Revue Lamy de la

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Revue Lamy de la
J U I L L E T / S E P T E M B R E
20
2 0 0 9
Revue Lamy de la
Concurrence
IDroitIÉconomieIRégulationI
La théorie de l’entreprise défaillante
« Failing Firm Defense » :
une renaissance dans la crise ?
Antoine WINCKLER
Imputation de l’infraction
et prescription : les enjeux
de la notion d’entreprise en droit
de la concurrence
Linda ARCELIN-LÉCUYER
La Commission d’examen
des pratiques commerciales
Jean-Christophe GRALL
Aide nouvelle sur aide illégale
et incompatible non remboursée
ne vaut – Actualité de la doctrine
Deggendorf
Benjamin CHEYNEL
ENTRETIEN
« Le droit de la concurrence,
garant du Marché commun, est
au fondement de la construction
économique et politique
de l’Europe »
Noëlle LENOIR
ÉTUDES
Droit de la publicité : bilan
de l’année 2008 (2de partie)
Linda ARCELIN-LÉCUYER
Politique de la concurrence
et faillites bancaires –
Les éclairages de la théorie économique
Anne PERROT
Profession réglementée : la théorie
de « l’état de la législation antérieure »
ne vaut que pour les dispositions
législatives adoptées avant 1958
Guylain CLAMOUR
Mise en Seine de la concurrence
Guylain CLAMOUR
Lumière sur le groupe EDF
Stéphane DESTOURS
Le conseiller auditeur de l’Autorité :
un homonyme plus qu’un homologue
du conseiller auditeur communautaire
Éric BARBIER de la SERRE
et Clémence MACÉ de GASTINES
Canada : premières modifications
significatives de la loi
sur la concurrence depuis 1985
Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ
Le droit de la concurrence face
aux défis de la crise mondiale
dans la masse des décisions
des autorités de concurrence
François BRUNET
Laurence BOY et Marc DESCHAMPS
PRATIQUE
Loi de modernisation
de l’économie – An I –
Dispositions relatives aux relations
industrie/commerce (2de partie)
Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY,
Nathalia KOUCHNIR-CARGILL
et Éléonore CAMILLERI
COLLOQUE
Rencontres Lamy du droit
de la concurrence
Questions d’actualité –
La nouvelle Autorité
de la concurrence
Lundi 8 décembre 2008
BILLET D’HUMEUR
« Plus, n’est pas nécessairement
mieux »
ou la difficulté de faire apparaître
la (les) vraie(s) question(s) de droit
À LIRE
Revues
Simon GENEVAZ
Conseil scientifique
> Jacques Azéma
Agrégé des Facultés de droit
Directeur du Centre Paul Roubier
> Marie-Dominique Hagelsteen
Président-adjoint de la Section
du contentieux du Conseil d’État
> Roger Bout
Agrégé des Facultés de droit
Professeur à l’Université
Paul Cézanne, Aix-Marseille III
> Christine Homobono
Directeur général de la DGCCRF
> Dominique Brault
Avocat à la Cour
Ancien Rapporteur général
de la Commission
de la concurrence
Président d’honneur de l’AFEC
> Guy Canivet
Membre du Conseil
constitutionnel
> Bruno Lasserre
Président de l’Autorité
de la concurrence
> Aristide Lévi
Directeur du CREDA (Centre de
recherche sur le droit des affaires
de la Chambre de commerce
et d’industrie de Paris)
> Guillaume Cerruti
PDG de Sotheby’s France
Ancien Directeur général
de la DGCCRF
> Marie-Anne Frison-Roche
Professeur des Universités
à Sciences Po
> Christian Montet
Professeur à l’Université
de Polynésie française et LAMETA
Université de Montpellier I
> Olivier Guersent
Chef d’Unité « Mergers II »,
Commission européenne
> Michel Pédamon
Professeur émérite de l’Université
Panthéon-Assas (Paris II)
Revue Lamy de la
Concurrence
IDroitIÉconomieIRégulationI
Éditeur :
WOLTERS KLUWER FRANCE
SAS au capital de 300 000 000 €
Siège social :
1, rue Eugène et Armand Peugeot
92856 Rueil-Malmaison Cedex
RCS Nanterre 480 081 306
2
> Frédéric Jenny
Président du Comité
de la concurrence de l’OCDE
Conseiller à la Cour de cassation
en service extraordinaire
Directeur de la publication,
Président Directeur Général :
Xavier Gandillot
Associé unique :
Holding Wolters Kluwer France
Directrice de la rédaction :
Héléna Alves
Rédactrice en chef :
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[email protected])
Réalisation PAO :
Camille Mathy, Audrey Évrard
Assistante d’édition :
Florine Lhuillier
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
> Jacqueline Riffault-Silk
Conseiller à la Cour de cassation
> Stephen C. Salop
Professor of Economics and Law
Georgetown University Law Center
> Véronique Sélinsky
Avocat
> Kurt Stockmann
Ancien Vice-président a. D.
du Bundeskartellamt
> Bo Vesterdorf
Ancien Président du Tribunal
de première instance
des Communautés européennes
Imprimerie : Delcambre
BP 389 - 91959 Courtabœuf cedex
Nº Commission paritaire :
1211 T 85786
> Véronique
Sélinsky
Conseiller de la rédaction
Information et commande :
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Cette revue peut être référencée
de la manière suivante :
RLC 2009/20, n° 1387 (année/n°
de la revue, n° du commentaire)
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Droit I Économie I Régulation
éditorial
L’autorité « unique » court-elle
le risque d’un étouffement?
Dominique
BRAULT
Avocat à la Cour
Ancien rapporteur
général
de la Commission
de la concurrence
Président
d’honneur
de l’AFEC
À l’occasion des premières Rencontres judicieusement organisées par l’Autorité de la
concurrence le 15 juin 2009, son président, M. Bruno Lasserre, a fait valoir que si l’on pouvait
regretter que l’Autorité ne puisse toujours pas apprécier l’opportunité des poursuites, cela avait
au moins, en contrepartie, l’avantage de lui permettre d’explorer des champs nouveaux
et intéressants pour la concurrence.
Cela était dit dans un propos introductif à une présentation de la jurisprudence du Conseil
de la concurrence sur le commerce en ligne. Il est exact que, grâce aux latitudes que lui donnent les procédures qui
débouchent sur des engagements, l’organe qui était censé s’en tenir au contrôle des pratiques anticoncurrentielles sans
empiéter sur celui des pratiques restrictives s’est de fait investi dans ce dernier domaine de manière aussi utile
qu’efficace. Il marque des limites à la liberté du refus de vente lorsqu’il réserve aux membres d’un réseau
de distribution sélective celle de vendre des produits de luxe sur Internet. Il offre ainsi aux justiciables une alternative
aux tribunaux qui auraient une vocation plus évidente à sanctionner le parasitisme. C’est encore de concurrence
déloyale que traite l’Autorité de la concurrence lorsque, reprochant à EDF, producteur d’électricité photovoltaïque, de
faire du détournement de clientèle aux dépens de fournisseurs alternatifs, elle corrige sa communication
institutionnelle. Quand l’Autorité sanctionne des actes de publicité comparative diffamante et trompeuse (Aut. conc., déc.
n° 09-D-14, 25 mars 2009, Gaz et Électricité de Grenoble), c’est dans le champ de compétence du tribunal correctionnel qu’elle intervient.
Sans contester le principe et les fondements de ces incursions, on peut s’inquiéter de voir bientôt l’Autorité
submergée par de trop nombreuses sollicitations. Les nouvelles et lourdes missions dont elle a récemment été
chargée, ainsi que sa crédibilité et l’efficacité que lui assure une gamme diversifiée de procédures et de sanctions
ne risquent-elles pas de l’entraîner vers l’engorgement? L’Autorité va-t-elle être victime de son succès? Va-t-elle
connaître un afflux de demandes et l’allongement qui en résulte fatalement pour la durée moyenne de ses
procédures alors que le Conseil de la concurrence avait beaucoup progressé à cet égard? Dans quelle mesure
y remédiera-t-elle par le recours à l’abandon de la collégialité pour la prise de décision? Était-il judicieux d’inviter
l’Autorité à se distraire des vrais problèmes de fonctionnement des marchés en donnant des avis (déjà plus de 15!)
sur les dérogations aux règles relatives aux délais de paiement?
Autant de questions qui suggèrent la nécessité d’alléger la charge de l’Autorité. Un effort budgétaire a été fait pour
proportionner ses moyens à des tâches accrues. Est-ce une réponse suffisante? Nous pouvons en douter. Tôt ou tard
il faudra aussi proportionner les tâches à des moyens qui sont nécessairement limités.
Alors que même la Cour de cassation et le Conseil d’État se sont autorisé une certaine sélectivité, un organe de nature
administrative tel que l’Autorité de la concurrence ne peut même pas rejeter une saisine qui pose principalement des
problèmes relevant de la compétence des tribunaux ou une plainte qui dissimulerait mal son instrumentalisation.
Un premier pas a été fait dans la LME pour doter le rapporteur général d’un certain pouvoir d’appréciation
de l’opportunité des poursuites puisqu’il peut désormais choisir dans les programmes d’enquêtes de la DGCCRF
ou dans les résultats des enquêtes que cette dernière a réalisées les affaires qui lui paraissent mériter d’être traitées
par l’Autorité. Dès lors, on ne voit pas au nom de quelle logique ce qui vaut pour les affaires dont l’origine
est ministérielle ne vaudrait pas pour toutes les saisines, quelle qu’en soit l’origine.
Quelques réserves que l’on ait sur le nouveau dispositif de règlement des pratiques anticoncurrentielles mineures,
il aura au moins le mérite de concourir à une plus grande concentration de l’Autorité sur les principaux
dysfonctionnements des marchés.
Il faudra d’autres idées pour rompre avec l’illusion que, telle une juridiction, l’Autorité a compétence liée quel que
soit l’intérêt des cas dont elle est saisie. Moins encombrée de dossiers, elle pourrait traiter chacun avec davantage
de soin et de célérité.
Je souhaite que des lecteurs de la Revue lancent ces nouvelles idées. ◆
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
3
Actualités
9
Concentrations économiques
Christian MONTET et Antoine WINCKLER
ÉCLAIRAGE
9>
La théorie de l’entreprise
défaillante « Failing Firm Defense » :
une renaissance dans la crise?
Antoine WINCKLER
33 > Calcul des amendes et récidive
33 > Détermination du montant des amendes
et ententes
34 > Feu principe de dissociation?
35
Transparence
et pratiques restrictives
Martine BÉHAR-TOUCHAIS
ACTUALITÉS
17 > Poursuite de la consolidation du secteur
aérien : Iberia fait main basse sur le low
cost en Espagne
18 > La Commission autorise la prise
de participation par Dassault Aviation
dans Thales
19 > La crise financière : la Commission
autorise la première nationalisation
d’une banque
19 > Rejet de l’argument de l’entreprise
défaillante à l’occasion d’une opération
de concentration dans le secteur
des batteries de démarrage automobile
20 > Concentration sous conditions dans
le secteur de la viande
21 > Comment vendre et garder le contrôle
22 > Premières décisions d’autorisation
de l’Autorité de la concurrence
25
Pratiques anticoncurrentielles
Dominique BRAULT et Véronique SÉLINSKY
ÉCLAIRAGE
25>
Imputation de l’infraction
et prescription : les enjeux
de la notion d’entreprise en droit
de la concurrence
ÉCLAIRAGE
35 > La Commission d’examen
des pratiques commerciales
Jean-Christophe GRALL
ACTUALITÉS
39 > Autonomie de l’action de protection
du fonctionnement du marché
et de la concurrence du ministre
40 > De l’application de l’article L. 442-6-I-5°
du Code de commerce,
lors des négociations?
41 > De la rupture immédiate de relations
commerciales établies pour propos
racistes tenus par le contractant
41 > Du point de départ du préavis
pour l’application de l’article L. 442-6-I-5°
du Code de commerce
43
Aides d'État
Jean-Louis COLSON, Jacques-Philippe GUNTHER, Christian LAMBERT
et Lucien RAPP
ÉCLAIRAGE
43>
Actualité de la doctrine Deggendorf
Benjamin CHEYNEL
Linda ARCELIN-LÉCUYER
ACTUALITÉS
27 > Arrêt cardiaque
27 > Téléphonie mobile et pratiques
concertées
27 > Recevabilité des enregistrements sonores
réalisés à l’insu des personnes
enregistrées : la Cour persiste et signe
(de la main de son Président)
29 > Exclusivité dans les stations-service
29 > Exclusivité d’approvisionnement
30 > Les pharmaciens d’officine
ne bénéficient pas d’une exclusivité
territoriale
30 > Pratiques tarifaires abusives
31 > Même pour riposter à des pratiques
commerciales critiquables de la part
de son concurrent, un opérateur
dominant n’est pas autorisé à le dénigrer
31 > Position dominante et marché connexe
32 > (In)compatibilité entre engagements
et mesures conservatoires
4
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Aide nouvelle sur aide illégale
et incompatible non remboursée
ne vaut
ACTUALITÉS
52 > Licence UMTS, suite et fin
53 > Grille d’analyse de la compatibilité
des aides d’État
54 > Communication de la Commission
relative à l’application des règles
en matière d’aides d’État
par les juridictions nationales
56
Concurrence et droit public
Guylain CLAMOUR, Stéphane DESTOURS et Philippe TERNEYRE
ÉCLAIRAGES
56>
Profession réglementée : la théorie
de « l’état de la législation
antérieure » ne vaut que pour
les dispositions législatives adoptées
avant 1958
Guylain CLAMOUR
58>
Mise en Seine de la concurrence
Guylain CLAMOUR
59>
Lumière sur le groupe EDF
Stéphane DESTOURS
Droit I Économie I Régulation
sommaire
ACTUALITÉS
60
60
61
61
>
>
>
>
63
64
64
65
>
>
>
>
66
Un Ordre anticoncurrentiel
Obsèques anticoncurrentielles (suite)
Eurocontrol hors contrôle
Centre Pompidou, extérieurs
concurrentiels
Îles déloyauté
Concurrence sécurisée
Le repos dominical n’est pas un luxe
Police et activités économiques
en archéologie préventive
Droit processuel
de la concurrence
Éric BARBIER de la SERRE et Cyril NOURISSAT
66>
ÉCLAIRAGE
Le conseiller auditeur
de l’Autorité : un homonyme plus
qu’un homologue du conseiller
auditeur communautaire
74 > Quand le ministre tire le premier
mais à titre incident
75 > Aides d’État : une jurisprudence sinueuse
sur le droit de contester devant le Tribunal
des éléments factuels non remis en cause
devant la Commission
76 > L’autre façon de prendre en compte
la coopération
77 > Absence d’exercice de la pleine juridiction
d’office à la hausse
78 > Le contrôle de légalité, une peau
de chagrin?
79 > Recours contre les opérations de visites
et saisies : nouveaux délais, nouvelles
procédures
81
Décisions des autorités nationales
de concurrence étrangères
Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ
81>
Éric BARBIER de la SERRE
et Clémence MACÉ de GASTINES
Canada : premières modifications
significatives de la loi
sur la concurrence depuis 1985
Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ
ACTUALITÉS
70 > De nombreux enseignements
sur la prescription en droit communautaire
72 > Accès au dossier de la Commission
en vue de poursuites civiles
73 > Les poursuites civiles comme « intérêt
public supérieur » justifiant un accès
aux documents de la Commission
ÉCLAIRAGE
86 > Nouvelle-Zélande : les entreprises
étrangères et les personnes physiques
n’échapperont pas à l’application du droit
de la concurrence
88 > Chine : l’interdiction de l’acquisition
du groupe Huiyuan Juice par la société
Coca-Cola, une décision insatisfaisante
pour les entreprises étrangères
Perspectives
90
93
ENTRETIEN
90>
« Le droit de la concurrence,
garant du Marché commun,
est au fondement de la construction
économique et politique de l’Europe »
Noëlle LENOIR
ÉTUDES
93>
Droit de la publicité : bilan
de l’année 2008 (2de partie)
Linda ARCELIN-LÉCUYER
99>
Politique de la concurrence
et faillites bancaires –
Les éclairages de la théorie
économique
Anne PERROT
104> Le droit de la concurrence face
aux défis de la crise mondiale
117
François BRUNET
PRATIQUE
117>
Loi de modernisation de l’économie
– An I –
Dispositions relatives aux relations
industrie/commerce (2de partie)
Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY,
Nathalia KOUCHNIR-CARGILL et Eléonore CAMILLERI
129
132
160
BILLET D’HUMEUR
129 > « Plus, n’est pas nécessairement
mieux » ou la difficulté de faire
apparaître la (les) vraie(s) question(s)
de droit dans la masse des décisions
des autorités de concurrence
Par Laurence BOY et Marc DESCHAMPS
COLLOQUE
132 > Rencontres Lamy du droit
de la concurrence
La nouvelle Autorité de la concurrence –
Questions d’actualité
8 décembre 2008
À LIRE
160>
Revues
Simon GENEVAZ
Ce numéro est accompagné de deux encarts publicitaires
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
5
Index thématique des
sources commentées
CONCENTRATIONS
ÉCONOMIQUES
ENTREPRISE DÉFAILLANTE, FAILING FIRM DEFENSE (FFD)
CONCENTRATION, SECTEUR AÉRIEN, « LOW COST », CESSION
DE CRÉNEAUX
Déc. Comm. CE, 9 janv. 2009, aff. COMP/M.5364, Iberia/Vueling/
Clickair, JOUE 26 mars, n° C 72
RLC
POSITION DOMINANTE, MARCHÉ CONNEXE, ABUS, LIEN DE CAUSALITÉ,
PRIX PRÉDATEURS
1387
PROCÉDURES NÉGOCIÉES, ENGAGEMENTS, MESURES CONSERVATOIRES,
MARCHÉ ÉMERGENT, CONCURRENCE DÉLOYALE
1388
1389
CONCENTRATION, BANQUE, NATIONALISATION, CRISE
Déc. Comm. CE, 14 mai 2009, aff. COMP/M.5508, SoFFin/Hypo
Real Estate
1390
CONCENTRATION, BATTERIES AUTOMOBILES, ENTREPRISE
DÉFAILLANTE
Déc. Comm. CE, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm
1391
1392
CONCENTRATION, BIÈRE, CONTRÔLE CONJOINT, RESTRICTION
ACCESSOIRE
Lettre min. Éco., Ind. et Emploi n° C2008/129, 5 mars 2009,
aux conseils de la société Pédandel, relative à une concentration
dans le secteur des boissons, BOCCRF 27 avr. 2009
PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
1405
AMENDE, RÉCIDIVE, LÉGALITÉ DES PEINES
1406
ENTENTE, AMENDE, ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp. c/ Commission ;
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo Co., Ltd, Nintendo
of Europe GmbH c/ Commission
1407
CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA
TRANSPARENCE
ET PRATIQUES
RESTRICTIVES
1408
RLC
COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES (CEPC), LME
Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.
1393
SEUIL DE NOTIFICATION, COMMERCE DE DÉTAIL, CONCESSIONNAIRE
AUTOMOBILE, HYPERMARCHÉ
Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009, relative à la prise
de contrôle de la société Pellier Metz S.A.S. par le groupe
Bailly S.A.S. ;
Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009, relative à la prise
de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation
Amidis & Cie SAS, filiale du Groupe Carrefour
1404
NOTION D’ENTREPRISE, PRINCIPE DE DISSOCIATION, NAVIGATION
AÉRIENNE, SÉCURITÉ
VIANDE, EFFETS HORIZONTAUX, EFFETS CONGLOMÉRAUX, PARTAGE
DE MARQUE
Lettre min. Éco., n° C2008-100, 17 févr. 2009, Groupe Bigard/
Socopa Viandes
Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, affaire relative
aux pratiques d’EDF visant à favoriser les activités concurrentielles
de sa filiale de production d’électricité photovoltaïque
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland-Werke AG
c/ Commission
CONCENTRATION, DÉFENSE, AÉRONAUTIQUE, EFFETS VERTICAUX
Déc. Comm. CE, 10 mars 2009, aff. COMP/M.5426, Dassault
Aviation/TSA/Thales
Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-14.503, P+B+R
1409
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, PRATIQUES RESTRICTIVES, ACTION PROPRE,
DÉLÉGATION DE POUVOIRS, CEDH
Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15.264, D
1410
RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES,
NÉGOCIATION, AGENT COMMERCIAL, POURPARLERS
Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-11.916, D
1394
RLC
1411
RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, FAUTE
DU COCONTRACTANT, PROPOS RACISTES, OBLIGATION DE LOYAUTÉ
Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-13.964, D
1412
RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, PRÉAVIS
POINT DE DÉPART, INFORMATION SUR LA NON-CONTINUATION
DES RELATIONS
Cass. com., 7 avr. 2009, n° 08-11.572, D
1413
NOTION D’ENTREPRISE, IMPUTATION DE L’INFRACTION, PRESCRIPTION
TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg,
ArcelorMittal Belval & Differdange, ArcelorMittal International
c/ Commission
1395
COMPÉTENCES CONCURRENTES, APPELS D’OFFRES
CA Paris, 1re ch., sect. H, 8 avr. 2009, n° RG : 2008/01092
1396
AIDES D'ÉTAT
PRATIQUE CONCERTÉE, PREUVE, RÉUNION
CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands BV e.a.
c/ Raad van bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit ;
Communiqué CJCE n° 47/09, 4 juin 2009
1397
STATION-SERVICE, EXCLUSIVITÉ, DURÉE, PRIX
1399
PAIEMENT, EXCLUSIVITÉ D’APPROVISIONNEMENT
Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation
1400
ORDRE PROFESSIONNEL, SANTÉ, EXCLUSIVITÉ TERRITORIALITÉ,
PHARMACIENS, DÉONTOLOGIE
Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, Ordre des pharmaciens
de Basse-Normandie
1401
EXCLUSIVITÉ D’APPROVISIONNEMENT, REMISE, MICROPROCESSEUR,
PRATIQUE TARIFAIRE ABUSIVE
Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation
1402
MONOPOLE, POSITION DOMINANTE, ABUS, DÉNIGREMENT,
DÉRÉGULATION
Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, relative à des pratiques
mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité
CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-431/07, Bouygues et Bouygues Telecom
c/ Commission
1415
Projet de principes communs d’évaluation économique
de la compatibilité des aides d’État en application de l’article 87,
paragraphe 3
1416
AIDES D’ÉTAT, COMMISSION, JURIDICTIONS NATIONALES, SUBSIDIARITÉ,
AIDES ILLÉGALES, RÉCUPÉRATION, DOMMAGES ET INTÉRÊTS,
ASSISTANCE
Communiqué Comm. CE n° IP/09/316, 25 févr. 2009,
JOUE 9 avr., n° C 85
CONCURRENCE
ET DROIT PUBLIC
1417
RLC
PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES, LIBERTÉS PUBLIQUES, LIBERTÉS
PROFESSIONNELLES, THÉORIE DE LA LÉGISLATION ANTÉRIEURE
CE, 21 nov. 2008, n° 293960, Association Faste Sud Aveyron
1418
MESURE DE POLICE ADMINISTRATIVE, BATEAU-MOUCHE
1403
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence
6
1414
CONCURRENCE, AIDES D’ÉTAT, LICENCE UMTS, ANTÉRIORITÉ, AVANTAGE,
NATURE ET ÉCONOMIE DU SYSTÈME
1398
CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-260/07, Pedro IV Servicios
c/ Total España SA
TPICE, 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia
c/ Commission
CONCURRENCE, AIDES D’ÉTAT, LICENCE UMTS, ANTÉRIORITÉ, AVANTAGE,
NATURE ET ÉCONOMIE DU SYSTÈME
PREUVE, LOYAUTÉ, PROCÉDURE PÉNALE, PROPORTIONNALITÉ
CA Paris, 29 avr. 2009, 1re ch., sect. H, n° RG : 2008/11907,
Philips France e.a.
RLC
DOCTRINE DEGGENDORF, AIDE NOUVELLE, AIDE ILLÉGALE, AIDE
INCOMPATIBLE
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
CE, 15 mai 2009, n° 311082, Société Compagnie des bateauxmouches
1419
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence
Droit I Économie I Régulation
Le texte intégral
des sources commentées
est accessible en ligne
grâce au cédérom
Revue Lamy de la Concurrence
CONFUSION, OPÉRATEUR HISTORIQUE, ÉLECTRICITÉ
Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, relative à la saisine
au fond et à la demande de mesures conservatoires présentée
par la société Solaire Direct
ACTIONS CIVILES, MÉDIATEUR, ACCÈS AUX DOCUMENTS, ARTICULATION
AVEC PROGRAMMES DE CLÉMENCE
1420
ORDRE PROFESSIONNEL, PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE
Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, relative à des pratiques
mises en œuvre par le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens
de Basse-Normandie
RÉGIE MUNICIPALE, POMPES FUNÈBRES, ABUS DE POSITION
DOMINANTE
CA Paris, 1re ch., sect. H, 31 mars 2009, n° 2008/11353
CA Paris, 8 avr. 2009, n° 2008/01092, ELA Medical e.a.
1421
1422
1423
1424
ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, SERVICE PUBLIC, CONCURRENCE PUBLIQUE,
PRINCIPE DE NON-CONCURRENCE, CONCURRENCE DÉLOYALE,
PRIX ANORMALEMENT BAS, RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE
CAA Paris, 15 déc. 2008, n° 05PA01979, Société Transiles
1425
PROFESSION RÉGLEMENTÉE, LIBERTÉ DU COMMERCE
ET DE L’INDUSTRIE
CAA Versailles, 18 déc. 2008, n° 06VE02076, X. c/ Préfecture
de l’Essonne
1426
REPOS HEBDOMADAIRE, DÉROGATION
1433
AIDES D’ÉTAT, RECOURS EN ANNULATION, RECEVABILITÉ DES MOYENS,
ARGUMENTS NON PRÉSENTÉS LORS DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE
TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmio
gestito e.a. c/ Commission ; TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07,
T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission
1434
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES, AMENDES, COOPÉRATION
EN-DEHORS DE LA COMMUNICATION SUR LA CLÉMENCE, PÉRIODE
ET VALEUR AJOUTÉE DE LA COOPÉRATION
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission
CONCESSION DOMANIALE, DOMAINE PUBLIC, POSITION DOMINANTE
CAA Paris, 16 mars 2009, n° 07PA02471, Centre national d’art
et de culture Georges Pompidou
1432
RECOURS INCIDENT, RECEVABILITÉ, PORTÉE DU RECOURS
ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, ENTREPRISE, PRÉROGATIVES DE PUISSANCE
PUBLIQUE
CJCE, 26 mars 2009, aff. C-11/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA
Projet de recommandation du Médiateur européen dans son
enquête relative à la plainte 3699/2006/ELB contre
la Commission européenne
1435
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES, AMENDES, PLEINE JURIDICTION,
ABSENCE DE RÉVISION D’OFFICE À LA HAUSSE
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission,
non encore publié
1436
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES ET CONCENTRATIONS, CONTRÔLE
DE LÉGALITÉ, INTENSITÉ DU CONTRÔLE
TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission ; TPICE,
6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission ; TPICE,
6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission ;
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a.
c/ Commission
1437
OPÉRATIONS DE VISITES, DÉROULEMENT DES OPÉRATIONS, LOI
DE SIMPLIFICATION ET DE CLARIFICATION DU DROIT
CE, 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale
de l’habillement, nouveauté et accessoires
1427
ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE, POLICE ADMINISTRATIVE, ACTIVITÉ
ÉCONOMIQUE
CE, 11 mai 2009, n° 296919, Ville de Toulouse
1428
DROIT PROCESSUEL
DE LA CONCURRENCE
RLC
L.R., 1985, ch. C-34, Loi sur la concurrence, disponible sur le site
< http://lois.justice.gc.ca/fr/ShowFullDoc/cs/C-34//20090728/fr>
1429
PRESCRIPTION, INTERDICTION (EFFET ERGA OMNES), SUSPENSION
(EFFET RELATIF)
TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg e.a.
c/ Commission
1430
ACCÈS AUX DOCUMENTS, RÈGLEMENT N° 1049/2001, EXCEPTIONS,
PROTECTION DU PROCESSUS DÉCISIONNEL
TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, Borax Europe c/ Commission ;
TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, Borax Europe c/ Commission
DÉCISIONS DES AUTORITÉS
NATIONALES
DE CONCURRENCE
ÉTRANGÈRE
1438
RLC
CANADA, LOI SUR LA CONCURRENCE
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE, CONSEILLER AUDITEUR, DROITS
DE LA DÉFENSE
L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; D. n° 2009-335,
26 mars 2009, JO 28 mars
L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139 VII (1°), JO 13 mai
1439
NOUVELLE-ZÉLANDE, CARTEL, SECTEUR DES PRODUITS CHIMIQUES
DE CONSERVATION DU BOIS
Neil Harris v. The Commerce Commission, CA CA255/2007,
18 mars 2009, connu sous le nom de The Koppers Arch Litigation,
décision disponible sur le site du ministère de la justice
de Nouvelle-Zélande <http://jdo.justice.govt.nz>
1440
CHINE, ACQUISITION, INTERDICTION
1431
Site <www.hhlaw.com/zh-CHS/pressroom/newspubs/pubDetail.
aspx?publication = 4387>
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence
1441
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence
Nomenclature des arrêts de la Cour de cassation
D : arrêt diffusé - P : arrêt publié au bulletin mensuel - B : arrêt publié au bulletin d’information - R : arrêt mentionné dans le rapport annuel - I : arrêt publié sur le site internet
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
7
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCENTRATIONS
ÉCONOMIQUES
Sous la responsabilité de Christian MONTET, Université de la Polynésie française et LAMETA, Université de Montpellier I
et Antoine WINCKLER, Avocat, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP.
R LC
Par Antoine
WINCKLER
1387
La théorie de l’entreprise
défaillante « Failing Firm
Defense » : une renaissance
dans la crise ?
Dans le contexte actuel de la crise financière, la théorie de l’entreprise défaillante pourrait trouver
une actualité nouvelle. Le présent article revisite les cas fondateurs de cette théorie aux ÉtatsUnis et en Europe, avant d’analyser l’opportunité de son renouveau face à la rapide aggravation
de la situation de l’économie réelle.
INTRODUCTION
Depuis le déclenchement de la crise financière au cours de
l’été 2007, les économies à l’échelle mondiale connaissent une
récession sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale.
Dans cet environnement économique instable, les opérations
de concentration dans lesquelles une des parties (ou les deux)
se trouve(nt) au bord de la faillite vont nécessairement se multiplier. Cette situation a fait ressurgir les questions qui entourent l’intégration d’objectifs de politique économique ou sociale au sens large dans la régulation de la concurrence et plus
précisément celle de la théorie de l’entreprise défaillante –
« failing firm defense » (ci-après « FFD ») – dans le cadre du
contrôle des concentrations. La FFD, également connue en
Europe sous la dénomination de « concentration de sauvetage » (« rescue merger »), est un concept reconnu de longue
date et appliqué de manières diverses par une grande majorité des autorités de concurrence à travers le monde.
La FFD est généralement invoquée par la partie notifiante lorsque
la cible est sur le point de faire faillite et se trouve dans une situation telle qu’elle risque de disparaître du marché si l’opération envisagée n’a pas lieu. Dans de tels cas, la doctrine de la
FFD veut que l’autorité de concurrence compétente puisse décider d’autoriser la concentration, quand bien même celle-ci
créerait ou renforcerait une position dominante de nature à détériorer la structure concurrentielle du marché, en raison de
l’absence de lien de causalité entre l’opération de concentration et l’effet négatif potentiel sur la concurrence. L’idée est que
même si l’opération de concentration n’avait pas lieu, la situation concurrentielle serait dégradée puisque la cible et ses actifs sortiraient inéluctablement à court terme du marché et que
l’entreprise acquérante récupérerait en tout état de cause la plus
grande partie de la part de marché de l’entreprise défaillante.
Dans de tels cas, la perte éventuelle de compétitivité sur le marché due à la faillite de la cible est équivalente à celle qui résulterait de la réalisation de l’opération de concentration. Il n’y a
donc pas de lien de causalité entre la concentration et la détérioration de la structure concurrentielle du marché.
Droit I Économie I Régulation
On voit combien ce type de justification repose aussi bien sur
une analyse des conditions de concurrence prévalant historiquement sur le marché en cause, que sur l’analyse de la plausibilité relative des scénarios futurs possibles, voire d’une sorte
de classement concurrentiel des résultats possibles, selon que
l’opération a lieu ou non.
La charge de la preuve de l’absence de lien de causalité est
classiquement supportée par les parties à l’opération mais le
rôle de l’autorité de régulation est évidemment capital dans
l’évaluation difficile des scénarios alternatifs (les « counterfactuals »). On notera au passage que la FFD fait partie d’un
ensemble d’instruments qui permet aux régulateurs de répondre aux situations d’urgence, comme par exemple le fait
de déroger à l’obligation de suspension des opérations de
concentration pendant l’enquête.
Étant donné le caractère éminemment hypothétique de l’exercice et sachant qu’en tout état de cause – l’autorité de régulation est appelée à trancher entre la création d’une position dominante et la disparition complète d’un concurrent –, il n’est
pas étonnant que, malgré une existence déjà ancienne, la FFD
n’a été appliquée qu’à de rares occasions. Il n’est pas étonnant
non plus que la mise en œuvre de la FFD ait été entourée classiquement de précautions rigoureuses. Néanmoins, la récession économique actuelle amènera nécessairement les autorités de concurrence à « revisiter » leur application du contrôle
des concentrations (pour plus d’informations, cf. Knox R., ICN 2009 : Enforcers examine merger control in tough times, 3 juin 2009, Global Competition Review, <http://www.globalcompetitionreview.com/news/article/15869/icn-2009-enforcers-reconsider-icn-focus>)
face à une recrudescence significative des occasions dans lesquelles la FFD sera invoquée (la théorie de l’entreprise défaillante a récemment
été invoquée dans l’affaire de la concentration de la chaîne de grands magasins allemande
Kaufhof avec son concurrent Karstadt, annoncée le 18 mai 2009, ainsi que dans l’affaire relative à l’acquisition de Preston Bus Limited par son concurrent Stagecoach Bus Holding Limited – affaire renvoyée à la Competition Commission par l’OFT le 28 mai 2009; cf. <http://www.globalcompetitionreview.com/news/article/15406/german-department-stores-consider-2-1-merger>,
ainsi que <http://www.oft.gov.uk/news/press/2009/62-09>. De même, il n’est pas impossible que, sur certains marchés, la faillite de grands constructeurs nord-américains donne lieu
>
à des discussions du même ordre).
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
9
LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?
Le présent article propose un résumé de la position des ÉtatsUnis et de l’Union européenne concernant la FFD (I) et analyse quelques exemples et arguments échangés dans le contexte
de la crise actuelle (II).
I. – RÉSUMÉ DES POSITIONS AMÉRICAINE
ET COMMUNAUTAIRE
A. – Les États-Unis
La FFD est apparue aux États-Unis dès 1930. Elle est actuellement codifiée à l’article 5 des « lignes directrices sur les
concentrations horizontales » de 1997 qui sont communes au
Département américain de la Justice (« DoJ ») et à la Federal
Trade Commission (ci-après « les lignes directrices »; US Department of Justice and
Federal Trade Commission Horizontal Merger Guidelines, 2 avr. 1992, révisée le 8 avr. 1997,
disponible sur <http://www.usdoj.gov/atr/public/guidelines/horiz_book/toc.html>).
Les lignes directrices posent quatre conditions cumulatives
pour l’application de la FFD. Les parties à la concentration
doivent démontrer que (i) l’entreprise défaillante est incapable
de remplir ses obligations financières à court terme, (ii) elle
n’est pas en mesure de se réorganiser avec succès dans le
cadre du Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, (iii)
elle a fourni, de bonne foi et sans succès, des efforts pour rechercher une offre alternative d’acquisition raisonnable (moins
préjudiciable pour la structure concurrentielle du marché), et
(iv) en l’absence de concentration, ses actifs sortiraient vraisemblablement du marché, c’est-à-dire ne seraient rachetés
par d’autres opérateurs du marché pertinent (ibid., Section 5.1 « A
merger is not likely to create or enhance market power or facilitate its exercise if the following
circumstances are met : (i) the allegedly failing firm would be unable to meet its financial
obligations in the near future ; (2) it would not be able to reorganize successfully under Chapter 11 of the Bankruptcy Act ; (3) it has made unsuccessful good-faith efforts to elicit reasonable alternative offers of acquisition of the assets of the failing firm that would both keep
its tangible and intangible assets in the relevant market and pose a less severe danger to competition than does the proposed merger ; and (4) absent the acquisition, the assets of the failing firm would exit the relevant market »).
Les lignes directrices établissent que la FFD est un moyen de
défense « affirmatif » et, qu’en conséquence, les parties ont
la charge de prouver que ses conditions sont remplies.
1° International Shoe Company v. Federal Trade
Commission
La première utilisation de la théorie de l’entreprise défaillante
par la Cour suprême des États-Unis remonte à une affaire de
1930 relative à l’acquisition de Mc Elwain Company par International Shoe Company (International Shoe v. FTC, 280 U.S. 291, 302 (1930),
disponible sur <http://supreme.justia.com/us/280/291/case.html>).
La Cour était appelée à examiner une décision de la Federal
Trade Commission interdisant la concentration de deux concurrents majeurs sur le marché de la production, de la vente et
de la distribution de chaussures (la Federal Trade Commission avait décidé
que la concentration violait le Clayton Act puisqu’elle aurait pour effet de diminuer la concurrence entre les deux sociétés sur le marché de la chaussure de restreindre le commerce et
de créer un monopole sur le marché). Du fait de la baisse des ventes dans
les années 1920 aux États-Unis, Mc Elwain s’est trouvée au
bord d’une « ruine financière ». International Shoe, quant à
elle, ne disposait pas de capacités de production suffisantes
pour répondre à la demande. International Shoe a donc décidé d’acquérir Mc Elwain afin de disposer de ses capacités
de production inutilisées.
La Cour suprême a autorisé l’opération au motif que Mc Elwain était au bord de la faillite et que la concentration ne diminuerait pas la concurrence, ni ne restreindrait le commerce
10
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
au sens du Clayton Act. La Cour a jugé que les effets anticoncurrentiels de la concentration seraient moins dommageables
que la disparition pure et simple de Mc Elwain du marché
« qui entraînerait une perte pour ses actionnaires et un dommage aux communautés situées à l’endroit où opéraient ses
usines » (cette référence aux coûts sociaux qu’entraînerait une interdiction de la concentration, déjà présente dans la décision de la Cour suprême dans l’affaire General Dynamics,
était l’un des arguments avancés par les partisans de l’idée selon laquelle la théorie de l’entreprise défaillante devrait prendre en considération les bénéfices sociaux susceptibles d’émerger d’une concentration d’assainissement et que, par conséquent, les standards d’évaluation devraient être plus souples. Voir infra, Section II). Selon la Cour, l’acquisition
de Mc Elwain par International Shoe (sans qu’il n’y ait eu aucun autre acquéreur potentiel) n’avait pas pour effet de restreindre la concurrence mais de faciliter l’intégration des activités de Mc Elwain et devait permettre d’amoindrir les effets
dommageables sur la concurrence qui auraient probablement
résulté de la faillite de Mc Elwain.
Il est intéressant de constater que le raisonnement de la Cour
contient déjà, au moins implicitement, un argument fondé
sur les efficiences industrielles : entre une situation où une
position dominante est créée par voie de concentration « contractuelle » et celle où le pouvoir de marché est créé par la sortie
d’un acteur du marché, la première solution n’est préférable
qu’en raison des efficiences qui résultent de l’intégration des
deux appareils de production/distribution. En d’autres termes,
s’il n’y a qu’un seul acquéreur intéressé et que celui-ci décide
de racheter des actifs défaillants pour continuer à les utiliser
sur le marché, c’est sans doute qu’il croit pouvoir les faire
fonctionner de façon plus efficace que le précédent propriétaire (s’il achète simplement pour profiter d’une hausse des
prix, il est probable qu’il aurait plus intérêt à attendre que les
actifs sortent « naturellement » du marché par le biais de la
faillite). C’est là un point capital de la doctrine FFD qui ne
sera établi que bien plus tard. L’autre enseignement essentiel
de ce jugement est que le raisonnement doit être fondé sur
une analyse des alternatives en l’absence d’opération (le « but
for » des économistes).
2° Citizen Publishing Company v. United States
L’affaire Citizen Publishing Company v. United States (Citizen
Publishing Co. v. United States, 394 US 131 (1969), disponible sur <http://supreme.justia.com/
us/394/131/case.html>) a permis à la Cour suprême de développer
la doctrine de la FFD. La Cour a rejeté la défense des parties
à la concentration et adopté un test strict pour l’application
de la FFD (le test appliqué par la Cour dans cette affaire est similaire, bien que présentant certaines différences, au test finalement adopté dans les lignes directrices).
Les deux seuls quotidiens de la ville de Tucson en Arizona,
Le Citizen et Le Star, avaient négocié en 1940 un accord d’entreprise commun par lequel les activités générales des deux
entreprises devaient être fusionnées (par ailleurs, trois types
de contrôle étaient imposés : (i) fixation de prix, (ii) groupement de profits et (iii) contrôle du marché).
L’État fédéral américain avait reproché aux parties d’abuser
de leur pouvoir de marché en violation de la Section 2 du
Sherman Act, considérant que l’objet de l’opération était de
supprimer toute concurrence entre les deux quotidiens. La
District Court, devant laquelle les entreprises avaient porté
l’affaire, avait confirmé cette décision. Les parties en avaient
alors appelé à la Cour suprême, arguant que Citizen était au
bord de la faillite et que la FFD devait être appliquée.
La Cour suprême a précisé qu’avant de pouvoir s’appuyer sur
la FFD, les parties devaient démontrer : (i) que la cible était
en danger imminent de tomber en faillite ; (ii) qu’il n’existait
aucune perspective réaliste de réorganisation efficace et (iii)
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
que l’entreprise en difficulté avait entrepris de bonne foi, et
de manière raisonnable, la recherche d’un acquéreur alternatif qui poserait moins de risques en termes de concurrence.
En l’espèce, la Cour a considéré que, au moment où Citizen
et Star avaient conclu l’accord, Citizen n’était pas au bord de
la faillite et qu’il n’existait pas de probabilité sérieuse que Citizen mette fin à ses activités et liquide ses actifs si la concentration n’avait pas lieu. En réalité, à ce moment précis, Citizen constituait toujours une menace concurrentielle vis-à-vis
de Star et aurait continué même dans le cadre d’une procédure de faillite. La Cour a également indiqué qu’aucun effort
n’avait été fait pour vendre le journal et que, par conséquent,
le troisième élément du test n’était pas rempli.
B. – L’Union européenne
La doctrine FFD et ses critères d’application sont reflétés aux
paragraphes 89 et 90 des Lignes directrices relatives aux concentrations horizontales (Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations ho-
rizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JOCE 5 févr. 2004, n° C 31 ; 89. La Commission peut conclure qu’une opération de
concentration, qui pose par ailleurs des problèmes de concurrence, est néanmoins compatible avec le marché commun si l’une des parties à l’opération est une entreprise défaillante.
La condition fondamentale est que la détérioration de la structure de la concurrence qui se
produirait après la concentration ne puisse pas être considérée comme étant causée par cette
opération. Il faut donc que la détérioration de la structure de la concurrence sur le marché
soit au moins aussi grave si l’opération ne se réalisait pas ; 90. La Commission estime que
les trois conditions suivantes sont particulièrement pertinentes pour que « l’argument de l’en3° United States v. General Dynamics Corporation
treprise défaillante » soit retenu. En premier lieu, l’entreprise prétendument défaillante serait,
Dans cette affaire ( United States v. General
dans un proche avenir, contrainte de quitter le marché en
Dynamics Corp., 415 US 486, 501, disponible sur <http://suraison de ses difficultés financières si elle n’était pas reprise
Pour pouvoir bénéficier
preme.justia.com/us/415/486/case.html>), la Cour
par une autre entreprise. Deuxièmement, il n’existe pas d’autre
de la FFD, les parties
suprême a autorisé une concentration
alternative de rachat moins dommageable pour la concurdoivent démontrer
entre deux producteurs majeurs de charrence que la concentration notifiée. Troisièmement, si la
qu’en l’absence
bon en Illinois. L’acquisition par General
concentration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise
de concentration,
Dynamics Corp. du contrôle d’United
défaillante disparaîtraient inévitablement du marché).
Electric Coal Companies devait donner
Pour pouvoir bénéficier de la FFD, les
la détérioration de la
naissance à une entreprise disposant
parties doivent démontrer qu’en l’abstructure concurrentielle
d’une part de marché importante sur un
sence de concentration, la détérioration
sur le marché serait
marché fortement concentré. Toutefois,
de la structure concurrentielle sur le marau moins aussi grave
l’avenir de l’une des deux entreprises était
ché serait au moins aussi grave que si
que si l’opération avait
menacé à terme par la disparition de ses
l’opération avait effectivement eu lieu.
effectivement eu lieu.
capacités minières. Par son jugement, la
La Commission a retenu trois conditions
Cour a établi un précédent de « quasi-faipour que l’argument de l’entreprise déling firm » ou de l’entreprise affaiblie concurrentiellement (US
faillante puisse être retenu : (i) l’entreprise prétendument défaillante risque d’être, dans un proche avenir, obligée de quitv. International Harvester Co, 564 F.2d 769, 774 (7th Cir. 1977)). L’État fédéral améter le marché en raison de ses difficultés financières si elle
ricain avait pour sa part considéré que la concentration réduin’est pas reprise par une autre entreprise, (ii) il ne doit pas
sait substantiellement la concurrence sur le marché de la proexister d’autre alternative de rachat moins dommageable pour
duction et de la vente de charbon. Il avait refusé d’appliquer
la concurrence que la concentration notifiée, et (iii) si la concenla doctrine FFD car, au moment de l’acquisition, les deux
tration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise défaillante
sociétés étaient encore dans une situation saine. De plus, les
devraient inévitablement disparaître du marché.
parties à la concentration n’avaient pas démontré que GeneCette approche a été créée et développée à partir de la praral Dynamics Corp. constituait le seul acquéreur potentiel.
tique décisionnelle de la Commission et de la jurisprudence
La Cour a cependant considéré qu’en dépit de son importante
des juridictions communautaires.
part de marché, United Electric Coal Companies ne représenLa théorie de l’entreprise défaillante a été invoquée pour la
tait qu’une faible contrainte concurrentielle, dans la mesure
première fois en Europe dans l’affaire Aerospatiale-Alenia/de
où ses réserves de charbon étaient épuisées ou déjà engagées
Havilland (Déc. Comm. CEE n° 91/619, 2 oct. 1991, aff. IV/M.053, Aerospatialedans des contrats à long terme. Dès lors, les parts de marché
combinées historiques ne reflétaient pas la capacité concurAlenia/de Havilland, JOCE 5 déc., n° L 334). La Commission avait toutefois
rentielle future de la nouvelle entité. La compétitivité d’une
rejeté cette ligne de défense au motif, d’une part, qu’il était
entreprise sur ce marché dépend en effet directement des répeu probable que de Havilland soit contrainte de sortir du
serves de charbon non engagées. En l’espèce, puisque l’une
marché en l’absence de l’opération et, d’autre part, que les
des deux entreprises ne disposait pas de telles réserves, elle
parties n’avaient pas démontré l’absence de toute autre altern’aurait très rapidement plus eu la capacité de conquérir de
native moins dommageable pour la concurrence (ibid., pt. 31).
nouveaux contrats d’approvisionnement à long terme. Même
1° Kali und Salz
si elle a refusé d’appliquer la FFD, la Cour a néanmoins autorisé la concentration au motif qu’elle ne mettrait pas à mal
Les critères d’application de la FFD ont été établis pour la
la structure concurrentielle sur le marché (les lignes directrices ont
première fois dans l’affaire Kali und Salz/MdK/Treuhand (Déc.
plus tard intégré l’esprit de la décision General Dynamics dans la Section 1.521 « Changing
Market Conditions » qui dispose que, bien que la concentration du marché et les données
de parts de marché soient fondées sur des preuves historiques, la Cour doit parfois prendre
en compte dans son analyse les conditions dynamiques de marché et la compétitivité de la
société résultant de l’opération, en particulier lorsque les changements récents ou en cours
susceptibles d’indiquer que les parts de marché actuelles d’une société particulière sous-estiment ou surestiment l’importance de sa compétitivité future, § 1.521, note 6). Notons
que le précédent General Dynamics a joué un rôle important
dans l’appréciation d’opérations stratégiques aux États-Unis,
comme la fusion Boeing-McDonnell Douglas.
Droit I Économie I Régulation
Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz, JOCE 21 juill. 1994,
n° L 186). L’opération en cause avait pour objet le regroupe-
ment des activités de « potasse » et de « sel gemme » de Kali
und Salz (filiale du groupe chimique allemand BASF) et de
la société Mitteldeutsche Kali AG (MdK – entreprise détenue
à 100 % par la Treuhand). À la suite d’une chute de la demande d’environ 30 % au cours des cinq années précédentes,
MdK était au bord de la faillite et ne survivait que grâce au
soutien financier de Treuhand (organisme de droit public
chargé de restructurer les anciennes entreprises publiques >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
11
LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?
la concentration se réalise ou non. La situation était différente
de la RDA pour les rendre compétitives et les privatiser). En
dans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim, puisque d’autres
application des règles relatives aux aides d’État notamment,
concurrents étaient présents sur le marché, et auraient pu réun tel soutien ne pouvait plus perdurer.
cupérer une partie des parts de marché des sociétés cibles. La
Bien que la nouvelle entité issue de l’opération soit appelée
Commission a toutefois admis que les actifs de l’entreprise
à disposer d’une part de marché de 98 %, constituant ainsi
défaillante disparaîtraient définitivement du marché si l’opéun monopole de fait, la Commission a autorisé la concentraration n’était pas autorisée puisque les usines d’Eurodiol et
tion en appliquant la doctrine FFD. Celle-ci a identifié trois
de Pantochim ne pouvaient être exploitées de manière rencritères permettant d’établir l’absence de lien de causalité
table qu’ensemble, étant donné qu’elles appliquaient un proentre la concentration et la création d’une position dominante :
cessus de production intégré qui ne permet pas le rachat d’ac(i) l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si
tifs isolés. La Commission a noté que la disparition des actifs
elle n’était pas reprise par une autre entreprise, (ii) l’entreet des capacités de production d’Eurodiol et de Pantochim
prise acquérante reprendrait la part de marché de l’entreprise
provoquerait une pénurie de capacités non négligeable puisque
acquise si celle-ci venait à disparaître du marché et (iii) il n’y
le marché se caractériserait déjà par un phénomène de sousaurait pas d’alternative moins dommageable pour la concurcapacité manifeste. Cela aurait eu des
rence (Kali und Salz, préc., pts. 70 à 72). En l’eseffets préjudiciables sur les conditions
pèce, la Commission a donc considéré
du marché pour une période transitoire
que le renforcement de position domiLe critère de sortie
considérable et aurait défavorisé les
nante résultait de la disparition de l’endu marché des actifs
consommateurs européens en entraînant
treprise défaillante du marché et non de
de l’entreprise défaillante
une augmentation des prix.
la concentration.
est en lui-même
Malgré la création d’une position domiL’État français a fait appel de cette déextrêmement exigeant.
nante à l’échelle de l’Union européenne
cision, notamment au motif que la Comsur différents marchés de produits chimission avait appliqué la FFD sans resmiques (BASF obtenant une part de marpecter toutes les conditions posées par
ché de 70 % à l’issue de l’opération), la Commission a autole droit américain (CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, République
risé la concentration au titre de la FFD, considérant que les
française e.a. c/ Commission). Le gouvernement français contestait
trois critères étaient remplis : (i) les entreprises défaillantes
par ailleurs l’introduction du critère de l’absorption de la part
feraient faillite immédiatement si la concentration n’était pas
de marché de l’entreprise défaillante. La Cour de justice des
réalisée, (ii) après contacts avec d’autres acteurs du marché,
Communautés européennes a considéré que, même s’il n’était
il s’avérait qu’il n’y avait pas d’autre offre d’achat plus concurpas suffisant, ce critère contribuait à s’assurer de « la neurentielle et (iii) les actifs à racheter disparaîtraient inévitabletralité de cette opération par rapport à la dégradation de la
ment du marché. Notons en passant que le critère de sortie
structure concurrentielle du marché » (pt. 116) et donc l’absence
du marché des actifs de l’entreprise défaillante est en luide line de causalité. Étant donné que, sans la concentration,
même extrêmement exigeant (il signifie par exemple que doiMdK serait en faillite et disparaîtrait du marché, sa part de
vent être en principe exclues les entreprises qui peuvent faire
marché serait automatiquement reprise par son seul concurl’objet de procédures de continuation d’activité de type Chaprent : Kali und Salz. Par conséquent, la structure de la concurter 11 ou les situations dans lesquelles plusieurs acquéreurs
rence résultant de la concentration se serait détériorée de la
potentiels sont intéressés – puisqu’une telle situation démême manière si l’opération n’avait pas eu lieu.
montre que les actifs de l’entreprise défaillante ont une chance
2° BASF/Eurodiol/Pantochim
de rester sur le marché de façon profitable après liquidation
ou vente concurrentielle).
Cette affaire concernait l’acquisition par BASF de deux entreprises belges, Pantochim et Eurodiol (Déc. Comm. CE n° 2002/365,
3° Les affaires Arthur Andersen
11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314, BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132).
Ces affaires ne portaient pas sur la FFD au sens strict puisque
Les entreprises cibles avaient été placées sous le
les opérations en cause ne remplissaient pas les critères de
régime de la « préfaillite » belge et devaient être déclarées
son application (les entreprises n’étaient pas en risque de
en faillite en l’absence de repreneur à l’expiration d’une
faillite immédiate). La Commission a toutefois autorisé les
« période d’observation ».
concentrations en constatant l’absence de lien de causalité
Cette affaire a permis à la Commission de préciser les critères
entre les opérations et la détérioration de la structure concurqu’elle avait posés dans Kali und Salz, en maintenant les prerentielle du marché.
mier et troisième critères, mais en modifiant celui de la reÀ la suite du scandale Enron (dont Arthur Andersen avait cerprise des parts de marché. La Commission a suivi l’opinion
tifié les comptes), le réseau mondial d’Arthur Andersen a comdes parties selon laquelle il n’était pas nécessaire de démonmencé à se désintégrer et les quatre plus importantes entretrer que la société acquérante récupérerait la totalité de la
prises comptables ont acquis certaines divisions nationales
part de marché de la société acquise si on pouvait démonde l’entreprise, donnant lieu à trois notifications (Déc. Comm. CE,
trer que (i) les actifs à racheter disparaîtraient inévitablement
du marché en l’absence de la concentration et (ii) la détério1er juill. 2002, aff. COMP/M.2810, Deloitte & Touche/Andersen UK, §§ 45-60, JOCE 23 août,
ration de la structure concurrentielle faisant suite à l’opéran° C 200; Déc. Comm. CE, 5 sept. 2002, aff. COMP/M.2816, Ernst & Young/Andersen France,
tion de concentration ne serait pas plus importante qu’en
pts. 76 à 90; Déc. Comm. CE, 27 août 2002, aff. COMP/M.2824, Ernst & Young/Andersen
l’absence de concentration.
Germany, JOCE 12 oct., n° C 246). Deux des trois opérations (RoyaumeCette affaire peut être distinguée de l’affaire Kali und Salz,
Uni et France) créaient des chevauchements significatifs sur
dans laquelle seules deux entreprises étaient actives sur le
le marché de la fourniture de services d’audit et de comptamarché, la société acquérante et l’entreprise défaillante. En
bilité aux sociétés cotées au niveau national (dans l’affaire Ernst &
conséquence, il était très probable que la société acquérante
Young/Andersen Germany, la Commission a conclu qu’il n’était pas établi que le passage
aurait absorbé la part de marché de l’entreprise rachetée, que
de six à cinq concurrents était de nature à créer ou renforcer une position dominante col-
12
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
lective sur l’un des marchés nationaux des services d’audit et de comptabilité aux sociétés
cotées au niveau national, pt. 64).
La Commission a toutefois décidé d’autoriser ces deux opérations pour les raisons suivantes :
– bien qu’il n’ait pas été démontré qu’Arthur Andersen cesserait complètement ses activités (elle pouvait survivre en
fournissant ses services à des entreprises de plus petite taille),
la Commission a jugé qu’il était suffisant qu’Arthur Andersen
risque de disparaître définitivement du marché de la fourniture de services d’audit et de comptabilité aux grandes sociétés cotées. Le passage du « Big Five » au « Big Four » était inévitable ;
– la Commission a établi que la structure du marché née de
la concentration ne serait pas pire que celle résultant de
l’interdiction des opérations. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a examiné en détail deux scénarios
possibles (à savoir le scénario de concentration et le scénario contraire, « counterfactual scenario »). Elle en a conclu
qu’aucun lien de causalité entre l’opération et le risque de
dominance collective n’était établi. Les scénarios alternatifs incluaient : (i) la dispersion des clients entre les quatre
entreprises restantes ou (ii) l’acquisition d’Andersen par
l’une des autres entreprises.
L’application par la Commission du principe d’absence de lien
de causalité pour autoriser ces concentrations a conduit certains auteurs à considérer qu’elle avait appliqué une FFD
« tronquée », dès lors que le risque de disparition des entreprises cibles n’était pas complètement établi.
4° JCI/Fiamm
Dans l’affaire récente JCI/Fiamm (Déc. Comm. CE, 10 mai 2007, aff.
COMP/M.4381, JCI/Fiamm), la Commission a également pris en compte
la FFD. La Commission avait tout d’abord envisagé d’appliquer la théorie de la « division/branche défaillante » (« failing
division defence ») mais a rejeté cette possibilité car le groupe
Fiamm en son entier était en situation de précessation de paiement. En effet, la situation financière de la division concernée rejaillissait sur l’ensemble du groupe (voir infra).
Cette opération concernait l’acquisition par VB Autobatterie
des activités de Fiamm dans le domaine des batteries de démarrage automobiles. VB était une entreprise commune constituée entre Johnson Controls Inc. et la société allemande Robert Bosch GmbH dans le secteur des batteries de démarrage
automobile, dont elle occupait la première place au niveau de
l’Espace économique européen.
La Commission a constaté que l’opération aurait pour conséquence de conférer une position dominante à VB sur plusieurs
marchés pertinents (notamment en Italie, en Autriche, en République tchèque et en Slovaquie).
Les parties (ainsi que les créditeurs de Fiamm) ont invoqué
la situation financière critique de la société et le fait que la
concentration était cruciale pour la survie de l’ensemble du
groupe Fiamm. La Commission a examiné si la concentration
concernait un « service défaillant » ou une « entreprise défaillante », affirmant à cet égard que la FFD était applicable
dès lors que le service en cause était à ce point peu rentable
qu’il mettait en danger la viabilité de l’entreprise dans son ensemble (ibid., pt. 710).
La Commission a considéré que le troisième critère de Kali
und Salz n’était pas rempli (à savoir la démonstration que
tous les actifs de SBB disparaîtraient du marché si la concentration n’était pas autorisée). Par ailleurs, elle a comparé les
conséquences de la concentration aux scénarios alternatifs,
en particulier les effets probables du scénario de la société
Droit I Économie I Régulation
défaillante (la liquidation de SBB) sur la structure concurrentielle du marché (ibid., pts. 751 et s.). La Commission a conclu qu’il
existait un lien de causalité entre la concentration notifiée et
les effets négatifs sur la concurrence, car les conditions de
concurrence ne se détérioreraient pas autant en l’absence de
concentration, quand bien même cela devait mener à la liquidation de Fiamm SBB. La Commission a donc rejeté l’application de la FFD au cas d’espèce.
C. – La théorie de la division défaillante
Les parties à une concentration portant sur le rachat d’une division défaillante peuvent, dans certaines circonstances exceptionnelles, invoquer une variante à la FFD.
1° Les États-Unis
La première évocation de la théorie de la division défaillante
par le DoJ remonte aux lignes directrices sur les concentrations de 1992, qui décrivaient la FFD et précisaient que cette
même théorie était applicable quand l’entreprise défaillante
constituait une partie non complètement intégrée d’une société mère plus importante.
La version actuelle des lignes directrices reconnaît explicitement la théorie de la division défaillante appliquée à des
groupes d’entreprises par ailleurs viables (US Department of Justice
and Federal Trade Commission Horizontal Merger Guidelines, préc., § 5.2 : « A similar argument can be made for “failing” divisions as for failing firms. First, upon applying appropriate cost allocation rules, the division must have a negative cash flow on an operating basis. Second, absent the acquisition, it must be that the assets of the division would exit the
relevant market in the near future if not sold. Due to the ability of the parent firm to allocate
costs, revenues, and intracompany transactions among itself and its subsidiaries and divisions, the Agency will require evidence, not based solely on management plans that could be
prepared solely for the purpose of demonstrating negative cash flow or the prospect of exit
from the relevant market. Third, the owner of the failing division also must have complied
with the competitively-preferable purchaser requirement of Section 5.1 »).
Afin de pouvoir bénéficier de l’application de cette théorie, la
division défaillante doit remplir trois conditions : (i) elle doit
disposer d’un flux de trésorerie négatif, (ii) sans l’acquisition,
les actifs de la division disparaîtraient ou seraient vendus hors
du marché pertinent et (iii) aucune solution moins anticoncurrentielle ne pourrait être trouvée.
Bien qu’ayant été formulée clairement pour la première fois en
1982 et bien que cette théorie ait suscité une attente importante, elle n’a jamais été appliquée par les tribunaux américains. Plusieurs raisons à cet état de fait ont été avancées (Wait A. L.,
Surviving the shipwreck : a proposal to revive the failing division defence, William and Mary
Law Review, oct. 2003, vol. 45 : 429, pp. 429-468) : (i) les tribunaux américains
n’ont pas eu l’occasion d’appliquer cette théorie : le refus de
prendre en compte cette théorie dans des affaires telles que FTC
v. Harbour Group Investment, dans laquelle la juridiction compétente n’a pas voulu répondre à cette question non résolue, a
pu décourager les entreprises d’avancer cette théorie, (ii) les
juridictions américaines ont pu craindre qu’une application de
cette théorie inciterait à la manipulation des données des entreprises afin de remplir les conditions de preuves strictes, et
(iii) certains tribunaux américains ont pu considérer que la
théorie de la division défaillante était inutile du fait de l’application accrue de l’analyse « General Dynamics » dans des affaires impliquant les actifs d’une division défaillante.
2° L’Union européenne
La théorie de la division défaillante n’est même pas mentionnée dans les lignes directrices sur les concentrations horizontales, mais les juridictions communautaires et la Commission
l’ont prise en compte dans certaines affaires.
>
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
13
LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?
Bertelsmann/Kirch/Premiere.– (Déc. Comm. CE, 27 mai 1998, aff. IV/M.993,
Bertelsmann/Kirch/Premiere). La Commission a pris en compte la théorie de la division défaillante pour la première fois lors de son
examen de la prise de contrôle conjointe par les entreprises
CLT-UFA SA et Taurus Betiligung-GmbH & Co. KG, des entreprises allemandes de télévision payante Premiere, BetaDigital et BetaResearch (cette dernière étant auparavant contrôlée uniquement par Kirch). Avec la cession des actifs de DF1
et de la chaîne sportive DSF, ainsi qu’avec la cession de ses
droits dans les domaines de la télévision payante et du paiement à la séance, Kirch devait apporter à Premiere des actifs
d’une grande importance sur ce marché. En combinant les
activités digitales de la chaîne gratuite DF1 avec le diffuseur
de télévision payante Premiere, le but était de créer une plateforme commune de programmation et de commercialisation
de la télévision payante.
La concentration a été interdite par la Commission, qui a
considéré que Premiere obtiendrait un quasi-monopole sur
le marché allemand. La Commission a examiné l’opération
à la lumière de la FFD, mais elle a conclu que celle-ci n’était
pas applicable au cas d’espèce, car l’opération ne remplissait
aucune des conditions définies dans l’affaire Kali und Salz
précitée.
La Commission a toutefois souligné que cette affaire ne concernait pas une entreprise défaillante mais une division défaillante,
puisque DF1 ne constituait qu’une partie des activités de Kirch
dans le domaine de la télévision payante. Dès lors, même dans
l’éventualité où DF1 risquait de disparaître du marché, Kirch
dans sa totalité n’était pas menacée et pouvait subvenir aux
besoins de sa division (ibid.). La Commission a souligné que
les conditions d’une autorisation d’une opération impliquant
un service défaillant doivent être plus strictes que dans le cas
d’une entreprise défaillante. La concentration en cause dans
le cas d’espèce ne remplissait pas les critères de la FFD et ne
pouvait donc pas être autorisée sur ce fondement (pt. 71 : « Dans
ce cas de figure, où l’argument invoqué est celui de la “division défaillante” (“failing division defence”) et non celui de l’“entreprise défaillante” (“failing society defence”), il faut
exiger des preuves particulièrement solides attestant que les conditions de l’objection de l’absence d’un lien de causalité sont satisfaites. Si tel n’était pas le cas, il suffirait, pour justifier
au regard du droit des ententes toute concentration portant sur la vente d’un secteur d’activité supposé non rentable, que le vendeur annonce son intention de mettre fin à l’activité en
question dans l’hypothèse où l’opération ne se concrétiserait pas »).
Le fait que la Commission prenne en considération la théorie
de la division défaillante atteste de son existence au moins
potentielle en droit européen, quand bien même elle ne serait applicable que dans des circonstances exceptionnelles.
Rewe/Meinl. – (Déc. Comm. CE, 3 févr. 1999, aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, pts. 66
à 69). L’opération concernait la prise de contrôle par le groupe
Rewe, exerçant des activités d’achat, de financement et d’exploitation d’entreprises de commerce de gros et de détail (notamment dans le commerce de détail des denrées alimentaires), de Meinl, la partie alimentaire d’un groupe plus large.
La Commission a conclu que la concentration aurait conduit
à la création d’une position dominante sur le marché autrichien de la distribution. Les parties avaient convoqué la FFD,
argumentant que Meinl se trouverait très défavorisée dans le
domaine alimentaire par rapport à ses concurrents, beaucoup
plus puissants.
La Commission a considéré que l’absence de lien de causalité n’avait pas été démontrée puisque la concentration ne
remplissait pas les conditions définies dans l’affaire Kali und
Salz. Tout comme dans l’affaire Bertelsmann, la Commission
a indiqué que, s’agissant d’un cas de « division défaillante »
14
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
et non d’« entreprise défaillante » (puisque Meinl International AG faisait
fonction de holding pour les activités du groupe Meinl en Europe centrale et orientale), il
fallait exiger des preuves particulièrement solides de l’existence des conditions justifiant l’objection relative à l’absence
d’un lien de causalité.
En particulier, la Commission a énoncé les considérations suivantes :
– le retrait de Meinl du marché autrichien du commerce de
l’alimentation de détail constituait une décision de gestion interne entérinant l’abandon d’une activité commerciale, dont
le développement ne correspondait plus aux attentes de la direction. Dès lors Meinl ne pouvait être considérée comme
étant déjà, ou allant être dans un proche avenir, insolvable.
Quand bien même la situation de Meinl s’était détériorée, les
parties n’avaient en aucune façon prouvé que Meinl disparaîtrait de toute façon rapidement du marché si elle n’était pas
reprise par une autre entreprise ;
– la Commission a également rejeté l’affirmation des parties selon laquelle les parts de marché de Meinl iraient essentiellement
à Rewe/Billa, puisque les parties avaient également affirmé que
le groupe alimentaire Spar pouvait également en bénéficier;
– finalement, la Commission a rejeté la thèse des parties selon
laquelle il n’existait aucune possibilité moins dommageable
pour la concurrence puisque Spar, en raison de sa position sur
le marché, ne pouvait être un candidat acceptable (les parties
avaient soutenu que Spar possédait, sur l’ensemble du marché
autrichien, une position similaire à celle de Rewe/Billa en termes
de parts de marché, sa plus forte implantation se situait dans
l’ouest de l’Autriche et disposait en outre d’une surface de vente
plus importante que celle de Rewe/Billa). En effet, les parties
n’avaient ni indiqué avec quelles entreprises intéressées le
groupe Meinl avait négocié, ni donné les raisons pour lesquelles
ces négociations avaient échoué.
NewsCorp/Telepiù. – (Déc. Comm. CE, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876, NewsCorp/Telepiù, pts. 205 à 221). Dans cette affaire, la Commission a autorisé la concentration entre les sociétés italiennes de télévision payante : Telepiù, appartenant à Vivendi et Stream, une
entreprise commune de NewsCorp et Telecom Italia.
L’opération devait aboutir à un quasi-monopole sur le marché italien de la télévision payante. NewsCorp a toutefois invoqué la FFD, alléguant que le scénario de la concentration
ne serait pas pire que le scénario contraire (c’est-à-dire si la
concentration n’avait pas lieu), car dans ce dernier, il est probable que sa propre filiale Stream aurait déposé le bilan.
La Commission a noté en premier lieu que Stream était contrôlée conjointement par NewsCorp et Telecom Italia et qu’elle
constituait, par conséquent, une division de la société acquérante, et non de la société acquise qui était défaillante. La
Commission a ensuite exprimé ses doutes quant à la possibilité d’appliquer l’argument de la société défaillante lorsque
l’entreprise acquérante était financièrement saine, mais que
l’une de ses divisions, défaillantait, fusionne avec la cible.
Tout comme dans les affaires Bertelsmann et Rewe/Meinl, la
Commission a insisté sur le fait que la charge de la preuve de
l’absence de lien de causalité était plus lourde quand l’argument de la division défaillante était avancé, et qu’en l’occurrence le groupe Newscorp n’était pas en danger.
Les parties n’ayant pas démontré que les conditions telles que
définies dans l’affaire Kali und Salz étaient remplies, la Commission a refusé d’appliquer la théorie de la division défaillante
considérant, en effet, que :
– l’entreprise dans son ensemble (NewsCorp) n’était pas appelée à disparaître rapidement du marché puisqu’elle n’était
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
confrontée à aucune difficulté financière. Le retrait de Stream
(Mariahilf/Asklepios) en février 2009 et la concentration dans le marché tchèque de l’assudu marché italien de la télévision payante ne revêtirait que
rance (CPP/Kooperativa) en mars 2009). Par ailleurs, au nom de considéla forme d’une simple décision de gestion interne consistant
rations d’intérêt public, les autorités de concurrence vont inà abandonner une activité économique dont l’évolution
évitablement être appelées, voire sommées, de plus en plus
n’avait pas répondu aux attentes du conseil d’administrafréquemment à assouplir l’application des règles de concurtion de l’entreprise ;
rence, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de la
– dans la mesure où ni NewsCorp, ni Telecom Italia n’avaient
FFD. Les premiers signes de ces pressions sont déjà apparus.
offert de vendre Stream, les parties n’avaient pas démontré
Pour le moment et de façon largement préventive, les autoriqu’il n’y avait pas d’autre alternative moins dommageable
tés américaines, la Commission européenne, l’Office of Fair
pour la concurrence ;
Trading (OFT) et la Competition Commission britanniques ont,
– il n’était pas nécessaire de prendre position sur la quesdans une magnifique unanimité, indiqué leur intention de
tion de savoir si les actifs à racheter disparaîtraient inévitaprincipe de ne pas appliquer des critères moins stricts pour
blement du marché en l’absence de concentration, puisque
déterminer si une concentration doit être autorisée sur le terles deux premières conditions n’étaient en tout état de cause
rain de la FFD.
pas remplies.
Neelie Kroes, Commissaire à la concurToutefois, la Commission, en autorisant
rence, a ainsi récemment déclaré que la
À mesure que la crisese
l’opération, a réinterprété à sa manière
Commission va « continuer à appliquer
traduit par une montée
l’argument de la FFD en expliquant par
les règles existantes, y compris, le cas
brutale du chômage et
exemple que l’approbation de la concenéchéant, la théorie de l’entreprise déune fragilisation des
tration, sous réserve de conditions apfaillante » (Kroes N., Faire face à la crise financière acchampions industriels
propriées, serait plus avantageuse pour
tuelle, oct. 2008, disponible sur <http://europa.eu/rapid/pressle consommateur que la perturbation proReleasesAction.do?reference=SPEECH/08/498>). Cet
nationaux, la question se
voquée par la disparition éventuelle de
engagement à respecter les principes
pose nécessairement
Stream (Déc. Comm. CE, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876,
existants en matière de contrôle des
de savoir dans quelle
concentrations, même s’ils sont conçus
NewsCorp/Telepiù, pt. 221; Bavasso A. et Lindsay A., Caumesure les régulateursde
pour faire face à des circonstances exsation in EC merger control, Journal of Competition Law and
la concurrence doivent
ceptionnelles, s’oppose à l’approche pluEconomics (3), 17 avr. 2007, pp. 181-202). Ce cas constiinfléchir leur politique.
tôt pragmatique adoptée par certains
tue sans doute la formulation européenne
États membres (voir infra). Toutefois, force
la plus proche de la doctrine General Dynamics américaine où l’évolution dynamique des marchés est
est de constater qu’aucun exemple de recours à cette théoune dimension-clé de la décision. Comme rappelé ci-dessus,
rie n’a été signalé depuis l’été 2008.
la théorie de la division défaillante a également été évoquée
Ainsi encore, en décembre 2008, l’OFT a réaffirmé sa posidans l’affaire JCI/Fiamm précitée.
tion concernant la FFD (l’OFT réaffirme sa position concernant la « FFD », déc.
II. – LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LE RENOUVEAU
DE LA FFD
La crise financière a débuté en juillet 2007, date à laquelle une
perte de confiance des investisseurs dans la valeur des prêts
hypothécaires aux États-Unis a entraîné une crise des liquidités qui s’est transmise à l’économie « réelle ». Celle-ci a suscité de très importantes injections de capitaux dans les marchés financiers en Europe et aux États-Unis, tendance qui s’est
étendue à d’autres secteurs de l’économie. La tendance générale a montré que l’économie mondiale était proche d’une défaillance systémique du système bancaire qui justifiait le sauvetage d’urgence des institutions en question. Ces sauvetages
et restructurations ont certes donné lieu à des investissements
massifs de capitaux publics mais ont posé relativement peu
de questions (à quelques exceptions près) au regard des règles
de la concurrence en raison du faible taux de concentration
des marchés financiers.
À mesure que la crise se traduit par une montée brutale du
chômage et une fragilisation des champions industriels nationaux, la question se pose nécessairement de savoir dans quelle
mesure les régulateurs de la concurrence doivent infléchir leur
politique.
Il est ainsi probable qu’après une période de « coma » où le
nombre d’opérations de M & A non financières est resté très
faible, un nombre croissant de parties notifiantes ou de gouvernements vont s’efforcer de faire valoir sous une forme ou
une autre la FFD (cf. l’acquisition de UK’s Bank Of Scotland Halifax par Lloyds TSB
(Lloyds TSB/HBOS) en octobre 2008, la concentration de deux compagnies aériennes italiennes (Alitalia/Air One) en décembre 2008, la concentration de deux hôpitaux allemands
Droit I Économie I Régulation
2008, OFT1047, disponible sur <http://www.oft.gov.uk/shared_oft/business_leaflets/
general/oft1047.pdf>). Il a en effet déclaré qu’il n’autoriserait des
opérations où la FFD a été invoquée que si les conditions nécessaires à son application étaient satisfaites (les exigences de l’OFT
sont similaires à celles appliquées par la Commission et les juridictions communautaires. Il
s’agit d’un test en deux étapes : la transaction ne sera autorisée sur le fondement de la FFD
que (i) si la cible disparaissait inévitablement du marché en l’absence de concentration et
(ii) s’il n’existe aucune alternative réaliste et moins anticoncurrentielle; cf., par exemple, la
décision de l’OFT sur l’acquisition anticipée par le First West Yorkshire limited of Black
Prince Buses Limited, le 26 mai 2005, <http://www.oft.gov.uk/news/press/2009/62-09>).
L’OFT a également précisé qu’il ne prendrait en compte la situation économique et les conditions de marché que dans la
mesure où ces critères seraient nécessaires à l’évaluation de
la FFD. Quelles que soient les conditions retenues, l’OFT ne
compte pas assouplir le critère de la « preuve suffisamment
déterminante » requis pour démontrer que la concentration
ne conduira pas à moins de concurrence (voir supra).
Il n’est pourtant pas complètement évident que cette approche
n’ait pas été quelque peu assouplie récemment dans les décisions de renvoi de l’OFT (dans le cadre du « test de référence » (« reference
test ») l’OFT a le devoir de renvoyer certaines opérations à la Commission de la concurrence
pour une enquête approfondie, équivalant à la deuxième phase de l’enquête pour la Commission européenne) dans l’affaire Preston Limited Bus/Bus Stagecoach Holdings Limited (affaire renvoyée par l’OFT devant la Commission de
la concurrence le 28 mai 2009) ainsi que dans sa décision d’autorisation dans l’affaire HMV/Zavvi (le 28 avril 2009, l’OFT a autorisé la concentration de 15 anciens magasins Zavvi par HMV plc, tous deux étant les principaux distributeurs de produits de divertissement. Zavvi, l’ancienne branche du Groupe Virgin au Royaume-Uni
et en Irlande a été déclarée en faillite le 24 décembre 2008 mettant 2500 emplois en danger.
Le 14 janvier 2009, HMV a annoncé qu’il allait acquérir certains magasins appartenant à
Zavvi. L’OFT a examiné, de sa propre initiative, l’opération envisagée, puisqu’avant même >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
15
LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?
l’effondrement du groupe Zavvi, les deux entreprises étaient propriétaires de magasins dans
un grand nombre de localités à travers le Royaume-Uni. Toutefois, l’OFT a conclu que la saisine de la Commission de la concurrence n’était pas nécessaire dès lors que les conditions
d’application de la FFD étaient satisfaites. En particulier, l’OFT a conclu que (i) sans la
concentration les deux magasins devraient inévitablement quitter le marché de détail de divertissement à la suite de l’effondrement du Zavvi, et (ii) qu’il n’y avait pas d’alternative
moins anticoncurrentielle à la concentration dans ces zones de chevauchement; cf., pour
plus d’informations, <http://www.oft.gov.uk/news/press/2009/47-09>). Par ailleurs,
shipwreck. A proposal to revive the failing division defence, William and Mary Law Review,
oct. 2003) pensent que les « fusions de sauvetage » sont souhai-
tables car en période de crise financière, en particulier des entreprises peuvent être forcées de sortir du marché pour des
raisons qui n’ont rien à voir avec le jeu concurrentiel (en période de crise de liquidités par exemple). Certains auteurs ont
avancé qu’une approche plus souple pouvait, en accroissant
le pouvoir de marché et la rentabilité des entreprises en temps
de crise financière, encourager de nouveaux entrants. Ainsi,
dans l’affaire HBOS/Lloyds TSB, le gouvernement de sa Maselon Mason et Weeds (Mason R. et Weeds H., préc., p. 4) une politique
jesté a autorisé un rapprochement bancaire contre l’avis de
son autorité de concurrence afin d’assurer « la stabilité du sysde contrôle des concentrations souple peut laisser espérer une
tème financier britannique » (pour plus d’informations, cf. Gérard D., Manarentabilité accrue en période de crise financière. Ce phénomène pourrait, à son tour, inciter les enging the Financial Crisis in Europe : Why Competition Law
treprises qui ne sont pas encore actives
is Part of the Solution, Not of the Problem, déc. 2008, UniLa réforme du droit
sur le marché à entrer, réduisant ainsi à
versity of Louvain, GCP).
des concentrations en
terme la concentration. De façon généLe gouvernement italien a quant à lui
France rendra la pression
rale, ces entreprises craindraient moins
adopté une approche encore plus dissopolitique plus difficile
de perdre la valeur totale de leur invesnante en adoptant le 28 août 2008 un
tissement si elles savaient que la FFD
décret ordonnant la suspension des règles
dès lors que l’Autorité
était appliquée avec plus de clémence
de concurrence à l’égard des grandes enfrançaise n’est plus
(Mason R. et Weeds H., préc., p. 4, § 2 : « Nous soutenons,
treprises en crise (D.-L. n° 134/2008, relatif aux
mesures urgentes concernant la restructuration des grandes
entreprises en crise), qui a été voté par le par-
soumise à l’autorité
hiérarchique du ministre.
lement italien le 27 octobre 2008 et a été
transformé en loi (L. n° 166/2008, Decreto-legge 28 agosto 2008, n° 134, Disposizioni urgenti in materia di ristrutturazione di grandi imprese in crisi, published in the Ufficiale n° 201, 28 août 2008, cf. <http://www.parlamento.it/leggi/decreti/08134d.htm>).
Sur le fondement de ce décret, l’autorité italienne de la concurrence a été forcée d’autoriser l’opération de sauvetage d’Alitalia/Air one (dans le cadre de la tentative de sauvetage d’Alitalia, une compagnie
aérienne nationale italienne subissant de graves difficultés économiques, le Parlement italien a adopté le 27 octobre 2008 une loi visant à modifier les dispositions en matière d’insolvabilité (également dénommé « loi Marzano »). Ces amendements ont été introduits par
le décret-loi n° 134/2008 relatif à des mesures urgentes concernant la restructuration des
grandes entreprises en crise, aussi connu sous le nom de « Decreto Alitalia ». Le décret établit que toute concentration, impliquant une entreprise de services publics, réalisée conformément à la procédure mise en place par la loi Marzano à partir du mois de juin 2009 satisfait de manière intrinsèque aux intérêts publics fondamentaux et, en conséquence, est
exemptée de la nécessité d’obtenir une autorisation de l’autorité italienne de la concurrence
conformément au régime interne de contrôle des concentrations. Elle s’applique à la procédure en ce qui concerne l’administration extraordinaire de grandes entreprises en difficulté
employant au moins 1000 salariés et ayant accumulé un passif total d’au moins un milliard
d’euros pendant au moins une année. À la suite d’un recours, le Tribunal de Lazio, un tribunal administratif régional, a renvoyé la loi devant la Cour constitutionnelle estimant qu’il
était probable que le décret serait discriminatoire à l’égard des transporteurs aériens et confèrerait un traitement plus favorable aux grandes compagnies telles que Alitalia et Air One et
que l’opération créerait ou renforcerait une position dominante).
La réforme du droit des concentrations en France rendra la
pression politique plus difficile dès lors que l’Autorité française n’est plus soumise à l’autorité hiérarchique du ministre.
Il n’en reste pas moins que certains exemples du passé montrent que l’application de la FFD peut donner lieu à des interprétations qui ont été taxées en leur temps d’opportunistes
(pour un autre exemple moins récent d’une interprétation différente de la notion de FFD
entre la Commission européenne et le gouvernement français, cf. Déc. Comm. CE, 13 nov.
2001, aff. COMP/M.2621, SEB/Moulinex).
L’existence d’approches différentes retenues par la Commission, l’OFT et l’État italien peut, au moins en partie et en dehors des pressions politiques, s’expliquer par les différentes
écoles de pensée qui s’opposent en ce qui concerne l’application de la FFD en temps de crise.
Ceux qui sont en faveur de l’assouplissement des conditions
d’application de la FFD (pour plus d’informations, cf. Mason R. et Weeds H.,
The failing firm defence : Merger Policy and Entry, 15 janv. 2003; Waits A. L., Surviving the
16
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
par conséquent, que les opérations de sauvetage sont souhaitables précisément parce qu’elles augmentent le pouvoir de
marché de l’entreprise et sont donc profitables en période de
crise financière. En effet, les règles de concentrations influent sur la décision d’entrer sur le
marché et donc sur le moment de l’entrée. L’entrée survient plutôt lorsque les entreprises sont
autorisées à fusionner et ainsi à augmenter leurs profits lorsque l’une des entreprises est défaillante. Si par principe l’entrant est susceptible d’être le premier à la sortie (parce que l’entreprise déjà présente sur le marché dispose d’un avantage intrinsèque par exemple), alors le
fait d’autoriser l’entreprise défaillante à acquérir une plus grande part de marché grâce à la
concentration encourage l’entrée. Enfin, une politique clémente en matière de concentrations
(autorisant la concentration à un stade précoce de la crise financière) portera vraisemblablement d’avantage atteinte à l’entreprise présente qu’elle ne profitera à l’arrivant »).
D’autres partisans d’une politique de contrôle plus clémente
soulignent aussi que les coûts sociaux résultant du blocage
d’une opération dans laquelle l’une des sociétés est défaillante
sont d’autant plus visibles et importants en période de crise.
Selon Waits (Waits A. L., préc., p. 458), le préjudice social, c’est-àdire le préjudice aux employés, aux actionnaires, aux créanciers ainsi qu’à l’ensemble des membres de la communauté
entourant l’entreprise défaillante doit être examiné et contrebalancé par rapport aux effets anticoncurrentiels. À cet égard,
Waits fait référence à l’arrêt de la Cour suprême des ÉtatsUnis, International Shoe (ce jugement est examiné en détail dans la section I).
À l’inverse, les partisans d’une application stricte des critères
en temps de crise (par exemple, John Fingleton de l’OFT), font valoir que
les arguments appuyés sur la FFD et les gains d’efficacité générés par les concentrations doivent être traités avec prudence
et tenant compte du fait que le pouvoir de marché conduit à
moins, et non pas à plus, d’efficacité au sein des entreprises
(voir position de l’OFT supra). D’autres soulignent qu’en temps de crise
une remontée des prix anticoncurrentielle ou de concentration du pouvoir de marché est encore plus néfaste dans la mesure où elle ralentit le processus de reprise de l’économie.
Quant à l’argument selon lequel une opération de sauvetage
inciterait les entreprises à entrer sur le marché, ceux-ci répondent que ces dernières pourraient au contraire être attirées
vers des marchés où la FFD est appliquée avec plus d’indulgence, ce qui pourrait entraîner un effet de distorsion de la
concurrence (Heyer K. et Kimmel S., Merger Review of Firms in Financial Distress).
En ce qui concerne l’argument relatif aux coûts sociaux engendrés par le blocage d’une opération de sauvetage, l’ancienne General Counsel de la Federal Trade Commission,
Debra A. Valentine, soulignait en son temps le caractère dou-
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
teux des arguments fondés sur le sauvetage des emplois en
affirmant que : « des emplois sont susceptibles d’être supprimés que la concentration soit bloquée ou qu’elle soit autorisée. Si une opération est bloquée et qu’une entreprise devient
défaillante, les suppressions d’emplois résulteront, de toute évidence, de la fermeture de l’usine. Mais si une opération posant des problèmes de compétitivité est autorisée, il résulte de
la théorie de l’oligopole [« oligopoly theory »], que des emplois
risquent d’être perdus si l’industrie fait augmenter les prix et
réduit la production. La différence est que la suppression d’emploi est, dans ce cas, largement disséminée et progressive et
peut être sévère, drastique et localisée lorsqu’un employeur essentiel de la communauté disparaît » (Valentine D. A., Horizontal Issues :
ci avait établi un « plan de stabilisation de base », qui visait
à réduire la capacité existante dans le cadre d’industries « structurellement en dépression », « structurally depressed industries ». Un fonds de garantie spécifique a été créé et les ministères de tutelle ont été autorisés à mettre en place des
ententes, avec la participation d’entreprises opérant dans les
secteurs en difficulté. Plus récemment, la décision prise par
le secrétaire d’État britannique Peter Mandelson concernant
la concentration Lloyds TSB/HBOS peut également être considérée comme un exemple de mesure anticoncurrentielle qui
s’est révélée être un cadeau empoisonné pour l’acquéreur (en
What’s happening and what’s on the horizon, 8 déc. 1995, Federal Trade Commission, cf.
<http://www.ftc.gov/speeches/other/dvhorizontalissues.shtm>).
Pour les raisons citées ci-dessus, le débat actuel ne va pas manifestement dans le sens d’une modification des conditions
d’application de la FFD dans le contexte d’un ralentissement
économique. En revanche, la rapide aggravation de la situation de l’économie réelle, qui ne fait que commencer, plaide
en faveur d’un recours à toutes les formes éprouvées et confirmées juridiquement de politique de la concurrence et en particulier (i) une approche fondée sur le précédent General Dynamics, c’est-à-dire sur une analyse dynamique des questions
de concurrence, (ii) une étude au cas par cas plus approfondie et complète des efficiences économiques sur la base de
critères sans doute plus ouverts que ceux appliqués actuellement (où les analyses des efficiences économiques restent encore le parent pauvre des décisions de concentration) et (iii)
une pleine utilisation des outils procéduraux qui permettent
une résolution plus rapide et moins bureaucratique des cas
de concentrations. ◆
En outre, l’expérience historique va, de manière générale, à
l’encontre d’une politique de suspension des politiques de
concurrence en période de crise économique. Un certain
nombre de mesures prises par le passé afin de protéger les
entreprises défaillantes ont souvent prolongé la crise économique. Par exemple, en 1933, l’administration Roosevelt a autorisé une réglementation facilitant les cartels et les monopoles dans le but de protéger les entreprises fragilisées par la
Grande Dépression (The National Industrial Recovery Act (NIRA), 16 juin 1933
(Ch. 90 48 Stat. 195, codifié dans 15 USC sec 703). Le NIRA devait expirer en juin 1935,
mais la Cour suprême des États-Unis a déclaré l’inconstitutionnalité du Titre I du NIRA le
27 mai 1937, au motif que cette loi étendait le sens de la clause commerciale).
De même, les mesures prises par le gouvernement japonais
en 1974 (cf., pour plus d’informations Bela Balassa/Marcus Noland, Japan in the world
economy, 1988, pp. 59 et seq) n’ont pas été couronnées de succès. Celui-
RLC
CONCENTRATIONS
ÉCONOMIQUES
1388
Poursuite de la consolidation
du secteur aérien : Iberia fait
main basse sur le low cost
en Espagne
La Commission autorise le projet de rachat par Iberia
de Vueling Airlines et de Clickair sous réserve
de mesures correctives.
Déc. Comm. CE, 9 janv. 2009, aff. COMP/M.5364, Iberia/Vueling/Clickair,
JOUE 26 mars, n° C 72
Le 9 janvier 2009, la Commission a autorisé, à l’issue d’une
procédure de Phase I et sous réserve de mesures correctives,
le projet de rachat des deux compagnies aériennes espagnoles
low cost, Vueling Airlines et Clickair, par la compagnie aérienne nationale espagnole Iberia.
Iberia est basée à l’aéroport de Madrid-Barajas et assure des
services de transport aérien régulier de passagers de court et
long courriers, ainsi que des services de transport de fret. Clickair est basée à l’aéroport de Barcelona-El Prat. Vueling Airlines est basée à l’aéroport de Barcelona-El Prat ainsi qu’à ce-
Droit I Économie I Régulation
effet, depuis la réalisation de la concentration, la santé financière de l’ensemble du groupe
s’est considérablement détériorée).
lui de Madrid-Barajas. Les deux compagnies low cost assurent
des services de transport aérien régulier de passagers (court
courrier) en Espagne et à destination de plusieurs autres pays
européens. Avant l’opération envisagée, Iberia détenait déjà
une participation de 20 % non contrôlante dans Clickair.
Le projet de concentration comportait plusieurs opérations juridiques interdépendantes, qui ont fait l’objet d’une analyse
globale : dans un premier temps, une opération de restructuration devait permettre de porter la participation d’Iberia dans
le capital de Clickair de 20 à 80 % ; dans un second temps,
Vueling Airlines et Clickair devaient fusionner pour former
« Nueva Vueling ». Au final, Iberia devait détenir une participation de 45,8 % dans la nouvelle entité.
La décision contient des précisions utiles sur la définition des
marchés dans le secteur du transport aérien régulier de passagers. Fidèle à son approche dite « O & D », la Commission
a défini des marchés point à point, chaque liaison entre deux
villes constituant un marché distinct. Comme dans la décision Ryanair (Déc. Comm. CE, 27 juin 2007, aff. COMP/M.4439, Ryanair/Aer Lingus), la Commission a considéré que, même si les différences
de « business model » pouvaient être prises en compte au stade
de l’analyse concurrentielle, les compagnies low cost faisaient
partie du même marché que les compagnies traditionnelles
« en réseau ». Par ailleurs, la Commission a analysé la pertinence d’autres facteurs susceptibles d’affecter la délimitation
des marchés pertinents :
– les vols directs et indirects n’ont pas été considérés comme
substituables étant donné que la grande majorité des voya- >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
17
18
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Les remèdes proposés en l’espèce sont conformes à la pratique décisionnelle de la Commission dans les précédentes
affaires liées à la consolidation du secteur aérien européen. L’expérience montre toutefois que ce type de remèdes ne s’est pas toujours révélé suffisamment incitatif
pour attirer de nouveaux entrants. À l’avenir, on ne peut
pas exclure que la Commission souhaite étendre les mises
à disposition de créneaux à des routes non directement
affectées par la concentration et/ou les accompagner
d’autres mesures correctives de nature structurelle. À cet
égard, la décision de la Commission dans l’affaire Lufthansa/SN Airholding (Brussels Airlines), qui devrait être
rendue le 1er juillet après une extension de la Phase II,
pourrait apporter un certain nombre d’éclaircissements
utiles.
Frédéric de BURE
Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP
RLC
geurs a indiqué ne pas envisager de prendre un vol indirect en réaction à une augmentation des prix des vols directs de 5 à 10 % ;
– l’avion et le train à grande vitesse ont été considérés
comme substituables sur la route Barcelone-Madrid, compte
tenu notamment de la similarité de la durée totale du trajet et des avantages du train en termes de confort et de
proximité. En revanche, le ferry n’a pas été retenu comme
une alternative acceptable à l’avion sur les routes à destination d’Ibiza en raison des différences de durée du trajet ;
– l’éventuelle distinction entre les passagers, selon qu’ils
sont sensibles ou non au temps, a été laissée ouverte. Les
parties avaient soutenu qu’une telle distinction n’avait
pas lieu d’être puisque Clickair et Vueling appliquent des
tarifs identiques quel que soit le type de passagers alors
que l’enquête de marché tendait à confirmer l’importance
du facteur temps ;
– la possibilité d’une substituabilité entre différents aéroports – en particulier entre les aéroports principaux et secondaires – n’a pas été retenue par la Commission. Sur
la base d’un raisonnement développé dans l’affaire Ryanair/Aer Lingus selon lequel les aéroports situés dans un
rayon de 100 km ou d’une heure de route d’un autre aéroport pouvaient être considérés comme substituables
(cf., également en ce sens, Déc. Comm. CE, 17 déc. 2008, aff. COMP/M.5141, KLM/Martinair, RLC 2009/19, n° 1329, obs. Medina C.), les parties soutenaient
notamment que l’aéroport de Barcelone (où opèrent les
parties) était substituable avec ceux de Girone et de Reus
(où opère Ryanair). L’enquête de marché a toutefois montré qu’une majorité de passagers ne considérait pas les
aéroports secondaires de Girone et de Reus comme substituables à celui de Barcelone, en raison notamment des
coûts additionnels de déplacement, du peu de créneaux
horaires et des contraintes de temps.
En préambule à son analyse concurrentielle, la Commission a relevé que le secteur du transport aérien espagnol
était le deuxième plus important au sein de l’UE et relativement peu concentré, en raison de la présence de trois
acteurs domestiques (Iberia, Air Europa et Spanair) et de
plusieurs compagnies low cost. Néanmoins, la Commission a identifié des problèmes de concurrence sur 19 liaisons (principalement des lignes domestiques ainsi qu’à
destination de la France, de l’Italie et de la Grèce). Sur
ces routes, les parties auraient bénéficié d’une situation
de monopole ou de quasi-monopole en termes de nombre
de passagers transportés, renforcée par la détention d’une
très grande partie des créneaux disponibles (droits d’atterrissage ou de décollage sur un aéroport donné pour
une plage horaire donnée) dans les aéroports de BarcelonaEl Prat (entre 40 et 50 % des créneaux) et de MadridBarajas (entre 50 et 60 % des créneaux).
Afin de lever les doutes de la Commission, les parties ont
présenté deux types de mesures correctives qui ont été
jugées satisfaisantes. D’une part, les parties se sont engagées à mettre à disposition sans frais un certain nombre
de créneaux dans plusieurs aéroports afin de permettre
l’entrée de nouveaux concurrents ou l’expansion des
concurrents existants (l’enquête de la Commission a montré en effet que les limitations de capacités disponibles
dans les aéroports constituaient la principale barrière à
l’entrée ou à l’expansion sur les 19 liaisons problématiques). D’autre part, les parties promettent de permettre
à tout nouvel entrant de participer au programme de fidélité Iberia Plus pour les liaisons concernées.
1389
La Commission autorise
la prise de participation
par Dassault Aviation
dans Thales
La Commission a conclu que l’opération ne portait
pas atteinte à la concurrence dans les secteurs spatial
et aéronautique.
Déc. Comm. CE, 10 mars 2009, aff. COMP/M.5426, Dassault
Aviation/TSA/Thales
Le 10 mars 2009, la Commission a autorisé sans engagement
l’acquisition d’une participation minoritaire par Dassault Aviation dans Thales. L’opération a été soutenue par l’État français qui est, d’une part, le principal actionnaire de Thales et,
d’autre part, l’un des principaux acheteurs des équipements
militaires fabriqués par les parties.
Antérieurement à l’opération, Thales était contrôlée conjointement par l’État français (via la société TSA) et le groupe
Alcatel-Lucent. Dassault Aviation a racheté les participations
détenues par Alcatel-Lucent et le Groupe Industriel Marcel
Dassault (« GIMD ») dans le capital social de Thales et s’est
substituée à Alcatel-Lucent dans le cadre du pacte d’actionnaires qui l’unissait à TSA. La Commission a conclu qu’à l’issue de l’opération, Thales serait contrôlée conjointement par
l’État français et Dassault Aviation (qui disposeront, respectivement, de 41,6 % et 20,4 % des droits de vote).
La Commission a examiné l’impact de l’opération sur le secteur spatial et notamment sur les marchés des satellites. L’examen de la Commission a porté d’une part, sur les liens entre
Thales et EADS et, d’autre part, sur les rapports verticaux
entre Thales et Dassault Aviation :
– Thales et EADS sont les principaux constructeurs de satellites institutionnels au niveau européen (part de marché combinée de 80-100 %) et de satellites militaires au niveau français (part de marché combinée de 90-100 %). EADS détient
une participation de 46,3 % dans Dassault Aviation (la majorité du capital de cette société est détenue par GIMD). Toutefois, la Commission a conclu qu’EADS ne contrôlait pas Dassault Aviation car elle ne disposait d’aucun droit de veto sur
les décisions stratégiques de cette société. Par ailleurs, la participation aux bénéfices de Thales à laquelle EADS pourrait
prétendre via Dassault Aviation (environ 12 %) serait trop
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
Ianis GIRGENSON
Fried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson (London) LLP
Droit I Économie I Régulation
1390
La crise financière :
la Commission autorise
la première nationalisation
d’une banque
La Commission donne son feu vert au rachat d’Hypo
Real Estate par le Fonds allemand de stabilisation
des marchés financiers.
Déc. Comm. CE, 14 mai 2009, aff. COMP/M.5508, SoFFin/Hypo Real Estate
Le 15 mai 2009, la Commission a autorisé l’acquisition de la
banque allemande Hypo Real Estate par le Fonds de stabilisation des marchés financiers contrôlé par l’État allemand
(Sonderfonds Finanzmarktstabilisierung ou SoFFin). Il s’agit
de la première nationalisation d’une banque autorisée par la
Commission en application des règles sur le contrôle des
concentrations depuis le début de la crise financière (pour un
rapprochement entre deux sociétés privées dans le contexte de la crise, cf. Déc. Comm. CE,
3 déc. 2008, aff. COMP/M.5384, BNP Paribas/Fortis, RLC 2009/19, n° 1330, obs. Bure (de) F.).
Hypo Real Estate est un groupe allemand actif dans le financement de l’immobilier commercial et des infrastructures. Le
groupe a été victime de la crise des subprimes et a bénéficié
de plusieurs aides accordées par le gouvernement allemand.
Ces aides se sont toutefois avérées insuffisantes et en avril 2009,
SoFFin a lancé une offre publique pour acquérir l’intégralité
des actions d’Hypo Real Estate. SoFFin est un organisme public créé par l’État allemand en octobre 2008 et utilisé comme
véhicule d’intervention publique dans le cadre de la crise
financière.
La Commission a constaté que postérieurement à l’opération,
Hypo Real Estate serait contrôlée par SoFFin et cesserait d’agir
en tant qu’entité économique distincte et autonome. SoFFin est
administré par l’Agence de stabilisation des marchés financiers
et celle-ci est dirigée par un comité exécutif dont les membres
sont désignés par le ministère fédéral des Finances. Ce dernier
contrôle également l’un des concurrents d’Hypo Real Estate, la
banque publique Kreditanstalt für Wiederaufbau (« KfW »). La
Commission a dès lors examiné le chevauchement entre les activités d’Hypo Real Estate et KfW. Elle a conclu que l’opération
n’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence car les
parts de marché combinées des deux banques ne dépassaient
20 % sur aucun des marchés pertinents.
Tout en autorisant la nationalisation d’Hypo Real Estate, la
Commission a ouvert une enquête approfondie concernant
les aides accordées par l’Allemagne à cette banque (cf. Communiqué Comm. CE n° IP/09/712, 7 mai 2009).
I.G.
RLC
limitée pour inciter EADS à relâcher la pression concurrentielle que ce groupe exerce sur Thales ;
– Dassault Aviation fournit Thales en équipements pyrotechniques pour satellites (Dassault Aviation est notamment l’unique
fabricant français des initiateurs pyrotechniques). Toutefois,
la Commission a estimé que les risques de forclusion sur le
marché français des satellites militaires étaient très limités
puisque les équipements pyrotechniques ne représentent
qu’une infime partie du prix total d’un satellite (estimé à
0,05 % par les parties) et toute variation du prix de ces composantes aurait un impact négligeable sur le coût de la production d’un satellite. De surcroît, ces équipements ne font
pas partie des composantes stratégiques et les fournisseurs
pourraient inclure des équipements d’origine étrangère dans
des satellites militaires destinés aux autorités françaises.
La Commission a également examiné les effets de l’opération
dans le secteur aéronautique. Dassault Aviation est un fabricant d’avions d’affaires, d’avions de combat et de simulateurs
de vol, alors que Thales est un fournisseur de produits avioniques et non avioniques. L’examen de la Commission a notamment porté sur les marchés suivants :
– les drones militaires : Thales fournit des radars dans le cadre
de deux programmes de développement de drones, dont l’un
est piloté par EADS et l’autre par un consortium composé de
Dassault Aviation, Indra et Thales. La Commission a conclu
que l’État français, qui contrôle conjointement Thales et qui
est aussi l’unique acheteur des drones militaires en France,
ne laisserait pas Thales se retirer du programme développé
par EADS pour favoriser celui de Dassault Aviation ;
– l’avionique militaire : Dassault Aviation est l’unique fournisseur d’avions de combat (Rafale) à l’État français alors que
Thalesfournit la quasi-totalité de l’avionique de Rafale. La
Commission a cependant noté que les programmes militaires
des avions de combat en France étaient figés pour les 20 ou
30 prochaines années, ce qui limitait toute possibilité de changement de fournisseurs de systèmes avioniques et non avioniques. En conséquence, l’intégration verticale des activités
des parties n’aurait pas d’impact sur la concurrence à court
ou moyen terme ;
– la simulation de vol militaire : Dassault Aviation et Thales
réalisent les simulateurs du Rafale dans le cadre d’un partenariat et détiennent une part de marché cumulée de 90-100 %
sur le marché français des simulateurs de vol militaire. Leur
part de marché européenne est d’environ 50-60 % ; toutefois,
le chevauchement de leurs activités en dehors de la France
est très limité. Le ministère de la Défense français est fortement impliqué dans les programmes développés par les parties et n’envisage pas d’autre programme de simulation ou
d’avion de combat à court ou moyen terme. Le ministère de
la Défense a indiqué que l’opération ne serait pas susceptible
de conduire à une augmentation des prix ou à une dégradation de la qualité des produits. La Commission en a déduit
que l’opération ne modifierait pas substantiellement la structure du marché.
L’analyse de la Commission est conforme à sa pratique décisionnelle relative à l’industrie de la défense. Dans ce secteur,
la Commission accepte généralement un degré de concentration et d’intégration verticale relativement élevé, compte tenu
du pouvoir de négociation des acheteurs (les ministères de la
Défense) et de l’intensité capitalistique de cette industrie
(cf. Déc. Comm. CE, 4 avr. 2007, aff. COMP/M.4403, Thales/Finmeccanica/Alcatel Alenia
Space & Telespazio, RCL 2007/13, n° 891, obs. Gérard D.).
RLC
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
1391
Rejet de l’argument
de l’entreprise défaillante
à l’occasion d’une opération
de concentration dans
le secteur des batteries
de démarrage automobile
La Commission autorise, à l’issue d’une enquête
approfondie et sous réserve d’engagements, une
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
19
Déc. Comm. CE, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm
Le 5 mai 2009, la Commission a mis en ligne une décision du
10 mai 2007, dans laquelle elle avait approuvé à l’issue d’une
enquête approfondie de Phase II, le rachat par l’allemand VB
Autobatterie des activités de batteries de démarrage automobile du groupe italien Fiamm.
Les deux parties à l’opération étaient actives dans la fourniture de batteries de démarrage pour voitures et poids lourds
(i) sur le marché européen « de première monte » à destination des constructeurs de voitures et de poids lourds et (ii)
sur les marchés nationaux « de seconde monte » à destination
des réparateurs indépendants, des grossistes en pièces détachées, des supermarchés et des autres points de vente au détail. La Commission a par ailleurs considéré que les batteries
de démarrage destinées aux voitures et les batteries de démarrage destinées aux poids lourds appartenaient à des marchés distincts.
Sur les marchés de première monte, la Commission craignait
en particulier que l’opération, telle qu’initialement notifiée,
ne crée ou ne renforce la position dominante de VB Autobatterie tant sur les batteries de démarrage destinées aux
voitures (55 à 65 % de parts de marché) que sur celles destinées aux poids lourds (entre 50 et 60 % de parts de marché), limitant ainsi considérablement la possibilité pour les
constructeurs de voitures et de poids lourds de changer de
fournisseur.
Sur les marchés de seconde monte, la Commission estimait
que la combinaison des marques bien implantées de VB Autobatterie avec les marques nationales porteuses de Fiamm
pouvait conférer une position très forte à la nouvelle entité
dans quatre États membres : l’Autriche (45-65 % de parts de
marché), l’Italie (50-60 % de parts de marché), la République
tchèque (60-75 % de parts de marché) et la Slovaquie (entre
45-60 % de parts de marché).
Les mesures correctives proposées par les parties incluent notamment la cession de capacités de production de batteries
destinées aux marchés de première monte, ainsi que la cession de plusieurs marques reconnues de Fiamm distribuées
sur les marchés de seconde monte autrichien, italien, tchèque
et slovaque.
L’intérêt particulier que présente cette décision, ainsi que son
actualité, tient au fait que les parties avaient avancé l’argument de l’entreprise défaillante (ou « failing firm defense »)
en invoquant les graves problèmes de liquidités rencontrés
par le groupe Fiamm et le risque d’ouverture d’une procédure
de liquidation judiciaire à son encontre. En effet, malgré la
profitabilité des autres divisions du groupe Fiamm, la division batteries de démarrage automobile représentait environ
40-50 % des ventes et subissait de lourdes pertes depuis plusieurs années, mettant en danger l’ensemble du groupe. Dès
lors, les parties soutenaient que l’éventuel impact anticoncurrentiel de l’opération était moins grave que l’atteinte à la
concurrence qui aurait résulté de la disparition de Fiamm.
La Commission a donc examiné si les trois conditions cumulatives définies dans l’affaire Kali und Salz (Déc. Comm. CE, 14 déc.
1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz/MdK/Treuhand) étaient réunies. Elle a conclu
que seules les deux premières conditions étaient remplies :
– (i) si la concentration n’avait pas lieu, Fiamm serait probablement placée en liquidation judiciaire à court terme (ou à
20
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
tout le moins la division batterie de démarrage automobile
disparaîtrait du marché) ;
– (ii) il est peu probable que Fiamm pourrait trouver un autre
acheteur qui poserait moins de problèmes de concurrence ;
– (iii) toutefois, il n’est pas suffisamment démontré que, si la
concentration n’avait pas lieu, tous les actifs de la division
batterie de démarrage automobile disparaîtraient inévitablement du marché. En effet, la Commission évoque la possibilité que certains actifs puissent être rachetés par des plus petits producteurs (ou même par JCI) pendant la procédure de
liquidation judiciaire et, par conséquent, remis sur le marché
à moyen terme.
Au-delà de l’analyse « classique » fondée sur l’examen des
trois critères évoqués plus haut, la Commission s’est livrée à
une comparaison entre le scénario de l’entreprise défaillante
et celui de la concentration. En effet, même lorsque l’un des
trois critères de Kali und Salz n’est pas rempli, la Commission doit évaluer si le scénario de la défaillance n’est pas plus
restrictif de concurrence que celui de la concentration. En l’espèce, la Commission a conclu que pour chacun des marchés
concernés les effets anticoncurrentiels engendrés par une disparition de la branche défaillante du groupe Fiamm seraient
plus limités dans le temps et donc moins néfastes que les effets induits par l’opération de concentration.
Cette décision confirme ainsi que la Commission est prête à
examiner l’argument de l’entreprise défaillante, mais qu’elle
exigera des parties d’apporter des preuves particulièrement
solides.
F. de B.
OBSERVATIONS • Pour une étude plus générale, voir dans cette rubrique,
Winckler A., La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense » :
une renaissance dans la crise ?, RLC 2009/20, n° 1387
RLC
concentration entre le premier et le troisième fabricant
de batteries de démarrage automobile au sein
de l’Espace économique européen, mais rejette
l’argument de l’entreprise défaillante.
1392
Concentration sous conditions
dans le secteur de la viande
Après plusieurs mois d’étude, le ministre de l’Économie
a autorisé sous conditions le rapprochement entre
Socopa Viandes et le Groupe Bigard, les deux
principaux acteurs de la production industrielle
de viande de boucherie en France.
Lettre min. Éco., n° C2008-100, 17 févr. 2009, Groupe Bigard/Socopa
Viandes
Par un dossier notifié le 14 novembre 2008 mais déclaré
complet seulement le 11 février 2009, le ministre de
l’Économie a finalement autorisé le 17 février 2009, au
terme d’une procédure de Phase I, l’acquisition de Socopa
Viandes par le Groupe Bigard sous réserve d’engagements.
L’opération concernait les marchés de l’abattage d’animaux (première transformation), du désossage et de la
découpe des carcasses (deuxième transformation), de la
mise en barquettes de viande prête à cuire (troisième transformation) et de la fabrication de produits élaborés à base
de viande (quatrième transformation). Le ministre a considéré que ces marchés devaient être sous-segmentés en
fonction notamment du type de viande (ovine, porcine et
bovine), du canal de distribution, du type de produit, de
son positionnement. La dimension géographique était nationale, régionale ou locale selon les marchés de produits
(en particulier le marché de la première transformation a
été analysé aux niveaux locaux et régionaux). En raison
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
Droit I Économie I Régulation
ter l’entrée ou la progression sur le segment des marques
de fabricants d’un tiers, qui bénéficiera par ailleurs des
investissements publicitaires consacrés par le Groupe Bigard à cette marque, en particulier pour la distribution
d’autres produits carnés (à base de viande porcine notamment).
Sur les effets congloméraux, le ministre sème le doute sur
la grille d’analyse à retenir pour apprécier les effets de
gamme. Dans la décision Somfy/Zürfluh-Feller, le ministre
avait examiné, conformément aux lignes directrices de la
Commission européenne sur l’appréciation des concentrations non horizontales, (i) la capacité de la nouvelle
entité à évincer ses concurrents, (ii) son intérêt économique à le faire et (iii) l’incidence d’une telle stratégie
sur la concurrence (Lettre min. Éco. n° C2007-171, 12 juin 2008, Somfy/Zürfluh-Feller). Pour établir la première condition, le ministre
avait pris soin de caractériser les critères posés par les
lignes directrices de la DGCCRF, à savoir : (i) l’existence
d’une forte position sur au moins un des marchés connexes,
(ii) le caractère déterminant de la détention d’une gamme
de produits étendue pour les clients et (iii) l’incapacité
des concurrents à proposer une gamme aussi complète.
Dans la présente décision, le ministre s’écarte de la grille
d’analyse de la Commission et se limite à caractériser les
trois critères précités des lignes directrices de la DGCCRF,
s’abstenant ainsi de démontrer l’intérêt économique de
la nouvelle entité à évincer ses concurrents et d’analyser
l’incidence d’une telle stratégie sur la concurrence. Ce faisant, le ministre retient l’existence d’un risque anticoncurrentiel de nature conglomérale sur les marchés de troisième et quatrième transformation. Pour atténuer ce risque,
les parties se sont donc engagées pour une durée de cinq
ans à (i) ne pas proposer à leurs clients de quelconque
avantage dont la contrepartie serait l’achat simultané de
plusieurs produits différents et à (ii) ne pas subordonner
l’octroi d’une réduction de prix sur un produit à l’achat
d’un ou plusieurs autres produits. Les parties se sont également engagées à ne pas subordonner la vente d’un produit à l’achat simultané d’un ou plusieurs autres produits
pendant une durée de cinq ans à compter de la présente
décision.
S’agissant enfin des effets verticaux, la relative faiblesse
des parts de marché sur les marchés verticalement affectés et l’existence de nombreux débouchés et sources d’approvisionnement alternatifs permettent au ministre d’exclure tout risque de forclusion tant sur les marchés amont
que sur les marchés aval.
Jean-Baptiste PINÇON
Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP
RLC
de la présence simultanée des parties sur chacun des
quatre stades de transformation de la viande, et ce pour
tous les types de viande et tous les canaux de distribution, le ministre a analysé les effets horizontaux, congloméraux et verticaux de l’opération.
S’agissant des effets horizontaux, le ministre a considéré
que l’opération était de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de première, deuxième et troisième
transformation de la viande bovine (hors veau) et, au
stade de la quatrième transformation, sur le marché des
viandes marinées.
En premier lieu, le ministre a identifié des risques de création d’une puissance d’achat sur les marchés de viande
bovine au stade de la première transformation dans les
zones nord et est de la France et de la deuxième transformation au niveau national. Afin de remédier à ces risques,
les parties ont pris l’engagement de céder plusieurs abattoirs comportant des ateliers de première et deuxième
transformation. De manière plus surprenante, le ministre
a écarté tout risque d’atteinte à la concurrence, au stade
de la première transformation, sur le marché de la collecte de bovins destinés à l’abattage en zone ouest, après
avoir pourtant identifié 13 marchés locaux sur lesquels
les parties détenaient des parts de marché cumulées supérieures à 40 % (supérieures à 70 % sur deux de ces
marchés). Le ministre a procédé à une analyse globale de
la zone ouest et s’est limité à souligner, sans distinguer
selon les marchés locaux, (i) l’existence d’une forte concurrence et (ii) les capacités de production excédentaires des
abattoirs concurrents, de nature à offrir des débouchés
alternatifs pour les fournisseurs de bovins.
En deuxième lieu, le ministre a relevé que la nouvelle entité serait susceptible de se comporter de manière indépendante de ses concurrents sur le marché de la troisième
transformation de la viande bovine au niveau national
(en raison de parts de marché cumulées très élevées, supérieures à 70 % sur certains segments, et de l’absence
d’offre équivalente en termes de profondeur de gamme et
de positionnement de prix). L’engagement de cession de
deux sites de troisième transformation est toutefois de nature à limiter les risques d’atteinte à la concurrence, en
réduisant sensiblement les incréments de parts de marché liés à l’opération. Le ministre a également pris en
compte les capacités de production excédentaires des
concurrents et la puissance d’achat des clients, notamment les grandes et moyennes surfaces.
En troisième lieu, l’opération aurait été susceptible d’entraîner la création d’une position dominante sur le marché de la production de viandes marinées à destination
des grandes et moyennes surfaces (quatrième transformation), en particulier sur le segment des viandes vendues
sous marque de fabricant. Sur ce segment, la nouvelle entité disposerait en effet des trois grandes marques de
viandes marinées (Bigard, Charal et Valtero) et détiendrait une part de marché supérieure à 70 %. Les parties
se sont donc engagées à conclure avec un tiers une licence
exclusive de la marque Valtero portant sur la vente des
produits à base de viande bovine destinés aux grandes et
moyennes surfaces. Le ministre autorise ainsi un partage
de marque, souvent vu d’un mauvais œil par les autorités communautaires, la nouvelle entité conservant l’exploitation de cette marque pour les autres canaux de distribution et types de viande. Le ministre retient que la
licence de cette marque notoire est susceptible de facili-
1393
Comment vendre et garder
le contrôle
Le ministre de l’Économie a considéré qu’un accord
commercial signé concomitamment à l’opération était
suffisant pour donner le contrôle conjoint au vendeur.
Lettre min. Éco., Ind. et Emploi n° C2008/129, 5 mars 2009, aux conseils
de la société Pédandel, relative à une concentration dans le secteur
des boissons, BOCCRF 27 avr. 2009
Le 5 mars 2009, le ministre de l’Économie a autorisé l’acquisition par le Groupe Bertrand Distribution de plusieurs >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
21
de la Commission en vertu du règlement n° 139/2004/CE du Conseil relatif au contrôle
des opérations de concentration entre entreprises, pt. 20, JOUE 21 févr. 2009, n° C 43).
Par ailleurs, le ministre a considéré que l’accord commercial conclu entre Inbev et Groupe Bertrand ne constituait
pas une restriction accessoire et n’était donc pas « couvert » par la décision d’autorisation. En effet, selon le ministre, l’accord n’était pas lié et nécessaire à l’opération
puisque ses dispositions ne visaient pas à assurer la survie des actifs cédés ou le démarrage de la nouvelle entité.
L’analyse peut surprendre puisque le ministre a considéré
dans le même temps que l’accord constituait un élément
déterminant de l’opération qui justifiait à lui seul l’existence d’un contrôle conjoint. En outre, le ministre a examiné l’impact de l’accord sur la concurrence dans son
22
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
analyse des effets verticaux et a conclu à l’absence d’effets significatifs. Dès lors, il aurait semblé logique de le
faire bénéficier du régime des restrictions accessoires.
F. de B.
RLC
filiales d’Inbev actives dans la distribution de bière en
France. Inbev est le leader mondial de l’industrie brassicole. Le Groupe Bertrand est un négociant en gros et demi
gros de boissons à destination des Cafés-Hôtels-Restaurants (« CHR ») en France. Au terme de l’opération, Inbev
a néanmoins conservé une action dans chacune des sociétés cédées.
L’opération ne posait pas de problème de concurrence particulier en raison des parts de marché limitées du Groupe
Bertrand sur les marchés nationaux et régionaux de la distribution de boissons en France. Le principal intérêt de la
décision réside dans l’appréciation par le ministre de la
nature du contrôle exercé sur les sociétés cédées. Le ministre a considéré qu’Inbev conserverait une influence déterminante sur la gestion courante et la politique commerciale des sociétés cédées et en détiendrait donc le
contrôle conjointement au Groupe Bertrand (alors que les
parties avaient notifié une prise de contrôle exclusif par
Groupe Bertrand).
En effet, concomitamment à l’opération, les parties avaient
conclu un accord commercial d’une durée de 10-15 ans
aux termes duquel le Groupe Bertrand s’engageait à se
fournir auprès d’Inbev pour 70-80 % des besoins des sociétés cédées en fûts de bière à destination des CHR. Ces
objectifs de volume étaient assortis de pénalités financières particulièrement importantes (selon les marques,
entre 20 et 60 % du prix de l’hectolitre pour tout hectolitre manquant). L’accord commercial prévoyait également
un système de « reporting » d’informations et de contrôle
particulièrement détaillé et certaines modalités financières
entre le Groupe Bertrand et Inbev.
Le ministre a considéré que les dispositions de l’accord
commercial étaient particulièrement contraignantes pour
Groupe Bertrand et suffisaient à conférer un contrôle
conjoint à Inbev. Il a toutefois appuyé la requalification
de la nature du contrôle par d’autres indices concordants
comme l’existence de droits de veto attachés à l’action
unique détenue par Inbev dans chacune des sociétés cédées (concernant la modification des statuts ou de la composition du capital). On relèvera, qu’en suggérant qu’un
accord de distribution soit susceptible de donner le contrôle
en l’absence de tout lien capitalistique, le ministre s’est
écarté de la pratique décisionnelle de la Commission européenne. Celle-ci considère traditionnellement que « dans
des circonstances exceptionnelles, une situation de dépendance économique peut conduire à un contrôle de fait
lorsque, par exemple, de très importants contrats de livraison à long terme ou des crédits octroyés par des fournisseurs ou des clients, conjugués à des liens structurels, confèrent une influence décisive » (Communication consolidée sur la compétence
1394
Premières décisions
d’autorisation de l’Autorité
de la concurrence
Depuis son entrée en fonction en mars 2009 jusqu’à
la rédaction de cette chronique, l’Autorité de la
concurrence a autorisé huit opérations de concentration.
Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009, relative à la prise de contrôle
de la société Pellier Metz S.A.S. par le groupe Bailly S.A.S. ;
Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009, relative à la prise de contrôle
de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS,
filiale du Groupe Carrefour
Depuis le 2 mars 2009, date de la première réunion du
Collège de l’Autorité de la concurrence, celle-ci exerce les
compétences auparavant dévolues au ministre de l’Économie et à la DGCCRF en matière de contrôle des opérations de concentration.
Aux côtés des trois services d’instruction des affaires d’entente ou d’abus de position dominante, l’Autorité de la
concurrence a créé un « service des concentrations » qui
examine les projets de concentration et prépare les projets
de décision, en sollicitant, le cas échéant, le concours du
service économique. Les décisions sont adoptées par une
formation du Collège ou, s’agissant des décisions de Phase I,
par le président ou un vice-président désigné par lui.
L’Autorité a annoncé qu’elle préparait des lignes directrices relatives au contrôle des opérations de concentration – qui feront l’objet d’une consultation publique – et
qu’entre-temps, elle s’inspirait des méthodes d’analyses
exposées dans les lignes directrices de la DGCCRF
d’avril 2007.
Depuis mars 2009, l’Autorité a adopté huit décisions d’autorisation, dont seulement deux ont été publiées : une décision relative à l’acquisition d’un concessionnaire automobile BMW en Lorraine (Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009)
et une décision relative à l’acquisition par le groupe Carrefour du contrôle exclusif d’un hypermarché dont il
détenait déjà le contrôle conjoint (Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04,
29 avr. 2009).
Ces deux opérations ont pour point commun de n’avoir été
notifiables qu’en vertu du nouveau régime applicable aux
entreprises exploitant des points de vente de détail. En effet, les entreprises dont le changement de contrôle était notifié n’atteignaient pas le seuil « traditionnel » de cinquante
millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé en France ; en
revanche, elles franchissaient le seuil de quinze millions
d’euros réalisé dans le secteur du commerce de détail en
France. Il s’agit des premières opérations ainsi notifiées au
titre de cette nouvelle série de seuils qui a pour vocation
de permettre à l’Autorité de mieux contrôler les conditions
de concurrence dans le secteur de la distribution, et tout
particulièrement de la grande distribution.
S’agissant des définitions de marché, la continuité prévaut : l’Autorité se réfère aussi bien aux précédents de la
Commission européenne qu’à ceux de la DGCCRF.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
Dans la seconde affaire, le groupe Carrefour détiendra, à
l’issue de l’opération, une part de marché de 50 à 54 %
sur le segment local des hypermarchés. L’Autorité estime
néanmoins que l’opération elle-même n’augmente pas le
pouvoir de marché du groupe Carrefour, dans la mesure
où ce dernier ne fait qu’acquérir le contrôle exclusif d’un
hypermarché dont il détenait précédemment le contrôle
conjoint et dont il contrôlait déjà la politique commerciale.
Ces premières affaires auront probablement permis à l’Autorité de « tester » son dispositif avant l’examen de sa première opération de concentration significative, le rapprochement des Caisses d’Épargne et des Banques Populaires.
Ab
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L’Autorité considère que les opérations en cause ne portent pas
atteinte à la concurrence, même si les parts de marché des parties peuvent paraître élevées sur certains segments de marché.
S’agissant de la prise de contrôle du concessionnaire BMW
implanté en Lorraine, la nouvelle entité détiendra, sur un marché local regroupant trois départements, une part de marché
de 12 % sur le marché inter-marques et de 63 % sur le marché intra-marque. L’Autorité indique qu’en matière de distribution automobile, la concurrence inter-marques joue un rôle
plus important que la concurrence intra-marque et que toute
tentative de hausse unilatérale des prix de la nouvelle entité
se heurterait à un report de la demande sur les modèles concurrents de Mercedes ou Audi. De surcroît, la nouvelle entité reste
en concurrence avec d’autres concessionnaires BMW implantés en France, mais aussi en Allemagne et au Luxembourg.
Éric PAROCHE
Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP
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N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
23
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
Sous la responsabilité de Dominique BRAULT, Avocat à la Cour, Ancien rapporteur général de la Commission
de la concurrence, Président d’honneur de l’AFEC, et Véronique SÉLINSKY, Avocat
Par Linda
ARCELINLÉCUYER
Maître de conférences
en droit privé
à la Faculté de droit
de La Rochelle
R LC
Membre du CEJLR
1395
Imputation de l’infraction
et prescription : les enjeux
de la notion d’entreprise
en droit de la concurrence
Les questions d’imputabilité des infractions concurrentielles n’en finissent pas d’alimenter la
jurisprudence. Preuve en est cet arrêt du Tribunal de première instance des Communautés
européennes (TPICE) rendu le 31 mars 2009 dans l’affaire des Poutrelles II. La Commission
européenne avait sanctionné le 8 novembre 2006 trois sociétés du groupe ARBED (ArcelorMittal
aujourd’hui), à savoir ARBED, TradeARBED et ProfilARBED, pour avoir violé l’article 65,
paragraphe 1, CECA prohibant les ententes. ARBED produisait les poutrelles en acier,
TradeARBED, sa filiale à 100 %, distribuait moyennant commission ces poutrelles et
ProfilARBED, filiale à 100 % d’ARBED, avait par la suite repris les activités de production des
poutrelles d’ARBED. Seule TradeARBED avait participé à l’entente, ce qui n’a pas empêché la
Commission de reconnaître solidairement responsables ARBED et ProfilARBED. Le TPICE rejette
cette solidarité mais pour des questions de prescription.
TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg, ArcelorMittal Belval & Differdange, ArcelorMittal International c/ Commission
I. – IMPUTATION DE L’INFRACTION À LA SOCIÉTÉ
MÈRE DE LA FILIALE À 100 %
En principe, une filiale est présumée autonome d’un point
de vue économique en raison de sa personnalité juridique
distincte de celle de sa société mère. Cependant, lorsque
la filiale est détenue à 100 %, c’est une autre présomption qui joue. De façon tout à fait traditionnelle (TPICE,
1er avr. 1993, aff. T-65/89, BPB Industries Pic et British Gypsum Limited c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 493, Contrats, conc., consom. 1993, comm. 94, obs. Vogel L.,
Europe juin 1993, comm. 249, obs. Idot L. ; cf., également, TPICE, 14 mai 1998, aff.
T-354/94, Stora Kopparbergs Bergslags AB c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2111, Europe juill. 1998, comm. 251, obs. Idot L. ; TPICE, 20 avr. 1999, aff. jtes. T-305/94,
T-306/94, T-307/94, T-313/94, T-314/94, T-315/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94,
T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Limburgse Vinyl Maatschappij NV e.a. c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 931, Europe juin 1999, comm. 219, obs. Idot L. ; CJCE, 16 nov.
2000, aff. C-286/98 P, Stora Kopparbergs Bergslags AB, Rec. CJCE, I, p. 9925, Europe
janv. 2001, comm. 30, obs. Idot L., Contrats, conc., consom. 2001, comm. 30, obs.
Poillot-Peruzzetto S. ; TPICE, 13 déc. 2001, aff. jtes. T-45 et T-47/98, Krupp-Thyssen,
Europe févr. 2002, comm. 62, obs. Idot L., RTD com. 2002, p. 132, obs. Blaise J.-B. et
Idot L. ; TPICE, 15 juin 2005, aff. jtes. T-71/03, T-74/03, T-87/03 et T-91/03, Tokai Carbon c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1711 ; TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-314/01, Avebe
c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 3085 ; TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-30/05, Prym ;
TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-112/05, AkzoNobel c/ Commission, Europe févr. 2008,
comm. 60, obs. Idot L. ; cf. Krenzer A., Présomption de responsabilité des sociétés
mères du fait de leurs filiales en droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles, RLC 2008/15, n° 1116), le Tribunal vient en effet rappeler
Droit I Économie I Régulation
que « dans le cas particulier où une société mère contrôle
à 100 % sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption réfutable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (…) et
constitue donc avec celle-ci une seule entreprise au sens
de l’article 81 CE ». Cette autonomie n’est pas circonscrite au domaine de l’infraction mais s’apprécie plus globalement. Le TPICE note ainsi que ce n’est pas « une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société
mère et sa filiale (…) mais le fait qu’elles constituent une
seule et même entreprise (…) qui habilite la Commission
à adresser la décision imposant des amendes à la société
mère d’un groupe de sociétés ». Le travail de la Commission est allégé : il lui suffit, expose le TPICE, de prouver
que « la totalité du capital d’une filiale est détenue par
sa société mère pour que la présomption que cette dernière
exerce une influence déterminante sur le comportement
de la filiale sur le marché soit établie. La Commission sera
en mesure, par la suite, de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à la filiale ». Le critère d’imputabilité de l’infraction
est donc fondé sur la détention du capital social et non
sur la participation de la société mère à l’infraction. C’est
en vain que cette dernière invoque la pratique de la Commission consistant à « adresser sa décision à la société
mère lorsqu’il existe des preuves précises impliquant celle- >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
25
IMPUTATION DE L’INFRACTION ET PRESCRIPTION : LES ENJEUX DE LA NOTION D’ENTREPRISE EN DROIT DE LA CONCURRENCE
ci dans la participation de sa filiale à l’entente ». Pour le
juge communautaire, si la Commission a apporté d’autres
éléments, il ne s’agit que d’« éléments de preuve additionnels, qui, par-delà la présomption tirée de la détention par la société mère de la totalité du capital de sa filiale, sont venus confirmer non pas la participation
matérielle effective d’ARBED aux infractions en cause,
mais l’influence déterminante de celle-ci sur le comportement de TradeARBED et l’usage effectif de ce pouvoir ».
La seule échappatoire de la société mère réside dans le
renversement de cette présomption par la démonstration
de l’autonomie économique de la filiale – ce qui, au vu
de la jurisprudence, est loin d’être aisé (pour les éléments exigés, cf. Arcelin-Lécuyer L., Notion d’entreprise en droit interne et communautaire de
la concurrence, J-Cl. Concurrence Consommation, Fasc. 35). En revanche,
l’argument selon lequel elle n’aurait pas participé à l’infraction est inopérant.
ARBED, soit l’exploitant initial. Selon elles, la Commission
aurait dû choisir entre les deux : l’exploitant initial ou son
successeur économique. Cependant, la solidarité s’impose
ici en raison de l’unité économique que composent les sociétés du groupe ARBED. Contrairement à l’affaire ETI où
le successeur économique a supporté l’amende intégralement puisque l’exploitant initial ne faisait plus partie du
groupe au moment de la décision de la Commission ; dans
la présente espèce, ARBED est restée membre du groupe de
sociétés. Dans ces conditions, la solidarité apparaît « comme
une conséquence normale de l’imputation de responsabilité
du comportement d’une société à une autre, en particulier
lorsque ces deux sociétés constituent une même entreprise ».
Mais encore faut-il pour que la solidarité soit admise que
l’infraction puisse « être également constatée dans le chef »
d’ARBED, ce qui était le cas.
III. – NOTION D’ENTREPRISE ET PRESCRIPTION
II. – IMPUTATION DE L’INFRACTION AU SUCCESSEUR
ÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ MÈRE
La présente espèce montre les limites de la notion d’entreprise face à la prescription. En effet, ARBED avait intenté un recours devant le juge communautaire lors de
C’est encore dans la droite ligne de la jurisprudence anla première affaire des Poutrelles, ce qui avait eu pour eftérieure que le TPICE condamne ProfilARBED en tant que
fet de suspendre la prescription. La
successeur économique d’ARBED dans
Commission avait rendu sa décision
le domaine de la production des pouLe principe selon lequel
en respectant alors le délai quinquentrelles au sein du groupe ARBED. Le
la personne juridique qui
nal. La question se posait de savoir
principe selon lequel la personne juexploitait l’entreprise au
si les autres contrevenantes pouvaient
ridique qui exploitait l’entreprise au
moment des faits reste
se voir opposer cette suspension de
moment des faits reste responsable
responsable de l’infraction
prescription.
de l’infraction tant qu’elle subsiste,
Dans une argumentation assez déveconnaît en effet une exception en prétant qu’elle subsiste,
loppée, le TPICE rappelle que la sussence d’un groupe de sociétés (TPICE,
connaît en effet une
pension, comme l’interruption, consti15 mars 2000, aff. jtes. T-25/95, T-26/95, T-30/95,
exception en présence
tuent une exception au principe de la
T-31/95, T-32/95, T-34/95, T-35/95, T-36/95, T-37/95,
d’un groupe de sociétés.
prescription quinquennale et qu’elles
T-38/95, T-39/95, T-42/95, T-43/95, T-44/95, T-45/95,
doivent être interprétées de manière
T-46/95, T-48/95, T-50/95, T-51/95, T-52/95, T-53/95,
restrictive. Toutefois, leur régime diffère : « à la différence
T-54/95, T-55/95, T-56/95, T-57/95, T-58/95, T-59/95, T-60/95, T-61/95, T-62/95,
de l’interruption de la prescription, qui vise à permettre à
T-63/95, T-64/95, T-65/95, T-68/95, T-69/95, T-70/95, T-71/95, T-87/95, T-88/95,
la Commission de poursuivre et de sanctionner efficaceT-103/95 et T-104/95, Cimenteries, Rec. CJCE, II, p. 491 ; CJCE, 7 janv. 2004, aff. jtes.
ment les infractions aux règles de concurrence, la suspenC-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Aalborg
sion de la prescription concerne, par définition, une hypoPortland c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 123 ; TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-43/02,
thèse dans laquelle la Commission a déjà adopté une
Jungbunzlauer AG c/ Commission ; CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-280/06, Autorità Gadécision ». Une procédure intentée devant le juge comrante della Concorrenza e del Mercato c/ Ente Tabacchi Italiani (ETI), RLC 2008/14,
munautaire n’a qu’un effet inter partes. C’est en vain que
n° 978, obs. Arcelin-Lécuyer L. ; cf. Arcelin-Lécuyer L., Imputabilité des pratiques
la Commission a recours au concept d’entreprise et à
anticoncurrentielles en cas de modification juridique et/ou économique de l’auteur,
l’unité économique qu’elle représente pour étendre les efJ.-Cl. Concurrence Consommation, 2009, à paraître). « En cas de transfert
fets de la suspension à l’ensemble des sociétés en cause.
de tout ou partie des activités économiques d’une entité
Le Tribunal consent que « s’il est vrai que les règles de
juridique à une autre, expose le Tribunal, la responsabiconcurrence du Traité s’adressent à des entreprises, il n’en
lité de l’infraction commise par l’exploitant initial, dans
demeure pas moins que, aux fins de l’application et de
le cadre des activités en question, peut être imputée au
l’exécution des décisions de la Commission en la matière,
nouvel exploitant si celui-ci constitue avec celui-là une
il est nécessaire d’identifier, en tant que destinataire, une
même entité économique aux fins de l’application des
entité dotée de la personnalité juridique, que la commurègles de concurrence, et ce même si l’exploitant initial
nication des griefs doit préciser sans équivoque la personne
existe encore en tant qu’entité juridique ». Comme en
juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes
convenait déjà l’avocat général Kokott dans ses concluet être adressée à cette dernière ». Et le TPICE de conclure :
sions sous l’arrêt ETI, l’application stricte du principe
« cette personne juridique est seule à même d’introduire
pourrait conduire l’exploitant initial à devenir « une
un recours contre la décision adoptée à l’issue de la procoquille vide » à la suite de la restructuration interne
cédure administrative et, dès lors, elle est seule susceptible
du groupe et à priver ainsi la sanction de toute effectide se voir opposer la suspension de la prescription ».
vité ( cf. Concl. av. gén. Kokott, 3 juill. 2007, pt. 79 ; CJCE, 11 déc. 2007,
Dès lors, seule ARBED peut être mise en cause, excluant
aff. C-280/06, ETI ).
la responsabilité de TradeARBED et de ProfilARBED (sur
Si les parties n’ont pas discuté l’imputation de l’infraction
à ProfilARBED, elles ont en revanche contesté le fait que la
cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Droit processuel de la concurrence », BarCommission tienne également pour responsable solidaire
bier de la Serre E., RLC 2009/20, n° 1430). ◆
26
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
1397
Téléphonie mobile
et pratiques concertées
COMPÉTENCE
RLC
PREUVE
RLC
PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
1396
Arrêt cardiaque
Une seule réunion entre sociétés peut constituer une
pratique concertée contraire au droit communautaire
de la concurrence.
Plusieurs sociétés médicales contestent la décision
du Conseil de la concurrence concernant l’acquisition
de défibrillateurs cardiaques.
CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands BV e.a. c/ Raad van
bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit ;
Communiqué CJCE n° 47/09, 4 juin 2009
CA Paris, 1re ch., sect. H, 8 avr. 2009, n° RG : 2008/01092
D-49, 19 déc. 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Biotronik, Ela Medical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Medical à l’occasion de la passation d’un appel d’offres lancé par le CHU de Montpellier).
L’entente avait consisté à mettre en échec une nouvelle
procédure d’achat en commun pour obtenir de meilleurs
prix et de meilleurs services. Parmi les questions évoquées, on retiendra celle portant sur la compétence de
l’autorité. En effet, les entreprises sanctionnées invoquaient l’irrégularité de cette nouvelle procédure d’appel
d’offres : elles considéraient en conséquence que le juge
administratif était seul compétent, étant précisé qu’aucune des entreprises condamnées n’y avait participé
puisque ce qui leur était reproché était précisément le refus de répondre. Très classiquement, la Cour d’appel de
Paris rappelle les conditions de la répartition des compétences entre le juge et l’autorité de concurrence, et la possibilité de qualifier une entente illicite « passive » résultant d’un refus collectif de donner suite à un appel d’offres.
EXTRAIT DE L’ARRÊT
« Considérant que, si le juge administratif est seul compétent pour apprécier la légalité d’un acte administratif, en
l’occurrence la procédure d’appel d’offres, et en prononcer
l’annulation, le Conseil de la concurrence est compétent
pour apprécier, au regard du droit de la concurrence, les
comportements des entreprises auxquelles cet appel d’offres
s’adresse, qu’elles prennent ou non le parti d’y répondre,
et prononcer, le cas échéant, des sanctions et injonctions
à l’encontre de ces entreprises si leur comportement révèle
une entente ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel ;
que l’intervention du juge administratif pour appréhender
la légalité d’un acte administratif ne fait pas obstacle à la
compétence du Conseil pour examiner de telles pratiques,
indépendamment des irrégularités alléguées de l’appel
d’offres ».
Véronique SÉLINSKY
Droit I Économie I Régulation
En 2001, cinq opérateurs de téléphonie mobile néerlandais
s’étaient réunis pour décider d’une réduction de la rémunération standard des revendeurs pour les abonnements et avaient
été condamnés pour entente en première instance. La juridiction nationale saisie de leur recours en appel demandait à la
Cour de justice de préciser si le juge national qui examine
l’existence d’une pratique concertée est tenu d’appliquer la
présomption de causalité énoncée par la jurisprudence et de
déterminer si cette présomption est applicable même dans les
cas où la concertation n’est fondée que sur une seule réunion
des entreprises concernées. La réponse est positive. Le juge
national est tenu d’appliquer cette présomption de causalité
selon laquelle les entreprises participant à la concertation et
demeurant actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pendant ladite réunion pour déterminer leur comportement sur ce marché.
La Cour rappelle que, selon la structure du marché, des contacts
réguliers sur une longue période peuvent être nécessaires pour
mettre en place un système complexe de concertation. Cependant, comme dans le cas d’espèce, une seule concertation
ponctuelle qui vise un paramètre isolé de la concurrence, peut
suffire pour réaliser la finalité anticoncurrentielle recherchée.
Pour la Cour, ce qui importe « n’est pas tant le nombre de réunions entre les entreprises concernées que le fait de savoir si
le ou les contacts qui ont eu lieu ont offert à ces dernières la
possibilité de tenir compte des informations échangées avec
leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le
marché considéré et de substituer sciemment une coopération
pratique entre elles aux risques de la concurrence ».
Pour combattre cette présomption, les entreprises doivent rapporter la preuve que cette concertation n’a pas eu d’influence
sur leur comportement sur ledit marché.
Catherine ROBIN
Avocat, ALERION
RLC
Dans sa décision n° 07-D-49 en date du 19 décembre 2007,
le Conseil de la concurrence avait condamné l’entente
constituée entre les sociétés Biotronik, Ela Medical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Medical qui s’étaient concertées pour refuser de répondre à l’occasion de l’appel
d’offres lancé par le CHU de Montpellier, mandaté par
seize autres centres hospitaliers universitaires, pour se
procurer des défibrillateurs cardiaques (Cons. conc., déc. n° 07-
1398
Recevabilité
des enregistrements sonores
réalisés à l’insu des personnes
enregistrées : la Cour persiste
et signe (de la main
de son Président)
La Cour d’appel de Paris se prononce sur les
modalités d’obtention des enregistrements sonores,
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
27
entre loyauté de la preuve et volonté de lutte contre
les ententes secrètes.
CA Paris, 29 avr. 2009, 1re ch., sect. H, n° RG : 2008/11907, Philips France e.a.
1. En l’absence de texte réglementant la production des
preuves par les parties à l’occasion de procédures suivies
devant l’Autorité de la concurrence sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, la question
est souvent au centre des débats : l’objet de la preuve
(notamment la question de la concertation dans le cas des
ententes verticales) et les modes de preuve (documentaires
ou pas), ainsi que les modalités de leur obtention, constituent des préoccupations récurrentes. Rappelons brièvement
les données du problème : dans une décision n° 05-D-66
rendue le 5 décembre 2005, le Conseil de la concurrence
avait admis la possibilité pour une partie de produire des
enregistrements de conversations téléphoniques réalisés à
l’insu de l’interlocuteur. Dans un arrêt du 19 juin 2007, la
Cour d’appel de Paris avait approuvé cette position en se
fondant, notamment, sur l’« autonomie procédurale tant à
l’égard du droit judiciaire privé national qu’à l’égard du droit
communautaire » dont bénéficie l’autorité française de concurrence. Deux limites étaient malgré tout posées : d’une part,
de tels enregistrements ne pouvaient être produits par des
enquêteurs, auxquels s’impose une exigence de loyauté ;
d’autre part, ils devaient être soumis à la contradiction afin
d’en apprécier la valeur probante.
2. En juin 2008, cet arrêt était cassé par la chambre commerciale de la Cour de cassation : tout en rappelant que l’admissibilité des modes de preuve relève essentiellement du
droit interne, elle jugeait, au visa de l’article 6, paragraphe 1,
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales, que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisé par une partie
à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve »
(Cass. com., 3 juin 2008, nos 07-17.147 et 07-17.196, Bull. civ. IV, n° 112, RLC 2008/17,
n° 1193, note V.S. et S.C.; CA Paris, 1re ch., sect. H., 19 juin 2007, n° RG 2006/00628, Philips France e.a., RLC 2007/13, n° 894, note V.S. et RLC 2007/13, n° 937 note B.C.; Cons.
conc., déc. n° 05-D-66, 5 déc. 2005, secteur des produits d’électronique grand public, RTD
com. 2006, p. 325, obs. Claudel E.; Momège C., Le Conseil de la concurrence reconnaît
la possibilité pour les parties d’utiliser les enregistrements sonores effectués à l’insu des
intéressés, mais en borne l’exercice?, Concurrences, 1-2006, p. 157; Nourissat C., Admission d’enregistrements au rang des modes de preuves : attention danger!, RLC 2006/6,
n° 459 ; Arcelin L., L’alliance raisonnable entre droit de la concurrence et CEDH, RLC
2007/11, n° 804; RLC 2006/6, n° 459, obs. Nourissat C.; Sélinsky V., Sévérité renforcée
à l’égard des accords verticaux, RLC 2006/6, n° 488).
3. Sur renvoi, la Cour de Paris vient de rendre un arrêt en
formation solennelle par lequel elle résiste à la Cour de cassation. Selon la Cour d’appel, en effet, si « l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à la lumière
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme, implique que chaque partie dispose de la faculté,
non seulement de faire connaître les éléments nécessaires au
succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance
et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en
vue d’influencer sa décision, (...) il n’emporte en lui-même
aucune conséquence quant à l’admissibilité des preuves, qui
demeure régie par le droit national, mais exige seulement que
la procédure, prise dans son ensemble, garantisse un procès
équitable ».
28
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
« Si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal
à l’égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être exclus du débat et ainsi
privés de toute vertu probante par la seule application d’un
principe énoncé abstraitement, mais seulement s’il est avéré
que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte
au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire
et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ».
4. Si l’on examine de près les arguments de l’arrêt, il est possible d’en distinguer plusieurs, de nature et de portée différentes, par lesquels elle valide le procédé. Ces arguments
tiennent (i) à la nature des propos recueillis, portant exclusivement sur des sujets professionnels, (ii) au comportement
des intéressés qui, loin de protester contre la déloyauté du
procédé ou de renier leurs propos, les ont au contraire confirmés en les explicitant et en apportant des précisions complémentaires, (iii) à la possibilité qui leur est offerte de discuter ces éléments de preuve, (iv) à la nécessité de lutter
contre les ententes secrètes : « dans le contexte particulier
d’ententes qui présentent le plus souvent un caractère occulte,
où les victimes sont généralement désarmées et confrontées
à la difficulté de fournir des éléments suffisamment probants
à l’appui de leur saisine pour caractériser les manœuvres
elles-mêmes déloyales de partenaires économiques puissants
et connaissant bien les lois du marché, comme en l’espèce,
que l’utilisation de tels éléments de preuve n’est pas disproportionnée aux fins poursuivies par le droit de la régulation
économique ».
5. La Cour de Paris, par cet acte de rébellion, estime donc que
les règles relatives à l’admission des preuves dans le cadre de
la procédure civile doivent être écartées au motif que la mission de défense de l’ordre public économique confiée à l’autorité de concurrence justifie un régime dérogatoire, plus proche
de celui admis en procédure pénale. La proximité avec la procédure pénale, si elle ne va pas jusqu’à l’assimilation, est renforcée par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie
dite « LME » et les textes subséquents. Le législateur n’a-t-il
pas souligné – non par inadvertance – la soumission des investigations du droit de la concurrence aux règles de la procédure pénale ? Or, en matière pénale, l’article 427 du Code
de procédure pénale pose le principe de liberté des preuves
tempéré par l’exigence d’une procédure pénale équitable et
impartiale tout en restant efficace. Dans ce cadre général, la
loyauté des preuves n’est pas une exigence légale et dès lors,
la production par une partie d’un procédé de preuve obtenu
de façon déloyale n’est pas, en soi, une cause de rejet (Lemoine P.,
La loyauté de la preuve à travers quelques arrêts récents de la chambre criminelle, Rapp.
C. cass. 2004, p. 141). Ainsi, pour la Cour de Paris, les « ruses de
guerre » doivent être admises dans ces matières où il est fort
difficile pour une victime de réunir des éléments au soutien
de ses affirmations (Carbonnier J., Droit civil, Introduction, PUF, Thémis, 26e éd.,
1999, n° 188, p. 363). De là à aller jusqu’à admettre que la « victime » de pratiques anticoncurrentielles soit totalement déloyale, il y a un fossé que la Cour franchit allègrement. Cette
jurisprudence ne va-t-elle pas développer la tentation d’enregistrer les enquêteurs à leur insu pour contester la régularité
des enquêtes ? Rappelons que l’enquêteur reste pour sa part
soumis au principe de loyauté, ce qui lui interdit de se livrer
à des tromperies et machinations, même pour la bonne cause.
Il y a quelque chose de gênant dans cette disparité et il est
probable que le sujet ne soit pas encore épuisé.
V.S.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
1399
Exclusivité dans les stationsservice
Des éclaircissements sont apportés sur la durée
de l’exclusivité et les pratiques de prix dans les accords
entre pétroliers et stations-service au regard
du règlement n° 2790/1999.
CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-260/07, Pedro IV Servicios c/ Total España SA
Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) était saisie de questions préjudicielles sur l’interprétation des clauses de durée et de prix d’une série d’accords contractuels signés entre une station-service, la société
Pedro IV Servicios (« Pedro IV ») et un pétrolier, Total España
SA (« Total ») pour une durée de vingt ans. La station-service
soutenait la nullité de ces clauses au regard des deux règlements d’exemption applicables pendant cette période, les règlements n° 1984/83 et n° 2790/1999.
Selon les accords contractuels en cause, le terrain appartenait
à Pedro IV qui en avait accordé un « droit de superficie » au
pétrolier, à charge pour lui de construire une station-service
dont Pedro IV devenait propriétaire au terme de la période de
vingt ans. Un deuxième contrat concédait la jouissance de la
station-service à Pedro IV. Un troisième contrat prévoyait un
approvisionnement exclusif en carburants auprès de Total et
la communication par le pétrolier de prix de vente recommandés, tandis que, par un quatrième contrat, Total accordait un
prêt hypothécaire à Pedro IV, garantie par une hypothèque sur
le terrain.
1. Sur la durée de l’exclusivité.– Aux termes de l’article 5, a)
du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 de la Commission, un accord vertical ne peut bénéficier de l’exemption
que si l’exclusivité d’approvisionnement (« l’obligation de nonconcurrence ») mise à la charge du distributeur est limitée à
cinq ans. Le texte prévoit une exception selon laquelle cette
limitation à cinq ans ne s’applique pas lorsque les produits qui
font l’objet de cette exclusivité sont vendus par l’acheteur à
partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée effective ne soit pas supérieure
à la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur. En cela, il est différent du texte antérieur qui prévoyait
que la limitation de durée (de 10 ans) ne s’appliquait pas aux
accords selon lesquels le fournisseur a donné la station-service en location au revendeur et qui autorisait donc une exclusivité d’approvisionnement dont la durée pouvait être calquée sur la période pendant laquelle le revendeur exploite la
station-service (Règl. Comm. CEE n° 1984/83, 22 juin 1983, art. 12, § 1, c).
Selon l’interprétation de la Cour, le règlement ancien n’exigeait
pas, comme le soutenaient Pedro IV et la Commission, que le
fournisseur soit propriétaire du terrain sur lequel la station-service a été construite et donnée en location. En revanche, le règlement en vigueur aujourd’hui exige, pour le bénéfice de
l’exemption et la dérogation à la limitation de durée de cinq
ans, que le fournisseur soit propriétaire tant de la station-service qu’il donne en location au revendeur que du terrain sur
lequel celle-ci est bâtie ou, dans le cas où il n’est pas le propriétaire, qu’il loue des biens à un tiers non lié au revendeur.
Droit I Économie I Régulation
2. Sur la pratique de prix.– Quel que soit le règlement applicable, la pratique du prix de revente imposé entre le fournisseur et le revendeur exclut le bénéfice de toute exemption
par catégorie et peut constituer une pratique d’entente interdite par l’article 81, paragraphe 1, CE. En revanche, la pratique du prix maximal ou du prix recommandé est expressément mentionnée comme étant licite dans le règlement
n° 2790/1999, le règlement antérieur étant muet sur ce point,
même s’il prévoyait expressément l’exclusion des obligations
qui tendaient à limiter la liberté du revendeur de déterminer
librement ses prix de vente.
En l’espèce, aux termes du contrat d’approvisionnement exclusif, le prix de vente au public est recommandé par Total,
sans mention d’un prix maximal. La Cour invite cependant
la juridiction nationale à vérifier « les modalités de la fixation
du prix de vente au public » et de « vérifier, en tenant compte
de l’ensemble des obligations contractuelles prises dans leur
contexte économique et juridique, ainsi que du comportement
des parties au principal, si le prix de vente au public, recommandé par le fournisseur, ne constitue pas, en réalité, un prix
de vente fixe ou minimal » (pt. 79; cf., en ce sens, CJCE, 11 sept. 2008, aff. C279/06, CEPSA, pts. 67 et 70, non encore publié au Recueil).
Cette vérification doit être effectuée in concreto. Le revendeur
doit disposer d’une « possibilité réelle » de diminuer le prix de
vente recommandé et le fournisseur ne doit pas pouvoir lui
imposer le respect de ce prix par des moyens indirects, tels
que la fixation d’une marge de distribution, un niveau maximal de réduction, des menaces, des intimidations, des avertissements, des sanctions ou des mesures d’incitations (pt. 70).
Pour autant, rappelle la Cour, même si la fixation d’un prix
de vente au public est une restriction de concurrence expressément prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE, cette pratique
ne relève du champ de l’interdiction que dans la mesure où
l’accord qui la met en œuvre a pour objet ou pour effet de
restreindre de manière sensible la concurrence à l’intérieur
du marché commun et où il est de nature à affecter le commerce entre États membres (pt. 82). S’agissant des accords
d’achat exclusif, la Cour rappelle la nécessité de vérifier leurs
effets sur la concurrence et « la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel
celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. Il convient, par conséquent, d’analyser les effets que produit un tel contrat, en combinaison avec d’autres contrats de même type, sur les possibilités,
pour les concurrents nationaux ou originaires d’autres États
membres, de s’implanter sur le marché de référence ou d’y
agrandir leur part de marché (cf. CJCE, 28 févr. 1991, aff. C-234/89, Delimitis, pts. 13 à 15, Rec. CJCE, I, p. 935; CJCE, 7 déc. 2000, aff. C-214/99, Neste, pt. 25, Rec.
CJCE, I, p. 11121 et CEPSA, préc., pt. 43) » (pt. 83).
C.R.
RLC
RLC
ENTENTES ILLICITES
1400
Exclusivité
d’approvisionnement
L’exclusivité d’approvisionnement par le paiement
de sommes d’argent et la restriction à la distribution
de produits concurrents est anticoncurrentielle.
Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation
En effectuant des paiements au profit de fabricants, à condition qu’ils retardent ou annulent le lancement d’ordinateurs
équipés d’un microprocesseur concurrent et en leur imposant >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
29
RLC
C.R.
1401
Les pharmaciens d’officine
ne bénéficient pas d’une
exclusivité territoriale
L’Autorité de la concurrence condamne l’Ordre
des pharmaciens de Basse-Normandie pour avoir
encouragé un établissement de soins de se fournir
en médicaments auprès de pharmaciens désignés
sur des critères de proximité.
Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, Ordre des pharmaciens de BasseNormandie
1. Les pharmaciens d’officine sont soumis à un numerus
clausus en vertu duquel ils ne peuvent exploiter une pharmacie que s’ils sont titulaires d’une autorisation. De telles
autorisations sont délivrées de façon limitative pour une
zone donnée, et en fonction de la population de la zone (en
moyenne une officine pour 2 669 habitants). Il est donc certainement tentant pour un pharmacien de considérer, symétriquement, qu’il dispose d’une sorte de priorité d’exploitation sur la zone où il est installé. Mais il n’en est rien. C’est
ainsi que l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie a
été condamné pour avoir incité un établissement de soins
et de séjour (l’EHPAD) à se procurer des médicaments auprès de pharmacies choisies selon un critère de proximité et
non de compétitivité. Contrairement à ce qu’il croyait, à tort,
le « maillage territorial des officines de pharmacie » organisé par le Code de la santé publique (C. santé publ., art. L. 5125-1 et
s.) a uniquement pour objet de garantir la desserte de la population en médicaments et non celui de garantir une clientèle à chaque pharmacie. Il n’existe donc pas de monopole
territorial légal des pharmacies.
2. Ce n’est pas la première fois qu’un ordre professionnel
est vu comme le support d’une entente illicite. Tel est le
cas chaque fois qu’un tel organisme agit en dehors du strict
cadre des missions qui lui sont confiées par les pouvoirs
30
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
publics (Cons. conc., déc. n° 97-D-26, 22 avr. 1997, secteur du portage de médicaments à domicile). Tous les secteurs sont concernés : géomètres-experts (Cons. conc., déc. n° 02-D-14, 28 févr. 2002), avocats (Cons.
conc., déc. n° 00-D-52, 15 janv. 2001 ; Cons. conc., déc. n° 03-D-03, 16 janv. 2003 ;
Cons. conc., déc. n° 03-D-04, 16 janv. 2003 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-56, 21 oct. 2005 ;
Cons. conc., déc. n° 05-D-57, 21 oct. 2005), architectes (Cons. conc., déc. n° 96D-18, 26 mars 1996), médecins (Cons. conc., déc. n° 07-D-41, 28 nov. 2007),
chirurgiens-dentistes (Cons. conc., déc. n° 05-D-43, 20 juill. 2005), et
cela sans que l’ordre puisse s’abriter derrière sa mission
de service public (cf. Nourrissat C., RLC 2008/14, n° 1023). La compétence de l’Autorité s’exerce donc sur toute « pratique susceptible d’avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mis
en œuvre par un [ordre professionnel] ». La décision d’un
tel organisme « révèle nécessairement une entente, au sens
de l’article L. 420-1, entre ses membres » puisque l’Ordre
en représente la collectivité (cf. notamment, Cass. com., 16 mai 2000,
n° 98-12.612, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-43, 20 juill. 2005, relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil départemental du Puy-de-Dôme et
le Conseil national de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes ; CA Paris, 1re ch., sect.
H, 7 mars 2006, BOCCRF 26 sept., p. 864 ; et Cass. com., 20 févr. 2007, n° 06-13.498,
BOCCRF 7 juin, p. 763).
3. En l’espèce, le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens
estimait pouvoir bénéficier de l’exemption individuelle sur le
fondement de l’article L. 420-4 du Code de commerce au prétendu motif, notamment, que « l’exigence de proximité du
pharmacien de sa clientèle » résulterait de l’application des
textes législatifs et réglementaires du Code de la santé publique. Pour l’Autorité, il y a là au contraire une atteinte à la
liberté de choix du client.
Véronique SÉLINSKY et Sylvie CHOLET
Avocats à la Cour
OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique
« Concurrence et droit public », Destours S., Un Ordre anticoncurrentiel,
RLC 2009/20, n° 1421.
DOMINATION
RLC
des restrictions à la distribution de certains de ces produits,
Intel a mis en place une entente anticoncurrentielle, condamnée par la Commission qui sanctionne également un abus de
position dominante (voir infra, RLC 2009/20, n° 1402).
Les preuves de l’existence de ces pratiques illégales ne figuraient pas explicitement dans les contrats Intel examinés par
la Commission. Elles résultaient de toute une série d’éléments
de preuve datant de l’époque des faits, comme des courriers
électroniques obtenus notamment lors d’inspections sur place
effectuées inopinément, de réponses à des demandes formelles
de renseignements et de plusieurs déclarations officielles faites
devant la Commission par les autres entreprises concernées.
L’ensemble de ces éléments montrait qu’AMD, pratiquement
le seul concurrent d’Intel sur le marché, était généralement
perçu, par les fabricants d’ordinateurs et Intel elle-même,
comme ayant amélioré sa gamme de produits, constituant un
concurrent viable et présentant une menace croissante pour
la concurrence. La décision constate que les pratiques d’Intel
ne relevaient pas d’une concurrence fondée sur la qualité intrinsèque des produits respectifs d’Intel et d’AMD, mais plutôt d’une stratégie visant à tirer parti de la solide implantation d’Intel sur le marché à l’époque.
1402
Pratiques tarifaires abusives
Condamnation des pratiques de remises et de paiements
destinées à garantir l’exclusivité de l’approvisionnement
en microprocesseurs des fabricants d’ordinateurs auprès
d’Intel.
Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation
C’est notamment pour avoir accordé des réductions de
prix à des fabricants d’ordinateurs, déjà largement dépendants, que la société Intel est sanctionnée. Ce n’est pas
tant le principe des réductions de prix qui est condamné
que la manière dont il est structuré pour assurer à l’opérateur dominant sur le marché l’exclusivité de la totalité
des approvisionnements de ses clients et les décourager
radicalement de s’adresser à un concurrent, la société
AMD en l’occurrence. Le communiqué de la Commission
cite une tentative de cette société concurrente pour tenter de gagner un client : lui accorder un million de produits gratuits. Bien que séduisante et concurrentielle, cette
offre n’a été retenue qu’à hauteur de 160 000 produits par
ledit client, qui ne pouvait pas se permettre d’accepter
une proposition plus élevée sans perdre la réduction que
lui octroyait la société Intel.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
C.R.
RLC
OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, supra, RLC 2009/20,
n° 1400.
1403
Même pour riposter
à des pratiques commerciales
critiquables de la part
de son concurrent,
un opérateur dominant n’est
pas autorisé à le dénigrer
Profitant de son monopole, la société Gaz Électricité
de Grenoble a pratiqué une stratégie de dénigrement
à l’arrivée d’un nouveau concurrent sur le marché et s’est
vue sanctionnée pour abus de position dominante.
Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, relative à des pratiques mises
en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité
1. Cette affaire s’inscrit dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du secteur de la fourniture d’électricité en France depuis le 1er juillet 2004 qui a autorisé les clients professionnels
(dits « éligibles ») à se procurer de l’électricité auprès du ou
des fournisseurs de leur choix à un prix déterminé par la loi
du marché libre, à moins qu’ils ne préfèrent continuer à s’approvisionner auprès de leur fournisseur historique afin de bénéficier des tarifs réglementés fixés par l’État. L’exercice du
droit à l’éligibilité est irréversible.
2. En 2005, la société Gaz Électricité de Grenoble (GEG) exerçait sur Grenoble à la fois le monopole de la distribution de
l’électricité et l’activité nouvelle soumise à la concurrence
pour laquelle elle n’avait qu’un seul concurrent, la société
Poweo, qui avait lancé une campagne active de démarchage.
En réaction, GEG avait diffusé par voie de presse, un message
aux termes duquel, notamment, elle alertait ses clients professionnels contre l’arrivée sur le marché « de nouveaux opérateurs, pour qui le métier et l’expérience de distributeur et de
fournisseur d’énergie sont récents. Certains d’entre eux ont une
conception de la qualité de services très relative et n’hésitent
pas à faire usage de méthodes peu scrupuleuses pour parvenir
à leurs fins, souvent strictement financières ».
l’activité exercée en monopole en se prévalant de son image
de prestataire de service public. De tels comportements
peuvent être sanctionnés comme fautifs au titre d’une action en concurrence déloyale. Ils sont plus graves, et plus
lourdement condamnés, s’ils sont mis en œuvre par une
entreprise profitant de sa position dominante.
En l’espèce, l’Autorité retient que l’entreprise dominante a mis
à profit sa notoriété et l’ignorance dans laquelle se trouvaient
les petits professionnels quant aux détails de la nouvelle réglementation. La défense de GEG, invoquant qu’elle avait réagi à des pratiques commerciales critiquables de la part des
commerciaux de Poweo, n’a pas été retenue. En effet, un opérateur s’estimant victime de pratiques illicites peut et doit
mettre en œuvre les voies de droit à sa disposition et non se
faire justice lui-même (cf. CA Paris, 1re ch., sect. Concurrence, 3 mai 1990, Confédération nationale des syndicats dentaires; Cons. conc., avis n° 07-A-04, 5 juin 2007). Au
surplus, la riposte était en l’espèce disproportionnée par rapport aux agissements dénoncés par l’opérateur historique.
5. Ces pratiques, émanant d’un opérateur historique, sont
d’autant plus graves qu’elles ont eu pour effet de stopper « le
processus d’ouverture qui était en cours ». Toutefois, l’observation des prix du marché libre depuis 2004 a permis à l’Autorité de la concurrence de considérer que « le surplus du
consommateur n’a pas été significativement affecté par les pratiques litigieuses » ; en effet, si les prix du marché libre étaient
inférieurs au tarif réglementé en 2005, cette situation s’est inversée depuis, les professionnels n’étant dès lors plus incités
à exercer leur éligibilité. Estimant que « le dommage effectif
à l’économie apparaît avoir été limité », l’Autorité n’a condamné
l’opérateur historique qu’à une amende représentant 0,00256 %
de son chiffre d’affaires.
V.S. et S.C.
RLC
L’abus de position dominante se manifestait également sur le
marché de la revente au détail : l’enquête a révélé que le distributeur mondial Media Saturn avait bénéficié du versement
de sommes d’argent pour ne présenter à la vente, dans l’ensemble de ses magasins, qu’exclusivement des ordinateurs
équipés de microprocesseurs Intel.
1404
Position dominante et marché
connexe
On ne peut présumer le lien de causalité entre
la domination et l’abus affirmé sur un marché connexe.
Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-14.503, P+B+R
1. Une entreprise dominante sur un marché peut se voir reprocher un abus sur un marché connexe : la règle est ancienne
(CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, pts. 37 et 43, Rec. CJCE, I, p. 3359; CJCE, 14 nov.
1996, aff. C-333/94 P, Tetra Pak, pt. 24) et bien établie, tant en droit communautaire qu’en droit interne (Cass. com., 9 mai 2001, n° 98-22.150, Bull.
civ. IV, n° 85, BOCCRF 23 juin 2001, p. 527, RTD com. 2001, p. 879, Claudel E.; affaire des
« Pompes funèbres de Gonesse »).
3. GEG, en raison du caractère très récent de l’arrivée du nouveau concurrent sur le marché de la fourniture d’électricité,
continuait d’être le fournisseur de la quasi-totalité des clients
professionnels, sa position étant renforcée par la circonstance
qu’elle restait en monopole sur les marchés connexes de la
distribution d’électricité, de la fourniture d’électricité aux
clients résidentiels et sur l’activité gazière. Elle détenait donc
une position dominante limitée au marché géographique à la
zone desservie par le réseau de distribution de Grenoble.
2. On se souvient, en l’espèce, qu’un fabricant de médicaments génériques, la société Flavelab, avait saisi le Conseil de
la concurrence de pratiques émanant du laboratoire
GlaxoSmithKline pour avoir vendu un antibiotique injectable
(la céfuroxime, dont le brevet était tombé dans le domaine
public) à des prix inférieurs à ses prix d’achat, cela dans le
but de l’évincer du marché. Glaxo soutenait, pour sa part,
qu’elle ne dominait nullement le marché du céfuroxime injectable, quand bien même ses parts de marché atteignaient
80 à 90 % de celui de l’aciclovir injectable.
4. GEG a mis en œuvre des pratiques de dénigrement et
entretenu la confusion entre l’activité en concurrence et
3. Le Conseil de la concurrence avait condamné le laboratoire
pour prix prédateurs en se fondant sur la jurisprudence Akzo >
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
31
4. L’affirmation de l’exigence d’un lien de causalité est générale et dépasse le cas des prix prédateurs. Elle résulte de la
rédaction même des articles 82 CE et L. 420-2 du Code de
commerce.
5. La question de la causalité est nécessairement plus complexe lorsque la domination s’exerce sur un marché et l’abus
éventuel sur un autre. Le Conseil avait lui-même souligné
« que la jurisprudence, tant française que communautaire,
vérifie que les pratiques constatées sur un marché donné et
dénoncées comme abusives sont dans un rapport de causalité avec la domination exercée sur un marché ; que, lorsque
le marché où se sont déroulées les pratiques litigieuses et le
marché dominé sont distincts, cette vérification conduit, généralement, à s’assurer que ces deux marchés ont un lien de
connexité objectif » (Cons. conc., déc. n° 00-D-50, 5 mars 2001, Française des
jeux). Ce lien « objectif » résultait, dans le cas particulier, du
seul fait que l’entreprise dominante (détentrice d’un monopole) se livrait à des transferts de ressources illicites provenant de la rente dégagée grâce à la position détenue sur le
marché dominé. Dans un arrêt récent, concernant le secteur
des pompes funèbres et les pratiques d’une régie municipale, la Cour d’appel de Paris a jugé que « le marché général des prestations funéraires proposées aux familles » et « les
marchés particuliers des obsèques dont le corps a été transporté en chambre funéraire à la demande des établissements
de soins ou de séjour (…) ont tous un lien de connexité étroit,
soit parce qu’ils sont en amont ou en aval les uns des autres,
soit parce qu’ils concernent des prestations similaires, à défaut d’être complètement substituables » (CA Paris, 31 mars 2009,
n° RG : 2008/11353, <www.autoritedelaconcurrence.fr>). Le droit communautaire s’est montré un peu plus restrictif en posant la règle
selon laquelle les pratiques mises en œuvre sur un marché
non dominé ne peuvent être, par principe, considérées comme
constitutives d’une exploitation abusive d’un marché dominé connexe. Il n’en va autrement que si, du fait de cette
connexité et de la prééminence détenue sur le marché non
dominé par l’entreprise, elle peut y manifester, par rapport
aux autres opérateurs qui y sont présents, une indépendance
de comportement lui conférant une responsabilité particulière dans le maintien d’une concurrence effective et non
faussée (CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, préc., pts. 35 à 45; CJCE, 14 nov.
1996, aff. C-333/94 P, Tetra Pak, préc., pts. 21 à 33, repris par Cons. conc., déc. n° 05-D28, 15 juin 2005).
32
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
6. La Cour de cassation juge, pour sa part, qu’on ne peut pas
présumer le caractère anticoncurrentiel d’une pratique lorsque
le comportement désigné comme abusif est perpétré sur un
marché qui n’est pas celui où l’entreprise est dominante. En
pareil cas, la charge de la preuve de l’entrave à la concurrence
pèse sur l’autorité de poursuite.
V.S.
DÉCISIONS DES AUTORITÉS
RLC
précitée. Il soulignait que cette stratégie de prix bas sur un
marché plus étroit que le marché dominé – moins coûteuse
car les quantités vendues sont moins importantes – permet
d’envoyer un signal fort aux concurrents potentiels ou de se
forger une réputation d’entreprise agressive (Cons. conc., déc. n° 07D-09, 14 mars 2007). La Cour d’appel de Paris s’était, pour sa part,
montrée plus réservée, réformant la décision du Conseil dans
un arrêt du 8 avril 2008 (CA Paris, 1re ch., sect. H, n° RG : 2007/07008, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence, <www.autoritedelaconcurrence.fr>)
contre lequel le ministre chargé de l’Économie avait formé un
pourvoi. À son tour, la Cour de cassation désapprouve la position de l’autorité de concurrence : « Les articles L. 420-2 du
Code de commerce et 82 du Traité CE présupposent l’existence
d’un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif qui n’est normalement pas présent lorsqu’une pratique abusive est mise en œuvre sur un marché distinct du marché dominé; que ces dispositions peuvent cependant
trouver application notamment lorsque l’autorité de concurrence démontre l’existence de circonstances particulières ».
1405
(In)compatibilité entre
engagements et mesures
conservatoires
L’Autorité de la concurrence se réserve le choix
d’accepter une procédure d’engagements
ou de prendre des mesures conservatoires
dans la résolution des litiges concurrentiels.
Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, affaire relative aux pratiques
d’EDF visant à favoriser les activités concurrentielles de sa filiale
de production d’électricité photovoltaïque
1. L’Autorité de la concurrence encourage vivement le recours
aux procédures négociées. La procédure d’engagements, notamment, prévue par le point I de l’article L. 464-2 du Code
de commerce, permet aux entreprises d’élaborer des solutions
répondant aux préoccupations de concurrence de l’Autorité
et qui, si elles sont acceptées, mettent fin à la procédure sans
constat d’infraction (Aut. conc., Communiqué de procédure, 2 mars 2009, relatif
aux engagements en matière de concurrence). Ce dispositif s’inspire, assez
librement, du droit communautaire où une procédure comparable quant à ses objectifs existe selon des règles procédurales assez différentes (Vialfond A., Le droit de la concurrence et les procédures
négociées, RID éco. 2007, p. 157). Toutefois, lorsque la procédure d’engagements se combine en France avec une procédure de mesures conservatoires, des difficultés peuvent surgir, comme
en témoigne la présente décision.
2. La société Solaire Direct avait dénoncé les pratiques mises
en œuvre par le groupe Électricité de France (« EDF ») et ses
filiales EDF Énergies Nouvelles (« EDF EN »), EDF Énergies
Nouvelles Réparties (« EDF ENR »), sur les marchés de la production, de la distribution et de la fourniture d’électricité, pour
pénétrer le marché émergent de l’offre globale de services destinés à la production d’électricité photovoltaïque. Elle demandait des mesures conservatoires. Au cours de la séance devant le Conseil de la concurrence, EDF SA et EDF ENR ont
exprimé le souhait de se soumettre à la procédure d’engagements. Leur offre a été présentée un mois plus tard. Toutefois, à l’issue d’une nouvelle séance organisée deux mois plus
tard, l’Autorité de la concurrence a décidé, sur proposition des
services d’instruction, d’abandonner la procédure d’engagements et de prendre des mesures conservatoires, plus restrictives, dans l’attente d’une procédure au fond. L’Autorité estimait, en effet, que les engagements proposés n’étaient pas de
nature à mettre fin aux préoccupations de concurrence en ce
qu’ils (i) ne supprimaient pas la confusion entretenue entre
les activités réglementées d’EDF et les activités concurrentielles de ses filiales, (ii) n’empêcheraient pas ces filiales de
proposer des offres sur le marché concurrentiel du secteur
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
photovoltaïque en bénéficiant d’un accès à des données non
reproductibles par ses concurrents. Telle était, du moins, l’opinion émise en séance par « les témoins entendus sur le fondement des dispositions de l’article L. 463-7 du Code de commerce et la saisissante ».
3. Dans ses communiqués de procédure successifs relatifs aux
engagements, l’Autorité donne des indications sur les éléments
qui rapprochent la procédure de mesures conservatoires et
celle aboutissant à des engagements : dans les deux cas, un
examen préliminaire de la situation concurrentielle doit être
établi, le degré de caractérisation des préoccupations de concurrence auxquelles les engagements doivent répondre est le
même que celui des mesures conservatoires. Toutefois, « le
Conseil n’est jamais tenu de décider de rendre obligatoires des
engagements plutôt que d’agir par voie de sanction ou d’injonction à l’encontre des entreprises ». En d’autres termes, le
choix lui appartient.
4. Il est déjà arrivé que le Conseil refuse des engagements
proposés après la formulation d’une demande de mesures
conservatoires (cf. Cons. conc., déc. n° 07-MC-03, 7 juin 2007). Ce qui est
particulier, en l’espèce, c’est que le refus fait suite à une première acceptation de mettre en œuvre la procédure d’engagements. Cela signifie que les entreprises mises en cause
sont allées très loin dans la négociation avec le collège. Elles
ont nécessairement dévoilé des éléments importants de leur
stratégie commerciale et peuvent avoir l’impression d’un
marché de dupes. En effet, EDF avait fait une nouvelle proposition d’engagements, rejetée au motif qu’une nouvelle
prolongation de délais ne pouvait être accordée à EDF sans
remettre en cause la réalisation de l’un des objectifs poursuivis par la procédure d’engagements, qui est « d’accélérer
la résolution des affaires ». La question que ne manque pas
de se poser le lecteur de la décision est celle de savoir s’il
n’aurait pas été possible de s’apercevoir plus tôt de « l’inadéquation des engagements proposés par rapport aux préoccupations de concurrence exprimées ». À moins qu’il n’y
ait eu de la part d’EDF et de ses filiales une volonté délibérée de ne pas jouer le jeu. Si les engagements s’inscrivent
dans une « évolution caractérisée par le décloisonnement des
rôles respectifs des acteurs » (Xueref C., in Le développement en Europe des
solutions négociées : engagements, clémence, non-contestation des griefs?, p. 54), encore faut-il que les différents acteurs connaissent bien les
rôles de chacun.
industriels en cuivre. Les recours portaient essentiellement
sur le calcul des amendes et la prise en compte de la coopération des entreprises.
La requérante faisait notamment valoir que la Commission
avait exagéré la taille du marché des tubes industriels et,
partant, la gravité de l’infraction, ce qui aurait donné lieu à
une amende excessive à son encontre. Elle soutenait, entre
autres arguments, que le prix du cuivre ne devait pas être
pris en considération pour évaluer le marché dans la mesure
où il échappe au contrôle des fabricants de tubes industriels,
où ce sont les acheteurs de tubes industriels qui décident
eux-mêmes à quel prix le métal est acquis, où l’infraction
portait uniquement sur la marge de transformation (30 à
40 % du prix final) et où elle n’avait agi en tant qu’intermédiaire. Selon elle, la Commission aurait donc dû calculer le
chiffre d’affaires du marché de la même façon qu’elle calcule celui des intermédiaires dans le contexte du contrôle
des opérations de concentration et tenir compte de la fraction du prix que l’infraction en cause avait affectée, c’est-àdire la marge de transformation.
Le Tribunal accepte de vérifier si c’est à tort que la Commission a pris en compte le prix du cuivre et conclut par la négative en constatant qu’« aucune raison valable n’impose que
le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production. Ainsi que la Commission
l’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industriels
des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut
maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient
été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende (cf., en ce sens, TPICE, 15 mars 2000, aff. jtes. T25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95
à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Cimenteries CBR e.a.
c/ Commission, pts. 5030 et 5031, Rec. CJCE, II, p. 491). Le fait que le prix du
cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes
industriels ou que le risque de fluctuations des prix du cuivre
soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion » (pt. 69).
La requérante critiquait par ailleurs le calcul de l’amende prononcée à son encontre par rapport aux autres contrevenantes
en ce qui concerne tant la taille des entreprises que la durée
de l’infraction, ainsi que le degré de leur coopération avec la
Commission. Ces tentatives restent vaines, le Tribunal valide
l’ensemble de l’analyse de cette dernière.
C.R.
V.S.
RLC
OBSERVATIONS • Sur la compétence de l’Autorité de la concurrence, voir
aussi, RLC 2009/20, n° 1421.
1406
Calcul des amendes
et récidive
La Commission a fait une exacte application
du principe de la légalité des peines.
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland-Werke AG c/ Commission
Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) confirme la décision de la Commission du
16 décembre 2003 de sanctionner à hauteur de 78,73 millions
d’euros, six entreprises ayant constitué un cartel de répartition de marché et de fixation de prix sur le marché des tubes
Droit I Économie I Régulation
RLC
Global Competition Law Centre, consultable sur le site <http ://gclc.coleurop.be>
1407
Détermination du montant
des amendes et ententes
Le Tribunal respecte le principe d’égalité de traitement,
notamment dans la détermination du montant
des amendes infligées aux divers participants
à une entente.
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp. c/ Commission ;
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo Co., Ltd, Nintendo of Europe
GmbH c/ Commission
Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) réduit l’amende infligée par la Commission à la société japonaise Nintendo et sa filiale européenne,
d’une part en considérant qu’elles auraient dû bénéficier, au
titre de leur coopération, d’un taux de réduction identique >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
33
à celui appliqué à leur distributeur exclusif au Royaume-Uni
et en Irlande, et, d’autre part, qu’elles avaient versé des compensations financières à hauteur de 300 000 euros aux tiers
lésés par l’entente litigieuse (Nintendo).
En revanche, la décision rendue à l’encontre du distributeur japonais, la société Itochu, pour les infractions commises par sa filiale grecque en qualité de distributeur des
produits Nintendo en Grèce, est rejetée. Le Tribunal considère que la société mère n’a pas réussi à renverser la présomption selon laquelle la détention à 100 % de sa filiale
lui permettait d’exercer une influence déterminante sur
le comportement de celle-ci. Le Tribunal approuve par
ailleurs l’analyse de la Commission quant au traitement
différencié des entreprises pour tenir compte de leur taille
et de leurs ressources globales respectives et pour garantir un effet dissuasif aux amendes. Il adhère également
au raisonnement de la Commission qui a refusé à la requérante le bénéfice de la circonstance atténuante tenant
à son rôle passif dans l’entente. Il relève en effet qu’en
signant l’accord de distribution avec la société Nintendo,
la société Itochu avait formellement marqué son accord
à la limitation du commerce parallèle et que, si comme
elle le soutenait, elle aurait été contrainte de le signer
compte tenu de sa forte dépendance économique, elle aurait pu dénoncer cette pression aux autorités compétentes
(Itochu, pts. 126 à 150).
C.R.
RLC
IMPUTABILITÉ
1408
Feu principe de dissociation?
Finalement, Eurocontrol n’est pas une entreprise
au sens du droit de la concurrence. Aucune de ses
activités n’est en effet dissociable de sa mission
de gestion de l’espace aérien et de développement
de la sécurité aérienne. Faut-il y voir une appréciation
restrictive du principe de dissociation ou une remise
en cause de celui-ci ?
CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA
Dans son arrêt du 26 mars 2009, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) rejette le recours intenté par
Selex Sistemi Integrati SpA contre l’arrêt du Tribunal de première instance (TPICE) du 12 décembre 2006 (TPICE, 12 déc. 2006,
aff. T-155/04, Selex Sistemi Integrati SpA; sur cette décision, cf. Arcelin L., Être ou (et?) ne
pas être une entreprise. C’est la question…, RLC 2007/11, n° 745, note Arcelin-Lécuyer L.),
sans pour autant valider l’ensemble du raisonnement du
Tribunal.
L’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol) s’était vu reprocher un abus
de position dominante de la part de Selex. La Commission, puis le TPICE, avaient écarté l’incrimination dans
la mesure où soit Eurocontrol ne pouvait être qualifiée
d’entreprise au sens du droit de la concurrence, prémisse
à l’application de l’article 82 du Traité, soit elle n’avait
pas abusé de sa position dominante. Dans cette dernière
hypothèse, le Tribunal avait en effet jugé que parmi les
activités d’Eurocontrol, seule celle d’assistance aux administrations nationales pouvait être considérée comme
une activité économique d’entreprise en raison de sa
34
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
relation indirecte avec sa mission générale de garantie de
la sécurité de la navigation aérienne. Étant détachable de
cette mission, le TPICE, appliquant ensuite un raisonnement analogique bien connu, considéra qu’il existait un
marché des conseils sur lequel Eurocontrol agit en tant
qu’offreur de services et sur lequel des entreprises spécialisées en la matière pourraient œuvrer. Or, « le fait
qu’une activité peut être exercée par une entreprise privée
constitue un indice supplémentaire permettant de qualifier l’activité en cause d’activité d’entreprise ». Toutefois,
aucun abus n’avait été commis.
La CJCE censure cette analyse en estimant, au contraire,
que l’activité d’assistance aux administrations nationales
n’était pas dissociable de la mission de gestion de l’espace
aérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eurocontrol. Ainsi, c’est à tort que le TPICE a jugé que « la
relation entre ladite activité d’assistance et la sécurité de
la navigation aérienne était indirecte, motif pris de ce que
l’assistance offerte par Eurocontrol ne couvrait que les spécifications techniques lors de la mise en œuvre de procédures d’appel d’offres et ne se répercutait donc sur la sécurité de la navigation aérienne que par le biais de ces
procédures ». Il en va de même de l’activité de préparation
ou d’élaboration des normes techniques par Eurocontrol
qui, contrairement à ce qu’avait retenu le TPICE, ne peut
être dissociée de sa mission de gestion de l’espace aérien
et de développement de la sécurité aérienne.
La Cour se réfère à l’arrêt SAT Fluggesellschaft, dans lequel
elle a considéré que « prises dans leur ensemble [nous soulignons], les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur
objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et
à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique et qu’elles ne présentent pas
un caractère économique. En conséquence, la Cour a dit pour
droit que les articles 86 et 90 du Traité (devenus articles 82
CE et 86 CE) doivent être interprétés en ce sens qu’une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue
pas une entreprise au sens de ces articles » (CJCE, 19 janv. 1994,
aff. C-364/92, SAT Fluggesellschaft, Rec. CJCE, I, p. 43). Faut-il en déduire
que le principe de dissociation (cf. CJCE, 16 mars 2004, aff. C-264/01,
C-306/01, C-354/01 et C-355/01, AOK-Bundesverband, pts. 58 et s., Rec. CJCE, I, p. 2493)
ne joue plus ? La formule « prises dans leur ensemble » semblerait plutôt militer en faveur d’une appréciation globale
des activités de l’entité et d’une application du principe « accessorium sequitur principal ». Sans aller jusqu’à une remise en cause pure et simple du principe de dissociation,
la Cour exige une séparation nette entre les activités de l’entité afin de leur faire suivre un régime différent. Il convient
donc de s’assurer de l’intensité des liens entre les activités
pour vérifier si la relation est directe, commandant alors
une approche globale, ou bien indirecte, autorisant une dissociation de celles-ci.
D’un point de vue procédural, si le TPICE a commis des
erreurs de droit dans la qualification des activités d’Eurocontrol, le recours n’aboutit pas pour autant. La Cour rappelle en
effet que « si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une
violation du droit communautaire, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être
rejeté ». Le dispositif de l’arrêt étant fondé sur d’autres motifs
de droit, celui-ci n’est donc pas annulé.
Linda ARCELIN-LÉCUYER
OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans cette revue,
Eurocontrol hors contrôle, RLC 2009/20, n° 1423, obs. S. D.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
TRANSPARENCE ET PRATIQUES
RESTRICTIVES
Sous la responsabilité de Martine BÉHAR-TOUCHAIS, Professeur à l’Université René Descartes (Paris V),
Directeur du Centre de Droit des affaires et de gestion (CEDAG)
es premières applications jurisprudentielles de la LME dans le domaine des pratiques restrictives
de concurrence se font attendre. Alors que le premier anniversaire de la LME est proche, on mesure ainsi
que le temps du droit est loin d’être celui de l’économie. Les entreprises ne savent pas plus (ou à peine
plus) qu’il y a un an, ce que sera pour les juges « le déséquilibre significatif » de l’article L. 442-6-I-2° du Code
de commerce.
Il leur reste tout de même les précieuses indications de la CEPC, les avis de l’Autorité de la concurrence sur les
accords dérogatoires en matière de délais de paiement.
Par ailleurs, aujourd’hui comme auparavant, la jurisprudence reste abondante en matière de rupture brutale
des relations commerciales établies.
Martine BÉHAR-TOUCHAIS
L
La Commission
d’examen des pratiques
commerciales
Par JeanChristophe
GRALL
MG Avocats –
Grall & Associés
R LC
La CEPC est aujourd’hui devenue un véritable outil au service des professionnels ; ses avis
rendus depuis le mois de décembre 2008 le démontrent clairement ; réponses précises et
réactivité ; tel semble être devenu son credo sous l’impulsion de son nouveau président !
S’agissant des relations industrie/commerce, ce sont ainsi des dizaines de réponses qui ont été
apportées aux professionnels.
1409
F
Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.
orte d’un nouveau président très médiatique à sa tête depuis la fin du mois d’octobre 2008 (Jean-Paul Charié a été désigné président par
décret du 22 octobre 2008 [JO 23 oct.] en remplacement de
Pierre Leclercq), la Commission d’examen des
pratiques commerciales (CEPC) a bouleversé son organisation et s’est donnée comme objectif d’être « efficace,
réactive et lisible » (Rapp. CEPC, 2008-2009, < www.pratiques-commerciales.minefi.gouv.fr/>). Désormais, la Commission se réunit tous
les quinze jours pour formuler des avis ou des recommandations sur les questions concernant les relations entre
producteurs, fournisseurs et revendeurs qui lui sont soumises. Les nombreux avis rendus depuis l’arrivée du parlementaire Jean-Paul Charié (la CEPC a déjà rendu sept
avis depuis sa réorganisation) témoignent de cette nouvelle dynamique. Pour ce dernier « la CEPC, saisie par
de plus en plus d’acteurs, relayée par les investigations
de la DGCCRF et suivie par les tribunaux dotés de nouveaux moyens, va nous permettre de retrouver la libre
mais loyale concurrence à dimension humaine » (CEPC,
avis, 22 déc. 2008).
Droit I Économie I Régulation
Cet article s’attachera à présenter cette nouvelle CEPC (I),
avant de procéder à l’analyse des avis rendus depuis le
mois de décembre 2008 par cette dernière, principalement
sur l’application de la loi de modernisation de l’économie
(ci-après dénommée « LME ») du 4 août 2008 (L. n° 2008-776,
4 août 2008, JO 5 août ; II).
I. – PRÉSENTATION DE LA CEPC
A. – Carte d’identité de la CEPC
La Commission d’examen des pratiques commerciales
(CEPC) a été créée par l’article 51 de la loi n° 2001-420
du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, codifié sous l’article L. 440-1 du Code de commerce. Son organisation, ses moyens et ses modalités de
fonctionnement ont été fixés par décret n° 2001-1370 du
31 décembre 2001 (modifié par D. n° 2009-559, 19 mai 2009, JO 21 mai. Les
dispositions de ce décret ont été codifiées sous les articles D. 440-1 et suivants du
Code de commerce).
La CEPC n’est ni une instance de médiation (Rapp. CEPC 20082009), ni une juridiction (CEPC, avis, 22 déc. 2008). C’est une ins- >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
35
LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES
tance consultative placée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargée de veiller à
l’équilibre entre producteurs, fournisseurs et revendeurs.
Jean-Paul Charié a d’ailleurs rappelé dans le dernier rapport d’activité de la CEPC ce souci d’équilibre.
Les dispositions relatives à la CEPC ont été récemment
modifiées par la LME et par l’ordonnance du 13 novembre
2008 portant modernisation de la régularisation de la
concurrence (Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.). Ces modifications, exposées ci-après, concernent tant la composition de la CEPC que ses missions.
B. – La composition de la CEPC
La composition de la CEPC a été récemment modifiée par
le décret n° 2009-559 du 19 mai dernier. Désormais, elle
est composée d’un député (Jean-Paul Charié, député du
Loiret et actuel président), d’un sénateur (Alain Fouché,
sénateur de la Vienne) ainsi que de 22 membres titulaires
et 14 membres suppléants.
Ces membres titulaires sont répartis de la manière suivante :
– trois membres issus des juridictions de l’ordre administratif ou judiciaire ;
– sept représentants des secteurs de la production et de
la transformation agricole et halieutique ainsi qu’industrielle et artisanale et des transformateurs ;
– sept représentants des grossistes et distributeurs ;
– deux personnalités qualifiées en matière de problème
relatif aux relations industrie-commerce ;
– trois représentants de l’administration.
L’une des modifications apportées par la LME concerne
le statut du président. À l’origine, ce dernier devait être
obligatoirement un magistrat de l’ordre administratif ou
judiciaire. Cette condition n’a plus lieu de s’appliquer. Le
président est maintenant désigné par décret parmi ses
membres. C’est ainsi que l’actuel président de la CEPC,
Jean-Paul Charié, est député du Loiret et ancien rapporteur général de la LME.
C. – L’activité de la CEPC
Les missions de la CEPC sont multiples :
– donner des avis sur les questions, les documents commerciaux ou publicitaires et les pratiques concernant les
relations commerciales entre producteurs, fournisseurs,
revendeurs, qui lui sont soumis ;
– émettre des recommandations d’ordre général sur les
questions portant notamment sur le développement des
bonnes pratiques commerciales ;
– exercer un rôle d’observatoire régulier de ces pratiques :
à ce titre, elle établit chaque année un rapport d’activité,
qu’elle transmet au Gouvernement et aux assemblées parlementaires. Ce rapport est rendu public.
Depuis la création de la CEPC, six rapports d’activité ont
ainsi été publiés.
La CEPC peut désormais être consultée pour avis par les
juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence sur les pratiques relevant de sa
compétence.
D. – Le fonctionnement de la CEPC
La Commission peut être saisie par le ministre de l’Économie, le ministre chargé du secteur économique concerné,
le président de l’Autorité de la concurrence, les entreprises, les organisations professionnelles ou syndicales,
36
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
les associations des consommateurs agréées et les chambres
de commerce, des métiers ou d’agriculture.
La CEPC peut également s’autosaisir.
En revanche, les saisines anonymes, directes ou par l’intermédiaire d’un avocat, ne sont pas recevables.
Les recommandations et les avis peuvent être publiés avec
l’accord de l’auteur de la demande. Depuis la réorganisation de la CEPC, seul un avis n’a pas été publié (CEPC, avis
n° 09-02 sur la légalité d’une convention unique proposée par un groupe de distribution bien connu à ses fournisseurs).
II. – BRÈVE ANALYSE DES AVIS DE LA CEPC DEPUIS
LE MOIS DE DÉCEMBRE 2008
Nous aborderons ici les avis des 19 et 22 décembre 2008
et du 5 mars 2009.
A. – La négociation commerciale
La CEPC s’est attachée à définir de manière très pédagogique le nouveau cadre de la négociation commerciale
issue de la LME.
1) Les conditions générales de vente
S’agissant des CGV, la CEPC considère que le socle de la
négociation commerciale est bien constitué par les CGV
du fournisseur :
1. Les conditions générales de vente du fournisseur ne
sauraient être globalement remises en cause par des conditions d’achat souvent qualifiées à tort de générales.
2. Dans ces conditions, dénoncer les conditions générales
de vente du fournisseur avant même que s’engagent les
négociations n’est tout d’abord pas conforme à l’esprit
de la loi.
3. S’il est dans la nature même de la mise en place d’un
partenariat commercial que les dispositions des CGV du
fournisseur puissent faire l’objet de négociations, les CGV
constituent un document de référence particulièrement
probant pour appréhender toute exigence formulée par
l’un des cocontractants susceptible de relever de la notion de « déséquilibre significatif » au sens de l’article
L. 442-6-I-2°.
4. Les CGV constituent le socle de la négociation et font
l’objet d’une négociation entre les parties. Les cocontractants peuvent donc légalement décider, d’un commun accord, d’écarter pour partie les conditions du fournisseur,
sous réserve de ne pas créer un déséquilibre significatif
au sens de l’article L. 442-6 du Code de commerce.
Le principe clairement rappelé par la CEPC est simple :
les CGV du fournisseur demeurent le socle de la négociation commerciale et la dénonciation des CGV ab initio avant même que ne s’engage la moindre négociation commerciale n’est pas conforme à l’esprit de la loi.
Nier l’existence de ce socle de la négociation commerciale revient à s’inscrire en violation des dispositions
visées sous l’article L. 441-6 du Code de commerce.
2) Les conditions catégorielles de vente
S’agissant des conditions catégorielles de vente, la CEPC
considère que :
1. « Les CGV catégorielles répondent au souhait de certains fournisseurs de définir par avance plusieurs socles
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES
de négociation selon le type de partenaires. Ces fournisseurs sont désormais responsables de la définition des
catégories mais naturellement ces catégories doivent répondre à des critères objectifs qui permettent de viser tous
les opérateurs répondant à ces critères. Une catégorie ne
saurait être conçue pour un opérateur en particulier.
2. La notion de CGV catégorielles emporte une conséquence en matière de communication : celles-ci font l’objet d’une communication vis-à-vis des seuls clients relevant de la catégorie concernée ».
La réalité des conditions catégorielles et leur légitimité
ne sont plus à démontrer aujourd’hui. La CEPC va même
jusqu’à reconnaître le caractère légal d’une structure
tarifaire qui identifierait une catégorie de clientèle qui
se résumerait à un seul client.
3) Les conditions particulières de vente
S’agissant des conditions particulières de vente ou
« CPV », la CEPC considère que :
1. Les conditions particulières de vente viennent, au cours
de la négociation, s’ajouter aux conditions générales de
vente du fournisseur. Imposer des CPV à son fournisseur
peut s’apparenter à un abus prévu dans l’article L. 442-6I-4° : « Obtenir ou tenter d’obtenir, sous la menace d’une
rupture brutale ou partielle des relations commerciales,
des conditions manifestement abusives concernant les prix,
les délais de paiement, les modalités de vente ou services
ne relevant pas des obligations d’achat-vente ».
Nous constatons une quasi-absence d’avis prononcé
sur le point particulier des CPV ; c’est en effet davantage au travers du « déséquilibre significatif » que la
CEPC s’est exprimée. Il est important de noter que la
CEPC insiste une fois encore sur le fait que les CPV
viennent s’ajouter au CGV, ces CPV ne devant pas se
substituer purement et simplement aux CGV du fournisseur.
B. – Les autres obligations destinées à favoriser
la relation commerciale entre le fournisseur
et le distributeur
1) Les anciens services distincts
S’agissant des anciens services distincts, la CEPC considère que :
Le législateur a adapté la définition de la coopération commerciale pour y intégrer certains services rendus par les
grossistes et les distributeurs s’adressant aux professionnels. Dès lors, ces services seront facturés par ce type de
distributeurs en tant que services de coopération commerciale.
Les obligations du distributeur qui ne répondent pas à
cette nouvelle définition de la coopération commerciale relèvent des 1° et 3° et « concourent à la détermination du
prix convenu » que le fournisseur facturera au revendeur.
Dès lors, les obligations du 1° et du 3° étant déjà prises
en compte, elles ne peuvent pas donner lieu à une facture
du distributeur. Une instruction de l’administration fiscale publiée au Bulletin officiel des impôts du 18 novembre
2008 assure la sécurité juridique à cet égard.
2) La coopération commerciale
S’agissant de la coopération commerciale, la CEPC considère que :
Droit I Économie I Régulation
La LME n’a pas supprimé la possibilité de négociation de
services de coopération commerciale. Conformément aux
dispositions de l’article L. 441-3 du Code de commerce
(qui n’ont pas été affectées par la LME), la rémunération
de ces services (portant sur des services détachables de
l’opération achat-vente) doit faire l’objet d’une facturation spécifique émanant du distributeur.
Par ailleurs, sur le plan fiscal, l’article 266 du Code général des impôts dispose que : « la base d’imposition à la
TVA est constituée par (…) les prestations de services, par
toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par (…) le prestataire en contrepartie de la (…) prestation. Le distributeur s’exposerait donc à un rappel de
TVA pour ne pas avoir facturé sa prestation et le fournisseur pour avoir minoré indûment sa base d’imposition. Si
l’administration fiscale vient tirer certaines conclusions de
la LME sur les obligations du distributeur qui concourent
à la détermination du prix des marchandises qu’il achète,
elle rappelle bien que “les services dits de coopération
commerciale (...) ne sont pas concernés par cette évolution” » (Instr. 18 nov. 2008, BOI 3 E- 2-08).
3) La convention cadre ou unique annuelle
S’agissant de la convention cadre ou unique annuelle,
la CEPC considère notamment que :
1. Le texte vise le fournisseur et le distributeur ou le
prestataire de services, ce qui exclut les produits (ou
services) destinés à être transformés par ces derniers.
S’agissant du « prestataire de services », le texte s’entend comme visant les prestations de services au titre
de la coopération commerciale ou les autres obligations,
rendues directement ou indirectement par le distributeur.
2. En dehors des produits ou services soumis à un cycle
de commercialisation particulier, la convention est bien
annuelle. Elle doit être conclue avant le 1er mars pour
l’année en cours. Une tolérance est bien entendu envisagée dans le cas où la relation commerciale est établie
en cours d’année. Dans ce cas, il convient de signer la
convention dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits ou services.
3. Le contrat peut faire l’objet d’avenants en cours d’année, dès lors que l’équilibre commercial est préservé.
Cette possibilité – qui n’est pas une renégociation totale
du contrat – permet de tenir compte de la vie des affaires
et de la réalité commerciale.
4. Les dispositions prévoyant l’obligation de conclure la
convention unique étant pénalement sanctionnées, il
convient de faire application des principes généraux relatifs à l’application de la loi pénale française dans l’espace, visés aux articles 113-1 et suivants du Code pénal.
La loi pénale française s’applique aux infractions dont
un des éléments constitutifs a été commis sur le territoire français. S’agissant des contrats et services
visés à l’article L. 441-7, il convient de considérer que
tout contrat qui a un effet sur la revente de produits ou
la fourniture de services en France entre dans les dispositions de l’article.
4) Nos conclusions
Les services distincts ont principalement été rapatriés
dans la catégorie des autres obligations destinées à
favoriser la relation commerciale entre un fournisseur >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
37
LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES
et un distributeur. Dans la plupart des cas, ces anciens
services distincts relèvent par conséquent des réductions
de prix, ce qui ne peut que surprendre aujourd’hui encore les fiscalistes.
Attention à la formalisation de la convention annuelle, qu’il s’agisse d’un contrat unique ou d’un
contrat-cadre, dès lors que l’absence de formalisation
de cette convention ou bien son incomplétude est sanctionnée par une peine d’amende pouvant atteindre
75 000 euros pour la personne physique et le quintuple
pour la personne morale.
La convention prévue par l’article L. 441-7-I possède
effectivement un caractère annuel, sauf si nous sommes
en présence de produits soumis à un cycle de commercialisation particulier (on peut penser à des produits destinés au traitement de végétaux, par exemple), auquel
cas, la convention peut être signée dans les deux mois
suivant le début de la période de commercialisation des
produits en cause.
Il est tout à fait possible de procéder par voie d’avenant
à la modification de la convention annuelle, sans naturellement tomber dans une rétroactivité des avantages commerciaux consentis par le fournisseur et sans aller vers
une renégociation globale de l’accord annuel, avec pour
objectif de remettre en cause son équilibre économique.
Tout contrat qui a un effet sur la revente des produits en
France est visé par l’article L. 441-7-I du Code de commerce,
peu important que le fournisseur soit à cet égard situé à l’étranger ou que la centrale d’achat ou de référencement le soit.
Quant au champ d’application du plan d’affaires annuel, cette convention est nécessaire, dès lors que les
produits sont destinés à être revendus en l’état, mais
pas lorsqu’ils sont destinés à être transformés ou intégrés à d’autres produits ou à des prestations de services,
le « prestataire de services » est d’ailleurs clairement entendu par le texte de l’article L. 441-7-I comme étant celui qui rend un service de coopération commerciale ou
un ancien service distinct.
C. – Les limites à la libre négociation des tarifs/
les abus
La CEPC considère notamment que la notion nouvelle
de déséquilibre significatif entre droits et obligations des
parties a vocation à appréhender toute situation, qu’elle
comporte ou non des pratiques décrites par un autre alinéa de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Elle pourra
être appréciée au regard des effets de l’application de la
convention sur les parties. La caractérisation de la pratique consistant à soumettre un partenaire commercial
à des obligations créant un déséquilibre significatif ne
requiert pas d’établir au préalable que son auteur détienne une puissance d’achat ou de vente, et est donc
facilitée par rapport aux dispositions antérieures.
La libéralisation de la négociation commerciale, suite
à la suppression de la discrimination abusive dans le
droit français, ne doit pas avoir pour conséquence que
ce soit désormais la « loi de la jungle » qui prévale !
D. – La réforme des délais de paiement
Quelles sont les grandes lignes de force qui animent les
réponses apportées par la CEPC ?
38
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
■ Point de départ du délai de 45 jours fin de mois, soit
la date d’émission de la facture, soit la date de la fin du
mois civil au cours duquel a été émise la facture en cause.
■ Une compensation est-elle possible du fait de la réduction des délais de paiement ? La loi n’interdit pas
une telle compensation, même si ce n’est pas l’esprit de
la loi.
Le non-respect des nouveaux délais de paiement estil sanctionné pénalement ? La réponse est négative, aucune sanction pénale n’étant prévue par l’article L. 441-6
en cas de non-respect des délais de paiement de 60 jours,
date de facture ou de 45 jours fin de mois. Seule une sanction civile existe par application des dispositions visées
sous l’article L. 442-6-I-7°.
■
La signature d’un accord dérogatoire prévu par l’article 21-3 de la LME permet-il de ne pas appliquer les
nouveaux délais de paiement ? La réponse est positive
dès lors que l’accord a été conclu avant le 1 er mars 2009
et que cet accord a été communiqué au service du ministre de l’Économie, étant ici précisé que de très nombreux avis ont été prononcés par le Conseil de la concurrence, puis par l’Autorité de la concurrence depuis le
1 er janvier dernier et que pas moins d’une douzaine de
décrets ont d’ores et déjà été publiés, contribuant ainsi
à accroître la sécurité juridique des opérateurs économiques, qui connaissent les délais conventionnels désormais applicables, sans pour autant que ne subsistent
certaines zones d’ombre quant au champ d’application
de ces accords interprofessionnels.
■
◆◆◆
Trois autres avis ont été rendus par la CEPC : Le premier
avis ( CEPC, avis n° 09-04, 5 mars 2009) concerne certaines pratiques de vente mises en œuvre dans le secteur des manuels scolaires par un négociant-grossiste commercialisant des manuels scolaires, en offrant gratuitement
l’utilisation d’un logiciel ; le second (CEPC, avis n° 09-03, 5 mars
2009) concerne l’industrie cimentière et la validation d’une
charte de bonne pratique en matière de délais de paiement ; le troisième ( CEPC, avis n° 09-01, 5 févr. 2009) concerne les
aspects logistiques de la « supply chain » au vu d’une
recommandation négociée au sein d’ECR France par les
représentants de la distribution et de l’industrie.
◆◆◆
Nous avons pu constater le dynamisme de la CEPC en
parcourant les différents avis rendus depuis le mois de
décembre dernier. Son président souhaite poursuivre
dans ce sens et propose pour cela de respecter les trois
axes suivants :
– le maintien du consensus ;
– le souci de l’équilibre entre les parties ;
– la réactivité, afin de rendre rapidement les avis, le délai entre la saisine et la publication des avis ne devant
pas dépasser un mois.
Nous pouvons lui faire confiance ! ◆
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES
TRANSPARENCE
ET PRATIQUES
RESTRICTIVES
RLC
PRATIQUES RESTRICTIVES –
RÈGLES DE FOND
1410
Autonomie de l’action
de protection
du fonctionnement du marché
et de la concurrence
du ministre
La Cour de cassation persiste et conforte son analyse
à propos de l’action du ministre fondée sur l’article
L. 442-6-III du Code de commerce.
Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15.264, D
Extraits de l’arrêt :
« Attendu que l’arrêt retient que le décret n° 87-163 du 12 mars
1987, qui n’a pas été abrogé et est toujours applicable, autorise le ministre de l’Économie à déléguer sa signature dans
le cadre de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la
liberté des prix et de la concurrence, que cette ordonnance a
été codifiée et que son article 36 est devenu l’article L. 442-6
du Code de commerce, que la loi NRE du 15 mai 2001, si elle
a modifié l’article L. 442-6 du Code de commerce et donné
de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits, n’a pas conféré au ministre de
l’Économie un pouvoir nouveau, et que par arrêté ministériel
du 25 juillet 2005, pris en application du décret n° 87-163
du 12 mars 1987, Mme X... a reçu du ministre de l’Économie,
des Finances et de l’Industrie, délégation permanente à l’effet de signer, dans la limite de ses attributions et de sa compétence territoriale, les actes relatifs à l’action de l’article L. 4426 du Code de commerce ; qu’ainsi, la cour d’appel a fait
l’exacte application des textes invoqués ».
« Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action du ministre
chargé de l’Économie, exercée en application des dispositions
de l’article L. 442-6-III, qui tend à la cessation des pratiques qui
sont mentionnées dans ce texte, à la constatation de la nullité
des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l’indu et au
prononcé d’une amende civile, est une action autonome de
protection du fonctionnement du marché et de la concurrence
qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des
fournisseurs, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Cela ne surprendra personne. La Cour de cassation persiste dans
sa jurisprudence inaugurée le 8 juillet 2008 (Cass. com., 8 juill. 2008,
n° 07-16.761, Bull. civ. IV, n° 143) et continue d’affirmer que l’action du
ministre fondée sur l’article L. 442-6-III du Code de commerce
est « une action autonome de protection du fonctionnement du
marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs », sans que cela heurte
l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Droit I Économie I Régulation
Mais là où l’arrêt Baguyled ici commenté est plus intéressant,
c’est dans sa motivation relative à la délégation de pouvoir
faite par le ministre.
Le décret n° 87-163 du 12 mars 1987, qui est signé par le
Premier ministre, dispose, dans son article 1er, que :
« Le ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de
la Privatisation peut, par arrêté, donner délégation pour signer
les actes relatifs à l’action prévue par l’article 36 de l’ordonnance
susvisée (ordonnance du 1er décembre 1986) aux fonctionnaires
appartenant au cadre A des services extérieurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ».
Or, chacun sait que l’article 36 de l’ordonnance de 1986, tel
que visé dans le décret précité, n’a pratiquement plus rien de
commun avec le texte de l’article L. 442-6 du Code de commerce en vigueur aujourd’hui, ou lors de la délivrance de l’assignation du ministre dans cette espèce. Dès lors, si l’action
du ministre se fonde sur un alinéa de l’article L. 442-6 qui
n’existait pas dans l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre
1986, la délégation de pouvoirs est-elle bien valable ?
Nous avions déjà vu (cf. Béhar-Touchais M., L’action du ministre fondée sur
l’article L. 442-6-III du Code de commerce et le délégataire du ministre, RLC 2009/19,
n° 1339) que les grands distributeurs poursuivis par le ministre
soutiennent dans divers contentieux en cours que par le décret du 12 mars 1987, le Premier ministre n’a pu autoriser
le ministre de l’Économie à déléguer sa signature que pour
les pouvoirs que ce dernier détenait au jour dudit décret du
12 mars 1987, c’est-à-dire ceux figurant dans le texte initial
de l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et non
pas pour les pouvoirs créés postérieurement, surtout quand,
pour certains de ces nouveaux pouvoirs, le droit d’action
(pour demander la nullité, la restitution de l’indu, et l’amende
civile) n’a été accordé au ministre de l’Économie que 14 ans
plus tard, par la loi NRE du 15 mai 2001.
La Cour de cassation a rejeté l’argument dans l’arrêt Finamo
(Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-20.099, D, RLC 2009/19, n° 1339), en interprétant l’arrêté du 27 mai 2004, par lequel le ministre avait délégué sa signature aux fonctionnaires désignés, sur le fondement du décret du 12 mars 1987, donnant au délégataire des
pouvoirs qui n’existaient pas au moment de la délégation.
L’arrêt Baguyled renforce la motivation de la Cour de cassation.
Elle commence par affirmer que « le décret n° 87-163 du 12 mars
1987, (…) n’a pas été abrogé et est toujours applicable ».
En d’autres termes, le texte existe, mais il ne semble pas que
les opérateurs poursuivis aient soutenu le contraire.
Puis, la Cour de cassation poursuit : « la loi NRE du 15 mai
2001, si elle a modifié l’article L. 442-6 du Code de commerce
et donné de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits, n’a pas conféré au
ministre de l’Économie un pouvoir nouveau ».
On peut néanmoins être étonné par cette affirmation.
On se souvient en effet que par un arrêt du 5 décembre 2000,
la Cour de cassation avait affirmé « qu’ayant énoncé que l’action introduite par le ministre sur le fondement de l’article 36
de l’ordonnance du 1er décembre 1986 est une action en réparation et non en annulation ne lui donnant pas le pouvoir de saisir directement une juridiction de l’ordre judiciaire
pour demander la nullité d’une convention à laquelle il
n’est pas partie, que le pouvoir d’agir du ministre dans l’exercice de sa mission de gardien de l’ordre public économique
par la seule cessation des pratiques illicites et ne lui donne
pas la faculté de se substituer aux victimes des pratiques
discriminatoires pour évaluer, à leur place, le préjudice
causé par les agissements restrictifs de concurrence, et en >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
39
solliciter la réparation, que les dispositions légales ne lui
donnent pas davantage le pouvoir de solliciter la restitution des prix et valeurs des biens en cause, aux lieu et place
des victimes, la cour d’appel a fait une exacte interprétation
de l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ».
Le législateur est donc intervenu pour contrecarrer cette jurisprudence et a précisé dans l’article L. 442-6-III du Code
de commerce :
« III. – L’action est introduite devant la juridiction civile ou
commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’Économie ou par le président du Conseil de la concurrence lorsque
ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa
compétence, une pratique mentionnée au présent article.
Lors de cette action, le ministre chargé de l’Économie et le
ministère public peuvent demander à la juridiction saisie
d’ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques,
faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites,
demander la répétition de l’indu et le prononcé d’une
amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions
d’euros. La réparation des préjudices subis peut également
être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers
qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation [la dernière phrase a été ajoutée par la loi Dutreil
du 2 août 2005] ».
En d’autres termes, la Cour de cassation constate en 2000
que, sous l’empire de l’ordonnance de 1986, le ministre n’a
pas le pouvoir de demander la nullité du contrat, les restitutions ou des dommages et intérêts (sans parler du pouvoir
de demander une amende civile qui n’existait pas à l’époque),
alors qu’aujourd’hui, il a ces pouvoirs en vertu de l’article
L. 442-6-III du Code de commerce dans sa rédaction issue
de la loi NRE du 15 mai 2001.
Et pourtant la Cour de cassation en 2009 en déduit que le
ministre n’a pas de pouvoir nouveau parce que « la loi NRE
du 15 mai 2001, (…) [a] donné de nouvelles définitions de
faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits » !
Tout le monde aura compris que la décision est plus fondée sur
l’opportunité que sur un raisonnement juridique logique. C’est
une question de politique juridique de la Cour de cassation qui
a décidé, au nom de l’effectivité du droit des pratiques restrictives, de sauver (presque) à tout prix, l’action du ministre.
Toutefois, la motivation embarrassée de la Cour de cassation
nous fait attendre avec d’autant plus d’intérêt ce que dira la
juridiction administrative, sur la question de la légalité des arrêtés pris en application du décret du 12 mars 1987 précité,
et déléguant les pouvoirs « inexistants auparavant » mais « qui
ne seraient pas nouveaux » octroyés au ministre par la loi NRE.
RLC
Martine BÉHAR-TOUCHAIS
1411
De l’application de l’article
L. 442-6-I-5° du Code
de commerce, lors
des négociations ?
Des précisions sur la notion de relation commerciale
établie.
Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-11.916, D
40
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Extrait de l’arrêt :
« Attendu que l’arrêt retient que les sociétés Tecno Plastic et
Alprene ont largement profité des prospections fructueuses
de M. Y... pendant dix-sept mois, que pendant cette période
elles ont occasionnellement présenté M. Y... comme leur “agent”
et que ce dernier, qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent à l’expiration des contrats d’agent de M. X...,
a attendu vainement une régularisation de sa situation ; qu’en
l’état de ces constatations, la cour d’appel, qui a caractérisé
l’existence d’une relation de M. Y... avec les sociétés Tecno
Plastic et Alprene suivie, stable, et dont il pouvait penser qu’elle
allait continuer, a pu statuer comme elle a fait ».
On se souvient de l’arrêt de la chambre commerciale du 25 avril
2006 (Cass. com., 25 avr. 2006, n° 02-19.577) qui avait décidé « qu’après
avoir relevé, par motifs adoptés, que les cinq commandes passées par la société SJM à la société Meech, sur une période de
six mois, n’établissent que la preuve de relations commerciales
“ponctuelles et non suivies”, l’arrêt précise que les éléments évoqués par la société Meech dans ses conclusions, notamment dans
les pages détaillant l’intégralité des contacts entre les parties et
les démarches accomplies dans le cadre de leurs négociations,
ne caractérisent pas des relations commerciales établies, mais
simplement de longs pourparlers en vue d’un accord commercial, qui n’a en fait jamais été concrétisé; qu’il s’en déduit que
la cour d’appel a pris en compte l’entière période couverte par
la collaboration entre les deux parties, ainsi que les éléments
qualitatifs de celle-ci, et n’encourt pas les griefs du moyen ».
Un arrêt du 5 mai 2009 vient légèrement atténuer cette jurisprudence excluant l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce
lors des pourparlers (ou plutôt lors des pourparlers de cette
espèce).
Dans cette affaire, les sociétés Tecno Plastic et Alprene, sociétés italiennes filiales du « groupe » Fischer, avaient confié, jusqu’en 2005, à M. X... un mandat de représentant exclusif pour
commercialiser leurs produits en France. À partir d’octobre 2002,
M. Y... s’est proposé pour prospecter au service des deux sociétés avec leur accord et celui de M. X..., malade. Entre mai
et décembre 2003, le lien entre M. Y... et les sociétés italiennes
a fait l’objet de réunions et d’échanges écrits et verbaux mais
ces négociations n’ont pas abouti, M. X... restant l’agent commercial en titre et percevant tout ou partie des commissions
générées par M. Y... En mars 2004, dans le cadre d’une restructuration, le « groupe » Fischer a décidé de privilégier l’embauche de salariés et a interrompu ses relations avec M. Y...,
qui a saisi le tribunal pour voir constater l’existence d’un
contrat direct d’agent commercial entre lui et les sociétés Tecno
Plastic et Alprene et qui a subsidiairement invoqué une rupture abusive de relations commerciales établies.
La cour d’appel a condamné les deux sociétés à indemniser M. Y... pour rupture brutale de relations commerciales
établies sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code
de commerce.
La Cour de cassation, dans cet arrêt du 5 mai 2009, rejette le
pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel, aux motifs que « l’arrêt retient que les sociétés Tecno Plastic et Alprene ont largement profité des prospections fructueuses de M. Y... pendant
dix-sept mois, que pendant cette période elles ont occasionnellement présenté M. Y... comme leur “agent” et que ce dernier,
qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent à
l’expiration des contrats d’agent de M. X..., a attendu vainement une régularisation de sa situation ; qu’en l’état de ces
constatations, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES
d’une relation de M. Y... avec les sociétés Tecno Plastic et Alprene suivie, stable, et dont il pouvait penser qu’elle allait continuer, a pu statuer comme elle a fait ».
Cette motivation suscite plusieurs observations :
Tout d’abord, on est bien au stade des négociations puisque
la Cour de cassation relève que « ce dernier, qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent à l’expiration des
contrats d’agent de M. X..., a attendu vainement une régularisation de sa situation ». La motivation de l’arrêt ne permet pas
de considérer que M. Y aurait d’ores et déjà bénéficié d’un
contrat verbal.
Ensuite, la Cour de cassation vise une « relation (…) suivie,
stable ». Elle ne parle pas expressément de relation commerciale établie.
On peut même se demander si elle a bien voulu appliquer l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qu’elle ne vise pas
dans sa motivation. Certes, elle rejette un pourvoi contre un arrêt qui s’était fondé sur ce texte, mais si l’arrêt peut subsister
sur un autre fondement, elle n’avait pas de raison de le casser.
On ne manquera d’ailleurs pas de relever que l’agent commercial n’est pas un commerçant et que la Cour de cassation
n’a peut-être pas voulu parler à son égard d’une relation commerciale établie. Et cela d’autant plus que l’agent commercial
bénéficiant déjà d’un régime protecteur, n’a pas besoin qu’on
lui applique le texte susvisé.
D’ailleurs, le vocabulaire de la Cour fait davantage penser à
une rupture brutale de pourparlers, puisqu’elle relève que
M. Y avait été présenté parfois par les deux sociétés comme
leur agent et pouvait penser que cette relation suivie et stable
allait continuer.
Pour finir, il faut tout de même relever que la situation était
bien différente dans cette espèce et dans celle de 2006.
En 2006, seules quelques ventes avaient été conclues pendant
la période de pourparlers. Ici, la Cour relève que « les sociétés Tecno Plastic et Alprene ont largement profité des prospections fructueuses de M. Y... pendant dix-sept mois ».
Il apparaît donc que si au cours de pourparlers contractuels, de
vraies relations suivies se nouent, la rupture brutale de ses relations pourrait être sanctionnée, probablement sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, bien que
l’arrêt ne soit pas très clair sur le fondement retenu.
M. B.-T.
Voici une affaire originale de rupture brutale de relations commerciales établies.
Deux sociétés sont en relations d’affaires, l’une livrant à
l’autre des produits (probablement du bois). Lors d’une
livraison, le gérant de la société So.Go.Bois émet des propos racistes à l’encontre d’un employé de la société Séguin.
La société Séguin rompt alors immédiatement les relations
avec ce fournisseur. Celle-ci est poursuivie pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement
de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Or, la cour
d’appel refuse de considérer que la rupture immédiate était
justifiée par une inexécution contractuelle, l’attitude offensante et raciste du contractant n’entrant pas dans le champ
contractuel. Et elle condamne la société dont le salarié a été
offensé, à payer à son cocontractant une indemnisation égale
à un an de préavis (soit en l’espèce 139 000 euros).
Heureusement, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil, au
motif que la cour d’appel n’a pas recherché si la société
So.Go.Bois n’a pas méconnu son obligation de loyauté dans
l’exécution du contrat et notamment dans l’exécution de son
obligation de livraison de la chose vendue.
On sait que l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce prévoit une indemnisation en cas de rupture brutale des relations
commerciales établies. Mais le texte ajoute aussitôt que ses
dispositions « ne font pas obstacle à la faculté de résiliation
sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
Toute la question en l’espèce était donc de savoir si en émettant des propos racistes à l’égard d’un employé de son contractant, lors de la livraison des marchandises, la société So.Go.Bois
avait inexécuté une de ses obligations contractuelles.
La question était certes délicate, car ces propos racistes concernent davantage la conduite personnelle de la personne physique du gérant de la société Go.Bois, que l’exécution proprement dite du contrat. Mais la Cour de cassation va trouver ici
le moyen de s’en sortir en invoquant l’obligation de loyauté
dans l’exécution de l’obligation de livraison. Elle reproche
donc à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’obligation de loyauté n’avait pas été violée.
Insulter son contractant ou ses employés ne serait pas exécuter le contrat de bonne foi !
De la rupture immédiate
de relations commerciales
établies pour propos racistes
tenus par le contractant
Quand l’obligation de loyauté vient légitimer une
rupture brutale de relations commerciales établies.
Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-13.964, D
Extrait de l’arrêt :
« Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société Bois, à laquelle étaient reprochées des
fautes commises lors de l’exécution de son obligation de
livraison de la chose vendue, n’avait pas méconnu son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat, la cour d’appel
a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134
du Code civil. »
RLC
RLC
M. B.-T.
1412
1413
Du point de départ du préavis
pour l’application de l’article
L. 442-6-I-5° du Code
de commerce
L’information du contractant du projet de son
cocontractant de pas créer une filiale chargée
de l’activité objet du contrat, fait courir le délai
de préavis.
Cass. com., 7 avr. 2009, n° 08-11.572, D
Extrait de l’arrêt :
« Attendu que, pour décider que la société Sodimas avait
engagé sa responsabilité en rompant brutalement ses relations avec la société Fatton, l’arrêt retient que la rupture a été
notifiée le 24 décembre 2003 sans préavis ;
>
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
41
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle constatait
que la société Sodimas, interrogée par la société Fatton sur
“le devenir de leur collaboration”, avait dès le 25 juin 2003
confirmé que son projet de création d’une filiale de transport,
dont la viabilité financière avait été vérifiée, serait finalisé au
cours du mois de décembre 2003, la cour d’appel a privé sa
décision de base légale ».
Le point de départ du préavis est extrêmement important
pour savoir si le délai de préavis a été ou non suffisant.
En droit commun, le point de départ du préavis est la notification de la résiliation du contrat, ou du non-renouvellement de celui-ci.
Pour l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de
commerce, la jurisprudence est souple. Le point de départ sera le jour où le contractant est informé qu’il n’est
plus sûr que le contrat se continue.
Ainsi s’explique la jurisprudence rendue sur le fondement
de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qui a décidé que le délai de préavis de rupture commence à courir à partir de l’écrit par lequel un contractant notifie à
son prestataire son intention de recourir à un appel
d’offres pour choisir à l’avenir son partenaire contractuel.
Cet écrit fait courir le délai de préavis, même si ce n’est
que plus tard que le contractant initial est prévenu qu’il
n’a pas été choisi lors de l’appel d’offres.
C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation le 6 juin 2001,
en ces termes :
42
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
« Attendu qu’en fixant le point de départ du délai de préavis à
la date de notification de l’échec de la société Charpentier
Armen à l’appel d’offres organisé par le GIE Élis, alors que la
notification par le GIE Élis à la société Charpentier Armen,
de son recours à un appel d’offres pour choisir ses fournisseurs, manifestait son intention de ne pas poursuivre les
relations contractuelles dans les conditions antérieures et
faisait ainsi courir le délai de préavis qu’elle a estimé à une
durée de six mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences
légales de ses propres constatations » (Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-20.831;
jurisprudence constante depuis 2001; cf. par exemple, Cass. com., 18 déc. 2007, n° 05-15.970).
L’arrêt du 7 avril 2009 va également en ce sens, en dehors
de l’hypothèse d’un recours à un appel d’offres. Il décide
que le préavis commence à courir au moment où « la société Sodimas, interrogée par la société Fatton sur “le devenir de leur collaboration”, avait dès le 25 juin 2003
confirmé que son projet de création d’une filiale de transport, dont la viabilité financière avait été vérifiée, serait
finalisé au cours du mois de décembre 2003 ».
Ainsi, il apparaît que la jurisprudence relative à l’appel
d’offres n’est pas propre à ce dernier. Dès lors que le
contractant a été informé, avant même la notification, que
le contrat ne se poursuivrait pas avec lui, ou pas forcément avec lui, le préavis commence à courir.
Cette jurisprudence doit être approuvée, car le cocontractant dont le contrat ou les relations commerciales établies
vont être rompues, sait dans ce cas qu’il lui faut d’ores et
déjà chercher une solution de remplacement.
M. B.-T.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
AIDES D’ÉTAT
Sous la responsabilité de Jean-Louis COLSON, Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence à la Direction générale
Transport et Énergie, Jacques-Philippe GUNTHER, Avocat, Willkie Farr & Gallagher LLP,
Christian LAMBERT, Président de tribunal administratif, Référendaire à la Cour de justice des Communautés européennes
et Lucien RAPP, Professeur agrégé des Facultés de droit, Avocat au Barreau de Paris, Watson, Farley & Williams
Par Benjamin
CHEYNEL
Doctorant à l’Université
Jean Moulin Lyon 3
Of Counsel (WTT Law
Firm, Bruxelles)
Aide nouvelle sur aide
illégale et incompatible
non remboursée ne vaut
Actualité de la doctrine Deggendorf
R LC
Depuis la deuxième moitié des années 1990 et les arrêts Deggendorf, la Cour de justice admet
que la Commission prenne en compte le défaut de récupération d’une aide préalable déclarée
incompatible pour apprécier la compatibilité d’une aide ultérieure ou, à tout le moins, conditionner
la compatibilité ou le versement d’une aide au remboursement préalable d’une aide antérieure illégale
et déclarée incompatible. Toutefois, jusqu’à l’arrêt sous commentaire, les modalités de mise en œuvre
de cette doctrine Deggendorf, ainsi que la marge de manœuvre laissée à la Commission en la
matière, demeuraient floues et appelaient des précisions, ce à quoi le Tribunal vient de procéder
à l’occasion du contrôle de la décision de la Commission relative à l’aide de l’État italien à AEM Torino
destinée à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur de l’énergie. Par là même, il met
en lumière la responsabilité particulière qui pèse sur les États dispensateurs mais également
les entreprises récipiendaires à l’occasion de la procédure de contrôle.
1414
TPICE, 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia c/ Commission
C
ondition déterminante du rétablissement au cas
d’espèce d’une concurrence libre et non faussée, et plus largement de la crédibilité du contrôle
communautaire des aides d’État, la récupération des aides d’État distribuées illégalement
par les États – et par la suite déclarées incompatibles par la
Commission – s’est pourtant toujours avérée une pierre
d’achoppement (Karpenschif M., La récupération des aides nationales versées en
violation du droit communautaire à l’aune du règlement n° 659/1999 : mythe ou réalité?,
RTD eur. 2001, p. 551).
Pour tenter de remédier à un taux de récupération incontestablement insuffisant, la Commission s’est engagée, depuis
son plan d’action pour les aides d’État de 2005 (Des aides d’État
moins nombreuses et mieux ciblées : une feuille de route pour la réforme des aides d’État
2005-2009, document de consultation du 7 juin 2005, COM (2005) 107 final, Communiqué
Comm. CE n° IP/05/680, 7 juin 2005), dans une démarche nettement plus
offensive à l’égard des États membres dispensateurs rechignant à se conformer aux ordres de récupération. Et cette rigueur a indéniablement porté ses fruits.
Le passif d’aides non récupérées s’est ainsi sensiblement réduit, au moins en valeur relative. À titre d’illustration, au 31 décembre 2008 et malgré les sept nouvelles décisions de récupération de l’année, le nombre de décisions non exécutées est
tombé à 46, soit une décision de moins qu’en 2007 (47) et sensiblement moins que les années précédentes (50 au 30 juin
2007, 60 à la fin de 2006, et 94 à la fin 2004). Toutefois, en dépit des progrès accomplis, la situation est encore loin d’être satisfaisante. Ainsi, sur les 46 décisions non exécutées au 31 dé-
Droit I Économie I Régulation
cembre 2008, 20 ont été adoptées il y a plus de 4 ans (donc
avant le 1er janvier 2004) et 6 il y a plus de 8 ans (avant le 1er janvier 2000). Concernant les décisions les plus récentes (de 2005
à 2008), le taux de récupération en valeur tourne autour de
50 % (exception faite des décisions de 2007 où ce taux tombe à 30 %; pour des statistiques
complètes à jour au 31 décembre 2008, cf. <http://ec.europa.eu/competition/state_aid/studies_reports/recovery.html>).
Ces statistiques, certes encore insuffisantes mais assurément
encourageantes, tiennent à une double démarche de la Commission, que celle-ci entend à l’avenir voir compléter par un
investissement plus grand des juridictions nationales dans la
mise en œuvre des décisions de récupération qui, rappelonsle, se voient reconnaître un effet direct au titre de l’article 249
CE (cf. Communication Comm. CE, JOUE 9 avr. 2009, n° C 85, pts. 63 et s., relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales ; voir cette revue, RLC 2009/20, n° 1417, obs. Tayar D. et Giraud A.).
Comme annoncé dans le Plan d’action et confirmé dans la récente Communication de la Commission concernant la mise
en œuvre effective des décisions de la Commission enjoignant
aux États membres de récupérer les aides d’État illégales et
incompatibles avec le Marché commun (JOUE 15 nov. 2007, n° C 272,
RLC 2008/14, n° 994, obs. Giraud A. et Tayar D.), la Commission a sensiblement intensifié son recours à la procédure de manquement
simplifiée de l’article 88, paragraphe 2, CE. Depuis quelques
mois, les condamnations des États membres se multiplient
(CJCE, 6 déc. 2007, aff. C-280/05, Commission c/ Italie, Rec. CJCE, I, p. 181, RLC 2008/15,
n° 1078, obs. Aimino L.; CJCE, 20 sept. 2007, aff. C-177/06, Commission c/ Espagne, Rec.
CJCE, I, p. 7689; CJCE, 14 déc. 2006, aff. C-485/03 à C-490/03, Rec. CJCE, I, p. 11887), >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
43
AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF
touchant tout particulièrement la France (CJCE, 5 oct. 2006, aff. C232/05, Commission c/ France, Rec. CJCE, I, p. 10071, dans l’affaire Kiberley Clark/Scott Paper : Cheynel B., Récupération des aides versées en violation du droit communautaire : interrogations, confirmation, sanctions, RLC 2006/9, n° 65; CJCE, 18 oct. 2007, aff. C-441/06,
Commission c/ France, Rec. CJCE, I, p. 8887, RLC 2008/14, n° 995, obs. Giraud A., dans
l’affaire de l’aide France Telecom par le biais d’une dérogation au régime de droit commun
de la taxe professionnelle; CJCE, 13 nov. 2008, aff. C-214/07, Commission c/ France, RLC
2009/18, n° 1285, obs. Marchand A., relative au régime d’aide à la reprise d’entreprises en
difficulté). Mais au-delà de ces condamnations au titre de l’ar-
ticle 88, paragraphe 2, CE, la Commission a franchi un cap
important en faisant usage pour la première fois de la procédure de « manquement sur manquement » de l’article 228, paragraphe 2, CE à l’encontre de la Grèce qui refusait de se
conformer à un ordre de récupération ayant pourtant déjà
donné lieu à un premier arrêt de manquement sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE (CJCE, 7 juill. 2009, aff. C-369/07,
Commission c/ Grèce; pour des prémices concernant l’Italie dans l’affaire des Municipalizzate et celle des mesures d’aide visant à promouvoir l’emploi, Communiqué Comm. CE
n° IP/08/133, 31 janv. 2008, RLC 2008/15, n° 1078, obs. Aimino L.).
Toutefois, aussi symboliques que puissent être de telles condamnations ( pour une présentation exhaustive des procédures en cours,
cf. <http://ec.europa.eu/competition/state_aid/studies_reports/annex_3.pdf>), elles
n’en demeurent pas moins affectées du défaut congénital de
la procédure de manquement qui ne débouche que sur des
arrêts déclaratoires et ne saurait emporter de conséquences
immédiates sur l’opération de récupération litigieuse, comme
l’illustre l’affaire sous commentaire. C’est certainement pourquoi, depuis quelques années, la Commission fait un usage
croissant de la doctrine Deggendorf (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-355/95 P,
TWD c/ Commission, pts. 25 et 26, Rec. CJCE, I, p. 2549, confirmant TPICE, 13 sept. 1995,
aff. T-244/93 et T-486/93, TWD c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2265) qui lui per-
met de prendre en considération l’absence de récupération
d’une aide illégale antérieurement déclarée incompatible par
la Commission, soit pour dénier la compatibilité d’une aide
nouvelle, soit pour conditionner la compatibilité ou le versement de cette dernière à la récupération préalable de cette
aide. En ce sens, il suffit de constater que la pratique décisionnelle de la Commission sur ce point a sensiblement augmenté (pour une recension, voir tableau récapitulatif infra) mais également
que les textes d’encadrement – normatifs comme non normatifs – élaborés par la Commission sont notablement empreints
de cette préoccupation. Dernièrement, le nouveau règlement
général d’exemption par catégorie a clairement exclu du champ
de l’exemption « a) les régimes d’aide qui n’excluent pas explicitement le versement d’aides individuelles en faveur d’une
entreprise faisant l’objet d’une injonction de récupération suivant une décision de la Commission déclarant des aides illégales et incompatibles avec le marché commun [et] b) les aides
ad hoc en faveur d’une entreprise faisant l’objet d’une injonction de récupération suivant une décision antérieure de la Commission déclarant les aides illégales et incompatibles avec le
marché commun » (Règl. Comm. CE n° 800/2008, 6 août 2008, JOUE 9 août,
n° L 214, art. 1 (6), déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du Traité ; Karpenschif M., Le RGEC : nouveau départ pour le droit des aides d’État?, JCP A 2009, n° 5). Auparavant, dans sa
Communication concernant la mise en œuvre effective des
décisions de récupération précitée, la Commission a clairement fait état de sa volonté de généraliser l’application de la
doctrine Deggendorf, notamment en « l’intégr[ant] dans toutes
les règles et décisions à venir concernant les aides d’État », ce
à quoi elle avait déjà procédé à l’occasion des lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JOUE 1er oct.
2004, n° C 244, pt. 23) et celles sur le financement des aéroports et
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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
les aides d’État au démarrage pour les compagnies aériennes
au départ d’aéroports régionaux (JOUE 9 déc. 2005, n° C 312, pt. 82).
Et c’est sur ce point que l’arrêt sous commentaire vient apporter d’utiles éclaircissements. Il fait suite à la décision de la Commission relative à l’aide de l’État italien à AEM Torino destinée à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur de
l’énergie (Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, relative à l’aide d’État C 11/06 (ex
N 127/05)). Après avoir ouvert la procédure formelle d’examen
de l’article 88, paragraphe 2, CE au seul motif qu’une précédente décision de récupération visant AEM Torino n’avait pas
été exécutée et alors qu’elle relevait dans le même temps que
les mesures en cause satisfaisaient pleinement les critères définis par la Communication du 26 juillet 2001 relative à la méthodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués
(Communiqué Comm. CE n° IP/06/1544, 10 nov. 2006, RLC 2007/10, n° 706, obs. Cheynel B.),
la Commission a conditionné le versement de cette aide à AEM
Torino au remboursement préalable par cette dernière d’une
aide reçue au titre des aides fiscales accordées par l’Italie aux
municipalizzate et qui avaient fait l’objet d’une décision négative et d’un ordre de récupération (Déc. Comm. CE n° 2003/194, 5 juin
2002, JOUE 24 mars 2003, n° L 77), demeuré inexécuté malgré un arrêt
de manquement (CJCE, 1er juin 2006, aff. C-207/05, Commission c/ Italie, préc.).
À l’occasion du recours, les requérantes ont fait valoir plusieurs arguments dignes d’intérêt. Tout d’abord, elles ont
contesté l’existence de ressources d’État. Toutefois, le Tribunal ne fait pas droit à ces moyens et avalise le raisonnement
de la Commission qui avait refusé d’appliquer la jurisprudence PreussenElektra (CJCE, 13 mars 2001, aff. C-379/98, PreussenElektra AG
c/ Schhleswag AG, Rec. CJCE, I, p. 2099) au mécanisme italien de remboursement des coûts échoués en faveur de l’AEM Torino, financé à partir d’un compte spécifique ouvert par l’Autorità
per l’energia elettrica e il gas auprès de la Caisse de péréquation pour le secteur de l’électricité (CCSE), alimenté par le
produit de l’application d’une composante déterminée du tarif électrique et mise à la charge de l’ensemble des clients finaux. Pour mémoire, cet arrêt avait conduit la Cour à dénier
la qualification d’aide d’État pour défaut de ressources d’État
à une mesure imposant aux entreprises d’approvisionnement
en électricité une obligation d’acheter le courant produit dans
leur zone d’approvisionnement à partir d’énergies renouvelables. Pour ce faire, la juridiction communautaire avait relevé, dans l’affaire PreussenElektra, que l’État allemand n’avait
joué aucun rôle dans la collecte et/ou la redistribution des
fonds en cause : les sommes correspondant au prix d’achat
étaient directement transférées entre des acteurs économiques
relevant du secteur privé, à savoir les entreprises distributrices
d’électricité, d’une part, et les producteurs d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, d’autre part.
En d’autres termes, elle excluait qu’il puisse y avoir ressources
d’État lorsque les autorités publiques n’ont ou n’obtiennent
à aucun moment le contrôle des fonds qui financent l’avantage économique en cause (ibid., pts. 59 à 61). Ainsi, même si les
sommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas de
façon permanente en possession des autorités publiques, le
fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et par
conséquent à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État (CJCE, 16 mai 2000, aff. C-83/98 P, France c/ Ladbroke Racing et Commission, pt. 50,
Rec. CJCE, I, p. 3271; CJCE, 16 mai 2002, aff. C-482/99, France c/ Commission, pt. 37, Rec.
CJCE, I, p. 4397; pour des développements plus étoffés, Giraud A. et Tayar D., L’interprétation du critère de l’emploi de ressources d’État par la Cour de justice : le révélateur d’une
lecture formaliste de l’article 87 du Traité CE? (Réflexions à propos de l’arrêt Pearle), LPA
2005, n° 240, p. 4). Or, en l’espèce, les sommes en cause sont
recouvrées et gérées sur un compte spécifique par la CCSE
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
AIDES D’ÉTAT
qui est un organisme public, avant d’être redistribuées au bénéficiaire, à savoir l’AEM Torino. Ainsi, elles étaient constamment sous contrôle public (puisque la CCSE pouvait utiliser
les sommes disponibles sur son compte A 6 pour couvrir temporairement un solde débiteur sur d’autres comptes), mais
encore étaient la propriété de l’État (puisque la CCSE ne possédait pas de personnalité juridique distincte de celle de l’État
italien). En conséquence, le Tribunal ne pouvait qu’admettre
l’existence d’une ressource d’État (pour un raisonnement similaire, cf. Déc.
Comm. CE n° C (2009) 230 final, 28 janv. 2009, pt. 56, concernant l’aide sous la forme de
la création d’un fonds de compensation dans le cadre de l’organisation du marché de l’électricité mise à exécution par le Luxembourg [C 43/2002 – ex NN 75/2001]).
une anomalie par rapport aux conditions normales du marché.
Partant, les modifications intervenues dans ce contexte faisaient
partie des évolutions auxquelles les opérateurs économiques,
au nombre desquels AEM Torino, devaient s’attendre.
Mais, c’est assurément sous l’angle de la mise en œuvre de la
doctrine Deggendorf que l’arrêt sous commentaire présente le
plus grand intérêt. Alors que certaines interrogations avaient
pu se faire jour dans la doctrine (Gosset-Grainville A. et Olza Moreno L., La
Commission européenne « redécouvre » la valeur de la jurisprudence Deggendorf, Décideurs,
Stratégie Finance Droit, 2006, n° 76, pp. 110-111) et de vives critiques avaient
pu être formulées par l’Italie dans l’affaire sous commentaire,
ainsi qu’à l’occasion d’une seconde décision concernant cette
fois les mesures italiennes en faveur de
la réduction des émissions de gaz à efL’ouverture du marché
fet de serre (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars
de l’électricité à la
Pour autant, et en dépit de l’existence avérée de ressources d’État, la qualification
d’aide d’État n’était pas encore définitivement acquise dans la mesure où les reconcurrence par la
quérantes contestaient également l’exisdirective
n° 96/92 –
tence d’un avantage en faveur d’AEM
et
en
conséquence
Torino, préférant voir dans le remboursela suppression
ment des coûts échoués générés par la libéralisation du secteur de l’électricité l’élide monopoles nationaux
mination d’un désavantage concurrentiel
et régionaux – ne peut
résultant d’investissements effectués
s’analyser comme
conformément à des obligations impoune
anomalie par rapport
sées par l’État avant la libéralisation du
aux conditions normales
marché et qu’elles ne parviennent pas à
couvrir au moyen de leurs seules recettes
du marché.
générées par la vente d’électricité sur le
marché libéralisé (pour une illustration, cf. Alexis A., Les aides italiennes octroyées
pour compenser les coûts échoués dans le domaine de l’électricité déclarées compatibles,
Concurrences, 2-2005, p. 81). Or, cette question était loin d’être dépour-
vue de pertinence dans la mesure où la Commission relève,
dans sa Communication relative à la méthodologie d’analyse
des aides d’État liées à des coûts échoués du 26 juillet 2001 et
sans plus de précision, qu’« un système de prélèvement institué par un État membre et transitant par un fonds pour compenser les coûts d’engagements ou de garanties qui risqueraient
de ne pas pouvoir être honorés en raison de l’application de la
directive n° 96/92/CE ne constitue pas une mesure susceptible
de faire l’objet d’une décision de la Commission accordant un
régime transitoire en application de l’article 24 de cette directive : une telle mesure ne nécessite en effet pas de dérogation
aux chapitres concernés de la directive. Une telle mesure est en
revanche susceptible de constituer une aide d’État, qui relève
des articles 87 et 88 du Traité » (nous soulignons). Pour autant, le
Tribunal se refuse à retenir la perspective compensatoire avancée par les requérantes. Au contraire, il confirme la solution retenue par la Commission en considérant que ce transfert est un
avantage économique qu’AEM Torino n’aurait pas reçu dans
des conditions normales de marché. Pour justifier cette solution, il retient que les investissements effectués par AEM Torino avant la libéralisation du secteur – ayant donné lieu aux
coûts échoués et justifié les subventions en cause – étaient grevés d’un risque normal inhérent à d’éventuelles modifications
de la législation et tout particulièrement à l’ouverture de ce secteur à la concurrence. En effet, au regard, d’une part, du fait
que dans un État démocratique, le cadre réglementaire est à
tout moment susceptible d’évoluer, et, d’autre part, de l’orientation générale de la politique économique de la Communauté
européenne dans le sens d’une ouverture des marchés nationaux et de la favorisation du commerce entre les États membres,
l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence par la
directive n° 96/92 – et en conséquence la suppression de monopoles nationaux et régionaux – ne peut s’analyser comme
Droit I Économie I Régulation
2005, JOUE 7 sept. 2006, n° L 244, concernant l’aide d’État
que l’Italie – région du Latium – entend mettre en œuvre en
faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre,
recours pendant sous le numéro T-303/05, introduit le 3 août
2005), l’arrêt du 11 février 2009 permet de
faire le point sur le champ d’application
de la doctrine Deggendorf (I) mais également, en négatif, de faire ressortir la
diligence qui s’impose non seulement à
l’État mais également aux entreprises récipiendaires à l’occasion d’une procédure
où apparaît la question de la mise en
œuvre de la doctrine Deggendorf (II).
I. – DE LA PORTÉE AFFINÉE
DE LA DOCTRINE DEGGENDORF
Prenant appui sur un arrêt du 3 octobre 1991 qui énonçait que
« lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide
d’État avec le marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant,
le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi
que les obligations que cette décision antérieure a pu imposer
à un État membre » (CJCE, 3 oct. 1991, aff. C-261/89, Italie c/ Commission, pt. 20,
Rec. CJCE, I, p. 4437), la juridiction communautaire a explicitement
reconnu que la Commission était compétente pour prendre
en considération, d’une part, l’éventuel effet cumulé des anciennes aides et des nouvelles aides et, d’autre part, le fait
que les anciennes aides, déclarées illicites, n’avaient pas été
restituées (TPICE, 13 sept. 1995, aff. T-244/93, préc., pt. 56; CJCE, 15 mai 1997, C355/95 P, préc., pt. 26 confortant cette affirmation en rappelant que dans tout le domaine
de l’article 87, paragraphe 3, CE, la Commission jouissait d’un large pouvoir d’appréciation,
dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire).
En dépit de la clarté de l’affirmation de principe formulée dans
les arrêts Deggendorf, la mise en œuvre pratique de cette faculté suscitait un certain nombre d’interrogations légitimes
auxquelles l’arrêt sous commentaire apporte des réponses (A)
mais laisse encore en suspens certaines questions (B).
A. – Les réponses de l’arrêt Iride SpA et Iride
Energia SpA
Sévèrement attaquée notamment par l’Italie qui fit plusieurs
fois les frais de son application (Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007,
pt. 23, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N 367/05 et N 623/05) que l’Italie entend
mettre en œuvre en modifiant un régime existant de réduction des droits d’accises sur les
biocarburants; Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06
[ex N 127/05] que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino, arrêt sous
commentaire; Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pts. 19 à 23, recours pendant n° T-303/05), >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF
la doctrine Deggendorf et plus particulièrement ses modalités
d’application étaient soumises pour la première fois au juge
communautaire à l’occasion de l’affaire sous commentaire.
Confirmant la pratique désormais constante de la Commission (Déc. Comm. CE, 8 oct. 2008, n° C (2008) 5067 final, pt. 76, concernant l’aide
d’État n° NN 9/2008 – France/Plan de sauvetage et de restructuration des entreprises de
pêche en difficulté; Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pt. 68), le Tribunal vient
en premier lieu confirmer la portée générale de la doctrine
Deggendorf qui a vocation à être mise en œuvre concernant
tant les aides individuelles que les régimes d’aides non encore recouvrés, nonobstant les difficultés inhérentes à son application aux régimes d’aides déclarés incompatibles (difficultés d’identifier les bénéficiaires, de déterminer les montants
versés…). Le fait que la jurisprudence Deggendorf originelle
ait porté sur une aide individuelle non récupérée ne pouvait
permettre de conclure que seul ce type d’aide – à l’exclusion
des régimes d’aides – était susceptible de donner lieu à la suspension d’aides ultérieures. De même, le fait que les régimes
d’aides soient susceptibles de poser des difficultés particulières ne pouvait faire obstacle à une lecture extensive de la
jurisprudence Deggendorf dans la mesure où, d’une part, ces
difficultés sont imputables à l’éventuel manque de coopération des autorités nationales et, d’autre part, que la jurisprudence constante de la Cour admet que l’absence d’indications
exactes, par la Commission, quant aux entreprises bénéficiaires d’un régime illégal et quant aux montants exacts que
celles-ci ont perçus n’affecte pas la validité d’un ordre de recouvrement ni ne constitue un obstacle à son exécution,
l’État membre concerné étant le mieux placé pour obtenir ces
données et la Commission habilitée, en cas d’absence de coopération de l’État membre concerné, à prendre une décision
sur le fondement des informations dont elle dispose (TPICE,
14 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleuren Compost c/ Commission, pts. 48 à 51, Rec. CJCE, II,
p. 127; sur les efforts promis par la Commission sur ce point, Communication concernant
la mise en œuvre effective des décisions de récupération, préc., pts. 36 et s.). En d’autres
termes, le Tribunal refuse que les États membres puissent tirer profit de leur propre turpitude.
Ainsi, dès lors que l’État membre dispensateur a dépassé le
délai de récupération de quatre mois imparti par la Commission européenne (sur ce point et sur le passage du délai commun de deux à quatre
mois, cf. Communication concernant la mise en œuvre effective des décisions de récupération, préc., pts. 40 et s.), la Commission est susceptible d’actionner
la doctrine Deggendorf. Naturellement, son usage ne saurait
être cantonné aux seules hypothèses dans lesquelles la Cour
de justice a eu l’occasion de constater un manquement d’État,
même si, naturellement, cette hypothèse rend encore plus nécessaire et justifié le recours à un tel mécanisme, ni même
constituer « une procédure exceptionnelle, à laquelle il ne faudrait recourir qu’extrema ratio » (Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pt. 72).
En ce sens, la Commission a d’ailleurs relevé qu’« un contrôle
effectif des aides d’État engendrerait précisément une utilisation constante et immédiate de la jurisprudence Deggendorf
en vue d’assurer l’efficacité du système, dont l’objectif est de
prendre en considération toutes les aides d’État mises à la disposition du bénéficiaire, de réduire ainsi les distorsions de la
concurrence et d’assurer une application effective de ses décisions » (ibid., pt. 72). De même, il nous paraît tomber sous le sens
qu’en la matière, le caractère définitif de la Commission n’est
en aucun cas pertinent. Bien que l’Italie ait tenté de faire valoir cet argument (ibid., pt. 71), la Commission l’a sèchement reprise en soulignant que « ses décisions sont présumées valables
et sortent immédiatement leurs effets, ce conformément à l’article 242 du Traité CE, aux termes duquel les recours n’ont pas
d’effet suspensif » (ibid., pt. 71; CJCE, 5 oct. 2004, aff. C-475/01, Commission
46
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
c/ Grèce, pt. 18, Rec. CJCE, I, p. 8923; pour une problématique similaire toujours en matière d’aide d’État, cf. CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, Centre d’exportation du livre français (CELF), ministre de la Culture et de la Communication c/ Société Internationale de diffusion et d’édition (SIDE), Cheynel B., Arrêt CELF : une victoire à la Pyrrhus pour la
Commission?, RLC 2007/15, n° 1077; Cheynel B. et Giraud A., New paradigm for recovery
of unlawful aid in the EU – National Judges and the « Exception of Compatibility », in World
Competition, 2008, pp. 557-573; pour une problématique similaire en matière d’antitrust,
cf. CJCE, 14 déc. 2000, aff. C-344/98, Masterfoods e.a., pt. 53, Rec. CJCE, I, p. 11369). Il
en irait naturellement différemment si la décision de la Commission venait à faire l’objet d’une mesure provisoire (sur le caractère illusoire des demandes de sursis d’une décision de récupération, cf. Cheynel B., Mesures provisoires : l’urgence toujours en question, RLC 2008/16, n° 1138).
Outre cette confirmation attendue du champ d’application
matériel de la doctrine Deggendorf, l’arrêt sous commentaire
vient également apporter des précisions sur la charge de la
preuve de l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec
des aides antérieures illégales et incompatibles avec le Marché commun et non remboursées. Sur ce point, les requérantes faisaient valoir qu’il incombait à la Commission d’expliquer pour quelles raisons les aides nouvelles qui étaient en
elles-mêmes compatibles ne pouvaient pas être versées dans
la mesure où elles étaient susceptibles d’engendrer une distorsion de concurrence par cumul avec les aides incompatibles préalables non encore remboursées. Autrement dit, il
n’appartiendrait ni à l’État dispensateur, ni à l’entreprise bénéficiaire de fournir à la Commission les éléments de nature
à démontrer l’absence d’effet cumulé des aides illégales antérieures et des nouvelles aides, sauf à soumettre l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE à une condition supplémentaire (ce que la juridiction a déjà eu l’occasion de sanctionner récemment, CJCE,
22 déc. 2008, aff. C-333/07, Société Régie Networks, RCL 2009/19, n° 1344, obs. Cheynel B.).
Le Tribunal refuse catégoriquement de faire droit à ce moyen,
confirmant en cela pleinement la démarche retenue par la
Commission par laquelle la charge de la preuve repose sur
l’État dispensateur et l’entreprise récipiendaire. Pour ce faire,
il renvoie à la jurisprudence Deggendorf elle-même qui a clairement considéré « que le critère de l’absence d’effet cumulé
de l’aide nouvelle examinée avec des aides illégales et incompatibles antérieures non remboursées relevait de l’examen général de la compatibilité d’une aide auquel la Commission doit
procéder, et ne constituait donc qu’un des éléments à prendre
en considération par elle dans le cadre de l’application [de l’article 87, paragraphe 3, CE] » (pt. 103). Il en résulte que l’obligation pesant sur l’État membre et sur l’entreprise potentiellement bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission
les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le Marché commun s’étend également à la nécessité d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle
avec des aides antérieures illégales et incompatibles avec le
Marché commun et non remboursées (pt.104).
Dès lors, le contrôle effectué par le Tribunal sur les décisions
d’autorisation sous conditions du respect d’engagements par
l’État dispensateur (soit de récupérer les aides incompatibles,
préalable à toute distribution d’aide nouvelle ; soit, comme
en l’espèce, d’apporter la preuve à la Commission que le récipiendaire n’était pas bénéficiaire de l’aide incompatible antérieure ou a procédé à son remboursement) se réduit à assez peu de choses. La juridiction communautaire veille, en
premier lieu, à ce qu’à l’occasion de la décision d’ouverture
de la procédure formelle, la Commission explique les raisons
pour lesquelles elle entend, en application de la solution dégagée par la jurisprudence Deggendorf, subordonner la compatibilité de l’aide litigieuse à la restitution préalable des aides
illégales déclarées incompatibles. Par la suite, et concernant
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
AIDES D’ÉTAT
entreprises municipalisées était nationale, n’a pas d’incidence.
la motivation de la décision adoptée à l’issue de la procédure
Pour la Commission, toutes les aides sont nationales, étant
formelle d’examen (existence d’effets potentiellement négadonné que les autorités nationales sont les seules interlocutifs sur la concurrence d’un cumul), le Tribunal fait également
trices directes des institutions communautaires. La preuve en
preuve de peu d’exigences. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce,
est que l’Italie a elle-même notifié la mesure et qu’elle est le
l’État dispensateur et l(es) entreprise(s) récipiendaire(s) n’ont
destinataire de la décision, aux termes des articles 87 et 88 du
nullement coopéré à la procédure, la Commission peut se
Traité CE. En outre, les fonds concernés sont nationaux, qu’ils
contenter de faire état de l’absence d’information pour condisoient distribués par le gouvernement central ou par les autotionner l’octroi de l’aide nouvelle. En effet, il ne saurait être
rités régionales » (ibid., pt. 67).
fait grief à celle-ci de ne pas avoir démontré dans sa décision
les effets potentiellement négatifs sur la concurrence d’un cuSi une telle conclusion nous semble relever de l’évidence, une
mul des aides antérieures illégales et de la mesure litigieuse,
hypothèse différente suscite assurément plus d’interrogations,
puisqu’il ne lui appartenait pas, en l’abà savoir l’absence de prise en considérasence de toute coopération de la Répution pour l’application de la doctrine DegDans l’hypothèse d’une
blique italienne et des requérantes, de
gendorf des aides incompatibles versées
aide nouvelle d’un État
rechercher des éléments prouvant de tels
illégalement au même récipiendaire (enà une entreprise dont une
effets. A contrario, si l’État dispensateur
tendu comme entité économique) non
filiale étrangère a reçu
et le(s) entreprise(s) récipiendaire(s) veplus par le même État mais par un autre
naient à faire preuve d’une coopération
État. Ce cas de figure s’est présenté dans
d’un autre État membre
loyale lors de la procédure (notamment
une affaire relative à l’aide de la France
des aides déclarées
en fournissant l’identité des récipienà la restructuration du groupe FagorBrandt.
incompatibles et non
daires, le montant des aides perçues…)
Elle a conduit la Commission à préciser
encore remboursées,
sans pour autant démontrer le rembourque, dans l’hypothèse d’une aide noula doctrine Deggendorf
sement de l’aide ou s’engager à suspendre
velle d’un État à une entreprise dont une
le versement de la nouvelle, il ne nous
filiale étrangère a reçu d’un autre État
n’avait pas lieu
paraît pas infondé de soutenir que la
membre des aides déclarées incompade s’appliquer dans la
Commission devrait être astreinte à une
tibles et non encore remboursées, la docmesure où il s’agit d’États
motivation plus poussée à l’occasion de
trine Deggendorf n’avait pas lieu de s’apmembres différents.
laquelle elle devrait démontrer en quoi
pliquer dans la mesure où il s’agit d’États
les éléments fournis par l’État dispensamembres différents (Déc. Comm. CE n° C (2007)
teur et/ou le(s) entreprise(s) récipiendaire(s) ne sont pas à
4526 final, 10 juill. 2007, pt. 31, ouverture de la procédure formelle). Or, il est loisible
même de lever les doutes qu’elle a formulés dans sa décision
de s’interroger sur la pertinence d’une exclusion de principe du
d’ouverture de la procédure formelle, en gardant toutefois à
champ de la doctrine Deggendorf des aides versées par les autres
l’esprit que celle-ci dispose, dans le domaine des aides d’ÉÉtats membres et non récupérées. En effet, même si, comme
tat, d’un large pouvoir d’appréciation, soumis à un contrôle
le rappelle le TPICE dans l’arrêt sous commentaire, la procérestreint des juridictions communautaires (CJCE, 29 avr. 2004, aff. Cdure en matière d’aides se noue entre l’État dispensateur et la
Commission (et non l’entreprise récipiendaire ou ses concur91/01, Italie c/ Commission, pt. 43, Rec. CJCE, I, p. 4355). Mais, en tout état de
rentes et la Commission), la compatibilité d’une aide d’État
cause, il ne saurait être requis de la Commission qu’elle pros’apprécie non par rapport à l’État dispensateur mais par rapcède à la délimitation du marché en cause. En effet, de jurisport à la nature et aux effets de l’aide en cause. Certes, dans le
prudence constante, « il suffit que la Commission établisse que
cas d’espèce, la Commission a pris en compte cet élément dans
les aides litigieuses (…) faussent ou menacent de fausser la
l’analyse de la viabilité de l’entreprise (la récupération de cette aide remetconcurrence, sans qu’il soit nécessaire (…) de délimiter le marché en cause » (CJCE, 17 sept. 1980, aff. 730/79, Philip Morris Holland c/ Commiselle en cause le retour à viabilité pris en considération pour juger de la compatibilité d’un mésion, pts. 9 à 12, Rec. CJCE, I, p. 2671; TPICE, 15 juin 2000, aff. T-298/97, Alzetta e.a. c/ Commission, pt. 95, Rec. CJCE, II, p. 2319).
B. – Des questions encore en suspens
Si l’arrêt sous commentaire constitue une consolidation évidente de la pratique de la Commission, des questions encore
irrésolues demeurent. Certaines prises de position de la Commission dans la mise en œuvre de la doctrine Deggendorf peuvent susciter le débat ou au moins supposent un aval explicite de la juridiction communautaire.
Il en va ainsi de l’origine des aides incompatibles que la Commission prend en considération pour l’application de la doctrine Deggendorf. À l’occasion de sa décision relative à l’aide
de la région du Latium en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005,
préc.), la Commission a pu préciser que le fait que l’aide précédente non récupérée ait été distribuée par l’État italien et
non par la région du Latium était sans conséquence sur la faculté dont elle disposait d’opposer à cette région la non-récupération d’une aide distribuée par les autorités centrales italiennes. En ce sens, elle a précisé que « le fait qu’il s’agisse,
dans ce cas, d’une aide régionale, alors que l’aide relative aux
Droit I Économie I Régulation
canisme d’aide à la restructuration de FagorBrandt; cf. Déc. Comm. CE n° C 44/2007 (ex
N 460/2007), 21 oct. 2008, pts. 61 et 62) mais il nous semblerait légitime de
considérer qu’elle puisse s’autoriser, voire être obligée, de conditionner le versement de la nouvelle aide au remboursement de
la première, même si cela a pour effet de faire peser sur un État
les conséquences de l’incurie d’un autre. Sans vouloir remettre
en cause la marge d’appréciation dont dispose la Commission
en matière d’aides (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-355/95 P, préc., pt. 26), il nous
paraît opportun qu’au lieu d’exclure le jeu de la doctrine Deggendorf, la Commission s’assure tout du moins de l’effet du cumul des aides et/ou de leur absence de récupération. Il en va,
selon nous, de la nature même de l’office de la Commission
(qui, selon l’arrêt du 3 octobre 1991, « doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris (…) les obligations qu’[une] décision antérieure a pu imposer à un État
membre », et pas seulement à l’État partie à la procédure relative à la nouvelle aide, nous soulignons) et de la protection si ce n’est de la concurrence au moins
des concurrents du récipiendaire d’une aide incompatible dont
la récupération a été ordonnée. Enfin, il est loisible de s’interroger sur la conformité d’une telle pratique au principe général du droit communautaire d’égalité de traitement qui, ne relevant pas des droits de la défense (rappelons que ces derniers ne peuvent
être invoqués que par les États à la procédure et non les entreprises notamment récipiendaires, >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF
cf. CJCE, 24 sept. 2002, aff. C-74/00 P et C-75/00 P, Falck et Acciaierie di Bolzano c/ Commission, pts. 80 à 83, Rec. CJCE, I, p. 7869), pourrait être invoqué dans le cadre
d’un recours notamment par les récipiendaires d’aides multiples accordées par un seul et même État et partant, soumis à
la doctrine Deggendorf.
Toujours concernant le champ d’application matériel de la doctrine Deggendorf, une autre source d’interrogations persiste.
Elle a trait à la nature des mesures susceptibles d’entrer dans
son champ d’application. En effet, dans l’affaire des aides espagnoles au fonctionnement liées à la livraison de trois navires-citernes transporteurs de GNL construits par le chantier
naval IZAR, la Commission a clairement énoncé « qu’elle ne
peut prendre une décision ordonnant la suspension du paiement d’une aide compatible avec le marché commun – le principe de l’arrêt Deggendorf – que lorsque l’aide autorisée par la
nouvelle décision engendre un cumul des aides rendant la nouvelle aide incompatible » (Déc. Comm. CE n° 2003/691, 9 juill. 2003, pt. 26).
En l’espèce, l’Espagne avait fait usage du règlement n° 1540/98
concernant la construction navale (remplacé, en 2003, par l’encadrement
sur les aides d’État à la construction navale, JOUE 30 déc. 2003, n° C 317, puis prorogé à ce
jour jusqu’au 31 décembre 2011) pour subventionner la commande d’IZAR
de plusieurs transporteurs de GNL. En raison de la complexité
du projet, elle réclama à la Commission l’autorisation de proroger de trois ans la date de livraison de ces transporteurs, ce
que le règlement n° 1540/98 permettait en cas de circonstances
exceptionnelles ou de complexité technique. Or, au moment
du contrôle effectué par la Commission sur la prorogation de
ce délai de livraison, s’est posée la question de l’application
de la doctrine Deggendorf, puisque le chantier naval en cause
avait également été récipiendaire du crédit d’impôt accordé
par l’Espagne aux chantiers navals espagnols, dont la Commission avait constaté l’incompatibilité avec le Traité et ordonné sans succès la récupération. Toutefois, la Commission
n’impose pas le remboursement préalable de l’aide. Pour ce
faire, elle constate que, « dans la présente affaire, elle n’a pas
à se prononcer sur l’éventuel effet de cumul sur le montant de
l’aide à autoriser, mais simplement sur l’existence de conditions spécifiques justifiant une prorogation ». En d’autres termes,
elle exclut l’application de la doctrine Deggendorf dans la mesure où elle était confrontée non pas à une aide nouvelle mais
à la prorogation d’une aide existante. Or, pour des raisons assez similaires à celles précédemment envisagées, il est loisible
de s’interroger sur le choix de la Commission et ce, d’autant
plus qu’en l’espèce, le refus d’autoriser la prorogation du délai aurait eu pour effet de faire tomber ab initio l’aide dans
l’incompatibilité et d’imposer sa récupération. On peut en effet s’interroger sur la pertinence économique d’un tel raisonnement ainsi que sur sa justification notamment au regard de
la ratio legis de la doctrine Deggendorf.
Malgré certaines incertitudes pesant essentiellement sur le
champ d’application de la jurisprudence Deggendorf, une évidence s’impose : les États membres dispensateurs ainsi que
les entreprises récipiendaires (potentielles) prennent une part
active dans le bon déroulement de la procédure de contrôle
et ce, tout particulièrement lorsque la doctrine Deggendorf est
susceptible d’être mise en œuvre. Leur diligence au cours de
la procédure de contrôle conditionne grandement la fluidité
et la célérité des procédures devant la Commission.
II. – DES IMPLICATIONS PRATIQUES DE LA DOCTRINE
DEGGENDORF
La démonstration de l’absence de soutien préalable, la preuve
du remboursement total d’une aide préalablement déclarée
48
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
incompatible (Déc. Comm. CE n° 2004/170, 21 oct. 2003, concernant les aides à la
recherche et développement pour le site de Zamudio (Pays basque) que l’Espagne a envisagé de mettre à exécution en faveur de l’entreprise Industria de Turbo Propulsores, SA; par
remboursement total, il convient d’entendre le remboursement des sommes versées ou obtenues assorties du taux d’intérêt calculé conformément aux articles 9 à 11 du règlement
n° 794/2004, JOUE 30 avr. 2004, n° L 140) ou encore l’engagement de
l’État de ne pas procéder au versement de nouvelles aides tant
que les précédentes n’ont pas été remboursées sont autant
d’éléments à même de libérer l’État dispensateur et l’entreprise récipiendaire de l’aide du joug de la doctrine Deggendorf. Toutefois, pour ce faire, la Commission doit obtenir la
coopération non seulement de l’État dispensateur, mais également celle des entreprises dont elle sait ou envisage qu’elles
aient pu être bénéficiaires d’une aide préalable déclarée incompatible. Cette exigence de coopération loyale fait peser,
tant sur l’État que sur le récipiendaire (éventuel), une responsabilité qui doit modeler leurs relations respectives avec la
Commission européenne.
A. – La responsabilité déterminante de l’État
dispensateur
De jurisprudence constante, l’État membre qui demande à
pouvoir octroyer des aides en dérogation aux règles du Traité
est tenu à un devoir de collaboration envers la Commission,
en vertu duquel il lui incombe, notamment, de fournir tous
les éléments de nature à permettre à cette institution de vérifier que les conditions de la dérogation sollicitée sont remplies (CJCE, 28 avr. 1993, aff. C-364/90, Italie c/ Commission, pt. 20, Rec. CJCE, I, p. 2097;
TPICE, 15 juin 2005, aff. T-171/02, Regione autonoma della Sardegna c/ Commission, pt. 129,
Rec. CJCE, II, p. 2123). Ce devoir de coopération loyale fait donc de
l’État dispensateur l’acteur majeur du bon déroulement de la
procédure de contrôle, spécialement lorsque la doctrine Deggendorf est susceptible d’être mise en œuvre.
Ne pouvant disposer par elle-même des éléments nécessaires
pour s’assurer que la nouvelle aide n’emporte pas d’effet cumulatif ni de distorsion de concurrence et ce, tout particulièrement lorsque sont en cause des régimes d’aides dont les bénéficiaires et le montant des soutiens peuvent s’avérer délicats
à identifier, la Commission doit essentiellement s’appuyer sur
les États membres dont elle ne saurait admettre qu’ils tirent
parti de leur propre turpitude.
La diligence de ce dernier dispensateur ou, au contraire, sa mauvaise volonté et/ou sa réticence à fournir les informations utiles
à la Commission conditionne ainsi si ce n’est le sens de la décision de la Commission au moins la célérité de la procédure.
La pratique décisionnelle de la Commission révèle ainsi que,
même en cas d’absence de récupération préalable d’une aide
déclarée incompatible, la bonne volonté et la diligence des
États dispensateurs permettent un traitement aisé si ce n’est
rapide des demandes d’autorisation d’aides dont la compatibilité par elle-même ne pose pas de difficulté. À titre d’exemple,
nombreuses sont les décisions dans lesquelles la Commission
a conditionné la compatibilité de l’aide au respect par l’État
d’engagements de nature à assurer le remboursement des
aides incompatibles préalablement au versement de toute aide
nouvelle, le plus souvent en transformant l’engagement de
l’État en condition de compatibilité de l’aide notifiée. Ainsi,
elle a pu autoriser l’aide française à FagorBrandt alors même
que cette dernière demeurait redevable de l’aide née de l’article 44 septies du Code général des impôts (Déc. Comm. CE n° 2004/343,
16 déc. 2003, JOUE 16 avr. 2004, n° L 108, Dr. fisc. 2003, n° 272, concernant le régime
d’aides d’État mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en difficulté). De manière plus topique encore, dans l’affaire du plan
français de sauvetage et de restructuration des entreprises de
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
AIDES D’ÉTAT
(Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N
pêche en difficulté (Déc. Comm. CE n° C (2008) 5067 final, 8 oct. 2008, concernant l’aide d’État n° NN 9/2008), la Commission a même pu faire le
367/05 et N 623/05) que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant un régime existant
choix de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, nonde réduction des droits d’accises sur les biocarburants : à l’occasion de l’examen de ce méobstant le fait que les aides en cause concernaient des entrecanisme d’aide, l’Italie a refusé, au stade de l’examen préliminaire, de satisfaire à la deprises qui, pour la plupart, avaient déjà bénéficié du Fonds
mande de la Commission de suspendre le versement de cette aide aux entreprises qui n’avaient
de prévention des aléas pêche mis en place en 2004 pour compas encore remboursé un certain nombre d’autres aides illégales déclarées incompatibles,
penser partiellement les coûts de carburant supportés par les
ce qu’elle ne pourra accepter qu’au cours de la procédure formelle d’examen; Déc. Comm.
entreprises de pêche, et au sujet duquel la Commission a
CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Itarendu, le 20 mai 2008, une décision négative accompagnée
lie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino : l’Italie n’a pas répondu à la lettre
d’un ordre de récupération (Aide d’État n° C9/20066). Pour ce faire
qui lui annonçait l’ouverture de la procédure formelle d’examen). Et ce, d’autant
et ainsi permettre un versement rapide et surtout légal des
plus que ce comportement va à l’encontre de leurs propres
aides en cause, elle s’est contentée de prendre acte d’engageintérêts et préjudicie in fine aux entreprises qu’ils entendent
ments (immédiats) de la France. Alors même qu’elle constasoutenir. Dans le meilleur des cas, ces derniers doivent patait être dans l’impossibilité d’évaluer l’effet cumulatif des
tienter jusqu’à l’issue de la procédure formelle d’examen, sauf
aides antérieures et des aides relevant du régime d’aides en
à accepter une aide qui sera grevée d’une illégalité suscepcause et leur incidence sur le Marché commun en matière de
tible d’être sanctionnée par le juge national, soit par la récudistorsion de la concurrence, dans la mesure où la France
pération intégrale de l’aide assortie d’intérêts soit, en cas de
n’avait pas communiqué la liste des entreprises bénéficiaires
décision de compatibilité passée en force de chose décidée,
ni informé de l’état d’avancement des
au mieux par le paiement d’intérêts pour
procédures de recouvrement, elle prend
la période d’illégalité (sur ce point, cf. CJCE,
Si le manque de diligence
acte des engagements des autorités fran12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF, préc.).
ou la mauvaise volonté
çaises « lors de la mise en œuvre du préEnfin, il importe de relever que, si le
de l’État peuvent retarder
sent régime d’aides, à vérifier si les bémanque de diligence ou la mauvaise voconsidérablement
néficiaires de ce régime ont perçu des
lonté de l’État peuvent retarder considéet inutilement
aides déclarées illégales et incompatibles
rablement et inutilement les procédures,
par une décision de la Commission et,
ils n’ont à ce jour jamais justifié à eux
les procédures, ils n’ont
dans l’affirmative, à procéder au recouseuls une déclaration d’incompatibilité.
à ce jour jamais justifié à
vrement de ces aides majorées des intéAinsi, ils confortent la Commission dans
eux seuls une déclaration
rêts correspondants avant le paiement
son appréciation de l’incompatibilité d’un
d’incompatibilité.
des nouvelles aides » et décide que, « a
mécanisme de soutien plus qu’ils ne la
priori, les aides que la France envisage
motivent (Déc. Comm. CE n° 2007/499, 21 févr. 2007,
de verser dans le cadre du présent régime d’aides n’auront pas
concernant l’aide d’État n° C 16/2006 (ex NN 34/2006) de la Région de Sardaigne en faveur
l’effet cumulatif et l’impact sur le marché commun en termes
de la Nuova Mineraria Silius SpA; Déc. Comm. CE n° 2002/783, 12 mars 2002, relative à
de distorsion de concurrence que l’application de la jurisprul’aide d’État n° C 62/2001 (ex NN 8/2000) accordée par l’Allemagne en faveur de Neue Erba
dence Deggendorf permet d’éviter » (ibid., pts. 76 à 79).
Lautex GmbH et Erba Lautex GmbH in Gesamtvollstreckung). À titre d’exemple,
Si la coopération loyale et poussée de l’État dispensateur est
dans l’affaire Euromoteurs (Déc. Comm. CE n° 2006/747, 26 avr. 2006), la
à même d’accélérer sensiblement l’adoption d’une décision
Commission adopte une approche décentrée en retenant que
positive au bénéfice tant de l’État que des entreprises réci« l’aide notifiée et le plan de restructuration l’accompagnant
piendaires, la mauvaise volonté de celui-ci peut en revanche
ne prennent pas en compte la possibilité du remboursement de
générer un allongement bien inutile et préjudiciable des prol’aide illégale et incompatible qu’Euromoteurs a perçue en vertu
cédures. Il en va tout particulièrement ainsi lorsque l’ouverde l’article 44 septies (…) [Or] ce remboursement va aggraver
ture de la procédure formelle est justifiée uniquement par le
les problèmes financiers de l’entreprise et la Commission consimanque de loyauté de l’État dispensateur vis-à-vis de la Comdère que, dans ces conditions, le plan ne peut être considéré
mission. En effet, si, le plus souvent, l’absence de recouvrecomme réaliste » (pt. 51).
ment d’une aide préalablement déclarée incompatible ou à
B. – La responsabilité concurrente des entreprises
tout le moins d’engagements de l’État en ce sens constitue
récipiendaires
une cause parmi d’autres justifiant l’ouverture de la procédure formelle de l’article 88, paragraphe 2, CE (Déc. Comm. CE
Traditionnellement considérés comme de simples « sources
d’informations » de la Commission (CJCE, 12 juill. 1973, aff. 70/72, Comn° C (2008) 4777 final, 10 sept. 2008, concernant l’aide d’État n° C39/2008 (ex N 148/2008) –
mission c/ Allemagne, pt. 19, Rec. CJCE, p. 813; CJCE, 20 mars 1984, aff. 84/82, Allemagne
Roumanie/aide à la formation à Ford Craiova), il n’est pas exclu qu’elle puisse
en être la justification exclusive. En ce sens, l’affaire de l’aide
c/ Commission, pt. 13, Rec. CJCE, p. 1451; TPICE, 10 avr. 2003, aff. T-366/00, Scott c/ Comitalienne à AEM Torino, sous commentaire, est topique. Alors
mission, pt. 59, Rec. CJCE, II, p. 1763) et partant réduits à la portion congrue
même que la Commission n’avait aucun doute sur la compa(sur une lente amélioration de leur statut, cf. Karpenschif M., De nouveaux droits pour les
tibilité du soutien à AEM Torino – puisqu’elle constatait que
entreprises bénéficiaires d’aides dans le contentieux communautaire des aides d’État?, RLDA
la méthode utilisée pour calculer le montant des coûts échoués
2005/4, n° 203; TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00, Scott c/ Commission, Rec. CJCE, II,
ainsi que le calcul lui-même correspondaient à toutes les inp. 797, Muguet-Poullennec G., Vers une redéfinition de la pratique de la Commission en madications figurant dans la Communication relative à la métière d’aides d’État?, RLC 2007/12, n° 832), les bénéficiaires potentiels d’une
thodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués,
aide projetée ne doivent pas pour autant en délaisser la proelle ouvrit la procédure formelle pour la seule raison que « l’Itacédure de contrôle des aides d’État.
lie n’a pas précisé si elle a déjà récupéré l’aide antérieure que
Comme la juridiction communautaire a eu l’occasion de le
l’AEM Torino a, selon toute probabilité, reçue ». Dès lors, il est
préciser et malgré un statut peu enviable, ils sont néanmoins
loisible de s’interroger sur les raisons qui peuvent pousser
soumis à une obligation de coopération loyale similaire à celle
certains États dispensateurs à s’engager dans la voie de l’afs’imposant aux États membres. Il a en ce sens été jugé que,
frontement avec la Commission lors des procédures de contrôle
dès lors que la décision d’ouvrir la procédure prévue à l’ar- >
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF
ticle 88, paragraphe 2, CE contient une analyse préliminaire
suffisante de la Commission exposant les raisons pour lesquelles elle éprouve des doutes quant à la compatibilité des
aides en cause avec le marché commun, il revient non seulement à l’État membre mais également au bénéficiaire potentiel d’apporter les éléments de nature à démontrer que ces
aides sont compatibles avec le marché commun et, éventuellement, de faire part de circonstances spécifiques relatives au
remboursement d’aides déjà versées, dans le cas où la Commission viendrait à exiger celui-ci (TPICE, 4 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleu-
contrôle est, au contraire, tout à son avantage. Notamment
lorsque sont en cause des régimes d’aides pour lesquels les bénéficiaires ainsi que le montant des soutiens ne sont pas ou difficilement identifiables et que l’État fait preuve de peu ou pas
de diligence, l’entreprise récipiendaire de l’aide nouvelle peut,
voire doit, apporter tous les éléments permettant à la Commission de s’assurer de l’absence d’aide préalable dans le chef du
récipiendaire de l’aide nouvelle (Déc. Comm. CE n° 2007/508, 6 déc. 2006,
ren Compost c/ Commission, pt. 45, Rec. CJCE, II, p. 127; TPICE, 18 nov. 2004, aff. T-176/01,
Ferriere Nord c/ Commission, pts. 93 et 94, Rec. CJCE, II, p. 3931).
boursement de celle-ci. Naturellement et même si les textes
n’envisagent pas cette hypothèse, il nous paraît évident qu’une
telle démarche réalisée au cours de la procédure préliminaire
dans une hypothèse telle que celle de l’affaire AEM Torino est
à même d’éviter l’ouverture de la procédure formelle de l’article 88, paragraphe 2, CE, soit si les doutes de la Commission
tiennent uniquement à un défaut d’information (Déc. Comm. CE
n° 2006/598, 16 mars 2005, préc.), soit si cela conduit l’État dispensateur
à rapidement s’engager à ne pas procéder au versement de
l’aide nouvelle tant que l’aide incompatible préalable n’a pas
été récupérée.
Toutefois, il paraît bien délicat d’évaluer dans quelle mesure
les entreprises récipiendaires sont susceptibles de contrebalancer l’inertie totale de l’État dispensateur dans la récupération d’une aide incompatible préalable. La jurisprudence du
Tribunal qui insiste sur le fait que la doctrine Deggendorf s’applique à raison de l’inexécution de l’ordre de récupération par
l’État et non de l’absence de remboursement par l’entreprise
récipiendaire (pt. 84) tend à placer l’entreprise récipiendaire de
bonne volonté dans une impasse. Mais, en sens contraire, la
pratique de la Commission semble laisser plus d’espoir dans
la mesure où elle paraît réserver l’hypothèse où l’entreprise
récipiendaire viendrait, de sa propre initiative, à constituer
une réserve sur un compte bloqué (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars
2005, préc., spéc. pt. 80). ◆
Les entreprises récipiendaires sont ainsi amenées à devoir
contribuer au bon déroulement de la procédure de contrôle
voire éventuellement à palier l’inertie des États dispensateurs,
tout particulièrement lorsque la doctrine Deggendorf est actionnée par la Commission. Le Tribunal ayant conclu que l’absence d’effet cumulé des aides illégales antérieures et des aides
nouvelles faisant partie intégrante de l’examen général de
compatibilité de l’aide proposée (pt. 103), « il en résulte que
l’obligation pesant (…) sur l’entreprise potentiellement bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles
avec le marché commun (…) s’étend également à la nécessité
d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec des
aides antérieures illégales et incompatibles avec le marché commun et non remboursées ».
En pratique, et même si la bonne volonté démontrée du récipiendaire des aides incompatibles de rembourser ces dernières
n’est en principe pas de nature à contrebalancer l’inertie de
l’État dispensateur en matière de récupération et ainsi de permettre de faire pièce à l’application de la doctrine Deggendorf
(Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, pt. 80, concernant l’aide d’État n° C 11/06
(ex N 127/05) que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino), la bonne
volonté manifestée par celui-ci au cours de la procédure de
spéc. pt. 49, concernant l’aide d’État C 22/06 (ex N 615/05) que l’Italie envisage de mettre à
exécution en vue de la réduction du taux de taxation des émulsions d’eau) ou du rem-
RECENSION DES DÉCISIONS DE LA COMMISSION APPLIQUANT LA DOCTRINE DEGGENDORF
50
Déc. Comm. CE n° C (2008) 5995 final, 21 oct. 2008, concernant l’aide d’État n° C 44/2007 (ex N 460/2007) que la
France envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt
Décision de compatibilité à l’issue de la procédure préliminaire sous condition de remboursement préalable
Déc. Comm. CE n° C (2008) 5067 final, 8 oct. 2008, concernant l’aide d’État n° NN 9/2008 – France/Plan de sauvetage et de restructuration des entreprises de pêche en difficulté
Décision de compatibilité à l’issue de la procédure préliminaire, sans condition (mais engagement de l’État français
de vérifier si les bénéficiaires de ce régime ont perçu des
aides déclarées illégales et incompatibles par une décision
de la Commission et, dans l’affirmative, de procéder au recouvrement de ces aides majorées des intérêts correspondants avant le paiement des nouvelles aides)
Déc. Comm. CE n° C (2008) 4777 final, 10 sept. 2008,
concernant l’aide d’État n° C39/2008 (ex N 148/2008) –
Roumanie/aide à la formation à Ford Craiova
Décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen
Déc. Comm. CE n° 2008/408, 20 nov. 2007, concernant
l’aide d’État n° C 36/A/06 (ex NN 38/06) mise à exécution par l’Italie en faveur de ThyssenKrupp, Cementir et
Nuova Terni Industrie Chimiche
Décision d’incompatibilité
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
AIDES D’ÉTAT
Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, concernant
l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N 367/05 et N 623/05)
que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant un
régime existant de réduction des droits d’accises sur les
biocarburants
Décision de compatibilité à l’issue de la procédure formelle
d’examen, sans condition (mais engagements de l’État italien d’insérer dans l’appel d’offres relatif aux biocarburants
une clause qui subordonne le droit de participation à l’absence de tout cumul avec de précédentes aides illégales et
de suspendre le paiement des nouvelles aides lorsque les
bénéficiaires n’ont pas encore remboursé les aides incompatibles réclamées par la Commission dans sa décision
d’ouverture de la procédure)
Déc. Comm. CE n° 2007/375, 7 févr. 2007, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées
comme combustible pour la production d’alumine dans la
région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, appliquée respectivement par la France, l’Irlande
et l’Italie [C 78/2001 (ex NN 22/01), C 79/200 (ex NN 23/01),
C 80/2001 (ex NN 26/01)] [notifiée sous le numéro C (2007)
286] : compatibilité (suspension jusqu’à remboursement)
Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure
formelle d’examen, assortie d’une obligation de suspension de versement jusqu’à remboursement des aides illégales et incompatibles
Déc. Comm. CE n° 2007/508, 6 déc. 2006, concernant l’aide
d’État C 22/06 (ex N 615/05) que l’Italie envisage de mettre
à exécution en vue de la réduction du taux de taxation des
émulsions d’eau
Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure
formelle d’examen, sans condition (mais engagement des
autorités italiennes de suspendre le paiement de l’aide, dans
le cas où en bénéficierait une entreprise qui n’aurait pas
encore remboursé ni payé sur un compte bloqué une aide
illégale et incompatible reçue sur la base des mesures d’aide
énoncées par la Commission dans sa décision d’ouverture
de la procédure)
Déc. Comm. CE n° 2007/499, 21 févr. 2007, concernant
l’aide d’État n° C 16/2006 (ex NN 34/2006) de la Région
de Sardaigne en faveur de la Nuova Mineraria Silius SpA
Décision d’incompatibilité
Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide
d’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Italie entend mettre
à exécution en faveur de l’AEM Torino
Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure
formelle d’examen, sous condition pour l’Italie d’apporter
la preuve que l’AEM Torino n’est pas bénéficiaire de l’aide
antérieure accordée dans le cadre du régime en faveur des
« municipalizzate », déclarée illégale et incompatible avec
le traité par la décision n° 2003/193/CE, ou la preuve que
l’AEM Torino a remboursé avec les intérêts l’aide antérieure
obtenue dans le cadre du régime précité
TPICE 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia
c/Commission (rejet)
Déc. Comm. CE n° 2006/747, 26 avril 2006, concernant
l’aide d’État que la France envisage de mettre à exécution
en faveur d’Euromoteurs
Décision d’incompatibilité
Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005, concernant
l’aide d’État que l’Italie – région du Latium – entend mettre
en œuvre en faveur de la réduction des émissions de gaz
à effet de serre
Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure
formelle d’examen, sans condition mais l’aide ne peut être
concédée avant que l’Italie n’ait fourni la preuve qu’ACEA a
restitué l’aide déclarée illégale et incompatible appréciée dans
le cadre de la décision n° 2003/193/CE, majorée des intérêts
Recours pendant (n° T-303/05), introduit le 3 août 2005
Déc. Comm. CE n° 2005/941, 1er déc. 2004, concernant
l’aide d’État que la France envisage de mettre à exécution
en faveur de la société Bull
Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure
formelle d’examen, sous condition que l’aide ne sera pas
versée avant le remboursement de l’aide au sauvetage approuvée par la décision n° 2003/599/CE
>
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
51
AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF
Déc. Comm. CE n° C (2003) 4069 final, 11 nov. 2003, concernant les aides n° N 614/02 en faveur de la réduction des
émissions polluantes – Italie, Piémont
Décision de compatibilité à l’issue de la procédure préliminaire, avec l’engagement de l’État italien de vérifier si certaines entreprises n’avaient pas reçu des aides incompatibles préalables et, dans l’affirmative, à ne pas verser l’aide
en cause avant récupération de la précédente
Déc. Comm. CE n° 2004/170, 21 oct. 2003, concernant les
aides à la recherche et développement pour le site de Zamudio (Pays basque) que l’Espagne a envisagé de mettre
à exécution en faveur de l’entreprise Industria de Turbo
Propulsores, SA
Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure
formelle d’examen.
Non-lieu à s’interroger sur l’application de la jurisprudence
Deggendorf dans la mesure où la preuve du remboursement des aides antérieures a été apportée
Déc. Comm. CE n° 2003/691, 9 juill. 2003, relative à l’aide
d’État que le Royaume d’Espagne envisage d’accorder sous
forme d’aides au fonctionnement liées à la livraison de trois
navires-citernes transporteurs de GNL construits par IZAR
Non-lieu à s’interroger sur l’application de la jurisprudence
Deggendorf en l’absence de cumul d’aides, puisqu’était en
cause non pas une aide nouvelle mais la prorogation d’un
mécanisme d’aide existant
Déc. Comm. CE n° 2002/783, 12 mars 2002, relative à l’aide
d’État n° C 62/2001 (ex NN 8/2000) accordée par l’Allemagne en faveur de Neue Erba Lautex GmbH et Erba Lautex GmbH in Gesamtvollstreckung
Décision d’incompatibilité
Déc. Comm. CE n° 1999/509, 14 oct. 1998 concernant des
aides accordées par l’Espagne aux entreprises du groupe
Magefesa et à ses successeurs
RLC
AIDES D’ÉTAT
1415
Licence UMTS, suite et fin
La Cour confirme que l’harmonisation du montant
des redevances UMTS entre les différents opérateurs
par la France ne constituait pas une aide d’État.
CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-431/07, Bouygues et Bouygues Telecom
c/ Commission
Nous avions déjà évoqué dans ces lignes l’affaire des licences
UMTS (Gunther J.-P. et Giraud A., Licence UMTS : modification rétroactive (à la baisse)
des conditions tarifaires, RLC 2007/13, n° 907 et Giraud A., Licence UMTS, (suite) : l’avocat général propose le rejet du pourvoi de Bouygues par substitution de motifs, RLC 2009/18,
n° 1287). Par un arrêt en date du 2 avril 2009, la Cour de jus-
tice des Communautés européennes est venue confirmer en
tous points l’analyse du Tribunal de première instance dans
son arrêt du 4 juillet 2007.
Pour rappel, en 2000, l’État français avait organisé un appel
à candidatures afin d’attribuer quatre licences UMTS. Seuls
deux opérateurs, Orange et SFR avaient répondu à cet appel
d’offres et s’étaient vu attribuer des licences. Dans le but d’accroître la concurrence dans le secteur, les autorités françaises
avaient jugé utile d’organiser un nouvel appel à candidatures,
à des conditions économiques plus intéressantes. Cela a amené
Bouygues Telecom à se porter candidate et à se voir attribuer
une licence près d’un an et demi après ses concurrentes. En
52
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Décision d’incompatibilité
parallèle, l’État français a modifié les conditions économiques
applicables à Orange et SFR, pour les aligner sur celles applicables à Bouygues Telecom.
Considérant que cet alignement des conditions applicables
aux différents opérateurs constituait une aide d’État au bénéfice de ses concurrents, Bouygues Telecom a déposé une plainte
auprès de la Commission. Cette dernière a décidé, en application de l’article 88 du Traité CE, de ne pas soulever d’objections à l’encontre de la mesure en cause.
Saisi d’un recours en annulation formé par Bouygues Telecom, le Tribunal de première instance a confirmé le contenu
de la décision de la Commission et a affirmé que la modification du montant des redevances dues par Orange et SFR pour
l’aligner sur celui des redevances dues par Bouygues Telecom
ne constituait pas une aide d’État incompatible au sens de
l’article 87 du Traité CE. Plus précisément, le Tribunal a considéré que (i) le changement des conditions octroyées à Orange
et SFR, se traduisant par la renonciation par la France à ses
créances auprès des opérateurs, était justifié par la nature et
l’économie du système instauré par la directive n° 97/13 qui
imposait aux États membres l’ouverture à la concurrence de
ce marché, et (ii) que l’antériorité dont avaient bénéficié Orange
et SFR dans l’octroi de leur licence n’avait en réalité pas profité à ces dernières.
Malgré les raisonnements alternatifs proposés par l’avocat général Trstenjak (Concl. av. gén. Trstenjak, CJCE, 8 oct. 2008, aff. C-431/07, Bouygues
SA c/ Commission, cf., à ce propos, Giraud A., Licence UMTS, (suite) : l’avocat général propose le rejet du pourvoi de Bouygues par substitution de motifs, préc.), la Cour a re-
pris en tous points ceux du Tribunal.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
AIDES D’ÉTAT
La directive n° 97/13 ainsi que la décision n° 128/1999 prise
en son application imposaient aux États membres d’introduire
les services UMTS sur leur territoire avant un délai fixé et en
attribuant les licences dans le respect des principes de libre
concurrence et d’égalité de traitement. La Cour considère dans
l’arrêt commenté que les contraintes pesant sur les États
membres avaient imposé à l’État français de réagir comme il
l’a fait face au nombre réduit de réponses.
En effet, selon la Cour, face à l’insuffisance du nombre de candidatures présentées pour garantir une concurrence effective
sur le marché, la France n’avait que trois options : (i) reprendre
ab initio la procédure d’attribution des licences, (ii) lancer un
appel d’offres complémentaire sans modifier le montant des
redevances dues par Orange et SFR ou (iii) lancer un appel
d’offres complémentaire en modifiant les montants dus par
Orange et SFR – ce qu’a fait la France.
La Cour considère, comme le Tribunal, que l’abandon des
créances en cause par la France était rendu inévitable par la
nature et l’économie du système entourant ces licences. En
effet, alors que la reprise de la procédure ab initio aurait entraîné des retards dans la mise en œuvre de l’ouverture du
marché, le maintien du montant des redevances d’Orange et
SFR aurait créé une discrimination entre les opérateurs. Les
deux premières options devaient donc, selon la Cour, être exclues dans la mesure où elles auraient placé la France en
contravention avec l’encadrement communautaire des services de télécommunications.
En rejoignant de la sorte le raisonnement du Tribunal, la Cour
a décidé de ne pas suivre celui qui avait été proposé par l’avocat général Trstenjak. Selon ce dernier, l’abandon des créances
détenues par l’État français auprès d’Orange et SFR ne lui était
pas imputable car il était rendu nécessaire par le respect du
droit communautaire. L’imputabilité de la mesure à l’État étant
une des conditions d’existence d’une aide d’État, cette solution présentait l’avantage de la simplicité. La Cour a préféré
considérer que l’abandon de créances était justifié par la nature et l’économie du système. Ce faisant, elle entérine une
interprétation inhabituelle, longuement discutée dans ces
lignes, de cette justification. Historiquement, les notions de
« nature et économie du système », qui permettent d’écarter
la qualification d’aide en présence de mesures a priori sélectives mais dont le champ d’application répond à une logique
propre et cohérente, trouvent à s’appliquer en matière fiscale
et se réfèrent à un « système » issu d’une réglementation nationale (pour une illustration récente, cf. Ababou D., Condition de sélectivité : le Tribunal rappelé à l’ordre, RLC 2009/19, n° 1347). Ici, la Cour propose une interprétation de la notion qui s’étendrait hors du champ fiscal et
prendrait pour référence un corpus de règles communautaires.
2. L’antériorité des licences accordées à Orange et SFR
ne les mettait pas dans une situation différente de celle
de Bouygues Telecom
La seconde question que soulevaient les faits de l’espèce tenait à l’existence ou non d’une discrimination entre Orange
et SFR, d’une part, et Bouygues Telecom, d’autre part. La requérante considérait en effet que l’abandon de créances de la
France créait une discrimination entre les opérateurs puisque
leur étaient appliquées des conditions financières identiques
Droit I Économie I Régulation
alors qu’ils se trouvaient dans des situations différentes. Selon elle, l’antériorité d’allocation des licences UMTS à Orange
et SFR leur conférait une valeur économique supérieure.
La Cour rejoint Bouygues Telecom sur le fond de son argument en admettant que « l’antériorité des licences UMTS attribuées à Orange et à SFR n’aurait pu justifier, voire exiger,
la fixation des redevances y afférentes à un montant supérieur
à celui de la redevance due par Bouygues Telecom que si la valeur économique de ces licences pouvait être considérée, du seul
fait de cette antériorité, comme supérieure à celle de la licence
attribuée à cette dernière société » (pt. 115). Cependant, elle considère qu’en l’espèce toutes les licences UMTS ont la même valeur puisque Orange et SFR n’ont pas pu utiliser ces licences
et entrer sur le marché avant leur concurrent, pour des raisons qui leur étaient extérieures (en l’occurrence, des difficultés techniques et un contexte économique peu favorable).
Dès lors, l’harmonisation du montant des redevances ne comportait aucune discrimination en faveur d’Orange et de SFR.
Nous avions déjà exprimé ici nos réserves quant à ce raisonnement qui revient à exclure la qualification d’aide d’État au
regard d’éléments extérieurs à la mesure en cause, tenant à
la question de savoir si le bénéficiaire a, dans les faits, profité de l’avantage qui lui était conféré. Une telle approche va
à l’encontre du fait que la notion d’aide est une notion objective ; la qualification d’aide dépend non pas des effets que la
mesure a produits mais de ceux qu’elle est susceptible de produire.
Si l’argumentation sur laquelle repose cet arrêt nous paraît
critiquable, la solution dans cette affaire est, elle, justifiée. La
décision de Bouygues Telecom de ne pas participer au premier appel d’offres, certainement dans l’espoir de voir les prix
des licences baisser, justifie seule la décision de la France de
réorganiser une consultation et d’aligner les redevances dues
par les opérateurs. Cette circonstance aurait permis une
meilleure justification de la mesure en cause, mais n’a, malheureusement, pas été examinée par la Cour.
David TAYAR et Adrien GIRAUD
Avocats
RLC
1. La renonciation de la France aux créances nées
des conditions de licence initialement accordées à Orange
et SFR était justifiée par la nature et l’économie
du système
1416
Grille d’analyse
de la compatibilité
des aides d’État
La Commission organise une consultation sur un projet
de grille d’application de l’article 87, paragraphe 3,
du Traité CE.
Projet de principes communs d’évaluation économique de la compatibilité
des aides d’État en application de l’article 87, paragraphe 3
La Commission est actuellement particulièrement active sur
le chantier de la réforme du droit des aides d’État. Dans ce
numéro, nous faisons état de plusieurs publications communautaires participant de cette logique (voir infra, RLC 2009/20, n° 1417,
obs. D.T. et A.G.).
Elle a notamment organisé une consultation, qui s’est clôturée le 11 juin 2009, sur un projet de « Principes communs d’évaluation économique de la compatibilité des aides d’État en application de l’article 87, paragraphe 3 ».
L’article 87, paragraphe 3, du Traité CE prévoit que peuvent
être considérées comme compatibles avec le Marché commun
les mesures constituant des aides d’État mais contribuant à >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
53
54
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
sion de concurrence. L’aide peut limiter les profits des concurrents du bénéficiaire et donc réduire leur propension à investir et à se faire concurrence. L’aide peut aussi, en réduisant
les coûts de certains intrants (main-d’œuvre ou coût d’établissement, par exemple), nuire aux fournisseurs d’intrants
concurrents. La Commission indique qu’elle sera particulièrement sensible aux distorsions entre les États membres qui
peuvent notamment découler d’aides régionales.
Aux termes du projet, l’évaluation des effets négatifs des aides
consistant en une détermination des potentielles distorsions
de concurrence, elle nécessitera l’identification des produits,
consommateurs et concurrents affectés. Sans affirmer que
l’analyse des aides d’État supposera une délimitation du marché pertinent, exercice aujourd’hui réservé à l’application des
articles 81 et 82 du Traité CE, il semble que la Commission
suggère qu’une telle analyse pourrait entrer en ligne de compte.
Enfin, la Commission tente de proposer une méthodologie de
mise en balance des effets positifs et négatifs de l’aide. Elle
admet que cet exercice peut s’avérer très délicat, notamment
parce qu’il est difficile, voire impossible, d’évaluer l’ampleur
des effets d’une aide. La Commission se contente donc de
fournir une liste d’« indicateurs opérationnels », de cas dans
lesquels la Commission prendra une décision positive ou négative. Par exemple, la Commission indique qu’elle se prononcera certainement contre la compatibilité d’une aide comportant des distorsions de concurrence quasi certaines et ne
profitant qu’à son bénéficiaire, lorsqu’il s’agit d’une aide au
fonctionnement ou encore lorsque le montant de l’aide est
important, alors que ses effets positifs seront restreints. En revanche, la Commission adoptera une position plus favorable
si l’aide, par exemple, va nécessairement engendrer des effets
positifs très importants, profitant à de nombreux États membres
et à l’intérêt commun européen ou si elle ne fausse pas substantiellement le fonctionnement du marché commun en introduisant des disparités significatives entre les entreprises
établies dans différentes régions ou dans différents États
membres. La Commission prend évidemment la précaution
de souligner que la liste fournie n’est pas exhaustive et qu’aucun des indicateurs n’est autosuffisant. Elle propose enfin aux
États membres une liste de mesures correctives qui permettraient d’admettre plus facilement la compatibilité d’une aide.
Jacques-Philippe GUNTHER
Avocat
Dounia ABABOU
Juriste
RLC
des objectifs d’intérêt commun clairement définis sans fausser indûment la concurrence entre les entreprises et les échanges
entre États membres. Cette disposition met donc en place un
bilan, dont la dimension politique est admise par la Commission elle-même, pour l’évaluation des aides d’État. La Commission est seule compétente pour appliquer ce texte. Les
éclaircissements qu’elle envisage d’apporter sur sa méthode
d’analyse sont donc plus que bienvenus.
Le texte est organisé autour des trois étapes de la mise en balance entre les effets positifs – la contribution à atteindre des
objectifs d’intérêt commun – et les effets négatifs de l’aide sur
les échanges et la concurrence au sein du Marché commun
selon la Commission. Les étapes du raisonnement consistent
à s’assurer que (i) l’aide vise à atteindre un objectif d’intérêt
commun bien défini, (ii) l’aide est appropriée, suffisamment
incitative et proportionnée pour atteindre cet objectif et (iii)
les distorsions de concurrence sont limitées. La Commission
explique, pour finir, comment les effets positifs et négatifs de
l’aide seront mis en balance.
La Commission propose dans ce projet une définition et une
description des « objectifs d’intérêt commun » qui peuvent justifier qu’une aide, par principe interdite, puisse être compatible avec le marché commun.
La Commission s’est principalement fondée sur la théorie économique pour définir cette notion d’« objectif d’intérêt commun ». Reprenant des concepts largement utilisés en « antitrust » mais peu usités en droit des aides, la Commission estime
qu’une aide sera considérée comme compatible si elle vient
remédier à une défaillance du marché (objectifs d’efficacité)
ou à une mauvaise répartition du bien-être (objectifs d’équité).
Ainsi, selon la Commission, un objectif d’intérêt commun acceptable pour une aide d’État consisterait en la réduction des
externalités négatives (aides environnementales) ou l’augmentation des externalités positives (aides pour la recherchedéveloppement) produites par les acteurs du marché ; une
aide compatible pourrait également avoir pour objectif de remédier à l’imperfection et l’asymétrie de l’information ou aux
problèmes de coordination présents sur le marché. L’État devra alors prouver que les défaillances du marché affectent la
rentabilité du projet qu’il entend financer, à tel point que sans
l’aide, ce projet ne serait pas entrepris.
Par ailleurs, selon le projet de grille d’analyse, une aide compatible peut poursuivre des objectifs d’équité. Les marchés,
qui sélectionnent les gagnants et les perdants, sont intrinsèquement porteurs d’inégalités, que l’État peut chercher à corriger. Répondent à cet objectif les aides régionales, les aides
au sauvetage et à la restructuration ou les mesures visant à
favoriser l’embauche de travailleurs ayant des difficultés particulières.
La seconde étape de l’examen consiste à se demander si l’aide
proposée permettra d’atteindre l’objectif d’intérêt commun
défini. Cet exercice se décompose en trois phases. Premièrement, l’aide doit être un moyen d’action apte à atteindre l’objectif poursuivi. Deuxièmement, l’aide doit être suffisamment
incitative pour que l’objectif soit effectivement atteint ; à cet
égard, l’État membre devra comparer la situation sans l’aide
et celle avec l’aide pour démontrer son effet incitatif. Troisièmement, l’État devra démontrer que le même résultat n’aurait pu être atteint grâce à une aide d’un montant moindre ou
créant des distorsions de concurrence moins importantes.
La troisième étape du raisonnement consiste à rechercher les
potentiels effets négatifs de l’aide sur la concurrence et sur
les échanges au sein du marché commun. La Commission
identifie trois manières dont une aide peut causer une distor-
1417
Communication de la
Commission relative
à l’application des règles
en matière d’aides d’État par
les juridictions nationales
La Commission a publié, au Journal officiel de l’Union
européenne en date du 9 avril 2009, une
« Communication relative à l’application des règles en
matière d’aides d’État par les juridictions nationales ».
Communiqué Comm. CE n° IP/09/316, 25 févr. 2009, JOUE 9 avr., n° C 85
Cette Communication vient remplacer celle de 1995. En
presque quinze ans, la législation et la jurisprudence com-
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
AIDES D’ÉTAT
munautaire ont connu des évolutions majeures sur des
points ayant une incidence directe sur l’application du
droit des aides d’État par les juridictions nationales, comme
par exemple l’évolution jurisprudentielle qui a mené aux
arrêts SFEI (CJCE, 11 juill. 1996, aff. C-39/94, SFEI e.a. c/ La Poste e.a., Rec.
CJCE, I, p. 3547) et CELF (CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF et ministre
de la Culture et de la Communication c/ SIDE, Rec. CJCE, I, p. 469) sur le rôle
des juridictions nationales en matière de récupération des
aides d’État ou encore aux différents règlements d’exemption par catégorie, comme le règlement général d’exemption par catégorie (JOUE 9 août 2008, n° L 214). Cette nouvelle
Communication fait également suite à une étude menée
en 2006 sur l’application au niveau national du droit des
aides d’État et constatant la rareté des actions contre les
aides illégales.
Bien plus approfondie que l’ancienne version, la Communication de la Commission s’articule autour de deux axes.
D’abord, la Commission propose aux juridictions un « mode
d’emploi » du droit des aides d’État. Cette partie, qui mérite d’être saluée pour sa clarté et son aspect pédagogique,
passe rapidement sur les conditions de l’existence d’une
aide d’État, renvoyant à la jurisprudence, pour insister sur
le rôle des juridictions nationales lorsqu’elles sont confrontées à des aides illégales (non notifiées à la Commission).
En particulier, la Commission consacre de longs développements au rôle des juridictions nationales en matière de
récupération des aides et souligne avec insistance la possibilité d’actions en dommages et intérêts à l’encontre de
l’État membre. La Commission fait également référence à
la possibilité pour les juridictions nationales de prendre
des mesures provisoires pour empêcher le versement d’une
aide illégale.
Droit I Économie I Régulation
La seconde partie de la Communication porte sur les modalités de coopération entre la Commission et les juridictions
nationales. Ces dernières peuvent recourir à la Commission
pour, à certaines conditions, obtenir communication de documents en sa possession ou la consulter sur une question
relative au droit des aides d’État.
On pourra regretter que cette Communication ne prenne en
compte que les droits des plaignants devant les juridictions
nationales. Le but avoué de cette Communication est de
favoriser les actions nationales à l’encontre des aides d’État
illégales et elle ne contient que peu d’informations sur les
droits des États et des bénéficiaires des aides devant les
juridictions nationales.
Enfin, l’orientation générale du projet, principalement tourné
vers l’objectif d’assurer l’effectivité du droit communautaire
des aides d’État, malmène quelque peu le principe d’autonomie procédurale des États. En effet, les actions devant les
juridictions nationales sont normalement, du fait du principe de l’autonomie procédurale des États, soumises aux
règles de procédure nationales. Or la Communication propose, en point 41, d), une interprétation contestable du principe d’effectivité, une branche du principe de l’autonomie
procédurale, au terme de laquelle les règles de procédure
nationales plus sévères doivent primer sur les règles de procédure communautaires. Il n’est pas certain que ce principe
impose aux juridictions internes d’appliquer les règles nationales les plus strictes s’il existe des règles procédurales
communautaires. Par ailleurs, cela revient à traiter différemment des contentieux parfaitement équivalents au seul motif qu’ils relèvent d’autorités distinctes (le juge national et
la Commission).
D.T. et A.G.
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
55
CONCURRENCE
ET DROIT PUBLIC
Sous la responsabilité de Guylain CLAMOUR, Professeur à l’Université Montpellier I, Directeur du Master II Contrats
publics et partenariats, Codirecteur du Magistère Droit public des affaires, Stéphane DESTOURS, Maître de conférences
à l’Université Montpellier I, Avocat au barreau de Montpellier et Philippe TERNEYRE, Professeur agrégé de droit public,
Université de Pau et des Pays de l’Adour, Consultant auprès d’entreprises et de collectivités publiques
n tête de rubrique, le projecteur est placé sur une importante décision du Conseil d’État cantonnant
la théorie de « l’état de la législation antérieure » qui permet au pouvoir réglementaire d’apporter des
restrictions à l’exercice des professions dès lors que le législateur a précédemment ouvert la voie. Alors
qu’un arrêt Benkerrou de 2004 laissait entendre que cette théorie trouvait à s’appliquer à toute hypothèse
d’intervention législative quelle qu’en soit la date, l’arrêt rapporté du 21 novembre 2008 vient utilement
la ramener dans son contexte en limitant sa portée aux législations adoptées antérieurement à l’entrée en
vigueur de la Constitution de la Ve République.
Outre cette jurisprudence de poids, l’actualité est marquée, toujours du côté des juridictions administratives, par
une application de la liberté du commerce et de l’industrie et des règles de concurrence à une mesure de police
administrative réglementant l’activité des bateaux-mouches, par une question de concurrence publique dans les
Îles Loyauté, appréciée dans un cadre juridique formellement dépassé ou encore par un problème de
dérogation à la règle du repos dominical.
Du côté des autorités de concurrence, l’on retiendra, outre la compétence de l’Autorité pour connaître
des pratiques d’un Conseil de l’Ordre, les mesures conservatoires adoptées à l’égard d’EDF afin d’imposer
une séparation de la communication commerciale entre les activités de service public et celles d’une filiale
concurrentielle. Enfin, la Cour de justice a confirmé, à propos d’Eurocontrol, qu’une activité n’est pas économique
dès lors qu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement de puissance publique.
Guylain CLAMOUR et Stéphane DESTOURS
E
Par Guylain
CLAMOUR
Profession réglementée :
la théorie de « l’état de la
législation antérieure » ne vaut
que pour les dispositions
législatives adoptées avant 1958
R LC
L’étendue du pouvoir réglementaire ne peut être appréciée dans le cadre des limitations
de portée générale qui ont été apportées par la loi aux garanties et principes fondamentaux
pour l’exercice des libertés publiques, dès lors que le législateur est intervenu pour encadrer
la profession en cause non pas avant la Constitution de 1958 mais sous empire.
1418
CE, 21 nov. 2008, n° 293960, Association Faste Sud Aveyron
D
ans l’organisation réglementaire de l’exercice des professions, « les garanties et les
principes fondamentaux qui sont en cause
doivent nécessairement être appréciés
dans le cadre des mesures qui ont été
prises », dans tel secteur de la vie économique, par la législation antérieure (CE, 28 oct. 1960, n° 48.293, Martial de Laboulaye, Rec. CE
1960, p. 570, AJDA 1961, p. 20, concl. Heumann C., Dr. soc. 1961, p. 141, concl. et note
Teitgen P.-H.). À cet égard, l’on sait que la théorie jurispruden-
tielle de « l’état de la législation antérieure » permet au pouvoir réglementaire autonome de prévoir des prescriptions
complémentaires de celles posées par la loi, dès lors que le
56
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
législateur est préalablement intervenu pour aménager l’exercice d’une profession.
Une telle jurisprudence se comprend, dans le contexte de
la répartition des compétences normatives propres à la
Ve République, en mettant en perspective l’article 34 de
la Constitution qui réserve au pouvoir législatif le soin de
fixer les règles concernant « les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques » et les possibilités antérieures d’exercice du
pouvoir réglementaire (cf. Cons. const., 27 nov. 1959, n° 59-1, Rec. Cons.
const., p. 71, D. 1960, p. 55, chron. Hamon L., RFD publ. 1960, p. 1012, comm.
Waline M., GDCC, 4e éd., p. 70).
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC
Toutefois, un important arrêt Benkerrou de 2004 a pu laisser penser que la théorie de l’état de la législation antérieure
n’était pas cantonnée, dans une logique transitoire, aux législations antérieures à 1958, mais s’étendait à toute intervention législative sur une profession donnée, y compris intervenue sous l’empire de la Constitution de la Ve République.
Ainsi, dans cette affaire Benkerrou, le Conseil d’État a-t-il pu
retenir que si, « au nombre des libertés publiques, dont les
garanties fondamentales doivent, en vertu de la Constitution,
être déterminées par le législateur, figure le libre accès, par
les citoyens, à l’exercice d’une activité professionnelle n’ayant
fait l’objet d’aucune limitation légale », la « profession de
conducteur de taxi a le caractère d’une activité réglementée »
et, qu’en conséquence, « il était loisible à l’autorité investie
du pouvoir réglementaire de fixer, en vertu des pouvoirs qu’elle
tient de l’article 37 de la Constitution, des prescriptions complémentaires de celles résultant de la loi du 20 janvier 1995 »
(CE, ass., 7 juill. 2004, n° 255136, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des
rie de « l’état de la législation antérieure » et la protection des droits et libertés, in Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz,
p. 1453) n’était satisfaisante ni pour la portée des compétences
d’entreprendre dans le cadre du référé-liberté : un cas effectivement à part, Dr. adm.
2004, comm. 179).
conception occidentale de la liberté. Liber amicorum en l’honneur de Jacques Georgel,
Paris, Apogée, 1998, p. 221. Adde Cassin R., Le Conseil d’État gardien des principes de
la révolution française, Rev. int. d’hist. pol. et constit. 1951, p. 13; Donnedieu de Vabres J.,
La protection des droits de l’Homme par les juridictions administratives en France, EDCE
1949, p. 30). ◆
du législateur ni pour une protection effective des garanties
à apporter à l’exercice des libertés publiques.
Telle est bien la conviction du Conseil d’État qui a saisi l’occasion d’une affaire relative à l’organisation des « lieux de
vie et d’accueil » pour retoquer cette interprétation et clairement cantonner la théorie en question aux législations antérieures à 1958.
Après avoir rappelé « qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il n’appartient qu’à la loi de fixer tant les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, au nombre desquelles figure le libre exercice d’une activité professionnelle », le Conseil d’État retient
dans l’arrêt rapporté du 21 novembre 2008 « que relève en
conséquence de la compétence législative le principe de l’encadrement du régime financier et de la tarification, notamment par les collectivités territoriales et
Libertés locales c/ Benkerrou, Rec. CE 2004, p. 298, RFD
l’assurance-maladie, des personnes moadm. 2004, p. 913, concl. Guyomar M., RFD adm. 2004,
rales de droit privé gérant des établisp. 1130, note Degoffe M., Dr. adm. 2004, comm. 155, note
La théorie de l’état
sements et services intervenant dans le
Breen E., AJDA 2004, p. 1695, chron. Landais C. et Lenica F.,
de la législation
champ de l’action sociale », avant de
CJEG 2004, p. 543, note MV, RFD publ. 2005, p. 200, obs.
antérieure ne s’applique
préciser que si les dispositions législaGuettier C.).
que pour les textes
tives pertinentes en l’espèce ( CASF,
Des commentateurs avisés avaient alors
pu faire état d’une « théorie renouveart. L. 312-1-III) ont soumis à autorisation
adoptés avant l’entrée
lée » de l’état de la législation antérieure
la
création des lieux de vie et d’accueil,
en vigueur de la
en soulignant que « jusqu’alors, l’inter« il ne résulte ni de ces dispositions, ni
e
V République.
vention du législateur relevée comme
d’aucune autre disposition législative
permettant au pouvoir réglementaire
que ces derniers devraient être soumis
d’intervenir à son tour était antérieure
à une réglementation de leur financeà l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Or, en l’esment et de la tarification de leurs prestations ». Aussi, le
pèce, et même si la profession de conducteur de taxi est réministre ne pouvait « utilement soutenir que l’étendue du
glementée par la loi depuis 1937, l’Assemblée du contentieux
pouvoir réglementaire devrait être appréciée dans le cadre
n’a fait mention dans sa décision que de la loi du 20 jandes limitations de portée générale qui ont été apportées par
vier 1995 relative à l’accès à l’activité de conducteur de taxi
la loi aux garanties et principes fondamentaux qui sont en
et à la profession d’exploitant de taxi. Il est donc raisonnable
cause, dès lors qu’en l’espèce le législateur n’était pas interde penser que le Conseil d’État a choisi d’abandonner la
venu pour encadrer l’activité des lieux de vie et d’accueil
condition d’antériorité à l’actuelle Constitution de l’interavant la Constitution de 1958 ».
vention législative. C’est en tout cas la solution que préconiÀ la lecture de ce considérant, le doute n’est plus permis :
sait le Commissaire du gouvernement, qui n’y voyait nul
la théorie de l’état de la législation antérieure ne s’applique
obstacle théorique. Et, de fait, la théorie de l’état de la légisque pour les textes adoptés avant l’entrée en vigueur de la
lation antérieure semble reposer sur l’idée qu’il convient que
Ve République. Comme l’avançait Anne Courrèges devant
le législateur ait “ouvert la voie” afin que l’autorité régleles 1re et 6e sous-sections réunies, « cette jurisprudence doit
mentaire puisse appliquer, prolonger, aménager, compléter
être appréciée en fonction de sa raison d’être historique et
sans, naturellement, en altérer la nature, des restrictions de
de son utilité. Elle se justifiait par l’idée que le Constituant
libertés déjà légalement consacrées. Dans ces conditions, l’inde 1958 ne pouvait avoir voulu restreindre la compétence du
tervention de la Constitution de 1958 paraît sans incidence
pouvoir réglementaire, là où elle pouvait déjà s’exercer (…).
sur la théorie ; l’important est que le législateur soit interAutrement dit, la jurisprudence en cause est une jurispruvenu, peu importe qu’il l’ait fait avant ou après 1958 » (Landence “contextualisée” dont l’objet est de faciliter la transition entre deux systèmes constitutionnels qui retiennent des
dais C. et Lenica F., chron. sous l’arrêt préc., AJDA 2004, p. 1695).
logiques différentes dans le partage entre loi et règlement »
Ce faisant, l’on pouvait résumer la question en retenant
(Courrèges A., concl sur l’arrêt rapporté, RFD adm. 2009, p. 151). Et rien d’autre.
généralement que, « dans le cas d’une profession réglementée, ou plutôt initialement légiférée, la liberté ne peut plus
Certainement pas un fondement à de molles habilitations
être invoquée même là où la loi était restée muette » et qu’il
législatives. Une preuve de ce que la juridiction administrasuffit « que le législateur ait ainsi ouvert la voie concernant
tive trouve aussi sa légitimité dans la protection des liberune profession pour que le pouvoir réglementaire puisse aptés (sur la question, cf. Le juge administratif et les libertés publiques, Colloque du cinporter d’autres restrictions, y compris d’une autre nature,
quantenaire des tribunaux administratifs, 30 sept. 2003, RFD adm. 2003, p. 1045 ; Stirn B.,
à cette liberté professionnelle » (Lombard M., La protection de la liberté
Le Conseil d’État et les libertés, in La liberté dans tous ses états, regards croisés sur la
Mais une telle solution, détachée de ses racines originelles
(sur lesquelles cf. de Villiers M., La jurisprudence de « l’état de la législation antérieure »,
AJDA 1980, p. 387) et critiquée en conséquence (cf. Alcaraz H., La théo-
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
57
Mise en Seine de la concurrence
R LC
Par Guylain
CLAMOUR
1419
En modifiant les modalités de calcul du nombre minimal de membres d’équipage
obligatoire pour les bateaux-mouches, le ministre n’a pas méconnu les règles
de concurrence qui doivent être prises en compte dans l’édiction de toute mesure
de police administrative.
CE, 15 mai 2009, n° 311082, Société Compagnie des bateaux-mouches
C
oule la Seine, transportant avec elle, sous les
ponts de Paris, un essaim de bateaux-mouches
au bourdonnement réglementé notamment par
le ministre de l’Écologie, du Développement et
de l’Aménagement durable. Ministre qui, par
un arrêté du 20 décembre 2006, a modifié l’arrêté du 2 septembre 1970 relatif à la sécurité des bateaux à passagers non
soumis à la réglementation maritime, en prévoyant que le
nombre minimal de membres d’équipage obligatoire pour ces
bateaux ne sera plus fonction du « nombre maximal de passagers admis à bord » mais de « la capacité maximale du bateau ». Or, cette évolution réglementaire a pour effet « d’exiger la présence à bord de quatre membres d’équipage, dont un
capitaine, un mécanicien et deux matelots, pour tous les bateaux dont la capacité d’accueil est comprise entre six cents et
mille passagers, quel que soit le nombre de passagers effectivement à bord lors d’une traversée, alors qu’un seul matelot
est requis pour les embarcations de capacité inférieure ».
Estimant cette modification illégale et arguant en conséquence
d’un préjudice, la Société Compagnie des bateaux-mouches
a demandé l’abrogation de l’arrêté litigieux avant d’attaquer
le refus né du silence ministériel à cette demande. Compétent
en premier et dernier ressort s’agissant d’un refus portant sur
un acte administratif ministériel à caractère règlementaire (CE,
ass., 8 juin 1973, n° 84.601, Richard, Rec. CE 1973, p. 405), le Conseil d’État a
statué par l’arrêt rapporté en ouvrant son raisonnement par
un rappel des termes de la jurisprudence Société L & P Publicité (CE, sect., avis contx., 22 nov. 2000, n° 223645, Société L & P Publicité, Rec. CE 2000,
p. 526, RFD adm. 2001, p. 872, concl. Austry S., AJDA 2001, p. 198, note Rouault M.-C.,
D. 2001, p. 2110, note Albert N., D. 2001, p. 1235, obs. Gonzalez G., RFD publ. 2001, p. 393,
note Guettier C.) régissant la prise en compte des règles de concur-
rence en matière de police administrative générale.
Ainsi, la Haute Juridiction administrative pose à nouveau « que
dès lors que l’exercice de pouvoirs de police administrative est
susceptible d’affecter des activités de production, de distribution ou de services, la circonstance que les mesures de police
ont pour objectif la protection de l’ordre public n’exonère pas
l’autorité investie de ces pouvoirs de police de l’obligation de
prendre en compte également la liberté du commerce et de l’industrie et les règles de concurrence » avant d’ajouter tout aussi
fidèlement à la décision de principe, « qu’il appartient au juge
de l’excès de pouvoir d’apprécier la légalité de ces mesures de
police administrative en recherchant si elles ont été prises compte
tenu de l’ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles en
ont fait, en les combinant, une exacte application ».
En appliquant ce cadre, le Conseil d’État retient la légalité de
la modification opérée en 2006. Après avoir souligné l’objectif de protection de l’ordre public de la mesure, fondé sur
l’amélioration de la sécurité des passagers, il considère que
l’obligation de calculer l’effectif minimal de l’équipage en
fonction de la capacité maximale du bateau, et les conséquences qui en découlent, constituent « des mesures néces-
58
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
saires et proportionnées ». Cette affirmation est d’abord étayée
par la circonstance que « l’objectif de sécurité des passagers
suppose de prendre en compte, pour la détermination de la
composition de l’équipage exigée, non seulement le nombre
de passagers présents à bord ou susceptibles de l’être, mais
aussi la taille, le tonnage et la manœuvrabilité du bateau »,
avant d’être appuyée par le fait que « l’exigence d’un nombre
de matelots variable selon le nombre de passagers admis à
bord des bateaux ne permettait pas un contrôle effectif de la
mise en œuvre, par les compagnies, de la réglementation relative à l’équipage des bateaux de croisière navigant sur la Seine ».
Une telle solution montre bien que l’invocation du droit de la
concurrence à l’encontre d’une mesure de police administrative suit le même sort que celle des libertés économiques. En
imposant à l’administration de combiner, pour en faire une
exacte application, les impératifs d’ordre public, la liberté du
commerce et de l’industrie et les règles de concurrence, la jurisprudence Société L & P Publicité n’aurait rien fait d’autre,
en somme, que d’introduire les règles de concurrence au même
rang que les libertés économiques. Et, qu’au final, une réglementation nécessaire et proportionnée, condition que l’on
connaît depuis 1993 pour les restrictions portées aux libertés
(CE, 19 mai 1933, nos 17.413 et 17.520, Benjamin, Rec. CE 1933, p. 541, GAJA n° 49), suffirait à absoudre tout grief tiré du droit de la concurrence.
La suite de l’arrêt confirme sans conteste cette analyse en se
préoccupant expressément des règles de concurrence. Le
Conseil d’État y considère en effet « que s’il ressort des pièces
du dossier, et qu’il n’est pas contesté, que la société requérante
est la seule compagnie organisant des croisières sur la Seine à
posséder des bateaux ayant une capacité d’accueil supérieure
à six cents passagers, cette seule circonstance ne suffit pas pour
permettre de considérer que les mesures de police édictées par
l’arrêté attaqué porteraient atteinte aux règles de la concurrence ou méconnaîtraient le principe d’égalité, dès lors que la
mesure adoptée repose, au regard de sa finalité, sur des critères objectifs au regard desquels elle revêt un caractère proportionné ».
Une telle formulation n’est pas satisfaisante au premier abord.
Elle apparaît trop « administrativiste » et, peut-être à dessein,
trop détachée de la rigueur d’analyse du droit de la concurrence. En effet, derrière les termes de ce considérant, se cache
l’idée, on l’espère développée par le moyen, qu’en lien avec
la circonstance que la société requérante est la seule à posséder sur le marché pertinent des bateaux ayant des capacités
d’accueil concernées par les nouvelles dispositions, tel concurrent, détenant une position dominante, aurait été conduit à
en abuser nécessairement du fait de la nouvelle réglementation. Il aurait ainsi mieux valu retenir soit l’absence de position dominante, soit l’absence d’abus automatique de position dominante.
À moins que l’intention du moyen n’ait pas été telle mais
ait simplement consisté à avancer que la nouvelle
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC
réglementation aurait « pour effet de conduire à empêcher,
restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment en limitant l’accès à ce marché ou le libre
exercice de la concurrence par d’autres entreprises », selon
les termes de la jurisprudence administrative (CE, 30 avr. 2003,
n° 230804, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et
d’assainissement, Dr. adm. 2003, comm. 123, note Bazex M. et Blazy S., AJDA 2003,
p. 1150, chr. Donnat F. et Casas D., CP-ACCP 2003, n° 24, p. 71, note Richer L., Contrats
marchés publ. 2003, comm. 125, note Delacour E., Dr. soc. 2003, p. 999, note Antonmattéi P.-H. et Destours S. ; CE, sect., 10 mars 2006, n° 264098, n° 264123 et n° 268524,
Commune d’Houlgate, BJCP 2006, n° 46, p. 203, concl. Casas D., p. 209, obs. M. Ch.,
Contrats marchés publ. 2006, comm. 150, obs. Eckert G., Dr. adm. 2006, comm. 94, note
Ménéménis A., Contrats, conc., consom. 2006, comm. 136, obs. Brunet P., AJDA 2006,
p. 751, note Dreyfus J.-D., RLC 2006/8, n° 578, note Clamour G.). Toutefois, là
encore, le moyen ne pouvait espérer prospérer tant la réglementation n’interfère pas sur les concurrents dans la situation actuelle et ne prive pas la société requérante de la possibilité d’exercer son activité.
Ainsi entendue comme défense d’une situation concurrentielle, l’invocation des règles de concurrence justifie parfaitement une approche en termes de mesure nécessaire et proportionnée. ◆
Lumière sur le groupe EDF
R LC
Par Stéphane
DESTOURS
1420
L’Autorité de la concurrence enjoint EDF de modifier sa communication commerciale de façon à
séparer celle relevant de ses activités de service public et celle de sa filiale intervenant dans le
secteur concurrentiel.
Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, relative à la saisine au fond et à la demande de mesures conservatoires présentée par la société
Solaire Direct
C
onfusion entretenue autour du rôle d’EDF SA
dans la filière photovoltaïque ; exploitation par
EDF ENR, filiale d’EDF SA, de la base de données clients de l’opérateur historique ; avantages matériels et humains consentis par EDF SA
à EDF ENR ; verrouillage par EDF SA du marché amont de
l’approvisionnement en équipements photovoltaïques.
Voilà, condensées, les pratiques que la société Solaire Direct,
active sur le marché émergent des services rendus aux particuliers souhaitant produire de l’électricité solaire photovoltaïque, reproche à EDF SA et sa filiale EDF ENR.
On y retrouve tous les griefs possiblement liés à la diversification des activités d’un ancien monopoleur.
C’est ce que confirme la lecture de la décision n° 99-MC-01,
imposante à tous égards.
Avant d’entamer son analyse concurrentielle circonstanciée,
l’Autorité de la concurrence précise, en guise de préambule,
que « le Conseil a été conduit, à l’occasion de l’ouverture à la
concurrence des marchés des télécommunications, de l’électricité, du gaz et des transports ferroviaires, à maintes reprises
et tout autant dans le cadre de son rôle consultatif, que dans
celui de ses attributions contentieuses, à se prononcer sur la
question de l’insertion des monopoles publics dans le libre jeu
de la concurrence, dès lors que la libéralisation de ces secteurs
s’accompagne de la diversification des activités des anciens
monopoles. La pratique décisionnelle du Conseil, qui ne méconnaît pas l’intérêt d’une diversification des activités des opérateurs historiques, susceptible, dans certaines circonstances,
de stimuler la concurrence sur les marchés, a néanmoins et de
manière constante recommandé que soit effectué un suivi vigilant d’un tel processus et appelé à une appréciation concrète
de ses conséquences en fonction de la structure des marchés
concernés » (pts. 96 et 97).
Illustrant ensuite ces considérations générales, l’Autorité rappelle que le Conseil de la concurrence a observé « notamment dans l’avis n° 94-A-15 du 10 mai 1994 relatif à une de-
Droit I Économie I Régulation
mande sur les problèmes soulevés par la diversification des
activités d’EDF et de GDF au regard de la concurrence, que
“la situation particulière de ces établissements publics leur
permet d’obtenir de manière privilégiée des moyens de financement, que l’accès au consommateur final est facilité
par l’existence d’un réseau couvrant l’intégralité du territoire national et qu’ils bénéficient de l’image d’intérêt général du service public, toutes caractéristiques qui constituent
des avantages incontestables facilitant l’implantation sur des
marchés ne relevant pas du monopole légal”. Les conditions
énoncées dans cet avis ont depuis lors fait l’objet de nombreux rappels au fil de la pratique décisionnelle du Conseil.
Il s’agit essentiellement de la “séparation étanche entre les
activités liées au monopole et celles relatives à la diversification”. Plus spécifiquement, cette séparation doit être à la
fois juridique, matérielle, comptable, financière et commerciale » (pts. 98 et 99).
Le principe et les limites de la diversification rappelés, il ne
restait plus à l’Autorité qu’à « dérouler » le raisonnement. Ce
qu’elle a fait à grand renfort de citations et références à tout
l’acquis consultatif et décisionnel du Conseil de la concurrence en la matière (sur lequel, cf. Clamour G. et Destours S., Droit de la concurrence publique, J.-Cl. Collectivités territoriales, Fasc. 724-10).
En substance, l’Autorité estime qu’à ce stade de l’instruction,
les moyens de communication utilisés par EDF à destination
de l’ensemble de ses abonnés (notamment la Lettre Bleu Ciel
et la plate-forme téléphonique 3929 qui orientent les particuliers intéressés par la production d’électricité photovoltaïque
vers sa filiale EDF ENR) entretiennent une confusion entre,
d’une part, le rôle d’EDF SA en tant que fournisseur d’électricité aux tarifs réglementés et d’autre part, l’activité concurrentielle de sa filiale EDF ENR (cf. pts. 102 à 120). Elle en déduit
que, de ce fait, EDF ENR profite de l’image de l’opérateur historique et utilise la base de données détenue par sa société
mère sur les clients régulés, avantages dont ne bénéficient pas
ses concurrents (cf. pts. 129 à 140).
>
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
59
LUMIÈRE SUR LE GROUPE EDF
CONCURRENCE
ET DROIT PUBLIC
RLC
DÉCISIONS DES AUTORITÉS
DE CONCURRENCE
1421
Un Ordre anticoncurrentiel
L’Autorité de la concurrence est compétente pour
connaître du comportement d’un Conseil de l’Ordre
qui, parce qu’il invite ses membres à adopter telle
ou telle attitude sur le marché sur lequel il opère,
constitue une intervention dans une activité de services.
Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, relative à des pratiques mises
en œuvre par le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de BasseNormandie
Le 22 avril 2009, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision par laquelle elle sanctionne le Conseil régional de l’Ordre
des pharmaciens de Basse-Normandie pour être intervenu auprès d’une maison de retraite afin de l’inciter à s’adresser aux
pharmacies les plus proches de son implantation au lieu de
faire le choix d’un pharmacien plus éloigné, éventuellement
plus compétitif.
Avant de parvenir à cette conclusion, elle a dû, au préalable,
se prononcer sur sa compétence à connaître des pratiques du
Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens mis en cause.
Après avoir longuement cité son propre acquis décisionnel en
la matière (pts. 30 à 33), l’Autorité rappelle qu’il convient, « pour
trancher la question de compétence soulevée par la partie mise
en cause, de faire la part entre :
– les comportements qui, parce qu’ils invitent les professionnels ou des tiers à adopter telle ou telle attitude sur le marché,
constituent une intervention dans une activité de services ;
– et ceux qui ne sont pas détachables de l’exercice du pouvoir
de contrôle et du pouvoir disciplinaire confié à l’Ordre » (pt. 34).
En effet, « ces pouvoirs constituent des prérogatives de puissance publique de l’Ordre. L’engagement, par un Conseil de
l’Ordre, d’une action disciplinaire à l’encontre d’un de ses
membres ne relève donc pas en principe du champ de compétence du Conseil de la concurrence » (pt. 35. En dernier lieu, pour un rappel en ce sens, cf. Cons. conc., déc. n° 09-D-07, 12 févr. 2009, RLC 2009/19, n° 1351, obs.
Destours S.).
60
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
3929, toute référence aux services offerts par EDF ENR ; de
mettre fin à toute communication, à EDF ENR, d’informations
recueillies par le 3929 (cette injonction vise la prise de rendez-vous mais aussi la transmission de renseignements sur
les personnes intéressées par la production d’énergie photovoltaïque) ; de ne plus mettre à la disposition d’EDF ENR d’informations dont EDF SA dispose du fait de ses activités de
fournisseur de services d’électricité aux tarifs réglementés.
Pour l’heure, EDF SA est sommée de se conformer à ces injonctions dans le délai d’un mois.
À venir, une très intéressante décision au fond. ◆
Distinguo classique dont il est fait application aux cinq
faits de l’espèce identifiés par le rapporteur pour illustrer
la pratique objet du grief : « 1) la demande d’ouverture
d’une enquête par la DRASS ; 2) l’envoi d’une circulaire à
l’ensemble des pharmacies du ressort pour leur rappeler
qu’elles doivent tenir l’Ordre informé des contrats ou accords de fournitures conclus avec certains établissements ;
3) l’accueil de plaintes de confrères à l’encontre de M. X...,
le lancement d’enquêtes à son égard et la poursuite de leur
instruction alors qu’aucun élément n’était recueilli au soutien de ces plaintes ; 4) la décision de saisir la chambre de
discipline alors qu’en définitive, les accusations portées par
les confrères se sont avérées sans fondement ; 5) l’envoi de
la lettre adressée à une maison de retraite pour l’inciter à
s’adresser aux pharmacies dont elle dépendrait “géographiquement” » (pt. 37).
L’Autorité estime que quatre de ces cinq comportements ne
relèvent pas de sa compétence : ceux mentionnés sous 1),
3) et 4) dès lors qu’ils ne sont pas détachables de l’exercice
du pouvoir disciplinaire de l’Ordre ; pas plus que celui mentionné sous 5) car le fait, pour le Conseil régional de l’Ordre
de rappeler à ses membres une obligation procédurale pesant sur eux afin que lui-même puisse exercer sa mission de
contrôle relève de l’exercice d’une prérogative de puissance
publique.
En revanche, « l’envoi de la lettre mentionné sous 5) traduit,
à l’égard d’un tiers par rapport à l’Ordre, une intervention
dans une activité de services et par conséquent le Conseil de
la concurrence (sic) est compétent pour examiner sur le fondement de l’article L. 410-1 du Code de commerce la pratique
ayant fait l’objet du grief » (pt. 37).
Stéphane DESTOURS
OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiques
anticoncurrentielles » de cette Revue, Sélinsky V. et Cholet S., Les
pharmaciens d’officine ne bénéficient pas d’une exclusivité territoriale, RLC
2009/20, n° 1401.
RLC
Considérant que sur un marché émergent en forte croissance
de telles pratiques peuvent avoir un effet structurant et portent à la concurrence une atteinte grave et immédiate justifiant des mesures d’urgence (cf. pts. 170 à 179), l’Autorité de la
concurrence prononce alors des mesures conservatoires dans
l’attente de sa décision au fond.
Ainsi, enjoint-elle à EDF SA de supprimer dans tous les supports de communication de la marque Bleu Ciel d’EDF (Lettre
Bleu Ciel, facture de fourniture d’électricité EDF, publicités…)
toute référence à l’activité d’EDF ENR dans la filière solaire
photovoltaïque ; de faire cesser, par les agents répondant au
1422
Obsèques
anticoncurrentielles (suite)
La Cour d’appel de Paris confirme la décision
du Conseil de la concurrence sanctionnant la ville
de Lyon pour l’abus de position dominante mis
en œuvre par sa régie municipale de pompes funèbres.
CA Paris, 1re ch., sect. H, 31 mars 2009, n° 2008/11353
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC
œuvre dans le secteur des pompes funèbres à Lyon et dans son agglomération, RLC
2008/16, n° 1148, obs. Destours S.).
Assurant la continuité juridique de la régie, auteur de la pratique en cause, c’est la ville de Lyon qui s’est alors vu infliger une sanction pécuniaire, de 50 000 euros en l’occurrence.
C’est cette analyse et cette conclusion que la Cour d’appel a
confirmé en tous points.
RLC
S.D.
1423
Eurocontrol hors contrôle
La Cour de justice confirme qu’une activité n’est pas
économique dès lors qu’elle implique l’exercice
de prérogatives typiquement de puissance publique.
CJCE, 26 mars 2009, aff. C-11/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA
On connaît l’importance de la notion d’activité économique
en droit de la concurrence, tant interne que communautaire.
En effet, faute d’être ainsi qualifiée, l’activité exercée par telle
entité n’est pas soumise au respect des règles du droit des pratiques anticoncurrentielles.
C’est dans ce cadre que la jurisprudence communautaire exclut, notamment, du champ d’application des articles 81 et 82
du Traité CE les organismes qui exercent des prérogatives qui
appartiennent par essence aux États et qui participent de leur
souveraineté. Bref, une activité n’est pas économique dès lors
qu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement de
puissance publique.
La Cour de justice en a jugé ainsi concernant l’activité de perception des redevances de route consacrées au soutien du
contrôle et de la police de l’espace aérien (CJCE, 19 janv. 1994, aff. C364/92, Eurocontrol, Rec. CJCE, I, p. 43, Europe mars 1994, comm. 114, obs. Idot L., D. 1995,
jur., p. 33, note Lhuillier G.) et à propos de la perception de redevances
Droit I Économie I Régulation
destinées à financer l’activité de surveillance antipollution
dans un port pétrolier (CJCE, 18 mars 1997, aff. C-343/95, Diego Cali, Rec. CJCE,
I, p. 1547, Europe mai 1997, comm. 160, obs. Idot L.).
Plus récemment, le Tribunal de première instance a considéré
qu’il en allait de même s’agissant de certaines des activités
de l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, Eurocontrol, à savoir ses activités en matière
de normalisation technique et de recherche et de développement. Il a en revanche qualifié d’activité économique son activité d’assistance aux administrations centrales (TPICE, 12 déc.
2006, aff. T-155/04, Rec. CJCE, II, p. 4797, Europe févr. 2007, comm. 68, obs. Idot L., RLC
2007/11, n° 745, note Arcelin L.).
Ce dernier arrêt a fait l’objet d’un pourvoi sur lequel la Cour
de justice s’est prononcée le 26 mars 2009.
En substance, la Cour reproche au Tribunal d’avoir « isolé »
l’activité d’assistance aux administrations nationales de la
mission d’intérêt général dont est investie Eurocontrol. En
effet, cette activité d’assistance « participe directement à la
réalisation de l’objectif d’harmonisation et d’intégration techniques dans le domaine de la circulation aérienne » et est
« étroitement liée à la mission de normalisation technique
confiée par les parties contractantes à Eurocontrol » (CJCE,
26 mars 2009, aff. C-113/07 P, pt. 76, Europe mai 2009, comm. 198, obs. Idot L.; AJDA
2009, p. 988, obs. Broussy E., Donnat F. et Lambert Ch., Contrats marchés publ. 2009,
comm. 152, obs. Eckert G.). L’activité en cause n’est donc pas « dis-
sociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne » (pt. 77) ; elle « se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique »
d’Eurocontrol (pt. 82).
S.D.
OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiques
anticoncurrentielles » de cette Revue, Arcelin-Lécuyer L., Feu principe
de dissociation ?, RLC 2009/20, n° 1408.
DÉCISIONS DES AUTORITÉS
ADMINISTRATIVES
RLC
Par un arrêt en date du 31 mars 2009, la Cour d’appel de Paris rejette les recours formés contre la décision n° 08-D-09 du
Conseil de la concurrence sanctionnant la ville de Lyon pour
l’abus de position dominante mis en œuvre par sa régie municipale de pompes funèbres.
Dans cette affaire, on se souvient qu’il était notamment
fait grief à la régie municipale d’avoir, sur le marché des
pompes funèbres à Lyon, abusé de sa position de gestionnaire exclusif de la seule chambre funéraire existant à
Lyon : d’une part, en empêchant la nuit et les jours fériés
l’accès à cette installation aux opérateurs concurrents d’ellemême ou de son transporteur ; d’autre part, en favorisant
le choix des familles pour ses propres services commerciaux en s’abstenant de distinguer, dans l’information donnée au public ou dans l’organisation externe et interne des
locaux du centre funéraire municipal, ses activités de gestionnaire du funérarium, ses activités commerciales de
prestataire de pompes funèbres et le service public administratif funéraire.
Se fondant sur sa pratique décisionnelle constante, le Conseil
de la concurrence a considéré que « la régie municipale de
la ville de Lyon a abusé de sa position dominante en mettant en place une information et un accueil des familles
ainsi qu’une organisation des locaux qui ne permettaient
pas de distinguer clairement les activités de la chambre funéraire, les autres activités de pompes funèbres et les services administratifs, s’attribuant ainsi un avantage concurrentiel indu sur les autres opérateurs de pompes funèbres »
(Cons. conc., déc. n° 08-D-09, 6 mai 2008, pt. 179, relative à des pratiques mises en
1424
Centre Pompidou, extérieurs
concurrentiels
La mise à la charge de la société Costes, installée
sur le domaine public de Beaubourg, de sommes
correspondant à la rémunération d’un agent
supplémentaire de sécurité non prévu au contrat,
n’a pu avoir pour effet de placer le Centre Pompidou
« en situation de position dominante ».
CAA Paris, 16 mars 2009, n° 07PA02471, Centre national d’art et de culture
Georges Pompidou
À la fin de la dernière décennie, le Centre national d’art et de
culture Georges Pompidou, établissement public administratif, a consenti pour 18 ans à la SNC Costes, par contrat de
concession, un droit d’occupation portant sur une partie des
locaux dépendant du domaine public gérés par son établissement pour y exploiter une activité de restauration. En contrepartie, cet occupant privatif du domaine public est redevable
d’une redevance égale à 5,7 % du montant de son chiffre d’affaires réalisé par l’exploitation des espaces concédés, avec un
montant minimum garanti annuel de 1,6 MF HT, soit
243 918,43 euros, et un montant annuel maximum de 4 MF
HT, soit 609 796,07 euros.
>
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
61
Indépendamment de cette redevance annuelle, la SNC Costes
s’est contractuellement engagée à participer « aux dépenses
d’exploitation et de fonctionnement du Centre strictement nécessaires à l’exécution du contrat » résultant « de l’application
aux budgets d’exploitation du Centre de pourcentages correspondant à la nature des prestations dont le concessionnaire
est bénéficiaire et d’un calcul au prorata des surfaces occupées ». Au titre d’une telle participation aux dépenses d’exploitation figurent, notamment, « la sécurité incendie » et la
« sécurité/surveillance » pour les heures pendant lesquelles le
Centre est fermé mais le restaurant du concessionnaire ouvert. Plus précisément, pour ce dernier poste, il est stipulé que
« le concessionnaire prendra en charge la rémunération, directe ou indirecte, de deux agents de sécurité pour la période
de fermeture du centre au public ».
Aussi, la SNC Costes est tenue non seulement de s’acquitter
d’une redevance domaniale, mais aussi d’assumer le coût de
deux agents de sécurité aux heures de fermeture de l’établissement public concédant.
Or, en 2004, ce ne sont plus deux mais trois agents de sécurité que le Centre Pompidou a affectés à la surveillance en
cause. Et le Centre d’imposer alors à son concessionnaire la
nouvelle charge financière correspondant au troisième larron.
C’est ainsi que la SNC Costes a contesté les titres exécutoires
émis à son encontre devant le Tribunal administratif de Paris
qui, par un jugement du 2 mai 2007, a annulé les titres en cause
au motif qu’ils seraient dépourvus de fondement contractuel,
et déchargé en conséquence la société des sommes litigieuses.
En appel, l’arrêt rapporté infirme cette solution. Les seconds
juges relèvent en ce sens que c’est suite à la demande du préfet de police, elle-même consécutive aux prescriptions de la
commission de sécurité, que « le Centre Pompidou a dû renforcer d’un agent l’effectif de nuit de sécurité incendie en raison de l’ouverture du restaurant exploité par la société concessionnaire après la fermeture du Centre au public et que, pour
la même raison, dans le cadre de la mise en œuvre du plan dit
“Vigipirate”, il a dû renforcer l’effectif affecté à la sécurité et
la surveillance du Centre à hauteur d’un agent ».
Certes, mais de telles circonstances ne répondent pas encore
à l’argument du fondement contractuel développé par les premiers juges. La Cour administrative d’appel de Paris énonce
alors « que les stipulations ci-dessus analysées du contrat de
concession ne faisaient pas obstacle à ce que le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou mette à la charge de
la société concessionnaire les dépenses de fonctionnement afférentes à la mise en œuvre de ces prescriptions de police et
liées à l’exploitation du restaurant en dehors des heures d’ouverture du Centre au public ». Une telle solution trouve appui
dans une clause du contrat de concession prévoyant que « la
Société est tenue de se conformer à toute disposition législative
ou réglementaire applicable à son activité ainsi qu’à toutes les
prescriptions relatives à l’exploitation du Centre et qu’à toutes
consignes, générales ou particulières, permanentes ou temporaires qui seraient mises en vigueur par le Centre ». Mais plus
généralement, elle s’impose de manière extracontractuelle, la
Cour soulignant que, si le contrat implique que le Centre Pompidou « était seulement fondé, en ce qui concerne les dépenses
courantes d’exploitation et de fonctionnement liées à la sécurité incendie et à la surveillance, à demander à la SNC Costes
de prendre en charge la rémunération de deux agents de sécurité, elles ne sauraient faire obstacle à ce que les dépenses afférentes aux prescriptions de police mises en œuvre par le Centre
national d’art et de culture Georges Pompidou soient, dès lors
qu’elles sont liées à l’exploitation des espaces de restauration,
62
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
mises à la charge de la concessionnaire et fassent ainsi l’objet
d’une facturation spécifique ».
Une fois le jugement du Tribunal administratif ainsi annulé,
la Cour examine, par l’effet dévolutif de l’appel, l’ensemble
des moyens présentés devant les premiers juges. Parmi eux,
il en est un qui mérite attention : l’émission des titres exécutoires dont il s’agit méconnaîtrait les « règles de concurrence »
en cela que le Centre Pompidou, en procédant d’autorité à la
facturation de dépenses non prévues au contrat, aurait abusé
de sa position dominante.
À ce moyen, la réponse de la Cour est assez succincte : elle
considère que, « contrairement à ce que soutient la société
Costes, la mise à sa charge des sommes sus analysées correspondant à des dépenses de fonctionnement du Centre, n’a pu
avoir pour effet de placer le Centre national d’art et de culture
Georges Pompidou en situation de position dominante ; qu’il
suit de là que le moyen tiré de ce que les titres exécutoires en
litige méconnaîtraient les règles de concurrence, et notamment
la prohibition des abus de position dominante résultant des
stipulations de l’article 82 du Traité instituant la Communauté
européenne et des dispositions de l’article L. 420-2 du Code de
commerce doit être écarté ».
Cette solution appelle deux séries de remarques.
En premier lieu, elle dénote sinon une incompréhension du
droit de la concurrence, du moins un grand manque de rigueur de rédaction, peut-être provoqué par la teneur du moyen,
nous l’ignorons. En effet, la question n’est pas de savoir si
l’émission d’un titre exécutoire peut ou non placer le Centre
Pompidou en situation de « position dominante ». La position
dominante de cet établissement public est une question préalable, à déterminer par référence à un marché. La question
n’était pas celle-là, mais celle de savoir si le Centre Pompidou, en considérant qu’il détient une position dominante du
fait de la gestion d’un domaine public sur lequel peuvent
s’exercer des activités économiques, a abusé d’une telle position dominante en émettant un titre exécutoire procédant à
la facturation de charges non prévues directement au contrat.
En second lieu, la solution est intéressante en cela que, malgré ses carences rédactionnelles et le rejet du moyen, elle appréhende l’acte administratif de l’établissement public au regard du droit de la concurrence. Plus précisément, il ne s’agissait
pas d’apprécier la légalité du titre exécutoire au regard de ses
effets concurrentiels sur une entreprise en considérant que
l’acte aurait placé le concurrent en situation de méconnaître
automatiquement le droit de la concurrence. Non, il s’agissait d’étudier si l’établissement public n’a pas lui-même méconnu le droit de la concurrence, abusé de sa position dominante en émettant un titre exécutoire. Bref, la question était
celle d’une application du droit de la concurrence à un acte
administratif, cela expliquant la compétence de la juridiction
administrative.
De telles hypothèses dans lesquelles le juge administratif est
amené non pas simplement à intégrer le droit de la concurrence dans le bloc de légalité, mais à le rendre applicable à
un acte administratif correspondant à une « activité économique » d’une personne publique, ne sont pas si fréquentes.
Le bal a été ouvert, l’on s’en souvient, avec l’arrêt Société Eda
(CE, sect., 26 mars 1999, n° 202257 et n° 202260, Rec CE 1999, p. 96, concl. Stahl J.-H.,
AJDA 1999, p. 427, concl. et note Bazex M., D. 2000, p. 204, note Markus J.-P., RDP 1999,
p. 1545, note Manson S., RFD adm. 1999, p. 977, note Pouyaud D.) et la danse pour-
suivie avec quelques décisions rapportées dans ces colonnes
(CAA Paris, 4 déc. 2003, n° 00PA02740, Société d’équipement de Tahiti et des îles, Contrats
marchés publ. 2004, comm. 54, obs. Eckert G., AJDA 2005, p. 200, note Nicinski S., RLC
2005/3, n° 216, note Clamour G.; TA Lille, 28 févr. 2006, n° 0405868, SARL Gérald Demeyer
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC
Communications, RLC 2007/13, n° 926, obs. Clamour G.; CAA Marseille, 19 fév. 2007,
n° 04MA00915, SARL Sata Hanfling, RLC 2008/14, n° 1004, obs. Clamour G.; CAA Douai,
12 avril 2007, n° 06DA00456, SARL Restaurant de l’aérodrome, RLC 2008/14, n° 1005, obs.
Clamour G.; CAA Bordeaux, 27 nov. 2007, n° 06BX00462, Carreras, RLC 2008/15, n° 1090,
obs. Clamour G.; CAA Bordeaux, 30 déc. 2008, n° 06BX01765, SARL CRAM, RLC 2008/19,
n° 1358, obs. Clamour G.). Mais en l’espèce, à la différence des pré-
cédents rapportés, point de grille d’analyse posée par un rappel du considérant de principe et encore moins de développements explicatifs.
RLC
Guylain CLAMOUR
1425
Îles déloyauté
Parce que les entreprises ayant un caractère
commercial restent, en règle générale, réservées
à l’initiative privée, la province des îles Loyauté
est reconnue responsable de la mise en œuvre
d’une concurrence illégale, déloyale et pratiquant
des prix abusivement bas.
CAA Paris, 15 déc. 2008, n° 05PA01979, Société Transiles
Une fois advenue la jurisprudence Ordre des avocats au Barreau de Paris (CE, ass., 31 mai 2006, n° 275531, OABP, Rec. CE 2006, p. 272, RFD
adm. 2006, p. 1048, concl. Casas D., BJCP 2006, n° 47, p. 295, concl., obs. R.S., AJDA 2006,
p. 1595, chron. Landais C. et Lenica F., Contrats marchés publ. 2006, comm. 202, note
Eckert G., Dr. adm. 2006, comm. 129, note Bazex M., JCP A 2006, n° 1133, note Linditch F.,
CP-ACCP 2006, n° 59, p. 78, note Renouard L., Contrats, conc., consom. 2006, comm. 188,
obs. Rolin F., RLC 2006/9, n° 641, note Clamour G.) confirmant sa vénérable
devancière issue de l’arrêt Chambre syndicale du commerce
en détail de Nevers (CE, sect., 30 mai 1930, Rec. CE 1930, p. 583, GAJA n° 46)
en adoptant des termes plus contemporains, il n’est pas anodin qu’un arrêt reprenne le considérant de principe de 1930
et non celui de 2006.
C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Paris retient
dans l’arrêt rapporté, lu plus de deux ans après l’arrêt OABP,
que « les entreprises ayant un caractère commercial restent, en
règle générale, réservées à l’initiative privée » et qu’en conséquence, « les collectivités publiques ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics que si, en raison
de circonstances particulières de temps et de lieu, un intérêt
public justifie leur intervention en la matière ».
En l’espèce, la société d’économie mixte de développement
et d’investissement, la SODIL, créée en 1991 par l’assemblée
de la province des îles Loyauté pour la mise en œuvre d’opérations concourant au développement économique des îles
Loyauté, avait confié, par « contrat d’affrètement », à une filiale, la société maritime des îles Loyauté (SMIL), l’exploitation du navire « Président Yeiwéné » dans le cadre du service
public d’intérêt général de transport maritime de personnes
et de marchandises. Quelques années plus tard, en 1994, ladite assemblée provinciale concédait directement à cette même
SMIL l’exploitation du service public d’intérêt général de transport maritime de personnes et de marchandises.
À la même époque, l’assemblée modifiait sa délibération de
1991 en limitant l’objet de la concession au seul transport maritime de personnes. Mais du côté de la SODIL et de la SMIL,
aucune évolution des prestations ne fut effectuée, la seconde
continuant d’assurer une activité de transport de marchandises.
Pour ses concurrents, la SMIL effectuait une activité économique illicite en cela qu’elle excédait le champ de la concession. À cet argument avancé par la société Transiles, la Cour
répond donc en s’appuyant sur le considérant de principe
Droit I Économie I Régulation
classique précité et retient que « nonobstant la circonstance
qu’elle n’était pas partie à ce contrat, la province des îles Loyauté
conservait son pouvoir de modification unilatérale des clauses
dudit contrat relatives à la consistance et aux modalités d’exploitation du service concédé [et] qu’à tout le moins, l’autorité
concédante était tenue, dans le cadre de son obligation de
contrôle sur le fonctionnement du service concédé, de s’assurer que l’exploitation par la SMIL du navire “Président Yeiwéné”
n’excédait pas les limites de la concession ». Aussi, conclut la
Cour, « en ne faisant pas procéder à la mise en conformité de
la convention du 15 octobre 1991, modifiée par l’avenant du
4 janvier 1994, avec la délibération du 22 juin 1994 qui limitait l’objet de la concession au transport maritime de personnes,
la province des îles Loyauté a commis une faute de nature à
engager sa responsabilité ».
Si l’on comprend l’intention du juge, l’on mesure aussi la rigueur peu habituelle avec laquelle se trouvent ici protégées
les libertés économiques des concurrents. En effet, avant
comme après l’arrêt OABP, la formulation d’un principe de
non-concurrence des personnes publiques a toujours coïncidé
avec une acception large de l’intérêt public et du complément
normal de nature à permettre la prise en charge d’activités
économiques (cf. Clamour G., Qui peut le moins peut le plus…! Ou la liberté économique de fait des personnes publiques, JCP A 2007, n° 2286). Aussi, l’on aurait
pu se poser la question de savoir si le transport de marchandises, dans des conditions purement concurrentielles et hors
les moyens du service public, n’était pas un complément normal de l’activité de transport de personnes. Et étayer la réponse. Cela étant dit, le juge infère de la caractérisation rapide d’une concurrence illégale du concessionnaire l’obligation
pour l’autorité publique de mettre fin à cette situation, selon
une logique proche de la jurisprudence SARL Somatour (CE,
10 avr. 2002, n° 223100, Somatour, Contrats marchés publ. 2002, comm. 148, note Délélis P.,
Mon. TP 14 juin 2002, p. 109 et TO, p. 453, JCP G 2002, I, n° 169, obs. Braconnier S.), à
ceci près qu’il s’agit ici de faire respecter une exigence du droit
public (la non-concurrence) et non du droit de la concurrence.
Par ailleurs, non plus sur le principe de la concurrence mais
sur ses modalités d’exercice, la Cour relève que la SMIL bénéficiait de subventions d’exploitation de la province des îles
Loyauté et d’une exonération des droits et taxes sur le carburant et lie cette circonstance au développement, en concurrence avec les sociétés privées et notamment la Société Transiles, d’une activité de transport de marchandises « pour laquelle
elle a eu recours à des campagnes publicitaires et proposé des
prix très inférieurs à ceux pratiqués par ses concurrents ». Sans
plus d’explication, sans caractériser la présence de subventions croisées, la Cour conclut alors que « par suite, la Société
Transiles est fondée à rechercher la responsabilité de la province des îles Loyauté à raison des pertes de chiffre d’affaires
qu’elle a subies (…) du fait de conditions de concurrence déloyale ainsi créées ».
Il n’est pas fréquent, là encore, qu’une juridiction administrative, alors que la jurisprudence impose que l’intervention publique ne se réalise pas « suivant des modalités telles
qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre
jeu de la concurrence sur celui-ci » (arrêt OABP préc.), se place
sur le terrain de la concurrence déloyale qui ne relève point
du droit des pratiques anticoncurrentielles mais qui, on le
sait, est une théorie jurisprudentielle judiciaire issue de l’article 1382 du Code civil... Et, le tout, sans véritable démonstration du lien de causalité entre le dommage concurrentiel
et les avantages financiers accordés à la SMIL. Encore moins >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
63
RLC
G.C.
1426
Concurrence sécurisée
Un préfet a légalement pu prononcer la suspension
de l’autorisation de fonctionnement d’une société
de sécurité employant des agents sans agrément voire
frappés d’incapacité, sans porter une atteinte illégale
au principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
CAA Versailles, 18 déc. 2008, n° 06VE02076, X. c/ Préfecture de l’Essonne
Gérant de la société US Security exerçant des activités de gardiennage et de surveillance, et soumis à ce titre à la loi du
12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance
de gardiennage et de transport de fonds, M. X a fait l’objet
d’une enquête de police ayant conduit à signaler au procureur de la République des faits d’exercice d’activité de surveillance et gardiennage sans agrément et des faits d’emploi
de personnes frappées d’incapacité pour exercer une telle activité de surveillance et de gardiennage (sur les conditions d’agrément,
cf. récemment, CAA Nantes, 3 févr. 2009, n° 08NT01733 et n° 09NT01832, Préfet du Loiret, AJDA 2009, p. 758, chron. Degommier S.).
En conséquence, le préfet de l’Essonne a décidé de suspendre
l’autorisation d’exercer des activités de gardiennage et de surveillance qui avait été délivrée à la société US Security. M. X
forma alors un recours indemnitaire tendant à la condamnation de l’État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de cette décision.
Pour trancher cette demande, dont on s’abstiendra d’apprécier l’opportunité, le juge administratif fait logiquement application de la jurisprudence Driancourt (CE, sect., 26 janv. 1973,
n° 84.768, Rec. CE 1973, p, 77, AJDA 1973, p. 245, chron. Cabanes P. et Léger D.) consistant à rechercher une illégalité pour caractériser une faute.
64
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
À l’évidence, point d’illégalité et, donc, point de faute en l’espèce : « compte tenu de la gravité de ces faits, le préfet de l’Essonne était fondé à prononcer la suspension de l’autorisation
de fonctionnement de la société US Security jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée et a pu édicter cette mesure
sans porter une atteinte illégale au principe de la liberté du
commerce et de l’industrie ».
En effet, la loi précitée du 12 juillet 1983 encadre précisément
les activités, non exercées par un service public administratif, consistant à fournir des services ayant pour objet la surveillance ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles
ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles. Plus précisément, elle organise une profession réglementée (cf. Perrin A., Les professions réglementées, Dr. adm. 2008, étude 16;
Clamour G., Libertés professionnelles et liberté d’entreprise, J.-Cl. Libertés, Fasc. 1340) en
subordonnant l’exercice de l’activité en cause « à une autorisation distincte pour l’établissement principal et pour chaque
établissement secondaire », qui peut être retirée ou suspendue lorsque l’un des dirigeants fait l’objet de poursuites pénales (art. 12).
Face à une telle réglementation, issue directement de la loi,
non seulement une mesure de suspension ou de retrait d’agrément ne porte pas une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l’industrie, mais l’invocation d’une
telle liberté est même inopérante (Rappr. CE, 12 déc. 1953, n° 18.046, Synd.
nat. transporteurs aériens, Rec. CE 1953, p. 547; CE, ass., 21 nov. 1958, n° 30.791, Synd.
nat. transporteurs aériens, Rec. CE 1958, p. 578; CE, 29 mai 1970, n° 75.427, Sté Boussegui, Rec. CE tables 1970, p. 549; CE, 16 déc. 1994, n° 99.219, SA monégasque « Le Prêt »,
Rec. CE 1994, p. 552).
G.C.
RLC
du fondement de la responsabilité non pas de l’acteur
économique, la SMIL, mais de la collectivité publique.
À la concurrence déloyale succède l’invocation de prix anormalement bas pratiqués par la SMIL. Pour sa défense, la province des îles Loyauté soutenait, d’une part, que « les pratiques tarifaires de la SMIL ne sont pas fautives en ce que la
pratique de prix anormalement bas n’est pas en elle-même critiquable dès lors qu’elle s’inscrit dans une logique de pénétration du marché, n’a eu qu’une durée limitée à un an et demi
et n’a correspondu qu’au démarrage de son activité » et, d’autre
part, que « la société requérante a elle-même eu recours à une
tarification tout aussi agressive et qu’elle ne peut dès lors solliciter la réparation d’un préjudice résultant d’une concurrence
commerciale accrue à laquelle elle s’est elle-même exposée ».
Pour la Cour, décidément sensible à la situation des concurrents, « si la Société Transiles n’a pas subi une baisse de son
activité de fret en 1993 et 1994 alors même que les sociétés Solenav et Hanner, sociétés concurrentes, connaissaient une baisse
significative de leur activité de fret au cours de l’année 1994
par rapport à 1993, en revanche les effets conjugués de la mise
en service du car-ferry “Président Yeiwéné” et des tarifs pratiqués ont entraîné pour la Société Transiles une chute notable
de son activité de fret en 1995 ». Et sans plus d’explication, là
encore, « par suite, la responsabilité de la province des îles
Loyauté peut être recherchée par la Société Transiles sans qu’il
y ait lieu de retenir une quelconque faute de la part de la société requérante ». Une responsabilité entière, couvrant l’ensemble du préjudice subi… Comme quoi, le laconisme n’est
pas forcement signe d’une protection de l’administration.
1427
Le repos dominical n’est pas
un luxe
Aucune circonstance ne permet de regarder le magasin
Louis Vuitton situé avenue des Champs-Élysées comme
un établissement mettant à la disposition du public
des biens et des services destinés à faciliter son accueil
ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif,
récréatif ou culturel, de nature à accorder une
dérogation au principe du repos dominical.
CE, 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l’habillement,
nouveauté et accessoires
L’on sait, aux termes du Code du travail, que si « le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche » (art. L. 3132-3), il peut
toutefois être « donné par roulement » pour tout ou partie du
personnel, « dans les communes touristiques ou thermales et
dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », pendant la ou les « périodes
d’activités touristiques, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition du public des biens et des services
destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de
loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel (...) » (art. L. 3132-25.
Sur ce thème, cf. Donnette A. Repos dominical vs Grands magasins parisiens : en attendant
la réforme..., RLC 2008/18, n° 1296).
À ce titre, le préfet de Paris avait accordé en 2005 à la SA Louis
Vuitton Malletier et à la SNC des magasins Louis VuittonFrance l’autorisation de donner le repos hebdomadaire par
roulement aux salariés qu’elles emploient dans l’établissement situé avenue des Champs-Élysées à Paris. Décision annulée par le Tribunal de Paris par un jugement du 31 mai 2006,
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC
lui-même infirmé le 28 mai 2007 par les seconds juges (CAA Paris, 28 mai 2007, n° 06PA02061, RLC 2008/14, n° 1009, obs. Donnette A.). En effet, la
Cour administrative d’appel de Paris a considéré que cet établissement « met en vente des articles de maroquinerie, joaillerie, vêtements et accessoires » qui « peuvent être regardés comme
étant, au moins pour une certaine catégorie de clientèle étrangère, au nombre des attraits touristiques de la capitale française ». Elle s’est également fondée sur le fait que cet établissement « commercialise des livres d’art et de voyage ayant un lien
avec la marque Louis Vuitton » et sur « la présence, dans ce magasin fréquenté par des touristes, d’œuvres artistiques et d’un
espace destiné à accueillir des manifestations culturelles en rapport avec les activités de la société Louis Vuitton ».
En cassation, le Conseil d’État annule d’abord l’arrêt des seconds juges en retenant que « les produits de maroquinerie, de
joaillerie, vêtements et accessoires qui sont mis à la disposition
du public par cet établissement ne revêtent pas, par nature,
quelles que soient les qualités architecturales ou artistiques du
lieu dans lequel ils sont mis en vente, le caractère de biens et
services destinés à faciliter l’accueil du public ou les activités de
détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel », au
sens des dispositions du Code du travail. Il ajoute en ce sens
que « si les livres d’art et de voyage qui y sont également commercialisés peuvent être regardés comme facilitant les activités
de loisirs d’ordre culturel, ils ne sont, ainsi que l’a souverainement apprécié la cour administrative d’appel, destinés qu’à accompagner ou promouvoir la vente des autres articles de la
marque Louis Vuitton, leur mise à disposition du public revêtant dès lors un caractère accessoire de celle de ces derniers produits ». Du reste, termine-t-il, « les espaces d’exposition et les
manifestations culturelles, accessibles gratuitement aux visiteurs
du magasin », n’entrent pas dans les prévisions du texte « qui
ne portent que sur les biens et services mis à la disposition du
public à titre onéreux ».
Réglant l’affaire au fond, la Haute juridiction administrative
considère en conséquence que, « pour les raisons indiquées cidessus, ni les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements
et autres équipements de la personne mis en vente par l’établissement à l’enseigne Louis Vuitton situé avenue des Champs-Élysées, ni les livres d’art et de voyage qui n’en sont que l’accessoire, ni les espaces d’exposition et les manifestations culturelles
proposés gratuitement par cet établissement ne permettent de
regarder ce dernier comme un établissement mettant à la disposition du public des biens et des services destinés à faciliter
son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel » et que, dès lors, il ne pouvait être légalement dérogé au principe du repos hebdomadaire donné le
dimanche.
RLC
G.C.
1428
Police et activités
économiques en archéologie
préventive
Seules les opérations de diagnostics et de fouilles
archéologiques, de nature économique, ne relèvent
Droit I Économie I Régulation
pas des missions de police administrative de l’État
et peuvent donc être réalisées et financées par des tiers.
CE, 11 mai 2009, n° 296919, Ville de Toulouse
La ville de Toulouse avait conclu entre 1993 et 2000 sept
conventions avec l’État et l’ancienne Association pour les
fouilles archéologiques nationales (AFAN) afin d’autoriser
et de financer des opérations de fouilles archéologiques, menées par l’AFAN, sous le contrôle technique et scientifique
de l’État, sur des terrains et immeubles lui appartenant et
sur lesquels elle avait projeté d’entreprendre des travaux.
Dans le cadre des conventions, la ville s’était engagée à verser à l’AFAN la somme de plus de 700 000 euros. Mais une
fois cette somme presque totalement versée, la ville de Toulouse a réclamé à l’État des remboursements au motif que
le droit en vigueur n’avait pu autoriser l’État à lui faire supporter totalement ou partiellement le coût des fouilles archéologiques. Elle a alors formé un recours en responsabilité quasi délictuelle tendant à la condamnation de l’État au
remboursement des sommes versées avec intérêts au taux
légal auquel le Tribunal administratif de Toulouse fit partiellement droit avant de voir sa décision infirmée en appel en
considération de ce que la ville ne pouvait engager d’autres
actions que celles qu’elle tenait de ses contrats.
En cassation, après avoir rappelé les dispositions alors en vigueur régissant les conditions dans lesquelles l’État peut précéder d’office à l’exécution de fouilles, le Conseil d’État retient
de manière très intéressante qu’en l’espèce « l’État a conduit
la commune de Toulouse à participer au financement d’opérations de fouilles archéologiques en lui imposant la signature
des conventions de financement litigieuses [et] que la ville a
ainsi engagé une action contre l’État sur le seul terrain de sa
responsabilité quasi délictuelle, même s’il lui aurait été loisible
d’engager une action sur le terrain de la nullité des contrats
qu’elle soutenait avoir été contrainte de signer », pour conclure
à l’erreur de droit commise par des seconds juges ayant enfermé l’affaire dans les liens de la responsabilité contractuelle.
Le terrain quasi délictuel étant consacré, la Haute juridiction administrative retient une seconde erreur de droit de la
cour administrative d’appel qui est l’occasion de préciser ce
qui ressort, en archéologie préventive, des missions de police administrative de ce qui relève des activités économiques :
« si les dispositions précédemment évoquées donnent aux services de l’État la possibilité de procéder d’office à l’exécution
de fouilles archéologiques sur des terrains n’appartenant pas
à l’État, dans les conditions qu’elles définissent, elles ne leur
permettent pas de prescrire au propriétaire d’un terrain la
réalisation, à ses frais, de fouilles archéologiques ». En effet,
« s’agissant de la détection, de la conservation, de la sauvegarde du patrimoine archéologique ainsi que du contrôle et
de l’évaluation d’opérations d’archéologie préventive, qui relèvent d’une mission de police administrative de l’État, celui-ci ne peut pas plus, y compris par voie contractuelle, prévoir leur financement total ou partiel par des personnes
publiques ou privées », avant d’ajouter que « seules les opérations de diagnostics et de fouilles, de nature économique,
ne relèvent pas de ces missions de police administrative et
peuvent donc être réalisées et financées par des tiers ».
G.C.
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
65
DROIT PROCESSUEL
DE LA CONCURRENCE
Sous la responsabilité d’Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Latham & Watkins
et Cyril NOURISSAT, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3
Par Éric BARBIER
DE LA SERRE
et Clémence
MACÉ
DE GASTINES
R LC
Avocat au Barreau
de Paris
1429
Le conseiller auditeur
de l’Autorité : un homonyme
plus qu’un homologue
du conseiller auditeur
communautaire
La création de la fonction de conseiller auditeur au sein de l’Autorité de la concurrence
est l’une des principales nouveautés de la loi de modernisation de l’économie. D’inspiration
communautaire, le rôle du conseiller auditeur est toutefois, à ce stade, bien plus limité
que celui du conseiller auditeur de la Commission européenne.
L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; D. n° 2009-335, 26 mars 2009, JO 28 mars
L
orsque l’on passe d’une langue à une autre, il arrive de rencontrer ce que les traducteurs appellent des faux amis. Il semble en aller de même en
passant du droit communautaire au droit français, comme l’illustre l’appellation de conseiller
auditeur : la même expression renvoie, dans ces deux ordres,
à deux réalités différentes.
En France, la fonction de conseiller auditeur est apparue lors
de la transformation du Conseil de la concurrence en Autorité de la concurrence par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008
de modernisation de l’économie (dite « LME »). Le décret
n° 2009-335 du 26 mars 2009, relatif aux modalités d’intervention du conseiller auditeur auprès de l’Autorité de la concurrence, est ensuite venu préciser les contours de ce nouveau
poste, dont le premier titulaire, nommé le 16 juillet 2009, est
M. Dominique Voillemot, ancien avocat spécialisé en droit de
la concurrence.
La création de cette fonction fait partie des principales nouveautés de la LME. Cette innovation est en effet remarquable
dans la mesure où la fonction de conseiller auditeur n’existe
dans aucune autre autorité de concurrence, hormis la Commission européenne, où elle a été institutionnalisée dès 1982.
Toutefois, malgré l’identité d’appellation, une comparaison
même sommaire entre le conseiller auditeur « à la française »
(Bosco D., Parution du dernier décret « LME » sur le conseiller auditeur « à la française »,
Contrats, conc., consom. 2009, comm. 138) et celui de la Commission européenne montre que les deux conseillers auditeurs ont peu
de points communs, si ce n’est leur mission exprimée en des
termes généraux, à savoir veiller au respect des droits des parties. À l’analyse, le conseiller auditeur français apparaît bien
plus comme un homonyme qu’un homologue du conseiller
auditeur de la Commission européenne. En effet, même si la
création d’un conseiller auditeur a été saluée par la communauté juridique comme apportant une garantie supplémen-
66
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
taire aux entreprises, les pouvoirs qui lui ont été attribués sont
assez limités, du moins bien davantage que ceux de son homonyme communautaire. Son statut a été âprement discuté
et a donné lieu à quelques turbulences législatives (I), mais
le vent est retombé sur ce point. C’est désormais le caractère
circonscrit de sa mission et de ses pouvoirs qui soulève des
questions (II) et amène à s’interroger sur la portée exacte de
cette avancée pour les droits de la défense (III).
I. – LES TURBULENCES AUTOUR DU STATUT
DU CONSEILLER AUDITEUR
La création du statut du conseiller auditeur ne s’est pas faite
sans quelques heurts. Selon les dispositions issues de la LME,
le conseiller auditeur devait posséder la qualité de magistrat,
exigence qui devait permettre de garantir son indépendance.
Cependant, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance
n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de
la régulation de la concurrence par la loi n° 2009-526 du 12 mai
2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, le législateur a finalement modifié cette
exigence. Désormais, le conseiller auditeur doit soit posséder
la qualité de magistrat, soit offrir « des garanties d’indépendance et d’expertise équivalentes » (C. com., art. L. 461-4, al. 4, tel que
modifié par L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139-VII, 3°). Cet assouplissement
du statut du conseiller auditeur a été décidé afin d’ouvrir la
fonction aux avocats et professeurs de droit, les compétences
pouvant être attendues de lui étant les suivantes : une parfaite connaissance du droit français et communautaire de la
concurrence ainsi que des règles de procédure en vigueur devant l’Autorité de la concurrence, de même qu’une culture du
contradictoire et des droits de la défense.
Cette modification du statut du conseiller auditeur n’est toutefois pas intervenue sans difficultés. En effet le législateur,
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
également l’obligation de communiquer au président de l’Auavant d’assouplir effectivement ce statut dans la loi du 12 mai
torité la liste des intérêts qu’il détient, directement ou par per2009, avait d’abord tenté, sans succès, de le modifier dans la
sonne interposée, ainsi que la liste des fonctions qu’il exerce
loi pour l’accélération des programmes de construction et d’indans une activité économique. Il communique également la
vestissement publics et privés, adoptée le 29 janvier 2009. Cet
liste des fonctions qu’il a exercées, des mandats dont il a été
empressement s’expliquait par l’expiration proche du délai de
titulaire au sein d’une personne morale et des intérêts qu’il a
trois mois suivant la publication de l’ordonnance au Journal
détenus au cours des cinq années précédant son entrée en
officiel qui était imposé au gouvernement pour déposer un
fonction (ibid., art. 6, al. 1er). Cette obligation de communication se
projet de loi de ratification.
Un premier rebondissement survient toutefois lors de la disprolonge au cours de l’exécution de son mandat (ibid., art. 6, al. 3).
cussion de cette loi devant l’Assemblée nationale : un amendement supprimant toute référence à la qualité de magistrat
II. – LA MISSION ET LES POUVOIRS CIRCONSCRITS
est en effet adopté au motif que cette exigence introduit une
DU CONSEILLER AUDITEUR
rigidité injustifiée qui n’existe pas au niveau communautaire.
Deuxième rebondissement, cette fois-ci devant le Sénat, qui
Le législateur a donné au conseiller auditeur des pouvoirs qui
introduit l’alternative aujourd’hui en vigueur selon laquelle
correspondent strictement à son appellation : il conseille et il
le conseiller auditeur est soit un magistrat, soit une personne
écoute, ou plutôt il écoute puis il conseille.
offrant des garanties d’indépendance et d’expertise équivaLa mission du conseiller auditeur telle que définie par la LME,
lentes. Une fois la loi adoptée, un troisième rebondissement
est en effet circonscrite à « recueillir, le cas échéant, les obsersurvient devant le Conseil constitutionvations des parties mises en cause et sainel : celui-ci censure la disposition resissantes sur le déroulement des procéEn matière d’enquête,
lative au conseiller auditeur de la loi
dures les concernant dès l’envoi de la
les pouvoirs du conseiller
pour les programmes de construction
notification des griefs » (C. com., art. L. 461-4,
comme étant dépourvue de tout lien
al. 4). En outre, « [il] transmet au présiauditeur sont inexistants,
avec le projet de loi initial et constituant,
dent de l’Autorité un rapport évaluant
alors que l’Autorité
dès lors, un « cavalier législatif » (Cons.
ces observations et proposant, si nécess’est vu confier par
saire, tout acte permettant d’améliorer
const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC). Un quatrième
la LME d’importantes
l’exercice de leurs droits par les parties »
rebondissement vient ensuite du goucompétences dans
(C. com., art. L. 461-4, al. 4). En bref, le conseiller
vernement qui, le lendemain de la décision de censure du Conseil constituauditeur « recueill[e] » donc les observace domaine.
tionnel, dépose un projet de loi de
tions des parties sur le déroulement de
ratification de l’ordonnance ne faisant
la procédure et « transmet » au président
plus aucune référence au statut du conseiller auditeur (projet
de l’Autorité un rapport avec ses évaluations et ses propositions. Il joue par là même le rôle d’un observateur extérieur
de loi n° 1455 du 13 février 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre
et indépendant de l’exercice des droits des parties au stade de
2008). Enfin, cinquième et dernier rebondissement, la loi du
l’instruction. Il constitue en d’autres termes l’interface entre
12 mai 2009 de simplification du droit modifie définitivement
les entreprises et l’Autorité sur le bon déroulement de la prole statut du conseiller auditeur, lequel peut donc être – sauf
cédure et veille à l’amélioration de l’exercice des droits de la
nouveau rebondissement législatif inattendu – soit un madéfense et des droits des parties saisissantes.
gistrat soit une personne offrant des garanties d’indépenLes pouvoirs du conseiller auditeur restent donc relativement
dance et d’expertise équivalentes.
limités, comme le confirme le décret n° 2009-335 du 26 mars
Pour leur part, les principales caractéristiques du poste de
2009, codifié à l’article R. 461-9 du Code de commerce, qui
conseiller auditeur ont soulevé moins de difficultés. L’article
mentionne les « modalités [de son] intervention ». L’étendue
L. 461-4, alinéa 4, du Code de commerce précise sur ce point
des pouvoirs du conseiller auditeur varie toutefois en foncque le conseiller auditeur est nommé par arrêté du ministre
tion des stades de la procédure devant l’Autorité de la concurde l’Économie après avis du collège. La nomination de M. Dorence que sont l’enquête, l’instruction et la séance.
minique Voillemot comme premier conseiller auditeur de l’AuPremièrement, en matière d’enquête, les pouvoirs du conseiller
torité a enfin eu lieu après quelques mois d’attente et d’incerauditeur sont inexistants, alors que l’Autorité s’est vu confier
titude, sur avis favorable du collège de l’Autorité de la
par la LME d’importantes compétences dans ce domaine. Le
concurrence (Aut. conc., avis n° 09-A-41, 1er juill. 2009, relatif à une proposition de
contentieux contre les ordonnances d’autorisation des opéranomination aux fonctions de conseiller auditeur de l’Autorité de la concurrence).
tions de visite et saisie du juge des libertés et de la détention
Le décret n° 2009-335 du 26 mars 2009, relatif aux modalités
et celui contre le déroulement de ces opérations restent en efd’intervention du conseiller auditeur, indique en outre que ce
fet exclusivement du ressort du premier président de la cour
dernier exerce ses fonctions pour une durée de cinq ans, son
d’appel dans le ressort du juge les ayant autorisées (C. com.,
mandat étant renouvelable une fois (C. com., art. R. 461-9-I), à l’inverse de son homonyme communautaire qui jouit d’un manart. L. 450-4, al. 6 et 12). Du reste, une autre autorité qu’un juge audat non limité dans le temps.
rait-elle pu être saisie en premier ressort de questions ayant
Enfin, le règlement intérieur et la charte de déontologie de l’Auune telle portée sur la protection des libertés fondamentales ?
torité de la concurrence soumettent le conseiller auditeur, en
Pour l’essentiel, les pouvoirs du conseiller auditeur se situent
tant que membre de l’Autorité, à certaines obligations. Il doit
donc, deuxièmement, au stade de l’instruction, où ils restent
ainsi signer une déclaration sur l’honneur lors de sa prise de
malgré tout étroitement circonscrits. En effet, le conseiller aufonction, dans laquelle il prend l’engagement solennel d’exerditeur n’intervient que « dans les affaires donnant lieu à une
cer ses fonctions « en pleine indépendance, en toute impartianotification de griefs » (C. com., art. R. 461-9-II, al. 2). Ses pouvoirs sont
lité et en conscience, ainsi que de respecter le secret professiondonc limités aux procédures avec notification des griefs, ce
nel, notamment pendant l’instruction » (Règl. int. Aut. conc., art. 5,
qui exclut de son champ de compétence un grand nombre
d’affaires : les procédures d’engagements, les procédures sur >
al. 1er). Lors de son entrée en fonction, le conseiller auditeur a
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
67
LE CONSEILLER AUDITEUR DE L’AUTORITÉ : UN HOMONYME PLUS QU’UN HOMOLOGUE DU CONSEILLER AUDITEUR COMMUNAUTAIRE
Enfin, quatrièmement, le conseiller auditeur remet chaque
demande de mesures conservatoires, de même que les proannée au président de l’Autorité un rapport sur son activité,
cédures de contrôle des concentrations ne donnant pas lieu
rapport qui est joint au rapport public de l’Autorité (C. com.,
à l’ouverture d’un examen approfondi. Pourtant, à des degrés
divers, toutes ces procédures peuvent soulever des problèmes
art. R. 461-9-IV).
aigus de droits de la défense. Cette limitation paraît donc reAu terme de cette brève énumération, on ne peut qu’être
grettable, d’autant que les procédures simplifiées connaissent
frappé par la différence des pouvoirs conférés aux conseillers
un succès grandissant.
auditeurs français et communautaire. En effet, depuis sa créaAu stade de l’instruction, le conseiller auditeur peut néantion en 1982, la fonction de conseiller auditeur communaumoins intervenir non seulement à la demande d’une partaire a été modifiée en 1994 et 2001 pour continuellement rentie, mais également de sa propre initiative, en appelant
forcer ses pouvoirs et son indépendance (Déc. Comm. CE n° 2001/462,
l’attention du rapporteur général sur le bon déroulement
23 mai 2001, JOCE 19 juin, n° L 162, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans cerde la procédure s’il estime qu’une affaire soulève une
taines procédures de concurrence; Déc. Comm. n° 94/810/CECA, 12 déc. 1994, JOCE 21 déc.,
question relative au respect des droits des parties (C. com.,
n° L 330, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans le cadre des procédures de
art. R. 461-9-II, al. 1er).
concurrence devant la Commission), en particulier pour tirer les leçons
Dans l’exercice de ses fonctions, le conseiller auditeur sera
des trois défaites subies par la Commission en matière de
donc en relation à la fois avec les parties, les rapporteurs, le
contrôle des concentrations durant l’année 2002, véritable anrapporteur général et le président de l’Autorité de la concurnus horribilis pour la Commission (TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Airrence. Les parties saisissantes et les parties mises en cause peutours c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2585; TPICE, 22 oct. 2002, aff. T-310/01, Schneider
vent lui soumettre leurs observations sur
Electric c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4071; TPICE, 25 oct.
les affaires les concernant, mais seule2002, aff. T-5/02, Tetra Laval c/ Commission, Rec. CJCE, II,
Dans l’exercice de ses
ment « pour des faits ou des actes interp. 4381). Après l’annulation de ces trois
fonctions, le conseiller
venus à compter de la réception de la nodécisions d’interdiction par le Tribunal,
tification de griefs et jusqu’à la réception
la Commission s’était en effet engagée
auditeur sera donc en
de la convocation à la séance de l’Autoà modifier son processus décisionnel et,
relation à la fois avec les
rité » (C. com., art. R. 461-9-II, al. 2). Le rappornotamment, à renforcer le rôle du
parties, les rapporteurs,
conseiller auditeur en lui donnant les
teur général peut également lui présenle rapporteur général et
ressources suffisantes pour exercer son
ter des observations sur le déroulement
le président de l’Autorité
mandat (Comm. europ., XXXIIe rapport sur la politique
de la procédure. Lorsque le conseiller auditeur appelle l’attention du rapporteur
de concurrence, 2002, SEC (2003) 467 final, pp. 5 et 94).
de la concurrence.
général sur le bon déroulement de la proAu terme de ce processus d’élargissecédure dans une affaire, il verse ses obment de ses pouvoirs, le conseiller auservations au dossier, ce qui renforcera les garanties des parditeur de la Commission européenne a comme mission de gaties en consignant pour l’avenir toute difficulté éventuelle (C. com.,
rantir le respect du droit d’être entendu et de conduire les
procédures de manière à ce qu’elles se déroulent de la façon
art. R. 461-9-II, al. 6). En outre, le conseiller auditeur bénéficie du
la plus objective, transparente et efficace possible, dans la li« concours des services de l’instruction » pour l’exercice de ses
mite du respect d’une application efficace du droit de la concurfonctions et est habilité à demander la communication des
rence. Il dispose en outre d’un domaine de compétence plus
pièces du dossier dont il est saisi auprès du rapporteur généétendu que son homonyme français. Il est en effet compétent
ral. Comme cela s’imposait pour le bon exercice de son office,
pour intervenir dans d’autres procédures que celles donnant
la confidentialité et le secret des affaires ne lui sont pas oppolieu à une notification de griefs, puisque son action peut nosables (C. com., art. R. 461-9-III). Enfin, le conseiller auditeur conclut
tamment s’étendre aux procédures d’engagements. En outre,
ses interventions en remettant un rapport au président de l’Auil peut intervenir avant l’ouverture d’une procédure formelle
torité dans lequel il évalue les observations des parties et prolorsque des questions de confidentialité se présentent à propose, si nécessaire, tout acte permettant d’améliorer l’exercice
pos d’informations devant figurer dans une communication
des droits des parties. Ce rapport doit être remis au président
de griefs, de même qu’il peut statuer au sujet de la version
au plus tard dix jours ouvrés avant la séance, une copie étant
d’une décision destinée à la publication.
adressée au rapporteur général et aux parties concernées (C. com.,
Surtout, le conseiller auditeur de la Commission européenne
art. R. 461-9-II, al. 4). Cette disposition réglementaire a pu être spéne se limite pas à un rôle de simple observateur. Il dispose
cialement critiquée dès lors que, d’une part, elle replace le préd’un certain nombre de pouvoirs propres et, en particulier,
sident au cœur de la phase d’instruction, alors que la LME l’en
d’un pouvoir de décision dont son homonyme français est déavait écarté au profit du rapporteur général et, d’autre part,
pourvu. Il organise et préside les auditions orales et veille à
c’est la section appelée à trancher l’affaire qui devrait recevoir
leur bon déroulement. Il statue en outre sur les demandes
ce rapport directement (Idot L. et Lemaire Ch., L’avant-projet d’ordonnance pord’auditions de tiers et assure la protection des secrets d’aftant création de l’Autorité de la concurrence, JCP G 2008, Actualités, n° 441). Le rapfaires des entreprises. Il garantit par ailleurs l’accès au dosport du conseiller auditeur ne semble en outre pas avoir vosier, prend parti sur les prorogations de délais et conseille le
cation à devenir public, contrairement à celui de son homonyme
commissaire chargé de la politique de concurrence. Pour accommunautaire, ce qui diminuera la pression qu’il pourrait
complir sa mission, il est obligatoirement tenu informé par le
exercer sur le collège mais sera partiellement compensé par la
directeur chargé de l’instruction de l’état d’avancement de la
possibilité qu’auront les parties de s’en prévaloir, le cas échéant,
procédure jusqu’au stade du projet de décision, ce que les
devant la Cour d’appel de Paris.
textes français ne prévoient pas. En contrepartie de son pouTroisièmement, au stade de la séance de l’Autorité, les
voir décisionnel propre, certaines de ses décisions sont suspouvoirs du conseiller auditeur sont résiduels. En effet,
ceptibles de recours (TPICE, 30 mai 2006, aff. T-198/03, Bank Austria Creditansle président « peut inviter » le conseiller auditeur « à assister à la séance et à y présenter son rapport » (C. com.,
talt c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1429; TPICE, 7 juin 2006, aff. jtes. T-213/01 et T-214/01,
art. R. 461-9-II, al. 5).
Österreiche Postparkasse e.a. c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1601).
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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
De surcroît, le conseiller auditeur de la Commission européenne a pour mission, comme son homonyme français, de
rédiger des rapports dans lesquels il présente toutes ses observations liées à des questions de procédure. Toutefois, en
plus de cette mission, le conseiller auditeur de la Commission
peut présenter toutes ses observations liées à des questions
de fond, en particulier sur la nécessité d’un complément d’information, sur l’abandon de certains griefs ou sur la communication de griefs supplémentaires. Ce rapport destiné au Commissaire n’est pas publié, à l’instar du rapport de son homonyme
français. En revanche, c’est son rapport final qui sera publié
au Journal officiel des Communautés européennes, rapport
dans lequel il donne son avis sur le respect du droit qu’ont
les parties d’être entendues.
Enfin, le conseiller auditeur dispose de plus de moyens que son
homonyme français. En effet, si la Commission ne compte actuellement que deux conseillers auditeurs (la décision de la Commission
du 23 mai 2001 utilise l’expression « un ou plusieurs » et ne limite donc pas leur nombre),
ces Hauts fonctionnaires disposent toutefois, pour les aider dans
leur mission, d’une équipe composée de dix personnes.
III. – QUELLE AVANCÉE POUR LES DROITS
DE LA DÉFENSE ?
Qualifié d’« aiguillon de qualité pour les services d’instruction
et le rapporteur général » par la rapporteure générale (Virginie
Beaumeunier : une rapporteure générale pour l’Autorité de la concurrence, Interview, Concurrences, 2-2009, p. 6), d’« expert procédural » par le président de l’Autorité de la concurrence (Lasserre B., La transformation du Conseil de la concurrence en Autorité de la concurrence, clé de voûte d’une régulation de la concurrence, moderne,
juste et efficace, site de l’Autorité, p. 11) ou encore d’« ombudsman des
droits de la défense » (Bosco D., préc.), le conseiller auditeur se
présente pour l’essentiel comme une personnalité disponible
pour remédier à d’éventuelles difficultés en amont de la procédure, et ce sans avoir à attendre la séance du collège. Ses
observations ainsi que la publication de son rapport d’activité permettront sans aucun doute de nourrir le débat sur des
points de procédure.
Pourtant, la création de cette fonction avait été critiquée dans
son principe même par le Conseil de la concurrence dans
son avis du 18 avril 2008. Le Conseil avait ainsi jugé que
cette création était surprenante au regard du principe de séparation entre la phase d’instruction et de décision. Le Conseil
de la concurrence avait considéré que « cette fonction est nécessaire dans une autorité ne connaissant pas la séparation
des fonctions d’instruction et de décision, telle que la Commission européenne. En revanche, son utilité n’apparaît pas
dans une autorité telle que le Conseil, qui garantit cette séparation et permet aux parties de contester le déroulement
de l’instruction devant un collège indépendant. Dans ces
conditions on ne voit pas en quoi le conseiller auditeur pourrait aider le collège à jouer son rôle naturel de gardien de la
régularité de la procédure » (Cons. conc., avis n° 08-A-05, 18 avr. 2008,
pt. 55, relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence;
cf. également Idot L., La nouvelle Autorité de la concurrence en France : entre deux modèles européens ?, Europe févr. 2009, alerte 7).
Le président de l’Autorité de la concurrence s’est ultérieurement prononcé dans le même sens : « sur le fond, en dépit
d’un intitulé identique à celui retenu par le droit communautaire, la fonction assurée par le conseiller auditeur de l’Autorité est appelée à être sensiblement différente de celle du
conseiller auditeur de la Commission européenne. En effet,
la séparation des fonctions d’instruction et de décision fait
du collège de l’Autorité le juge naturel de la régularité du
Droit I Économie I Régulation
déroulement de la procédure d’instruction. Dans ces conditions, le conseiller auditeur ne pouvait pas être doté d’un pouvoir de décision individuel indépendant, car celui-ci aurait
constitué une régression pour les entreprises, auxquelles est
actuellement garanti le contrôle collégial de la section chargée de traiter l’affaire » (Lasserre B., préc.). Autrement dit, « il aurait été paradoxal et peu efficace de soustraire certaines questions au contrôle du collège pour les faire trancher
individuellement par le conseiller auditeur, dont les décisions
auraient pu faire l’objet de recours autonomes, ce qui aurait
encore accru la complexité et la durée des procédures » (Lasserre B.,
La nouvelle Autorité de la concurrence, Interview, Concurrences, 1-2009, p. 4).
On peut encore noter à cet égard que, dans son avis n° 09-A41 relatif à la proposition de nomination du conseiller auditeur,
le collège de l’Autorité de la concurrence n’examine pas seulement les qualités d’expertise et d’indépendance de M. Dominique Voillemot; il propose aussi une analyse du rôle que doit
jouer le conseiller auditeur, rôle qui doit être, selon lui, toujours
aussi étroitement circonscrit. En effet, il y est énoncé qu’il « ressort des travaux et des débats parlementaires que le rôle confié
au conseiller auditeur de l’Autorité, dont l’organisation est marquée par la séparation des fonctions d’instruction exercées par
les services d’instruction sous la direction du rapporteur général, d’une part, et des fonctions de décision assurées en toute indépendance par le collège, d’autre part, est celui d’“un expert
procédural, disponible pour aider à régler d’éventuelles difficultés avant de présenter un point de vue autonome au collège
appelé à se prononcer sur la régularité de la procédure d’instruction”. Le conseiller auditeur est donc appelé à faire part d’une
opinion autonome au collège, seul en mesure de prendre une
décision à cet égard » (Aut. conc, avis n° 09-A-41, préc., pt. 4).
Il ne nous semble effectivement pas contestable que la séparation des fonctions d’instruction et de décision est bien plus
nette dans le contentieux de la concurrence français qu’au niveau communautaire. Comme on le lui reproche si souvent,
la Commission européenne est une institution intégrée qui
cumule les différentes fonctions d’enquête, d’instruction et
de décision. La séparation fonctionnelle en droit français a de
plus été profondément renforcée par la LME, qui a transféré
au rapporteur général un certain nombre de pouvoirs autrefois détenus par le président (notamment : classement d’informations en secret des affaires, choix d’une procédure simplifiée sans établissement préalable d’un rapport et octroi de délais supplémentaires). Le poste de conseiller auditeur
s’impose donc incontestablement plus au sein de la Commission, car il constitue une sorte de contre-pouvoir interne salutaire dont l’utilité a été démontrée par les changements
d’orientation de la procédure causés par certaines auditions
tenues devant lui (cf., également, Idot L., Le nouveau mandat du conseiller-auditeur. Quelques progrès dans les « procédures concurrence », Europe févr. 1995, chron. 2 ;
Charbit N., Le nouveau mandat du conseiller-auditeur, un pas vers la séparation des fonctions?, Gaz. Pal. 21 déc. 1995, p. 3; Idot L., Le mandat des conseillers-auditeurs est modifié de manière à accroître leur indépendance, Europe, août-sept. 2001, comm. 277).
Il aurait toutefois pu être envisagé de confier au conseiller auditeur français un authentique pouvoir de décision. Si transférer le pouvoir de classement de secret des affaires et d’octroi des délais au rapporteur général constitue une avancée,
cela n’aurait pas nui aux droits des parties que de voir ces
questions traitées par le conseiller auditeur. De même, comme
nous l’avons déjà souligné, aurait été particulièrement bienvenue la possibilité pour le conseiller auditeur d’intervenir
lors de procédures ne donnant pas lieu à une notification des
griefs mais pouvant néanmoins soulever de graves questions
au regard des droits de la défense, en particulier les procédures d’engagements et de mesures conservatoires.
>
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
69
LE CONSEILLER AUDITEUR DE L’AUTORITÉ : UN HOMONYME PLUS QU’UN HOMOLOGUE DU CONSEILLER AUDITEUR COMMUNAUTAIRE
Mais peut-être la ruse de l’histoire est-elle ici à l’œuvre :
à l’instar de l’évolution du statut et des fonctions du
conseiller auditeur communautaire, peut-être le rôle du
conseiller auditeur « à la française » se verra-t-il renforcé
ultérieurement. Après tout, la fonction de conseiller auditeur de la Commission a mis plusieurs années avant d’évoluer dans le sens d’une plus grande indépendance et d’un
renforcement de ses pouvoirs, pour finalement lui per-
RLC
DROIT PROCESSUEL
DE LA CONCURRENCE
1430
De nombreux enseignements
sur la prescription en droit
communautaire
Le Tribunal confirme la large portée des actes
interruptifs de prescription mais affirme par ailleurs
l’effet relatif de la suspension de la prescription.
TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg e.a.
c/ Commission
Le plus souvent, d’intéressantes questions de prescription se
posent dans les affaires de concurrence à l’occasion desquelles
une décision de la Commission est annulée par les juridictions communautaires puis remplacée, au terme d’une nouvelle procédure administrative, par une seconde décision (cf.,
par exemple, CJCE, 15 oct. 2002, aff. jtes. C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P,
C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission,
dit « PVC II », Rec. CJCE, I, p. 8375; TPICE, 1er juill. 2008, aff. T-276/04, Compagnie maritime belge c/ Commission, non encore publié, RLC 2008/17, n° 1237). L’arrêt com-
menté, rendu à propos de l’une des dernières applications des
règles de concurrence du Traité CECA, confirme pleinement
cette règle.
Bien qu’il ne s’agisse pas du principal apport qui nous occupera ici, on remarquera tout d’abord en passant que cette affaire confirme le droit pour la Commission de sanctionner,
sous l’empire des règles procédurales relevant du Traité CE et
malgré l’expiration du Traité CECA, des infractions qui relevaient de ce second Traité et étaient constituées avant son expiration. L’arrêt s’inscrit ainsi dans la lignée tracée par l’arrêt
González y Díez rendu en matière d’aides (TPICE, 12 sept. 2007,
aff. T-25/04, González y Díez c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 3121, RLC 2008/14, n° 993,
obs. Cheynel B.) et non dans celle de l’affaire dite « Ronds à bé-
ton », qui pourtant concernait la prohibition des pratiques anticoncurrentielles (TPICE, 25 oct. 2007, aff. jtes. T-27/03, T-46/03, T-58/03, T-79/03,
T-80/03, T-97/03 et T-98/03, SP c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4331). Mais il est
vrai que, dans la décision attaquée dans l’affaire « Ronds à
béton », la Commission n’avait mobilisé comme base juridique que le seul Traité CECA, alors que, dans la décision attaquée dans l’arrêt commenté, elle avait pris soin de s’appuyer également sur le Traité CE et le règlement n° 1/2003.
Si cette question de succession de normes à statut constitutionnel est d’un grand intérêt pour le droit institutionnel, en
raison précisément de l’expiration des règles du Traité CECA
70
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
mettre d’exercer une pression bienvenue sur le processus
décisionnel communautaire, ainsi que M. Voillemot le relevait en 2006 (Interview, 40 ans de barreau de droit de la concurrence, Concurrences, 2-2006, p. 6). Surtout, l’importance de son rôle dépend
en grande partie du tempérament et de la personnalité
nommée : à défaut de décider, le conseiller auditeur sera
peut-être finalement en position d’exercer une audacieuse
magistrature d’influence. ◆
le présent commentaire se concentrera plutôt sur les enseignements qui peuvent être tirés de l’arrêt commenté à propos de la prescription.
Pour mémoire, la prescription applicable au pouvoir de la Commission de prononcer des amendes est de cinq ans (Règl. Cons. CE
n° 1/2003, 16 déc. 2002, art. 25, § 1). Elle court à compter du jour où l’infraction a été commise, sauf pour les infractions continues ou
répétées, pour lesquelles elle ne court qu’à compter du jour où
l’infraction a pris fin (ibid., art. 25, § 2). Elle est interrompue « par
tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction », notamment par les demandes de renseignements de la Commission, les décisions de la Commission
ordonnant des vérifications ou l’envoi d’une communication
des griefs (ibid., art. 25, § 3). Cette interruption vaut à l’égard de
toutes les entreprises ayant participé à l’infraction (ibid., art. 25, § 4)
et peut donc faire repartir à de multiples reprises le cours de la
prescription. Pas indéfiniment toutefois, puisque la prescription est acquise « au plus tard le jour où un délai égal au double
du délai de prescription » – c’est-à-dire dix ans – « arrive à expiration, sans que la Commission ait prononcé une amende ou
une sanction » (ibid., art. 25, § 5). Il s’agit d’une date butoir reposant en substance sur le même mécanisme que celui récemment consacré par le législateur français en matière de prescription civile (C. civ., art. 2232, qui impose un tel délai de 20 ans), si ce n’est
qu’en droit des pratiques anticoncurrentielles le délai butoir de
dix ans est prorogé de la période durant laquelle la prescription
est suspendue, c’est-à-dire « aussi longtemps que la décision de
la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant le
juge communautaire » (Règl. Cons. CE n° 1/2003, préc., art. 25, § 6).
Contrairement à ce qui est prévu pour les actes interruptifs
de prescription, il n’est pas précisé si cette suspension vaut à
l’égard de toutes les parties ou des seules entreprises qui ont
formé un recours. De façon inédite, l’arrêt commenté opte
pour la seconde solution.
Pour en comprendre toute la portée, un bref retour en arrière
s’impose. Dans une première décision concernant l’affaire dite
« des poutrelles », la Commission avait sanctionné la société
ARBED, à laquelle elle avait imputé l’infraction commise par
sa filiale TradeARBED, sans pour autant adresser la décision
à TradeARBED (Déc. Comm. CECA n° 94/215, 16 févr. 1994, JOCE 6 mai, n° L 116,
relative à une procédure d’application de l’article 65 CA concernant des accords et pratiques
concertés impliquant des producteurs européens de poutrelles). ARBED seule avait
donc formé un recours en annulation devant le Tribunal. Ce
recours avait été rejeté en grande partie du fait d’un arrêt ensuite cassé par la Cour, laquelle avait en outre décidé de statuer elle-même sur le litige et, en raison de la violation des
droits de la défense d’ARBED, d’annuler la décision de la Commission pour autant qu’elle concernait cette société (TPICE, 11 mars
1999, aff. T-137/94, ARBED c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 303 ; CJCE, 2 oct. 2003,
aff. C-176/99 P, ARBED c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 10687).
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
À la suite de cette annulation, la Commission avait engagé
une nouvelle procédure visant les comportements anticoncurrentiels qui avaient fait l’objet de la décision initiale, puis
adressé une communication des griefs à ARBED mais aussi à
TradeARBED, sa filiale ayant directement participé à l’infraction, ainsi qu’à ProfilARBED, une société constituée en 1992
pour poursuivre les activités économiques et industrielles
d’ARBED dans le secteur des poutrelles. Finalement, la Commission leur avait infligé à titre solidaire une amende de 10 millions d’euros (Déc. Comm. CE n° C (2006) 5342 final, 8 nov. 2006, aff. COMP/F/38.907,
Poutrelles en acier, JOUE 13 sept. 2008, n° C 235, relative à une procédure d’application de
l’article 65 CA concernant des accords et pratiques concertés impliquant des producteurs
européens de poutrelles).
Les heurts de cette procédure amènent le Tribunal à vérifier
pour chacune de ces trois sociétés que n’ont été violés ni la
prescription quinquennale, interrompue par plusieurs actes,
ni le délai butoir de dix ans, suspendu du fait de l’exercice
des voies de recours.
À cet égard, ARBED soutenait tout d’abord que la prescription n’avait pu être interrompue à son égard, car les divers
actes interruptifs retenus par la Commission ne l’identifiaient
pas comme ayant participé à l’infraction : ils identifiaient uniquement TradeARBED, sa filiale. Peu importe toutefois pour
le Tribunal : selon l’article 25, paragraphe 4, du règlement
n° 1/2003, la prescription vaut à l’égard de « toutes les entreprises ayant participé à l’infraction ». Dès lors, « la circonstance qu’une entreprise n’a pas été identifiée comme “ayant
participé à l’infraction” (…) au cours de la procédure administrative dans le cadre de laquelle l’acte interruptif de la prescription s’est inscrit, n’est pas pertinente si cette entreprise est
ultérieurement identifiée comme telle » (pt. 143, citant en ce sens, TPICE,
1er juill. 2008, aff. T-276/04, Compagnie maritime belge c/ Commission, préc., pt. 31).
Ainsi, « la prescription est interrompue non seulement à l’égard
des entreprises qui ont fait l’objet d’un acte d’instruction ou
de poursuite, mais aussi à l’égard de celles qui, ayant participé à l’infraction, sont encore inconnues de la Commission
et, partant, n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’instruction ou
ne sont destinataires d’aucun acte de procédure » (pt. 145). De
fait, « l’expression “ayant participé à l’infraction” implique un
fait objectif, à savoir la participation à l’infraction, qui se distingue d’un élément subjectif et contingent tel que l’identification d’une telle entreprise au cours de la procédure administrative » (pt. 145). Ainsi, « une entreprise pourrait avoir participé
à l’infraction sans que la Commission le sache au moment où
elle pose un acte interruptif de la prescription » (pt. 145).
Appliquant ces principes, le Tribunal constate que la prescription a été interrompue plusieurs fois à l’égard d’ARBED et que,
compte tenu de sa suspension pendant le cours de la procédure devant le juge communautaire, la décision a été légalement adoptée dans le délai de prescription quinquennale
(pt. 148), de même que dans le délai butoir de dix ans, tel que
suspendu à l’égard d’ARBED durant les procédures devant le
Tribunal et la Cour (pt. 149).
À cette occasion, le Tribunal soulève deux questions intéressantes qu’il ne résout pas. En premier lieu, il réserve la possibilité que la prescription n’ait pas été suspendue durant la
période de deux mois courant entre l’arrêt du Tribunal et le
dépôt du pourvoi devant la Cour (pts. 148 et 149). En second lieu,
le Tribunal semble s’interroger implicitement sur l’interruption de la prescription du fait de l’adoption d’une décision ultérieurement annulée. Le Tribunal constate en effet dans un
premier temps qu’une telle décision interrompt la prescription (pt. 141). Dans un second temps, il est toutefois beaucoup
plus prudent sur cette conséquence, puisque, évoquant les
Droit I Économie I Régulation
divers actes interruptifs de prescription observables en l’espèce, il n’en évoque aucun entre la dernière demande de renseignements envoyée avant l’adoption de la décision et le dépôt du recours contre cette décision (pt. 148). Cette prudence
est peut-être due au fait que l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 n’évoque pas explicitement l’adoption
d’une décision parmi les exemples d’actes interrompant la
prescription, même s’il semble acquis qu’il s’agit bien d’un
acte « visant (…) à la poursuite de l’infraction ».
TradeARBED et ProfilARBED vont pour leur part avoir plus
de succès qu’ARBED. À leur égard, comme le résume le Tribunal, la principale question consistait à « savoir si l’introduction d’un recours devant le juge communautaire a un effet relatif, auquel cas la suspension de la prescription pendant toute
la durée de la procédure ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise
requérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de la
prescription pendant la procédure vaut à l’égard de toutes les
entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou non
formé un recours » (pt. 151). Selon les vues, la question n’était
pas simple ou au contraire l’était particulièrement, car, contrairement à ce que prévoit l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 s’agissant des actes interruptifs de prescription, rien n’indique à l’article 25, paragraphe 6, du même
règlement que la suspension vaut à l’encontre de toutes les
entreprises ayant participé à l’infraction. Cette différence va
se révéler décisive, car, pour le Tribunal, les exceptions au
principe de la prescription quinquennale, dont fait partie la
suspension, doivent être interprétées strictement (pt. 154). Cela
s’oppose donc à ce que le silence du législateur soit interprété
dans le sens d’une suspension erga omnes, d’autant que la
suspension de la prescription durant le cours des procédures
judiciaires suppose par nature qu’une décision a déjà été adoptée. Il n’est donc plus nécessaire alors d’attacher un effet erga
omnes à la prescription, et ce d’autant que « l’effet inter partes
des procédures judiciaires et les conséquences attachées à cet
effet par la Cour (…) s’opposent en principe à ce que le recours
introduit par une entreprise destinataire de la décision attaquée ait une quelconque incidence sur la situation des autres
destinataires » (pts. 155 et 156; CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-310/97 P, Commission
c/ AssiDomän Kraft Products e.a., pts. 49 et s., Rec. CJCE, I, p. 5363). On ne peut
opposer à cette interprétation la notion d’entreprise entendue
comme unité économique : ce qui compte dans cette hypothèse est que l’entité juridique reçoit la communication des
griefs, se voit adresser la décision et, de ce fait, « est seule à
même d’introduire un recours (…) et (…) susceptible de se voir
opposer la suspension de la prescription » (pt. 158).
La solution est parfaitement justifiée et elle démontre une nouvelle fois l’importance procédurale d’une identification correcte
par la Commission des entités juridiques pouvant se voir imputer l’infraction au sein d’une même entreprise. Comme le démontre en effet cette affaire, si, au sein d’une même entreprise,
la Commission oublie une entité ou commet une erreur en identifiant celle(s) ayant participé à l’infraction, le recours exercé
par les entités auxquelles la décision aura été adressée ne suspendra pas la prescription à l’égard des entités laissées de côté,
de sorte qu’il deviendra très difficile pour elle de corriger son
erreur, sauf si, préventivement, elle a réalisé des actes d’instruction interruptifs de prescription à leur égard. Comme le relevait en substance la Commission dans sa décision partiellement annulée, elle pourrait toutefois être malvenue de réaliser
de tels actes alors qu’elle a préalablement adopté une décision
laissant de côté les entités en cause (Déc. Comm. CE n° C (2006) 5342 final, 8 nov. 2006, aff. COMP/F/38.907, Poutrelles en acier, préc., consid. 451). Eu égard
à l’arrêt rendu par le Tribunal, il ne peut cependant être exclu >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
71
que, découvrant ultérieurement son erreur, elle décide d’accomplir de tels actes à titre conservatoire, par exemple en leur
envoyant une demande de renseignements.
Éric BARBIER de la SERRE
RLC
• OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique
« Pratiques concurrentielles », Arcelin-Lécuyer L., Imputation de l’infraction
et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de la
concurrence, RLC 2009/20, n° 1395.
1431
Accès au dossier
de la Commission en vue
de poursuites civiles
Le Tribunal confirme l’appréciation stricte
des exceptions au droit d’accès sous l’empire
du règlement n° 1049/2001.
TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, Borax Europe c/ Commission ;
TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, Borax Europe c/ Commission
Le règlement n° 1049/2001, qui constitue la réglementation
générale sur l’accès aux documents de la Commission, du
Conseil et du Parlement, fait actuellement l’objet d’un processus de révision approfondie par le législateur communautaire (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, 30 mai 2001, JOUE 31 mai, n° L 145, relatif
à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission). Le débat est intense entre la Commission, qui prône une
restriction du droit d’accès notamment dans les affaires de
concurrence, et le Parlement, très réservé sur un tel retour en
arrière. Loin de ce débat ou peut-être au contraire pour s’y insérer, le Tribunal de première instance continue pour sa part
de faire progresser les droits prévus par le règlement
n° 1049/2001 dans sa version actuellement en vigueur. Les
deux arrêts commentés confirment en effet la sévérité dont
fait normalement preuve le Tribunal lorsqu’il examine si l’une
des exceptions au droit d’accès s’applique.
Le règlement n° 1049/2001 n’est plus vraiment à présenter,
car de nombreux arrêts le concernant ont déjà été commentés dans cette chronique (cf., par exemple, TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI
c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1121, RLC 2005/4, n° 312, obs. GMP, et TPICE, 9 sept. 2008,
aff. T-403/05, MyTravel c/ Commission, pt. 97, non encore publié, RLC 2009/18, n° 1307).
On peut toutefois rappeler qu’il est d’application extrêmement
large, puisqu’il donne à « [t]out citoyen de l’Union et toute
personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans
un État membre » un droit d’accès à tous les documents en
possession de la Commission, du Conseil et du Parlement,
quelle que soit leur forme et quel que soit le domaine d’activité de l’Union concerné, c’est-à-dire également aux documents concernant les procédures en droit de la concurrence.
Le règlement prévoit bien sûr des exceptions, dont les deux
plus pertinentes pour le droit de la concurrence sont, d’une
part, la protection des activités d’inspection et d’enquête de
la Commission (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, préc., art. 4, § 2) et, d’autre
part, la protection du processus décisionnel de la Commission (ibid., art. 4, § 3). La jurisprudence s’est toutefois montrée
très sévère avec la Commission lorsque cette dernière prétend
démontrer que l’une de ces exceptions est présente. La jurisprudence exige notamment que l’atteinte aux intérêts protégés ne soit pas simplement hypothétique mais précisément
démontrée au regard des faits concrets de l’espèce (cf., par exemple,
TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, préc., pt. 69). En outre, même
lorsqu’une atteinte à ces intérêts est présente et démontrée à
suffisance de droit, encore faut-il qu’un « intérêt public supé-
72
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
rieur » ne justifie pas la divulgation du document visé (Règl.
Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, préc., art. 4, §§ 2 et 3).
S’appuyant sur le règlement n° 1049/2001, Borax, une société
produisant et distribuant du borate et de l’acide borique, a demandé à avoir accès aux documents d’un groupe d’experts
consultés en vue de l’adoption d’une directive classant éventuellement ces substances comme dangereuses. La Commission s’y est opposée en invoquant la protection de la vie privée (ibid., art. 4, § 1, sous b)), en l’occurrence celle des experts, ainsi
qu’un risque d’atteinte grave portée au processus décisionnel
(ibid., art. 4, § 3). Le Tribunal va toutefois lui donner tort sur les
deux tableaux.
S’agissant de la protection de la vie privée, il juge que les assurances données par la Commission à certaines personnes
quant à la confidentialité de leurs conversations ne peuvent
être opposées au règlement n° 1049/2001 (TPICE, 11 mars 2009,
aff. T-121/05, pt. 34). Lorsque la Commission a pris un tel engagement, il semble donc qu’elle doive permettre l’accès aux documents en cause, sauf bien sûr si une autre exception s’applique, quitte à devoir en supporter les conséquences par le
biais d’un recours en indemnité.
De façon plus importante, le Tribunal confirme que la Commission ne saurait qualifier un risque d’atteinte à l’un des intérêts protégés par les exceptions au droit d’accès en s’appuyant sur des motifs généraux et, donc, sans avancer de
circonstances propres à l’espèce (ibid., pts. 39, 44, 45 et 50).
C’est cette même approche que le Tribunal suit pour écarter
le risque d’atteinte au processus décisionnel invoqué par la
Commission. Il rejette en effet les justifications appuyées sur
des risques inhérents au processus décisionnel, en l’espèce le
risque qu’une confusion soit créée, du fait de l’accès à des
documents imparfaits, sur ce qui s’est réellement déroulé lors
de ce processus (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, pts. 90 à 99). Cette justification était, il faut le dire, particulièrement audacieuse,
puisque l’accès aux documents ne peut précisément que contribuer à jeter un peu plus de lumière, même si elle est tamisée,
sur le déroulement réel de la procédure administrative.
Le Tribunal rejette en outre l’argument de la Commission selon lequel il est nécessaire « de protéger les experts contre toute
pression extérieure afin de préserver un climat de confiance
propice à des discussions franches et de ne pas les dissuader
d’exprimer librement leur opinion à l’avenir ». Ici aussi la solution s’imposait, car la Cour est allée jusqu’à juger qu’il
n’existe pas de besoin général de confidentialité en ce qui
concerne les avis du service juridique relatifs à des questions
législatives (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, préc., pts. 67 à 72; TPICE, 11 mars
2009, aff. T-166/05, préc., pts. 100 à 106), avis dont on pourrait à première
vue penser que la candeur serait mise en danger si elle était
offerte aux regards extérieurs (CJCE, 1er juill. 2008, aff. C-39/05 P et C-52/05 P,
Suède et Turco c/ Conseil, non encore publié, RLC 2008/17, n° 1241, obs. G. M.-P.). Il
nous semble toutefois que, par cette dernière prise de position, le Tribunal prend une nouvelle fois parti dans un débat
très important sur la portée des exceptions au droit d’accès.
Ce débat oppose deux conceptions.
La première peut être appelée « conception systémique » : selon cette conception, une exception s’applique si donner accès à des documents dans un cas donné aurait pour effet de
mettre en danger les intérêts protégés non pas dans le cas en
question mais dans d’autres affaires du même type, notamment parce qu’elle modifierait le comportement futur des institutions ou des justiciables dans un sens qui affecterait l’action administrative. L’exemple le plus typique de la conception
systémique réside dans la communication de la Commission
sur la clémence, selon laquelle « la divulgation publique de
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
documents et de déclarations écrites ou enregistrées reçus conformément à la présente communication porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés, par exemple la protection des
objectifs des activités d’inspection et d’enquête, au sens de l’article 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 (…), même après l’adoption de la décision » (Communication Comm. CE sur l’immunité d’amendes et la
réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JOUE 8 déc. 2006,
n° C 298). Cette conception est également présente dans le ré-
cent arrêt MyTravel, dans lequel, aux fins de protéger le processus décisionnel, le Tribunal a admis que la Commission
ne donne pas accès à certains rapports internes de la Direction générale « Concurrence ». Le Tribunal a ainsi jugé que la
divulgation de ces rapports « signifierait que leurs auteurs
prendraient en compte à l’avenir ce risque de divulgation à un
point tel qu’ils pourraient être amenés à s’autocensurer et à
ne plus présenter d’opinion susceptible de faire courir un risque
au destinataire du document en cause. Ce faisant, la communication interservices au sein de la Commission ne serait plus
aussi libre et complète qu’elle devrait l’être afin de permettre
l’élaboration des décisions et de la communication des griefs
requises au titre d’une procédure de contrôle des concentrations » (TPICE, 9 sept. 2008, aff. T-403/05, MyTravel c/ Commission, préc., pt. 97).
On peut toutefois opposer à cette approche systémique une
« conception in concreto », selon laquelle c’est à la lumière
des seules circonstances du cas d’espèce – et non par rapport
au risque que l’accès aux documents ferait courir dans d’autres
affaires – que l’atteinte doit être caractérisée. Une telle conception, qui nous semble plutôt dominante à ce stade dans la jurisprudence, peut être décelée par exemple dans l’affaire VKI
(TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, préc., pts. 81 à 88), surtout
dans l’affaire Franchet & Byk (TPICE, 6 juill. 2006, aff. T-391/03, Franchet &
Byk c/ Commission, pt. 113, Rec. CJCE, II, p. 2023, RLC 2006/9, n° 616) et, aujourd’hui, dans les arrêts commentés.
RLC
É.B.S.
1432
Les poursuites civiles
comme « intérêt public
supérieur » justifiant
un accès aux documents
de la Commission
Pour le Médiateur européen, la promotion des actions
civiles en réparation peut caractériser l’« intérêt public
supérieur » qui, selon le règlement n° 1049/2001,
justifie l’inapplication des principales exceptions
prévues par ce texte.
Projet de recommandation du Médiateur européen dans son enquête
relative à la plainte 3699/2006/ELB contre la Commission européenne
C’est la première fois que cette chronique commente une recommandation du Médiateur européen. Une fois n’est certes
pas coutume, mais le projet de recommandation commenté
mérite assurément que l’on s’y arrête, car il prend directement position sur une question brûlante : dans quelle mesure
la Commission est-elle supposée, en ouvrant l’accès à ses dossiers, prêter assistance aux plaignants qui intentent des actions civiles contre les entreprises s’étant rendues coupables
d’un cartel ?
Le Médiateur statuait en l’espèce sur le refus de la Commission de faire droit à une demande présentée par deux avocats
Droit I Économie I Régulation
à la Commission sur le fondement du règlement n° 1049/2001
(pour une brève présentation de ce règlement, voir RLC 2009/20, n° 1431). Ces avocats souhaitaient que leur client puisse prendre connaissance
des documents mentionnés dans une décision de la Commission adoptée à l’encontre d’une société sanctionnée pour infraction aux règles de concurrence. Cette demande visait in
fine à leur permettre de produire ces documents devant les
tribunaux nationaux aux fins d’une action en réparation du
préjudice subi en raison de cette infraction.
Ayant essuyé un refus sur le fondement de l’exception relative à la protection des activités d’enquête et des intérêts commerciaux, les demandeurs s’adressent au Médiateur. S’agissant de la protection des activités d’enquête, le Médiateur
rappelle qu’il appartient à l’institution d’avancer des « arguments circonstanciés tenant au contenu précis de chacun des
documents pour démontrer que la divulgation de ceux-ci, à la
demande des plaignants, porterait atteinte à l’intérêt d’une
enquête à venir » (pt. 31), ce que la Commission n’a pas fait en
l’espèce. Quant à la protection des informations commerciales,
le Médiateur constate que les documents en cause contiennent encore des informations sensibles (pt. 38). Toutefois – et
c’est le point qui nous intéressera le plus – même s’il est démontré que l’accès à des documents affecterait l’un des intérêts protégés par l’article 4, paragraphe 2, du règlement
n° 1049/2001, encore faut-il, pour que l’accès puisse être refusé, que n’existe pas un « intérêt public supérieur » imposant
l’accès (pt. 39).
S’appuyant largement sur le document de travail accompagnant le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts
pour infraction aux règles communautaires sur les ententes
et les abus de position dominante, le Médiateur constate que,
selon la Commission elle-même, les poursuites civiles auront
un effet dissuasif fort à l’égard des contrevenants potentiels
et que les intérêts de ces victimes « coïncident normalement
avec l’intérêt public » (pt. 41). Le médiateur cite également en
ce sens les arguments avancés par la Commission dans l’affaire Sumitomo à propos de la nature « vitale » des poursuites
civiles « pour assurer l’application complète des articles 81 CE
et 82 CE » (pt. 57; TPICE, 6 oct. 2005, aff. T-22/02, Sumitomo Chemical c/ Commission, pt. 128, Rec. CJCE, II, p. 4065, RLC 2005/5, n° 385), retournement quelque
peu ironique que vient encore couronner une référence à l’arrêt Courage (CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage c/ Crehan, pts. 26 et 27, Rec.
CJCE, I, p. 629). L’intérêt public des poursuites civiles semble donc
normalement acquis pour le Médiateur. Reste toutefois encore à déterminer si l’encouragement des poursuites civiles
constitue un intérêt public « supérieur ».
Pour le déterminer, il convient, selon le Médiateur, que la
Commission établisse « si les documents qui font l’objet de la
demande d’accès contiennent réellement des informations pouvant servir dans une action en dommages et intérêts devant
une juridiction nationale, à savoir, par exemple, des informations relatives à un préjudice causé à des tiers (…), ainsi que
des informations relatives à un lien causal entre la violation
de la législation communautaire en matière de concurrence et
le préjudice causé à ces tiers » (pt. 45). Ainsi, si les documents
contiennent réellement des informations pouvant être utiles,
« il sera d’autant plus probable » qu’il existe effectivement un
intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ces documents (ibid.).
Le Médiateur considère également que, parmi les facteurs devant être pris en considération au moment de déterminer s’il
existe un intérêt public supérieur justifiant la divulgation, il y
a lieu d’établir si la juridiction nationale peut effectivement
demander à avoir accès aux documents en question, confor- >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
73
74
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
clémence intégrale est accordée à la partie tierce dont émanent
lesdits renseignements » (pt. 70). Il « n’exclut pas » non plus que
« l’efficacité du programme de clémence puisse dépendre de la
confiance qu’ont les entreprises sollicitant la clémence dans le
fait que la Commission ne divulguera pas les documents à des
tiers » (pt. 71). Le Médiateur s’exprime avec une grande prudence, mais l’on perçoit bien son adhésion au programme de
clémence et la difficulté qu’auront les demandeurs à obtenir
des documents présentés aux fins de son application.
S’agissant deuxièmement des documents obtenus en réponse
à une demande de renseignements, le Médiateur constate
qu’en dépit de l’obligation d’accéder à une telle demande « les
entreprises conservent une certaine marge d’appréciation quant
aux informations qu’elles choisissent de transmettre à la Commission, en particulier dans les cas où les demandes de renseignements sont formulées dans des termes vagues » (pt. 72).
Il n’est donc pas exclu qu’ils doivent être eux aussi écartés du
droit d’accès.
S’agissant troisièmement des documents saisis lors d’une inspection menée par la Commission en vertu de l’article 20 du
règlement n° 1/2003, dès lors que ceux-ci « sont obtenus sans
le consentement ni la coopération de la partie incriminée », la
capacité de la Commission à obtenir de tels documents ne devrait pas être mise à mal par la possibilité d’une éventuelle
divulgation de ces documents (pt. 73).
Trois observations peuvent être faites sur cette division
tripartite.
Tout d’abord, si elle était retenue, ce serait pour les entreprises
une raison supplémentaire de coopérer avec la Commission,
car l’accès aux documents accompagnant une demande de
clémence serait beaucoup plus difficile que l’accès aux documents des entreprises qui n’auraient pas coopéré.
Ensuite, le projet de recommandation réalise une sorte de
grand écart entre les approches systémiques et in concreto décrites dans l’actualité précédente : d’une part, elle insiste sur
la nécessité d’une caractérisation concrète et circonstanciée,
mais tout en acceptant, d’autre part, de prendre en compte la
création de risques systémiques dans d’autres cas que celui
en cause.
Enfin, troisièmement, à l’occasion de la révision en cours du
règlement n° 1049/2001, le législateur communautaire clarifiera peut-être cette tentative de systématisation, puisque,
comme nous l’avons déjà souligné, la proposition de la Commission prévoyait l’exclusion du droit d’accès à une grande
partie de ses dossiers, ce à quoi s’oppose le Parlement, traditionnellement féru de transparence et électeur du Médiateur.
Le débat entre Commission, Conseil, Parlement, Médiateur et
Cour ne fait donc que commencer.
É.B.S.
RLC
mément à l’article 15 du règlement n° 1/2003 (pt. 46). L’accès
à des documents sur le fondement du règlement n° 1049/2001
et l’accès judiciaire aux preuves jouent donc comme des vases
communicants. En effet, d’une part, comme on vient de le voir,
la fermeture de l’accès judiciaire aux preuves accroît le champ
d’application du règlement n° 1049/2001. Inversement, l’ouverture de l’accès par le biais du règlement n° 1049/2001 diminue le besoin de recourir aux mesures d’accès aux preuves
dont la Commission envisage de proposer l’adoption dans le
cadre de sa future directive sur la réparation des dommages
civils. En effet, le prononcé de ces mesures devrait être soumis notamment à une condition de subsidiarité, c’est-à-dire à
la preuve de l’impossibilité d’obtenir autrement les preuves et
au moyen d’efforts raisonnables. Or, la Commission a beau indiquer dans son document de travail accompagnant le Livre
blanc que le règlement n° 1049/2001 n’est pas pertinent à cet
égard (Commission Staff Working Paper, pt. 104), rien ne le prévoit expressément à ce stade. Si l’accès judiciaire aux preuves est supposé se développer, cela suppose donc que soient refermées
les voies d’accès alternatives telles que le règlement
n° 1049/2001. C’est du reste précisément une telle fermeture
que la Commission cherche à réaliser, puisque sa proposition
de modification du règlement n° 1049/2001 prévoit l’exclusion
du droit d’accès d’une très grosse partie des dossiers de la Commission. La messe n’est toutefois pas encore dite, puisque le
Parlement, de son côté, s’est opposé à ce changement.
Mais l’intérêt de la recommandation commentée ne s’arrête
pas là, puisque le Médiateur apporte d’autres précisions sur
l’enchevêtrement du règlement n° 1049/2001 et des poursuites
civiles.
Premièrement, il balaie l’argument avancé par la Commission
selon lequel le règlement n° 1049/2001 ne doit pas être utilisé pour réunir des preuves dans le cadre d’actions privées
en dommages et intérêts, notant à cet égard que le règlement
est applicable dans tous les domaines d’activité de l’Union
(pt. 52). Cette conception s’oppose directement à celle retenue
par la Commission dans son document de travail accompagnant le Livre blanc, selon laquelle le règlement n° 1049/2001
n’est pas pertinent à cet égard (Commission Staff Working Paper, préc.,
pt. 104).
Deuxièmement, même si l’existence d’un intérêt public supérieur lié à la facilitation des poursuites civiles doit faire l’objet d’un examen au cas par cas, le Médiateur suggère que ce
n’est que dans « dans certains cas exceptionnels » que la divulgation pourrait être refusée (pt. 54).
Troisièmement, il procède à une division tripartite intéressante s’agissant de la mise en balance devant être effectuée
entre la protection des activités d’enquête et un éventuel intérêt public supérieur.
Il juge ainsi nécessaire, lors de cette opération, d’établir une
distinction entre, premièrement, les documents remis volontairement à la Commission sous le couvert d’un programme
de clémence; deuxièmement, les documents obtenus à la suite
d’une demande de renseignements formulée par la Commission en application de l’article 18 du règlement n° 1/2003 ; et
troisièmement, les documents saisis lors d’une inspection
conduite par la Commission en application de l’article 20 du
règlement n° 1/2003.
S’agissant premièrement des documents obtenus dans le cadre
d’une demande de clémence, le Médiateur « n’exclut pas que,
dans certaines circonstances, il puisse s’avérer nécessaire, afin
de protéger l’intérêt public, de garantir la protection des renseignements livrés volontairement à la Commission dans le
cadre d’un programme de clémence, en particulier lorsqu’une
1433
Quand le ministre tire le
premier mais à titre incident
Un recours incident du ministre devant la Cour d’appel
de Paris peut viser à l’augmentation de l’amende
imposée à des entreprises n’ayant pas formé
de recours principal.
CA Paris, 8 avr. 2009, n° 2008/01092, ELA Medical e.a.
La latitude dont dispose la Cour d’appel de Paris pour augmenter une amende infligée par l’Autorité de la concurrence
est bien plus réduite que celle dont dispose le Tribunal à
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
aff. C-3/06 P, Groupe Danone c/ Commission, pt. 62, Rec. CJCE, I, p. 1331, RLC 2007/11,
n° 793), la Cour d’appel de Paris ne peut le faire qu’à la condi-
tion que le ministre forme un recours contre la décision, eu
égard au « respect du principe général de non-aggravation
du sort du requérant en l’absence de recours du ministre
chargé de l’Économie, qui s’oppose à ce que la sanction soit
aggravée » (CA Paris, 1re ch., sect. H, 15 janv. 2008, n° 2007/02775, Devin Lemarchand Environnement, RLC 2008/15, n° 1104 ; cf., également, Ménuret J.-J., Le contentieux du Conseil de la concurrence, LGDJ, 2003, n° 839 ; Pénichon C., Le contrôle de la
proportionnalité de la sanction par la Cour d’appel de Paris en droit de la concurrence,
in Canivet G. (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, p. 363). De
surcroît, le ministre n’exerce, semble-t-il, que très rarement
cette prérogative.
L’arrêt commenté marque donc peut-être une nouvelle étape,
puisque, par le biais d’un recours incident, le ministre y invitait la Cour d’appel à augmenter l’amende imposée par le
Conseil à cinq entreprises coupables d’une entente concernant l’approvisionnement des hôpitaux en défibrillateurs cardiaques (Cons. conc., déc. n° 07-D-49, 19 déc. 2007, RLC 2008/15, n° 1056, obs.
Sélinsky V. et n° 1108, obs. Cheynel B.). Le ministre ne s’est pas laissé impressionner par le fait que seules deux entreprises sur cinq
avaient formé un recours principal : son recours incident visait à l’augmentation de l’amende non pas des deux seules
entreprises ayant formé un recours principal mais bien des
cinq entreprises condamnées, y compris les trois entreprises
qui s’étaient abstenues de former un recours principal.
La Cour d’appel s’est interrogée sur la recevabilité de ce recours incident à l’égard de ces trois entreprises et résout son
incertitude par une réponse positive : si, selon l’article
R. 464-16 du Code de commerce, un recours incident est « dénoncé (…) aux demandeurs au recours à titre principal », il
n’existe pas pour autant de « lien nécessaire entre les modalités de la notification du recours incident et de sa portée ». En
d’autres termes, « rien n’interdit spécialement au ministre
chargé de l’Économie de réclamer par cette voie l’aggravation
des sanctions prononcées contre toutes les entreprises, même
celles n’ayant pas formé de recours à titre principal ».
Une partie condamnée par l’Autorité ne peut donc se tranquilliser complètement du simple fait que, d’une part, elle
s’est abstenue de former un recours principal et, d’autre part,
le ministre ou une autre partie n’a pas formé de recours principal contre la décision : encore faut-il que le ministre ne forme
pas de recours incident dont la portée dépasserait celle des
recours principaux.
En l’espèce, deux des trois entreprises mises en cause par le
ministre avaient elles-mêmes formé un recours incident. En
revanche, la troisième s’en était abstenue. Eu égard aux risques
pesant sur elle, on peut être surpris de constater qu’elle n’était
pas présente aux débats, bien que, selon l’arrêt, le recours incident du ministre lui ait bien été notifié.
Lue conjointement avec l’arrêt rendu sur le litige concernant
l’iPhone, cette solution confirme l’élargissement récent des
possibilités contentieuses devant la Cour d’appel. On rappellera en effet que, dans cet arrêt sur l’iPhone, la Cour d’appel
a jugé que, par la voie de l’intervention, une entreprise pouvait devenir partie devant la Cour d’appel même si elle n’avait
pas été partie principale (CA Paris, 1re ch., sect. H, 4 févr. 2009, n° RG : 2008/23828
et n° RG : 2009/00003, Apple et Orange c/ Bouygues Telecom, RLC 2009/19, n° 1337,
Sélinsky V. et RLC 2009/19, n° 1362, Muguet-Poullennec G.).
Droit I Économie I Régulation
Si la solution retenue dans l’arrêt commenté s’inscrit donc
dans un mouvement plus large, on peut se demander s’il ne
crée pas une nouvelle dynamique qui pourrait inciter les entreprises condamnées à former un recours principal par précaution, de crainte d’être ensuite mises en cause par le ministre sans pouvoir elles-mêmes former un recours contre la
décision, puisque le Code de commerce ne prévoit pas la possibilité de former un nouveau recours incident. Ce serait alors
aller contre l’une des vertus de ce dernier, qui est de limiter
le volume de contentieux en permettant aux parties qui se
contentent à première vue de la décision de ne déposer un recours que dans l’hypothèse où leurs adversaires le feraient.
Sauf bien sûr à penser que c’est le dépôt du recours principal
lui-même qui pourrait inciter le ministre à former un recours
incident.
É.B.S.
RLC
l’égard de la Commission : alors que le juge communautaire est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction à la hausse « lorsque la question du montant de l’amende
est soumise à son appréciation », c’est-à-dire y compris sans
conclusions de la Commission en ce sens (CJCE, 8 févr. 2007,
1434
Aides d’État :
une jurisprudence sinueuse
sur le droit de contester
devant le Tribunal
des éléments factuels
non remis en cause devant
la Commission
La prudence s’impose pour les bénéficiaires potentiels
d’une aide d’État, y compris s’ils n’ont pas participé
à la procédure administrative.
TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana
del risparmio gestito e.a. c/ Commission ;
TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07,
KG Holding c/ Commission
En matière d’aides d’État, il est désormais quasiment acquis
qu’une partie intéressée qui a participé à la procédure administrative n’est pas en droit de contester pour la première fois
devant le Tribunal des faits qu’elle s’est abstenue de remettre
en cause devant la Commission (cf., par exemple, TPICE, 11 mai 2005,
aff. jtes. T-111/01 et T-133/01, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG c/ Commission, pt. 68, Rec.
CJCE, II, p. 1579). La même solution sévère s’applique-t-elle tou-
tefois si le requérant n’a pas participé à la procédure administrative (et, par définition, n’a donc pas contesté les faits en
cause), que ce soit délibérément, parce qu’il n’était pas au
courant de la procédure ou parce qu’il n’était pas conscient
de son importance, comme c’est souvent le cas lorsqu’est en
cause un régime d’aides ? En d’autres termes, est-ce seulement la participation à la procédure qui déclenche un risque
de forclusion ou est-ce la seule publication de la décision d’ouverture de la procédure au Journal officiel de l’Union européenne ?
L’histoire de cette incertitude est relativement sinueuse. Ses
étapes les plus récentes peuvent être résumées ainsi.
En 2005, dans l’arrêt Saxonia, le Tribunal a jugé sans surprise
qu’un requérant, « lorsqu’il a participé à la procédure d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE », ne saurait être
recevable à se prévaloir d’arguments factuels inconnus de la
Commission et qu’il n’aurait pas signalés à celle-ci au cours
de la procédure d’examen (TPICE, 11 mai 2005, aff. jtes. T-111/01 et T-133/01,
Saxonia Edelmetalle et ZEMAG c/ Commission, préc., pt. 68, RLC 2005/4, n° 319, obs. >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
75
aff. T-17/03, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke c/ Commission, pt. 54, Rec. CJCE, II, p. 1139;
s’appuyant sur l’arrêt Saxonia, préc. et TPICE, 14 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleuren Compost c/ Commission, pts. 48 et 49, Rec. CJCE, II, p. 127).
Dans l’arrêt Ter Lembeek, le Tribunal confirmait semble-t-il
un retour à la prudence en s’inscrivant dans la lignée de l’arrêt Saxonia, c’est-à-dire en réservant les « cas tout à fait exceptionnels » (TPICE, 23 nov. 2006, aff. T-217/02, Ter Lembeek c/ Commission, pt. 85,
Rec. CJCE, II, p. 4483). Nonobstant la parfaite connaissance par la
requérante de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen
ainsi que de la nécessité et de l’importance pour elle de fournir certaines informations, elle avait décidé de ne pas participer à cette procédure, « sans d’ailleurs avoir allégué que la décision d’ouverture était insuffisamment motivée pour lui
permettre d’exercer utilement ses droits » (pts. 86, 91 et 92).
Nouveau retour en arrière toutefois dans l’arrêt Scott, arrêt
dans lequel le Tribunal ne réservait pas l’hypothèse de cas exceptionnels (TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00, Scott c/ Commission, pt. 145, Rec.
CJCE, II, p. 1763). Cette volte-face est encore confirmée par un récent arrêt sur cette question, dans lequel le Tribunal prend
soin de noter qu’un requérant, « lorsqu’il a participé à la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2,
CE, ne saurait être recevable à se prévaloir d’arguments factuels inconnus de la Commission et qu’il n’aurait pas signalés à celle-ci au cours de la procédure formelle d’examen » (TPICE,
4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmio gestito e.a. c/ Commission,
pt. 177, non encore publié).
L’incertitude demeure donc sur l’existence et la portée des hypothèses dans lesquelles une partie intéressée qui n’a pas par-
76
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
ticipé à la procédure administrative peut contester pour la première fois des faits devant le Tribunal. Il nous semble clair
qu’à tout le moins certains cas exceptionnels doivent être réservés. En effet, même si une fiction traditionnelle et nécessaire veut que le Journal officiel de l’Union européenne soit lu
quotidiennement dans tous les foyers et par tous les opérateurs économiques, l’expérience pousse à un peu plus de réalisme. En matière de régimes d’aides, ce réalisme s’impose
particulièrement, puisque l’identité des bénéficiaires peut souvent être moins apparente que dans le cas des aides individuelles. De surcroît, il nous semble qu’il faut en outre réserver le cas où la décision d’ouverture est trop imprécise sur
certains points pour que des observations utiles soient présentées à leur égard, réserve qui s’inscrit du reste dans la lignée des exigences renforcées que le Tribunal a récemment
posées à l’égard des décisions d’ouverture (TPICE, 22 févr. 2006,
aff. T-34/02, Le Levant 001 e.a. c/ Commission, pts. 78 à 83, Rec. CJCE, II, p. 267, RLC
2006/7, n° 523). Enfin, le Tribunal vient lui-même de jeter un doute
sur la rigueur de sa jurisprudence en retenant, à propos d’une
aide individuelle, que « [l]e droit d’agir d’une personne ne saurait être restreint pour la simple raison que, alors qu’elle aurait pu, au cours de la procédure administrative, présenter des
observations sur une appréciation communiquée lors de l’ouverture de la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE et reprise dans la décision litigieuse, elle s’est abstenue de le faire »
(TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission, pt. 195).
Quoi qu’il en soit, la prudence et la lecture du Journal officiel
de l’Union européenne continuent de s’imposer : un bénéficiaire potentiel qui souhaiterait contester judiciairement une
éventuelle décision négative doit, à titre de précaution, faire
valoir les éléments de fait qu’il juge pertinents dès la phase
administrative.
É.B.S.
RLC
Cheynel B.). Faisant preuve d’une certaine prudence, le Tribunal
a ajouté que « [c]ette jurisprudence ne saurait nécessairement
être étendue à tous les cas dans lesquels une entreprise n’a pas
participé à la procédure d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE » (pt. 69). Toutefois, cette inapplication ne se justifiait pour le Tribunal que dans « certains cas tout à fait exceptionnels », dont il n’était pas dit davantage si ce n’est que
le cas d’espèce n’en relevait pas (pt. 69). En effet, jugeait le Tribunal, la requérante n’avait pas fait usage de son droit de participer à la procédure d’examen, alors même qu’elle était spécifiquement visée à plusieurs reprises par la décision d’ouverture
de la procédure d’examen et que cette décision soulevait des
doutes quant à l’utilisation correcte de l’ensemble des aides
en cause (pt. 70).
Cinq mois plus tard, le Tribunal utilisait dans l’arrêt Freistaat
Thüringen des termes plus larges encore en jugeant que, si
les parties intéressées considèrent que certains faits qui sont
repris dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen sont erronés, ils doivent le faire savoir à la Commission
durant la procédure administrative sous peine de ne plus pouvoir les contester dans le cadre de la procédure contentieuse
(TPICE, 19 oct. 2005, aff. T-318/00, Freistaat Thüringen c/ Commission, pt. 88, Rec. CJCE,
II, p. 4179). Le Tribunal semblait donc définir une règle d’application très large dépourvue d’exceptions.
Toutefois, six mois plus tard, le Tribunal revenait à plus de
prudence dans l’arrêt Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke (TPICE, 6 avr.
2006, aff. T-17/03, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1139).
Il y jugeait certes qu’un requérant n’ayant pas participé à la
procédure administrative ne saurait se prévaloir d’éléments
dont la Commission n’a pas eu connaissance pendant cette
phase, mais en prenant toutefois la précaution de constater
que, d’une part, le requérant en l’espèce était nommément
désigné comme étant le bénéficiaire de l’aide en cause et,
d’autre part, la Commission avait invité les autorités allemandes ainsi que les éventuelles parties intéressées à rapporter la preuve de certains éléments pertinents (TPICE, 6 avr. 2006,
1435
L’autre façon de prendre
en compte la coopération
Le Tribunal de première instance corrige une inégalité
de traitement commise par la Commission lors de la
prise en compte de la coopération d’entreprises au titre
des circonstances atténuantes plutôt qu’au titre de la
clémence. Une même réduction s’impose si les
coopérations sont « comparables ».
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission
Dans sa décision relative à l’affaire dite des « jeux video » (Déc.
Comm. CE n° 2003/675, 30 oct. 2002, aff. COMP/35.587, PO Video Games, COMP/35.706,
PO Nintendo Distribution et COMP/36.321, Omega c/Nintendo, JOUE, 8 oct. 2003, n° L 255,
relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE),
la Commission a refusé de tenir compte de la coopération de
plusieurs entreprises mises en cause en appliquant la Communication sur la clémence. Dès lors en effet qu’étaient en
cause des restrictions verticales et non l’une des ententes horizontales secrètes visées par la Communication sur la coopération, cette dernière ne trouvait pas à s’appliquer, sauf éventuellement à essayer d’invoquer une rupture de l’égalité de
traitement en faveur des cartellistes, argument que n’ont toutefois pas soulevé les requérantes dans leurs recours devant
le Tribunal de première instance.
Les requérantes invoquaient en revanche une violation du
principe d’égalité de traitement entre les parties à l’entente
lors de la prise en compte de leur coopération au titre des cir-
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, CA, JOCE 14 janv. 1998, n° C 9, B.3, 6e tiret;
Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, pt. 29, 4e tiret). Nintendo ne s’en était toutefois pas contentée en criti-
quant le taux de réduction de 25 % qui avait été appliqué à
son amende, alors qu’une autre entreprise, John Menzies,
avait bénéficié d’une réduction de 40 %. On comprend d’ailleurs
aisément que Nintendo se soit engagée dans cette voie, car,
à la lecture des arrêts du Tribunal, sa coopération apparaît
comme réellement prononcée pour une affaire de restrictions
verticales. Et de fait, le Tribunal va lui donner raison, tout en
précisant très utilement la façon dont l’égalité de traitement
se déploie en matière de coopération.
Le Tribunal reprend le principe déjà suivi dans l’arrêt Danone, selon lequel « [l]’appréciation du degré de la coopération fournie par des entreprises ne saurait dépendre de facteurs purement hasardeux » (pt. 171; TPICE, 25 oct. 2005, aff. T-38/02, Groupe
Danone c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4407). Il précise toutefois qu’une
différence de traitement ne peut de ce fait être légale qu’en
cas de degrés de coopération « non comparables », « notamment dans la mesure où ils ont consisté en la fourniture d’informations différentes ou en la fourniture de ces informations
à des stades différents de la procédure administrative, ou dans
des circonstances non analogues » (ibid.). S’agissant donc de
la nature des informations transmises, une simple « différence » semble suffisante pour justifier une divergence de traitement. S’agissant en revanche de la date ou des circonstances de leur fourniture, le Tribunal laisse apparemment
moins de marge de manœuvre à la Commission : la différence doit être telle que les informations ne sont pas fournies au même « stade » ou dans des circonstances « analogues ». La nature des informations produites par l’entreprise
qui coopère semble donc compter un peu plus que la date
ou les circonstances de leur fourniture. Quoi qu’il en soit, on
ne peut qu’approuver la souplesse dont fait ici preuve le Tribunal, puisqu’elle découle directement de l’énoncé même du
principe d’égalité de traitement, lequel est violé « lorsque des
situations comparables sont traitées de manière différente ou
que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié » (TPICE, 13 déc. 2001, aff. jtes. T-45/98 et T-47/98, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni c/ Commission, pt. 237, Rec. CJCE, II, p. 3757).
Faisant donc preuve d’une même souplesse, le Tribunal compare ensuite la coopération des entreprises mises en cause
« tant du point de vue chronologique, ce qui implique dans un
premier temps un examen du stade auquel la coopération a
été fournie, que qualitatif, ce qui conduit dans un second temps
à comparer les conditions dans lesquelles les entreprises ont
coopéré et la valeur intrinsèque des informations communiquées par chacune d’elles au titre de cette coopération » (pt. 176).
D’un point de vue chronologique, le Tribunal juge que le fait
pour Nintendo d’avoir commencé à coopérer avec la Commission huit jours après John Menzies n’est pas suffisant pour
justifier une différence de réduction d’amende (pt. 177). En effet, « pour être considérées comme comparables, les coopérations des entreprises ne doivent pas nécessairement intervenir
Droit I Économie I Régulation
le même jour, mais au même stade de la procédure » (pt. 178).
En outre, d’un point de vue qualitatif, John Menzies et
Nintendo ont tous deux, d’une part, collaboré de façon
spontanée (pt. 181) et, d’autre part, produit certaines informations qui avaient largement contribué à la preuve de l’infraction (pt. 182). Les coopérations respectives de chacune
des entreprises étaient donc « comparable[s] » et justifiaient
donc toutes deux un même taux de réduction de 40 %.
É.B.S.
RLC
constances atténuantes. À défaut en effet d’appliquer la communication sur la coopération, la Commission avait pris en
compte la collaboration de ces parties au titre d’une circonstance atténuante expressément prévue par les lignes directrices, dans leur version de 1998 comme de 2006, à savoir la
« collabor[ation] à la procédure en dehors du champ d’application de la Communication sur la coopération » (Lignes directrices
1436
Absence d’exercice
de la pleine juridiction
d’office à la hausse
Contrairement à ce qu’il avait fait dans les affaires
Lysine et Danone, le Tribunal s’abstient de corriger
d’office une erreur de calcul commise par la Commission
au bénéfice de la requérante.
TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission,
non encore publié
S’agit-il d’un changement de pratique ? Le célèbre fabricant
de jeux vidéo Nintendo pourrait en tout cas avoir eu de la
chance. Dans l’arrêt rendu à propos d’une décision sanctionnant Nintendo pour restriction du commerce parallèle, le Tribunal s’est en effet abstenu de corriger une apparente erreur
de calcul commise par la Commission en faveur de la requérante, contrairement à la pratique qu’il avait posée dans les
affaires Lysine et Danone (cf. TPICE, 9 juill. 2003, aff. T-220/00, Cheil Jedang
c/ Commission, pt. 229, Rec. CJCE, II, p. 2473; TPICE, 25 oct. 2005, aff. T-38/02, Groupe
Danone c/ Commission, pts. 519 à 525, Rec. CJCE, II, p. 4407).
Dans les affaires Lysine et Danone, le Tribunal avait ainsi
constaté que la Commission n’avait pas appliqué correctement les lignes directrices de 1998 (Lignes directrices pour le calcul des
amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du Traité CECA, JOCE 14 janv. 1998, n° C 9). Chose plus in-
habituelle, cette erreur avait été commise au bénéfice des requérantes. En effet, la Commission avait appliqué le taux de
réduction reflétant l’existence de circonstances atténuantes
au montant de base majoré en raison des circonstances aggravantes (aboutissant à un montant égal à : montant de
base x (1 + taux aggravation) x (1 – taux réduction)), alors
que les lignes directrices lui imposaient d’appliquer le taux
de réduction des circonstances atténuantes sur le montant de
base non majoré (soit une amende égale à : montant de
base x (1 + taux aggravation – taux réduction)). Or la première approche (erronée) est plus favorable que la seconde
(correcte), puisqu’elle aboutit à une amende inférieure d’un
montant équivalent au montant de base multiplié par le produit du taux d’aggravation et du taux de réduction (soit un
gain égal à : montant de base x taux d’aggravation x taux de
réduction).
Dans la décision Video Games, la Commission avait, nous
semble-t-il, commis la même erreur au bénéfice de Nintendo
(Déc. Comm. CE n° 2003/675, 30 oct. 2002, aff. COMP/35.587, PO Video Games,
COMP/35.706, PO Nintendo Distribution et COMP/36.321, Omega c/ Nintendo, JOUE
8 oct. 2003, n° L 255, consid. 406 à 475, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE). Or, non seulement le Tribu-
nal ne corrige pas ce calcul pour le rendre conforme aux
lignes directrices, mais en outre, en recalculant l’amende de
Nintendo pour tenir compte de la majoration du taux de >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
77
réduction de son amende pour coopération, il applique, nous
semble-t-il, la méthode suivie par la Commission dans la décision attaquée (pts. 213 à 215).
Peut-être faut-il voir dans cette variation jurisprudentielle un
effet lié à la nature de la circonstance atténuante en cause.
Nintendo ayant en effet été condamnée pour des pratiques de
restrictions verticales, elle ne pouvait bénéficier de la coopération sur la clémence, réservée aux cartels comme le rappelle
l’arrêt commenté (pts. 157 à 159). Elle pouvait bénéficier en revanche de la circonstance atténuante prévue en cas de coopération des entreprises en dehors du cadre de la Communication sur la clémence, prévue par les lignes directrices de 1998
(préc., B.3, 6e tiret) comme par celles de 2006 (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement
(CE) n° 1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, pt. 29, 4e tiret). Ce passage par les
circonstances atténuantes ne répare toutefois pas tout, puisque
précisément le taux de réduction lié aux circonstances atténuantes, contrairement à celui qui récompense la coopération
en matière de cartels, ne s’applique pas à l’amende après prise
en compte des circonstances aggravantes et atténuantes mais
uniquement au montant de base. Or, en appliquant le taux de
réduction lié à la coopération de Nintendo au montant de son
amende majoré du fait des circonstances aggravantes, la Commission comme le Tribunal ont procédé en pratique comme
si la coopération de Nintendo avait été récompensée sur le
fondement de la clémence.
S’abstenir de tirer toutes les conséquences de la différence entre,
d’une part, coopération au titre de la clémence et, d’autre part,
coopération au titre des circonstances atténuantes est donc peutêtre une façon silencieuse, pour la Commission et le Tribunal,
d’en gommer la dureté au bénéfice d’une entreprise dont la coopération semblait effectivement très poussée.
RLC
É.B.S.
1437
Le contrôle de légalité,
une peau de chagrin ?
Dans plusieurs arrêts récents, le Tribunal de première
instance utilise des formules exagérément restrictives
pour qualifier la portée de son office.
TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission ;
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission ;
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission ;
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission
Il est depuis longtemps acquis que le contrôle de légalité exercé
par les juridictions communautaires sur les appréciations économiques complexes de la Commission est restreint (cf., par
exemple, CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, France e.a. c/ Commission,
pts. 223 et 224, Rec. CJCE, I, p. 1375). Cette limitation est toutefois bien
plus étroite qu’on ne le croit parfois. Ainsi, d’une part, elle ne
s’applique qu’en présence d’appréciations complexes. D’autre
part, elle n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge communautaire
doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle
des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent
l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont
de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (CJCE, 15 févr.
2005, aff. C-12/03 P, Commission c/ Tetra Laval, pt. 39, Rec. CJCE, I, p. 987; sur le large
78
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
contrôle autorisé par cette règle ; cf. Sibony A.-L. et Barbier de La Serre É., Charge de la
preuve et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence : pour un changement de perspective, RTD eur. 2007, p. 205).
On peut donc être surpris de voir dans certains arrêts récents
du Tribunal des formules qui définissent de façon très restrictive l’office du juge communautaire.
Première occurrence : dans un arrêt rendu en matière de
contrôle des concentrations, le Tribunal juge que, « selon une
jurisprudence constante, le contrôle juridictionnel des appréciations de la Commission en matière de définition des marchés de référence est celui de l’erreur manifeste » (TPICE, 7 mai 2009,
aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission, pt. 80). Pourtant, comme le rappelle
ce même arrêt, c’est uniquement « dans la mesure où elle implique des appréciations économiques complexes de la part de
la Commission » (ibid., pt. 53) que la définition du marché fait
l’objet d’un tel contrôle restreint. L’arrêt nous semble donc
réitérer par cette formule une approximation regrettable de
l’arrêt Cableuropa, qu’il cite d’ailleurs à son soutien (TPICE,
30 sept. 2003, aff. T-346/02 et T-347/02, Cableuropa e.a. c/ Commission, pt. 119, Rec. CJCE,
II, p. 4251).
Deuxième occurrence, qui concerne les amendes fixées par
la Commission : pour le Tribunal dans deux des trois arrêts
rendus s’agissant du cartel des tubes industriels en cuivre,
« dans les domaines tels que la détermination du montant
d’une amende infligée en vertu de l’article 15, paragraphe 2,
du règlement n° 17, où la Commission dispose d’une marge
d’appréciation, par exemple en ce qui concerne le taux de majoration aux fins de dissuasion, le contrôle de légalité opéré
sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation » (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission, pt. 32; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission, pt. 35).
La formule nous paraît exagérément restrictive à deux égards.
Premièrement, le Tribunal ne limite pas le contrôle restreint
aux seules étapes du calcul de l’amende pour lesquelles la
Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation.
C’est ce qu’il a pourtant fait dans le troisième arrêt rendu à
propos de la même affaire, où il juge dans un premier temps
que, malgré les lignes directrices sur la fixation des amendes,
la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation
(TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission, pt. 35), pour ensuite juger que « dans les domaines où la Commission a conservé
une marge d’appréciation, par exemple en ce qui concerne le
taux de majoration au titre de la durée, le contrôle de légalité
opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation » (ibid., pt. 36). Cette règle plus restrictive n’est du reste pas contredite par l’arrêt Scandinavian
Airlines System, cité par le Tribunal à son soutien. En effet,
dans cet arrêt, le Tribunal avait limité son contrôle à celui de
l’absence d’erreur manifeste lorsqu’il lui était revenu d’apprécier la pondération sans aucun doute complexe des trois éléments qui à l’époque étaient pertinents pour qualifier la gravité d’une infraction (TPICE, 18 juill. 2005, aff. T-241/01, Scandinavian Airlines
System c/ Commission, pt. 79, Rec. CJCE, I, 2917).
Deuxièmement, même à supposer que la marge d’appréciation de la Commission s’applique à tous les stades de la
fixation de l’amende, notamment parce que c’est aussi par
la fixation de ce montant qu’elle exerce sa politique de
concurrence (CJCE, 7 juin 1983, aff. 100/80, Musique Diffusion française c/ Commission, pt. 15, Rec. CJCE, p. 1825), limiter « le contrôle de légalité
opéré sur ces appréciations (…) à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation » fait fi de l’application de
l’obligation de motivation et de tous les principes généraux
du droit, tels que le principe de proportionnalité et d’égalité de traitement, qui restent applicables indépendamment
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
de la marge d’appréciation dont dispose la Commission.
C’est du reste leur présence qui distingue la marge d’appréciation de l’arbitraire.
Espérons donc qu’il faut voir dans ces diverses formules un
glissement de plume plutôt qu’une évolution profonde, car,
même si le Tribunal rappelle que les limites du contrôle de légalité ne préjugent pas l’exercice de sa compétence de pleine
juridiction (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission, pt. 33;
TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission, pt. 36; TPICE, 6 mai
2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission, pt. 37), le contrôle de lé-
galité sur les amendes infligées par la Commission est particulièrement important en raison de leur nature quasi pénale
et de leur incessante augmentation.
RLC
É.B.S.
1438
Recours contre les opérations
de visites et saisies :
nouveaux délais, nouvelles
procédures
La loi de simplification et de clarification du droit
procède à des retouches substantielles de l’article
L. 450-4 du Code de commerce quant aux délais
et modes de recours contre les autorisations
des opérations de visites et le déroulement
de ces opérations.
L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139 VII (1°), JO 13 mai, de simplification
et de clarification du droit et d’allègement des procédures
Faisant suite à l’arrêt Ravon de la Cour européenne des droits
de l’Homme qui avait indirectement mais sûrement mis à mal
les procédures d’enquête en matière de concurrence (CEDH,
21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon e. a. c/ France, Wilhelm P. et Vever F., Enquêtes de concurrences : les perquisitions « surprises » remises en cause par la Cour européenne des droits
de l’Homme, in Contrats, conc., consom. 2008, focus 27; Roda J.-Ch., Les procédures administratives de visites et de saisies à l’épreuve de la Cour européenne des droits de l’Homme,
RLC 2008/16, n° 1180; pour des arrêts confirmatifs, CEDH, 24 juill. 2008, n° 18603/03, André c/ France, D. 2008, AJ, p. 2353; CEDH, 18 sept. 2008, n° 18659/05, Kandler c/ France;
CEDH, 16 oct. 2008, n° 10447/03, Maschino c/ France; CEDH, 20 nov. 2008, n° 2058/04,
Société IFB c/ France; pour une confirmation par une juridiction française : TGI Avranches,
ord., 21 nov. 2008, n° 08/00005, contra, et de manière « décevante mais encore navrante »
pour le Professeur B. Bouloc, TGI Paris, ord., 2 sept. 2008, n° 2007-6, GTM-GCS c/ DGCCRF; TGI Paris, 9 sept. 2008, n° 2007/06, Bouygues Construction e.a. c/ DGCCRF; TGI Toulouse, ord., 1er déc. 2008, n° 2008/1, Société Veolia c/ DGCCRF), l’ordonnance
n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 avait procédé à une réécriture substantielle de l’article L. 450-4 du Code de commerce (Cheynel B., L’arrêt Ravon et l’avant-projet d’ordonnance portant création de l’Autorité de la concurrence, RLC 2008/16, n° 1167; Bouloc B., Les visites et saisies en droit de
la concurrence – Après l’arrêt Ravon et l’ordonnance du 13 novembre 2008, Gaz. Pal. 2009,
doct., p. 10). Elle avait ainsi introduit la faculté pour les entre-
prises d’interjeter appel d’une ordonnance d’autorisation de
visites et de saisies, alors qu’auparavant cette dernière n’était
« susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale ». À cet effet, il leur appartenait, suivant les règles prévues par le Code de procédure
pénale, de former leur appel par déclaration au greffe de la
Cour d’appel dans un délai de quinze jours suivant la notification de l’ordonnance.
Or, pour conférer force législative aux dispositions de l’ordonnance du 4 novembre 2008, il appartenait au législateur
de procéder à la ratification de l’ordonnance (sur les préoccupations
Droit I Économie I Régulation
suscitées par le retard dans la ratification de l’ordonnance du 4 novembre 2004, Cheynel B. et
Nourissat C., RLC 2005/2, n° 149, spéc. pt. 13; plus largement, sur les déboires de l’exécutif concernant déjà le Code de commerce, Castaing C., La ratification implicite des ordonnances de codification, Haro sur « La grande illusion », RFD const. 2004, pp. 284 et s.).
Une première tentative en ce sens s’est conclue par un échec
avec la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 31 du
projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, servant de support
à cette ratification (Cons. const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC).
C’est donc par le biais de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures que le Parlement a procédé à la ratification de l’ordonnance (L. n° 2009-526,
12 mai 2009, art. 139-I-12°, qui d’ailleurs vient en concurrence avec un projet de loi autonome destiné à ratifier ladite ordonnance, adopté en Conseil des ministres et déposé le 13 février 2009 à l’Assemblée nationale). Mais, à cette occasion, il est venu re-
voir la copie de l’exécutif et procéder à des retouches
substantielles de l’article L. 450-4 du Code de commerce quant
aux délais et modes de recours contre les autorisations des
opérations de visites et le déroulement de ces opérations, allant au-delà de celles déjà envisagées dans l’article invalidé
du projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés.
Concernant tout d’abord les titulaires du droit de recours contre
les ordonnances relatives aux visites et saisies, l’article
L. 450-4 nouveau précise désormais les personnes en droit
d’interjeter appel de ces ordonnances du juge des libertés et
de la détention (JLD) en les distinguant suivant l’objet du recours. Lorsque la contestation porte sur l’autorisation des opérations de visite et saisies litigieuses, seuls le ministère public
et la personne à l’encontre de laquelle a été ordonnée cette
mesure peuvent contester les ordonnances autorisant les opérations. À l’inverse, lorsque la contestation porte non plus sur
l’autorisation mais sur le déroulement des opérations, disposent toujours de la faculté de contester non seulement le ministère public et la personne à l’encontre de laquelle a été effectuée la visite mais également les personnes mises en cause
au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations.
Concernant ensuite les modalités des recours, les modifications apportées par la loi de simplification et de clarification
du droit et d’allègement des procédures sont substantielles et
marquent un recul regrettable des droits des entreprises visitées. Désormais, ces dernières ne disposent plus de 15 mais
uniquement de 10 jours pour ce faire.
En ce qui concerne les appels contre les ordonnances d’autorisation de visite, ce nouveau délai de 10 jours pour saisir d’un
appel le premier président de la cour d’appel, dans le ressort
de laquelle le juge a autorisé la mesure, court à compter de
la notification de l’ordonnance qui est, en principe, effectuée
au début de la visite. Toutefois, lorsque l’ordonnance est notifiée après celles-ci par lettre recommandée avec avis de réception (hypothèses où les opérations s’effectuent en l’absence de l’occupant des lieux ou dans un lieu non visé par
l’ordonnance), le délai ne court qu’à compter de la date de
réception figurant sur l’avis.
S’agissant des recours contre le déroulement des opérations
de visite, la computation du délai varie suivant l’auteur du
recours. Pour le ministère public et la personne à l’encontre
de laquelle a été effectuée l’opération, le délai court à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’inventaire, sachant que désormais les textes imposent explicitement l’obligation faite aux enquêteurs de remettre une copie
du procès-verbal et de l’inventaire à l’occupant des lieux ou
à son représentant (ne faisant en cela que consacrer la pratique de la DGCCRF,
cf. Marie A., Les enquêtes de la DGCCRF en matière de pratiques anticoncurrentielles, >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
79
RLC 2008/14, n° 1029). Ainsi, le point de départ du délai n’est plus
la notification à l’occupant de l’ordonnance d’autorisation
de visite et saisies domiciliaires. Concernant les personnes
n’ayant pas fait l’objet de visite et de saisie mais néanmoins
mises en cause au moyen de pièces saisies au cours d’opérations effectuées dans d’autres entreprises, le délai court à
compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du
procès-verbal et de l’inventaire et, au plus tard à compter de
la notification de griefs prévue à l’article L. 463-2. Dans la
mesure où désormais l’article L. 450-4, alinéa 10, fait obligation d’adresser une copie du procès-verbal et de l’inventaire
par lettre recommandée avec demande d’avis de réception
aux personnes mises en cause ultérieurement par les pièces
saisies au cours de l’opération, il n’y avait plus lieu de prendre
en compte la date à laquelle elles ont eu connaissance de
l’existence de ces opérations. Et l’on ne peut que s’en réjouir
puisqu’on pouvait légitimement se demander comment ces
entreprises pouvaient être en mesure de contester le déroulement d’une opération sur le seul fondement de la connaissance de leur existence.
Outre ces aménagements matériels substantiels, une modification pratique essentielle ne doit pas manquer d’être relevée. Alors que sous le court empire de l’ordonnance du 13 novembre 2008, l’appel de l’ordonnance d’autorisation de visite
ainsi que le recours contre le déroulement des opérations de
visite devaient être formés par déclaration au greffe de la cour
d’appel, il doit désormais être formé par déclaration au greffe
du tribunal de grande instance (de toute évidence dont dépend le JLD ayant rendu l’ordonnance contestée).
Enfin, la loi apporte des précisions tout à fait bienvenues concernant le régime procédural des pourvois dirigés contre les or-
80
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
donnances des premiers présidents de cours d’appel rendues
dans le cadre d’une contestation de l’autorisation de visite et
saisies. Dans la mesure où la version issue de l’ordonnance
était silencieuse sur ce point, que l’appel contre les ordonnances d’autorisation de visite et le recours contre leur déroulement s’effectuent selon les règles prévues par le Code de procédure pénale, que le pourvoi contre les ordonnances du premier
président de la cour d’appel concernant le déroulement des
opérations est soumis aux règles du Code de procédure pénale
en vertu de l’article L. 450-4, alinéa 13 et enfin que les pourvois dirigés contre les ordonnances des premiers présidents de
cours d’appel rendues en matière fiscale, douanière ou encore
financière sont soumis aux règles du Code de procédure civile
(LPF, art. L. 16 B et 38 et C. douanes, art. L. 64, tels qu’issus de L. n° 2008-776, 4 août 2008,
de modernisation de l’économie, art. 164; art. L. 621-12 du Code des marchés financiers tel
qu’issu de Ord. n° 2009-233, 26 févr. 2009, art. 1-I, réformant les voies de recours contre les
visites domiciliaires et les saisies de l’Autorité des marchés financiers), il était loisible
de s’interroger sur le corps de règles applicables en matière de
concurrence, ce que la doctrine n’avait pas manqué de relever
(cf. Bouloc B., préc., spéc. pt. 5, in fine). Désormais, il n’y a plus lieu à interrogation; les pourvois contre les ordonnances des premiers
présidents de cours d’appel rendues dans le cadre d’une contestation de l’autorisation de visite et saisies sont gouvernés par
les règles du Code de procédure pénale. Si une telle précision
ne conduit malheureusement ni à une unification matérielle,
ni à une unification procédurale, ni à une concentration du
contentieux entre les mains d’une seule chambre, elle a au
moins le mérite de la clarté…
Benjamin CHEYNEL
Doctorant à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Of Counsel (WTT Law Firm, Bruxelles)
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DÉCISIONS DES AUTORITÉS
NATIONALES DE CONCURRENCE
ÉTRANGÈRES
Sous la responsabilité de Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ, Avocat à la Cour d’appel de Paris, JEANTET ASSOCIÉS
Par Loraine
DONNEDIEU
de VABRESTRANIÉ
Canada : premières
modifications significatives
de la loi sur la concurrence
depuis 1985
R LC
Soucieux depuis longtemps de moderniser son droit de la concurrence, le gouvernement
canadien a saisi l’occasion de l’adoption de la loi d’exécution du budget pour entreprendre
une réforme sans précédent. Au-delà du mouvement global de relance de l’économie, l’objectif
affiché est de donner une portée réelle à la loi sur la concurrence en réformant en profondeur
le droit des pratiques anticoncurrentielles et le droit des concentrations.
1439
A
L.R., 1985, ch. C-34, Loi sur la concurrence, disponible sur le site <http://lois.justice.gc.ca/fr/ShowFullDoc/cs/C-34//20090728/fr>
doptée au Canada le 12 mars 2009, la loi
d’exécution du budget contient un grand
nombre de mesures visant à stimuler l’économie du pays. Loin de se restreindre à son
objet, cette loi, qualifiée par certains de loi
L’objectif affiché par le gouvernement canadien est clair : il
s’agit de « veiller à ce que les consommateurs et les entreprises
légitimes ne soient pas exposés à des activités illégales et qu’ils
sachent que, s’ils devaient en être victimes, la loi sur la concurrence sera réellement appliquée » (cf. Guide sur les modifications à la loi
« omnibus » (Changements fondamentaux à la loi sur la concurrence et la loi sur l’investissement au Canada, McCarthy Tétrault, 13 mars 2009, p. 1, disponible sur
<http://www.mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx ?id=4420>), a permis à cer-
sur la concurrence, disponible sur le site du Bureau de la concurrence : <http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/vwapj/A-Guide-to-Amendments-to-the-Competition-Act-f.pdf/$file/A-Guide-to-Amendments-to-the-Competition-Act-f.pdf>). Autre-
taines réformes d’échapper à un long processus législatif incluant les débats parlementaires.
C’est notamment le cas des dispositions ayant contribué à moderniser la loi sur la concurrence afin de mieux lutter contre
les comportements anticoncurrentiels.
De manière générale, cette réforme du droit de la concurrence
s’inscrit dans un mouvement global de relance de l’économie
qui dépasse les frontières du pays : à la suite de la crise économique, de nombreux pays ont en effet repensé leur droit de
la concurrence. C’est le cas de pays européens (cf. notamment en
ment dit, il s’agit avant tout d’accroître la prévisibilité, l’efficacité
et la portée réelle de l’application de la loi sur la concurrence
tant pour les entreprises que pour le Bureau de la concurrence, mais également de protéger l’ensemble des acteurs économiques (consommateurs et entreprises) de tout préjudice
découlant des pratiques anticoncurrentielles. L’augmentation
des sanctions prévues en cas d’infraction à la loi sur la concurrence s’inscrit très clairement dans cet objectif.
Parmi les réformes introduites par la loi d’exécution du budget, on insistera tout d’abord sur la refonte en profondeur du
droit des pratiques anticoncurrentielles (I).
Le gouvernement a, en effet, fait le choix de rationaliser le
droit des ententes en se concentrant sur les plus nuisibles, au
moyen de l’instauration d’une « dual track approach », qui
soumet à un régime pénal les ententes les plus nocives tandis que les autres ententes, désormais soumises à un régime
civil, font l’objet de dispositions plus souples. La dépénalisation des pratiques restrictives de concurrence relatives au prix,
en vue d’un alignement sur le nouveau régime de l’abus de
position dominante, mérite également de s’y attarder.
Ensuite, le droit des concentrations, fortement influencé par
le droit américain, est également intégralement refondu (II).
À cet égard, les modifications apportées à la loi sur l’investissement par la loi d’exécution du budget devront être évoquées
afin d’appréhender leur articulation avec le droit des concentrations (les modifications ayant trait aux droits des pratiques >
France, L. n° 2008/776, 4 août 2008, « de modernisation de l’économie », JO 5 août; en Allemagne, loi du 25 mars 2009 portant réforme notamment de la « loi relative aux restrictions
de concurrence »; en Bulgarie, loi du 2 décembre 2008 « de protection de la concurrence »),
mais également de certains pays d’Asie (cf., notamment, le projet de réforme de la « loi sur la concurrence » de 2005 au Japon; en Chine, l’entrée en vigueur le
1er août 2008 de « la loi anti-monopole »). Les États-Unis n’ont, quant à eux,
pas pour l’heure concrétisé les recommandations développées
par l’Antitrust modernization commission (de nombreux États fédérés
ont cependant entrepris de réformer leurs législations sur la concurrence. Cf., notamment, la
loi du 1er octobre 2009 portant réforme du « Maryland Commercial Law » au Maryland).
Si toutes les modifications apportées à la loi sur la concurrence
ne sont pas encore en vigueur (toutes les modifications de la loi sur la concurrence sont entrées en vigueur le 12 mars 2009, à l’exception des dispositions relatives aux
ententes, dont l’entrée en vigueur a été repoussée au 12 mars 2010), il faut souligner
que depuis 1985, date de son adoption, le droit canadien de
la concurrence connaît sa réforme la plus significative.
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
81
CANADA : PREMIÈRES MODIFICATIONS SIGNIFICATIVES DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE DEPUIS 1985
commerciales trompeuses, intégrées à la loi sur la concurrence, ne sont pas traitées par le présent article).
I. – UNE REFONTE SANS PRÉCÉDENT
DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES EN VUE
D’UNE APPLICATION PLUS EFFICACE DE LA LOI
SUR LA CONCURRENCE
Dans un contexte de ralentissement économique mondial, le
Canada fait le choix de rationaliser le contrôle applicable aux
ententes anticoncurrentielles (A), mais également de réformer le régime de l’abus de position dominante et des pratiques restrictives de concurrence, en dépénalisant notamment ces dernières (B), tout en procédant à une augmentation
conséquente du montant des sanctions pécuniaires susceptibles d’être imposées.
A. – L’instauration d’une « dual track approach »
en matière d’ententes
La nouvelle procédure met fin à un régime qui était critiqué
depuis des années en raison de la portée de ses dispositions à
la fois « trop large et trop étroite » (notes pour une allocution prononcée par
Melanie L. Aitken, Commissaire de la concurrence intérimaire, Audience sur les modifications à la loi sur la concurrence du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, Ottawa, Ontario, 13 mai 2009, <http://www.cb-bc.gc.ca/eic/site/cbbc.nsf/fra/03065.html>). Avant l’adoption le 12 mars 2009 de la loi
d’exécution du budget, toutes les ententes relevaient du même
article de loi. Il était alors nécessaire pour obtenir la condamnation d’une entreprise qui avait participé à une entente en
vertu de l’article 45 de la loi sur la concurrence, de prouver
non seulement l’existence d’un « complot » mais également
que l’entente réduisait « indûment » la concurrence. Au final,
et malgré l’importance des moyens mis en œuvre, peu de poursuites ont été couronnées de succès. Les anciennes dispositions recevaient en effet une application beaucoup trop large,
toute entente anticoncurrentielle étant susceptible de faire l’objet d’une poursuite « pénale » (la loi sur la concurrence fait référence à la terminologie de « régime criminel ») indépendamment de ses effets sur la concurrence. De nombreuses entreprises
étaient ainsi dissuadées de former des alliances bénéfiques et
de conclure des « ententes de collaboration » alors même que
leur objectif pouvait s’avérer « légitime ».
Les modifications de la loi en matière d’ententes anticoncurrentielles, qui entreront en vigueur le 12 mars 2010, affichent
clairement la volonté du gouvernement de limiter la portée des
dispositions pénales aux activités de cartel les plus nuisibles et
de dépénaliser les autres formes d’accords entre concurrents.
Le projet de lignes directrices relatives à la collaboration entre
concurrents (le Bureau de la concurrence a publié aux fins de consultation (jusqu’au
p. 3; Katz M. et Dinning J., Canada – Cartel Enforcement, p. 25; Changements fondamentaux à la loi sur la concurrence et à la loi Investissement Canada, McCarthy Tétrault, p. 1),
qui tend à sanctionner l’entente par son objet même, indépendamment des effets produits sur la concurrence. Seules
ces formes les plus abusives d’accords sont désormais soumises à un régime « pénal » que l’article 45 (2) de la loi sur
la concurrence sanctionne par une amende portée de 10 millions (soit environ 6 millions d’euros) à 25 millions de dollars canadiens (soit environ 16 millions d’euros) et à une peine
d’emprisonnement maximale portée de 5 à 14 ans.
La loi sur la concurrence prévoit toutefois plusieurs exceptions
permettant d’échapper à l’application de l’article 45 (1) de la
loi sur la concurrence. C’est notamment le cas lorsque l’accord, en conformité avec l’article 45 (4) de la loi sur la concurrence présente toutes les caractéristiques d’un accord accessoire (conformément à l’article 45 (1) de la loi sur la concurrence : « nul ne peut être déclaré
coupable d’une infraction prévue au paragraphe (1) (…) si, à la fois : a) il établit (…) : (i)
que le complot, l’accord ou l’arrangement, selon le cas, est accessoire à un accord ou à un arrangement plus large ou distinct qui inclut les mêmes parties, (ii) qu’il est directement lié à
l’objectif de l’accord ou de l’arrangement plus large ou distinct et est raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet objectif; b) l’accord ou l’arrangement plus large ou distinct, considéré individuellement, ne contrevient pas au même paragraphe »). Sont également
écartés de l’application de l’article 45 (1) de la loi sur la concurrence certains accords se rattachant exclusivement à l’exportation de produits du Canada (cf. L. conc., art. 45 (5)), conclus entre
des institutions financières fédérales (ibid., art. 45 (6) et 49 (1)), des
filiales d’une même entreprise (ibid., art. 45 (6)) ou encore autorisés par une loi ou un règlement (ibid., art. 45 (7)).
Ces tempéraments, combinés à une aggravation sans précédent des sanctions pénales, annoncent une volonté très nette
de recentrer l’activité du Bureau de la concurrence sur les cartels les plus préjudiciables à l’économie.
Les autres formes d’ententes ne sont pour autant pas ignorées de la loi sur la concurrence puisqu’elles sont désormais
soumises au régime de droit civil lorsqu’elles sont susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels sur le marché.
Le nouvel article 90 (1) de la loi sur la concurrence, s’il ne précise pas les conditions dans lesquelles le Bureau de la concurrence exerce ses compétences, prévoit que le Tribunal de la
concurrence, à la demande du Commissaire de la concurrence,
et après avoir pris en compte un certain nombre de facteurs
(conformément à l’article 90.1 (2) de la loi sur la concurrence, le Tribunal peut tenir compte
sonnes physiques que les personnes morales et leurs représentants, cf. article 45 (1) et a
contrario article 45 (6) de la loi sur la concurrence), avec une personne qui est
des facteurs suivants : « a) la mesure dans laquelle des produits ou des concurrents étrangers
assurent ou assureront vraisemblablement une concurrence réelle aux entreprises des parties
à l’accord ou à l’arrangement; b) la mesure dans laquelle sont ou seront vraisemblablement
disponibles des produits pouvant servir de substituts acceptables à ceux fournis par les parties
à l’accord ou à l’arrangement; c) les entraves à l’accès à ce marché, notamment : (i) les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce international, (ii) les barrières interprovinciales
au commerce, (iii) la réglementation de cet accès; d) les effets de l’accord ou de l’arrangement
sur les entraves visées à l’alinéa c); e) la mesure dans laquelle il y a ou il y aurait encore de
la concurrence réelle dans ce marché; f) le fait que l’accord ou l’arrangement a entraîné la disparition d’un concurrent dynamique et efficace ou qu’il entraînera ou pourrait entraîner une
telle disparition; g) la nature et la portée des changements et des innovations dans tout marché pertinent; h) tout autre facteur pertinent à l’égard de la concurrence dans le marché qui
est ou serait touché par l’accord ou l’arrangement ».), peut interdire à toute per-
son concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut un
accord ou un arrangement : a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit ; b) soit
pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit ; c) soit
pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer
la production ou la fourniture du produit ».
sonne l’accomplissement d’actes relatifs à l’accord ou enjoindre
toute personne de prendre toute autre mesure nécessaire (ibid.,
art. 90.1 (1)). Ainsi que mentionné supra, aucune sanction, qu’elle
consiste en une amende ou en un risque d’accusation « pénale », n’est en outre encourue.
De manière générale, le contrôle effectué par le Tribunal lorsqu’il examine les motifs économiques avancés par le Com-
8 août 2009) son projet de lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, cf. <www.competitionbureau.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/h_03036.html>) permet d’expliquer en
détail cette « dual track approach » qui affiche clairement un
objectif de rationalisation des poursuites en matière d’ententes.
Le nouvel article 45 (1) de la loi sur la concurrence énonce
désormais que « commet une infraction quiconque (tant les per-
82
Ce nouveau régime rappelle celui des ententes dites « per se »
(Bureau de la Concurrence, foire aux questions, Modifications à la loi sur la concurrence,
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES
compte la durée, la fréquence de la pratique, ou encore la vulnérabilité des personnes visées par les agissements anticoncurrentiels (ibid., ancien art. 79 (3.2)).
Le renforcement du régime civil de l’abus de position domiStates, 221 U.S. 1 (1911) ou encore United States v. Arnold, Schwinn et Al, 18 L.Ed.2d 1249;
nante s’accompagne d’autres réformes majeures sur lesquelles
87 S.Ct. 1856; 388 U.S. 365 (1967)), et qui sert de méthode d’interprétail convient de revenir succinctement.
tion au « Sherman Act ». Il s’agit de ne pas interdire per se des
Afin d’alléger les sanctions applicables à l’ensemble des praaccords qui comportent une restriction de concurrence, mais
tiques sur les prix, le gouvernement a en effet procédé à un
de procéder auparavant à un bilan des effets anti et proconlarge mouvement de « dépénalisation » des pratiques restriccurrentiels de l’accord. Si le bilan est positif, l’entente ne fera
tives, consistant en réalité à aligner le
pas l’objet d’une décision d’interdiction,
régime des infractions autres que le
malgré la présence d’éléments réputés
La généralisation du
« maintien des prix » sur celui de l’abus
anticoncurrentiels.
pouvoir de sanction
de position dominante.
Au-delà de ces éléments, l’ancien arpécuniaire en matière
Alors que les infractions pénales prévues
ticle 45 (1) de la loi sur la concurrence
d’abus de position
à l’ancien article 50 de la loi sur la concurrelatif à l’infraction de « complot », s’aprence relatif au maintien, à la discrimipliquait indistinctement aux ententes hodominante s’accompagne
nation par les prix, à l’établissement de
rizontales et verticales. En faisant expliégalement d’une
prix d’éviction ainsi qu’à la discriminacitement référence à une pratique « entre
nouvelle méthode
tion géographique par les prix sont abroconcurrents », le gouvernement a entendu
d’appréciation du calcul
gées, les dispositions relatives au « mainexclure du champ d’application de l’arde la sanction pécuniaire.
tien des prix » relèvent désormais d’un
ticle 45 de la loi sur la concurrence les
régime civil spécifique (l’article 76 de la loi sur
ententes verticales. Désormais, ces pratiques ne peuvent plus a priori être sanctionnées, sauf à relela concurrence énonce qu’est considéré comme des pratiques de maintien des prix, le fait
ver des dispositions relatives aux pratiques restrictives ou à
pour une entreprise « i) soit, par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen seml’abus de position dominante.
blable », de faire monter ou d’empêcher « qu’on ne réduise le prix auquel son client ou toute
missaire de la concurrence, n’est pas sans rappeler la « règle
de raison », développée par la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis (cf., notamment, Standard Oil Co. of New Jersey v. United
B. – Vers une refonte du régime de l’abus
de position dominante et des autres pratiques
restrictives de concurrence
Si l’abus de position dominante continue à être soumis à un
régime de droit civil, les « sanctions administratives pécuniaires » qui n’étaient auparavant applicables qu’aux entreprises du secteur aérien (cf. L. conc., art. 79 (3.1) dans sa version antérieure à
la loi du 12 mars 2009), sont désormais généralisées à tous les secteurs de l’économie (la seule modification de l’article 78 (1) de la loi sur la concurrence porte ainsi sur la suppression des dispositions spéciales relatives au secteur des transports intérieurs (§§ j) et k) qui énonçaient deux cas d’agissements anticoncurrentiels propres
au secteur aérien en vertu de l’article 55 (1) de la loi sur les transports)).
À côté du pouvoir d’injonction dont il dispose toujours à l’encontre des entreprises en position dominante (les ordonnances d’injonctions de l’article 79 (1) de la loi sur la concurrence peuvent consister en une interdiction de se livrer à une pratique tandis que celles de l’article 79 (2) permettent, dans le cas
où l’ordonnance prise en vertu du paragraphe (1) sont insuffisantes, d’ordonner à la personne visée des mesures raisonnables et nécessaires pour « enrayer les effets de la pratique »
sur le marché, notamment en lui imposant de « se départir d’éléments d’actif ou d’actions »),
le Tribunal a dorénavant la faculté de condamner l’entreprise
concernée au paiement d’une « sanction administrative pécuniaire » pouvant s’élever jusqu’à 10 millions de dollars canadiens (soit environ 6,5 millions d’euros) pour la première infraction et 15 millions de dollars canadiens (soit environ
9,7 millions d’euros) en cas de réitération (qualifiée d’« infraction subséquente » aux termes de la loi sur la concurrence).
La généralisation du pouvoir de sanction pécuniaire en matière d’abus de position dominante s’accompagne également
d’une nouvelle méthode d’appréciation du calcul de la sanction pécuniaire (L. conc., art. 79 (3.2)) : si le Tribunal continue à évaluer les effets néfastes d’une pratique tout en appréciant ses
effets bénéfiques sur le marché pertinent (ibid., art. 79 (4)), il peut
désormais à défaut d’un bilan proconcurrentiel positif, prononcer une sanction qui sera alors évaluée en prenant en
compte les effets de la pratique sur la concurrence, mais également les bénéfices, la situation financière et le revenu brut
de l’entité concernée. Une telle méthode tranche très clairement avec l’ancienne évaluation qui consistait à prendre en
Droit I Économie I Régulation
personne qui le reçoit pour le revendre fournit ou offre de fournir un produit ou fait de la publicité au sujet d’un produit au Canada », ii) soit de refuser « de fournir un produit à une
personne ou catégorie de personnes exploitant une entreprise au Canada, ou » de prendre
« quelque autre mesure discriminatoire à son endroit, en raison de son régime de bas prix »).
La dépénalisation du régime des pratiques sur les prix donne
alors lieu à la cohabitation de deux régimes civils distincts.
Les pratiques de « maintien des prix » ne sont dorénavant
sanctionnées que si elles ont « vraisemblablement pour effet
de nuire à la concurrence » (L. conc., art. 76 (1) b)). Le Tribunal peut
alors, au moyen d’une ordonnance, enjoindre au contrevenant « l’approvisionnement d’un client » ou « la fin de la pratique susceptible de fausser la concurrence » (ibid., art. 76 (2) : « Le
Tribunal peut, par ordonnance, interdire à la personne visée au paragraphe (3) de continuer
de se livrer au comportement visé à l’alinéa (1) a) ou exiger qu’elle accepte une autre personne comme client dans un délai déterminé aux conditions de commerce normales »). Il
faut noter, par ailleurs, que l’ordonnance peut désormais être
rendue à la demande d’un particulier sur la base de l’article 103.1 de la loi sur la concurrence.
Les autres pratiques d’élimination d’un concurrent par les prix
ou de discrimination par les prix sont quant à elles susceptibles
de relever des articles 78 et 79 de la loi sur la concurrence relatifs à l’abus de position dominante. Il est alors désormais nécessaire de prouver que l’entreprise qui occupe une position
dominante se livre, conformément à l’article 79 de la loi sur la
concurrence i) à un « agissement anticoncurrentiel », ii) ayant
« vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence » dans le marché pertinent. A contrario, toute entreprise qui ne détient pas une position dominante
peut librement avoir recours à de telles pratiques.
Certaines critiques ou interrogations peuvent toutefois être
soulevées. On pense tout d’abord à la différence ténue faite
entre une concurrence agressive et un comportement illégal,
renforcée par le manque de prévisibilité d’une méthode qui
repose sur une appréciation au cas par cas par le Tribunal.
Une autre critique a trait, ensuite, à l’ampleur des sanctions
civiles susceptibles d’être imposées. La dépénalisation des infractions relatives aux prix s’est en effet accompagnée, ainsi
qu’il a été mentionné supra, et à l’exception des dispositions
relatives au « maintien des prix », de la généralisation de « sanc- >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
83
CANADA : PREMIÈRES MODIFICATIONS SIGNIFICATIVES DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE DEPUIS 1985
tions administratives pécuniaires » relativement lourdes en
matière d’abus de position dominante. Les protections procédurales applicables à la matière pénale ne sont cependant plus
applicables alors même que le montant susceptible d’être imposé peut laisser penser que les sanctions pécuniaires ont un
caractère « quasi pénal ».
S’agissant de la portée de ces réformes, on notera que la généralisation de l’application des « sanctions administratives
pécuniaires » relève selon le gouvernement et la loi elle-même
(L. conc., art. 79 (3.3) : « la sanction (…) vise à encourager la personne visée par l’ordonnance à adopter des pratiques compatibles avec les objectifs du présent article (…) ») d’une
démarche pédagogique à la différence de la sanction pénale.
L’idée est par ailleurs probablement d’inciter les entreprises
à se doter de programmes de conformité à la concurrence
(« compliance program ») en faisant planer la menace d’une
sanction pécuniaire conséquente.
Les réformes du gouvernement canadien en matière d’ententes et de pratiques restrictives participent d’un mouvement
de rationalisation du droit qui se retrouve également en matière de droit des concentrations où la loi sur la concurrence
a procédé à une réforme sans précédent.
II. – UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DU DROIT
DES CONCENTRATIONS AUX EFFETS TOUTEFOIS
ENCORE INCERTAINS
La mise en place d’une procédure en deux étapes, clairement
inspirée du modèle américain (A) procède avant tout de la
volonté du gouvernement de le rendre plus compréhensible
par les opérateurs économiques. On peut toutefois regretter
que l’adoption de nouvelles dispositions sur la loi sur les investissements soit susceptible de remettre pour partie en cause
le didactisme prôné par la loi sur la concurrence (B).
A. – Un nouveau droit des concentrations
largement influencé par le droit américain
La réforme de la loi sur la concurrence conserve la distinction antérieure entre les concentrations dont la notification
est obligatoire et celles qui peuvent être réalisées librement.
Seules les dispositions applicables aux concentrations dont la
notification est obligatoire ont été en substance modifiées.
Si la loi sur la concurrence maintient l’existence de seuils cumulatifs au-dessus desquels la notification est obligatoire, elle
modifie certains seuils. Ainsi l’article 109 de la loi sur la concurrence conserve l’existence d’un premier « seuil général » de
notification obligatoire des « transactions » (c’est-à-dire des opérations
d’« acquisition d’éléments d’actifs », d’« acquisition d’actions », de « fusion », et d’« association d’intérêts ») d’un montant de 400 millions de dollars canadiens (soit approximativement 258 millions d’euros; Article 109 de la Loi sur la concurrence : « La présente partie ne s’applique pas à l’égard d’une transaction proposée sauf si les
parties à cette transaction, avec leurs affiliées :
a) ont au Canada des éléments d’actif dont la valeur totale dépasse quatre cents millions de
dollars, calculé selon ce que les dispositions réglementaires prévoient à cette fin quant au moment à l’égard duquel ces éléments d’actif sont évalués et au mode de leur évaluation, ou
telle autre valeur réglementaire plus élevée;
b) ont réalisé des revenus bruts provenant de ventes au Canada, en direction du Canada ou en
provenance du Canada, dont la valeur totale, calculée selon ce que les dispositions réglementaires prévoient à cette fin quant au mode d’évaluation de ce revenu et à la période annuelle
pour laquelle il est évalué, dépasse quatre cents millions de dollars ou telle autre valeur réglementaire plus élevée »). L’article 110 de la loi sur la concurrence re-
hausse toutefois quant à lui le seuil relatif à la taille de la « transaction » en portant le montant initial de 50 millions de dollars
canadiens (soit 32,3 millions d’euros) à un montant de 70 millions de dollars canadiens (soit environ 45,4 millions d’euros).
84
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Toute opération franchissant ces seuils continue de faire l’objet d’une notification obligatoire qui se déroulera désormais
selon une procédure unique divisée en deux étapes fortement
inspirées du droit américain (L. conc., art. 114). La loi prévoit que
les parties à une « transaction » doivent le cas échéant notifier auprès du Commissaire à la concurrence, avant sa clôture
(« closing »), leur projet accompagné de tous les documents
dits « réglementaires » (les documents qui doivent être communiqués sont contenus dans les Notifiable Transactions Regulations, non publiés à ce jour). Les parties
ne disposent désormais plus du choix qui leur était offert de
procéder à une « notification abrégée » (qui imposait un délai d’attente de 14 jours, susceptible d’être prorogé par une
demande du Commissaire à la concurrence de produire la déclaration « détaillée ») ou une « notification détaillée » plus
exigeante en matière de renseignements (celle-ci imposait un délai d’attente de 42 jours à compter de la communication des documents; cf. L. conc., art. 114 (2),
dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009 ainsi que les articles 16 et 17 du règlement sur les transactions devant faire l’objet d’un avis). Il faut noter par ailleurs
que tout projet de fusion déposé avant le 12 mars 2009 demeure soumis au régime antérieur.
Ces deux procédures alternatives de notification (« abrégée »
et « détaillée ») sont désormais remplacées par une procédure
unique. Les parties sont cependant toujours tenues de communiquer l’ensemble des documents « réglementaires » dès
la première phase et leur réception par le Commissaire à la
concurrence fait courir un délai de 30 jours pendant lequel
les parties ne peuvent pas réaliser l’opération. Durant ce délai, le Commissaire à la concurrence peut exiger par l’envoi
d’un « avis » (L. conc., art. 114 (2.1)) que les parties lui communiquent des renseignements complémentaires (l’article 114 (2) de la loi
sur la concurrence dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009 réservait cette possibilité à la seule procédure de notification allégée). Ceux-ci sont alors directe-
ment énumérés dans l’« avis ». Cette seconde requête en information peut être diligentée directement par le Commissaire
à la concurrence sans avoir à solliciter de décision judiciaire
(avant l’adoption de la loi du 12 mars 2009, le Commissaire à la concurrence devait demander au Tribunal de rendre une ordonnance afin d’obtenir la communication de renseignements complémentaires. Cette ordonnance ne prorogeait pas le délai d’attente, dès lors, le
délai écoulé, les parties pouvaient à leurs risques et périls prendre la décision de conclure
la « transaction »). La réception des documents par le Commissaire
à la concurrence déclenche alors la seconde période d’attente
de 30 jours pendant laquelle la réalisation de la « transaction »
reste suspendue à moins que le Commissaire à la concurrence
n’émette un avis favorable anticipé (L. conc., art. 123 et s.). Lorsque
le Commissaire fait face à une opération particulièrement complexe, il dispose en outre toujours de la faculté de demander
au Tribunal de la concurrence de proroger à nouveau de 30 jours
la période de suspension de l’opération (ibid., art. 100).
Notons que si le Commissaire à la concurrence accorde expressément l’autorisation de conclure l’opération ou qu’il
garde le silence à l’expiration du délai d’attente, la transaction peut alors être réalisée.
Ainsi, la transaction ne peut être réalisée préalablement à l’expiration des délais que par un accord anticipé du Commissaire à la concurrence ou encore en sollicitant auprès de lui
un « certificat de décision préalable » (« advance ruling certificates »; l’article 124.1 (1) de la loi sur la concurrence dispose de façon constante que toute personne
est recevable à demander à la Commissaire à la concurrence son avis sur la conformité de
tout agissement ou projet avec les prescriptions de la loi sur la concurrence) qui per-
mettra d’exempter la « transaction » de toute obligation de notification et garantir à celle-ci l’absence de toute remise en
cause ultérieure.
En l’absence d’« advance ruling certificates » il est donc toujours loisible au Commissaire à la concurrence de remettre en
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES
OMC ») et les investissements tiers. Seuls les investissements dicause la validité d’une opération de concentration en vertu
rects (les investissements indirects étant exemptés à moins de
de l’article 97 de la loi sur la concurrence. Cependant en direlever d’un « secteur sensible ») au Canada d’« investisseurs
minuant sensiblement le délai de prescription applicable en
OMC » sont soumis à un examen du ministre des Acquisitions
le portant de trois à seulement une année, la réforme contriDirectes du contrôle d’entreprises canadiennes lorsque les opébue de nouveau à garantir aux parties à l’opération d’avanrations envisagées franchissent un seuil, réévalué tous les deux
tage de sécurité juridique dans la gestion de leurs affaires.
ans, et aujourd’hui porté à 600 millions de dollars canadiens (soit
Aux objectifs de prévisibilité et de simplification juridique qui
caractérisent la réforme du droit des concentrations, s’oppo383,6 millions d’euros; l’OCDE définit l’investissement direct à l’étranger (IDE) comme étant
sent certaines interrogations d’ordre pratique. On pense tout
« une activité par laquelle un investisseur résidant dans un pays obtient un intérêt durable et
d’abord aux difficultés soulevées par la durée de la seconde
une influence significative dans la gestion d’une entité résidant dans un autre pays. Cette opéphase qui ne commence à courir qu’à la réception des docuration peut consister à créer une entreprise entièrement nouvelle (investissement de création)
ments requis par le Commissaire à la concurrence. Le point
ou, plus généralement, à modifier le statut de propriété des entreprises existantes (par le biais
de départ du délai sera ainsi intrinsèquement lié à la capacité
de fusions et d’acquisitions). Sont également définis comme des investissements directs étrandes parties à réunir plus ou moins rapidement l’ensemble des
gers d’autres types de transactions financières entre des entreprises apparentées, notamment le
documents demandés et par conséquent à la complexité du
réinvestissement des bénéfices de l’entreprise ayant obtenu l’IDE, ou d’autres transferts en capidossier. Ainsi, il serait souhaitable que seules les opérations
tal » les investissements indirects sont quant à eux exemptés).
de concentration les plus complexes (c’est-à-dire celles qui,
Les investissements directs et indirects des ressortissants de
dans la pratique antérieure, relevaient
pays tiers et dans les « secteurs sensibles »
de la procédure de « notification appro(tels que les entreprises culturelles, de
Le déroulement
fondie ») fassent l’objet d’une demande
transport, de services financiers, et ende la nouvelle procédure
d’informations complémentaires, de fafin d’enrichissement d’uranium), qui
gagnera à être précisé
çon à limiter au minimum la prolongaétaient jusqu’à présent soumis à examen
tion excessive des délais de procédure
lorsqu’ils franchissaient en cas d’invespar les futures lignes
s’agissant des opérations de taille
tissement direct un seuil de 5 millions
directrices qui
moyenne. Une des solutions pourrait
de dollars canadiens (soit environ 3,2 millions
permettront aux
consister à inciter les parties réalisant
d’euros; le montant du seuil demeure calculé au regard de
entreprises d’anticiper les
des « transactions » de taille moyenne à
la « valeur comptable des actifs » (« book value of assets »))
demandes du Bureau
communiquer dès la première phase une
et en cas d’investissement indirect 50 milétude des effets proconcurrentiels attenlions de dollars canadiens, ne sont déde la concurrence, dans
dus (comme cela était habituellement le
sormais plus sujets à aucun seuil, à l’exun souci, là encore, de
cas dans la procédure antérieure).
ception toutefois des investissements
simplification du droit.
De manière générale, le déroulement de
dans les entreprises culturelles pour lesla nouvelle procédure gagnera à être préquels ces seuils restent maintenus.
cisé par les futures lignes directrices (les lignes directrices provisoires relaSi la réforme soustrait, de fait, un grand nombre d’investissements étrangers de la procédure générale d’examen, la loi intives au droit des concentrations ont été publiées sur <www.competitionbureau.gc.ca/eic/site/cbvestissement Canada, telle que modifiée, instaure un second
bc.nsf/fra/h_03036.html>, aux fins de consultation le 24 mars 2009) qui permettront
contrôle par le ministre de l’Industrie au titre de l’« atteinte à
aux entreprises d’anticiper les demandes du Bureau de la concurla sécurité nationale ». Ainsi, lorsque le ministre « a de bonnes
rence, dans un souci, là encore, de simplification du droit.
raisons de croire » qu’un investissement (direct ou indirect,
Ce mouvement est souhaitable dans le cadre d’une économie
majoritaire ou minoritaire) peut « porter atteinte à la sécurité
mondialisée car il favoriserait la connaissance et la comprénationale », il peut après consultation du ministre de la Sécuhension du droit par les investisseurs étrangers, encourageant
rité publique et de la Protection civile et de l’investisseur
ainsi les opérations transfrontalières. Alors que la réforme isconcerné, saisir le cabinet fédéral afin qu’il prenne toutes les
sue de la loi sur l’exécution du budget rehausse les seuils apmesures qu’il estime appropriées pour préserver la « sécurité
plicables au droit des concentrations, réduisant ainsi l’étennationale » (cf. L. investissement Canada, art. 25.4 (1)).
due du contrôle effectué par le Bureau de la concurrence, de
nouvelles dispositions viennent quant à elles remanier le droit
La portée de cette nouvelle disposition semble a priori sans
applicable à l’investissement étranger. Les implications en malimite, d’autant que le ministre compétent peut examiner rétière de concentrations méritent qu’on s’y intéresse.
troactivement tout investissement étranger réalisé entre le 6 février et le 12 mars 2009 (tout examen de ces investissements ne pourra cepenB. – Une simplification du droit pour partie remise
dant avoir lieu que dans un délai de 60 jours à compter du 12 mars 2009). Rien ne
en cause en raison de l’adoption de nouvelles
permet, en outre, de conclure que la notion de « sécurité nadispositions à la Loi sur l’investissement
tionale », telle qu’elle existe déjà au Canada en matière de
De la même manière que pour le droit des concentrations, la
marchés publics (cf., par exemple, Lignes directrices pour aider les ministères à reloi Investissement Canada, entrée en vigueur le 12 mars 2009
courir à l’exception au titre de la sécurité nationale dans le cadre des accords commerciaux
(à l’exception des dispositions relatives aux seuils de contrôle; l’entrée en vigueur de ces
sur les marchés publics, en vertu desquelles « la sécurité nationale dépasse la question midispositions doit être définie par le gouverneur en conseil du Canada), a relevé les
litaire de l’intégrité du territoire et les notions traditionnelles de la souveraineté nationale.
seuils de contrôlabilité applicables aux investissements étranElle comprend aussi le besoin de protéger la sécurité économique, environnementale et hugers. Dans le même temps, elle a toutefois mis en place un
maine lorsqu’une société et ses institutions démocratiques deviennent les cibles de menaces
nouveau contrôle de l’« atteinte à la sécurité nationale » apterroristes et qu’elles ont besoin d’être protégées et défendues », disponibles sur le site du Seplicable en l’absence de tout seuil.
crétariat du Conseil du Trésor du Canada < http.tbs-sct.gc.ca/cmp/doc/nse-esn-fra.aspx>),
La réforme du droit de l’investissement étranger au Canada
réponde à la même acception que pour l’investissement : une
conserve, au sein de la procédure générale d’examen, la distincincertitude par ailleurs renforcée par l’absence de règlements
tion entre les investissements des ressortissants des États pard’application définissant la notion d’« atteinte à la sécurité naties à l’Organisation mondiale du commerce (dits « investisseurs
tionale » et précisant ses critères d’appréciation.
>
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
85
CANADA : PREMIÈRES MODIFICATIONS SIGNIFICATIVES DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE DEPUIS 1985
font défaut. L’absence de règlements d’application et de
lignes directrices en matière de « sécurité nationale » est
également susceptible de générer une période d’incertitude défavorable à l’investissement étranger au Canada.
Il faut donc souhaiter que cette période d’incertitude soit
principalement due à l’entrée en vigueur très récente de
la réforme et n’aie ainsi vocation à être que temporaire,
de manière à ne pas priver d’effets les modifications significatives apportées par les dispositions nouvelles de la
loi sur la concurrence. ◆
DÉCISIONS DES
AUTORITÉS NATIONALES
DE CONCURRENCE
ÉTRANGÈRES
Sept de ces défendeurs étrangers ont reconnu leur participation au cartel et admis leur responsabilité (pts. 12 à 14).
Trois dirigeants étrangers ont toutefois préféré contester l’application du Commerce Act et la compétence de la Commerce
Commission devant la High Court qui a rejeté l’argument tiré
de l’exception d’incompétence et a admis l’applicabilité du
Commerce Act et la compétence des tribunaux néo-zélandais
(Arrêt du 16 mars 2007, HC AK CIV 2005-404-2080, disponible en ligne sur le site
<http://jdo.justice.govt.nz>).
Les trois dirigeants ont ensuite interjeté appel de cette décision, et c’est dans ce contexte que la Court of Appeal of New
Zealand, dans un arrêt très didactique, a reconnu la compétence de la Commerce Commission pour appliquer le Commerce Act à ces trois personnes physiques étrangères.
Avant de parvenir à cette solution, la Cour of Appeal s’est longuement interrogée sur le champ d’application territorial du
Commerce Act et plus précisément sur l’applicabilité de la Section 4 du Commerce Act (la Section 4 du Commerce Act prévoit que l’Act s’ap-
RLC
Ces nouvelles dispositions laissent, en tout état de cause, apparaître un durcissement général de la faculté pour un étranger d’investir au Canada, sans compter que le droit des concentrations sera également susceptible de trouver à s’appliquer.
De nombreux points restent, par ailleurs, à définir afin de
juger la portée et l’efficacité de ces deux contrôles. Ainsi,
en ce qui concerne le contrôle général de l’investissement
étranger, la définition et le calcul de ces seuils (dits en
« valeur d’affaire ») ou encore la période durant laquelle
un investissement étranger pourra être remis en cause,
1440
Nouvelle-Zélande :
les entreprises étrangères
et les personnes physiques
n’échapperont pas
à l’application du droit
de la concurrence
La Court of Appeal of New Zealand confirme la décision
de la High Court dans l’affaire dite « The Koppers
Arch Litigation », entérinant ainsi une interprétation
extensive du champ d’application extraterritoriale
du Commerce Act.
Neil Harris v. The Commerce Commission, CA CA255/2007, 18 mars 2009,
connu sous le nom de The Koppers Arch Litigation, décision disponible
sur le site du ministère de la justice de Nouvelle-Zélande
<http://jdo.justice.govt.nz>
Le 18 mars 2009, la Court of Appeal of New Zealand a rendu
une décision attendue dans une affaire de cartel dans le secteur des produits chimiques de conservation du bois.
Étaient concernées des pratiques de fixation de prix et de répartition des marchés prohibées par les sections 27 et 30 du
Commerce Act (le Commerce Act adopté en 1986, constitue l’instrument juridique
relatif à la défense de la concurrence en Nouvelle-Zélande. Il prohibe les pratiques restrictives de concurrence notamment les contrats, arrangements ou accords qui restreignent substantiellement la concurrence (Section 27 : contracts, arrangements, or undertakings substantially lessening competition prohibited) et certaines clauses contractuelles considérées
comme portant atteinte à la concurrence (Section 30 : Certain provisions of contracts, etc.,
with respect to prices deemed to substantially lessen competition). Le Commerce Act est disponible en ligne sur le site <http://www.comcom.govt.nz>. La Commerce Commission est
l’autorité nationale de concurrence en Nouvelle-Zélande en charge de l’application du Commerce Act), intervenues sur le marché néo-zélandais entre 1998
et 2002.
Sur les quinze personnes physiques et morales poursuivies,
onze étaient des entreprises ou dirigeants d’entreprises étrangères n’ayant ni résidence ni activité en Nouvelle-Zélande.
86
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
plique aux pratiques ayant été diligentées à l’étranger par des personnes résidentes ou ayant
une activité en Nouvelle-Zélande si ces pratiques ont eu un effet sur le marché néo-zélandais : Section 4 : Application of Act to conduct outside New Zealand : (1) the Act extends to
the engaging in conduct outside New Zealand by any person resident or carrying on business
in New Zealand to the extend that such conduct affects a market in New Zealand) à des
responsables d’entreprises étrangères n’ayant eu ni activité,
ni résidence, ni même une quelconque présence physique en
Nouvelle-Zélande pendant la période des faits (ils résidaient
en Australie et aux États-Unis à ce moment-là).
Par une interprétation téléologique du Commerce Act, la Court
of Appeal, a considéré que (pt. 52) :
(a) la Section 4 du Commerce Act étend le champ d’application de la loi sur la concurrence aux pratiques commises à
l’étranger par des personnes physiques ou morales résidant
ou ayant une activité en Nouvelle-Zélande dès lors qu’elles
affectent le marché néo-zélandais, sans exiger que la pratique
soit commise en Nouvelle-Zélande ;
(b) la Section 4 ne concerne pas les cas dans lesquels des résidents étrangers (qui n’ont pas agi personnellement en Nouvelle-Zélande) ont diligenté à l’étranger une entente anticoncurrentielle relative au marché néo-zélandais, entente ayant été
mise en œuvre en Nouvelle-Zélande par des résidents néo-zélandais eux-mêmes parties à l’entente ou agissant sous la direction ou avec l’autorisation de personnes physiques ou morales étrangères, ce cas devant être tranché selon une méthode
interprétative par référence à la politique de concurrence, aux
objectifs du texte et aux principes de droit pertinents;
(c) la High Court a eu raison de juger que le dossier de la Commerce Commission entrait dans le champ d’application du
Commerce Act.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES
La Court of Appeal a pourtant rappelé qu’il existait un certain
nombre d’obstacles juridiques à l’extension du champ d’application territorial du Commerce Act.
On retiendra notamment :
Un premier obstacle d’ordre textuel.– La Section 4 du Commerce Act qui prévoit les cas d’application du texte aux pratiques mises en œuvre en dehors de la Nouvelle-Zélande, ne
couvre pas les comportements de personnes physiques ou
morales étrangères n’ayant aucun rattachement physique (résidence ou activité) avec la Nouvelle-Zélande. La Cour a donc
eu à trancher la question de savoir (pt. 27) :
– si la section 4 (1) du Commerce Act identifie les seuls cas
dans lesquels les dispositions de la loi s’appliquent à une personne physique ou morale dont les agissements se sont déroulés entièrement ou substantiellement hors de la NouvelleZélande ((4)Application of Act to conduct outside New Zealand (1) « This Act extends
to the engaging in conduct outside New Zealand by any person resident or carrying on business in New Zealand to the extent that such conduct affects a market in New Zealand ») ;
et
– dans le cas contraire, dans quelles circonstances les dispositions du Commerce Act s’appliquent à une personne physique ou morale hors de la Nouvelle-Zélande en raison de pratiques mises en œuvre par une personne physique ou morale
sur le territoire néo-zélandais.
Plusieurs obstacles d’ordre pratique. – La Cour rappelle ensuite l’existence de plusieurs éléments en faveur d’une conception restrictive de l’application extraterritoriale des lois internes.
Tout d’abord, ainsi qu’il a été précédemment jugé en Nouvelle-Zélande, les personnes qui résident à l’étranger et n’ont
pas de présence en Nouvelle-Zélande, ne peuvent pas être
soumises à la compétence des tribunaux néo-zélandais (Arrêt
de la Court of Appeal of New Zealand Kuwait Asia Bank EC v. National Mutual Life Nominees Limited (No 2) [1989] 2 NZLR 50 (CA) : « persons who reside overseas and are not present in New Zealand will not lightly be subjected to the jurisdiction of the New Zealand
courts »).
La Court of Appeal admet toutefois que le développement
considérable des moyens de communication et de transport
ont réduit la portée pratique de ce principe.
Dans sa décision, la Cour explique ensuite que le pouvoir législatif néo-zélandais est peu enclin à affirmer la compétence
des tribunaux néo-zélandais sur des pratiques se déroulant
entièrement hors de la Nouvelle-Zélande. L’existence d’une
présomption selon laquelle les lois n’ont pas d’effet extraterritorial sauf dans les cas expressément prévus par la loi reflète cette réalité. Cette présomption procède des principes de
droit international et du respect de la souveraineté des États
dans la poursuite des pratiques ayant lieu sur leur territoire.
Toutefois, la Cour reconnaît que s’agissant du droit de la
concurrence, ce principe a fait l’objet d’ajustements considérables, particulièrement aux États-Unis avec l’adoption de la
théorie dites « des effets » (United States v. Aluminium Co of America (1945)
148 F 2d 416 (2nd Cir) and Hardford Fire Insurance Co v California (1993) 509 US 764).
Malgré les obstacles identifiés ci-dessus, la Court of Appeal
considère que les personnes étrangères qui mettent en
œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché néozélandais par le biais d’intermédiaires, peuvent être considérées comme ayant agi en Nouvelle-Zélande notamment
dans les cas où elles ont une autorité de fait ou de droit
sur leurs intermédiaires.
La Cour cite à titre d’exemple l’affaire du cartel des vitamines
(Arrêt Bray v. Hoffman-La Roche Ltd (2002) 190 ALR 1 (FCA)) dans laquelle
Droit I Économie I Régulation
plusieurs entreprises multinationales ont mis en œuvre des pratiques de fixation de prix en Australie par le biais de leurs agents
à qui elles avaient préalablement envoyé leurs instructions et
avec lesquels elles étaient en contact. Les pratiques mises en
œuvre sur le territoire australien ont été considérées comme
directement imputables aux entreprises étrangères.
Dans sa décision, la Court of Appeal considère que des
contacts avec des acteurs néo-zélandais ou des instructions
relatives aux pratiques anticoncurrentielles données à des
acteurs néo-zélandais, quand bien même ces derniers se
trouveraient à l’étranger, suffisent à établir l’applicabilité du
Commerce Act. Selon elle, si ces acteurs néo-zélandais ont,
par la suite, agi en Nouvelle-Zélande pour donner effet à ces
concertations anticoncurrentielles, ils peuvent parfaitement
être considérés comme ayant agi sur ordre, ou au nom de
ces résidents étrangers.
Selon la Court of Appeal, cette approche est cohérente avec
les réalités de la mondialisation, particulièrement tangible
concernant les pratiques anticoncurrentielles. Adopter une solution contraire risquerait de créer un vide dans l’ordre concurrentiel mondial. Cela aurait également constitué un écueil
pour un « petit » pays comme la Nouvelle-Zélande notamment
en raison de sa forte dépendance vis-à-vis d’importants produits et technologies importés (« That would create a significant loophole in
the Act, particularly as New Zeland is a relatively small country with a heavy dependence on
imported products and technology »). Les entreprises étrangères ne doi-
vent pas pouvoir se considérer à l’abri de poursuites si elles
ne communiquent pas avec des personnes ou n’assistent pas
à des réunions sur le territoire néo-zélandais.
Comme la Court of Appeal le reconnaît elle-même, la Commerce Commission pourrait ainsi faire face à certaines difficultés pratiques pour démontrer la responsabilité de ces entreprises, ce qui ne l’empêche pas d’entériner la compétence
de la Commerce Commission pour appliquer les dispositions
du Commerce Act (« The commission may face practical problems in seeking to hold
such entites to account, but there is, in our view, jurisdiction under the Act »).
Pour anticiper et résoudre ces difficultés, une coopération
entre les différentes autorités nationales de concurrence
sera nécessaire. La Nouvelle-Zélande a d’ailleurs conclu de
nombreuses conventions de coopération multinationale et
bilatérale.
C’est notamment le cas avec l’Australie avec laquelle elle entretient des liens économiques privilégiés (pour un aperçu exhaustif
des accords liant la Nouvelle-Zélande et l’Australie, cf. le site de l’Australian Competition
and Consumer Commission <http://www.accc.gov.au/content/index.phtml/itemId/564911>). Ainsi, plusieurs accords bilatéraux de coopération
entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande prévoient notamment
l’échange d’informations collectées par la New Zealand Commerce Commission et l’Australian Competition and Consumer
Commission (« ACCC ») dans le cadre de leurs enquêtes. De
plus, en 2007, a été conclu un accord ouvrant la possibilité
pour ces Autorités de collecter sur une base volontaire des
éléments de preuve sur leur territoire réciproque (Cooperation
Agreement between the Australian Competition and Consumer Commission and the New
Zealand Commerce Commission, 31 juill. 2007, pt. 2.4 : « Nothing in this Agreement affects
the right of a Party to seek evidence on a voluntary basis from a person located in the territory of the other Party, nor does anything in this Agreement preclude any such person from
voluntarily providing evidence to a Party », disponible sur <http://www.accc.gov.au/content/index.phtml/itemId/564911>).
À cet égard, un nouveau projet relatif aux pratiques anticoncurrentielles prévoyant le renforcement de la coopération entre
la Commerce Commission et les autorités de concurrence étrangères et plus particulièrement l’ACCC est actuellement en discussion devant le Parlement néo-zélandais (ce projet de texte prévoit la >
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
87
RLC
simplification des procédures de partage d’informations, même confidentielles, recueillies dans
le cadre des investigations menées par la Commerce Commission et les autres autorités de
concurrence ainsi que le renforcement des pouvoirs de la Commerce Commission lorsqu’elle
assiste les autorités de concurrence étrangères dans leurs investigations (« Explanatory note »
du projet de loi disponible sur <http://wwww.legislation.govt.nz>)).
Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ
et Thomas PICOT
Avocats, Jeantet Associés
1441
Chine : l’interdiction
de l’acquisition du groupe
Huiyuan Juice par la société
Coca-Cola, une décision
insatisfaisante pour les
entreprises étrangères
Dans une décision remarquée et particulièrement
succincte (une page et demie), le ministre
du Commerce de la République Populaire de Chine
décide de rejeter ce qui aurait pu être le premier rachat
d’une entreprise chinoise par une entreprise étrangère.
Aucune traduction française ou anglaise de la décision n’est disponible.
L’article a été rédigé à partir d’une traduction non officielle disponible sur
le site <www.hhlaw.com/zh-CHS/pressroom/newspubs/pubDetail.aspx?
publication = 4387>
Le 18 mars 2009, le ministre du Commerce de la République
populaire de Chine (ci-après « MOFCOM »), a sonné le glas
de la plus importante prise de contrôle d’une société chinoise
par une compagnie étrangère, en interdisant l’offre amicale
de Coca-Cola de 2,4 milliards de dollars lancée sur le Groupe
Huiyuan Juice, leader chinois sur le marché des jus de fruits.
En dépit des rumeurs de prise de participation minoritaire
dans Huiyuan Juice, Coca-Cola s’est finalement définitivement retiré des négociations mardi 12 mai 2009, scellant ainsi
le sort de ce projet de mariage (Coca-cola se retire définitivement de Huiyuan,
La Tribune, 12 mai 2009).
Dans une décision « d’une page et demie » décevante et
créatrice d’insécurité juridique pour les entreprises étrangères actives sur le marché chinois, le MOFCOM a interdit
cette opération d’envergure considérant qu’elle aurait des
effets anticoncurrentiels irréversibles, sans davantage de
motivation.
Comme l’expliquent certains journalistes et avocats, les rumeurs et les spéculations n’ont pas cessé de perturber cette
opération depuis son commencement (Evans R., Transparency is in MOFCOM’s interest, IFLR, 1er mai 2009, Asia editori) de sorte que ce projet de
concentration prenait des allures de « soap opera ».
Cette décision est d’une importance majeure pour les entreprises actives en Chine, en ce qu’elle pourrait constituer un
indicateur de l’attitude du MOFCOM en matière de contrôle
des opérations d’acquisition d’entreprises chinoises par des
entreprises étrangères.
Cette décision de rejet donne lieu à un vif débat. En effet, si
certains considèrent que cette décision est largement politique
et protectionniste, d’autres en revanche estiment qu’il existait de réels problèmes de concurrence.
Rappel du contexte et de la procédure.– Le 3 septembre
2008, The Coca-Cola Company (ci-après « Coca-Cola ») lan-
88
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
çait une offre publique d’achat amicale sur China Huiyuan
Juice Group, le plus grand producteur chinois de jus de fruits,
pour l’équivalent de 2,4 milliards de dollars, faisant de cette
opération la deuxième plus grande acquisition de l’histoire du
géant américain (la prise de contrôle de Huiyuan par Coca-Cola face à des difficultés, Xinhua – Agence de presse, 3 sept. 2008) et la plus importante prise de
contrôle d’une société chinoise par une société étrangère (les
projets de Coca-Cola en Chine soumis au couperet de la loi anti-monopole, AFP infos économiques, économie et finance, 4 sept. 2008).
En application de la récente loi anti-monopoles (LAM) et du
paragraphe 3 du règlement du Conseil des affaires de l’État
relatif aux seuils de notification des concentrations entre entreprises, en date du 3 août 2008, Coca-Cola notifiait officiellement l’opération le 18 septembre 2008 auprès du MOFCOM.
Pour mémoire, l’obligation de notifier une opération de concentration auprès du MOFCOM s’applique lorsque l’un ou l’autre
des seuils suivants est atteint :
« (1) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial lors
du dernier exercice par l’ensemble des entreprises concernées
est supérieur à 10 milliards RMB (soit environ 1 milliard d’euros), et le chiffre d’affaires total réalisé individuellement en
Chine, par au moins deux des entreprises concernées, est supérieur à 400 millions RMB (soit environ 41 millions d’euros) ;
(ou)
(2) le chiffre d’affaires total réalisé en Chine lors du dernier
exercice par l’ensemble des entreprises concernées est supérieur
à 2 milliards RMB (soit environ 208,8 millions d’euros), et le
chiffre d’affaires total réalisé individuellement en Chine, par
au moins deux des entreprises concernées est supérieur à
400 millions RMB (soit environ 41 millions d’euros) ».
En l’espèce, le chiffre d’affaires combiné de Coca-Cola et de
Huiyuan Juice dépassait les 10 milliards de yuans en 2007 et
chacune réalisait individuellement un chiffre d’affaires supérieur à 400 millions de yuans en Chine.
À la suite de cette notification et à la demande du MOFCOM,
Coca-Cola a fourni des informations et documents complémentaires à plusieurs reprises (25 sept. 2008, 9 oct. 2008, 16 oct. 2008 et
9 nov. 2008, China Antitrust uptade, 19 mars 2009, Hogan & Hartson).
Le 20 novembre 2008, après deux mois d’échanges consécutifs aux demandes d’informations et documents complémentaires, le MOFCOM a officiellement accepté la notification et
ouvert la première phase d’examen du dossier.
Compte tenu de l’envergure de cette opération et de ses implications, le MOFCOM a déclenché la deuxième phase d’examen en ouvrant une enquête approfondie le 20 décembre
2008, en application de l’article 26 de la LAM, date à compter de laquelle il disposait alors de 90 jours pour rendre sa décision définitive.
Ce fut chose faite le 18 mars 2008, date à laquelle le MOFCOM
a annoncé, dans une décision d’une page et demie, l’interdiction de l’opération, au motif qu’elle affecterait irrémédiablement la concurrence « sur le marché chinois des jus de fruits »
(« Chinese fruit juice beverage market » et « sound developpement of the Chinese fruit juice
industry » selon une traduction non officielle de la décision) et altérerait « le bon
développement de l’industrie chinoise du jus de fruits ».
Selon le MOFCOM, l’entité issue de la concentration aurait
détenu une position dominante sur le marché des jus de
fruits, avec pour effet d’éliminer ou de réduire effectivement
la concurrence sur ce marché (Communiqué de presse du MOFCOM,
20 mars 2009). Le MOFCOM a également affirmé que Coca-Cola
pourrait tirer profit de sa position dominante sur le marché
des boissons gazeuses et sur celui des jus de fruits, sans pour
autant expliquer comment le géant américain aurait été en
mesure de le faire.
Droit I Économie I Régulation
ACTUALITÉS
DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES
Une décision d’interdiction décevante pour les entreprises.–
C’est donc dans une décision d’une page et demie, dépourvue de tout examen approfondi des délimitations de marchés
et de toute analyse concurrentielle, que le MOFCOM a décidé
d’interdire cette opération d’envergure internationale.
Il est véritablement regrettable pour les entreprises étrangères que le MOFCOM ne se soit pas inspiré de la pratique
décisionnelle d’autorités de concurrence plus « matures »
telles que la Commission européenne, la Federal Trade Commission, ou les autorités européennes nationales de la
concurrence (OFT, Bundeskartellamt, Autorité française de
la concurrence…).
Dans sa décision, le MOFCOM s’est en effet affranchi de développements essentiels tels que l’analyse approfondie de la
délimitation des marchés pertinents dans le secteur des boissons (pourtant déjà délimité à plusieurs reprises par la Commission européenne, Déc.
Jacques). Par ailleurs, d’après leurs sources locales, « il existait
une très forte pression des concurrents pour bloquer l’opération » ainsi qu’une « volonté de maintenir les marques chinoises réputées sous contrôle chinois » (Scott P., China blocks Coca-Cola
deal, Global Competition Review, 18 mars 2009).
Preuve de l’importance de cette polémique, le ministre du
Commerce chinois a même pris la peine de démentir dans
la presse tout protectionnisme indiquant que « la décision
était fondée sur des recherches et des investigations suffisantes » et « strictement alignée avec la loi antimonopole
du pays ». Se voulant rassurant pour les entreprises étrangères, il a clairement indiqué que « la finalité du contrôle
était le maintien de la concurrence, la protection des consommateurs et la sauvegarde de l’intérêt public » (China denies CocaCola decision equals trade protectionism, People’s Daily online, 20 mars 2008).
Comm. CE, 7 févr. 2000, aff. COMP/M.1683, The Coca-Cola company/Kar-Tess Group (Hellenic Bottling) ; Déc. Comm. CE, 27 sept. 2001, aff. COMP/M.2276, The Coca-Cola
company/Nestlé/JV ; Déc. Comm. CE, 11 sept. 1999, aff. IV/M.833, The Coca-Cola
company/Calsberg A/S. Dans ces décisions, la Commission avait notamment identifié un
marché des boissons gazeuses distinct du marché autres que les boissons non alcoolisées
telles que le café, le thé, le lait, les jus. Selon cette délimitation, les jus de fruits appartenaient donc au marché des boissons non alcoolisées, à l’exclusion des boissons gazeuses).
Les implications de la décision pour les entreprises étrangères.– Il n’en reste pas moins que cette décision constitue un message fort du MOFCOM lancé aux entreprises et
investisseurs étrangers. En effet, il est désormais évident
que l’autorité de concurrence chinoise n’hésitera pas à
faire application des pouvoirs que lui confère la LAM pour
interdire certaines opérations de concentration.
En pratique, l’intérêt de cette décision très attendue par
les entreprises actives sur le marché chinois est toutefois
très limité.
Elle crée en effet plus d’incertitudes sur la procédure et
l’examen au fond des opérations de concentrations soumises au MOFCOM, qu’elle n’apporte de réponses.
Le MOFCOM avait pourtant commencé l’année 2009 par
la publication de neuf lignes directrices et projets de lignes
directrices, notamment sur le contrôle des concentrations,
affichant ainsi une réelle volonté de transparence.
Toutefois, comme le rappellent certains praticiens « seule
la pratique décisionnelle est susceptible de clarifier la procédure d’autorisation des concentrations » (Only cases can clarify
merger clearance, IFLR, févr. 2009, RE).
Les seules clarifications apportées par la décision sont ainsi
relatives au calendrier de la procédure de contrôle des
concentrations, dont on apprend qu’il se calcule en « jours
civils », tandis que, jusqu’à présent, le MOFCOM faisait référence aux jours sans préciser leur nature. Elle vient également préciser que les périodes d’auditions sont incluses
dans la phase d’examen de l’opération et n’impliquent pas
de délais supplémentaires (China Antitrust uptade, 19 mars 2009, H & H).
Cette décision fournit par conséquent un aperçu extrêmement limité de la manière dont le MOFCOM examine les
opérations de concentrations soumises à son approbation.
Dès lors, il est possible de redouter que les entreprises,
confrontées à un fort aléa, soient tentées d’élaborer des
stratégies visant à échapper au contrôle du MOFCOM (China
bans Coke Merger, IFLR, avr. 2009, p. 8) en privilégiant des montages
leur permettant de ne pas franchir les seuils tels que des
prises de participations minoritaires, ou des entreprises
communes soigneusement structurées (en effet, ni la LAM, ni les
Il se contente à cet égard de faire référence aux boissons gazeuses et aux jus de fruits sans donner de définition précise
du marché pertinent. De même, s’est-il abstenu d’une analyse concurrentielle expliquant en détail les distorsions de
concurrence susceptibles d’être créées par l’opération ou encore une analyse précise des remèdes proposés par Coca-Cola.
De telles explications auraient permis aux entreprises d’anticiper le type de solutions envisageables dans le cadre d’opérations soumises à l’approbation du MOFCOM, susceptibles
de poser des problèmes de concurrence.
Des soupçons de protectionnisme ?– Comme l’indiquent certains praticiens dans leurs commentaires, « cette décision n’est
pas expressément protectionniste mais il existe certaines suspicions que des facteurs sans lien avec la concurrence aient
joué un rôle notamment en raison de la spéculation des médias et du lobbying qui ont entouré cette affaire depuis son
commencement » (China bans Coke Merger, IFLR, avr. 2009, p. 8).
Selon une traduction non officielle de la décision (China Antitrust uptade, 19 mars 2009, Hogan & Hartson), il est explicitement indiqué
que le MOFCOM a « sollicité l’opinion de plusieurs services
gouvernementaux, associations industrielles, entreprises de
jus de fruits, etc. », ce qui renforce le sentiment que l’autorité de concurrence chinoise a accordé une importance particulière à l’opinion d’hommes politiques et d’acteurs du
marché nécessairement plus disposés à défendre les intérêts des entreprises locales, que ceux du géant américain
(Evans R., China special : the Coke case « Transparency is in MOFCOM’s interests », IFLR,
1er mai 2009, Asia editor).
Certains praticiens ont d’ailleurs clairement pris position en
ce sens à la suite de cette décision, en expliquant notamment
que « dans le climat actuel, [ils] suspect[ent] que le MOFCOM
ait accordé un poids plus important aux plaintes de petites entreprises ». Selon eux, « le MOFCOM ne pourrait pas autoriser
une opération susceptible de créer du chômage ou des troubles
sociaux » (Martyn Huckerby, associés du bureau de Shanghai, Mallesons Stephen
Droit I Économie I Régulation
lignes directrices n’abordent la question des joint-ventures, alors que cette pratique est
largement répandue en Chine : Picot Th. et Zheng C.-H., Après treize années d’attente,
la loi chinoise sur la concurrence est enfin votée, RLC 2007/13, n° 945).
Th. P.
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
89
R LC
1442
Ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes, Noëlle Lenoir vient de rejoindre le cabinet Jeantet.
Elle livre ici, à l’issue des récentes élections du Parlement européen, son point de vue sur le rôle
du droit de la concurrence en Europe en cette période de crise économique.
« Le droit de la concurrence,
garant du Marché commun,
est au fondement de la construction
économique et politique de l’Europe »
Revue Lamy de la concurrence :
Les élections européennes viennent d’avoir lieu. Comment expliquez-vous le taux d’abstention à ces élections alors même
que l’influence du Parlement
monte, elle, en puissance ?
Noëlle Lenoir : C’est un paradoxe. Jamais le Parlement européen n’a eu autant de pouvoir,
jamais l’Europe n’a été aussi présente dans les medias, et pourtant depuis 1979, d’élections en élections, le taux d’abstention grimpe
inexorablement. Les raisons de cette situation sont multiples.
Pas plus en France qu’ailleurs, elle ne
traduit à mon sens un rejet du Parlement
européen ou une remise en cause de ses
compétences en tant qu’assemblée législative européenne.
Cette abstention devenue chronique reflète bien davantage une méconnaissance et donc une incompréhension des
rouages de cette assemblée. C’est pour
moi la raison essentielle de la défection
des électeurs. Les responsables politiques nationaux eux-mêmes ignorent
bien souvent comment travaille le Parlement européen. Ils ne sont dès lors
pas en mesure de sensibiliser les citoyens de leur pays à l’apport de cette
institution à la vie démocratique. Je rappelle que le Parlement de Strasbourg est
la seule assemblée législative issue du
suffrage universel direct qui soit véritablement transnationale.
Les enjeux des élections européennes
sont d’autant plus mal compris que le
90
Entretien avec Noëlle LENOIR
Avocate à la Cour
Associée du cabinet Jeantet
Ancienne ministre
Parlement européen ne répond pas au
mode habituel de fonctionnement de nos
parlements nationaux. Il n’y a pas d’un
côté une opposition qui est systématiquement contre la majorité, et une majorité qui entend contrer les propositions
de l’opposition. Au Parlement européen,
les votes sur les règlements et directives
sont l’expression de majorités d’idées qui
se dégagent en fonction des sujets et du
contexte politique. La procédure vise à
faire émerger l’intérêt communautaire,
qui est toujours le fruit d’un compromis
entre les intérêts divergents des États et
des groupes de pression économiques et
sociaux. Le Parlement européen est à cet
égard plus proche du Congrès américain
– bien qu’il soit privé du droit d’initiative des lois – que du Parlement français.
En votant, les électeurs européens n’ont
pas le sentiment qu’ils peuvent réelle-
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
ment changer la gouvernance
politique de l’Union européenne. Ce qui est exact dès
lors que l’exécutif européen est
partagé entre une Commission
apolitique et un Conseil européen formé des dirigeants des
États membres qui, eux aussi,
délibèrent sur la base de compromis entre sensibilités nationales et idéologiques. L’Europe
n’aime pas les positions extrêmes, qu’elles soient de
gauche ou de droite. J’ajoute que le fait
que les élections européennes se déroulent à la représentation proportionnelle
intégrale et autorisent ainsi un morcellement des groupes politiques, renforce
chez les électeurs la conviction que leur
vote n’influencera pas les politiques
communautaires.
Le Parlement européen n’est pas un lieu
de confrontation. C’est un espace de négociation conduisant à des textes de compromis. Ceci est illustré par la pratique
du partage des présidences instaurée depuis quelques années. En effet, la présidence du Parlement européen est partagée pendant le mandat entre les groupes
les plus importants. Pour cette législature (2005-2014), c’est le Polonais Janez
Buzek – membre du PPE (centre droit)
– qui assurera la présidence pour les deux
premières années et demies et ensuite
l’Allemand Martin Shultz – PSE (socialdémocrate) – prendra le relais pour les
deux ans et demi restants.
Comme vous le savez, le Parlement européen est le grand gagnant des avancées du Traité de Lisbonne, dont j’espère
Droit I Économie I Régulation
RLC : Quelle est à votre avis l’influence
du droit de la concurrence dans la
construction européenne ?
N.L. : Le droit de la concurrence, condition de l’existence du Marché commun,
est au fondement de la construction
économique et politique de l’Europe.
Permettez-moi un bref rappel historique
pour l’expliciter. Le fondement de la
construction d’une Europe – à l’époque
confédérale – aurait pu être la défense.
C’était le projet de la France lorsqu’elle
a promu l’idée en 1952 de la ratification par les six pays fondateurs de l’Europe d’un Traité sur la Communauté
européenne de défense (CED), adossée
à une Communauté politique avec des
institutions intégrées. Finalement, après
que les cinq partenaires de la France
ont ratifié ce Traité ambitieux, c’est l’Assemblée nationale française qui l’a repoussé en 1954 après un débat serré à
la tonalité dramatique. Schématiquement, les tenants du non, opposés à
tout abandon de souveraineté, se plaisaient à alerter l’opinion sur le danger
Droit I Économie I Régulation
d’une remilitarisation de l’Allemagne,
laquelle devait bien sûr participer à l’armée européenne mise en place par le
Traité de la CED.
Le plan B a été la Communauté économique européenne (CEE) créée par
le Traité de Rome de 1957, avec à sa
clé le Marché commun. Pour établir
ce Marché, le Traité a prévu un double
dispositif : d’une part, le Traité a posé
en principe la libre circulation des
hommes, des biens, des services et
(un peu plus tard) des capitaux, les
fameuses quatre libertés. D’autre part,
le Traité a imposé le respect de la libre
concurrence sous le contrôle de la
Commission européenne.
L’instauration de règles de concurrence
avait une portée presque révolutionnaire
à l’époque. En effet, la plupart des États
membres ne connaissaient pas d’encadrement aussi rigoureux des pratiques
commerciales. Les règles de la concurrence avaient fait leurs preuves aux ÉtatsUnis où étaient sanctionnées de longue
L’urgence est de faire
connaître le Parlement
européen aux citoyens,
car les entreprises, elles,
ont pris l’habitude
de suivre attentivement
les législations
en discussion (...).
date les pratiques concertées « susceptibles d’affecter le commerce entre États »
(« interstate commerce clause »). Mais en
Europe, la problématique était nouvelle.
Il est intéressant de relever que la Haute
autorité de la Communauté européenne
du charbon et de l’acier (CECA), ancêtre
de la Commission, avait des pouvoirs
étendus de contrôle des ententes, des
concentrations et de ce que l’on appelait alors les « abus de puissance économique ». Le Traité de Rome, lui, n’évoque
pas la question des concentrations, ce
qui n’a pas empêché la Commission de
s’en saisir et de pallier les manques du
Traité à cet égard.
Le paysage juridique du droit de la
concurrence s’est transformé. La Commission multiplie les règlements et lignes
directrices fixant le cadre lui permettant
de veiller à prévenir (voire à réprimer)
les pratiques entraînant des distorsions
de concurrence qui mettent à mal le marché intérieur. Les États se sont dotés
d’autorités nationales de concurrence
formant le Réseau européen de concurrence (REC) qui se coordonne avec la
Commission. Que de chemin parcouru
PERSPECTIVES ENTRETIEN
au passage qu’il pourra être mis en vigueur l’année prochaine, après ratification par référendum en Irlande (en principe la première semaine d’octobre). Son
pouvoir législatif – à travers la procédure
dite de codécision – sera généralisé notamment en matière budgétaire, agricole
et dans les domaines de la justice et de
l’immigration.
Les textes adoptés par le Parlement de
Strasbourg concerneront de plus en
plus aussi bien les entreprises que les
citoyens. Il serait donc temps que les
dirigeants européens se préoccupent
de le faire mieux connaître. Il est impératif d’établir un lien entre les parlements nationaux et le Parlement européen. Le Traité de Lisbonne confère
indirectement un certain pouvoir d’initiative législative aux parlements nationaux en leur permettant, à des majorités renforcées, d’obliger en quelque
sorte la Commission européenne à traiter d’un sujet particulier, dont ensuite
le Parlement européen pourrait avoir à
discuter. La formule est intéressante.
Il faudra toutefois vérifier qu’elle contribue à rapprocher effectivement les institutions communautaires des institutions politiques nationales.
En tous les cas, l’urgence est de faire
connaître le Parlement européen aux
citoyens, car les entreprises, elles, ont
pris l’habitude de suivre attentivement
les législations en discussion, et sont
donc familiarisées avec son fonctionnement.
dans notre pays en particulier depuis la
création de la Commission de la concurrence présidée par Jean Donnedieu
de Vabres, remplacée en 1986 par le
Conseil de la concurrence, auquel a succédé cette année l’Autorité de la concurrence présidée par Bruno Lasserre !
L’Europe a acquis une véritable culture
de la concurrence à tous les niveaux, représentant un élément de dynamisme et
d’équité à la fois. Il faut la préserver en
dépit de la crise économique et sociale
que nous vivons.
RLC : Quel est selon vous le rôle de la
politique de concurrence communautaire
en cette période de crise économique?
N.L. : Le droit de la concurrence aurait
pu être purement et simplement mis de
côté du fait des circonstances exceptionnelles de la crise systémique bancaire
qui a failli entraîner l’écroulement du
système financier mondial. Le respect
des exigences découlant des critères de
Maastricht sur la maîtrise des déficits publics et de la dette publique n’a-t-il pas
été repoussé à une date ultérieure, et
d’ailleurs non précisée à ce jour ?
Je voudrais saluer le choix fait par les
instances communautaires, sous l’impulsion de Neelie Kroes, Commissaire
à la Concurrence, de maintenir l’application du régime des aides d’État et de
permettre à la Commission européenne
de mettre un peu d’ordre dans les interventions étatiques en faveur des
banques et des secteurs industriels les
plus touchés. La base juridique retenue
– l’article 87-3, b) – prévoyant la possibilité de telles aides « pour remédier à
une perturbation grave de l’économie
d’un État membre » a légitimé des plans
d’aide d’une ampleur sans précédent,
certes, mais pas sans condition ni
contrôle.
On a beau jeu de dire que la Commission n’a pas été très regardante du fait
de l’urgence d’empêcher les faillites bancaires. Le traumatisme de la déconfiture
de Lehmann Brothers le 15 septembre
2008, le rend compréhensible. Je trouve
néanmoins que la Commission a su se
réorganiser pour statuer très rapidement
sur les plans d’aides d’État tout en posant des exigences que les États ont dans
l’ensemble acceptées, notamment en ce
qui concerne les compensations à verser par les établissements aidés.
Le gouvernement américain, n’ayant pas
à sa disposition de législation en matière
d’aides d’État, n’a pas eu ce point d’appui pour négocier avec les banques et
les industries auxquelles pourtant il a
versé des sommes colossales.
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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91
« LE DROIT DE LA CONCURRENCE, GARANT DU MARCHÉ COMMUN, EST AU FONDEMENT DE LA CONSTRUCTION ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE
DE L’EUROPE »
RLC : Pensez-vous que les interventions
communautaires ont été jusqu’ici appropriées en matière d’aides d’État, notamment ?
N.L. : Oui. En particulier, les quatre Communications de la Commission sur l’aide
au secteur bancaire (oct. et déc. 2008, févr. et juill.
2009) ont bien campé le décor. Elles ont
fermement réaffirmé les principes présidant au régime des aides d’État qui, pour
être compatibles avec le Marché commun, doivent répondre à certaines caractéristiques (proportionnalité, adéquation, conditionnalité, contribution
financière significative des bénéficiaires).
Ces conditions ont été adaptées à la situation. La Commission a cherché à ne
pas entraver l’action des États venus au
secours de leur système bancaire. Mais
elle a été claire sur les principes économiques et éthiques à respecter. Elle a regardé de près les engagements des
banques de maintenir un certain encours
de crédit pour financer l’économie, à rétribuer les États prêteurs ou apporteurs
de fonds propres, à contribuer financièrement à leur restructuration. Elle a rappelé que les aides d’État, et en particulier
les apports en capitaux de l’État, ne doivent pas occasionner un transfert des
contribuables en faveur des actionnaires
ou des dirigeants. D’où les recommandations de modération de la politique de distribution des dividendes et de la politique
de rémunérations des bénéficiaires. Dans
le même esprit, ces derniers ont été appelés à ne pas utiliser les aides pour des
opérations de croissance externe agres-
sives qui n’auraient pas pu être menées
sans le concours des contribuables.
Reste aux États membres et à la Commission de faire respecter ces conditions
élémentaires et de bon sens. Le droit européen des aides d’État sera jugé à son
efficacité pour avoir facilité la sortie de
crise et sauvé des pans entiers de l’économie, dont le secteur bancaire, mais
aussi pour avoir intégré davantage
d’éthique dans les affaires, y compris
concernant les rémunérations des dirigeants, des traders et des actionnaires.
RLC : Quels sont selon vous les défis
majeurs pour l’Europe de demain en
droit de la concurrence ?
N.L. : Les défis principaux auxquels l’Europe est confrontée en droit de la concurrence sont liés à la mondialisation.
D’une part, le droit de la concurrence se
doit de concilier la nécessité de créer ou
renforcer des champions européens mondiaux et la non moins grande nécessité
de lutter contre les abus de position dominante qui privent le marché de ses avantages intrinsèques. Je songe à l’énergie.
Le droit de la concurrence a un rôle capital à jouer dans la mise en place d’une
politique européenne de l’énergie qui nous
assure une indépendance économique et
politique sur le long terme. Or ce n’est
pas gagné.
D’autre part, l’Europe devrait être le promoteur d’un droit international de la
concurrence. J’ai assisté à plusieurs réunions à l’OCDE qui réunissaient des autorités de concurrence du monde entier.
Tous les pays adoptent le même dogme.
Mais il y a parfois loin de la théorie à la
pratique, et les atteintes à la concurrence
sont légions sur le plan mondial, sans
parler même du dumping fiscal, environnemental et social qui est le droit commun dans beaucoup de pays émergents.
Sur les plans européen et national, il me
semble que le droit des aides d’État a un
bel avenir. Il ne doit pas être conçu uniquement comme un droit de crise, permettant la mobilisation d’aides publiques
pour éviter la faillite d’entreprises en difficulté ou de l’économie elle-même. Les
aides d’État doivent être également considérées comme des outils d’une gouvernance économique européenne destinée
à promouvoir l’innovation et favoriser un
développement régional équilibré assurant la cohérence économique et territoriale de l’espace européen.
En dehors de ces nouveaux enjeux, reste
bien entendu au premier plan de l’actualité juridique, le problème de la
régulation du marché par la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence. Comme la crise
bancaire l’a révélé, la régulation dans le
domaine de la concurrence est bien plus
cohérente qu’en matière financière. Les
contentieux auxquels cette régulation
donne lieu, et que le Pôle concurrence
du cabinet Jeantet appréhende de longue
date, contribuent en effet à la définition
d’un code de bonne conduite que les
entreprises ont intégré dans leurs stratégies commerciales.
Propos recueillis
par Julie VASA
BIOGRAPHIE EXPRESSE
Née le 27 avril 1948 à Neuilly-sur-Seine
1972-1982 : Administrateur du Sénat
1982-1984 : Directeur de la réglementation de la CNIL
1984-2001 : Maître des requêtes au Conseil d’État, et Commissaire du gouvernement à la section du Contentieux
1988-1990 : Directeur de cabinet du ministre de la Justice
1990-1991 : Chargée de mission pour la bioéthique auprès du Premier ministre
1992-1998 : Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO
1992 : Membre et présidente du Groupe européen d’éthique pour la recherche et les technologiques nouvelles de l’Union européenne
1992-2001 : Membre du Conseil constitutionnel
Depuis 2001 : Conseiller d’État
2001 : Visiting professor à Columbia University Law School
2002-2004 : Ministre déléguée aux Affaires européennes
2003 -2004 : Secrétaire générale pour la Coopération franco-allemande
2004-2009 : Avocate au sein du cabinet Debevoise & Plimpton
Depuis 2004 : Présidente fondatrice du Cercle des Européens
Depuis 2004 : Présidente de l’Institut de l’Europe d’HEC et professeur affilié à HEC
2006-2007 : Chargée d’une mission sur le statut de la société européenne par le garde des Sceaux
Depuis 2009 : Avocate au sein du cabinet Jeantet
92
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
R LC
PERSPECTIVES ÉTUDE
1443
L’année 2008 a été jalonnée de réformes dans le secteur de la publicité, dont notamment la transformation
du BVP en Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Après s’être attachée à observer
les implications de ces modifications sur l’objet et les formes de la publicité (cf. RLC 2009/19, n° 1382),
Linda Arcelin-Lécuyer aborde à présent le contenu même du message publicitaire, se concentrant
sur les diverses pratiques illicites rencontrées en la matière.
Droit de la publicité :
bilan de l’année 2008
(2de partie)
Par Linda
ARCELIN-LÉCUYER
Maître de conférences
en droit privé à la Faculté
de droit de La Rochelle
Membre du CEJLR
(...)
III. – CONTENU DU MESSAGE
PUBLICITAIRE
22. Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour
le développement de la concurrence au
service des consommateurs. – La loi
Chatel, complétée par la loi LME du 4 août
2008, transpose enfin la directive
n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative
aux pratiques commerciales déloyales.
La transposition se fait a minima, le législateur attendant que la Commission
européenne publie un nouveau règlement
tendant à libéraliser les promotions de
ventes et à renforcer, réciproquement,
l’information des consommateurs (cf. Raymond G., Les modifications au droit de la consommation apportées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs,
Contrats, conc., consom. 2008, étude 3). L’article
L. 120-1 du Code de la consommation
pose le principe d’interdiction des pratiques commerciales déloyales. La transposition n’a pas repris la définition des
pratiques commerciales. Au sens de la
directive, il faut entendre ce terme comme
« toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale,
y compris la publicité et le marketing, de
la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la
fourniture d’un produit aux consommateurs » (art. 2, d)). On comprend donc que
la pratique commerciale ne se résume
pas uniquement à la publicité, mais peut
englober d’autres formes (cf. Fournier S., De la
Droit I Économie I Régulation
publicité fausse aux pratiques commerciales trompeuses, Dr.
pén. 2008, étude 4; Lasserre Capdeville J., La substitution du
délit de pratiques commerciales trompeuses au délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, LPA 2008, n° 234,
p. 8; Arcelin-Lécuyer L., Campagne de Leclerc pour les médicaments non remboursés : ceci n’est pas une publicité…,
JCP E 2008, n° 2499). Selon l’article L. 120-1, la
déloyauté est, elle, définie par deux critères cumulatifs : une contrariété « aux
exigences de la diligence professionnelle »
et le fait d’« altérer ou [d’être] susceptible
d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur
normalement informé et raisonnablement
attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou
d’un service ». La première condition s’entend des règles professionnelles type codes
de déontologie ou encore règles émises
par l’ancien BVP. Par extension, on pourrait considérer que toute pratique illicite
enfreint des règles de déontologie professionnelle. La seconde condition renvoie à
une interprétation objective de l’altération
du comportement du consommateur. Elle
fait appel à la notion de consommateur
normalement informé et raisonnablement
avisé chère au droit communautaire
(cf. Arcelin L., La publicité comparative, à la croisée des
intérêts des consommateurs et des concurrents, RLC 2007/13,
n° 949, pts. 22 et s.) et qui n’est pas loin du
concept de bon père de famille du droit
français. La loi distingue ensuite les pratiques trompeuses et les pratiques agressives. Les premières regroupent les pratiques commerciales par action visant
consommateurs et professionnels (art. L. 121III) et celles par omission visant uniquement les consommateurs. L’article L. 1211-I dispose ainsi qu’« une pratique
commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu’elle crée une confusion avec
un autre bien ou service, une marque, un
nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent ;
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations,
indications ou présentations fausses ou
de nature à induire en erreur et portant
sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du
bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son
mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude
à l’usage, ses propriétés et les résultats
attendus de son utilisation, ainsi que les
résultats et les principales caractéristiques
des tests et contrôles effectués sur le bien
ou le service ;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix,
le caractère promotionnel du prix et les
conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d’un
service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ;
e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de
la vente ou de la prestation de services ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et
les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les
droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte
de laquelle elle est mise en œuvre n’est
pas clairement identifiable ».
Certains éléments sont nouveaux, comme
la disponibilité des biens, les résultats
attendus de son utilisation ou bien encore les données visées aux points c), d)
et g). Est également une nouvelle tromperie le fait de ne pas identifier clairement la personne pour le compte de
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
93
DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2 DE PARTIE)
laquelle est mise en œuvre la pratique
commerciale. Néanmoins, la jurisprudence avait déjà tendance à entendre de
façon compréhensive la liste limitative
de l’ancien article L. 121-1 et donc à inclure ces éléments. On note également
que la confusion créée avec un autre
bien, marque, nom commercial ou autre
signe distinctif d’un concurrent ne sera
plus sanctionnée uniquement sur la base
de la contrefaçon mais entre dorénavant
dans l’incrimination de pratique commerciale trompeuse (art. L. 121-1-I-1°). Ensuite, l’article L. 121-1-II appréhende les
omissions trompeuses tournées uniquement vers le consommateur (art. L. 121-1III) : « une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des
limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit
de façon inintelligible, ambiguë ou à
contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que
celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Dans toute communication commerciale
constituant une invitation à l’achat et
destinée au consommateur mentionnant
le prix et les caractéristiques du bien ou
du service proposé, sont considérées
comme substantielles les informations
suivantes :
1° Les caractéristiques principales du bien
ou du service ;
2° L’adresse et l’identité du professionnel ;
3° Le prix toutes taxes comprises et les
frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s’ils ne
peuvent être établis à l’avance ;
4° Les modalités de paiement, de livraison, d’exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors
qu’elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine
d’activité professionnelle concerné ;
5° L’existence d’un droit de rétractation,
si ce dernier est prévu par la loi ».
Les sanctions sont prévues à l’article
L. 213-1 : deux ans d’emprisonnement
et une amende de 37 500 euros, sachant
que l’amende peut être portée à 50 %
des dépenses de la publicité ou de la pratique constituant le délit (art. L. 121-6).
Les pratiques commerciales agressives
sont énumérées aux articles L. 122-11 à
L. 122-15. Deux conditions sont requises :
la pratique commerciale agressive résulte
de sollicitations répétées et insistantes ou
de l’usage d’une contrainte physique ou
morale, et conduit à une altération du
consentement du consommateur ou à
une entrave de ses droits contractuels.
L’article L. 122-11-1 énumère, limitative-
94
ment, huit pratiques réputées agressives
au rang desquelles figure le fait, « dans
une publicité, d’inciter directement les enfants à acheter ou à persuader leurs parents ou d’autres adultes de leur acheter
le produit faisant objet de la publicité ».
Une sanction pénale est prévue aux articles L. 122-12 (2 ans d’emprisonnement et une
amende de 150000 euros) et L. 122-13 (interdiction
d’exploiter une activité commerciale pendant 5 ans au plus),
ainsi qu’une sanction civile consistant en
la nullité du contrat siège de la pratique
commerciale agressive (art. L. 122-15).
23. Feu BVP! Vive l’ARPP.– Le 25 juin
2008, le BVP a laissé place à l’Autorité de
régulation professionnelle de la publicité
(ARPP). Son conseil d’administration est
composé des trois professions impliquées
dans la production et la diffusion des campagnes publicitaires, à savoir les annonceurs, les agences et les médias. Elle est
assistée de trois instances : une instance
morale, le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP) chargée d’anticiper les problèmes fondamentaux que posent le
contenu de la publicité, sa diffusion, son
évolution et son acceptabilité par la société ; une instance de concertation, le
Conseil paritaire de la publicité (CPP),
ayant pour mission de faire évoluer les
règles professionnelles de la publicité en
concertation avec les diverses associations
et organisations; une instance de sanction, le Jury de déontologie publicitaire
(JDP) présidé par Marie-Dominique Hagelsteen, ancienne présidente du Conseil
de la concurrence, et chargé de statuer
sur les plaintes du public. Le JDP est opérationnel depuis le 7 novembre 2008 et
peut procéder à une publication de ses
décisions et, en cas d’entrave, prononcer
des sanctions allant jusqu’à la demande
de cessation immédiate de diffusion du
message publicitaire. Cette réforme
consacre le passage d’un système d’autorégulation à un système de corégulation,
les membres du CPP étant issus notamment des associations de consommateurs
ou environnementales. Comme son prédécesseur, l’ARPP réalise chaque année
diverses études ou bilans. Est ainsi paru
le Bilan 2007 « Publicité et image de la personne humaine » faisant le point sur les
96 manquements à la recommandation
de 1998 « Image de la personne humaine ».
L’ARPP observe ainsi une résurgence du
porno-chic essentiellement dans le secteur de l’habillement de luxe. L’environnement est encore au centre des préoccupations de l’autorité de régulation. Le
11 avril 2008, une Charte d’engagement
et d’objectifs pour une publicité coresponsable a été signée entre le ministre de
l’Écologie, de l’Énergie, du Développe-
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
ment durable et de l’Aménagement du
territoire, le secrétaire d’État chargé de
l’Industrie et de la Consommation et le
BVP à l’époque. Il s’agit de lutter contre
le recours abusif à des arguments environnementaux dans les publicités ou les
publicités mettant en scène des comportements contraires à l’exigence de protection de l’environnement.
A. – Publicité comparative
24. Notion de publicité comparative.
Exigence d’un lien de concurrence.–
Selon une jurisprudence communautaire
constante, la publicité comparative s’entend de façon « large », « de sorte qu’il
suffit qu’il existe une communication faisant, même implicitement, référence à
un concurrent ou aux biens ou aux services qu’il offre pour qu’il y ait publicité
comparative » (CJCE, 9 avr. 2007, aff. C-381/05, De
Landtsheer c/ Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, Veuve Clicquot Ponsardin SA, Contrats, conc., consom.
2007, comm. 161, obs. Raymond G., RLC 2007/13, n° 949.
En dernier lieu, CJCE, 12 juin 2008, aff. C-533/06, O2 Holdings Limited, O2 (UK) Limited; CA Paris, 5e ch., sect. A,
18 juin 2008, n° 07/11100, Carrefour c/ Galec). Ce qui
importe est l’identification d’un concurrent ou de ses biens ou services. Partant,
« lorsque l’utilisation dans une publicité
d’un signe similaire à la marque d’un
concurrent de l’annonceur est perçue par
le consommateur moyen comme une référence à ce concurrent ou aux biens et
aux services qu’il offre (…) il y a publicité comparative ». L’existence d’une
concurrence entre l’annonceur et l’entreprise mentionnée est donc une prémisse : à défaut, il ne peut y avoir de publicité comparative. C’est ce qu’a jugé la
Cour d’appel de Paris le 19 mars 2008.
Une société vendant sur Internet des compléments alimentaires présentait sur son
site un tableau comparant 58 marques
concurrentes, chacune faisant l’objet
d’une notation en fonction d’un certain
nombre de paramètres. L’un des titulaires
d’une marque lui reprocha de se livrer à
une publicité comparative illicite pour
manque d’objectivité et de pertinence.
La Cour ne procède pas à la vérification
des conditions de licéité, tout simplement parce qu’il n’existait aucun lien de
concurrence entre les deux entreprises,
ce qui exclut toute publicité comparative. De façon assez pédagogique, les
juges rappellent que, « en droit, la publicité comparative est définie par l’article
L. 121-8 du Code de la consommation
comme celle qui met en comparaison des
biens ou des services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens et des services offerts
par un concurrent. Or (…) en l’espèce, la
société DDI n’est (…) qu’un simple dé-
Droit I Économie I Régulation
16.030, Bull. civ. I, n° 274, concernant les tests comparatifs
réalisés par UFC-Que choisir?) puisque l’action en
concurrence déloyale n’exige pas une situation de concurrence directe ou effective entre les parties en cause mais seulement l’existence de faits fautifs
générateurs d’un préjudice (Cass. com., 12 févr.
2008, n° 06-17.501, Bull. civ. IV, n° 32, D. 2008, p. 2573,
note Picod Y., D. 2008, obs. Chevrier É., Contrats, conc.,
consom. 2008, comm. 103, note Malaurie-Vignal M.).
25. Usage de la marque d’autrui.– L’arrêt du 12 juin 2008 est aussi l’occasion
pour la CJCE de préciser les liens entre
les directives n° 89/104 sur les marques
et, à l’époque des faits, n° 84/450 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative. Dans cette affaire relative au secteur de la téléphonie mobile
en Grande-Bretagne, il était reproché à
la société H3G d’avoir engagé une campagne publicitaire se servant des images
de bulles de ses concurrents O2 et
O2 (UK), images déposées à titre de
marque par ces dernières. La juridiction
anglaise posa une série de questions préjudicielles à la CJCE visant notamment
à savoir si l’usage de la marque d’autrui
dans une publicité comparative doit être
« indispensable » et dans l’affirmative, si
l’on peut se référer à un signe non pas
identique mais étroitement similaire à la
marque déposée. La Cour fait observer
dans un premier temps que l’utilisation
dans une publicité comparative d’un
signe identique ou similaire à la marque
d’un concurrent peut constituer un usage
au sens de l’article 5 de la directive
n° 89/104, puisque l’annonceur en vient
à identifier les produits et services du
concurrent. Ce dernier pourrait donc s’op-
Droit I Économie I Régulation
poser à cette référence. Mais dans un second temps, la CJCE souligne que le droit
conféré à la marque peut être limité, en
particulier dans le domaine de la publicité comparative si celle-ci répond aux
conditions de licéité. À ce titre, la Cour
précise les relations entre les deux directives : « lorsque les conditions requises à
l’article 5, § 1, b) de la directive n° 89/104
pour interdire l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque enregistrée sont réunies, il est exclu que la publicité comparative dans laquelle ce signe
est utilisé satisfasse à la condition de licéité énoncée à l’article 3 bis, § 1, d) de
la directive n° 84/450 ». Les juges visent
ici le risque de confusion qui pourrait
justifier l’interdiction de l’usage de la
marque et qui s’interprète de la même
Le droit conféré
à la marque peut être
limité, en particulier
dans le domaine
de la publicité
comparative
si celle-ci répond
aux conditions de licéité.
façon selon les directives : « ainsi, dans
l’hypothèse de l’utilisation par un annonceur, dans une publicité comparative,
d’un signe identique ou similaire à la
marque d’un concurrent, soit le concurrent n’établit pas l’existence d’un risque
de confusion et, partant, n’est pas habilité à faire interdire l’utilisation de ce
signe sur le fondement de l’article 5, § 1,
b) de la directive n° 89/104, soit il établit l’existence d’un risque de confusion
et, partant, l’annonceur ne peut s’opposer à une telle interdiction en application
de l’article 3 bis, § 1, de la directive
n° 84/450, faute pour la publicité en cause
de satisfaire à toutes les conditions énoncées à cette disposition ». En l’espèce, la
Cour constate que la publicité litigieuse
n’a pas créé de risque de confusion, entendu comme « le risque que le public
puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même
entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises
liées économiquement » et apprécié dans
le contexte dans lequel le signe similaire
aux marques a été utilisé.
26. Comparateurs en ligne. Charte de
bonne conduite.– Signalons que le 11 juin
2008 a été signée une Charte des comparateurs en ligne à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération e-commerce
et vente à distance (FEVAD) prévoyant
d’une part, des règles en matière de trans-
PERSPECTIVES ÉTUDE
taillant de compléments alimentaires dont
le site internet <www.lesproteines.com>
se présente exclusivement sous la forme
d’un site de revendeur multimarques de
compléments alimentaires, de sorte que
le tableau litigieux ne fait que comparer
l’ensemble des produits qu’elle offre à la
clientèle ; ainsi l’exigence de concurrence
qui préside à la reconnaissance de la publicité comparative n’étant pas remplie,
la publication du tableau litigieux n’est
donc pas constitutive d’une publicité comparative en ce que les sociétés DDI et L1S
ne sont pas en situation de concurrence ».
Reste que le lien de concurrence peut
être plus ou moins lâche, ce qui peut
conduire à considérer comme étant en
concurrence un producteur de champagne et un producteur de bière (cf. CJCE,
9 avr. 2007, aff. C-381/05, préc.). Si l’action fondée
sur le Code de la consommation est irrecevable, en revanche, une action fondée sur l’article 1382 du Code civil est
envisageable (cf. Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-
parence vis-à-vis des utilisateurs et d’autre
part, des règles sur les relations des sites
comparateurs avec les sites marchands
(<www.fevad.com/images/Publications/charte_comparateur_062008.PDF>). Sept comparateurs en ligne
ont signé la Charte, mais pas (encore?)
Leclerc, dont les méthodes ont pourtant
été un temps décriées.
27. Comparateurs en ligne. Méthode.–
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 juin
2008 Carrefour c/ Le Galec (CA Paris, 18 juin 2008,
n° 07/11100, préc., Comm. com. électr. 2008, comm. 104, obs.
Debet A.) est le dernier épisode dans la saga
jurisprudentielle du comparateur en ligne
de Leclerc. Rappelons que Carrefour avait
contesté les comparaisons faites sur le site
<quiestlemoinscher.com> du Groupement d’achats des Centres Leclerc (Galec). Le 7 juin 2006, le président du Tribunal de commerce de Paris avait
condamné le Galec pour publicité comparative illicite car les données de comparaison n’étaient pas vérifiables. Tirant
la leçon de cette condamnation, le Galec
avait rectifié sa méthode, jugée satisfaisante par le Tribunal de commerce de Paris qui avait été saisi à nouveau par Carrefour (T. com. Paris, 15e ch., 29 mars 2007, RLDI 2007/29,
n° 952, obs. Grynbaum L.). Ce dernier a interjeté
appel de ce jugement, rejeté par la Cour
d’appel de Paris. Celle-ci, se référant à la
jurisprudence communautaire, va effectivement appliquer la définition « large »
de la publicité comparative (cf. la 1re partie de
notre article, RLC 2009/19, n° 1382, pt. 17). Elle retient
ainsi qu’il est « tout à fait loisible à l’auteur d’une publicité comparative (…) de
choisir les paramètres qui lui sont favorables dès lors que ceux-ci sont matériellement exacts et vérifiables et ne présentent pas de caractère trompeur en occultant
une circonstance précise dont la connaissance aurait été de nature à faire renoncer un nombre significatif de consommateurs à leur décision d’achat ». La position
inverse aurait fait perdre à la publicité
comparative tout intérêt. Ce libre choix
des paramètres relève, dit la Cour, « de la
seule liberté économique de l’annonceur »
et à partir du moment où les données
sont fondées sur des réalités appréhendables et vérifiables, le concurrent ne peut
s’y opposer et n’a plus que l’alternative
de « lui répliquer par sa propre publicité
comparative sur la base de paramètres
autres qu’il estimerait lui être plus favorables ». Sur la méthode employée, la
Cour d’appel se montre tout aussi favorable au Galec. En effet, Carrefour avançait que le comparatif contenait environ
15 % de prix erronés. La société apportait pour preuve les tickets de caisse mentionnant les prix corrects des produits
comparés. Les juges réfutent l’argument
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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95
DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2 DE PARTIE)
en retenant que seul compte le prix mentionné en rayon constituant « la seule offre
légale du commerçant » et que « les tickets de caisse comme le logiciel de caisse
n’établissent aucunement la réalité de
l’offre ». Il aurait fallu alors que Carrefour
apporte la preuve de la réalité de son offre
en rayon, unique moyen susceptible de
démontrer l’effectivité des erreurs alléguées, ce qu’elle ne fait pas.
28. Caddies de la ménagère.– Une fois
encore, la Cour de cassation s’est montrée stricte dans son appréciation de la
pratique des caddies de la ménagère. Les
faits sont assez similaires à ceux ayant
donné lieu à l’arrêt du 9 mai 2007 (Cass.
crim., 9 mai 2007, n° 06-86.373, Bull. crim., n° 119, D. 2007,
p. 2144, note Arcelin L., D. 2007, p. 1658, obs. Rondey C.,
Contrats, conc., consom. 2007, comm. 314, obs. Raymond G.,
Gaz. Pal. 2007, p. 2759, obs. M. B., RLDA 2007/18, n° 1108,
obs. Anadon C. Sur renvoi, CA Bordeaux, 5 mars 2008,
n° 07/01350). Un centre Leclerc avait exposé
à l’entrée du magasin deux caddies remplis pour l’un de ses produits et pour
l’autre de ceux de son concurrent local
Leader Price. Bien évidemment, la comparaison en termes de prix tournait à
son avantage. Les sociétés Distribution
Leader Price et Leader Price Région Sud
saisirent le Tribunal correctionnel pour
publicité comparative illicite. Déboutées
en première instance, elles firent appel
devant la Cour d’appel d’Amiens qui, le
11 avril 2007, leur donna gain de cause.
Le président du conseil d’administration
de la société exploitant le magasin E. Leclerc en cause et le directeur de celui-ci
furent déclarés responsables d’une publicité comparative illicite et condamnés à réparer le préjudice subi par l’enseigne locale Leader Price. La chambre
criminelle de la Cour de cassation rejeta
leur pourvoi le 4 mars 2008 (Cass. crim.,
4 mars 2008, n° 07-83.628, Bull. crim., n° 57, D. 2008,
p. 1051, obs. Rondey C.). Elle jugea que « la re-
production des seuls tickets de caisse ne
permettait pas au consommateur de s’assurer que les produits comparés, qui, pour
certains, présentaient des différences de
qualité, de poids, de contenance et de
composition, et qui étaient placés dans
des chariots recouverts d’un film plastifié, présentaient les mêmes caractéristiques essentielles, de sorte que leur comparaison ne pouvait être opérée de façon
objective ». Or, poursuit-elle, « lorsque
les éléments de comparaison sur lesquels
repose la caractéristique mentionnée dans
la publicité comparative ne sont pas énumérés, le destinataire du message publicitaire doit être mis en mesure, par l’annonceur, d’en vérifier l’exactitude ainsi
que celle de la caractéristique en cause ».
La Cour ne revient pas sur le défaut d’ob-
96
jectivité de la publicité mais s’attarde
uniquement sur la question de l’accessibilité des consommateurs aux éléments
de comparaison. Cependant, la Cour
n’est guère plus précise en 2008 qu’en
2007 sur les conditions de cette accessibilité. Comme nous l’avions indiqué à
propos de l’arrêt de 2007 (note préc.), « en
pratique, la confrontation des tickets ne
suffisant pas, l’annonceur devra établir
lui-même la liste des produits comparés
et leurs caractéristiques essentielles. Mais
de quelle façon ? Doit-il apposer cette liste
sur les caddies ou bien peut-il se contenter de renvoyer par exemple à son site
Internet ou à un catalogue publicitaire? ».
La position de la chambre commerciale
semble au demeurant assez stricte, notamment par rapport à l’approche plus
libérale de la CJCE (CJCE, 19 sept. 2006, aff. C-
Si la CJCE tient compte
de cette évolution,
la Cour de cassation
a encore du mal à sortir
d’une approche
protectrice voire
surprotectrice
du consommateur.
256/04, Lidl Belgium GmbH & Co KG, pt. 256 : Contrats,
conc., consom. 2006, comm. 240; Gaz. Pal. 2007, doct., p. 3,
note Bille J.; Boulet L., Publicité comparative d’assortiments
de produits : comparons les interprétations européenne et
française, Comm. com. électr. 2007, chron. 24) qui juge
que « la possibilité pour le consommateur d’obtenir de l’annonceur, dans le
cadre d’une procédure administrative ou
judiciaire, des preuves de l’exactitude
matérielle des données contenues dans
la publicité n’est pas de nature à dispenser cet annonceur, lorsque les produits et
les prix comparés ne sont pas énumérés
dans le message publicitaire, de l’obligation d’indiquer, notamment à l’attention des destinataires de ce message, où
et comment ceux-ci peuvent prendre aisément connaissance des éléments de la
comparaison aux fins d’en vérifier ou
d’en faire vérifier l’exactitude ». Pour la
CJCE, l’important est que l’information
soit accessible au consommateur qui
peut alors se renseigner par lui-même.
Ce dernier ne doit pas rester passif, ce
qui est confirmé par des études récentes.
À titre d’exemple, le Rapport Beigbederg
sur le Low Cost relève ainsi que « le
consommateur jusqu’ici passif se transforme de plus en plus en client arbitre,
prêt à faire des concessions sur certaines
caractéristiques des produits et services,
en contrepartie d’un prix plus faible »
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
(p. 95). Si la CJCE tient compte de cette
évolution, la Cour de cassation a encore
du mal à sortir d’une approche protectrice voire surprotectrice du consommateur.
29. Personnes responsables.– L’arrêt du
4 mars 2008 est d’autant plus sévère qu’il
rejette l’argument selon lequel le dirigeant du magasin avait délégué ses pouvoirs dans le domaine à un directeur salarié ce qui lui aurait permis d’échapper
à sa responsabilité. La chambre criminelle s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond et consacre l’idée
que, du fait de l’importance stratégique
de l’opération quant à l’activité du magasin, le dirigeant avait conservé, concurremment à la délégation de pouvoirs, « la
faculté et l’initiative de mettre en œuvre
une telle action commerciale et de la faire
cesser, aux côtés de son directeur salarié ». Sauf à ce qu’il y ait une mention
explicite dans la délégation, seule exception visée par la Cour, le dirigeant est
censé avoir conservé ses pouvoirs et reste
donc responsable. Dans le cas contraire,
le dirigeant peut s’exonérer de sa responsabilité. Ainsi, dans un arrêt du 27 mai
2008, la chambre criminelle, après avoir
rappelé que « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas
personnellement pris part à la réalisation
de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve
qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires », censure les juges du fond pour avoir déclaré
la dirigeante responsable alors qu’ils auraient dû « tirer les conséquences de la
valeur et de l’étendue de la délégation de
pouvoirs établie par la prévenue et portant sur la promotion publicitaire, dont
[les juges ont] constaté l’existence » (Cass.
crim., 27 mai 2008, n° 07-87.122).
30. Publicité comparative de nature à
induire en erreur.– L’article L. 121-8-1°
du Code de la consommation exige que
la publicité comparative ne soit pas trompeuse ou de nature à induire en erreur.
La société Ucar est condamnée pour ne
pas avoir respecté cette condition (Cass.
com., 1er juill. 2008, n° 07-15.839, Contrats, conc., consom.
2008, comm. 263, obs. Raymond G.). Elle avait axé
sa campagne de publicité autour des tarifs pratiqués par elle et son concurrent
Ada pour la location d’un même modèle
de voiture, pour un même nombre de kilomètres. La campagne avait été diffusée à Paris, alors qu’Ucar n’y disposait
que de quatre agences, fermées le samedi, ce qui obligeait les clients à se
déplacer extra-muros. Cette omission est
Droit I Économie I Régulation
31. Publicité comparative et dénigrement.– Se comparer à son concurrent
peut consister à montrer que l’on est
meilleur que lui, ou bien qu’il est moins
bon que soi. Ce second cas de figure peut
s’apparenter à du dénigrement. C’est ce
qu’avait par exemple jugé le Tribunal de
commerce de Paris le 28 avril 2006, à
propos d’une publicité d’Anacours débutant par la phrase suivante « Mon tailor is rich ». Cette citation rappelle la méthode d’apprentissage de l’anglais
développée par Assimil dont la première
leçon commence justement par « my tailor is rich ». Le Tribunal a considéré qu’il
y avait dénigrement de la société Assimil au motif que « la reprise dans le spot
publicitaire litigieux de la phrase “mon
tailor is rich”, si elle est susceptible de
provoquer une réaction amusée de la part
de l’auditeur est bien susceptible de porter un discrédit sur la méthode d’enseignement de Assimil à laquelle il est invité à substituer la méthode d’Anacours ;
ce discrédit est augmenté en remplaçant
“my” par “mon” sans qu’Anacours n’explique la raison de ce remplacement ».
Saisie d’un recours, la Cour d’appel de
Paris a confirmé l’existence d’un dénigrement et la condamnation d’Anacours
(CA Paris, 18 janv. 2008). La caractérisation d’un
acte de dénigrement peut parfois être
plus délicate. Par exemple, communiquer
la « mauvaise volonté » du concurrent
comparé peut-il être constitutif d’un dénigrement de la part de l’annonceur ?
Carrefour l’affirmait dans l’affaire du
comparateur de prix l’opposant au Galec. En effet, le site de Leclerc mentionnait que certains magasins Carrefour
avaient refusé l’accès à leurs locaux aux
émissaires du Galec. Faute de démontrer
la réalité des faits portant publiquement
atteinte à sa notoriété ainsi qu’à sa valeur professionnelle d’une part, et son
préjudice entendu comme un risque de
détournement de clientèle d’autre part,
les prétentions de Carrefour sont rejetées (CA Paris, 18 juin 2008, préc.). Là encore, la
Cour motive sa décision par la liberté
économique de l’annonceur dans ses
choix de stratégie commerciale et par le
fait qu’il s’est contenté de mentionner
un « fait objectif » qui ne peut être considéré, en tant que tel, comme un acte de
dénigrement. Les juges font ici preuve
d’une certaine bienveillance, car, comme
la sagesse populaire enseigne que toute
Droit I Économie I Régulation
vérité n’est pas bonne à dire, tout fait
objectif n’est pas bon à révéler. Certes,
la Cour pose une limite en précisant que
c’est « en tant que tel » que le fait objectif n’est pas acte de dénigrement. Faudrat-il alors démontrer l’intention malveillante ? Sans doute faudrait-il rechercher
si la mention de ce fait apporte une valeur supplémentaire à la comparaison.
En l’espèce, il n’est pas certain que cette
indication par Le Galec remplisse cette
condition. C’est une information supplémentaire qui témoigne de la mauvaise
grâce de Carrefour, mais qui n’ajoute rien
à la comparaison.
32. Sens de l’expression « tirer indûment profit de ».– On attendra avec impatience l’arrêt de la CJCE dans l’affaire
L’Oréal (CJCE, 5 nov. 2007, aff. C-487/07, L’Oréal, JOUE
12 janv. 2008, n° C 8). Saisie par une juridiction anglaise, la Cour devra répondre à
une série de questions préjudicielles tendant notamment à savoir, aux fins de
l’article 3 bis, g) de la directive n° 84/450,
quel est le sens de l’expression « tire (…)
indûment profit de » et en particulier, si
un commerçant comparant, dans une
liste comparative, son produit avec un
produit commercialisé sous une marque
notoirement connue, tire en cela indûment profit de la notoriété attachée à
cette marque. L’expression s’applique-telle aussi lorsque le commerçant fait
usage d’un signe similaire à une marque
enregistrée qui jouit d’une renommée et
qu’il n’y a pas de risque de confusion ?
B. – Publicité trompeuse
ou de nature à induire en erreur
33. Remise exceptionnelle et cadeaux
à gogo...– La pratique est bien connue :
pour l’achat d’un magnifique canapé ou
autre bien, le client, parfois sans négocier, mais parce qu’il est sympathique au
vendeur, se voit offrir une remise exceptionnelle de 50 % sur le produit, assorti
d’un cadeau tout aussi extraordinaire, à
savoir un coffret de six couteaux à viande
au manche imitation ivoire ou un réveilradio-CD-grille-pain… Cela prête à sourire mais ce genre de pratique touche
bien souvent des personnes vulnérables
qui cèdent aux sirènes d’un vendeur bien
habile et repartent du magasin croyant
avoir fait une bonne affaire, qui in fine
ne sera bonne que pour le professionnel. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de sanctionner ces comportements
en se fondant sur la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur (Cass.
crim., 29 juin 2004, n° 04-80.535; Cass. crim., 30 nov. 2004,
n° 04-83.749; Cass. crim., 7 févr. 2006, n° 05-82.580). L’ar-
rêt rendu par la chambre criminelle le
18 mars 2008 s’inscrit dans cette juris-
PERSPECTIVES ÉTUDE
de nature à induire le consommateur en
erreur, en ce que le service n’était pas
disponible à Paris le samedi. Dès lors, le
client n’était pas en mesure de procéder
à un constat objectif des différences entre
les offres respectives.
prudence constante (Cass. crim., 18 mars 2008,
n° 07-82.792). La Cour s’en remet à l’analyse souveraine des juges du fond qui
ont retenu que « la pratique de ristournes,
proposées par les vendeurs à des clients
hésitants et non informés du prix réel des
éléments d’équipement, de surcroît non
exposés dans le magasin, est confirmée
par Mme V... à laquelle Samuel A... avait
fait une ristourne de 3 399 euros, de
Mme M... à laquelle le directeur du magasin appelé par Osman Z... avait proposé une ristourne de 40 % sur les
meubles, de M. P..., auquel, après intervention du directeur du magasin, Osman Z... avait proposé une remise de
38 %, et de M. Q... qui avait bénéficié
d’une remise exceptionnelle de 53 % accordée par Léonardo D... ; que le montant même de ces ristournes, dites exceptionnelles, dont certaines avoisinent plus
de 50 % apparaît comme une incitation
des consommateurs, non avertis sur les
prix réels, à signer des bons de commande
et dès lors une publicité trompeuse au
sens de l’article L. 121-1 du Code de la
consommation ».
34. Tromperies.– Ont été jugées comme
publicités trompeuses : la remise à chaque
client d’un document contractuel mentionnant « l’aménagement sur mesure »
de la cuisine ou de la salle de bains proposée alors que, dans les faits, aucune
prise de mesure n’était effectuée avant
la prise de commande, la validation d’une
commande, après le passage du métreur
alors que la commande était définitive
dès sa signature (Cass. crim., 18 mars 2008, n° 0782.792) ; l’offre d’inscription diffusée par
la SARL Annuaire Pro en raison de sa
présentation (le document ainsi envoyé,
intitulé « Demande d’inscriptionÉpreuve », comportait au recto quatre
cases à cocher par le client en fonction
de la prestation choisie, dont trois mentionnaient un prix alors que la première
d’entre elles, correspondant à l’offre de
base, ne faisait état d’aucune tarification
et renvoyait à un paragraphe de onze
lignes écrites en lettres d’un millimètre,
placé en bas de page et consacré notamment au coût de cette prestation, fixé à
845 euros hors taxes par an, et à sa durée de souscription de deux années), de
son intitulé, de son absence de précision
quant à la spécificité de l’offre elle-même
et quant aux prestations offertes, et de
la période de diffusion choisie pour coïncider avec les diffusions de Pages Pro et
de Pages jaunes notamment. De surcroît,
les prospects devaient répondre dans de
brefs délais et étaient dès lors incités pour
toutes ces raisons à une lecture très
superficielle du document litigieux, en-
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2 DE PARTIE)
tretenant dans leur esprit la confusion
avec les autres annuaires professionnels, dont l’inscription de base est gratuite (Cass. crim., 19 févr. 2008, n° 07-83.858) ; le
fait d’annoncer des marchandises gratuites alors qu’elles sont livrées en quantités insuffisantes et ont été indisponibles pour des clients à certaines
périodes (Cass. crim., 21 oct. 2008, n° 08-82.594) ;
le fait d’organiser un jeu de hasard sans
aléa, tendant à offrir une semaine d’hébergement gratuite à chaque participant, qui devaient toutefois payer leurs
frais de transport à l’agence, dès lors
que le but du jeu gagnant est « de faire
arriver tous les participants dans un site
de vente de “time share” pour faire
contracter une vente après avoir fait
contracter l’achat des billets d’avion »
par l’agence et qu’elle était « incapable
de disposer des destinations et résidences
annoncées » (Cass. crim., 10 sept. 2008, n° 0880.076). En revanche, il n’y a pas tromperie à annoncer sur le site de la Fédération française des jeux que celui-ci
n’est accessible qu’aux personnes majeures, dès lors que le public ne pouvait se méprendre sur le sens du communiqué incriminé qui signifiait qu’en
réalité seule la mise d’argent en ligne
était interdite aux mineurs, puisque l’internaute doit être, pour lire ledit communiqué, déjà sur le site (Cass. crim., 3 juin
2008, n° 07-13.916).
C. – Publicité dénigrante
35.– Voir pt. 31, supra.
D. – Publicité et parasitisme
36. Citation de la marque d’autrui dans
la publicité.– Dans un arrêt du 4 juillet
2008 (CA Paris, 4 juill. 2008, n° RG : 07/05473), la
Cour d’appel de Paris a condamné L’Oréal
pour acte de parasitisme pour avoir utilisé la marque MC Peel n° 96 6499233
de la société Sunlab pour la promotion
de sa crème ReFinish. Le document publicitaire du produit mentionnait qu’il
s’agissait de réaliser une « micro-dermabrasion à domicile, qui serait une technique réalisée par les dermatologues pour
rajeunir la peau au moyen d’une exfoliation superficielle de la couche cornée ». Il
était précisé que ReFinish permettait d’appliquer plus aisément chez soi cette technique, sans avoir recours à un appareillage lourd tel que, sous entendu, celui
commercialisé par la société Sunlab et
dont une photographie, figurant en dernière page, montrait la marque MC Peel.
Les juges ont estimé que cette reproduc-
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tion est « intervenue dans la vie des affaires et plus spécialement pour la promotion commerciale d’un produit cosmétique supposé avoir la même fonction que
l’appareil représenté, mais avec l’avantage sous-entendu de s’y substituer aisément puisqu’il peut être appliqué manuellement à domicile et permet ainsi de
faire l’économie du recours au type d’appareil commercialisé par l’appelante ».
Le procédé aurait pu être admis s’il avait
respecté les conditions de licéité de la
publicité comparative, ce qui n’est pas
le cas. La Cour relève en effet que « la
reprise ainsi faite de la marque, porte atteinte aux droits de son titulaire d’en prohiber l’usage par un tiers, dans la vie des
affaires – mais en dehors du cadre de la
publicité comparative – pour la promo-
Le ton décalé
et l’humour peuvent-ils
tout racheter?
La réponse pourrait bien
être positive à la lecture
d’un arrêt de la Cour
d’appel de Paris.
tion de produits destinés à remplacer ceux
pour la désignation desquels la marque
est exploitée (…). Que par ailleurs, en
l’absence de toute comparaison entre les
appareils MC Peel et la crème ReFinish –
comparaison qui en ferait ressortir objectivement les caractéristiques et les différences – la société L’Oréal ne peut soutenir que cet usage s’inscrirait dans le cadre
d’une publicité comparative ». L’Oréal est
donc condamnée pour contrefaçon, mais
pas au titre de concurrence déloyale, les
faits n’étant pas distincts.
37. Ambush marketing et humour.– Le
ton décalé et l’humour peuvent-ils tout
racheter ? La réponse pourrait bien être
positive à la lecture d’un arrêt de la Cour
d’appel de Paris du 7 mars 2008. En l’espèce, le magazine TÊTU avait présenté
son numéro de l’été 2004 comme « Spécial JO d’Athènes » en reprenant les couleurs de l’emblème olympique et en faisant certains jeux de mots alliant les
termes d’Olympiades, de Jeux olympiques à celui de sexe… Le Comité national olympique et sportif français
(CNOSF) s’est ému de cette utilisation
et a tenté de la faire sanctionner pour at-
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
teinte aux marques et parasitisme, l’une
des voies d’appréhension de l’ambush
marketing (cf. Arcelin-Lécuyer L., De la difficulté d’appréhender l’opportunisme commercial : l’exemple de l’ambush marketing, D. 2008, p. 1501). La Cour d’appel
rejette la demande. Tout d’abord, elle
précise que si l’article L. 141-5 du Code
du sport dispose que « le Comité national olympique et sportif français est propriétaire des emblèmes olympiques nationaux et dépositaire de la devise, de
l’hymne, du symbole olympique et des
termes Jeux Olympiques et Olympiades »,
il demeure que l’article n’assure pas une
protection absolue de ces signes. Concernant ensuite l’emploi des termes, les juges
relèvent que la société éditrice n’a nullement cherché à s’associer à l’événement sportif mais que les références aux
« Olympiades » s’inscrivent dans un propos à l’évidence ludique et humoristique,
non dénigrant, et ne sauraient dès lors
caractériser une exploitation injustifiée
du signe « Olympiades ». Dans le même
sens, le ton humoristique, non dénigrant
et distancé, de l’emploi de la marque
« Jeux Olympiques » n’est pas de nature
à causer un préjudice au titulaire de droits
et pas davantage à caractériser une exploitation injustifiée de cette dernière.
Quant à la reproduction des couleurs,
elles « font référence à celles associées habituellement à la communauté homosexuelle ; il s’est en l’espèce simplement
agi d’une forme de clin d’œil à partir
d’une référence au “rainbow flag”, drapeau de cette communauté, qui se présente sous la forme d’une bannière tandis que les couleurs olympiques sont celles
des anneaux symbolisant les jeux qu’elle
n’a nullement reproduits ». Il ne saurait
y avoir parasitisme ni d’ailleurs pour la
reprise de chacun des signes pris isolément ou l’emploi de l’ensemble de ceuxci dans la mesure où « le contexte de la
reprise de ces références sportives, le ton
décalé et l’humour qui la sous-tend préviennent la réalisation d’un préjudice que
le CNOSF se borne d’ailleurs à alléguer
sans en justifier ». Décidément, avec le
sourire tout passe mieux… Mais c’est
aussi, comme le souligne la Cour d’appel, et peut-être surtout le contexte de la
reprise qui légitime celle-ci. L’ambush
marketing consiste à s’associer à l’événement sans bourse délier. Or, c’est cette
volonté d’association à la manifestation
qui fait défaut en l’espèce. Nul doute que
personne n’aura cru que TÊTU était par
là sponsor officiel des JO… ◆
Droit I Économie I Régulation
R LC
PERSPECTIVES ÉTUDE
1444
Face à la crise mondiale, certaines voix plaident en faveur d’un aménagement de la politique de la concurrence :
répressive à l’égard des entreprises, la politique de la concurrence devrait tenir compte des difficultés
économiques rencontrées par ces dernières et adopter en temps de crise une attitude plus clémente.
Cet article passe en revue les arguments venant au soutien de cette thèse et envisage les conséquences
d’un changement d’attitude de la part des autorités de concurrence.
Un éclairage particulier est donné au cas du secteur bancaire.
Politique de la concurrence
et faillites bancaires
Les éclairages de la théorie économique
Par Anne PERROT
Vice-présidente
de l’Autorité
de la concurrence
Les étapes successives de la crise mondiale actuelle conduisent tour à tour acteurs économiques et décideurs de politique publique à s’interroger sur le rôle
que devraient jouer les instruments
qu’ils ont entre les mains dans l’arsenal des remèdes aux désordres de l’économie réelle et financière. D’abord
convoqués à cette remise en cause, les
banques, les établissements de crédit et
les agences de notation, mais aussi leurs
régulateurs, pris en défaut d’avoir pu
empêcher les prises de risque inconsidérées et la mise en marché d’instruments financiers vecteurs de transmission des actifs « pourris ». Les instances
de gouvernance des entreprises, ensuite,
accusées d’avoir distribué salaires et bonus en donnant à leurs salariés et à leurs
responsables des incitations perverses,
menant à des décisions inadéquates.
Les États eux-mêmes, mis en cause pour
leur intervention, jugée trop timide et
trop tardive par ceux qui préconisent
des politiques de relance plus massives,
ou au contraire trop intrusive aux yeux
de ceux qui font encore confiance aux
seuls mécanismes de marché pour trouver l’issue de la débâcle (1).
À son tour, la politique de la concurrence est interrogée sur la pertinence de
ses actions dans une conjoncture aussi
particulière, et sur la question de savoir
s’il convient d’en amender la mise en
œuvre. Les principes qui guident les autorités de concurrence peuvent grossièrement être résumés comme suit : pour
la plupart des secteurs économiques, les
mécanismes de marché donnent aux entreprises des incitations à accroître leur
efficacité productive et à en redistribuer
les fruits aux autres agents. Ils aident à
sélectionner les bons projets d’investissement, attirent les entreprises efficaces
et chassent les autres ou les poussent à
améliorer coût et qualité. Pour permettre
le jeu de ces mécanismes vertueux, la
loi interdit et les autorités de concurrence corrigent et sanctionnent les entraves à la concurrence. La répression
des ententes ou des abus de position dominante, le contrôle ex ante des opérations de concentration, et au niveau communautaire celui des aides accordées
par les États, poursuivent tous ce même
objectif : empêcher que le pouvoir de
marché que détiennent soit les entreprises dominantes, soit des groupes d’entreprises agissant de façon collusive soit
utilisé pour fausser le jeu de la concurrence et priver les consommateurs de
ses bénéfices.
En temps de crise économique, les entreprises souffrent de multiples manières
et sur tous les fronts : chute de la demande, incertitude sur le futur, difficultés à trouver des financements auprès
des marchés financiers ou du système
bancaire, licenciements. Ces difficultés
aux nombreuses facettes ont conduit récemment certaines voix, venant principalement des milieux politiques, mais
aussi, et c’est plus compréhensible, des
entreprises elles-mêmes, à réclamer non
l’abandon mais au moins une applica-
tion plus lâche des règles de concurrence, celles-ci étant dans ce raisonnement supposées faire obstacle à la
guérison des économies malades. Évidemment, les autorités de la concurrence s’en sont défendues, arguant de
ce que la concurrence serait « une partie de la solution et non une partie du
problème », comme l’a répété à plusieurs
reprises Neelie Kroes, Commissaire européenne à la concurrence, depuis le
mois d’octobre 2008. Pourtant, la tentation est grande de recourir à des solutions apparemment simples comme
la restriction des échanges internationaux pour protéger les entreprises domestiques ou le recours aux contribuables pour pallier la désertion des
consommateurs ou les défaillances des
banquiers.
Ces derniers sont depuis l’automne 2008
l’objet de toutes les attentions : d’un côté
accusées d’avoir provoqué la crise financière par leurs comportements spéculatifs, puis de l’avoir propagée au monde
réel par la restriction du crédit, les
banques sont d’un autre côté sous l’œil
inquiet des dirigeants des grands pays,
qui ne cessent de mettre sur pied plans
de redressement ou rachat des actifs
toxiques, et d’encourager des concentrations entre établissements bancaires supposées rétablir la situation des plus fragiles. La transmission rapide de la crise
financière aux autres secteurs de l’économie semble justifier cette attention
portée au secteur bancaire et la volonté
de trouver des remèdes à un pan de l’économie qui ne s’est pourtant pas illustré
par des décisions particulièrement avisées : de l’octroi massif de crédits à des
>
Cet article reprend une intervention présentée au Colloque organisé le 20 mars 2009 par la Chambre de commerce internationale sur le thème « Le droit de la concurrence face à la crise
mondiale ».
(1)
Droit I Économie I Régulation
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POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET FAILLITES BANCAIRES – LES ÉCLAIRAGES DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE
ménages non solvables au processus de
titrisation, ce sont bien les établissements
de crédit qui ont transmis le retournement du marché de l’immobilier américain et la réalisation corrélative des
risques de défaut des américains surendettés à l’économie mondiale.
Au-delà du débat qui oppose les vieux
poncifs de l’interventionnisme et du
laisser-faire, les enseignements de la
théorie économique peuvent-ils contribuer à éclairer les questions que pose
l’application de la politique de la concurrence en temps de crise, et au secteur
bancaire en particulier ?
C’est ce que nous examinerons en deux
temps. Le premier répondra aux arguments qui invitent à une altération générale de la politique de la concurrence
en temps de crise, en examinant d’une
part les bénéfices et pertes collectifs associés à un fonctionnement concurrentiel des marchés et à l’action des autorités de concurrence, notamment durant
les récessions, et en envisageant d’autre
part les différents angles sous lesquels
la politique de la concurrence pourrait
voir son application relâchée. Le second
temps s’attachera à la situation particulière des banques et à la question de savoir si ce secteur possède des caractéristiques de nature à justifier un traitement
différencié du secteur bancaire par temps
de crise.
A. – Infléchir les objectifs
de la politique de la concurrence ?
La réponse à cette question mérite d’être
abordée sous l’angle de la perspective
temporelle de la politique de la concurrence et de sa place au sein du spectre
des autres instruments de politique économique.
L’horizon de la politique de la concurrence est le moyen terme. Si, bien sûr,
certains de ses effets se manifestent rapidement (le retour à la concurrence par
les prix après le démantèlement d’un cartel par exemple), bien des bénéfices tirés d’un fonctionnement concurrentiel
des marchés ne se manifestent qu’après
un certain temps. Tel est le cas des mécanismes de sélection des entreprises,
qui font progressivement sortir du marché les produits de mauvaise qualité et
les entreprises aux coûts trop élevés, et
attirent au contraire les plus performantes.
Ce mouvement « démographique », qui
se traduit in fine par une baisse tendancielle des prix, liée à la transmission des
réductions de coûts aux consommateurs,
par l’augmentation de la qualité et de la
diversité des produits, par des innovations, prend du temps. Il découle d’une
situation où les entreprises les moins performantes ne sont pas soutenues à rebours des mécanismes concurrentiels
spontanés tendant à les éliminer et où
les plus productives ne se voient pas restreindre l’accès au marché (cf., pour une quan-
I. – DOIT-ON MODIFIER
L’APPLICATION DE LA POLITIQUE
DE LA CONCURRENCE EN TEMPS
DE CRISE ?
tification de ces effets le Livre blanc britannique de 2001,
« Productivity and Enterprise : a World Class Competition
Regime », dont les conclusions ont été confirmées par de
nombreuses autres études). Ce processus long
Rares sont, en temps de crise, les avocats de la politique de la concurrence.
En effet les victimes les plus apparentes
des crises sont les entreprises. La politique de la concurrence, répressive à
leur égard, est dès lors vécue comme
une contrainte de plus dont les entreprises devraient pouvoir s’affranchir en
période de récession. Les sorties du
marché des entreprises défaillantes,
nombreuses pendant les crises, sont
perçues à juste titre comme coûteuses
sur le plan collectif. Il faudrait donc
protéger les profits des entreprises (et
partant les salariés), les consommateurs
quant à eux, n’ayant plus qu’à s’accommoder de cet environnement défavorable à leurs intérêts.
Ces arguments portent, on le voit, sur
deux aspects différents de la politique de
la concurrence : la question de l’infléchissement de ses objectifs (A), et celle
d’une mise en œuvre différente de ses
outils en temps de crise (B), questions
qui seront successivement examinées.
100
n’est pas, bien sûr, celui qui est observé
dans les phases de contraction de l’activité, qui entraînent des défaillances brutales d’entreprises confrontées à la chute
de leur demande. Les périodes de reprise
quant à elles peuvent être marquées par
de fortes hausses de productivité parce
que la récession a accéléré la sortie des
entreprises les moins performantes. Dans
un souci de préserver la reprise et la productivité à plus long terme, il peut être
paradoxalement inutile de s’opposer à la
rapidité de ce mécanisme de sélection.
Les pertes de bien-être, elles, sont ressenties à court terme : les fermetures ou
les délocalisations d’entreprises, les pertes
d’emploi, la désertification et l’appauvrissement des régions les plus touchées
par ces processus sont évidemment bien
réels et coûtent à ceux qui les subissent,
un prix qui paraît sans commune mesure avec les lointains – donc hypothétiques – bénéfices du retour à la productivité future.
La question principale en réalité est celle
de savoir quel est l’outil le plus adapté
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
à la correction de ces effets négatifs, voire
dramatiques, qui n’apparaissent pas exclusivement lors des crises généralisées.
En période de conjoncture normale, on
entend parfois soutenir l’idée que la politique de la concurrence devrait « tenir
compte de l’emploi », ce qui est évidemment dérogatoire vis-à-vis de l’objectif
qui lui est assigné (défendre les intérêts
des consommateurs et non ceux des salariés). Intégrer un tel objectif à l’analyse concurrentielle est dangereux, y
compris vis-à-vis du but recherché : la
politique de la concurrence ne peut avoir
qu’une vision locale et au cas par cas
des créations et destructions d’emploi :
ainsi, à l’occasion d’une concentration
par exemple, on observe que certaines
restructurations industrielles sont souvent « localement » défavorables à l’emploi – la concentration détruit des emplois –, alors qu’elles sont « globalement »
bénéfiques au niveau sectoriel, y compris pour l’emploi, si elles s’accompagnent de rationalisations de la production, de gains de productivité qui
permettent d’abaisser les prix et d’accroître la demande. D’une façon plus générale, une concentration peut n’être
que la partie visible d’un processus plus
vaste de redéploiement des ressources
intra et intersectorielles potentiellement
créateur d’emploi (pour une analyse des processus de création et destruction d’emploi, cf. Cahuc P. et Zylberberg A., Le chômage, fatalité ou nécessité, Flammarion,
2004). Demander à la politique de la
concurrence, par exemple lors du
contrôle d’une concentration, de prendre
en compte des objectifs éloignés des
siens est au mieux inefficace, au pire
contre-productif : pourquoi privilégier
les salariés des entreprises concernées
par la fusion au détriment potentiel des
autres salariés du secteur ou de ceux des
autres secteurs ? Les autorités n’ont ni
les moyens, ni la compétence pour appréhender les effets sur l’emploi global
d’une concentration donnée. Mieux vaut
dès lors utiliser des outils appropriés
(politique générale de l’emploi, mise en
œuvre de mesures de protection sociale
ou de reclassement et accompagnement
des chômeurs éventuels) plutôt que de
distordre les objectifs d’une politique
qui n’est pas conçue pour cela. Par
ailleurs, l’infléchissement des décisions
en faveur de l’emploi localement
concerné aboutirait simplement à transférer des rentes des consommateurs vers
les salariés. De tels mécanismes redistributifs relèvent clairement de choix politiques et n’ont pas à être entre les mains
des autorités de concurrence.
Cet argument prévaut aussi lors des périodes de crise : amender la politique de
Droit I Économie I Régulation
B. – Infléchir la mise en œuvre
de la politique de la concurrence :
par quelles voies ?
Les pouvoirs publics et les autorités de
concurrence chargées de les contrôler en
la matière peuvent décider de distribuer
plus généreusement des aides d’État. En
théorie, ce type d’intervention peut permettre de pallier la « myopie » des marchés financiers et les restrictions de crédit bancaire, en aidant temporairement
les entreprises en difficulté à surmonter
une période de crise. Le problème habituel que soulève ce type d’aide est bien
connu depuis les travaux de Laffont et
Tirole (cf., par exemple, Laffont J.-J. et Tirole J., A Theory
of Incentives in Procurement and Regulation, MIT Press,
Cambridge, 1993) : la puissance publique
souffre d’un déficit d’information sur les
performances des entreprises, ne sait pas
distinguer les entreprises efficaces des
autres et est ainsi très mal placée pour
distribuer efficacement ses aides. Le
risque est donc grand d’aider des entreprises qui ne devraient pas l’être, soit
parce qu’elles profitent de façon opportuniste des aides, soit parce qu’indépendamment de toute récession ces entreprises seront amenées à disparaître du
fait de leur inefficacité. Dans ce cas, ce
sont donc les contribuables qui in fine
paieront les erreurs. Malgré tout, certains
facteurs rendent les aides d’État sans
doute moins dangereuses que d’autres
types d’interventions publiques, car elles
sont susceptibles d’être octroyées conditionnellement à certaines actions des entreprises et d’être remboursables une fois
la crise surmontée.
Autre possibilité : accepter des concentrations anticoncurrentielles. Le paysage
est ici moins riant : une concentration est
un processus qui engage l’avenir pour
longtemps. Laisser les structures de marché évoluer, à la faveur d’une crise né-
Droit I Économie I Régulation
cessairement temporaire quelle que soit
son ampleur, vers des structures pérennes
et qui permettront sur une longue période
l’exploitation du pouvoir de marché ainsi
acquis, c’est laisser cette fois-ci les
consommateurs payer les difficultés des
entreprises et leur imposer des transferts
en faveur d’entreprises qui auront acquis
leur position par d’autres moyens que
par leurs mérites. Les structures de marché ainsi constituées seront à long terme
inefficaces, collectivement coûteuses et
sources de distorsions importantes, permanentes et difficiles à corriger.
Faut-il alors être moins sévère avec les
pratiques anticoncurrentielles que sont
les cartels de crise ou les abus de position dominante ?
Le cartel de crise est
certes profitable aux
entreprises « insiders »
qui en sont membres
mais préjudiciable
à la collectivité.
Les cartels de crise ont typiquement pour
objectif de répartir entre les participants
les baisses de demande caractéristiques
des récessions. Les secteurs touchés par
de telles récessions se trouvent en situation de surcapacités de production et
l’ajustement aux nouvelles conditions de
demande appelle souvent la destruction
de certains actifs. Si on laisse le marché
faire disparaître les surcapacités, ce sont
d’abord les sites de production les plus
inefficaces ou les lignes de production
les moins demandées qui disparaîtront :
en d’autres termes, le marché élimine
d’abord les actifs les moins valorisés collectivement. Ce mécanisme spontané,
une fois encore, n’exclut aucunement
l’appui de plans d’accompagnement publics aidant les salariés laissés-pourcompte. Les cartels de crise, quant à eux,
poursuivent un objectif de la maximisation du profit de leurs membres. Si le cartel se charge de décider du rythme et de
l’identité des actifs qui doivent être sacrifiés, il le fera dans un objectif de maintien des profits de ses membres, en ajoutant souvent à cette action d’autres
mesures défensives comme la fermeture
du marché aux concurrents. Les solutions résultant du jeu concurrentiel de la
gestion de la crise et de celles mises en
place par un cartel diffèrent : le cartel de
crise est certes profitable aux entreprises
« insiders » qui en sont membres mais
préjudiciable à la collectivité (entreprises
outsiders, consommateurs…). Il distord
les signaux de prix, retarde les restructurations sans jamais les éviter à long
terme, s’octroie des rentes prélevées sur
les acheteurs, retarde l’allocation des ressources vers des secteurs plus productifs. Encore une fois, il vaudrait mieux
faire payer non par les acheteurs mais
par des transferts sociaux « conscients »
les pertes de bien-être des acteurs touchés. Les abus de position dominante,
notamment lorsqu’ils sont destinés à empêcher l’entrée de nouveaux concurrents,
peuvent faire l’objet de la même analyse.
Dernier recul possible de la politique de
la concurrence en temps de crise : moduler les sanctions pour tenir compte de
la situation défavorable du marché. Si
une telle modulation est moins aisée au
niveau communautaire, où les sanctions
ont un caractère généralement forfaitaire,
elle peut être envisagée par les autorités
françaises, pour deux raisons. D’abord,
le droit français de la concurrence prévoit que la sanction doit être proportionnée au dommage à l’économie que la pratique a engendré. En cas de crise dans
un secteur, ce dommage peut être réduit
en valeur absolue du fait de la baisse de
l’activité : le nombre et la valeur des transactions baissant, la pratique anticoncurrentielle affecte un volume d’affaires
moins important et le dommage s’en
trouve évidemment amoindri. Pour autant, il peut demeurer inchangé en termes
relatifs lorsqu’on le rapporte au marché
affecté. Par ailleurs, le dommage à l’économie évoqué par le Code de commerce
est une notion d’ordre qualitatif et non
quantitatif. Pour toutes ces raisons, il serait imprudent de tirer des conséquences
mécaniques de la simple existence d’une
crise sectorielle et, à plus forte raison,
d’une crise générale. Ensuite, les dispositions légales prévoient aussi que les
sanctions tiennent compte de la situation
particulière de l’entreprise. Ces deux éléments expliquent que les sanctions reflètent notamment le contexte particulier
dans lequel se trouve l’entreprise sanctionnée, qui peut être celui d’une récession. Mais la jurisprudence montre qu’il
ne suffit pas d’alléguer l’existence d’une
crise : celle-ci doit présenter certaines caractéristiques dont l’impact sur l’entreprise doit être démontré concrètement.
Enfin, il est possible à l’entreprise en difficulté financière d’obtenir, dans certaines
conditions, des délais permettant d’échelonner le paiement d’une sanction.
Une conclusion générale peut être tirée
de ces considérations : préconiser une
moindre rigueur des politiques de
concurrence en temps de crise revient,
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
PERSPECTIVES ÉTUDE
la concurrence pour protéger les entreprises, l’emploi et les salariés menacés
n’est pas efficace pour plusieurs raisons.
Comme dans l’exemple précédent,
d’autres outils élaborés précisément pour
répondre à ces problèmes économiques
existent et sont mieux ciblés. S’il s’agit
d’aider les entreprises à préserver leurs
actifs durant la crise, d’autres mesures
(aides ciblées et ponctuelles) sont sans
doute plus adaptées. Ensuite, entraver
les restructurations liées à une crise économique peut retarder l’adoption de certaines technologies plus économes (en
énergie, en travail).
Examinons maintenant plus en détail
quels seraient les moyens d’aboutir à un
tel « adoucissement » des politiques de
concurrence.
>
101
POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET FAILLITES BANCAIRES – LES ÉCLAIRAGES DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE
à court terme, à faire payer les consommateurs et, à long terme, à retarder les
ajustements sectoriels qui pourraient aider à une reprise plus rapide de la productivité en sortie de crise. Or les
consommateurs disposent de peu de
moyens de se faire entendre du fait de
leur atomisation et souffrent eux aussi
des chutes de revenus en cas de récession. Par ailleurs, le prix à payer à plus
long terme en matière de productivité
peut être élevé. Tous ces arguments plaident donc en faveur d’un maintien des
objectifs poursuivis par les autorités de
concurrence et d’une application de la
loi en matière de sanction.
II. – FAILLITES BANCAIRES
ET POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
Venons-en maintenant à l’analyse plus
particulière du secteur bancaire. Deux
questions doivent être examinées : celle
des caractéristiques du secteur bancaire
qui lui feraient jouer un rôle spécifique
(A), et celle de l’attitude que devraient
avoir à son égard les acteurs des politiques publiques et notamment de la
concurrence (B).
A. – Les banques : un secteur
particulier ?
Les banques peuvent être vues comme
de simples offreurs de services financiers : cette délimitation étroite de leur
rôle n’invite pas à les envisager sous un
angle différent des autres secteurs de services. C’est méconnaître une série de
caractéristiques qui leur sont propres
(cf. Vickers J., The Financial Crisis and Competition Policy :
Some Economics, Global Competition Policy, déc. 2008).
Tout d’abord, les banques entretiennent
entre elles des liens très étroits : on
parle d’ailleurs du « système bancaire »,
mais non du « système pharmaceutique »
ou automobile et la sémantique traduit
bien l’idée que les banques forment un
ensemble d’agents économiques liés
entre eux. Ces liens proviennent des
mécanismes de refinancement interbancaire, des commissions d’interchange liées à la mise en place de systèmes de paiement interconnectés
(comme les cartes bancaires), de la participation à des marchés financiers communs où les phénomènes spéculatifs et
la propagation des risques touchent tous
les établissements financiers et de crédit. Ce secteur est ainsi le lieu « d’externalités horizontales » : la faillite d’une
banque peut de proche en proche entraîner celle de toutes les autres et c’est
ce risque « systémique » que les États
et la régulation cherchent en premier
lieu à éviter.
102
Ensuite, du fait de leur rôle dans le financement de l’économie, les banques
exercent des externalités en direction de
tous les secteurs d’activité : le « credit
crunch » ou resserrement du crédit, selon qu’il contraint les particuliers ou les
entreprises, interdit les achats immobiliers et le crédit à la consommation, entrave le développement des entreprises,
empêche les investissements de se
concrétiser, limite les possibilités de fusions entre entreprises, accélérant ainsi
les chutes de production, la baisse de la
consommation et des investissements et
propageant à l’économie toute entière
les difficultés du secteur bancaire et financier. Ces « externalités verticales »,
qui s’ajoutent aux facteurs systémiques
horizontaux évoqués précédemment, placent le secteur bancaire dans une position particulièrement sensible.
La faillite d’une banque
peut de proche
en proche entraîner celle
de toutes les autres
et c’est ce risque
« systémique » que les
États et la régulation
cherchent en premier
lieu à éviter.
L’État peut-il se substituer à un système
bancaire défaillant et financer l’économie à sa place ? Cette question mériterait une réponse plus détaillée que ne le
permet cet article. Certains arguments
plaident en faveur d’une renationalisation du système bancaire. Il faut constater que peu ou prou ce processus est déjà
en cours sous diverses formes. D’autres,
au contraire, soulignent que si l’on attribue à la « finance folle » la responsabilité de la crise actuelle, c’est aussi, a
contrario, la libéralisation des marchés
de capitaux et l’ouverture à la concurrence du secteur financier qui ont permis le développement des investissements et la croissance depuis vingt ans.
Certains problèmes, de nature informationnelle, déjà évoqués, interviennent
aussi dans ce débat. Les banques sont,
comme la puissance publique, dans une
position de déficit informationnel par
rapport aux entreprises mais contrairement à elle, disposent de plus de moyens
pour y faire face. Elles mettent au point
des méthodes de filtre destinées à départager les bons et les mauvais projets
(même si la crise actuelle témoigne du
caractère imparfait de cette discrimination), donnent des incitations aux entreprises à révéler des informations sur leurs
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
coûts et la qualité de leurs projets d’investissement. La nécessité de faire du
profit avec les crédits distribués incite les
banques à mettre en place toute une série de mécanismes incitatifs à la révélation d’informations et d’apprentissage
sur les caractéristiques des entreprises.
Le fait que les banques soient en concurrence pour attirer les différents types de
clientèle (particuliers, divers segments
d’entreprises) joue évidemment un rôle
dans l’efficacité avec laquelle elles mettent en place ces mécanismes de collecte
des informations.
Dès lors, laisser le système bancaire aller à la faillite, c’est non seulement perdre
le bénéfice de son activité économique
directe mais aussi sa capacité à extraire
de l’information mieux que l’État ne saurait le faire. De cet effondrement du système bancaire découlerait donc un arrêt
du financement de l’économie et l’incapacité de la puissance publique à prendre
le relais.
Ces caractéristiques font bien du secteur
bancaire un secteur à part : laisser le textile ou l’élevage péricliter a des conséquences négatives évidemment tangibles,
mais à peu de choses près limitées aux
seules activités concernées. Tel n’est pas
le cas du système bancaire et la crise actuelle démontre à suffisance que concentrer les efforts sur l’assainissement de ce
secteur est justifié.
B. – Régulation ou politique
de la concurrence ?
Les éléments qui précèdent et qui soulignent le rôle pivot joué par les banques
expliquent le problème crucial de crédibilité auquel se heurte un État qui voudrait mettre en place une politique de discipline ou de sanction à l’égard des
banques : ex ante, la puissance publique
a intérêt à annoncer qu’elle ne sauvera
pas les banques en perdition, pour les inciter à se comporter de façon prudente et
rationnelle. Ex post en revanche, une fois
qu’une banque est en difficulté, le risque
de voir se propager la défaillance de l’une
à tout le système bancaire peut être élevé
– et ses conséquences en être alors tellement désastreuses – que l’État a intérêt à
ne pas respecter cet engagement : son application serait trop coûteuse en raison
des externalités négatives entraînées sur
toute l’économie par une faillite du système bancaire. En d’autres termes, cette
annonce ex ante n’est pas crédible, ce que
les économistes qualifient de problème
d’engagement (commitment). Comme ce
défaut de crédibilité est parfaitement anticipé et compris par les banques, il constitue en fait une incitation pour elles à se
comporter imprudemment. C’est donc
Droit I Économie I Régulation
Droit I Économie I Régulation
notent. Les autorités de concurrence
ont l’habitude de traiter ce type de situation et peuvent enjoindre à des entreprises de séparer certaines de leurs
activités, dont la corrélation empêche
le bon fonctionnement concurrentiel,
ou de résoudre les problèmes de barrières à l’entrée qui interdisent l’entrée
de concurrents.
Si les accords de Bâle I poursuivaient
le double objectif clairement affiché
d’empêcher les comportements anticoncurrentiels de certaines banques
sur les marchés internationaux (les
banques japonaises notamment) et de
définir une politique prudentielle commune, certains spécialistes du système
bancaire affirment aujourd’hui que ces
objectifs ont été quelque peu oubliés
lors de la mise en œuvre des accords
de Bâle II (cf., par exemple, pour la défense d’une
telle position, Rochet J.-C., Le futur de la réglementation
bancaire, Working paper, Toulouse School of Economics,
2008), aux objectifs plus flous et aux
contraintes plus vagues, régulation qui
de proche en proche aurait permis les
dérives en matière de prise de risque.
Dans ce cadre, la politique de la concurrence est bien mal armée pour résoudre
le moindre des problèmes de la crise
actuelle dans ses aspects bancaires : le
traitement des concentrations permet
déjà de prendre en compte la défense
de l’entreprise défaillante, seul biais
par lequel le contrôle des concentrations permet de tenir compte des
risques de faillites ; l’analyse des effets
unilatéraux ou coordonnés, des
banques comme des autres entreprises,
reste inchangée en période de crise. On
a mentionné les effets de long terme
d’une politique laxiste qui accepterait
des concentrations anticoncurrentielles.
Les ententes ou les abus de position
dominante auraient des effets encore
plus négatifs sur l’économie qu’en période de conjoncture plus classique, et
se montrer plus tolérants à leur égard
serait certainement pénalisant pour le
PERSPECTIVES ÉTUDE
l’incapacité pour l’État à se lier les
mains par l’annonce d’une politique
crédible et coercitive à l’égard des comportements trop risqués qui est finalement à l’origine de la garantie d’impunité dont jouissent les acteurs du
système financier. Ex ante, la puissance
publique aimerait pouvoir annoncer
des politiques sévères (laisser les
banques faire faillite), ex post s’y
contraindre est trop coûteux et il faut
y renoncer.
Comment dans ce contexte la politique
de la concurrence devrait-elle agir à
l’égard du système bancaire ?
L’exposé qui précède aura tenté de
convaincre que la seule issue au problème d’engagement exposé plus haut
est de nature régulatoire et non concurrentielle. Si les gouvernements ne peuvent pas se tenir à une surveillance et
à une riposte crédibles aux comportements illégaux ou seulement trop risqués, des autorités de régulation bancaire fortes, dotées d’outils coercitifs,
capables d’intervenir au cours du développement des pratiques qui mettent
en danger le fonctionnement du secteur bancaire et du reste de l’économie
le peuvent. C’est clairement de régulation ex ante qu’il s’agit là, nécessitant un suivi continu du secteur et une
capacité d’intervention puissante et très
précoce.
La politique de la concurrence ne maîtrise aucun de ces outils, intervenant
ex post et dans un objectif de discipline
des comportements concurrentiels (et
non prudentiels) selon les principes
qui guident cette « light hand regulation ». La seule contribution que la politique de la concurrence peut avoir
l’ambition d’apporter à une telle régulation ex ante concerne l’activité des
agences de notation : on n’ose parler
de « marché », tant ces agences, dont
trois contrôlent 90 % de la notation
mondiale, ont des intérêts étroitement
reliés avec ceux qu’elles conseillent et
reste de l’économie. Ces comportements anticoncurrentiels nuisent aux
acheteurs, c’est-à-dire en l’occurrence
les entreprises et les ménages ayant recours aux services des banques. En matière de crédit, on voit ainsi que les restrictions à la concurrence, qui limitent
le volume des services échangés, sont
particulièrement nuisibles dans une période de crise comme celle que nos économies connaissent, marquée par un
resserrement du crédit qui empêche
l’alimentation de l’activité économique
réelle.
En conclusion, on voit que les remèdes
à la crise ne sont sans doute pas à rechercher du côté d’une distorsion des
objectifs ou d’une application plus laxiste
des outils de la politique de la concurrence. Telle qu’elle est mise en œuvre,
la politique de la concurrence française
tient compte de la conjoncture et des
risques de faillite des entreprises pour
établir le niveau des sanctions. Elle s’y
rapporte encore lorsqu’elle considère les
arguments de l’entreprise défaillante en
matière de concentrations. Elle examine
toujours les gains d’efficacité associés à
la mise en œuvre d’une pratique, d’un
accord, d’une fusion. Ces instruments
permettent d’appliquer pleinement la
politique de la concurrence en période
de crise. Les banques, quant à elles,
jouent un rôle particulier dans le fonctionnement de l’économie, qui justifie
certainement un traitement particulier,
mais on ne voit pas que la politique de
la concurrence soit particulièrement bien
dotée pour participer à la régulation ex
ante de ce marché, régulation réclamée
par la crise actuelle. L’un des enseignements de la théorie économique est que
pour mener de bonnes politiques, la puissance publique doit disposer d’autant
d’instruments que d’objectifs. Vouloir
faire jouer à la politique de la concurrence un rôle pour lequel elle n’est pas
taillée dérogerait à ce principe de base,
sans doute pour le pire. ◆
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
103
R LC
1445
La crise économique et financière que le monde traverse actuellement est d’une inédite intensité.
De par son acuité, cette crise à la fois mondiale et systémique pousse au questionnement,
à l’autocritique et à la remise en cause.
Le droit de la concurrence
face aux défis de la crise
mondiale
(1)
Par François BRUNET
Avocat (Cleary, Gottlieb, Steen
& Hamilton)
Président de la Commission
de la concurrence
de la Chambre de commerce
internationale (Comité
français) (2).
INTRODUCTION
De manière quasi unanime, les pouvoirs
publics au sens large (gouvernements,
ministres en charge des Affaires économiques, banques centrales, régulateurs
bancaires) se sont exprimés en faveur
de réformes significatives de notre système global de régulation financière. De
même, certains économistes ont publié
de longues chroniques expliquant les
raisons pour lesquelles ils s’étaient si
lourdement trompés, au point de n’anticiper d’aucune manière une crise, qui
paraît bien plus sérieuse encore que la
crise de 1929, mais dont chacun espère
qu’elle n’aura pas des effets aussi funestes.
Dans ce contexte de remise en question,
les représentants des principales autorités de la concurrence font entendre
une voix différente, en affirmant avant
tout la nécessité de rester fermes dans
l’application des principes et des règles
de droit en vigueur. Ainsi, Mme le Commissaire Neelie Kroes a assuré que les
équipes de la DG Concurrence (Commission européenne) n’avaient « aucune intention de faire quoi que ce soit si ce n’est
de continuer d’appliquer [le droit de la
concurrence] » (Kroes N., Many achievements,
more to do, Communiqué Comm. CE n° SPEECH/09/106,
12 mars 2009, p. 5 : « (…) we have no intention of doing
anything except maintaining our enforcement and finding
ways to speed our economic recovery »). De même,
Mme Christine Varney, secrétaire
(1)
(2)
104
d’État en charge des questions antitrust
au Department of Justice (États-Unis),
s’est récemment prononcée pour une
application vigoureuse des règles antitrust en cette période de crise (Varney Ch.,
Vigourous Antitrust Enforcement in This Challenging Era
– Remarks as Prepared for the United States Chamber of
Commerce by Assistant Attorney General Christine A. Varney, discours prononcé devant la chambre de commerce
des États-Unis le 12 mai 2009). De manière simi-
laire, M. Bruno Lasserre, président de
l’Autorité de la concurrence, a évoqué
la nécessité de maintenir le cap dans ce
contexte difficile, au motif que le droit
de la concurrence « constitue une solution et non un problème » (Lasserre B., L’Autorité de la concurrence, née sous le signe du pouvoir d’achat,
maintient le cap en temps de crise », RLC 2009/19, édito).
Enfin, Mme Anne Perrot, vice-présidente
de l’Autorité de la concurrence, plaide
dans la présente revue « en faveur d’un
maintien des objectifs poursuivis par les
autorités de la concurrence et d’une application de la loi en matière de sanction » (Perrot A., Politique de la concurrence et faillites
bancaires – Les éclairages de la théorie économique, RLC
2009/20, n° 1444).
Ces positions n’ont pas lieu de nous
étonner.
Il est normal et légitime que les autorités de concurrence rappellent avec fermeté leur intention de maintenir les
orientations de leurs politiques de
concurrence dans les circonstances présentes. En effet, dans la période de crise
actuelle, nul ne paraît considérer qu’il
y a lieu de critiquer ou de mettre en
cause un excès ou une insuffisance des
politiques de concurrence européennes.
Bien au contraire, de nombreux observateurs regrettent aujourd’hui que les
régulateurs bancaires, financiers et
comptables européens n’aient pas ac-
compli aussi consciencieusement leur
mission que ne l’ont fait la DG Concurrence, le Bundeskartellamt, l’Office of
Fair Trading ou le Conseil de la concurrence (désormais, Autorité de la concurrence).
Cela étant, même si les autorités européennes de la concurrence peuvent être
fières des résultats qu’elles ont obtenus
en matière de régulation économique
au cours des dix dernières années, il
n’empêche que le système européen de
régulation de la concurrence n’est pas
parfait et que la crise actuelle, par son
acuité et sa brutalité, devrait conduire
l’ensemble des parties prenantes (régulateurs, entreprises, conseils) à s’interroger sur les limites du système et les
améliorations qu’il serait opportun de
lui apporter. Et ce, d’autant plus qu’en
dépit de leurs déclarations générales,
certaines autorités de concurrence ont
déjà amorcé des inflexions significatives.
Il en va notamment ainsi pour la Commission européenne dans le domaine
des aides d’État.
À cet égard, plusieurs questions nous
semblent mériter une attention particulière :
– la création par la Commission européenne d’un nouveau corpus de règles
relatives aux aides d’État applicables
uniquement en cas de crise financière
mondiale ;
– le besoin d’introduire une plus grande
« proportionnalité » dans les amendes
anticartel ;
– la clarification de l’exception dite de
« l’entreprise défaillante » en matière de
contrôle des concentrations ; et
– la nécessité d’un débat sur les accords « multilatéraux » de réduction de
capacité.
Cet article fait suite à un colloque organisé le 20 mars 2009 par la Chambre de commerce internationale sur « Le droit de la concurrence face à la crise mondiale ».
François Brunet tient à remercier Caroline Medina et Thibaud Delaunois pour leur aide précieuse dans la préparation de cet article.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
Dans le cadre du plan d’action quinquennal lancé en 2005, la Commission européenne a profondément réformé et modernisé le droit des aides d’État, en visant
trois principaux objectifs : des aides
d’État moins nombreuses et mieux ciblées, une approche économique plus
fine et une procédure plus efficace et plus
transparente. Prise à contre-pied par la
crise mondiale, la Commission a été obligée de modifier profondément son approche.
Confrontée à la multiplication des plans
de sauvetage des institutions financières,
la Commission a cherché à concilier deux
objectifs : (i) l’objectif politique de sauvetage du secteur bancaire et financier
et (ii) l’objectif « constitutionnel » du droit
européen des aides d’État, à savoir le
maintien de règles de jeu équitables pour
l’ensemble des entreprises exerçant des
activités dans le marché unique européen. Autrement dit, la Commission s’est
efforcée de contribuer à la restauration
des marchés financiers (en particulier,
les marchés interbancaires), tout en
veillant à éviter des dommages à plus
long terme pour le secteur bancaire (dommages qui résulteraient d’une course aux
subventions entre les États membres et
d’une dérive vers un protectionnisme financier).
Pour concilier ces deux objectifs pour
partie contradictoires, la Commission a
exhumé l’article 87, paragraphe 3, b) du
Traité CE, qui lui permet d’autoriser les
aides d’État destinées « à remédier à une
perturbation grave de l’économie d’un
État membre » et a mis en place, au fur
et à mesure de son expérience en la matière, de nouvelles lignes directrices relatives aux conditions d’autorisation des
aides d’État octroyées pour faire face aux
conséquences de la crise.
Alors que l’article 87, paragraphe 3, b)
fait partie du Traité CE depuis sa première rédaction, la Commission n’a
presque jamais accepté d’autoriser des
aides d’État sur le fondement de cette
disposition. La dernière affaire où cet article a été appliqué concernait l’autorisation, en 1987, d’une loi relative au redressement financier des entreprises en
Grèce. À cette époque, une vingtaine
d’entreprises grecques, représentant environ 20 % de l’emploi industriel de la
Grèce, risquaient d’être mises en liquidation à défaut d’application de cette loi
(Déc. Comm. n° 88/167/CEE, 7 oct. 1987, JOCE 22 mars
Droit I Économie I Régulation
1988, n° L 76, concernant la loi n° 1386/1983 par laquelle
le gouvernement grec accorde une aide à l’industrie grecque).
On comprend ainsi aisément que la Commission ait considéré que les subventions en cause avaient pour objet de « remédier à une perturbation grave de
l’économie de l’État membre concerné ».
À l’inverse, la Commission a refusé, en
1995, d’autoriser une aide d’État accordée au Crédit Lyonnais sur la base de
cette disposition, dès lors que cette aide
visait à remédier aux difficultés du seul
Crédit Lyonnais, et non pas aux difficultés d’un secteur et que les problèmes du
Crédit Lyonnais ne trouvaient pas leur
origine dans une crise bancaire systémique, mais dans la politique agressive
de crédit et d’investissement de la banque
Des mesures structurelles
ne peuvent en principe
être autorisées au titre
des aides au sauvetage,
dans la mesure où le
régime des aides aux
sauvetages est réservé
aux aides à caractère
temporaire et réversible.
(Déc. Comm. CE n° 95/547, 26 juill. 1995, JOCE 2 déc.,
n° L 308, portant approbation conditionnée de l’aide accordée par la France à la banque Crédit Lyonnais). De
même, les aides d’État octroyées à des
banques en difficulté avant octobre 2008
ont été autorisées par la Commission sur
le fondement des lignes directrices relatives aux aides au sauvetage et non pas
sur le fondement de l’article 87, paragraphe 3, b) du Traité CE (Northern Rock, IKB,
Sachsen LB, Bradford & Bingley, Roskilde Bank).
Peu après la faillite de Lehman Brothers,
la Commission a considéré, ainsi qu’il
ressort de la première Communication
de la Commission relative aux aides
d’État aux institutions financières dans
le contexte de la crise, en date du 13 octobre 2008, que les aides d’État aux institutions financières pouvaient être autorisées sur la base de l’article 87,
paragraphe 3, b) du Traité CE, « eu égard
au degré de gravité atteint par la crise qui
touche aujourd’hui les marchés financiers
et à l’incidence possible de celle-ci sur
l’économie globale des États membres »
(Communication Comm. CE, JOUE 25 oct. 2008, n° C 270,
Application des règles en matière d’aides d’État aux mesures
prises en rapport avec les institutions financières dans le
contexte de la crise financière mondiale).
Alors que la Commission avait d’abord
estimé, dans cette Communication, que
le recours à l’article 87, paragraphe 3, b)
ne pouvait pas être envisagé, par principe, dans des situations de crise touchant
PERSPECTIVES ÉTUDE
I. – LE DROIT DES AIDES D’ÉTAT :
LA CRÉATION PRAGMATIQUE
D’UN NOUVEAU CORPUS DE RÈGLES
APPLICABLES EN CAS DE CRISE
FINANCIÈRE MONDIALE
des secteurs autres que le secteur financier (pour lesquels il n’existe pas de risque de répercussions sur l’économie globale), la Commission a finalement décidé, dans une autre
Communication, en date du 17 décembre
2008, relative au cadre communautaire
temporaire pour les aides d’État destinées
à favoriser l’accès au financement dans
le contexte de la crise économique et financière, que, eu égard à la gravité de la
crise financière, certaines catégories
d’aides aux autres secteurs de l’économie pouvaient être autorisées sur la base
de l’article 87, paragraphe 3, b) (Communication Comm. CE, JOUE 7 avr. 2009, n° C 83, Cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise
économique et financière actuelle).
L’invocation de cette disposition a permis à la Commission d’éviter l’application des conditions strictes d’autorisation des aides au sauvetage. Selon les
lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à
la restructuration d’entreprises en difficulté (JOUE 1er oct. 2004, n° C 244), les aides au
sauvetage ne peuvent être octroyées qu’à
des entreprises en difficulté (elles sont définies par les lignes directrices comme les entreprises qui sont
incapables, avec leurs ressources propres ou avec les fonds
que sont prêts à leur apporter leurs propriétaires/actionnaires
ou créanciers, d’enrayer les pertes, qui les conduiraient, en
l’absence d’une intervention extérieure des pouvoirs publics,
vers une mort économique quasi certaine à court ou moyen
terme). Par ailleurs, des mesures structu-
relles ne peuvent en principe être autorisées au titre des aides au sauvetage,
dans la mesure où le régime des aides
aux sauvetages est réservé aux aides à
caractère temporaire et réversible. Des
mesures structurelles ne peuvent être autorisées qu’au titre des aides à la restructuration, lesquelles sont subordonnées
à la mise en œuvre d’un plan de restructuration préalablement homologué par
la Commission européenne.
Les Communications successives prises
par la Commission pour adapter le droit
des aides d’État aux différentes étapes
de la crise, se décomposent de la manière suivante :
– la première Communication relative
aux aides d’État aux institutions financières dans le contexte de la crise, en date
du 13 octobre 2008, fournit des indications sur les critères de compatibilité des
différentes mesures d’aide prises par les
États en faveur des institutions financières et développe tout particulièrement
les conditions d’autorisation des régimes
de garantie de dettes : ainsi, les régimes
de garanties doivent bénéficier à toutes
les institutions de l’État concerné, y compris les filiales d’entreprises établies dans
un autre État ; les garanties ne doivent
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
105
LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE
couvrir que les dettes dont la couverture
est nécessaire pour faire face à la crise
(dépôts des particuliers et certains types
de dépôts interbancaires), et doivent être
limitées dans le temps au minimum nécessaire; les bénéficiaires doivent apporter « une contribution significative » au
coût de la garantie et, s’il était fait appel
à la garantie, au coût de l’intervention
de l’État (les frais liés à l’octroi de la garantie doivent
se rapprocher d’un niveau pouvant être considéré comme
un prix de marché, même si la détermination d’un tel prix
est un exercice difficile) ; enfin, les régimes de
garantie doivent prévoir des garde-fous
pour éviter les retombées négatives sur
les banques n’en bénéficiant pas (restrictions comportementales qui peuvent concerner, par exemple,
les prix pratiqués ou le développement des activités, limitation de la taille du bilan, limitation de la croissance externe).
À cet égard, la conciliation entre les objectifs de politique publique et de droit
de la concurrence semble parfois difficile ; ainsi, la limitation de la croissance
du bilan risque d’aboutir à limiter le montant de crédit à l’économie réelle, alors
que c’est l’objectif principal des aides
aux institutions financières.
– Confrontée à la multiplication des plans
de recapitalisation par les États membres,
la Commission a précisé les conditions
relatives à l’autorisation des aides d’État
sous forme de recapitalisation dans une
Communication en date du 5 décembre
2008 (Communication Comm. CE, JOUE 15 janv. 2009,
n° C 010, Recapitalisation des établissements financiers dans
le contexte de la crise financière actuelle : limitation de l’aide
au minimum nécessaire et garde-fous contre les distorsions
indues de concurrence) : ainsi, quel que soit l’ins-
trument financier choisi pour procéder à
la recapitalisation, le prix d’émission doit
être proche des prix du marché pour limiter les distorsions de concurrence (en
tenant compte de la situation de chaque
établissement – profil de risque, niveau
de solvabilité, distinction entre les banques
fondamentalement saines et les autres);
le niveau de rémunération de la recapitalisation par la banque doit être raisonnablement élevé pour inciter la banque
à remplacer le capital public par du capital privé dès la fin de la crise; la mesure d’aide doit prévoir des garde-fous
(par exemple, politique restrictive en matière de dividendes, plafonnement de la
rémunération des dirigeants, obligation
de maintenir un ratio de solvabilité élevé);
un réexamen des effets de la recapitalisation doit être effectué six mois après la
recapitalisation ;
– après l’annonce par les États membres
de leur intention de compléter leurs mesures d’aides existantes en adoptant des
plans de sauvetage des actifs bancaires
dépréciés, la Commission a, dans une
nouvelle Communication en date du
106
25 février 2009 (Communication Comm. CE, 25 févr.
2009, JOUE 26 mars 2009, n° C 072, concernant le traitement des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de la Communauté), indiqué aux États membres les
conditions d’autorisation d’aides sous
forme de garanties ou de rachats des
actifs dits « toxiques » : les banques doivent évaluer ex ante la valeur économique réelle des actifs (experts indépendants, certification par les autorités de
supervision bancaire); la valorisation des
actifs doit être validée par la Commission sur la base de critères d’appréciation uniformes ; les coûts liés aux actifs
dépréciés doivent être partagés entre les
actionnaires, les créanciers et l’État ; la
mesure doit prévoir une rémunération
adéquate de l’État; la banque doit prendre
Quel que soit
l’instrument financier
choisi pour procéder
à la recapitalisation,
le prix d’émission doit
être proche des prix
du marché pour limiter
les distorsions
de concurrence.
en charge les pertes découlant de l’évaluation des actifs sur la base de leur valeur économique réelle ;
– par ailleurs, lorsque les effets de la
crise financière sur l’économie réelle se
sont fait sentir, la Commission a adopté
un cadre temporaire, en date du 17 décembre 2008, dotant les États membres
de possibilités supplémentaires à titre
temporaire, afin d’aider les entreprises
des autres secteurs que le secteur bancaire et financier, et notamment les PME,
à faire face à la crise (Communication Comm. CE,
JOUE 7 avr. 2009, n° C 83, Cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au
financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle). Il s’agit essentiellement
d’une adaptation des instruments existants : aides « de minimis » à hauteur
de 500 000 euros par entreprise, au lieu
de 200 000 euros, ainsi que le règlement
« de minimis » le prévoit, aides sous
forme de garantie avec une réduction de
la prime annuelle, aides sous forme de
taux d’intérêt bonifié dont la formule
tient compte des circonstances exceptionnelles, aides aux investissements
dans la production de « produits verts »,
apports de l’État en capital-investissement dans les PME dont le montant est
limité à 2,5 millions d’euros par PME et
par période de 12 mois (au lieu de 1,5 million
ainsi que les lignes directrices relatives au capital-investissement le prévoient) ;
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
– enfin, alors que de nombreuses aides
aux institutions financières ont été autorisées de manière temporaire sous réserve
de l’homologation par la Commission d’un
plan de restructuration dans les six mois
suivant l’octroi de l’aide, la Commission
vient d’adopter une nouvelle Communication dans laquelle elle présente les critères de son appréciation des aides à la restructuration des banques dans le contexte
de la crise (Communication Comm. CE, 23 juill. 2009,
non encore publiée au JOUE, concernant le retour à la viabilité et l’évaluation des mesures de restructuration dans le secteur financier dans le contexte de la crise actuelle au regard du
droit des aides d’État). Il s’agit d’une adaptation
au contexte de crise, valable jusqu’à la fin
de l’année 2010, des conditions habituelles
d’octroi des aides à la restructuration (telles
qu’elles résultent des lignes directrices
communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration
d’entreprises en difficulté, qui seront à
nouveau applicables au secteur financier
après cette date). En premier lieu, les plans
de restructuration devront démontrer la
viabilité à long terme des banques aidées :
à cet égard, la Communication prévoit que
les banques devront procéder à des tests
de résistance (« stress testing »). Autrement
dit, les résultats attendus du plan de restructuration devront être démontrés tant
dans le cas d’un scénario de base que dans
celui d’un « stress scenario » et ce, en prenant en compte le contexte de crise. Ainsi,
les mesures de restructuration (réexamen
du modèle commercial, traitement des actifs dépréciés, désengagement des activités déficitaires, absorption par un concurrent, voire liquidation), pourront être mises
en œuvre sur une période de cinq ans au
lieu de la période de trois ans habituellement acceptée. En second lieu, les banques
devront apporter « une contribution substantielle » à la restructuration (ce qui passe
notamment par une rémunération appropriée des soutiens financiers apportés par
l’État et peut rendre nécessaire la vente
d’actifs significatifs). Afin de disposer d’une
marge de manœuvre et de pouvoir calibrer sa politique de concurrence à l’acuité
de la crise, la Commission n’a toutefois
pas fixé ex ante le niveau minimum de la
contribution qui devra être apportée par
les banques (alors que les lignes directrices relatives aux aides à la restructuration prévoient une contribution à hauteur
de 50 % des coûts de la restructuration
pour les grandes entreprises). En troisième
et dernier lieu, les banques devront prendre
des mesures de nature à limiter les distorsions de concurrence induites par les aides
octroyées, dont la nature (cessions d’activité, limitation de la croissance interne)
dépendra de deux critères : les caractéristiques des aides (montant des aides dans
Droit I Économie I Régulation
2009, COM (2009) 164 : il s’agit du montant maximum global des systèmes de garantie et des autres mesures instaurées par les États, et non pas de l’élément aide d’État contenu
dans les mesures en question).
Cependant, il ne sera possible de tirer de
conclusions définitives sur l’efficacité de
ce nouveau corpus de règles relatives
aux aides d’État octroyées dans un
contexte de crise mondiale qu’à la lumière de l’application par la Commission de ces nouveaux critères d’appréciation des aides à la restructuration des
banques (par exemple, la Commission a récemment ouvert plusieurs procédures formelles d’examen, en ce qui
concerne les aides publiques octroyées à Northern Rock,
ING, Hypo Real Estate, WestLB et BayernLB) : tant l’im-
position de conditions strictes à la validité des aides (cessions d’activité, restrictions limitant l’agressivité de la
politique commerciale) que l’absence de
tels garde-fous pourrait susciter d’impor-
Droit I Économie I Régulation
tantes déconvenues et un abondant
contentieux de la part des bénéficiaires
ou de leurs concurrents.
Il est clair en revanche que la gravité inédite de la crise financière a transformé
la Commission en régulateur de facto du
secteur bancaire européen. Si la crise perdure au-delà de deux ou trois ans, il est
probable que de nombreuses voix s’élèveront pour exiger que cette mission de
contrôle des aides d’État octroyées au
secteur bancaire soit confiée – pour des
raisons de cohérence institutionnelle et
d’efficacité administrative – à un régulateur bancaire européen spécifique aux
compétences éventuellement élargies à
d’autres domaines : normes comptables,
ratios prudentiels, voire contrôle des
concentrations.
II. – LE BESOIN D’INTRODUIRE
UNE PLUS GRANDE
« PROPORTIONNALITÉ » DANS
LES AMENDES ANTICARTEL
Le niveau des amendes infligées par la
Commission européenne est un problème
ancien, qui pourrait avoir des effets dévastateurs si la crise venait à perdurer.
En effet, à supposer que la Commission
continue d’infliger des amendes très élevées, il y aurait alors un risque que certaines entreprises, déjà fortement affectées par la crise économique, se
retrouvent confrontées à des difficultés
financières inextricables si jamais elles
venaient à être condamnées par la Commission à une amende de plusieurs centaines de millions d’euros (voire dépassant le milliard d’euros).
Pour simplifier notre propos, nous nous
sommes volontairement limités à la question des amendes pour les infractions horizontales les plus graves (cartels et ententes de prix). Il va de soi cependant
que les remarques ci-après sont en partie transposables, mutatis mutandis, aux
amendes en matière d’abus de position
dominante.
A. – Une méthode de calcul
et des montants d’amende inadaptés
au contexte de « crise systémique »
La crise économique et financière actuelle intervient dans un contexte de
hausse très importante des amendes infligées par les autorités de concurrence
en matière de cartels et d’ententes de
prix. Depuis le milieu des années 1990,
les amendes imposées par la Commission européenne aux entreprises impliquées dans ce type de pratiques ont en
effet augmenté de manière quasi exponentielle. Ainsi, le montant total des
amendes infligées par la Commission en
PERSPECTIVES ÉTUDE
l’absolu et par rapport aux actifs pondérés en fonction des risques, niveau de la
contribution du bénéficiaire) et les caractéristiques des marchés (importance de la
banque). La mise en œuvre de ces mesures sera également adaptée au contexte
de crise : par exemple, la période de cession d’actifs (limitée généralement à
18 mois) pourra être prolongée en raison
des difficultés pour trouver un acquéreur
jusqu’à 5 ans. Par ailleurs, la Communication prévoit que les banques ne pourront pas utiliser les aides pour acquérir de
nouvelles activités pendant une période
minimale de trois ans. Elle ne pourront
pas non plus mener de stratégies agressives de fixation des prix qui seraient financées par les aides ou invoquer l’octroi
d’aides en tant qu’avantage compétitif
dans leurs stratégies de marketing. De plus,
contrairement à la règle de non récurrence
(« one time last time ») qui s’applique habituellement aux aides à la restructuration, la Communication prévoit la possibilité d’octroyer des aides complémentaires
pendant la période de restructuration.
Il ressort de ces développements que la
Commission a fait preuve d’un niveau
élevé de pragmatisme et de réactivité, en
créant un nouveau corpus de règles applicables uniquement en cas de crise financière majeure. La Commission a ainsi
permis l’adoption, dans l’urgence, de mesures de sauvetage du secteur bancaire
qui ont empêché l’effondrement du système financier européen. Au total, la Commission a ainsi adopté, depuis le début
de la crise et dans des délais extrêmement brefs, une cinquantaine de décisions d’autorisations d’aides individuelles
ou de régimes d’aides, dont le montant
maximum global s’élève à environ
3000 milliards d’euros, soit 24 % du PIB
de l’UE (tableau de bord de la Commission du 8 avril
matière de cartels est passé de 567 millions d’euros pour la période 1990-1994
à plus de 8 milliards d’euros pour la période 2005-2009, soit une multiplication
des montants par un peu moins de 15,
alors qu’en même temps, le nombre d’affaires n’a été multiplié que par 2,5. Cette
tendance de fond a été confirmée récemment par l’imposition d’amendes record
par les autorités de concurrence européennes. En novembre 2008, la Commission a ainsi infligé à des producteurs de
verre automobile des amendes d’un montant total record de plus de 1,3 milliard
d’euros (dont une amende individuelle
de 896 millions d’euros à l’entreprise
Saint-Gobain) pour avoir conclu des accords de partage de marchés (Communiqué
Comm. CE n° IP/08/1685, 12 nov. 2008). La Commission a confirmé de nouveau sa fermeté
dans une affaire récente concernant les
entreprises Gaz de France et E.ON AG
où elle a infligé une amende de 553 millions d’euros à chacune des deux entreprises incriminées (cf. Communiqué Comm. CE
n° IP/09/1099, 8 juill. 2009). En France, la tendance est similaire, le Conseil de la
concurrence n’ayant pas hésité, juste
avant d’être remplacé par la « nouvelle »
Autorité de la concurrence, à condamner les membres d’un cartel dans le secteur de la sidérurgie à des amendes d’un
montant total record de 575,4 millions
d’euros (dont une amende de 301,7 millions d’euros
pour le groupe ArcelorMittal, Cons. conc., déc. n° 08-D-32,
16 déc. 2008, relative à des pratiques mises en œuvre dans
le secteur du négoce des produits sidérurgiques).
Cette hausse très significative du niveau
des amendes communautaires en matière d’ententes horizontales s’explique
notamment par l’adoption en 2006 de
nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes (Lignes directrices pour le calcul
des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n°1/2003, JOUE 1er sept.
2006, n° C 210, ci-après, « lignes directrices de 2006 »).
Les lignes directrices de 2006 ont, en effet, introduit trois innovations qui ont
entraîné une augmentation du niveau
moyen des amendes. Premièrement, le
montant de base de l’amende est désormais calculé à partir d’un certain pourcentage de la valeur des ventes des biens
et services en relation avec l’infraction,
qui est multiplié par le nombre d’années
d’infraction. Deuxièmement, un mécanisme de droit d’entrée, correspondant
à une valeur située entre 15 et 25 % de
la valeur des ventes de l’entreprise en
relation avec l’infraction, est appliqué indépendamment de la durée de l’infraction. Troisièmement, les récidivistes peuvent désormais voir le montant de base
de leurs amendes augmenter de 100 %
pour chaque infraction aux règles de
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
107
LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE
concurrence européennes, antérieure aux
pratiques en cause et dûment sanctionnée par la Commission ou toute autorité
nationale de concurrence.
La présence de ces nombreux éléments
« forfaitaires » dans la détermination de
la sanction pécuniaire explique en partie le caractère disproportionné des
amendes infligées par la Commission
dans les affaires de cartels. Ce problème
de proportionnalité trouve également sa
source dans l’absence de prise en compte,
par la Commission, de l’effet concret du
cartel sur le niveau des prix. Ni les lignes
directrices pour le calcul des amendes,
ni la jurisprudence du Tribunal de première instance des Communautés européennes n’obligent en effet la Commission à porter une appréciation sur l’effet
concret des pratiques sanctionnées au
moment de fixer le montant de ses
amendes. À cet égard et à titre de comparaison, il est intéressant d’observer
qu’en France, l’Autorité de la concurrence est tenue de prendre en compte le
dommage causé à l’économie par les pratiques qu’elle sanctionne et module en
conséquence le montant des amendes
qu’elle inflige aux entreprises délinquantes. L’article L. 464-2-I, alinéa 3 du
Code de commerce prévoit en effet notamment que les sanctions pécuniaires
sont notamment « proportionnées (…) à
l’importance du dommage causé à l’économie », qui constitue un critère distinct
de la gravité des faits reprochés. Certes,
de nombreux facteurs – tels que la durée et l’ampleur de la pratique, la structure du marché concerné, la nature des
produits en cause ou encore les caractéristiques des pratiques incriminées –
concourent à la détermination du dommage causé à l’économie, mais il ressort
également de la pratique décisionnelle
française que « le point de savoir si [une]
pratique a eu des effets, notamment en
ce qui concerne le niveau des prix (…)
est (…) utile pour apprécier le dommage
à l’économie et donc le montant de la
sanction » (Cons. conc., déc. n° 07-D-15, 9 mai 2007,
pt. 440, relative à des pratiques mises en œuvre dans les
marchés publics relatifs aux lycées d’Île-de-France).
En cette période de crise économique extrêmement sévère, il paraît essentiel que
la Commission accepte une discussion
sur la prise en compte de l’effet concret
de l’entente dans la détermination de la
sanction qu’il convient d’infliger aux entreprises ayant participé à un cartel ou à
une entente de prix. Il est, en effet, singulier qu’un cartel soit condamné de la
même manière, qu’il ait été mis en œuvre
dans un contexte de crise et dans un
contexte de marché mature ou en forte
croissance. En effet, dans le premier cas,
108
les profits illicites sont quasi nuls, dans
la mesure où la faiblesse de la demande
rend généralement impossible l’imposition de prix de monopole ou le relèvement durable du niveau des prix sur le
marché. À l’inverse, en cas de marché
mature ou en forte croissance, il est probable que, pour peu que l’élasticité-prix
de la demande soit faible, les membres
du cartel parviendront aisément à augmenter leurs prix et à se partager une
rente de monopole.
B. – Une prise en compte
exceptionnelle et aléatoire des
difficultés économiques du secteur
ou des entreprises concernés
La sévérité affichée par la Commission
européenne vis-à-vis des cartels et ententes de prix peut être tempérée dans
certains cas par la prise en compte, au
moment de la fixation des amendes, des
difficultés économiques éventuellement
rencontrées par l’ensemble du secteur
économique concerné ou par les seules
entreprises délinquantes. Les modalités
de cette prise en compte par la Commission apparaissent toutefois excessivement restrictives, imprécises et arbitraires.
1) La prise en compte
de la situation du secteur
économique concerné
Il ressort de la pratique décisionnelle de
la Commission européenne que les difficultés économiques du secteur concerné
par l’infraction peuvent être exceptionnellement considérées comme une circonstance atténuante de nature à réduire
le montant de base de l’amende encourue. Ainsi, dans une décision Extra d’alliage de 1998, la Commission a notamment pris en compte le fait que « la
situation économique du secteur (…) était
particulièrement critique » pour accorder
des minorations de 10 à 30 % du montant de base des amendes au titre des
circonstances atténuantes (Déc. Comm. CE
n° 98/247/CECA, 21 janv. 1998, aff. IV/35.814, Extra d’alliage, pts. 81 à 84, JOCE 1er avr. 1998, n° L 100). En l’es-
pèce, le caractère critique de la situation
économique du secteur de l’acier inoxydable résultait de l’augmentation rapide
du cours du nickel, qui est l’un des éléments d’alliage utilisés par les producteurs d’acier inoxydable et dont le coût
représente une proportion très importante des coûts totaux de production,
tandis que le prix de vente de l’acier inoxydable demeurait très bas.
De la même manière, la Commission a
retenu, dans une décision Tubes d’acier
sans soudure de 1999, le fait que « le secteur des tubes d’acier a connu une situation de crise de longue durée » pour ac-
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
corder une minoration de 10 % des montants de base des amendes au titre des
circonstances atténuantes (Déc. Comm. CE
n° 2003/382, 8 déc. 1999, aff. IV/35.860, Tubes d’acier sans
soudure, pts. 168 à 169, JOUE 6 juin 2003, n° L 140). En
l’espèce, la Commission a relevé que l’ensemble de l’industrie sidérurgique était,
depuis les années 1970, dans une situation de crise, caractérisée par une chute
persistante de la demande et par l’effondrement des prix, ce qui a rendu inévitable un processus de restructuration sévère. En particulier, la Commission a pris
en compte le fait que les capacités de
production dans le secteur européen des
tubes en acier avaient été réduites d’environ 20 % entre 1980 et 1990, tandis
que plus de 20 000 emplois avaient été
supprimés entre 1988 et 1991 dans ce
même secteur et que cette situation s’était
encore dégradée après 1991.
On peut également noter la réduction
du montant de l’amende de 70 %, qui
a été accordée dans les circonstances
très particulières de l’affaire Viandes Bovines françaises au moment de la crise
dite de la « vache folle » (TPICE, 13 déc. 2006,
aff. jtes. T-217/03 et T-245/03, FNCBV e.a. c/Commission
(Viande Bovine)). Conformément au para-
graphe 5 (b) des lignes directrices de
1998 pour le calcul des amendes, la Commission avait pris en considération le
« contexte économique spécifique » de
l’affaire pour accorder une réduction de
60 % du montant de l’amende, que le
Tribunal de première instance avait ensuite porté à 70 %. En l’espèce, la spécificité du contexte économique reposait sur la combinaison des facteurs
suivants : (i) la « crise de la vache folle »
et les craintes relatives à la maladie de
Creutzfeld-Jacob, affectant l’homme,
avaient entraîné une perte de confiance
durable des consommateurs et avaient
fortement accentué la baisse, constatée
depuis le début des années 1990, de la
consommation et des prix de la viande
de bœuf ; (ii) la Commission avait autorisé les autorités françaises à octroyer
des aides exceptionnelles aux agriculteurs les plus durement touchés par la
crise.
La portée de cette « jurisprudence » –
chaque affaire est un cas particulier –
demeure toutefois limitée. La Commission considère en effet que les conditions économiques sectorielles invoquées
par les entreprises en cause doivent être
exceptionnellement graves et soudaines
pour justifier une diminution de
l’amende et que le simple fait pour une
entreprise de se trouver en difficulté financière ne saurait à elle seule constituer une circonstance atténuante (cf. Déc.
Comm. CE n° 2004/337, 20 déc. 2001, aff. COMP/36.212,
Droit I Économie I Régulation
ligne à cet égard que la majorité des ententes horizontales est la conséquence
directe ou indirecte de conditions économiques difficiles. Le Tribunal de première instance a validé cette approche
dans l’affaire des Électrodes de graphite
en observant que « si l’on suivait le raisonnement des requérantes [selon lequel
les circonstances économiques difficiles
devraient justifier le bénéfice d’une circonstance atténuante], l’amende devrait
régulièrement être réduite dans la quasitotalité des cas » (cf. TPICE, 29 avr. 2004, aff. jtes.
T-236/01, T-239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01,
Tokai Carbon Co. Ltd e.a. c/Commission (Électrodes de graphites), pt. 345). Or, le Tribunal de première
instance a refusé de procéder dans cette
affaire à une appréciation des circonstances de fait et a considéré d’une part,
que « la Commission n’est pas tenue de
considérer comme circonstance atténuante la mauvaise santé financière du
secteur en cause », et d’autre part, que
« ce n’est pas parce que la Commission
a tenu compte, dans de précédentes affaires, de la situation économique du secteur comme circonstance atténuante
qu’elle doit nécessairement continuer à
observer cette pratique ».
Autrement dit, le Tribunal de première
instance a reconnu à la Commission un
pouvoir totalement discrétionnaire en
matière de difficultés économiques : selon les affaires, la Commission peut
prendre en considération ces difficultés
au titre des circonstances atténuantes,
tout comme elle est libre de ne pas le
faire, et ce, sans avoir à justifier les variations de sa pratique décisionnelle. La
reconnaissance à la Commission par le
juge communautaire d’une telle discrétion paraît contraire aux principes fondamentaux de non-discrimination, de
proportionnalité et d’équité.
Espérons que, dans le contexte de crise
mondiale actuelle, la Commission renoncera à user d’une telle discrétion et tiendra systématiquement compte des difficultés économiques pour réduire les
amendes imposées à des entreprises impliquées dans des accords horizontaux
illicites. Une telle approche, qui reviendrait à infliger des amendes inférieures
de 30 à 40 % (voire davantage) pour les
cartels mis en œuvre en temps de crise,
n’inciterait pas les entreprises à participer à des accords délictueux, compte
tenu du niveau actuel très élevé des
amendes « anticartel » en vigueur tant
au niveau français qu’au niveau communautaire. En effet, des amendes
Droit I Économie I Régulation
mêmes réduites de 30 à 40 % demeureront extrêmement dissuasives en temps
de crise (ou de sortie de crise), compte
tenu des pertes que ne manqueront pas
d’accumuler de nombreux groupes pendant la crise. Une telle approche permettrait également de mieux prendre en
compte l’effet réel des ententes de prix
et des cartels, qui est généralement très
faible en période de crise sérieuse.
2) La prise en compte des difficultés
individuelles des entreprises
délinquantes
En dehors de l’hypothèse d’une crise
sectorielle, la Commission s’est montrée peu encline à prendre en compte
les difficultés particulières éventuellement rencontrées par les entreprises délinquantes pour réduire le montant de
La prise en compte
par la Commission
des difficultés rencontrées
par le secteur concerné
ou par les seules
entreprises délinquantes,
n’intervient que
rarement et de manière
tout à fait aléatoire.
leurs amendes. Elle estime en effet que
« tenir compte du simple fait qu’une entreprise se trouve dans une situation financière difficile en raison des conditions générales du marché équivaudrait
à lui conférer un avantage concurrentiel indu » (cf. Déc. Comm. CE, Papier autocopiant,
préc., pt. 461).
Cela étant, il existe une jurisprudence
du Tribunal de première instance et de
la Cour de justice selon laquelle une
amende ne saurait, en vertu du principe
de proportionnalité, entraîner le dépôt
de bilan d’une entreprise (TPICE, 15 mars 2000,
aff. T-25/95, Cimenteries CBR e.a. c/Commission, pt. 4705,
Rec. CJCE, II, p. 491). Cette idée a été retrans-
crite dans les lignes directrices de 2006,
qui prévoient que la Commission peut
« dans des circonstances exceptionnelles,
(…) tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise dans
un contexte social et économique particulier » (Lignes directrices de 2006, pt. 35). Il est
toutefois précisé qu’« aucune réduction
d’amende ne sera accordée à ce titre par
la Commission sur la seule constatation
d’une situation financière défavorable
ou déficitaire ».
Une analyse de la pratique décisionnelle
de la Commission en la matière indique
que l’argument relatif à l’absence de capacité contributive a été pour l’instant le
PERSPECTIVES ÉTUDE
Papier autocopiant, pts. 431 et 461, JOUE 21 avr. 2004,
n° L 115 ; cf., également, Déc. Comm. CE n° 2004/104,
27 nov. 2002, aff. COMP/37.978/, Méthylglucamine, pt. 253,
JOUE 10 févr. 2004, n° L 38). La Commission sou-
plus souvent rejeté au motif que n’était
pas démontrée l’existence d’un « contexte
économique et social particulier ». Cette
expression pour le moins vague mériterait par conséquent d’être précisée afin
que les entreprises, auxquelles incombe
la charge de la preuve, soient en mesure
de développer les arguments appropriés
(cf. Déc. Comm. CE n° 2004/420, 3 déc. 2003, aff. C.38.359,
Produits à base de carbone et de graphite pour applications
électriques et mécaniques, pts. 350 et 357, JOUE 28 avr. 2004,
n° L 125; Déc. Comm. CE n° C (2008) 926 final, 11 mars
2008, aff. COMP/38.543, Services de déménagements internationaux, pts. 617 à 655).
La Commission a toutefois déjà eu l’occasion de réduire le montant de certaines
amendes en tenant compte du fait que
les entreprises concernées non seulement
connaissaient de sérieuses difficultés financières, mais avaient été en outre
condamnées récemment au paiement
d’amendes pour des infractions connexes.
En 2002 et 2003, dans les affaires Graphites spéciaux et Produits à base de carbone et de graphite, les amendes infligées à la société SGL, déjà condamnée
en 2001 par la Commission à payer une
amende de 80,2 millions d’euros, ont
ainsi été réduites de 33 % (Déc. Comm. CE
n° 2004/420, 3 déc. 2003, aff. C.38.359, préc., pt. 360). Il
est toutefois intéressant de relever que,
dans sa décision de 2003, la Commission
a refusé de réduire l’amende infligée à
une autre entreprise, alors que celle-ci
faisait également état de difficultés financières. La Commission a en effet considéré que les deux situations étaient différentes dans la mesure où l’amende déjà
infligée à cette entreprise pour une infraction connexe était, en pourcentage
du chiffre d’affaires mondial, nettement
inférieure à l’amende infligée en 2001 à
la société SGL.
Il ressort de ces développements que la
prise en compte par la Commission des
difficultés rencontrées par le secteur
concerné ou par les seules entreprises
délinquantes, n’intervient que rarement
et de manière tout à fait aléatoire. Il
n’existe pas en effet, dans la version actuelle des lignes directrices relatives au
calcul des amendes, de règles claires permettant aux entreprises faisant état de
difficultés économiques ou financières
de bénéficier systématiquement d’une
réduction d’amende. Cette absence de
sécurité juridique est particulièrement
regrettable dans un contexte de crise
mondiale majeure, où les repères des entreprises sont déjà considérablement bouleversés.
Il semblerait néanmoins qu’une réflexion
ait été engagée au sein de la Commission afin de faciliter la prise en compte
de l’absence de capacité contributive des
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
109
LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE
entreprises délinquantes (lors de la table ronde
organisée en 2009 par l’OCDE sur la sphère réelle de l’économie et les défis de la politique de la concurrence en période de repli de l’activité, la Commission européenne a reconnu la nécessité pour les autorités de concurrence de « faire
preuve de réalisme quant à l’impact sur le marché des amendes
ou des rectifications de périmètre qu’elles imposent et [de]
prendre pleinement en compte la capacité d’une entreprise de
payer une amende, en particulier si cela a pour effet d’affaiblir la concurrence »). Si l’on ne peut que se réjouir d’une telle initiative, on peut toutefois souhaiter qu’elle soit élargie afin de
permettre notamment à la Commission
de mieux prendre en compte les effets
concrets des cartels sur le niveau des prix
dans le calcul des amendes antitrust.
III. – LA CLARIFICATION
DE L’EXCEPTION DITE DE
« L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE »
EN MATIÈRE DE CONTRÔLE
DES CONCENTRATIONS
En raison du nombre peu élevé d’opérations de concentration affectant le commerce entre États membres depuis le début de la crise, l’activité de la Commission
européenne demeure, en la matière, pour
l’instant inférieure à son niveau habituel. Il est toutefois permis de penser
que, du point de vue du droit de la concurrence, les opérations à venir, à défaut
d’être nombreuses, présenteront un degré inédit de complexité. On peut, en effet, aisément imaginer que, compte tenu
de la crise actuelle, on assistera prochainement à des opérations de rapprochement à forts niveaux de synergies industrielles, qui soulèveront, dans le cas des
marchés oligopolistiques, de délicats problèmes de concurrence.
En matière de contrôle des concentrations, la Commission a déjà montré
qu’elle pouvait adopter, en temps de crise
systémique, une approche pragmatique,
comme en témoignent les délais raccourcis de procédure, la possibilité pour les
entreprises d’obtenir plus facilement des
dérogations à l’obligation de suspension
de l’article 7 du règlement n° 139/2004,
ainsi que la forte disponibilité et la grande
réactivité dont les équipes de la Commission ont fait preuve sur de nombreux
dossiers récents (ces mêmes remarques
générales valant également pour l’Autorité de la concurrence).
Au-delà de cette flexibilité dans la mise
en œuvre du contrôle, se pose la question de l’argument de « l’entreprise défaillante » ou failing firm defense, que la
Commission s’est dite prête à prendre en
compte chaque fois que les conditions
en seraient réunies (Kroes N., Dealing with the
current financial crisis, Communiqué Comm. CE
n° SEECH/08/498, 6 oct. 2008, p. 3 : « (…) the Commission
110
can and will take into account the evolving market conditions and, where applicable, the failing firm defense »).
L’« exception » d’entreprise défaillante,
qui est apparue aux États-Unis dans le
contexte de la crise économique et financière de 1929, permet d’autoriser une
opération de concentration ayant potentiellement des effets anticoncurrentiels,
lorsque la création ou le renforcement
de la position dominante affectant sensiblement la concurrence se produirait
de toute façon, du fait de la disparition
inévitable de l’entreprise cible (l’arrêt fondateur de la théorie de l’entreprise défaillante a été rendu
par la Cour suprême des États-Unis le 6 janvier 1930 dans
l’affaire International Shoe v. FTC. La Cour a considéré en
l’espèce que l’opération prévue n’était pas contraire à la sec-
L’« exception »
d’entreprise défaillante
permet d’autoriser
une opération
de concentration
ayant potentiellement
des effets
anticoncurrentiels.
tion 7 du Clayton Act, dans la mesure où les graves difficultés rencontrées par la société cible étaient irrémédiables et
où la faillite à moyen terme était certaine, même si son activité à court terme pouvait être sauvée grâce au soutien des
banques). Si le règlement « concentrations »,
qu’on le considère dans sa rédaction
d’origine (Règl. Comm. n° 4064/89/CEE, 21 déc. 1989)
ou dans sa rédaction actuelle (Règl. Cons. CE
n° 139/2004, 20 janv. 2004), ne fait pas référence
à cet argument, la Commission européenne a toutefois accepté d’en examiner la substance dans un certain nombre
d’affaires (Déc. Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993,
aff. IV/M.308, Kali und Salz/MdK/Treuhand, JOCE 21 juill.
1994, n° L 186; Déc. Comm. CE n° 98/663, 26 juin 1997,
aff. IV/M.890, Blokker/Toys ‘R’Us, JOCE 25 nov. 1998,
n° L 316 ; Déc. Comm. CE n° 1999/674, 3 févr. 1999,
aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, JOCE 23 oct., n° L 274; Déc.
Comm. CE n° 97/610, 4 déc. 1996, aff. IV/M.774, SaintGobain/Wacker-Chemie/NOM, JOCE 10 sept. 1997, n° L 247;
Déc. Comm. CE n° 2002/365, 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314,
BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132;
Déc. Comm. CE, 1er juill. 2002, aff. COMP/M.2810, Deloitte
& Touche/Andersen (UK), JOUE 23 août, n° C 200; Déc.
Comm. CE, 5 sept. 2002, aff. COMP/M.2816, Ernst & Young
France/Andersen France, JOUE 28 sept., n° C 232 ; Déc.
Comm. CE n° 2004/311, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876,
Newscorp/Telepiù, JOUE 16 avr. 2004, n° L 110; Déc. Comm.
CE, 10 mai 2007, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm, pts. 238
à 241 et 689 à 816), dont on présentera ici briè-
vement les plus importantes.
A. – L’affaire Kali und Salz
D’un point de vue historique, la décision
Kali und Salz rendue le 14 décembre 1993
par la Commission européenne, consti-
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
tue le premier cas d’application en Europe de l’argument de « l’entreprise défaillante » (Déc. Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993,
préc.). En l’espèce, l’opération de concentration consistait à regrouper les activités « potasse » et « sel gemme » d’une filiale du groupe chimique BASF (Kali und
Salz AG) et de la société Mitteldeutsche
Kali AG (MdK) dans une entreprise commune créée par Kali und Salz et l’actionnaire unique de MdK. La réalisation de
cette opération devait notamment aboutir à la création d’un monopole de fait
sur le marché allemand de la potasse
agricole. La Commission a néanmoins
autorisé l’opération en considérant que
le renforcement de la position dominante
de Kali und Salz AG aurait de toute façon eu lieu, indépendamment de la réalisation de l’opération.
La Commission a en effet accepté l’argument de « l’entreprise défaillante »
avancé par les parties, selon lesquelles
la société MdK était vouée à disparaître,
indépendamment de la réalisation de
l’opération, en raison de difficultés économiques graves et durables. Plus précisément, la Commission a considéré que
cet argument pouvait être pris en compte
dans le cadre de l’article 2, paragraphe 2,
du règlement n° 139/2004, selon lequel
une concentration doit être déclarée compatible avec le droit communautaire en
l’absence de lien de causalité entre l’opération elle-même et l’existence d’une entrave significative à la concurrence dans
le marché commun.
L’affaire Kali und Salz a été ainsi l’occasion pour la Commission de poser les
conditions dans lesquelles une « concentration d’assainissement » est susceptible
d’être autorisée. En l’espèce, la Commission a considéré qu’« en général, une
concentration n’est pas la cause de la détérioration de la structure concurrentielle
s’il est certain que : (i) l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n’était pas reprise par une autre
entreprise » ; (ii) « l’entreprise acquérante
reprendrait la part du marché de l’entreprise acquise si celle-ci venait à disparaître du marché » ; et (iii) « il n’y a pas
d’autre alternative d’achat moins dommageable pour la concurrence ».
Cette approche, bien que différente de
celle adoptée aux États-Unis, a été validée par la Cour de justice, qui avait été
saisie en appel de la décision de la Commission (CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95,
République française et Société commerciale des potasses et
de l’azote (SCPA) et Entreprise minière et chimique (EMC)
c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 1375). Le juge com-
munautaire a en effet considéré à cette
occasion que « le fait que les conditions
posées par la Commission pour conclure
Droit I Économie I Régulation
lignes directrices du Department of Justice et de la Federal
Trade Commission relatives aux opérations de concentration
horizontale dispose que : « A merger is not likely to create or
enhance market power or facilitate its exercise if the following circumstances are met : 1) the allegedly failing firm
would be unable to meet its financial obligations in the near
future; 2) it would not be able to reorganize successfully under Chapter 11 of the Bankruptcy Act; 3) it has made unsuccessful good-faith efforts to elicit reasonable alternative offers
of acquisition of the assets of the failing firm that would both
keep its tangible and intangible assets in the relevant market and pose a less severe danger to competition than does
the proposed merger; and 4) absent the acquisition, the assets of the failing firm would exit the relevant market »),
avait été contestée par le gouvernement
français. La Cour de justice a toutefois
estimé que ce critère, bien que n’étant
pas « suffisant à lui seul pour exclure le
caractère préjudiciable de l’opération de
concentration pour le jeu de la concurrence, concourt à assurer la neutralité de
cette opération par rapport à la dégradation de la structure concurrentielle du
marché, ce qui est conforme à la notion
de causalité figurant à l’article 2, paragraphe 2, du règlement » (pts. 115-116 de l’arrêt). D’un certain point de vue, l’approche
de la Cour dans l’affaire Kali und Salz
apparaît donc un peu plus large que celle
de la Commission, dans la mesure où,
au-delà du critère formel mis en place
par cette dernière, le juge communautaire s’est attaché à la question de savoir
si la dégradation de la structure concurrentielle du marché serait intervenue de
la même manière en l’absence de l’opération de concentration.
B. – L’affaire
BASF/Eurodiol/Pantochim
La décision BASF/Eurodiol/Pantochim
rendue par la Commission le 11 juillet
2001, constitue une étape importante
dans le développement de la pratique décisionnelle communautaire relative à l’argument de « l’entreprise défaillante » (Déc.
Comm. CE n° 2002/365, 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314,
BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132).
En l’espèce, l’opération envisagée consistait en l’acquisition par l’entreprise allemande BASF du contrôle à 100 % des
entreprises belges Pantochim et Euro-
Droit I Économie I Régulation
diol. La réalisation de cette opération devait notamment aboutir à la création
d’une position dominante à l’échelle européenne sur plusieurs marchés de produits chimiques. Dans ce contexte, l’entreprise BASF a invoqué l’argument de
« l’entreprise défaillante » en soutenant
que les entreprises Eurodiol et Pantochim
auraient disparu du marché si elle ne les
avait pas rachetées.
Après avoir rappelé sa propre décision
dans l’affaire Kali und Salz, ainsi que
l’arrêt rendu par la Cour de justice dans
cette même affaire, la Commission a tout
d’abord redéfini les conditions dans lesquelles une « concentration d’assainissement » peut avoir lieu. Ainsi, les trois
conditions posées dans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim sont les suivantes : (i)
« l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n’était pas reprise par une autre entreprise » ; (ii) « il
n’y a pas d’autre alternative d’achat
moins dommageable pour la concurrence » ; et (iii) « les actifs à racheter disparaîtraient inévitablement du marché
s’ils n’étaient pas repris par une autre
entreprise ».
Le critère relatif à la disparition des actifs constitue l’innovation essentielle apportée par la Commission dans cette affaire. Contrairement à ce qu’elle avait
estimé dans sa décision Kali und Salz,
la Commission a considéré en l’espèce
qu’il n’était pas pertinent de prouver que
l’entreprise acquérante reprendrait toutes
les parts de marché de l’entreprise cible
si celle-ci venait à disparaître du marché.
En l’espèce, une application stricte du
critère de l’absorption des parts de marché aurait en effet conduit la Commission à rejeter l’argument de « l’entreprise
défaillante » dans la mesure où, en raison de la structure oligopolistique du
marché en cause, l’entreprise acquérante
n’aurait pas pu récupérer toutes les parts
de marché des entreprises cibles.
En revanche, la Commission a considéré
qu’il était pertinent d’examiner la probabilité selon laquelle les actifs et les capacités de production des entreprises
cibles disparaîtraient définitivement du
marché en l’absence de concentration.
En l’espèce, la Commission a estimé
qu’une telle disparition était très probable et qu’elle aurait été à l’origine d’une
pénurie de capacité non négligeable pour
des produits déjà offerts sur le marché
sous des contraintes de capacité très
strictes. Étant donné l’inélasticité de la
demande en l’espèce, la Commission a
considéré que la disparition des actifs et
des capacités de production des entreprises cibles aurait engendré une hausse
des prix considérable.
PERSPECTIVES ÉTUDE
à l’inexistence d’un lien de causalité entre
la concentration et la détérioration de la
structure concurrentielle ne recoupent pas
intégralement les conditions retenues dans
le cadre de la théorie américaine de la “failing company defense” n’est pas en soi
un motif d’invalidité de la décision litigieuse ».
En particulier, l’utilisation du critère de
l’absorption des parts de marché, qui ne
figure pas dans les lignes directrices américaines relatives aux opérations de
concentration horizontale (l’article 5 (1) des
Par contraste, la Commission a estimé
que les conditions du marché seraient
plus favorables pour les clients dans l’hypothèse où la concentration serait autorisée. Les usines rachetées devant être
exploitées presque à pleine capacité pour
être rentables et profiter pleinement du
potentiel de réduction des prix offert par
la technologie, la Commission a considéré que BASF chercherait à diminuer
les coûts après la concentration en développant l’effort de vente de certains
produits. Dans ces conditions, le client
pouvait attendre, selon la Commission,
de meilleures conditions d’approvisionnement et des prix plus favorables sur
le marché après la concentration que
dans un scénario de faillite. Sur la base
de ces considérations, la Commission a
autorisé l’opération envisagée.
La position adoptée par la Commission
dans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim
a été « codifiée » dans les lignes directrices de 2004 sur l’appréciation des
concentrations horizontales. Dans les
trois derniers paragraphes consacrés à
l’argument de « l’entreprise défaillante »,
la Commission rappelle ainsi les conditions « particulièrement pertinentes » pour
que l’argument de « l’entreprise défaillante » soit retenu : « En premier lieu,
l’entreprise prétendument défaillante serait, dans un proche avenir, contrainte
de quitter le marché en raison de ses difficultés financières si elle n’était pas reprise par une autre entreprise. Deuxièmement, il n’existe pas d’autre alternative
de rachat moins dommageable pour la
concurrence que la concentration notifiée. Troisièmement, si la concentration
n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise défaillante disparaîtraient inévitablement du marché » (Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du
règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations
entre entreprises, JOUE 5 févr. 2004, n° C 031, §§ 89 à 91).
C. – La notion de « concentration
d’assainissement » dans
le contexte actuel : un besoin
urgent de clarification
Le rappel des deux principales décisions
de la Commission dans lesquelles l’argument de « l’entreprise défaillante » a
été invoquée avec succès, a permis de
montrer l’importante évolution de la pratique décisionnelle en la matière. Il ressort notamment de ces développements
que les conditions dans lesquelles l’argument de « l’entreprise défaillante » peut
être accepté par la Commission ont d’ores
et déjà été largement assouplies. Ainsi,
le critère de « l’absorption des parts de
marché », appliqué dans l’affaire Kali und
Salz, a été remplacé à l’occasion de l’af-
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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111
LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE
faire BASF/Eurodiol/Pantochim par celui
de « la disparition inévitable des actifs à
racheter ».
Si l’on en croit la version en vigueur des
lignes directrices sur l’appréciation des
concentrations horizontales, ce critère
est toujours d’actualité. Or, la décision
rendue par la Commission le 10 mai 2007
dans l’affaire JCI/VB/Fiamm semble indiquer que la disparition inéluctable de
tous les actifs de l’entreprise défaillante
ne serait plus un critère décisif dans l’appréciation de l’argument de l’entreprise
défaillante ( Déc. Comm. CE, 10 mai 2007,
aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm). En l’espèce,
l’opération envisagée consistait en l’acquisition par l’entreprise allemande VB
Autobatterie, qui est active sur le marché des batteries automobiles de démarrage, des activités du groupe italien
Fiamm sur le même marché (branche
Fiamm SBB). La réalisation de l’opération, telle qu’initialement notifiée, aurait
eu pour effet de conférer à VB Autobatterie une position dominante (entre 45
et 75 % de parts de marché) sur les marchés de première monte et de seconde
monte en Italie, en Autriche, en République Tchèque et en Slovaquie, du fait
de la forte position de marché occupée
par le groupe Fiamm dans ces pays. Dans
ce contexte, les parties ont invoqué l’argument de « l’entreprise défaillante ». En
effet, le groupe Fiamm connaissait au
moment de la notification de l’opération
de graves difficultés, en raison des lourdes
pertes enregistrées par sa branche Fiamm
SBB, qui représentait alors entre 40 et
50 % des ventes du groupe. Si la Commission a estimé en l’espèce que les deux
premiers critères posés dans sa décision
BASF/Eurodiol/Pantochim étaient remplis, elle a en revanche considéré que le
troisième critère faisait défaut, dans la
mesure où il était probable, selon elle,
que certains actifs de la branche Fiamm
SBB soient rachetés par des concurrents
en cas de liquidation de cette dernière.
Au lieu de s’en tenir à ce constat et de
rejeter l’argument de « l’entreprise défaillante » dans la mesure où ce troisième
critère faisait défaut, la Commission s’est
livrée à une comparaison détaillée entre
les scénarios « concentration » et « liquidation de la branche défaillante », afin
de déterminer dans quel cas l’effet sur
la concurrence serait le plus dommageable. Au final, la Commission a rejeté
l’argument de « l’entreprise défaillante »
en considérant que les effets anticoncurrentiels engendrés par la liquidation de
Fiamm SBB (pour l’essentiel, une diminution de l’offre à court terme) seraient
moins néfastes que les effets induits par
l’opération de concentration (pour l’es-
112
sentiel, une hausse du niveau des prix
et une altération à long terme de la structure concurrentielle).
La Commission semble ainsi désormais
privilégier la réalisation d’un « test de neutralité concurrentielle », consistant à envisager des scénarios alternatifs, afin de
déterminer si la dégradation de la concurrence qui résulterait de la réalisation de
l’opération serait plus ou moins forte qu’en
cas de faillite de l’entreprise cible. En tout
état de cause, force est de constater qu’aujourd’hui, il existe un doute sur les conditions précises à remplir pour invoquer
avec succès devant la Commission l’argument de « l’entreprise défaillante ». Et
ce d’autant plus qu’on peut aisément imaginer qu’une opération puisse respecter
le critère de « la disparition inévitable des
actifs à racheter », tout en ne passant pas
le « test de neutralité concurrentielle ». Or,
nul ne sait s’il existe une hiérarchie entre
ces deux critères.
Ce n’est pas la seule incertitude juridique.
On doit ajouter qu’un doute existe également, en ce qui concerne l’argument
de la « branche défaillante ». Cet argument, qui ne figure pas dans les lignes
directrices de la Commission sur l’appréciation des concentrations horizontales,
est expressément prévu par l’article 5 (2)
des lignes directrices du Department of
Justice et de la Federal Trade Commission
relatives aux opérations de concentration horizontales (après l’article 5 (1), qui concerne
la « failing firm defense », l’article 5 (2) des lignes directrices
du Department of Justice et de la Federal Trade Commission
relatives aux opérations de concentration horizontale évoque
la « division firme defence » en ces termes : « A similar argument can be made for “failing” divisions as for failing firms.
First, upon applying appropriate cost allocation rules, the division must have a negative cash flow on an operating basis. Second, absent the acquisition, it must be that the assets
of the division would exit the relevant market in the near future if not sold. Due to the ability of the parent firm to allocate costs, revenues, and intracompany transactions among
itself and its subsidiaries and divisions, the Agency will require evidence, not based solely on management plans that
could be prepared solely for the purpose of demonstrating negative cash flow or the prospect of exit from the relevant market. Third, the owner of the failing division also must have
complied with the competitively-preferable purchaser requirement of Section 5.1 »). Cet argument a déjà été
invoqué par le passé devant la Commission (cf. Déc. Comm. CE n° 1999/674, 3 févr. 1999,
aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, JOCE 23 oct., n° L 274), mais
il n’a jamais été retenu à ce jour favorablement. À cet égard, on peut regretter
que la Commission n’ait pas profité de
l’affaire JCI/VB/Fiamm pour clarifier sa
pratique décisionnelle en la matière, alors
qu’elle avait laissé entendre qu’une analyse sous l’angle de l’argument de la
« branche défaillante » aurait été possible
en l’espèce (pts. 710 et 711 de la décision).
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Au-delà de ces incertitudes, les conditions fixées par la Commission pour pouvoir bénéficier de l’« exception » de l’entreprise défaillante apparaissent
extrêmement restrictives. À ce jour en
effet, seules deux opérations de concentration – il s’agit des opérations envisagées dans les affaires Kali und Salz et
BASF/Eurodiol/Pantochim – ont été autorisées sur la base de cet argument (on
exclut ici les affaires Deloitte & Touche/Andersen (UK) et Ernst & Young France/Andersen, dans lesquelles la Commission a
semblé faire application d’une version
« tronquée » de la théorie de l’entreprise
défaillante, sans toutefois y faire référence de manière explicite). Ceci peut
être notamment expliqué par le caractère très contraignant du critère de « la
disparition inévitable des actifs à racheter ». En effet, une application stricte de
ce critère peut conduire la Commission
à refuser d’autoriser une opération de
concentration, alors même qu’il serait
démontré qu’en l’absence de rachat de
l’entreprise défaillante, la majorité (mais
non l’ensemble) des actifs de cette dernière disparaîtrait du marché. En outre,
le test alternatif dit de « neutralité concurrentielle » est, en pratique, excessivement
lourd et coûteux à réaliser, dans la mesure où il requiert la réalisation d’études
économétriques extrêmement sophistiquées : il s’agit, en effet, de simuler le
niveau des prix dans les deux hypothèses
considérées (rachat ou faillite), ce qui
implique de construire un modèle microéconomique et de rassembler des données très importantes pour faire « tourner » ce modèle dans les deux scénarii
considérés. Ainsi, en dépit de son intérêt théorique et de sa « consécration »
dans les lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales, l’argument de « l’entreprise défaillante » présente aujourd’hui une utilité pratique
fortement réduite.
Or, compte tenu de la situation économique actuelle, un grand nombre d’entreprises en difficulté pourraient être tentées de recourir à ce type d’argument. Il
nous semble par conséquent nécessaire
qu’un débat soit ouvert sur la possibilité
de clarifier et d’assouplir les conditions
dans lesquelles l’argument de « l’entreprise défaillante » peut être aujourd’hui
soutenu.
À cet égard, le critère de « la disparition
inéluctable de tous les actifs de l’entreprise défaillante » nous semble pouvoir
être remplacé par celui de « risque
sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique ». De même, le test de « neutralité concurrentielle » pourrait également
Droit I Économie I Régulation
IV. – LA NÉCESSITÉ D’UN DÉBAT
SUR LES ACCORDS MULTILATÉRAUX
DE RÉDUCTION DE CAPACITÉS
À la suite des grandes crises des années
1970, la Commission a envisagé l’idée
« d’accepter, pour lutter contre les problèmes structurels d’un secteur, des accords restrictifs de concurrence qui concernent ce secteur dans son ensemble, à
condition qu’ils ne prévoient qu’une réduction coordonnée des surcapacités et
qu’ils ne limitent pas autrement la liberté
de décision individuelle » (XIIe rapport sur la politique de la concurrence, publié en relation avec le XVIe Rapport général sur l’activité des Communautés européennes,
1982, Office des publications officielles des Communautés
européennes, Luxembourg, 1983, § 39). Ainsi, des ac-
cords conclus entre l’ensemble ou la majorité des entreprises d’un même secteur
et portant sur une réduction coordonnée
des capacités en réponse à une crise sectorielle, ont pu être exceptionnellement
exemptés d’interdiction en application de
l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE.
Étant donné la situation économique actuelle, on pourrait penser que la possibilité de conclure de tels accords, qui
sont parfois présentés sous le terme trompeur de « cartels de crise », retrouve un
second souffle. Or, cela ne serait pas d’actualité si l’on en croit la Commission européenne, qui aurait fait clairement comprendre, de manière informelle, que ce
type d’argument n’avait aujourd’hui aucune chance de prospérer (le Directeur général de la DG Concurrence, Philip Lowe, a confirmé cette hostilité de principe à l’occasion d’une intervention lors de la
table ronde organisée en 2009 par l’OCDE sur la sphère réelle
de l’économie et les défis de la politique de la concurrence
en période de repli de l’activité : « S’agissant des ententes,
Droit I Économie I Régulation
plus les producteurs ont de latitude pour coordonner leur production ou leurs prix, plus il est probable que les mesures
prises pour répondre à la crise en réduisant les capacités s’accompagneront d’une collusion nuisant à la concurrence, aux
consommateurs et aux contribuables. Il faut donc que les mesures destinées à régler les problèmes systémiques d’un secteur ne soient pas décidées uniquement par ceux auxquels
elles s’appliqueront »). La tendance dominante
au sein de la DG Concurrence consisterait en effet à penser que les problèmes
de surcapacités sont inhérents à notre
système économique et doivent pouvoir
normalement être résolus par le simple
fonctionnement du marché.
Il n’en demeure pas moins que la possibilité de conclure des accords de réduction concertée de capacités en période
de crise est fondée sur une pratique décisionnelle de la Commission qui n’a été
Il incombe désormais
aux entreprises
et à leurs conseils
de déterminer si une
entente horizontale
remplit ou non les
conditions d’exemption
de l’article 81,
paragraphe 3,
du Traité CE.
ni confirmée, ni officiellement remise en
cause depuis le milieu des années 1990.
Avec la suppression de la procédure d’autorisation préalable par le règlement de
procédure n° 1/2003, les entreprises ne
bénéficient plus de la sécurité juridique
qui résultait de la validation de leurs accords par une décision officielle de la
Commission ou, à défaut, par une lettre
de confort. Il incombe donc désormais
aux entreprises et à leurs conseils de déterminer si une entente horizontale remplit ou non les conditions d’exemption
de l’article 81, paragraphe 3, du Traité
CE. Or, la pratique décisionnelle relative
aux accords de réduction de capacités
en période de crise est ancienne et cette
question n’est pas abordée dans la version actuelle des lignes directrices relatives aux accords de coopération horizontale (Communication Comm. CE, JOUE 6 janv. 2001,
n° C 003, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81
du Traité CE aux accords de coopération horizontale).
Dans ces conditions, il apparaît donc urgent que la Commission clarifie et, le cas
échéant, actualise sa position concernant
ces accords. Si la Commission a décidé
d’abandonner définitivement cette jurisprudence, il est souhaitable qu’elle le
dise clairement et qu’elle donne ses raisons. Si, au contraire, il est toujours possible aujourd’hui de conclure des accords
PERSPECTIVES ÉTUDE
être assoupli. Cet assouplissement pourrait consister en l’établissement d’une
présomption simple de neutralité chaque
fois que serait démontré un risque sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique : en effet, d’un point de vue
microéconomique, on peut généralement
estimer que la disparition d’un acteur ou
son rachat ont généralement un effet similaire sur le niveau des prix. Cette présomption pourrait être renversée par la
Commission, chaque fois qu’elle serait
en mesure de démontrer que l’opération
envisagée présente plus de risques en
termes d’impact sur l’offre et le niveau
des prix que le scénario de disparition
de l’entreprise défaillante.
Espérons que ces réflexions préliminaires
ouvriront un débat sur une notion essentielle, qui risque de jouer un rôle important dans de nombreux dossiers de
concentrations à venir.
multilatéraux de réduction de capacités,
la Commission serait bien avisée d’actualiser sa position en adaptant les conditions d’exemption de ces accords à la
crise économique et financière que nous
traversons actuellement. À cet égard, il
serait utile que certaines entreprises invoquent dès à présent les deux précédents communautaires en la matière afin
d’encourager la Commission à prendre
rapidement position sur cette question.
A. – L’affaire des Fibres
synthétiques
En 1984, dans l’affaire des Fibres synthétiques, la Commission a exempté un accord conclu pour une période de trois
ans par les principaux producteurs européens de fibres synthétiques, qui visait à réduire leurs capacités à l’échelon
européen (Déc. Comm. n° 84/380/CEE, 4 juill. 1984,
aff. IV/30.810, Fibres synthétiques, JOCE 2 août, n° L 207).
En l’espèce, l’existence de surcapacités
importantes provenait essentiellement
de la combinaison entre un développement rapide de la technologie et une stagnation de la demande. L’objectif fixé par
les signataires de l’accord était de faire
passer le taux d’utilisation des capacités
de 70 à 85 %. Si la Commission a considéré que cet accord constituait une entente prohibée par l’article 81, paragraphe 1, du Traité CE, elle a néanmoins
estimé qu’il pouvait faire l’objet d’une
exemption au titre du paragraphe 3 de
ce même article.
Dans un premier temps, la Commission
a considéré que cet accord pouvait contribuer à améliorer la production et à promouvoir le progrès technique et économique dans la mesure où : (i) il permettait
aux entreprises de se libérer des charges
financières dues au maintien des capacités excédentaires inutilisées tout en permettant d’augmenter les taux d’utilisation des capacités maintenues ; (ii) il
renforçait les structures les plus fortes en
incitant les entreprises à fermer les capacités les moins rentables et les moins performantes; (iii) le recentrage des entreprises signataires sur la production de
certains produits entraînait des effets de
spécialisation permettant d’optimaliser
les dimensions des unités de production
et d’offrir des produits plus perfectionnés et de meilleure qualité; et où (iv) la
coordination des fermetures permettait
de faciliter le reclassement du personnel.
Dans un deuxième temps, la Commission a estimé que l’accord réservait aux
consommateurs une partie équitable du
profit qui en résultait. En particulier, elle
a considéré qu’à long terme, les consommateurs bénéficieraient de l’assainissement du secteur, d’une offre compétitive
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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113
LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE
et de produits de meilleure qualité grâce
à la spécialisation, tandis qu’à court
terme, ils continueraient de bénéficier de
la concurrence qui subsisterait entre les
participants.
Dans un troisième temps, la Commission a estimé que les restrictions imposées aux signataires de l’accord étaient
limitées aux mesures indispensables pour
atteindre les objectifs prévus. À cet égard,
elle a notamment observé que : (i) l’entente ne portait que sur la réduction des
capacités excédentaires et était limitée
dans le temps ; (ii) l’accord ne restreignait pas la liberté des parties concernant la production et les livraisons, les
clauses qui auraient pu porter atteinte à
cette liberté ayant été éliminées ; et (iii)
la stipulation d’amendes contractuelles
était indispensable pour obliger les signataires à respecter strictement le calendrier des fermetures prévues.
Enfin, la Commission a constaté que l’accord ne donnait pas aux parties la possibilité d’éliminer la concurrence pour
une partie substantielle des produits en
cause, après avoir relevé que : (i) d’autres
opérateurs présents sur le marché faisait
une concurrence vive aux signataires de
l’accord ; (ii) les produits faisant l’objet
de l’accord pouvaient entrer en concurrence avec d’autres produits (fibres naturelles et cellulosiques) ; (iii) la durée
de l’accord obligeait les signataires à tenir compte dans leur comportement de
la disparition prochaine des restrictions
prévues ; et (iv) aucune disposition de
l’accord ne visait à coordonner le comportement commercial des signataires.
B. – L’affaire des Briques
hollandaises
En 1994, la Commission a exempté un
autre « cartel de crise » dans l’affaire des
Briques hollandaises (Déc. Comm. CE n° 94/296,
29 avr. 1994, aff. IV/34.456, Stichting Baksteen, JOCE 26 mai,
n° L 131). En l’espèce, l’accord avait pour
objet de répondre aux difficultés rencontrées par l’industrie hollandaise des
briques depuis plusieurs années. En effet, la mise en place de nouveaux procédés technologiques et la construction
de plus grandes installations, associées
à une baisse de la consommation de
20 %, avaient entraîné entre 1989 et 1991
une diminution de 10 % du taux d’utilisation des capacités. Ainsi, le stock de
briques aux Pays-Bas représentait à la fin
de 1991 environ 32 % de la vente totale
de briques par les entreprises néerlandaises, soit un pourcentage largement
supérieur à ce qui était alors considéré
comme supportable au regard des charges
financières générées par le maintien de
ces capacités inutilisées. En outre, le prix
114
des briques avait baissé de 30 % en dix
ans et les entreprises impliquées connaissaient des pertes d’exploitation sans pouvoir espérer une amélioration durable de
la situation à court terme.
Afin de permettre une réduction des capacités de production des briques aux
Pays-Bas, un accord de restructuration
et d’assainissement a été conclu en 1992
pour une durée de cinq ans par seize
producteurs néerlandais. L’accord reposait notamment sur l’engagement de
quatre producteurs à fermer définitivement sept usines et à ne pas vendre les
équipements de production de ces usines
à des producteurs localisés dans un rayon
géographique de 500 kilomètres à partir
de la frontière néerlandaise. L’accord prévoyait également la création d’un fonds
de compensation, géré par l’association
Stichting Baksteen. Ce fonds devait être
alimenté par l’ensemble des entreprises
signataires et était destiné à couvrir les
coûts de fermeture des usines. Enfin, l’accord stipulait une interdiction pour toutes
les parties signataires de créer de nouvelles capacités de production pendant
une période de cinq ans.
Bien que le marché des briques soit considéré comme étant structurellement régional, la Commission a estimé que cet
accord était susceptible d’affecter le commerce entre États membres. Elle a toutefois considéré que les conditions
d’exemption posées par l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE, étaient en l’espèce réunies.
S’agissant de la condition relative à l’amélioration de la production et à la promotion du progrès technique et économique,
la Commission a retenu les éléments suivants : (i) les entreprises s’étant engagées à fermer des capacités ne l’auraient
pas fait si elles n’avaient pas eu la certitude de ne pas être les seules à le faire,
si elles n’avaient pas reçu de soutien financier et si elles n’avaient pas eu la certitude qu’aucune capacité nouvelle ne
serait construite pendant une durée de
cinq ans ; (ii) la réduction des capacités
permettait d’éliminer le coût du maintien des capacités excédentaires, sans
pour autant entraîner une baisse de la
production ; et (iii) en raison de la fermeture des usines les plus inadaptées et
les moins performantes, la production
devait être désormais concentrée dans
les usines les plus modernes, ce qui devait leur permettre de fonctionner à un
niveau de capacité et de productivité plus
élevé et de diminuer d’autant l’incidence
des coûts fixes.
En ce qui concerne la condition relative
au bénéfice tiré de l’accord par les
consommateurs, la Commission a consi-
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
déré qu’à long terme, ceux-ci bénéficieraient de l’assainissement du secteur et
d’une offre compétitive, tandis qu’à court
terme, ils continueraient de bénéficier de
la concurrence qui subsisterait entre les
participants. Si la Commission a admis
qu’il existait un risque d’augmentation
des prix à court terme, elle a toutefois
estimé que ce risque était compensé par
la baisse envisagée des coûts de stockage, qui permettait d’escompter une incidence favorable sur les prix de vente,
ainsi que par la possibilité pour les
consommateurs de faire appel à d’autres
sources d’approvisionnement en cas de
prix inéquitables pratiqués par les entreprises signataires de l’accord.
La condition relative au caractère indispensable et proportionné des restrictions de concurrence au regard de l’objectif poursuivi par l’accord était
également remplie selon la Commission, dans la mesure où : (i) il était nécessaire que l’accord contienne un programme de fermeture détaillé et
contraignant, qui garantisse le démantèlement effectif des sept usines ainsi
que l’absence de création de toute nouvelle capacité pendant une période de
cinq ans ; (ii) la liberté des parties en
ce qui concerne la production, les prix,
les conditions de vente, les importations/exportations, les livraisons et les
fusions/acquisitions n’étaient pas restreintes par l’accord, les dispositions
qui auraient pu porter atteinte à ces libertés ayant été éliminées ; (iii) aucune
disposition de l’accord ne visait à coordonner le comportement commercial
des entreprises signataires ; (iv) le système de compensation était indispensable car la moitié des entreprises
concernées ne pouvait pas réduire leurs
capacités au risque de cesser toute activité et il était nécessaire d’encourager
les entreprises plus importantes à fermer certaines de leurs usines ; (v) la stipulation de pénalités contractuelles,
ainsi que l’extension des engagements
pris par les quatre producteurs aux éventuels non signataires acheteurs des sites
destinés à être fermés, étaient nécessaires pour assurer la fermeture effective des usines ; et où (vi) l’accord était
strictement limité dans le temps.
Enfin, la Commission a estimé que l’accord ne donnait pas aux entreprises signataires la possibilité d’éliminer la
concurrence sur une partie substantielle
du marché en cause, car : (i) la concurrence continuait à jouer entre les entreprises, notamment en matière de prix ;
(ii) les entreprises ne renonçaient pas à
toute liberté d’action en matière de stratégie concurrentielle ; (iii) d’autres pro-
Droit I Économie I Régulation
CONCLUSION
Face aux défis de la crise systémique, la
Commission a pour l’instant concentré
tous ses efforts sur l’adaptation de sa politique de concurrence en matière d’aides
d’État. Elle a ainsi fait preuve d’un grand
pragmatisme dans l’application des règles
existantes, créant un nouveau corpus de
règles applicables uniquement en cas de
crise mondiale. S’il est encore trop tôt
Droit I Économie I Régulation
pour juger de l’efficacité de cette politique, on peut toutefois déjà s’interroger
sur la question de savoir si la transformation de la Commission en régulateur
de facto du secteur bancaire européen
ne devrait pas aboutir à la création d’une
autorité européenne spécifique de régulation bancaire, qui aurait pour double
mission de veiller au respect de la réglementation prudentielle européenne et de
contrôler les aides d’État accordées au
secteur financier.
Par ailleurs, ainsi que nous nous sommes
efforcés de le démontrer, la crise actuelle
devrait favoriser un débat sur le niveau
actuel extrêmement élevé des amendes
antitrust, en particulier dans le domaine
des ententes de prix et des cartels. Il est,
en effet, singulier qu’un cartel soit
condamné de la même manière, qu’il ait
été mis en œuvre dans un contexte de
crise ou dans un contexte de marché mature ou en forte croissance, alors que,
dans le premier cas, les profits illicites
sont quasi nuls et que, dans le second
cas, ces mêmes profits illicites peuvent
être élevés. Afin d’assurer une plus grande
proportionnalité entre ses amendes et les
infractions incriminées, la Commission
européenne pourrait utilement s’inspirer de la loi française, qui oblige l’Autorité de la concurrence à apprécier l’effet
sur le consommateur (et donc l’effet sur
le niveau des prix) de chaque infraction
au travers de la notion de « dommage à
l’économie ».
En matière de contrôle des concentrations,
on peut redouter que les autorités de la
concurrence européennes soient confrontées à de nombreuses affaires impliquant
des entreprises en difficulté, ce qui leur
permettrait de clarifier les conditions de
la « failing firm defense » et de la « division firm defense ». Espérons que cette
clarification ait lieu dans le sens d’une
simplification et d’un assouplissement des
critères existants. À cet égard, le critère
de « la disparition inéluctable de tous les
PERSPECTIVES ÉTUDE
ducteurs non signataires ainsi que des
importateurs présents sur le marché assuraient l’existence d’une concurrence
externe ; (iv) les produits concernés par
l’accord entraient en concurrence avec
des matériaux alternatifs de construction
et de finition suffisamment substituables;
et car (v) l’accord était strictement limité
dans le temps, ce qui incitait les entreprises à tenir compte, dans leur comportement pendant la durée même de l’accord, du fait qu’elles redeviendraient à
terme des concurrents à part entière.
On voit bien dans ces deux décisions que
les accords de réduction de capacités ont
été conclus alors que (i) les marchés en
cause étaient relativement fragmentés et
(ii) qu’il existait des surcapacités importantes et durables. Dans ces conditions,
les réductions envisagées étaient peu susceptibles d’aboutir à une hausse du niveau des prix. À cet égard, il est probable
que de nombreuses filières industrielles
soient tentées prochainement de conclure
de tels accords, plutôt que de laisser faire
le marché. Agir de manière concertée
leur permettrait en effet non seulement
de partager équitablement les coûts engendrés par les réductions de capacités,
mais également de parvenir à un ajustement rapide de l’offre aux conditions du
marché. Dans le contexte actuel, il n’est
pas certain que le libre jeu du marché
soit en mesure de remédier aussi efficacement aux problèmes de surcapacités
industrielles.
actifs de l’entreprise défaillante » nous
semble pouvoir être remplacé par celui
de « risque sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique ». De même, le test de
« neutralité concurrentielle » pourrait également être assoupli. Cet assouplissement
pourrait consister en l’établissement d’une
présomption simple de neutralité chaque
fois que serait démontré un risque sérieux
de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique : en
effet, d’un point de vue microéconomique,
on peut généralement estimer que la disparition d’un acteur ou son rachat ont un
effet similaire sur le niveau des prix. Cette
présomption pourrait être renversée par
la Commission, chaque fois qu’elle serait
en mesure de démontrer que l’opération
envisagée présente plus de risques en
termes d’impact sur l’offre et le niveau
des prix que le scénario de disparition de
l’entreprise défaillante.
Enfin, il est urgent que la Commission
clarifie sa position en matière d’accords
multilatéraux de réduction de capacités.
Par le passé, des accords conclus entre
l’ensemble ou la majorité des entreprises
d’un même secteur et portant sur une
réduction coordonnée des capacités en
réponse à une crise sectorielle, ont fait
l’objet d’une exemption individuelle sur
le fondement de l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE. Cela étant, il semblerait que la Commission soit désormais devenue hostile à ce type d’accord.
Si la Commission européenne a décidé
d’abandonner définitivement cette jurisprudence, il est souhaitable qu’elle le
dise clairement et qu’elle donne ses raisons. Si, au contraire, il est toujours possible aujourd’hui de conclure des accords multilatéraux de réduction de
capacités, la Commission serait bien avisée d’actualiser sa position, en adaptant
les conditions d’exemption de ces accords à la crise économique et financière
que nous traversons actuellement. ◆
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
115
R LC
PERSPECTIVES PRATIQUE
1446
Après avoir abordé les modifications du cadre légal de la négociation commerciale impliquées par l’adoption
récente de la loi de modernisation de l’économie (cf. RLC 2009/19, n° 1383), nous envisagerons à présent
la réforme des délais de paiement et la véritable problématique de l’applicabilité des dispositions de la LME
aux ventes internationales de marchandises. Ensuite, Nathalie Daley, consultante et économiste au sein
du cabinet Microeconomix, nous livrera son analyse économique des marges arrière.
Loi de modernisation de l’économie
– An I –
Dispositions relatives aux relations
industrie/commerce (2de partie)
Thomas LAMY
par Jean-Christophe
GRALL
Associé du Cabinet
MG Avocats Meffre
& Grall
Associé fondateur
du Cabinet MG Avocats
Meffre & Grall
(…)
II. – LA RÉFORME DES DÉLAIS
DE PAIEMENT
Rappel des dispositions de l’article L. 441-6
du Code de commerce :
« (…)
9. Le délai convenu entre les parties pour régler
les sommes dues ne peut dépasser 45 jours fin de
mois ou 60 jours à compter de la date d’émission
de la facture.
10. Les professionnels d’un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l’alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de
retenir la date de réception des marchandises ou
d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords sont conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le
nouveau délai maximum de paiement à tous les
opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider
le nouveau mode de computation et l’étendre à
ces mêmes opérateurs.
11. Nonobstant les dispositions précédentes de l’alinéa précédent, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou
sans conducteur, pour la commission de transport
ainsi que pour les activités de transitaire, d’agent
maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de
commissionnaire en douane, les délais de paiement
convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente
jours à compter de la date d’émission de la facture.
Droit I Économie I Régulation
Nathalia KOUCHNIRCARGILL
et Eléonore
CAMILLERI
Associée du Cabinet
MG Avocats Meffre
& Grall
Avocat
du Cabinet
MG Avocats –
Grall et associés
12. Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le
taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le
jour suivant la date de règlement figurant sur la
facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire
qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois
fois le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux
d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus
récente majoré de 10 points de pourcentage. Les
pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire.
(…)
14. Est puni d’une amende de 15 000 euros, le fait
de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième et onzième alinéas, le fait de
ne pas indiquer dans les conditions de règlement
les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa ainsi que le fait de fixer un taux ou
des conditions d’exigibilité selon des modalités
non conformes aux dispositions du même alinéa ».
Dispositions non codifiées relatives aux
délais de paiement (article 21 de la LME) :
« III. – Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des
accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum
supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :
1° Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et
spécifiques à ce secteur, notamment au regard
des délais de paiement constatés dans le secteur
en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;
2° Que l’accord prévoie la réduction progressive
du délai dérogatoire vers le délai légal et l’application d’intérêts de retard en cas de non-respect
du délai dérogatoire fixé dans l’accord ;
3° Que l’accord soit limité dans sa durée et que
celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.
Ces accords conclus avant le 1er mars 2009 sont
reconnus comme satisfaisant à ces conditions par
décret pris après avis du Conseil de la concurrence. Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l’activité relève
des organisations professionnelles signataires de
l’accord.
IV. – Les I et II s’appliquent aux contrats conclus
à compter du 1er janvier 2009.
V. – Dans le cas des commandes dites “ouvertes”
où le donneur d’ordre ne prend aucun engagement ferme sur la quantité des produits ou sur
l’échéancier des prestations ou des livraisons, les
I et II s’appliquent aux appels de commande postérieurs au 1er janvier 2009.
VI. – Pour les livraisons de marchandises qui font
l’objet d’une importation dans le territoire fiscal
des départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de La Réunion, ainsi que
des collectivités d’outre-mer de Mayotte, de SaintPierre-et-Miquelon, de Saint-Martin et de SaintBarthélemy, le délai prévu au neuvième alinéa
de l’article L. 441-6 du Code de commerce est décompté à partir de la date de réception des marchandises ».
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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117
LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)
FAQ de la DGCCRF :
Le nouveau plafond légal s’appliquet-il à tous les secteurs économiques ?
Oui, le nouveau plafond s’applique à
tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, à l’exclusion des non
professionnels.
Toutefois, certains secteurs demeurent
soumis à des délais spécifiques :
30 jours pour le transport de marchandises et 20 ou 30 jours selon les produits alimentaires périssables. Les
délais de 75 jours pour certaines boissons alcooliques ont été ramenés à
60 jours ou 45 jours fin de mois.
Quel est le point de départ de la
computation du délai ?
Il s’agit de la date d’émission de la facture dans la généralité des cas.
En revanche, le point de départ est la
date de réception des marchandises
pour les départements d’outre-mer et
les collectivités d’outre-mer de Mayotte,
de Saint-Pierre et Miquelon, de SaintMartin et de Saint-Barthélemy.
Toutefois, le point de départ peut être
la date de réception des marchandises
ou d’exécution de la prestation de services si des accords entre les organisations professionnelles concernées le
prévoient. Ce choix de point de départ
ne doit néanmoins pas conduire à un
délai final supérieur à 60 jours calendaires ou 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture.
Ce nouveau plafond légal s’appliquet-il à tous produits ou services ?
Oui, la loi n’opère pas de distinction.
De qui dépend le choix entre 60 jours
calendaires et 45 jours fin de mois ?
C’est un choix qui relève de la liberté
contractuelle des opérateurs. Pour les
opérateurs soumis à l’établissement
d’une convention unique, celle-ci devra mentionner ce choix.
Comment comprendre le mode de
computation des 45 jours fin de mois ?
Une pratique consiste à comptabiliser les 45 jours à compter de la date
d’émission de la facture, la limite de
paiement intervenant à la fin du mois
civil au cours duquel expirent ces
45 jours.
Toutefois il est également envisageable de comptabiliser les délais
d’une autre façon, consistant à ajouter 45 jours à la fin du mois d’émission de la facture.
118
S’agissant des dérogations à la loi, à
quoi la date du 1er mars correspondelle exactement : la date de conclusion
de l’accord, du visa du Conseil de la
concurrence, de la parution du décret ?
La date du 1er mars est celle de la
conclusion de l’accord.
Les professionnels qui sont en train de
négocier un accord dérogatoire pourront-ils être sanctionnés au 1er janvier
2009 ?
Les accords conclus avant le 1er janvier 2009 ne donneront pas lieu à
contrôle avant la décision d’homologuer ou pas. Pour le reste, la loi est
d’application le 1er janvier 2009.
Qui va examiner les projets d’accords
au regard des critères définis dans la
loi ?
C’est l’administration qui va effectuer
cet examen et si les conditions prévues
par la loi sont remplies, un projet de
décret validant l’accord sera transmis
à l’Autorité de la concurrence pour avis.
Il examinera le bilan concurrentiel de
l’accord et ses éventuels effets anticoncurrentiels. Enfin, le ministre prendra
sa décision.
Un contrat conclu par exemple pour
3 ans avant le 1er janvier 2009 échappera-t-il au nouveau plafond légal durant tout le temps de son exécution ?
Quid d’un contrat annuel tacitement
reconductible ?
Pour les relations entre un fournisseur et un distributeur, la question
ne se pose pas dès lors que la convention unique est obligatoirement
annuelle.
Pour les autres cas, il convient de distinguer entre une clause d’indexation
contenue dans le contrat et qui fait
varier le prix automatiquement et une
clause de révision de prix qui implique
un nouvel accord de volonté entre les
parties. La première correspond effectivement à un contrat pluriannuel,
tandis que la seconde est en réalité
une succession de contrats annuels
même s’il existe une convention cadre.
Enfin, la loi nouvelle s’applique également aux contrats tacitement renouvelés, ceux-ci étant considérés de jurisprudence constante comme de
nouveaux contrats.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Les débiteurs peuvent-ils exiger de leurs
créanciers une « compensation » du fait
de la réduction des délais de paiement?
Au sens strict, une obligation légale
d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au
premier euro. La situation des délais
de paiement a toutefois toujours été
prise en compte dans les négociations
commerciales. Elle le sera également
à l’avenir.
Le dépassement des nouveaux plafonds
introduits par la loi de modernisation
de l’économie fait-il l’objet d’une sanction pénale ?
Non, le dépassement des nouveaux
plafonds fait l’objet d’une sanction civile, prévue à l’article L. 442-6 du Code
de commerce.
En revanche, l’article L. 441-6 du Code
de commerce prévoit encore une sanction pénale pour un certain nombre de
cas particuliers : le respect du délai supplétif (lorsque les parties n’ont pas
convenu d’un délai), le délai relatif au
secteur du transport et les mentions
obligatoires dans les conditions de règlement. En effet, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le
taux d’intérêt des pénalités de retard
exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le
cas où les sommes dues sont réglées
après cette date.
Quelle utilisation fera-t-on des rapports
des commissaires aux comptes ?
Ils concourront à l’élaboration des programmes d’enquête de la DGCCRF.
Le décret d’application sur les rapports
des commissaires aux comptes est
prévu pour la fin de l’année 2008.
Les nouvelles dispositions relatives aux
délais de paiement s’imposent-elles aux
contrats internationaux ?
La jurisprudence a reconnu le caractère d’ordre public à l’article L. 442-6
du Code de commerce qui prévoit la
sanction civile du dépassement des délais légaux de paiement. La DGCCRF,
qui intervient au nom de l’ordre public économique, veillera à ce que des
créanciers français ne se voient pas imposer des délais de paiement anormalement longs par leurs débiteurs, en
Droit I Économie I Régulation
Avis de la CEPC :
Délais de paiement au 1er janvier 2009 :
Un contrat conclu par exemple pour
3 ans avant le 1er janvier 2009 échappera-t-il au nouveau plafond légal durant tout le temps de son exécution ?
Quid d’un contrat annuel tacitement reconductible ?
Pour les relations entre un fournisseur et
un distributeur, la question ne se pose
pas dès lors que la convention unique est
obligatoirement annuelle. Pour les autres
cas, il convient de distinguer entre une
clause d’indexation contenue dans le
contrat et qui fait varier le prix automatiquement et une clause de révision de
prix qui implique un nouvel accord de
volonté entre les parties. La première correspond effectivement à un contrat pluriannuel, tandis que la seconde est en
réalité une succession de contrats annuels
même s’il existe une convention cadre.
Enfin, la loi nouvelle s’applique également aux contrats tacitement renouvelés, ceux-ci étant considérés de jurisprudence constante comme de nouveaux
contrats.
Délais de paiement – Compensations :
Est-il légal de négocier des compensations à la réduction des délais de paiement ? Quel peut-être le taux de cette
compensation ?
Oui. Si l’obligation légale d’ordre public
n’a pas à donner mécaniquement lieu à
une compensation au premier euro, elle
ne l’interdit pas. La situation des délais
de paiement peut toujours être prise en
compte dans les négociations commerciales.
Le taux de la compensation à une réduction des délais de paiement ne doit pas
être abusif, il ne peut créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Délais de paiement – Facturation : Estil légal de délocaliser à l’étranger son
centre de facturation, ou de facturer par
une filiale à l’étranger, pour ne pas être
obligé de respecter la réduction des délais de paiement ?
Non, bien sûr, s’il s’agit de détourner
ou de contourner la loi. Mais, cette réponse mérite des précisions en cours
de rédaction.
Délais de paiement – Livraisons : Estil légal d’imposer des livraisons pour
Droit I Économie I Régulation
six mois de stocks quand le client doit
payer à 60 jours ?
Non si cette contrainte crée un déséquilibre significatif et/ou un abus de dépendance économique.
Délais de paiement – Sanctions : Le dépassement des nouveaux plafonds introduits par la loi de modernisation de
l’économie fait-il l’objet d’une sanction
pénale ?
Non, le dépassement des nouveaux
plafonds fait l’objet d’une sanction civile,
prévue à l’article L. 442-6 du Code
de commerce. En revanche, l’article
L. 441-6 du Code de commerce prévoit
encore une sanction pénale pour un certain nombre de cas particuliers : le respect du délai supplétif (lorsque les parties n’ont pas convenu d’un délai), le délai
relatif au secteur du transport et les mentions obligatoires dans les conditions de
règlement. En effet, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser
les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le
jour suivant la date de règlement figurant
sur la facture, dans le cas où les sommes
dues sont réglées après cette date.
Délais de paiement au 1er janvier 2009 :
Est-il légal de ne pas appliquer, dans
la filière de la jardinerie, la réduction
imposée au 1er janvier 2009 à des commandes de pré-saison passées en 2008
mais livrables que, par exemple, au
printemps 2009 ?
Oui, dès lors que les commandes portent sur des quantités précises de produits déterminées à des prix convenus,
elles peuvent être traitées aux conditions
de règlement licites en 2008.
Délais de paiement au 1er janvier 2009 :
Est-il légal de ne pas appliquer la réduction obligatoire à 60 jours à un
contrat « ferme » signé avant le 31 décembre 2008 ?
Oui, les nouveaux délais de paiement ne
sont applicables qu’aux contrats conclus
à compter du 1er janvier 2009. Toute vente
conclue avant cette date (accord sur la
chose et sur le prix) peut donc comporter des délais plus longs. Plusieurs cas
sont à distinguer :
– « contrat-cadre » conclu avant le 1er janvier 2009, sans accord sur la chose et le
prix : le contrat n’est pas formé, toutes
commandes ou contrats passés après le
1er janvier 2009 devront appliquer les délais de paiement de la LME ;
– « contrat-cadre » conclu avant le 1er janvier 2009, avec accord sur la chose et
le prix mais sans quantité et/ou un
échéancier : le contrat est formé, toutes
PERSPECTIVES PRATIQUE
particulier ceux qui utiliseraient des
centrales de paiement à l’étranger, dans
le seul but d’échapper aux dispositions
nationales.
les commandes passées après le 1er janvier doivent appliquer les délais de paiement de la LME ;
– « contrat-cadre » conclu avant le 1er janvier 2009, avec accord sur la chose et
le prix et avec des quantités et/ou un
échéancier : les commandes passées
après le 1er janvier n’ont pas l’obligation d’appliquer les délais de paiement
de la LME.
Délais de paiement – Calcul : Comment
comprendre le mode de computation
des 45 jours fin de mois ?
Une pratique consiste à comptabiliser les
45 jours à compter de la date d’émission
de la facture, la limite de paiement intervenant à la fin du mois civil au cours
duquel expirent ces 45 jours. Toutefois,
il est également envisageable de comptabiliser les délais d’une autre façon,
consistant à ajouter 45 jours à la fin du
mois d’émission de la facture.
Délais de paiement – Calcul : De qui
dépend le choix entre 60 jours calendaires et 45 jours fin de mois ?
C’est un choix qui relève de la liberté
contractuelle des opérateurs. Pour les
opérateurs soumis à l’établissement d’une
convention unique, celle-ci devra mentionner ce choix.
Délais de paiement concernés : Ce nouveau plafond légal s’applique-t-il à tous
produits ou services ?
Oui, la loi n’opère pas de distinction.
Délais de paiement concernés : Le nouveau plafond légal s’applique-t-il à tous
les secteurs économiques ?
Oui, le nouveau plafond s’applique à tout
producteur, commerçant, industriel ou artisan, à l’exclusion des non professionnels.
Toutefois, certains secteurs demeurent soumis à des délais spécifiques : 30 jours pour
le transport de marchandises et 20 ou
30 jours selon les produits alimentaires périssables. Les délais de 75 jours pour certaines boissons alcooliques ont été ramenés à 60 jours ou 45 jours fin de mois.
Délais de paiement – Contrôles : Quelle
utilisation fera-t-on des rapports des
commissaires aux comptes ?
Ils concourront à l’élaboration des programmes d’enquête de la DGCCRF. Le
décret d’application sur les rapports des
commissaires aux comptes est prévu pour
la fin de l’année 2008.
Délais de paiement – Dérogations : Les
professionnels qui sont en train de négocier un accord dérogatoire pourrontils être sanctionnés au 1er janvier 2009?
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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119
LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)
Les accords conclus avant le 1er janvier
2009 ne donneront pas lieu à contrôle
avant la décision d’homologuer ou pas.
Pour le reste, la loi est d’application le
1er janvier 2009.
Délais de paiement – Dérogations :
S’agissant des dérogations à la loi, à
quoi la date du 1er mars correspondelle exactement : la date de conclusion
de l’accord, du visa du Conseil de la
concurrence, de la parution du décret ?
La date du 1er mars est celle de la conclusion de l’accord.
Délais de paiement – Dérogations : Qui
va examiner les projets d’accords au
regard des critères définis dans la loi ?
C’est l’administration qui va effectuer cet
examen et si les conditions prévues par
la loi sont remplies, un projet de décret
validant l’accord sera transmis au Conseil
de la concurrence pour avis. Il examinera
le bilan concurrentiel de l’accord et ses
éventuels effets anticoncurrentiels.
Enfin, le ministre prendra sa décision.
Délais de paiement – Détournement :
Est-il légal de conclure un nouveau système de vente en consignation pour
n’engager le début du délai de paiement qu’après la vente effective des
produits ?
Non s’il s’agit manifestement de « détourner » ou de « contourner » la loi. La
LME ne remet pas en cause le régime juridique du dépôt-vente ou vente en consignation. La vente en consignation n’est
pas interdite. Cependant, appliquer
contrairement aux habitudes anciennes
une telle pratique, dans le but de contourner les obligations relatives à la réduction des délais de paiement, devient une
pratique abusive.
Délais de paiement – Point de départ : Quel est le point de départ de
la computation du délai ?
Il s’agit de la date d’émission de la
facture dans la généralité des cas. En
revanche, le point de départ est la date
de réception des marchandises pour
les départements d’outre-mer et les
collectivités d’outre-mer de Mayotte,
de Saint-Pierre et Miquelon, de SaintMartin et de Saint-Barthélemy.
Toutefois, le point de départ peut être la
date de réception des marchandises ou
d’exécution de la prestation de services
si des accords entre les organisations
professionnelles concernées le prévoient.
Ce choix de point de départ ne doit
néanmoins pas conduire à un délai final supérieur à 60 jours calendaires
ou 45 jours fin de mois à compter de
la date d’émission de la facture.
Nos observations :
L’article 21 de la LME (article 6 du projet de loi) plafonne à 45 jours fin de
mois ou 60 jours calendaires date
d’émission de facture le délai de paiement convenu entre les entreprises, sous
réserve bien entendu des délais réglementaires qui existent d’ores et déjà auPRINCIPE
– 45 jours fin de mois ;
ou
– 60 jours date d’émission de facture (ou
date de réception des marchandises pour
les DOM et les collectivités d’outre-mer).
(NB : Le délai supplétif minimal de 30 jours
demeure à défaut de dispositions
contraires dans les CGV)
Délais de paiement partenaires étrangers : Est-il légal d’appliquer la limite
des délais de paiement par un fournisseur en France à un client étranger ?
Est-il légal d’appliquer la limite des délais de paiement par un fournisseur
étranger à un client en France ?
Réponses en attente de rédaction.
120
Pour les livraisons de marchandises
qui font l’objet d’une importation sur
le territoire fiscal des départements
et des collectivités d’outre-mer, tels
que la Martinique, la Guadeloupe,
la Guyane, la Réunion, etc., le délai
ne commencera à courir qu’à compter de la réception des marchandises,
ce qui est logique dès lors qu’en l’absence de telles dispositions les factures pourraient devoir être réglées
avant même que les marchandises
voyageant par bateau ne parviennent
à destination !
EXCEPTION
Les organisations professionnelles d’un
secteur peuvent conclure un accord
réduisant ces délais de paiement. Ils
peuvent également proposer de retenir la
date de réception des marchandises ou
d’exécution de la prestation de services
comme point de départ de ce délai. Un
décret peut étendre ce nouveau délai à
tous les opérateurs d’un secteur ou valider
le nouveau mode de computation et
l’étendre à tous les opérateurs concernés.
Délais maxima de règlement :
Délais de paiement – Escomptes : Les
débiteurs peuvent-ils exiger de leurs
créanciers une « compensation » du fait
de la réduction des délais de paiement?
Au sens strict, une obligation légale
d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au premier euro. La situation des délais de paiement a toutefois toujours été prise en
compte dans les négociations commerciales. Elle le sera également à l’avenir.
jourd’hui sous l’article L. 443-1 du Code
de commerce pour les produits alimentaires périssables, le bétail sur
pied et la viande fraiche dérivée, les
boissons alcooliques, le poisson surgelé, etc.
S’agissant des boissons alcooliques visées sous l’article L. 443-1, quatrième
alinéa, du Code de commerce, l’article 22 de la LME modifie le délai de
paiement réglementaire existant de
75 jours après la date de livraison et
le plafonne à 45 jours fin de mois ou
60 jours calendaires date d’émission
de facture.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
30 jours émission de la facture pour le
transport routier de marchandises, pour la
location de véhicules avec ou sans
conducteur, pour la commission de
transport ainsi que pour les activités de
transitaire, d’agent maritime et de fret
aérien, de courtier de fret et de
commissionnaire en douane.
Des accords interprofessionnels d’un
secteur donné peuvent convenir de délais
de paiement supérieurs si :
– raisons économiques objectives ;
réduction progressive vers le délai légal et
application d’intérêts de retard en cas de
non-respect de l’objectif ;
– durée limitée (l’accord ne doit pas
dépasser le 1er janvier 2012).
Accords validés par décret après avis du
Conseil de la concurrence.
Délais réglementés de l’article L. 443-1 du
Code de commerce (produits alimentaires
périssables, bétail et viande fraîche,
boissons alcooliques).
Droit I Économie I Régulation
◆◆◆
Des accords interprofessionnels ont été
conclus ou sont en cours de négociation :
Deux types d’accords sont prévus par
l’article 21 de la LME :
Les nouvelles dispositions prévoient que
les professionnels d’un secteur d’activité
pourront proposer de retenir la date de
réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai.
Des accords seront conclus à cet effet par
leurs organisations professionnelles.
Ce texte prévoit également la possibilité
d’étendre par décret à l’ensemble d’un
secteur professionnel les accords qui auraient été conclus par les organisations
professionnelles du secteur en cause en
vue de réduire les délais de paiement en
dessous des nouveaux plafonds.
Mais surtout des accords interprofessionnels peuvent également intervenir
afin de déroger jusqu’au 1er janvier
2012 aux nouveaux délais de paiement.
Il est en effet prévu des dérogations exceptionnelles par accord interprofessionnel pour une durée limitée, sans pouvoir
Droit I Économie I Régulation
excéder le 31 décembre 2011, lorsque des
situations objectives liées à des secteurs
économiques le justifieront ; ces accords
interprofessionnels doivent faire l’objet
d’un décret après avis du Conseil de la
concurrence devenu l’Autorité de la
concurrence.
De très nombreux secteurs d’activité ont
souhaité bénéficier de cette dérogation :
Ces accords concernent les secteurs et
organisations professionnelles signataires suivants : <http://www.dgccrf.
bercy.gouv.fr/documentation/lme/derogations_delais_paiement.htm>.
Le jouet :
– Fédération française des industries
jouet-puériculture
– Fédération des commerces spécialistes
du jouet et des produits de l’enfant
Le bricolage :
– Fédération des magasins de bricolage
Union nationale des industriels du bricolage, du jardinage et de l’aménagement du logement
– Syndicat des entreprises de commerce
international de machines portatives, de
matériel pneumatique et de machines à
agrafer et à clouer
L’horlogerie – bijouterie – orfèvrerie –
joaillerie :
– Fédération nationale des chambres syndicales des horlogers, bijoutiers, joailliers
et orfèvres, détaillants et artisans de France
– Syndicat Saint-Éloi, Union du commerce de l’horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et accessoires
– Chambre syndicale nationale de la bijouterie fantaisie, bijouterie métaux précieux, orfèvrerie, cadeaux, industries s’y
rattachant
– Union française bijouterie, joaillerie,
orfèvrerie, des pierres et des perles
– Fédération de l’horlogerie
– Chambre française de l’horlogerie et
des microtechniques
– Fédération nationale artisanale des métiers d’art, de création du bijou
– Conseil interprofessionnel de la bijouterie et de l’horlogerie
La papeterie :
– Union de la filière papetière
– Syndicat national des papetiers répartiteurs spécialisés
– Fédération de l’équipement de bureau
– Association des industriels de la papeterie et du bureau
Le bâtiment et travaux publics :
– Fédération française du bâtiment (FFB)
– Confédération des artisans et petites
entreprises du bâtiment (CAPEB)
– Fédération nationale des travaux
publics (FNTP)
– Fédération nationale des sociétés
coopératives de production du bâtiment
et des travaux publics (FNSCOP BTP)
– Union des maisons françaises (UMF)
– Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (SERCE)
– Confédération du négoce boismatériaux (CNBM)
– Fédération du négoce des matériaux
de construction (FNMC)
– Fédération française du négoce de bois
(FFNB)
– APIBOIS, Syndicat national des
constructeurs de charpentes en bois lamellé (SNBL)
– Syndicat national des fabricants de
structures et charpentes industrialisées
en bois (SCIBO)
– Syndicat des fabricants de maisons à
ossature bois (SYMOB)
– Union française des fabricants et entrepreneurs de parquet (UFFEP)
– Union des fabricants de contreplaqué
(UFC), Union des industries des panneaux de process (UIPP)
– Chambre syndicale des fabricants du
verre plat (CSPVP)
– Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE)
– Fédération française des tuiles et
briques (FFTB)
– Fédération de l’industrie du béton
(FIB)
– Syndicat des isolants et des laines minérales (FILMM)
– Groupement bâtiment de la Fédération des industriels des peintures, encres,
couleurs, colles et adhésifs (FIPEC)
– Syndicat français des enducteurs calandreurs (SFEC)
– Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC)
– Syndicat français des joints et façades
(SFJF)
– Syndicat national des industries du
plâtre (SNIP)
– Syndicat national des mortiers industriels (SNMI)
– Syndicat national des plastiques alvéolaires (SNPA)
– Syndicat national du béton prêt à l’emploi (SNBPE)
– Syndicat national des industries de
roches ornementales et de construction
(SNROC)
– Syndicat national des adjuvants pour
bétons et mortiers (SYNAD)
– Union nationale des producteurs de
granulat (UNPG)
– Syndicat des tubes et raccords en PVC
(STR PVC)
– Syndicat des tubes et raccords en polyéthylène (STR PE)
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
PERSPECTIVES PRATIQUE
S’agissant des délais de paiement applicables aux DOM/TOM, la DGCCRF a pu
fournir les informations suivantes, qui
sont très précises et fort utiles aux opérateurs économiques :
« Vous souhaitez d’abord savoir comment définir la date de réception des
marchandises visées par l’article 21-VI
de la LME dans les DOM-COM.
Cette date doit être entendue comme la
date d’enregistrement de la déclaration
en douane des marchandises, à l’arrivée des produits sur le territoire d’un
DOM ou d’une COM. Cette déclaration
rend exigible les droits de douane et
l’octroi de mer.
Par ailleurs, l’article L. 441-3 du Code
de commerce prévoit que “la facture
mentionne également la date à laquelle
le règlement doit intervenir”. Il est aléatoire de fixer ex-ante une date sur la
facture sans connaître le délai de route
exact des marchandises. Aussi, afin de
satisfaire aux exigences de transparence
de l’article L. 441-3, et sous réserve de
l’appréciation souveraine des tribunaux,
il peut être admis que le fournisseur ne
mentionne pas la date elle-même, inconnue de lui, mais précise sur la facture les conditions de détermination de
cette date, dans une formulation qui serait : “60 jours (ou 45 jours fin de mois)
à compter de la date d’enregistrement
de la déclaration en douane des marchandises” ».
>
121
LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)
– Syndicat des composants de systèmes
intégrés de chauffage et de rafraîchissements COCHE BAT)
– Chambre syndicale du carreau céramique de France (CSCCF)
– Syndicat national des extruder plastiques (SNEP)
– Syndicat national des fabricants de plafonds tendus (SNAFAPT)
– Union française des tapis & moquettes
(UFTM)
– Syndicat des industries françaises du
fibres-ciment (SIFF)
– Fédération des industries des plafonds
suspendus (FIPS)
– Fédération nationale du bois (FNB)
– Union des industries du bois (UIB)
– Fédération nationale de la décoration
(FND)
– Syndicat national des écrans de soustoiture (SNEST)
– Syndicat des accessoires manufacturés de toiture (SAMT)
– Syndicat des entreprises de commerce
international de machines portatives, de
matériels pneumatiques et de machines
à agrafer et à clouer (SECIMPAC)
– Syndicat de la brosserie, Fédération des
bois tranchés, Syndicat national du charbon de bois, Commerce du bois (LCB)
– Syndicat des isolants en matériaux durs
(SIMD)
– Association professionnelle du système
d’étanchéité liquide, Union des fabricants
de menuiseries extérieures (UFME)
– Association des nappes à excroissances
pour parois enterrées (ANEPE)
– Association française des sous-couches
acoustiques minces (AFSCAM)
– Association pour la promotion des produits minces réfléchissants (APPMR)
– Syndicat national de la construction
des fenêtres façades et activités associées
(SNFA)
– Syndicat national de l’isolation
– Syndicat français de l’échafaudage, du
coffrage et de l’étaiement
– Syndicat national de la fermeture, de
la protection solaire et des professions
associées
– Groupement infrastructure de la Fédération des industries ferroviaires
– Chambre nationale de l’artisanat, des
travaux publics, des paysagistes et des
activités annexes (CNATP)
– Fédération française des artisans coopérateurs du bâtiment (FFACB)
– Fédération des coopératives d’achats
pour les artisans du bâtiment (FORCAB)
– Union nationale des entrepreneurs du
paysage (UNEP)
– Syndicat national du second œuvre
(SNSO)
– Groupement peintures anticorrosion
(GPA)
122
– Syndicat national des blancs de craie,
marbre et dolomie (SNCRAIE)
– Syndicat national des formulateurs
de résines synthétiques (SNFORES)
– Syndicat national des fabricants de
couches d’usure pour sols industriels
(SYNFAD)
Le sanitaire-chauffage et le matériel
électrique :
– Fédération des grossistes en matériel
électrique (FGME)
– Fédération française des négociants
en appareils sanitaires, chauffage, climatisation et canalisation (FNAS)
– Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB)
– Fédération des électriciens, électroniciens (FEDELEC)
– Fédération française du bâtiment
(FFB)
– Fédération nationale des SCOP du bâtiment et des travaux publics (FNSCOP
BTP)
– Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (SERCE)
– Association française des industries
de la salle de bains (AFISB)
– Syndicat national des fabricants de
composants et de systèmes intégrés de
chauffage, rafraîchissement et sanitaires
(COCHEBAT)
– Groupement des industriels de l’appareillage électrique d’installation et de
ses applications domotiques (DOMERGIE)
– Groupement des fabricants de matériels de chauffage central (GFCC)
– Groupement interprofessionnel des
fabricants d’appareils d’équipement ménager (GIFAM)
– Syndicat professionnel représentant
l’ensemble des constructeurs d’appareils électriques autonomes de sécurité
(GISEL)
– Syndicat des tubes et raccords en polyéthylène (STR PE)
– Syndicat national des tubes et raccords en PVC (STR PVC)
– Fédération de l’industrie française des
fils et câbles électriques et de communication (SYCABEL)
– Syndicat des fabricants d’équipements
pour la protection et le support des
câbles électriques et de communication
(SYCACEL)
– Syndicat professionnel regroupant les
entreprises de matériel aéraulique, thermique, thermodynamique et frigorifique
(UNICLIMA)
– Syndicat des entreprises de commerce
international de machines portatives,
de matériels pneumatiques et de machines à agrafer et à clouer (SECIMPAC)
– Syndicat de l’éclairage
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
L’édition du livre :
– Syndicat national de l’édition (SNE)
– Syndicat de la librairie française (SLF)
– Syndicat des distributeurs de loisirs culturels
– Fédération de l’imprimerie et de la communication graphique, Union nationale
de l’imprimerie et de la communication
graphique
◆◆◆
Mais d’autres accords ont été conclus
et concernent notamment les spécialités pharmaceutiques non remboursables et le textile.
D’autres accords sont pour leur part encore en cours de discussion et devraient
être communiqués au ministre de l’Économie dans les prochaines semaines ; en
tout état de cause, ils devront être signés
avant le 1er mars 2009, date limite prévue par la LME.
Le nouveau rôle joué par les commissaires aux comptes.
Par ailleurs, les sociétés dont les comptes
annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes devront publier des
informations sur les délais de paiement
de leurs fournisseurs ou de leurs clients
suivant des modalités qui seront définies
par décret.
Ces informations feront l’objet d’un rapport du commissaire aux comptes dans
des conditions fixées par ce décret.
Les nouveaux délais de paiement prévus par la LME sont-ils applicables aux
ventes internationales de marchandises ?
Cette question fait l’objet de beaucoup
de discussions et en l’absence de jurisprudence, il n’est pas possible de se prononcer avec certitude sur le sujet. Ce qui
suit ne reflète ainsi que l’opinion des auteurs au regard des règles de droit international privé, applicables en la matière.
La LME a notamment introduit en droit
français deux nouvelles règles relatives
aux délais de paiement :
– d’une part, les dispositions de l’article
L. 441-6, alinéa 9 du Code de commerce
dans le Chapitre I du Titre IV du Livre IV
relatif à la transparence ;
– d’autre part, les dispositions de l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce
dans le Chapitre II du Titre IV du Livre IV
relatif aux pratiques restrictives de concurrence.
Bien qu’elles soient intimement liées, ces
deux dispositions doivent être indéniablement distinguées :
L’article L. 441-6, alinéa 9 du Code de
commerce :
Droit I Économie I Régulation
Contrairement aux autres dispositions
de l’article L. 441-6 du Code de commerce, ce neuvième alinéa n’est assorti
d’aucune sanction.
En effet, ni une nullité de la clause prévoyant de tels délais, ni une sanction pénale, ni une amende civile ne viennent
sanctionner le fait de convenir de délais
supérieurs.
Par ailleurs, dès lors que le texte vise le
fait de « convenir » d’un délai, il serait
difficile pour une entreprise d’engager la
responsabilité contractuelle de son cocontractant à ce titre : il faut être deux
pour convenir, ce qui sous-entend une
coresponsabilité des deux parties au
contrat.
Ainsi, même si la loi française est applicable, le simple fait de convenir de délais supérieurs à 45 jours fin de mois ou
60 jours date d’émission de la facture
n’est, en l’état de la législation, pas directement condamnable.
C’est par le biais de l’article L. 442-6-I-7°
qu’une violation des délais prévus
par l’article L. 441-6, alinéa 9 est sanctionnée.
L’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce :
L’article L. 442-6-I du Code de commerce
sanctionne en ces termes le non-respect des
délais prévus par l’article L. 441-6, alinéa 9
précité :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à
réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur,
commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(…)
7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et
usages commerciaux, et s’écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième
alinéa de l’article L. 441-6. Est notamment abusif le fait,
pour le débiteur, de demander au créancier, sans raison
objective, de différer la date d’émission de la facture.
(…) ».
L’article L. 442-6-III précise pour sa part
que :
« L’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un
intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de
l’Économie ou par le président du Conseil de la Concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires relevant de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.
Droit I Économie I Régulation
Lors de cette action, le ministre chargé de l’Économie
et le ministère public (…) peuvent également demander le prononcé d’une amende civile dont le montant
ne peut être supérieur à 2 millions d’euros (…) ».
La loi sanctionne ici le fait de soumettre
un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas les délais prévus par l’article L. 441-3, alinéa 9, c’està-dire les délais maximums de 45 jours
fin de mois ou 60 jours date d’émission
de la facture.
Ainsi, une interprétation littérale de la
loi mènera à ne sanctionner que l’acheteur qui soumet son vendeur à des délais excessifs et non le vendeur qui est
la victime de la faute ainsi commise.
Il s’agit d’une infraction civile, sanctionnée par une amende civile d’un montant
maximum de 2 millions d’euros.
Cet article est-il applicable à un éventuel litige relatif à un contrat de vente
international ?
Afin de répondre à cette question, il est
nécessaire de déterminer préalablement
le juge compétent puisqu’il reviendra à
ce dernier de déterminer la loi applicable
au litige, selon ses propres règles de droit
international privé, qui seront le plus
souvent issues du droit conventionnel
international ou du droit communautaire
dérivé.
En effet, la question du droit applicable
n’a d’intérêt pratique qu’au regard de la
possibilité de voir sanctionnées par un
juge les règles en cause.
Or, seul le juge compétent pour trancher
le litige pourra déterminer selon ses
propres règles de droit dans quelles conditions la violation de cette loi sera sanctionnée (caractère de loi de police ou
non, applicabilité territoriale de la loi,
caractère délictuel ou contractuel, etc.).
En conséquence, la question du juge compétent est nécessairement préalable à la
question des conditions d’application de
la loi.
Le présent mémo n’envisage pas l’hypothèse où la juridiction saisie et compétente est celle d’un état tiers à l’Union européenne. En effet, dans cette hypothèse,
le juge déterminera le droit applicable en
fonction de son propre droit international
privé, que nous ne pouvons bien évidemment pas appréhender par anticipation.
Il sera donc uniquement étudié l’hypothèse où la juridiction saisie et compétente est, soit le juge français, soit le juge
d’un autre État membre de l’Union européenne, cette compétence étant déterminée en vertu des principes posés par
le règlement n° 44/2001 du 22 décembre
2000 concernant la compétence judiciaire,
la reconnaissance et l’exécution des dé-
cisions en matière civile et commerciale,
dit « Bruxelles I ».
À ce titre, il convient de rappeler que ce
règlement prévoit que la juridiction compétente est, en principe, celle de l’État
membre où le défendeur possède son domicile, quelle que soit sa nationalité (Règl.
Cons. CE, n° 44/2001, 22 déc. 2000, art. 2). Le règlement « Bruxelles I » prévoit également
des règles de compétence spéciales alternatives à la règle de compétence générale.
Ainsi en matière contractuelle, le demandeur dispose d’une option de compétence entre le juge du domicile du défendeur et le juge « du lieu où l’obligation
qui sert de base à la demande a été ou
doit être exécutée », étant précisé que ce
lieu est, pour la vente de marchandises,
celui où « les marchandises ont été ou
auraient dû être livrées » (ibid., art. 5-1).
En matière délictuelle, le règlement
« Bruxelles I » prévoit également une option de compétence : le juge compétent
est soit celui de l’État du domicile du défendeur, soit « le Tribunal du lieu où le
fait dommageable s’est produit ou risque
de se produire » (ibid., art. 5-3), étant précisé
que la notion de « fait dommageable »
recouvre, selon les cas, la faute commise
ou le dommage subi.
Le règlement autorise cependant les parties à convenir d’une clause attributive
de juridiction.
Le juge désigné par cette clause a alors
une compétence exclusive (ibid., art. 23).
Après avoir envisagé les règles de conflit
de juridiction, il convient à présent de
déterminer la loi applicable devant le
juge saisi du litige, ce juge étant par hypothèse soit le juge français, soit le juge
d’un autre État membre de l’Union européenne.
Afin de déterminer le droit applicable au
litige selon les règles du droit international privé, il convient préalablement de
qualifier la responsabilité encourue, autrement dit, il faut déterminer si la violation de l’article L. 442-6-I-7° du Code
de commerce relève de la matière délictuelle ou contractuelle.
Force est de constater que cette question
est particulièrement délicate et qu’il n’est
pas possible, à ce jour, de se prononcer
avec certitude sur l’une ou l’autre qualification.
Toutefois, plusieurs éléments tendent à
une qualification délictuelle :
– en effet, il s’agit d’un délit civil sanctionné par une amende civile ;
– l’action peut être introduite par toute
personne intéressée, dont le ministère
public, le ministre de l’Économie, le président de l’Autorité de concurrence, et
non pas uniquement le cocontractant ;
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
PERSPECTIVES PRATIQUE
L’article L. 441-6, alinéa 9 dispose que :
« Le délai convenu entre les parties pour régler les
sommes dues ne peut dépasser 45 jours fin de mois
ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ».
>
123
LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)
– et de plus, la jurisprudence considère
que la responsabilité engendrée par l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code
de commerce relatif à la rupture brutale
de relations commerciales établies, relève de la matière délictuelle et non de
la matière contractuelle.
C’est à tout le moins ce qu’a affirmé la
Cour de cassation dans des hypothèses
où les relations commerciales n’étaient
pas encadrées par un contrat.
La chambre commerciale de la Cour de
cassation a en effet précisé à deux reprises et notamment très récemment dans
un arrêt du 21 octobre 2008 que :
« Le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre
brutalement une relation commerciale
établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur et que la loi applicable à cette responsabilité est celle de
l’État du lieu où le fait dommageable
s’est produit » (Cass. com., 21 oct. 2008, n° 0712.336. Cf., également, Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-13.178,
Bull. civ. IV, n° 21).
La Cour de cassation ne s’est en revanche
pas positionnée dans le cas où un contrat
encadrerait les relations commerciales
ou s’agissant des autres alinéas de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Ceci
étant, ses attendus ne font pas de distinction selon l’existence d’un contrat ou
non.
Ces différents éléments mèneraient à
considérer que l’article L. 442-6, pris
dans son ensemble, relèverait de la matière délictuelle.
La responsabilité encourue en cas de
violation de l’article L. 442-6-I-7° serait alors délictuelle et il conviendrait
d’appliquer les règles de droit international privé relatives aux obligations
non contractuelles pour déterminer la
loi applicable.
Néanmoins, il n’est pas possible d’exclure que les juges qualifient la responsabilité engagée sur le fondement de l’article L. 442-6-I-7° de contractuelle.
Rappelons à ce titre que la CJCE a élaboré, s’agissant de la compétence judiciaire et plus précisément de l’application de l’article 5 de la Convention de
Bruxelles (aujourd’hui règlement
« Bruxelles I »), des définitions autonomes, spécifiquement communautaires, de la matière contractuelle et
de la matière délictuelle.
La CJCE a défini la matière contractuelle
de manière négative :
« La notion de “matière contractuelle”,
au sens de l’article 5, paragraphe 1 (…)
ne saurait être comprise comme visant
une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une
124
partie envers une autre » (CJCE, 17 juin 1992,
aff. C-26/91, Jacob Handte, Rec. CJCE, I, p. 3967).
La CJCE a fait de la matière délictuelle
une catégorie résiduelle de la matière
contractuelle : la responsabilité qui n’est
pas contractuelle est délictuelle (CJCE, 27 sept.
1988, aff. C-189/87, Kalfelis, Rec. CJCE, I, p. 5565).
Jusqu’à présent, il pouvait être considéré que ces définitions autonomes
étaient propres à l’interprétation de la
Convention de Bruxelles puis du règlement « Bruxelles I » relatifs à la compétence judiciaire et n’avaient pas nécessairement vocation à s’imposer
s’agissant de la détermination de la loi
applicable.
Toutefois, le règlement « Rome I » et le
règlement « Rome II » précisent tous
deux, en leur considérant n° 7, que leur
champ d’application respectif doit être
« cohérent » par rapport au règlement
« Bruxelles I », et le considérant n° 11
du règlement « Rome II » prône expressément le recours aux définitions autonomes.
La lecture de ces considérants devrait
amener les juges nationaux à rechercher
la nature de l’obligation en cause en appliquant ces définitions autonomes élaborées par la CJCE, hors de toute référence aux droits nationaux, pour
déterminer non seulement le juge compétent mais également la loi applicable
à un litige.
S’agissant des dispositions de l’article
L. 442-6-I-7° du Code de commerce,
l’existence d’un contrat entre les parties, et donc d’un « engagement librement consenti », pourrait mener les juges
à retenir la qualification contractuelle
de la responsabilité engagée sur ce fondement.
Compte tenu de l’incertitude attachée
à la qualification de la responsabilité
encourue, il convient d’envisager les
deux cas de figure pour déterminer dans
quelles conditions l’article L. 442-6-I-7°
du Code de commerce français aura vocation à s’appliquer à un contrat international.
Premier cas de figure
L’article L. 442-6-I-7° relève de la responsabilité délictuelle :
Afin de déterminer la loi applicable à
une obligation non contractuelle, il
convient de se référer aux règles du
droit international privé français relatives aux délits civils.
En vertu de ces règles du droit international privé français, la loi applicable pour régir la responsabilité civile délictuelle est « la loi du lieu où
le délit a été commis » (Cass. civ., 25 mai
1948, Lautour). En cas de dissociation entre
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
les lieux du fait générateur et du préjudice, ces deux rattachements ont une
vocation égale à déterminer la loi applicable, mais l’existence d’un « lien
plus étroit » avec l’un des deux pays
permet de désigner l’une ou l’autre
branche de l’option (Cass. 1re civ., 11 mai 1999,
n° 97-13.972, Bull. civ. I, n° 153 ; Cass. 1re civ., 5 mars
2002, n° 99-20.755, Bull. civ. I, n° 75).
Toutefois, ces règles de droit international privé français vont céder leur
place, dès le 1er janvier 2009, au règlement « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, adopté le 11 juillet 2007, ce qui
conduira à une harmonisation des solutions au niveau européen.
L’article 4 de ce règlement consacre la
jurisprudence précitée en la simplifiant :
en règle générale, la loi applicable est
« la loi du pays où le dommage survient quel que soit le pays où le fait
générateur du dommage se produit et
quels que soient le ou les pays dans
lesquels des conséquences indirectes
de ce fait surviennent ».
Ainsi, la loi applicable à un délit civil est, en principe, la loi du lieu de
survenance du dommage.
En matière de ventes de marchandises, le dommage est subi au lieu
de l’établissement du vendeur, lequel subit un délai de paiement considéré comme excessif. La loi applicable sera donc celle du vendeur,
victime du délit.
Deuxième cas de figure
L’article L. 442-6-I-7° relève de la responsabilité contractuelle :
La loi applicable aux contrats est en
principe désignée par application de
la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles,
puis, à partir du 17 décembre 2009 par
le règlement « Rome I » adopté le
17 juin 2008, qui a vocation à remplacer ladite convention.
Selon les principes qui s’en dégagent :
– le contrat est régi par la loi choisie
par les parties, choix qui doit être exprès ou résulter de façon certaine des
dispositions du contrat ou des circonstances de la cause (Conv. Rome n° 80/934/CEE,
19 juin 1980, art. 3, § 1 ; Règl. Parl. et Cons. CE
n° 593/2008, 17 juin 2008, dit « Rome I » ; Conv. La Haye,
15 nov. 1955, art. 2) ;
– à défaut de choix, le contrat de vente
de biens est régi par la loi du pays
dans lequel le vendeur a sa résidence
habituelle.
Ainsi, la loi applicable aux obligations contractuelles est, en principe,
la loi choisie par les parties.
Droit I Économie I Régulation
Droit I Économie I Régulation
Ainsi, la Cour d’appel de Lyon a affirmé
par un arrêt du 9 septembre 2004 que
les dispositions de l’article L. 442-6-I-5°
« constituent une loi de police au sens
du droit international privé ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des
pratiques dommageables, aux effets économiques et/ou concurrentiels défavorables, constatés sur le territoire national » (CA Lyon, 9 sept. 2004, n° RG : 2004/00108).
De même, la Cour d’appel de Paris a pu
préciser, dans un arrêt du 28 septembre
2006 relatif à une rupture de relations
commerciales entre un fournisseur américain et un distributeur français, que les
dispositions de l’article L. 442-6 du Code
de commerce étaient « des dispositions
impératives relevant de l’ordre public
économique et comme telles constitutives d’une loi de police » (CA Paris, 28 sept.
2006, n° RG : 2006/313940).
Certes, cette décision vient d’être cassée
par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre 2008, mais la cassation porte sur
le refus de la Cour d’appel d’appliquer
la clause attributive de juridiction qui
était contenue dans le contrat, sans que
la Cour de cassation ne prenne position
sur le caractère de loi de police de l’article L. 442-6 (« En statuant ainsi, alors que la clause
attributive de juridiction contenue dans ce contrat visait tout
litige né du contrat, et devait en conséquence, être mise en
œuvre, des dispositions impératives constitutives de lois de
police fussent-elles applicables au fond du litige, la Cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés »).
En l’état, ce point n’est donc pas tranché par la Cour de cassation.
Nous considérons cependant qu’il est
probable que l’article L. 442-6 du Code
de commerce dans son ensemble soit
qualifié de loi de police au sens du droit
international privé par un juge français et appliqué, bien que le contrat ait
un caractère international.
En partant de cette hypothèse, si le juge
français était saisi du litige et qu’il soit
compétent, il serait tenu d’appliquer l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce.
Un juge européen saisi et compétent pourrait également (c’est une faculté) appliquer l’article L. 442-6-7°, à tout le moins
si le litige était considéré comme relevant
de la nature contractuelle. Toutefois, il est
fort rare qu’un juge national applique une
loi impérative d’un autre pays, cette possibilité fut-elle envisagée par la Convention de Rome et le règlement « Rome I ».
◆◆◆
Il résulte de ces éléments que si le fournisseur est français, le droit français sera
probablement applicable à la situation soumise au juge, ce qui entraînera l’applica-
PERSPECTIVES PRATIQUE
À défaut de choix, et en matière de
vente, la loi applicable serait la loi du
pays de résidence du vendeur.
Il est à noter que ces règles s’appliquent
sur l’ensemble du territoire de l’Union
européenne.
Ainsi, que la responsabilité de l’article
L. 442-6-I-7° soit de nature délictuelle
ou contractuelle, la loi du vendeur sera
le plus souvent (sauf loi de l’acheteur
choisie parles parties) applicable au
contrat.
Ceci étant, l’article L. 442-6-I-7° pourrait être également applicable même
si les faits étaient soumis à une loi étrangère, s’il devait être considéré comme
une « loi de police » au sens du droit
international privé.
Le principe est en effet qu’une disposition nationale impérative constituant une
loi de police doit prévaloir sur la loi étrangère considérée comme applicable en
vertu de la règle de conflit de lois du juge
saisi.
Ce principe est consacré tant par la
Convention de Rome et le règlement
« Rome I » sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, que par le
règlement « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles :
– ainsi, l’article 7 de la Convention de
Rome, et son successeur, l’article 9 du
règlement « Rome I » (Règl. Parl. et Cons. CE
n° 593/2008, 17 juin 2008, préc.) qui s’appliquera
aux contrats conclus après le 17 décembre
2009, prévoient l’application de ses
propres lois de police par le juge compétent quelle que soit la loi choisie par
les parties au contrat ;
– de même, le règlement n° 864/2007
sur la loi applicable aux obligations non
contractuelles dit « Rome II » adopté le
11 juillet 2007, qui sera applicable à partir du 11 janvier 2009, prévoit en son article 16 que ses dispositions « ne portent
pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la
loi applicable à l’obligation non contractuelle ».
La Convention de Rome et le règlement
« Rome I » prévoient également qu’une
loi de police étrangère puisse être appliquée. Ce point n’est en revanche pas
prévu par le règlement « Rome II » sur
la loi applicable aux obligations non
contractuelles.
En l’occurrence, l’article L. 442-6 du Code
de commerce est habituellement considéré par la jurisprudence et la doctrine
française comme étant une « loi de
police », ce qui signifie que les tribunaux
français doivent considérer son application comme obligatoire.
tion des dispositions de l’article L. 442-6I-7° du Code de commerce et la possibilité subséquente pour le vendeur français
d’engager la responsabilité de son client.
Selon nous, dans l’hypothèse où le vendeur est français, le droit français sera
en effet applicable dans la très grande
majorité des cas.
Deux hypothèses pourraient nous amener à une autre solution à savoir :
– la responsabilité est considérée comme
de nature contractuelle et il y a une
clause dans le contrat désignant un autre
droit : ce droit sera applicable ;
– la responsabilité est considérée comme
de nature délictuelle et les parties ont
prévu une clause rendue possible par le
règlement « Rome II » prévoyant l’application d’un autre droit pour leur future
responsabilité délictuelle.
Dans ces hypothèses, se posera alors la
question du caractère de loi de police
de l’article L. 442-6-I-7° du Code de
commerce.
Le vendeur français pourrait en effet alors
envisager d’agir contre son client sur le
fondement de l’article L. 442-6-I-7°, considéré comme une loi de police. Il lui
faudrait alors rechercher le juge compétent pour être sûr que celui-ci puisse appliquer la loi de police française (ce qui
sera le cas si le juge compétent est français et dans une moindre mesure, s’il est
européen).
En tout état de cause, si l’administration
venait à constater la situation, le fournisseur français, ayant de son côté respecté
les dispositions de l’article L. 441-6 du
Code de commerce, devrait, a priori, être
à l’abri de toutes poursuites civiles, dans
la mesure où ce dernier est dans la position du débiteur qui subit la volonté de
l’acheteur étranger.
On imagine mal par ailleurs l’administration poursuivre l’acheteur étranger devant les juridictions françaises, si tant est
qu’elles soient compétentes, mais nous
ne pouvons naturellement pas préjuger
de la position de l’administration dans
une telle situation, ni de celle du juge
français qui serait ensuite saisi du litige.
L’hypothèse pourrait devenir plus plausible en cas de contournement de la loi
par l’implantation d’acheteurs français
à l’étranger accompagnée du choix de la
loi d’un pays tiers, mais seul l’avenir nous
le dira (si l’on en croit le site internet de la DGCCRF, ce
type de procédé sera tout particulièrement en ligne de mire :
« La DGCCRF, qui intervient au nom de l’ordre public économique, veillera à ce que des créanciers français ne se voient pas
imposer des délais de paiement anormalement longs par leurs
débiteurs, en particulier ceux qui utiliseraient des centrales de
paiement à l’étranger dans le seul but d’échapper aux dispositions nationales » : <http://www.dgccrf.bercy.gouv.fr/documentation/lme/delais_paiement.htm>).
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
125
LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)
À l’inverse, si le fournisseur est étranger, son droit sera probablement applicable. Se posera alors le caractère de loi
de police de la loi française, loi de l’acheteur français, et son applicabilité par le
juge éventuellement saisi.
Le tribunal du domicile de la personne
assignée étant compétent par principe en
application du règlement « Bruxelles I »,
le vendeur étranger pourra en théorie assigner l’acheteur français devant le juge
français et évoquer l’article L. 442-6-I-7°
du Code de commerce en tant que loi de
police.
Cependant, dans l’hypothèse d’une clause
attributive de compétence aux tribunaux
du vendeur, la compétence du juge français pourrait être contestée, ce qui rendrait plus difficile pour le vendeur étranger la revendication de l’application de
la loi française.
Restera cependant la possibilité d’action
de l’administration française contre
l’acheteur français… ◆
L’analyse économique des marges arrière
Par Nathalie Daley, Docteur en économie de l’École des mines de Paris –
Consultante du cabinet Microeconomix, cabinet d’analyse économique appliquée au droit de la concurrence
La loi Chatel du 3 janvier 2008 et la loi
de modernisation de l’économie (LME)
du 4 août 2008 modifient profondément
les règles régissant les négociations commerciales (pour une analyse des effets pervers de la loi
Galland, cf. Allain M.-L., Chambolle C., Vergé T., La loi Galland sur les relations commerciales : jusqu’où réformer?,
2008, coll. du CEPREMAP). La première redéfi-
nit le seuil de revente à perte au niveau
du triple net (le triple net est égal au prix net facturé
moins les remises et ristournes conditionnelles et les rémunérations des services commerciaux rendus à l’industriel,
les deux composantes des marges arrière) et la seconde
introduit la négociabilité des tarifs en
abrogeant l’interdiction per se de discriminer.
Les marges arrière n’ont pas été remises en cause lors des réformes. Le
législateur considère que les services
commerciaux (les services de coopération commerciale sont « des contrats de prestation de services dont
le contenu et la rémunération sont définis d’un commun
accord entre un fournisseur et un distributeur. (…) Il s’agit
par exemple de la mise en avant de produits sur les rayons
(têtes de gondole ou emplacements privilégiés), ou de promotion publicitaire. C’est aussi dans le cadre de ces accords que sont négociés les budgets de référencement »,
Cons. conc., avis n° 04-A-18, 18 oct. 2004, § 10 )
qu’elles rémunèrent bénéficient aux
fournisseurs puisqu’ils incitent les distributeurs à mettre en avant les produits et qu’ils participent ainsi au développement des ventes.
L’analyse économique des rémunérations
au titre de la coopération commerciale
est plus réservée. Elle met en évidence
que les marges arrière peuvent être à
l’origine d’effets proconcurrentiels, mais
également d’effets anticoncurrentiels.
L’objectif de cette note est d’offrir une
brève synthèse des théories économiques
des effets sur la concurrence des diverses
rémunérations (nous emploierons le terme de marges
arrière pour désigner l’ensemble de ces rémunérations quel
que soit leur type) versées par les fournisseurs
126
aux distributeurs et de les discuter au regard des résultats empiriques et de la jurisprudence.
Les effets proconcurrentiels.– La théorie économie identifie plusieurs effets
proconcurrentiels des marges arrière. Ils
sont liés aux problèmes d’asymétrie d’informations entre producteurs et distributeurs dans un contexte d’offre surabondante de nouveaux produits.
Signaler la qualité des produits.– En
France, 1 500 nouvelles références sont
lancées chaque année et les innovations
augmentent à un rythme annuel de 10 à
15 % (Sénat, Rapport d’information sur l’avenir du secteur agroalimentaire, 1999-2000, n° 39). Dans un tel
environnement, le distributeur est
confronté à un problème d’asymétrie
d’information quant à la qualité des produits offerts. Un producteur est mieux
informé de la probabilité de réussite de
son produit et les services commerciaux,
en particulier les services de référencement, lui permettent de signaler la qualité de ses produits au distributeur (Kelly K.,
The antitrust analysis of grocery allowances : the procompetitive case, Journal of public policy & marketing, 1991,
10 (1), pp. 187-198).
L’argument repose sur l’idée que le prix
payé par un producteur pour référencer
son produit est un coût fixe qu’il amortit sur le volume total de ses ventes. Plus
un producteur est confiant dans son produit, plus il est prêt à payer un prix de
référencement élevé, toutes choses égales
par ailleurs, pour être sélectionné par le
distributeur. Ce coût sera ensuite amorti
sur un volume élevé de ventes.
Le consentement à payer d’un producteur pour le service de référencement
peut donc être vu comme un signal de
la qualité et de la probabilité de succès
de ses nouveaux produits.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Le partage des coûts et des risques.–
Un deuxième argument favorable aux
marges arrière est qu’elles permettent au
distributeur de faire supporter aux producteurs une partie des coûts croissants
qui résultent de la gestion d’un nombre
toujours plus élevé de références, ainsi
qu’une partie du risque associé au lancement de nouveaux produits (Sullivan M.W.,
Slotting allowances and the market for new products, Journal of Law and Economics, 1997, 40 (2), pp. 461-493).
Le distributeur supporte des coûts pour
référencer, stocker et mettre en rayon les
produits qui augmentent proportionnellement avec le nombre de références. Il
est également confronté à une incertitude sur le succès des nouveaux produits. 50 % des nouveautés sont en effet des échecs, et seuls 30 % de celles
réussissant à s’imposer subsistent encore au bout de deux ans (Sénat, Rapp. d’information, préc.).
Le distributeur est donc peu incité à accepter de nouveaux produits au succès
incertain qui viendront de surcroît remplacer une partie des produits déjà référencés et dont le potentiel est connu. Les
services commerciaux, en permettant de
transférer une partie des coûts et des
risques aux producteurs, incitent le distributeur à accroître son offre et à accepter un plus grand nombre de nouveaux
produits.
La rémunération que le distributeur reçoit pour les services commerciaux qu’il
fournit au producteur l’incite donc à proposer une plus grande variété de produits. Si l’on suppose que le consommateur valorise les innovations et la
diversité des produits, cet effet est proconcurrentiel.
L’allocation efficace du linéaire.– Un
troisième effet proconcurrentiel identifié
dans la littérature économique est que
Droit I Économie I Régulation
in channels of distribution, Marketing Science, 1992, 11, pp.
327-347).
Le linéaire est une ressource rare proposée par le distributeur aux producteurs.
Ses modalités d’allocation peuvent être
analysées comme un mécanisme efficace
d’enchères permettant aux producteurs
les plus offrants de le « louer ».
L’argument d’efficacité repose ici sur
l’idée que les fournisseurs proposant l’enchère la plus élevée sont également ceux
le mieux à même de rentabiliser le linéaire en offrant les produits et les variétés les plus valorisées par le consommateur.
En fondant sa décision d’assortiment sur
le consentement à payer des fournisseurs,
le distributeur rentabilise ainsi plus efficacement ses rayons et maximise dans le
même temps l’utilité du consommateur
en lui offrant les variantes qu’il préfère.
Les risques d’effets anticoncurrentiels.–
La coopération commerciale peut également permettre aux producteurs ou aux
distributeurs d’exercer un pouvoir de
marché pouvant conduire à une réduction significative de la concurrence et à
l’augmentation des prix de détail.
L’exercice d’un pouvoir de marché.–
Un premier effet anticoncurrentiel potentiel des services commerciaux peut
se manifester par un écart entre le prix
facturé par les distributeurs pour ces services et leurs coûts.
Les services de coopération commerciale
se sont développés dans un contexte de
concentration accrue des distributeurs.
Le pouvoir de marché au sein de la chaîne
verticale s’est progressivement déplacé
en faveur de ces derniers. Il leur permet
de mieux négocier les prix tout en exigeant des producteurs qu’ils paient en
retour des contreparties toujours plus
élevées. À titre d’illustration, les marges
arrière sont passées de 22 % en moyenne
à 37 % entre 1998 et 2006, et peuvent
atteindre jusqu’à 60 % selon les catégories de produits (LSA, L’ILEC dénonce une forte dérive des marges arrière, 2007, édition du 15 févr.).
Ce changement peut être à l’origine de
deux effets. À court terme, le consommateur peut bénéficier du pouvoir de
marché des distributeurs si ces derniers
l’utilisent pour négocier les prix avec les
producteurs et fixer des prix de détail
plus bas. La plus ou moins forte répercussion au consommateur sous forme
de baisse de prix dépend ensuite du degré de concurrence entre les distributeurs
sur le marché aval.
Droit I Économie I Régulation
À long terme, le déséquilibre dans les relations commerciales peut en revanche
être à l’origine d’effets pervers conduisant les petits producteurs et ceux de
taille moyenne à sous-investir dans l’innovation par manque de moyens, ou à
sortir du marché, et les plus grands à
augmenter leurs tarifs pour compenser
la hausse des marges arrière.
L’éviction des concurrents.– Un
deuxième effet potentiel anticoncurrentiel relève de la théorie d’augmentation
du coût des rivaux : les producteurs les
plus importants peuvent augmenter les
coûts d’accès aux linéaires de leurs
concurrents en surenchérissant lors des
négociations avec les distributeurs (MacAvoy C.J., Antitrust treatment of slotting allowances, ABA section of antitrust law, 1997, 45e congrès, Washington, 9-11 avr.).
Les effets de cette stratégie sont plus ou
moins forts en fonction du pouvoir de
marché des producteurs. Elle peut amputer les profits des concurrents et réduire leurs capacités à exercer une pression concurrentielle ou à innover. Mais
elle peut également entraîner l’éviction
des concurrents d’une firme dominante
si cette stratégie lui permet d’obtenir un
accès exclusif au linéaire.
Dans les deux cas, la stratégie d’augmentation des coûts des concurrents peut, à
terme, conduire à limiter le nombre de
nouveaux produits et ainsi à restreindre
le choix du consommateur (Shaffer G., Slotting allowances and optimal product variety, Advances in
Economic Analysis and Policy, 2005, 5).
L’augmentation des prix de vente au
détail.– Enfin, la tarification des services de coopération peut in fine
conduire à limiter la concurrence en aval
et induire une hausse des prix de vente
au détail (Foros O., Kind H.J., Do slotting allowances
harm retail competition?, Scandinavian Journal of Economics, 2008, 110 (2), pp. 367-384). Deux phéno-
mènes peuvent être à l’origine de la
hausse des prix.
En l’absence de services commerciaux,
des producteurs en concurrence tarifient
leur produit au coût marginal. Un distributeur accepte donc implicitement de
payer des prix de gros plus élevés lorsqu’il facture des services de référencement (les profits des producteurs ne peuvent être négatifs, ils répercutent donc ce coût dans leur prix de gros et
tarifient au-dessus de leur coût marginal). En s’enga-
geant à payer des prix de gros plus élevés, il annonce ainsi qu’il adoptera une
politique de prix moins agressive, ce qui
incite ses concurrents à augmenter leurs
prix de vente et réduit la concurrence en
aval (Shaffer G., Slotting allowances and resale price maintenance : a comparison of facilitating practices, RAND Journal of Economics, 1991, 22 (1), pp. 120-135).
PERSPECTIVES PRATIQUE
les services commerciaux permettent au
distributeur d’allouer plus efficacement
le linéaire (Chu W., Demand signaling and screening
L’interdiction de revente à perte couplée
à l’impossibilité pour les distributeurs de
réintégrer les marges arrière dans le prix
de revente atténuent la concurrence également entre producteurs. Lorsque le pouvoir de marché des distributeurs est important, les producteurs savent qu’ils
capteront une faible part du profit au sein
de la chaîne verticale. Ils sont alors incités à fixer un prix de gros élevé afin d’accroître la taille du profit total qu’ils partagent avec les distributeurs. Compte
tenu de la règle d’interdiction de revente
à perte, les prix de vente au détail augmentent donc au détriment du consommateur (Allain M.-L., Chambolle C., Anticompetitive effects of resale-below-cost laws, 2005, mimeo).
Une question toujours en débat.– Les
effets sur la concurrence des rémunérations perçues par les distributeurs en
contrepartie des services qu’ils rendent
aux producteurs suscitent de nombreuses
interrogations chez les autorités de
concurrence tant en Europe qu’aux ÉtatsUnis (cf., par exemple, les rapports des autorités de concurrence anglaise (2000), américaine (2001, 2003) et norvégienne (2005)).
À ce stade, le débat académique sur leurs
effets est loin d’être tranché et les travaux empiriques (ces travaux concernent uniquement le marché américain) apportent un éclairage limité. Ils sont en effet peu nombreux
en raison de la nature confidentielle des
négociations et les résultats diffèrent selon les méthodes et les hypothèses testées (les études empiriques reposent généralement sur des
données telles que celles de Nielsen, ou bien sur des enquêtes auprès des producteurs et distributeurs).
Sudhir & Rao (Sudhir K., Rao V.R., Do slotting allowances enhance efficiency or hinder competition ?, Journal of Marketing research, 2006, 43 (2), pp. 137-155) uti-
lisent des données sur les nouveaux
produits offerts à une chaîne de supermarché et concluent que les services
commerciaux sont utilisés par les producteurs pour signaler la qualité de leurs
produits, et qu’ils permettent aux distributeurs de partager les risques et d’allouer efficacement leurs linéaires. Mais
ils observent aussi que les services commerciaux réduisent la concurrence en
aval.
Sur la base d’enquêtes auprès de producteurs et de distributeurs, d’autres travaux (Mahi H., Rao V.R., The price of launching new product : empirical evidence on factors affecting the relative
magnitude of slotting allowances, Marketing Science, 2003,
22 (2), pp. 246-268) concluent également que
les effets de ces rémunérations sont
mixtes. Elles permettent un partage des
risques et une meilleure allocation du linéaire. Mais elles permettent aussi, tant
aux distributeurs qu’aux fournisseurs,
d’augmenter les prix (Bloom P.N. e.a., Slotting
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
127
LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)
allowances and fees : schools of thought and the views
of practicing managers, Journal of Marketing, 2000, 64,
pp. 92-108).
Stanton et Herbst (Stanton J. L., Herbst K., Slotting allowances : short-term gains and long term negative
effects on retailers and consumers, International Journal of
Retail and Distribution Management, 2006, 34, pp. 187197) parviennent aux mêmes types de
conclusions en se fondant sur des études
de Nielsen. Les rémunérations servent
à réduire l’incertitude sur la qualité des
nouveaux produits mais elles empêchent
parfois les petits producteurs d’accéder
au marché. Ils observent aussi qu’elles
incitent les fournisseurs à répercuter les
coûts des marges arrière dans leurs prix.
Enfin, Wright (Wright J.D., Slotting contracts and
consumers welfare, Antitrust Law Journal, 2007, 74 (2),
pp. 439-473) teste les effets des marges ar-
rière sur le bien-être du consommateur en étudiant l’impact de leur interdiction sur les prix des produits vendus
dans les magasins de l’armée. Il conclut
que ces contrats ne sont pas néfastes
pour le consommateur mais ses résultats sont mitigés. À la suite de l’interdiction de ces pratiques, le prix de certains produits augmente tandis qu’il
baisse sur d’autres produits.
La théorie économique montre ainsi
qu’il est nécessaire d’arbitrer entre les
effets pro et anticoncurrentiels des
marges arrière. Seule une analyse au
cas par cas est à même de déterminer
quels effets l’emportent. La jurisprudence en la matière confirme la pertinence de cette approche.
128
La Cour américaine de Caroline du
Nord a en effet débouté les concurrents de Philip Morris accusés de restreindre la concurrence et d’entraver
l’accès aux linéaires en offrant des réductions aux distributeurs en échange
de services de mise en avant de ses
produits (R.J. Reynolds Tobacco v. Philip Morris,
199 F Supp 2d 362 (MDNC 2002)). Elle a constaté
que cette stratégie n’avait pas eu d’impact sur les parts de marché des
concurrents ni porté atteinte à leurs
profits, et qu’elle n’avait pas non plus
empêché de nouveaux acteurs d’entrer et de prendre des parts de marché
significatives (pour une analyse approfondie du
cas, cf. Bronsteen P e.a., Price-Competition and Slotting
Allowances, 2005, 50 Antitrust Bulletin 267).
En France, le Conseil de la concurrence a en revanche sanctionné la société des Caves et des Producteurs réunis de Roquefort pour des pratiques
comparables. En position dominante
sur le marché du roquefort, la société
offrait des budgets de référencement
importants à plusieurs distributeurs
sous la forme de remises hors facture
pour obtenir une exclusivité d’approvisionnement. Le Conseil a considéré
que ces pratiques, visant « à restreindre
l’accès ou le maintien d’entreprises
concurrentes sur le marché du roquefort, notamment pour la distribution
en GMS, (…) ont eu pour objet et pour
effet de limiter l’accès des concurrents
au marché » (Cons. conc., déc. n° 04-D-13, 8 avr.
2004, pt. 68).
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
À notre connaissance, la jurisprudence
impliquant des distributeurs est moins
abondante et concerne des pratiques
d’abus telles que la facturation de services fictifs aux fournisseurs (par exemple, la
société Leclerc a été condamnée par le Tribunal de Rennes
en 2007 pour de telles pratiques) ou des ententes
verticales. Le Conseil a ainsi condamné
à plusieurs reprises (Cons. conc., déc. n° 03-D-45,
25 sept. 2003, Calculettes scolaires; Cons. conc., déc. n° 07D-50, 20 déc. 2007, Jouets de Noël) des ententes
entre producteurs et distributeurs sur les
prix de détail s’appuyant sur un système
artificiel de marges arrière.
Il a notamment sanctionné les sociétés
Carrefour et Casino pour avoir appliqué
les prix de vente conseillés par la société
Buena Vista Home Entertainment éditeur
de cassettes vidéo, « le respect de ces prix
étant assuré par leur correspondance avec
un seuil de vente à perte artificiellement
fixé au même niveau pour chacun des distributeurs, du fait du report de la majeure
partie de la rémunération des distributeurs
en ristournes faussement conditionnelles
ou en prestations de services fictives » (Cons.
conc., déc. n° 05-D-70, 19 déc. 2005, Vidéocassettes, pt. 225).
En conclusion, les systèmes de marge
arrière doivent être analysés au cas par
cas à l’instar de ce que préconise la Commission européenne pour appréhender
les effets des pratiques sur la concurrence dans ses lignes directrices sur l’application de l’article 82 (CE, Guidance on the
Commission’s Enforcement Priorities in Applying Article 82
EC Treatyto Abusive Exclusionary Conduct by Dominant
Undertakings, déc. 2008). ◆
Droit I Économie I Régulation
R LC
et Marc
DESCHAMPS (*)
Professeur
à l’Université
de Nice Sophia
Antipolis
Université
de Nice SophiaAntipolis – GREDEGCNRS UMR 6227
CREDECO/GRED
EG UMR 6227
CNRS/INRA
Chercheur, GREDEG
UMR 6227 CNRS
PERSPECTIVES BILLET D’HUMEUR
Par Laurence
BOY (*)
1447
« Plus, n’est pas
nécessairement mieux »
ou la difficulté de faire apparaître
la (les) vraie(s) question(s) de droit
dans la masse des décisions
des autorités de concurrence
D
epuis maintenant quelques
années, les nouvelles technologies, notamment l’Internet, permettent l’accès aux décisions
des instances en charge de la concurrence de nombreux pays, qu’il s’agisse
des décisions administratives ou juridictionnelles (sans oublier les avis que les autorités
de concurrence peuvent rendre, même si ces derniers
n’engagent pas leurs auteurs sur ce qu’ils seraient à même
de décider ultérieurement, y compris dans le cas où il
s’agirait de faits semblables), ainsi qu’à celles des
instances communautaires. En outre, la
rapidité avec laquelle ces décisions sont
mises « en ligne » par les personnels de
ces instances constitue un effort que
l’on se doit de saluer. Toutefois, si selon
l’une des conclusions classiques de
l’économie de l’information « les informations sont comme les huîtres, elles
ne valent que par leur fraîcheur »
(Shapiro C. et Varian H., Économie de l’information : guide
stratégique de l’économie des réseaux, De Boeck, 2005,
p. 56), il nous semble également utile
de rappeler que « trop d’information
tue l’information » (dans la même veine,
Simon H. soulignait déjà que « l’abondance d’information
engendre une pénurie d’attention » comme le rappellent
Shapiro C. et Varian H., ibid., p. 12). En ce sens, il
faut faire le constat accablant selon
lequel les autorités de concurrence
tendent, de plus en plus, à rendre des
décisions d’une « ampleur problématique » (il serait sans doute intéressant d’essayer
d’analyser s’il existe une corrélation entre le nombre
de pages des décisions et le montant des amendes
infligées). À titre d’illustration, signalons
de presse ainsi que des documents présentant sa décision,
sans mettre à disposition, dans le même temps, la décision
elle-même), ainsi que l’arrêt du Tribunal de
produits sidérurgiques de 151 pages ou encore la décision
n° 08-D-30 relative à des pratiques mises en œuvre par des
sociétés pétrolières de 84 pages).
première instance des Communautés
européennes dans l’affaire Microsoft,
lequel comportait déjà 300 pages.
En ce qui concerne l’autorité française
de concurrence, la tendance est strictement la même comme le démontre le
tableau suivant :
Ce constat – mais nous sommes évidemment tributaires sur ce point de nos lectures –, semble pouvoir être généralisé
à de nombreux pays.
Dans cette perspective, nous tenons à
faire observer que plus personne n’est
réellement aujourd’hui à même de pouvoir suivre l’ensemble
Nombre
Nombre
des décisions des insAutorité
Dispositif
de décisions
de pages
tances nationales,
L. 420-1
24
967
communautaires,
voire internationales
Conseil de la
(si l’on pense, par
L. 420-2
13
324
concurrence
exemple, aux décisions de l’Organe de
règlement des difféAutorité de la
L. 420-1
1
14
rends de l’Organisaconcurrence
tion mondiale du
commerce ayant un
L. 420-2
2
28
volet concurrentiel).
Serait-on tenté de pratiquer du droit comRemarque : ce tableau est établi à partir du résultat de l’inparé ? Il faudrait rapidement y renoncer.
terrogation de la base de données de l’Autorité de la concurLes citoyens, y compris les chefs d’enrence, qui fait ressortir 52 décisions portant sur le contrôle
treprise, risquent désormais d’être rédes pratiques anticoncurrentielles, entre le 1er janvier 2008
duits à ce que les médias généralistes
et le 25 mai 2009 (la première décision de l’Autorité date du
leur « disent le droit » (ce qui nous semble no18 mars 2009, avant il s’agissait du Conseil). Pour conserver la cohérence de ce décompte, nous avons comptabilisé
les décisions ayant explicitement à la fois pour visas les articles L. 420-1 et L. 420-2, dans les décisions relevant de l’article L. 420-1 et dans celles relevant de l’article L. 420-2. Nous
n’avons pas comptabilisé les décisions portant sur une demande de mesure conservatoire ou celles acceptant des engagements, ce sont donc 40 décisions qui ont été analysées.
la toute récente décision de la Commission européenne sanctionnant la firme
Intel, dans une décision annoncée de
542 pages (on peut noter qu’il s’agit là d’une
Ce tableau permet de constater l’importance de la masse de pages à traiter, même
dans le cas extrême et peu rigoureux où
seules les décisions de l’Autorité de concurrence nationale seraient analysées (on si-
nouveauté. C’est en effet la première fois, à notre
connaissance, que la Commission fournit un communiqué
gnalera, en particulier, la décision n° 08-D-32 portant sur des
pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce des
tamment contradictoire avec la volonté des autorités de
concurrence de mettre en œuvre des programmes de compliance, dont on peut voir l’actualité dans le colloque organisé par le Conseil de la concurrence sur ce thème, cf. RLC
2009/19, n° 1384). Plus problématique encore,
même les spécialistes du droit de la
concurrence ont les plus grandes difficultés à effectuer une veille informationnelle, notamment grâce à la lecture des
résumés établis par les instances, celle
des articles de revues académiques (principalement la Revue Lamy de la concurrence et la revue Concurrences), des blogs ou des lettres spécialisées ( cf. notamment le succès de la Lettre CREDA
>
Les idées et opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et en aucune façon les institutions auxquelles ils appartiennent. Nous remercions Céline Savard-Chambard, Pierre
Bernhard et Michel Rainelli pour leurs commentaires sur une version préliminaire, tout en restant seuls responsables tant du contenu que de la forme.
(*)
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
129
Concurrence, animé par A. Ronzano, sur ce point),
contraints qu’ils sont de conserver leur
temps pour leur(s) « micro-domaine(s)
de spécialité » ou pour le problème précis qu’ils cherchent à résoudre à un instant donné.
Ce billet d’humeur repose sur l’observation selon laquelle plus personne n’est
à même de se forger, par sa seule analyse, une conception claire et précise de
l’évolution du droit de la concurrence,
voire de son domaine de spécialité. C’est
un constat très grave car émerge peu à
peu un problème de prévisibilité juridique lié à une trop grande masse d’informations indigestes, y compris pour
les spécialistes. Nous plaidons donc pour
un retour à la culture juridique française,
dans laquelle les arrêts et les décisions
posent clairement le(s) problème(s) de
droit en les désignant comme tels, ne
«
s’agit pas, à notre sens, d’une évolution
comparable – et qui se justifie – à celle
que l’on peut constater dans de nombreuses autres disciplines juridiques,
par exemple en matière de responsabilité médicale (c’est ainsi que la jurisprudence distingue de mieux en mieux
les conditions de mise en œuvre de la
responsabilité d’un chirurgien cardiaque
de celles d’un chirurgien spécialiste du
foie). Même si l’on considère qu’aujourd’hui le droit de la concurrence se compose de quatre grands « organes » (les ententes, les abus de position dominante, les concentrations
et les aides d’État), personne n’est plus en
mesure d’avoir une appréhension exhaustive de sa spécialité.
Pour résumer, si les instances n’ont
pas, pour l’essentiel, le choix quant au
nombre de décisions à rendre, elles ont,
en revanche, une responsabilité essen-
Plus personne n’est à même de se forger, par sa
seule analyse, une conception claire et précise
de l’évolution du droit de la concurrence,
voire de son domaine de spécialité.
I. – UN PROBLÈME DE PRÉVISIBILITÉ
JURIDIQUE
Traditionnellement, la doctrine souligne
qu’il existe un problème de prévisibilité juridique lorsque la règle de droit
applicable n’est pas clairement identifiée (cf., par exemple, Boy L., Racine J.-B. et Siiriainen F.
(Coord), Sécurité juridique et droit économique, Larcier,
2008, 586 p. ). C’est notamment le cas
lorsque la règle de droit n’est pas connue,
lorsqu’il est difficile d’y accéder ou
lorsque son application demeure source
d’imprévisibilité. L’une des sources majeures de l’imprévisibilité juridique en
France résulterait, selon la tradition, de
la « jurisprudence » au sens large et, plus
précisément, des revirements de jurisprudence.
De nos jours, c’est également la masse
d’informations hebdomadaires que doivent traiter les spécialistes du droit de
la concurrence qui est devenue une véritable source d’imprévisibilité. Il ne
130
«
présentant les faits bruts qu’en support
à la qualification juridique des faits.
L’« attractivité du droit », vantée par les
rapports Doing business de la banque
mondiale, devrait sans doute se mesurer aussi à l’aune de la lisibilité et de
l’intelligibilité du « droit » de la concurrence. La prévisibilité juridique en droit
de la concurrence passe par un retour à
des formes épurées de la décision juridictionnelle.
tielle quant à la longueur de celles-ci
et en conséquence, quant à leur accessibilité et, surtout, à leur intelligibilité
(le problème consistant pour le juriste à repérer les informations pertinentes dans une masse énorme est sensiblement analogue à celui que rencontre le consommateur confronté, lors de l’achat de biens de consommation,
à des modes d’emploi toujours plus complexes. Nous
n’évoquons même pas le cas de l’acquéreur de produits
financiers ou de prêts hypothécaires dont l’actualité a
montré le désarroi).
Ce problème de l’accès au droit nous
semble d’autant plus crucial, qu’à ce
jour, malgré les efforts faits en ce domaine par les instances, toutes les décisions ne sont pas accessibles sur Internet et que les moteurs de recherche
proposés sur les sites officiels ne sont
pas à la hauteur des possibilités offertes
en la matière par les dernières avancées
technologiques. C’est sans doute là une
limite à ces avancées, si elles ne sont
pas accompagnées par des hommes. Il
est clair que la technologie ne saurait
se substituer au juriste. Les deux doivent se compléter. Il s’ensuit qu’il est
extrêmement difficile, de nos jours, d’appréhender exhaustivement une question précise, certaines décisions « publiées » ainsi que leurs résumés risquant
même d’induire en erreur, comme le démontre la récente affaire GlaxoSmithKline où, selon le Communiqué du Conseil
de la concurrence du 14 mars 2007, il
était prétendu qu’il s’agissait de la première affaire sanctionnant une pratique
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
de prix prédateurs en France, ce qui était
parfaitement erroné. Difficile dès lors
de prévoir, avec une très faible marge
d’erreur, quelle sera la sanction de telle
ou telle pratique (ce point est encore plus grave
si l’on prend en compte le fait que les autorités de concurrence ne décomposent jamais explicitement le montant des
amendes qu’elles infligent à partir des infractions qu’elles
ont retenues ni, du reste, pourquoi elles sanctionnent à
hauteur d’un certain pourcentage du chiffre d’affaires mondial). Sans doute faudrait-il en revenir à
de courtes décisions, axées sur les problèmes juridiques, accompagnées d’annexes détaillées sur les aspects factuels
et techniques, ce qui faciliterait incontestablement l’accès au droit de la
concurrence.
II. – PLAIDOYER POUR UN RETOUR
À LA CULTURE JURIDIQUE FRANCAISE
Si l’on estime que le droit est un mode
de communication, à l’instar de toute
langue, il doit à la fois constituer un langage, support d’une communication minimale, et permettre de construire des
systèmes généraux visant à se comprendre pour résoudre des conflits mais
tenant compte, dans le même temps,
des spécificités liées aux réalités historiques et sociales. C’est en particulier
sur ce postulat que l’on peut faire reposer l’idée d’un droit commun de la
concurrence, mais qui ne se confondrait
pas non plus avec un droit unique (ou
unifié; pour une appréhension générale de cette problématique, on pourra notamment se reporter au magnifique ouvrage de Delmas-Marty M., Pour un droit commun, Seuil,
Paris, 1989, 305 p.).
Dès lors, sans promouvoir une position protectionniste ni nationaliste sur
les solutions de fond du droit, il nous
semble indispensable, légitime et même
crucial que les instances nationales et
communautaires retrouvent l’un des
apports essentiels de la culture juridique romano-germanique : la brièveté
traditionnelle des décisions et des arrêts. Celle-ci permet d’exposer de manière claire et intelligible, le(s) problème(s) de droit tiré(s) du cas
d’espèce. Mais, et c’est sans doute la
différence fondamentale avec le droit
anglo-saxon, à partir de ces différents
cas d’espèce, les magistrats ont appris
à dégager des décisions ou arrêts de
principe, dont la connaissance permet
à tout juriste d’anticiper l’élaboration
de la solution du problème nouveau
qui lui sera posé.
Nous appelons donc instamment les autorités de concurrence à modifier très
sensiblement la présentation de leurs
décisions en posant, dans un premier
temps, sous une forme similaire à celle
Droit I Économie I Régulation
Droit I Économie I Régulation
auraient ainsi accès à un document,
plus riche que le résumé superficiel
(et pas nécessairement pertinent)
fourni généralement aujourd’hui par
les services de ces instances. Enfin,
de manière plus accessoire mais sans
doute tout aussi importante, cette présentation rénovée permettrait également aux enseignants de pouvoir exiger des étudiants qu’ils lisent toutes
les décisions utiles pour les cours dispensés. Ceci éviterait un double mensonge : celui de l’enseignant qui feint
de croire que les étudiants ont réellement la possibilité de lire ces décisions, et celui des étudiants qui se sentent obligés de faire croire qu’ils les
ont lues.
PERSPECTIVES BILLET D’HUMEUR
des arrêts de la Cour de cassation ou du
Conseil d’État, le(s) problème(s) juridique(s) soulevé(s) par l’affaire tranchée, en le(s) détachant des contingences liées au cas d’espèce, afin de
présenter, dans un second temps, les
données idiosyncratiques.
Une telle présentation aurait pour premier avantage de mieux cibler le(s)
problème(s) de fond du droit ainsi que
les difficultés procédurales. En conséquence, elle rendrait plus intelligibles
les jurisprudences des cours d’appel
et des cours suprêmes. Les spécialistes
du domaine, mais aussi les magistrats
non spécialistes, les juristes généralistes (notamment les juristes d’entreprises), tout
comme l’ensemble de la doctrine,
Pour finir, il est important de souligner
que ce changement auquel nous appelons peut se faire à moyens constants.
En outre, il relève de « l’état d’esprit »
de tout juriste qui, de par sa formation
et la lecture des décisions des autres
autorités administratives indépendantes
(ARCEP, CRE, CNIL, AMF, HALDE,
CSA, AMRT, ASN, entre autres), est habitué à ce genre d’exercice.
Place maintenant donc, nous l’espérons, à la critique et au débat sur notre
appel, y compris évidemment de la
part de l’Autorité de la concurrence
qui a « le goût du débat » comme le
soulignait Bruno Lasserre dans le premier numéro d’« Entrée libre », la lettre
d’information de l’Autorité. ◆
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
131
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Questions d’actualité
La nouvelle Autorité de la concurrence
Avec la concrétisation de nombreux projets tant au niveau national que communautaire, l’année 2008 a été
une année particulièrement active dans tous les domaines du droit de la concurrence.
L’adoption de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 fut l’événement marquant du second
semestre, avec la transformation du Conseil de la concurrence en Autorité dotée de pouvoirs et de moyens
renforcés pour assurer la surveillance concurrentielle des marchés dans tous ses aspects. Les nouvelles
attributions de l’Autorité de la concurrence en matière d’investigation, de contrôle des concentrations et d’avis
sur les questions générales de concurrence furent au cœur des discussions, ainsi que la modernisation
de la procédure « antitrust ».
2008 confirme également l’attrait pour les procédures négociées avec l’adoption, par la Commission
européenne, d’une procédure de transaction communautaire. Au plan national, après la clémence, outil majeur
de lutte contre les cartels, c’est la procédure d’engagements qui fait l’objet d’un communiqué de procédure
par le Conseil de la concurrence, le premier sur ce thème en Europe.
Concernant le contentieux des dommages concurrentiels, l’actualité est marquée par la publication, par la
Commission européenne, du tant attendu Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles de concurrence communautaires. Les propositions de la Commission sur la dépénalisation du droit
des affaires relancent quant à elles la discussion sur la place du droit pénal en matière de concurrence.
En matière d’aides d’État, la Commission a adopté le Règlement général d’exemption par catégorie qui permet
d’harmoniser les règles relatives à plusieurs catégories d’aides et de les dispenser d’une notification préalable.
Autant de questions qui furent l’objet de nombreux et riches débats lors de la 5e édition des Rencontres
Lamy du droit de la concurrence organisées par la Lettre des Juristes d’affaires et dont les actes sont ci-après
reproduits.
1448
133
133
134
138
141
sommaire
R LC
Lundi 8 décembre 2008
132
INTRODUCTION
Cyril NOURISSAT,
Professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon III
ALLOCUTION D’OUVERTURE
Bruno LASSERRE,
Président du Conseil de la concurrence
LA NOUVELLE RÉGULATION
DE LA CONCURRENCE
Bruno LASSERRE
QUESTIONS-RÉPONSES
ACTUALITÉ DES AIDES D’ÉTAT
Jean-Louis COLSON,
Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence,
Direction générale Transport et Énergie,
Commission européenne
144
146
150
ACTUALITÉ DU DROIT DES CONCENTRATIONS
Antoine WINCKLER,
Avocat, Cabinet Cleary Steen & Hamilton LLP
ACTUALITÉ DES PRATIQUES RESTRICTIVES
Martine BÉHAR-TOUCHAIS,
Professeur à l’Université Paris-Descartes
ACTUALITÉ DU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELS
Muriel CHAGNY,
Professeur à l’Université Paris-Descartes
et Jacqueline RIFFAULT-SILK,
Conseiller à la Cour de cassation
156
ACTUALITÉ DU DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE
Éric BARBIER de la SERRE,
Avocat, Cabinet Latham & Watkins
et Cyril NOURISSAT
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
Droit I Économie I Régulation
Par Cyril NOURISSAT,
Professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon III
«
J’ai l’honneur d’ouvrir ces cinquièmes Rencontres du
droit de la concurrence, même si ce plaisir est quelque peu
ALLOCUTION D’OUVERTURE (1)
Par Bruno LASSERRE,
Président du Conseil de la concurrence
«
Je souhaite revenir sur la régulation de la concurrence
et aborder les traits principaux de cette réforme. Quel sera
le nouveau visage de l’Autorité de la concurrence, qualifiée d’autorité administrative indépendante par la loi de
modernisation de l’économie ? Je souhaite également aborder le nouveau contrôle des concentrations et le changement survenu dans le traitement des pratiques anticoncurrentielles.
Cette réforme a été menée tambour battant. À la fin du
mois de janvier 2008, la Commission de libération de la
croissance française, présidée par Jacques Attali, a remis
ses propositions au président de la République. Ce dernier
a exprimé son soutien aux propositions de création d’une
Autorité de la concurrence unique et renforcée. Tout est ensuite allé très vite, alors même qu’il a fallu une loi, une
ordonnance et toute une série de décrets d’application pour
concrétiser ces propositions. La Commission pour la libération de la croissance française s’est emparée de ce sujet
car elle a vu un lien entre plus de concurrence, plus de
croissance et plus de pouvoir d’achat. Dès lors que la Commission a légitimement pensé qu’une politique de concurrence plus efficace pouvait contribuer à la croissance et à
la modernisation de notre économie, il fallait aussi revoir
la régulation de la concurrence et rassembler les compétences aujourd’hui dispersées autour d’une Autorité indépendante et unique.
Les trois axes principaux de cette réforme sont les suivants :
le transfert du contrôle concurrentiel des concentrations à
l’Autorité indépendante ; le transfert également des enquêteurs de concurrence, qui permet d’intégrer les compétences
et les moyens au sein d’une chaîne unique et plus efficace,
de la détection des pratiques au suivi de l’exécution des
décisions, en passant par l’enquête, l’instruction et la prise
de décision ; le fait de permettre à l’Autorité indépendante
de rendre, de sa propre initiative, des avis sur des questions générales de concurrence ou de faire des recommandations aux pouvoirs publics, au gouvernement ou au Parlement, pour améliorer le fonctionnement concurrentiel
des marchés.
Cette réforme s’est faite, au total, en onze mois, ce qui
constitue un délai extrêmement rapide. On pourrait regretter qu’elle ait été scindée en deux puisqu’une partie a été
traitée par le législateur et une autre par ordonnance, ce
qui a pu empêcher d’avoir une vision globale des choses.
Pour ma part, je trouve plutôt positif que le Sénat – puisque
(1)
PERSPECTIVES COLLOQUE
INTRODUCTION
gâché par l’absence de ma collègue Véronique Sélinsky, retenue ce jour à Montpellier. Cette rencontre se déroule dans
un contexte d’actualité extrêmement chargé cette année. De
nombreux textes sont adoptés et promulgués ; il s’avère important de les analyser. Nous évoquerons évidemment la loi
de modernisation de l’économie et la nouvelle Autorité de
la concurrence.
◆
»
c’est le sénateur Larcher qui présidait à l’époque la
Commission spéciale chargée d’examiner la loi de modernisation de l’économie – ait estimé que ce sujet institutionnel, soit la création de l’Autorité, était politiquement
trop important pour échapper à une discussion parlementaire. Le Sénat a donc exigé qu’une partie de la réforme,
relative à la création de l’Autorité et à la fixation des règles
concernant son indépendance et la composition du collège,
soit transférée de la future ordonnance à la loi. Ceci me
semble constituer un signe plutôt positif de l’intérêt qu’a
montré le législateur à la création de cette nouvelle Autorité, même si le découpage entre loi et ordonnance a pu
compliquer certains points.
L’ordonnance à laquelle renvoie la LME pour traiter les
questions résiduelles qui n’ont pas été évoquées par le législateur porte le titre de « modernisation de la régulation
de la concurrence » ; elle a été adoptée le 13 novembre 2008,
au terme d’une consultation du Conseil de la concurrence
qui a eu lieu au mois d’avril, puis de la place, pendant
l’été. Je souhaite rendre hommage à la ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, Mme Christine Lagarde, qui, sur ce sujet mais aussi sur la mise en œuvre
des décrets d’application de la LME comme de l’ordonnance, s’est engagée à ce que le processus se déroule
rapidement.
Les décrets prévus par la LME aussi bien que par l’ordonnance sont en cours de finalisation. Deux principaux décrets de fond sont prévus par la LME : l’un traite du conseiller
auditeur, l’autre de la représentation en justice de l’Autorité ; ils devraient paraître dans les prochains jours. L’ordonnance prévoit également d’autres décrets relatifs, notamment, à l’articulation entre l’Autorité et les services
ministériels en ce qui concerne l’instruction des affaires
de pratiques anticoncurrentielles ou à la question du contrôle
des micro-pratiques sur le plan local. Enfin, un décret balaiera et toilettera l’ensemble du Code de commerce pour
tirer toutes les conséquences de la réforme.
En ce qui concerne les moyens, l’arbitrage gouvernemental a été clair : 60 emplois en année pleine et 48 pendant
l’année de transition ont été transférés à l’Autorité de la
concurrence. Le budget a été rapproché de celui des autorités administratives indépendantes, notamment des régulateurs sectoriels en France, ce qui montre, dans un
contexte budgétaire serré, la volonté du gouvernement de
mettre en œuvre rapidement cette réforme. Les recrutements ont débuté pour que la nouvelle Autorité soit opérationnelle début 2009.
La première réunion du collège de la nouvelle Autorité marquera le basculement des règles de fond et de compétence ;
elle aura lieu aussi tôt que possible en 2009.
◆
»
>
Le style oral de cette allocution a été conservé.
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
133
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
La nouvelle régulation de la concurrence
Par Bruno LASSERRE
I. – LA TRANSFORMATION DU CONSEIL EN AUTORITÉ
INDÉPENDANTE UNIQUE PLUS VISIBLE, PLUS FORTE
ET PLUS EFFICACE
A. – Une autorité indépendante renforcée
1) Le statut de l’Autorité
La LME a tranché le débat sur la nature de l’Autorité qui est
une autorité administrative indépendante. La précédente ordonnance, de décembre 1986, ne qualifiait pas le Conseil de
la concurrence. Un débat avait donc eu lieu, au tout début de
sa création, sur la nature juridictionnelle ou administrative de
cette nouvelle autorité. La Cour d’appel de Paris avait tranché clairement, notamment dans son arrêt Coca-Cola, en qualifiant le Conseil d’autorité administrative. Désormais, la loi
qualifie elle-même l’Autorité d’autorité administrative indépendante. Ce point est important car, en 20 ans, le Conseil a
dérivé sur certains points vers une certaine judiciarisation.
Les termes employés dans les textes réglementaires y poussent d’ailleurs parfois comme « juger » plutôt que « décider ».
Les réflexes sont tels que ce langage judiciaire revient régulièrement. Quand je rédige des décisions, je fais toujours la
chasse aux termes qui pourraient induire en erreur le lecteur
et laisser penser que nous sommes une juridiction. Il n’est
ainsi pas possible de parler de jurisprudence du Conseil de la
concurrence mais plutôt de pratique décisionnelle comme on
le fait pour la Commission européenne.
Cela dit, certaines évolutions qui ont rapproché le Conseil de
la concurrence des règles applicables aux juridictions sont
plutôt positives. À titre personnel, je suis favorable à la séparation des fonctions d’instruction et de décision. Cette réforme,
qui fait suite à l’évolution de la jurisprudence de la Cour de
cassation et du Conseil d’État, a été bienvenue. Contrairement
à ce qui est souvent écrit, cette séparation n’est pas exigée
par la Cour de Strasbourg pour la prise d’une décision administrative. D’ailleurs, alors que la Commission nationale de la
concurrence espagnole suit les mêmes règles que le Conseil
de la concurrence français, en séparant instruction et décision, d’autres grandes autorités de concurrence en Europe,
telles que le Bundeskartellamt allemand ou l’Office of Fair Trading britannique, ne pratiquent absolument pas cette séparation. En Allemagne, les décisions en matière de pratiques anticoncurrentielles sont prises par des chambres du
Bundeskartellamt, formations de trois personnes dont le rapporteur qui a voix délibérative : ceci n’a jamais été censuré
par les juridictions allemandes dont on connaît le haut degré
d’attachement pour la garantie des droits. Au Royaume-Uni,
le directeur général de l’Office of Fair Trading dirige les enquêteurs et prend les décisions de sanctions. Dès lors que la
neutralité est garantie à un degré ultérieur de la procédure, et
notamment devant le juge de plein contentieux qui peut annuler ou réformer la décision, la jurisprudence de la CEDH
juge que le fait que cette garantie soit offerte plus tard dans
le procès régularise la situation en amont ; il n’est alors pas
besoin d’assurer cette impartialité dès le premier stade de la
procédure.
La France est allée plus loin, ce qui me semble constituer une
bonne chose ; je crois qu’il est important d’assurer l’impartialité dès le premier stade de la décision. Cette séparation des
fonctions d’instruction et de décision, qui crée un système de
134
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
checks and balances, soit un vrai contradictoire entre le collège qui décide et les services qui instruisent, est très utile
pour le Conseil. Elle génère une dialectique qui enrichit le débat et garantit aux entreprises qui viennent en séance la chance
de pouvoir réellement discuter les griefs devant des personnes
qui n’ont joué aucun rôle en amont, dans leur établissement.
J’avais établi des statistiques lorsque nous avions débattu de
cette question : 45 % des décisions du Conseil ne suivent pas
les services d’instruction, que ce soit en tout ou en partie. La
dernière décision que vient de rendre le Conseil, relative à
l’affaire de l’approvisionnement en carburéacteurs d’Air France
à l’escale de la Réunion, l’illustre, puisque le Conseil n’a retenu qu’un des trois griefs notifiés par le rapporteur.
2) La mission de régulation de la concurrence
La mission de régulation de la concurrence est inscrite dans
la loi pour la première fois, y compris dans sa dimension européenne : toutes les conséquences du règlement n° 1/2003
et de la mise en place du Réseau de concurrence européen
sont ainsi tirées. Ce sujet est d’actualité : le Conseil vient de
se prononcer pour la première fois sur des aspects importants
du règlement n° 1/2003 dans une affaire qui concerne l’approvisionnement en carburéacteurs d’Air France à son escale
de la Réunion. Dans cette affaire, le rapporteur général avait
décidé, sur le fondement de l’article 22 du règlement n° 1/2003,
de demander à l’Office of Fair Trading de l’assister dans sa
mission d’enquête pour rechercher des preuves auprès de sociétés dont le siège était à Londres. Pour la première fois, le
Conseil de la concurrence vient de se prononcer sur le contrôle
qu’il exerce sur le recours à l’assistance formé dans le cadre
de cet article 22, en distinguant dans cette assistance, demandée et obtenue d’une autorité nationale membre du Réseau,
trois phases :
– la demande d’assistance, formulée par le rapporteur général, contrôlée selon le droit national par le Conseil et les juridictions de contrôle ;
– l’autorisation et le déroulement de l’enquête menée par l’autorité auprès de laquelle la demande d’assistance a été faite,
contrôlée au regard du droit national de cette autorité, par les
juridictions de cet État membre ;
– l’utilisation des informations obtenues dans le cadre de cette
assistance, régie par le droit national, sous le contrôle des juridictions nationales.
En contrepartie de cette indépendance accrue figure la responsabilité : l’Autorité pourra approfondir ses rapports avec
le Parlement en lui adressant son rapport annuel, en lui présentant son bilan et ses perspectives chaque année et surtout
en portant les messages de la politique de la concurrence au
cœur du débat législatif.
B. – Les droits des entreprises renforcés
1) L’achèvement de la séparation des fonctions
d’instruction et de décision
Nous achevons la séparation des fonctions d’instruction et de
décision, entamée en 2001. Un certain nombre de pouvoirs
demeurés entre les mains du président à l’époque mais également rattachables à l’instruction, seront dorénavant exercés par le rapporteur général. Ainsi, il pourra désormais, lorsque
Droit I Économie I Régulation
2) La création du conseiller auditeur
La seconde nouveauté est la création d’un conseiller auditeur.
Cette nouvelle fonction s’inspire de la Commission européenne,
tout en s’en distinguant radicalement. À Bruxelles, le conseiller
auditeur est effectivement la contrepartie d’une absence de
séparation entre instruction et décision : parce que la Commission européenne obéit à un fonctionnement très intégré,
le conseiller auditeur permet aux entreprises de s’adresser à
une personne distante de l’instruction et de la décision, pour
se faire entendre. Il s’agit donc d’une garantie d’un examen
impartial et distancié par rapport au rôle de la direction générale de la concurrence.
La conception française, dans un système qui sépare les fonctions d’instruction et de décision, est plutôt celle d’un expert
procédural, accessible aux entreprises en cas de contestation
sur les droits de la défense pendant la phase d’instruction
contradictoire de la procédure de contrôle des pratiques anticoncurrentielles. Le conseiller auditeur fournira, lorsqu’il sera
saisi de telles contestations, une évaluation autonome au collège, qu’il aidera donc à prendre la mesure des contestations
procédurales. Le collège demeure toutefois seul juge de la régularité de la procédure.
II. – LE NOUVEAU CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS
La réforme va dans le sens d’un meilleur partage des rôles
entre l’Autorité indépendante et le gouvernement. Cet objectif est essentiel : il s’agit de préciser clairement la responsabilité de l’Autorité indépendante et l’étendue du pouvoir du
ministre.
A. – Les différentes phases du contrôle
La LME institue un guichet unique pour le contrôle concurrentiel des concentrations ; elle met en place un traitement intégré avec un interlocuteur unique pour les entreprises, de la
prénotification à la décision et au suivi de sa mise en œuvre.
L’équilibre entre les deux phases de la procédure est préservé.
Dans le premier cas, le président ou le vice-président délégué
statue seul. Les cas qui font l’objet d’une Phase II restent,
comme aujourd’hui, traités de manière collégiale. Ceci n’exclut pas du tout qu’en Phase I, de manière informelle, le président ou le vice-président délégué puisse consulter les autres
vice-présidents ou le président, avec un système de checks
and balances et un dialogue interne à l’Autorité. Sont donc
distingués le traitement rapide des cas qui ne posent pas de
difficultés de concurrence et le traitement approfondi, contradictoire et collégial des cas soulevant des questions.
Ensuite, la Phase II est restructurée de fond en comble. Elle
préserve toutes les traditions du Conseil – débat contradictoire, formalisé, par écrit – avec l’envoi d’un rapport et la tenue d’une séance pendant laquelle s’engage un débat direct
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
les griefs seront notifiés, décider de recourir à la procédure
simplifiée qui dispense de l’établissement d’un rapport, ce
que faisait le président précédemment. L’octroi de délais aux
entreprises relèvera également du pouvoir du rapporteur général : ce dernier décidera ainsi de la prolongation des délais
demandée par les entreprises, soit à la suite de la notification
des griefs, soit à la suite de l’envoi du rapport. Enfin, le rapporteur général traitera toutes les questions liées au secret des
affaires dont l’ordonnance simplifie d’ailleurs la procédure,
actuellement lourde et bureaucratique.
À l’inverse, cette séparation ne vaudra pas pour les procédures d’engagements, dans les affaires de concentrations ou
encore dans les procédures d’avis où l’on ne poursuit personne.
entre les entreprises et le collège. La Phase III, qui prévoyait,
après l’examen collégial et l’émission d’un avis, que l’affaire
était réexaminée par les services ministériels pour une nouvelle négociation qui revenait parfois sur l’avis, ou du moins
entretenait certaines ambiguïtés, est en revanche supprimée.
Cette phase était souvent déstabilisante pour les entreprises,
qui pensaient l’affaire terminée avec la prise de position du
Conseil. De fait, elle engendrait une rupture des équipes assez compliquée à gérer. Dorénavant, il n’y aura plus qu’un
seul travail de conviction à réaliser pour les entreprises, qui
portera sur tous les aspects du « deal », soit les aspects pro
ou anticoncurrentiels de l’opération mais aussi les remèdes.
Cette réforme est de nature à procurer des gains d’efficacité,
qui sont évidemment retransmis aux entreprises, comme le
montre le fait que les délais sont raccourcis à 65 jours à compter de l’ouverture de la Phase II.
En outre, le traitement des cas devient plus homogène et cohérent. Le bilan qu’exercera l’Autorité de la concurrence se
focalisera exclusivement sur les questions de concurrence au
sens large, en intégrant les gains d’efficacité. L’analyse économique devrait donc être au cœur du travail de la future Autorité. Celle-ci dispose, je le rappelle, d’un service économique
dédié, dirigé par un chef économiste, qui pourra participer à
l’examen de l’affaire, notamment au dialogue avec les entreprises. Durant la Phase II, les rapporteurs du service concentrations pourront aussi bénéficier du renfort des rapporteurs
antitrust, dans les cas qui le justifient.
Je tiens à ce que cette procédure de contrôle en deux temps
soit utilisée plus clairement pour différencier les affaires. Je
suis sensible au message des entreprises qui insistent sur le
facteur temps. Les concentrations d’entreprises constituent
un tel défi organisationnel, en particulier lorsque les marchés
sont volatiles, que la course au temps s’avère très importante.
Pouvoir apporter une réponse rapide aux entreprises est un
élément majeur de la crédibilité du nouveau contrôle. Il faudra donc, chaque fois que possible, aller plus vite, tout en préservant les caractéristiques de notre système de checks and
balances, et n’ouvrir une Phase II que lorsqu’il s’agira de la
meilleure solution. Cela fonctionnera si deux conditions sont
remplies : les entreprises doivent continuer à prénotifier leurs
affaires le plus en amont possible, pour informer loyalement
et complètement l’Autorité des enjeux de la concentration ;
elles doivent également avancer vers un diagnostic partagé
avec l’Autorité le plus tôt possible. Je constate que les entreprises attendent parfois le dernier moment pour proposer des
remèdes ou partager le diagnostic. Dans ces conditions, il est
difficile de garantir une prise de décision rapide. Enfin, il faut
accepter que, lorsque l’affaire ne pose aucune difficulté – ce
qui est souvent le cas, lorsqu’il n’y a pas de recoupements de
marchés entre les entreprises qui se concentrent ou lorsque
les parts de marché sont extrêmement faibles – l’Autorité
prenne des décisions qui ne tranchent pas la délimitation des
marchés et ne font pas jurisprudence. Je suis partisan, pour
les affaires très simples, d’un système reposant sur une instruction très allégée, à la condition qu’on n’attende pas des
décisions qu’elles fassent jurisprudence.
B. – Le pouvoir d’évocation du ministre
Une question demeure quant au pouvoir résiduel du ministre.
Le Conseil s’est d’emblée montré favorable à l’équilibre des
pouvoirs entre l’Autorité indépendante recentrée sur l’examen
du bilan concurrentiel au sens large et la possibilité pour le
ministre de porter, sur certaines affaires stratégiques, un regard politique qui mette en balance le bilan concurrentiel avec
la contribution que peut apporter le projet à d’autres intérêts
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
généraux. Le Conseil a toujours considéré que cet équilibre
était un élément du succès de la réforme. Une difficulté réside toutefois dans le fait que la LME permet au ministre d’évoquer une affaire de concentration aussi bien dans le cas dans
lequel l’Autorité a estimé qu’il existait un problème de concurrence qui justifiait soit une décision d’interdiction, soit une
décision assortissant son autorisation de remèdes non acceptés par les entreprises, que dans le cas où l’Autorité a estimé
qu’il n’existait pas de problèmes de concurrence ou que ces
problèmes de concurrence étaient résolus par des engagements proposés par les entreprises elles-mêmes.
Il faudra voir comment s’exerce ce pouvoir d’évocation.
Mme Lagarde a clairement confirmé que le ministre n’entendait utiliser ce pouvoir qu’à titre exceptionnel. Les années à
venir nous aideront à comprendre son fonctionnement.
Il faut, en définitive, retenir de la réforme du régime de concentrations que le fait de placer l’examen des concentrations et
le traitement des pratiques anticoncurrentielles sous un même
toit, celui de l’Autorité de la concurrence, permettra d’avoir
une approche cohérente et bien articulée du contrôle des structures et des comportements.
III. – LE NOUVEAU CONTRÔLE DES PRATIQUES
ANTICONCURRENTIELLES
Ce contrôle est unifié. C’est un changement majeur. La dispersion des compétences actuelles en matière de contrôle des
pratiques anticoncurrentielles affecte effectivement bien plus
que le seul pouvoir d’enquête. Le Code de commerce dans sa
rédaction actuelle donne le pouvoir de décision au ministre
en cas d’abus rattaché à une concentration, ainsi que le pouvoir de contrôler la bonne exécution des décisions prises par
le Conseil. Toutes ces dispositions disparaissent à compter de
la date de la première réunion du nouveau collège, puisque
l’ensemble des compétences est intégré pour assurer l’efficacité de la régulation de la concurrence.
A. – Les compétences transférées à l’Autorité
de la concurrence
1) Le transfert du pouvoir d’enquête
Le pouvoir d’enquête est intégré dans une chaîne de responsabilité continue et homogène, de la détection des comportements et de la collecte des preuves sur le terrain à la décision
finale et au suivi de cette dernière. Cela permettra à l’Autorité
d’être informée plus en amont et plus complètement, et donc
de construire une stratégie de traitement des cas beaucoup
plus fine. Cette intégration aidera aussi à opter beaucoup plus
vite pour des engagements quand le comportement n’a pas
porté atteinte à la concurrence ou quand l’entreprise fait des
propositions crédibles et constructives. Le fait de réunir dans
les mêmes mains enquête et instruction aidera aussi en présence de comportements graves, pour lesquels la seule réponse possible doit être la sanction, notamment du point de
vue de la non contestation des griefs : le nouveau système
permettra d’accélérer la procédure en évitant de prolonger
l’incertitude. Ces changements sont cohérents avec les nouvelles stratégies procédurales, qui incitent les entreprises à
prendre en main leur avenir concurrentiel.
2) Le transfert du pouvoir de traiter complètement
les abus
La réforme transfère à l’Autorité indépendante le pouvoir de
traiter les abus liés à des opérations de concentration. Jusqu’à
présent, ce pouvoir était détenu par le ministre : le Conseil ne
pouvait que proposer au ministre de prendre des mesures
136
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
structurelles en cas d’abus permis par des opérations de concentration antérieures, ce qu’il n’a fait qu’une seule fois, dans
l’affaire des filiales communes de la distribution d’eau. Cette
disposition est modifiée dans la mesure où le pouvoir de décision est transféré à l’Autorité indépendante.
Si l’on regarde les bonnes pratiques en vigueur au sein du réseau européen, on constate que le pouvoir horizontal d’injonction structurelle est, en revanche, un point qui n’a pas été
repris par le droit français. Un régime spécifique est cependant créé dans le secteur de la distribution, à la demande du
Parlement. Le Code de commerce comprend ainsi une nouvelle disposition qui, dans le cas où un abus de position dominante est commis par une entreprise du secteur de la distribution et où l’entreprise poursuit son comportement
anticoncurrentiel, permet à l’Autorité de prendre des injonctions structurelles à son égard, qui pourront aller jusqu’à l’obligation de céder des surfaces à des concurrents pour rétablir
la concurrence sur la zone de chalandise affectée. Ce pouvoir
d’injonction structurelle a donc été traité de manière relativement fragmentée, en transférant le pouvoir de décision à l’Autorité indépendante en premier lieu dans le cas d’un abus permis par une opération de concentration et en second lieu dans
le cas de la distribution.
3) Le transfert du contrôle de l’exécution des décisions
Dans la répartition des rôles entre le Conseil et le ministre, le
ministre est actuellement le gardien de l’exécution des décisions du Conseil ; il lui arrive d’ailleurs de saisir le Conseil en
cas de non-respect par les entreprises des injonctions ou des
engagements pris devant le Conseil. Dorénavant, l’Autorité
veillera elle-même à l’exécution de ses décisions. Ce point est
fondamental pour l’avenir : une des caractéristiques essentielles des autorités indépendantes est que, à la différence des
juges, elles ne sont pas là simplement pour trancher des litiges et prendre des décisions qui s’imposent aux entreprises,
mais aussi pour vérifier in concreto que les marchés fonctionnent de manière concurrentielle. Elles doivent donc s’intéresser à l’efficacité de leurs décisions en vérifiant concrètement
que celles-ci sont correctement appliquées par leurs destinataires. C’est un des points sur lesquels les pratiques étrangères
se développent : de nombreux régulateurs de la concurrence,
qu’il s’agisse de la Commission européenne ou de l’Office of
Fair Trading britannique, réalisent des études sur l’efficacité
des décisions prises en vérifiant leur application et leur influence sur les comportements sur les marchés. L’Autorité entend investir beaucoup sur ce point car de nombreux cas ont
été traités par des engagements et la crédibilité de cette procédure dépend du respect des conditions dans lesquelles ces
engagements sont appliqués par les entreprises. L’Autorité sera
donc extrêmement vigilante, en mettant en œuvre les moyens
nécessaires pour vérifier que les engagements et les remèdes
sont appliqués de manière totale et sincère.
B. – Un contrôle modernisé
La réforme a cherché à consolider 20 ans de pratique décisionnelle et de mise en œuvre du Code de commerce mais
aussi à créer une Autorité modèle à partir des meilleures pratiques en vigueur à l’étranger.
La consolidation de la jurisprudence se traduit par de nombreuses précisions. Par exemple, la Cour d’appel de Paris, dans
l’arrêt Coca-Cola, avait énoncé le principe que le désistement
d’une partie ne faisait pas échec à la poursuite de l’affaire par
le Conseil, autorité indépendante. Le Code de commerce le
traduit maintenant concrètement : il n’y a pas besoin d’autosaisine pour poursuivre l’instruction de l’affaire, le désiste-
Droit I Économie I Régulation
1) Le fonctionnement de l’instruction
Les services d’instruction pourront désormais effectuer toute
enquête utile sur le modèle des pouvoirs dont disposent aujourd’hui le ministre ou la Commission européenne. Ces services d’instruction disposeront de pouvoirs d’enquête également plus complets : ils pourront auditionner pendant les
perquisitions ; ils pourront conserver les pièces saisies pendant qu’un contentieux est pendant ; ils pourront, sous le regard du collège, traiter des cas d’obstruction, avec toutefois
une différence par rapport à la situation communautaire puisque
l’amende procédurale devrait être fixée dans la décision finale
sur le fond. Ils auront également une panoplie d’outils plus
efficaces : ainsi, le recours à la procédure simplifiée se décidera au moment de l’envoi de la notification des griefs. En
même temps, ces pouvoirs nouveaux seront contrebalancés
par de nouvelles garanties octroyées aux entreprises. Ainsi,
le couperet de la prescription passera à 10 ans.
2) Le fonctionnement du collège
Les outils du collège sont eux aussi perfectionnés. Par exemple,
la nature non incriminatoire de la procédure d’engagements
est clarifiée. Le texte du Code de commerce, issu de l’ordonnance de novembre 2004, n’était pas très bien rédigé dans la
mesure où il permettait aux entreprises de proposer des en-
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
ment d’une partie ne faisant pas échec à la poursuite de l’instruction. Dans les rapports entre prescription pénale et prescription administrative devant l’Autorité de la concurrence, le
Code de commerce consolide et codifie également les points
tranchés par le Conseil et la Cour d’appel de Paris.
Certaines zones d’ombre du Code de commerce sont également levées en réponse à des problèmes rencontrés en pratique, notamment en ce qui concerne le secret des affaires,
qui est simplifié, ou le recours des tiers en matière de perquisitions.
Dans bien d’autres cas, l’ordonnance inscrit dans le Code de
commerce des solutions envisagées par le Rapport Donnedieu
de Vabres en 1986, mais qui n’avaient pas été retenues par le
gouvernement, telles que l’ambiguïté sur le champ d’application des pouvoirs d’enquête : les services d’instruction du
Conseil pourront en faire usage non seulement en antitrust
mais aussi en matière de contrôle des concentrations, puisqu’il est clairement reconnu aux services d’instruction la possibilité de procéder à toute enquête nécessaire à l’application
des Titres II et III du Livre IV du Code du commerce.
Le règlement n° 1/2003 est apparu comme un modèle évident, très utile dans les discussions techniques qui ont précédé l’adoption des textes, car il fournit un précédent utile
pour fonder un grand nombre d’avancées, par exemple sur le
dispositif d’obstruction à l’instruction. Le système précédent
n’était pas satisfaisant dans la mesure où il reposait sur la
sanction pénale, difficile à mettre en œuvre et parfois disproportionnée. L’Autorité aura désormais la possibilité de sanctionner spécifiquement l’obstruction mise par les entreprises
à l’instruction des affaires, ce qui permettra un traitement gradué aux différents cas d’obstruction constatés.
Cette réforme a aussi été l’occasion de réaliser tout un travail
de benchmarking à partir des outils juridiques en vigueur à
la fois dans les États membres mais aussi au sein des autres
autorités administratives indépendantes de régulation économique telles que l’ARCEP, le CSA, la CRE ou l’AMF. La possibilité pour le président de déposer un pourvoi en cassation
contre les arrêts de la Cour d’appel qui annulent ou réforment
les décisions de l’Autorité s’inspire ainsi des procédures de
l’AMF où le président dispose de ce même pouvoir.
gagements de nature à mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles. Ce texte est modifié pour s’accorder au vocabulaire
communautaire et à la pratique décisionnelle du Conseil : on
parle de préoccupations de concurrence concernant des faits
susceptibles d’être qualifiés de pratiques anticoncurrentielles.
D’autres changements résultent de la concertation menée avec
le barreau spécialisé : nous obtenons le découplage entre noncontestation des griefs et engagements. Cela avait été préconisé de longue date par le Conseil. Dorénavant les entreprises
auront le choix, lorsqu’elles décideront de ne pas contester
les griefs, soit de se limiter à renoncer à cette contestation,
soit d’accompagner cette renonciation de propositions d’engagements pour l’avenir permettant d’obtenir une réduction
plus importante du quantum de la sanction.
Le chantier de la défense des décisions en justice, ouvert en
2005 avec la possibilité pour le Conseil d’être présent devant
la Cour d’appel de Paris, est parachevé avec la possibilité de
se pourvoir en cassation. Il s’avère effectivement très important de faire trancher par la juridiction suprême des points de
droit.
Enfin, l’Autorité pourra décider de donner son avis sur des
questions générales de concurrence. Cet outil est conçu pour
être à géométrie variable : l’Autorité pourra rendre des avis
d’initiative sur des questions générales de concurrence permettant de donner des signaux plus clairs pour la communauté des affaires ou pour les pouvoirs publics ; elle pourra
également faire le bilan concurrentiel de législations ou de réglementations en vigueur ou en projet et recommander des
réformes, comme l’ARCEP ou la CRE ; elle pourra faire des enquêtes sectorielles, sur le modèle de la Commission européenne. Ce dernier point est utile car, en amont du traitement
individuel des cas, il peut y avoir des secteurs dans lesquels
un regard plus large peut être intéressant.
Comme le Conseil, l’Autorité mettra cette pédagogie au cœur
de ses priorités en recourant aussi plus largement aux communiqués de procédure. En matière de concentrations, nous
ferons nôtres les lignes directrices adoptées par le ministre de
l’Économie, élément fondamental de stabilité et de confiance
dans le dispositif actuel, en n’écartant pas une évolution ultérieure en fonction de nos propres convictions et de ce que
nous aurons expérimenté en ce domaine.
CONCLUSION
Quelles seront les dernières étapes avant la mise en œuvre de
la réforme ? Il s’agit tout d’abord de finaliser les décrets prévus par la LME et par l’ordonnance.
La LME prévoit plusieurs décrets : l’un s’intéresse aux conditions de publication des décisions ; l’autre doit préciser le
champ de l’intervention du conseiller auditeur ; le troisième
doit définir les modalités de représentation en justice de l’Autorité. L’ordonnance prévoit également plusieurs décrets, dont
deux à retenir, sur :
– l’articulation entre l’Autorité et les services ministériels au
stade de l’enquête, qui doit fonctionner au mieux pour que
soit atteint l’objectif d’efficacité administrative et pour assurer la sécurité juridique des entreprises ;
– l’articulation au stade de la prise de décision, avec le point
des micro-pratiques locales : le Conseil avait émis au mois
d’avril 2008 son avis sur le projet gouvernemental que le gouvernement n’a pas suivi.
Sur ce dernier point, le Conseil souhaitait effectivement prévoir, si le pouvoir de transaction était maintenu, une articulation avec le collège de l’Autorité, au préalable, sur les projets de transaction, pour que le collège vérifie que l’imputabilité
des pratiques avait été correctement traitée, que le standard
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
de preuve appliqué par les services ministériels était le même
que celui du Conseil, que le standard de sanction était cohérent avec le standard qu’aurait appliqué le Conseil dans
une telle hypothèse. L’ordonnance n’a toutefois pas retenu
une telle articulation et les transactions seront donc décidées sans information préalable du collège. Dès lors que l’ordonnance a clairement tranché, il faut que l’ensemble fonctionne de manière satisfaisante pour permettre aux services
ministériels d’exercer ce pouvoir de mise en garde et de transaction dans un souci de cohérence du droit de la concurrence, sans divergence avec l’Autorité, et dans le respect des
garanties que les entreprises attendent légitimement. Je suis
«
personnellement favorable à ce que ces transactions soient
rendues publiques car je crois qu’il s’agit d’un élément important de pédagogie.
Le second chantier, après les décrets, sera l’adoption d’un
nouveau règlement intérieur qui se substituera à l’actuel et
traitera un certain nombre de points transférés de la partie réglementaire du Code de commerce vers ce règlement intérieur, par exemple les règles de quorum concernant les différentes formations de l’Autorité.
Je souhaite saluer une nouvelle fois l’engagement de tous au
service d’une réforme qui aura été menée de manière rapide,
volontariste et, je le crois, relativement efficace. ◆
Cyril Nourissat. –
Je vous remercie pour cette présentation ; vous avez parfaitement brossé le panorama de l’intégration
et de l’autonomie qui caractérisent cette réforme.
◆
»
QUESTIONS-RÉPONSES
Marc Levis, avocat au Conseil d’État et à la Cour de
cassation :
Les textes détermineront le régime de
l’application dans le temps, en fonction de l’entrée en
vigueur des textes. M. le président, vous avez observé
que certaines dispositions peuvent éclairer ou consacrer
le droit positif. Ainsi, la consécration de la nature de
l’institution en Autorité administrative indépendante
consacre la nature du recours exercé contre ses décisions
et dissipe l’ambiguïté sur le caractère d’effet dévolutif de
ce recours. Serait-il possible, sous réserve de
l’appréciation des tribunaux, de lister les éléments
nouveaux de cette réforme et les éléments déclaratifs
qui, à ce titre, pourraient être utilisés à titre
d’arguments pour éclairer les problèmes existants et le
contentieux en cours ?
«
«
»
Bruno Lasserre :
Chaque fois que les modifications
du Code de commerce clarifient certaines questions, elles
le font par des solutions qui sont le reflet de pratiques
décisionnelles ou de jurisprudences passées ; elles ne
portent pas sur des sujets conflictuels qui auraient fait
l’objet de divergences entre la Cour d’appel de Paris et la
Cour de cassation. C’est le cas pour la nature de
l’Autorité car l’arrêt Coca-Cola de la Cour d’appel de
Paris, rendu sous la signature du président Canivet,
n’avait jamais été remis en cause. L’effet du désistement
d’une partie ne faisait pas débat non plus. Les rapports
entre prescription pénale et prescription administrative
relèvent quant à eux d’une solution initiée par le Conseil
de la concurrence et confirmée par la Cour d’appel de
Paris. Je ne suis donc pas certain que ces modifications
puissent éclairer des débats contentieux encore obscurs.
Le seul point sur lequel un changement de fond est
apporté concerne le régime des visites et des saisies.
L’arrêt Ravon rendu par la Cour européenne des droits de
l’Homme à propos de perquisitions fiscales et douanières
a suscité des questions quant à sa portée : fragilise-t-il
uniquement les perquisitions fiscales ou douanières ou
s’étend-il à d’autres perquisitions ? Certains éléments des
perquisitions de concurrence se rapprochent du régime
des perquisitions fiscales et douanières, mais en même
temps des différences existent. La grande distinction
entre ces perquisitions réside dans le fait que, dans les
perquisitions de concurrence, les entreprises ont la
138
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
possibilité, après l’autorisation délivrée par le juge des
libertés et de la détention, de revenir devant ce juge pour
contester concrètement les conditions dans lesquelles se
sont déroulées les visites et saisies. Il arrive ainsi que le
juge des libertés et de la détention rende des pièces à des
entreprises qui contestent ces saisies. Les entreprises ont
un juge effectif devant lequel elles peuvent se présenter,
un juge du fait qui contrôle in concreto les conditions
dans lesquelles se déroulent les visites et saisies et statue
sur les contestations qui peuvent surgir. Le gouvernement
a préféré prendre les devants et mettre le droit positif
français en accord avec les exigences de l’arrêt Ravon, en
introduisant la possibilité d’un contentieux d’appel sur
les ordonnances par lesquelles le juge des libertés et de la
détention autorise les visites et saisies. Dorénavant, les
entreprises pourront donc contester devant un juge
d’appel les ordonnances du juge des libertés et de la
détention autorisant les visites et saisies avant de se
pourvoir éventuellement en cassation. L’ordonnance met
en place des dispositions transitoires qui ouvrent des
droits nouveaux aux entreprises pour leur permettre de
bénéficier de ces avancées, alors même que les
perquisitions ont été ordonnées sur le fondement du droit
antérieur.
»
«
Mélanie Thill-Tayara, SCP Salans & Associés :
Sur le
contrôle des concentrations, j’imagine que les
prénotifications s’adressent au rapporteur général. Je crains
toutefois que ce dernier soit très occupé au vu des tâches qui
lui incombent. Par ailleurs, envisagez-vous de traiter les
affaires très simples par des autorisations tacites ?
»
«
Bruno Lasserre :
Très en amont, il faudra que
l’entreprise sache qui prendra part au processus. Mon
intention est d’identifier cet interlocuteur le plus tôt
possible de manière à ce que l’entreprise prenne contact
avec celui-ci, normalement le chef du service des
concentrations, nouvelle équipe dédiée pour examiner
les dossiers de concentrations. Le dialogue devra
s’engager avec cette personne, ce qui n’exclut pas que
des contacts puissent être pris avec le président ou le
vice-président délégué.
»
Christine Vilmart, Castaldi, Mourre & Partners :
Sur un plan pratique, une difficulté concerne
actuellement le point de départ du délai lorsque le
«
Droit I Économie I Régulation
«
»
Bruno Lasserre :
Cette disposition ne jouera que
pour les Phases II. Dans mon esprit, le système actuel
sera le suivant : en Phase I, le service des concentrations
traitera l’affaire, qui donnera lieu à une décision
individuelle prise par le président ou un vice-président
délégué, tandis qu’en Phase II la décision relèvera du
collège. Pour approfondir l’examen en Phase II, il faudra
renforcer l’expertise du service des concentrations par
l’envoi d’un rapport écrit puis d’un débat contradictoire
avec le collège, qui bénéficiera du concours de
rapporteurs antitrust du Conseil. Il s’agit donc du reflet
du système actuel, si ce n’est que le collège ne rendra
plus un avis mais une décision à l’issue de la Phase II.
S’agissant du délai d’autorisation tacite, il ne court qu’à
partir du moment où le dossier est complet. Nous pouvons
nous pencher sur la question de savoir si les informations
exigées sont excessives ou pas mais le mécanisme
d’autorisation tacite s’avère redoutable puisqu’il conduit à
prendre une décision du seul fait de l’écoulement du
temps. Il est donc fondamental que les entreprises aient
totalement informé l’autorité chargée de prendre la
décision du contenu du dossier exigé par les textes avant
que ne courre le délai d’autorisation tacite.
»
«
Dominique Brault, Herbert Smith LLP :
Avez-vous
anticipé l’importance que pourrait avoir dans votre
activité le contrôle des concentrations dans la
distribution avec les nouveaux seuils ?
Par ailleurs, vous exprimez votre attachement pour la
séparation entre instruction et décision, à notre grande
satisfaction. Or nous assistons parfois à une
prolongation de l’instruction devant le Conseil : je
trouve que cela décrédibilise le choix de principe en ce
qui concerne la non-participation au délibéré.
L’influence exercée par les services de l’instruction sur
les membres du Conseil me semble tout aussi manifeste
que s’ils participaient au délibéré. Je souhaiterais donc
que le règlement intérieur de la future Autorité délimite
plus clairement la frontière entre l’instruction et la
délibération, dans l’esprit de la séparation.
«
»
Bruno Lasserre :
Sur votre première question, il est
difficile d’anticiper le nombre d’affaires qui devront être
notifiées et faire l’objet d’une décision dans le secteur de
la distribution, compte tenu de l’abaissement du seuil
pour les affaires locales, sauf en extrapolant les données
du passé. En année pleine, cela pourrait concerner entre
10 et 15 affaires au moins.
Sur le second point, je ne vous suis pas du tout. La
Cour de cassation a clairement jugé que le rapporteur
devait quitter la séance avec les entreprises et les
commissaires du gouvernement et laisser les seuls
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
dossier est complet. Comme le délai était très court en
Phase I, le dossier n’était jamais totalement complet. Il
pourrait donc être utile que le délai entre la notification
et le point de départ du dossier notifié complet ne soit
pas trop long.
Vous avez indiqué dans votre présentation que des
rapporteurs de l’antitrust pourraient travailler sur les
concentrations : cette disposition pourrait s’avérer
dangereuse pour les entreprises, du fait d’une étanchéité
de fonctionnement au sein du collège d’instruction entre
le bureau concentrations et les rapporteurs qui
s’occupent des enquêtes antitrust.
membres du Conseil délibérer. C’est ce qu’il se passe
depuis 2001 : nous nous réunissons seuls, parfois
longuement, pour examiner attentivement le bien-fondé
des griefs, la question des objections procédurales et les
sanctions éventuelles. Que la séance soit vivante et
contradictoire ne me choque pas du tout, au contraire :
il me semble normal que le rapporteur qui présente le
point de vue de l’instruction l’énonce et, si on le
questionne, l’explicite ou le précise. La séance doit
permettre au Conseil de délibérer en toute connaissance
de cause. Par conséquent, après la présentation du
point de vue du rapporteur et du rapporteur général, il
est parfaitement naturel que le rapporteur puisse
revenir sur certains points de fait pour donner son
point de vue, à condition bien entendu que les
entreprises puissent répliquer aux propos du rapporteur.
La différence entre une autorité administrative
indépendante et une juridiction réside dans le fait que
nous n’écoutons pas des plaidoiries qui se succèdent
mais que nous essayons de nous forger une conviction à
partir de tous les éléments présents. Le rapporteur
n’influe en rien sur le délibéré du fait de sa
participation à la séance. De cette confrontation entre
la vision du rapporteur et celle des entreprises naîtra la
conviction des membres du Conseil. Je suis tout à fait
opposé à l’idée selon laquelle le Conseil ne pourrait
délibérer objectivement que si le rapporteur se taisait :
il doit au contraire pouvoir donner son point de vue,
qui peut ensuite être contesté par les entreprises.
»
«
Public :
Le juge des libertés et de la détention
actuellement saisi de contestation de visites et saisies
doit-il se dessaisir au profit de la Cour d’appel ?
»
«
Public :
La mesure ne vaut que pour l’avenir. Le
juge des libertés et de la détention saisi d’un
contentieux finira de le traiter.
»
«
Public :
Parmi les novations de fond confiées à
l’Autorité figure la possibilité de sanctionner les abus de
position dominante suite à une concentration en
défaisant l’opération si nécessaire, dans le domaine du
commerce. Quel type d’abus pourrait alors être
sanctionné ?
Ma deuxième question concerne la novation en matière
de contrôle des concentrations dans le commerce. Le
système est-il déjà bien en vigueur ? Sur le fond, y aurat-il ou non opération de contrôle en cas de changement
d’enseigne d’un commerçant membre d’un système
coopératif ?
»
«
Bruno Lasserre :
Ces questions montrent que nous ne
sommes pas venus à bout de toutes les difficultés ou
interprétations auxquelles peuvent donner lieu ces textes.
Sur le premier point relatif au pouvoir d’injonction
structurelle en cas d’abus de position dominante, il existe
maintenant deux habilitations données à l’Autorité pour
agir. La première ne fait que transférer le pouvoir actuel
du ministre à l’Autorité pour les abus qui ont été rendus
possibles par une opération de concentration antérieure :
dans ce cas, l’Autorité indépendante pourra prendre ellemême la décision. La seconde est nouvelle ; elle est
restreinte au secteur de la distribution dans lequel
l’Autorité pourra adresser des injonctions structurelles. Ce
pouvoir est strictement encadré puisqu’il ne suffira pas de
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
139
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
constater un abus dans une zone de chalandise pour
mettre en œuvre cette nouvelle possibilité : il faudra aussi
que l’entreprise ait poursuivi son comportement malgré
un constat d’infraction préalable dressé par l’Autorité qui
aura soit sanctionné, soit enjoint l’entreprise de cesser le
comportement appréhendé. La LME ne définit pas le type
d’abus : par conséquent, il peut s’agit de tout type
d’abus, tel qu’un abus d’éviction, c’est-à-dire un
comportement abusif qui tenterait d’évincer du marché
local un concurrent par toutes sortes de pratiques, ou un
abus d’exploitation d’une position dominante et
notamment la pratique de prix excessivement élevés. Le
législateur n’a pas restreint aux abus d’éviction le champ
de ce nouveau pouvoir. Jusqu’ici, le Conseil de la
concurrence n’a jamais sanctionné une entreprise pour
abus d’exploitation lié à des tarifs excessifs. Le seul cas
où il aurait pu le faire, puisque la clientèle était
réellement captive de l’opérateur dominant, est l’affaire
de la prison d’Osny où les prisonniers s’étaient plaints
des prix excessifs pratiqués par l’épicerie. Dans cette
affaire, le Conseil a utilisé sa pratique décisionnelle
classique en matière de prix excessifs, en regardant s’il
existait une disproportion manifeste soit entre les prix
pratiqués et les coûts supportés soit entre les prix
pratiqués par cet opérateur dominant et d’autres
opérateurs agissant sur le même marché. Ce standard de
preuves est si exigeant que le Conseil n’a jamais pu
l’appliquer de manière positive ; il est applicable à des
abus d’exploitation liés à des tarifs excessifs, infraction
très difficile à démontrer car l’Autorité de la concurrence
ne peut être le régulateur des prix et ne peut sanctionner
ces infractions que dans des cas de disproportion
manifeste.
»
«
Public :
Lorsqu’un avocat voulait regarder les pièces
saisies, il n’avait pas ce droit. Sa présence est désormais
reconnue et non plus seulement tolérée. Pour une
opération de saisie, un inventaire permettrait d’identifier
les pièces saisies. S’il s’agit d’une mesure d’instruction,
ce problème procédural pourra faire l’objet d’une
discussion avec le conseiller auditeur. Affirmer que la
présence d’un avocat est reconnue ne suffit pas : quand
existe-t-il une mesure d’obstruction ? Selon moi, il n’y a
pas obstruction lorsque l’avocat demande à voir les
pièces saisies car cela fait partie du travail d’assistance
d’un avocat pendant la procédure de vérification. Je
souhaiterais avoir quelques éclaircissements sur ce que
vous en pensez.
»
«
Bruno Lasserre :
Il m’est impossible de vous
répondre car cela me ferait préjuger de ce qui pourra
être décidé dans telle ou telle hypothèse. Il est en outre
difficile d’extrapoler à partir de la pratique actuelle
dans la mesure où il existe une novation importante :
la loi reconnaît dorénavant la possibilité de la présence
de l’avocat, à la condition qu’il ne fasse pas obstruction
au déroulement des opérations. Sur le second point, il
faut veiller à ne pas créer de télescopage entre les voies
de droit qui existent, et notamment les voies juridiques
de recours, et le conseiller auditeur. Ce dernier n’a pas
vocation à se substituer aux autorités juridictionnelles
ou au collège pour trancher les questions de procédure.
Tel n’est pas le rôle que lui impartit la loi. Le conseiller
auditeur a vocation à permettre au collège, sur des
questions de procédure, de décider en toute
140
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
connaissance de cause, avec un éclairage neutre par
rapport aux services d’instruction et aux parties.
»
«
Public :
La LME prévoit que les parties peuvent
s’adresser au conseiller auditeur en lui faisant part de
leurs contestations sur le déroulement de la procédure
d’instruction et non sur le déroulement de la procédure
d’enquête. C’est donc après la notification de griefs que
le conseiller auditeur peut être sollicité par les parties. Si
des mesures d’enquête ont lieu pendant la phase
d’instruction, elles peuvent alors être portées devant le
conseiller auditeur. En revanche, si les mesures d’enquête
ont lieu avant la notification de griefs, elles ne peuvent
alors pas être soumises au conseilleur-auditeur.
»
«
Bruno Lasserre :
C’est exact. Je voudrais revenir sur
la question qui m’a été posée tout à l’heure concernant
l’entrée en vigueur des nouveaux seuils de concentration
applicables à la distribution. L’ordonnance intervient, du
fait même de la Constitution en matière législative,
même si elle n’a pas encore été ratifiée par le Parlement,
et peut donc modifier ou restreindre la loi antérieure.
Rien ne lui interdit de modifier ou de restreindre des
règles auparavant décidées par le législateur. De mon
point de vue, c’est clairement la première réunion de la
nouvelle Autorité qui crée le basculement des règles de
compétences et des règles de fond qui y sont
associées.
»
«
Public :
Je suppose pourtant que les notifications
peuvent déjà arriver.
«
»
Bruno Lasserre :
Non, car les notifications ne
pourront se faire que devant l’Autorité qui n’existe pas
encore.
»
«
Cyril Nourissat :
Vous avez souligné votre
attachement à l’exécution des décisions. Quelle forme
prendra le contrôle de l’exécution des décisions de
l’Autorité ?
»
«
Bruno Lasserre :
Dans le cas où des injonctions
accompagnent la décision ou lorsque la décision se
traduit par une obligation de faire, l’Autorité pourra
s’autosaisir pour vérifier que ces engagements ou
injonctions ont été respectés par les entreprises. De
facto, c’est ce qui existe déjà aujourd’hui. L’Autorité
exercera cette prérogative seule ; elle sera en charge de
veiller à l’exécution de ses propres décisions. Même
devant les juridictions suprêmes, telles que le Conseil
d’État, il existe une section du rapport et des études qui
s’intéresse concrètement aux difficultés d’exécution des
décisions. Les juges sont de plus en plus dotés de
pouvoirs destinés à s’assurer que les décisions qu’ils
prennent sont exécutées. Ainsi, le juge administratif
peut préciser dans sa décision les conditions concrètes
dans lesquelles l’administration devra exécuter la
décision. Cela va plutôt dans le sens, du point de vue du
plaignant, de la satisfaction de ses droits car une
décision tranche le litige mais aussi le remplit de ses
droits dans la réalité.
«
»
Cyril Nourissat :
Je vous remercie pour cette
intervention et pour les éclaircissements que vous avez
pu apporter.
◆
»
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
Actualité des aides d’État
Par Jean-Louis COLSON,
Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence, Direction générale Transport et Énergie, Commission européenne (2)
Je me propose de présenter une revue de la jurisprudence
dans le domaine des aides d’État pour l’année 2008. La jurisprudence a été extrêmement importante, tant quantitativement que qualitativement, avec plusieurs arrêts de principe
fort utiles dans le domaine du contrôle des aides d’État.
I. – LES ARRÊTS PRÉCISANT LA NOTION D’AIDE D’ÉTAT
Une aide est une mesure qui répond simultanément à quatre
caractéristiques : elle procure un avantage ; elle concerne certaines entreprises ou certaines productions ; elle est financée
aux moyens de ressources d’État et est imputable à l’État ; elle
a un impact sur les échanges entre États membres et engendre
une distorsion de concurrence dans la Communauté.
Les arrêts de 2008 ont principalement précisé les trois premiers critères, à savoir l’avantage, la ressource publique et la
sélectivité.
A. – La notion d’avantage
1) Garanties publiques
L’arrêt du 26 juin 2008 (TPICE, 26 juin 2008, aff. T-442/03, SIC c/Commission)
constitue la suite de la « saga » de la télévision publique portugaise. Dans cet arrêt, le Tribunal a précisé la notion d’avantage dans le contexte des garanties d’État. Il a indiqué qu’une
garantie d’État ne peut se déduire de la simple appartenance
d’une entreprise à l’État ou du fait que l’entreprise est contrôlée par l’État. Pour qu’il y ait garantie d’État, il faut qu’il existe
un acte, donc une constatation objective de l’existence d’une
garantie. La perception de la part du marché qu’une entreprise a, en matière d’emprunt, des conditions avantageuses
parce qu’elle est contrôlée par l’État ou parce qu’elle appartient à l’État, n’est pas suffisante pour conclure que l’État a
octroyé explicitement ou implicitement une garantie.
2) La notion d’investisseur privé en économie de marché
Dans l’arrêt du 9 juillet 2008 (TPICE, 9 juill. 2008, aff. T-301/01, Alitalia),
le Tribunal a précisé la notion d’investisseur privé en économie de marché. Lorsque l’État procède à une augmentation de capital, ou à un apport en capital dans une entreprise, il est réputé ne pas octroyer d’avantages et donc d’aides
d’État s’il intervient dans les conditions d’un investisseur
privé en économie de marché. La jurisprudence a considérablement évolué sur le point de savoir si l’intervention de
l’État doit s’apprécier différemment suivant qu’il en est déjà
actionnaire (majoritaire) ou pas. Ainsi, dans les années 1980
et 1990, la Cour de justice et le Tribunal avaient considéré
que lorsque l’État intervenait dans une entreprise publique,
son intervention devait alors s’apprécier en tant qu’actionnaire déjà présent. Cette jurisprudence a depuis considérablement évolué et, dans cet arrêt du 8 juillet 2008, le Tribunal précise très clairement que tel n’est pas le cas : le principe
de l’investisseur privé en économie de marché doit s’apprécier comme celui d’un investisseur quel qu’il soit, sans
prendre en compte le fait que l’État était déjà actionnaire de
l’entreprise ou qu’il ne l’était pas. Il faut donc comparer l’investissement de l’État à celui d’un investisseur quelconque
présent sur le marché.
(2)
B. – Le critère des ressources publiques
et de l’imputabilité de la mesure à l’État
1) L’imputabilité de la mesure à l’État
Dans l’arrêt du 26 juin 2008 sur la télévision portugaise (TPICE,
26 juin 2008, aff. T-442/03, préc.), le Tribunal a été amené à interpréter
la notion d’imputabilité puisque Portugal Telecom, à l’époque
entreprise publique, avait octroyé des facilités de paiement à
la télévision publique portugaise pour le paiement de la redevance. Les plaignants considéraient qu’il s’agissait d’une
aide. Dans sa décision, la Commission avait considéré que ces
facilités de paiement ne constituaient pas une aide car elle
n’était pas en mesure de démontrer l’imputabilité de la mesure à l’État. Elle s’était fondée sur certains indices : en premier lieu la loi ne prévoyait aucune relation particulière entre
Portugal Telecom et la télévision publique portugaise; ensuite,
Portugal Telecom n’était en rien intégré dans l’administration
publique portugaise; troisièmement, la Commission avait spécifiquement demandé à Portugal Telecom et à l’État portugais
si ces facilités avaient été octroyées à l’initiative de l’État et
l’un comme l’autre avaient assuré la Commission que tel n’était
pas le cas ; quatrièmement, aucun autre tiers, hormis le plaignant, n’avait donné des éléments pouvant laisser penser que
la mesure en question avait été prise à l’initiative de l’État ;
cinquièmement, ce comportement de Portugal Telecom s’était
poursuivi même après la privatisation de Portugal Telecom ;
enfin, sixièmement, ce comportement de Portugal Telecom
semblait être dû à des considérations privées puisqu’il résultait d’un conflit entre Portugal Telecom et la télévision publique portugaise sur le montant de la redevance. Sur la base
de ces six critères, la Commission avait considéré qu’elle
n’était pas en mesure de démontrer l’imputabilité de la mesure à l’État et par conséquent, l’existence d’aides de Portugal Telecom à la télévision publique portugaise. Ce raisonnement a été intégralement confirmé par le Tribunal dans l’arrêt
du 26 juin 2008.
2) Ressource d’État
L’arrêt du 17 juillet 2008 de la Cour de justice (CJCE, 17 juill.,
aff. C-206/06, Essent Netwerk Noord) est intéressant car il restreint la portée d’un arrêt de principe extrêmement important dans le domaine des aides qui était l’arrêt Preussen-Elektra. Dans celuici, la Cour avait considéré que, lorsque des acteurs privés étaient
contraints par l’État à fournir des avantages à des entreprises,
la mesure en question n’était pas une aide d’État, même si elle
était imputable à l’État, car des ressources d’État n’étaient pas
en cause. Il s’agissait d’un arrêt dans le domaine de l’électricité en Allemagne où il était imposé par la loi aux distributeurs
d’électricité, privés comme publics, d’acheter à un tarif favorable l’électricité aux producteurs qui produisent cette électricité à partir d’énergies renouvelables. La Cour de justice avait
considéré que cette obligation d’achat à taux préférentiels faite
à des acteurs privés au profit d’entreprises sur le marché – à
savoir des producteurs d’électricité verte – n’était pas une aide
car il n’y avait pas de ressources d’État en cause.
La portée de cet arrêt est restreinte, en ligne avec la pratique
de la Commission, par l’arrêt du 17 juillet 2008. Celui-ci
>
Les développements qui suivent sont ceux de l’auteur et ne sauraient engager la Commission européenne.
Droit I Économie I Régulation
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
141
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
concerne des distributeurs d’électricité aux Pays-Bas qui ont
une obligation d’achat. Ces distributeurs d’électricité sont des
entreprises publiques. Ils n’ont aucune liberté sur l’usage de
fonds collectés auprès des consommateurs d’électricité qu’ils
doivent rétrocéder à une entreprise selon une clé de répartition imposée par l’État. Toutefois, ces fonds sont considérés
comme une ressource publique car les distributeurs sont tous
publics. Les fonds qui transitent par eux deviennent donc une
ressource publique.
C. – Le critère de la sélectivité.
L’arrêt du Tribunal du 10 avril 2008 (TPICE, 10 avr. 2008, aff. T-233/04,
Royaume des Pays-Bas c/Commission) concerne les droits d’émission pour
les oxydes d’azote. Le Tribunal confirme que les quotas d’émission octroyés gratuitement par un État pour limiter les émissions de certains gaz à effet de serre constituent un actif incorporel donné gratuitement et donc un avantage. Il s’agissait
de droits d’émission qui pourront ensuite être échangés ou
vendus par les entreprises qui les reçoivent. Toutefois, étant
donné que ce mécanisme, en termes de droits d’émission,
concerne certaines entreprises qui ne peuvent être comparées
à d’autres car elles sont les seules à appartenir audit mécanisme de droits d’émission, il n’y a pas sélectivité. Uniquement les grandes installations qui produisent du NOx sont
soumises au mécanisme et, donc, elles seules peuvent disposer de cet avantage. Le cercle fermé de bénéficiaires de la mesure correspond aux seules entreprises qui font partie du mécanisme : on ne peut donc pas dire qu’elles perçoivent un
avantage par rapport aux autres entreprises qui ne font pas
partie du mécanisme.
Un autre arrêt précise la notion de nature et d’économie du
système. Même si une mesure est sélective, elle échappe à la
notion d’aide d’État si cette sélectivité résulte de la nature et
de l’économie du système. Dans l’arrêt SIC contre Commission du 26 juin 2008, une mesure visait la transformation de
la télévision publique portugaise d’entreprise publique à statut spécifique en société anonyme. Or, cette transformation
impose normalement le passage devant notaire et donc le paiement de certains droits. Dans le cas d’espèce, la transformation était imposée par la loi et dispensait du passage devant
notaire et, implicitement, du paiement des droits devant notaire. La Commission avait fait le raisonnement suivant : la
transformation, étant imposée par la loi, dispensait par conséquent du passage devant notaire et du paiement des droits
liés au passage devant notaire ; de ce fait, l’exonération de
droits devant notaire est dans la nature et l’économie du système et ne constitue donc pas une aide. Le Tribunal annule
la décision de la Commission sur ce point en invoquant un
raisonnement insuffisant. Pour le Tribunal, la vraie question
est la suivante : est-ce le recours à la loi qui est dans la nature et la logique du système juridique portugais et a pour
conséquence l’absence de passage devant notaire et donc l’absence de paiement de taxes ? Tel est ce que la Commission aurait dû regarder. Pour vérifier la nature et l’économie d’une
mesure, il faut donc aller plus loin que la simple constatation
de la conséquence du recours à la loi et se poser la question
de savoir si le recours à la loi lui-même était bien dans la nature et l’économie du système juridique portugais.
L’arrêt du 11 septembre 2008, dit « de la fiscalité basque » (CJCE,
11 sept. 2008, aff. C-428/06, UGT-Rioja e.a. c/Juntas Generales del Territorio Histórico de
Vizcaya e.a.), est fondamental quant au concept de sélectivité ré-
gionale et précise l’arrêt Açores de 2006. Dans ce dernier, la
Cour avait posé trois conditions pour affirmer qu’il n’y a pas
de sélectivité et donc pas d’aides lorsqu’une mesure fiscale
automatique non discrétionnaire et non autrement sélective
142
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
est adoptée par une entité régionale autonome sans que les
autres entités de même niveau puissent toutes le faire. En premier lieu, il faut que la collectivité régionale ou locale auteur
de cette mesure dispose d’un statut politique et administratif
distinct, consacré constitutionnellement (critère de l’autonomie institutionnelle). Le second critère relève de l’autonomie
procédurale : il faut qu’il n’y ait aucune possibilité d’intervention directe de la part du gouvernement central pour la
mise en œuvre de la mesure. Enfin, le troisième critère est celui de l’autonomie économique et financière : les conséquences
financières de la mesure ne doivent pas être compensées par
des concours ou des subventions en provenance des autres
régions ou du gouvernement central. Pour qu’il n’y ait pas sélectivité, il faut donc que l’entité régionale ou locale se comporte véritablement comme aurait pu se comporter un État et
qu’elle dispose de l’autonomie institutionnelle, procédurale
et financière.
Dans l’arrêt fiscalité basque du 11 septembre 2008, la Cour de
justice a précisé ces trois critères. Elle a été très claire sur le
fait qu’il n’existait pas d’autres critères que les trois précédemment cités. La Commission avait effectivement plaidé que
l’arrêt Açores pouvait être lu comme signifiant que, pour qu’une
mesure ne soit pas une aide, il fallait répondre aux trois critères cités mais également à un quatrième critère : la collectivité locale ou régionale devait également jouer un rôle fondamental dans la définition de l’environnement économique
et politique dans lequel opèrent les entreprises. La Cour, dans
l’arrêt fiscalité basque, rejette cet argument en considérant
que ce critère n’est pas additionnel mais simplement la conséquence de la réunion des trois autres critères.
La Cour précise également dans cet arrêt du 11 septembre
2008 que l’existence d’un contrôle juridictionnel ne remet pas
en cause l’autonomie procédurale. La Commission avait également plaidé que le contrôle juridictionnel sur les actes de
la collectivité locale ou régionale, c’est-à-dire la possibilité
pour le juge de s’opposer ou d’annuler l’acte de la collectivité
locale ou régionale, excluait l’autonomie procédurale à la collectivité. Dans l’arrêt fiscalité basque, la Cour rejette également cet argument en considérant que le contrôle juridictionnel est inhérent aux sociétés démocratiques et ne remet pas
en cause l’existence d’une autonomie procédurale. Par ailleurs,
un processus de concertation entre le niveau régional et le niveau central, pour autant que le niveau régional dispose du
dernier mot, ne remet pas en cause non plus la notion d’autonomie procédurale.
Enfin, le critère de l’autonomie financière doit s’entendre dans
le sens qu’il implique l’absence de transferts ayant un lien de
cause à effet avec la mesure. Les transferts financiers entre
l’État et la collectivité, non imputables à la mesure en cause,
ne permettent donc pas de considérer que la collectivité locale ou régionale n’est pas autonome financièrement.
II. – LES ARRÊTS SUR LA COMPATIBILITÉ DES AIDES
A. – Les précisions sur les critères de compatibilité
Deux arrêts précisent les critères de compatibilité : l’un porte
sur l’article 87-3, d) et l’autre sur l’article 87-2, b).
L’article 87-3, d) concerne la dérogation en matière culturelle. Certaines aides peuvent être déclarées compatibles
par la Commission lorsqu’elles visent à favoriser la culture
ou la conservation du patrimoine. Dans un arrêt du 15 avril
2008 (TPICE, 15 avr. 2008, aff. T-348/04, SIDE c/Commission), le Tribunal indique que l’article 87-3, d), instauré par le Traité d’Amsterdam, ne saurait être invoqué avant l’entrée en vigueur du
Traité.
Droit I Économie I Régulation
B. – Les questions de services d’intérêt économique
général (3)
Deux arrêts concernent la problématique des services d’intérêt économique général (SIEG) : l’un dans la télévision publique et l’autre dans le secteur de l’assurance santé.
1) L’arrêt BUPA
L’arrêt BUPA (TPICE, 12 févr. 2008, aff. T-289/03, BUPA e.a. c/Commission) est assez complexe et concerne le deuxième pilier de l’assurance
maladie irlandaise. Dans cet arrêt, le Tribunal étudie l’ensemble
du système irlandais à cet égard et précise les questions de
compensation de service d’intérêt économique général.
Cet arrêt indique tout d’abord que l’arrêt Altmark est applicable, même si les faits concernés sont antérieurs audit arrêt.
Dans celui-ci, la Cour de justice avait effectivement posé quatre
critères pour que les compensations pour service d’intérêt
économique général ne soient pas des aides. Le Tribunal estime que la Cour n’a fait qu’interpréter une disposition du
Traité et que, si elle n’a pas limité son arrêt dans le temps,
alors l’arrêt est valable, y compris pour des décisions adoptées antérieurement. Les critères Altmark peuvent donc être
appliqués en l’espèce.
L’arrêt contient des développements sur ce qui peut être
qualifié de service d’intérêt économique général. L’obligation imposée à un assureur public d’accepter tous les clients
dans le domaine de l’assurance maladie peut-elle être considérée comme un service d’intérêt économique général ? Le
Tribunal répond par l’affirmative pour plusieurs raisons.
En premier lieu, il rappelle qu’en droit communautaire, il
n’y a pas en principe de définition de ce qu’un État membre
entend indiquer comme un SIEG : de ce fait, l’État membre
a une large marge d’appréciation. Deuxièmement, ceci
vaut encore plus dans les domaines où le droit communautaire est peu présent et où les États membres conservent un rôle fondamental, comme celui de la santé. Enfin, l’article 16 du Traité insiste sur l’importance des services
d’intérêt économique général dans la construction communautaire, ce qui confirme une marge d’appréciation importante de l’État membre. De ce fait, la Commission ne
peut remettre en cause la définition du SIEG qu’en cas
d’erreur manifeste d’appréciation, laquelle n’est pas constatée dans le cas d’espèce.
Un service d’intérêt économique général doit-il nécessairement faire l’objet d’un droit exclusif ? Le Tribunal répond par
la négative : un service d’intérêt économique général peut être
octroyé à divers opérateurs. De plus, une loi est suffisante
pour qu’une ou plusieurs entreprises soient chargées d’un service d’intérêt économique général. Il n’est pas non plus nécessaire que la désignation soit individuelle.
(3)
PERSPECTIVES COLLOQUE
L’arrêt Olympiaki (TPICE, 25 juin 2008, aff. T-268/06, Olympiaki c/ Commission)
sur l’article 87-2, b) traite des « événements extraordinaires ».
La Commission doit considérer comme compatibles avec le
marché commun les aides qui visent à remédier à des événements dits extraordinaires. La Commission avait utilisé cette
dérogation dans le secteur du transport aérien après les événements du 11 septembre 2001. Elle avait toutefois refusé d’accepter cette dérogation lorsqu’elle estimait que les conséquences pour les compagnies aériennes étaient trop éloignées
des événements eux-mêmes. Dans cet arrêt, le Tribunal semble
faire une interprétation moins restrictive de cette dérogation
notamment en acceptant apparemment la non-simultanéité
entre l’événement et le dommage.
Un service d’intérêt économique général doit-il absolument
être universel ? Le Tribunal répond par la négative : un État
membre peut très bien définir un service d’intérêt économique
général et le limiter à certaines catégories de la population.
En l’espèce, toute la population irlandaise n’était pas couverte
par le service en question. De même, l’opérateur auquel est
imposé le service d’intérêt économique général peut avoir une
certaine marge de manœuvre pour le choix de ses clients, pour
autant que des conditions minimales lui soient imposées. En
effet, la sécurité sociale irlandaise pouvait, dans des conditions très particulières et sous contrôle de l’État, refuser certains clients. Certaines catégories de personnes peuvent donc
être exclues par l’État ou par les opérateurs si cela s’avère nécessaire pour éviter les abus ou pour gérer convenablement
le fonctionnement du système. Le service d’intérêt économique général n’implique pas nécessairement la gratuité du
service : en l’espèce, des cotisations étaient effectivement
payées par les assurés. De même, l’État membre peut imposer des standards de qualité à l’entreprise chargée du service
d’intérêt économique général ce que le Tribunal justifie par
le principe de cohésion économique et sociale. Enfin, une certaine marge de manœuvre peut être laissée à l’État et à l’opérateur pour le calcul de la compensation, si cette marge de
manœuvre est toutefois limitée.
2) L’arrêt SIC contre Commission
L’arrêt SIC contre Commission précité confirme dans une large
mesure l’arrêt BUPA, en particulier pour la définition du service. Les États membres peuvent prescrire une définition
extrêmement large du service d’intérêt économique général.
Le Tribunal se fonde sur un certain nombre d’éléments :
l’État membre a un large pouvoir d’appréciation pour la définition du service public ; l’article 16 confirme l’importance
des services publics dans le Traité ; enfin, pour la télévision
publique, ceci est renforcé par l’existence d’un protocole spécifique annexé au protocole d’Amsterdam et par une résolution du Conseil du 25 janvier 1994.
Le fait de devoir fournir un service d’intérêt économique général n’empêche en rien l’entreprise qui en est chargée d’avoir
des activités commerciales. Une télévision publique chargée
de services d’intérêt économique général peut par ailleurs se
financer grâce à la publicité.
Sur les critères de qualité, le Tribunal confirme que lorsque
l’État impose une mission de service public, il peut intégrer
des critères qualitatifs à cette mission. Dans ce cas, la Commission ne saurait vérifier le respect de tels critères ; en revanche, elle doit vérifier qu’existe dans la loi concernée un
mécanisme qui en permette le respect.
L’obligation pour la Commission de s’assurer de l’absence de
surcompensation s’étend à la nécessité de répondre aux critiques d’un plaignant sur la non-fiabilité des comptes de l’entreprise chargée du SIEG.
3) L’arrêt TV 2/Danemark
Le service économique d’intérêt général dans la télévision publique danoise était défini comme devant assurer une programmation télévisuelle variée, visant la qualité, l’universalité et la diversité.
La plaignante, la télévision privée danoise, estimait qu’il ne
s’agissait pas d’un vrai service d’intérêt économique général.
Le Tribunal (TPICE, 22 oct. 2008, aff. T-309/04, TV 2/Danemark c/ Commission)
confirme la possibilité pour un État membre, en particulier
dans le domaine de la télévision, de définir de manière très
>
Les développements sur cet aspect dépassent la question de la compatibilité mais sont repris sous la Section II par facilité.
Droit I Économie I Régulation
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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
générale la notion de service d’intérêt économique général. Il
se fonde pour cela sur le pouvoir d’appréciation très large de
l’État membre dans un tel domaine, sur l’article 16 du Traité,
sur le protocole susvisé et ajoute que le fait d’avoir une programmation télévisuelle variée, visant la qualité, l’universalité
et la diversité n’est rien de plus que le reflet de la liberté d’expression et de l’indépendance éditoriale. En conséquence, si
l’État membre avait défini une mission de service public plus
précise, il aurait pu aller à l’encontre de ces principes fondamentaux de liberté d’expression et d’indépendance éditoriale.
Le Tribunal confirme que la mission de service d’intérêt économique général ne doit pas nécessairement se limiter aux
émissions non rentables et que l’existence d’un service d’intérêt économique général n’est pas remise en cause par le fait
que l’entreprise concernée ait aussi des activités commerciales.
Enfin, d’après le Tribunal, la notion d’absence de surcompensation ne s’oppose pas nécessairement à celle de réserve pour
aléas.
lieu, en fonction du droit national, elle peut toutefois le faire.
Enfin, elle doit cependant tenir compte de la conséquence de
l’illégalité : entre le moment où l’aide a été octroyée et celui où
elle a été considérée comme compatible par la Commission, il
existe une période où l’entreprise qui a reçu l’aide n’aurait pas
dû en disposer. La juridiction nationale doit donc supprimer
cet avantage de trésorerie et exiger du bénéficiaire de l’aide qu’il
rembourse les intérêts correspondant à cet avantage.
En revanche, la juridiction nationale est encouragée à octroyer,
si le droit national le permet, des dommages et intérêts aux
concurrents du fait de l’illégalité.
B. – L’arrêt Salzgitter
III. – LES ARRÊTS PRÉCISANT LES QUESTIONS
DE PROCÉDURE
Dans cet arrêt, la Cour considère que le temps mis par la Commission pour commencer l’instruction d’une aide illégale,
même s’il est particulièrement long (10 ans) n’est contraire
au principe de sécurité juridique que pour autant qu’il y ait
eu une carence manifeste et une violation évidente de l’obligation de diligence par l’institution. Même si cet arrêt est fondé
sur le Traité CECA, il renforce le principe de notification préalable en tant qu’élément central du contrôle des aides d’État.
A. – L’arrêt CELF
C. – L’arrêt Athinaïki
L’arrêt CELF (CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF et ministre de la Culture et de
la Communication c/ SIDE) concerne les pouvoirs des juridictions nationales en matière d’aides illégales mais jugées compatibles
par la Commission.
La Cour part du principe que l’effet suspensif a pour but d’éviter que des aides potentiellement incompatibles soient mises
en œuvre. Par conséquent, donner à la juridiction nationale la
possibilité d’ordonner le remboursement d’une aide illégale et
incompatible, simplement sur la base de l’illégalité, serait ignorer le but réel de l’effet suspensif qui est d’éviter la mise en
œuvre d’aides incompatibles alors interdites par la Commission. La Cour tire trois conclusions. En premier lieu, une juridiction nationale n’est jamais obligée de demander le remboursement d’une aide illégale une fois que celle-ci a été
considérée comme compatible par la Commission. En second
L’arrêt Athinaïki (CJCE, 17 juill. 2008, aff. C-521/06 P, Athinaïki c/ Commission)
concerne le domaine des plaintes. Lorsque la Commission est
saisie d’une plainte, elle peut soit adopter une décision adressée à l’État membre concerné, soit envoyer, sur la base de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase du règlement de procédure, une lettre au plaignant pour l’informer qu’elle ne
dispose pas d’éléments suffisants pour poursuivre l’instruction de sa plainte. Ces lettres sur la base de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase n’ont pas de caractère décisionnel : ce ne sont pas des actes attaquables.
Dans l’arrêt Athinaïki, la Cour précise toutefois que s’il est
exact qu’une lettre de ce type envoyée dans un premier temps
n’est pas un acte attaquable, la Commission est en revanche
tenue, dans un second temps, d’adopter un acte attaquable
si le plaignant le souhaite. ◆
«
Cyril Nourissat. –
Vous avez évoqué les événements extraordinaires. Or nous vivons une période d’événements
extraordinaires : pouvez-vous faire quelques observations sur les décisions récemment prises par la Commission en
matière bancaire, et notamment sur la situation bancaire belge ?
«
»
Jean-Louis Colson. –
La Commission a accepté d’utiliser l’article 87-3, b) du Traité relatif aux perturbations graves
de l’économie d’un État membre. Cette disposition n’avait été utilisée qu’une seule fois depuis 1958, après l’adhésion
de la Grèce à l’Union européenne. C’est donc la seconde fois que la Commission accepte d’utiliser une telle disposition
et elle le fait dans un contexte totalement différent. Une communication spécifique a effectivement été adoptée rapidement
pour les banques ; elle encadre l’utilisation de l’article 87-3, b) pour faire face à la crise financière.
◆
»
Actualité du droit des concentrations
Par Antoine WINCKLER,
Avocat, Cabinet Cleary Steen & Hamilton LLP
Pour couvrir à la fois le champ du droit communautaire et le
champ du droit français, j’illustrerai mon propos de deux
exemples : l’un du Tribunal de première instance et l’autre du
Conseil de la concurrence.
Le cas important de cette année, en matière de droit des concentrations communautaires, est l’arrêt MyTravel du Tribunal de
144
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
première instance qui a pour antécédent Schneider, toujours
en cours. La seconde affaire concerne l’acquisition par SFR
de Neuf Cegetel autorisée sans conséquences majeures sauf
de très nombreux engagements ponctuels : à la différence de
la doctrine classique en matière de concentrations, il s’agit
majoritairement d’engagements de nature comportementale.
Droit I Économie I Régulation
I. – L’ARRÊT MYTRAVEL
Le 22 septembre 1999, la notification de cette acquisition par
Airtours, devenu ensuite MyTravel, de First Choice fait l’objet d’une décision d’incompatibilité pour position dominante
collective. Cette décision d’incompatibilité est annulée le 6 juin
2002. Un report en indemnités est introduit le 18 juin 2003 et
le 9 septembre 2008, le Tribunal de première instance rend
cet arrêt.
Le fond de la discussion consiste à savoir si les erreurs commises par la Commission en 1999 dans son analyse correspondaient à une violation suffisamment caractérisée de dispositions du droit communautaire capables de créer des droits
dans le chef des particuliers. Sur ce point, l’approche du Tribunal est assez proche de celle qu’aurait pu avoir le Conseil
d’État français. Le Tribunal de première instance reste dans
une parenté forte avec la jurisprudence administrative française. Il regarde si la disposition communautaire mal appliquée par l’institution en cause crée des droits dans le chef des
particuliers : il étudie précisément quelles dispositions du règlement sur les concentrations créent ce droit. On sait pourtant, depuis l’arrêt Schneider, qu’il n’existe pas de présomption de légalité dans le système de contrôle des concentrations
communautaire. À l’inverse, en principe, une opération qui
n’est pas interdite en France est légale. L’approche dans l’affaire Schneider était différente puisqu’elle ne reposait pas sur
une présomption : une opération de concentration peut être
légale ou illégale. Le Tribunal se fonde donc sur l’article 2 du
règlement concentration qu’il interprète en indiquant que les
particuliers ont droit à une autorisation si l’opération est
conforme aux critères du règlement, mais qu’ils ont également « droit » à une interdiction si leur opération ne correspond pas à ces critères.
La seconde étape consistait pour le Tribunal à savoir si l’erreur était suffisamment grave : il faut pour cela tenir compte
de la complexité de la tâche de l’institution administrative
et donc apprécier l’erreur en fonction de la tâche imposée à
la Commission. Dans le cas particulier du droit des concentrations, le texte du règlement est « complexe » : par conséquent, c’est dans ce contexte qu’il faut juger de la gravité
d’une erreur.
La troisième étape concerne la marge d’appréciation : il faut
donc, comme en droit public français, considérer la marge
d’appréciation de l’institution communautaire. Le juge communautaire ne souhaite pas faire du jugement d’opportunité
et se substituer, en opportunité, au jugement de l’institution
communautaire. Il examine donc uniquement l’erreur manifeste d’appréciation.
Enfin, il faut tenir compte d’un éventuel « effet inhibant »
qu’une application trop stricte des critères de responsabilité
pourrait avoir sur la politique communautaire de concentrations. Le juge indique pour la première fois qu’il ne souhaite
pas gêner l’action de l’institution communautaire dans l’application d’une politique très importante. Le juge européen
réaffirme ce faisant son adhésion à une interprétation téléologique (ou politique ?) des textes.
Il faut enfin, nous dit le juge, regarder si, lorsque l’institution
communautaire commet une erreur, celle-ci est « excusable »
sur la base des « contraintes objectives » qui pèsent sur l’institution. Ceci signifie que certaines erreurs pourraient donc
être excusées ou comprises dans le cadre de l’institution communautaire lorsqu’il applique un texte très complexe. Le ju-
Droit I Économie I Régulation
gement Schneider évoque ainsi le critère de la « faute inexcusable » : ces jugements indiquent donc que, lorsqu’il y a marge
d’appréciation, l’erreur doit être exceptionnellement grave
pour une administration normalement diligente. Ce critère est
ainsi considérablement protecteur des institutions communautaires. Lorsqu’il n’y a pas marge d’appréciation, le degré
de responsabilité peut être moindre.
Le juge applique cette théorie au cas de MyTravel : dans cette
affaire (à la différence de l’affaire Schneider), il n’y a pas d’erreur de procédure mais une marge d’appréciation et, par conséquent, le juge applique le critère de la faute inexcusable à
chaque étape du raisonnement. La décision MyTravel concerne
essentiellement une erreur d’analyse commise par la Commission en instruisant le dossier. Cette dernière pensait que,
dans le mécanisme central dans ce marché qui comptait peu
d’acteurs, les grands groupes d’agences de voyage bloquaient
des sièges de manière quasi automatique d’une année sur
l’autre et qu’il était donc possible de prévoir la manière dont
le marché évoluerait. Ce point central s’est finalement révélé
assez faux car les réservations ne s’effectuaient pas de manière automatique : l’existence d’une multiplicité d’acteurs
impliquait au contraire que le rôle réciproque des différentes
agences n’était pas le même et non reproductible d’une année sur l’autre. La transparence supposée n’existe donc pas.
Il est frappant, dans la décision MyTravel, que la Commission
a négligé certains moyens de preuves que la partie requérante
lui avait pourtant produits. Le juge met pourtant de côté toutes
ces erreurs car la Commission pouvait « raisonnablement »
penser, sur la base du dossier, que sa démonstration était fondée. Ainsi, l’établissement d’un standard de preuves en matière de responsabilité ne repose pas sur un standard de certitude suffisante mais sur un standard de type « common law »
du caractère raisonnable de la décision de l’institution administrative.
Un autre élément mis en avant par le requérant est qu’il n’est
pas question dans la décision des engagements proposés. En
appliquant sa théorie de la faute inexcusable, le juge sauve la
mise de la Commission en indiquant que l’institution a pourtant fait cet examen, sans exposer ses conclusions de manière
détaillée dans sa décision. En l’occurrence, il ne s’agit donc
pas d’une faute inexcusable. Ceci confirme par suite l’arrêt
Schneider III sur la responsabilité et la limitation de la possibilité d’obtenir des réparations à des cas exceptionnels.
Une audience dans l’affaire Schneider s’est tenue la semaine
dernière devant la Cour de justice : j’y ai assisté et vous livre
quelques observations que vous prendrez avec la distance nécessaire car j’ai un intérêt dans cette affaire. Dans l’audience
Schneider III devant la Cour, trois questions importantes se
posaient, qui recoupent les motifs d’appel de la décision du
Tribunal de première instance qui reconnaît la Commission
responsable par la Commission.
Tout d’abord, dans l’affaire Schneider, la faute procédurale
est-elle suffisante pour ouvrir le droit à un dédommagement ?
À la différence de MyTravel, dans l’affaire Schneider, la faute
déterminante est effectivement de nature procédurale : en l’occurrence, la Commission avait omis le grief qui avait permis
d’interdire l’opération, c’est-à-dire la théorie du portefeuille
ou de l’adossement concurrentiel. À la fin de l’instruction de
son affaire devant la Commission, Schneider avait offert des
remèdes qui supprimaient la totalité des additions de parts de
marché et allait même au-delà dans un certain nombre de secteurs importants, en faisant baisser sa part de marché en dessous du niveau où les entreprises étaient présentes individuellement avant l’opération. Le remède a été refusé du fait de la
théorie du portefeuille qui consistait à dire que Legrand étant
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
PERSPECTIVES COLLOQUE
Le Conseil de la concurrence reprend dans cette affaire une
approche que la Commission avait elle-même déjà adoptée
dans l’acquisition par SFR de Télé 2.
>
145
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
très puissant sur les marchés ultra-terminaux tandis que Schneider l’était pour les marchés amont des tableaux électriques
(l’entreprise allait pouvoir jouer de sa dominance dans le domaine de l’ultra-terminal pour forcer les distributeurs à acheter également les tableaux). Cette théorie de l’adossement a
été très critiquée par la suite, en particulier dans les arrêts Tetra Pak. Le fait de ne pas mentionner l’adossement comme
grief en tant que tel constitue une faute procédurale manifeste dans la mesure où elle a rendue vaine la présentation de
remèdes, mais est-elle de nature à ouvrir droit au dédommagement ? C’est ce que la Cour doit trancher à nouveau.
Deuxièmement, quel est le critère pour déterminer si une erreur sur le fond constitue une violation suffisamment caractérisée pour ouvrir droit à dédommagement ? La Cour devra
également trancher ce point pour savoir si l’identification d’un
grief en tant que tel, (grief qui dans l’affaire Tetra Pak, à la
différence de l’affaire Schneider pourtant pratiquement contemporaine, avait été clairement identifié dans la notification)
constitue une faute suffisante pour ouvrir droit à responsabilité ou pas. Le critère de la faute « inexcusable » n’est pas
simple à manier.
Troisièmement, dans le cas d’espèce une seconde décision
avait été prise et, en tout état de cause, l’entreprise cible (Legrand) avait du être revendue par Schneider. Dans un tel cas,
l’erreur procédurale ouvre-t-elle droit à dédommagement à
supposer même que la faute soit par la suite « réparée » pour
l’avenir par une décision qui est devenue légale ou que le
dommage soit interrompu du fait de la revente ? La clé de ce
débat est celui du dommage créé par le temps qui s’est écoulé
entre la décision fautive et l’issue de l’affaire (nouvelle décision et/ou revente). Le temps écoulé et l’immobilisation des
sommes investies pendant une période longue ont bien entendu un coût considérable qui lui n’est pas « effaçable » pour
les entreprises. La Cour doit trancher ce point essentiel.
II. – L’OPÉRATION SFR/NEUF CEGETEL
Il s’agit d’une opération très importante qui crée en France,
dans le domaine des télécommunications, un duopole important avec une asymétrie entre les deux acteurs que sont Orange
et SFR. L’opération a pourtant été acceptée sans obligation de
désinvestissement important.
Les deux acteurs avaient une géographie assez différente
puisque Neuf Cegetel est le challenger dans le domaine du
fixe et de l’ADSL alors que SFR réalise surtout du mobile, après
avoir toutefois déjà racheté Télé 2 qui faisait de la téléphonie
fixe et de l’Internet. Cinq marchés sont concernés : ceux des
communications, de la téléphonie mobile, de la distribution
de la télévision payante, de la musique en ligne et des jeux
vidéo, en amont.
Cette décision est très intéressante car elle couvre toutes les
difficultés possibles en droit de la concentration puisqu’il y a
des effets horizontaux, verticaux et congloméraux. Sur ce dernier point, la théorie conglomérale s’est beaucoup démonétisée depuis les affaires Tetra Pak et autres : les régulateurs se
sont accordés pour considérer que les offres conglomérales –
qui ajoutent des activités qui ne sont pas sur le même marché et pas nécessairement en relation verticale – sont en général des opérations extrêmement proconcurrentielles. Des
produits nouveaux sont ainsi offerts en assemblant les activités diverses ; les coûts d’opportunité sont réduits ; les phénomènes de double marginalisation sont en outre atténués.
Cette opération pose néanmoins des problèmes du point de
vue congloméral sur la question du « triple/quadruple play ».
Jusqu’à cette opération, un seul opérateur était capable de
tout donner à l’utilisateur du téléphone : il s’agissait d’Orange
qui pouvait acheter du contenu, offrir de l’accès à l’ADSL et
offrir de la téléphonie fixe. Avec les effets d’économies de réseau, il devient très difficile pour les opérateurs qui ne vendent qu’une partie de ces services de rester attractifs car ils
ne bénéficient pas des avantages détenus par les deux autres
opérateurs. Ces petits opérateurs peuvent alors reconstituer
l’offre conglomérale en s’alliant avec d’autres entreprises. Avec
les effets de réseau, plus de nombreux consommateurs choisissent une de ces offres, plus cette plate-forme devient attractive : il est alors complexe de répliquer l’attractivité de
cette offre. L’effet d’entraînement amène à changer la donne
concurrentielle ; ainsi, le ministre s’est penché sur ces aspects.
Dans cette affaire, il est intéressant de voir comment le régulateur français a géré ces problèmes, par toute une série
d’engagements de nature uniquement comportementale pour
chaque domaine : pour le contenu, chacun doit ainsi pouvoir continuer à acheter du contenu et des chaînes Canal +
ou M6. Sur l’ADSL et la téléphonie mobile, il faut rester ouvert aux personnes qui fabriquent du contenu et à celles qui
veulent accéder au réseau mobile de SFR pour leurs clients.
Ces engagements comportementaux ont une durée entre trois
et quatre ans. Il serait intéressant d’observer si ces engagements ont été utilisés et dans quelle mesure, pour tirer des
enseignements sur le réalisme des solutions du Conseil de
la concurrence. ◆
Actualité des pratiques restrictives
Par Martine BÉHAR-TOUCHAIS,
Professeur à l’Université Paris-Descartes
Le droit des pratiques restrictives n’est pas insensible aux
crises. La baisse du pouvoir d’achat des Français avait d’ailleurs
incité le gouvernement, avant même que la crise ne soit vive,
à réagir pour tenter de faire baisser les prix, notamment dans
les hypermarchés.
La manière d’agir du droit des pratiques restrictives pouvait
prendre deux voies inverses : l’une accroissant la liberté, l’autre
146
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
la contrainte. Il est difficile de trancher entre les deux car trop
de liberté peut être nuisible, comme l’illustre l’exemple des
marchés financiers, mais les contraintes sont également sclérosantes. Il s’agit donc de prendre les meilleurs aspects des
deux possibilités. En 2008, l’actualité a été dominée par la loi
Chatel du 3 janvier 2008 qui poursuit sa course vers le trois
fois net, la LME du 4 août 2008 qui met à terre le pilier du
Droit I Économie I Régulation
I. – LES CHANGEMENTS RELATIFS AUX PRATIQUES
Il y eu vraiment ici beaucoup de bouleversements. Quelques
« licenciements » tout d’abord puisque certaines pratiques ont
été remerciées (A). En contrepartie, on a engagé de nouveaux
arrivants (B) et on a tout de même gardé quelques valeurs
sûres de la vieille garde (C).
A. – Les évictions
Certaines pratiques sont ainsi congédiées.
1) L’interdiction per se de la discrimination
Après 50 ans de bons et loyaux services, l’interdiction per se
de la discrimination a été « renvoyée à ses pénates » par la loi
LME du 4 août 2008. En effet, depuis plus de 50 ans, nous vivions sous le dogme de l’interdiction per se de la discrimination, mesure centrale du droit des pratiques restrictives, autour de laquelle tout s’était bâti. C’est elle qui a été à l’origine
de l’obligation de transparence. Il a fallu obliger à communiquer les CGV pour que l’on puisse vérifier si l’on était victime
de discrimination. Il a fallu faire des factures précises pour
que l’on puisse contrôler s’il y avait discrimination. Pendant
les travaux parlementaires, Luc Chatel a expliqué que, désormais, « le distributeur pourra se consacrer de nouveau à son
métier en margeant “non pas sur les services mais sur la revente des produits” ».
Les conséquences de cette éviction sont nombreuses.
Tout d’abord, l’opérateur a aujourd’hui la liberté de faire
des conditions générales de vente catégorielles (cf. C. com.,
art. L. 441-6) : la disparition de l’interdiction de discriminer permet à l’opérateur de choisir lui-même les catégories de ses
clients entre lesquels il entend différencier.
Ensuite, l’opérateur aura désormais la liberté de faire des
CPV (conditions particulières de vente) puisqu’il a le droit de
discriminer, sous réserve néanmoins du droit des pratiques
anticoncurrentielles.
Il résulte de tout cela une nouvelle façon de fixer le prix dans
ce domaine. Les nouveaux textes invitent à fixer deux prix :
– il s’agit tout d’abord du prix de vente qui tient compte du
tarif du fournisseur dans ces conditions générales de vente :
de ce tarif seront retirées les remises ou ristournes qui figuraient dans les conditions générales de vente, puis les réductions accordées au titre des CPV et enfin les autres réductions
de prix reposant sur ce que l’on appelait avant les services
distincts, et qui s’appelle aujourd’hui « les autres obligations »
(par exemple, une communication de statistiques, un référencement de produits ou un complément d’assortiment) ;
– ensuite, le prix de la coopération commerciale sera fixé,
le cas échéant.
Cette nouvelle façon de fixer le prix pose néanmoins des difficultés pratiques. Le nouvel article L. 441-7 a ainsi suscité un
débat puisque ce texte vise, après les « conditions de l’opération de vente (1°), les conditions de la coopération commerciale (2°), les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur » (3°)
et qu’il précise que ces obligations du 1° et du 3° concourent
à la détermination du prix convenu.
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
droit des pratiques restrictives, à savoir l’interdiction de la discrimination, et enfin par l’ordonnance du 13 novembre 2008
qui modifie une fois de plus l’article L. 442-6 pour changer la
référence au Conseil de la concurrence en se référant à l’Autorité de la concurrence.
Le droit des pratiques restrictives ainsi profondément remanié a entraîné deux changements fondamentaux dans les pratiques et dans les sanctions.
Les opérateurs se sont immédiatement demandé comment il
fallait facturer ces dernières sommes. Une instruction fiscale
du 18 novembre 2008 a été suivie par les réponses aux questions fréquemment posées (FAQ) de la DGCCRF pour régler
ces problèmes. Il apparaît dans ces deux textes que la coopération commerciale est toujours facturée par le prestataire de
services (le distributeur) mais aussi que les obligations qui
n’entrent pas dans la coopération commerciale et qui concourent à la formation du prix devront, elles, être facturées par
le fournisseur.
Est-il possible d’envisager des obligations qui n’entrent pas
dans la coopération commerciale mais qui ne concourraient
pas à la formation du prix car elles n’auraient pas été prises
en compte pour réduire le prix ? A priori, si on s’en tient à
l’article L. 441-7 et aux réponses aux FAQ, la réponse est négative.
Dans quelle mesure les entreprises peuvent-elles se fier à l’instruction fiscale eu égard au risque fiscal et pénal que cela entraîne. Le risque fiscal me semble moins lourd que le risque
pénal puisqu’il sera possible d’opposer à l’administration sa
propre interprétation : une jurisprudence en matière fiscale
permet effectivement d’opposer à l’administration ses propres
interprétations pour l’empêcher de faire un redressement si
l’entreprise a suivi l’instruction fiscale. En revanche, le risque
pénal semble plus important, du fait du conflit né avec l’article L. 441-3 du Code de commerce, qui exige que, sur la facture du fournisseur, figurent seulement des réductions de prix
directement liées à la vente. Ce texte est sanctionné pénalement et son interprétation ne peut pas être affectée par l’instruction fiscale ou par les FAQ : le risque serait donc que l’émission d’une facture fournisseur, sur laquelle la réduction de
prix tenant aux obligations du 3° a été prise en compte, ne
soit pas considérée comme conforme à l’article L. 441-3. Certains suggèrent donc aux entreprises que le distributeur continue à facturer les autres obligations du 3°. Cela pourrait être
réglé en considérant que des obligations qui concourent à la
détermination du prix de vente sont forcément directement
liées à la vente. Telle n’est cependant pas l’interprétation admise jusqu’à maintenant.
Mais parmi les pratiques remerciées, on ne trouve pas uniquement « l’interdiction per se de la discrimination ». On
trouve aussi l’abus de dépendance.
2) L’abus de dépendance
Sa suppression est principalement due à son inefficacité opérationnelle. Consacrée en 1985 et 1986, cette notion d’abus
de dépendance avait alors intégré le « service » des pratiques
anticoncurrentielles où la notion ne pouvait toutefois jouer
que dans des cas exceptionnels puisque la disparition d’une
entreprise sur un marché n’a généralement pas d’influence
sur ce marché. Le législateur avait donné une seconde chance
à la pratique en l’affectant au « service » des pratiques restrictives. Là encore, les définitions de l’abus de dépendance dégagées en jurisprudence se sont avérées strictes et cette pratique n’a pas pu trouver sa place. Elle disparaît donc dans
l’article L. 442-6-1-II et demeure simplement en pratique anticoncurrentielle.
Certains se demandent si elle ne réapparaîtra pas sous d’autres
pratiques, ce dont personnellement je doute.
Mais si l’on s’est ainsi séparé de pratiques anciennes, c’est
pour renouveler les cadres.
B. – Les arrivées
Dans les nouveaux venus, on distingue les pratiques nouvelles
de l’article L. 442-6-I, soit celles qui apparemment engagent
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
la responsabilité de leurs auteurs (1), et les pratiques nouvelles de l’article L. 442-6-II, soit les pratiques dont les clauses
peuvent être annulées (2). Cette distinction entre les articles
semble toutefois un peu fallacieuse (3).
1) Les nouveaux arrivés de l’article L. 442-6-I
La jeune recrue qui est la plus attendue, c’est le « déséquilibre
significatif » de l’article L. 442-6-I-2°. Est ainsi puni le fait « de
soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial
à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les
droits et obligations des parties ». Après avoir supprimé l’interdiction per se de la discrimination, le législateur crée donc
un garde-fou en sanctionnant les abus. Cette notion de « déséquilibre significatif » fait pourtant l’objet de nombreuses interrogations, dans les colloques qui se déroulent depuis cet
été : elle marque un rapprochement manifeste avec les termes
du droit de la consommation et des clauses abusives : ce rapprochement est-il pour autant opérationnel ? Il me semble que
le droit de la consommation n’est ici qu’une inspiration et que
les solutions dégagées par le droit de la consommation ne seront pas transposées à la lettre. En imposant la liberté de négociation, le législateur semble avoir craint que le grand distributeur oblige le fournisseur à baisser tellement ses prix qu’il
en résulterait une lésion appréciée globalement et due à un
abus de faiblesse économique du fournisseur.
Dans les réponses aux FAQ, le ministre indique qu’il n’y aura
pas, avec ce texte, d’abus de puissance de vente ou d’achat.
Certes, il n’y aura pas à démontrer ces notions, mais cela ressemble tout de même à ce qu’on appelle en droit civil la lésion
qualifiée, soit un contrat lésionnaire imposé à une partie faible.
Ce large pouvoir donné au juge de s’immiscer dans l’équilibre d’une clause ou dans l’équilibre du contrat peut constituer un risque pour la sécurité juridique qui peut toutefois
être limité si la Cour de cassation contrôle la notion ou du
moins contrôle précisément la motivation. Il serait opportun
que la Cour de cassation soit saisie dès les premiers contentieux pour avis, de manière à limiter ce risque et à donner une
définition à cette notion. La CEPC pourra également être saisie pour avis : compte tenu de sa composition paritaire, on
peut supposer qu’elle cherchera à apprécier de manière équilibrée ce qu’est le déséquilibre significatif.
Nouveau venu également est le 4° de l’article L. 442-6-I, qui
sanctionne ensuite le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous
la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations
commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou
les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ».
Bien sûr, on est tenté de se demander si cela ne fait pas double
emploi avec le déséquilibre significatif du 2°. Peut-être le 4°
sanctionnerait-il l’abus clause par clause alors que le 2° sanctionnerait le déséquilibre significatif global. Mais, dans ce cas,
où se situerait le 1° dont le contenu n’a pas été changé? Ce
dernier sanctionne le fait de recevoir « un avantage quelconque
manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ».
Les trois textes ont certaines zones de chevauchements ; il
reste difficile de se prononcer globalement.
Nouveau venu également : le 7° qui interdit « de soumettre
un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent
pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 »,
soit le délai plafond de 45 jours fin de mois ou de 60 jours à
compter de la date d’émission de la facture. Il s’agit d’une
grande avancée de la LME qui impose ce plafond pour les délais de paiement en permettant des accords interprofessionnels dans un secteur donné, selon certaines modalités. Quand
148
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
les parties n’ont pas prévu de délai, le non-respect du délai
supplétif légal de 30 jours à compter de la réception de la marchandise est sanctionné pénalement par une amende de
15 000 euros. En revanche, si les parties prévoient un délai,
l’irrespect du plafond est alors sanctionné par une amende civile qui peut aller jusqu’à 2 millions d’euros. À tout prendre,
le droit pénal est bien plus clément ! C’est tout de même un
peu compliqué.
En tout cas, alors que certains préconisaient une simplification extrême, voire une suppression de l’article L. 442-6, c’est
l’inverse qui se produit. Le texte résiste, se modifie, mais la
liste des interdits ponctuels continue de s’allonger.
2) Les nouveaux arrivés de l’article L. 442-6-II
L’article L. 442-6-II prévoit aussi de nouvelles clauses qui seront annulées :
– d’abord, pour protéger la nouvelle liberté de négocier, le législateur a interdit la clause permettant à un contractant de
bénéficier automatiquement des conditions plus favorables
consenties aux entreprises concurrentes par le contractant. Le
législateur ne souhaite pas la clause du client le plus favorisé,
autrement appelée clause pari passu ;
– ensuite, le législateur a également interdit la clause qui permet de renforcer la situation de dépendance du petit distributeur, soit celui qui a une surface de moins de 300 m2 et qui
n’est pas lié par un contrat de licence et de savoir-faire (C. com.,
art. L 442-6-II, e)). Est interdit le fait « d’obtenir d’un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 m2 qu’il
approvisionne mais qui n’est pas lié à lui, directement ou indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoirfaire, un droit de préférence sur la cession ou le transfert de
son activité ou une obligation de non-concurrence post-contractuelle, ou de subordonner l’approvisionnement de ce revendeur à une clause d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’achat
de ses produits ou services d’une durée supérieure à deux ans ».
Cette interdiction est destinée à protéger le petit commerce,
mais en ont été délibérément exclus les franchisés qui, eux,
sont liés par un contrat de savoir-faire.
3) Une distinction fallacieuse entre le I et le II
Avec ces nouveaux arrivés, l’article L. 442-6 a maintenu la
distinction entre le I (qui est sanctionné par la responsabilité
de son auteur) et le II (qui est sanctionné par la nullité des
clauses visées). Cette distinction me semble toutefois fallacieuse. En effet, en vertu du III de l’article L. 442-6, le ministre
de l’Économie pourra demander la nullité des pratiques, qu’elles
figurent dans le I ou dans le II. Outre le fait qu’il est très fréquent que l’action émane du ministre, il ne me semble pas
que la possibilité d’invoquer la nullité pour les pratiques du I
ne concerne que l’action du ministre. En effet, la Cour de cassation vient de rappeler que le ministre agissait pour protéger le marché et pour faire respecter l’ordre public économique : ceci signifie donc bien que les pratiques du I comme
du II sont contraires à l’ordre public économique. Or, un
contractant pourra tout à fait demander la nullité des pratiques du I en se fondant sur l’article 6 du Code civil, qui établit qu’un contrat contraire à l’ordre public encourt la nullité.
Les recueils de jurisprudence montrent d’ailleurs justement
que le contentieux des pratiques restrictives est très souvent
un contentieux de nullité.
C. – Les valeurs sûres
Le renouvellement des cadres n’a pas atteint les valeurs sûres,
qui traversent les réformes sans sourciller. C’est le cas précisément de la rupture brutale des relations commerciales éta-
Droit I Économie I Régulation
II. – LE RENOUVELLEMENT DES SANCTIONS
L’amende civile augmente considérablement ; elle s’ajoute au
maintien de l’action du ministre.
A. – L’amende civile
L’amende civile a été créée par la loi NRE. L’amende civile est
répressive et devrait être atténuée par des principes empruntés au droit pénal tels que la présomption d’innocence ou la
rétroactivité in mitius (cf. L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages et intérêts punitifs?, in Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage?, Colloque du CEDAG du 21 mars 2002, LPA 2002, n° 32, pp. 36 et s.).
Mais sous l’empire de la loi NRE, cette proposition n’a pas
reçu beaucoup d’écho. Il en va différemment maintenant que
l’amende civile peut atteindre 2 millions d’euros ou trois fois
le montant des restitutions. Depuis ce renforcement de l’amende
civile, de nombreux auteurs admettent la nature répressive
de cette amende et certains souhaitent en tirer des conséquences, telle que la rétroactivité in mitius : une pratique discriminatoire réalisée avant l’entrée en vigueur de la LME ne
devrait ainsi pas se voir appliquer une amende civile de la
LME, dans la mesure où cette peine n’est plus justifiée.
Il faut aller plus loin et admettre que la charge de la preuve
ne puisse pas être renversée pour ces pratiques respectives.
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
blies de l’article L. 442-6-I-5°. Nous étions plusieurs à penser
que ce texte aurait dû sortir de l’article L. 442-6 pour devenir
un texte à part et ainsi échapper au pouvoir exorbitant du ministre. C’est en effet dans ce contentieux que les parties agissent le plus fréquemment. Ce texte est pourtant demeuré dans
l’article L. 442-6. Et la jurisprudence a mis cet article à l’honneur au long de l’année 2008 : c’est à propos de celui-ci que
la jurisprudence a mis en pratique en quelque sorte à l’avance
le critère du déséquilibre significatif appliqué à des clauses
individuelles. La jurisprudence a effectivement considéré très
tôt qu’une clause fixant un délai de préavis dérisoire devait
être écartée. Or, une telle clause donne un avantage excessif
aux grands distributeurs et pourrait être qualifiée individuellement d’abusive, car créant un déséquilibre significatif. Les
entreprises ont réagi en soulignant que cet article ne s’appliquait pas quand la rupture est fondée sur une faute de l’autre
partie. Certains ont donc pensé à stipuler une clause résolutoire de plein droit en cas d’irrespect véniel du contrat. Dans
un arrêt du 25 septembre 2007, la Cour de cassation a considéré qu’il ne peut pas être fait obstacle aux dispositions d’ordre
public de l’article L. 442-6-I-5° par des clauses permettant une
rupture sans préavis, dès lors que l’inexécution du contrat n’a
pas un degré de gravité suffisant. Cette clause résolutoire de
plein droit pour une inexécution vénielle donne donc un avantage excessif à la partie forte du contrat ; elle pourrait être
considérée comme entraînant un déséquilibre significatif. Ces
clauses abusives sont écartées.
La jurisprudence a en outre une conception large de l’application de ce texte, à tous les producteurs, commerçants, artisans, Français ou étrangers, dès lors que la victime de la rupture subit en France ce dommage puisque ce texte établit un
cas de responsabilité délictuelle. La Cour de cassation vient
de rappeler ce point dans un arrêt du 21 octobre 2008. Elle
applique également ce texte quand deux contractants se sont
succédé si le repreneur a continué la relation commerciale
établie : il profitera dans ce cas de l’ancienneté de la relation
commerciale de celui dont il a repris le contrat. Tel est ce qu’a
décidé la Cour de cassation dans un arrêt du 29 janvier 2008
(Cass. com., 29 janv. 2008, n° 07-12.039).
La crise des pratiques restrictives a obligé à renouveler le personnel. Mais elle oblige aussi à renouveler les sanctions.
Je crois qu’une vraie réflexion doit porter sur les conséquences
de la nature répressive de l’amende civile.
Il semble toutefois bon d’avoir renforcé l’amende civile car il
s’agit d’un signal législatif assez fort. Par analogie, lorsque le
législateur a modifié les sanctions en droit des pratiques anticoncurrentielles, le Conseil de la concurrence a tiré les conséquences de la volonté législative de renforcement des sanctions pour accroître leur efficacité.
S’agissant des pratiques restrictives, dans le passé, le débat a
été obscurci par le fait que tout tournait autour des restitutions
après nullité demandées par le ministre, non partie au contrat.
Les juges du fond étaient gênés par cette règle exorbitante et
avaient alors l’impression d’imposer une double peine.
Je persiste à penser qu’il aurait été préférable de supprimer le
droit du ministre de demander des restitutions pour lui donner uniquement le droit de demander cette amende renforcée.
Maintenant il peut demander le tout. Est-ce bien raisonnable :
l’avenir nous le dira.
B. – Le maintien de l’action du ministre
Nul n’a pu échapper au grand débat passionnel de l’année
2008 sur l’action du ministre : celle-ci heurte-elle l’article 6,
paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de
l’Homme lorsqu’elle est menée hors la présence des fournisseurs et sans les informer quand il s’agit de demander des restitutions ? Certaines cours d’appel avaient jugé qu’il y avait
violation de cet article. La Cour de cassation, par ses deux arrêts du 8 juillet 2008, considère en revanche que le ministre
agit pour la défense du marché et de l’ordre public économique et exerce une action et un droit propre. Je reconnais
volontiers que le ministre agit pour la défense du marché et
de l’ordre public économique et que l’action est propre : en
revanche, que le droit aux restitutions, né dans le patrimoine
des fournisseurs, soit propre au ministre me semble plus difficile à comprendre. Il reste que, tant qu’il n’y aura pas de rébellion des Cours d’appel ou d’action devant la Cour européenne, cette jurisprudence s’appliquera.
Il faudra néanmoins que la Cour de cassation tranche la question de l’autorité de chose jugée de l’arrêt condamnant le
grand distributeur à des restitutions à la demande du ministre.
Deux solutions sont envisageables.
En premier lieu, la Cour de cassation pourra respecter le principe selon lequel l’autorité de la chose jugée en droit français
est relative : comme le ministre ne représente personne dans
l’action, les fournisseurs sont étrangers à l’instance et l’arrêt
n’aura alors pas autorité de chose jugée à leur égard. Puisque
la nullité n’aura d’effet qu’entre le grand distributeur et le ministre, le fournisseur pourrait demander l’exécution du contrat
ainsi que le grand distributeur. Je doute cependant que la Cour
de cassation ait posé cette règle pour aboutir à cette solution.
En second lieu, la Cour de cassation peut aller jusqu’au bout
du caractère exorbitant de l’action et créer une exception à la
relativité de la chose jugée : elle dira alors que la décision de
nullité et la décision sur la restitution ont une autorité absolue de chose jugée. Dans ce cas, le fournisseur, qui n’aura été
ni informé, ni appelé à une instance qui lui fait grief et le spolie d’un contrat, aura alors vu tous ses droits méconnus.
Moralité : j’exhorte le ministre à demander demain l’amende
civile renforcée à hauteur des restitutions (ou plus) et de ne
plus utiliser le texte dans sa version exorbitante. La Cour de
cassation a voulu préserver l’effectivité de la sanction demandée par le ministre, mais cela s’est fait au mépris de la cohérence du droit. Maintenant que le législateur a augmenté considérablement l’amende civile, le ministre a les moyens de
l’effectivité de sa sanction sans incohérence. ◆
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
149
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
QUESTIONS-RÉPONSES
«
Public :
Considérez-vous que les nouvelles
dispositions sur les délais de paiement pourraient être
considérées comme des dispositions de police ?
»
«
Martine Béhar-Touchais :
Ces dispositions me
semblent pouvoir être considérées comme des lois de police.
Dans les FAQ du ministre, pour l’article L. 441-7, ce dernier
a indiqué que tout contrat qui a un effet sur la revente de
produits ou la fourniture de services en France entre dans
les prévisions de ce texte. Ainsi, le fait d’avoir un centre de
facturation à l’étranger ne devrait pas permettre d’échapper
aux nouvelles dispositions sur les délais de paiement.
»
Jacqueline Riffault-Silk, Conseiller à la Cour
de cassation :
Le droit pénal français est applicable à
des infractions comportant des éléments d’extranéité, dès
lors qu’un fait entrant dans l’élément matériel de
l’infraction peut être rattaché au territoire national. C’est
ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans l’affaire
Péchiney-Triangle, où les délits d’initiés reprochés aux
opérateurs concernaient la valeur Triangle, cotée sur le
marché boursier américain, tandis que certains ordres de
bourse avaient été passés par l’intermédiaire de
prestataires exerçant leur activité en France : le droit pénal
français était bien applicable, en raison de l’élément de fait
que constituait la passation des ordres à partir du territoire
national. Cette définition est donc très large. C’est une
question de fait, et de territoire.
«
«
»
Martine Béhar-Touchais :
Si l’infraction est passible
d’une amende civile, puisque l’amende civile est également
un texte répressif, il faudra donc élaborer des règles
d’application territoriale de l’amende civile.
«
»
Jacqueline Riffault-Silk :
Sur cette question de la
sanction civile prononcée à la demande du ministre, la
Cour d’appel de Paris dans l’affaire Intermarché avait déjà
fait allusion à la nécessité d’un critère de proportionnalité.
On se souvient qu’en droit des pratiques
anticoncurrentielles, la jurisprudence de la Cour de
cassation a eu une grande influence sur les réformes
apportées à la motivation des sanctions prononcées par le
Conseil de la concurrence, dans le sens d’une plus grande
exigence – en particulier la loi du 31 décembre 1992
modifiant l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre
1986, devenu l’article L. 464-2 du Code de commerce. Il
n’est pas impossible que la Haute juridiction s’oriente,
dans le domaine des pratiques restrictives, vers des
exigences analogues.
»
«
Martine Béhar-Touchais :
Je le souhaite, mais le
législateur a également posé une présomption de
culpabilité, assortie d’une amende civile, puisqu’il a
indiqué qu’il appartient au grand distributeur de faire la
preuve qu’il a rendu les services pour lesquels il a reçu
paiement, et cela sous peine d’amende civile. Il n’est plus
alors présumé innocent : ce n’est plus à l’autorité de
poursuite de prouver, par exemple, qu’il y a fausse
coopération commerciale, mais c’est à la personne
poursuivie de prouver que la coopération commerciale a été
réelle. Cette inversion de la charge de la preuve va à
l’encontre d’un régime répressif de l’amende civile car en
matière répressive, la présomption d’innocence doit être
assurée.
»
«
Cyril Nourissat :
Sur la question de l’application
dans l’espace du dispositif des délais de paiement, le
nouveau règlement « Rome I » sur la loi applicable aux
obligations contractuelles dégage un critère et une
définition textuelle des lois de police. Il rappelle la nécessité
d’un lien de proximité, d’un rattachement de proximité. Si
l’acheteur ou le vendeur a son siège sur le territoire
français ou que la livraison se réalise sur le territoire
français, le juge français sera amené à caractériser, me
semble-t-il, l’existence de cette proximité. La Cour de
cassation a cependant quelque peu mis à mal ce
raisonnement dans un arrêt du 22 octobre 2008 (Cass. 1re civ.,
22 oct. 2008, n° 07-12.823, P+B+I).
Je souhaite vous poser une question sur le visa de l’arrêt
du 21 octobre 2008 relatif à la rupture brutale des relations
commerciales sur l’article 5 du règlement « Bruxelles I »
qui pose une option de compétences : l’action part-elle
d’une relation contractuelle, renvoit-elle à une action de
nature délictuelle ? La question mérite d’être posée, car le
législateur français a toujours ignoré en la matière les
relations transfrontalières, ce qui risque de déboucher sur
des oppositions frontales entre juge communautaire et juge
national quant à l’application de ces dispositions.
◆
»
Actualité du contentieux des dommages
concurrentiels
Par Muriel CHAGNY, Professeur à l’Université Paris-Descartes
et Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation
Muriel CHAGNY
Comment? Comment, Mesdames, Messieurs, à la fin d’une année dominée en droit de la concurrence par un maître-mot, la
150
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
modernisation – revendiquée jusque dans les termes mêmes des
lois –, Mme Riffaut-Silk et moi-même pouvions-nous faire pour
moderniser cette présentation en duo qui, dorénavant à l’instar
des lois réformant la concurrence, revient année après année?
Droit I Économie I Régulation
S’agissant du juge du contentieux des dommages concurrentiels et sans revenir sur les règles classiques de compétence
juridictionnelle, il importe tout d’abord de se demander dans
quelle mesure le juge est au choix des parties en présence
d’une situation d’extranéité. Plus spécifiquement, il s’agit ensuite d’évoquer le défi que représente le choix effectué par le
législateur français en faveur de la spécialisation du juge.
juridictions que pour les pratiques anticoncurrentielles, ce qui
semblerait rationnel, mais procéderait d’une concentration
excessive du contentieux des dommages concurrentiels ?
Par ailleurs, bien qu’une mesure transitoire de la LME indique
expressément que « les juridictions qui, à la date d’entrée en
vigueur du décret [d’application] sont saisies d’un litige relatif
[à l’article L. 442-6 du Code de commerce] restent compétentes
pour en connaître » (art. 93-II), il n’est pas certain que cette disposition suffise à écarter toute difficulté, n’ayant pas tout prévu.
Quelle solution retenir par exemple dans le cas où une procédure a été engagée, avant l’adoption du décret, sur un fondement autre que l’article L. 442-6 et que, postérieurement au
décret, une demande soit formée en application de ce texte?
Au-delà même des difficultés transitoires, les questions pratiques ne devraient pas manquer, suscitées notamment par
l’invocation conjointe – fréquente ! – par voie d’action ou à
titre de moyen de défense, des règles concernées par la spécialisation et d’autres dispositions, qu’elles se rattachent au
Titre IV ou au droit des contrats.
L’opportunité même de la spécialisation peut sembler discutable car certaines règles concernées, comme celle qui sanctionne la rupture brutale des relations commerciales établies,
donnent lieu à un contentieux très abondant : est-il alors judicieux de le concentrer ? Cela est d’autant plus vrai que l’article L. 442-6, loin de nécessiter une analyse de l’impact sur
la concurrence, donne lieu à des contentieux d’allure largement contractuelle. Le doute sur l’utilité même de la spécialisation apparaît d’autant plus légitime qu’en parallèle, la loi
octroie aux juridictions la faculté de consulter pour avis la
Commission d’examen des pratiques commerciales.
Savoir quel est le juge à saisir ne suffit pas ; encore faut-il préciser qui est à l’initiative du contentieux des dommages concurrentiels.
1) Le juge du contentieux des dommages concurrentiels
au choix des parties
B. – L’initiateur du contentieux des dommages
concurrentiels
Se pose la question de savoir quelle est l’efficacité d’une clause
attributive de compétence dans un contentieux des dommages
concurrentiels. Cette interrogation, si elle n’est pas propre à ce
contentieux, se présente avec une acuité singulière en raison
d’un important arrêt rendu par la première chambre civile de
la Cour de cassation, le 22 octobre 2008, à propos de la rupture d’une relation commerciale établie. Elle n’est cependant
pas développée ici, étant évoquée par M. Cyril Nourissat (voir
Barbier de la Serre É. et Nourissat C., Actualité du droit processuel de la concurrence, infra).
Cette question des titulaires de l’action se pose avec une particulière acuité, en l’état de la pusillanimité des victimes directes, parfois réticentes à agir, soit parce qu’insuffisamment
informées et souffrant d’un préjudice trop diffus, dans le cas
des consommateurs, soi-disant par crainte de représailles dans
le cas des entreprises. Dès lors, cela conduit à envisager d’abord,
l’initiative collective du contentieux des dommages concurrentiels en évoquant l’action de groupe et à revenir, ensuite,
sur la place très controversée de l’initiateur public qu’est le
ministre de l’Économie dans le contentieux des pratiques restrictives de concurrence.
I. – LA SAISINE DU JUGE, À L’ORIGINE
DU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELS
S’il est loisible à toute personne ayant intérêt et qualité à agir
de saisir un juge d’une prétention, encore faut-il saisir le juge
compétent et être effectivement titulaire de l’action. Cela nous
conduit à envisager successivement le juge (A) et l’initiateur
du contentieux des dommages concurrentiels (B).
A. – Le juge du contentieux des dommages
concurrentiels
2) Le juge du contentieux des dommages concurrentiels
au défi de la spécialisation
Après avoir décidé, en 2001, de spécialiser les juridictions appelées à mettre en œuvre le droit des pratiques anticoncurrentielles, le législateur a retenu la même option dans la loi du 4 août
2008, pour une partie du droit des pratiques restrictives. Comme
il l’a fait précédemment pour les pratiques anticoncurrentielles
(C. com., art. L. 420-7, issu de la loi du 15 mai 2001), il s’est contenté d’en arrêter le principe et de confier à un décret le soin de désigner les
juridictions compétentes (L. n° 2008-776, art. 93-I-3°, c), modifiant C. com.,
art. L. 442-6-III). Sans méconnaître les attraits d’une telle mesure, il
reste qu’elle est, en l’occurrence, source d’incertitudes et d’interrogations, temporaires pour les unes, plus durables pour les autres.
Si l’on peut sans doute compter sur une entrée en vigueur de
cette réforme suspendue à l’édiction du décret d’application
– plus prompte que pour la spécialisation en matière de pratiques anticoncurrentielles – autrement dit en moins de…
quatre ans et demi…, il est permis de s’interroger, dans cette
attente, sur le périmètre qui sera retenu. S’agira-t-il des mêmes
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
Les actualités du contentieux des dommages concurrentiels
se suivent et se ressemblent parfois, mais pas toujours. Le
Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts est enfin
paru, tant et si bien que l’Arlésienne du contentieux communautaire des dommages concurrentiels n’est plus. En revanche,
l’Arlésienne du contentieux français des dommages concurrentiels, la désormais célébrissime action de groupe, demeure
dans les placards des ministères pour le moment… en dépit
de la double modernisation législative opérée en 2008.
Dans cette quête de modernisation, l’idée directrice a été d’articuler cette présentation autour du personnage central du
contentieux des dommages concurrentiels, à savoir le juge.
À l’origine du contentieux des dommages concurrentiels (I),
se trouve la saisine du juge à laquelle nous allons nous intéresser, avant de porter notre attention sur la décision du juge (II).
Jacqueline RIFFAULT-SILK
1) L’initiative collective : l’action de groupe
L’introduction dans le droit français des actions de groupe –
« class actions » en droit américain – a été recommandée par
le Rapport Cerutti sur l’action de groupe en décembre 2005,
soutenue par le Conseil de la concurrence dans un avis rendu
public en septembre 2006, préconisée par le Rapport Attali
pour la libération de la croissance en 2007, défendue par le
Rapport Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires en
février 2008… Ce dernier proposait de la limiter au seul droit
de la consommation, et préconisait le modèle opt in dans lequel les consommateurs doivent décider de se joindre à l’action collective engagée devant une juridiction, par opposition
avec le modèle opt out, dans lequel toutes les personnes relevant des critères d’une classe de victimes préalablement définie par le juge, sont ipso facto membres de cette classe, sauf
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
s’ils expriment leur volonté de ne pas en être. Mais elles n’existent toujours pas en droit français! On peut noter que le Conseil
constitutionnel a lui-même exclu que le droit français puisse
prévoir des actions de type opt out, estimant que la victime
devait avoir eu personnellement connaissance de l’action engagée par autrui pour pouvoir y être associée, et que son inclusion automatique dans une action collective porterait atteinte au principe de la liberté individuelle.
Ces actions collectives présentent toutefois de grands avantages, car elles facilitent les actions en réparation des victimes
de pratiques anticoncurrentielles, entreprises ou consommateurs, lorsque les préjudices unitaires subis sont de faibles
montants. Elles permettent également des économies de coûts
considérables. La crainte d’une utilisation abusive de ces procédures, parfois exprimée dans les milieux économiques, estelle justifiée ? Les pouvoirs donnés aux juges, pour en contrôler l’exercice, répondent à cette préoccupation. Il reste qu’une
fois encore, la diversité des solutions adoptées par les États
membres de l’Union européenne est frappante. Ainsi, le législateur danois a adopté le 22 février 2007 (L. 41, n° 2006-07) une
class action, sous ses deux versions d’opt in et d’opt out, en
les plaçant l’une et l’autre sous le contrôle du juge. Dans le
premier cas, le représentant du groupe sera désigné par le
juge. Dans le second, la procédure ne pourra être engagée
qu’à l’initiative de l’Ombudsman, seul représentant des plaignants. Les modalités de l’action de groupe de type « opt in »
récemment introduite en Italie (D.-L. 15 nov. 2007, n° 244/2007) puis
entrée en vigueur le 29 juin 2008, apparaissent plus proches
des règles adoptées en France pour les actions en représentation (C. consom., art. L. 422-1 et s.) : ce sont en effet les associations
de consommateurs qui sont habilitées en Italie à engager ces
actions collectives devant les juridictions civiles. Si elle leur
est favorable, la décision des juges – obligatoirement réunis
en formation collégiale – sera déclaratoire en ce qui concerne
la faute et le lien de causalité, et ouvrira une procédure de
conciliation destinée à chiffrer les réparations devant être versées à chaque victime.
Approuvée par les juridictions civiles allemandes, l’action collective « de fait » créée à l’initiative d’une société commerciale belge constitue une intéressante alternative à ces systèmes de prise en charge des intérêts collectifs des plaignants,
soit par des associations de consommateurs, soit par des institutions étatiques. À la suite de la décision de sanction prononcée par le Bundeskartellamt, autorité de concurrence allemande, contre les membres du cartel des ciments, les victimes
de ce cartel ont ainsi cédé leur droit d’action à la société belge
CDC pour un prix symbolique d’une centaine d’euros, étant
convenu qu’en cas de succès de cette action, 85 % des sommes
allouées par le Tribunal reviendront aux cédants. Confirmant
le jugement du Tribunal régional de Düsseldorf, qui rejetait
la fin de non-recevoir soulevée par les membres du cartel,
pour absence de qualité et d’intérêt à agir, la Cour d’appel régionale de Düsseldorf, par arrêt du 14 mai 2008, a même refusé aux membres du cartel le droit de se pourvoir en cassation devant la Cour suprême fédérale contre sa décision.
Dans son Livre blanc sur les actions privées fondées sur le
droit européen de la concurrence diffusé en avril 2008, faisant suite au Livre vert déjà consacré au « private enforcement », la Commission européenne a rappelé que les actions
collectives sont essentielles, particulièrement, s’agissant des
victimes de cartels, lorsque ce sont des acheteurs indirects,
en raison des difficultés accrues rencontrées tant en matière
d’administration de la preuve que de coût de ces procédures.
Elle observe que les actions en représentation confiées à des
entités qualifiées telles que des associations ou des organismes
152
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
d’État constituent une option intéressante, dans la mesure où
ces entités n’auront pas les hésitations que peuvent éprouver
certains entrepreneurs pour engager des actions en réparation contre de plus puissants partenaires. Le Livre blanc soutient également l’action collective dans son modèle d’opt in,
où chacune des victimes fait la démarche volontaire d’adhérer à cette action.
2) Le « private enforcement » dans l’Union européenne
Il existe maintenant une jurisprudence plus nombreuse et une
augmentation significative des procédures portées devant les
juridictions nationales. Des réponses ont été données par les
juges nationaux à des questions cruciales posées par le Livre
blanc, en particulier sur le droit et la qualité à agir, l’établissement de la responsabilité, la question de la faute, le lien de
causalité, la notion et les méthodes de calcul du préjudice.
La levée des obstacles institutionnels.– Il a fallu en premier
lieu lever les obstacles institutionnels. Dans la plupart des
États membres, à la différence des règles françaises, la régulation de la concurrence était organisée sur le modèle européen, et caractérisée, notamment, par l’impossibilité pour les
juges civils de se prononcer sur les pratiques anticoncurrentielles lorsqu’ils étaient saisis de plaintes fondées sur le droit
de la concurrence, tant national qu’européen. Il est remarquable de constater que les réformes intervenues dans les
États membres, à la suite de l’entrée en vigueur du règlement
n° 1/2003, ont transformé dans le même sens les dispositions
du droit national de ces États, et ainsi contribué à une harmonisation européenne des règles nationales, au-delà de la
seule application directe, par les juridictions nationales, du
droit européen de la concurrence.
Ainsi, en Allemagne, la réforme du droit de la concurrence
entrée en vigueur le 1er juillet 2005 a introduit un système
d’exemptions automatiques inspiré du droit européen, et unifié le fondement légal sur lequel sont engagées les actions en
réparation de pratiques anticoncurrentielles, la violation des
règles européennes, comme les manquements au droit national de la concurrence pouvant désormais être invoquée sur
le fondement du paragraphe 33 de la loi allemande sur la
concurrence (ARC).
En Espagne, la Cour suprême a abandonné (Tribunal supremo, 2 juin
2000, déc. n° 540/2000, Rafael c/Disa) sa jurisprudence antérieure (Tribunal supremo, 20 déc. 1993, déc. n° 1262/1993, Rodriguez c/ Campsa), selon laquelle
les juridictions civiles espagnoles n’avaient pas compétence
pour appliquer directement les dispositions du droit européen
de la concurrence. Il faudra toutefois attendre la réforme du
droit national de la concurrence intervenue en 2007 (L. n° 15/2007,
3 juill. 2007) pour que les juridictions civiles espagnoles puissent
se prononcer sur une demande en réparation fondée sur le
droit national espagnol de la concurrence.
D’autres obstacles tenaient aux restrictions apportées à la qualité à agir : dans nombre d’États membres, le droit d’action
n’appartenait qu’aux entreprises, considérées comme les seuls
acteurs du marché et par conséquent comme les seules victimes éventuelles de pratiques anticoncurrentielles.
Les juridictions allemandes avaient ainsi adopté une doctrine
selon laquelle seules les victimes « directes » d’une pratique
anticoncurrentielle avaient qualité pour agir en réparation. Le
7e amendement au paragraphe 33 de la loi allemande sur la
concurrence, entré en vigueur le 1er juillet 2005, a mis un
terme à ces restrictions en prévoyant que « toute personne affectée » par une pratique anticoncurrentielle a désormais qualité et intérêt à agir en justice. Mais ces dispositions ont suscité un nouveau débat : comment interpréter le terme
Droit I Économie I Régulation
nale de Mannheim, 29 avr. 2005, Carbonless paper, rejetant les plaintes des victimes indirectes d’un cartel motif pris de ce qu’une solution inverse porterait atteinte à une mise en
œuvre efficace des actions privées fondées sur le droit antitrust).
En Italie, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence
antérieure selon laquelle la ratio legis du droit de la concurrence italien se limitait à la protection des entreprises, avec pour
conséquence de refuser tout droit d’agir aux consommateurs,
et a décidé que ces derniers, derniers maillons de la chaîne de
production et de distribution d’un bien, sont eux aussi acteurs
du marché (Mario Ricciarelli c/ Spa Uniupol Assicurrazioni, 4 févr. 2005).
La coopération entre les autorités de concurrence et les juridictions nationales.– La coopération entre la Commission
européenne et les juridictions nationales est prévue par l’article 15 du règlement n° 1/2003. L’application de ces dispositions par la Commission s’est révélée assez restrictive, ainsi
que le confirme la réponse qu’elle a donnée à la Cour suprême
suédoise (Högsta Domstolen, 1er mars 2007, déc. T-2808-05, Bornholms Trafikken c/ Ystad Hamn Logistik AB), sur la demande d’avis de cette juridiction,
concernant la détermination du marché pertinent et la caractérisation des pratiques en cause. Dans sa réponse, la Commission souligne que son rôle, en tant qu’amicus curiae,
consiste seulement à fournir une information factuelle, ou une
clarification juridique ou économique, à l’exclusion de toute
opinion sur le fond de l’affaire. Elle rappelle enfin que son
avis n’a pas autorité pour la juridiction, contrairement à la
force obligatoire donnée à la réponse de la Cour de justice,
lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en vertu de
l’article 234 du Traité.
On relèvera pourtant l’importance, dans ces affaires, de l’aide
apportée par les autorités de régulation : ainsi, en France (TGI,
26 janv. 2005, Luk Lamellen c/ Valeo), les juges ont pu bénéficier des analyses de marché fournies par le Conseil de la concurrence, à
la demande du tribunal. De même, en Espagne, la juridiction
consulaire (T. com. Madrid, 11 nov. 2005, déc. n° 36/2005, Conduit Europe SA c/ Telefonica de España) a fait droit à la demande d’indemnisation du
plaignant, une société de télécommunication irlandaise, qui
reprochait un abus de domination à l’opérateur historique sur
le marché espagnol de la téléphonie ; mais la constatation de
cette domination, et celle de l’abus dénoncé par le plaignant,
se sont trouvées facilitées par la procédure déjà conduite par
l’autorité sectorielle des télécommunications, qui avait déjà
sanctionné cet opérateur.
L’établissement de la responsabilité : la faute.– Les actions
en réparation engagées sans décision préalable du régulateur
(stand-alone actions) sont rares, du fait de la complexité et du
coût des analyses de marché rendues nécessaires pour la détermination du marché pertinent, également en raison des difficultés rencontrées dans la collecte des preuves. Elles sont souvent rejetées faute de preuves suffisantes, notamment en ce qui
concerne la caractérisation du marché pertinent et celle des pratiques dénoncées (T. com. Suède, 5 juin 2007, aff. Dnr A 9/05, Tidnings Aktiebolaget Metro c/ Stockholm City Sverige AB). Il peut également s’agir de difficultés de preuves sur l’existence d’une domination exercée sur
le marché pertinent (Royaume-Uni, High Court, Chancery Division, 15 juin 2007,
aff. HC06C03700, Chester City Council and Chester City Transport c/ Arriva PLC).
Mais ces actions se sont révélées particulièrement efficaces
dans deux domaines : celui de litiges fondés sur la mauvaise
exécution ou la rupture brutale de relations contractuelles,
ainsi que le montre en France l’affaire Butagaz, et celui des
mesures provisoires lorsque sont en cause des pratiques li-
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
« personnes affectées » ? En d’autres termes, dans le cas d’un
cartel, les acheteurs secondaires sont-ils protégés par ces nouvelles dispositions ? Cette question fait encore débat (Cour régio-
mitant l’accès de nouveaux opérateurs aux marchés de la
téléphonie ou du commerce sur Internet (net-economy cases),
illustrées par les décisions britanniques.
Saisi d’un litige portant sur la rupture par la société Butagaz
des contrats de distribution de longue durée qu’elle avait
conclus, motif pris d’une demande de clémence portée devant l’autorité de régulation et imposant, selon le fournisseur,
la dénonciation immédiate de ces accords, le Tribunal de commerce de Nanterre (T. com. Nanterre, ord., 28 avr. et 30 juin 2005, Butagaz) a
d’abord sursis à statuer pour recueillir l’avis du Conseil de la
concurrence, puis ordonné, au vu des conclusions de ce dernier, la prolongation des contrats de distribution pour un an,
pour qu’il soit mis fin aux relations contractuelles de manière
plus conforme aux intérêts de toutes les parties.
Au Royaume-Uni, dans l’affaire Truphone de juillet 2007, la
High Court a fait droit à la demande d’injonction formée par
un nouvel opérateur de téléphonie contre l’opérateur historique et ordonné à celui-ci d’entrer en relation contractuelle avec celui-là, relevant que les conditions tenant à l’urgence et à la certitude du manquement reproché, réunies
en l’espèce, justifiaient la mesure demandée dès lors que la
dominance alléguée sur le marché était « plausible » (High
Court, Chancery Division, 17 juill. 2007, aff. HC07C, Truphone Software cellular Network
c/ T-Mobile UK Ltd).
Lorsqu’elles interviennent dans un second temps, après que
l’autorité de régulation a rendu sa décision, et que celle-ci est
devenue définitive, les actions en réparation (actions dites en
« follow-on ») apparaissent plus faciles : la charge de la preuve
ne porte plus que sur le lien de causalité, et sur l’étendue du
préjudice.
Ces actions civiles se heurtent pourtant à une première difficulté : quelle autorité donner à la décision du régulateur ?
L’article 16 du règlement n° 1/2003 fait obligation aux juridictions nationales de se conformer aux décisions rendues ou
« envisagées » dans les procédures intentées par la Commission européenne. Il en va de même, a fortiori, des décisions
rendues par les juridictions européennes. Mais jusqu’à quel
point s’étend cette autorité ?
Les suites de l’affaire Courage devant les juridictions civiles
britanniques ont été l’occasion pour la chambre des Lords de
fixer sa doctrine à cet égard (Chambre des Lords, 19 juill. 2006, UKCL 38,
Inntrepreneur Pub Company CPC v. Crehan). On se souvient qu’à la suite
des enquêtes menées par la Commission européenne sur le
marché des contrats de bière, des actions civiles engagées devant les juridictions britanniques et de la question préjudicielle posée par ces dernières à la Cour de justice, celle-ci avait
décidé qu’une partie à un contrat portant atteinte aux règles
du droit européen de la concurrence peut intenter devant les
juridictions nationales une action civile fondée sur ce manquement à l’encontre de son cocontractant, écartant la règle
« nemo auditur… » s’opposant en droit interne à ces actions.
Se prévalant de cette décision, M. Crehan avait attrait son
fournisseur devant la High Court, et demandé la réparation
de son préjudice. La décision de cette juridiction, rejetant sa
demande en relevant qu’il n’était pas établi que le « contrat
de bière » conclu entre ces deux parties avait eu un effet restrictif de concurrence à l’époque des faits, avait été censurée
par la Cour d’appel britannique, au motif que la High Court,
juridiction nationale, était dans l’obligation de se conformer
aux conclusions formulées dans cette affaire par la Commission européenne, préalablement à la réponse donnée par la
CJCE sur cette question d’interprétation du Traité (Court of Appeal, 21 mai 2004, case n° A3/2003/1725, Crehan v. Inntrepreneur Pub Company).
C’est cette automaticité que rejette la chambre des Lords,
qui énonce que les juridictions nationales ne sont pas te-
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
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153
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
nues de suivre une décision de la Commission, lorsqu’elles
statuent dans un litige concernant d’autres parties et d’autres
faits. En effet, les décisions rendues par la Commission dans
ces affaires ne concernaient pas spécifiquement le brasseur
mis en cause par M. Crehan. La chambre des Lords observe,
toutefois, que, bien que n’ayant pas de caractère liant, les
décisions de la Commission doivent être considérées comme
un élément de preuve que la juridiction peut prendre en
considération.
Également au Royaume-Uni, on relèvera la décision rendue
par le Competition Appeal Tribunal (CAT), juridiction d’appel de l’Office of Fair Trading, à laquelle a été conféré le pouvoir de statuer sur les réparations comme juridiction de premier degré, lorsque les parties lui en font la demande et que
la décision sur le manquement, émanant soit du régulateur
national, soit des instances européennes, est définitive. Les
règles de procédure du CAT (art. 31-3) prévoient que ce dernier peut exceptionnellement autoriser l’engagement d’une
telle procédure alors que la décision sur le manquement n’a
pas encore acquis un caractère définitif, et les victimes d’un
cartel sanctionné par la Commission européenne se fondaient sur ces dispositions pour demander l’ouverture d’une
procédure en réparation en dépit du recours encore pendant
contre la décision de la Commission. Cette autorisation leur
est refusée, aux motifs que les plaignants ne justifient d’aucun préjudice particulier résultant du rejet de leur demande,
également en considération de la portée du recours, qui portait sur le fond et pas seulement sur une simple minoration
de la sanction (CAT, 28 avr. 2008, case n° 1077/5/7/07, Emerson Electric Co & al
c/ Morgan Crucible Plc).
Mais ces dispositions strictes ne font pas obstacle à l’allocation d’indemnités provisionnelles dès lors qu’est acquis le
principe de la responsabilité, ainsi que l’a retenu le CAT, saisi
d’une action en réparation dans une affaire d’abus de domination dans le domaine médical sanctionnée par l’OFT, dont
la décision était définitive (CAT, 15 nov. 2006,, case n° 1060/5/7/06, Healthcare at home c/ Genzyme Ltd).
Le lien de causalité.– La démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice est nécessaire à l’établissement de la responsabilité des entreprises pour manquement
aux règles du droit de la concurrence, ainsi que l’a rappelé la
Cour de justice dans la décision Manfredi (CJCE, 13 juill. 2006, aff.
jtes. C-295/04 à 298/04, Manfredi).
Mais qu’en est-il lorsque la décision retenant une infraction
aux règles de la concurrence retient que les pratiques sanctionnées ont eu pour « objet » – et non pour effet – d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur
un marché ?
Telle était la question posée aux juridictions italiennes, dans
une affaire d’entente entre assureurs, lesquels opposaient à
l’action en réparation engagée à leur encontre l’absence de
démonstration d’un lien de causalité direct et certain, puisque
seul l’objet des échanges litigieux d’informations avait été incriminé. La Cour d’appel avait rejeté ce moyen, au motif que
le préjudice allégué – une augmentation des primes payées
par les clients – résultait « automatiquement » de la faute
constatée par le régulateur.
Cette décision a été cassée par la Cour de cassation italienne,
qui énonce que le lien de causalité peut être établi sur la base
de probabilités et de présomptions, il appartient néanmoins
au juge de prendre en considération les moyens produits par
le défendeur pour soutenir que d’autres facteurs ont pu causer, ou contribuer à causer le dommage (Cour de cassation italienne,
15 déc. 2006, Fondiaria Societa Assicuratrice Industtriale c/ Nigriello). En d’autres
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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
termes, la présomption résultant de la constatation du manquement aux règles de la concurrence est une présomption
réfragable, et le juge doit motiver sa décision au regard également des éléments produits par la défense.
Le préjudice.– Contrairement aux règles américaines des dommages « au triple », la plupart des États membres écartent les
notions de dommages punitifs ou fondés sur l’enrichissement
de l’auteur de l’infraction, et s’en tiennent à un concept de
réparation intégrale du préjudice. La Cour de justice a précisé
pour sa part (CJCE, 13 juill. 2006, aff. jtes. C-295/04 à 298/04, préc., pt. 95) qu’il
résultait du principe d’effectivité que cette réparation devait
inclure non seulement les pertes éprouvées, mais également
le gain manqué ainsi que les intérêts. En revanche, elle a ajouté
que le principe d’équivalence autorisait l’allocation d’autres
indemnisations, telles que des dommages-intérêts « punitifs »
ou « exemplaires » pour réparer le préjudice résultant d’une
atteinte aux règles du droit européen de la concurrence, si des
règles autorisant ce type de compensation existaient dans le
droit interne d’un État membre.
Une telle invitation semble avoir été promptement suivie d’effet : dès l’année suivante, il était demandé à la High Court,
dans l’affaire du cartel des vitamines, d’allouer aux victimes
du cartel des dommages punitifs ou équivalents aux profits
réalisés par les cartelistes, dès lors que de telles compensations sont prévues en droit interne. La High Court a néanmoins rejeté cette demande, dans une décision fortement motivée (High Court, Chancery Division, 19 oct. 2007, Devenish Nutrition Ltd & al c/ Sanofi
Aventis & al.). Elle a observé tout d’abord que dans les affaires
comme en l’espèce en « follow-on », l’allocation de dommages
exemplaires, de par leur caractère punitif, reviendrait à contredire non seulement le principe non bis in idem, mais aussi
l’article 16 du règlement n° 1/2003 qui interdit aux juges nationaux d’aller contre la décision rendue par l’autorité européenne. Elle a ajouté qu’il ne lui appartenait pas de décider
si la restitution des profits illégaux réalisés par les membres
du cartel pouvait constituer un remède adéquat dans les affaires antitrust, à moins qu’une juridiction supérieure n’en
décide autrement, et observé que le principe d’une compensation des préjudices constituait un remède adapté dans ce
domaine.
Muriel CHAGNY
3) L’initiateur « public » du contentieux des dommages
concurrentiels : le ministre de l’Économie
sur la sellette
Les prérogatives reconnues par l’article L. 442-6-III au ministre
de l’Économie et lui permettant de s’immiscer dans les rapports contractuels, se sont trouvées sur la sellette et au cœur
d’une véritable bronca doctrinale. Est notamment contesté le
caractère conventionnel au regard de la CEDH de cette disposition, silencieuse quant au régime de l’action ouverte au ministre. Comme Mme Béhar-Touchais l’a déjà indiqué (voir BéharTouchais M., Actualité des pratiques restrictives, supra), par ses deux arrêts du
8 juillet 2008, la Cour de cassation, se prononçant en faveur
de la conformité de cette règle à l’article 6, paragraphe 1 a
conforté l’action du ministre. En complément des observations
déjà formulées, il s’agit ici de procéder à une simple analyse
technique de l’attendu central commun aux deux arrêts de la
chambre commerciale. Selon ces décisions, « l’action du ministre chargé de l’Économie (…) qui tend à la cessation des pratiques, à la constatation de la nullité, à la répétition de l’indu
et au prononcé d’une amende civile, est une action autonome
de protection du fonctionnement du marché et de la concur-
Droit I Économie I Régulation
II. – LA DÉCISION DU JUGE, ISSUE DU CONTENTIEUX
DES DOMMAGES CONCURRENTIELS
Cela conduit à s’interroger successivement sur les règles de
droit que le juge est appelé à mettre en œuvre (A), ainsi que
sur les sanctions qu’il est susceptible de prononcer (B).
A. – Les règles applicables au contentieux
des dommages concurrentiels
Les nouvelles règles ne manquent pas en cette année d’une
double réforme législative en janvier et août 2008, nous ne
reviendrons pas ici sur les nouveautés substantielles, mais
sur des difficultés qui peuvent se présenter en amont au juge
et qui tiennent aux éventuels conflits de lois, soit dans l’espace en présence d’un élément d’extranéité, soit dans le
temps du fait de la succession de plus en plus rapprochée
des lois nouvelles.
S’agissant des conflits dans l’espace, le sujet brûlant de cette
fin d’année concerne le nouveau dispositif adopté dans la LME
quant aux délais de paiement et applicable au 1er janvier prochain, question épineuse qui sera abordée par Cyril Nourissat (infra). Dans la mesure où un conflit de lois dans l’espace
peut se résoudre au profit d’une loi étrangère, il convient d’évoquer le contentieux des dommages concurrentiels hors la loi
française.
Le contentieux des dommages concurrentiels à l’épreuve
des conflits de lois dans le temps du temps.– Les interrogations quant à l’application dans le temps des lois nouvelles sont d’autant plus fortes que le législateur n’a guère
prévu de disposition transitoire. Sans entrer faute de temps
dans le détail, je me contenterai d’évoquer quelques dispositions parmi les plus symptomatiques (cf., à ce propos, Utzschneider
Y. et Chagny M., Les mesures transitoires, in La loi de modernisation de l’économie et le
droit des pratiques restrictives, conférence organisée par l’Association française d’étude
de la concurrence, le 6 octobre 2008, disponible sur le site de l’AFEC).
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
rence ». Ainsi, là où la Cour de Versailles avait considéré que
le ministre exerçait une action de substitution, la Cour régulatrice retient la qualification d’action autonome : le droit
d’agir est attribué au ministre, non pas pour se substituer à
la victime, mais pour assurer le bon fonctionnement du marché. Il est toutefois possible de s’interroger sur l’étendue de
cette solution, dans la mesure où l’attendu ne mentionne pas
la possibilité également reconnue au ministre de demander
« la réparation des préjudices subis ». Ce silence traduit-il une
omission purement fortuite d’une prérogative, mentionnée séparément des autres dans le texte législatif et qui n’a jamais
été utilisée ? Ou bien ce silence signifie-t-il, tout au contraire,
que, dans le cas de la réparation, où il s’agit, au premier chef,
de rétablir la victime dans ses droits patrimoniaux, l’action
du ministre devrait être autrement qualifiée, constituant une
action de substitution ?
De même, s’agissant du régime de l’action, précisé par les arrêts à partir de la qualification retenue, l’affirmation selon laquelle l’action exercée par le ministre « n’est pas soumise au
consentement ou à la présence des fournisseurs » laisse entière
la question de savoir si ces derniers ont le droit d’être informés.
Au demeurant, l’article L. 442-6-III du Code de commerce
n’est pas quitte pour autant avec la CEDH dans la mesure où
d’autres textes que l’article 6, paragraphe 1, ont parfois été
invoqués à son encontre et où, par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme est susceptible d’être saisie.
Quel qu’en soit l’initiateur, l’issue normale du contentieux des
dommages concurrentiels, comme d’ailleurs de n’importe quel
contentieux, est la décision rendue par le juge.
S’agissant de la suppression de l’interdiction per se des pratiques discriminatoires – qui est assurément l’une des mesures centrales de la réforme par la LME du droit des pratiques restrictives de concurrence, il ne fait aucun doute que
les discriminations commises postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la LME sont licites. La question se pose en
revanche pour les agissements antérieurs au 6 août 2008, pour
lesquels il convient de distinguer selon la sanction attachée
au comportement.
Le principe de la rétroactivité in mitius semble susceptible de
s’appliquer à l’amende civile prévue à l’article L. 442-6-III du
Code de commerce : en conséquence, il ne serait donc plus
possible de prononcer une amende civile au titre de comportements commis avant le 6 août 2008 en violation de la règle
abrogée. En revanche, s’agissant de la nullité, ce qui n’était
pas valable sous l’empire de la loi ancienne ne le devient pas
sous l’effet de la loi nouvelle : de ce fait, un contrat conclu
avant le 6 août 2008 et qui aurait été le vecteur de pratiques
discriminatoires pourrait être annulé. Quant à l’engagement
de la responsabilité civile délictuelle, il est permis de penser,
au vu de la jurisprudence dominante, que les pratiques discriminatoires commises avant le 6 août 2008 peuvent donner
lieu à des actions en dommages et intérêts, nonobstant l’abrogation de l’interdiction per se : en effet, en matière de délit ou
quasi-délit, les conséquences sont régies par la loi en vigueur
au moment du fait dommageable.
B. – Les sanctions appliquées au contentieux
des dommages concurrentiels
Revenir sur les sanctions que le juge peut être amené à prononcer conduit à envisager successivement le contentieux des
pratiques restrictives de concurrence et le contentieux des pratiques anticoncurrentielles.
Le contentieux des pratiques restrictives de concurrence.–
S’agissant des pratiques restrictives de concurrence, les lois
récentes ont doublement innové quant aux sanctions.
D’un côté, la loi de modernisation de l’économie a renforcé
les sanctions : outre la possibilité d’ordonner la publicité sous
différentes formes (publication, diffusion, affichage, insertion
dans le rapport de gestion) de tout ou partie de la décision de
justice et de prononcer une astreinte, ce sont surtout les nouveaux cas de nullité, prévus à l’article L. 442-6-II du Code de
commerce ainsi que la sévérité accrue de l’amende civile qui
retiennent l’attention.
De l’autre côté, le législateur a procédé, au cours de l’année
2008, à une dépénalisation partielle du droit des pratiques restrictives de concurrence. Cela étant, la dépénalisation réalisée
par la loi du 3 janvier 2008, en ce qui concerne le refus de communiquer les conditions générales de vente – devenu un neuvième cas d’engagement de la responsabilité civile sur le fondement de l’article L. 442-6 – apparaît bien limitée. C’est, par
ailleurs, une dépénalisation furtive qu’a effectuée à son tour
la loi du 4 août 2008 : certains des changements apportés à
l’article L. 441-7 du Code de commerce prescrivant, depuis la
loi du 3 janvier 2008, l’établissement d’une convention globale assortie de sanctions pénales, consacrent en effet un adoucissement du régime pour une partie des services précédemment rattachés à la défunte catégorie des services distincts.
Reste à savoir ce que sera la dépénalisation future du droit
des pratiques restrictives, la réflexion sur cette question ayant
été différée dans l’attente d’une dépénalisation du droit des
affaires. Sans se livrer sur ce point à des conjonctures, il reste
à évoquer, pour finir, le contentieux des pratiques anticoncurrentielles et le si attendu Livre blanc. ◆
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
155
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
Actualité du droit processuel de la concurrence
Par Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Cabinet Latham & Watkins
et Cyril NOURISSAT
Éric BARBIER de la SERRE
I. – LE CONTENTIEUX OBJECTIF
A. – Le droit national
1) Les engagements
En matière d’engagements, deux étapes très importantes ont
été franchies cette année avec, d’une part, l’adoption par le
Conseil du Communiqué de procédure du 3 avril 2008, qui
consolide en grande partie la pratique décisionnelle dans ce
domaine, et, d’autre part, l’arrêt de la Cour de cassation du
4 novembre 2008 dans l’affaire GIE Les Indépendants. Ce dernier arrêt rappelle l’importance du principe du contradictoire,
qui s’applique également aux procédures d’engagements.
Tirant directement les conséquences de ce rappel, trois arrêts
de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2008 ont annulé
trois décisions du Conseil de la concurrence pour violation
du contradictoire.
2) La loyauté des preuves
L’arrêt de la chambre commerciale du 3 juin 2008 consacre
l’entrée effective du principe de loyauté des preuves dans le
contentieux des pratiques anticoncurrentielles. Les faits à l’origine de cette affaire sont simples : le gérant de la société Avantage avait porté plainte devant le Conseil contre une pratique
de prix imposés dans le secteur de l’électronique grand public. Ce gérant avait produit des preuves inhabituelles, à savoir des enregistrements de discussions avec des fournisseurs
réalisés à l’insu de ces derniers. Se posait donc la question de
la recevabilité de preuves obtenues de manière déloyale. Sur
cette question, deux approches s’opposaient : d’un côté, les
chambres civile et commerciale de la Cour de cassation jugent ces preuves irrecevables alors que, de l’autre, la chambre
criminelle les juge recevables si elles émanent du plaignant
et non de l’autorité de poursuite. Le Conseil avait finalement
opté pour l’approche pénale, c’est-à-dire la recevabilité des
preuves, en s’appuyant à cet effet sur un important effort de
motivation : il s’appuyait sur l’autonomie procédurale du
Conseil, sur le principe de liberté de la preuve, sur sa mission
de protection de l’ordre public économique et, enfin, sur le
caractère répressif de cette mission et l’efficacité qui en est attendue. Le Conseil avait toutefois posé certaines limites : tout
d’abord, les preuves avaient été jugées recevables car elles
étaient produites par le plaignant et non par l’autorité de poursuite ; ensuite, elles étaient simplement utilisées à titre d’indice ; enfin, elles devaient être soumises au contradictoire.
La Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait approuvé le Conseil de la concurrence.
L’arrêt vise l’article 6-1 de la CEDH et il pose le principe selon lequel l’enregistrement de conversations à l’insu des personnes enregistrées est un procédé déloyal qui rend les preuves
irrecevables. Malgré le caractère laconique de cette motivation, deux leçons sont à tirer de cet arrêt. Premièrement, il ne
s’agit pas pour la Cour de cassation d’écarter le principe d’autonomie procédurale du Conseil ; l’arrêt vise en effet uniquement l’article 6-1 de la CEDH et non l’article 9 du Code de
procédure civile, sur lequel les chambres commerciale et civile s’étaient appuyées pour écarter des preuves constituées
de manière déloyale. D’autre part, la justification de l’exten-
156
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
sion du pouvoir des autorités par la nécessité de l’efficacité
des procédures trouve ici une certaine limite. Dans sa décision, le Conseil s’était en effet appuyé, notamment, sur cet
impératif d’efficacité pour juger les preuves recevables, tout
comme la Cour de justice avait pu précédemment le faire
s’agissant de preuves produites de façon anonyme et non soumises à la contradiction. L’efficacité de la procédure, souvent
prise en compte pour étendre les pouvoirs des juridictions ou
du Conseil, trouve donc avec cet arrêt une limite en tant que
principe justificatif.
B. – La transaction communautaire
Le dispositif de transaction adopté par la Commission comprend deux éléments principaux : d’une part, un règlement
qui modifie le règlement de mise en œuvre du règlement
n° 1/2003 et, d’autre part, une communication qui précise les
éléments que la Commission utilisera pour mettre en œuvre
sa politique de transaction.
En substance, l’objet de la procédure est de permettre une sorte
de marché entre la Commission et les entreprises par lequel
ces dernières reconnaissent leur implication dans un cartel et
acceptent l’application d’une procédure simplifiée, en échange
de quoi elles bénéficient d’une réduction d’amende de 10 %.
1) Les principaux traits de la procédure
Il ne s’agit pas d’une procédure de clémence, même si elle
présente avec elle certains points communs. La procédure intervient ainsi après l’enquête et ne vise pas à faciliter le rassemblement des preuves, mais à récompenser le fait pour l’entreprise en cause d’accepter l’application d’une procédure
simplifiée. Cette procédure est donc dotée d’une économie
très différente de la procédure classique, durant laquelle la
plus grande partie de la procédure a lieu après la communication des griefs : dans le cadre de la procédure de transaction, une partie très importante de la procédure se déroule
avant la communication des griefs.
Les trois étapes de la procédure. – En substance, cette procédure se déroule en trois temps.
En premier lieu, la Commission et les entreprises doivent
manifester leur intérêt pour la transaction. La Commission
doit ainsi envoyer une lettre aux parties pour leur demander si elles veulent entamer des négociations en vue d’une
transaction. Si les entreprises y répondent favorablement,
elles ne s’engagent toutefois pas à transiger. On doit noter
également que l’expiration du délai imparti par la Commission pour manifester un tel intérêt marque la fin du délai
applicable pour déposer une demande de clémence.
En deuxième lieu, des discussions bilatérales se tiennent
entre la Commission et l’entreprise. Ces discussions permettent aux entreprises de présenter leur point de vue et
à la Commission de les informer sur des éléments auxquels
elles n’ont normalement pas accès avant la communication des griefs : il s’agit d’informations sur les faits retenus, la qualification juridique de ces faits, leur gravité, la
durée de l’infraction, l’attribution des diverses responsabilités, les fourchettes d’amendes envisagées par la Commission et les éléments de preuve sur lesquels la Commission entend s’appuyer. En outre, les entreprises ont dès ce
Droit I Économie I Régulation
2) Les avantages et inconvénients de la procédure
Dans une certaine mesure, les entreprises ne pourront-elles
pas se sentir contraintes de transiger avec la Commission ? En
effet, la Commission instruit le dossier mais adopte également
la décision finale ; elle dispose en outre d’une grande liberté
pour fixer le montant des sanctions. Quelles sont alors les garanties apportées aux entreprises qui participent à une procédure de transaction ?
La procédure ne peut fonctionner que si les intérêts des entreprises et de la Commission se rejoignent. Le seul risque que
prend la Commission en mettant en œuvre la procédure de
transaction est d’offrir un accès précoce au dossier et de devoir finalement revenir à une procédure normale si les entreprises refusent de transiger. Pour éviter que certaines entreprises ne prennent en otage la procédure, la Commission
acceptera sans doute les transactions hybrides, c’est-à-dire les
transactions avec seulement certaines entreprises de l’entente
présumée.
Pour les entreprises, la procédure de transaction est beaucoup
plus contraignante, et ce en raison de quatre éléments. Premièrement, la procédure est asymétrique, puisque les entreprises sont fortement engagées alors que la Commission reste
libre jusqu’à la décision finale. Deuxièmement, le gain de 10 %
sur le montant de l’amende pourra souvent paraître quelque
peu réduit au vu des droits abandonnés par les entreprises.
Troisièmement, les entreprises courent le risque de faciliter
les poursuites civiles du fait de l’aveu prévu dans la transaction. Certes, la Commission a prévu de pouvoir protéger la
confidentialité des demandes de transaction et de la communication des griefs. Toutefois, la procédure de transaction accélèrera probablement la décision de la Commission et donc,
par voie de conséquence, les poursuites civiles en follow-on.
Enfin, quatrièmement, les entreprises affectent leurs droits de
recours contentieux. Un arrêt du Tribunal de première instance de d’octobre 2008 a ainsi jugé que des faits expressément admis devant la Commission ne peuvent plus être contestés devant le Tribunal (TPICE, 8 oct. 2008, aff. T-69/04, Schunk e.a. c/ Commission),
Droit I Économie I Régulation
PERSPECTIVES COLLOQUE
moment accès au dossier, c’est-à-dire avant même la communication des griefs. La Commission peut toutefois mettre
fin aux discussions si l’accès intégral au dossier met en
danger l’efficacité de la procédure. Ces discussions ne visent en outre pas à négocier certains griefs, mais à permettre aux entreprises de présenter leurs observations à la
Commission et donc, en pratique, d’exercer leurs droits de
la défense par avance.
En troisième lieu, si les entreprises et la Commission arrivent à une appréciation commune sur les griefs et l’amende
envisageable, les entreprises auront alors la possibilité de
déposer, dans un délai fixé par la Commission, une proposition de transaction qui contiendra une reconnaissance de
responsabilité, une indication de l’amende maximale que
l’entreprise s’attend à se voir infliger, une reconnaissance
expresse du fait que les droits de la défense ont été respectés et un engagement à suivre la procédure de transaction
jusqu’à son terme si la Commission le décide. Les entreprises s’engagent donc expressément à ne pas se rétracter
alors que la Commission, pour sa part, n’est jamais engagée jusqu’à la décision. A ensuite lieu la communication
des griefs, qui reprend largement les éléments exposés dans
la demande de transaction. Puis, l’entreprise répond à cette
communication en confirmant son acceptation et sans demander d’audition. La Commission consulte enfin le comité consultatif et peut alors adopter immédiatement la décision finale, avec la réduction forfaitaire de 10 %.
solution qui ne va pas sans soulever de nombreuses questions
mais limite en tout cas fortement à ce stade les possibilités
contentieuses des entreprises qui auront recouru à une procédure de transaction.
En conclusion, comme le relevait Jean-François Bellis, la procédure de transaction constitue la dernière brique de la procédure de clémence et devrait surtout intéresser les entreprises
qui coopèrent avec la Commission. Toutefois, si les preuves
dont dispose la Commission sont suffisamment convaincantes,
cette procédure peut également présenter un intérêt pour les
autres entreprises, qui n’auront pas forcément intérêt à contester l’incontestable.
Cyril NOURISSAT
II. – LE CONTENTIEUX SUBJECTIF
La justice est apaisée au regard de deux techniques contractuelles régulièrement utilisées : les clauses attributives de juridiction et les clauses compromissoires. Elles sont utilisées
tant en droit des pratiques anticoncurrentielles qu’en droit des
pratiques restrictives de concurrence. La jurisprudence récente apporte un éclairage intéressant sur ces deux techniques.
A. – Les clauses attributives de juridiction
L’arrêt Monster Cable du 22 octobre 2008 de la première
chambre civile de la Cour de cassation tranche une question : celle de savoir quelles étaient les relations entre des
lois de police, en l’espèce l’article L. 422-6 du Code de commerce, et la stipulation de clauses attributives. En l’espèce,
un contrat liant une société française à une société nordaméricaine prévoit compétence du juge de l’État de NewYork. La clause est contestée en indiquant que l’action étant
fondée sur l’article L. 442-6, soit une loi de police et que seul
le juge français peut avoir compétence. La première chambre
civile vise les principes généraux du droit international et
estime que seul le juge américain doit connaître de l’action
en raison de la clause stipulée au contrat. Le fait que l’article L. 442-6 rentre dans la catégorie des lois de police n’empêche pas de porter le litige devant un juge autre que national. L’action du cocontractant ne pourra être portée que
devant le juge américain qui pourra seul statuer : la question de l’exequatur peut alors se poser sur le territoire français. Hormis l’hypothèse où la décision du juge américain
heurtant l’ordre public français, la décision rendue à l’étranger vaudra en France.
Cet arrêt rejoint donc une solution antérieure de la première
chambre civile de la Cour de cassation qui confirme que la
validité d’une clause attributive de juridiction n’est étudiée
qu’au regard des seules exigences du droit international et
non celles du droit interne.
La solution dégagée rejoint celle qui prévaut par l’application de l’article 23 du règlement « Bruxelles I » sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution en matière civile
et commerciale. Ce règlement communautaire exprime une
faveur extrême à l’égard des clauses attributives. Tant les juridictions nationales que communautaires ont régulièrement
jugé que les seules conditions d’appréciation de la validité
ou de l’opposabilité de la clause attributive sont celles édictées par les textes communautaires. Je rappelle que la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi considéré que rien ne s’opposait à ce qu’un non-commerçant soit
appelé devant le Tribunal de commerce de Paris en vertu
d’une clause attributive de juridiction stipulée dans un contrat
qui le liait avec une société de droit luxembourgeois.
N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE
>
157
RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Lundi 8 décembre 2008
B. – Les clauses compromissoires
Un arrêt du 4 juin 2008 de la première chambre civile de la
Cour de cassation vient confirmer un mouvement engagé
sous l’égide de la Cour d’appel de Paris, qui fait le droit en
matière d’arbitrage, soit un mouvement en faveur de l’arbitrage au mépris éventuellement des exigences de l’ordre
public économique et du droit des pratiques anticoncurrentielles (Cass. 1re civ., 4 juin 2008, n° 06-15.320, Bull. civ. I, n° 162 ; Nourissat C.,
Arbitrage et concurrence : sur la violation flagrante, effective et concrète de l’ordre public
international…, RLC 2008/16, n° 1162). En l’espèce, le Tribunal arbitral
se constitue en vertu de la clause compromissoire et rend
une sentence qui fait l’objet d’un recours en annulation, du
fait de la violation de l’ordre public économique international, soit la violation par les arbitres de l’article 81 du Traité
sur la Communauté européenne. La Cour de cassation indique que « s’agissant de la violation de l’ordre public international, seule la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est examinée par le juge de l’annulation au regard de
la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le
contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de
la violation alléguée ».
Se pose la question de savoir quel est en réalité le travail
du juge de l’annulation ou de l’exécution de la sentence.
Comment apprécier un caractère flagrant, effectif et concret,
sans entrer dans un contrôle du bien-fondé ? Or un des principes fondamentaux du droit de l’arbitrage est l’interdiction
de la révision au fond de la sentence. Certains observateurs
estiment donc que, tout en respectant les exigences posées
158
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
par la Cour de justice des Communautés européennes dans
l’arrêt Eco Swiss de 1999, la Cour de cassation adressait en
réalité une fin de non recevoir dans une logique de contrôle
au regard de l’ordre public économique d’une sentence arbitrale. Cette solution réjouira les défendeurs du droit de l’arbitrage et inquiétera les spécialistes du droit de la concurrence, en raison des stratégies d’évitement qu’il peut induire.
Il faut rester prudent en la matière, notamment au regard de
la révision annoncée du règlement « Bruxelles I » sur la compétence en matière civile et commerciale. La Commission a
commandé il y a deux ans un rapport aux juristes allemands
afin d’établir le bilan de ce règlement et savoir s’il fallait
lever l’exclusion du droit d’arbitrage du champ de la matière
civile et commerciale. Les conclusions du Rapport de Heidelberg conduisent à affirmer la nécessité d’ouvrir le règlement
« Bruxelles I » au domaine de l’arbitrage et à faire entrer la
question de la reconnaissance et de l’exécution des sentences
arbitrales dans l’espace intracommunautaire. Si cette voie est
suivie, c’est peut-être par cet angle que le droit communautaire s’intéressera alors à l’application par les arbitres et dans
la non-application par le juge de l’annulation des règles du
droit communautaire de la concurrence. Il faudrait peut-être
mieux analyser les relations entretenues par le droit de l’arbitrage et le droit de la concurrence pour éviter certaines stratégies d’évitement. Certaines réponses préjudicielles récentes
apportées par la Cour de justice des Communautés européennes dans le domaine des règlements d’exemption à des
questions posées par le juge national démontrent que la Cour
s’adresse également à l’arbitre. ◆
Droit I Économie I Régulation
R LC
À LIRE PERSPECTIVES
Sous la responsabilité de Simon GENEVAZ, Rapporteur permanent auprès de l’Autorité de la concurrence (*)
1449
REVUES
Concentrations
> « Breaking up is hard to do » – National Merger
Remedies in the Information and Communication
Industry
Thomas Hoehn, Suzanne Rab et Grant Saggers, ECLR,
vol. 30, n° 6, 2009, p. 255
> The Revised Merger Remedies Notice –
Some Comments
Werner Berg et Rob Lipstein, ECLR, vol. 30, n° 6, 2009,
p. 281
Pratiques anticoncurrentielles
PRATIQUES UNILATÉRALES
> The French Competition Council and Parallel
Trade in the Pharmaceutical Industry : A Step
Ahead of EU Case Law ?
Fleur Herrenschmidt, World Competition, vol. 31, n° 2,
p. 235
> Predatory Pricing under Article 82 and the
Recoupement Test : Do Not Go Gentle into
that Good Night
Miguel Moura e Silva, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 61
> Finally a bit of clarity for pharmaceutical
companies ; but uncertainties remain :
Judgement of the ECJ in Sot. Lélos Kai Sia EE
v. GlaxoSmithKline AEVE
Peter Turner-Kerr, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 57
> A Proposed Test for Separating Pro-competitive
Conditional Rebates from Anti-competitive Ones
Damien Gerardin, World Competition, vol. 32, n° 1,
mars 2009, p. 41
> Consumer Welfare and Article 82 EC : Practice
and Rhetoric
Pinar Akman, World Competition, vol. 32, n° 1,
mars 2009, p. 71
Cet article étudie la différence entre la pratique et la rhétorique en ce qui concerne le rôle joué par le dommage au
consommateur dans l’application de l’article 82 CE. En effet,
au-delà de déclarations de principe, l’auteur, qui ne trouve
que relativement peu de référence au dommage au consommateur dans la jurisprudence, considère que la question de
l’objet du dommage (le consommateur ou la concurrence
en général) n’est pas tranchée en jurisprudence. À tel point
que, pour Pinar Akman, « la seule chose qui semble suffisamment claire en ce qui concerne la question du dommage
en application de l’article 82 est la dissonance entre la pratique et la rhétorique ». Mais l’article 82 CE étant une disposition de droit de la concurrence, et non de droit de la consommation, le critère d’application est limité à la restriction de
concurrence, et le seul dommage au consommateur sans
une telle restriction est insuffisant pour sanctionner les com(*)
160
Les opinions exprimées sont purement personnelles.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20
portements. Néanmoins, en l’absence d’une définition claire
par la Commission européenne du standard de dommage
au bien-être du consommateur que l’institution met pourtant
elle-même en avant, « l’article 82 CE demeure un domaine
juridique qui pose plus de questions qu’il n’en résout ».
> Legal Uncertainty and Competition policy
in European Deregulated Electricity Markets :
the Case of Long-term Exclusive Supply Contracts
Adrien de Hauteclocque, World Competition, vol. 32, n° 1,
mars 2009, p. 91
La question des contrats d’approvisionnement de long terme
en électricité est d’une actualité brûlante, avec des procédures
en cours au niveau communautaire concernant certains producteurs historiques, parmi lesquels EDF. Cette question est,
pour l’auteur, topique des difficultés posées par l’approche
« plus économique » de la règle de raison dans des secteurs
où les autorités de concurrence manquent d’informations sur
la dynamique concurrentielle qui découle du processus de
libéralisation. La question des contrats d’approvisionnement
de long terme est cependant une priorité de la Commission
européenne, qui en souligne les effets anticoncurrentiels. L’auteur insiste cependant sur l’absence de précédents en la matière, source d’une forte incertitude pour les opérateurs.
L’auteur pose donc les jalons de l’analyse économique. Tout
d’abord, du point de vue des contractants, l’intérêt des contrats
de long terme est qu’ils permettent de limiter leur risque de
prix et de quantité sur la durée. En contrepartie, cependant,
ces contrats constituent une barrière à l’entrée sur le marché
de nouveaux concurrents et limitent le développement du
marché de gros spot. De ces effets contrastés découle l’idée
que l’impact des contrats de long terme sur l’ouverture des
marchés est délicat à évaluer et que « l’application aveugle
du droit de la concurrence dans l’électricité pourrait créer
des incitations pour plus d’intégration verticale et mettre en
danger l’allocation contractuelle optimale du risque entre les
parties, ce qui irait à l’encontre des objectifs de l’Union européenne en terme d’efficacité de marché et d’investissement ». L’auteur considère cependant qu’une « nouvelle méthodologie » dans l’évaluation des effets d’exclusion émerge
actuellement dans la pratique de la Commission européenne,
dont l’exemple le plus clair est celui de l’affaire Distrigaz.
Cette méthodologie résulte notamment d’une approche unifiée dans l’application des articles 81 et 82 CE et d’une convergence dans l’application du droit dans divers secteurs. L’existence d’une telle approche n’est cependant pas une panacée,
l’auteur soulignant qu’il n’existe aucune raison justifiant que
le secteur de l’énergie soit traité de la même manière que
celui de la bière ou des glaces.
> La nouvelle approche de la Commission
dans la mise en œuvre de l’article 82 CE
Mona Chammas, JTDE 2009, p. 69
ENTENTES
> « Publicly Distancing » Oneself from a Cartel
David Bailey, World Competition, vol. 31, n° 2, p. 177
> EC Commission’s Post-Conference Maritime
Transport Guidelines – true guidance to navigate
through antitrust compliance
Dr Peter D. Camesasca et Anna K. Schmidt, ECLR, vol. 30,
n° 3, p. 143
Droit I Économie I Régulation
Timothy J. Brennan, The Antitrust Bulletin, vol. 53, n° 4,
winter 2008, p. 967
AIDES D’ÉTAT
> The Current Financial Crisis and State Aid
in the EU
Abel M. Mateus, European Competition Journal, vol. 5,
n° 1, avr. 2009, p. 1
> European commission Adopts Guidance on State
Aids to the Financial Sector
Catriona Hatton et Jean-Michel Coumes, ECLR, vol. 30,
n° 2, 2009, p. 51
PERSPECTIVES À LIRE
> RPM as Exclusion : Did the US Supreme Court
Stumble Upon the Missing Theory of Harm ?
tion même de la prescription » et qui « voudrait dire que la
décision publique crée le droit à la réparation ». La critique
est d’autant plus percutante que la décision publique est en
revanche susceptible de marquer le point de départ du délai
de prescription, puisqu’on pourra estimer que la victime peut
raisonnablement être considérée comme ayant connaissance
de l’infraction à partir de la décision.
> The Relationship Between Public Antitrust
Enforcement and Private Actions for Damages
Wouter P.J. Wils, World Competition, vol. 32, n° 1,
mars 2009, p. 3
Droit processuel et institutionnel
> La nouvelle Autorité de la concurrence
Interview de Bruno Lasserre, Concurrences, 1-2009, p. 6
ACTIONS PRIVÉES
> Inciter les actions en dommages et intérêts
en droit de la concurrence – Le point de vue
d’un processualiste
Soraya Amrani-Mekki, Gaz. Pal. 22 au 26 mars 2009,
pp. 4-5
Après le Livre blanc de la Commission européenne, l’auteur
s’interroge sur l’incitation des actions en dommages et intérêts. Si l’évolution du droit de la concurrence va vers le renforcement des droits des victimes, il faut se demander, selon l’auteur, non seulement si l’incitation des actions privées est
souhaitable, mais également si elle est réaliste. Pour assurer
l’effectivité de la politique incitatrice des actions privées, il faut
d’abord « banaliser » la qualité à agir, la conférer à toute victime d’une pratique anticoncurrentielle. Ceci implique de ne
pas limiter l’action en réparation aux consommateurs finals,
puisque les victimes de pratiques anticoncurrentielles se situent souvent sur des marchés intermédiaires. Il faut ensuite
admettre des options processuelles évitant de multiplier les
actions individuelles causées par la même pratique. L’auteur
envisage les actions représentatives (actions d’entités pour la
défense d’un intérêt collectif) et les actions collectives (actions
de groupe).
L’auteur se penche ensuite sur les moteurs de l’action privée et
le coût de l’action en justice. À cet égard, si le Livre blanc appelle de ses vœux une réduction des frais de procédure, l’auteur souligne que ceux-ci « sont loin de couvrir la totalité du coût
du procès ». Les vraies questions touchent, en revanche, à la représentation. Faut-il adopter une représentation qui jouerait également un rôle de gestion du risque procédural, notamment en
permettant un système de contingency fee, qui assurerait un
gage d’incitation à l’action? Un tel système a pour inconvénient
de réduire la part d’indemnisation des victimes (au profit de
leurs avocats), si bien que l’auteur propose de se pencher sur
d’autres systèmes de financement (l’autofinancement, l’aide juridictionnelle et le financement par les tiers). Une mesure radicale de réduction des coûts reste, bien sûr, la possibilité de les
éviter en incitant au règlement extrajudiciaire des litiges. C’est
ce qui conduit le Livre blanc à suggérer aux États membres
d’adopter des règles de procédure incitant à la transaction.
L’auteur se consacre enfin à la question du temps, « obsession des processualistes », c’est-à-dire le point de départ et la
suspension des délais de prescription. À cet égard, l’auteur critique la proposition de la Commission d’ouvrir un nouveau
délai de prescription à la date d’adoption de décisions constatant une infraction, solution « qui irait à l’encontre de l’institu-
Droit I Économie I Régulation
> Virginie Beaumeunier : Une Rapporteure
générale pour l’Autorité de la concurrence
Interview de Virginie Beaumeunier, Concurrences,
2-2009, p. 6
> Competition Law Proceedings before
the European Commission and the Right
to a Fair Trial : No Need for Reform ?
Donald Slater, Sébastien Thomas et Denis Waelbroeck,
European Competition Journal, vol. 5, n° 1, avr. 2009, p. 97
> Unbundling through the Back Door… the case
of network divestiture as a remedy in the energy
sector
Hubertus von Rosenberg, ECLR, vol. 30, n° 5, 2009
Cet article porte sur la pratique récente de la Commission européenne en matière d’engagements dans des affaires concernant le secteur de l’énergie. Cette pratique a consisté à mettre
en œuvre des engagements de la part d’opérateurs dominants dans les secteurs de l’électricité et du gaz de céder leurs
réseaux, alors même que la question de la séparation patrimoniale, prônée par la Commission dans le cadre du troisième
paquet énergie, faisait l’objet d’âpres discussions au sein de
l’exécutif et du Parlement européen. Selon l’auteur, cette pratique ne constitue cependant pas la mise en œuvre imposée
par la Commission d’une solution légale non adoptée par les
parlementaires européens. L’application du principe de proportionnalité agirait ainsi comme un neutralisateur des « ambitions politiques » de la Commission, en liant le remède au
cas d’espèce.
> Indépendance et interdépendance des juridictions
et autorités de concurrence (éléments de droit
comparé)
Silvia Pietrini,