INTERVIEW MICRO16 FRANCISCO KLAUSER

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INTERVIEW MICRO16 FRANCISCO KLAUSER
INTERVIEW MICRO16
FRANCISCO KLAUSER
En bref
Francisco Klauser est professeur ordinaire de géographie politique à l’Université de
Neuchâtel et tiendra une conférence publique le samedi 10 septembre à l’occasion de
micro16.
Les travaux de F. Klauser portent sur les origines et effets socio-spatiaux des
technologies numériques qui sous-tendent notre quotidien, avec une attention
particulière portée à la problématique de la surveillance et de la gestion des risques.
Ses sujets de recherche incluent notamment la vidéo surveillance, la sécurité aux
grands évènements sportifs, et la problématique de la ville intelligente. Il coordonne
en outre le programme de recherche Power and Space in the Drone Age, soutenu par
le Fonds national suisse (FNS) qui a pour objectif d’évaluer - sous l’angle des
sciences sociales - les chances et risques liés à l’usage des drones civils en Suisse.
Le focus
Le titre de votre conférence propose un regard critique sur la numérisation de notre
quotidien au moyen de l’exemple des drones. Quel sont les autres domaines ou
exemples qui entrent également dans cette catégorie ?
Le sujet des drones fait partie d’une problématique beaucoup plus générale qui aujourd’hui
marque notre société, l’usage des technologies numériques. Ces technologies numériques, dites
de plus en plus “intelligentes”, fonctionnent grâce à l’accumulation, l’interconnexion et l’analyse de
données. Cela peut être des données sur nos activités quotidiennes mais également des données
sur notre environnement ou encore sur le climat. Illustrons ceci au moyen des smartcities. À Paris,
il existe 95'000 arbres et plantes munis de capteurs qui enregistrent la qualité de l’air d’une part
mais aussi des informations “personnelles” sur la plante comme par exemple la date à laquelle elle
a été plantée. Le jardinier, un expert technologique par la force des choses, scanne toutes les
micro puces et va par la suite traiter toutes les données récoltées pour finalement “gérer” notre
environnement.
Au même titre, les drones s’inscrivent dans un ensemble de technologies qui servent à accumuler,
analyser et transférer des données sur nous, nos activités, ou encore nos déplacements et
espaces. C’est ce que l’on appelle la numérisation de notre société.
En ma qualité de professeur d’université, je m’intéresse aux aspects socio-spacieux de ces
évolutions. À savoir, comment est-ce que tout cela transforme nos villes, nos systèmes de mobilité
et notre vie quotidienne. Il est également nécessaire de s’interroger sur les enjeux qui en
découlent en termes de sphère privée, par exemple, mais aussi en matière de “tri social”. Avec
toutes les informations collectées il devient possible de créer des profils personnalisés sur chaque
individu. Ces profils peuvent être utilisés par des sociétés qui pourraient favoriser un certain type
de profils plutôt que d’autres. Créant ainsi une nouvelle sorte de hiérarchisation et de
différenciation sociale.
Les drones, opposant la même problématique, ne sont au final qu’une nouvelle évolution de
l’usage de technologies numériques dans notre quotidien. Ils ne sont que la partie visible,
aérienne, soi-disant, de l’iceberg.
De quelle manière une démocratisation des drones va-t-elle changer notre manière
de vivre au quotidien ?
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Tout d’abord, je ne pense pas que l’on puisse, de fait, parler de démocratisation à l’heure actuelle.
En effet, nous avons réalisé avec une classe d’étudiants une enquête auprès de la population
neuchâteloise, qui montre que les différentes couches de la population ne s’approprient pas les
drones de la même manière. Je pense que la diffusion sociale de cette technologie va encore
beaucoup évoluer. Cependant nous ne pouvons dire si les drones vont se démocratiser
totalement. Ce qu’il est important de garder à l’esprit c’est que cette technologie va devenir de plus
en plus puissante car les capacités techniques des moteurs et des caméras augmentent, et
puisqu’il est de plus en plus aisé de transférer les données récoltées par drone à un ordinateur
puis sur le net. L’information devient donc de plus en plus mobile. En outre, les drones peuvent
facilement être combinés avec des logiciels qui permettent l’automatisation de la prise et analyse
d’images aériennes.
La diffusion sociale de la technologie nous offre ainsi une nouvelle perspective, un nouveau regard
vertical sur le monde, qui était auparavant réservé aux “puissants”, avec leurs tours de château,
satellites, etc. Aujourd’hui, ce regard est accessible à tous, à des fins ludiques, commerciaux, etc.
Cela amène des nouvelles chances mais aussi des nouveaux risques. Et cela produit des
nouvelles formes de pouvoir, de résistance et de contre-pouvoir.
Quel regard essayez-vous d’amener vos étudiants à avoir sur la problématique des
drones ? Quel est celui de la population neuchâteloise moyenne ?
Il est important pour moi que mes étudiants aient un regard critique. Cela ne veut pas dire qu’il faut
être contre les drones mais qu’il faut se poser les bonnes questions, penser au delà du simple
aspect fun et utilitariste de cette technologie. Je les amène à se poser des questions sur quels
sont les effets sociaux et spatiaux plus généraux qui en découlent. Donc d’un côté un regard
critique mais aussi d’autre part un regard de géographe. Car la discipline ne se limite pas à l’étude
de glaciers, il est essentiel, à mes yeux, de sensibiliser mes étudiants aux différentes facettes de
la géographie et au potentiel qu’elles offrent. Le géographie, c’est l’étude du rapport de la société à
son espace. L’arrivée des drones dans notre quotidien amène un nouveau regard sur l’espace qui
nous entoure et dans lequel nous vivons et donc un nouveau rapport avec lui.
Par rapport à la population neuchâteloise, il existe une différence énorme au niveau de la
perception des différents types de drones. La population accepte volontiers les drones policiers et
militaires mais est, a contrario, très critique vis à vis des drones privés et commerciaux. On
accorde le droit à l’État de regarder l’espace depuis le ciel. On retrouve la même polémique quand
on parle de caméra de surveillance. À nouveau, les gens acceptent facilement une caméra
policière et en sont même demandeurs alors que les caméras privées sont mal perçues. Il est
intéressant de noter que dans notre étude, nous n’avons pas remarqué de différences
significatives dans les communes interrogées quelles soient frontalières ou pas ou encore au
niveau du genre de personnes interrogées. Néanmoins, une forte différence existe entre les
différentes classes d’âge. Les plus jeunes interrogés se sont déjà beaucoup plus appropriés cette
technologie. Ils savent comment elle fonctionne et comment l’utiliser, alors que chez les personnes
âgées, nous avons observés des réticences.
Est-ce que l’utilisation de drones devrait, selon vous, être complétement libéralisée
ou alors devrait-elle être fortement règlementée (exemple permis de pilotes etc..)
En tant que citoyen, mon opinion personnelle est que la législation aujourd’hui mise en place va
bien. Cependant, le manque d’informations sur les différentes législations relatives aux drones,
m’amène à penser qu’un travail d’information de la population est, dans l’immédiat, plus important
qu’une modification des lois déjà existantes. La population ignore complétement jusqu’à quel point
notre vie repose sur des technologies numériques surveillantes. Mais ce n’est pas parce qu’on ne
les sens pas de manière tangible, que cela veut dire qu’elles n’existent pas. Pour moi le problème
repose plus sur le manque de conscience collectif du grand public. Il est important de créer un
débat de société. Et pour ce faire, la population doit être consciente de l’ampleur du phénomène
ainsi que des éventuels effets positifs et négatifs qui s’y rattachent. Une manifestation telle que
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micro16 offre une opportunité de mener ce débat et d’informer les gens sur un sujet dont ils ne
mesurent pas encore l’importance.
24.08.2016 | par Maëlle Jacot-Descombes
©micro16.ch

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