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24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS BIEN-ÊTRE ANIMAL PROGRAMME GÉNÉRAL Bien-être La notion de bien-être et ses implications légales Dominique LACHAPELE DV, DIE vétérinaire comportementaliste, Consultante itinérante en comportement 64800 ASSON Introduction La notion de « bien-être » fait régulièrement l’actualité, chez les humains comme chez les animaux. La prise de conscience est croissante de devoir éviter toute souffrance « inutile » et de rechercher des conditions de vie optimales pour les animaux. Petit à petit, la règlementation a profondément évolué, un important dispositif juridique est en place, tant au plan national que communautaire ou international. En 1999, une loi de protection animale modifie le code civil français afin que les animaux ne soient plus assimilés à des choses, tout en demeurant des biens. Le 16 février 2015, la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a modifié de nouveau le code civil en qualifiant les animaux comme des êtres doués de sensibilité : « 5 freedoms » 12 critères Farm Animal Welfare Council (Welfare Quality) Freedom 1 : « Absence de faim, de soif et de malnutrition » accès libre à de l’eau fraiche et à une nourriture - Absence de faim prolongée adéquate assurant la bonne santé et la vigueur - Absence de soif prolongée des animaux Freedom 2 : « Environnements climatique et physique non agressifs » environnement approprié comportant des abris et - Confort lors du couchage une aire de repos confortable - Confort thermique - Facilité de mouvement Freedom 3 : Absence de maladies et blessures prévention ou diagnostic rapide et traitement - Santé : absence de blessure - Santé : absence de maladie - Absence de douleur (différent de blessure ou maladie) Freedom 4 : Pouvoir exprimer les comportements naturels propres à l’espèce espace suffisant, environnement approprié aux - Expression normale du comportement social besoins des animaux, et contact avec d’autres - Expression normale des autres items congénères comportementaux de l’éthogramme Freedom 5 : Ne pas éprouver de peur ou de détresse conditions d'élevage et pratiques n’induisant pas - Bonne relation homme-animal de souffrances psychologiques - Absence de peur « Art. 515-14. – Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens.» Tableau 1: Les « five freedoms » énoncées par le « Farm Animal Welfare Council » en 1979 et les 12 critères en découlant, constituant le standard européen pour l’évaluation du bien-être animal (Welfare Quality). Le changement de statut dans le code civil et l’importance croissante de la notion de bienêtre impacte la responsabilité du praticien. Des évolutions sont prévisibles et les vétérinaires sont sensibilisés à la souffrance animale. définition du bien-être animal par l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OIE) en est un exemple: Notion de Bien-Etre Animal appliquée aux carnivores domestiques Définitions et conditions du bien-être animal Il existe plusieurs définitions du bien-être animal qui font généralement référence à un concept abstrait, l’adaptation harmonieuse entre l’individu et son environnement, déclinées en principes et recommandations. La “On entend par bien-être la manière dont un animal évolue dans les conditions qui l’entourent. Le bien-être d’un animal est considéré comme satisfaisant si les critères suivants sont réunis : bon état de santé, confort suffisant, bon état nutritionnel, sécurité, possibilité d’expression du comportement naturel, absence de souffrances telles que douleur, peur ou détresse. Le bien-être animal requiert prévention et traitement des maladies, protection appropriée, soins, alimentation adaptée, manipulations réalisées sans cruauté, abattage ou mise à mort effectués dans des conditions décentes.” (5) Le bien-être animal au sens large englobe non seulement la santé et le bien-être physique 1 de l’animal, mais aussi son bien-être psychologique et la possibilité d’exprimer les comportements importants propres à son espèce. Il serait possible d’affirmer que le bien-être d’un animal est satisfaisant si les 5 besoins, « 5 freedoms » contenus dans le « cahier des charges » du bien-être animal établi par le « Farm Animal Welfare Council » en 1979, sont assurés [cf Tableau 1 - colonne1]. Bien que l’évaluation du 4ème besoin suscite toujours beaucoup de débats car il est difficile de définir ce qu’est un comportement « normal », ces « 5 libertés fondamentales » constituent un socle de référence pour définir les contours du bien-être animal. Ils ont débouché sur l’établissement d’un standard européen pour l’évaluation du bien-être animal (Welfare Quality) qui énonce 12 critères à respecter [cf Tableau 1 – colonne2]. (7) (8) 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS Adaptation de ces notions aux carnivores domestiques Les « 5 libertés fondamentales » nécessitent quelques adaptations pour être transposés de l’animal de rente à l’animal de compagnie. En particulier, l’impératif de « pouvoir exprimer les comportements naturels propres à l’espèce » pose question. Le terme « naturel » pour les animaux de rente faisait référence au départ aux comportements exprimés « dans la nature », c’est à dire par les individus restés à l’état sauvage. Trouver une telle référence pour les carnivores domestiques posait problème, ce qui a bloqué pendant des années l’émergence d’études scientifiques sur le sujet pour ces espèces. Une certaine évolution des idées à ce sujet a conduit progressivement à considérer que « l’environnement naturel » d’un animal domestique est l’environnement humain. D’où des travaux menés à l’INRA sur l’influence des pratiques d’élevage sur le bienêtre et la productivité. Pour les carnivores domestiques, le champ d’étude de « l’environnement naturel » est donc tout naturellement la famille. Par ailleurs, si chez les animaux de rente, l’évaluation du bien-être est avant tout collective et le mode opératoire d’intervention préventif, pour le carnivore domestique de compagnie, l’évaluation du bien-être est individuelle et l’intervention est non seulement préventive, mais aussi curative. Cette approche centrée sur l’individu rejoint l’évaluation de la qualité de vie des humains, qui énumère les facteurs de stress et évalue plus l’absence de mal-être qu’un véritable bien-être. L’évaluation de la qualité de vie chez l’animal prend en compte positivement des signes tels que le jeu, le sommeil apaisé, etc. Ainsi le bien-être des carnivores domestiques pourrait faire référence à la qualité de vie telle qu’un animal - en tant qu’individu - en fait l’expérience et impliquerait le maintien d’un état de bonne santé physique ET psychologique. Les textes de loi en vigueur Le 16 février 2015, l’Assemblée nationale a conféré à l’animal le statut d’être sensible. Code civil, code rural et code pénal L’article 2 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a inséré un article 515-14 dans le Code civil, ainsi rédigé : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». (4) Cependant, même s’ils sont civilement reconnus sensibles, les animaux restent des objets de droit, et ne sont pas encore des sujets. Et cela ne modifie pas, ni ne renforce les dispositions de protection animale qui figurent déjà dans le code rural et le code pénal. l’attachement de Mme Y... pour son chien, en a exactement déduit que son remplacement était impossible, au sens de l’article L. 211-9 du code de la consommation ; » Dans le Code rural, au chapitre IV relatif à la protection des animaux, l’article L. 214-1 stipule : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». De nombreux articles interdisent les mauvais traitements. « Ayant retenu que le défaut de conformité de l’animal était présumé exister au jour de sa délivrance, concomitante à la vente, sans que soit démontrée une acquisition en connaissance de cause, le tribunal a implicitement mais nécessairement considéré que Mme X..., réputée connaître le défaut de conformité du bien vendu en sa qualité de vendeur professionnel, avait commis une faute. » Le Code pénal, quant à lui, prévoit des sanctions allant jusqu’à l’emprisonnement pour réprimer les actes de cruauté envers les animaux. Et les animaux victimes de mauvais traitements sont remis à une association de protection animale. Jurisprudence de décembre 2015 Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 9 décembre 2015, le juge tire les conséquences du nouveau statut de l’animal, et les garanties applicables dans les ventes d’animaux sont redéfinies. Dans cette affaire, il était question d’une éleveuse professionnelle ayant vendu un chiot, à usage de compagnie, à un particulier. « Mme X..., éleveuse professionnelle, a vendu à Mme Y... un chiot de race bichon frisé, à usage de compagnie ; invoquant un défaut de conformité constitué par une cataracte héréditaire entraînant de graves troubles de la vision, la seconde a sollicité la réparation de ce défaut et l’allocation de dommages-intérêts, tandis que la première a proposé le remplacement de l’animal, estimant le coût de la réparation manifestement disproportionné ; » Etait en jeu la garantie de conformité d’un bien meuble, vendu par un professionnel à un particulier, prévue à l’article L. 211-9 du Code de la consommation, qui laisse un droit d’option à l’acheteur de choisir entre la réparation et le remplacement du bien. Cependant l’alinéa 2 de cet article stipule que le vendeur peut s’opposer à la réparation du bien lorsque « ce choix entraîne un coût manifestement disproportionné au regard de l’autre modalité, compte tenu de la valeur du bien ou de l’importance du défaut ». De plus, il appartient à l’acheteur de démontrer que ce défaut existait avant la vente et que le vendeur, en tant que professionnel, ne pouvait l’ignorer. Conséquences pour les éleveurs professionnels Ils ne pourront plus proposer à un particulier d’échanger l’animal dans le cadre de la garantie de conformité et ils seront obligés de prendre en charge le coût des frais vétérinaires. (1) Il y a donc redéfinition des garanties applicables dans les ventes d’animaux entre professionnels et particuliers. IV- Les responsabilités du vétérinaire praticien Même s’il est évident pour nous vétérinaires que l’animal est un être sensible, certaines évolutions sont prévisibles. Ce changement de statut de l’animal implique une meilleure prise en compte de la souffrance, de la sensibilité douloureuse et aussi psychologique. Les pratiques des vétérinaires changent petit à petit, pour réduire au maximum la souffrance et la peur de l’animal en consultation et en hospitalisation. Cela suppose de se former, de repenser son lieu d’exercice pour qu’il soit le plus possible « Pet-friendly ».(6) Le changement de statut renforce notre obligation de moyens et de conseils. Nous devons nous assurer que les conditions de vie de l’animal (y compris dans nos structures) respectent les libertés fondamentales énumérées précédemment, pour ne pas risquer d’être mis en cause lors l’atteinte au bien-être animal. Le juge de la Cours de Cassation a condamné l’éleveuse à 3 000 € pour les motifs suivants : La première évolution pourrait être qu’un vétérinaire n’ayant pas respecté l’animal ni pris en charge sa douleur soit sanctionné. Le nouveau Code de déontologie renforce les obligations des vétérinaires en matière d’éthique vétérinaire vis-à-vis des animaux, ainsi que la prise en compte de leur souffrance. Le vétérinaire doit prendre en compte les relations affectives existant entre l’animal et son maître. « Ayant relevé que le chien en cause était un être vivant, unique et irremplaçable, et un animal de compagnie destiné à recevoir l’affection de son maître, sans aucune vocation économique, le tribunal, qui a ainsi fait ressortir Cette évolution du statut peut entraîner des changements concernant la valeur de l’animal. Dans la pratique le remboursement des frais relatifs aux animaux de compagnie ne se limite pas à la valeur vénale de ceux-ci. Les dé- 2 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS dommagements en cas de mise en cause de la responsabilité du vétérinaire peuvent s’en trouver modifiés. Le préjudice moral lors de la perte de l’animal pourra être pris en compte par des magistrats, puisque la valeur affective est prise en compte dans le lien homme-animal. Conclusion Selon Ghislaine Jançon : « Le vétérinaire garantit le bien-être animal et aide la société à faire en sorte qu’il soit respecté. » D’après Claude Béata : « La loi considère que l’animal est un être sensible et le vétérinaire est chargé de le protéger. Cela remonte le moral et accroît le plaisir d’exercer ce métier. C’est mieux que de se dire : « Je répare des biens meubles » ! (3) Bibliographie 1 Corlouer N. Les impacts du nouveau statut juridique de l’animal. La Semaine Vétérinaire / fév 2016/ n°1660 2 Cour de cassation, 1re chambre civile, 9/12/2015, n° 14-25.910. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITE XT000031608173 6 Herron M. E., Shreyer T. The Pet-friendly Veterinary Practice: A Guide for Practitioners. Veterinary Clinics of North America: Small Animal Practice, Volume 44, Issue 3, May 2014, Pages 451-481 7 https://www.gov.uk/government/groups/farm-animal-welfare-committee-fawc 8 http://www.welfarequality.net/everyone/41858/5/ 0/22 3 Komaroff S. Dossier L’animal être sensible : comment cette avancée touche la profession. La Semaine Vétérinaire, 9/5/2015, n° 1629-44 à 49 4 Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. https://www.legifrance.gouv.fr/eli/ loi/2015/2/16/2015-177/jo/texte 5 Gaultier E. Bien-être / Qualité de vie chez les carnivores domestiques. Afvac Gecaf-Gedac Marseille, mai 2014 3 Déclaration publique d’intérêts sous la responsabilité du ou des auteurs : • Aucun conflit d'intérêt 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS BIEN-ÊTRE ANIMAL PROGRAMME GÉNÉRAL Bien-être Conscience animale et bien-être Guillaume SARCEY DV, titulaire du DIE de vétérinaire comportementaliste Clinique Vétérinaire Saint-Roch - 1 avenue François Mitterand - 05000 GAP En 1838, Charles Darwin s’interrogeait déjà sur l’existence d’une conscience animale. Il avait observé Jenny, femelle orang-outan du zoo de Londres, éprouvée un sentiment de colère alors que son gardien refusait de lui donner une pomme. Il eut alors l’idée de lui présenter un miroir, afin d’analyser ses réactions. Jenny, après une phase de surprise, reconnu son image. De nos jours, la conscience animale fait encore l’objet d’un vif débat. Les enjeux sont importants. Si les animaux sont susceptibles d’éprouver de la souffrance, s’ils sont conscients du monde, des autres et de leur propre existence, s’ils agissent en fonction de leurs savoirs et de leurs croyances, il n’est plus possible de les traiter comme des machines et la question de leur bien-être s’impose. Une théorie de la conscience De nombreuses théories tentent d’expliquer la conscience. Certaines excluent d’emblée la possibilité d’une conscience animale, d’autres, au contraire, étendent ce concept à de nombreuses espèces. La théories d’Edelman présentent l’avantage d’être étayées par les derniers travaux en neuroscience. Edelman décrit deux niveaux de conscience (Edelman et coll. 2011). • La conscience primaire est la capacité de lier des perceptions, des émotions et des éléments mémorisés et de créer des images mentales. Elle se réfère au présent et au passé remémoré sans perception réelle du passé et du futur. Elle permet de prendre conscience du monde qui nous entoure. Elle existe chez de nombreuses espèces animales. • La conscience secondaire est la capacité d’avoir accès à notre histoire, d’aller au-delà de notre passé remémoré. Elle permet par la pensée réflexive, d’être conscient d’être conscient. Elle est liée à la métacognition, aux pensées abstraites et au langage. La conscience émergerait de l’interaction entre deux groupes de structures cérébrales. Le tronc cérébral et le système limbique, d’une part, qui gèrent les fonctions organiques. Le thalamus et le cortex, d’autre part, qui intègrent les informations sensorielles. Représentation schématique de la théorie d’Edelman. La conscience primaire nait des interactions entre les structures cérébrales. La conscience secondaire nécessite la mise en jeu d’une mémoire biographique. Les travaux de Baars viennent compléter cette théorie (Baars 2005). Pour ce dernier, les bases physiques de la conscience sont des groupes de neurones, spatialement dispersés dans de nombreuses aires cérébrales et interconnectés. Ils constituent un Espace de Travail Global. Neurosciences et conscience Les progrès en neuroscience ont permis d’étayer les travaux d’Edelman et de Baars. Les échanges d’information synchronisés à partir d’aires cérébrales distantes sont mis en évidence par les techniques récentes. Un potentiel évoqué (ERP pour l’anglais EventRelated-Potential) désigne la modification du potentiel électrique produite par le système nerveux en réponse à une stimulation externe. L’échange d’information se traduit par l’émission d’ondes gamma synchronisées à 40 Hz (P40). Ce canal attentionnel conscient permet la prise de décision et éventuellement un acte moteur. Ces synchronisations sont 4 transitoires. Elles s’achèvent par l’émission d’une onde de fréquence 300 Hz (P300), potentiel inhibiteur qui ferme le canal attentionnel et permet la préparation de nouvelles synchronisations. La méthode ERP a été appliquée chez le cheval par Claude Tomberg (conférence, travaux non publiés). Elle a mis en évidence une synchronisation fronto-pariétale avec l’émission de bandes de fréquences P40 et P300. Des marqueurs de la conscience existent donc chez le cheval. L’IRM fonctionnel permet de mettre en évidence des aires de reconnaissance vocale dans le cerveau des chiens comme celui des humains. Les chiens possèdent des aires cérébrales auditives capables de percevoir les émotions contenues dans les paroles de leurs maîtres (Andics 2014). Le langage, révélateur de conscience L’écoute des paroles, des chants ou l’étude de la langue des signes chez certains animaux peuvent permettre de comprendre leurs pensées et de déterminer leurs niveaux de conscience. Certains perroquets, élevés dans un milieu particulièrement stimulant, maîtrisent le concept de volonté. Ils asso- 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS cient un mot à un concept ou à un objet. Ils sont conscients de la présence ou l’absence de leur partenaire humain et n’utilisent pas de phrases induisant une interaction sociale en leur absence (Kaufman et coll. 2013). Preuves éthologiques de la conscience animale La sentience est la capacité de percevoir ou de sentir son environnement et d’avoir des expériences subjectives. Elle constitue une conscience minimale. Si la perception de la douleur est reconnue chez les mammifères, certains auteurs nient encore, de nos jours, l’existence d’une souffrance chez les poissons. Pourtant, Lynne Sneddon a démontré que des récepteurs de la douleur existent chez les poissons téléostéens, ils sont identiques à ceux des mammifères et répondent aux mêmes stimuli. De plus, une douleur entraîne une activité électrique dans le cerveau antérieur et moyen de la truite. Les cerveaux des truites et des carpes modifient l’expression de certains gènes jusqu’à 6 heures après un stimulus douloureux. Enfin, des récepteurs opiacés existent chez les truites. L’administration de morphine avant l’exposition à une douleur permet de diminuer les réactions comportementales (Sneddon 2009). La sentience ne se limite pas aux mammifères. La conscience de soi est la capacité de se reconnaître soi-même comme un individu distinct de son environnement et des autres individus. Gallup a démontré que les chimpanzés se reconnaissaient dans un miroir (Gallup 1970). Ces travaux ont été très controversés pendant de nombreuses années. Suddendorf a confirmé dans une méta-analyse les travaux de Gallup. Il a rapporté l’existence de potentiel évoqué cognitif particulier de sujet confrontés à leur propre photographie (Suddendorf et Butler 2013). Howell et Bennett ont montré que les chiens n’utilisent pas la réflexion d’un miroir pour rechercher leur propriétaire (Howell et Bennett 2011). En 2013, ils ont tenté une autre expérience de recherche de nourriture à l’aide d’un miroir. Ce test a également été un échec, les chiens trouvant la nourriture à l’aide d’autres indices (Howell et coll. 2013). Le test du miroir n’est pas adapté à une espèce dont le sens dominant n’est pas la vision, l’olfaction et l’audition étant prépondérantes. Un test de reconnaissance de soi reste encore à inventer chez les carnivores. La métacognition est la connaissance de ses propres états mentaux. Des tests d’imitation sélective ont été réalisés chez le chien (Range et coll. 2007). Les résultats ont montré que les chiens réalisent une imitation sélective, dépendant des contraintes contextuelles. Ces capacités ne peuvent être expliquées par des processus non-mentaux (facilitation sociale et renforcement de stimuli). Ces résultats abondent dans le sens d’une métacognition au moins rudimentaire chez le chien. La théorie de l’esprit est la capacité de maîtriser des concepts tels que croire, savoir, connaître, vouloir et voir. Ainsi un animal possédant cette forme de conscience croit que les états mentaux jouent un rôle dans la survenue de comportement. Il déduit les états mentaux d’autres individus en observant leur apparence et leur comportement dans diverses circonstances. Chez le chien, l’équipe du Family Dog Project a réalisé un test d’attribution de connaissance (Virányi et coll. 2006). L’objectif était de déterminer si des enfants de moins de trois ans et des chiens adultes attribuaient ou non à une personne la connaissance d’un fait. Les chiens, comme les enfants, donnaient significativement plus d’indications au joueur, lorsque ce dernier n’avait pas vu ou le jouet était caché. Les chiens savaient si les joueurs connaissaient ou non l’emplacement de l’objet. Voir et savoir est un des éléments de la théorie de l’esprit. Le bien-être au travers du prisme de la conscience Lorsque la conscience animale est pour nous une évidence, chaque patient devient un sujet pensant, animé par des émotions. Nous nous rapprochons de nos clients, pour lesquels ce fait est certain. Notre façon de soigner évolue. Il n’est nul besoin de protocoles sophistiqués ou de grilles d’évaluation pour devenir des acteurs du bien-être animal dans ces conditions. Il suffit alors de considérer l’animal comme une personne et d’en tenir compte dans chacun de nos actes, dans chacune de nos décisions. Cette approche du bien-être est donc adaptée à chaque individu pris en charge. Elle diffère d’un animal à l’autre en fonction des besoins exprimés. Elle exige du personnel soignant une attitude ouverte et attentive. Ce que nous demande en premier lieu nos clients est de limiter la souffrance animale. La sentience animale, cette conscience minimale est présente chez toutes les espèces que nous soignons. Les progrès de la médecine vétérinaire dans le domaine de la prise en charge de la douleur sont importants. De nombreuses spécialités et de nouveaux protocoles existent pour répondre à cette attente. Nous devons également accepter que les animaux hospitalisés, qui mordent les barreaux de leur cage ou qui crient, communiquent avec nous et ne sont pas simplement des animaux pénibles ou mal éduqués. Que pou- 5 vons-nous faire pour répondre à cette forme de langage non verbal et accroître leur confort et leur bien-être ? La prise en charge des animaux passent également par l’évaluation de leur état mental. L’anorexie sur un vieil animal très médicalisé peut-être la conséquence d’un état dépressif. Des chiots atteints de gastroentérite hémorragiques et isolés en cage peuvent parfois mourir de la rupture du lien d’attachement, plutôt que de leur pathologie infectieuse. Les nouvelles thérapies comportementales prennent également en compte cet état de conscience. Il est ainsi possible de faire évoluer une relation conflictuelle entre un maître et son chien en utilisant les capacités cognitives de l’animal, en favorisant les processus collaboratifs dans la résolution de problème. Il est également possible d’utiliser les capacités de discernement d’un chien pour lui apprendre à se concentrer et se contrôler. Conclusion Les quelques travaux présentés démontrent l’existence d’une conscience animale. Cette conscience varie en fonction des espèces, des individus et du temps. Le plus faible niveau de conscience, marqué par la perception de la douleur existe chez tous les animaux que nous soignons quotidiennement. Il est probable, que de nombreuses espèces ne maintiennent pas en permanence un niveau élevé de conscience, car ce processus nécessite beaucoup d’énergie. Mais, sommes-nous toujours réellement conscients, lorsque nous conduisons une voiture ou nouons nos lacets de chaussure ? Cette prise de conscience de la conscience animale nous conduit à nous interroger souvent dans notre pratique quotidienne. Ce chiot qui crie au réveil d’une anesthésie a peut-être mal, il est aussi possible qu’il est simplement peur ou qu’il est besoin de réconfort et de chaleur humaine. Ce vieux chat de 17 ans, jamais malade jusqu’alors, à qui on découvre une insuffisance rénale, peut sans doute être pris en charge sans hospitalisation ou avec une hospitalisation de jour et rentrer chez lui le soir. Cette collerette qui rend fou ce chien très actif peut, peut-être, être remplacée par un pansement, des points intradermiques et une bonne gestion de la douleur. Ces interrogations ne doivent pas nous faire peur. Nous sommes capables de trouver des solutions pour chaque situation rencontrée et de progresser sur la voie du bien-être animal. Cette démarche conduit également à améliorer le bien-être de l’équipe soignante, qui agit en harmonie avec ses valeurs et évite la dis- 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS sonance cognitive si dévastatrice pour notre propre santé physique et psychologique. Les concepts de conscience, bien-être et « one health » sont indissociables. Howell, T. J., & Bennett, P. C. (2011). Can dogs (Canis familiaris) use a mirror to solve a problem? Journal of Veterinary Behavior: Clinical Applications and Research, 6(6), 306-312. Howell, T. J., Toukhsati, S., Conduit, R., & Bennett, P. (2013). Do dogs use a mirror to find hidden food?. Journal of Veterinary Behavior: Clinical Applications and Research, 8(6), 425-430. Bibliographie Andics, A., Gácsi, M., Faragó, T., Kis, A., & Miklósi, Á. (2014). Voice-sensitive regions in the dog and human brain are revealed by comparative fMRI. Current Biology, 24(5), 574-578. Baars, B. J. (2005). Global workspace theory of consciousness: toward a cognitive neuroscience of human experience. Progress in brain research, 150, 45-53. Edelman, G. M., Gally, J. A., & Baars, B. J. (2011). Biology of consciousness. Frontiers in psychology, 2, 4. Gallup, G. G. (1970). Chimpanzees: self-recognition. Science, 167(3914), 86-87. Kaufman, A. B., Colbert-White, E. N., & Burgess, C. (2013). Higher-order semantic structures in an African Grey parrot’s vocalizations: evidence from the hyperspace analog to language (HAL) model. Animal cognition, 16(5), 789-801. Range, F., Viranyi, Z., & Huber, L. (2007). Selective imitation in domestic dogs. Current Biology, 17(10), 868-872. Sneddon, L. U. (2009). Pain perception in fish: indicators and endpoints. ILAR journal, 50(4), 338-342. Suddendorf, T., & Butler, D. L. (2013). The nature of visual self-recognition. Trends in cognitive sciences, 17(3), 121-127. Virányi, Z., Topál, J., Miklósi, Á., & Csányi, V. (2006). A nonverbal test of knowledge attribution: a comparative study on dogs and children. Animal cognition, 9(1), 13-26. 6 Déclaration publique d’intérêts sous la responsabilité du ou des auteurs : • Aucun conflit d'intérêt 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS BIEN-ÊTRE ANIMAL PROGRAMME GÉNÉRAL Bien-être L’apport de l’approche comportementale dans le respect du bien-être en consultation Nathalie MARLOIS DV, titulaire du DIE de vétérinaire comportementaliste Clinique Vétérinaire de l’Albarine, 46 rue A. Bérard - F- 01500 AMBÉRIEU EN BUGEY Le bien-être animal est une préoccupation importante en élevage et dans notre relation aux animaux de compagnie, tant pour les maîtres que pour les structures vétérinaires. Notion peu précise et parfois galvaudée, le bien-être est souvent décrit en creux, par l’absence de signes de mal-être, de souffrance. Savoir repérer ces signes permet de sensibiliser l’équipe soignante, de tendre vers une meilleure pratique mais aussi de toucher les maîtres et parfois de les ouvrir à la prise en charge de troubles qu’ils pouvaient par ailleurs tolérer (comme une alopécie ventrale chez le chat). L’approche comportementale est intéressante car elle allie l’observation directe de l’animal, le questionnement des maîtres, l’examen clinique et permet de faire des hypothèses intégratives qui vont aboutir à des stratégies, préventives ou curatives. Au cours du temps, la psychiatrie vétérinaire a aussi développé des outils accessibles, qui permettent, sans réaliser une consultation complète de comportement, d’avoir une première image de l’état émotionnel d’un animal ou d’en réaliser le suivi. nombreux et peuvent différer d’une espèce à l’autre. tion de crainte proportionnelle à l’enjeu), la séquence comportementale est complète Quatre catégories d’observations peuvent être menées, à tout moment de la vie de l’animal, y compris lors de la visite chez le vétérinaire : Plasticité : de nouvelles réponses peuvent apparaître si l’environnement est favorable - Les manifestations organovégétatives (salivation, mydriase, tremblement, diarrhée, vidange des glandes annales, piloérection) - Les manifestations comportementales : fuite, évitement, agression, agitation, vocalises, hypervigilance - Les interactions : avec les maîtres, le personnel soignant, les autres animaux (interactions positives, recherchées, détendues, interactions en hyper ou en hypo, agressivité) - L’exploration de l’environnement (calme, hypertrophiée, en hauteur) Normal – Pathologique Un des enjeux essentiels de la consultation de comportement, comme de la consultation médicale est de déterminer si l’animal est dans un état « normal », ce qui ne veut pas dire sans inquiétude ou sans possible réaction, à la douleur par exemple, ou dans un état « pathologique » Bien-être – mal-être : décrypter les symptômes Le plus pertinent est de fonctionner en tenant compte de trois paramètres : adaptabilité, plasticité, réversibilité. Ces symptômes nécessitent une observation fine et contextualisée. Ils sont extrêmement Adaptabilité : la réponse comportementale ou émotionnelle est adaptée à la situation (réac- 7 Réversibilité, l’apaisement intervient en fin de séquence Des outils simples permettent de faire des hypothèses, y compris en consultation généraliste de l’existence d’un état pathologique. Des outils quantitatifs : grille 4 A, grille ETEC, grille EVEC, échelle EPEE Aucune des grilles qui peuvent être utilisées en sémiologie comportementale ou en clientèle généraliste pour évaluer l’état émotionnel d’un animal n’a été réellement validée. Elles sont, en revanche, utilisées couramment en pratique ou comme critère d’inclusion et de suivi de l’état émotionnel dans des études cliniques. Ces outils ont été développés essentiellement pour le chien. Grille 4 A Développée par C. Béata (disponible sur demande à son auteur) (1), elle donne une vision en 4 dimensions (Attachement, Autocontrôles, Anxiété, Agressivité) de l’animal, précisant les axes d’équilibre et de déséquilibre. Plus la note est élevée, plus la dimension est dégradée. 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS 8 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS Grille ETEC Pageat (2) a créé cette Echelle d’Evaluation des Troubles Emotionnels du chien pour mesurer les perturbations émotionnelles dont peuvent souffrir les chiens. La grille d’interprétation permet aisément de suspecter un état pathologique. Elle peut être un appui intéressant si une origine émotionnelle est suspectée lors de troubles organiques : digestifs (3), cutanés… (tableau 1A - 1B) Grille EVEC Cette Échelle d’Evaluation du Vieillissement Émotionnel et Cognitif de Pageat (2) permet d’appréhender un éventuel état pathologique chez le chien âgé. (tableau 2A - 2B) Echelle Pratique d’Evaluation Emotionnelle du chat (EPEE) Développée par Beata (4) pour évaluer l’état émotionnel du chat, elle explore les comportements d’un individu selon cinq critères : Ce type de grille apporte des informations plus riches que les grilles d’évaluation du stress basées uniquement sur les attitudes corporelles qui semblent peu fonctionnelles (5). Les postures pouvant souvent prêter à confusion chez le chat. (tableau 3A) Utilisation pratique Utiliser les grilles nécessite un entraînement. Elles sont prévues pour être remplies par le vétérinaire qui petit à petit deviendra plus compétent dans la connaissance des items et donc dans la manière de questionner et dans la signification des réponses. La quantification des résultats fournit : - Une aide au diagnostic : •Distinction normal-pathologique •Précision du diagnostic d’état - Un outil de suivi - Un outil de communication vis à vis des propriétaires qui vont ainsi visualiser les paramètres de bien être et de mal être de leur animal Le praticien ne peut faire reposer son diagnostic et les mesures de thérapie que sur des grilles. Les grilles constituent une porte d’entrée ou un soutien. En fonction de son évaluation globale de la situation, le vétérinaire pourra : - donner des conseils pour gérer un comportement gênant sur un animal par ailleurs équilibré, la base de critères très concrets. Il existe de nombreuses recommandations sur la gestion du stress à la clinique. Se doter d’outils pertinents d’évaluation de l’animal, cohérents avec une éventuelle prise en charge comportementale, permet d’accompagner un positionnement professionnel de la structure vétérinaire face au bien-être. Bibliographie 1/ Chevallier J. Etude préliminaire de l’évaluation de l’équilibre comportemental avec la grille 4A : quelle est la concordance entre les évaluations faites par des vétérinaires spécialistes et celles réalisées par des vétérinaires généralistes, et quels sont les effets d’annotations explicatives sur l’utilisation de la grille ? Mémoire pour l’obtention du titre de vétérinaire comportementaliste des ENVF 2010: 29 p. 2/ Pageat P. Pathologie du comportement du chien 2 ème edition. Ed Point Vet Maisons-Alfort 1998 : 367 p. - proposer une prise en charge thérapeutique de troubles émotionnels débutants ou ponctuels 3/ Marion M. Contribution à l’étude du lien entre les troubles gastriques chroniques et l’anxiété chez le chien. Mémoire pour l’obtention du titre de vétérinaire comportementaliste des ENVF 2002 : 45p. - conseiller une consultation de comportement lors de profondes modifications émotionnelles, sans perte de temps 4/ Béata et al. Effect of Alpha-Casozepine (Zylkene) on Anxiety in cats. Journal of veterinary behavior (2007) 2, 40-46. Conclusion 5/ McCobb E.C. and col Assessment of stress levels among cats in four animal shelters. JAVMA, Vol 226, No. 4, February 15, 2005 Le bien-être des animaux que nous soignons doit être un souci permanent qui améliore la qualité de la prise en charge, l’observance et le bien être des propriétaires qui sont plus en confiance ainsi que celui de toute l’équipe soignante. Il s’agit d’un regard à développer, sur Déclaration publique d’intérêts sous la responsabilité du ou des auteurs : • Aucun conflit d'intérêt Voir tableaux pages suivantes 9 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS Tableau 1 A Tableau 1 B 10 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS Tableau 2 A Tableau 2 B 11 24>26 novembre 2016 LILLE GRAND PALAIS Tableau 3 A 12