Les islamistes marocains - Université catholique de Louvain

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Les islamistes marocains - Université catholique de Louvain
Recherches sociologiques et anthropologiques 2006/2
J.-F. Clément: 37-50
Les islamistes marocains :
réseaux locaux ou mondiaux?
par Jean-François Clément *
La question des connexions internationales des mouvements islamistes marocains, dans leurs formes violentes ou non violentes, demeure posée. Les mouvements non violents, s'ils ont des partisans hors du pays, n'ont pas de financement étranger et n'obéissent pas à des décisions venues de l'extérieur. En revanche, la réponse est moins claire pour les diverses cellules qui ont envisagé
des stratégies violentes. Elles sont au nombre d'une soixantaine et ont été découvertes dans le pays depuis cinq ans. Certes, elles s'inspirent d'idées produites à l'étranger et bénéficient des quelques centaines d'hommes qui ont pu participer à des conflits violents, surtout en Afghanistan. Pour beaucoup de ces organisations, on est certain de leur caractère local. Pour d'autres, en particulier
celles qui ont été impliquées dans les attentats de Casablanca et de Madrid, les
preuves formelles d'un financement et surtout d'une chaîne de commandement
opérant depuis l'étranger sont probables, même si elles font, à l' heure actuelle,
défaut. Cette difficulté semble surtout liée au cloisonnement des organisations.
I. Introduction
Les mouvements islamistes marocains, qu'ils soient violents ou qu'ils
ne le soient pas, ont-ils une dimension internationale dans leurs idéologies
et leurs pratiques? À l'inverse, ont-ils une spécificité nationale qui fait
qu'un islamiste marocain pourra difficilement, par exemple, communiquer ou collaborer avec un islamiste algérien? Qu'en est-il pour les islamistes résidant au Maroc et pour leurs compatriotes vivant à l'étranger,
par exemple en Espagne ou en France? Les comportements des militants
diffèrent-ils selon que ceux-ci sont, ou non, nés sur place? Existe-t-il
vraiment une "Internationale islamiste" ? La question n'est pas simple car
"l'islamisme", pris comme entité homogène, n'existe tout simplement pas.
On ne peut donc parler de ces mouvements politico-religieux qu'au
pluriel. Certains d'entre eux prônent une réforme morale dans l'espoir
Jean-François Clément est chercheur, spécialiste de l'islam marocain et de la question de l'image dans
l'islam.
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d'éliminer les influences occidentales ou les pouvoirs despotiques locaux.
Pour ce faire, ils tentent de réislamiser leur environnement musulman
proche. Il se peut également qu'ils optent pour la voie du prosélytisme
afin d'islamiser les non-Musulmans et, à l'image de certains Frères musulmans égyptiens, de faire de l'Europe une "terre de mission". Ces deux
approches privilégient la non-violence même si ceux qui les adoptent
s'arrogent le droit de s'occuper de la vie "privée" d'autres Musulmans.
Dans tous les cas, les prétentions sont limitées au seul champ moral, le
champ économique étant totalement délaissé. L'effet de ces actions est de
créer des groupes de Musulmans marginalisés, ce qui rend ensuite impossible leur intégration sociale. On peut par conséquent penser que cette
non-violence produira, à terme, de la violence.
D'autres mouvements islamistes sont plus radicaux dans la mesure où
ils entendent contrôler d'autres champs que celui de la morale. Certains
veulent s'emparer du pouvoir politique suprême en utilisant le charisme
de leur chef (qui peut mobiliser, par exemple, des rêves faisant intervenir
la figure du Prophète) et en participant à des élections démocratiques.
Pour d'autres, la seule option est celle de la violence; ils n'hésitent pas à
recruter et à former des kamikazes qui participeront à des attentats suicides. Cette dernière alternative est essentiellement utilisée par des groupes
rejetant les valeurs de la démocratie et contestant l'idée même d'État de
droit puisque, selon eux, la Loi vient exclusivement de Dieu et non de
l'Homme (Sfeir/Cahiers de l'Orient, 2002).
Constater cette diversité, c'est accepter d'avance l'idée que les questions posées dans cette introduction peuvent avoir des réponses très nuancées. Certes, les islamistes ont des points communs, à commencer par leur
référentiel ultime: le Coran. D'autre part, dans tous les cas, ils se perçoivent comme formant une "élite" alternative, capable d'intervenir légitimement dans la vie, privée ou publique, des membres de l'Umma, c'est-àdire la fiction de la "communauté musulmane". Les Musulmans ordinaires
seraient ainsi, selon eux, incapables de décider par eux-mêmes. Effectivement, ce qui rend possible une telle "politique" morale, c'est précisément l'absence d'autonomie du sujet. Les islamistes s'adressent dans ce
cas à des êtres humains habitués à recevoir leurs normes de manière hétéronome. Elles peuvent en effet leur être adressées "d'en haut", théoriquement de Dieu, mais en réalité par les discours fluctuants des ûlamâ ou des
fuqah' a, ou depuis le groupe social englobant (grande famille, tribu ou
groupes plus larges). Cette hétéronomie peut d'ailleurs générer des
conflits entre les normes présentées comme étant d'origine transcendante
et celles produites localement.
Les islamistes marocains, répartis dans différentes organisations
concurrentes et ne pouvant collaborer que sur des projets ponctuels, sontils donc d'abord des Marocains ou plutôt des islamistes reliés à des segments étrangers d'organisations plus ou moins mondialisées et elles aussi
concurrentes ?
J.-F. Clément
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Avant d'aller plus loin, il importe d'être conscient que les réponses à
ces questions sont porteuses d'enjeux importants. Les islamistes sont divisés sur la question des responsabilités réelles des violences qu'on leur
attribue. Dans le cas des attentats du 11 septembre 2001, certains d'entre
eux accusent les Américains ou parfois les Juifs d'être les réels commanditaires. On les accuserait donc à tort d'avoir organisé ces attentats. Au
Maroc, plusieurs groupes islamistes affirment, à juste titre d'ailleurs, que
la plupart des personnes arrêtées après les attentats de Casablanca sont
innocentes. Il faut aussi savoir qu'à l'inverse, les islamistes arrêtés, s'ils
ne sont pas des agents doubles, peuvent être tentés d'en rajouter.
Selon le chaykh syrien Mohamed Bakri, autrefois chef du groupe
fondamentaliste britannique Al-Muhajirûn lorsqu'il était installé à Londres, les attentats de Casablanca auraient été décidés en Afghanistan par
des membres marocains d'al-Qaïda. Ils auraient obtenu l'appui de Ben
Laden et de Zawahiri. Curieusement, Zarqawi aurait été présent à cette
réunion préalable en tant que nouveau responsable des opérations d'alQaïda, remplaçant donc Abû Zubaïda, arrêté au Pakistan à Faisalabad et
Khalid Chaykh Muh'ammad, arrêté à Rawalpindi le le, mars 2003. Le
Jordanien Abû Mussab Zarqawi aurait alors obtenu des responsables d'alQaïda une somme estimée entre 50.000 et 70.000 dollars pour réaliser ces
attentats. Zarqawi aurait transmis l'argent et les ordres. La mise au point
de l'opération aurait ensuite été organisée à Istanboul autour de Mohamed
El-Garbouzi, alias Abû 'Issa, présenté comme le chef du GICM (Groupe
islamique combattant marocain) '. Un Marocain, cordonnier résidant à
Fès, qui mourra immédiatement après son arrestation, aurait été le lien
entre Zarqawi et le responsable local des attentats. Il fut fait appel à
l'artificier Said El-Housseini, d'abord en fuite, puis arrêté près de Meknès
à la mi-août 2003. C'est lui qui aurait préparé les bombes. Le sous-officier islamiste ayant mené les troupes à Casablanca, Omari, n'aurait été,
dans ce cas, qu'un des maillons d'une longue chaîne. Selon cette version,
les attentats de Casablanca auraient été réalisés dans le cadre d'une franchise régionale d'une entreprise multinationale nommée al-Qaïda, une
fois obtenus l'argent et le feu vert des cadres dirigeants suprêmes. Omari
a finalement recruté sur place les 14 kamikazes. Plusieurs points de ce
récit étaient déjà connus grâce à l'enquête menée au Maroc, mais aussi à
Malte, où une marocaine, Latifa al-Habouz, avait été interrogée. Mais aucune preuve n'a été donnée de ce qui s'est produit en amont. Et l'on ne
peut que rester prudent tant que les enquêtes de Londres et de Madrid
n'auront pas avancé.
Les responsables de l'État marocain ont aussi des idées préconçues. Le
ministre de l'Intérieur, Mustapha Sahel, dans la nuit même qui a suivi les
attentats de Casablanca, déclarait: «Ces actes sont l'œuvre d'un réseau
, On peut légitimement douter de cette information donnée par cet informateur libanais qui s'est, depuis,
réfugié à Beyroutb. Le GIeM, créé en Afghanistan en 1998, est apparu pour la première fois sur les listes
des organisations terroristes du Département d'État américain en avril 2003.
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international». Avant même toute enquête, il était donc évident que la
solution d'une cause étrangère était le choix le plus profitable, ne serait-ce
que pour bénéficier de l'aide de l'administration américaine. L'actuelle
administration néoconservatrice américaine n'a pas besoin, elle non plus,
de connaître les faits pour voir partout la main d'al-Qaïda ou d'une "Internationale islamiste". On observe donc, chez les uns et les autres, des
discours basés sur des a priori de nature idéologique et totalement
contradictoires.
Pour analyser de manière objective ces phénomènes, il importe de se
tourner vers les faits, au moins pour ce qu'on en connaît. L'histoire ancienne des mouvements islamistes marocains pourrait aussi être mise à
contribution, mais elle a été abordée par ailleurs dans plusieurs ouvrages.
Après avoir présenté rapidement l'ensemble du paysage du champ religieux marocain (ILA) ainsi que sa composante islamiste (ILB), nous
concentrerons l'analyse sur les mouvements radicaux marocains (ILC)
pour apporter des éléments de réponse à la question annoncée au début de
cette contribution.
II. L'examen des faits
A. Islam et politique au Maroc: la structuration du champ religieux
Le champ religieux global marocain est complexe (Dialmy, 2005;
Chaarani, 2004). L'islam officiel, autrefois de tendance salafiste, est géré
par des imams payés par l'État. Il contrôle environ la moitié des mosquées
existant dans le pays. Il convient cependant de nuancer cette description
en signalant que les chaires à prêcher des mosquées de l'État sont parfois
occupées par des hommes qui diffusent d'autres discours, plus radicaux
que ceux qu'ils sont censés diffuser. L'autre moitié du paysage religieux,
le secteur libre, est celui des prêcheurs entrepreneurs qui doivent, pour
vivre, fidéliser leur clientèle. Ce secteur est, pour l'essentiel, composé de
mosquées où est diffusé un islam mélangeant, souvent de manière incohérente d'un point de vue rationnel, salafisme et traditions plus ou moins
inventées. On y diffuse un discours de retour au temps idéalisé des grands
ancêtres tout en tolérant les moussems, le culte des saints et même les
pratiques de magie comme les talismans (réalisés, dans ce cas, par les responsables des mosquées eux-mêmes). Outre cette première composante,
le secteur libre est également caractérisé par un islam soufi, très présent
dans tout le pays, ainsi que par une tendance radicale disposant, le plus
souvent, de ses propres mosquées ou de simples salles de prière. C'est là
qu'officient les idéologues islamistes. Ces éléments cohabitaient jusqu'à
présent sans conflit majeur sinon, de temps à autre, le désir de certains islamistes de prendre le contrôle de mosquées du secteur libre, voire même
du secteur public.
J.-F. Clément
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B. Les groupes islamistes officiels et officieux
Les islamistes sont divisés en trois groupes qui ne cohabitent pas
facilement entre eux, quand ils ne sont pas, au moins potentiellement, ennemis les uns des autres (Senkyr, 2003). Le premier groupe est celui des
islamistes reconnus et encouragés par l'État. Ils sont intégrés dans le
champ politique, parfois même tenus en réserve pour un futur exercice du
pouvoir; c'est le cas des deux nouveaux partis islamistes qui ont été créés
en décembre 2005 et janvier 2006. La deuxième mouvance est celle des
islamistes tolérés, auxquels on interdit la participation à la vie politique
en leur refusant le droit de créer un parti. On observe que ces deux premières formes d'islamisme, officielle et officieuse, sont très peu influencées par les organisations ou par les idéologies étrangères. L'analyse n'est
pas du tout la même pour la troisième catégorie: celle des mouvements
islamistes violents et donc interdits, qu'il faudra examiner dans leurs pensées et leurs actions à la fois dans et, surtout, hors du Maroc.
1. Les islamismes légitimistes officiels
Jusqu'à la fin de l'année 2005, les islamistes officiels étaient regroupés,
quelles que soient leurs tendances, plus ou moins radicales, dans un seul
et même parti politique, fondé en 1996 : le Parti de la justice et du développement (PJD). Suite aux événements du 16 mai 2003, le paysage et les
alliances politiques évoluent, le PJD aussi. Dans la perspective des élections législatives de 2007, le parti a comme objectif de mettre en place
l'État islamique; pour autant, il ne remet pas en cause le califat ou
l'imamat royal. On peut dire que, pour cette raison de fond, il s'oppose
aux mouvements islamistes radicaux du Proche-Orient. Il y a même là une
particularité marocaine. Dans un entretien donné le 14 avril 2004 au
journal saoudien Ach-Charq al-Awsat, Saadeddine EI-Othmani, secrétaire
général du PJD, déclarait que son parti n'était pas un parti religieux mais
qu'il se flattait d'avoir pour base le référentiel islamique de l'État
marocain. À cette occasion, il démentait toute affiliation du PJD aux
Frères musulmans et affirmait: «il s'agit d'un parti marocain, national,
indépendant, qui entretient des relations avec des partis et des organisations politiques du Machreq et du Maghreb, mais sans dépendre de
quiconque». On est ici face de ce que Wendy Kristianasen appelle un
«islamo-nationalisme» (Kristianasen, 2002).
2. Les islamismes officieux non violents
Cette tendance est représentée par le mouvement AI- 'Adl Wa Ihsane
(Justice et bienfaisance). Fondé par Chaykh Yassine, qui fut longtemps
incarcéré, le groupe n'a jamais obtenu l'autorisation de devenir un parti. Il
présente lui aussi une particularité marocaine dans le sens où il n'entretient aucun lien avec l'extérieur, ni au niveau financier, ni sur le plan humain. Il s'inspire très librement des idées produites au Proche-Orient, hésitant sur la question de l'imamat. Ce mouvement était autrefois le mieux
implanté au Maroc. Son influence s'est atténuée depuis l'apparition et le
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renforcement de l'islamisme officiel et, surtout, suite aux importantes dissensions internes causées, en particulier, par les "rêves" utilisés par son
principal dirigeant pour prophétiser la chute de la royauté marocaine au
cours de l'année 2006.
C. Les islamistes marocains radicaux et les ressources externes possibles
Les islamistes radicaux qui menacent l'État en recourant à la violence
sont les seuls à avoir entretenu et à continuer à entretenir des rapports
avec des islamistes étrangers. Cette observation s'explique par leur faible
implantation, l'écho limité de leurs appels à la violence dans la société
marocaine et l'hostilité qui peut exister à leur encontre. C'était déjà le cas
en 1985 avec Abdallah Hakimi (qui allait devenir en 2003 responsable
pour la Belgique du GICM). Ce dernier avait reçu de la Katiba Badr algérienne 2, outre une formation militaire, 32.000 dirhams pour commettre
plusieurs attentats simultanés à Casablanca. Ce fut également le cas pour
deux Saoudiens en 2002, ainsi que pour le marocain Khalid Azig et le
belgo-marocain Mohamed Reha en 2005. Ces derniers ont suivi leur
formation en Syrie, avant de créer une cellule au Maroc qui aurait dû
commettre de nouveaux attentats en décembre 2005.
Ces hommes, du moins leurs émirs, ont eu quatre occasions de rencontrer des militants étrangers capables de les influencer ou de les former
militairement au cours de conflits armés: en Bosnie, après 1992, avec les
vétérans de la Brigade AI-Moujahed de l'Armée musulmane bosniaque,
en Tchétchénie, en Afghanistan et enfin en Europe, à l'occasion de voyages ou de séjours prolongés. Il faut souligner que les Marocains, absents
de Tchétchénie, sauf à deux exceptions, sont arrivés très tardivement en
Afghanistan. C'est pour cette raison qu'EI-Garbouzi ne reçut qu'en 2001
l'autorisation de créer le premier camp de formation pour les Marocains.
Ce camp ne fonctionna que quelques mois. Cet argument est parfois utilisé pour expliquer le désir très intense des "Afghans" marocains, arrivés
trop tard au combat, d'en faire par la suite plus que les autres. D'autre
part, ceci implique qu'ils n'ont pas eu le temps de vraiment se former au
combat. Aussi, du moins pour ceux qui sont revenus au Maroc, parmi les
400 Marocains qui avaient fait le voyage d'Afghanistan, une centaine
seulement ont rallié les divers groupes islamistes implantés dans le pays.
On observe qu'ils n'ont pas rejoint de groupes comme Al Hijra wa Takfir
(Exil et anathème), Da'wa wa Tabligh (Annonce et message), Sunna wa
Jamaâ (Tradition et communauté) ou Sirat Al-Moustaqim (Droit chemin),
pour lesquels les liens étaient plutôt d'ordre idéologique. Ils se sont au
contraire retrouvés dans les mouvements les plus violents, identifiés par
des appellations globales comme Salafiyya Jihadiyya (Salafistes jihadistes), voire al-Qaïda. Plus récemment, en 2004 et 2005, une centaine de
Marocains ont été arrêtés en Irak. Ce seront les militants des prochaines
années, s'ils réussissent à survivre.
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Association algérienne (NDLR).
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Ces militants radicaux produisent-ils la même propagande, explicite ou
plus diffuse, que celle que l'on trouve dans les groupes jihadistes du Proche-Orient ou dans des mouvements plus globaux, même s'ils sont fictifs,
comme al-Qaïda ? À 1'inverse, ont-ils une propagande originale? Reçoivent-ils un financement externe pour leurs opérations ou doivent-ils
s'autofinancer par la drogue, le trafic de cartes bancaires, etc. ? Où se fait
la formation militaire? Si toutes les ressources viennent de l'extérieur, les
groupes marocains devraient avoir les mêmes formes d'action, les mêmes
modes d'organisation, de recrutement 3 et de fonctionnement que les autres. Si les mouvements violents marocains étaient en effet des succursales locales d'al-Qaïda, on devrait trouver au moins des analogies, sinon
des similitudes. Est-ce vraiment le cas?
1. L'endoctrinement
idéologique des militants
La question posée est complexe. Elle implique de distinguer la propagande venue de l'étranger par les cassettes, les vidéos, les brochures ou
Internet et la production élaborée sur place en situation d'acculturation
permanente. Cette distinction est difficile à opérer.
L'importation de la pensée islamiste au Maroc s'est faite par le biais
des salons du livre qui faisaient entrer dans le pays, sans paiement de
droits de douane, des publications saoudiennes, très souvent éditées par la
Ligue du monde islamique. Ces documents restaient ensuite au Maroc
pour y être vendus à très bas prix. Cette filière a assuré la diffusion du
salafisme wahhabite. Il y a donc eu une tentative de globalisation de
l'islam wahhabite mais celle-ci n'a pas abouti à la production d'un islam
globalisant. Curieusement, le Centre culturel Ibn Saoud de Casablanca n'a
joué aucun rôle en la matière, bien au contraire.
La diffusion des idées islamistes a également été assurée par les chaînes satellitaires du Golfe. La télévision a ainsi été un outil de diffusion de
cette idéologie en montrant, par exemple dans le cas de la Palestine, des
images incitant au martyre.
En dehors de l'Arabie Saoudite, les États étrangers n'ont guère eu
d'influence. L'Iran dispose, indirectement, d'une librairie à Tanger, mais
ceci est sans conséquence réelle, malgré la nomination d'un Marocain
comme membre du clergé chi 'ite.
Les Frères musulmans égyptiens se vantent d'avoir implanté leur
groupe au Maroc par le biais d'une organisation locale soumise au chef
suprême égyptien. Pensent-ils au PID ? Pour le Maroc, l'âge d'or des Frères musulmans se situe à la fin des années 1930 et surtout au début des
années 1970, lors de l'arrivée massive d'enseignants égyptiens, mais ce
mouvement n'a guère duré.
À la différence des groupes islamistes d'Occident qui viennent souvent de milieux bourgeois et dont les
militants ont fait des études supérieures, les groupes islamistes marocains qui se développent sur place
recrutent dans des milieux sociaux très défavorisés (LACOMBA VAZQUEZ J., 2000).
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De nombreux textes circulent toujours, vendus aux portes des mosquées par des marchands à la sauvette, mais aussi par des libraires ou des
vendeurs de cassettes ayant pignon sur rue. Après les attentats de Casablanca, on a constaté une quasi-disparition de cette propagande mais la
littérature et les vidéos islamistes ont réapparu peu à peu à partir de l'été
2004. C'est surtout le cas au Derb Ghallaf de Casablanca 4 où, malgré
l'étroit contrôle de la DST marocaine, des marchands recopient, pour les
vendre ensuite, des scènes d'égorgement provenant d'Irak et diffusées sur
Internet. Depuis la fermeture, en 2002, des centres d'approvisionnement
situés à proximité de Settat, Internet a pris le relais mais les cybercafés
sont étroitement contrôlés, depuis Témara jusqu'à Agadir. Les messages
passent aussi par des bandes vidéos que les islamistes recopient pour motiver leurs militants. C'est ainsi que le matin même des attentats de Casablanca, une telle bande fut montrée aux kamikazes, juste avant qu'ils ne
soient envoyés à la mort. Il s'agissait de leur signifier, selon une logique
familiale de l'honneur qui contredit d'ailleurs l'idéologie islamiste, qu'ils
partaient venger leurs "sœurs" violées.
Ceci explique que plusieurs groupes islamistes marocains portent des
noms de groupes déjà connus à l'étranger sans qu'il existe la moindre relation entre eux. À côté de ces groupes portant des noms connus, de nombreux petits mouvements n'ont pour patronyme que des noms géographiques : les groupes de Sidi Bennour, de Casablanca, de Fès, de Tanger, etc.
2. Le financement des attentats
Dans le passé, le financement des milieux islamistes marocains violents
est souvent venu d'Arabie Saoudite, mais certains groupes établis en Europe ont bénéficié de "subsides" provenant d'autres pays, en particulier de
Syrie 5. Un cas de financement externe d'opérations prévues au Maroc est
resté célèbre: celui des Saoudiens, déjà cités, qui eurent d'ailleurs du mal
à faire venir l'argent dont ils avaient besoin depuis l'Arabie Saoudite. Au
moment de leur arrestation, en 2002, ils n'avaient que 5.000 dollars sur
eux, mais le compte qui avait été mis à leur disposition était crédité de
130 millions de dirhams (112.000 dollars). Après cet échec, les islamistes
marocains obtinrent moins d'argent. Ceci obligea certains d'entre eux à
développer une forme de banditisme, comme le fit Hassan Baouchi qui
vola, le 1er mars 2004, un million d'euros. Il déclara que trois inconnus
l'avaient forcé à leur remettre de l'argent provenant de six banques. On
connaît un cas de financement d'une opération externe qui devait être menée par des Français et des Marocains. Il s'agit du projet de destruction du
dépôt de carburant de Villette-de-Vienne (France) par le franco-marocain
Abdelaziz Benyaich. Celui-ci disposait d'un peu plus de 8.000 euros pour
cette opération. Mais l'origine de ce financement n'est pas connue.
Il s'agit d'un souk de la ville (NDLR).
On peut citer quelques-uns de ces hommes chargés de transporter l'argent en Europe: Mohamed Ghaleb Kalajé, Mohamed Assade, Ossama Darra, Abû Dahdah ou Mostapha Setmariam Nassar alias Abû
Moussa Al Souri.
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3. La formation militaire des émirs radicaux
Si en 1985, les premiers émirs furent formés en Algérie, environ 400
jeunes marocains séjournèrent par la suite en Afghanistan pour y recevoir
une formation militaire. Ils trouvèrent le financement de leurs voyages à
Istanboul, une organisation palestinienne les aidant à traverser l'Iran. Il
n'est d'ailleurs pas nécessaire de se rendre à l'étranger pour se préparer au
combat puisqu'on trouve des procédés de fabrication de bombes sur Internet. C'est de cette façon que l'artificier qui eut à préparer les attentats de
Casablanca en mai 2003 trouva une recette à base d'engrais agricole (du
nitrate d'ammonium). Cette substance a été utilisée par l'IRA en Irlande
dans les années 1990 ainsi que dans le cadre des attentats de Bali en décembre 2002. À l'inverse, dans le cas de l'attentat raté de l'avion Marrakech-Metz-Nancy, il s'agissait d'un véritable explosif militaire qui, pour
une raison toujours inconnue, n'était pas doté d'un détonateur.
Si les émirs ont été formés militairement, ce n'est pas le cas pour les
sous-officiers chargés de la réalisation sur place des attentats et surtout
pour les hommes de main. On remarque donc dans la préparation des attentats de Casablanca, un mélange de stratégie froide, puisqu'on envoie
délibérément des hommes à la mort, et d'improvisation totale. La conséquence est connue: les kamikazes de ces attentats ne connaissaient pas
tous leurs objectifs; les bombes, mal préparées, n'ont pas toutes sauté et
certains kamikazes n'ont pas accepté, au dernier moment, de se sacrifier.
4. Formes d'action
Il faut bien distinguer deux cas de figures. On observe d'une part des
groupes radicaux locaux qui pratiquent, outre de multiples actions symboliques (par exemple l'occupation à Marrakech en novembre 2004 de la
mosquée du Derb Snan par le groupe Takfir wa Hijra), l'assassinat individuel. Dans ce cas, on exécute des parents, parfois des Juifs, mais toujours
dans l'environnement social ou géographique proche. Par ailleurs, il
existe des groupes qui peuvent être liés à des donneurs d'ordres étrangers
et qui exécutent des attentats en sous-traitance. Ceux-ci sont perpétrés,
dans la mesure du possible, simultanément, avec sacrifice de kamikazes,
selon le modèle "al-Qaïda" utilisé en Espagne ou en Angleterre. Cette
méthode a été utilisée à Casablanca le 16 mai 2003 ; il n'a pas été nécessaire d'importer des exécutants ou des organisateurs, comme ce fut le cas
en 1995 à Marrakech ou, en 2002, lorsque les Saoudiens furent arrêtés à
Casablanca. Le faible nombre d'étrangers arrêtés après les attentats de
Casablanca corrobore cette analyse. Sur 1.042 personnes appréhendées,
on ne comptait finalement que trois étrangers arrêtés puis condamnés ; il
s'agissait de deux Français et d'un Britannique. Il est vrai qu'il y avait
aussi deux personnes disposant d'une double nationalité: un Maroco-
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Britannique et un Maroco-Danois 6. Par contre, aucune personne ongïnaire du Proche-Orient ou du Maghreb ne fut condamnée. On est ainsi
très loin des affirmations de la propagande 7. Mais il faut être prudent. En
effet, les donneurs d'ordre et les bailleurs de fonds peuvent être algériens
ou saoudiens. Actuellement, en raison de la répression menée depuis les
trois dernières années, il est à nouveau nécessaire d'importer des militants
pour créer de nouvelles cellules.
En ce qui concerne les opérations menées à l'étranger, les liens avec
des non-Marocains constituent la règle, comme on le voit pour chaque
groupe démantelé. Il s'agit toujours de groupes mixtes composés d'hommes de nationalités diverses, mais comprenant surtout désormais des
Algériens du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Le
Maroc fournit le plus souvent des hommes ne remplissant que des tâches
subalternes d'exécutants. En dehors des trois Marocains liés aux attentats
de New York du 11 septembre 2001, on se souvient des complices marocains des deux auteurs de l'assassinat du Commandant Messaoud, parmi
lesquels figurait Malika Dahmane. Il convient également de rappeler la
très importante participation marocaine aux attentats de la gare d'Atocha
à Madrid le 11 mars 2004, qui donna longtemps à penser qu'il s'agissait
d'un attentat décidé et exécuté uniquement par des Marocains. Avant de
mourir, les terroristes qui se suicidèrent à Leganès appelèrent un numéro
en Angleterre et un autre au Maroc (même si les parents résidant au Maroc prétendirent ne pas avoir reçu de coup de fil). Ceci démontre l'existence de connexions lointaines. On remarqua aussi que la première personne arrêtée, Djamal Zougam, avait été recrutée par Abdelaziz Benyaich,
un homme impliqué dans les attentats de Casablanca et dont le Maroc
avait demandé l'extradition à l'Espagne. L'enquête montra également que
Djamal Zougam avait aussi connu EI-Garbouzi, le prétendu chef du
GICM, qui résidait à Londres. Djamal Zougam avait par ailleurs fréquenté
Abû Dahdah, ancien coordinateur d'al-Qaïda en Espagne.
C'est cette présence massive qui explique que l'on parle très souvent de
connexion marocaine. Des Marocains ont été arrêtés dans le cadre d'affaires de terrorisme au Canada, aux États-Unis, dans toute l'Europe occidentale et, dans une moindre mesure, en Scandinavie. La question est de savoir s'il existe des liens entre ces divers groupes et s'ils obéissent à une
stratégie d'ensemble, que celle-ci soit européenne, par l'implication du
GICM, ou mondiale. Malgré les rencontres de Londres ou de Travnik
(Bosnie) où, le 8 octobre 2002, 150 délégués de plusieurs groupements
Les Français s'appelaient Pierre Robert et Pierre Picard (qui fut acquitté). Les deux Britanniques se
nommaient Perry Jensen, qui fut condamné à 4 mois de prison, et Abdellatif Merroun. Le MarocoBritanique s'appelait Youssef Mâana,
7 Le 10 août 2004, la DST affirmait dans le journal Al-Ahdath Al-Maghribiyya
que les effectifs des islamistes radicaux au Maroc étaient passés, entre 1996 et 2004, de 40 à 3.000 personnes. On sait qu'une estimation récente du nombre d'islamistes violents dans le monde, réalisée par l'Institut international des
études stratégiques (IISS) de Londres, évalue les effectifs à un peu plus de 18.000 personnes. Ce chiffre
a été repris dans un rapport de l'ESISC de Bruxelles qui ajoute que 1.500 à 2.000 de ces personnes ont
un passeport européen.
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décidèrent de lancer unjihâd contre la «race européenne» coupable d'être
«l'esclave des Juifs», la réponse est négative.
TIest donc certain que, pour de nombreuses opérations, surtout les plus
chères (à Madrid, il a fallu acheter des explosifs) ou les plus complexes
(en raison de l'utilisation de téléphones portables pour déclencher les détonateurs), des complicités transnationales ont été nécessaires. On remarquera également que les opérations qui bénéficient de ces complicités ont
des objectifs géopolitiques (à Madrid, frapper un des pays qui avait des
troupes en Irak), ce qui n'était pas le cas à Casablanca ou, en général, au
Maroc. Pour les opérations menées localement, les coûts de fabrication
des explosifs (réalisés sur place) et de la formation des kamikazes sont
très réduits. Seule la clandestinité des sous-officiers locaux doit être financée.
Précisons au passage que l'on n'a jamais trouvé de lien entre des islamistes marocains et des islamistes originaires d'Extrême-Orient ou du
Sud-Est asiatique. Le champ d'activité des islamistes marocains, qui exclut l'Afrique noire, l'Asie, l'Amérique latine et même l'Europe de l'Est,
est, par ailleurs, loin de s'identifier au territoire de l'Umma. Il ne s'étend
même pas sur la totalité du monde arabe. On ne peut donc pas parler de
stratégie globale, ni même de diffusion universelle des militants marocams.
V. Conclusions
S'il existe aujourd'hui une mondialisation de l'islamisme, celle-ci est
surtout symbolique. On ne soupçonne l'existence d'organisations centralisées que pour de très rares opérations. Et encore, ces organisations servent davantage à fournir des moyens financiers hors des réseaux bancaires qu'à prendre des décisions tactiques, toujours laissées à l'initiative des
cadres subalternes, sauf pour de rares opérations comme celles de Londres ou de Madrid. On peut donc douter non seulement de la stratégie
globale d'al-Qaïda, mais aussi, et plus radicalement, de l'existence d'un
tel groupe, même si celui-ci a autrefois existé. L'objectif initial de ses
créateurs était de faire partir les soldats américains du sol saoudien. Ceci
explique la création des camps de formation militaire, en Afrique tout
d'abord. Il est vrai que, par la suite, al-Qaïda est devenu, pendant quelque
temps, un acteur mondialisé. Mais ce groupe a ensuite disparu, ne survivant que par une rhétorique parareligieuse destinée à inciter de nouvelles
recrues à rejoindre les rangs de groupes islamistes dans le monde. Il ne
reste aujourd'hui que des groupes locaux, plus ou moins autonomes, très
divisés sur leurs stratégies. Mais ils peuvent être tentés de nouer des liens
avec d'autres groupes présents dans d'autres pays pour obtenir, directement ou indirectement, des idées, des armes, des militants ou un financement de leurs actions. C'est ce qui se passe au Maroc depuis la disparition
du GIA algérien. En 2005, les responsables du GSPC ont incité à plusieurs
reprises les islamistes marocains à venir les rejoindre.
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R S & A, 2006/2 - Islam: entre local et global
Les groupes qui ont survécu à al-Qaïda, au Maroc comme dans les pays
occidentaux, sont donc aujourd'hui, pour la plupart et pour presque toutes
leurs opérations, capables de financer eux-mêmes leur fonctionnement,
que ce soit par le biais de trafics de drogue, de la délinquance, du vol ou
de la falsification de cartes bancaires. Ces groupes recrutent leurs troupes
sur place, en particulier dans le milieu carcéral, mais aussi parmi les jeunes qui ne peuvent pas s'intégrer et qui vivent surtout dans les banlieues
des grandes villes. Faiblement hiérarchisés, ils peuvent fonctionner de
manière autonome. Les militants de base se recrutent donc facilement,
mais pour les plus grosses opérations, les cadres ou les donneurs d'ordres
sont des étrangers ou des Marocains vivant à l'étranger.
La réponse à la question posée dans cette contribution est donc complexe car de nombreuses dimensions coexistent dans les groupes islamistes. Certaines d'entre elles, en particulier l'idéologie, peuvent être globales car elles circulent rapidement sur Internet. Il en est de même pour la
publicité donnée aux modes d'action de quelques opérations spectaculaires qui peuvent également devenir communs à différents groupes. Mais
les stratégies possibles dépendent des spécificités locales. Il peut s'agir
des idéaux néosalafistes chez des personnes fortunées, de la crise des
idéaux nationalistes, de l'identification opérée avec d'autres Musulmans
en souffrance dans le monde, du chômage des jeunes ou de la nature du
pouvoir politique. Aussi, pour ce qui est de l'immense majorité des opérations ordinaires observées dans l'histoire récente des islamistes marocains, la diversité des modes d'organisation, des objectifs et des moyens
mis en œuvre relève du bricolage local. Actuellement, le Maroc est importateur net d'éléments d'idéologies islamistes alors qu'il est exportateur
net de combattants.
Il est certain que la plupart des mouvements violents qui agissent au
Maroc sont d'origine locale. Si les autorités font comme si la menace était
globale, c'est qu'elles désirent croire que les causes de la violence sont
générales. Il est alors possible d'inciter l'opinion publique à penser que
ces causes ne sont ni économiques ni sociales, ou qu'elles viennent seulement d'une mauvaise interprétation des textes religieux chez des «jeunes
qui dénaturent l'image de l'islam et des Musulmans».
On est ainsi en présence d'un conflit asymétrique (Baud, 2003) opposant États et mouvements islamistes radicaux. Ce conflit se développe
dans des espaces multiples, incluant des cyberespaces où il n'y a plus de
ligne de front au sens classique. Il est évident que la destruction locale de
groupuscules islamistes ne signifiera jamais l'éradication du militantisme
violent. Car les groupes peuvent renaître parfois très rapidement lorsque
les milieux sont favorables, tout comme les militants peuvent passer rapidement d'un pays à l'autre. C'est une force pour ces groupuscules qui se
sont adaptés aux nouvelles modalités de répressions. Mais c'est aussi une
faiblesse. Car s'il n'y a pas eu, jusqu'à présent, globalisation des stratégies islamistes, il y a, en face, une globalisation de plus en plus grande
des procédures de sécurité (Benchekroun, 2002). De plus, les mouve-
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ments islamistes auront bientôt à affronter, non seulement les États, mais
surtout les sociétés civiles. Enfin, ces groupes ne capitalisent jamais leurs
avantages puisqu'ils perdent, sauf exceptions assez rares, leurs militants
dès que ceux-ci dépassent l'âge de trente ans. En devenant adultes, ces
hommes qui avaient déjà abandonné leurs loyautés traditionnelles envers
leur famille ou leur tribu, quittent leur identité islamiste et s'approprient
les marqueurs identitaires de la culture consumériste dominante mondiale.
Cependant ils le font de manière égoïste, cherchant l'hédonisme de la
consommation, le plus souvent dans l'illégalité.
L'État marocain ainsi que les démocraties occidentales devront donc
vivre, non pas en affrontant un mouvement mondial coordonné et disposant d'une stratégie qui, de fait, n'a jamais existé, mais en luttant contre
de multiples petits groupes. Chacun aura son style et les alliances, motivées essentiellement par le besoin d'argent, n'apparaîtront qu' épisodiquement. Seule une stratégie adaptée à chaque cas, basée sur le fait que les
contradictions traversent d'abord les mouvements islamistes eux-mêmes
et travaillant plus sur les causes que sur les conséquences sera efficace.
Car rien n'est joué. Zawahiri a commencé sa carrière en Égypte avec des
objectifs purement locaux, avant de passer, en raison de ses échecs, au
jihâd universel (Al-Zayyat, 2004 ; al-Zawahiri, 2004) . Il est ensuite devenu un simple proscrit sans autre pouvoir que celui de la parole. Dans les
années à venir, on verra des évolutions fluctuantes. Des attentats ou des
moments de grande tension demeurent toujours possibles (Farra, 1995),
comme on pourra connaître de longues périodes de calme 8. L'appropriation de techniques nouvelles par les individus inquiète certains analystes (Elahmadi, 1998) 9. Ce débat peut changer de sens si on considère
que les islamistes luttent moins contre les autres que contre eux-mêmes.
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8 Abderrahim El Omari, professeur associé à l'UQAM et professeur habilité à l'Université Cadi Ayyad de
Marrakech s'est interrogé, le jeudi 30 septembre 2004, dans une conférence donnée dans le cadre de la
Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie (Chaire MeD) sur les
relations entre l'islamisme et la démocratisation du monde arabe, ce qui revient à discuter de la
pertinence de la thèse américaine des "dominos inversés".
9 Cet auteur se demande si la vision yasiniste du monde peut engendrer une modernité.
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R S & A, 2006/2 - Islam: entre local et global
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