LA POINTEUSE Travail dominical - Ecole de Journalisme de Toulouse
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LA POINTEUSE Travail dominical - Ecole de Journalisme de Toulouse
LA POINTEUSE Mory Ducros : salariés contre fusion ratée Caissières : la disparition du métier ? Supplément social de Trajectoires N°4 - Vendredi 6 décembre 2013 Travail dominical Quelles limites ? Manon Sabut, 22 ans, étudiante en psychologie, prête à travailler le dimanche. Sommaire Edito 3 Actualité Conflits et plans sociaux : enseignants, Mory Ducros, Air France... 8 A vec seulement 4,5% des Français qui fréquentent encore une église le dimanche, difficile d’avancer le traditionnel argument religieux contre le travail dominical. Pour les autres, c’est bien pendant ce fameux « dimanche pluvieux » que l’on va enfin désherber la jardinière du perron ou bien refixer l’étagère bancale qui tremble à chaque claquement de porte. Et puis, il y a ceux qui ont choisi un autre jour pour sortir la binette ou dégainer la perceuse. Les urgentistes, les infirmières, les journalistes, les policiers, les aiguilleurs du ciel et tous les autres métiers pour lesquels week-ends ne riment pas forcément avec congés. « 8,1 millions de personnes travaillent habituellement ou occasionnellement le dimanche » comme l’indique notre dossier. Il y a aussi ceux qui désormais travaillent dans un magasin Dossier de bricolage ou d’ameublement le septième jour : dans les Le débat autour du travail dominical rayons, derrière une caisse, leur situation soulève le débat, 10 Conditions de travail à la rencontre des métiers inconnus, des travailleurs de l’ombre et de leurs droits 14 révèle les enjeux. Comment encadrer le volontariat, une notion si relative quand on pense à ceux qui n’ont pas le choix pour des raisons économiques, ceux qui cumulent les emplois comme on joue au Tetris, aux étudiants qui doivent payer leurs études, ceux qui n’osent pas dire non par crainte de ne pas être embauché. Sans encadrement, le dimanche devient un énième jour de travail, et de consommation. On finirait presque par regretter la grand-messe et les repas copieux ! Marion Rivette Chef d’entreprise Ecole de journalisme de Toulouse Ils développent, dirigent, sont entrepreneurs 15 Insertion Des parcours accidentés, des emplois adaptés : le travail lien social ou souffrance ? 31, rue de la Fonderie - 31000 Toulouse Tél : 05 62 26 54 19 - www.ejt.fr Directeur de la publication : Bertrand Thomas Rédacteur en chef : Bruno Vincens Rédactrice en chef adjointe : Marion Rivette Directeur artistique : Jean-Paul Roy-René Secrétaire de rédaction : Ugo Bocchi - Kevin Plancq Iconographe : Bénédicte Poirier Rédacteurs : Akhillé Aercke - Camille André - Guillaume Arlen - Anne-Sophie Bernadi - Benjamin Bonte - Jean-Marie Bordry - Lucas Burel - Edmée Citroën - Anaïs Clavell - Julien Courdesses - Christelle Dameron - Alice Fabre - Marie de Fournas - Françoise Huedro - Pauline Landais-Barrau - Titouan Lemoine - Céline Olive - Ganesh Pedurand - Juliette Pousson - Agathe Roullin - Johan Tabau - PierreMaël Tisnès - Capucine Trollion - Oriane Verdier - Andréa Violleau - Amandine Villareal - Camille Wormser - Jolan Zaparty Actualité - la pointeuse - 6 décembre 2013 Journée de colère dans les écoles. Enseignants et animateurs craignent de voir la réforme Peillon aggraver leur situation. « La réforme manque de souplesse » P rès de trois cents enseignants et animateurs ont manifesté jeudi à Toulouse, contre l’application des nouveaux rythmes scolaires, voulue par Vincent Peillon, ministre de l’Éducation. Jean-Philippe Gadier, enseignant et secrétaire départemental au SNUipp, est revenu sur les origines de leur mécontentement. cret Jospin de 1989 (loi d’orientation sur l’éducation). Il posait un cadre national mais ouvrait des possibilités de dérogation pour les collectivités. Les territoires avaient ainsi la possibilité de s’organiser selon leurs spécificités. La réforme Peillon manque clairement de souplesse, son cadre est trop rigide. Environ 300 personnes ont manifesté contre la réforme Peillon © Lucas Burel Comment expliquez-vous la grogne en Midi-Pyrénées alors que vous bénéficiez d’une dérogation depuis 2008 ? J-P G - Ce qui est proposé aujourd’hui est différent de 2008. Il est vrai que nous avons pu éviter la réforme Darcos et conserver une semaine à quatre jours et demi, mais cette semaine était aménagée. Un mercredi sur trois était consacré au dialogue dans les équipes pédagogiques. Ce n’est plus possible depuis la rentrée. Les animateurs mettent en avant le principe de coéducation, qu’en est-il des enseignants ? Pourquoi manifester aujourd’hui contre cette réforme ? Jean-Philippe Gadier - Nous pensons que cette réforme ne tient pas compte des conditions de travail des enseignants. Elle engendre également des problèmes d’égalité d’accès à l’école selon les territoires. Les mairies supportent un certain nombre de dépenses dans le périscolaire. Des dépenses qui ne sont pas suffisamment financées au niveau national. Les communes riches vont pouvoir y faire face et même aller au-delà des besoins financiers que nécessite cette réforme. Les autres vont être en grande difficulté. Une solution pour pallier ces inégalités ? J-P G - Selon nous la bonne référence reste le dé- J-P G - Nous sommes conscients que les apprentissages, qu’ils viennent des professeurs, animateurs, ou associations, doivent s’articuler les uns avec les autres. Si la coéducation c’est favoriser le dialogue entre les équipes pédagogiques, au bénéfice de l’enfant, nous sommes pour. Néanmoins la mission des professeurs est différente de celle des animateurs. Et chacun doit rester à sa place. Mettre le travail des animateurs et des professeurs au même niveau, c’est déqualifier le travail des enseignants. À qui va-t-on demander des comptes sur la formation des élèves si ce n’est au professeur ? Entretien réalisé par Juliette Pousson et Lucas Burel Un jeudi buissonnier « Du temps pour la concertation, du fric pour le service public ! » De la place Saint-étienne aux allées Jean-Jaurès, les slogans ont rythmé le cortège contre la réforme Peillon. Emmenés par la majorité des syndicats d’enseignants, ils scandaient leur opposition au changement des rythmes scolaires. Un défilé en apparence fourre-tout, qui a vu auxiliaires de vie scolaire (AVS), enseignants, animateurs et associations battre le pavé côte à côte. « Tous les personnels de l’école sont rassemblés aujourd’hui », a salué Jean-Christophe Sellin, enseignant et candidat du Parti de Gauche aux municipales de Toulouse, placé au premier rang du cortège. Un enthousiasme qui tranche avec le peu d’espoir suscité par cette mobilisation chez les manifestants. « On s’attendait à une mobilisation plus forte. On touche là aux limites de ces moyens d’action car les grévistes sacrifient une journée de salaire pour protester », confie Nathalie qui ne baisse pourtant pas les bras. « On continuera. Pourquoi pas à Paris en janvier 2014 ? » Selon le rectorat de Toulouse, seulement 16.3% des personnels concernés ont participé à cette grève. Rythmes scolaires : les animateurs fragilisés Les enseignants ne sont pas les seuls concernés par la réforme Peillon. Les animateurs périscolaires, eux aussi, redoutent une détérioration de leurs conditions de travail « Cette réforme a été mal pensée. Ce sont les animateurs qui vont trinquer. » Pour Franck Jenny, animateur et délégué CGT-Uspaoc, le passage à la semaine de quatre jours et demi, est avant tout une source d’inquiétude. « Cette réforme n’est pas finançable sans dégrader nos conditions de travail. » L’une de leurs principales craintes : voir les taux d’encadrement des activités périscolaires assouplis. Pour faire simple : plus d’enfants à gérer pour chaque animateur. « Au mois de juin dernier, le Conseil d’État a rejeté le décret d’application de la réforme, qui prévoyait que le nombre d’enfants par animateur passe de 10 à 14 en maternelle, et de 14 à 18 en primaire », indique Franck Jenny. Un meilleur suivi des élèves Malgré cette « victoire », l’animateur craint que le gouvernement ne revienne à la charge dès janvier 2014. « On ne se fait pas d’illusions. Il faut bien qu’ils financent leur réforme. Aujourd’hui on parle même de nous faire passer à 20 enfants par animateur… » Si cette réforme semble s’imposer avec difficulté en France, Toulouse fait pourtant figure de bon élève. La raison : en 2008, les établissements de Haute-Garonne ont pu conserver la semaine de quatre jours et demi par dérogation. « Il n’y a pas eu de grands bouleversements à cette rentrée », affirme Antoine Castro, directeur du principal Centre de loisirs associé à l’école (CLAE) de Toulouse, situé chemin de Lalande. « Jusqu’à présent, les enfants n’avaient pas école un mercredi matin sur trois, et étaient pris en charge par le CLAE. Aujourd’hui, ils passent ce temps avec leur professeur. » Des changements qu’Antoine Castro juge « satisfaisants. » Pour compenser cette matinée de cours supplémentaire, les horaires de classe des élèves sont allégés de 20 minutes chaque jour. « Nous récupérons ces 20 minutes avec les enfants, ce qui permet un meilleur suivi des élèves », explique Antoine Castro. Avant de concéder dans un sourire: « C’est un peu du bricolage. Cela morcelle l’emploi du temps des animateurs, dont les conditions de travail et le statut sont déjà précaires. » Des journées morcelées Si les avis semblent partagés concernant cette réforme, tous s’accordent sur un point. Elle ne facilite pas la communication entre les enseignants et les animateurs. « Les mercredis qui étaient jusqu’alors vaqués permettaient aux équipes pédagogiques de se réunir, pour organiser intelligemment les journées des enfants », insiste Antoine Castro. « Avec la réforme, ce dialogue entre les différents acteurs devient plus difficile. Au risque de voir la qualité des enseignements se détériorer. » Franck Jenny, lors de l’assemblée générale qui a précédé la manifestation de jeudi © Lucas Burel Juliette Pousson et Lucas Burel - Actualité la pointeuse - 6 décembre 2013 Après l’annonce du redressement judiciaire du transporteur Mory Ducros, les salariés du site de Bruguières, en banlieue toulousaine, sont dans l’attente, écoeurés. Mory Ducros, le poids lourd dans le fossé Ambiance morose devant les entrepôts du site Mory Ducros de Bruguières. © Jolan Zaparty. « Regardez ! Le quai est presque vide. Il y a eu l’annonce du redressement judiciaire et trois jours après, une grosse partie de nos clients annulait leurs commandes… » Gérard, 57 ans, est conducteur poids lourds pour l’entreprise Mory Ducros depuis 32 ans. Comme tous les employés du site de Bruguières, en banlieue toulousaine, il a appris qu’il y avait un redressement judiciaire dans sa boîte en écoutant les informations. « Je l’ai entendu sur BFM. Je crois que c’est ça le plus écœurant : apprendre la mauvaise nouvelle en regardant la télé ou en écoutant la radio. La direction ne nous avait rien dit, nous qui venons pourtant travailler ici chaque jour… » Rappel des faits : vendredi 22 novembre, lors d’un comité central d’entreprise extraordinaire au siège général de l’entreprise, la direction du transporteur révèle être en cessation de paiement. « Terrible annonce !!!», poste immédiatement sur son compte Twitter Fabian Tosolini, secrétaire national de la fédération transports de la CFDT. Le mardi suivant, le groupe est placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Pontoise. Parmi les 5 200 emplois de l’entreprise, entre 2 000 et 3 000 sont menacés. Des chiffres effrayants qui n’étonnent pas Jacques Ruamps, lui aussi chauffeur routier à Bruguières. Pour lui, la faillite était « prévisible au niveau local » et ce délégué CGT du personnel ne manque pas d’exemples pour dénoncer la mauvaise gestion du groupe. Jacques a longtemps travaillé pour Ducros, sur l’ancien site de Balma. Le facteur humain négligé Quand le rapprochement des deux transporteurs a eu lieu, il n’a eu d’autre choix que de venir à Bruguières, sur une ancienne base logistique de Mory qui réunit aujourd’hui les personnels des deux groupes. « Sur le papier, la fusion paraissait une bonne idée mais il n’y a pas eu de véritable suivi dans les entreprises », déplore-t-il. Le délégué CGT dénonce de gros soucis de restructuration : « Le site n’était pas conçu pour recevoir autant de monde, on a dû s’adapter à de nouveaux outils de travail, un nouvel outil informatique... Pour une même profession, on n’a pas les mêmes feuilles de salaire entre les deux groupes, les accords d’entreprise sont différents. Cela crée forcément des dysfonctionnements et des tensions. Ils ont négligé le facteur humain. » Dans le local syndical où il nous reçoit, Jacques porte encore un blouson Ducros, faute de voir arriver les nouvelles tenues promises par la direction. « C’est un détail, mais c’est symbolique de l’atmosphère qui règne ici. » Comme cette enseigne « Mory groupe » restée accrochée devant l’entrepôt. « C’est simple, il y a d’un côté les Mory, de l’autre les Ducros : on dirait deux équipes de foot ! On nous avait promis qu’il y aurait une harmonisation mais c’est faux, on nous a mis en concurrence au lieu de nous mettre ensemble. On porte des blousons Ducros, on livre dans des véhicules DHL express des produits estampillés Mory… C’est mauvais pour nous et les clients ne s’y retrouvent plus. » Entre la mauvaise communication avec la direction d’une part, une fusion avortée de l’autre, le sort du groupe Mory Ducros demeure très incertain. A Bruguières, après la mauvaise nouvelle du redressement judiciaire, l’ambiance s’est détériorée encore davantage sur le site. Alors, en attendant l’annonce d’éventuels repreneurs le 3 janvier prochain, les ex-employés de Mory ou de Ducros n’ont plus qu’une chose à faire : continuer l’action et espérer. Jolan Zaparty Histoire d’une fusion avortée Suite au dépôt de bilan de l’entreprise Mory Ducros, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire. Concrètement, cette décision gèle temporairement les dettes antérieures de l’entreprise tout en lui permettant de poursuivre son activité pour tenter de surmonter ses difficultés. Les repreneurs potentiels ont jusqu’au 3 janvier 2014 pour se manifester auprès du tribunal de commerce. Le siège social de l’entreprise basé dans le Val d’Oise n’a pas souhaité commenter l’avancée des discussions. Raymond Laborde, directeur régional du site de Bruguières, est de son côté resté injoignable. Mais comment en est-on arrivé là ? En 2010, le groupe logistique Ducros Express cède sa branche messagerie au fonds d’investissement français Arcole Industries. Un an plus tard, ce fonds acquiert la branche messagerie du groupe Mory, déjà en redressement judiciaire. En 2012 Arcole Industries crée Mory Ducros. Mais le rapprochement des deux transporteurs n’a pas suffi à éponger la dette et n’a pas relancé le chiffre d’affaires. L’entreprise affiche des pertes de près de 80 millions d’euros cumulés et des dettes d’exploitation de plus de 200 millions. Ces derniers mois, Mory Ducros a vu le nombre de ses agences en France passer de 115 à 84. La prochaine audience au tribunal aura lieu le 20 décembre 2013. Les syndicats de l’entreprise ont prévu d’ores et déjà prévu une manifestation nationale. A Toulouse, les Mory Ducros défileront avec d’autres entreprises le 12 décembre à 10h30. B.B. Christiane Daunas, déléguée CGT, revient sur les perspectives d’avenir du site de Bruguières. «Faire parler de nous sans effrayer les clients» L’annonce de la mise en redressement judiciaire de l’entreprise vous a-t-elle surprise ? l’actuel propriétaire, Arcole Industries, qui reprenne l’affaire en janvier. On ne peut qu’attendre. On sentait que ça allait arriver même si on ne savait pas quand. On a appris la nouvelle comme tout le monde à la radio. Tout cela n’est que la conséquence de la fusion ratée entre Mory et Ducros qui a eu lieu en 2012. C’était une erreur de stratégie, la fusion était vouée à l’échec. (Voir encadré) Justement vous refusez de faire grève pour ne pas dégrader l’image de l’entreprise. Quels moyens d’actions vous reste-t-il ? Les repreneurs potentiels ont jusqu’au 3 janvier pour faire parvenir leur offre. Est-ce que vous jugez ce délai suffisant ? D’un côté l’échéance va arriver rapidement, mais de l’autre, vu la vitesse à laquelle les clients s’en vont… D’ici là on doit être capable de faire parler de nous sans effrayer la clientèle. C’est un équilibre difficile à trouver. Il y a encore une possibilité que ça soit On a déjà distribué des tracts aux péages et une trentaine de salariés ont vu le préfet la semaine dernière. Même si tout le monde ne sera pas touché par les licenciements, 130 salariés sont tout de même concernés. Personne n’est à l’abri, on a tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête. La CFDT a appelé à une manifestation nationale le 20 décembre prochain. Peut-être que nous les rejoindrons, c’est en cours de discussion. En même temps, Toulouse c’est loin de Pontoise… On va voir ce qu’on peut faire. Entretien réalisé par Benjamin Bonte Christine Daunas, déléguée CGT. © Jolan Zaparty - Actualité la pointeuse - 6 décembre 2013 Air France délocalise, les mécanos de Blagnac trinquent Dans le cadre d’un plan de restructuration, le centre de maintenance des avions de Blagnac va perdre 74 emplois. « Nous sommes isolés par rapport à la plateforme parisienne, les murs ne nous appartiennent plus, l’activité diminue et nous subissons des réduction d’effectifs. » Pour Vincent Salles, délégué CGT du centre de maintenance d’Air FranceToulouse, « il n’a jamais été officiellement question que le centre de Blagnac ferme, mais c’est tout comme. » En octobre, la direction d’Air France a en effet entériné la suppression de 74 emplois sous forme de départs volontaires à Blagnac. L’activité d’entretien des avions a, quant à elle, été en partie délocalisée au Maroc, où le coût de la main d’œuvre est moins élevé. A Casablanca, l’entreprise Aéronautic Industries (ATI), détenue à 50% par Air France s’occupe maintenant d’une des deux lignes de grand entretien des A 320, autrefois attribuée au centre de Blagnac. Ces mesures, censées reconstituer la compétitivité et éviter les pertes d’emplois contraintes, cristallisent toutes les méfiances. Vendredi 29 novembre, les salariés et l’intersyndicale CGT-UNSA-FO-SUD ont une nouvelle fois manifesté contre la mise en péril du centre de maintenance de Blagnac. Ils ont d’ailleurs été relayés mardi par la députée Catherine Lemorton, qui a interpellé le gouvernement sur l’avenir du site. « La souffrance au travail s’est accrue » Une inquiétude légitime, puisque la suppression de ces postes s’inscrit dans une lignée de mesures de rationalisation. En 2004, le centre comptait 560 salariés. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 374 et s’approchent dangereusement du seuil des 350 salariés, le seuil de rentabilité du site. « Quitter Montaudran pour Blagnac, on nous l’avait vendu comme une perspective d’avenir, mais depuis notre arrivée, en 2004, il n’y a eu que des pertes d’effectifs » résume Vincent Salles. Photo DR. Airbus d’Airfrance Ces dernières s’accompagneraient d’une dégradation des conditions de travail. « Beaucoup font les trois huit. Les tensions et la souffrance au travail se sont clairement accrus», estime-t-il avant d’ajouter, lucide : certains pays pratiquent des prix qu’on ne pourra jamais concurrencer. Au Maroc, les conditions salariales ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, ils subissent beaucoup de pressions et on a constaté des ratés sur certains avions. » Des anomalies et points d’usures n’auraient pas été détectés lors des entretiens réalisés à Casablanca. Pour un engagement de l’Etat En outre, la moyenne d’âge des salariés du centre de Blagnac est élevée, et des départs en retraite interviendront prochainement. Afin de maintenir les effectifs, Anne Brachet, la directrice d’Air France industries s’est engagée en novembre à embaucher des jeunes en apprentissage. Mais aujourd’hui, le son de cloche n’est pas le même au service communication d’Air France à Toulouse. « Le nouveau plan de départs volontaires implique qu’il n’y ait pas d’embauche prévue », certifie Régis Goudouly qui assure néanmoins : « Les grandes révisions des appareils et l’activité correspondant à la charge de travail de 350 salariés seront maintenues ». Insuffisant pour l’intersyndicale qui réclame entre autre, une intervention de l’Etat. Actionnaire à 15% du groupe Air France KLM, il s’apprête également à lui verser 115 millions d’euros sous forme de crédit impôt compétitivité emploi et pourrait, selon les syndicats, exercer une pression. « Nous sommes déçus, mais pas vraiment surpris que le gouvernement reste en retrait sur ce dossier », avoue Vincent Salles qui ne se décourage pas pour autant. A Blagnac d’autres actions de revendication sont prévues au cours du mois de décembre. Carré d’info bientôt hors-ligne Après deux ans d’existence le pure player toulousain Carré d’Info met la clé sous la porte. Quand on pense à l’argent d’internet, la première image qui vient à l’esprit est enthousiasmante. Mark Zuckerberg, 19 milliards de dollars, Larry Page, 25 milliards de dollars.. Mais derrière ces rares success stories qui entretiennent l’espoir, la réalité des conditions de travail et de rémunération des travailleurs de l’internet est beaucoup plus sombre. À Toulouse cette semai- ne, le site d’information Carré d’Info vient d’annoncer qu’il fermait, après un peu plus de deux ans en ligne. Ses quatre salariés pointent désormais au chômage. Parmi eux, Xavier Lalu, qui a fondé le site avec un autre étudiant de Sciences Po Toulouse. Pour lui cela représente la fin de deux ans d’aventures et de galères : « Nous avions trouvé notre public L’hécatombe Carré d’Info n’est pas le seul site d’information toulousain a avoir plongé ces dernières années. En avril 2012, le site Kwantik, consacré à l’information des sciences et des technologies est mis en sommeil. Il employait 6 personnes. Du côté des « grosses boîtes », le site de Libé Toulouse a également fermé en avril 2013. Son principal journaliste est resté correspondant pour Libération, mais ses deux partenaires ne sont plus employés. explique-t-il, mais c’était tout simplement impossible pour une petite structure comme la nôtre de générer assez de revenus à partir d’internet. » Moins d’un centime d’euro Publicités à moins d’un centime d’euro par clic, promesse de la gratuité pour retenir les lecteurs... Malgré plus de 30 000 visites par mois, les sources de revenus sont trop maigres pour financer plusieurs salaires. Pour se payer (jamais plus d’un Smic en deux ans) et payer leurs collaborateurs, les gérants du site sont obligés d’abandonner le journalisme et se tourner vers des petits boulots, plus rémunérateurs. Ils profitent du prestige de Carré d’Info pour faire de la communication, du marketing, diriger des formations... De quoi gagner quelques euros et perdre quelques heures de travail. Mais le site pâti de leurs extras. Dans les derniers mois, le nombre d’articles qu’ils parviennent à mettre en ligne est en chute libre. « Même en travaillant des dizaines d’heures par semaine chacun, nous n’avions simplement plus le temps de bien faire notre vrai travail », regrette Xavier Lalu. Dans les dernières semaines, Carré d’Info a bien pensé faire appel à la générosité de ses lecteurs, avant de balayer l’idée. « Pour vivre, nous avons besoin de revenus réguliers ou d’un vrai investissement, pas d’une perfusion. » Titouan Lemoine Réparer les A320 Le centre de maintenance de Blagnac vérifie l’état d’usure des A 320 d’Air France. Ils pratiquent deux types d’intervention : les grands entretiens, qui durent jusqu’à un mois et rayonnent sur tous les métiers, et les petits entretiens, qui durent environ quinze jours, mais n’impliquent que la moitié des savoir-faire. Ce centre a été conçu pour deux lignes de grand entretien. Depuis septembre, il n’en possède plus qu’une seule, mais doit assurer deux lignes de petit entretien. Le jugement de Molex reporté Le tribunal des prud’hommes de Toulouse qui devait se prononcé ce jeudi sur la qualification du licenciement des salariés de Molex de Villemursur-Tarn, a reporté le délibéré à 2014. En 2009 lors de la fermeture de l’usine de connectiques automobiles, 293 salariés avaient été licenciés pour motif économique. 193 d’entre eux ont porté plainte contre l’usine pour licenciement frauduleux. Une délégation d’anciens salariés sera à l’usine Maz’Air dans l’Ariège ce vendredi. Un ancien cadre de Molex condamné à 6 mois de prison avec sursis pour délit d’entrave y exerce. Guy Pavan, ancien salarié et syndiqué à la CGT entend lui rappeler que « le combat continue » en distribuant des tracts pour informer sur l’affaire en cours. - Actualité la pointeuse - 6 décembre 2013 La Fnac fait valser ses disquaires La chaîne de distribution a annoncé une vague de licenciements. Une dizaine d’emplois des rayons audio sont menacés dans les magasins de la région toulousaine. U n ras-le-bol général s’est exprimé à la Fnac de la place Wilson à Toulouse, samedi 30 novembre. Une cinquantaine de salariés se sont rassemblés contre les licenciements prévus dans les magasins de la région toulousaine. Ils se sont mis en grève, quelques heures pour certains, toute une journée pour d’autres, protestant contre le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) du groupe. Annoncé en septembre dernier, il prévoit la suppression de 500 emplois, dont 310 en France sur les 16 650 salariés du groupe la Fnac. Parmi eux, 180 postes de disquaires sur 800 sont directement visés. Une situation qui inquiète les employés de la Ville rose. Sur les quatre magasins de la région toulousaine, seul celui de Portet-sur-Garonne serait épargné. Au total une dizaine d’emplois pourraient être supprimés. Le magasin de Wilson devrait être le plus touché, avec la suppression de l’équivalent de cinq postes à temps complet. « La loi oblige le groupe à discuter avec nous. » Eric Pilongery, délégué CGT Fnac Le rayon multimédia sacrifié Au total, cinq ou six personnes devraient être licenciées aux rayons audio, vidéo et jeux. Dans les magasins de Jeanne d’Arc et de Labège, quatre postes au total seraient menacés. Pour affronter la concurrence, notamment d’Amazon, dans un marché de la musique fortement dégradé, la Fnac opère depuis deux ans un virage numérique. Elle a fortement développé sa Les acheteurs vont devoir s’habituer, les disquaires seront moins nombreux pour les conseiller.©AF plateforme de e-commerce, au détriment d’emplois physiques de conseillers culturels dans ses magasins. Négociations ralenties Les négociations entre la direction et les syndicats se sont ouvertes à la mi-octobre sur les modalités de ce PSE. Mais pour Eric Pilongery, délégué CGT du magasin de Wilson, il n’y a pas de vrai dialogue social. « La loi oblige le groupe à discuter avec nous. Mais la direction parisienne nous a répété que la marge de manœuvre était très réduite et semble déterminée à aller jusqu’au bout. » Il se désole de cette attitude qui, selon lui, a ralenti le processus de discussions. « Nous avons eu des difficultés à obtenir certains documents d’information sur la situation de l’entreprise. De fait, nous avons formulé tardivement des propositions constructives. » Une chose est sûre pour le syndicaliste, ces licenciements vont dégrader les conditions de travail des employés. Car à la surcharge de travail s’ajoute la nouvelle polyvalence dont doivent faire preuve les conseillers. Ainsi un vendeur au rayon musique devra prochainement être aussi en mesure de conseiller les clients en matière de jeux vidéo. Une situation mal vécue pour certains « passionnés » qui ont été recrutés, en premier lieu, pour leur expertise culturelle. Alice Fabre . Les centres équestres refusent l’obstacle En2014,lataxeréduitepourlescentreséquestresneseraplus.AveclahaussedelaTVAde7à20%,lesprofessionnelsdelafilières’inquiètent. Didier Viricel dirige le centre équestre L’Eperon, à Pin Balma © Camille Wormser L a filière équine lâche les chevaux. Pour dénoncer le passage de la TVA de 7% à 20% en 2014, ils font entendre leurs voix dans la rue. Didier Viricel est l’un d’eux. Il dirige le centre hippique l’Eperon de Pin Balma. Bien implanté dans le secteur, il dénonce la régression que leur impose le gouvernement par cette décision. L’Eperon emploie quatre enseignants pour 350 licenciés. Le personnel a déjà été réduit mais aujourd’hui, le propriétaire envisage un avenir bien plus noir. « Si cette réforme passe, je serais obligé de licencier deux moniteurs. » Une situation dramatique mais qui n’est rien face aux nombreux clubs qui vont devoir fermer leurs portes. « Sur 7 000 centres, 2 000 devraient fermer et 6 000 emplois être menacés », annonce Didier Viricel. Il craint également un retour à la précarité. « Nous ne pouvons plus que rémunérer nos employés au salaire minimum », déplore-t-il. Mais pour Didier Viricel comme pour beaucoup d’autres propriétaires de clubs équestres, la fata- lité a pris le pas sur le reste. C’est donc en souriant qu’il annonce que « la TVA à 20% va ralentir le développement de la filière équine.» Il ajoute qu’il y a quinze ans, la taxation avait été réduite pour leur permettre d’investir. « Aujourd’hui, retour à la case départ », conclue-t-il en haussant les épaules. Cette situation n’est pas propre aux centres hippiques, elle se retrouve dans d’autres filières. Tous les métiers en lien avec le monde du cheval vont être impactés par cette hausse. Comme l’explique Thibault Arlabosse, maréchal ferrant à Escalquens, son « métier dépend d’une chaîne de professionnels qui interagissent entre eux ». Il risque donc de voir sa clientèle diminuer si des clubs de la région venaient à mettre la clé sous la porte. Toute la filière taxée Même constat chez les éleveurs qui dénoncent cette manie de toujours frapper sur un secteur déjà en crise. « Nous sommes déjà passés à la taxe à 19,6% l’année dernière, ce qui a fait chuter le nombre de vente de chevaux. La taxe à 20% pour les clubs hip- piques nous obligera encore plus à baisser notre culotte pour nous en sortir », explique François Bouchard, éleveur à Céran dans le Gers. Un fonds cheval Pour apaiser les tensions, le gouvernement semble prêt à lâcher la bride. Par la mise en place d’un « fonds cheval » dont le financement reste encore flou, l’Etat entend répondre aux besoins de ce secteur. Un combat perdu d’avance selon Didier Viricel. « Il n’y a encore rien de défini. Avant, la filière s’autorégulait. Aujourd’hui, l’Etat veut nous venir en aide en faisant payer tout le monde, alors que nous essayons de nous en sortir depuis des années sans solliciter de subventions extérieures. » Selon lui, ce manque d’engagement de l’Etat contre la politique européenne est une « atteinte réelle au travail » ainsi qu’à tous les emplois de la filière équine. Un débat qui semble loin d’être terminé et qui pourrait amener le monde du cheval à se cabrer jusqu’à la fin de l’année. Camille Wormser Actualité - la pointeuse - 6 décembre 2013 Derrière le marché de Noël se cache une réalité économique : 250 emplois et un impératif de rentabilité. Une hotte remplie d’emplois à Toulouse, le marché de Noël s’installe place du Capitole : cabanes et illuminations remplacent l’habituel parvis. Si pour beaucoup marché de Noël rime avec joie et cadeaux, il ne faut pas oublier les emplois et la main-d’oeuvre qui lui sont associés. Cette année, plus de 500 entreprises, boutiques et autres vendeurs ambulants ont postulé pour prendre place du 29 novembre au 26 décembre devant la mairie. Sur les 500, 128 seulement sont sélectionnés. Parmi eux, des chalets où débordent saucissons, vin chaud, bijoux mais également, plus original, un chalet boulangerie, des produits équitables venus du Népal ou encore un stand de kirigami. Dès le mois de mai, les commerçants ont dû remplir 28 Jours de travail de suite. Le marché de Noël est un «rush» pour les commerçants qui enchaînent les jours ouvrés, jusqu’à 300 heures dans le mois. une demande d’inscription et choisir la taille de leur chalet : 3, 4 ou 6 mètres. Un investissement conséquent pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. Pour tous, il s’agit donc de rentrer dans ses frais. Des profils différents Et plus particulièrement pour les auto-entrepreneurs. La plupart des commerçants sont des habitués des marchés et des foires, à leur compte ou en tant qu’employé. De 10h30 à 20h30 et jusqu’à 22 heures pour les nocturnes du week-end, ces vendeurs ambulants, sédentarisés pour l’occasion, ne quittent pas leur chalet. Même pour aller aux toilettes. C’est le cas d’Angelo, 53 ans, employé par le groupe Montagnel qui vend de la charcuterie catalane. Seul dans son chalet, il n’a qu’un but : vendre son pack de 7 saucissons à 20 euros. « Je suis né là-dedans », explique-t-il, fièrement. Pour lui, pas d’incertitude concernant sa rémunération puisqu’il est prestataire pour Montagnel, avec un salaire fixe. Il ne gère pas l’emplacement et n’avance pas d’argent. Un peu plus loin, Valentine, 50 ans, est nouvelle sur le marché. Elle est propriétaire de la boutique d’accessoires Laï-Laï. D’avril à septembre, elle tient un ma- gasin éphémère à Vallon-Pontd’Arc en Ardèche. Cette année, elle s’est lancée dans l’aventure du marché de Noël. Elle témoigne : « C’est un nouveau challenge. La location du chalet m’a coûté 4 200 euros, presque 5 000 avec le raccordement électrique ». Pour elle, aucun moyen de savoir à l’avance si elle pourra se payer. « J’espère rentrer dans mes frais. Mais on ne le saura qu’à la fin », ajoute-t-elle. Quant au froid, ce n’est pas un souci, ça l’arrange même pour vendre ses bonnets. Yann, 42 ans, sera payé quoi qu’il arrive. Ils vendent des produits qui marchent bien : des guirlandes lumineuses vendues entre 30 et 60 euros. « Mon employeur fait de nombreux marchés de Noël : celui de Toulouse, Montpellier, Bruxelles et Paris. Alors si l’un n’est pas rentable, il se rattrapera sur les autres » fanfaronne-t-il. Ils ne veulent pas travailler tous les jours, et surtout pas le weekend », explique la vieille dame. Le marché de Noël, c’est plus de 293 heures travaillées pendant 28 jours de suite, sans compter les heures d’installation. Soit plus de 70 heures hebdomadaires par semaine, plus du double des 35 heures légales. Pourtant, tous les commerçants évoquent la bonne ambiance et la bonne entente entre eux. Ils sont là par choix. La chaleur que transmettent ces travailleurs de Noël aura raison du froid et de l’ennui. Pauline Landais-Barrau Commerçants et employés travaillent sans répit aux stands des bretzels et du vin chaud. © BP Une pénibilité assumée La doyenne du marché, Huguette, a 78 ans. C’est la huitième année qu’elle fait le marché de Noël, où elle vend des stylos plume. Seule dans sa cabane, sa plus grosse difficulté est d’aller aux toilettes. « Ma fille vient me voir de temps en temps, et j’en profite pour y aller. Les horaires sont difficiles, c’est pour ça qu’il y a de moins en moins de jeunes. Une nuit de travaux, à deux semaines de la mise en service de la ligne G du tram toulousain. Nuit blanche sur le pont Saint-Michel Le bal des hommes aux chasubles fluos commence dans quelques minutes. Ils crachent de la vapeur, le mercure est passé en dessous de zéro. Toute la semaine, « vingt chauffeurs et techniciens travaillent de nuit pour réaliser les essais du tramway et vérifier la résistance du pont renforcé il y a quelques semaines », explique Jean-Paul Ginfran, chargé du projet tram Garonne. 21 heures. Plus personne ne passe sur le pont jusqu’à demain matin. Antonio l’Espagnol et ses collègues ont bloqué l’accès du pont avec des barrières en plastique. Les essais vont pouvoir commencer. Trois camions chargés se positionnent sur le pont, où sont placés des plots oranges. Au volant d’un d’entre eux, Jean. Il a eu la permission d’emmener son épouse. Au chaud dans sa cabine, ils regardent un film sur leur tablette, qu’il interrompt à Rémi (à gauche) et Antonio (à droite) travaillent la nuit pour livrer le tramway dans les temps./ MR « Je gagne 100 euros pour une nuit de travail auxquels j’ajoute la journée du lendemain. » chaque fois qu’il doit déplacer son camion. 22h30 Dans un silence épais comme la brume, une rame de tram rempli de charges. Antonio 27 ans, et ses deux collègues contemplent l’arrivée du tram au futur arrêt Fer à cheval. Ciga- rette au bec, il explique que pour huit heures de travail il est payé 100 euros auxquels s’ajoute la journée du lendemain considérée comme travaillée. La nuit, toulousaine est certainement plus froide qu’à Séville. Il ne rechigne pas car il n’ a pas le choix. Chez lui en Andalousie, il n’y a plus de travail dans le BTP. Lui et ses compères plaisantent avec Jean, rencontré le soir-même sur le chantier. 00h12 La silhouette noire et la lampe frontale de Rémi, le géomètre bordelais apparaissent, dans une épaisse brume. Il vient de passer une heure sous le pont, agrippé à un échafaudage. Il est chargé de mesurer les mouvements du pont liés au passage du tram et au stationnement des camions. Il collecte des « micromètres de déplacement ». Pour lui le plus gênant c’est le brouillard qui complique la lisibilité des ré- sultats. Son explication est interrompue par un « Vous allez bien?» Un casque sur la tête, une tenue orange et un sac à dos : c’est encore le conducteur de travaux, bienveillant. Sammy Ammar est sûrement celui qui a parcouru le plus de mètres à pied ce soir, pour coordonner les équipes. Il encadre tous les travaux du pont liés à l’arrivée du tram. 03h40. Après plusieurs allers-retours, les essais sont terminés. Le barrage du pont est levé et la circulation reprend lentement. Le géomètre passera le reste de la nuit à l’hôtel, à côté du Stadium. Les premiers résultats de mesure sont positifs. La prochaine étape est une marche à blanc du tram, sans passagers. Après l’autorisation du Préfet, la mise en service du tram interviendra le 20 décembre, si toutefois il n’ y a pas de mouvement de grève. Marion Rivette - Dossier la pointeuse - 6 décembre 2013 Travail dominical, vers une nouvelle législation Par Anne-Sophie Bernadi, Anaïs Clavell, Ganesh Pédurand et Agathe Roullin Bailly ou l’exercice d’équilibriste Entre principes et lobbies, Jean-Paul Bailly a rendu lundi son rapport à Jean-Marc Ayrault. Des conclusions en vue d’une loi l’année prochaine. Illisible », « compliqué », « véritable casse-tête ». Le système qui régit le travail dominical en France est pour le moins critiqué. En septembre dernier, le gouvernement Ayrault a commandé un rapport à Jean-Paul Bailly pour y voir plus clair. Lundi, l’ex-patron de La Poste a rendu ses propositions pour résoudre l’imbroglio. En somme, une extension du travail dominical sans pour autant « que le dimanche devienne un jour banalisé », a souligné Jean-Paul Bailly. « Il n’y aura pas de remise en cause du repos dominical», a promis Jean-Marc Ayrault. Le rapport fera l’objet d’une loi courant 2014. Un calendrier des dimanches plus souple Le rapport fait quatre recommandations. La sortie du secteur de l’ameublement du système de dérogations, la réorganisation des zones spécifiques, la réaffirmation du volontariat et le passage de cinq à douze de dimanches par an, soit quasiment un dimanche sur quatre. 8,1 millions C’est le nombre de personnes qui travaillent habituellement ou occasionnellement le dimanche. Aujourd’hui, le maire peut décider de l’ouverture dominicale des commerces de sa ville cinq fois dans l’année. Mais ce quota de dimanches est souvent totalement consommé par les fêtes de fin d’année et les soldes de janvier. Jean-Paul Bailly propose de passer de cinq à douze le nombre de « dimanches du maire ». Sur les douze, sept seraient toujours tributaires de la décision du maire tandis que les cinq autres seraient au bon vouloir des commerces. Le volontariat « clé de voûte » comme Enfin, le rapport Bailly propose également d’étendre les zones concernées par les ouvertures exceptionnelles le dimanche, comme c’était le cas pour les régions parisienne, marseillaise et lilloise. Bailly veut créer des périmètres d’aménagement concertés commerciaux (PACC) qui ne seraient plus réservés aux grandes villes, mais à l’ensemble du territoire. Le volontariat doit être intrinsèque au travail dominical en France, martèle Jean-Paul Bailly. Mais certains syndicats ne relèvent pas que du bon dans ce rapport: le travail du dimanche ne pourrait plus figurer dans un contrat de travail. Côté rémunération, Jean-Marc Ayrault veut des contreparties pour tous les salariés du dimanche. Aujourd’hui, certains ne bénéficient pas d’un doublement de leur salaire et sont payés à montant égal le di- manche du reste de la semaine. Les commerces de moins de onze salariés ne seraient pas concernés par les compensations financières. Cependant, d’après une enquête menée par la CFDT auprès de 1834 salariés du commerce, 27% d’entre eux estiment que la notion de volontariat est impossible « à cause des pressions directes ou indirectes », et 41% difficile, « parce qu’il n’y a pas assez de personnel pour laisser le choix ». L’exception bricolage En 2008, la droite a accordé aux magasins d’ameublement une dérogation pour ouvrir le dimanche. Une brèche qui a poussé le secteur du bricolage à réclamer le même régime au nom de la distorsion de concurrence. Mais en septembre dernier, Bricorama n’ayant pas de dérogation pour ouvrir ses magasins le dimanche, et s’estimant ainsi lésé, avait demandé et obtenu en référé que ses deux concurrents Castorama et Leroy Merlin soient également obligés de fermer quinze de leurs établissements d’Ile-de-France le dimanche. Mais les deux enseignes ont bravé l’interdiction. C’est dans ce climat que le gouvernement a demandé à M. Bailly de mener une mission pour clarifier le cadre juridique du travail dominical. Le rapport Bailly propose ainsi de supprimer au 1er juillet 2015 la dérogation de l’ameublement. Jean-Marc Ayrault a proposé dans la foulée d’accorder d’ici là une dérogation temporaire au secteur du bricolage à condition que Bricorama lève ses actions en justice. Une décision qui signe « la fin de l’injustice », selon Jean-Claude Bourrelier, le président de l’enseigne Bricorama. Dossier - la pointeuse - 6 décembre 2013 Le volontariat n’existe pas Noëlle Marty, 66 ans, est militante à la CGT. Cette hôtesse de caisse à la retraite dans la grande distribution a fait de la défense du repos dominical son cheval de bataille. Noëlle Marty a travaillé toute sa vie dans la Un jour comme un autre pour l’individu. Personne n’est content de travailler le dimanche. grande distribution. Elle a toujours refusé de travailler le dimanche. Quelle est à ce jour la politique de la Haute-Garonne concernant l’ouverture des commerces le dimanche ? Noëlle Marty - La Haute-Garonne, comme les autres départements français, est soumise à la loi française en vigueur. Il y a des dérogations de droit qui autorisent certains commerces – boulangeries, boucheries, jardineries, supermarchés… – à ouvrir le dimanche jusqu’à 13 heures. Mais je dirais qu’en HauteGaronne, la situation est plus « évoluée » qu’ailleurs. Depuis seize ans, un accord départemental limite à deux ce qu’on a appelé les « dimanches du maire », ces dimanches d’ouverture exceptionnelle autorisée. La loi en autorise cinq au niveau national. Par ailleurs notre département n’est pas concerné par les zones dites « spéciales » que sont les PUCE et les zones d’intérêt touristique. de vue du droit salarial, c’est légal, après se pose la question de la concurrence déloyale… Y’a-t-il néanmoins des abus ? NM- Non, dans ce cas-là, le volontariat, ça n’existe pas. Qu’on veuille travailler le dimanche pour gagner plus ou avoir un jour de récupération supplémentaire, c’est quelque chose que je peux entendre, même si je ne le comprends pas, mais ne me parlez pas de volontariat. Si les salariés gagnaient plus, ils n’auraient pas besoin de courir après le travail du dimanche. Dans le volontariat, il y a une notion de plaisir et de plus-value NM - Oui, évidemment, il y a des débordements. Certaines enseignes qui vendent des produits autres qu’alimentaires contournent la loi en faisant par exemple travailler des membres de leur famille. C’est le cas de Gifi et de la Foir’Fouille. Car il faut rappeler que ce qui est interdit, ce n’est pas tant l’ouverture en tant que telle, mais l’utilisation des salariés le dimanche. Du point Peut-on vraiment parler de « volontariat » de la part des salariés ? Que pensez-vous du rapport Bailly ? NM - C’est hypocrite et pervers. D’un côté, il réaffirme le principe de volontariat, et de l’autre, il propose de passer de cinq à douze les « dimanches du maire ». Douze dimanches, c’est énorme, c’est un dimanche par mois! Aucune organisation syndicale n’acceptera ça. Au-delà du travail du dimanche, tout cela pose la question de la société dans laquelle nous voulons évoluer. Quelle serait la solution pour contrer ce « toujours plus » ? NM - Revenir au repos dominical pour tous, limiter les dérogations aux services de première nécessité et aux loisirs. Parce que là, on va droit dans le mur. On nous parle de créations d’emploi, mais on oublie de regarder tous les petits commerces qui seront contraints de fermer ! Quant à l’argument du profit réalisé le dimanche, il ne tient pas, car ce chiffre n’est pas réel. Le fond du problème, c’est la concurrence. Si les autres n’ouvrent pas, il n’y a pas de problème, le chiffre d’affaires se déplace sur les autres jours de la semaine. La solution, c’est de remettre tout le monde au même niveau. Manon Sabut, 22 ans, étudiante en master psychologie au Mirail et vendeuse chez Midica. E lle a une vie bien remplie – fac, examens, petits boulots – pourtant, travailler le dimanche, elle accepterait « sans hésitation ». Vendeuse chez Midica depuis l’été dernier, Manon ne peut s’assumer seule, ou presque, que grâce à ce job étudiant. « Mes parents me payent le loyer, mais pour le reste je ne veux rien leur devoir. Alors, un dimanche payé double ce n’est pas de refus ! ». Car elle insiste, « la condition de la rémunération valorisée et celle du volontariat, sont indispensables ». Et concernant l’argument du bouleversement de la vie sociale, elle ne comprend pas : « pour moi, le dimanche est un jour comme un autre. J’ai travaillé tout l’été le dimanche dans une piscine municipale, et ce n’est pas pour autant que mes habitudes sociales ont changé. Ce n’est pas un argument valable ». Alors accorder 12 dimanches au lieu de 5 actuels, comme le propose le rapport Bailly, c’est « faire les choses à moitié » selon Manon. « Soit on dit oui, soit on dit non au travail dominical. Personnellement, je préfèrerais que ça soit oui ». Le dimanche, c’est sacré ! Solange Dalmasso, 59 ans, vendeuse dans le magasin de chaussures Bata S olange travaille dans la vente depuis plus de vingt ans. Elle n’a jamais travaillé le dimanche, et ne compte pas changer. « Le dimanche, c’est sacré ». Avec quatre petits-enfants, qu’elle peut voir uniquement le weekend, elle n’imagine pas devoir sacrifier ce moment de famille. « Faire travailler les gens le dimanche c’est changer toutes ses habitudes sociales, bousculer la vie de famille. On ne vit pas pour son travail ! ». Et pas question de lui avancer l’argument du bénéfice pour l’entreprise. « A Toulouse, les gens sont habitués à trouver leurs commerces fermés le dernier jour de la semaine, ouvrir ne servira à rien, il n’y aura pas plus de monde ». Pourtant, la vendeuse consent des exceptions. « Je comprends qu’il y ait des gens qui aient besoin d’argent, notamment les étudiants, et pour qui un jour supplémentaire est vital. Mais le principe de volontariat doit être indispensable». 10 - Conditions de travail la pointeuse - 6 décembre 2013 Les âmes du cimetière de Rapas À Toulouse, une vingtaine de personnes travaillent au cimetière de Rapas, discrets mais indispensables U n matin de décembre dans le cimetière de Rapas, quartier SaintCyprien. Les croix se perdent dans la brume. Quelques visiteurs viennent saluer leurs morts. À l’entrée, dans un petit cabanon blanc, Jean-Jacques et Jean-Marc gardent les lieux. « J’étais monteur mécanicien sur des plateformes pétrolières », raconte le premier. « J’ai voyagé un peu partout en mer du Nord. Et puis j’ai arrêté, je suis retouné sur des chantiers à Toulouse, ensuite je suis devenu pompier. » Après trois fractures de la malléole et un infarctus Jean-Jacques a été « reclassé ». « Tous les gardes qui travaillent ici avaient un autre poste à la mairie. Suite à un accident et une invalidité, on nous a proposé de travailler au cimetière ou au musée », développe JeanMarc. Le quinquagénaire sort du cabanon et part faire sa ronde. Au bout d’une allée, entre les tombes fleuries, un homme emplit sa brouette de terre fraîche. Richard est responsable de l’entretien du cimetière. Avant, il était militaire. Il a dû se reconvertir après deux ans passés à l’hôpital. « On est bien mieux ici qu’au musée. On est au grand air. Et puis je connais tous les gens du quartier. Les habitués viennent discuter avec nous », affirme Richard. Mais au fil de la conversation il avoue tout de même : « Les enterrements c’est pas facile tout les jours non plus. Il faut avoir le mental, on voit des choses dures. » « Je travaille ici, je serai enterré ici » Un mental que l’on devine derrière un regard franc et volontaire. « Ça fait partie de la vie. Je sais que je ne quitterai pas les lieux. Je travaille ici et je serai enterré ici. » Sur ce, Richard range pelle et brouette dans sa camionnette et démarre, direction les bureaux. Au passage il croise un collègue qui rebouche un trou dans une allée. « Il faudrait peut-être penser à manger un jour ! » Dans le bureau, c’est aussi l’heure de la pause déjeuner. Jean-Paul est plongé Allô ! dans un grand registre avec des numéros. « On cherche des emplacements libres. On ne peut plus agrandir le cimetière, alors il faut faire de la place. » Quand une tombe est « périmée », un panneau est mis dessus pour informer la famille. « Ensuite les pompes funèbres enlèvent les corps ou les réduisent pour qu’ils prennent moins de place. » Jean-Paul et ses deux collègues s’occupent d’organiser les enterrements, de guider les familles, d’appeler des entrepreneurs pour la construction ou l’entretien de monuments. « Le relationnel n’est pas toujours facile. Parfois certains ne comprennent pas qu’il faille libérer une tombe, d’autres se plaignent qu’une tombe s’affaisse. Mais c’est aussi agréable lorsque certains habitués viennent nous saluer. C’est un cimetière de quartier ici. » Pour l’heure, il faut aller manger. Même si tous ces hommes font un travail atypique, la pause déjeuner, c’est pour tout le monde. Richard préfère travailler ici qu’au musée : « On est au grand air. » ©Oriane Verdier Ta légende faignante ! Oriane Verdier « Une poche de sang à livrer en urgence » Le transport sanguin reste le maillon peu connu de la grande chaîne médicale, pourtant son rôle est essentiel Un livreur de sang toulousain prêt pour sa course. ©Françoise Huedro Ils font partie de la grande famille des urgentistes. On les appelle les transporteurs de sang, les conducteurs médicaux urgentistes, ou plus poétiquement les « messagers » du transport des produits sanguins. Derrière ces appellations, des femmes et des hommes s’activent dans ce domaine en évolution. Parmi eux, Vincent Clavaud. Âgé de 35 ans , ce Toulousain d’adoption est cogérant d’une entreprise de transport sanguin, Urgent-sang 31. Ancien brancardier, il s’est lancé dans cette aventure il y a deux ans et demi sans conviction. « J’ai toujours été dans le milieu médical. Malheureusement je n’ai pas la capacité intellectuelle d’être un grand chirurgien. En montant cette boîte, je pensais apporter, à mon niveau, ma pierre à l’édifice », explique t-il. 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Voilà comment Vincent Clavaud et son associé contribuent à cette « aventure ». « Mes journées commencent à 14 heures et se finissent le lendemain à la même heure. Il peut arriver que l’on n’ait rien pendant quelques heures puis qu’on enchaîne cinq courses l’heure suivante. Quand c’est des urgences, il faut effectuer la commande dans la demi-heure », décrit le jeune entrepreneur. Commence alors une course folle de l’Etablissement française du sang (EFS) de Purpan vers la clinique concernée. Paradoxalement, ces urgences se font à bord d’un véhicule non prioritaire. Elles bénéficient d’une facilité de passage mais il n’existe aucune obligation légale qui l’impose. Contrairement à Paris, Bordeaux ou Montpellier, les véhicules toulousains ne sont pas équipés de sirène ou de gyrophare. « On emprunte les voies de bus. On slalome dans la ville à coups de klaxon ou d’appels de phares. On fait avec », s’amuse Vincent Clavaud. Avec 400 à 450 courses par mois pour trois établissements de santé, cette nouvelle boîte s’est installée dans la région toulousaine parmi cinq autres entreprises de transport de sang. En France, ces marchés privés ont pris le relais il y a dix ans. Les nouvelles entreprises peinent à trouver une identité. Avant eux, les motards de la police ou de la gendarmerie étaient chargés du transport de sang. « Notre métier est considéré à mi-chemin entre le transport et le médical », regrette Charley Mege, président du Groupement national des transporteurs de sang et d’organes (GTSO). « Ce double aspect est néfaste à l’efficacité de nos missions puisque notre spécificité est oubliée entre deux domaines, sans autorité de tutelle clairement définie. » Le flou législatif et la méconnaissance des administrations sur les missions du transporteur de sang représentent un réel problème. « Je suis régulièrement interpellé, autant par l’administration que les acteurs de la santé publique sur les effets indésirables d’un transport effectué trop souvent par des entreprises non qualifiées. Ce qui entraîne de sérieux incidents comme des urgences réalisées avec retard ou des courses faites sans respecter les normes de conservation du sang », poursuit le président du GTSO. Des formations au transport de sang sont pourtant proposées par des établissements professionnalisants dans certaines régions de France. Mais aujourd’hui seul le permis et la licence de transport sont obligatoires pour exercer. Françoise Huedro Conditions de travail - 11 la pointeuse - 6 décembre 2013 Salaire jadis, complément de salaire hier, le pourboire se perd. Pour les serveurs et coiffeurs toulousains, c’est devenu de la petite monnaie «N on ! » Ni bonjour, ni au revoir. Le maître d’hôtel du Bibent refuse que ses serveurs évoquent le sujet du pourboire. Il n’y avait pourtant pas foule dans cette brasserie cossue et baroque de la place du Capitole. Surprenante censure : veut-il taire le déclin de la pratique, pour ne pas mettre mal à l’aise les quelques clients encore attablés ? De fait, le pourboire tend à disparaître, entend-on dans la plupart des restaurants, bars ou salons de coiffure toulousains. Talal entrouvre ses mains. Au creux, quelques misérables pièces rouges ont bien du mal à résonner. « Voilà ! C’est ce que j’ai fait entre hier et aujourd’hui. 11 centimes… » Le pourboire n’est plus un complément de salaire pour Talal : « Il y a quinze ans, je gagnais deux fois plus ! » Pour lui, « c’est la carte de crédit qui a tué le pourboire : les gens n’ont plus de liquide sur eux. » Une thèse confirmée par ses collègues. Aujourd’hui, les touristes étrangers sont les seuls à donner beaucoup et à chaque fois. D’une part, ils ont davantage d’espèces sur eux (les retraits à l’étranger coûtent cher), d’autre part, il est d’usage de donner 10 à 20 % en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Ce n’est pas le cas des Français. « Ils disent donner souvent, mais c’est un mensonge », affirme Manu. Il reconnaît gagner entre 30 et 80 euros par mois grâce au pourboire, dans son restaurant exotique de la rue Matabiau. Si la fourchette est si large, c’est sans doute parce que les touristes s’y font rares. À part les étrangers, qui sont les plus généreux ? « La seule règle, c’est qu’en dessous de 25 ans, les gens ne laissent rien. » Il s’empresse de préciser : « Mais les anciens qui donnent plus que les autres, c’est une légende. » Trop peu pour épargner Comme Talal, Ludovic est un vieux de la vieille. Il y a 17 ans, lorsqu’il a débuté dans l’hôtellerie au Crown Plaza, rue Gambetta, les pourboires pleuvaient. « J’étais un jeune groom et la clientèle était assez riche. Français comme estivants n’hésitaient pas à me donner quelque chose. Ça oscillait autour des 50 francs, voire 20 dollars pour les plus Le pourboire ne nourrit plus friqués. » Entre deux coups de torchon sur sa vaisselle humide, il donne son idée sur la question : plus le standing de l’établissement est élevé, plus les pourboires sont importants. Les clients des salons de coiffure mettent aussi la main à la poche. « Une cliente sur trois », soutient Laura, apprentie esthéticienne. Cela peut aller de deux à dix euros, pour des prestations qui vont de 20 à 80 euros. En un mois, Laura touche jusqu’à 30 euros qu’elle dépense au fur et à mesure. Trop peu pour épargner. « Parfois, je les remets même dans la caisse quand on a besoin de petite monnaie. » Une rue plus loin, Johanna dit la même chose, mais elle précise en rigolant : « Les clients donnent plus volontiers aux coiffeuses et les clien- tes aux coiffeurs. » Il faut dire que ce métier est particulier. « Avec le temps, la relation devient affective avec certaines clientes qui viennent pour se confier. » Au final, seul Mickaël, qui sert au Père Léon, met de côté ses 40 à 80 euros de pécule mensuel. Pour tous les autres, coiffeurs ou serveurs, c’est devenu de la petite monnaie, aussitôt perçue, aussitôt dépensée en clopes et tickets de bus. « Ce n’est pas dû à la crise, mais à un changement de mentalité », regrette, fataliste, le patron du Mangevins. « Et c’est dommage, ricane Manu. Nous avons de la mémoire, et quand les clients généreux reviennent, le service est souvent de meilleure qualité ! » Le pot à pourboire du Mangevins sonne bien creux. © JeanMarie Bordry Jean-Marie Bordry et Johan Tabau Pour gagner plus, certaines renoncent à une couverture sociale Femme de ménage sans feuille de paie ©DR Une enquête de Market Audit pour la société de services à domicile, O2, met en évidence une nouvelle réalité. En novembre dernier, 33 % des sondés déclarent avoir déjà travaillé dans le domaine des services à la personne sans avoir été déclarés. L’économie parallèle augmente. Un nouveau phénomène se développe, le travail gris. La déclaration partielle des heures de travail concernerait 20 % des services à la personne. Zahra, femme de ménage de 31 ans, mère d’un garçon de trois ans, travaille au noir de façon occasionnelle. Elle n’est pas étonnée par cette étude. L’entre- prise O2 a bien tenté de recruter Zahra mais elle a refusé. « Seule, je gagne plus, j’ai plus d’indépendance », déclare-t-elle. Elle n’a pas peur des accidents de travail et admet qu’en percevant le revenu de solidarité active (RSA), « il est plus pratique de ne pas tout déclarer ». Elle poursuit : « Si je n’avais pas d’enfant, je jouerais certainement la sécurité, mais avec mon fils, je préfère gagner plus d’argent. Mon concubin, frigoriste pour GDF, assure la stabilité ». Malgré ce choix, Zahra ne s’est pas infor- mée sur les risques qu’elle encourt pour cette fraude. Sa retraite, elle y pense souvent, et se dit qu’elle n’en aura pas. « Je ne veux pas rester femme de ménage toute ma vie », dit-elle. Zahra a arrêté l’école à seize ans, « sans bagage universitaire, c’était compliqué de trouver d’autres emplois ». Aujourd’hui, elle prépare une formation d’intégrateur cabine aéronautique dans le but d’être mieux rémunérée et de façon plus régulière. Amandine Villaréal 12 - Conditions de travail la pointeuse - 6 décembre 2013 Eh Mec ! Elle est où ma caissière ? Caisse automatique, scanner individuel et même magasin virtuel... Quand les grandes surfaces mettent le consommateur à contribution, les caissières voient leurs emplois disparaître. Si cela nous permettait au moins d’être plus disponible pour les gens, mais en réalité on nous en demande encore plus. À force, c’est snous qui devenons des machines ! » Diatta, 45 ans, mère de deux enfants, est « hôtesse de caisse » depuis treize ans au supermarché Casino Saint-Georges à Toulouse. Légèrement résignée, elle a vu l’arrivée de « ces robots ». Si elle pense que cette nouvelle technologie ne remplacera pas toutes les caissières, elle estime que le système détériore les relations avec les clients.« Les passages en CLS (caisse en libre-service), c’est toujours plus de pression. J’ai quatre caisses sous ma responsabilité et il faut superviser le passage des articles via un ordinateur, s’assurer que les clients ne viennent pas avec leur caddie et qu’ils respectent le fonctionnement des bornes. » Arrivées dans les supermarchés français dès 2005, les caisses automatiques devaient permettre une forte rentabilité, une meilleure fluidité et des files d’attente moins longues pour des consommateurs toujours plus pressés. Tous caissières ? Après quelques années d’utilisation, le bilan est plutôt mitigé pour Marlène Benquet, auteure de Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution. « En France, ce sont près de 2,3 millions de personnes qui utilisent désormais ces nouveaux moyens mis à leur disposition. Pourtant les consommateurs prennent davantage de temps que les caissières, ce qui peut d’ailleurs les agacer et créer des situations délicates. Mais le fait d’être en action donne l’impression d’agir sur le temps. » Teddy, employé à temps partiel depuis trois mois, est régulièrement affecté à ce type de poste. « Les gens gardent moins leur sang-froid lorsqu’ils passent euxmêmes les articles. Ils s’énervent au moindre souci et nous rejettent la faute. Le samedi aucun de mes collègues ne souhaite surveiller les CLS. » Car le métier diffère réellement de celui effectué en caisse classique. Le personnel est en charge de nouvelles tâches pour lesquelles il est très peu formé. « Les caissières deviennent des contrôleuses avec un rôle qui tend vers de l’encadrement, ce qui peut être mal interprété par les clients. Auparavant, leur travail était davantage séquencé avec une personne à la fois. Ce n’est plus le cas », détaille Marlène Benquet. Nouvelles dynamiques ? Certaines caissières apprécient néanmoins cette nouvelle fonction. « Ca change. Au lieu d’être vissée à mon siège, je peux aller vers les gens, bouger », raconte Sabrina, devenue caissière après un passage par Pôle emploi. Un moyen aussi pour elle, « de se tenir debout, face aux personnes ». Des arguments repris par la direction qui prône une «nouvelle répartition des missions » : « La mise en place des caisses automatiques a permis de nouvelles dynamiques. Le fait d’être assis Dans les supermarchés, les employés craignent pour leur avenir. © Bénédicte Poirier 4,5 Le nombre en millions de Français qui devraient passer par des caisses automatiques en 2015. Soit deux fois plus qu’en 2013. Les caisses automatiques ont fait leur apparition dans les supermarchés il y a déjà huit ans. © Bénédicte Poirier dernière une seule caisse peut devenir parfois rébarbatif », explique avec aplomb Evelyne Coussot, responsable du personnel du supermarché Casino. Quant à une éventuelle baisse du personnel, la directrice assure que le magasin tourne avec un effectif quasi similaire à l’année précédente. « Nous embauchons même de nouvelles personnes », affirme-t-elle. Coté clients, les avis divergent. Si Patrick « ne souhaite pas contribuer à la disparition des caissières », il admet que de temps en temps, il passe par les caisses automatiques. « Quand je n’ai qu’un ou deux articles, ça m’arrive de les utiliser », relate-il un peu confus. Pour Mathilde en revanche, la question ne s’est jamais vraiment posée. « Maintenant qu’elles sont installées, je ne pense pas qu’ils les enlèveront. Mais c’est vrai que c’est agaçant quand le code barre du produit ne passe pas.» Si la situation ne semble pas réellement émouvoir les clients, surtout soucieux du prix de leur caddie, les caissières redoutent l’automatisation complète de leur outil de travail. Elles pourraient alors subir le même sort que les poinçonneurs du métro parisien et devenir un métier du passé. Guillaume Arlen « Les caisses automatiques promettaient une forte rentabilité, une meilleure fluidité et des files d’attente moins longues pour des consommateurs toujours plus pressés. » Conditions de travail -13 la pointeuse - 6 décembre 2013 La Compagnie du Rêvoir bouillonne en coulisses Rachel, Céline et Marlène montent un spectacle. Texte, décors, mise en scène et musique, les trois comédiennes ont tout conçu. « Je me souviens l’odeur du petit déjeuner, les bruits sourds à travers la maison... » Rachel tourne en rond et répète son texte. Quelques notes de violon se plaignent dans le silence du grenier : Céline accorde son instrument. Pendant ce temps, Marlène cherche désespérément un gilet assorti à sa robe bleue. Quelques échauffements, on rassemble les accessoires, tout est près pour la répétition. La pièce parle de gâteau, de gourmandise et de père fouettard. Les trois femmes d’une trentaine d’années jouent Un Cabaret pour enfants gloutons (à la crème fouettée*), un spectacle pour enfants. La Compagnie du Rêvoir, c’est comme ça qu’elles s’appellent, se réunie tous les jours depuis trois semaines dans le grenier de la maison de Rachel. A Venerque, perdue dans la campagne toulousaine, la mezzanine de la vieille maison en pierres rouges a été transformée en espace de création. Des pots de peintures et des costumes bordent les murs. « Passe moi la glue, je dois recoller ça », crie Marlène. La jeune femme est responsable des accessoires. « Ici, on a toutes un rôle. On est obligées de se répartir le travail, de s’organiser, pour être efficaces. » Organisation, efficacité, travail. La Compagnie du Rêvoir est une vraie entreprise. Rachel est à l’origine de la mise en scène, Céline, de la musique, Marlène déguisée en ogre, prépare un bouillon d’enfants. © Christelle Dameron. Airbus : une vie de sous-traitant L’avionneur européen accumule les grosses commandes. Comment faire pour livrer tous ces avions à temps ? Une des solutions : sous-traiter ! Marlène des décors. « C’est un travail d’équipe », poursuit cette dernière. Tout doit être prêt pour la représentation de samedi. La pièce a été achetée par l’association culturelle de Venerque pour 750 euros. Rachel et Marlène ont déjà investi entre 100 et 200 euros chacune. « À la fin, on aura même pas un cachet chacune », avance Rachel. Le cachet que touche les artistes, oscille normalement entre 90 et 150 euros. Les filles espèrent obtenir d’autres dates. La pièce a déjà été achetée deux fois à Périgueux pour un montant de 1500 euros. « Les spectacles pour enfants, ça marche bien, il y a de la demande, c’est un peu pour ça qu’on a monté cette pièce », explique Rachel. Les trois comédiennes complètent leurs revenus en donnant des cours de théâtre. « Nous avons de la chance de pouvoir vivre du théâtre, il y a peu de pays où c’est possible, explique Rachel. Le théâtre, c’est du luxe et de l’impuissance. Du luxe car c’est un plaisir d’exercer, de l’impuissance car nous dépensons énormément de temps, d’énergie pour une œuvre qui sera produit une seule fois », continue-t-elle. Marlène tempère : « Comme dans n’importe quel travail, il y a des contraintes, des pressions et beaucoup de stress. J’ai l’impression de travailler tout le temps. » À la fin du premier filage, Marlène s’effondre. « Ça a pas enchaîné du tout là... Allez, ça va le faire. Il faut juste quelques ajustements dans le mise en scène, rassure Rachel, et puis on a encore jusqu’à samedi.» Christelle Dameron Ton univers impitoyable Magnolia Trilllo, déléguée du personnel chez Kuehne-Nagel, société germano-suisse de 700 salariés sous-traitante en logistique, fait le même constat. « Il y a une vraie dégradation des conditions de travail et beaucoup de casse sociale. Il y a de plus en plus de licenciements abusifs quand Sur le site de Toulouse, 14 000 personnes pointent tous les jours. Mais en tout, 40 000 travaillent pour Airbus dans la région. Ces salariés sont simplement employés par d’autres sociétés : les soustraitants. Patrick Bricet, de la CGT Airbus, indique que l’A380 est sous-traité à hauteur de 70%. Quant à l’A350 ou l’A400M, cela dépasserait les 80% ! L’A320, qui rapporte beaucoup au constructeur, est fabriqué en seize exemplaires par mois à Toulouse ! Le carnet de commandes pourrait dépasser les 1 200 appareils selon le directeur commercial John Leahy. Alors il faut construire toujours plus vite. SSII. Ce qui aujourd’hui représente plus de 2 000 suppressions d’emplois. Entre 2 500 et 3 000 sont encore prévues à l’horizon 2018. Pour Carmelo Mistretta, salarié chez Sopra, sous-traitant en informatique, le rythme de travail reste correct et il apprécie d’avoir deux heures pour déjeuner. Il regrette aussi d’être considéré comme « un employé de seconde zone. » Selon lui, Airbus abuse de sa position vis-àvis de ses collaborateurs. « C’est vrai que Sopra réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires avec Airbus, mais le donneur d’ordres ne nous traite pas correctement. » Le manque de considération irrite Carmelo qui a vu sa mission à Airbus interrompue après un préavis de… trois jours. Flora Ferdinand notre direction n’arrive pas à obtenir une rupture conventionnelle. Ils nous poussent à bout, et du coup, beaucoup démissionnent. » Chez Figeac Aéro, fournisseur de pièces détachées dans le Lot, Fabienne Vayssié, responsable recrutement, n’a pas le même discours : « Quand Airbus va, tout va ! » Pour elle l’essentiel est d’avoir du travail. « On ne va pas se plaindre, ce sont les aléas de la vie de sous-traitant. Malgré tout, on est en phase de recrutement et d’investissement pour améliorer nos produits. » Elle a conscience que la sous-traitance n’est pas des plus confortables mais l’accepte car, en ce moment, aucun contrat ne se refuse. Cependant, elle se doute qu’en février, lors des négociations annuelles, les revendications salariales devraient une fois encore exiger une hausse des salaires, bien inférieurs à ceux d’Airbus. Grosse machine mais quels rouages… Parmi les sous-traitants, les sociétés de service en ingénierie informatique (SSII) sont les plus représentatives. « Leurs bureaux d’études ont subi de grosses pressions pour finaliser au plus vite la conception de l’A350. Ces petites mains n’ont pas compté leurs heures face aux charges de travail car la politique de Tom Enders et d’EADS, la maison mère, c’est de satisfaire l’actionnaire », explique Patrick Bricet. Rentabilité à deux chiffres exigée ! Pour y arriver, Airbus s’est déjà séparé de plusieurs FF L’A380 d’Airbus, nouvel avion phare de la compagnie. ©DR 14 -Chefs d’entreprise la pointeuse - 6 décembre 2013 « Mon père me prend pour un fou » Appelez-les « présidentes » Créer une auto-entreprise passé 40 ans, un choix de vie pas toujours compris. I l n’est pas hors la loi, n’exerce pas un métier en apparence tabou et pourtant il n’a pas souhaité témoigner à visage découvert. Marc (c’est ainsi que nous l’appellerons) est patron-associé dans trois Sociétés par action simplifiée, (SAS) mais aussi patron de son auto-entreprise qui sous-traite pour l’une de ses sociétés de consulting. C’est là que le bât blesse. Il ne souhaite pas dévoiler son identité car, selon lui, les entreprises avec qui il est en relation dans son métier de consultant, ne veulent pas travailler avec des auto-entrepreneurs. « Pour elles, on est des mecs fauchés et pas très fiables », assure Marc. « Si vous êtes artisan auto-entrepreneur, vous vendez à des particuliers, c’est parfait. Pour du consulting ça ne fait pas haut de gamme », ajoute-il. Dans sa famille non plus il n’est pas toujours compris. « Mon père a bossé pendant quarante ans dans la même boite, il ne comprend pas l’état du marché actuel… Il me prend pour un fou ! », lance-t-il en rigolant. Marc rit volontiers car il refuse de se laisser abattre. À 44 ans, un doctorat en chimie et quinze ans d’expérience, les entreprises l’ont « éliminé du marché du travail ». « En 2011, quand je me suis fait virer de mon énième CDD, je me suis dit que je n’avais pas le choix. J’ai fait une croix sur mes vacances, ma retraite, une vie de famille et j’ai créé ma propre entreprise. » Comme un débutant, Marc commet des erreurs. Sa première société ferme au bout d’un an : « j’ai mal ciblé le marché. » La stratégie de l’entonnoir Aujourd’hui son auto-entreprise sous-traitante en consulting lui permet, quatre mois après son lancement, de gagner un Smic. « Ma stratégie c’est celle de l’entonnoir. Je saute sur toutes les opportunités qui s’offrent à moi, grâce aux contacts accumulés durant ma carrière –l’avantage de l’âge –, je sélectionne ensuite », confie Marc. « Là, je suis sur un coup pour vendre des camions en Afrique », poursuit l’ auto-entrepreneur qui peut décidément faire ce qu’il veut au sein de son entreprise. « Il n’y a que des avantages. Quelques clics sur Internet et trois semaines plus tard j’avais un numéro de société avec une fiscalité réduite, sans TVA à payer et sans manager au-dessus de moi pour m’emmerder ! », confie Marc un brin provocateur. Confiant en l’avenir, « l’année 2014 va cartonner pour moi, je le sens », Marc justifie son choix de vie à qui veut l’entendre. « Je ne connais personne dans mon entourage toulousain qui, à 40 ans passés, a retrouvé un emploi en passant par un cabinet de recrutement », conclut-il. L’égalité professionnelle ne se vérifie pas dans les entreprises, les femmes sont payées 25 % de moins que les hommes Najat VallaudBelkacem, ministre du Droit des Femmes, a remis les prix de l’égalité au Marie de Fournas travail ce jeudi à Toulouse. © Akhillé Aercke. à Toulouse, Anouk Dequé, présidente de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME 31), dirige une agence de communication qui porte son nom. Avant, elle souhaitait devenir avocate en droit des affaires. Mais son goût pour le contact et son aisance relationnelle l’ont dirigée vers la communication : « Je suis en contact avec tant de secteurs différents, de la banque, jusqu’à l’art, en passant par l’environnement ou la santé . » Realise avec esael.ly.com / Source: APCE Dans le rugby... Marie-Claude Augier, issue de la même génération, est de son côté vice-présidente de la Chambre de commerce et de l’industrie de Toulouse (CCIT) et directrice d’une maison de retraite en Haute-Garonne. Présidente du club de rugby de Villefranche-de-Lauragais, elle voit dans le monde de l’Ovalie une occasion de rappeler l’aspect indispensable de la parité : « Il y a des présidents qui dirigent des clubs de filles. Pourquoi pas l’inverse ? Et puis le rugby, c’est une société qui peut être dirigée par une femme, comme toute autre exploitation ! » ...et les transports aussi Pour l’entreprise ABC Transport et Taxi Berne, la parité hommesfemmes est une chose acquise. Si l’entreprise de transports n’est pas dirigée par une femme, 80 % de ses effectifs sont féminins : chauffeurs de taxi et de car, transports scolaires... Cette société, récompensée le 5 décembre par un prix pour l’égalité professionnelle en entreprise dans la catégorie TPME, pourrait bientôt être dirigée par une femme. Histoire de tordre définitivement le cou aux idées reçues, même dans un milieu réputé machiste. Akhillé Aercke - PM Tisnès Un robot, quatre mousquetaires Depuis deux ans, quatre jeunes ingénieurs toulousains ont lancé le pari de commercialiser Oz, un robot conçu pour travailler dans les champs. Tout commence en 2010 lors d’une fête de l’asperge dans un petit village des Landes. Gaëtan Séverac, 26 ans, jeune diplômé en école d’ingénieur, rencontre un agriculteur éprouvant des difficultés physiques pour entretenir ses parcelles. Lui vient alors l’idée de construire un robot qui récolte et entretient les maraîchages. De retour à Toulouse, Gaëtan retrouve Aymeric Barthes, un ancien camarade de promotion. Emballés par le projet, ils dessinent les premiers plans du robot, avant d’être rejoints par deux autres diplômés de leur école d’ingénieurs en robotique et informatique. Après des centaines d’heures de dessin, programmations et bricolage, Oz premier du nom voit le jour, dans le garage d’Aymeric. « Ça ressemblait plus à une voiture téléguidée sur laquelle on avait attaché un râteau, indique Aymeric, nous n’avions pas d’exemple sur lequel nous appuyer, il nous a fallu de longues heures de concertation, au prix de nombreux échecs. » Demander des conseils aux entreprises spécialisées L’équipe progresse et fonde deux mois plus tard la société Naïo Technologies. Avec le soutien de l’incubateur Midi-Pyrénées, la start-up débloque des fonds. Un appel aux dons lancé sur une plateforme Internet permet de récupérer des fonds. Oz prend peu à peu sa forme définitive. « Nous avons contacté des entreprises françaises spécialisées en robotique pour obtenir des conseils sur les pièces et les programmes à utiliser », résume Pascal, un des ingénieurs. Depuis, Oz est devenu opérationnel, capable de biner et désherber automatiquement les rangées cultivées, mais aussi de suivre l’agriculteur au moment de la cueillette pour transporter les produits. Ses créateurs comptent désormais sur une levée de fonds pour développer leur production et garantir un avenir à leur petit robot. Gaëtan Séverac en compagnie de son robot. © Gaëtan Julien Courdesses Séverac. Insertion -15 la pointeuse - 6 décembre 2013 Du parloir au guichet d’accueil « Je n’aime pas Toulouse, mais il est déconseillé de se réinsérer sur les lieux de son forfait. » Après dix ans derrière les barreaux, Etienne, 58 ans, travaille aujourd’hui à l’accueil d’une école d’audiovisuel L orsque l’on échange quelques mots avec lui, il est difficile d’imaginer qu’il a passé dix ans de sa vie en prison pour homicide involontaire. À première vue, étienne n’a pas tout à fait l’allure de l’ex-taulard. Il s’exprime avec une grande clarté, dans un langage limpide et avec un vocabulaire riche. Il accepte de témoigner anonymement, son prénom a été modifié. Aujourd’hui âgé de 58 ans, il travaille depuis sa sortie de prison, il y a douze ans, à l’accueil d’un établissement d’enseignement supérieur dans le centre de Toulouse. Ici, personnel et étudiants connaissent son parcours carcéral. C’est sur son lieu de travail que notre rencontre a lieu. Les origines étienne a grandi avec sa famille dans la campagne bretonne, avant de s’installer à Paris à l’adolescence. Il arrête l’école à seize ans, et reprend des études de lettres à vingt-trois. Dix ans plus tard, véritable ermite, il retourne soudain en Bretagne, où il élève des chiens en pleine campagne. À 35 ans, il est condamné à 20 ans de réclusion criminelle après une « bataille de poivrots qui tourne mal » (il en sort une décennie plus tard) : une bagarre avec un paysan qui tuait ses chiens. Ce dernier y laissera la peau. En détention, il suit avec d’autres taulards une formation d’audiovisuel pendant trois ans, au terme de laquelle il sort major de la prison ! Ayant pris goût au travail, il occupe ensuite le poste de jardinier à la prison de Muret pendant ses quinze derniers mois de détention. Un travail ingrat, avec des horaires difficiles et un salaire de 500 francs. Ca n’est pas la prison qu’il incrimine. étienne évoque avec calme et détachement sa période d’incarcération. Il ne tient pas un discours hostile lorsque l’on évoque les matons et l’enfermement. « La démarche est de nous surveiller et non pas de nous punir », explique-t-il en voulant contredire Michel Foucault. À sa sortie, il reprend des études d’audiovisuel, complétant la formation suivie en prison. Son diplôme en poche, il peut assurer l’accueil de l’établissement audiovisuel toulousain. « Je n’aime pas cette ville, mais il est déconseillé de se réinsérer sur les lieux de son forfait. » Soit la Bretagne de son enfance, où sa mère aujourd’hui « graba- taire et alcoolique » s’est laissée aller depuis la mort de son mari, survenue alors qu’étienne était encore en détention. Il a grandi avec son grand frère et sa soeur aînée, disparue à neuf ans et demi. Un décor éminemment obscur duquel se démarque cet ex-taulard littéraire et cinéphile. En parallèle de son emploi, étienne « fait la manche dans la rue pendant deux ans » pour compléter son salaire d’environ 400 euros. Réinsertion « C’est le problème de l’après-pénal, on choisit de rentrer dans le rang ou de continuer sa névrose. » « La justice Le prisonnier n’oublie jamais l’enfermement. © Kévin Plancq. ACCUEIL m’a stigmatisé car elle me voyait comme l’intello parisien », déclare celui qui déplore un système carcéral qui « place les gens dans des catégories. » Par ailleurs, étienne a fréquenté intimement Roland Barthes, relation qui sera rendue publique aux Assises. « Pour la justice, je n’avais pas à me trouver au beau milieu d’une bagarre de poivrots, j’aurais dû montrer l’exemple. » Ce littéraire avait abandonné ses études de lettres deux mois avant d’obtenir la maîtrise, « probablement à cause d’un complexe d’infériorité. » étienne considère néanmoins que sans sa longue détention, il ne sait pas ce que serait sa vie aujourd’hui. Il décrit sa jeunesse pré-carcérale, sa « prison mentale », qu’il a vécue dans le refus de celui qu’il était vraiment. Sur le plan personnel, il évoque son homosexualité, confiant qu’il n’a pas de vie sexuelle depuis trente ans. « Quand on est mal barré, dans le vide affectif, seul, sans argent, on ne peut qu’être heureux de s’en sortir », se souvient-il. « Lorsqu’on est allé en prison, on n’est plus un homme comme les autres, on est stigmatisé à vie », conclut d’une voix rauque celui qui n’a pas le droit de vote. édmée Citroën entreprises ont des obligations vis-à-vis des travailleurs Quels droits pour Les handicapés, des mesures qui les travailleurs handicapés ? peinent à être respectées Rencontre avec Me Pascal SaintGeniest, avocat spécialisé en droit social à Toulouse. Accès à l’emploi Depuis 2005, la loi handicap oblige les entreprises de plus de 20 salariés à avoir un quota d’au moins 6 % de travailleurs handicapés. Une mesure qui peine à s’imposer. Seulement 55 % des entreprises françaises soumises à cette obligation la respectent. Maintien de l’emploi Quand une entreprise embauche une personne handicapée, elle doit adapter les locaux et les postes de travail en consé- quence : installer par exemple une rampe d’accès pour une personne en fauteuil... Un aménagement qui s’applique aussi lorsqu’un salarié de l’entreprise devient handicapé après un accident. Les travailleurs handicapés peuvent également demander des formations adaptées. « Une personne aveugle peut avoir besoin d’une formation aux outils informatiques adaptés à son handicap. C’est une obligation de la part de l’entreprise de la lui fournir. » valide. « Avant 2005, les entreprises pouvaient accorder une rémunération moins élevée à une personne handicapée car on la considérait moins efficace, moins rentable », explique l’avocat. Une façon de penser qui persiste au sein de certaines entreprises mais qui peut entraîne des dommages et intérêts, voire des sanctions pénales. Licenciement et retraite Rémunération Il ne doit pas y avoir de différence de rémunération à poste équivalent entre un travailleur handicapé et une personne Photo d’illustration. © Bénédicte Poirier En cas de licenciement, les salariés handicapés bénéficient d’une indemnité majorée et d’un préavis plus long. « Avec une ancienneté de plus de deux ans, une personne valide aura le plus souvent un préavis de deux mois, alors qu’une personne handicapée bénéficiera de quatre mois », précise Me Saint-Geniest. La retraite anticipée fait également partie des droits des travailleurs handicapés. Elle varie en fonction du type et du taux de handicap, ainsi que du travail exercé. Temps de travail C’est la médecine du travail qui définit le degré d’aptitude d’une personne handicapée en ce qui concerne la charge de travail ou les horaires. « Une personne inapte à l’emploi à temps plein peut très bien être apte à temps partiel. À l’entreprise ensuite de s’adapter. » Andréa Violleau 16 - Insertion la pointeuse - 6 décembre 2013 Michèle prend les mots à bras le corps Michèle Cotten anime un « atelier mots » au sein de l’association Domino pour aider des personnes en situation de fragilité psychique à s’intégrer socialement. Iliane et Michèle forment une lettre avec leurs corps. © Céline Olive «O n va prendre le temps ensemble. » « Ensemble », un mot important pour Michèle Cotten, membre de l’association Domino. Elle explique les consignes de l’atelier à cinq femmes attentives. Elles ont choisi de participer aux activités pour retrouver leur corps, le libérer. Un besoin très fort. Domino permet à des personnes en situation de fragilité, avec un handicap mental ou qui vivent une période de crise psychique, de s’évader grâce à la culture (peinture, mots, musique, théâtre…). « L’association est un lieu intermédiaire lorsqu’on sort d’une période de crise pour se réintégrer à la vie sociale », explique Michèle. Elle essaie de répondre aux attentes de personnes qui ne trouvent pas leur chemin et en souffrent. Ce matin, l’atelier mots consiste à redécouvrir les lettres, à s’imprégner de leur symbolique. Il ne s’agit pas d’agir avec sa tête mais avec tout son corps. Au premier étage de la maison des associations de Cugnaux, la séance d’échauffement commence. Au clap, chacune des participantes doit faire une lettre avec son corps. « Pas forcément ce à quoi la lettre ressemble mais ce qu’elle représente pour vous », annonce Michèle. Celle-ci a été infirmière pendant un temps. Le sourire aux lèvres Depuis cinq ans, Domino est pour elle le moyen de faire le lien entre la santé et la culture.Il est maintenant temps pour ces femmes de prendre un chevalet sur lequel une feuille blanche est posée. Chacune écrit la let- tre G à sa manière. Louisa fait un A, une erreur sans gravité. « L’important est de représenter ce à quoi on pense », la rassure Michèle. Celle-ci est salariée de l’association mais ne compte pas ses heures. Elle partage son temps entre les ateliers, la gestion de l’association et la recherche de financement. « Je ne gagne pas des mille et des cents mais c’est un choix de vie. C’est plus qu’un travail, ça me rend vivante », précise-t-elle le sourire aux lèvres. Michèle participe aux ateliers au même titre que les bénéficiaires. « On travaille ensemble et c’est la relation qui prime », ajoute-t-elle. L’heure du repas arrive plus vite que prévu. Chacune range soigneusement son chevalet et toutes se dirigent vers la sortie pour partager un repas. Ensemble. Céline Olive L’association Domino en quelques chiffres 4 membres permanents 150 personnes en tout financement provient 75%dedessonateliers 20% est assuré par les subventions Martine face aux préjugés sur le sida Séropositive depuis dix-sept ans, Martine subit des discriminations au travail. « J’ai l’impression que je n’ai plus le droit de vivre depuis que je suis séropositive », confie Martine (le prénom a été changé) , 42 ans, en combat contre son entreprise depuis juillet 2012. Agent d’entretien pour le conseil général du Tarn-et-Garonne, Martine a été placée, à la demande de son supérieur, en arrêt maladie prolongé en janvier dernier. « C’est intolérable ce que je subis chez eux depuis janvier de cette année », s’insurge-t-elle. Harcèlement moral, pression, diffamation, cette mère célibataire a des exemples à l’envi. Tout le service de Martine s’est ligué contre elle. © Bénédicte Poirier Test positif Martine apprend à vingt-cinq ans qu’elle a le virus du sida. Un de ses anciens compagnons lui a caché sa séropositivité et lui a transmise. Il décède deux ans plus tard de la maladie. Grâce aux soins reçus, Martine arrive à continuer sa vie et donne naissance à une fille, qui est séronégative. « Je vis comme si j’avais une grippe chronique, je n’ai pas honte de ma maladie. » Au tout début de sa maladie elle en parle à sa responsable lorsqu’elle travaille à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). « J’ai pensé que c’était la bonne chose à faire d’en parler et je ne regrette pas », soupire Martine. Cependant son secret médical a été violé plusieurs fois puisqu’à chaque nouvel emploi, son service est déjà au courant. Martine travaille depuis longtemps en tant qu’agent d’entretien. Mais elle ne s’est jamais épanouie dans ses différents emplois. « Je me suis toujours sentie exclue. On ne me tenait jamais au courant des réunions entre collègues, ni des pots de départ », témoigne la maman, fatiguée par ses combats contre sa hiérarchie. Lorsqu’elle travaille au Centre universitaire de Montauban, Martine est chargée de l’entretien de la cantine. Ses supérieurs lui font rapidement comprendre qu’elle ne peut pas manger sur place et lui refuse de meilleures conditions de travail, sauf lorsqu’elle décide de partir. Mais Martine n’a pas la langue dans sa poche et part la tête haute. En 2009 , elle devient agent d’entretien au conseil général du Tarn-et-Garonne. Des coups bas, Martine en a subi mais jamais autant qu’ici. « Un soir je venais de finir un bureau et une pétasse est entrée et y a foutu le bordel en quelques minutes », fulminet-elle. Son pire souvenir ? Son service entier ligué contre elle, l’accusant à tort d’une faute professionnelle. Son chef de service change alors les clefs de son local sans lui en parler et Martine est dirigée vers un autre service. Pour rejoindre sa fille qui étudie dans le Lot-etGaronne et pour recommencer une nouvelle vie, Martine demande le regroupement familial. Aucune réponse de la part de son supérieur. Selon Martine, c’est à ce moment là que les pressions s’intensifient pour la pousser à démissionner. La médecine du travail la traite de folle et veut la faire passer pour adulte handicapé (Martine souffre aussi de problèmes d’audition), mais elle tient bon. « On me surveillait lorsque je travaillais. J’ai été mise dans un cagibi humide. Pour eux, les gens comme moi ne devraient pas vivre... », confie Martine en retenant un sanglot. Combat Malgré tous ces coups durs, Martine refuse de démissionner. Puis c’est le coup final. A la demande de son chef en janvier dernier, elle est mise en arrêt maladie prolongé. Malgré l’aide de son fidèle médecin traitant, ce sont les loups de l’administration qui gagnent la bataille. Depuis sa mise en arrêt obligatoire, elle se plonge dans la paperasse, conduit 460 kilomètres par semaine pour déposer sa fille dans son internat dans le Lot, s’adonne à la lecture et essaye de se remettre au sport. « Mais ma thérapie c’est mon travail ! », proteste Martine. Il y a quelques mois, elle a croisé une de ses anciennes collègues du conseil général. La jeune femme handicapée apprend à Martine qu’elle a été licenciée en raison de son handicap. « Ces gens n’ont pas d’âme! » Martine lance alors une action en justice contre son employeur du conseil général de Tarn-etGaronne, soutenue par deux associations toulousaines (dont Act Up), qui aident les personnes séropositives. « Je m’en fiche de l’argent, je veux que la vérité éclate. Je ne suis pas prête de lâcher l’affaire et ils le savent ! », explose la combattante. Pourtant les difficultés sont toujours là. Martine craint que son avocat subisse des pressions de la part du Département. Elle n’a pas tout à fait confiance en lui, mais la rage de vaincre est intacte. Capucine Trollion