LA POINTEUSE Travail dominical - Ecole de Journalisme de Toulouse

Transcription

LA POINTEUSE Travail dominical - Ecole de Journalisme de Toulouse
LA POINTEUSE
Mory Ducros : salariés contre fusion ratée
Caissières : la disparition du métier ?
Supplément social de Trajectoires
N°4 - Vendredi 6 décembre 2013
Travail
dominical
Quelles limites ?
Manon Sabut,
22 ans,
étudiante en
psychologie,
prête à
travailler le
dimanche.
Sommaire
Edito
3
Actualité
Conflits et plans sociaux :
enseignants, Mory Ducros,
Air France...
8
A
vec seulement 4,5% des Français qui fréquentent
encore une église le dimanche, difficile d’avancer
le traditionnel argument religieux contre le travail
dominical. Pour les autres, c’est bien pendant ce fameux «
dimanche pluvieux » que l’on va enfin désherber la jardinière du perron ou bien refixer l’étagère bancale qui tremble
à chaque claquement de porte. Et puis, il y a ceux qui ont
choisi un autre jour pour sortir la binette ou dégainer la perceuse. Les urgentistes, les infirmières, les journalistes, les policiers, les aiguilleurs du ciel et tous les autres métiers pour
lesquels week-ends ne riment pas forcément avec congés. «
8,1 millions de personnes travaillent habituellement ou occasionnellement le dimanche » comme l’indique notre dossier.
Il y a aussi ceux qui désormais travaillent dans un magasin
Dossier
de bricolage ou d’ameublement le septième jour : dans les
Le débat autour du travail dominical
rayons, derrière une caisse, leur situation soulève le débat,
10
Conditions de travail
à la rencontre des métiers
inconnus, des travailleurs de
l’ombre et de leurs droits
14
révèle les enjeux. Comment encadrer le volontariat, une notion si relative quand on pense à ceux qui n’ont pas le choix
pour des raisons économiques, ceux qui cumulent les emplois comme on joue au Tetris, aux étudiants qui doivent
payer leurs études, ceux qui n’osent pas dire non par crainte
de ne pas être embauché. Sans encadrement, le dimanche
devient un énième jour de travail, et de consommation. On
finirait presque par regretter la grand-messe et les repas copieux !
Marion Rivette
Chef d’entreprise
Ecole de journalisme de Toulouse
Ils développent, dirigent, sont
entrepreneurs
15
Insertion
Des parcours accidentés, des
emplois adaptés : le travail lien
social­ ou souffrance ?
31, rue de la Fonderie - 31000 Toulouse
Tél : 05 62 26 54 19 - www.ejt.fr
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- Françoise Huedro - Pauline Landais-Barrau - Titouan Lemoine - Céline Olive
- Ganesh Pedurand - Juliette Pousson - Agathe Roullin - Johan Tabau - PierreMaël Tisnès - Capucine Trollion - Oriane Verdier - Andréa Violleau - Amandine
Villareal - Camille Wormser - Jolan Zaparty
Actualité - la pointeuse - 6 décembre 2013
Journée de colère dans les écoles. Enseignants et animateurs craignent de voir la
réforme Peillon aggraver leur situation.
« La réforme manque de souplesse »
P
rès de trois cents enseignants et animateurs ont manifesté jeudi à Toulouse,
contre l’application des nouveaux rythmes
scolaires, voulue par Vincent Peillon, ministre de
l’Éducation. Jean-Philippe Gadier, enseignant et
secrétaire départemental au SNUipp, est revenu
sur les origines de leur mécontentement.
cret Jospin de 1989 (loi d’orientation sur l’éducation). Il posait un cadre national mais ouvrait
des possibilités de dérogation pour les collectivités. Les territoires avaient ainsi la possibilité de
s’organiser selon leurs spécificités. La réforme
Peillon manque clairement de souplesse, son cadre est trop rigide.
Environ 300 personnes ont manifesté contre la
réforme Peillon
© Lucas Burel
Comment expliquez-vous la grogne en
Midi-Pyrénées alors que vous bénéficiez
d’une dérogation depuis 2008 ?
J-P G - Ce qui est proposé aujourd’hui est différent de 2008. Il est vrai que nous avons pu éviter
la réforme Darcos et conserver une semaine à
quatre jours et demi, mais cette semaine était
aménagée. Un mercredi sur trois était consacré
au dialogue dans les équipes pédagogiques. Ce
n’est plus possible depuis la rentrée.
Les animateurs mettent en avant le principe
de coéducation, qu’en est-il des enseignants ?
Pourquoi manifester aujourd’hui contre
cette réforme ?
Jean-Philippe Gadier - Nous pensons que cette
réforme ne tient pas compte des conditions de
travail des enseignants. Elle engendre également
des problèmes d’égalité d’accès à l’école selon
les territoires. Les mairies supportent un certain
nombre de dépenses dans le périscolaire. Des dépenses qui ne sont pas suffisamment financées
au niveau national. Les communes riches vont
pouvoir y faire face et même aller au-delà des
besoins financiers que nécessite cette réforme.
Les autres vont être en grande difficulté.
Une solution pour pallier ces inégalités ?
J-P G - Selon nous la bonne référence reste le dé-
J-P G - Nous sommes conscients que les apprentissages, qu’ils viennent des professeurs, animateurs, ou associations, doivent s’articuler les uns
avec les autres.
Si la coéducation c’est favoriser le dialogue entre
les équipes pédagogiques, au bénéfice de l’enfant, nous sommes pour. Néanmoins la mission
des professeurs est différente de celle des animateurs. Et chacun doit rester à sa place. Mettre
le travail des animateurs et des professeurs au
même niveau, c’est déqualifier le travail des enseignants. À qui va-t-on demander des comptes
sur la formation des élèves si ce n’est au professeur ?
Entretien réalisé par Juliette Pousson
et Lucas Burel
Un jeudi buissonnier
« Du temps pour la concertation, du fric pour le service public ! » De la
place Saint-étienne aux allées Jean-Jaurès, les slogans ont rythmé le
cortège contre la réforme Peillon. Emmenés par la majorité des syndicats d’enseignants, ils scandaient leur opposition au changement
des rythmes scolaires. Un défilé en apparence fourre-tout, qui a vu
auxiliaires de vie scolaire (AVS), enseignants, animateurs et associations battre le pavé côte à côte. « Tous les personnels de l’école sont
rassemblés aujourd’hui », a salué Jean-Christophe Sellin, enseignant
et candidat du Parti de Gauche aux municipales de Toulouse, placé
au premier rang du cortège. Un enthousiasme qui tranche avec le
peu d’espoir suscité par cette mobilisation chez les manifestants.
« On s’attendait à une mobilisation plus forte. On touche là aux
limites de ces moyens d’action car les grévistes sacrifient une journée
de salaire pour protester », confie Nathalie qui ne baisse pourtant
pas les bras. « On continuera. Pourquoi pas à Paris en janvier 2014 ? »
Selon le rectorat de Toulouse, seulement 16.3% des personnels
concernés ont participé à cette grève.
Rythmes scolaires : les animateurs fragilisés
Les enseignants ne sont pas les seuls concernés par la réforme Peillon. Les animateurs périscolaires, eux aussi, redoutent une détérioration de
leurs conditions de travail
« Cette réforme a été mal pensée. Ce sont les animateurs qui vont trinquer. » Pour Franck Jenny,
animateur et délégué CGT-Uspaoc, le passage
à la semaine de quatre jours et demi, est avant
tout une source d’inquiétude. « Cette réforme
n’est pas finançable sans dégrader nos conditions
de travail. »
L’une de leurs principales craintes : voir les
taux d’encadrement des activités périscolaires
assouplis. Pour faire simple : plus d’enfants à
gérer pour chaque animateur. « Au mois de juin
dernier, le Conseil d’État a rejeté le décret d’application de la réforme, qui prévoyait que le nombre d’enfants par animateur passe de 10 à 14 en
maternelle, et de 14 à 18 en primaire », indique
Franck Jenny.
Un meilleur suivi des élèves
Malgré cette « victoire », l’animateur craint que
le gouvernement ne revienne à la charge dès
janvier 2014. « On ne se fait pas d’illusions. Il faut
bien qu’ils financent leur réforme. Aujourd’hui on
parle même de nous faire passer à 20 enfants par
animateur… »
Si cette réforme semble s’imposer avec difficulté
en France, Toulouse fait pourtant figure de bon
élève. La raison : en 2008, les établissements de
Haute-Garonne ont pu conserver la semaine de
quatre jours et demi par dérogation. « Il n’y a pas
eu de grands bouleversements à cette rentrée »,
affirme Antoine Castro, directeur du principal
Centre de loisirs associé à l’école (CLAE) de Toulouse, situé chemin de Lalande. « Jusqu’à présent, les enfants n’avaient pas école un mercredi
matin sur trois, et étaient pris en charge par le
CLAE. Aujourd’hui, ils passent ce temps avec leur
professeur. »
Des changements qu’Antoine Castro juge « satisfaisants. » Pour compenser cette matinée de
cours supplémentaire, les horaires de classe des
élèves sont allégés de 20 minutes chaque jour. «
Nous récupérons ces 20 minutes avec les enfants,
ce qui permet un meilleur suivi des élèves », explique Antoine Castro. Avant de concéder dans un
sourire: « C’est un peu du bricolage. Cela morcelle
l’emploi du temps des animateurs, dont les conditions de travail et le statut sont déjà précaires. »
Des journées morcelées
Si les avis semblent partagés concernant cette
réforme, tous s’accordent sur un point. Elle ne
facilite pas la communication entre les enseignants et les animateurs. « Les mercredis qui
étaient jusqu’alors vaqués permettaient aux
équipes pédagogiques de se réunir, pour organiser intelligemment les journées des enfants », insiste Antoine Castro. « Avec la réforme, ce
dialogue entre les différents acteurs devient plus
difficile. Au risque de voir la qualité des enseignements se détériorer. »
Franck Jenny,
lors de l’assemblée générale
qui a précédé la
manifestation
de jeudi
© Lucas Burel
Juliette Pousson et Lucas Burel
- Actualité
la pointeuse - 6 décembre 2013
Après l’annonce du redressement judiciaire du transporteur Mory Ducros, les salariés du site de
Bruguières, en banlieue toulousaine, sont dans l’attente, écoeurés.
Mory Ducros,
le poids lourd dans le fossé
Ambiance morose devant les
entrepôts du site
Mory Ducros de
Bruguières.
© Jolan Zaparty.
« Regardez ! Le quai est presque vide. Il y a eu l’annonce du redressement judiciaire et trois jours après,
une grosse partie de nos clients annulait leurs commandes… » Gérard, 57 ans, est conducteur poids
lourds pour l’entreprise Mory Ducros depuis 32 ans.
Comme tous les employés du site de Bruguières,
en banlieue toulousaine, il a appris qu’il y avait un
redressement judiciaire dans sa boîte en écoutant
les informations. « Je l’ai entendu sur BFM. Je crois
que c’est ça le plus écœurant : apprendre la mauvaise nouvelle en regardant la télé ou en écoutant
la radio. La direction ne nous avait rien dit, nous qui
venons pourtant travailler ici chaque jour… »
Rappel des faits : vendredi 22 novembre, lors d’un
comité central d’entreprise extraordinaire au siège
général de l’entreprise, la direction du transporteur
révèle être en cessation de paiement. « Terrible annonce !!!», poste immédiatement sur son compte
Twitter Fabian Tosolini, secrétaire national de la
fédération transports de la CFDT. Le mardi suivant,
le groupe est placé en redressement judiciaire par
le tribunal de commerce de Pontoise. Parmi les 5
200 emplois de l’entreprise, entre 2 000 et 3 000
sont menacés.
Des chiffres effrayants qui n’étonnent pas Jacques
Ruamps, lui aussi chauffeur routier à Bruguières.
Pour lui, la faillite était « prévisible au niveau local »
et ce délégué CGT du personnel ne manque pas
d’exemples pour dénoncer la mauvaise gestion du
groupe. Jacques a longtemps travaillé pour Ducros,
sur l’ancien site de Balma.
Le facteur humain négligé
Quand le rapprochement des deux transporteurs
a eu lieu, il n’a eu d’autre choix que de venir à
Bruguières, sur une ancienne base logistique de
Mory qui réunit aujourd’hui les personnels des
deux groupes. « Sur le papier, la fusion paraissait
une bonne idée mais il n’y a pas eu de véritable suivi
dans les entreprises », déplore-t-il. Le délégué CGT
dénonce de gros soucis de restructuration : « Le site
n’était pas conçu pour recevoir autant de monde, on
a dû s’adapter à de nouveaux outils de travail, un
nouvel outil informatique...
Pour une même profession, on n’a pas les mêmes
feuilles de salaire entre les deux groupes, les accords
d’entreprise sont différents. Cela crée forcément des
dysfonctionnements et des tensions. Ils ont négligé
le facteur humain. »
Dans le local syndical où il nous reçoit, Jacques
porte encore un blouson Ducros, faute de voir arriver les nouvelles tenues promises par la direction.
« C’est un détail, mais c’est symbolique de l’atmosphère qui règne ici. » Comme cette enseigne « Mory
groupe » restée accrochée devant l’entrepôt. « C’est
simple, il y a d’un côté les Mory, de l’autre les Ducros : on dirait deux équipes de foot ! On nous avait
promis qu’il y aurait une harmonisation mais c’est
faux, on nous a mis en concurrence au lieu de nous
mettre ensemble. On porte des blousons Ducros, on
livre dans des véhicules DHL express des produits
estampillés Mory… C’est mauvais pour nous et les
clients ne s’y retrouvent plus. »
Entre la mauvaise communication avec la direction
d’une part, une fusion avortée de l’autre, le sort du
groupe Mory Ducros demeure très incertain. A Bruguières, après la mauvaise nouvelle du redressement judiciaire, l’ambiance s’est détériorée encore
davantage sur le site.
Alors, en attendant l’annonce d’éventuels repreneurs le 3 janvier prochain, les ex-employés de
Mory ou de Ducros n’ont plus qu’une chose à faire :
continuer l’action et espérer.
Jolan Zaparty
Histoire d’une
fusion avortée
Suite au dépôt de bilan de
l’entreprise Mory Ducros,
le tribunal de commerce
de Pontoise a ouvert une
procédure de redressement
judiciaire.
Concrètement, cette décision gèle temporairement
les dettes antérieures de
l’entreprise tout en lui
permettant de poursuivre
son activité pour tenter de
surmonter ses difficultés.
Les repreneurs potentiels
ont jusqu’au 3 janvier 2014
pour se manifester auprès
du tribunal de commerce. Le
siège social de l’entreprise
basé dans le Val d’Oise n’a
pas souhaité commenter
l’avancée des discussions.
Raymond Laborde, directeur
régional du site de Bruguières, est de son côté resté
injoignable.
Mais comment en est-on
arrivé là ?
En 2010, le groupe logistique Ducros Express cède sa
branche messagerie au fonds
d’investissement français
Arcole Industries. Un an
plus tard, ce fonds acquiert
la branche messagerie du
groupe Mory, déjà en redressement judiciaire.
En 2012 Arcole Industries
crée Mory Ducros. Mais le
rapprochement des deux
transporteurs n’a pas suffi à
éponger la dette et n’a pas
relancé le chiffre d’affaires.
L’entreprise affiche des
pertes de près de 80 millions d’euros cumulés et des
dettes d’exploitation de plus
de 200 millions. Ces derniers
mois, Mory Ducros a vu le
nombre de ses agences en
France passer de 115 à 84.
La prochaine audience au tribunal aura lieu le 20 décembre 2013. Les syndicats de
l’entreprise ont prévu d’ores
et déjà prévu une manifestation nationale. A Toulouse,
les Mory Ducros défileront
avec d’autres entreprises le
12 décembre à 10h30.
B.B.
Christiane Daunas, déléguée CGT, revient sur les perspectives d’avenir du site de Bruguières.
«Faire parler de nous sans effrayer les clients»
L’annonce de la mise en redressement judiciaire de l’entreprise vous
a-t-elle surprise ?
l’actuel propriétaire, Arcole Industries, qui reprenne l’affaire en janvier. On ne
peut qu’attendre.
On sentait que ça allait arriver même si on ne savait pas quand. On a appris la
nouvelle comme tout le monde à la radio. Tout cela n’est que la conséquence
de la fusion ratée entre Mory et Ducros qui a eu lieu en 2012. C’était une erreur de stratégie, la fusion était vouée à l’échec. (Voir encadré)
Justement vous refusez de faire grève pour ne pas dégrader l’image
de l’entreprise. Quels moyens d’actions vous reste-t-il ?
Les repreneurs potentiels ont jusqu’au 3 janvier pour faire parvenir
leur offre. Est-ce que vous jugez ce délai suffisant ?
D’un côté l’échéance va arriver rapidement, mais de l’autre, vu la vitesse à laquelle les clients s’en vont… D’ici là on doit être capable de faire parler de nous
sans effrayer la clientèle.
C’est un équilibre difficile à trouver. Il y a encore une possibilité que ça soit
On a déjà distribué des tracts aux péages et une trentaine de salariés ont vu
le préfet la semaine dernière. Même si tout le monde ne sera pas touché par
les licenciements, 130 salariés sont tout de même concernés. Personne n’est à
l’abri, on a tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête. La CFDT a appelé
à une manifestation nationale le 20 décembre prochain.
Peut-être que nous les rejoindrons, c’est en cours de discussion. En même
temps, Toulouse c’est loin de Pontoise… On va voir ce qu’on peut faire.
Entretien réalisé par Benjamin Bonte
Christine Daunas, déléguée
CGT. © Jolan
Zaparty
- Actualité
la pointeuse - 6 décembre 2013
Air France délocalise,
les mécanos de Blagnac trinquent
Dans le cadre d’un plan de restructuration, le centre de maintenance des avions de Blagnac va perdre 74 emplois.
«
Nous sommes isolés par rapport à la plateforme parisienne, les murs ne nous appartiennent plus, l’activité diminue et nous
subissons des réduction d’effectifs. » Pour Vincent
Salles, délégué CGT du centre de maintenance
d’Air FranceToulouse, « il n’a jamais été officiellement question que le centre de Blagnac ferme, mais
c’est tout comme. » En octobre, la direction d’Air France a en effet entériné la suppression de 74 emplois sous forme de
départs volontaires à Blagnac. L’activité d’entretien
des avions a, quant à elle, été en partie délocalisée
au Maroc, où le coût de la main d’œuvre est moins
élevé. A Casablanca, l’entreprise Aéronautic Industries (ATI), détenue à 50% par Air France s’occupe
maintenant d’une des deux lignes de grand entretien des A 320, autrefois attribuée au centre de Blagnac. Ces mesures, censées reconstituer la compétitivité et éviter les pertes d’emplois contraintes,
cristallisent toutes les méfiances.
Vendredi 29 novembre, les salariés et l’intersyndicale CGT-UNSA-FO-SUD ont une nouvelle fois manifesté contre la mise en péril du centre de maintenance de Blagnac. Ils ont d’ailleurs été relayés
mardi par la députée Catherine Lemorton, qui a
interpellé le gouvernement sur l’avenir du site.
« La souffrance au travail s’est
accrue »
Une inquiétude légitime, puisque la suppression
de ces postes s’inscrit dans une lignée de mesures de rationalisation. En 2004, le centre comptait
560 salariés. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 374
et s’approchent dangereusement du seuil des 350
salariés, le seuil de rentabilité du site. « Quitter
Montaudran pour Blagnac, on nous l’avait vendu
comme une perspective d’avenir, mais depuis notre
arrivée, en 2004, il n’y a eu que des pertes d’effectifs » résume Vincent Salles.
Photo DR. Airbus
d’Airfrance
Ces dernières s’accompagneraient d’une dégradation des conditions de travail. « Beaucoup font les
trois huit. Les tensions et la souffrance au travail se
sont clairement accrus», estime-t-il avant d’ajouter,
lucide : certains pays pratiquent des prix qu’on ne
pourra jamais concurrencer. Au Maroc, les conditions salariales ne sont pas les mêmes. Par ailleurs,
ils subissent beaucoup de pressions et on a constaté
des ratés sur certains avions. » Des anomalies et
points d’usures n’auraient pas été détectés lors des
entretiens réalisés à Casablanca.
Pour un engagement de l’Etat
En outre, la moyenne d’âge des salariés du centre
de Blagnac est élevée, et des départs en retraite interviendront prochainement. Afin de maintenir les
effectifs, Anne Brachet, la directrice d’Air France industries s’est engagée en novembre à embaucher
des jeunes en apprentissage.
Mais aujourd’hui, le son de cloche n’est pas le
même au service communication d’Air France à
Toulouse. « Le nouveau plan de départs volontaires
implique qu’il n’y ait pas d’embauche prévue », certifie Régis Goudouly qui assure néanmoins : « Les
grandes révisions des appareils et l’activité correspondant à la charge de travail de 350 salariés seront
maintenues ». Insuffisant pour l’intersyndicale qui
réclame entre autre, une intervention de l’Etat. Actionnaire à 15% du groupe Air France KLM, il s’apprête également à lui verser 115 millions d’euros
sous forme de crédit impôt compétitivité emploi et
pourrait, selon les syndicats, exercer une pression.
« Nous sommes déçus, mais pas vraiment surpris
que le gouvernement reste en retrait sur ce dossier »,
avoue Vincent Salles qui ne se décourage pas pour
autant. A Blagnac d’autres actions de revendication sont prévues au cours du mois de décembre.
Carré d’info bientôt hors-ligne
Après deux ans d’existence le pure player toulousain Carré d’Info met la clé sous la porte.
Quand on pense à l’argent d’internet, la première image qui
vient à l’esprit est enthousiasmante. Mark Zuckerberg, 19
milliards de dollars, Larry Page,
25 milliards de dollars.. Mais derrière ces rares success stories qui
entretiennent l’espoir, la réalité
des conditions de travail et de
rémunération des travailleurs
de l’internet est beaucoup plus
sombre. À Toulouse cette semai-
ne, le site d’information Carré
d’Info vient d’annoncer qu’il fermait, après un peu plus de deux
ans en ligne.
Ses quatre salariés pointent
désormais au chômage. Parmi
eux, Xavier Lalu, qui a fondé le
site avec un autre étudiant de
Sciences Po Toulouse. Pour lui
cela représente la fin de deux
ans d’aventures et de galères : «
Nous avions trouvé notre public
L’hécatombe
Carré d’Info n’est pas le seul site d’information toulousain a
avoir plongé ces dernières années. En avril 2012, le site Kwantik,
consacré à l’information des sciences et des technologies est mis
en sommeil. Il employait 6 personnes.
Du côté des « grosses boîtes », le site de Libé Toulouse a également fermé en avril 2013. Son principal journaliste est resté
correspondant pour Libération, mais ses deux partenaires ne
sont plus employés.
explique-t-il, mais c’était tout
simplement impossible pour une
petite structure comme la nôtre
de générer assez de revenus à partir d’internet. »
Moins d’un centime
d’euro
Publicités à moins d’un centime
d’euro par clic, promesse de la
gratuité pour retenir les lecteurs... Malgré plus de 30 000
visites par mois, les sources de
revenus sont trop maigres pour
financer plusieurs salaires. Pour
se payer (jamais plus d’un Smic
en deux ans) et payer leurs collaborateurs, les gérants du site
sont obligés d’abandonner le
journalisme et se tourner vers
des petits boulots, plus rémunérateurs. Ils profitent du prestige
de Carré d’Info pour faire de la
communication, du marketing,
diriger des formations...
De quoi gagner quelques euros
et perdre quelques heures de
travail. Mais le site pâti de leurs
extras. Dans les derniers mois,
le nombre d’articles qu’ils parviennent à mettre en ligne est
en chute libre. « Même en travaillant des dizaines d’heures par
semaine chacun, nous n’avions
simplement plus le temps de bien
faire notre vrai travail », regrette
Xavier Lalu. Dans les dernières
semaines, Carré d’Info a bien
pensé faire appel à la générosité
de ses lecteurs, avant de balayer
l’idée. « Pour vivre, nous avons besoin de revenus réguliers ou d’un
vrai investissement, pas d’une
perfusion. »
Titouan Lemoine
Réparer les A320
Le centre de maintenance de
Blagnac vérifie l’état d’usure
des A 320 d’Air France. Ils pratiquent deux types d’intervention : les grands entretiens,
qui durent jusqu’à un mois
et rayonnent sur tous les métiers, et les petits entretiens,
qui durent environ quinze
jours, mais n’impliquent que
la moitié des savoir-faire. Ce
centre a été conçu pour deux
lignes de grand entretien.
Depuis septembre, il n’en
possède plus qu’une seule,
mais doit assurer deux lignes
de petit entretien.
Le jugement de
Molex reporté
Le tribunal des prud’hommes
de Toulouse qui devait se
prononcé ce jeudi sur la qualification du licenciement des
salariés de Molex de Villemursur-Tarn, a reporté le délibéré
à 2014. En 2009 lors de la fermeture de l’usine de connectiques automobiles, 293 salariés
avaient été licenciés pour motif
économique. 193 d’entre eux
ont porté plainte contre l’usine
pour licenciement frauduleux.
Une délégation d’anciens salariés sera à l’usine Maz’Air dans
l’Ariège ce vendredi. Un ancien
cadre de Molex condamné à
6 mois de prison avec sursis
pour délit d’entrave y exerce.
Guy Pavan, ancien salarié et
syndiqué à la CGT entend lui
rappeler que « le combat continue » en distribuant des tracts
pour informer sur l’affaire en
cours.
- Actualité
la pointeuse - 6 décembre 2013
La Fnac fait valser ses disquaires
La chaîne de distribution a annoncé une vague de licenciements. Une dizaine d’emplois des rayons audio sont
menacés dans les magasins de la région toulousaine.
U
n ras-le-bol général s’est exprimé à la Fnac
de la place Wilson à Toulouse, samedi 30
novembre.
Une cinquantaine de salariés se sont rassemblés
contre les licenciements prévus dans les magasins de la région toulousaine.
Ils se sont mis en grève, quelques heures pour certains, toute une journée pour d’autres, protestant
contre le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) du
groupe. Annoncé en septembre dernier, il prévoit la suppression de 500 emplois, dont 310 en
France sur les 16 650 salariés du groupe la Fnac.
Parmi eux, 180 postes de disquaires sur 800 sont
directement visés.
Une situation qui inquiète les employés de la Ville
rose. Sur les quatre magasins de la région toulousaine, seul celui de Portet-sur-Garonne serait
épargné. Au total une dizaine d’emplois pourraient être supprimés.
Le magasin de Wilson devrait être le plus touché,
avec la suppression de l’équivalent de cinq postes
à temps complet.
« La loi oblige le groupe à discuter
avec nous. » Eric Pilongery, délégué CGT Fnac
Le rayon multimédia sacrifié
Au total, cinq ou six personnes devraient être licenciées aux rayons audio, vidéo et jeux. Dans les
magasins de Jeanne d’Arc et de Labège, quatre
postes au total seraient menacés.
Pour affronter la concurrence, notamment
d’Amazon, dans un marché de la musique fortement dégradé, la Fnac opère depuis deux ans un
virage numérique. Elle a fortement développé sa
Les acheteurs vont devoir s’habituer, les disquaires seront moins nombreux pour les conseiller.©AF
plateforme de e-commerce, au détriment d’emplois physiques de conseillers culturels dans ses
magasins.
Négociations ralenties
Les négociations entre la direction et les syndicats
se sont ouvertes à la mi-octobre sur les modalités
de ce PSE.
Mais pour Eric Pilongery, délégué CGT du magasin
de Wilson, il n’y a pas de vrai dialogue social.
« La loi oblige le groupe à discuter avec nous. Mais
la direction parisienne nous a répété que la marge
de manœuvre était très réduite et semble déterminée à aller jusqu’au bout. » Il se désole de cette
attitude qui, selon lui, a ralenti le processus de
discussions.
« Nous avons eu des difficultés à obtenir certains
documents d’information sur la situation de l’entreprise. De fait, nous avons formulé tardivement
des propositions constructives. »
Une chose est sûre pour le syndicaliste, ces licenciements vont dégrader les conditions de travail
des employés. Car à la surcharge de travail s’ajoute la nouvelle polyvalence dont doivent faire
preuve les conseillers.
Ainsi un vendeur au rayon musique devra prochainement être aussi en mesure de conseiller
les clients en matière de jeux vidéo. Une situation
mal vécue pour certains « passionnés » qui ont
été recrutés, en premier lieu, pour leur expertise
culturelle.
Alice Fabre
.
Les centres équestres refusent l’obstacle
En2014,lataxeréduitepourlescentreséquestresneseraplus.AveclahaussedelaTVAde7à20%,lesprofessionnelsdelafilières’inquiètent.
Didier Viricel
dirige le centre
équestre
L’Eperon, à Pin
Balma
© Camille
Wormser
L
a filière équine lâche les chevaux. Pour dénoncer le passage de la TVA de 7% à 20% en
2014, ils font entendre leurs
voix dans la rue. Didier Viricel
est l’un d’eux. Il dirige le centre
hippique l’Eperon de Pin Balma.
Bien implanté dans le secteur, il
dénonce la régression que leur
impose le gouvernement par
cette décision.
L’Eperon emploie quatre enseignants pour 350 licenciés. Le
personnel a déjà été réduit mais
aujourd’hui, le propriétaire envisage un avenir bien plus noir.
« Si cette réforme passe, je serais
obligé de licencier deux moniteurs. » Une situation dramatique mais qui n’est rien face aux
nombreux clubs qui vont devoir
fermer leurs portes.
« Sur 7 000 centres, 2 000 devraient fermer et 6 000 emplois
être menacés », annonce Didier
Viricel. Il craint également un
retour à la précarité. « Nous ne
pouvons plus que rémunérer nos
employés au salaire minimum »,
déplore-t-il.
Mais pour Didier Viricel comme
pour beaucoup d’autres propriétaires de clubs équestres, la fata-
lité a pris le pas sur le reste. C’est
donc en souriant qu’il annonce
que « la TVA à 20% va ralentir le
développement de la filière équine.»
Il ajoute qu’il y a quinze ans,
la taxation avait été réduite
pour leur permettre d’investir.
« Aujourd’hui, retour à la case
départ », conclue-t-il en haussant les épaules. Cette situation
n’est pas propre aux centres
hippiques, elle se retrouve dans
d’autres filières.
Tous les métiers en lien avec le
monde du cheval vont être impactés par cette hausse. Comme
l’explique Thibault Arlabosse,
maréchal ferrant à Escalquens,
son « métier dépend d’une chaîne
de professionnels qui interagissent entre eux ». Il risque donc
de voir sa clientèle diminuer si
des clubs de la région venaient à
mettre la clé sous la porte.
Toute la filière taxée
Même constat chez les éleveurs
qui dénoncent cette manie de
toujours frapper sur un secteur
déjà en crise. « Nous sommes
déjà passés à la taxe à 19,6% l’année dernière, ce qui a fait chuter
le nombre de vente de chevaux.
La taxe à 20% pour les clubs hip-
piques nous obligera encore plus
à baisser notre culotte pour nous
en sortir », explique François
Bouchard, éleveur à Céran dans
le Gers.
Un fonds cheval
Pour apaiser les tensions, le
gouvernement semble prêt à
lâcher la bride. Par la mise en
place d’un « fonds cheval » dont
le financement reste encore
flou, l’Etat entend répondre aux
besoins de ce secteur.
Un combat perdu d’avance selon Didier Viricel. « Il n’y a encore rien de défini. Avant, la filière s’autorégulait. Aujourd’hui,
l’Etat veut nous venir en aide
en faisant payer tout le monde,
alors que nous essayons de nous
en sortir depuis des années sans
solliciter de subventions extérieures. »
Selon lui, ce manque d’engagement de l’Etat contre la politique
européenne est une « atteinte
réelle au travail » ainsi qu’à tous
les emplois de la filière équine.
Un débat qui semble loin d’être
terminé et qui pourrait amener
le monde du cheval à se cabrer
jusqu’à la fin de l’année.
Camille Wormser
Actualité -
la pointeuse - 6 décembre 2013
Derrière le marché de Noël se cache une réalité économique : 250 emplois et un impératif de rentabilité.
Une hotte remplie d’emplois
à
Toulouse, le marché de Noël
s’installe place du Capitole : cabanes et illuminations
remplacent l’habituel parvis. Si
pour beaucoup marché de Noël
rime avec joie et cadeaux, il ne
faut pas oublier les emplois et la
main-d’oeuvre qui lui sont associés.
Cette année, plus de 500 entreprises, boutiques et autres vendeurs ambulants ont postulé
pour prendre place du 29 novembre au 26 décembre devant
la mairie. Sur les 500, 128 seulement sont sélectionnés.
Parmi eux, des chalets où débordent saucissons, vin chaud,
bijoux mais également, plus
original, un chalet boulangerie,
des produits équitables venus
du Népal ou encore un stand
de kirigami. Dès le mois de mai,
les commerçants ont dû remplir
28
Jours de travail de suite.
Le marché de Noël est un
«rush» pour les commerçants qui enchaînent les
jours ouvrés, jusqu’à 300
heures dans le mois.
une demande d’inscription et
choisir la taille de leur chalet :
3, 4 ou 6 mètres. Un investissement conséquent pouvant aller
jusqu’à 10 000 euros. Pour tous,
il s’agit donc de rentrer dans ses
frais.
Des profils différents
Et plus particulièrement pour
les auto-entrepreneurs. La plupart des commerçants sont des
habitués des marchés et des
foires, à leur compte ou en tant
qu’employé. De 10h30 à 20h30
et jusqu’à 22 heures pour les
nocturnes du week-end, ces vendeurs ambulants, sédentarisés
pour l’occasion, ne quittent pas
leur chalet. Même pour aller aux
toilettes.
C’est le cas d’Angelo, 53 ans, employé par le groupe Montagnel
qui vend de la charcuterie catalane. Seul dans son chalet, il n’a
qu’un but : vendre son pack de
7 saucissons à 20 euros. « Je suis
né là-dedans », explique-t-il, fièrement. Pour lui, pas d’incertitude concernant sa rémunération
puisqu’il est prestataire pour
Montagnel, avec un salaire fixe.
Il ne gère pas l’emplacement et
n’avance pas d’argent.
Un peu plus loin, Valentine, 50
ans, est nouvelle sur le marché.
Elle est propriétaire de la boutique d’accessoires Laï-Laï. D’avril
à septembre, elle tient un ma-
gasin éphémère à Vallon-Pontd’Arc en Ardèche. Cette année,
elle s’est lancée dans l’aventure
du marché de Noël. Elle témoigne : « C’est un nouveau challenge. La location du chalet m’a
coûté 4 200 euros, presque 5 000
avec le raccordement électrique ».
Pour elle, aucun moyen de savoir
à l’avance si elle pourra se payer.
« J’espère rentrer dans mes frais.
Mais on ne le saura qu’à la fin »,
ajoute-t-elle.
Quant au froid, ce n’est pas un
souci, ça l’arrange même pour
vendre ses bonnets. Yann, 42
ans, sera payé quoi qu’il arrive.
Ils vendent des produits qui marchent bien : des guirlandes lumineuses vendues entre 30 et 60
euros. « Mon employeur fait de
nombreux marchés de Noël : celui
de Toulouse, Montpellier, Bruxelles et Paris. Alors si l’un n’est pas
rentable, il se rattrapera sur les
autres » fanfaronne-t-il.
Ils ne veulent pas travailler tous
les jours, et surtout pas le weekend », explique la vieille dame.
Le marché de Noël, c’est plus de
293 heures travaillées pendant
28 jours de suite, sans compter
les heures d’installation.
Soit plus de 70 heures hebdomadaires par semaine, plus du
double des 35 heures légales.
Pourtant, tous les commerçants
évoquent la bonne ambiance et
la bonne entente entre eux. Ils
sont là par choix. La chaleur que
transmettent ces travailleurs de
Noël aura raison du froid et de
l’ennui.
Pauline Landais-Barrau
Commerçants
et employés
travaillent sans
répit aux stands
des bretzels et
du vin chaud.
© BP
Une pénibilité assumée
La doyenne du marché, Huguette, a 78 ans. C’est la huitième
année qu’elle fait le marché
de Noël, où elle vend des stylos
plume. Seule dans sa cabane, sa
plus grosse difficulté est d’aller
aux toilettes. « Ma fille vient me
voir de temps en temps, et j’en
profite pour y aller. Les horaires
sont difficiles, c’est pour ça qu’il
y a de moins en moins de jeunes.
Une nuit de travaux, à deux semaines de la mise en service de la ligne G du tram toulousain.
Nuit blanche sur le pont Saint-Michel
Le bal des hommes aux chasubles fluos commence dans quelques minutes. Ils crachent de
la vapeur, le mercure est passé
en dessous de zéro. Toute la semaine, « vingt chauffeurs et techniciens travaillent de nuit pour
réaliser les essais du tramway
et vérifier la résistance du pont
renforcé il y a quelques semaines
», explique Jean-Paul Ginfran,
chargé du projet tram Garonne.
21 heures. Plus personne ne
passe sur le pont jusqu’à demain
matin. Antonio l’Espagnol et ses
collègues ont bloqué l’accès du
pont avec des barrières en plastique. Les essais vont pouvoir
commencer. Trois camions chargés se positionnent sur le pont,
où sont placés des plots oranges.
Au volant d’un d’entre eux, Jean.
Il a eu la permission d’emmener
son épouse. Au chaud dans sa
cabine, ils regardent un film sur
leur tablette, qu’il interrompt à
Rémi (à gauche)
et Antonio (à
droite)
travaillent la
nuit pour livrer
le tramway
dans les temps./
MR
« Je gagne 100 euros pour
une nuit de travail
auxquels j’ajoute la
journée du lendemain. »
chaque fois qu’il doit déplacer
son camion.
22h30 Dans un silence épais
comme la brume, une rame de
tram rempli de charges. Antonio 27 ans, et ses deux collègues
contemplent l’arrivée du tram
au futur arrêt Fer à cheval. Ciga-
rette au bec, il explique que pour
huit heures de travail il est payé
100 euros auxquels s’ajoute la
journée du lendemain considérée comme travaillée. La nuit,
toulousaine est certainement
plus froide qu’à Séville. Il ne rechigne pas car il n’ a pas le choix.
Chez lui en Andalousie, il n’y a
plus de travail dans le BTP. Lui et
ses compères plaisantent avec
Jean, rencontré le soir-même sur
le chantier.
00h12 La silhouette noire et la
lampe frontale de Rémi, le géomètre bordelais apparaissent,
dans une épaisse brume. Il vient
de passer une heure sous le
pont, agrippé à un échafaudage.
Il est chargé de mesurer les mouvements du pont liés au passage
du tram et au stationnement des
camions. Il collecte des « micromètres de déplacement ». Pour lui
le plus gênant c’est le brouillard
qui complique la lisibilité des ré-
sultats. Son explication est interrompue par un « Vous allez bien?»
Un casque sur la tête, une tenue
orange et un sac à dos : c’est encore le conducteur de travaux,
bienveillant. Sammy Ammar est
sûrement celui qui a parcouru
le plus de mètres à pied ce soir,
pour coordonner les équipes. Il
encadre tous les travaux du pont
liés à l’arrivée du tram.
03h40. Après plusieurs allers-retours, les essais sont terminés. Le
barrage du pont est levé et la circulation reprend lentement. Le
géomètre passera le reste de la
nuit à l’hôtel, à côté du Stadium.
Les premiers résultats de mesure
sont positifs. La prochaine étape
est une marche à blanc du tram,
sans passagers. Après l’autorisation du Préfet, la mise en service
du tram interviendra le 20 décembre, si toutefois il n’ y a pas
de mouvement de grève.
Marion Rivette
- Dossier
la pointeuse - 6 décembre 2013
Travail dominical,
vers une nouvelle législation
Par Anne-Sophie Bernadi, Anaïs Clavell,
Ganesh Pédurand et Agathe Roullin
Bailly ou l’exercice d’équilibriste
Entre principes et lobbies, Jean-Paul Bailly a rendu lundi son rapport à Jean-Marc Ayrault. Des conclusions
en vue d’une loi l’année prochaine.
Illisible », « compliqué », « véritable
casse-tête ». Le système qui régit
le travail dominical en France est
pour le moins critiqué. En septembre dernier, le gouvernement
Ayrault a commandé un rapport
à Jean-Paul Bailly pour y voir plus
clair. Lundi, l’ex-patron de La Poste a rendu ses propositions pour
résoudre l’imbroglio.
En somme, une extension du travail dominical sans pour autant «
que le dimanche devienne un jour
banalisé », a souligné Jean-Paul
Bailly. « Il n’y aura pas de remise
en cause du repos dominical», a
promis Jean-Marc Ayrault. Le rapport fera l’objet d’une loi courant
2014.
Un calendrier des
dimanches plus souple
Le rapport fait quatre recommandations. La sortie du secteur de
l’ameublement du système de
dérogations, la réorganisation
des zones spécifiques, la réaffirmation du volontariat et le passage de cinq à douze de dimanches par an, soit quasiment un
dimanche sur quatre.
8,1
millions
C’est le nombre de personnes qui travaillent
habituellement ou occasionnellement le
dimanche.
Aujourd’hui, le maire peut décider de l’ouverture dominicale des
commerces de sa ville cinq fois
dans l’année. Mais ce quota de dimanches est souvent totalement
consommé par les fêtes de fin
d’année et les soldes de janvier.
Jean-Paul Bailly propose de passer de cinq à douze le nombre de
« dimanches du maire ». Sur les
douze, sept seraient toujours tributaires de la décision du maire
tandis que les cinq autres seraient
au bon vouloir des commerces.
Le volontariat
« clé de voûte »
comme
Enfin, le rapport Bailly propose
également d’étendre les zones
concernées par les ouvertures
exceptionnelles le dimanche,
comme c’était le cas pour les régions parisienne, marseillaise et
lilloise.
Bailly veut créer des périmètres
d’aménagement concertés commerciaux (PACC) qui ne seraient
plus réservés aux grandes villes,
mais à l’ensemble du territoire.
Le volontariat doit être intrinsèque au travail dominical en France, martèle Jean-Paul Bailly. Mais
certains syndicats ne relèvent
pas que du bon dans ce rapport:
le travail du dimanche ne pourrait plus figurer dans un contrat
de travail. Côté rémunération,
Jean-Marc Ayrault veut des
contreparties pour tous les salariés du dimanche. Aujourd’hui,
certains ne bénéficient pas d’un
doublement de leur salaire et
sont payés à montant égal le di-
manche du reste de la semaine.
Les commerces de moins de
onze salariés ne seraient pas
concernés par les compensations financières. Cependant,
d’après une enquête menée par
la CFDT auprès de 1834 salariés
du commerce, 27% d’entre eux
estiment que la notion de volontariat est impossible « à cause
des pressions directes ou indirectes », et 41% difficile, « parce qu’il
n’y a pas assez de personnel pour
laisser le choix ».
L’exception bricolage
En 2008, la droite a accordé aux magasins d’ameublement une dérogation
pour ouvrir le dimanche. Une brèche qui a poussé le secteur du bricolage à
réclamer le même régime au nom de la distorsion de concurrence.
Mais en septembre dernier, Bricorama n’ayant pas de dérogation pour ouvrir
ses magasins le dimanche, et s’estimant ainsi lésé, avait demandé et obtenu
en référé que ses deux concurrents Castorama et Leroy Merlin soient également obligés de fermer quinze de leurs établissements d’Ile-de-France le dimanche. Mais les deux enseignes ont bravé l’interdiction. C’est dans ce climat
que le gouvernement a demandé à M. Bailly de mener une mission pour clarifier le cadre juridique du travail dominical.
Le rapport Bailly propose ainsi de supprimer au 1er juillet 2015 la dérogation
de l’ameublement. Jean-Marc Ayrault a proposé dans la foulée d’accorder d’ici
là une dérogation temporaire au secteur du bricolage à condition que Bricorama lève ses actions en justice. Une décision qui signe « la fin de l’injustice »,
selon Jean-Claude Bourrelier, le président de l’enseigne Bricorama.
Dossier -
la pointeuse - 6 décembre 2013
Le volontariat n’existe pas
Noëlle Marty, 66 ans, est militante à la CGT. Cette hôtesse de caisse à la retraite dans la grande distribution a fait de la défense du repos dominical son cheval de bataille.
Noëlle Marty a
travaillé toute
sa vie dans la
Un jour comme
un autre
pour l’individu. Personne n’est
content de travailler le dimanche.
grande distribution. Elle a
toujours refusé
de travailler le
dimanche.
Quelle est à ce jour la politique de la Haute-Garonne
concernant l’ouverture des
commerces le dimanche ?
Noëlle Marty - La Haute-Garonne, comme les autres départements français, est soumise à la
loi française en vigueur. Il y a des
dérogations de droit qui autorisent certains commerces – boulangeries, boucheries, jardineries, supermarchés… – à ouvrir le
dimanche jusqu’à 13 heures.
Mais je dirais qu’en HauteGaronne, la situation est
plus « évoluée » qu’ailleurs. Depuis seize ans, un accord départemental limite à deux ce qu’on
a appelé les « dimanches du
maire », ces dimanches d’ouverture exceptionnelle autorisée. La
loi en autorise cinq au niveau national. Par ailleurs notre département n’est pas concerné par les
zones dites « spéciales » que sont
les PUCE et les zones d’intérêt
touristique.
de vue du droit salarial, c’est légal, après se pose la question de
la concurrence déloyale…
Y’a-t-il néanmoins des
abus ?
NM- Non, dans ce cas-là, le volontariat, ça n’existe pas. Qu’on
veuille travailler le dimanche
pour gagner plus ou avoir un jour
de récupération supplémentaire,
c’est quelque chose que je peux
entendre, même si je ne le comprends pas, mais ne me parlez
pas de volontariat. Si les salariés
gagnaient plus, ils n’auraient pas
besoin de courir après le travail
du dimanche.
Dans le volontariat, il y a une notion de plaisir et de plus-value
NM - Oui, évidemment, il y a des
débordements. Certaines enseignes qui vendent des produits
autres qu’alimentaires contournent la loi en faisant par exemple travailler des membres de
leur famille. C’est le cas de Gifi et
de la Foir’Fouille. Car il faut rappeler que ce qui est interdit, ce
n’est pas tant l’ouverture en tant
que telle, mais l’utilisation des
salariés le dimanche. Du point
Peut-on vraiment parler de
« volontariat » de la part des
salariés ?
Que pensez-vous du rapport
Bailly ?
NM - C’est hypocrite et pervers.
D’un côté, il réaffirme le principe
de volontariat, et de l’autre, il
propose de passer de cinq à douze les « dimanches du maire ».
Douze dimanches, c’est énorme,
c’est un dimanche par mois!
Aucune organisation syndicale
n’acceptera ça. Au-delà du travail du dimanche, tout cela pose
la question de la société dans laquelle nous voulons évoluer.
Quelle serait la solution pour
contrer ce « toujours plus » ?
NM - Revenir au repos dominical
pour tous, limiter les dérogations
aux services de première nécessité et aux loisirs. Parce que là,
on va droit dans le mur. On nous
parle de créations d’emploi,
mais on oublie de regarder tous
les petits commerces qui seront
contraints de fermer ! Quant à
l’argument du profit réalisé le
dimanche, il ne tient pas, car ce
chiffre n’est pas réel. Le fond du
problème, c’est la concurrence.
Si les autres n’ouvrent pas, il n’y
a pas de problème, le chiffre d’affaires se déplace sur les autres
jours de la semaine. La solution,
c’est de remettre tout le monde
au même niveau.
Manon Sabut, 22 ans, étudiante en master psychologie
au Mirail et vendeuse chez Midica.
E
lle a une vie bien remplie – fac, examens, petits
boulots – pourtant, travailler le dimanche, elle
accepterait « sans hésitation ». Vendeuse chez Midica depuis l’été dernier, Manon ne peut s’assumer
seule, ou presque, que grâce à ce job étudiant. «
Mes parents me payent le loyer, mais pour le reste
je ne veux rien leur devoir. Alors, un dimanche payé
double ce n’est pas de refus ! ». Car elle insiste, « la
condition de la rémunération valorisée et celle du
volontariat, sont indispensables ». Et concernant
l’argument du bouleversement de la vie sociale,
elle ne comprend pas : « pour moi, le dimanche est
un jour comme un autre. J’ai travaillé tout l’été le
dimanche dans une piscine municipale, et ce n’est
pas pour autant que mes habitudes sociales ont
changé. Ce n’est pas un argument valable ». Alors
accorder 12 dimanches au lieu de 5 actuels, comme
le propose le rapport Bailly, c’est « faire les choses
à moitié » selon Manon. « Soit on dit oui, soit on dit
non au travail dominical. Personnellement, je préfèrerais que ça soit oui ».
Le dimanche,
c’est sacré !
Solange Dalmasso, 59 ans, vendeuse dans le magasin de
chaussures Bata
S
olange travaille dans la vente depuis plus de
vingt ans. Elle n’a jamais travaillé le dimanche, et ne compte pas changer. « Le dimanche,
c’est sacré ». Avec quatre petits-enfants, qu’elle
peut voir uniquement le weekend, elle n’imagine
pas devoir sacrifier ce moment de famille. « Faire
travailler les gens le dimanche c’est changer toutes
ses habitudes sociales, bousculer la vie de famille.
On ne vit pas pour son travail ! ». Et pas question de lui avancer l’argument du bénéfice pour
l’entreprise. « A Toulouse, les gens sont habitués à
trouver leurs commerces fermés le dernier jour de la
semaine, ouvrir ne servira à rien, il n’y aura pas plus
de monde ». Pourtant, la vendeuse consent des
exceptions. « Je comprends qu’il y ait des gens qui
aient besoin d’argent, notamment les étudiants, et
pour qui un jour supplémentaire est vital. Mais le
principe de volontariat doit être indispensable».
10 - Conditions de travail
la pointeuse - 6 décembre 2013
Les âmes du
cimetière de Rapas
À Toulouse, une vingtaine de personnes travaillent au cimetière de Rapas, discrets mais indispensables
U
n matin de décembre
dans le cimetière de
Rapas, quartier SaintCyprien. Les croix se perdent
dans la brume. Quelques visiteurs viennent saluer leurs
morts. À l’entrée, dans un petit
cabanon blanc, Jean-Jacques
et Jean-Marc gardent les lieux.
« J’étais monteur mécanicien
sur des plateformes pétrolières », raconte le premier. « J’ai
voyagé un peu partout en mer
du Nord. Et puis j’ai arrêté, je
suis retouné sur des chantiers à
Toulouse, ensuite je suis devenu
pompier. » Après trois fractures
de la malléole et un infarctus
Jean-Jacques a été « reclassé ».
« Tous les gardes qui travaillent
ici avaient un autre poste à la
mairie. Suite à un accident et
une invalidité, on nous a proposé de travailler au cimetière
ou au musée », développe JeanMarc. Le quinquagénaire sort
du cabanon et part faire sa ronde. Au bout d’une allée, entre
les tombes fleuries, un homme
emplit sa brouette de terre fraîche. Richard est responsable de
l’entretien du cimetière. Avant,
il était militaire. Il a dû se reconvertir après deux ans passés
à l’hôpital. « On est bien mieux
ici qu’au musée. On est au grand
air. Et puis je connais tous les
gens du quartier. Les habitués
viennent discuter avec nous »,
affirme Richard. Mais au fil de
la conversation il avoue tout de
même : « Les enterrements c’est
pas facile tout les jours non plus.
Il faut avoir le mental, on voit
des choses dures. »
« Je travaille ici,
je serai enterré ici »
Un mental que l’on devine derrière un regard franc et volontaire. « Ça fait partie de la vie.
Je sais que je ne quitterai pas
les lieux. Je travaille ici et je serai enterré ici. » Sur ce, Richard
range pelle et brouette dans sa
camionnette et démarre, direction les bureaux. Au passage il
croise un collègue qui rebouche
un trou dans une allée. « Il faudrait peut-être penser à manger un jour ! » Dans le bureau,
c’est aussi l’heure de la pause
déjeuner. Jean-Paul est plongé
Allô !
dans un grand registre avec des
numéros. « On cherche des emplacements libres. On ne peut
plus agrandir le cimetière, alors
il faut faire de la place. » Quand
une tombe est « périmée », un
panneau est mis dessus pour
informer la famille. « Ensuite les
pompes funèbres enlèvent les
corps ou les réduisent pour qu’ils
prennent moins de place. »
Jean-Paul et ses deux collègues s’occupent d’organiser
les enterrements, de guider les
familles, d’appeler des entrepreneurs pour la construction
ou l’entretien de monuments. «
Le relationnel n’est pas toujours
facile. Parfois certains ne comprennent pas qu’il faille libérer
une tombe, d’autres se plaignent qu’une tombe s’affaisse.
Mais c’est aussi agréable lorsque certains habitués viennent
nous saluer. C’est un cimetière
de quartier ici. » Pour l’heure,
il faut aller manger. Même si
tous ces hommes font un travail atypique, la pause déjeuner, c’est pour tout le monde.
Richard préfère travailler ici
qu’au musée :
« On est au
grand air. »
©Oriane Verdier
Ta légende
faignante !
Oriane Verdier
« Une poche de sang
à livrer en urgence »
Le transport sanguin reste le maillon peu connu de la grande chaîne médicale, pourtant son rôle est essentiel
Un livreur de
sang toulousain
prêt pour sa
course. ©Françoise Huedro
Ils font partie de la grande famille
des urgentistes. On les appelle les
transporteurs de sang, les conducteurs médicaux urgentistes, ou
plus poétiquement les « messagers » du transport des produits
sanguins.
Derrière ces appellations, des femmes et des hommes s’activent
dans ce domaine en évolution.
Parmi eux, Vincent Clavaud.
Âgé de 35 ans , ce Toulousain
d’adoption est cogérant d’une entreprise de transport sanguin, Urgent-sang 31. Ancien brancardier, il s’est lancé dans
cette aventure il y a deux ans et demi sans conviction. « J’ai toujours été dans le milieu
médical. Malheureusement je n’ai pas la capacité intellectuelle d’être un grand chirurgien. En montant cette boîte, je pensais apporter, à mon niveau, ma pierre à l’édifice »,
explique t-il. 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Voilà comment Vincent Clavaud et son
associé contribuent à cette « aventure ». « Mes journées commencent à 14 heures et se
finissent le lendemain à la même heure. Il peut arriver que l’on n’ait rien pendant quelques heures puis qu’on enchaîne cinq courses l’heure suivante. Quand c’est des urgences,
il faut effectuer la commande dans la demi-heure », décrit le jeune entrepreneur.
Commence alors une course folle de l’Etablissement française du sang (EFS) de Purpan
vers la clinique concernée. Paradoxalement, ces urgences se font à bord d’un véhicule
non prioritaire.
Elles bénéficient d’une facilité de passage mais il n’existe aucune obligation légale qui
l’impose.
Contrairement à Paris, Bordeaux ou Montpellier, les véhicules toulousains ne sont pas
équipés de sirène ou de gyrophare. « On emprunte les voies de bus. On slalome dans la
ville à coups de klaxon ou d’appels de phares. On fait avec », s’amuse Vincent Clavaud.
Avec 400 à 450 courses par mois pour trois établissements de santé, cette nouvelle
boîte s’est installée dans la région toulousaine parmi cinq autres entreprises de transport de sang. En France, ces marchés privés ont pris le relais il y a dix ans. Les nouvelles
entreprises peinent à trouver une identité. Avant eux, les motards de la police ou de
la gendarmerie étaient chargés du transport de sang. « Notre métier est considéré à
mi-chemin entre le transport et le médical », regrette Charley Mege, président du Groupement national des transporteurs de sang et d’organes (GTSO). « Ce double aspect
est néfaste à l’efficacité de nos missions puisque notre spécificité est oubliée entre deux
domaines, sans autorité de tutelle clairement définie. »
Le flou législatif et la méconnaissance des administrations sur les missions du transporteur de sang représentent un réel problème. « Je suis régulièrement interpellé,
autant par l’administration que les acteurs de la santé publique sur les effets indésirables
d’un transport effectué trop souvent par des entreprises non qualifiées. Ce qui entraîne
de sérieux incidents comme des urgences réalisées avec retard ou des courses faites sans
respecter les normes de conservation du sang », poursuit le président du GTSO.
Des formations au transport de sang sont pourtant proposées par des établissements
professionnalisants dans certaines régions de France. Mais aujourd’hui seul le permis
et la licence de transport sont obligatoires pour exercer.
Françoise Huedro
Conditions de travail - 11
la pointeuse - 6 décembre 2013
Salaire jadis, complément
de salaire hier, le pourboire
se perd.
Pour les serveurs et coiffeurs
toulousains, c’est devenu de
la petite monnaie
«N
on ! » Ni bonjour, ni au revoir. Le
maître d’hôtel du Bibent refuse
que ses serveurs évoquent le
sujet du pourboire. Il n’y avait pourtant pas foule
dans cette brasserie cossue et baroque de la place
du Capitole. Surprenante censure : veut-il taire le
déclin de la pratique, pour ne pas mettre mal à
l’aise les quelques clients encore attablés ? De fait,
le pourboire tend à disparaître, entend-on dans la
plupart des restaurants, bars ou salons de coiffure
toulousains.
Talal entrouvre ses mains. Au creux, quelques
misérables pièces rouges ont bien du mal à résonner. « Voilà ! C’est ce que j’ai fait entre hier et
aujourd’hui. 11 centimes… » Le pourboire n’est plus
un complément de salaire pour Talal : « Il y a quinze ans, je gagnais deux fois plus ! » Pour lui, « c’est la
carte de crédit qui a tué le pourboire : les gens n’ont
plus de liquide sur eux. »
Une thèse confirmée par ses collègues. Aujourd’hui,
les touristes étrangers sont les seuls à donner
beaucoup et à chaque fois. D’une part, ils ont davantage d’espèces sur eux (les retraits à l’étranger
coûtent cher), d’autre part, il est d’usage de donner 10 à 20 % en Allemagne, en Grande-Bretagne
ou aux Etats-Unis. Ce n’est pas le cas des Français.
« Ils disent donner souvent, mais c’est un mensonge », affirme Manu. Il reconnaît gagner entre 30
et 80 euros par mois grâce au pourboire, dans son
restaurant exotique de la rue Matabiau.
Si la fourchette est si large, c’est sans doute parce
que les touristes s’y font rares. À part les étrangers,
qui sont les plus généreux ? « La seule règle, c’est
qu’en dessous de 25 ans, les gens ne laissent rien. »
Il s’empresse de préciser : « Mais les anciens qui
donnent plus que les autres, c’est une légende. »
Trop peu pour épargner
Comme Talal, Ludovic est un vieux de la vieille.
Il y a 17 ans, lorsqu’il a débuté dans l’hôtellerie
au Crown Plaza, rue Gambetta, les pourboires
pleuvaient. « J’étais un jeune groom et la clientèle
était assez riche. Français comme estivants n’hésitaient pas à me donner quelque chose. Ça oscillait
autour des 50 francs, voire 20 dollars pour les plus
Le pourboire
ne nourrit plus
friqués. » Entre deux coups de torchon sur sa vaisselle humide, il donne son idée sur la question :
plus le standing de l’établissement est élevé, plus
les pourboires sont importants.
Les clients des salons de coiffure mettent aussi la
main à la poche. « Une cliente sur trois », soutient
Laura, apprentie esthéticienne. Cela peut aller de
deux à dix euros, pour des prestations qui vont de
20 à 80 euros. En un mois, Laura touche jusqu’à
30 euros qu’elle dépense au fur et à mesure.
Trop peu pour épargner. « Parfois, je les remets
même dans la caisse quand on a besoin de petite
monnaie. » Une rue plus loin, Johanna dit la même
chose, mais elle précise en rigolant : « Les clients
donnent plus volontiers aux coiffeuses et les clien-
tes aux coiffeurs. » Il faut dire que ce métier est
particulier. « Avec le temps, la relation devient affective avec certaines clientes qui viennent pour se
confier. »
Au final, seul Mickaël, qui sert au Père Léon, met
de côté ses 40 à 80 euros de pécule mensuel. Pour
tous les autres, coiffeurs ou serveurs, c’est devenu
de la petite monnaie, aussitôt perçue, aussitôt dépensée en clopes et tickets de bus. « Ce n’est pas
dû à la crise, mais à un changement de mentalité »,
regrette, fataliste, le patron du Mangevins. « Et
c’est dommage, ricane Manu. Nous avons de la mémoire, et quand les clients généreux reviennent, le
service est souvent de meilleure qualité ! »
Le pot à pourboire du Mangevins sonne bien
creux. © JeanMarie Bordry
Jean-Marie Bordry et Johan Tabau
Pour gagner plus, certaines renoncent à une couverture sociale
Femme de ménage
sans feuille de paie
©DR
Une enquête de Market Audit
pour la société de services à domicile, O2, met en évidence une
nouvelle réalité. En novembre
dernier, 33 % des sondés déclarent avoir déjà travaillé dans le
domaine des services à la personne sans avoir été déclarés.
L’économie parallèle augmente.
Un nouveau phénomène se développe, le travail gris. La déclaration partielle des heures de travail
concernerait 20 % des services à la
personne. Zahra, femme de ménage de 31 ans, mère d’un garçon
de trois ans, travaille au noir de
façon occasionnelle. Elle n’est pas
étonnée par cette étude. L’entre-
prise O2 a bien tenté de recruter
Zahra mais elle a refusé. « Seule,
je gagne plus, j’ai plus d’indépendance », déclare-t-elle. Elle n’a pas
peur des accidents de travail et
admet qu’en percevant le revenu
de solidarité active (RSA), « il est
plus pratique de ne pas tout déclarer ». Elle poursuit : « Si je n’avais
pas d’enfant, je jouerais certainement la sécurité, mais avec mon
fils, je préfère gagner plus d’argent.
Mon concubin, frigoriste pour
GDF, assure la stabilité ». Malgré
ce choix, Zahra ne s’est pas infor-
mée sur les risques qu’elle encourt
pour cette fraude. Sa retraite, elle
y pense souvent, et se dit qu’elle
n’en aura pas. « Je ne veux pas rester femme de ménage toute ma
vie », dit-elle. Zahra a arrêté l’école
à seize ans, « sans bagage universitaire, c’était compliqué de trouver
d’autres emplois ». Aujourd’hui,
elle prépare une formation d’intégrateur cabine aéronautique dans
le but d’être mieux rémunérée et
de façon plus régulière.
Amandine Villaréal
12 - Conditions de travail
la pointeuse - 6 décembre 2013
Eh Mec !
Elle est où ma
caissière ?
Caisse automatique, scanner individuel et même magasin virtuel... Quand les grandes surfaces mettent le
consommateur à contribution, les caissières voient leurs emplois disparaître.
Si cela nous permettait
au moins d’être plus
disponible pour les
gens, mais en réalité on nous en
demande encore plus. À force,
c’est snous qui devenons des machines ! » Diatta, 45 ans, mère
de deux enfants, est « hôtesse
de caisse » depuis treize ans au
supermarché Casino Saint-Georges à Toulouse. Légèrement résignée, elle a vu l’arrivée de « ces
robots ».
Si elle pense que cette nouvelle
technologie ne remplacera pas
toutes les caissières, elle estime
que le système détériore les relations avec les clients.« Les passages en CLS (caisse en libre-service),
c’est toujours plus de pression. J’ai
quatre caisses sous ma responsabilité et il faut superviser le passage des articles via un ordinateur,
s’assurer que les clients ne viennent pas avec leur caddie et qu’ils
respectent le fonctionnement des
bornes. »
Arrivées dans les supermarchés
français dès 2005, les caisses
automatiques devaient permettre une forte rentabilité, une
meilleure fluidité et des files
d’attente moins longues pour
des consommateurs toujours
plus pressés.
Tous caissières ?
Après quelques années d’utilisation, le bilan est plutôt mitigé
pour Marlène Benquet, auteure
de Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution.
« En France, ce sont près de 2,3
millions de personnes qui utilisent
désormais ces nouveaux moyens
mis à leur disposition. Pourtant
les consommateurs prennent
davantage de temps que les
caissières, ce qui peut d’ailleurs
les agacer et créer des situations
délicates. Mais le fait d’être en action donne l’impression d’agir sur
le temps. »
Teddy, employé à temps partiel
depuis trois mois, est régulièrement affecté à ce type de poste.
« Les gens gardent moins leur
sang-froid lorsqu’ils passent euxmêmes les articles. Ils s’énervent
au moindre souci et nous rejettent la faute. Le samedi aucun de
mes collègues ne souhaite surveiller les CLS. »
Car le métier diffère réellement
de celui effectué en caisse classique. Le personnel est en charge
de nouvelles tâches pour lesquelles il est très peu formé. « Les
caissières deviennent des contrôleuses avec un rôle qui tend vers
de l’encadrement, ce qui peut
être mal interprété par les clients.
Auparavant, leur travail était
davantage séquencé avec une
personne à la fois. Ce n’est plus le
cas », détaille Marlène Benquet.
Nouvelles dynamiques ?
Certaines caissières apprécient
néanmoins cette nouvelle fonction. « Ca change. Au lieu d’être
vissée à mon siège, je peux aller
vers les gens, bouger », raconte
Sabrina, devenue caissière après
un passage par Pôle emploi. Un
moyen aussi pour elle, « de se tenir debout, face aux personnes ».
Des arguments repris par la direction qui prône une «nouvelle
répartition des missions » : « La
mise en place des caisses automatiques a permis de nouvelles
dynamiques. Le fait d’être assis
Dans les supermarchés, les employés craignent pour leur avenir. © Bénédicte Poirier
4,5
Le nombre en millions de
Français qui devraient passer
par des caisses automatiques
en 2015. Soit deux fois plus qu’en 2013.
Les caisses
automatiques
ont fait leur apparition dans les
supermarchés
il y a déjà huit
ans. © Bénédicte
Poirier
dernière une seule caisse peut devenir parfois rébarbatif », explique avec aplomb Evelyne Coussot, responsable du personnel
du supermarché Casino.
Quant à une éventuelle baisse
du personnel, la directrice assure
que le magasin tourne avec un
effectif quasi similaire à l’année
précédente. « Nous embauchons
même de nouvelles personnes »,
affirme-t-elle. Coté clients, les
avis divergent. Si Patrick « ne
souhaite pas contribuer à la disparition des caissières », il admet
que de temps en temps, il passe
par les caisses automatiques.
« Quand je n’ai qu’un ou deux articles, ça m’arrive de les utiliser »,
relate-il un peu confus. Pour Mathilde en revanche, la question
ne s’est jamais vraiment posée.
« Maintenant qu’elles sont installées, je ne pense pas qu’ils les enlèveront. Mais c’est vrai que c’est
agaçant quand le code barre du
produit ne passe pas.»
Si la situation ne semble pas
réellement émouvoir les clients,
surtout soucieux du prix de leur
caddie, les caissières redoutent
l’automatisation complète de
leur outil de travail. Elles pourraient alors subir le même sort
que les poinçonneurs du métro
parisien et devenir un métier du
passé.
Guillaume Arlen
« Les caisses automatiques promettaient une forte rentabilité,
une meilleure fluidité et des files
d’attente moins longues pour des
consommateurs toujours plus
pressés. »
Conditions de travail -13
la pointeuse - 6 décembre 2013
La Compagnie du Rêvoir
bouillonne en coulisses
Rachel, Céline et Marlène
montent un spectacle. Texte, décors, mise en scène
et musique, les trois comédiennes ont tout conçu.
«
Je me souviens l’odeur du petit déjeuner, les bruits sourds
à travers la maison... » Rachel tourne en rond et répète
son texte. Quelques notes de violon se plaignent dans
le silence du grenier :
Céline accorde son instrument. Pendant ce temps, Marlène cherche désespérément un gilet assorti à sa robe bleue. Quelques
échauffements, on rassemble les accessoires, tout est près pour
la répétition.
La pièce parle de gâteau, de gourmandise et de père fouettard.
Les trois femmes d’une trentaine d’années jouent Un Cabaret
pour enfants gloutons (à la crème fouettée*), un spectacle pour
enfants.
La Compagnie du Rêvoir, c’est comme ça qu’elles s’appellent, se
réunie tous les jours depuis trois semaines dans le grenier de la
maison de Rachel.
A Venerque, perdue dans la campagne toulousaine, la mezzanine
de la vieille maison en pierres rouges a été transformée en espace
de création. Des pots de peintures et des costumes bordent les
murs. « Passe moi la glue, je dois recoller ça », crie Marlène. La jeune
femme est responsable des accessoires. « Ici, on a toutes un rôle.
On est obligées de se répartir le travail, de s’organiser, pour être efficaces. » Organisation, efficacité, travail. La Compagnie du Rêvoir
est une vraie entreprise.
Rachel est à l’origine de la mise en scène, Céline, de la musique,
Marlène déguisée en ogre, prépare un bouillon d’enfants.
© Christelle Dameron.
Airbus : une vie
de sous-traitant
L’avionneur européen accumule les grosses commandes. Comment faire pour
livrer tous ces avions à temps ? Une des solutions : sous-traiter !
Marlène des décors. « C’est un travail d’équipe », poursuit cette
dernière. Tout doit être prêt pour la représentation de samedi. La
pièce a été achetée par l’association culturelle de Venerque pour
750 euros. Rachel et Marlène ont déjà investi entre 100 et 200
euros chacune. « À la fin, on aura même pas un cachet chacune »,
avance Rachel. Le cachet que touche les artistes, oscille normalement entre 90 et 150 euros.
Les filles espèrent obtenir d’autres dates. La pièce a déjà été achetée deux fois à Périgueux pour un montant de 1500 euros. « Les
spectacles pour enfants, ça marche bien, il y a de la demande, c’est
un peu pour ça qu’on a monté cette pièce », explique Rachel.
Les trois comédiennes complètent leurs revenus en donnant des
cours de théâtre. « Nous avons de la chance de pouvoir vivre du
théâtre, il y a peu de pays où c’est possible, explique Rachel. Le
théâtre, c’est du luxe et de l’impuissance. Du luxe car c’est un plaisir d’exercer, de l’impuissance car nous dépensons énormément de
temps, d’énergie pour une œuvre qui sera produit une seule fois »,
continue-t-elle. Marlène tempère : « Comme dans n’importe quel
travail, il y a des contraintes, des pressions et beaucoup de stress.
J’ai l’impression de travailler tout le temps. »
À la fin du premier filage, Marlène s’effondre. « Ça a pas enchaîné
du tout là... Allez, ça va le faire. Il faut juste quelques ajustements
dans le mise en scène, rassure Rachel, et puis on a encore jusqu’à
samedi.»
Christelle Dameron
Ton univers
impitoyable
Magnolia Trilllo, déléguée du personnel chez
Kuehne-Nagel, société germano-suisse de 700
salariés sous-traitante en logistique, fait le même
constat. « Il y a une vraie dégradation des conditions
de travail et beaucoup de casse sociale. Il y a de
plus en plus de licenciements abusifs quand
Sur le site de Toulouse, 14 000 personnes pointent tous les jours. Mais en tout, 40 000 travaillent
pour Airbus dans la région. Ces salariés sont simplement employés par d’autres sociétés : les soustraitants.
Patrick Bricet, de la CGT Airbus, indique que l’A380
est sous-traité à hauteur de 70%. Quant à l’A350
ou l’A400M, cela dépasserait les 80% ! L’A320, qui
rapporte beaucoup au constructeur, est fabriqué
en seize exemplaires
par mois à Toulouse !
Le carnet de commandes pourrait dépasser les
1 200 appareils selon le
directeur commercial John
Leahy. Alors il faut construire
toujours plus vite.
SSII. Ce qui aujourd’hui représente plus de 2 000
suppressions d’emplois. Entre 2 500 et 3 000 sont
encore prévues à l’horizon 2018. Pour Carmelo Mistretta, salarié chez Sopra, sous-traitant en informatique, le rythme de travail reste correct et il apprécie
d’avoir deux heures pour déjeuner. Il regrette aussi
d’être considéré comme « un employé de seconde
zone. » Selon lui, Airbus abuse de sa position vis-àvis de ses collaborateurs. « C’est vrai que Sopra réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires avec Airbus,
mais le donneur d’ordres ne nous traite pas
correctement. » Le manque de considération irrite Carmelo qui a vu sa mission
à Airbus interrompue après un
préavis de… trois jours.
Flora Ferdinand
notre direction n’arrive pas à obtenir une rupture
conventionnelle. Ils nous poussent à bout, et du
coup, beaucoup démissionnent. »
Chez Figeac Aéro, fournisseur de pièces détachées
dans le Lot, Fabienne Vayssié, responsable
recrutement, n’a pas le même discours : « Quand
Airbus va, tout va ! »
Pour elle l’essentiel est d’avoir du travail. « On
ne va pas se plaindre, ce sont les aléas de la vie
de sous-traitant. Malgré tout, on est en phase de
recrutement et d’investissement pour améliorer nos
produits. » Elle a conscience que la sous-traitance
n’est pas des plus confortables mais l’accepte
car, en ce moment, aucun contrat ne se refuse.
Cependant, elle se doute qu’en février, lors des
négociations annuelles, les revendications salariales
devraient une fois encore exiger une hausse des
salaires, bien inférieurs à ceux d’Airbus.
Grosse machine mais
quels rouages…
Parmi les sous-traitants, les sociétés de service en ingénierie informatique (SSII) sont les
plus représentatives. « Leurs bureaux d’études
ont subi de grosses pressions pour finaliser au
plus vite la conception de l’A350. Ces petites mains
n’ont pas compté leurs heures face aux charges de
travail car la politique de Tom Enders et d’EADS, la
maison mère, c’est de satisfaire l’actionnaire », explique Patrick Bricet. Rentabilité à deux chiffres exigée
! Pour y arriver,
Airbus s’est déjà
séparé de plusieurs
FF
L’A380 d’Airbus,
nouvel
avion
phare de la compagnie. ©DR
14 -Chefs d’entreprise
la pointeuse - 6 décembre 2013
« Mon père me
prend pour un fou »
Appelez-les
« présidentes »
Créer une auto-entreprise passé 40 ans, un choix de vie
pas toujours compris.
I
l n’est pas hors la loi, n’exerce pas un métier en
apparence tabou et pourtant il n’a pas souhaité
témoigner à visage découvert. Marc (c’est ainsi
que nous l’appellerons) est patron-associé dans
trois Sociétés par action simplifiée, (SAS) mais aussi
patron de son auto-entreprise qui sous-traite pour
l’une de ses sociétés de consulting. C’est là que le
bât blesse.
Il ne souhaite pas dévoiler son identité car, selon
lui, les entreprises avec qui il est en relation dans
son métier de consultant, ne veulent pas travailler
avec des auto-entrepreneurs. « Pour elles, on est des
mecs fauchés et pas très fiables », assure Marc.
« Si vous êtes artisan auto-entrepreneur, vous vendez à des particuliers, c’est parfait. Pour du consulting ça ne fait pas haut de gamme », ajoute-il.
Dans sa famille non plus il n’est pas toujours compris. « Mon père a bossé pendant quarante ans dans
la même boite, il ne comprend pas l’état du marché
actuel… Il me prend pour un fou ! », lance-t-il en rigolant.
Marc rit volontiers car il refuse de se laisser abattre.
À 44 ans, un doctorat en chimie et quinze ans d’expérience, les entreprises l’ont « éliminé du marché
du travail ».
« En 2011, quand je me suis fait virer de mon énième
CDD, je me suis dit que je n’avais pas le choix. J’ai fait
une croix sur mes vacances, ma retraite, une vie de
famille et j’ai créé ma propre entreprise. » Comme
un débutant, Marc commet des erreurs. Sa première société ferme au bout d’un an : « j’ai mal ciblé le
marché. »
La stratégie de l’entonnoir
Aujourd’hui son auto-entreprise sous-traitante en
consulting lui permet, quatre mois après son lancement, de gagner un Smic.
« Ma stratégie c’est celle de l’entonnoir. Je saute sur
toutes les opportunités qui s’offrent à moi, grâce
aux contacts accumulés durant ma carrière –l’avantage de l’âge –, je sélectionne ensuite », confie Marc.
« Là, je suis sur un coup pour vendre des camions en
Afrique », poursuit l’ auto-entrepreneur qui peut
décidément faire ce qu’il veut au sein de son entreprise.
« Il n’y a que des avantages. Quelques clics sur Internet et trois semaines plus tard j’avais un numéro de
société avec une fiscalité réduite, sans TVA à payer
et sans manager au-dessus de moi pour m’emmerder ! », confie Marc un brin provocateur.
Confiant en l’avenir, « l’année 2014 va cartonner
pour moi, je le sens », Marc justifie son choix de vie
à qui veut l’entendre. « Je ne connais personne dans
mon entourage toulousain qui, à 40 ans passés, a
retrouvé un emploi en passant par un cabinet de recrutement », conclut-il.
L’égalité professionnelle ne se vérifie pas dans les entreprises,
les femmes sont payées 25 % de moins que les hommes
Najat VallaudBelkacem,
ministre du
Droit des
Femmes, a
remis les prix
de l’égalité au
Marie de Fournas
travail ce jeudi
à Toulouse.
© Akhillé Aercke.
à Toulouse, Anouk Dequé, présidente de la Confédération générale des petites et moyennes
entreprises (CGPME 31), dirige
une agence de communication
qui porte son nom. Avant, elle
souhaitait devenir avocate en
droit des affaires. Mais son goût
pour le contact et son aisance
relationnelle l’ont dirigée vers
la communication : « Je suis en
contact avec tant de secteurs
différents, de la banque, jusqu’à
l’art, en passant par l’environnement ou la santé . »
Realise avec esael.ly.com / Source: APCE
Dans le rugby...
Marie-Claude Augier, issue de
la même génération, est de
son côté vice-présidente de la
Chambre de commerce et de
l’industrie de Toulouse (CCIT)
et directrice d’une maison de
retraite en Haute-Garonne. Présidente du club de rugby de Villefranche-de-Lauragais, elle voit
dans le monde de l’Ovalie une
occasion de rappeler l’aspect
indispensable de la parité : « Il y
a des présidents qui dirigent des
clubs de filles. Pourquoi pas l’inverse ? Et puis le rugby, c’est une
société qui peut être dirigée par
une femme, comme toute autre
exploitation ! »
...et les transports
aussi
Pour l’entreprise ABC Transport
et Taxi Berne, la parité hommesfemmes est une chose acquise.
Si l’entreprise de transports
n’est pas dirigée par une femme, 80 % de ses effectifs sont
féminins : chauffeurs de taxi
et de car, transports scolaires...
Cette société, récompensée le
5 décembre par un prix pour
l’égalité professionnelle en entreprise dans la catégorie TPME,
pourrait bientôt être dirigée par
une femme. Histoire de tordre
définitivement le cou aux idées
reçues, même dans un milieu
réputé machiste.
Akhillé Aercke - PM Tisnès
Un robot, quatre mousquetaires
Depuis deux ans, quatre jeunes ingénieurs toulousains ont lancé le pari de commercialiser Oz, un robot conçu pour travailler dans les champs.
Tout commence en 2010 lors d’une fête de l’asperge dans un petit village des Landes. Gaëtan Séverac, 26 ans, jeune diplômé en école d’ingénieur,
rencontre un agriculteur éprouvant des difficultés
physiques pour entretenir ses parcelles. Lui vient
alors l’idée de construire un robot qui récolte et
entretient les maraîchages.
De retour à Toulouse, Gaëtan retrouve Aymeric Barthes, un ancien camarade de promotion.
Emballés par le projet, ils dessinent les premiers
plans du robot, avant d’être rejoints par deux
autres diplômés de leur école d’ingénieurs en
robotique et informatique. Après des centaines
d’heures de dessin, programmations et bricolage,
Oz premier du nom voit le jour, dans le garage
d’Aymeric. « Ça ressemblait plus à une voiture téléguidée sur laquelle on avait attaché un râteau,
indique Aymeric, nous n’avions pas d’exemple sur
lequel nous appuyer, il nous a fallu de longues heures de concertation, au prix de nombreux échecs. »
Demander des conseils aux
entreprises spécialisées
L’équipe progresse et fonde deux mois plus tard
la société Naïo Technologies. Avec le soutien de
l’incubateur Midi-Pyrénées, la start-up débloque
des fonds. Un appel aux dons lancé sur une plateforme Internet permet de récupérer des fonds.
Oz prend peu à peu sa forme définitive. « Nous
avons contacté des entreprises françaises spécialisées en robotique pour obtenir des conseils sur
les pièces et les programmes à utiliser », résume
Pascal, un des ingénieurs.
Depuis, Oz est devenu opérationnel, capable de
biner et désherber automatiquement les rangées
cultivées, mais aussi de suivre l’agriculteur au
moment de la cueillette pour transporter les produits. Ses créateurs comptent désormais sur une
levée de fonds pour développer leur production et
garantir un avenir à leur petit robot.
Gaëtan Séverac
en compagnie
de son robot.
© Gaëtan
Julien Courdesses
Séverac.
Insertion -15
la pointeuse - 6 décembre 2013
Du parloir
au guichet d’accueil
« Je n’aime pas Toulouse,
mais il est déconseillé de
se réinsérer sur les lieux
de son forfait. »
Après dix ans derrière les barreaux, Etienne, 58 ans, travaille aujourd’hui à l’accueil d’une école d’audiovisuel
L
orsque l’on échange quelques mots avec lui, il est
difficile d’imaginer qu’il a
passé dix ans de sa vie en prison pour homicide involontaire.
À première vue, étienne n’a pas
tout à fait l’allure de l’ex-taulard.
Il s’exprime avec une grande
clarté, dans un langage limpide
et avec un vocabulaire riche.
Il accepte de témoigner anonymement, son prénom a été modifié. Aujourd’hui âgé de 58 ans,
il travaille depuis sa sortie de prison, il y a douze ans, à l’accueil
d’un établissement d’enseignement supérieur dans le centre de
Toulouse. Ici, personnel et étudiants connaissent son parcours
carcéral. C’est sur son lieu de travail que notre rencontre a lieu.
Les origines
étienne a grandi avec sa famille
dans la campagne bretonne,
avant de s’installer à Paris à
l’adolescence. Il arrête l’école à
seize ans, et reprend des études
de lettres à vingt-trois. Dix ans
plus tard, véritable ermite, il retourne soudain en Bretagne, où
il élève des chiens en pleine campagne. À 35 ans, il est condamné
à 20 ans de réclusion criminelle
après une « bataille de poivrots
qui tourne mal » (il en sort une
décennie plus tard) : une bagarre avec un paysan qui tuait
ses chiens. Ce dernier y laissera
la peau.
En détention, il suit avec d’autres
taulards une formation d’audiovisuel pendant trois ans, au
terme de laquelle il sort major
de la prison ! Ayant pris goût au
travail, il occupe ensuite le poste
de jardinier à la prison de Muret pendant ses quinze derniers
mois de détention. Un travail ingrat, avec des horaires difficiles
et un salaire de 500 francs.
Ca n’est pas la prison qu’il incrimine. étienne évoque avec
calme et détachement sa période d’incarcération. Il ne tient
pas un discours hostile lorsque
l’on évoque les matons et l’enfermement. « La démarche est de
nous surveiller et non pas de nous
punir », explique-t-il en voulant
contredire Michel Foucault. À sa sortie, il reprend des études
d’audiovisuel, complétant la
formation suivie en prison. Son
diplôme en poche, il peut assurer l’accueil de l’établissement
audiovisuel toulousain. « Je n’aime pas cette ville, mais il
est déconseillé de se réinsérer sur
les lieux de son forfait. »
Soit la Bretagne de son enfance,
où sa mère aujourd’hui « graba-
taire et alcoolique » s’est laissée
aller depuis la mort de son mari,
survenue alors qu’étienne était
encore en détention. Il a grandi avec son grand frère
et sa soeur aînée, disparue à
neuf ans et demi.
Un décor éminemment
obscur duquel se démarque cet ex-taulard littéraire et cinéphile. En
parallèle de son emploi,
étienne « fait la manche
dans la rue pendant deux
ans » pour compléter son salaire d’environ 400 euros.
Réinsertion
« C’est le problème
de l’après-pénal, on
choisit de rentrer
dans le rang ou de
continuer sa névrose. » « La justice
Le prisonnier
n’oublie jamais
l’enfermement.
© Kévin Plancq.
ACCUEIL
m’a stigmatisé car elle me voyait
comme l’intello parisien », déclare
celui qui déplore un système carcéral qui « place les gens dans des
catégories. »
Par ailleurs, étienne a fréquenté
intimement Roland Barthes, relation qui sera rendue publique aux
Assises. « Pour la justice, je n’avais
pas à me trouver au beau milieu
d’une bagarre de poivrots, j’aurais
dû montrer l’exemple. » Ce littéraire avait abandonné
ses études de lettres deux mois
avant d’obtenir la maîtrise, « probablement à cause d’un complexe
d’infériorité. » étienne considère
néanmoins que sans sa longue
détention, il ne sait pas ce que serait sa vie aujourd’hui. Il décrit sa
jeunesse pré-carcérale, sa « prison
mentale », qu’il a vécue dans le refus de celui qu’il était vraiment. Sur
le plan personnel, il évoque son homosexualité, confiant qu’il n’a pas
de vie sexuelle depuis trente ans.
« Quand on est mal barré, dans
le vide affectif, seul, sans argent,
on ne peut qu’être heureux de
s’en sortir », se souvient-il.
« Lorsqu’on est allé en prison, on
n’est plus un homme comme les
autres, on est stigmatisé à vie »,
conclut d’une voix rauque celui
qui n’a pas le droit de vote.
édmée Citroën
entreprises ont des obligations vis-à-vis des travailleurs
Quels droits pour Les
handicapés, des mesures qui
les travailleurs handicapés
? peinent à être respectées
Rencontre avec Me Pascal SaintGeniest, avocat spécialisé en
droit social à Toulouse.
Accès à l’emploi
Depuis 2005, la loi handicap
oblige les entreprises de plus de
20 salariés à avoir un quota d’au
moins 6 % de travailleurs handicapés. Une mesure qui peine à
s’imposer. Seulement 55 % des
entreprises françaises soumises
à cette obligation la respectent.
Maintien de
l’emploi
Quand une entreprise embauche une personne handicapée,
elle doit adapter les locaux et
les postes de travail en consé-
quence : installer par exemple
une rampe d’accès pour une
personne en fauteuil... Un aménagement qui s’applique aussi
lorsqu’un salarié de l’entreprise
devient handicapé après un accident. Les travailleurs handicapés
peuvent également demander
des formations adaptées. « Une
personne aveugle peut avoir besoin d’une formation aux outils
informatiques adaptés à son
handicap. C’est une obligation
de la part de l’entreprise de la lui
fournir. »
valide. « Avant 2005, les entreprises pouvaient accorder une
rémunération moins élevée à
une personne handicapée car
on la considérait moins efficace,
moins rentable », explique l’avocat. Une façon de penser qui
persiste au sein de certaines entreprises mais qui peut entraîne
des dommages et intérêts, voire
des sanctions pénales.
Licenciement et
retraite
Rémunération
Il ne doit pas y avoir de différence de rémunération à poste
équivalent entre un travailleur
handicapé et une personne
Photo d’illustration.
© Bénédicte Poirier
En cas de licenciement, les salariés handicapés bénéficient
d’une indemnité majorée et d’un
préavis plus long. « Avec une ancienneté de plus de deux ans,
une personne valide aura le plus
souvent un préavis de deux mois,
alors qu’une personne handicapée bénéficiera de quatre mois »,
précise Me Saint-Geniest. La retraite anticipée fait également
partie des droits des travailleurs
handicapés. Elle varie en fonction du type et du taux de handicap, ainsi que du travail exercé.
Temps de travail
C’est la médecine du travail qui
définit le degré d’aptitude d’une
personne handicapée en ce qui
concerne la charge de travail
ou les horaires. « Une personne
inapte à l’emploi à temps plein
peut très bien être apte à temps
partiel. À l’entreprise ensuite de
s’adapter. »
Andréa Violleau
16 - Insertion
la pointeuse - 6 décembre 2013
Michèle prend les mots à bras le corps
Michèle Cotten anime un « atelier mots » au sein de l’association Domino pour aider des personnes en situation de fragilité psychique à s’intégrer socialement.
Iliane et Michèle
forment une
lettre avec leurs
corps.
© Céline Olive
«O
n va prendre le
temps ensemble.
» « Ensemble »,
un mot important pour Michèle
Cotten, membre de l’association
Domino. Elle explique les consignes de l’atelier à cinq femmes
attentives. Elles ont choisi de
participer aux activités pour retrouver leur corps, le libérer. Un
besoin très fort. Domino permet
à des personnes en situation de
fragilité, avec un handicap mental ou qui vivent une période de
crise psychique, de s’évader grâce à la culture (peinture, mots,
musique, théâtre…).
« L’association est un lieu intermédiaire lorsqu’on sort d’une
période de crise pour se réintégrer à la vie sociale », explique
Michèle. Elle essaie de répondre
aux attentes de personnes qui
ne trouvent pas leur chemin et
en souffrent. Ce matin, l’atelier
mots consiste à redécouvrir les
lettres, à s’imprégner de leur
symbolique. Il ne s’agit pas
d’agir avec sa tête mais avec
tout son corps.
Au premier étage de la maison
des associations de Cugnaux,
la séance d’échauffement commence. Au clap, chacune des
participantes doit faire une lettre avec son corps. « Pas forcément ce à quoi la lettre ressemble mais ce qu’elle représente
pour vous », annonce Michèle.
Celle-ci a été infirmière pendant
un temps.
Le sourire aux lèvres
Depuis cinq ans, Domino est
pour elle le moyen de faire le
lien entre la santé et la culture.Il
est maintenant temps pour ces
femmes de prendre un chevalet
sur lequel une feuille blanche
est posée. Chacune écrit la let-
tre G à sa manière. Louisa fait
un A, une erreur sans gravité. «
L’important est de représenter
ce à quoi on pense », la rassure
Michèle. Celle-ci est salariée de
l’association mais ne compte
pas ses heures. Elle partage
son temps entre les ateliers, la
gestion de l’association et la recherche de financement.
« Je ne gagne pas des mille et
des cents mais c’est un choix de
vie. C’est plus qu’un travail, ça
me rend vivante », précise-t-elle
le sourire aux lèvres. Michèle
participe aux ateliers au même
titre que les bénéficiaires. « On
travaille ensemble et c’est la relation qui prime », ajoute-t-elle.
L’heure du repas arrive plus
vite que prévu. Chacune range
soigneusement son chevalet et
toutes se dirigent vers la sortie
pour partager un repas. Ensemble.
Céline Olive
L’association Domino en
quelques chiffres
4 membres permanents
150 personnes en tout
financement provient
75%dedessonateliers
20%
est assuré par les
subventions
Martine face aux préjugés sur le sida
Séropositive depuis dix-sept ans, Martine subit des discriminations au travail.
« J’ai l’impression que je n’ai plus
le droit de vivre depuis que je suis
séropositive », confie Martine (le
prénom a été changé) , 42 ans,
en combat contre son entreprise
depuis juillet 2012.
Agent d’entretien pour le conseil
général du Tarn-et-Garonne,
Martine a été placée, à la demande de son supérieur, en arrêt maladie prolongé en janvier
dernier. « C’est intolérable ce que
je subis chez eux depuis janvier
de cette année », s’insurge-t-elle.
Harcèlement moral, pression,
diffamation, cette mère célibataire a des exemples à l’envi.
Tout le service
de Martine s’est
ligué contre elle.
© Bénédicte
Poirier
Test positif
Martine apprend à vingt-cinq
ans qu’elle a le virus du sida. Un
de ses anciens compagnons lui
a caché sa séropositivité et lui
a transmise. Il décède deux ans
plus tard de la maladie. Grâce
aux soins reçus, Martine arrive
à continuer sa vie et donne naissance à une fille, qui est séronégative. « Je vis comme si j’avais
une grippe chronique, je n’ai pas
honte de ma maladie. »
Au tout début de sa maladie elle
en parle à sa responsable lorsqu’elle travaille à la Direction
départementale des affaires
sanitaires et sociales (DDASS).
« J’ai pensé que c’était la bonne
chose à faire d’en parler et je ne
regrette pas », soupire Martine.
Cependant son secret médical a
été violé plusieurs fois puisqu’à
chaque nouvel emploi, son service est déjà au courant.
Martine travaille depuis longtemps en tant qu’agent d’entretien. Mais elle ne s’est jamais
épanouie dans ses différents
emplois. « Je me suis toujours
sentie exclue. On ne me tenait
jamais au courant des réunions
entre collègues, ni des pots de départ », témoigne la maman, fatiguée par ses combats contre sa
hiérarchie. Lorsqu’elle travaille
au Centre universitaire de Montauban, Martine est chargée
de l’entretien de la cantine. Ses
supérieurs lui font rapidement
comprendre qu’elle ne peut pas
manger sur place et lui refuse de
meilleures conditions de travail,
sauf lorsqu’elle décide de partir.
Mais Martine n’a pas la langue
dans sa poche et part la tête
haute.
En 2009 , elle devient agent
d’entretien au conseil général du
Tarn-et-Garonne. Des coups bas,
Martine en a subi mais jamais
autant qu’ici. « Un soir je venais
de finir un bureau et une pétasse
est entrée et y a foutu le bordel
en quelques minutes », fulminet-elle. Son pire souvenir ? Son
service entier ligué contre elle,
l’accusant à tort d’une faute professionnelle.
Son chef de service change alors
les clefs de son local sans lui en
parler et Martine est dirigée vers
un autre service. Pour rejoindre
sa fille qui étudie dans le Lot-etGaronne et pour recommencer
une nouvelle vie, Martine demande le regroupement familial.
Aucune réponse de la part de son
supérieur. Selon Martine, c’est à
ce moment là que les pressions
s’intensifient pour la pousser à
démissionner. La médecine du
travail la traite de folle et veut
la faire passer pour adulte handicapé (Martine souffre aussi
de problèmes d’audition), mais
elle tient bon. « On me surveillait
lorsque je travaillais. J’ai été mise
dans un cagibi humide. Pour eux,
les gens comme moi ne devraient
pas vivre... », confie Martine en
retenant un sanglot.
Combat
Malgré tous ces coups durs, Martine refuse de démissionner. Puis
c’est le coup final. A la demande
de son chef en janvier dernier,
elle est mise en arrêt maladie
prolongé. Malgré l’aide de son fidèle médecin traitant, ce sont les
loups de l’administration qui gagnent la bataille. Depuis sa mise
en arrêt obligatoire, elle se plonge dans la paperasse, conduit
460 kilomètres par semaine pour
déposer sa fille dans son internat
dans le Lot, s’adonne à la lecture
et essaye de se remettre au sport.
« Mais ma thérapie c’est mon travail ! », proteste Martine. Il y a
quelques mois, elle a croisé une
de ses anciennes collègues du
conseil général. La jeune femme
handicapée apprend à Martine
qu’elle a été licenciée en raison
de son handicap. « Ces gens n’ont
pas d’âme! »
Martine lance alors une action
en justice contre son employeur
du conseil général de Tarn-etGaronne, soutenue par deux
associations toulousaines (dont
Act Up), qui aident les personnes séropositives. « Je m’en fiche
de l’argent, je veux que la vérité
éclate. Je ne suis pas prête de lâcher l’affaire et ils le savent ! »,
explose la combattante. Pourtant les difficultés sont toujours
là. Martine craint que son avocat
subisse des pressions de la part
du Département. Elle n’a pas
tout à fait confiance en lui, mais
la rage de vaincre est intacte.
Capucine Trollion