QUELLE CULTURE POUR AUJOURD`HUI ?

Transcription

QUELLE CULTURE POUR AUJOURD`HUI ?
7ème Café-philo
QUELLE CULTURE POUR AUJOURD'HUI ?
La culture de masse est-elle une non-culture ? La mondialisation culturelle est-elle un
nivellement ? Les exceptions culturelles sont-elles, au contraire, un danger ? Quelle réponse
au « choc des cultures » ?
Médiathèque municipale Oyonnax
Vendredi 7 juin 2013
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L'introduction d'Alain Vallée permet de dégager deux idées importantes :
1/ La culture est une transformation de soi par la fréquentation d'autres que soi : le terme vient du
latin « colere » qui signifie au départ « mettre en valeur un champ », puis plus largement « faire fructifier par
son travail ». La culture n'est donc pas le savoir ou les connaissances. C'est la transformation de soi qui se
produit à travers la fréquentation du savoir, d'œuvres d'art, ou encore d'autres personnes qui diffèrent de
nous. Cette transformation demeure même si on a oublié les connaissances qui l'ont produite. Par où se
justifie la formule souvent citée d'Edouard Herriot : « la culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié ».
2/ Nous avons tous une culture, alors que nous ne sommes pas tous cultivés : la notion de culture a
en effet deux sens qui apparaissent quand on distingue « avoir une culture » et « avoir de la culture ». (De la
même manière, et ce n'est pas sans rapport, on opposera avoir une personnalité et avoir de la personnalité.)
« Avoir une culture », c'est le sens sociologique. Nous naissons tous avec, nous appartenons à, nous
baignons dans une culture car nous vivons en société. La culture se définit alors comme « l'ensemble des
traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe
social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain,
les systèmes de valeur, les traditions et les croyances » (définition de l'UNESCO en 1982). Il n'existe donc
pas de société sans culture : « le barbare, dit Lévi-Strauss, c'est celui qui croit à la barbarie », celui qui, par
manque d'ouverture, méconnait ou rejette des formes culturelles qui diffèrent des siennes.
La culture, au sens personnel (« avoir de la culture ») peut se définir comme ce que nous
entreprenons de faire par nous-mêmes de l'héritage reçu. Même si nous y sommes très attachés, nous
subissons notre culture au sens sociologique : elle est ce qu'on a fait de nous. Au contraire, nous construisons
nous-mêmes notre culture personnelle : comme le dit Sartre, « l'important n'est pas ce qu'on fait de nous,
mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous » (in Saint Genet comédien et martyr).
La discussion de notre « café-philo » porte surtout sur le second sens : la culture personnelle. Elle
nous permet d'approfondir les distinctions proposées en introduction et d'en introduire d'autres qui nous
posent question.
1/ Nous approfondissons la distinction entre culture et savoir: à partir d'une information entendue à
la radio ou à la télé, par exemple ce jeune homme tué par un groupe d'extrême droite, on va aller plus loin et
s'interroger : qu'est-ce que l'extrême droite? Qu'est-ce que la violence? Pourquoi est-elle présente dans nos
sociétés ? On passe alors de l'information brute à la culture. Cette dernière est ce qui croît, se développe en
nous à partir de « la petite graine » de l'information grâce à une reprise personnelle, une intériorisation, un
questionnement, un jugement.
2/ Quelle différence faire entre culture et divertissement ? Le divertissement va au facile et nous
laisse passifs : il propose seulement une détente, un loisir, la consommation d'un spectacle. La culture
suppose une attitude active, un effort personnel. Elle est plus enrichissante, nous ouvre à d'autres qui
diffèrent de nous et nous transforme de l'intérieur.
3/ Qu'entendre par culture de masse ? Elle est ce que tout le monde connait, ce dont tout le monde
parle, véhiculée par les grands medias ; on peut la définir comme un langage commun. S'agit-il d'une nonculture ? Oui, selon certains intellectuels (A. Finkielkraut par exemple) car elle s'identifie à l'industrie de
medias orientés avant tout vers le profit. Cela dit, la culture populaire nous semble une authentique culture :
Harry Potter par exemple témoigne d'une belle imagination. Et il ne faut pas oublier que toutes les
innovations culturelles sont d'abord dénigrées et rejetées, ainsi, par exemple, naguère, le jazz, le roman
policier, la bande dessinée que l'on reconnaît aujourd'hui comme des formes culturelles parfaitement
authentiques. La culture de masse est aujourd'hui mondialisée, ce qui présente le risque d'une uniformisation
des modes de vie et de pensée et celui d'une disparition de cultures minoritaires (régionales, orales...) mais
cette mondialisation est aussi un rempart contre le choc des cultures.
4/ Il existe des moyens multiples de se cultiver : lire, écouter la radio, regarder la télé, aller au
théâtre, au cinéma ou au musée, voyager... Mais ils ne sont pas interchangeables : on n'acquiert pas le même
type ou le même degré de culture avec chacun d'eux. Par exemple, à la radio, on est obligé d'écouter, avec la
télé, on peut rester passif : voir sans regarder ni écouter, zapper... On encore : la lecture suscite l'imagination ;
l'image la bloque ou l'annule ; c'est ce qui explique qu'on soit souvent déçu quand on compare le livre (Harry
Potter, Le Grand Meaulnes) avec son adaptation au cinéma : notre imaginaire ne s'y retrouve pas, il doit
disparaître au profit de celui d'un autre.
5/La culture passe aujourd'hui de plus en plus par l'utilisation d’Internet (même si, bien sûr, elle ne
s'y réduit pas) ; il était donc inévitable et pertinent qu'un bonne part de la discussion porte sur cette question.
Internet nous semble d'abord un moyen de culture extrêmement riche :
Il permet d'abord une extension de la culture au plus grand nombre et est un formidable vecteur d'égalité
: bon marché, il est présent presque partout dans le monde, notamment dans les pays émergents.
Il suppose une activité, ce que ne permet pas, par exemple, la télévision qui peut nous rendre plus
passifs. Il faut aller chercher l'information, la choisir parmi d'autres ; on peut participer à l'élaboration
d'un savoir ou d'une réflexion, à travers Wikipédia, par exemple.
Surtout, Internet permet une interactivité, il n'est pas seulement un moyen d'information mais de
communication par les blogs, les forums, les réseaux sociaux ; un extraordinaire, disent certains, créateur
de lien social : on peut échanger, partager des savoirs et ainsi créer du neuf.
Internet est aussi (c'est une évidence) un multimédia : on n'y trouve pas seulement des mots mais des
images, des musiques...Et ce media nouveau permet une conservation ou une renaissance de formes
culturelles plus anciennes : la photo en noir et blanc, les vieilles archives de toutes sortes, le disque
vinyl...
Cette richesse, pour ce qu'il en est de la culture, ne nous semble toutefois pas sans dangers :
Le premier est le risque de la désinformation. Terme qu'il faut entendre en deux sens : l'information
erronée (il y en a beaucoup sur le Net). Mais aussi, plus grave : la surinformation : l'avalanche, la « foire
aux idées », dans laquelle on échoue à distinguer l'important de l'accessoire. Quand on est sur-stimulé, on
n'a plus le temps de pause nécessaire à la décantation de l'information, le temps de réflexion qui permet
qu'elle se transforme en culture.
Il y a alors un risque d'éparpillement (un certain nombre d'entre nous avoue perdre bien du temps face à
l'écran) aux dépens d'une réflexion plus approfondie ; notre « culture » croît certes en extension mais
décroît en compréhension, ce qui revient à dire qu'elle risque d'être une pseudo-culture. C'est ce danger
qu'analyse Michel Serres dans son livre Petite Poucette.
Michel Serres montre aussi qu'à partir de la génération Internet, à l'école, les cours ne fonctionnent plus.
Les enseignants présents en font aussi le constat : omniprésent en primaire, au collège ou au lycée, le
bavardage tend à envahir l'Université. Les élèves n'écoutent plus le professeur puisqu'ils peuvent trouver
le savoir ailleurs et puisqu'ils ont déjà entendu parler du sujet traité, ils croient alors savoir ce qu'en fait
ils ne savent pas vraiment. Le professeur est désacralisé, et le savoir des élèves mal assimilé. Les
nouvelles technologies nous semblent alors une occasion de repenser le rôle du professeur. Il devra sans
doute mieux les utiliser mais il reste indispensable car il permet l'incarnation du savoir, la grâce d'une
rencontre assez souvent ; c'est lui qui permet d'organiser des connaissances qui seraient, sinon,
dépourvues de sens et de cohérence, lui encore qui apprend à réfléchir : on peut trouver des informations
sur Internet mais les jeunes ne peuvent acquérir une vraie culture seuls face à leurs écrans. En fait les
bons professeurs transmettent une culture, les autres des savoirs.
Nous nous sommes enfin interrogés sur le lien social à l'heure d'Internet. Nos jeunes qui ont des
centaines d'amis virtuels nous semblent avoir de la difficulté à aller vers l'autre dans la réalité ! Rien ne
peut remplacer le contact par la parole, cet échange où, parce qu'on se voit, on peut percevoir les
expressions et les sentiments d'un autre alors que son invisibilité autorise facilement l'insulte ou le
mépris. A être trop souvent sur nos écrans, nous perdons aussi le contact avec notre corps ou la nature,
des formes de culture pourtant essentielles.
En résumé, la culture est dans l'échange avec les autres, la personne qui veut se cultiver doit être
active, approfondir (l'intégration, la sédimentation sont essentielles) ; la culture est liée au temps et ce
qu'on appelle les « temps morts », ceux où l'on se reprend, soi, son être et son savoir, sa personnalité au
fond, sont les plus vivants.
Catherine Vallée & Béatrice Scola (notes)