werther - Jean-Walter AUDOLI

Transcription

werther - Jean-Walter AUDOLI
WERTHER
ou
Portrait de l’âme
raconté par
Robin RENUCCI
Mélodrame musical en deux parties
Texte de Johann Wolfgang von GOETHE
Musique de Gaetano PUGNANI
(1731-1798)
Jean-Walter Audoli, chef d’orchestre
ORCHESTRE DE CHAMBRE D’ILE-DE-FRANCE
L’Ensemble Jean-Walter Audoli, Orchestre de Chambre d’Ile-de-France, est un orchestre à
géométrie variable (de 12 à 40 musiciens).
En 1984 – 1er Grand Prix du Concours des Orchestres de Chambre organisé par la Région Ilede-France et la D.R.A.C. Ile-de-France – il obtient le titre d’« Orchestre de Chambre régional
d’Ile-de-France ».
Sa discographie est parsemée de récompenses : Laser d’Or de l’Académie du Disque
français, Grand Prix de l’Académie nationale du Disque lyrique, Grand Prix du Disque, Prix
Charles Cros...
Depuis sa fondation, plus de neuf cents concerts ont été donnés en France et à l’étranger
(Allemagne, Angleterre, Suisse, Maroc ainsi que Guadeloupe et Martinique) et de nombreuses
émissions de télévision ont été enregistrées comme « Musiques au Cœur » d’Eve Ruggiéri.
L’orchestre a fait appel à des solistes et des comédiens d’exception : James Bowman, Gérard
Caussé, Paul Esswood, Paul Tortelier, Christiane Eda-Pierre, Marielle Nordman, Jean-Pierre
Wallez, Michel Piquemal, Michel Portal, Astor Piazzola, Martial Solal, Jean-Pierre Cassel,
Michel Bouquet, Robin Renucci...
Jean-Walter AUDOLI
Chef d’orchestre
« Jean-Walter Audoli est un virtuose qui joue de l’orchestre »
Henri Sauguet
Originaire d’une famille de musiciens, Jean-Walter AUDOLI découvre la musique à travers la
pratique du violon. Il est le fils du pianiste et chef d’orchestre André AUDOLI qui fonda la
Société des concerts de Marseille.
Après de brillantes études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de
Paris, le quatuor à cordes, les concours internationaux, de nombreux concerts en Europe,
Jean-Walter
Audoli
souhaite
découvrir
l’instrument
aux
multiples
facettes
qu’est
« l’orchestre ». Ainsi, il travaille la
direction avec le Maître français
Paul PARAY et la pédagogie,
l’esthétique et la direction avec le
chef d’orchestre et pédagogue
roumain Sergiu CELIBIDACHE.
En 1988, Jean FAVIER, directeur
des
Archives
nationales
et
membre de l’Institut, lui remet les
insignes de Chevalier des Arts et
des Lettres pour ses nombreuses
créations et ses enregistrements
discographiques récompensés et
salués par la presse spécialisée.
Fort de son expérience artistique et de sa sensibilité toujours en éveil, Jean-Walter AUDOLI
travaille avec le théâtre, la danse et toutes formes d’improvisation. Il est l’initiateur et le
réalisateur de plusieurs créations lyriques et littéraires qui ont conquis le public.
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Création française en 2002 de « Mass » de Léonard Bernstein, mi-oratorio, micomédie musicale. (3 orchestres, 11 solistes, 150 choristes). Mise en scène d’Erik
Krüger.
En 2004, « Passions andalouses » mêlant la musique de Manuel de Falla et les
poèmes de Federico Garcia Lorca. Mise en scène de Jean-Claude Mathon.
En 2006, « Les Inestimables Chroniques du Bon Géant Gargantua », avec le comédien
Jean-Pierre CASSEL, une partition originale qui mêle la musique de Jean Françaix à la
truculence de Rabelais. Partition enregistrée au format livre/disque parue chez
Textivores en 2007.
En 2007, création scénique du « Requiem de Cocteau », musique d’Antoine
DUHAMEL, réalisée à l’Apostrophe, Scène Nationale de Cergy-Pontoise, puis au Centre
des Arts d’Enghien-les-Bains. Mise en scène d’Arnold Pasquier.
Et en version concert, « Cosi fan Tutte » de Mozart, les opérettes d’Offenbach telles
que « La Belle Hélène », « La Vie Parisienne », « La Périchole », « Les Brigands »…
Jean-Walter Audoli a aussi une part importante dans la transmission des savoirs auprès des
enfants, grâce à l’organisation de collaborations pédagogiques où interviennent des artistes
comédiens, musiciens, auteurs et compositeurs.
Robin RENUCCI
Récitant
Passionné de théâtre dès son enfance, Robin Renucci
passe par le Conservatoire National Supérieur d'Art
Dramatique avant de débuter à l'écran en 1981 dans le
rôle de Ralph dans Eaux profondes de Michel Deville. Il
se fait remarquer avec le rôle de Gérard dans
L'invitation au voyage ou Hazan, le jeune intellectuel
juif de Fort Saganne (1984). Il obtient l'année suivante la
consécration avec Escalier C de Jean-Charles Tacchella,
où son personnage de Fortser, jeune critique d'art
intransigeant, ombrageux et misanthrope montre le
déploiement de ses capacités. Il enchaîne en tenant tête
à Philippe Noiret avec acidité et férocité dans Masques
de Claude Chabrol.
Désormais reconnu et installé comme séducteur à la
sensible personnalité légèrement ombrageuse, il
n'hésite pas à participer à des films plus novateurs
comme Vive la sociale ! de Gérard Mordillat aux côtés de
François Cluzet, La trace de Bernard Favre ou L'amant
magnifique d'Aline Issermann.
À partir des années 1990, il limite ses apparitions sur
grand écran au profit du petit : il dirige son premier long métrage télévisé qui sort en en
1998 : La femme d'un seul homme. Persuadé que « Dans ce monde formaté, il est essentiel
de redonner du sens aux utopies collectives et d'encourager le désir d'inventer, de créer des
imaginaires... » (Robin Renucci l'ardent insoumis aux Editions de l'attribut, 2006), il s'investit
en Corse dans le développement d'un festival de théâtre et d'ateliers dramatiques dans la
tradition de l’Education Populaire. Situées en Haute Corse, dans la micro-région du Giussani,
les activités de l'association ARIA (Association des Rencontres Internationales Artistiques,
créée en 1998) visent aussi à la re-dynamisation d’un territoire du Parc Régional de HauteCorse en voie d'abandon.
Le comédien a également enregistré la lecture de quelques textes d'A la recherche du temps
perdu de Marcel Proust.
En 2004, il travaille le livre Le pianiste de Wladyslaw Szpilman (adapté au cinéma par Roman
Polanski en 2001, rencontrant une consécration internationale) pour en faire texte théâtral
qu'il dit seul en scène accompagné d'un pianiste jouant du Chopin.
En 2007 sort son deuxième film en tant que réalisateur, Sempre vivu ! (qui a dit que nous
étions morts ?), une comédie savoureuse qui a pour cadre un petit village universel et 100 %
corse, avec la troupe du Teatrinu composée de Guy Cimono, Marie-Ange Geronimi, JeanPierre Giudicelli et François Berlinghi.
Gaetano PUGNANI
(1731-1798)
Turin, 27 novembre 1731 - Turin, 15 juillet 1798.
Gaetano Pugnani fut un violoniste et compositeur bien connu en Europe.
Après l’Orchestre de la Cour de Turin, Rome puis Paris en 1754, Londres le recevra comme
chef d’orchestre au King’s Theatre en 1767 et 1768.
De retour à Turin, il occupera plusieurs postes importants tout en réalisant de nombreuses
tournées à travers l’Europe comme chef d’orchestre et violoniste.
Gaetano Pugnani est l’auteur de belles pièces de musique de chambre. Le célèbre « Prélude
et Allegro » en mi mineur pour violon qui lui a été attribué est cependant l’œuvre de Kreisler,
qui prétendait en avoir réalisé l’édition.
Viotti, autre violoniste et compositeur célèbre ayant marqué l’histoire du violon, fut l’un des
élèves de Pugnani.
La musique du célèbre roman de Goethe, « Werther » est l’œuvre marquante de ce
compositeur ; un chef-d’œuvre reconnu en Europe que Jean-Walter Audoli est heureux de
faire redécouvrir en France.
Johann Wolfgang von GOETHE
(1749-1832)
« Voilà un homme », disait de lui Napoléon ; un homme
dont la personnalité a dominé pendant plus d’un demisiècle la vie littéraire de l’Allemagne, un homme qui ne
cessa d’agir et de créer.
Après une instruction très soignée, Goethe entreprend à
26 ans des études de droit à Leipzig mais sa vocation le
pousse vers la poésie et le théâtre. La vie mondaine de
l’Allemagne n’est pas pour lui déplaire : le jeune Goethe y
noue une liaison orageuse avec la jolie Kätchen (Annette)
Schönkopf et une amitié plus sereine avec la fille de son
professeur de dessin.
Ses premiers essais littéraires : des poèmes, les
« Nouveaux Lieder », publiés en 1769, et deux comédies,
« Le Caprice de l’amant », « Les Complices », publiées
entre 1767 et 1769.
C’est à Strasbourg qu’un amour platonique pour la jeune Frédérique Brion va lui inspirer
quelques-uns de ses plus beaux poèmes : « Chant de mai », « Bienvenue », « Adieu ».
De retour en Allemagne, Goethe peut alors exprimer la force « titanesque » qu’il sent en lui,
les contradictions de son « démon intérieur », exalté par un sentiment presque mystique
pour la nature. Telle est l’inspiration des grands poèmes de cette époque (« Le voyageur »,
« Le Chant de Mahomet ») ou ses drames (« Clavigo », « Stella » et « Faust » entre 1773 et
1775) et enfin, ce qui nous intéresse ici, « Les souffrances du jeune Werther » (1774), inspiré
par un amour sans espoir pour Charlotte Buff.
L’année 1775 marque un tournant dans la vie et l’œuvre de Goethe. Appelé à Weimar par le
Grand-Duc Charles-Auguste, il y est chargé de fonctions administratives : conseiller de
légation (1776), conseiller secret (1779), ministre (avec anoblissement en 1782), il assume
sa tâche avec cœur, s’adonnant pour mieux l’accomplir à l’étude des sciences (botanique,
géologie, ostéologie, discipline à laquelle il apportera sa découverte de l’os intermaxillaire
chez l’homme).
Cette période est également marquée par son amour pour Charlotte von Stein, qui fut sans
doute plus qu’un simple « mariage d’âmes ». Cette passion lui fait d’abord retrouver les
élans et les tourments de Werther mais, peu à peu, opère en lui une profonde
transformation : c’est le début de sa victoire sur ses forces « démoniaques », de son
acceptation des « Limites de la condition humaine » (poème de 1780), qui transparaissent
dans les œuvres auxquelles il travaille alors (« Iphigénie en Tauride », « Le Comte
d’Egmont », « Torquato Tasso », achevé en 1789).
Après un voyage en Italie, Goethe retourne à Weimar où sa liaison avec Christiane Vulpius
sera légalisée en 1806. Chargé par le Grand-Duc de la direction de la culture (musées, écoles
d’art, Université d’Iéna et Théâtre de Weimar), Goethe s’adonne à ses travaux scientifiques
(« Métamorphose des plantes », 1790, « Contribution à l’optique » et « De la théorie des
couleurs », 1810).
De son énorme production littéraire, citons : « L’Apprenti sorcier », « Le Dieu et la
Bayadère », « La Fiancée de Corinthe », « L’Elégie de Marienbad » et « Le second Faust » en
1832 dont la scène finale est ainsi commentée par Eckermann : « En Faust, une activité
toujours plus haute et plus pure jusqu’à la fin et l’amour éternel qui vient d’en haut à son
secours » ; cette fin « catholique » qui contraste apparemment avec les positions antérieures
de Goethe, n’est peut-être que la pleine acceptation des limites de l’homme (« Tout
l’éphémère n’est que symbole »).
WERTHER
ou
Portrait de l’âme
I
II
III
IV
V
VI
Ouverture
Rondeau
Sarabande
Bourrées I & II
Polonaise & Double
Menuet & Badinerie
DEUX DATES IMPORTANTES marquent le succès du premier roman de Goethe : l'année 1774,
lorsque Die Leiden des jungen Werthers sortit à Leipzig, imprimé par Weygand, sans nom
d'auteur, suscitant une vive émotion dans toute l'Europe ; et l'année 1787, où fut publiée une
version « revue et corrigée » qui renouvela le prestigieux succès de l'œuvre.
Commencé le 1er février 1774 et retravaillé dans les années 1782-83 et 1786, ce roman
épistolaire - qui se rattache à une mode surgie en France et en Angleterre - issu d'aventures
passionnées et désolantes qui avaient traversé et partiellement affecté la vie du jeune avocat
Johann Wolfgang von Goethe de Francfort, s'était imposé comme un authentique manifeste
des temps nouveaux. En Italie (bien qu'une traduction française y fût déjà connue), il avait
été divulgué par le milanais Gaetano Grassi, qui avait publié en 1781 une traduction à
Poschiavo, dans le canton des Grisons. Pendant de longues années, le « phénomène
Werther » influença profondément la vie sociale de la bourgeoisie italienne : nous savons en
effet que l'on s'habillait « à la Werther », on pensait « à la Werther » (une vague de suicides
envahit les chroniques du temps), on échangeait sous l'appellation de « Werther » des objets
disparates et souvent futiles. Les hommes de lettres se mirent à discuter, dans les journaux
et au cours de réunions, d'une situation qui avait soudain secoué les solides fondations de la
culture traditionnelle, favorisant le rayonnement d'une véritable révolution dans le monde de
la poésie. Mais le sujet se prêtait également à des considérations d'ordre moral : la
conclusion de l'histoire avait suscité le scandale, car on y voyait un jeune amoureux
succombant à sa propre passion et se donnant la mort pour mettre un terme à son chagrin
d'amour.
Une de ces réunions eut lieu à Turin, dans le palais du comte Gropello de Borgone (au n° 8
de la rue Bogino, à 4 heures), où se trouvait le siège de la Patria Società Letteraria « Société
Littéraire de la Patrie », fondée en 1782. Le 29 avril 1790, donc, le théologien collégial
Giovanni Battista Concone (ou Concon) tint publiquement un « Discours sur le roman intitulé
Werther et Charlotte » (les « hommes dévoués à la patrie » entendirent donc un compte
rendu qui s'inspirait d'une traduction française). L'événement éveilla sans doute l'attention
de Gaetano Pugnani, le grand violoniste et compositeur turinois, très connu dans toute
l'Europe et désormais parvenu aux dernières années de sa vie (il était né en 1731 et devait
mourir en 1798), qui était à l'époque « directeur général de la musique instrumentale » de la
Maison de Savoie. On peut aisément expliquer l'intérêt du compositeur pour ce sujet par le
mécanisme des coïncidences que l'histoire s'amuse parfois à proposer : Pugnani habitait
depuis 1780 dans le même palais où siégeait la Società dei Filopatridi « Société des hommes
dévoués à la 14 Patrie », lieu, d'ailleurs, où il devait mourir quelques années plus tard. Il
entendit le compte rendu du théologien Concone ou, du moins, de larges extraits de ce
discours parvinrent jusqu'à lui. C'est alors tout à fait spontanément qu'il décida d'élaborer
une « traduction » musicale du roman, utilisant un « système de communication » très
proche de la technique de représentation connue sous le nom de « mélodrame » (melologo
en italien). Les origines du genre étaient récentes : Jean-Jacques Rousseau – qui, comme
chacun sait, unissait aux talents de philosophe et d'écrivain ceux de compositeur – avait
proposé en 1770, à Lyon, son Pygmalion (écrit dès les années 1762-1765) sur une musique
du musicien lyonnais Horace Coignet, avec quelques pages composées par lui-même.
Rousseau avait motivé cette nouvelle formule, qui prévoyait l'utilisation d'un texte « parlé »
avec un accompagnement orchestral (le chant étant formellement exclu de ce contexte) par
l'affirmation suivante : « il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique françoise, parce que la
langue n'en est pas susceptible ».
L'existence du travail réalisé par Pugnani à une époque où le genre du mélodrame avait
désormais fait école sur l'ensemble des territoires français et des pays allemands (mais que
l'on regardait en Italie avec une extrême méfiance) nous est connue depuis peu de temps. La
bibliographie consacrée au musicien piémontais comprend seulement deux contributions
réellement importantes, rédigées en langue allemande : une monographie sur la vie et les
œuvres du musicien, signée par Elsa Margherita Zschinsky-Troxler en 1939, et une étude des
œuvres instrumentales réalisée par Albert Müry dans le cadre d'une thèse de doctorat à
l'Université de Bâle en 1940 et publiée l'année suivante. Le premier de ces écrits signale de
manière fugitive le Werther de Pugnani, en indiquant les sources qui le mentionnent mais,
dans la foulée des affirmations incertaines données par certains savants du siècle dernier,
déclare qu'il s'agit d'une Werther-Symphonie (Pohl parlait même de « poème
symphonique » !).
Selon Madame Zschinsky-Troxler, l'œuvre avait été perdue : Albert Müry, en revanche, en
retrouva les parties séparées manuscrites à la Bibliothèque de la Gesellschaft der
Musikfreunde de Vienne, affirmant avec certitude qu'il ne s'agissait nullement d'une
symphonie, mais d'un complexe cycle symphonique composé de 22 morceaux (le premier
desquels étant une symphonie) pour un total de 1400 mesures ; ces parties manuscrites
sont à mettre en relation avec l'exécution effectuée au Burgtheater de Vienne le 22 mars
1796, dont on avait déjà pris connaissance. La présentation de cette œuvre de Pugnani au
Burgtheater semble confirmer l'hypothèse selon laquelle le Werther serait plutôt un
mélodrame, c'est-à-dire un travail en « style représentatif », ce que l'on peut déduire
clairement, par ailleurs, de la structure du langage musical, qui est conditionné, de toute
l'évidence, par la présence de la parole. Il est étonnant qu'Albert Müty, au cours de son
analyse, ne se soit pas rendu compte de ce fait, et qu'il ait parlé de suite symphonique, alors
même qu'il avait saisi le lien unissant certains « numéros » de la partition au roman
épistolaire.
Dans le cadre précis de cet article nous passerons sous silence plusieurs « sources »
importantes, mais nous attirons tout spécialement l'attention sur l'une de celles-ci. Il s'agit
d'une nouvelle rapportée par Felice Blangini, célèbre ténor, compositeur et maître de chant
(Turin 1781 - Paris 1841) qui, dans ses Souvenirs (Paris, 1834), se rappelle avoir écrit en
1810, pour la cour de Cassel, une cantate Werther pour voix et grand orchestre, dans le but
d'animer une série de grands concerts au profit des musiciens de la Chapelle Royale ; à cette
occasion, Blangini raconte que, précédemment, le sujet avait été traité par le « célèbre
Pugnani », chez qui sa sœur avait eu la chance de pouvoir prendre des cours. Blangini dit
encore : « L'intention de Pugnani était de faire une musique tellement imitative que le
recours à l'orchestre pourrait reproduire, à lui seul, les principales situations du roman de
Goethe, sans le soutien d'aucun texte » ! En réalité (l'exécution eut lieu chez Pugnani luimême), on distribua aux auditeurs une feuille qui, je suppose, portait des indications sur les
liens existant entre la partition et le roman, ce dernier devant être connu de tous, de
manière à ne pas obliger l'auteur à une véritable présentation du texte ; un prospectus de
même nature fut également distribué lors de l'exécution viennoise, au sujet de laquelle il
convient de rappeler que le Théâtre Royal de Turin entretenait depuis longtemps des
échanges avec le Burgtheater : toujours à Vienne, d'autre part, Pugnani avait été applaudi
comme virtuose du violon vers 1756.
On peut raisonnablement supposer, toutefois, que l'œuvre de Pugnani ait été présentée non
pas comme une simple musique à programme « à numéros », mais selon le schéma d'une
solution théâtrale organique, trouvant son point culminant dans le coup de pistolet qui suit
les mots « Charlotte ! Charlotte, adieu ! Adieu » (les seuls qui figurent dans les parties
manuscrites), sur lesquels se termine le « roman musical » ; d'ailleurs, lors de l'exécution
turinoise (qui eut lieu probablement en 1790), ce coup de pistolet fit une telle impression
sur l'auditoire que certains pensèrent que Pugnani était devenu fou !
À Turin, probablement, on n'avait pas tellement accès aux traductions italiennes (celle de
Grassi, parue en 1782, avait été suivie de deux autres en 1788, l'une parue à Londres et
l'autre à Venise, cette dernière étant l'œuvre d'un Juif franc-maçon, Michiel Salam), mais
plutôt aux traductions françaises, ou plus précisément à la traduction signée par le Baron
Karl Siegmund von Seckendorff (1744-1785), rédigée juste après la parution de l'édition
originale. Seckendorff n'était pas seulement un grand ami de Goethe (qu'il fréquentait
quotidiennement à Weimar entre 1775 et 1785), mais était comme lui franc-maçon. Un autre
membre de la franc-maçonnerie était Pugnani lui-même, qui comptait également parmi ses
élèves le Baron Seckendorff (célèbre homme politique, écrivain et musicien), qui, de juillet
1765 à l'été 1774, fut officier dans un régiment de troupes étrangères engagées par le Roi
de Sardaigne Charles Emmanuel III, qui de ce fait était en garnison à Turin.
Pour dépasser une simple reconstitution matérielle de ce premier Werther de l'histoire de la
musique, on ne pouvait s'en tenir à la seule partition musicale. Il fallait parcourir à nouveau
le chemin du roman et relier les différentes situations musicales les unes aux autres, en
suivant une logique dramatique. Pour certains numéros, la correspondance est évidente;
mais dans d'autres cas, en revanche, j'ai dû remonter de la partition au texte littéraire par le
biais de la technique descriptive musicale et de la musique à programme. Tout comme le
roman, la partition est divisée en deux livres, chacun composé de 11 numéros; mais la mise
au point des parties relatives au second livre a été particulièrement laborieuse. Du n° 16 à la
fin, on remarquera que l'œuvre est morcelée par d'incessants changements de dynamique et
d'expression. C'est ici que le Werther de Pugnani prend très nettement la physionomie d'un
mélodrame, avec des épisodes parfois extrêmement brefs (d'une ou deux mesures) ;
l'excitation dramatique qui domine cette page de musique ne peut être autre chose que le
fruit d'un dialogue, d'une scène récitée en reprenant fidèlement le texte de Goethe aux
endroits – tous essentiels – où le compositeur a proposé sa propre version musicale du texte
littéraire.
Voilà pourquoi j'ai choisi d'intercaler aux passages en musique les extraits du roman qui
s'adaptaient le mieux au discours de Pugnani. En somme, j'ai en quelque sorte mis en scène
sans jamais violer ni la musique ni le texte. La partition, qui est maintenant publiée en tant
que volume IV des Monumenti di Musica Piemontese (Milano, Suvini Zerboni, 1985). Parmi les
nombreuses traductions italiennes du Werther de Goethe, j'ai choisi celle publiée par
Giuseppe Antonio Borgese chez Mondadori en 1931.
ALBERTO BASSA
Traduction : Isabella Montersino