Serres, en 1600. Revue Française d’Œnologie,
n° 209, n° 210].
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CAZALIS-ALLUT :
INNOVATION ET QUALITE EN VITICULTURE
Cazalis-Allut est né à Nîmes, sa famille est originaire de
Villeveyrac (Hérault). Veuf jeune, il se remarie à Mademoiselle
Jeanne Allut et prend le nom composé Cazalis-Allut, référence
ensuite abandonnée par son fils Frédéric Cazalis. La famille
Allut est alors connue à Montpellier. Jean-Jacques Allut est
Président de la Société d’Agriculture de l’Hérault 1808, et
membre de la Société Libre des Sciences et Belles Lettres de
Montpellier.
Il acquiert une bonne expérience de gestion en développant
une entreprise de commerce avec des associés. Puis, il devient
un personnage central de l’agriculture et de la viticulture
pendant un demi-siècle. Il préside la Société Centrale
d’Agriculture de l’Hérault, en particulier au moment de la crise
de l’oïdium. Son fils, Frédéric, crée Le Messager agricole et
viticole de Montpellier. Ses écrits sont très abondants, en
particulier dans les bulletins de la SCA et dans deux ouvrages,
en 1848, puis en 1860, reprise d’articles par son fils. La
biographie, écrite par Henri Marès, ne révèle pas suffisamment
les grands débats et controverses dans lesquels Cazalis-Allut a
montré toutes ses capacités de réflexion et son souci de
transparence dans ses communications écrites.
Il sera retenu ici son œuvre majeure, dans laquelle la filiation
avec Olivier de Serres est remarquable, la création du domaine
d’Aresquiés, aujourd’hui partagé en plusieurs domaines, mais
toujours terroir privilégié de muscat.
CREATION D’UN VIGNOBLE DE QUALITE A ARESQUIES
Au pied du massif de la Gardiole, Aresquiés est sur la commune
de Vic la Gardiole, à la limite de Frontignan. C’est un îlot
rocheux, entouré de zones humides, entre des étangs, qui se
prolonge dans la mer. De nature calcaire, ce n’est pas une
masse compacte mais un ensemble de grandes et larges plaques
fissurées, aux cailloux anguleux, avec peu de terre arable,
légèrement chargée en fer. Ce sol constitue un véritable défi
pour un usage agricole.
! La création d’un nouveau terroir agricole
Cazalis-Allut fait preuve d’un grand esprit d’entreprise et d‘un
certain goût du risque en décidant la mise en valeur de cet
espace naturel original, a priori stérile. Si, au départ, il partage
cette initiative avec un autre, il se retrouve rapidement seul.
La petite zone dénommée Aresquiés est sur la commune de
Vic la Gardiole, aux limites de Frontignan. Elle est rattachée,
pendant des siècles, à l’évêché de Maguelone. Bordée par les
étangs d’un côté, et par le petit massif de la Gardiole, c’est un
mamelon de calcaire rocheux de 350 hectares, îlot particulier
par le sol et le climat. C’est un terroir au sens moderne. Le roc
affleure, se crevasse et forme un sol où dominent les pierres
en éclats, avec un mélange variable de terre quelque peu
chargée en fer.
À l’arrivée de Cazalis-Allut, la garrigue très pierreuse est recouverte
de chênes verts et kermès, outre les plantes classiques, thym et
lavande. Les vignes couvrent seulement 57 hectares et le reste
sert à l’élevage d’un troupeau de moutons à laine.
Cazalis-Allut trouve donc des conditions culturales difficiles du
point de vue agronomique, mais il en comprend aussi les
avantages pour les études.
Sa première analyse repose sur les deux paramètres majeurs
du terroir : le sol et le climat. Certes, la couche végétale est
réduite, le terrain est desséché en apparence, mais il présente
dans ses couches profondes une certaine fraîcheur grâce à ses
fissures, car il n’est pas aussi compact que le massif des
collines toutes proches. Il repère aussi l’intérêt du climat local,
le méso-climat de nos concepts. Abritée par le massif de la
Gardiole, la végétation est précoce ; les vents chargés
d’humidité marine accentuent la maturité des fruits. La brise
d’été n’est pas sans intérêt aussi.
Comme de nos jours, Cazalis-Allut observe attentivement la
flore indigène, méthode actuellement en cours pour le zonage
des terroirs viticoles (Jacquinet et l’INAO) « Si le terrain que je
veux convertir en vigne a pu nourrir les chênes verts, une
innombrable quantité de chênes kermès et tant d’autres
plantes, il me semble que ce terrain, laissé dans son état
primitif, devra, à plus forte raison, faire prospérer des ceps
convenablement cultivés, et moins nombreux que les végétaux
qu’ils ont remplacés » [Sur les plantations de vignes].
! La mise en valeur du terroir
Cazalis-Allut opère des défrichements de manière méthodique,
opérations qui consistent à dégager les pierres mal fixées au
sol car les défoncements sont pratiquement impossibles avec
une traction animale. Il réalise de vastes compartiments,
délimités par d’épaisses murailles construites en rochers et
pierres sortis relativement facilement de la surface du sol.
L’épaisseur et la hauteur sont surprenantes, elles peuvent
excéder deux mètres. Leur longueur atteint plusieurs
kilomètres. C’est dire la tâche titanesque en matière
d’aménagement. Ces enclos constituent des parcelles abritées,
du côté mer, contre les vents chargés en sel en particulier, et
nuisibles à la végétation. Les traces en sont bien visibles de
nos jours dans le bois de pin lui-même. Pour financer cette
entreprise, Cazalis-Allut est amené à emprunter des sommes
élevées, le remboursement des intérêts s’élevant certaines
années jusqu’à 12 000 francs, selon les affirmations de son fils
Frédéric.
! Une nouvelle viticulture écologique
La superficie du vignoble est alors portée à 160 hectares. Les
vignes sont en rangées de 3 mètres sur 1,10 mètre entre cep.
Les crossettes, légèrement recourbées, sont placées dans des
petits trous de 25 centimètres de profondeur puis recouvertes
avec un peu de terre végétale. Ainsi, Cazalis-Allut transforme
un vignoble pour la production d’eaux-de-vie en un vignoble
destiné à la consommation de bouche grâce à un choix
judicieux et novateur en matière de cépages. Ses vins Muscats
bénéficient d’une grande réputation ainsi que ceux de
cabernet-sauvignon.
La première innovation de Cazalis-Allut porte sur la biodiversité
viticole et sur sa gestion raisonnée. Comme l’avait tenté dans
les années 1780 l’abbé Rozier à Béziers, il réalise la valeur de
la diversité de l’encépagement pour produire des vins de
qualité. Il plante une véritable collection de cépages originaires
tant du nord de la France que du sud de l’Espagne. Il constate
que chacun d’eux réagit en fonction de leur nouveau lieu de
plantation, adopte des caractères nuancés mais toujours
valorisants. Apparaissent ainsi, en Languedoc, des cépages tels
que les cabernets-sauvignon, pinots, furmint et autres de
qualité. Il a en quête de références de vins grâce à ses
contacts hors de la région.
Son système viticole présente une grande cohérence et un
souci d’efficacité. Pour cela, il modifie le cycle habituel
plantation-arrachage pour introduire la pratique de la greffe
sur des vignes anciennes. Le sur-greffage lui facilite l’essai de
nouveaux cépages et raccourcit les délais de fructification pour
apprécier la qualité des vins. Il y perçoit un intérêt pour le
muscat de manière à s’adapter à la précocité. Plus tard, lors du
phylloxéra, le greffage des vignes américaines sera présenté
comme une grande nouveauté, oubliant la maîtrise déjà
acquise par Cazalis-Allut, à Aresquiés.
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Son avis sur les engrais montre sa confiance dans l’adaptation
de la vigne à son terroir. S’il reconnaît l’utilité d’apports dans
les vignobles productifs, il n’est pas favorable à un emploi
lorsque l’on vise des vins de finesse et de délicatesse. Il n’en
sous-estime toutefois pas les inconvénients, en particulier la
faiblesse des rendements, ayant probablement en tête, suite à
ses voyages, les caractéristiques des têtes de cuvée
bourguignonnes décrites par le docteur Morélot ! Quant à
l’irrigation, il n’en conçoit pas l’usage, la vigne d’Aresquiés
finissant par atteindre l’humidité, tout comme la végétation
arborée du voisinage. Sur ce point, Cazalis-Allut fait confiance
à la nature et à la perspicacité de son analyse. En revanche, il
est exigeant en matière de soins culturaux -lutte contre
l’oïdium- et d’entretien du sol.
Il présente ses vins dans des concours, en Bourgogne
notamment, pour avoir une évaluation qualitative de ses
pinots. Ses visiteurs hongrois l’amènent à une certaine
fraîcheur « J’ai fait boire de mon Tokai à des Hongrois, sans
les prévenir du vin qu’on leur servait, et ils se sont écriés en le
portant au nez : Ah ! voilà du vin de chez nous ! Cela prouve,
je pense, d’une manière assez positive, combien l’identité est
parfaite entre le vin de Tokai récolté dans le département de
l’Hérault et celui de la Hongrie. » [Cazalis-Allut, 1837]
Sur les autres vins, il publie les jugements portés avec moins
d’emphase, ce qui lui permet de se situer dans cet univers des
vins fins. Dijon et Angers sont les deux centres de contacts
privilégiés où ses travaux sont analysés.
Comme bien d’autres avant lui, il saisit bien l’importance de la
date des vendanges. Son souci majeur semble être la qualité
sanitaire de la vendange. Dès lors, une cueillette peu tardive
permet de vinifier des raisins sains, même s’ils n’ont pas atteint
une maturité trop poussée ; toute altération due aux effets de la
brise et des condensations nocturnes est évitée. À son époque,
la teneur en alcool est plus modérée qu’actuellement, y compris
dans les grands crus du Bordelais (voir Gay-Lussac). De plus, la
faiblesse des rendements est également due à la faible taille des
raisins et des grains, la fertilité en fruit est réduite.
Il innove en préconisant l’usage du sécateur au lieu de la
serpette, du seau au lieu du panier. Ainsi, les raisins cueillis à
maturité complète sont entiers, pas de grains à ramasser
susceptibles de donner des goûts de terre, de mauvaises
herbes, ces fameux goûts de terroir tant décriés par de
nombreux scientifiques de l’époque.
! Son sens de l’innovation et son efficacité technique sont
appréciés par les membres des Sociétés Centrales
d’Agricultures ainsi que pour de nombreux scientifiques
français (Balard, etc.) et étrangers et les représentants du
pouvoir impérial (Guyot). Il connaît les travaux de tous les
ampélographes de son époque (Comte Odart, etc.).
Il reçoit Guyot lors de son périple dans les vignobles français,
et lui transmet sa vision à la fois paternaliste et soucieuse de
résultats économiques. Parmi les conseils donnés par le
célèbre Guyot pour le développement du vignoble héraultais,
nombreux sont ceux issus des entretiens avec Cazalis-Allut.
Dans son compte rendu, Guyot le considère de manière
élogieuse, presque exclusive : « Il est impossible de parler des
progrès de la viticulture dans l’Hérault sans citer M. CazalisAllut, qui en a été un des plus habiles promoteurs depuis 1816,
où il créé son magnifique vignoble des Aresqiés. » [Guyot]
Notons l’hommage du grand chimiste Balard, pour l’action de
Cazalis-Allut, pendant cinquante ans, fournissant « à la science
les renseignements les plus précieux ». Soulignons la longue
durée évoquée par ces références.
À la cave, tous les visiteurs de marque portent des
appréciations élogieuses. Cazalis-Allut introduit de nouveaux
pressoirs, ce qui permet un pressurage plus homogène. Les
foudres sont de grande contenance, mais il opte pour des
cuves en bois tronconiques, analogues à celles de Bourgogne.
Mais, surtout, il est capable de décrire, avec précision et clarté,
la réalisation de ses vins.
Son sens de l’innovation se porte aussi sur les produits de la
vigne. Par exemple, il suggère l’élaboration de vin mousseux à
partir du furmint « Le Tokai, récolté moins mûr que lorsqu’on
veut en faire un vin de liqueur et préparé comme le
Champagne, donnerait un vin mousseux, exquis, et qui serait
sûrement d’une vente facile. J’engage donc ceux qui en
récoltent à essayer ce moyen. Il a parfaitement réussi pour le
muscat qui, ainsi traité, donne un vin délicieux et qui se vend
très cher. » [Cazalis-Allut, 1835, 1837]
Techniquement, il rompt donc avec les pratiques
traditionnelles, de nos jours tant vantées avec le concept
d’usages locaux, loyaux et constants.
RECONNAISSANCE NATIONALE ET INTERNATIONALE BIEN CONSTRUITE
La reconnaissance s’exprime à la fois sur sa personnalité et sur
son œuvre, en particulier sur ses vins.
! Cazalis-Allut publie régulièrement dans les Bulletins de la
Société Centrale d’Agriculture de l’Hérault pendant plusieurs
décennies. Il est souvent le premier à aborder les thèmes
sensibles, en particulier celui de la Maladie de la vigne, à savoir
l’oïdium.
À cette occasion, il fait preuve d’objectivité et d’honnêteté
intellectuelle en défendant Laforgue et l’usage préventif du
soufre face à Marès aux protocoles expérimentaux ambigus.
Mais sa notoriété est surtout acquise par ses vins. Il reprend la
conception des vins développée par Olivier de Serres, avec le
souci d’apporter le meilleur au consommateur. Il recherche les
jugements extérieurs lors de confrontations, pacifiques, de ses
propres vins avec ceux de régions réputées.
! Plus anecdotique est l’attention des pépiniéristes, avec la
création d’une variété de raisin, le « Cazalis-Allut », par
Tourrés, de Macheteaux ( Le Vigneron du Midi, 1870, p.116)
ainsi qu’une variété de Laurier rose, Nérium oleander
« Souvenir de Cazalis-Allut » disponible à la Domus nursery
http://www.domusnursery.com.au.
À travers son œuvre, à dominante viticole mais pas
exclusivement, Cazalis-Allut fait preuve de qualités exemplaires
qu’il sera difficile de retrouver au XXème siècle. Esprit libre, il se
plaît à cultiver sa curiosité en matière viticole, en particulier sur
les cépages, sans a priori, recherchant la valorisation du
meilleur. Il se passionne pour tous les types de vins, jusqu’aux
grands liquoreux et vins mousseux. Il fait preuve d’une grande
rigueur intellectuelle dans l’approche des problèmes techniques
et dans ses engagements professionnels.
Il préfigure le viticulteur éclairé, dans un environnement
naturel respecté et mis en valeur, mais en relation avec les
personnalités d’autres pays. Mais, faut-il le rappeler, il
bénéficie d’un contexte très favorable aux initiatives
personnelles, dans la mouvance du Siècle des lumières. Les
grandes disciplines scientifiques se mettent en place.
L’internationalisation de l’économie amène Napoléon III à
recourir aux services du docteur Jules Guyot et de Pasteur !
Après la reconstitution du vignoble détruit par le phylloxéra,
l’impulsion qualitative donnée par Cazalis-Allut s’affaiblira
fortement, en particulier dans les choix stratégiques de la
viticulture méridionale. D’autres porte-parole émergent dans
les vignes ainsi que dans les instances scientifiques.
À Montpellier, seul le professeur Branas rappellera cette
personnalité dans son cri « La décadence de la qualité », en
1929. Une voie peu compatible avec la naissance d’une
viticulture de plus en plus encadrée par des normes, une
viticulture procédurière, où la créativité s’exercera dans la mise
en place de statuts et de règlements, sans cesse empilés par
de nouvelles institutions.
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GASTON BAZILLE ET UNE VITICULTURE CONQUERANTE
La famille de Gaston Bazille loge à Montpellier, dans l’hôtel
Périer, situé au 11 Grand Rue. Il dispose également d’une
résidence familiale d’été à Montpellier, le domaine de Méric,
aux berges du Lez, face à Castelnau, à proximité de l’ancienne
voie Domitienne.
Gaston Bazille a diverses charges. Il est Président de la Société
Centrale d’Agriculture de l’Hérault. Son fils, Frédéric, suit des
études de médecine à Montpellier et à Paris ; mais il est plus
connu pour ses talents de peintre et sa vie au milieu des
artistes. Parmi les engagements agricoles et viticoles de
Gaston Bazille, nous retiendrons ici ses actions à SaintSauveur, à Lattes (Hérault).
Aménagement de l’espace et mise en valeur des
plaines : Saint-Sauveur-Lattes
Après la crise de l’oïdium, la reconstruction de la viticulture
s’engage sur des bases financières, avec une dimension
capitalistique suite aux forts besoins de produits pour les
traitements de vignes et la fertilisation poussant aussi à la
mécanisation.
Bazille s’engage dans la conquête de terres neuves, très
productives en plaine, à des fins viticoles. Il construit alors un
terroir viticole, à l’exemple de celui du Médoc à la même
époque (réf. D’Armailhacq), à partir de marécages
fréquemment submergés, avec des sols d’alluvions riches,
entourés de petites croupes de cailloutis de type villafranchien
(La Méjanelle). Plusieurs étapes sont réalisées.
L’assainissement et l’amélioration des sols : il s’agit d’abord de
trouver une solution technique relative à la gestion de l’eau sur
sous-sol imperméable. Le drainage étant impossible (pente
PLANCHON,
trop faible), Bazille choisit la constitution de larges fossés pour
recevoir les eaux et les conduire dans les étangs voisins. Au
préalable, il résout la question de la pente en réalisant une
inclinaison artificielle du terrain vers ces fossés. Il en résulte un
assainissement des terres sur une faible épaisseur (30 à 40
cm) ; cela est suffisant pour implanter un vignoble.
Ensuite, il décide de créer une couche arable de bonne qualité
en diminuant un défaut de ces terres, à savoir la compacité
d’un sol souvent argilo-siliceux. Pour cela, il retient l’option du
recyclage des déchets de la ville de Montpellier, des cendrailles
de coke des chemins de fer, ainsi que de la chaux des
épurateurs des usines à gaz (apport calcaire). Le sol doit être
enrichi du point de vue organique. Bazille apporte l‘engrais
fourni par l’entretien d’un troupeau de vaches et de moutons.
Bazille a donc une vision d’une grande modernité, elle est très
cohérente, globale, De nos jours, on parlerait d’une véritable
agriculture raisonnée. Le rapport financier de tels
investissements est jugé important.
Rôle de Bazille sur la question du phylloxéra
Bazille s’implique ensuite dans la lutte contre le phylloxéra. En
compagnie de Sahut et de Planchon, il visite les premiers
foyers attaqués en Provence et recueille les pucerons, ensuite
déterminés par Lichtenstein et Planchon. Il expérimente les
vignes américaines. Une partie d son domaine se prête à la
submersion.
Louis Bazille réalise une traduction en français du Catalogue
des vignes américaines de Bush et fils, et Meisnner
(pépiniéristes dans le Missouri), en relation avec Planchon.
LE PHYLLOXERA ET LE
Jules-Émile Planchon naît en 1823 à Ganges. Son père est un
petit industriel, protestant [J-E Planchon, par M-E Gachon Le
Protestant, Journal des Chrétiens Libéraux, 14 avril 1888].
Il étudie à la faculté de pharmacie de Montpellier, poursuit par
un doctorat à la faculté des sciences. Ses compétences sont
remarquables en botanique, acquises notamment au célèbre
Kew Garden, à Londres. Il parle couramment anglais.
Professeur à la Faculté, il est également, pendant quelques
années, directeur du Jardin des Plantes de Montpellier. Il
décède en 1888. Parmi ses activités scientifiques, nous
retiendrons ses activités dans le cadre de la lutte contre le
phylloxéra et sa défense de la cause entomologique de ce
désastre viticole.
PLANCHON ET LES CONTROVERSES SUR LE PHYLLOXERA
Le phylloxéra arrive en 1865 dans les vignobles du Gard et du
Vaucluse, ainsi que dans le Bordelais. La progression s’étend
assez rapidement et fait l’objet d’un suivi officiel par le
Ministère de l’Agriculture. La mobilisation est générale chez les
viticulteurs et les scientifiques. Une série de prescriptions plus
ou moins efficaces circule, avec des arguments justificatifs
variables selon les lieux et l’état végétatif de la vigne.
Planchon défend l’un des deux grands courants de pensée
déterminant la stratégie de défense, à savoir soit une lutte
renouvelée annuellement, soit une reconstitution intégrale d’un
vignoble résistant comme solution définitive.
! L’opposition de deux pensées scientifiques
" La première approche est très inspirée par une vision
médicale dite « physiologiste ou intérioriste » pour laquelle le
phylloxéra est un simple symptôme d’une maladie de la vigne.
MISSOURI
Comme lors de l’oïdium, Guérin-Méneville présente, une fois
encore, cette thèse physiologiste jugée peu crédible. À sa
mort, cette approche ne sera plus vraiment défendue.
" La deuxième approche considère que la cause des dégâts de
la mort de la vigne est extérieure, elle est dite « ontologique ».
Les observations permettent à Planchon, Lichtenstein et Riley
(courant américain) d’affirmer le rôle d’un puceron au cycle de
vie aérien et souterrain, le Phylloxéra vastatrix., selon le lieu
(Amérique ou Europe), après une brève controverse scientifique,
certains croyant voir deux types de puceron.
Le courant de Planchon et Lichtenstein l’emportera, appuyé à
Bordeaux par Laliman. Mais il n’empêche point l’apparition de
controverses au niveau des solutions techniques, cette fois.
! À la recherche d’actions préventives ou curatives
Deux types de solutions émergent : soit la destruction du
phylloxéra lorsqu’il s’attaque aux racines, soit planter des
vignes dont les racines supportent les attaques du puceron, ou
bien encore des vignes dont les racines ont un caractère
répulsif pour lui.
" Dans le premier cas, les initiatives sont nombreuses,
encouragées par le ministère de l’Agriculture. Marès en est la
tête de file dans l’Hérault. Chaque méthode révèle une certaine
efficacité. La voie chimique repose sur l’injection dans le sol de
sulfure de carbone, violent insecticide. La voie physique consiste
à noyer l’insecte par submersion ou gêner son développement
par un sol sableux. Les résultats ne sont pas toujours définitifs et
exigent un renouvellement des traitements selon les lieux.
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Les vignes rendues puissantes par l’apport d’engrais sont
jugées également résistantes en certains lieux.
" L’autre option est plus permanente. Mais les oppositions y
sont nombreuses. La voie biologique consiste à planter de
nouvelles vignes analogues à celles que Planchon découvre en
Amérique, ou bien greffer les vignes françaises sur des portegreffes résistants issus de vignes américaines.
Planchon fait alors preuve d’un grand esprit scientifique, mais il
sait adopter un comportement réaliste. Il est cependant affecté
par un certain mépris des scientifiques parisiens et des
entomologistes. « Loin d’établir entre les divers systèmes de
défense contre le phylloxéra des rivalités et des antagonistes
stériles, il vaut mieux emprunter à chacun ce qu’il peut donner
de bon, en combiner au besoin plusieurs, les renforcer l’un par
l’autre, demander à la submersion, à l’ensablement leurs effets
utiles, au sulfure de carbone sa puissance insecticide, aux
sulfo-carbonates alcalins leur action à la fois toxique et
fertilisante, au badigeonnage des ceps la destruction de l’œuf
d’hiver, aux vignes américaines résistantes l’appui de leurs
racines robustes, et, s’il le faut, le produit trop déprécié de
leurs grappes. » [L’œuvre de J.-E. Planchon, Ch. Flahaut, La
vigne américaine 1876, p.X].
À la rencontre de Riley en 1873, entomologiste
dans le Missouri
" Planchon part en mission à la demande de la Société
d’Agriculture de l’Hérault, des Chambres de commerce de
Montpellier et Sète et du ministre de l’Agriculture, en août
1873, pour achever l’étude sur le phylloxéra et l’utilité des
vignes américaines.
!
Il est accueilli par Riley, l’un des piliers scientifiques d’une colonie
d’origine européenne structurée autour de quelques familles
impliquées dans la viticulture, le commerce et l’université, dont
les Bush, Husmann, Engelmann. Riley est un entomologiste de
premier plan, originaire de Londres et ayant suivi des études en
France et en Allemagne. Grâce à ses antécédents scientifiques
au Kew Garden, Planchon peut établir un premier contact
épistolaire avec Riley. Il fait part de ses premières descriptions
du puceron, réalisées avec son beau-frère Lichtenstein
(Montpellier). Ils confirment l’identité entre le puceron américain
et le puceron français ; la différence se trouve dans le cycle de
vie de l’insecte et non au niveau de l’espèce.
" Mais subsiste alors la question : pourquoi ce puceron a-t-il
des effets différents selon le lieu, l’Amérique et l’Europe ? Telle
est l’énigme posée aux scientifiques. Riley adopte une vision
darwinienne, évolutionniste : en Amérique, un équilibre
métastable entre hôte et prédateur est obtenu sur la longue
durée, ce qui n’est pas le cas en Europe. Les vignes
européennes n’ont pas eu encore le temps de s’adapter !
Planchon prend le temps de visiter des vignobles du Missouri
et, surtout, s’intéresse aux pépinières Bush, à Bushberg, qui
publient un Catalogue à la fois outil commercial mais aussi
pédagogique ( Manuel de Viticulture). Louis Bazille en fait une
traduction, sur laquelle veille Planchon. À son retour, Planchon
acquiert la conviction que la solution passe par les vignes des
États-Unis.
Au retour, des recommandations de
plantations mal perçues
" Planchon n’est pas un œnologue, c’est un botaniste avant
tout, qui étudie aussi les Vitis labrusca, aestivalis, cordifolia,
rotundifolia, etc. « L’intérêt qui s’attache à ce moment aux
vignes américaines tient moins aux qualités intrinsèques de
leurs produits qu’à ce fait très important pour nous, que
plusieurs cépages échappent au phylloxéra, ou du moins
résistent plus ou moins aux attaques de cet insecte. » [p.159].
Planchon émet une préférence pour Vitis riparia et v. rupestris,
qui lui paraissent mieux adaptées à l’Europe.
!
Il recommande l’adoption de variétés américaines, dont
Herbemont, Jacquez, mais apparaît des problèmes de qualité.
De plus, en cas de greffage, le vigneron doit faire preuve
d’habileté, sans compter par des problèmes d’affinité entre
américain et français (déjà !).
Les manœuvres de marginalisation sont très nombreuses. L’une
des plus inattendues vient de la famille Marès. « J’aimerais à
voir des journaux dont la publicité est très grande, plus
empressés de répandre les procédés de guérison applicables
aux plants de notre pays, que de vanter outre mesure l’emploi
des plants américains, qui n’en sont encore qu’à leur période
d’essais intéressants, et qui ne pourrait être adopté en grand
sans imprudence. » déclare Léon Marès au Congrès de 1874.
Car, estime t-il, la solution préconisée par Planchon, amène
une grande terreur chez les vignerons, devant l’ampleur de la
reconstruction. Il rappelle la théorie de son frère Henri : « La
vigne étant ainsi empoisonnée et débilitée par l’insecte, les
sulfures alcalins auraient pour effet d’une manière générale de
combattre le poison, de guérir la vigne, de panser ses plaies
pour ainsi dire ; de servir, en un mot, de remède et
d’antidote ; les engrais seraient ensuite nécessaires pour
reconstituer la vigne guérie, mais épuisée. » [Congrès Viticole
International, séance 26 octobre 1874, p.30-39].
Mais, les préconisations de Planchon se répandent. Depuis
1870, Bush envoie des boutures à Montpellier, Marseille et
Bordeaux. En 1877, les établissements Blouquier et Leenhardt,
de Montpellier, reçoivent les souscriptions pour commander les
vignes américaines des pépinières du Bushberg (Missouri). Les
viticulteurs français ont accès à un assortiment de plants de
premier choix. Le Catalogue Illustré de MM. Bush et fils et
Meissner, traduit en français par Louis Bazille et Planchon,
fournit les renseignements utiles sur les vignes américaines. Il
est accessible à Montpellier (Coulet), Paris (Delahaye) et
Bordeaux (Ferret).
" L’analyse historique sur le rôle de Planchon interroge sur la
dynamique du bouleversement technique généré par le
Phylloxera. Pourquoi Planchon a-t-il vécu autant de résistance ?
Un regard sur sa personne peut fournir quelques éléments de
réponse. Issu d’un milieu non-viticole et socialement modeste,
Planchon est confiné au rôle de savant, « atlantique », et aux
relations avec les élites viticoles américaines. Sa
reconnaissance à ses « amis de Saint-Louis » ne serait-elle pas
empreinte d’un certain idéalisme admiratif : il est sensible à la
qualité professionnelle des pépiniéristes et des négociants en
vigne, fondée sur une appréciable impartialité. Les travaux
scientifiques d’Engelmann et de Riley sont jugés originaux et
de grande valeur. Sa dernière phase de l’introduction au
Catalogue des vignes américaines, de Busberg, édition
française de 1885, ne pouvait laisser indifférents ses
compatriotes locaux : « Honneur donc et remerciements aux
Ampélographes de Bushberg ! Leur travail est la base solide
sur laquelle l’expérience de l’Europe, unie à celle de
l’Amérique, édifiera peu à peu la connaissance scientifique et
pratique des vignes américaines ». Dépassant le local,
Planchon apparaît comme un précurseur des collaborations
scientifiques avec les États-Unis.
Mais, en même temps, il se démarque de l’esprit ambiant en
France, en reconstruction après la guerre de 1870 contre la
Prusse, dont sont originaires ses correspondants américains.
Dans le Midi, le félibrige chante la pureté de la race latine,
notamment sous la bannière du poète provençal Frédéric
Mistral.
De plus, il n’appartient pas à la nouvelle Ecole Nationale
d’Agriculture de Montpellier, fer de lance officiel de la lutte
contre le phylloxéra, où d’autres prennent le relais, en
particulier les directeurs Foex et Viala. La reconnaissance est
internationale, de nos jours encore, via l’Angleterre et les
États-Unis. Lui-même est immortalisé, les sculptures en
témoignent à Montpellier en de multiples lieux !
PARCOURS SCIENTIFIQUES DANS LES VIGNES DES ERUDITS
PROTESTANTS : D’OLIVIER DE SERRES A PLANCHON
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Article technique RFOE N° 219
BOUSCAREN ET LE DOMAINE DU TERRAL
La famille Bouscaren est très connue dans la région de
Montpellier ; elle s’est maintenue depuis le XIXème siècle.
LE CHATEAU DU TERRAL :
DES AMELIORATIONS TECHNIQUES
APPUYEES PAR DES EXPERIMENTATIONS
! Une reprise en main complète du domaine
Le Terral est riche en histoire, aux portes de Montpellier. Il
apparaît dans la mouvance de Maguelone et des évêques de
Montpellier. Domaine de polyculture, il rentre dans le
patrimoine de la famille du conventionnel Cambon, à la
Révolution française.
Puis, par mariage d’une fille Cambon, avec un Bouscaren, il
entre dans cette famille. Charles, membre de Société
Centrale d’Agriculture de l’Hérault, le fait fructifier. Cette
reprise en main s’inscrit dans les dynamiques agricoles de la
bourgeoisie montpelliéraine au milieu du XIXème siècle.
Comme Bazille, il reprend la question de l’eau. Il investit
dans le drainage, constitue un réseau long de quatre
kilomètres avec des drains en tuyaux ou en tuile. Cet
assainissement permet la récupération de l’eau des
collecteurs vers un point d’eau. (réf. Médoc).
! Des améliorations du vignoble
Bouscaren applique toutes les recommandations émises par
les éminents membres de la SCA. Il pratique une rotation
des cultures pour améliorer la productivité des terres ; ainsi,
après défrichage ou une jachère de vigne, il cultive du blé et
de la luzerne. En général, la période de repos avant
replantation est courte : trois ans.
Avant plantation, il réalise un labour profond de
80 centimètres, à tranchée ouverte, ce qui permet une
bonne aération du sol et favorise l’activité biologique.
Les plants de vignes ne sont pas désordonnés. Déjà, en
1673, Locke notait des alignements en quinconce dans les
vignobles autour de Montpellier ! Bouscaren généralise ce
mode de plantation, souvent altéré lors de renouvellement
par marcottage ou provignage. Il renouvelle, ou régénère,
les vignes par recépage (sur-greffage de la vigne).
À la différence de Cazalis-Allut, Bouscaren privilégie des
cépages productifs, tel l’aramon ; il est vrai que les terres
sont profondes, bien exposées au vent marin !
Il cherche à améliorer ses rendements, d’où une fertilisation
avec du fumier (méthode Jauffret) et tourteaux. Ce qui le
conduit à publier dans le Bulletin de la SCA de l’Hérault le
résultat de ses expérimentations sur les tourteaux
d’arachide et de sésame (1860). Pour lutter contre l’oïdium,
il pratique des soufrages avec soufre trituré mêlé à de la
chaux en poudre.
! L’organisation des celliers
En matière de vendange, le souci est toujours d’améliorer la
productivité. Pour le transport de la vendange, il innove avec
l’emploi de toiles en tissu serré, couvrant l’intérieur d’un cadre
dans une charrette (pastière). Ce système permet des
volumes plus importants et des déchargements dans les cuves
plus rapides qu’avec des comportes. Il persistera jusqu’à son
remplacement par des « pastières » en fer.
! La gestion comptable
La gestion est rigoureuse selon les rapports de commissions
officielles : données sur les frais d’exploitation, intérêts des
capitaux, résultats (BSCA 341860).
CONCLUSION
Au cours des siècles, en particulier au XIXème siècle, les élites
protestantes manifestent une grande implication dans le
développement de la viticulture languedocienne, tant au
niveau du commerce (Sète en particulier) que de la
production. La mise en valeur du patrimoine foncier, construit
au fil de générations et d’alliances matrimoniales, repose sur
des dynamiques techniques appuyées par des raisonnements
scientifiques, des confrontations avec d’autres régions. Les
réseaux sont établis et les sociétés savantes, héritées de
l’Ancien Régime, ainsi que les universités, y contribuent.
Ainsi, remonter le temps pour parcourir en compagnie de
quelques personnages de cette époque n’est pas seulement
une promenade nostalgique. Elle conforte dans quelques
principes fondamentaux de rigueur intellectuelle avec Planchon
en premier lieu, un sens de construction sociale préférant un
socle rocheux, gage de qualité, comme à Aresquiés, au sable
propice à la futilité et à un échappatoire momentané, comme
l’a montré la lutte contre le phylloxéra.
Mais, comme dans tout parcours, à chacun d’en retirer
quelques enseignements, durables si possible !
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TABLEAU ANNEXE
! Les grands domaines viticoles montpelliérains protestants en 1900
ALLUT
BAZILLE Marc
Meyrargues
Méric
Saint-Sauveur
Le Château
Vendargues
Montpellier
Lattes
Pérols
700
500
3 000
3 000
Louis
BAZILLE LICHENSTEIN
CASTELNAU
CAZALIS G
LEENHARDT Abel
LEENHARDT Charles
Mas Rouge
Mauriennes
Vic
Montpellier -Mauguio
600
800
Les Aresqiés
Château de Paul
Grammont
La Lauze
Gramenet
Vic
Clapiers
Montpellier
Saint-Jean de Védas
Castelnau-le-Lez
J.
LEENHARDT Pierre
Verchant
Le Château
Mas Neuf
Castelnau le Lez
Saint-Aunés
Mauguio
7 000
4 000
4 000
CAZALIS- LEENHARDT
Andos
Mas Neuf Les Aresquiés
Villeneuve les Maguelone
Vic les Etangs
2 500
1 200
BAZILLE LEENHARDT
BOUSCAREN Alfred
Le Terral
Saint-Jean de Védas
3 500
Paul
Gigean
Gigean
5 000
D’ESPOUS de PAUL Auguste
Le Salin
Le Château
Lattes
Cazouls-les-Béziers
1 800
9 000
D’ESPOUS DE PAUL
Le Verteil
Le Capitoul
La Motte
Petit Travers
Grand Travers
Saint-Aunés
Villeneuve les Maguelone
Mauguio
2 000
10 000
20 000
4 000
6 000
Mme
MARES Henri
Guillermain
L’Engarran
Mas Neuf de Launac
1
2
1
4
1
200
800
500
000
500
CATHOLIQUES ASSOCIES
Lavérune
Fabrègues
15 000
3 000
9 000
Sources :
Indicateur des vignobles du Midi Gervais 1897.
Messager agricole et viticole 1860-61. Rapport au jury du concours régional agricole de Montpellier, Jules Bonnet, Rapporteur,
123-133.
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