Les Cahiers de la justice

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Les Cahiers de la justice
Les Cahiers de la justice - 2011/4
LE JUGE DES LIBERTES ET DE LA DETENTION
« Entre présent et avenir »1
Résumé
Alors que l’essor des pouvoirs du juge des libertés et de la détention s’impose progressivement,
irriguant des domaines les plus divers, l’institution confirme sa fonction malléable au service d’une
quête pérenne : la protection des libertés, l’équilibre de l’avant-procès. La présente étude propose
de mettre en exergue certains paradoxes structurels et présente le juge des libertés et de la
détention comme la trame embryonnaire d’un renouveau possible de la phase préparatoire du
procès.
1
Le titre fait écho à la thèse de Mme M.-L. RASSAT, Le Ministère public, entre son passé et son avenir, LGDJ,
1967.
1
Le juge, « des libertés », et de la « détention ». A l’oxymore de son appellation répond
l’ambivalence de l’institution dans le système judiciaire français. Créée par la loi du 15 juin
2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes2,
l’institution n’a à l’origine d’autre vocation que d’offrir un nouveau contrôle afin de remédier
à l’usage excessif de la détention provisoire. Magistrat d’expérience, ayant rang de président,
de premier vice-président ou de vice-président, le juge est également sollicité dès lors qu’une
mesure attentatoire aux libertés individuelles se trouve en jeu, dans le cadre de mesures
d’investigation notamment. Réforme ambitieuse certes, et pourtant on perçoit aujourd’hui un
certain scepticisme : à travers la mise en pratique d’une telle institution, mais également
l’envergure incertaine que la loi lui confère. Au rythme des louvoiements du législateur,
l’institution perd peu à peu de sa propre identité, s’exposant aux saillies de ses détracteurs. A
défaut d’un rôle clairement établi, le législateur ouvre la porte à une « polyvalence » du juge,
dont le curseur de compétences se déplace au gré des nécessités et enjeux poursuivis. Pris
dans le « tourbillon de la réforme »3, le législateur ajoute, retranche, modifie, pour finalement
détricoter les mailles du travail réalisé en l’an 2000 par les parlementaires. L’objectif est à
chaque fois le même : renforcer l’efficacité des investigations tout en assurant la protection
des droits de la défense. De nouvelles fenêtres procédurales s’ouvrent, tandis que le
législateur s’interroge sur le rôle des acteurs judiciaires. Précisément, le juge des libertés et de
la détention se distingue à ses yeux comme un atout processuel, au cœur même de cette
constellation d’intérêts. Sans liesse excessive, l’action du magistrat gagne alors du terrain,
s’immisçant entre le juge d’instruction et le procureur de la République. Un trinôme nouveau
se met en place, au fil des compétences que le législateur essaime. Pour quelle cohérence ? La
difficulté reste en effet que ces compétences, transversales, peinent à trouver une certaine
unité. Initialement garde-fou de l’équation processuelle suggérée par le juge d’instruction et le
ministère public, le magistrat devient le témoin de son propre paradoxe : instauré pour pallier
les dérives de la procédure, il connaît à son tour ses propres égarements. Notre projet est
d’analyser du point de vue des textes, le décalage entre l’ambition affichée dans les reformes
et les stratégies poursuivies. e cibler, d’un point de vue davantage universitaire, le décalage
certain entre l’ambition poursuivie d’une telle institution et la dérive progressive de ses
pouvoirs et de sa fonction. Caution judiciaire de la détention provisoire mais également des
procédures d’enquête ? Figure de Protée, juge de l’habeus corpus ? L’antinomie même des
2
3
Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000.
J. DANET, Justice pénale, le tournant, Gallimard, Folio actuel, 2006, p. 12
2
libertés et de la détention révèle l’ambiguïté structurelle de l’institution, erratique, presque
amovible selon la politique criminelle attendue (I). La difficulté se souligne avec d’autant
plus d’acuité qu’elle est consubstantielle à d’autres mutations : l’inexorable progression du
ministère public et, par effet de miroir, l’érosion de la figure du juge instruction. Le juge des
libertés et de la détention devient alors le cobaye d’une tentation organique qui conduit,
lentement, à se diriger vers la suppression du magistrat instructeur. Faisceaux d’évolutions,
réformes sans ambages, le magistrat se meut au gré de multiples dissensions, politiques,
médiatiques, judiciaires. Quel est ainsi son véritable rôle ? Alors que le juge semble détenir
dans ses mains les germes d’une évolution, faut-il repenser la place du magistrat du siège au
cœur de la phase préparatoire du procès ? C’est là tout l’intérêt de la présente étude, que de
révéler l’incertitude qui s’offre au juge des libertés et de la détention : quant à son avenir et à
sa place, en accord avec les autres acteurs du procès (II).
I – UNE AMBIGUITE STRUCTURELLE
Electron de l’enquête et de l’instruction, le juge gravite autour de ces cadres processuels afin
de disséminer son regard, tiers et indépendant, dès que l’enjeu d’une liberté le justifie : qu’il
s’agisse de la détention provisoire (A) ou de mesures intrusives. Or, derrière le truisme de la
nécessité d’un contrôle judiciaire se cache souvent l’opportunité pour le législateur
d’introduire de nouvelles atteintes. Le juge dévoile alors son propre revers, pris dans les
mailles de divers paradoxes. Hier au service de la liberté, il devient caution de la coercition
(B).
A - Le contrôle de la détention provisoire ou la recherche d’un « double regard »
L’institution créée participe résolument d’une judiciarisation du placement en détention
provisoire, dit ab initio (1). L’envers de ce décor tient toutefois à l’absence de contrôle
effectif sur le suivi de la mesure prononcée. A force de juxtaposer pouvoirs et institutions
concurrentes, le juge se perd dans les méandres de la procédure, pour servir son propre
paradoxe : celui d’une complexité croissante, à rebours de l’objectif initialement recherché
(2).
1 - Le contrôle du placement ab initio en détention provisoire
Privé de tout monopole, le juge d’instruction doit désormais saisir le juge des libertés et de la
détention dès lors qu’il envisage une mesure de placement en détention provisoire. Alors que
3
ce tandem se met en place, la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », introduit un nouveau
rapport de force en permettant au procureur de la République, pour les infractions les plus
graves, et sous conditions, de saisir le magistrat lorsque le juge d’instruction refuse de
satisfaire sa demande. Ce pouvoir concurrence ainsi directement la décision du juge
d’instruction, apportant un « strabisme »4 dans le regard porté sur la détention. En tout état de
cause, la mise en place de ces regards croisés passe par un faisceau commun : l’organisation
d’un débat contradictoire, renforcé depuis l’affirmation par la loi du 5 mars 20075 de
l’assistance obligatoire de l’avocat, et de la publicité de la procédure6. Outre les motifs précis
de détention7, le juge doit démontrer le caractère subsidiaire de la mesure et se référer, depuis
2007, aux circonstances précises de la procédure8. Tout converge ainsi pour assurer l’échange
contradictoire des arguments des différents acteurs du procès, de la saisine du juge jusqu’à sa
décision. Le juge des libertés et de la détention offre précisément l’impulsion nécessaire pour
poursuivre cette ambition : il devient l’outil de cette protection. L’analyse du système
procédural révèle, pourtant, une entreprise en demi-teinte, menée par un législateur réticent à
octroyer à cette institution un contrôle accru du contentieux de la détention provisoire.
2 - Le contrôle a posteriori de la détention provisoire ou l’asphyxie de la procédure
A l’objectif premier de démontrer la judiciarisation du contentieux de la détention provisoire,
par la mise en place d’un double regard, se substitue le revers de cette analyse : celui
d’œillères procédurales oeuvrant pour une compétence canalisée du juge. Alors que le juge
des libertés et de la détention est érigé en maître de la procédure de placement ab initio, aucun
rôle subséquent ne lui est en effet conféré dans le suivi de la mesure ordonnée. Le magistrat
se trouve privé d’un pouvoir d’auto-saisine, de sorte que son intervention aux fins de
prolongation de la mesure de détention demeure soumise au choix discrétionnaire du juge
d’instruction9. Plus encore, le magistrat se trouve purement et simplement évincé de la
procédure lorsqu’il s’agit de prolonger la détention au-delà de l’ordonnance de clôture de
l’information10. La même logique est à déplorer s’agissant de la mise en liberté du détenu,
puisque le juge d’instruction conserve le pouvoir d’ordonner seul l’élargissement de
4
B. de LAMY, « Le juge des libertés et de la détention : un trompe- l’œil ? », Dr. pén. 2007, n° 9, ét. n° 13.
Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007, tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.
6
C. proc. pén., art. 145.
7
C. proc. pén., art. 144. La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 modifie le dispositif, en supprimant en matière
correctionnelle la référence au critère, contesté, du trouble causé à l’ordre public.
8
C. proc. pén., art. 137 et 144.
9
C. proc. pén., art. 137-1.
10
C. proc. pén., art. 464-1, 465, 471 et 512.
5
4
l’individu11. Le juge des libertés et de la détention n’intervient qu’à titre subsidiaire, en cas de
refus du juge d’instruction d’un tel choix. Le magistrat doit également faire face à l’immixtion
croissante de la chambre de l’instruction. Seule compétente, depuis la loi du 9 septembre
200212, pour prolonger une mesure de détention provisoire de façon exceptionnelle13, la
juridiction bénéficie en outre, depuis la loi du 9 mars 200414, d’un pouvoir unilatéral de mise
en liberté15. Elle peut également se saisir du contentieux lorsque le juge des libertés et de la
détention n’a pas statué dans le délai imparti16. Enfin, l’audience de contrôle, créée par la loi
du 5 mars 200717, permet à la chambre de se saisir de « l’ensemble de la procédure »18 et
d’ordonner à cette occasion la mise en liberté du prévenu. Privé d’un regard pertinent sur
l’évolution d’une mesure qu’il a pourtant ordonnée, le juge des libertés et de la détention
semble se réduire à celle d’une « caution » exigée lors du placement ab initio en détention.
Enfermé dans un carcan processuel, le magistrat doit encore composer avec une procédure
d’une complexité accrue, qui contraste avec le caractère accessoire de sa fonction.
L’amoncellement des lois de procédure représente moins un renfort légal qu’un sérieux
vecteur d’incohérences et de confusions. La création du référé-détention en est un parfait
exemple. Créé par la loi du 9 septembre 2002, ce mécanisme permet au procureur de la
république de s’opposer à une décision de mise en liberté19. Or, à force d’introduire de
nouveaux recours sans élaguer les dispositifs préexistants et pouvoirs concurrents, la
stratification des dispositions législatives engendre des interférences néfastes. En pratique,
lorsque le juge d’instruction refuse l’idée d’un placement en détention provisoire, le procureur
peut choisir de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins d’un tel placement20. Le
juge d’instruction peut alors contrecarrer ce choix, en décidant d’office la liberté de la
personne le lendemain même de sa mise en détention. Mais rien n’interdit au procureur d’user
alors de la procédure de référé-détention. Procédures et décisions font et se défont, au
détriment du détenu comme du juge des libertés et de la détention, pris dans les pièces de ce
canevas procédural. Le juge devient ; enfin, le témoin de disparités d’exigences procédurales
11
C. proc. pén., art. 147 et 148, al. 1.
Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, d’orientation et de programme pour la justice.
13
C. proc. pén., art. 145-1 et 145-2.
14
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
15
C. proc. pén., art. 201, al. 2.
16
C. proc. pén., art. 148, al. 5. Ce délai est de trois jours ouvrables.
17
Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007, précit.
18
C. proc. pén., art. 221-3. Cela est possie à l’issue d’un délai de trois mois depuis le placement en détention, si
nul d’avis de fin d’information n’a été délivré.
19
Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, précit. ; C. proc. pén., art. 187-1.
20
C. proc. pén., art. 137-4 (v. supra, note n° 4).
12
5
au-delà du placement ab initio en détention. Ainsi, la présence de l’avocat au débat
contradictoire n’est que facultative lorsque se pose la question de la prolongation de la
mesure. Plus encore, nul débat n’est prévu dans le cadre d’une demande de mise en liberté. Le
juge intervient pourtant à titre subsidiaire pour résoudre un conflit : on l’érige alors en arbitre
d’un désaccord, sans lui offrir la tribune nécessaire21. Non spécialisé, le magistrat, se heurte,
par ailleurs, à une accumulation nuisible de dispositions indigestes : que l’on songe par
exemple à la multiplication des délais « butoir », souvent illusoires, et de leurs exceptions22.
En cherchant à améliorer les garanties judiciaires sans procéder au nivellement des
procédures, le législateur occasionne ainsi un effet d’« éclatement » de la procédure pénale23,
où se mêlent et s’entremêlent dispositions éparses, où s’agrègent et se désagrègent pouvoirs
judiciaires. Face à ces inconstances, le juge peine à s’extirper du creuset processuel : les
tâtonnements infructueux d’un législateur prolixe n’ont alors d’autre conséquence que
d’engendrer une illisibilité du contentieux de la détention provisoire. L’ambiguïté structurelle
du juge des libertés et de la détention tient encore à une évolution parallèle, qui consiste à
saisir l’opportunité d’un contrôle de cette institution pour repousser les limites de la
coercition.
B - De la protection des libertés à la caution de nouvelles atteintes
Progressivement, sporadiquement, le législateur définit de nouvelles occurrences de contrôle,
érigeant le magistrat en un juge de la légalité des mesures d’enquête attentatoires aux
libertés (1). La particularité de cette évolution tient au rayonnement de la compétence de cette
institution, qui n’est plus exclusive de la matière pénale (2).
1 - Le contrôle accru des atteintes aux libertés individuelles
Happé par les exigences de protection des droits de la défense, le juge s’impose comme le
cavalier émérite des libertés, suscitant, générant, provoquant l’édiction d’un arsenal de
garanties procédurales. Sous l’étendard des libertés, se mettent en place des procédures, toutes
guidées par un souci d’impartialité et de rigueur juridique. Or, à la volonté de renforcer la
protection des libertés semble se substituer celle de lutter contre de nouvelles formes de
21
La procédure a toutefois été approuvée par le Conseil constitutionnel, se fondant sur la possibilité pour la
personne détenue de formuler plusieurs demandes de mise en liberté (cf. Cons. Const., déc. n° 2010-62 QPC, 17
décembre 2010, M. David M.).
22
C. proc. pén., art. 145-1.
23
T. POTASZKIN, L’éclatement de la procédure pénale, thèse, Toulouse, 2009.
6
criminalités. Le magistrat représente l’instrument idéal, permettant de repousser les limites de
la coercition dans le cadre des enquêtes. L’institution revêt alors un nouveau visage, qui
trouve son reflet non plus dans l’action du juge d’instruction, mais dans les pouvoirs du
procureur de la République. Un an seulement après la loi du 15 juin 2000, la loi du 15
novembre 200124 amorce le point de départ d’une évolution continue et rythmée : 2002, 2003,
2004, 200725, plus récemment 201126. La doctrine s’empare quant à elle de spasmes
sécuritaires, contribuant à alimenter la recrudescence d’impératifs nouveaux27. La loi du 9
mars 200428 marque résolument un tournant, autorisant, sous le contrôle du juge, des
perquisitions sans consentement de la personne dans le cadre d’une enquête préliminaire29.
Perquisitions
professionnelles30,
droit
de
réquisitions
informatiques31,
pouvoir
de
32
surveillances téléphoniques lors d’une enquête de flagrance sont autant d’intrusions
permises sous couvert d’un contrôle du magistrat. Le juge s’impose également, depuis la loi
du 9 juillet 201033, pour contrôler les saisies « spéciales », visant les immeubles, les biens
mobiliers incorporels, les entiers patrimoines. Enfin, la loi du 14 mars 201134, offre de
nouvelles dérogations, comme en matière de prélèvements génétiques35, ou de
vidéoprotection36. Mais c’est surtout la lutte contre la criminalité organisée qui atteste d’une
telle évolution. On songe ici à la mesure de garde à vue, dont les délais de prolongation
peuvent être allongés, ou l’intervention de l’avocat différée, depuis la loi du 14 avril 201137,
sous le contrôle du juge. La procédure se pare de dérogations contagieuses, qui, sans ce
magistrat, se seraient vite heurtées aux principes de légalité et de judiciarité : qu’il s’agisse
24
Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité intérieure.
A l’appui de cette évolution peuvent être mentionnées les lois n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, n° 2003239 du 18 mars 2003, n° 2004-204 du 9 mars 2004, n° 2007-291 du 5 mars 2007.
26
Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité
intérieure.
27
V. not. : Ph. ROBERT, « Ordre, insécurité, liberté : les incertitudes de la procédure pénale », in La procédure
pénale en quête de cohérence, Sous l’égide de la Cour de cassation, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007,
p. 37 ; D. THOMAS, « L'évolution de la procédure pénale contemporaine : la tentation sécuritaire », in Le
champ pénal, Mélanges en l’honneur de Reynald Ottenhof, Dalloz, 2006, p. 53 ; J. DANET, « La justice pénale
face aux exigences de sécurité et de liberté », in La justice, réformes et enjeux, La Documentation française,
Cahiers français, 2006, n° 334, p. 9 et, du même auteur, « Le droit pénal et la procédure pénale sous le
paradigme de l'insécurité », Arch. pol. crim. 2003, n° 25, p. 37.
28
Loi n° 2004-204, précit.
29
C. proc. pén., art. 76.
30
C. proc. pén., art. 56-1.
31
C. proc. pén., art. 77-1-2.
32
C. proc. pén., art. 74-2, al. 2 et 3.
33
Loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
34
Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, précit.
35
C. civ., art. 16-11.
36
La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 modifie l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et
de programmation relative à la sécurité.
37
Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue.
25
7
des mesures de surveillance téléphonique38 dans le cadre d’une enquête cette fois
préliminaire, de perquisitions dérogatoires39 ou encore de sonorisations et fixations d’images40
et de captation des données informatiques41. La distinction entre l’enquête préliminaire et de
flagrance s’estompe, tandis que certaines mesures d’investigation ne sont désormais plus
exclusives de l’instruction préparatoire. Fantassin du procès, malléable et flexible, le juge se
meut alors au gré des nécessités et enjeux du moment. La difficulté reste que, sous l’angle des
conditions légales, la définition de ce contrôle s’avère insuffisante. Caution ou alibi, le juge
des libertés et de la détention devient l’emblème d’un contrôle a minima : juge de
l’autorisation, de l’exception, au rôle émollient de compensation judiciaire. La procédure
pénale se modèle alors sous le joug de ces pérégrinations : hier au service des libertés,
aujourd’hui de l’efficacité et de la sécurité. Signe de prochaines mutations, le contrôle de cette
institution gagne, en parallèle, une série de contentieux externes au champ pénal, comme une
mise en abyme de l’essor global du magistrat judiciaire : justifié par la seule protection des
libertés individuelles, mais gageur d’une illisibilité du système.
2 - Le contrôle du juge étendu à d’autres contentieux
Qu’il s’agisse des
visites et saisies administratives en matière fiscale42, en droit de la
concurrence43, de la consommation44, de la santé publique45, etc., le juge représente désormais
l’autorité inéluctable de contrôle judiciaire. Deux contentieux sont particulièrement
symptomatiques de cette évolution : le Droit des étrangers ; l’hospitalisation sans
consentement. Dans le premier cas, le juge intervient pour prolonger la mesure de rétention
ou de maintien en zone d’attente des étrangers46. Dans le second, il se trouve chargé
d’ordonner la mainlevée de l’hospitalisation47, mais également d’en contrôler la nécessité
depuis la loi n° 2011-803 du 5 juillet 201148. L’ambiguïté dénoncée est alors celle du
38
C. proc. pén., art. 706-95.
C. proc. pén., art. 706-89.
40
C. proc. pén., art. 706-96 à 706-102.
41
C. proc. pén., art. 706-102-1 s.
42
LPF, art. 16B.
43
C. com., art. L450-4.
44
C. consom., art. L215-3.
45
C. santé publ., art. L5411-3.
46
Ceseda, art. L552-1 s. ; art. L222-1.
47
C. santé publ., art. L3211-12.
48
C. santé publ., art. L3211-12 et L3211-12-1.
39
8
dualisme juridictionnel. Les sanctions de la Cour de Strasbourg49et des Sages50 sonnent
doucereusement comme une mise en garde contre cet imbroglio. La propension des pouvoirs
publics à puiser dans le juge des libertés le remède à toute « carence judiciaire » doit en effet
servir à s’interroger sur l’étoffe ainsi confectionnée du magistrat, contraint de déployer ses
savoirs dans des domaines éclectiques. Elle invite surtout à une uniformisation des
contentieux, au bénéfice du juge judiciaire51. Qu’il s’agisse de la recherche de la vérité et de
la détection d’infractions, ou de l’édiction de droits adéquats dans le cadre d’une privation de
liberté, c’est précisément ce parallèle avec le champ pénal qui permet d’élever la finalité
transversale du juge des libertés et de la détention : garantir la protection des libertés, par-delà
les différents contentieux.
Onze ans après sa création, l’institution du juge des libertés et de la détention s’envisage en
définitive comme la résultante directe d’oscillations, entre une ambition législative prolixe et
la réserve liée à une certaine tradition inquisitoriale. Sans condamner inexorablement les
revers de quelques incohérences, l’institution offre, en réalité, une impulsion devancière.
L’exploration de ses pouvoirs divers révèle ainsi sa fonction malléable, s’éloignant de ses
origines, pour mieux anticiper l’avenir. La procédure pénale recèlerait-elle l’antidote de ses
propres travers ? En lévitation, l’institution paraît s’imposer comme la trame embryonnaire
d’une procédure (dé) passée et d’un procès futur.
II - UN AVENIR INCERTAIN
Après l’effusion des premières heures liée à l’effet novateur, le juge des libertés et de la
détention se heurte aujourd’hui à une indifférence acerbe ou à la somnolente digestion des
réformes. Tiraillé entre l’accumulation de compétences éparses et la retenue législative dont il
fait l’objet, le magistrat incarne à lui seul l’aporie de la réflexion des pouvoirs publics au
cours de ces dernières années. Tantôt sollicité, tantôt discrédité, son rôle se situe désormais
aux confins de la question plus large de l’évolution de la procédure pénale. La difficulté est
alors la suivante : quel rôle lui accorder au sein d’une éventuelle refonte ? Sous le regard
49
CEDH, 18 novembre 2010, req. n° 35935/03, Baudouin c/ France ; AJ pén. 2011, p. 144, obs.
E. PECHILLON ; JCP G 2011, n° 7, comm. n° 189, p. 325, note K. GRABARCZYK.
50
Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC, 26 novembre 2010 ; Constitutions 2011, p. 108, note X. BIOY ; RDSS
2011, p. 304, note O. RENAUDIE ; JCP G 2011, n° 7, comm. n° 189, p. 325, note G. GRABARCZYK.
51
Les lois n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, et n° 2011803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et
aux modalités de leur prise en charge, confirment un rôle accru du juge judiciaire.
9
acéré d’observateurs résignés, son avenir n’apparaît guère prometteur. Cheval de Troie de l’an
2000, le cavalier émérite peine à s’identifier. A la croisée des chemins, son essor apparaît,
pourtant, inéluctable : soit qu’il s’affirme, a minima, au sein du procès pénal grâce à la
revalorisation de sa fonction (A), soit qu’il se place au sein d’une dynamique plus vaste de
refonte institutionnelle, posant en filigrane la question du maintien du juge d’instruction (B).
A - Le choix d’une réforme fonctionnelle
Au regard de l’essor constaté des pouvoirs du juge, la spécialisation de sa fonction s’impose
d’une manière presque évidente (1). Priorité doit désormais être donnée à l’affirmation de son
autorité dans le processus de décision (2).
1 - Le choix d’une spécialisation professionnelle
Depuis la loi du 9 mars 2004, tout président, premier vice-président ou vice-président, mais
également, en cas d’empêchement, le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le plus
élevé peut exercer ces fonctions, en parallèle de son office52. Les incidences pratiques sont de
taille et le paradoxe latent : l’absence de spécialisation conduit à se satisfaire du recrutement
de magistrats peu aguerris à la matière pénale. Au quotidien, la réalité vécue par les
professionnels suscite des sentiments nuancés : rôle annexe et déprécié, interventions
ponctuelles, missions dépourvues d’intérêt intellectuel, les critiques sont sévères. Diverses
études révèlent par ailleurs des fonctionnements aléatoires de ce service. La valse des juges
affecte alors la lisibilité et à la stabilité de la fonction, dont l’exercice dépend étroitement de la
répartition de la carte judiciaire et de la politique de chaque juridiction. La voie de la
spécialisation suppose de se diriger vers une permanence de la profession, résultant d’une
formation adaptée. Le passage par un apprentissage, technique, déontologique et réactualisé
au gré des évolutions législatives, permettrait d’aiguiser la compétence du magistrat. L’enjeu
d’une telle spécialisation se mesure en termes de garanties d’une bonne justice, mais
également de légitimation et d’identification de la profession au sein de l’appareil judiciaire.
52
C. proc. pén., art. 137-1.
10
A cette spécialisation doit s’ajouter la redéfinition d’un espace matériel et temporel53. Le
rapport élaboré par la Mission chargée d’évaluer les dysfonctionnements de l’affaire
d’Outreau souligne ainsi les difficultés rencontrées
54
: d’un côté, nul délai minimal n’est
accordé au juge pour prendre connaissance du dossier ; de l’autre, des horaires tardifs et un
contexte d’urgence pressent sa réponse. Le circuit se referme : il n’a, par précaution, d’autre
alternative que de conforter la position du juge d’instruction. Matériellement, cela suppose
d’améliorer à tous égards la qualité des moyens mis à disposition : un greffier autonome, la
reproduction facilitée des pièces de procédure, sont autant d’améliorations concrètes qui
permettraient de remédier aux écueils constatés. L’émancipation du juge ne peut cependant se
réduire à l’affirmation d’un statut protecteur et à l’octroi de moyens adéquats. Le magistrat
doit encore conquérir une certaine légitimité de décision.
2 - Le renfort de l’autorité du juge des libertés et de la détention
« Béni oui-oui ou Terminator ? »55 Telle est l’interrogation posée, non sans provocation, au
sujet de la propension du juge à avaliser les demandes dont il est saisi, ou au contraire à s’en
affranchir. Loin d’être reconnu par ses pairs, non identifié sur un plan notamment médiatique,
le magistrat s’efface encore derrière l’institution du juge d’instruction. La façon dont la presse
se gargarise d’ailleurs souvent des erreurs du magistrat instructeur est particulièrement
révélatrice de cette indifférence, et le juge des libertés échappe alors à la responsabilité de
décisions qui sont pourtant, en principe, de son propre ressort. Qu’il indiffère ou qu’il agace,
le magistrat perd en tout état de cause de sa crédibilité. D’un côté, la baisse du recours à la
détention provisoire échappe à une réelle influence de sa part56. De l’autre, l’institution se
retrouve directement responsable de certaines hausses du recours à ladite mesure57. Face à un
dossier qu’il ne maîtrise pas, un débat d’envergure limitée, des avocats fuyants, le magistrat
53
V. not. : IGSJ, op. cit., p. 14 s. ; IGSJ, Ch. RAYSSEGUIER, Conditions du traitement judiciaire de l’affaire
dite « d’Outreau », La Documentation française, mai 2006, p. 108 . J.-Cl. MAGENDIE (prés.), Rapport de la
Mission Magendie, Célérité et qualité de la Justice, la gestion du temps dans le procès, La Documentation
française, juin 2004, p. 116 s.
54
Ass. nat., A. VALLINI et Ph. HOUILLON, Rapport au nom de la Commission d’enquête chargée de
rechercher les causes et les dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des
propositions pour éviter leur renouvellement, n° 3125, 6 juin 2006, p. 267.
55
L’expression est évoquée par MM B. LAVIELLE et F. LEBUR, in « Le juge des libertés et de la détention :
béni-oui-oui ou terminator ? », Gaz. Pal., 27-28 juillet 2001, II, doctr. p. 1168.
56
En ce sens, v. Ministère de la Justice et des Libertés, Annuaire statistique de la Justice, éd. 2009-2010,
p. 123 ; Ministère de la Justice et des Libertés, Rapport de la Commission de suivi de la détention provisoire,
juin 2004, p. 23 : « la création du juge des libertés et de la détention n’a pas rendu moins fréquent le recours à
la détention provisoire dès lors que le juge d’instruction est saisi ».
57
Ibid.
11
devient spectateur de son propre débat. L’outrecuidance de ce désaveu n’empêche toutefois
nullement d’y remédier : c’est ici la suggestion d’une rupture fonctionnelle, consistant
véritablement à améliorer, plus que transfigurer, le rôle de ce juge. Dans le cadre de la
détention provisoire, il est alors permis de proposer une symétrie procédurale entre le
placement ab initio, la prolongation de la mesure et la décision de mise en liberté, mettant un
terme à la tutelle législative du juge d’instruction58. L’assignation à résidence avec
surveillance électronique, le contrôle judiciaire, mais également la garde à vue59,
bénéficieraient de cette même logique. Il s’agirait ensuite d’élargir le périmètre de sa
décision : à défaut de pouvoir aborder le fond du dossier, le sort du détenu se révèle
subordonné à l’éthique professionnelle du juge, qui prend le risque, ou non, de s’extirper du
cadre processuel imposé60. Le résultat est celui de décisions souvent polémiques, cliniques,
qui sont autant de coups portés à la crédibilité de la justice pénale. Enfin, il s’agirait de
revaloriser le débat contradictoire, en l’imposant dans le cadre d’une demande de liberté, ainsi
qu’à échéances régulières à l’occasion d’un réexamen du bien-fondé de la détention, comme
c’est le cas par exemple en Allemagne61. Face aux écueils de la procédure pénale, le
raisonnement premier est ainsi de déceler les failles d’un système pour mieux les combler, au
nom d’une foi certaine en nos institutions. A l’opposé, le second est de glisser vers d’autres
perspectives, en cédant à une nouvelle architecture processuelle. N’en déplaise à ses
contempteurs, le juge des libertés et de la détention ne paraît guère pour autant voué à
sombrer en terre abyssale. La singularité de son rôle et l’expansion de ses compétences lui
offrent au contraire la mesure de s’imposer au cœur de cette refonte, plus encore, d’en
endiguer les dérives.
B - Les dérives d’une réforme institutionnelle
59
Après une proposition émise par la Commission des lois de l’Assemblée nationale au cours des débats menés à
propos de la loi relative à la garde à vue n° 2011-392 du 14 avril 2011 (cf. Ass. nat., Projet de loi relatif à la
garde à vue, présenté par M. F. FILLON et Mme M. ALLIOT-MARIE, n° 2855, 13 octobre 2010, amendement
CL 108), l’idée de confier le pouvoir de prolonger la garde à vue au juge des libertés et de la détention est
finalement abandonnée. Le procureur de la République demeure donc en l’état compétent.
60
La Mission chargée d’évaluer les dysfonctionnement de l’affaire d’Outreau décrit ainsi une décision « sur le fil
du rasoir » (cf. IGSJ, Ch. RAYSSEGUIER, Conditions du traitement judiciaire de l’affaire dite « d’Outreau »,
précit.), p. 104.
61
Pour une étude du dispositif, v. Sénat, Les droits du justiciable et la détention provisoire, Série : Etude de
législation comparée, n° 140, novembre 2004, et L’instruction des affaires pénale, Série : Etude de législation
comparée, n° LC 195, mars 2009, disponibles sur le site www.senat.fr.
12
Le débat qui attise nos institutions conduit à se laisser tenter par un nouveau modèle de
l’avant-procès, confiant l’intégralité des investigations au ministère public, sous le contrôle
d’un juge, à l’instar des modèles de Droit allemand et italien62. Or, que l’on cède ou non à ces
velléités, l’essor du juge des libertés et de la détention paraît inéluctable63. A supposer que le
juge d’instruction soit supprimé, le magistrat représente le contrepoids nécessaire aux
pouvoirs du ministère public (1). Le déséquilibre du procès suscité par une telle équation
invite cependant à privilégier une autre direction, plaçant le juge des libertés et de la détention
au cœur d’un contrôle des investigations (2).
1 - La suppression de l’instruction : le contrôle nécessaire de l’enquête par le juge du siège
La tentation n’est guère nouvelle. Tel fut le cheval de bataille de H. Donnedieu de Vabres,
précurseur en 1949 de cette proposition64, et de la Commission Justice pénale et Droits de
l’Homme65. L’ultime tentative résulte du projet de réforme du Code de procédure pénale,
élaboré en 201066. Selon un tel schéma, la garantie d’une procédure indépendante réside dans
la reconnaissance d’un contrôle accru du magistrat du siège, que pourrait être le juge des
libertés et de la détention. Or, si tentante soit-elle, l’équation ainsi suggérée recommande une
vigilance accrue. La critique essentielle tient à l’indépendance du ministère public, à l’aune
des exigences européennes.. La défense se retrouverait face à l’institution de poursuite et
d’enquête, au détriment d’un certain équilibre. D’une part, les parties ne bénéficieraient
jamais de moyens d’enquête aussi intrusifs que ceux dévolus au parquet. D’autre part, le
recours par le justiciable à des moyens privés varierait, de la sorte, en fonction de ses
ressources, loin d’un idéal égalitaire. Enfin, l’indépendance du juge suffirait-elle à éviter le
risque d’une simple chambre d’enregistrement des choix du procureur ? Le juge des libertés et
de la détention, né sous d’ambitieux auspices d’une procédure équitable, deviendrait
62
Ces systèmes sont dotés d’un juge tiers contrôleur de la légalité des investigations : Le juge de l’enquête, « der
Ermittlungsrichter », et le juge des investigations préliminaires, « Giudice per le indagini preliminari ».
63
En ce sens, v. T. MEINDL, « Les implications constitutionnelles de la suppression du juge d’instruction »,
Rev. sc. crim. 2010, p. 395.
64
H. DONNEDIEU de VABRES, « La réforme de l’instruction préparatoire », Rev. sc. crim. 1949, p. 499.
65
DELMAS-MARTY Mireille (prés.), Commission Justice pénale et Droits de l’Homme, La mise en état des
affaires pénales, La Documentation française, 1991.
66
Ministère de la Justice et des Libertés, Avant-projet du futur Code de procédure pénale, soumis à concertation,
1er mars 2010, disponible sur le site www.justice.gouv.fr. Pour une présentation complète des évolutions
proposées, v. « L’avant-projet de réforme du Code de procédure pénale », dossier spécial, AJ pén. 2010, p. 162
s., not. V. MALABAT, « L'avant-projet du futur code de procédure pénale : refonte, simplification ou confusion
des phases de la procédure pénale ? », ibid., p. 162.
13
paradoxalement l’instrument de sa propre digression. Une autre direction paraît pouvoir
s’envisager.
2 - Le maintien de l’instruction : le JLD, pivot de la phase préparatoire du procès
La question n’est pas tant de transposer les reproches liés à la fonction de l’instruction sur la
tête d’une autre institution, que de chercher les moyens de contrôler les pouvoirs de l’autorité
d’investigation. Le curseur d’une éventuelle réforme se déplace alors vers la nécessité de
contrôler les différentes étapes qui jalonnent la phase préparatoire du procès : l’ouverture
d’une instruction, la mise en examen, l’accès au dossier, les demandes d’actes, le contrôle des
mesures attentatoires aux libertés, voire la clôture de l’information. C’est en somme un jeu de
mécanique judiciaire qu’il convient de résoudre, en définissant le positionnement de trois
institutions : le parquet, le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention.
Précisément, en offrant à ce dernier un pouvoir de contrôle adéquat à la finalité de son rôle, on
s’approcherait de l’équilibre attendu, d’un juge surplombant l’enquête, lato sensu, pour
garantir la légalité des mesures d’investigation. Cela supposerait de redéfinir le contrôle du
juge, en exigeant systématiquement une autorisation du juge, un contrôle en temps réel de
l’opération, puis a posteriori, afin d’en contester la légalité. En offrant une grille de lecture
unifiée des actes de l’enquête et de l’instruction, on favorise la lisibilité de la procédure mais
également l’identification du rôle du juge des libertés et de la détention au sein de l’avantprocès. Pour autant, le but n’est pas d’aboutir à une paralysie des investigations. Il est alors
possible de nuancer le rôle du juge, en se contentant d’un contrôle a posteriori dans le cadre
d’une instruction, permettant de contester la légalité des mesures intrusives. L’étude conduit
ainsi à élever l’idée d’un magistrat tiers à la procédure, non pas inquisitoire, non plus
accusatoire, mais contradictoire, par-delà les différents cadres processuels. Ce serait alors
toute la spécificité française, que de bénéficier d’une procédure d’enquête sous contrôle
judiciaire, et d’une « instruction dans l’instruction », grâce au contrôle du juge par un autre
magistrat du siège. Le juge des libertés et de la détention pose les sédiments d’une telle
transmutation, seuls un renfort et une spécialisation de ses fonctions permettraient, alors, de
tisser la toile de fond d’une nouvelle phase préalable au procès.
***
14
A la question de l’avenir du juge des libertés et de la détention répondent ainsi de probables
mutations de la procédure pénale. L’ampleur de la réflexion menée au cours de ces dernières
années ne doit pas rester vaine. Bien au contraire, elle permet d’élever la question de la place
du magistrat du siège au sein de la phase préparatoire du procès pénal pour mieux prôner
l’idée d’une résurgence, précisément du juge des libertés et de la détention. Loin d’être
antinomique, la réforme peut alors être fonctionnelle et institutionnelle. Dit autrement, à la
refonte, préférer le renfort de nos institutions.
NDLR
La rédaction invite les lecteurs de cet article de la rubrique « Justice en situation »
-,
notamment les professionnels concernés, à engager le dialogue avec l’ auteur dans le cadre de
son prochain numéro.
15

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