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Marli Medeiros, 50 ans Recycleuse. Directrice du Centre d’Education environnemental de Vila Pinto. « Je suis recycleuse. J’ai déjà été commerçante, j’ai travaillé dans l’industrie, et aussi, avant ça, j’étais femme au foyer. J’ai déjà été femme de ménage, femme d’alcoolique. Alors, je crois que j’ai déjà eu beaucoup d’obstacles, dans ma vie, qui me permettraient aujourd’hui de ne presque rien faire, de ne pas croire dans les choses. Mais j’ai toujours été une grande guerrière. Je suis cancer (signe du zodiaque), et je crois que ça tient beaucoup dans la façon dont j’ai été élevée, de ma famille. Toutes les femmes de ma famille sont très combatives, ma grand-mère qui est morte à 101 ans, elle a été une grande meneuse dans la famille et moi j’ai hérité de beaucoup de ses traits de caractère. » « Et pour ce que je ne sais pas faire, j’ai cette bonne aisance verbale que Dieu m’a donnée, pour arriver vers les personnes et dire ça je ne sais pas, toi qui sais, tu m’enseignes. Et aussi l’humilité de dire que je n’arrive pas à atteindre toutes les choses. Mais je sais développer les choses que les gens me transmettent, j’apprends en faisant les choses, je souffre un 32 « Je ne travaille pas avec les ordures, je travaille avec les résidus. Pour moi, il y a quelques années, le matériel sur lequel on travaille aujourd’hui, pour moi c’étaient des ordures. Tout ça je voulais le mettre dans un sac, et le mettre dehors, et dire Dieu merci que le camion des ordures soit passé et ait amené tout ça bien loin. Et petit à petit, j’ai commencé à prendre conscience de vouloir savoir où le camion amenait ce matériel. C’est alors que j’ai connu l’expérience de ce qui se passait à Porto Alegre. » «Alors ça, c’était la grande différence, que les gens ont commencé à me regarder d’une autre façon dans le quartier. C’est pour ça que je ne suis pas morte jusqu’à aujourd’hui. Parce que j’ai toujours agi, même en faisant « de l’ombre avec le chapeau des autres », mais je le faisais. Je prenais la charrette, je la remplissais de choses. Le terrain, là, de ma maison, je l’ai occupé, je ne l’ai pas acheté. Mon terrain et celui de mon oncle ont été les premiers du quartier. C’est mon oncle qui s’occupait des choses. Et moi j’ai trouvé un emploi pour mon oncle de gardien des maisons de la Caisse Economique Fédérale (grande banque brésilienne). Presque tous mes oncles ont été gardiens là. Eux tous ont trouvé un emploi, d’autres étaient manœuvres de chantier, ou maçon ou charpentier. » «Alors elle ma grand-mère a dit que j’avais tenu ma promesse, seulement elle ne savait pas si c’était le meilleur chemin pour nous, parce qu’on doit sortir chaque jour de chez soi, ou pour se protéger des marginaux, ou pour se cacher des balles, ou de peur des bandes de délinquants. Et là, on sortait seulement une fois par année, à cause des inondations. Et on avait la 33 Ordures – Est-ce dû uniquement à leur aspect, au fait qu’ils soient perçus comme inutiles, sales ou nauséabonds ? Au contraire, peut-être que nous rejetons avant tout ce qu’ils peuvent nous dire sur notre société et ses modes de fonctionnement. peu au moment d’apprendre, parce que, par manque de meilleure technique, je me heurte à quelques obstacles. Mais j’ai réussi, et je crois que je suis une grande gagnante. » sécurité à la maison, on avait nos affaires et on n’avait pas besoin de sortir tout le temps, et elle disait qu’ici, c’était une horreur. Alors ça a commencé à me déranger. J’ai commencé à être dérangée, par les opportunités que j’avais, parce que j’étais dans un magasin. Je travaillais comme gérante d’un magasin, j’avais un peu des choses que l’argent donne la possibilité d’avoir, j’avais une voiture, je n’habitais déjà plus comme une concierge, j’avais des vêtements, et j’arrivais même dans le quartier comme une dame de la société. Et ce n’était pas le cas, toute ma famille était là. Et ça a commencé à me déranger, la grand-mère qui disait que la violence était très forte. Elle disait, ils ont tué la fille d’un tel, ils ont violé la fille d’un tel autre. Et les commentaires rapides, tout le monde oublie et vit avec ça. Et la grand-mère était effrayée. » «Quand j’ai connu les enfants là de l’Ile des Marins, parce que j’ai été là-bas, je me suis aperçue que le retour financier de la matière première appelée ordures, était très rapide, comme celui de la drogue. C’était très très rapide. Et on pouvait faire un travail très grand, très fort avec ça. Et alors j’ai choisi ce travail, pas mal à cause du désir des femmes d’avoir une gratification, un salaire. Je ne comprenais pas très bien ce que c’était les ordures, parce que jusque-là, les ordures c’était tout ce que je devais jeter, qui était dégoûtant, qui attirait les cafards, les rats. Et j’ai commencé à m’apercevoir que ce n’était pas ça, que c’était une matière première. » «J’ai commencé à étudier, à regarder dans les livres. Et j’ai décidé de créer autour de cette matière première, qui est très marginalisée. J’ai produit une manière poétique de voir, pour commencer à attirer l’attention des gens. Et j’ai commencé à m’apercevoir que dans le quartier le retour financier de la drogue, qui était rapide, les gens se mettaient dans la tête qu’il ne restait plus que ça, alors ils devaient faire ça, ils faisaient le lavage cérébral des femmes, comme s’il n’y avait plus rien, et que ce qui restait pour les pauvres c’était seulement les mauvaises choses. Et j’ai commencé 34 35 Jules Renard. « Aujourd’hui je suis allée à la PUC (université catholique de Porto Alegre) et j’ai été indignée. J’ai vu cette quantité de robinets ouverts pour arroser les plantes. Et j’ai pensé, ils doivent avoir une génératrice, ils doivent profiter de l’eau de quelque part, peut-être qu’ils prennent de l’eau du ruisseau qui est devant la PUC. Ils traitent l’eau pour arroser les plantes, Bonheur – « Si l’argent ne fait pas le bonheur… alors rendez-le ! » à penser, je vais amener les ordures ici, si les ordures c’est aussi quelque chose que les gens trouvent mauvais, ce qui dégrade, ce qui est marginalisé. Eux qui sont déjà les ordures de la société, qui se considèrent les ordures de la société. Comment je vais faire pour que les gens intègrent ça comme une bonne chose pour leur vie? J’ai eu beaucoup de présence d’esprit quand j’ai dit dans le quartier que l’argent n’apporte pas le bonheur, parce que s’il apportait le bonheur, tout le quartier serait heureux, parce que tout le quartier trafiquait. Et d’une manière ou d’une autre, tout le monde savait comment chercher de l’argent, ils attaquaient, ils volaient, ils séquestraient, ils louaient des enfants, prostituaient. Et je voulais dire à tout le monde, et je disais dans les réunions, je disais que l’argent n’apporte pas le bonheur, parce que s’il apportait le bonheur ils seraient des gars heureux, et je parlais au nom du trafiquant, qu’ils voyaient caché. J’ai commencé à alerter les personnes pour leur montrer que ce n’était pas comme ça. Et j’ai commencé à alerter les gens pour la vie, pour ce qu’ils voulaient de la vie, et je me suis aperçue que les gens ne se posaient pas ces questions. Et ils vivaient beaucoup sur cette histoire que le pauvre dit, que demain soit comme Dieu le veut, demain Dieu donnera. Et alors j’ai commencé à m’apercevoir que les personnes vivent au jour le jour parce que beaucoup de gens mouraient d’une balle perdue, tout le monde pleurait à l’enterrement, criait, que ce n’était pas son heure, que ce n’était pas son heure à lui, quelqu’un a avancé l’heure, alors les gens pensaient ici il y a tant de balles, tant de bandes, tant de choses, que demain sera peut être mon jour. Alors ils pensaient qu’ils devraient vivre aujourd’hui sans se soucier de demain. Et alors j’ai pensé à changer ça.» Vitrine – Mars 2001. Un passant s’arrête devant les vitrines du Centre culturel Brésilien de Maputo. « Même pas un emploi d’arrière cour » indique le pictogramme. je sais pas, mais non, ce n’est sûrement pas de l’eau potable. J’ai été là derrière pour voir, c’était de l’eau potable, et cela dans une université qui sait que, dans peu de temps, il va manquer de l’eau dans le monde. Et moi je veux faire ma part, ma part c’est d’éteindre cet incendie qui brûle chaque fois plus les personnes de ma communauté. Si j’arrive à faire ça, ici dans ma communauté, faire de ça un modèle, capable d’être reproduit dans n’importe quelle partie du monde, j’aurai déjà fait quelque chose. » « Et ceci, je l’ai tiré de mes connaissances d’entreprise, qu’un gérant gagne plus qu’un vendeur, parce que sa responsabilité est beaucoup plus grande. Il est là pour s’occuper de tout et il est la deuxième personne après le propriétaire. Alors, pourquoi les coordinatrices doivent gagner plus que les recycleuses ? Parce qu’elles sont responsables du bon fonctionnement, de la propreté, de l’ordre dans l’institution. Amener toujours l’institution comme une vitrine. Seulement le fait que vous soyez dans la vitrine, cela justifie que vous mettiez des choses différentes de ce qu’il y a. C’est quoi une vitrine ? Si vous êtes dans un magasin, vous mettez dans la vitrine ce qu’il y a de mieux dans le magasin. Alors le meilleur est dans la vitrine, alors tout le monde qui passe dit quelque chose au sujet du produit qui est dans la vitrine. Ils ne vont pas parler de qui n’est pas dans la vitrine. » «Alors je pense que l’auto-estime du quartier a augmenté. Et ce n’est pas à cause des ordures, c’est parce qu’on a réussi à convaincre les personnes que ce ne sont pas des ordures, c’est du matériel qui peut être recyclé, qui peut être réutilisé, qui peut être mis à profit, qui peut revenir à nouveau. Parce que si tout le monde appelle ça des ordures, comment vont-ils appeler l’humain? Si les ordures qu’ils appellent les ordures, qui sont dégradantes, qui sont ceci et cela, reviennent à nouveau, et reviennent plusieurs fois, comme un produit beaucoup plus beau que le premier, comment 36 Voirie – Route des Jeunes, Genève, 23.05.2003 Shopping center – Temple de la consommation – lieux ou l’être stressé des grandes villes retrouve des sensations – la découverte, la tentation, le confort… le tout dans une ambiance feutré et de sécurité absolue. En plus, avec l’avènement des cartes de crédit, il dépense sans en avoir l’impression. Subtil. ils vont dire que l’être humain n’a pas d’habileté? Alors ils doivent croire que l’être humain en a, qu’il peut être recyclé. Et moi, quand j’ai été en Allemagne, pour représenter le travail là-bas, nous n’avons pas été pour parler de recyclage, pour faire le travail de triage dans un hangar d’ordures, parce que l’Allemagne est spécialiste de ça. Nous avons été pour le travail que nous développons dans le recyclage humain, ce qu’on produit de transformation dans les personnes. Comment les personnes ont pu, à travers les ordures, sortir d’une situation de misère très forte et d’auto-estime très basse. Comment ça se fait que les enfants, les personnes ne jettent pas des pierres ici? Pourquoi les gens n’envahissent pas ceci, ici? Pourquoi elles respectent ceci ici, si ceci, ce sont des ordures? Nous avons un gardien au portail, et même les écoles n’ont pas de gardien.» «Parce qu’il y a ici un tas de femmes riches, très riches, des dames qui jusque-là, tout le temps qu’elles avaient dans leur vie, elles étaient préoccupées avec la salle de gymnastique, le Parc des Moulins, le Grand Parc, elles mettaient des baskets, des chaussettes et allaient marcher, au parc, ou courir. Elles allaient au cinéma, elles faisaient mille choses, elles allaient au «Shopping Center», elles ne faisaient rien. Mais non, elles occupent leur temps, Anne par exemple, elle est de la Casa e Cia. (La Maison et Cie.), elle a un stand à la Maison et Cie, mais elle s’est déjà présentée trois fois et je n’étais pas là, et elle voulait venir amener du matériel avec ses amies. Et elle dit qu’elle aussi est en train d’être recyclée. Alors je trouve que c’est des choses comme ça, qu’on sépare des résidus solides, ce nom scientifique, mais on sépare beaucoup plus les ordures qu’on a accumulées dans chacun de nous. Celles-ci, oui, sont séparées, recyclées, mises à profit d’un façon qu’on arrive à voir la vie d’une autre façon, d’une autre manière.» «Moi aussi j’ai été recyclée. Quand j’avais un bon salaire et que j’habitais au centre, j’ai habité dans le «Barros Cassal», au coin de la rue Independência, j’avais deux voitures, deux garages, 38 « J’ai déjà eu tous mes enfants à l’école publique, pourquoi mes filles sont seulement au semestre de la PUC, à 32 ans ? Pourquoi ? Parce que l’école ne prépare pas, parce que l’école publique, malheureusement, ne prépare pas comme vous préparez les enfants pour les études. Et moi je veux que mes petits-enfants soient préparés pour ça. Pour cela ils doivent venir ici à l’école. Je ne vais pas me battre avec l’école publique, mais je vais me battre avec vous pour que vous les acceptiez. Maintenant, le prêtre là de la PUC m’a dit, Marli n’invente pas d’amener plus de gens là de Vila Pinto, parce que je vais accepter seulement tes deux filles. Mais là il y a déjà deux filles en plus, qui vont faire leur maturité cette année, pour voir si elles passent, ce sont les secrétaires d’ici, du centre culturel et de là, du hangar. » 4e « Je veux multiplier ça ici, comme un agent-motivateur, motiver les gens qu’il est possible de croire dans le rêve, qu’un monde nouveau est possible, qu’une nouvelle vie est possible, que l’argent n’apporte pas le bonheur, que vouloir c’est pouvoir. Quand on veut beaucoup quelque chose, on y arrive. Que la foi remue des montagnes, que c’est très important d’avoir la foi en Dieu et en soi. Parfois je me demande, pourquoi il existe beaucoup de coïncidences dans ma vie. Maintenant je suis dans le Programme « Entrée de la Ville », et je pense, comment je suis là, pourquoi je suis là, vendredi je le saurai. Parce que cet endroit n’avait pas de maison, tout ici était entassé, encombré. Tu sais, la foi doit mettre en mouvement. » 39 Centre de tri de Restinga. Un des neuf centres construits à Porto Alegre par la municipalité. Une des grandes particularités de ce projet c’est que la gestion est entièrement léguée à des associations de recycleurs/euses informel(le)s. Aujourd’hui ils sont plus de 500 familles à bénéficier de cette source de revenu (qui reste néanmoins dépendante du flux de la consommation). j’étais supervalorisée dans mon travail, mes filles allaient à la plage en décembre, et revenaient seulement à la fin février. Chacune d’elles avait une carte de crédit, moi j’allais là et je signais seulement la carte, elles achetaient leurs choses, leurs habits, seulement des vêtements de marque. Et aujourd’hui je suis transformée, je suis recyclée. Nous avons transformé notre mode de vie, bien pour être heureux. Et aujourd’hui je vois mes filles ici, elles pourraient avoir un autre emploi.» L’exposition « Ordures=vie » a été présentée dans le cadre de la manifestation « Porto Alegre, un autre Brésil », organisée par le Théâtre Saint-Gervais, du 11 au 19 juin 2003, à Genève. Avec le soutien de : La Ville de Genève Théâtre St-Gervais Genève 5 rue du Temple CH-1201 Genève info 022 908 20 00 www.sgg.ch/theatre Saison 2002-2003 Avec la collaboration de Réseau « Echanges de Regards Critiques » Carlos Augusto Azambuja Remerciements : Denise Amaro, Rubens Azambuja, Jacques Bornand, Jean-Marie Delley, Forunat Diener, Leon Farhi Neto / Espaço Z, Isabel Gnacarini, Beata Godenzi-Rasmussen, Pietro Godenzi, Nuno, Thierry Payet, Gigi Reusch, SERBECO, Tilu.