Faire parler le silence » Beauvoir : La Femme rompue
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Faire parler le silence » Beauvoir : La Femme rompue
GABRIELLA TEGYEY « Faire parler le silence » Beauvoir : La Femme rompue La trame de La Femme rompue consiste en la lente désorganisation du couple formé par Monique et Maurice, mariés depuis plus de vingt ans et ayant deux filles adultes. Alors que Monique demeure victime de l’échec conjugal, Maurice commence une nouvelle vie, en quittant son épouse pour Noëllie, jeune avocate brillante. Monique, complètement livrée à elle-même, ne comprend rien à sa situation : son univers s’écroule, au point qu’elle risque de perdre son identité. Le dénouement malheureux est suggéré dès le paratexte ; en effet, dans le prière d’insérer, la romancière est soucieuse d’avertir son lecteur : « Les gens heureux n’ont pas d’histoire. C’est dans le désarroi, la tristesse, quand on se sent brisé ou dépossédé de soi-même qu’on éprouve le besoin de se raconter ». Le récit lui-même se présente comme le journal intime de Monique, tenu au jour le jour. L’écrit de l’héroïne – dont la durée embrasse les événements de sept mois∗ – est soigneusement daté, mais comporte néanmoins quelques imprécisions et omissions. La banalité voulue de l’histoire relatée entre en contrepoint avec la subtilité que montre sa structuration, choix qui n’est certainement pas un hasard. Un récit policier ? En expliquant, dans Tout compte fait, la technique narrative adoptée dans ses récits, Beauvoir distingue nettement entre deux procédés, qui consistent à « raconter en clair » ou à « faire parler le silence » : « Dans mes précédents romans, le point de vue de chaque personnage était nettement explicité et le sens de l’ouvrage se dégageait de leur confrontation. Dans celui-ci [Les Belles Images], il s’agissait de faire parler le silence »1 . C’est cette même technique qu’elle vise à appliquer dans La Femme rompue : « Demander au public de lire entre les lignes, c’est dangereux. [...] Il ne s’agissait pas pour moi de raconter en clair cette banale histoire mais de montrer, à travers son journal intime, comment la victime essayait d’en fuir la ∗ Du 13 septembre au 24 mars d’une année indéterminée. Revue d’Études Françaises No 14 (2009) vérité. [...] Elle tisse elle-même les ténèbres dans lesquelles elle sombre au point de perdre sa propre image »∗. La construction énigmatique de La Femme rompue est donc un choix délibérément voulu de la part de la romancière, qui va jusqu’à considérer son écrit comme un « roman policier » : J’aurais voulu que le lecteur lût ce récit comme un roman policier ; j’ai semé deci de-là des indices qui permettent de trouver la clé du mystère : mais à condition qu’on dépiste Monique comme on dépiste un coupable. Aucune phrase n’a en soi son sens, aucun détail n’a de valeur sinon replacé dans l’ensemble du journal. La vérité n’est jamais avouée : elle se trahit si on y regarde d’assez 2 près . Dans ce qui suit, nous proposons dans un premier temps de mettre l’accent sur l’allure policière du récit, tout en essayant de montrer les procédés par lesquels La Femme rompue s’écarte des poncifs de ce genre. Pour ce faire, nous cherchons à repérer les indices, susceptibles d’éclairer le mystère, ce qui revient à mettre en lumière les ténèbres du drame conjugal, tissé à travers des silences. Revenons au début du récit, dont l’incipit installe une atmosphère de bonheur, voire un univers de jubilation ; dans cette euphorie, l’absence de Maurice, qui part pour un voyage, introduit néanmoins une angoisse, donnant à Monique « la gorge serrée » (p. 122) : dès la troisième note de son journal, l’héroïne commence à se tourmenter, sans qu’elle en sache véritablement la raison3. Désormais, l’inquiétude et le déséquilibre s’insinuent lentement dans la vie du couple, d’où l’effort acharné de Monique, désireuse d’apprendre la « vérité », cette recherche se répercutant à travers tout le journal : « Il faut que je m’avoue la vérité ; j’ai toujours voulu la vérité, si je l’ai obtenue, c’est que je la voulais. Eh bien ! Maurice a changé » (p. 127). L’intrigue du récit peut se diviser, grosso modo, en trois étapes, suivant en cela la perception forcément subjective que Monique aura des événements. Conformément aux règles du roman policier, Monique a du mal à comprendre, dans ∗ Ibid., p. 141-142. « Raconter en clair » ou « faire parler le silence » peuvent cependant donner lieu à une certaine confusion, parce que ces termes ne rendent pas compte de la manière dont les événements sont présentés dans le récit, et, au lieu de mettre en relief un fait de langage et de narration – comme Beauvoir essaie de le faire croire –, ils renvoient plutôt à une attitude mentale du narrateur qui préfère voiler la vérité. La découverte de celle-ci et l’organisation du discours appartiennent évidemment à deux plans complètement différents. 122 GABRIELLA TEGYEY : « Faire parler la silence »… un premier temps, la froideur, l’indifférence de Maurice, ce qui la condamne à une perpétuelle auto-accusation. Au moment où elle se sent déjà suffisamment fautive dans la dégradation de ses rapports avec son mari, survient la révélation de l’adultère, ce qui, en inaugurant la deuxième étape de l’intrigue, rompt définitivement l’équilibre∗. L’allure policière de La Femme rompue est assurée encore par le sentiment de persécution, dont Monique est de plus en plus la proie, ce sentiment se transformant en une « manie ». Bientôt, l’héroïne ne peut voir, dans cette histoire d’adultère, qu’un « jeu truqué » : « Cette porte claquée, ce verre de whisky : tout était prémédité » (p. 144) ; « Je suis manœuvrée. Qui dirige la manœuvre ? Maurice, Noëllie, tous les deux ensemble ? » (p. 148) Le caractère policier est également renforcé par l’absence de Noëllie, qui ne paraît pas véritablement sur la scène : seul un coup de téléphone trahit sa « présence »∗∗. La vérité, au lieu de se dévoiler, s’éloigne progressivement de l’héroïne, jusqu’à devenir parfaitement insaisissable : « Ou est-ce à ce moment-là qu’il mentait ? Où est la vérité ? Existe-t-elle encore ? » (p. 183) Le récit atteint de la sorte son premier point culminant ; un univers d’étouffement s’établit, rempli de mensonges, d’arrière-pensées et de silences : « Nous n’avions plus rien à nous dire, obsédés par la même histoire dont il ne voulait pas parler » (p. 182). Les relations du couple se caractérisent par une impénétrabilité à peu près parfaite, une impuissance à communiquer qui l’empêche de sortir de cette horreur conjugale. Bien que Monique soit sans doute coupable d’avoir entièrement vécu pour et par sa famille, elle est aussi victime de cette situation triangulaire, dont elle n’est pas véritablement responsable. Victime malgré elle, l’héroïne ne peut, à aucun moment, devenir acteur – ce rôle semble être l’attribut de Maurice, qui prend parfois les dimensions d’un personnage « monstrueux » : « Maurice par son silence m’a refusé la possibilité d’affronter, armée, une rupture. [...] C’est monstrueux : il a choisi pour m’abandonner le moment où je n’avais plus mes filles » (p. 196). ∗ ∗∗ Cette révélation survient le « Dimanche 26 septembre » (p. 130), treize jours après le commencement du journal. De fait, la partie introductive du récit est bien mince, par rapport au développement de la crise qui a lieu dans les étapes suivantes. Sa figure est évoquée, dans la note du 5 novembre, d’une façon indirecte : il s’agit de la relation – rétrospective – d’un cocktail, auquel tous les personnages participent. 123 Revue d’Études Françaises No 14 (2009) Le sentiment d’abandon et de perdition qui s’empare de Monique, la pousse à perdre sa capacité à se considérer comme sujet. Entièrement désarmée, incapable de se voir, le regard des autres ne lui renvoie rien : « Je me tourmente. Comment les gens me voient-ils ? Et en toute objectivité, qui suis-je ? » (p. 200) L’« affreuse descente » (p. 202) du personnage est favorisée par l’incessante auto-analyse à laquelle elle finit par s’aliéner, processus inévitable par l’adoption même de la forme du journal. En effet, si la présence du monde extérieur est plus ou moins sensible au début du récit, Monique a progressivement tendance à faire disparaître le dehors au profit du règne de la vie intérieure, soumise à un rétrécissement de plus en plus considérable. Le départ de Maurice en vacances, en compagnie de son amie, est censé ouvrir la troisième étape de l’intrigue∗, au cours de laquelle la crise ne fait que s’aggraver. Monique, en sombrant dans une paralysie émotionnelle, atteint le paroxysme de sa souffrance : « À quel degré de laisser-aller on peut atteindre, quand on est entièrement seul, séquestré ! [...] Je ne peux plus vivre. Je ne veux pas mourir » (p. 220). Menacée de folie, l’héroïne ne renonce pas pour autant à sa principale tâche : la mise au jour de la vérité. Dans cette quête, elle est aidée par son amie Isabelle et – quoique d’une manière moins explicite – par Maurice lui-même. Le principal adjuvant – paradoxal – semble être cependant sa fille Lucienne que Monique décide d’aller voir à New York, afin de lui « arracher » la vérité. Or, le voyage à New York, loin de mener vers la compréhension, conduit au contraire au cœur d’un vide absolu. À travers leurs conversations, inutiles en fin de compte, se révèlent les rapports conflictuels de la mère et de la fille qui ne parlent pas le même langage : « [Monique] – Tu es heureuse ? [Lucienne] – Ça, c’est un de tes mots. Il n’a pas de sens pour moi. [Monique] – Alors, c’est que tu n’es pas heureuse. Elle a dit d’un ton agressif : – Ma vie me convient parfaitement » (p. 247). Adjuvant ou opposant, Lucienne n’est la détentrice d’aucune vérité ; son réalisme froid, qui entre en contrepoint avec la vision romantique des rapports humains que se fabrique Monique, permet néanmoins d’objectiver le drame conjugal : « [Lucienne] Tu as eu le tort de croire que les histoires d’amour ∗ Étape inaugurée par la note du 15 janvier. 124 GABRIELLA TEGYEY : « Faire parler la silence »… duraient. Moi j’ai compris ; dès que je commence à m’attacher à un type, j’en prends un autre » (p. 244). La fin du récit fait ressortir l’échec absolu de l’enjeu : ne pouvant pas démêler le vrai du faux, Monique doit assister, vaincue, au triomphe du chaos : « Je ne sais plus rien. Non seulement pas qui je suis mais comment il faudrait être. Le noir et le blanc se confondent, le monde est un magma et je n’ai plus de contours. Comment vivre sans croire à rien ni à moi-même ? » (p. 249) Récit proche du policier par son enjeu et sa structure énigmatique, La Femme rompue, contrairement à l’intention de son auteur, ne relève pas pourtant, nous semble-t-il, de ce genre. Ce qui pose le plus grand problème, c’est la définition des statuts du coupable et de la victime, et celle aussi du crime – définitions qui s’imposent avec rigueur dans un roman policier. La preuve de cette incertitude générique est que Beauvoir elle-même tient Monique tantôt pour un « coupable », responsable de la situation, tantôt pour une « victime », contrainte de subir son malheur4. La Femme rompue doit ainsi se lire comme un récit policier renversé : les rapports de coupable et de victime sont tellement brouillés qu’il est pratiquement impossible de décider, avec certitude, en quoi le crime réside et quel personnage remplit le rôle du criminel ; cette difficulté est renforcée par le fait que les héros cherchent constamment à écarter la responsabilité, à chasser la mauvaise conscience. Faute de solution – étape obligatoire du roman policier –, le récit demeure un « affreux psychodrame » : « C’était comme un affreux psychodrame où on joue à la vérité. C’est la vérité, mais on la joue » (p. 184). Forme et fonction du journal Pour la meilleure compréhension des « silences » de La Femme rompue, il nous semble maintenant opportun d’examiner le journal de Monique, support de son drame. La forme narrative adoptée dans le récit est par définition subjective : Monique, narrateur-personnage de son histoire, est le sujet-percepteur unique du monde diégétique, ce qui aboutit au rétrécissement extrême de la vision. La forme 125 Revue d’Études Françaises No 14 (2009) autodiégétique participe ainsi à l’allure énigmatique du récit : propice aux énigmes, aux mensonges, aux erreurs, elle interdit le surgissement du point de vue des autres∗. Si l’écrit de Monique se caractérise par une datation rigoureuse, le lieu où se déroulent les événements n’est indiqué, sur le plan de l’énonciation, que deux fois : au début, Monique se trouve aux Salines, à la fin, elle part pour New York – cette double indication offre au récit un certain cadre∗∗. L’espace des Salines a ceci d’important que l’héroïne croit y trouver le bonheur, raison de l’entreprise de la rédaction de son journal : « Et voilà que m’est rendue une qualité de joie oubliée. Ma liberté me rajeunit de vingt ans. Au point que, le livre fermé, je me suis mise à écrire pour moi-même, comme à vingt ans » (p. 122). Cette plénitude n’étant qu’apparente, Monique doit recourir, dans son écriture, aux « silences », afin de pouvoir maintenir – même momentanément – l’illusion de la joie. Comme l’inutilité de cet effort lui apparaît vite, les silences seront comblés après coup : « Allons ! autant me dire la vérité jusqu’au bout. J’avais le cœur serré à l’aérodrome de Nice à cause de ces mornes vacances derrière nous. [...] (Curieuse chose qu’un journal : ce qu’on y tait est plus important que ce qu’on y note.) » (p. 128). Cette allusion à la rédaction permet d’en montrer la visée : si le cahier dit ce qui, d’habitude, ne s’avoue pas, il est aussi un moyen de taire ce qui peut inquiéter. Toutefois, le rôle de l’écriture consiste dans un premier temps à faire disparaître la gêne dont souffre l’héroïne, désireuse de voir clair dans ce qui l’entoure. L’écriture – outil dans la quête de la vérité – devient ensuite le support d’une autoanalyse, à travers laquelle, nous venons de le voir, Monique ne fait que tourner en rond. Après la révélation de l’adultère – moment où Monique croit pouvoir capter la vérité –, le journal se présente, ouvertement, comme une chose négative, ce qui conduit à l’idée de son abandon : « Pourquoi continuer ce journal puisque je n’ai rien à y noter ? Je l’ai commencé parce que ma solitude me déconcertait ; je l’ai continué par malaise, parce que l’attitude de Maurice me déroutait. Mais ce malaise s’est dissipé maintenant que j’y vois clair, et je pense que je vais abandonner ce carnet » (p. 139). Quoi qu’il en soit, l’écriture ne manque pas pour ∗ Il va sans dire que ce procédé empêche le succès de l’enjeu – la découverte de la vérité –, qui semble ainsi a priori voué à l’échec. ∗∗ Le reste de l’histoire est situé à Paris, sans que la narratrice insiste sur la désignation du lieu. 126 GABRIELLA TEGYEY : « Faire parler la silence »… autant de facultés positives : mensongère, erronée, elle est susceptible d’offrir au scripteur un « œil », même aveuglé par moments. La datation du journal de Monique, si ponctuelle qu’elle soit, va être modifiée à trois reprises, notamment aux moments cruciaux des événements : l’examen de ces modulations est susceptible d’éclairer le véritable fonctionnement de l’écrit de l’héroïne, dont la transparence cache d’inquiétantes profondeurs. C’est au milieu du mois de décembre – trois mois après le début de la rédaction du cahier – que survient la première modification, changement qui va dans deux sens. Disparaît d’abord la mention du mois, jusqu’alors rigoureuse : « Samedi 12 » (p. 199) ; ensuite, à partir du « Ier janvier » (p. 216), c’est l’indication de la journée qui fait défaut, cette technique caractérisant le récit jusqu’à la fin∗. La baisse de ponctualité dans l’écriture est le signe sans doute de la perturbation profonde dans laquelle se trouve Monique, de plus en plus écrasée par le malheur. La note du 15 janvier – qui relate un des points culminants de l’histoire, le départ de Maurice en vacances avec Noëllie – révèle une omission de quinze jours dans la relation des événements, comme si Monique reconnaissait la vanité des mots : Pendant deux semaines je n’ai rien écrit sur ce cahier parce que je me suis relue. Et j’ai vu que les mots ne disent rien. [...] La déconfiture, l’abrutissement, la décomposition, ce n’est pas marqué sur ces pages. Et puis elles mentent tant, elles se trompent tant. [...] Il n’y a pas une ligne de ce journal qui n’appelle une correction ou un démenti. [...] Oui, tout au long de ces pages je pensais ce que j’écrivais et je pensais le contraire. [...] Je me mentais. Comme je me suis menti ! (p. 221) En même temps, au sommet de la crise, le journal a aussi un rôle salvateur, agissant à la manière d’une psychanalyse : « J’ai repris mon stylo non pour revenir en arrière mais parce que le vide était si immense en moi, autour de moi, qu’il fallait ce geste de ma main pour m’assurer que j’étais encore vivante » (p. 221-222). Le caractère complexe du journal est démontré par le fait qu’à l’intérieur de ce même segment d’histoire, caractérisé par l’omission de certains événements, la datation finit par devenir tout à fait floue : repris le « surlendemain » (p. 223), le journal semble ne plus être que le réceptacle d’une interrogation inutile. Le 19 janvier, la datation reparaît (sans la mention de la journée), signalant ainsi l’espoir qui jaillit dans l’esprit de Monique, qui croit pouvoir reprendre son mari. ∗ La seule exception en est la note du « 27 décembre – dimanche » (p. 215), où la datation retrouve, un instant, son ordre. 127 Revue d’Études Françaises No 14 (2009) Comme cet espoir n’est que trompe-l’œil, la datation, cette fois suspendue, va être perturbée une troisième fois : « 6 février, puis sans date » (p. 233). Cette carence temporelle coïncide avec l’écroulement total de l’héroïne, obligée de faire face au départ définitif de son mari. Pourtant, le 20 février, la datation reprend pour être maintenue jusqu’à la fin. En vérité, Monique se fait, quoique chancelante, son propre thérapeute, ce processus étant assuré par l’écriture de son cahier, le seul bien qui lui reste. En effet, la rédaction de celui-ci introduit dans son existence désarticulée un sens et une rigueur rassurante, capables de garantir la survie du personnage. L’une des manifestations de cette rigueur est sans doute la sauvegarde de la datation, qui lui apporte, en dépit de ses intermittences, un point de repère. Journal rempli d’ambiguïtés et de propos tus, son principal intérêt est d’avoir une fonction non seulement thérapeutique, mais vitale ; des méandres du carnet jaillit, contre vents et marées, une « vérité » : l’écriture de soi donne lieu à une parole solitaire, génératrice de l’énergie nécessaire pour protéger l’intégrité du moi. Récit d’un échec, en dépit du succès (relatif) de l’écriture, La Femme rompue ne demeure pas pour autant un écrit noir. Le but de Simone de Beauvoir, pour qui la littérature est « le lieu privilégié de l’intersubjectivité »5, se définit par une visée cathartique : dans l’image que Monique renvoie de son existence, le lecteur – qu’il éprouve de la sympathie ou de la réprobation à son égard – est forcé de se reconnaître. _________________________ GABRIELLA TEGYEY Université : Université Eötvös Loránd Courriel : [email protected] 1 Tout compte fait, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1972, p. 139. Ibid., p. 142. 3 Toutes nos références relatives à La Femme rompue renvoient à l’édition Gallimard, Paris, 1968. 4 Cf. les citations prises dans Tout compte fait, supra, p. 1-2. 5 « Mon expérience d’écrivain », in Claude Francis – Fernande Gontier, Les écrits de Simone de Beauvoir, Paris, Gallimard, 1979, p. 456. 2 128