Octobre 2014

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Octobre 2014
Revues
Lexbase La lettre juridique n˚588 du 23 octobre 2014
[Concurrence] Chronique
Chronique de droit de la concurrence et de la distribution —
Octobre 2014
N° Lexbase : N4302BUU
par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore
Avocat, chargée d'enseignement à l'Université Paris Ouest-Nanterre
La Défense
Lexbase Hebdo — édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la
concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet
LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation
du 7 octobre 2014 relatif à la compétence des juridictions spécialisées dans le contentieux de la rupture
brutale des relations commerciales (Cass. com., 7 octobre 2014, n˚ 13-21.086, FS-P+B). En matière d'actions
privées en droit de la concurrence, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2014 est également
commenté (CA Paris, 8 octobre 2014, n˚ 2014/05 766). Enfin, quelques observations sont formulées à propos
du décret n˚ 2014-1081 du 24 septembre 2014 sur la mise en œuvre de l'action de groupe.
– Responsabilité contractuelle et rupture brutale des relations commerciales : étendue de la compétence
des juridictions spécialisées (Cass. com., 7 octobre 2014, n˚ 13-21.086, FS-P+B N° Lexbase : A2088MYY)
Par arrêt du 7 octobre 2014, la Cour de cassation clarifie les conséquences concrètes des règles de compétence,
spécifiquement dédiées à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L7923IZH). A
cette occasion, il est rappelé que celles-ci ne font pas obstacle à la faculté des juridictions non spécialisées dans
le contentieux de l'article L. 442-6, I, 5˚ du Code de commerce de statuer sur le contentieux de la responsabilité
contractuelle.
En l'espèce, la Société Européenne de Production de Plein Air (Seppa) approvisionnait et conditionnait diverses
catégories d'œufs pour le commerce de gros. Par contrat du 19 octobre 2007, elle concluait avec Ovalis un contrat
de distribution et d'approvisionnement, aux termes duquel elle lui concédait le droit exclusif de vendre directement
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ou indirectement à la grande distribution certaines gammes d'œufs et le droit non exclusif de vendre à la grande
distribution d'autres gammes d'œufs de poule. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 janvier 2011,
Ovalis a dénoncé ce contrat moyennant le préavis de 6 mois contractuellement prévu. Se plaignant notamment de
ce que la société Ovalis avait significativement diminué leurs volumes de commandes dès le mois de janvier 2011,
Seppa l'a assignée en paiement de diverses sommes.
Par jugement rendu le 29 novembre 2011, le tribunal de commerce de Pontoise déboutait Seppa de l'ensemble de
ses demandes. Appel était interjeté devant la cour d'appel de Versailles, laquelle condamnait Ovalis au paiement
de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) en raison de la
violation du délai contractuel de préavis. En effet, en dépit de l'absence d'obligation de volume fixe de commande
dans le contrat, l'équilibre contractuel imposait aux parties de poursuivre même pendant la période de préavis le
niveau habituel des commandes, quand bien même il incombait contractuellement à Seppa de veiller à adapter la
production aux besoins de son partenaire commercial. La baisse de 12 % des commandes dès janvier 2011 par
rapport à l'année précédente, cumulée à l'absence d'information préalable qu'Ovalis est censée fournir à Seppa
par relevés décadaires, étaient mis en avant pour justifier l'infirmation du jugement de première instance. Ovalis
était condamnée au paiement de 200 000 euros de dommages et intérêts "à raison du non-respect de l'effectivité
du préavis contractuel".
En revanche étaient déclarées irrecevables les demandes de Seppa, depuis lors en redressement judiciaire, et de
son administrateur judiciaire, fondées à titre principal sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
lesquelles n'avaient pas été invoquées en première instance. En effet, l'article D. 442-3 du Code de commerce
(N° Lexbase : L9159IEX), en liaison avec le tableau annexe 4-2-1, confère à huit tribunaux de commerce compétence pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du même code. La cour d'appel de Paris est par ailleurs
exclusivement compétente pour connaître de l'appel interjeté sur les décisions rendues par ces juridictions. Aussi,
la cour d'appel de Versailles s'est considérée incompétente pour connaître des actions fondées sur les dispositions
de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Ovalis. En effet, l'incompétence de la cour d'appel de Versailles
pour statuer sur des actions fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, ne la prive pas
du pouvoir de statuer sur l'application de l'article 1134 du Code civil. Est-ce à dire que la responsabilité délictuelle
sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce pourrait être à nouveau recherchée devant la juridiction
spécialisée compétente ? La Cour suprême n'avait pas à se prononcer sur cette question. En pratique toutefois,
dissocier le contentieux contractuel de celui de la rupture brutale, comme l'a récemment avalisée la cour d'appel
de Rennes (CA Rennes, 22 avril 2014, n˚ 12/08 108 N° Lexbase : A4467MKN, note V. Cadoret, L'articulation des
compétences entre juge du contrat et juridiction spécialisée, Lettre des réseaux, Mai/juin 2014, Simon&Associés)
ne va pas nécessairement dans le sens d'une bonne administration de la justice. Invoquer d'emblée des demandes
de dommages et intérêts sur le fondement des stipulations contractuelles et de l'article L. 442-6 du Code de commerce devant la juridiction spécialisée compétente demeure le moyen le plus efficace de se prémunir contre des
déconvenues procédurales aux conséquences financières non négligeables pour le demandeur à l'action.
– De l'importance du marché pertinent pour obtenir des dommages et intérêts à raison de pratiques anticoncurrentielles (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 8 octobre 2014, n˚ 14/05 766 N° Lexbase : A9840MXQ)
Les actions en dommages et intérêts sont plébiscitées par les autorités publiques, comme en témoignent la récente
introduction des actions de groupe en droit français de la concurrence, ou encore au niveau communautaire, la
proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil, relative à certaines règles régissant les actions en
dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats
membres et de l'Union européenne, approuvée par le Parlement européen le 17 avril 2014 (cf. COM(2013) 404
final, 11 juin 2013).
En pratique toutefois, l'action intentée par les personnes morales ou physiques, victimes de pratiques anticoncurrentielles, devant le juge civil pour obtenir réparation de leurs préjudices sur le fondement du régime général de la
responsabilité délictuelle (C. civ., art.1382 N° Lexbase : 1488ABQ), peut s'avérer plus délicate. SFR vient d'en faire
l'expérience dans le contentieux l'opposant à Orange.
En l'espèce, SFR reprochait à Orange l'abus de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe de la résidence secondaire. En première instance (T. com. Paris, 12 février 2014, n˚ 2 012 031 951 N° Lexbase : A1281MGK),
SFR a obtenu la condamnation de France Telecom au paiement de 51,38 millions d'euros au titre du manque à
gagner résultant de l'absence de revenus liés aux résidences secondaires sur le fondement de l'article L. 420-2 du
Code de commerce (N° Lexbase : L3778HBK). Par arrêt du 8 octobre 2014, la cour d'appel a infirmé le jugement en
toutes ses dispositions. Elle prend ainsi le soin de rappeler que le marché pertinent doit être déterminé sur la base
de l'analyse de la substituabilité de la demande et de celle de l'offre. La cour d'appel de Paris, bénéficiant également
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d'une compétence exclusive pour le contentieux de l'appel des décisions de l'Autorité de la concurrence, s'inscrit
dans la droite lignée des pratiques décisionnelles des autorités de concurrence, qui n'ont eu de cesse de souligner
le caractère déterminant du critère de la substituabilité (Conseil de la concurrence, La délimitation du marché pertinent, Etudes thématiques, Rapport annuel 2001 ; Commission européenne, Communication sur la définition du
marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, JOCE n˚ C372, 9 décembre 1997, p. 5). Sans
être convaincue par le test "Small but Significant Non transitory increase in Price", invoqué par SFR, la cour d'appel
constate que, tant du point de vue de la demande que de l'offre, les offres d'Orange (RS et téléphonie fixe) sont
interchangeables. Non seulement, il n'est pas démontré l'existence d'un marché pertinent limité aux résidences
secondaires, qui ne représentent que 1 % du marché de la téléphonie résidentielle (soit environ 330 000 clients).
Mais par ailleurs, indépendamment même de la question de cette délimitation du marché pertinent, les pratiques
invoquées doivent avoir un effet d'éviction, ce qui n'est pas davantage établi par la victime.
Le caractère crucial de la délimitation du marché pertinent pour l'issue du litige est donc une fois de plus mis en
évidence. Une définition large du marché pertinent rend plus difficile la démonstration d'une position dominante
et le comportement d'éviction. L'expertise de la cour d'appel de Paris sur la définition du marché pertinent et/ou la
faiblesse des pièces et arguments invoqués par SFR n'a pas incité les magistrats à saisir l'Autorité de la concurrence
sur le sujet. Par le passé, une juridiction de première instance -le TGI de Paris— n'avait pas hésité à solliciter
le Conseil de la concurrence dans un litige opposant les sociétés Luk Lamellen et Valéo pour lui demander de
déterminer le marché pertinent "au regard des pratiques anticoncurrentielles dénoncées", ainsi que "la position
de la société Luk Lamellen sur ce marché". L'avis du 9 novembre 2005 relatif à cette demande (Cons. conc.,
avis n˚ 05-A-20 N° Lexbase : X6199ADX) a semble-t-il incité les parties à conclure un accord transactionnel. Une
telle démarche du tribunal de commerce aurait peut-être également permis, dans la présente affaire, limiter les
déconvenues de SFR.
– La mise en œuvre de l'action de groupe (décret n˚ 2014-1081 du 24 septembre 2014, relatif à l'action de
groupe en matière de consommation N° Lexbase : L2782I4S)
La loi dite "Hamon" a introduit en droit français l'action de groupe notamment en matière de contentieux du droit
de la concurrence (loi n˚ 2014-344 du 17 mars 2014, art. 1er et 2 N° Lexbase : L7504IZX ; cf. nos obs., L'action de
groupe "à la française" (commentaire des articles 1er et 2 de la loi n˚ 2014-344 du 17 mars 2014), Lexbase Hebdo
n˚ 378 du 16 avril 2014 — édition affaires N° Lexbase : N1876BUZ). Entré en vigueur le 1er octobre 2014, le décret
n˚ 2014-1081 précise les modalités d'exercice de l'action, tout en laissant subsister certaines interrogations. Les
principaux moments de la procédure de l'action de groupe sont présentés ci-après.
Jugement sur la responsabilité. Dans un premier temps, le juge est sollicité, par l'association de consommateurs
agréée, seule personne habilitée à engager une action de groupe, pour statuer sur le cadre général du litige :
recevabilité de l'action, existence du fait générateur de responsabilité et des préjudices ainsi que du lien de causalité,
modalité de réparation. Le juge détermine alors le schéma d'indemnisation auquel sera soumis l'ensemble des
consommateurs existants ou futurs, ayant décidé de participer à l'action de groupe.
Mise en œuvre de l'indemnisation dans le cadre fixé par le premier jugement. Dans un deuxième temps, les parties
à l'instance se rapprochent pour, hors la présence du juge, procéder à l'indemnisation par le professionnel des
consommateurs à l'initiative -avec l'association de consommateurs agréée— de l'action, ainsi que des consommateurs s'étant manifestés à la suite des mesures de publicité prononcées par le jugement sur la responsabilité. A tout
moment néanmoins, en cas de difficulté, le juge de la mise en état est habilité à connaître des difficultés d'exécution
du premier jugement.
Jugement sur la réparation. Dans un troisième temps, un jugement clôture la procédure pour prendre acte soit de
la bonne mise en œuvre du jugement sur la responsabilité, soit, le cas échéant, pour liquider les préjudices lorsque
tous les préjudices n'auront pas été indemnisés par le professionnel.
Cette apparente simplicité de la procédure, dont la spécificité par rapport aux règles procédurales applicables devant
le tribunal de grande instance résident en ces trois temps distincts, ne doit pas faire perdre vue un certain nombre
d'interrogations. En particulier, le modèle économique de l'action n'a pas été élaboré par crainte sans doute des
excès tant décriés de l'action de groupe transatlantique. L'association de consommateurs agréée est conçue comme
le prisme obligé, par l'intermédiaire duquel se constitue le groupe de consommateurs lésés et s'organise la mise
en relation avec le professionnel en vue de leurs dédommagements. Mais seule la condamnation à un article 700
du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond,
peut semble-t-il éventuellement leur permettre de financer la mise en œuvre d'une telle action publique dans son
concept, mais privée dans sa mise en œuvre. La condamnation à des dommages punitifs, pourtant déclarés non
contraires à l'ordre public (Cass, com., 1er décembre 2010, 09-13.303, FS+P+B+R+I N° Lexbase : A4103GMW,
J. Sagot-Duvauroux, Le sort des dommages-intérêts punitifs devant le juge français, Lexbase Hebdo n˚ 425 du 27
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janvier 2011 — édition privée N° Lexbase : N1682BRQ), est exclue dans le dispositif. Loin de se substituer à l'action
en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs (C. consom., art. L. 421-1 N° Lexbase :
L6814ABY), l'action de groupe semble être conçue pour défendre collectivement une somme d'individus.
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