format PDF - En attendant Modo

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format PDF - En attendant Modo
EN
ATTENDANT
MODO
KJ
Enquête bookcrosso-littéraire
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FEATURING:
eux · 12 ju illet 2 005
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n
sio
D : 215-3028292
BCI
: http://enattendantmodo.free.fr/
ANDRAS
DAMNED-MARCEL
Septentria
MOSAVA
Dingus
SNOOW
Pandore
Ginaluna
Tyhma
Lancelot-du-lac
Olwe
Badral
Elj
Mamoune
Bilbi
Da-chronic
Misou
Stephenteam
Lesezeichen
Lapeste
Coffee-break
Bacicoline
Lola-France
Abstraite
Andromeda23
Cafardkiller
Omne
Tit-vinz
Tennessee4919
Seg0
Blue-orange
Babettbaboon
Girlinthemoon
Toflabeuze
Andras
Debwin
Petitcercle
Dooimy
Lordofzeringo
Badgam
Darwinara
Pitoune
Victor-Schmara
Jaed
Un enquête (rondement) menée par les BookCorsaires francophones
http://www.bookcrossing.com/forum/17
http://bookcrossing.apinc.org/
http://enattendantmodo.free.fr/
En attendant Modo
En attendant Modo
Une nouvelle enquête d'Alfred Bogué
Cette histoire de modo commençait vraiment à m'échauffer les oreilles. Ca
avait débuté sur internet, dans une communauté de gentils allumés des
bouquins. Evidemment, à l'époque j'avais encore jamais entendu parler d'eux.
Je venais juste de boucler une affaire d'adultère, le genre d'embrouille classique
qui ferait même pas palpiter le cœur d'une midinette, quand j'ai reçu ce
mystérieux coup de fil.
La voix était plutôt pas mal, et quand je dis pas mal... c'était du genre velours,
voyez, une que vous aimeriez bien fréquenter d'un peu plus près si c'était
possible. Mais franchement aujourd'hui, c'est plus une voix qui suffirait à me
faire embrayer sur une affaire. Par contre, le petit paquet de fraîche que j'ai vu
arriver dans une enveloppe rebondie était beaucoup plus convaincant.
La frangine au téléphone m'en a déballé une bonne tranche, et elle répondait
pas toujours à mes questions. Voilà ce que j'ai compris.
A l'origine, il y avait eu une banale plaisanterie. Quelqu'un, débarqué d'on ne
sait où avait lancé sur le forum « Salut, c'est moi le grand modérateur », et
manifestement, il la jouait un peu provoc. Les réactions n'avaient pas tardé.
C'était tombé comme à Gravelotte, parce qu'il faut vous dire que les
bookcorsaires -c'est comme ça qu'ils s'appellent-, c'est pas des ramollis du
cerveau.
La chantilly était montée, et ils cherchaient tous à savoir qui était le malin qui
se cachait derrière ce pseudo. Là, je vous dois une explication: figurez-vous
que pour simplifier mes affaires, y'en pas un qui affiche son vrai nom, et je
vous mets au défi de retrouver vos petits au milieu de ces Da-chronic,
Nobodysperfect, Matindautomne, LordSchizzo, Atma et compagnie. Et voilà
qu'aujourd'hui apparemment, ce maudit modo (le surnom dont ils avaient
aussitôt affublé ce modérateur) s'était évaporé dans la nature, et qu'il manquait
cruellement à quelqu'un.
Une voix à faire relever tous mes aïeux dans leurs cercueils me demandait de le
retrouver, et tout ce qu'elle me proposait en pâture, c'était une liste de noms à
coucher dehors sous la pluie, et une sombre histoire de bouquins planqués qui
font des petits partout, en France, en Navarre, et peut-être bien au-delà...
Du coup, mettez-vous à ma place, elle me laissait pas vraiment le choix: il
fallait que je la rencontre, la mignonne, pour en savoir un peu plus long.
Croyez-en mon expérience: la confrontation, y'a que ça de vrai. Après tout ce
que j'ai vécu, je connais ce coup-là comme si je l'avais inventé; c'est banal à
chialer: vous vous pointez pour rencontrer la gisquette éplorée qui a perdu son
jules, et vous vous retrouvez face à une mante-religieuse avec du sang tout
frais sur les mandibules.
C'est pas sans réticence qu'elle accepta de me donner ce rancard pourrave.
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En attendant Modo
Chapitre 1
Chapitre de damned-marcel se déroulant à Fosses
C'est à Fosses, obscure petite ville du Val d'Oise, devant un bar aux néons
moribonds, que le Combi Volkswagen d'Alfred Bogué s'arrêta. «Au Rallye, à 21h.
Parole de moi, ça s'appelle presque de l'avance», se dit le privé en regardant sa
montre.
Il poussa la porte du café. «A quoi peut bien ressembler ma Jessica Rabbit?».
L'air de trop rien, il cherchait parmi les clients, encore assez nombreux à cette
heure, une créature pulpeuse en robe lamée, et tant qu'à faire, aux longs
cheveux roux en cascade. «Dans tes rêves, Fredo. Non seulement, je vois pas
l'ombre d'une paillette, mais les souris m'ont tout l'air d'avoir déserté le rade».
Il s'installa devant une table marquée d'auréoles de bière, où traînait encore un
verre vide.
«Vous me reconnaîtrez: je lirai» avait-elle dit. Bien.
Dans un coin, un pékin un peu fait déployait amoureusement sur son torse un
journal du jour, Parisien libéré ou prévisions des courses, au papier aussi torché
que lui, et dans ce café sans charme, c'était toute l'harmonie qu'on pouvait
espérer trouver, ce poivrot et son Paris-turf assorti.
«Mouais, voilà bien un accessoire de lecture, mais pour le reste... Si la voix que
j'ai entendue au bigophone se trouve à l'intérieur de ce corps imbibé, je veux
bien avaler ma carte de privé, et me faire engager chez les petits chanteurs à
la croix de bois».
Le patron, bel homme avenant sans aucun des signes qu'on se serait attendu à
trouver chez un bistroquier, vint s'enquérir de la commande.
La Jenlain s'affichant absente, Bogué, pour rester dans les tons de la table,
demanda un demi pression.
Son joli rancard avait manifestement l'intention de se faire désirer.
Parfait. Il avait la nuit devant lui. Rien de chaud ni de moelleux ne l'attendait
nulle part, mis à part son lit, sur lequel il savait pouvoir compter -les moutons
notamment-, comme sur une parfaite épouse mais en mieux.
Le regard dérivant au gré des vagues de fumée, Bogué essayait de combiner
les rares éléments dont il disposait pour progresser dans cette énigme, lorsque
la porte du troquet s'ouvrit pour laisser entrer quelqu'un, ce qui n'arrivait plus
depuis un bon moment.
Détail non négligeable, ce quelqu'un là tenait un livre.
Et, c'était une femme.
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Certes, pas celle qu'on espérait, mais Bogué se dit que cette arrivée lui
permettrait peut-être d'ajouter un plus dans la colonne des moins.
Bajoues et cheveux courts, chaussures plates de bonne soeur, tenue sans
forme et sans paillettes, certain âge assez incertain, elle semblait remonter des
grands fonds, et se trouver piégée dans la lumière pourtant bien chiche que
dispensaient les vilains plafonniers du bar.
Elle se dirigea finalement, après quelques longues minutes où les conversations
avaient cessé, vers la table d'Alfred Bogué, et s'assit gauchement en face de lui.
«Euh, bonsoir, vous êtes le détective, c'est ça?».
La voix? Ca n'était pas la bonne non plus, du moins... Non... ou alors... ça
voulait dire que la mémère était vraiment, mais alors SACREMENT meilleure
actrice qu'elle n'en avait l'air.
Il décida de jouer son gentil, et se releva brièvement en lui tendant la main:
«Enchanté, Alfred Bogué pour vous servir. En quoi puis-je vous être utile,
Madame, Madame...?»
«Euh, je... Danielle Merced. Pardonnez-moi ». Elle triturait sans rien dire le
verre vide devant elle. Bogué la regardait en douce. D'ou sortait-elle, celle-ci?
connaissait-elle le modo? connaissait-elle la Voix? était-elle l'un ou l'autre?
commanditaire, ou pion? entre les mains de qui?
« Voilà, commença-t-elle, je... en fait... j'ai un message pour vous ».
Bogué attendait la suite, s'efforçant de lui présenter un visage à la fois attentif
et avenant, ce qu'il avait trouvé de mieux en magasin.
Elle continua, d'une voix à peine audible «Vous n'êtes pas le seul à chercher.
Shéhérazade pourra vous aider »
«Vous voulez dire... Quelqu'un sur le site? le forum? Ou bien? Vous-même,
vous faites partie de la communauté?»
Elle restait immobile et muette, puis reculant bruyamment la chaise sur laquelle
elle n'était qu'à moitié assise, elle se releva brusquement, et fila étonnamment
vite, en marmonnant quelques excuses.
Lourde et lente elle avait semblé, mais elle s'était évaporée sans autre préavis.
Bogué régla sa bière, s'avança vers la porte. La pluie était de sortie, il aperçut
deux silhouettes frileuses filant vers leur morne destinée. Il releva son col.
Au lieu de la flamboyante frangine qu'il avait imaginé rencontrer, il se
retrouvait avec la vague image d'une vague personne, et un indice qui ne lui
disait pas grand-chose. Il n'était pas seul à chercher, avait dit la messagère.
Shéhérazade en tous les cas pouvait très bien co-habiter dans sa tête avec sa
commanditaire mystérieuse. Dans le genre obsession, il avait connu pire...
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Avant se retourner dans ses pénates, il s'arrêta devant un plan de la ville,
planté au bord de ce qui lui paraissait être un champ sans fin, s'enfonçant dans
le noir jusqu'au bord du monde.
Il se félicita d'avoir un briquet -l'orthodoxie des fumeurs de pipe ne le
concernait pas vraiment-, pour arriver à déchiffrer d'un peu plus près la liste
des rues et leur entrelacement.
Finalement, ce bled avait au moins un aspect sympathique, comme quoi, ça
vaut parfois le coup d'essayer d'aller un peu plus loin. Le plan de la ville était
un vrai poème, un annuaire pour les rêveurs, une liste évocatrice d'écrivains et
de musiciens, de héros de romans, et d'aventuriers.
Il lui faudrait peut-être revenir dans les parages, tôt ou tard, et peut-être bien
avant longtemps.
Pour l'instant, un petit somme ne serait pas du luxe. En remontant dans son
tacot, il se répéta une de ses phrases favorites, dont il était si fier d'être
l'auteur: demain sera un autre jour.
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Chapitre 2
Chapitre de Ginaluna se déroulant à Strasbourg
Qu'est ce qui m'avait pris de suivre cette fausse piste dans ce bouge minable
du Val d'Oise. J'étais rentré trempé, transi, et crotté, pour me jeter avec
reconnaissance sur mon lit moutonneux, et rabattre ma courtepointe sur cette
foutue affaire. Et ce matin, je n'étais pas plus avancé, tout cotonneux devant
mon premier café. Qu'est ce que cette Danielle Merced avait bien voulu dire?
Au diable sa timidité maladive, j'allais empoigner un bon vieil annuaire, et lui
demander de combiné à combiné quelques explications. Du moins c'est ce que
je m'apprêtais à faire lorsque ma concierge sonna à ma porte.
«Eu'l courrier !»
Merci madame Grinderche. Quelques factures, publicités, une carte postale de
Strasbourg. Une carte postale de Strasbourg ? Je n'y connaissais personne.
Incendiée par les prussiens
J'ai abrité en mon sein
Un incunable inestimable.
Soyez raisonnable
Pour retrouver Modo vivant
Partez dès maintenant
Un scribouillard m'adressait un poème bancal, sans aucune autre signature
qu'un livre en train de courir. Après son lapin au bar, Voix de Velours
m'entraînait à l'autre bout du pays.
Soit. Rien ne me retenait ici que l'intégrale des enquêtes de Derrick en poche.
Je décidais de l'emmener avec moi, au cas où la capitale alsacienne se
révélerait peu attrayante, au moins aurais-je quelque lecture.
Je pris aussitôt la route de l'Est dans mon vieux combi volkswagen. Sur l'aire
d'autoroute de Nancy, j'eus tout le loisir de me pencher sur la mystérieuse
missive. Elle était postée de Strasbourg Bourse, selon le cachet de la poste.
L'écriture était fine, nerveuse, appliquée... féminine. Voix de Velours ? Non,
cette femme là écrivait rondement... Le lieu était plus obscur... Le Guide Vert
acheté au relais H m'appris qu'une grande partie du vieux Strasbourg avait été
incendié par les prussiens lors du siège de 1870. J'avançais à petits pas, et la
vie de Modo était en jeu.
L'incunable me mit la puce à l'oreille. Je décidai, sitôt arrivé à Strasbourg, de
me rendre aux archives de la ville et d'interroger un de ces éminents
spécialistes de vieux papiers, un de ces bibliophiles qui vivent sans voir d'autre
lumière que celle de leur abat jour verdâtre, à la lueur duquel ils déchiffrent les
précieux manuscrits.
Quelle ne fut pas ma surprise, en me stationnant route du Rhin, de tomber sur
un bâtiment flambant neuf, en face d'un cinéma géant dernier cri. Je fus
accueilli non pas par une relique humanoïde, mais par une fraîche et accorte
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jeune femme à qui je montrai à tout hasard ma carte postale. Franchement
amusée d'abord : «vous en recevez, de drôles de lettres anonymes», elle se
montra ensuite très professionnelle, et me guida jusqu'à son bureau, une pièce
lumineuse décorée de plantes vertes.
«Vous avez de la chance d'être tombé sur moi. Je suis chargée de conserver,
de restaurer et de numériser les plans séculaires de Strasbourg pour les mettre
à la disposition du public sans que celui-ci ne les abîme.»
Elle alluma un ordinateur, ouvrit quelques dossiers virtuels, et afficha bientôt
sur son écran la photo d'une imposante construction de pierre.
«Voici l'actuel Temple-Neuf. Il a été construit à la place de l'ancienne Grande
Bibliothèque
de Strasbourg, incendiée par les prussiens lors du siège de 1870. C'est votre
histoire
d'incunable qui m'a mise sur la voie. Le manuscrit du Jardin des Délices,
richement enluminé
par la religieuse Herade de Landsberg en 1540 y était conservé
- Ce manuscrit, où est il maintenant ?
- Hélas, il a brûlé avec la Grande Bibliothèque. C'est une perte considérable
pour notre patrimoine national. Je crois que vous devriez vous rendre au
Temple-Neuf. Votre Modo vous y attend peut être ?»
Temple neuf. Grosse bâtisse en pierre de taille dont l'architecture néo germanique n'a rien à voir avec le chef d'œuvre d'art roman qui périt sous les
flammes. Ce guide touristique fait du lyrisme, il me tirerait presque des larmes.
J'entre dans l'édifice religieux, où ma machiavélique messagère doit m'attendre,
planquée dans un confessionnal. Pas un chat. Quelques grenouilles de bénitier
protestent des incantations. Leur office terminé, elles se lèvent et s'en vont
vers d'autres cieux. Une silhouette plus attrayante enveloppée dans une parka
satinée s'attarde auprès des cierges. Voix de Velours ... se faufile vers la sortie.
Je file sur ses talons, mais un objet s'engouffre sous ma semelle et me fait
perdre l'équilibre.
Je maudirais bien ce sacré porte-carte s'il ne contenait pas la clé de la suite de
mon périple. Tout en frottant mes genoux endoloris, j'en tire un morceau de
papier orné du même petit livre qui court :
Bravo d'être arrivé jusqu'ici. Vous n'êtes pas aussi bête que vous en avez l'air.
Tomi Ungerer vous aidera à trouver Modo. Rendez vous au numéro 3 de la rue
Kuhn.
Ne traînez pas trop.
Loin de me vexer, cette missive me rendit tout guilleret. En effet, j'avais chez
moi quelques reproductions des estampes coquines du Sieur Ungerer, mais
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j'ignorais qu'il fût alsacien. Réjoui à l'idée de rencontrer le célèbre illustrateur
amateur de sado-masochisme, je traversai le centre historique de Strasbourg
sans même prendre le temps d'admirer les maisons traditionnelles de la place
de la Cathédrale. La rue Kuhn était un peu excentrée, mais après avoir tourné
en rond dans le quartier de la gare, je finis par parvenir à ce que je crus être la
demeure de Tomi Ungerer. Peine perdue, et peste soit de cette monomaniaque
de Voix de Velours, je me retrouvais devant un énième bâtiment culturel. Peut
être l'écrivain donnait il une conférence dans la bibliothèque municipale ?
Perplexe, j'entrai. Pas d'accorte jeune femme en vue, mais des bibliothécaires
dont l'aspect correspondait en tout point à leur réputation. Devant la franche
hilarité de la bougresse lorsque je demandai à voir Mr Ungerer, je me promis de
lui donner rendez vous avec les semelles de mes souliers si d'aventure elle
recroisait mon chemin.
A ma décharge, je fus tout honteux de n'avoir pas pensé plus tôt à consulter le
rayon des ouvrages d'art contemporain, où je pus trouver l'œuvre complète de
mon idole. Un ouvrage en particulier attira mon attention, un livre pour enfants
« les trois brigands ». Une pochette cartonnée colorée était scotchée au dos du
recueil. Sur un grand morceau de papier Canson était peint ce message imagé.
Il était temps de faire appel à un spécialiste. Heureusement, j'avais plein de
gamins sous la main. J'en chopai un au vol, et lui exhibai mon rébus.
«Qu'est ce que ça veut dire, selon toi ?»
- Trop fastoche ! Un « s », un œuf en anglais, un monsieur qui travaille dans un
moulin en allemand.
- Merci petit. »
Toujours se munir d'auxiliaires. Il ne me restait plus qu'à trouver quelqu'un
répondant au doux nom de S - egg - muller.
Je retournai place de la Cathédrale dans l'idée de nous offrir, à moi et à mon
flair, un demi et un pipe à la maison Kammertzel. Mais la poste centrale me fit
changer d'avis.
« Seggmuller... Seegmuller... » Pages jaunes, rien. Pages blanches... pas
davantage. J'étais sur le point d'abandonner quand une vénérable ancêtre me
tira par la manche
«Vous cherchez les Seggmuller ?» me demanda-t-elle avec un accent alsacien
si prononcé que je dus lui faire répéter sa question «Vous n'avez pas la bonne
orthographe ! C'est SeEgmuller. Mais même comme ça vous ne les trouverez
pas. Ca fait bien longtemps qu'ils ont quitté Strasbourg. Mon mari a travaillé
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toute sa vie aux entrepôts d'armement... hooo oui, c'était le bon temps... la vie
était facile alors... bon salaire.. on allait à la guinguette à Neudorf tous les
samedi soirs. J'étais la plus courtisée, un beau brin de fille, vous savez ...
Maintenant tout est laissé à l'abandon... on dit qu'ils vont tout détruire, et
construire une bibliothèque à la place...
- Mais de quoi parlez vous madame ? Où se trouvent ces entrepôts ?
- Allez donc voir route du Rhin, derrière cet affreux cinéma.»
Retour à la case départ. J'aurais pu récupérer mon combi toujours stationné,
avec une amende en prime, devant les archives municipales, et m'en retourner
à Paris et tant pis pour Voix de Velours, ces bouquins à la mords-moi-le-nœud...
Modo n'existait pas, cette histoire était inventée de toutes pièces par une
célibataire enquiquineuse... je n'avais même pas goûté à la Fischer locale et
j'étais mort de fatigue. Pourtant quelque chose me poussait à continuer.
L'amour des belles histoires et des fins heureuses, où Derrick trouve l'assassin
et se fend la poire dans son bureau marronnasse avec son brave sous-fifre.
Je contournai le cinéma par l'arrière, pénétrai sur l'îlot, sinistre avec ses
monstres de fer, sa voie ferrée avortée, ses tours aux vitres brisées...
j'avançais péniblement dans les ornières, et trébuchais sur des barbelés, la
main crispée sur le tuyau de ma pipe... je crus voir à 20m de moi, au bord de
l'Ill, une silhouette furtive drapée dans une parka satinée... je jetai un cri
d'alerte, me mis à courir et soudain, douleur intense à la tête, le noir, la chute...
Lorsque je repris conscience, j'étais couché à l'arrière de mon combi, avec dans
ma main droite, ma tète, affublée d'une migraine atroce et d'une vilaine plaie
au cuir chevelu, et dans l'autre, un livre : «La Grande Bibliothèque» d'Hubert
Bari.
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En attendant Modo
Chapitre 3
Chapitre de Lancelot-du-lac se déroulant à Genève
Alfred Bogué, suite à son agression dans ce parking de Strasbourg, a été
retrouvé inanimé par un passant qui a assisté impuissant à la scène. Il l'a
transporté à l'hôpital.
Heureusement que la blessure n'est pas bien grave. Il en est ressorti peu de
temps après avec un petit pansement sur la tête. Néanmoins le passant a
relevé que la voiture dans laquelle Voix-de-Velours a pris la fuite portait un
autocollant CH, qui signifie "Confédération helvétique". Les plaques
minéralogiques commencent par deux lettres: GE, suivies par des chiffres. "Les
chiffres je ne m'en suis pas rappelé": disait-il à Bogué.
GE pour Genève.
Ce détail correspondait aux éléments fournis par son commanditaire: Modo
était témoin involontaire dans une affaire de blanchiment d'argent par la Mafia
italienne. Et Genève devrait être un des centres de recyclage des fonds
provenant de ce trafic illégal.
Sur ces faits, Alfred Bogué saute dans sa combi VW pour aller à Genève. Après
avoir passé le pont de l'Europe, il transite d'abord par l'Allemagne avant
d'arriver en Suisse à Bâle. Il traverse successivement les villes de Berne,
Lausanne et enfin après un peu plus de 400 bornes, il arrive à Genève tard
dans la soirée.
Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour débarquer à l'hôtel Cornavin où il
loue une chambre. Le temps de prendre un bon repas et une douche bien
chaude, il se met au lit, crevé par la fatigue du voyage et des événements.
Le lendemain il sort son labtob pour relever son courrier électronique.
L'inconnue lui a envoyé un emel avec des informations complémentaires.
Modo a été témoin malgré lui d'une scène de racket au moment de son passage
à Strasbourg. De nature curieuse, et ayant dans les veines du sang
chevaleresque, il s'obstine à vouloir mettre au grand jour ce circuit illégal.
L'enquête de Modo l'a amené à Niederschaeffolsheim, petit bled perdu dans la
campagne alsacienne. Il y a fait connaissance d'un certain Pedro de la Castagna,
à l'hôtel restaurant le Boeuf Rouge. Au moment de la rencontre, de la Castagna
était venu dans la région pour "affaires". Citoyen italien établi en Suisse depuis
de nombreuses années, patron d'une société fiduciaire travaillant en réseau
avec une étude d'avocats et une banque d'affaires, de la Castagna est
spécialiste de l'évasion fiscale.
Sous couverture de multiples sociétés écrans, destinées à brouiller les pistes
des autorités fiscales du monde entier, l'argent provenant d'un commerce
illicite transite tour à tour par différents paradis fiscaux (Bahamas, Caymans,
Liechtenstein, Panama,...) avant d'être rapatrié au pays d'origine où il dort
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tranquillement à l'abri d'une structure financière connue sous forme de trust ou
fondation, dont les ADE (ayant-droit économiques) et fondés de procuration
sont des honorables hommes de paille rémunérés pour la cause.
Pour obtenir ces informations, Modo a dû se faire passer pour un richissime
homme d'affaires, bavard et imbu de lui-même, cherchant des opportunités
intéressantes pour soutirer sa fortune aux appétits de plus en plus croissants
du fisc.
L'inconnue a joint à son emel une photo de ce Pedro de la Castagna.
Une information supplémentaire fournie par l'inconnue : Pedro de la Castagna a
rendez-vous pour une transaction importante dans le courant de cet après-midi,
dans une banque située dans le quartier de l'église russe à Genève.
La raison sociale de la banque impliquée s'apparente à une pierre précieuse, la
plus brillante et la plus dure de toutes, le plus souvent incolore. Pas de détails
supplémentaires, l'inconnue n'étant sûrement pas une initiée du monde
bancaire.
Bogué se présente sans tarder au Registre du Commerce genevois pour avoir
des renseignements concernant une banque répondant à ce signalement.
Grâce à la gentillesse de l'employée qui l'a reçu au guichet, il obtient la raison
sociale de cet établissement et même son adresse en prime.
Puis, sans perdre de temps, il s'y rend pour faire le guet.
Trouvant facilement une place de parc à proximité immédiate de la banque, il
se met à bourrer sa pipe d'Amsterdamer et fume par petites bouffées en
attendant la suite des événements.
Il est 13h. Comme les heures de fermeture se situent entre midi et 14h, il y a
de fortes chances que ce rendez-vous ait lieu plus tard.
Ne voulant pas trop attirer l'attention sur lui, il ne va pas non plus se faire
remarquer en entrant dans la banque pour demander les horaires d'ouverture.
Extérieurement la banque passe inaperçue au milieu des autres immeubles
anodins qui l'entourent. Située en plein dans une rue où pullulent les études
d'avocats les plus illustres de Genève, elle s'apparente plutôt à un hôtel
particulier assez modeste. Seule une plaquette dorée révèle une activité
hautement financière. A gauche, une autre plaquette dorée indique le numéro
de l'adresse.
Il n'y a pas trop d'allées et venues devant l'entrée de la banque, ce qui facilite
ses observations. Des gens qui entrent en courant. Sûrement des employés
revenant de déjeuner. Mais aucun n'en sort.
Puis le regard du détective privé est attiré par une Porsche rouge qui ralentit à
l'approche de l'immeuble surveillé. Après s'être enfin arrêté, le conducteur
descend de la voiture. Selon la photo que Bogué a vue, c'est bien de la
Castagna. en chair et en os.
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Un petit klaxon retentit au loin, l'Italien se tourne vers une voiture, une
Peugeot 306 verte parquant au loin. Deux courts appels de phares qui
devraient être un signal de reconnaissance.
De la Castagna s'y dirige, monte dans la 306. S'ensuit une petite discussion,
puis l'Italien sort de la voiture avec une mallette et pénètre dans la banque.
Tout de suite après, l'inconnu de la Peugeot 306 démarr en trombe et quitte le
quartier.
Une heure plus tard, de la Castagna sortit de la banque avec un bouquin dans
la main gauche. Sans changer de trottoir, il remonta la rue en direction de
l'église russe. Il s'arrêta devant l'immeuble se situant deux numéros de rue plus
loin, regarda autour de lui pour s'assurer qu'il n'était pas suivi et que personne
ne le regardait, puis sortit de sa poche un cornet en plastique dans lequel il
glissa le bouquin. Puis il posa le tout derrière la grille qui séparait les marches
d'escalier des plantes vertes poussant devant l'entrée.
Son acte accompli, il sauta dans sa voiture puis quitta le quartier.
Relevant son col le détective privé sortit de sa combi et se dirigea vers cet
immeuble pour récupérer le livre.
Que pouvait-il bien renfermer ? Une piste menant à Modo ?
Ne pouvant retenir sa curiosité, le détective privé sort de sa combi, pipe à la
main, puis se dirige à son tour au coin de la rue où se situe l'immeuble en
question. Il s'arrête devant, jette furtivement un coup d'œil aux alentours, puis
glisse sa main derrière la grille pour récupérer le fameux colis. Il s'avance au
coin de la rue, sort le bouquin de son cornet en plastique et examine
attentivement son contenu.
Un post-it était collé sur la première page avec la phrase suivante, écrite au
stylo bille et à la main: "RDV place Wilson à Toulouse dans deux jours pour la
suite..."
Pour ne pas éveiller les soupçons des mafioso, il remit le bouquin avec son
post-it dans le cornet et laissa le tout à la même place qu'avant.
"La place Wilson à Toulouse ?" marmonna Bogué. "Cette place me dit quelque
chose. Ah ! Mais bien sûr, puisque cette place est célèbre pour être un lieu de
trafic de drogue à Toulouse."
Voilà qui explique tout. "Bon bon" se dit-il, "en route pour Toulouse. Ca me fait
du bien de quitter cette terre helvète enneigée et glaciale."
Toutefois, avant de reprendre la route, il passa dans un grand magasin pour
acheter des chocolats suisses à sa dulcinée : se rappelant que le tabac en
Suisse est meilleur marché qu'en France, il en profita aussi pour faire quelques
réserves d'Amsterdamer pour la route. Sans oublier, bien naturellement, de
bien remplir son réservoir d'essence.
Et voilà ! En route pour Toulouse.
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En attendant Modo
Chapitre 4
Chapitre de Badral se déroulant à Toulouse
N.B : Si vous voulez résoudre l'énigme de vous même, arrêtez votre lecture à
la fin de la conversation téléphonique. La suite vous amène petit à petit à la
solution.
Toulouse, place Wilson.
En regardant autour de lui, Bogué pouvait voir tous les petits détails, invisibles
aux yeux du commun des mortels, qui ne le trompaient pas lui, le professionnel.
Comme il l'avait pensé au départ de Genève, il se trouvait bien sur le lieu du
trafic de drogue toulousain. La présence policière plus ou moins discrète en
témoignait. Il y avait ce petit éclat lumineux au deuxième étage de l'immeuble
en face de lui, reflet de la lentille de la caméra plantée là par les flics en
planque, ou cet employé municipal, un peu trop zélé pour être vrai, qui était en
train de ratisser les feuilles du square Goudouli à l'aide d'un râteau flambant
neuf au lieu du vieux balai à gazon réglementaire. Sans oublier le fourgon blanc
censé être là incognito qui stationnait autour de la place. Nul doute qu'une
partie de l'argent blanchi à Genève provenait d'ici. Cependant tout cela ne lui
disait pas ce qu'il devait faire maintenant, ni qui il attendait. Allait-il enfin
trouver Modo et arrêter son petit tour d'Europe ? Son combi Wolkswagen avait
beau être confortable, il aurait préféré se poser devant un bon match de foot
plutôt que de tester toutes les routes de France et de Navarre derrière son
volant.
Son téléphone portable sonna. Sans consulter le numéro affiché, seules les
personnes importantes possédant le numéro, il décrocha.
- Bogué.
- C'est moi. Où êtes vous ?
Ah cette voix... Bogué aurait donné cher pour voir si le plumage était aussi
beau et sexy que le ramage.
- Je suis à Toulouse.
- A Toulouse ? Que faites-vous là bas ? Puis-je me permettre de vous rappeler
que je vous paye, et assez cher, pour retrouver quelqu'un ?
Jolie voix mais un peu agressive... Sans lui laisser le temps de répondre, elle
enchaîna.
- Bon, j'ai des infos pour vous. J'envoie quelqu'un à votre rencontre pour vous
les donner. Est-ce que vous avez de quoi noter ?
- Toujours.
- Où êtes vous exactement à Toulouse ?
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En attendant Modo
- Place Wilson.
- D'accord... Laissez moi réfléchir... Oui, c'est ça. Prenez le bus et descendez à
l'arrêt Assalit. De là, entrez par la porte de Caillibens et rendez vous section 2
division 11 près de Sainte Héléna. A plus tard.
- Eh attendez !
Trop tard elle avait raccroché. Si elle lui en avait laissé le temps, il aurait pu
expliquer que son combi était plutôt bien équipé ; qu'il suffisait donc de lui
faxer ou de lui envoyer par mail les infos, plutôt que de l'envoyer une fois de
plus à l'aventure. D'autant qu'elle était bien gentille, mais il ne savait pas quel
bus il devait prendre, ni où il devait aller.
Il ne lui restait plus qu'à prouver qu'elle ne le payait pas pour rien et qu'il était
le meilleur dans sa profession. Il relut attentivement le bout de papier sur
lequel il avait noté les indications. Pour commencer, il avait donc un nom
d'arrêt de bus mais pas le numéro du bus correspondant. Deux solutions
s'offraient donc à lui : demander de l'aide à un employé du réseau de bus ou
espérer qu'il existait un site Internet du réseau toulousain. La deuxième
solution semblait être la meilleure. En effet, il avait beau regarder autour de lui
il ne voyait pas de guichet d'information des bus ou métro ; juste des grilles
annonçant que bientôt la deuxième ligne de métro passerait par là et que la
place Wilson serait toute rénovée. Il se dirigea donc vers le boulevard de
Strasbourg en direction du parking Jean Jaurès où il avait garé son combi. Alors
qu'il descendait les marches de l'entrée du parking, il manqua de bousculer un
homme qui les montait trois par trois sans regarder devant lui. Sans même
ralentir ou se retourner pour s'excuser, ce dernier finit son ascension et se
dirigea vers la place que venait de quitter Bogué.
Quelque chose dans son attitude lui était familière. Il n'arrivait pas à savoir où
mais Bogué avait déjà vu cet homme... Cette démarche, ce visage... Bon sang
mais c'est bien sûr ! Genève ! C'était l'homme qui avait remis l'argent à De la
Castagna ! Bogué savait enfin qui la carte postale allait lui faire rencontrer. La
piste de Genève allait peut être le mener à quelque chose plus vite que prévu.
Seulement, il avait aussi ce rendez vous avec l'indic de sa cliente... Que devaitil faire ? Suivre l'inconnu ou aller au rendez vous fixé... Ce choix était d'autant
plus dur que c'était elle qui tenait les cordons de la bourse. Elle pouvait à tout
moment se passer de ses services, et lui couper les vivres. Surtout, si elle
faisait ça, elle pouvait ensuite lui faire de la mauvaise publicité. Bogué n'aimait
pas avoir de mauvais retours de clients. Il aimait qu'ils soient pleinement
satisfaits. Il irait donc à ce rendez-vous. Il aurait toujours le temps de
reprendre la piste des trafiquants si celle du rendez vous ne donnait rien.
Après presque une heure de recherches sur Internet, Bogué pensait tenir la
réponse à ses questions. Sur le site de la Tisséo-connex, l'entreprise chargée
des transports en commun de l'agglomération toulousaine, il avait trouvé le
numéro du bus qu'il devait prendre. Ce dernier passait justement à Jean Jaurès.
Sur un autre site, il avait récolté de plus amples informations sur cette « sainte
Héléna », jamais canonisée par un pape, mais devenue sainte à la suite d'une
canonisation populaire spontanée des Toulousains. Il avait même trouvé sa
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En attendant Modo
photo sur http://www.jacobins.mairie-toulouse.fr/patrhist/photos/helena.jpg. Il
ne lui restait plus qu'à se mettre en route.
Bogué n'eut pas de mal à trouver la porte de Caillibens. Il lui fut cependant un
peu plus difficile de trouver sainte Héléna. Une fois la porte passée, il alla tout
droit. Sur sa droite il croisa la famille Courtois, fondatrice de la célèbre banque
du même nom. Au bout du chemin il prit à gauche puis tout de suite à droite. Il
longea le carré des sœurs et se retrouva devant l'imposant Armand Duportal
qu'il contourna pour poursuivre son chemin. Là, sur sa droite il vit le résistant
Marcel Langer et aperçut Héléna. Elle était seule.
Bogué s'approcha d'elle et attendit quelques instants. Personne. Son rendez
vous était-il en retard ou déjà reparti ? L'odeur des jonquilles, des tulipes et des
autres fleurs lui donnait l'impression de se trouver dans un champ de fleurs. Il
y en avait partout ; ainsi que des plaques remerciant Sainte Héléna. Bogué
décida de faire une petite inspection pour regarder tout cela de plus près. Dans
une petite niche fermée par une porte en plexiglas se trouvait des prospectus
où était imprimée la prière à Sainte Héléna. Il n'osa pas en prendre. Pour les
personnes qui venaient ici ce lieu était important. Pas pour lui mais, par respect,
parce qu'il savait que le papier finirait à la poubelle, il n'ouvrit pas la porte. Par
terre sous la niche se trouvait une plaque récemment posée là. Bogué
s'agenouilla pour lire l'inscription qui disait «Merci sainte Héléna pour Hervé et
Philippe. 01-2005». Juste derrière la plaque, il lui sembla voir quelque chose de
coloré. Il tendit la main et en sorti un petit paquet plastifié.
Non ! Pas encore...
Un livre. Une chose était sûre. La personne avec qui il avait rendez vous était
bien passée par là.
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En attendant Modo
Chapitre 5
Chapitre de mamoune se déroulant à Strasbourg
En ce début d'année 2005, Alfred Bogué était en pleine dérive. Il venait de se
prendre une sacrée claque dans sa vie privée, Paulette l'avait quitté ou plutôt
lui avait demandé de partir, comme ça, sans préavis. Elle s'était, soi-disant,
amourachée d'une sorte de rêveur, romantique, intellectuel et passionné de
lecture. Tout le contraire de lui évidemment.
De plus, ses affaires étaient au point mort, pas une seule petite enquête à se
mettre sous la dent. A croire que tout le monde avait décidé de résoudre ses
propres problèmes tout seul... pas même une minable filature pour un constat
d'adultère!
Il avait donc chargé ses affaires dans son minable combi-Wolkswagen et depuis
un mois maintenant vivait dans son bureau tout aussi minable faubourg de
Saverne à Strasbourg.
Bon, tant qu'à faire, autant s'occuper de ses propres affaires : découvrir qui
était le type qui était maintenant dans le lit de sa nana !
Discrètement il commença donc à surveiller les allées et venues de Paulette.
Etrange ! elle avait l'air de vivre seule ! pas le moindre type dans les parages.
Cela faisait maintenant deux semaines qu'il la filait et rien, rien de rien.
Elle n'avait pas changé ses habitudes, elle se rendait au boulot, voyait ses
copines pour un ciné ou pour un resto, continuait à aller à la piscine tous les
vendredis !
Seul petit détail peut-être, elle se couchait assez tard. Par la fenêtre du bureau,
il la voyait assise devant son ordinateur à pianoter sur son clavier d'une
manière frénétique. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien fabriquer ? ? ?
Elle ne s'était pourtant jamais trop préoccupée de cette machine-là qu'ils
avaient achetée sur un coup de tête, un peu pour faire comme tout le monde.
C'est l'outil du progrès paraît-il !
L'enthousiasme de la nouveauté n'avait duré qu'un temps et l'ordinateur restait
éteint... maintenant qu'il y repense, il lui semble bien que Paulette avait même
parlé d'arrêter l'abonnement d'internet prochainement !
Bref, Bogué n'avait toujours pas avancé sur «son» affaire «très privée».
Il était en train de fumer en regardant, par la fenêtre de son bureau au 3ème
étage, les gens pressés de rentrer chez eux après une bonne journée de travail,
il était environ 18h30.
Et là très surpris, il voit entrer Paulette au Troc-café, un bistrot fait de bric et
broc, quasiment en face de son «chez lui».
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En attendant Modo
Ce troquet, il le connaît bien : il va y boire une bière très régulièrement. Pas du
tout le genre d'endroit que fréquenterait Paulette, elle est plutôt salon de thé,
elle déteste les endroits enfumés....il évitait même de fumer en sa présence!
Qu'est-ce qui peut bien l'amener dans ce lieu à une heure où elle est déjà chez
elle normalement ?
Pas un instant à perdre, il tient peut-être enfin une piste. Il éteint toutes ses
lumières, prend ses jumelles.
Paulette semble un peu perdue au milieu du bistrot, elle a l'air de chercher
quelqu'un, tiens! elle a un livre à la main ? !
Elle s'avance timidement vers l'endroit où sont déjà assises 5 ou 6 personnes, il
y a des livres sur la table... ils lui font une place et l'accueillent
chaleureusement apparemment. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Bogué
n'y comprend rien! Plusieurs personnes viennent encore les rejoindre, ils ont
tous des bouquins, ils ont tous plus ou moins l'air de se connaître !
Il y a plus de nanas que de mecs et Paulette n'a pas l'air d'être venue pour l'un
deux. Elle leur adresse à peine la parole.
Pendant une heure et demie, un va-et-vient de personnes qui se joignent au
groupe, qui repartent.
Enfin Paulette se lève à son tour. Vite, Bogué enfile son veston et la suit. Elle
repart avec plusieurs bouquins et a l'air très contente, elle est seule, rentre
seule et une fois de plus passe un long moment à pianoter sur son clavier.
Le lendemain, mine de rien, Alfred Bogué va boire sa bière au comptoir du
Troc-café. Parmi tout ce bric à brac, il n'avait jamais remarqué dans un coin
cette étagère de livres; faut dire que les bouquins c'est pas trop son truc.
«Tiens t'as des bouquins maintenant ?» demande Alfred à Georges le barman.
«Ah oui t'avais pas remarqué ? ça fait déjà un moment, c'est un groupe de
personnes qui ont établi leur PC, comme ils disent, chez moi. Ils se réunissent
tous les premiers jeudis de chaque mois, ils passent aussi pour déposer des
livres, d'autres passent les reprendre, ils en laissent aussi pour la clientèle,
c'est assez sympa comme concept, un truc de livres qui voyagent !» lui répond
Georges.
Bogué va s'installer avec sa bière près de l'étagère et regarde de plus près.
Tiens un Vargas... et collé sur le bouquin une étiquette avec un stupide logo de
livre jaune avec des bras et des jambes ! ! !
Dans le livre, un numéro et l'adresse d'un site.
Bogué finit sa bière, embarque le livre et se rend deux rues plus loin dans un
cybercafé.
Le Bookcrossing ? qu'est-ce que c'est que ce truc ?
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En attendant Modo
Après plus de trois heures devant la bécane, Alfred rentre chez lui pour faire le
point.
Paulette s'est inscrite dans une espèce de «secte à livres». Ces bookcorsaires,
comme ils se nomment viennent de partout, il y en a dans toute la France et
même dans le monde entier ! Hallucinant ce truc !
«Putain, je me suis fait doubler par un type virtuel qu'elle ne connaît même pas,
saloperie d'internet» se dit Boqué !
Sur le forum, il est beaucoup question d'un certain Modo, bien sûr impossible
de savoir qui est qui, même de savoir qui est un homme ou une femme, ils se
cachent tous derrière des pseudos, tous plus débiles les uns que les autres ! !
quant à savoir d'où ils viennent, ils peuvent bien mettre ce qu'ils veulent !
Il n'a pas non plus réussi à reconnaître «sa» Paulette. Il avait pensé qu'elle
prendrait le petit nom dont il usait quand ils n'étaient que tous les deux :
poulette ! mais non, point de poulette. Il y a une pouniète, une pitoune, une
fripounette...mais ça ne colle pas avec sa poulette, quoi que... il allait peut-être
bien s'inscrire comme nouveau membre pour infiltrer le réseau.
Il avait remarqué qu'il y avait plein de «p'tits nouveaux» sur Strasbourg ces
temps-ci, son inscription ne serait donc pas suspecte.
Il tient enfin une piste. De plus un Mega Bookcrossing va être organisé dans
peu de temps à Strasbourg, au parc de l'orangerie. Une organisation de pro !
Des bookcorsaires vont venir en masse et ils espèrent tous que le fameux Modo
sera de la partie.
Alfred Bogué se dit qu'il va faire d'une pierre deux coups, essayer lui aussi de
découvrir qui est ce fameux Modo et en même temps dénicher qui est l'enfoiré
qui fait rêver Paulette.
Et si les deux ne faisait qu'un ?
Bogué a pris comme pseudo «Bogard», et il a été accueilli sur le forum BC
comme il se doit, plein de messages de bienvenue... et ceux de Strasbourg l'ont
vivement invité à se joindre à eux pour la «grande messe» le fameux MBC ! ! ! !
Il a même «dragué» Paulette via les «private-messages» et celle-ci n'a même
pas soupçonné un seul instant qui il était... il s'est bien marré ! !
Toujours est-il que cela lui a aussi permis d'apprendre que Paulette ne serait
pas présente le 9 avril au MBC, sa soeur se marie ce jour là.
Apparemment, se dit Bogué, je ne fais plus partie de la famille, je n'ai même
pas eu de faire-part. Mais au moins je n'aurai pas besoin de sortir ma panoplie
de camouflage pour me rendre au Megabookcrossing.
Son enquête a bien avancé, il est de plus en plus persuadé que le fameux Modo
est celui qui lui a piqué sa Paulette. En effet, celui-ci a annoncé sa venue à
Strasbourg.
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En attendant Modo
«Je viendrai déposer quelques livres au parc et ailleurs...» a-t-il écrit sur le
forum, «désolé de ne pas me joindre à vous pour le reste de la journée mais je
suis invité à une autre fête, ne soyez pas trop déçu je vous laisserai un indice
pour vous éclairer sur mon identité, cherchez bien».
Il joue au malin ce Modo mais là, Bogué est sur son terrain et il est maintenant
persuadé qu'il saura trouver, bien avant tous les autres bookcorsaires, qui se
cache sous ce pseudo ridicule.
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En attendant Modo
Chapitre 6
Chapitre de mosava se déroulant à Valence
Les baby-sitters
Bogué n'avait jamais été aussi loin du but.
Il était sûr maintenant qu'elle (Jessica, l'arlésienne, mémère : c'est comme
vous voudrez) allait le faire devenir chèvre.
Chez les Chinois, elle devait être du signe du serpent. Lui était cochon et c'est
bien connu que les serpents font tourner les cochons en bourrique.
Il en avait tellement marre de ces embrouilles. Combien de fois ces deux
dernières semaines elle lui avait filé entre les doigts comme une anguille.
Son combi, bourré de livres, n'avançait désormais qu'à moins de trente à
l'heure, une véritable tortue. Il n'avait plus la place pour y dormir, même
debout.
Il était temps d'en finir. Ce n'est pas avec les trois sous qu'elle lui distillait au
compte-gouttes pour payer ses honoraires qu'il allait faire fortune : même pas
se payer une chambre d'hôtel, même pas un terrier pour le pauvre renard !
Son esprit fatigué repassait son plan en boucle.
«La prochaine rencontre est à Valence, à quelques kilomètres de Barcelonne,
dans un bar à tapas, il y a là une voyante extralucide, Madame Momo, qui
pourra sans doute vous aider.»
Elle avait même glissé une carte dans l'enveloppe.
«Non mais qu'est ce qu'elle s'imagine, les clauses du contrat précisaient bien
«en France ou en Navarre». Il n'a jamais été question de l'Espagne.
-Et puis qu'est ce que je vais bien pouvoir faire des jumelles, qui sont aussi
agitées que des puces ?
-j'ai pas d'autorisation de sortie du territoire pour ces deux greluches.
-Il faut que je dégote une baby-sitter et fissa!»
Toutes ces pensées, ces questions, se bousculaient dans sa tête. La migraine
était imminente. En plus il avait un début d'angine, une bronchite confirmée,
son Hallux Valgus le faisait terriblement souffrir et puis il ne digérait pas les
tapas, ça lui donnait des lourdeurs d'estomac insoutenables.
Il avait apprécié les cannelés à Bordeaux, les saucisses à Strasbourg, les
tabliers de sapeur à Lyon, il s'était enivré du parfum de la violette à Toulouse,
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s'était vêtu de dentelle à Calais, mais les jumelles n'avaient fait que des bêtises
à Cambrai. Il fallait à tout prix les caser.
D'ailleurs, avec leurs cheveux flamboyants, elles attiraient trop l'attention et il
s'était bien rendu compte qu'on commençait à se méfier de lui. Il avait vu ça et
là, au cours de son zigzagant périple, quelques affiches inquiétantes.
À Paris il en avait arraché une, juste à temps, avant que l'attroupement qui se
formait autour d'eux n'attire encore plus l'attention
«Il faut, se dit-il, que je détermine des priorités». Il sortit de sa poche son petit
calepin de molesquine (carnet légendaire qui accompagna les plus grands
artistes et intellectuels de ces deux derniers siècles mais aussi bon nombre de
sans talent, de sans grade, de ménagères de plus de 50 ans qui y notaient
leurs listes de courses et leur plan de table, et de calamiteux détectives). Dans
sa précipitation, il fit tomber le carnet noir et les innombrables annexes glissées
entre les pages s'éparpillèrent sur le sol. Il s'accroupit, mais ses genoux
lâchèrent et il se retrouva sur le cul, les lunettes brisées et les mains tendues
vers le ciel. Un passant lui jeta quelques pièces et les jumelles se mirent à
courir en ronde autour de lui. Elles hurlaient : «C'est un faux aveugle, c'est un
faux aveugle!»
Dans l'instant, les milliards de portables jaillirent de milliards de poches et la
police reçut des milliards d'appels.
Le central téléphonique sauta, un incendie se déclara.
Aussitôt les agents télécom se mirent en grève, descendirent dans la rue,
entraînant avec eux les postiers et les pompiers, les profs et leurs élèves, les
infirmières et leurs patients, les cheminots et tous les voyageurs, les étudiants
et les appariteurs, les ornithologues et les corbeaux, les psychopathes et les
homéopathes, les dompteurs et les panthères, les pécheurs ê la ligne et leur
pliant de toile, les matadors et les taureaux, des divas désaccordées, des
dentistes avec des clés à molette, des glandeurs les mains dans les poches, des
balais de sorcières, trois saxophones ténor, deux bookcrosseurs et un raton
laveur.
Profitant de cette pagaille qui tournait déjà à l'échauffourée, notre Alfred saisit
les jumelles au collet, et s'esquiva aussi vite qu'il se peut, laissant là, sur les
pavés déjà sanglants, veaux, vaches, cochons, carnet.
Tout ce qu'il put sauver du naufrage fut une vieille carte de restaurant, au dos
de laquelle sa sœur avait noté un numéro de téléphone pour la joindre en cas
d'urgence.
[Aparté :
Sa sœur Germaine, qui n'était pas vraiment sa sœur mais sa cousine issue de
germains, et pourtant sa vraie sœur de lait (ils avaient été nourris du lait de la
même vache -qui ne s'appelait pas Germaine, mais Marguerite - et à laquelle ils
étaient très attachés, vous pouvez le comprendre. Elle était morte quand ils
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étaient encore à la fleur de l'âge, dans d'affreuses souffrances, des suites d'une
maladie qui l'avait rendue folle et ni l'un ni l'autre ne s'en étaient jamais remis),
la frangine, donc, s'était amoureusement escapadée en Amérique du Sud avec
un danseur de tango argentin sensuel, fatal et bovin qui lui rappelait sa chère
nourrice, lui laissant sur les bras les jumelles, ses nièces issues de Germaine et
du lait d'une vache).
Vous me suivez?
Les donzelles étaient deux infernales chieuses, mais il s'y était attaché car
quand elles meuglaient, elles lui rappelaient de doux souvenirs d'enfance (leurs
meuglements c'était sa madeleine, si vous voyez ce que je veux dire ? mais
non, elles ne s'appelaient pas Madeleine, vous êtes bouchés ou quoi ?)
Bon je peux vous le dire, elles portaient respectivement les beaux et doux
noms de Charybde et Scylla. Leur histoire est une autre histoire (celle peut-être
du 60ème moisiversaire des 24H du Bookcrossing). Mais pour les plus curieux
je vais dévoiler leur destin : Charybde termina une brillante carrière comme
«encoquilleuse d'escargots» dans une grande société multinationale et Scylla,
moins ambitieuse et moins chanceuse finit sa vie, hétaïre avinée, dans un
bordel de Vera Cruz.
Fin de l'aparté : revenons à nos ovins
(ou nos bovins, je sais plus)]
Essoufflés et suants, ils finirent par rejoindre le combi qui pendant leur absence
avait été réquisitionné par le clergé et squatté par une assemblée de
pingouines, religieuses et mystiques, qui partait ce jour-là faire le tour des
grands pèlerinages mondiaux : Lourdes, Paray le Monial, Fatima, Saint-Trond,
La Mecque, Kumbh Mela (organisé, vous l'avez deviné, par un tour-opérateur
œcuménique dont je ne citerai pas le nom : on a dit « pas de pub »)
Ces femelles au grand cœur s'attendrirent devant sa détresse et lui proposèrent
de prendre les jumelles avec elles. Elles lui donnèrent une splendide paire de
chaussures bénies pour continuer son voyage.
Alfred était ravi de laisser ses chères nièces en d'aussi bonnes mains, mais
soudain il percuta :
«-Mais les livres qu'en avez-vous fait ?
-Oh ! Les livres? Eh, bien,... Euh ! Voilà, euh! Une femme est passée, on lui
aurait donné le bon Dieu sans confession, mais elle nous a menacées. Je
m'appelle Damned qu'elle a dit, ces livres sont à moi, si vous ne me les
remettez pas sur le champ, vous serez damnées vous aussi et pour l'éternité.
Vous pensez si on a obtempéré. Mais on est pas tombées de la dernière pluie et
on a exigé un reçu. Le voici.»
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Alfred prit le papier, couvrit les deux enfants de bisous bien baveux, pinça à la
volée des seins et des fesses, et sous les cris d'excitation et de plaisir des
nonnes rougissantes et remerciant le ciel de ce vibrant hommage, partit la
queue plus vraiment basse mais le moral en berne.
Une heure plus tard, dans une gare désertée (rappelez-vous, c'était la grève),
Alfred gratta ses fonds de poche, essayant d'y trouver quelques brins de tabac
pour se rouler un clopot.
Il trouva quelques miettes
Du gris, que l'on prend dans ses doigts
Et qu'on roule
C'est fort, c'est acre, comme du bois,
Ça vous soûle.
C'est bon et ça vous laisse un goût
Presque louche
De sang, d'amour et de dégoût,
Dans la bouche.
le reçu de la femme damnée qu'il avait l'intention de recycler en papier à rouler,
et la carte du restaurant avec le numéro de téléphone de sa sœur (qui n'était
pas vraiment sa sœur...Ah ouais, je vous l'ai déjà raconté).
Il retourna la carte de visite et là tout fut illuminé.
«Bon sang, mais c'est bien sûr, Le Barcelonne, avec 2 N, c'était pas celui de
Pepe Carvalho, c'était celui de la Drôme, celui où nounou Marguerite était née,
celui ou nous passâmes de si belle vacances (ici, on se doit d'avoir quelques
larmes d'émotion ou du moins un sourire attendri et bienveillant : c'est un
sentimental le Fredo).
C'était un bel après-midi d'avril (mai n'était plus très loin), Arsène le monte en
l'air (pardon je me trompe d'histoire, je reprends) Alfred le pouce en l'air, sur le
bord de la route prit la direction de Valence, pour un bar à tapas où il espérait
enfin retrouver Jessica, l'arlésienne, mémère : c'est comme vous voudrez. Il
chantonnait,
De toutes les routes de France d'Europe
Celle que j'préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du Midi
Nationale Sept
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Il faut la prendre qu'on aille à Rome à Sète
Que l'on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C'est une route qui fait recette
Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence
Qui fait d'Paris un p'tit faubourg d'Valence
Et la banlieue d'Saint-Paul de Vence
Mais les voitures lui filaient sous le nez sans jamais s'arrêter. Il commençait à
désespérer, quand une camionnette stoppa enfin devant lui. C'était le plombier
qui partait sur Valence (justement ça m'arrange) avec sa blonde à son côté.
«Montez derrière, vous trouverez bien un coin ou vous asseoir !»
Et c'est ainsi qu'Alfred arriva dans la bonne ville de Valence, capitale du Rhône
moyen, du Suisse, et des travaux urbains, assis sur un bidet d'émail blanc et
les pieds dans un bac à douche, le tout dans la luxueuse camionnette
estampillée
Ernest Des Bouchetou
Plombier des stars.
Il était l'heure de l'apéro, Alfred se dirigea vers le bar, il y entra l'œil aux
aguets. Le bar était plein. Il demanda une place à une table où étaient déjà
installés un clone de Che Guevara, un de Fidel Castro et celui de l'indien Hatuey
qui lui glissa à l'oreille :
«- C'est toi le privé
- je sais plus très bien qui je suis à ce jour.
- mais tu t'appelles bien Alfred, Alfred Bogué.
- il parait, mais depuis quelques temps je préférerais me nommer Bond, James
Bond
- C'est ton problème. Tiens une femme a laissé ça pour toi.»
Il lui tendit un livre, dont le titre lui rappela sa sœur (enfin, ce n'était pas
vraiment sa sœur...etc... Qui a dit que je rabâche ?) et il se mit à pleurer.
C'est alors que mosava, «qui passait par là comme elle passe partout» entra, le
prit dans ses bras, sécha ses larmes, «cassa l'assiette et mangea la pomme» et
l'entraîna jusqu'au kiosque à musique où tous les deux, bercés par les
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sensuelles mélodies jouées par un orphéon en délire, échangèrent leurs
maigres informations sur le modo.
Les indices contenus dans le livre, c'était vraiment pas grand chose. Le casse
tête était de plus en plus hermétique.
Dépités, presque désespérés, ils se consolèrent dans un langoureux tango.
La nuit ne faisait que commencer..., et ce fut « le mystère de la chambre jaune
»
De cette folle nuit d'amour, vous ne saurez rien : ici s'applique l'auto censure
Merci à Jacques Prévert, Berthe Silva, Charles Trenet, Le Chameau, AnneSophie Pic, Che Guevara, Fidel Castro, le Grand chef Hatuey, Ian Fleming,
Raymond Peynet, Gaston Leroux, Andras et Damned-marcel, pour leur
contribution (même si elle est involontaire et irrespectueusement détournée)
Fatal tango
Nozière Jean-Paul.- SEUIL, 2002.- (POINTS POLICIER)
Slimane Rahali n'a pas de chance. Bogart, son chien adoptif a de l'eczéma. Lui,
cultive son mal à l'âme dans un campement de forains. Et, une nouvelle
enquête commence. Qui a tué Emile, l'accordéoniste ? Dans un coin reculé du
Jura, il découvre la bien curieuse famille Zonca : la mère, dans son fauteuil
roulant, pas plus infirme qu'un coureur de marathon, Fleur, la fille aussi
prompte à se dévêtir qu'à tirer à la carabine, et les trois frères, sortis tout droit
d'un cauchemar. Slimane s'en sortira. Mais, sans l'aide de Lili Boniche et de sa
musique guimauve, ses recherches étaient bien mal parties.
Jean-Paul Nozière est né en 1943. Il est aujourd'hui documentaliste après avoir
enseigné neuf ans l'histoire et la géographie. Il adore dire qu'il habite un "trou"
à la campagne qu'il aime et qu'il déteste. Loin des villes, il est l'écrivain des
champs, passant d'un sujet à l'autre avec le même entrain qu'il met à passer
de son vélo à sa moto. C'est somme toute un homme tranquille. Mais gare aux
apparences. Toute sa violence cachée s'exprime dans ses romans policiers. Il a
publié une vingtaine de romans et poursuit son œuvre du côté d'Is-sur-Tille ;
l'ensemble de son œuvre a été couronné par le prix des Salons Brive-Montréal
en 1993.
Le mystère de la chambre jaune
Leroux Gaston, Jaubert Alain, Fieschi Hélène.- GALLIMARD (FOLIO PLUS)
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En attendant Modo
Chapitre 7
Chapitre de mosava se déroulant à Domont
LA DEPRIME
Mon enquête piétinait. Ça faisait des lustres que je sillonnais la France du nord
au sud et d'est en ouest, à la recherche d'un individu qu'on nommait « Le Modo
» et tout ça pour des plosses.
J'étais épuisé.
C'était un mercredi, pas le mercredi 5 janvier, jour sacré pour certains, mais le
quelconque mercredi d'un printemps complètement pourrave et pour moi
mercredi de repos accordé par mézigue à mézigue. J'avais besoin de me
reprendre, de faire le point, de réfléchir. Mais c'est en vain que j'essayais
d'activer mes méninges. Quand on n'a pas le neurone véloce de naissance, on a
beau faire, c'est peine perdue. (C'est vrai quoi, je m'appelle Alfred d'accord,
mais pas Alfred Nobel seulement Alfred Bogué. Freddo pour les amis et Freddy
pour les dames).
Donc depuis des plombes, je repassais le film des événements dans ma tête,
essayant de trouver des connexions, des similitudes, de recouper les
coïncidences. RIEN.
Alors je laissais le vague m'envahir l'âme et j'étais là, dans mon fauteuil,
pelotonné dans mon ennui et dans mon désespoir, quand le téléphone sonna.
Je décrochai, trop content d'avoir peut-être quelqu'un à qui parler et me confier
peut-être.
- mgrrrra, mgrrrroue, mgrrrred, susurra une voix caverneuse.
- mais qui demandez-vous ?
On répéta
- mgrrrra, mgrrrroue, mgrrrred
Et je crus entendre :
- T'as l'bonjour d'Alfred.
Et puis, après un long silence, on raccrocha.
J'ai rien compris. Alfred c'est moi ! j'suis pas Musset, j'suis pas Vigny, j'suis pas
Jarry, je suis Bogué, et complètement bogué je le crains.
Après un moment d'intense réflexion je décidai que c'était une erreur, une
énième coïncidence et je retombai dans ma torpeur.
J'allais presque m'endormir quand la sonnerie retentit à nouveau. Je tendis le
bras, attrapai le récepteur.
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En attendant Modo
- Allo !
-..........
- Allo !
-.........
- ALLO !
-.........
Rageur, je reposai le combiné et je me levai pour prendre une mousse dans le
fridge. Putain d'frigo : c'était vraiment l'désert. Rien qu'une vieille boîte de lait
qui avait eu tout son temps pour tourner depuis que les jumelles n'étaient plus
avec moi...
A la pensée de ces deux chères têtes rouges, mon cœur se tordit de douleur.
Bien sûr, elles m'en avaient fait voir les coquines, mais elles me manquaient
terriblement.
Tout était vide, ma vie, mes poches, ma tête et comble de l'horreur, le pot de
Nutella aussi.
Alors, malgré tous mes efforts pour essayer de perdre de vue cette triste réalité,
je compris enfin que j'étais dans la merde.
Je retournai m'affaler dans mon fauteuil défoncé, complètement traumat.
Par trois fois encore le téléphone sonna avec toujours la même rengaine. Je
veux dire cet horrible silence, ce vide menaçant, cet effroyable néant. Pour la
première fois de ma vie j'avais les chocottes.
Je psalmodiais : résister à l'angoisse, résister à l'angoisse...
Mais l'abîme était vertigineux et je me sentais vraiment tomber au fond du trou.
Soudain on frappa furieusement à la porte. Mon sang se glaça, une froide sueur
coula je long de mon dos. La gorge serrée et l'œil hagard, je scrutai par le
judas le palier de l'appartement. Ce n'était que la concierge, une vioque
acariâtre, qui se tenait là, les lèvres pincées, le cheveu gras et les bas
tirebouchonnés sur ses chevilles épaisses. Elle tenait à la main une enveloppe
bleue du style que je commençais à bien connaître. J'ouvris la porte et elle se
mit à me gueuler dessus.
«-Ça doit bien faire dix fois que j'essaye de vous joindre. Il faut le faire réparer
votre bigo s'il est en dérangement. M'obliger à grimper six étages, à mon âge,
avec ma phlébite parce que Mossieu ne peut même pas se déranger pour venir
prendre un pli urgent et que Mossieu le radin me filera même pas trois balles
pour les étrennes.»
Je lui arrachai le papier et claquai la porte, maudissant cette harpie (et France
Telecom par la même occasion) jusqu'à la vingtième génération, mais soulagé
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En attendant Modo
quand même que ce que j'avais pris pour un odieux et dangereux harcèlement,
une terrible menace, ne fût qu'une panne sur ma ligne.
Je retournai m'asseoir pour ouvrir le bifton.
Je savais d'où ça venait : même papier parfumé, même encre noire, même
écriture pointue. Pour sûr c'était elle, la mystérieuse, l'inquiétante mais
supposée belle inconnue qui m'avait commandé cette foutue enquête.
Qu'avait-elle encore inventé ?
Quelques lignes apparemment tracées à la hâte.
«Retour à la case départ, l'ami Jean-Claude vous attendra demain au Rallye et
vous conduira vers moi, nous avons je crois beaucoup de choses à nous dire»
Suivait une sorte de code :
F01O34S68S46E45S
L'espoir, bien que ténu, de rencontrer enfin celle qui me promenait depuis belle
lurette me fit sauter dans mes baskets et oublier un moment ma déprime.
Cette fois sera peut-être la bonne.
Je me hâtai vers mon rancard mais
Comme d'habitude, ma Jessica Rabbit me posa un lapin
Comme d'habitude je me retrouve
Le bec dans l'eau, comme d'habituuuuuude
Et
Comme d'habitude je suis en retard
Comme d'habitude tout est gris dehors
J'ai froid, je relève mon col, et je repars chez moi, comme d'habituuuuuude
Mais de retour j'ai laborieusement (comme d'habitude) déchiffré le code.
Et je vous jure que, comme d'habitude, je n'ai pas du tout l'intention de lâcher
le morceau parce que, parce que
parce que :
“Yes it is my way”
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En attendant Modo
Chapitre 8
Chapitre de mosava se déroulant à Paris
La petite femme de Monsieur Bogué
Texte librement adapté
Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Momo !
Comment ! On t'offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et
tu as l'aplomb de refuser... Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce
jean troué, ces baskets en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà
pourtant où t'a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t'ont valu dix
ans de loyaux services dans les pages du Bookcrossing... Est-ce que tu n'as pas
honte, à la fin ?
Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! Fais-toi chroniqueur ! Tu gagneras de
beaux euros à la rose, tu auras ton couvert à La Tour d'argent, et tu pourras te
montrer les jours de première avec une médaille de Chevalier des Arts et des
Lettres à la boutonnière.
Non ? Tu ne veux pas ?... Tu prétends rester libre à ta guise jusqu'au bout... Eh
bien, écoute un peu l'histoire de la femme d'Alfred Bogué. Tu verras ce que l'on
gagne à vouloir vivre libre
Alfred Bogué n'avait jamais eu de bonheur avec ses femmes.
Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles allumaient un
micro, se loguaient sur le forum, et là, le Modo les mangeait. Ni les caresses de
leur maître, ni la peur du Modo, rien ne les retenait. C'était, paraît-il, des
femmes indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.
Le brave Bogué, qui ne comprenait rien au caractère de ses mignonnes, était
consterné. Il disait :
- C'est fini ; les donzelles s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une.
Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six femmes de la
même manière, il en épousa une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de
la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât à demeurer chez lui.
Ah ! Momo, qu'elle était jolie la petite épouse d'Alfred Bogué ! Qu'elle était jolie
avec ses yeux doux, sa bouche en cœur, ses oreilles comme des coquillages,
son nez mutin et ses longs cheveux blonds qui lui faisaient une houppelande!
C'était presque aussi charmant que le «Printemps »de Botticelli, tu te rappelles,
Momo ? - et puis, docile, caressante, se laissant câliner sans bouger, prenant
son pied sans écuelle. Un amour de promise...
Bogué avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est là qu'il mit sa
nouvelle compagne.
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En attendant Modo
Il installa un hamac, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser
beaucoup de papier et de crayons, et de temps en temps, il venait voir si elle
était bien. La belle se trouvait très heureuse et écrivait et dessinait de si bon
cœur que Bogué était ravi.
Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi !
Bogué se trompait, sa Chérie s'ennuya.
Un jour, elle se dit en regardant l'écran qui scintillait dans le bureau de Bogué :
- Comme ça doit être bien d'écrire là ! Quel plaisir de surfer sur le net sans
contrôle parental qui vous bride !... C'est bon pour les minots de dessiner des
petits Mickeys et des coquelicots !... nous autres femmes, il nous faut du large..
À partir de ce moment, les fleurs du clos lui parurent fades. L'ennui lui vint. Elle
maigrit, son sourire se fit rare. C'était pitié de la voir lorgner tout le jour ce
maudit écran, la tête tournée du côté du bureau, l'œil larmoyant, en disant «
S'il vous plait ».!... tristement.
Bogué s'apercevait bien que sa dulcinée avait quelque chose, mais il ne savait
pas ce que c'était... Un matin, comme il achevait de brosser ses cheveux, la
petite se retourna et lui dit dans son patois :
- Écoutez, Alfred, je me languis chez vous, laissez-moi aller jusqu'au cyber café.
- Ah ! Mon Dieu !... Elle aussi ! cria Bogué stupéfait, et du coup il laissa tomber
la brosse ; puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa douce :
- Comment, Blondie, tu veux me quitter !
Et Blondie répondit :
- Oui, monsieur Bogué.
- Qu'est-ce qu'il te manque ici
- Oh ! Rien ! Monsieur Bogué
- Tu n'as peut-être pas assez de papier, de crayons, veux-tu que je t'achète
des aquarelles ?
- Ce n'est pas la peine, monsieur Bogué.
- Alors, qu'est-ce qu'il te faut ? Qu'est-ce que tu veux ?
- Je veux aller sur le forum, monsieur Bogué.
- Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le Modo sur le forum... Que ferastu quand il t'interpellera ?...
- Je lui répondrai du tac au tac, monsieur Bogué.
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En attendant Modo
- Le Modo se moque bien de tes répliques. Il m'a démonté des pipelettes avec
une langue mieux pendue que la tienne... Tu sais bien, la pauvre vieille
Renacle03 qui était ici l'an dernier ? Une maîtresse femme, forte et méchante
comme une teigne. Elle a débattu avec le Modo toute la nuit... puis, le matin, le
Modo lui a définitivement cloué le bec.
- Pécaïre ! Pauvre Renacle03 !... Ça ne fait rien, monsieur Bogué, laissez-moi
aller sur le forum.
- Bonté divine !... dit Bogué ; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à mes
femmes ? Encore une que le Modo va me manger... Eh bien, non... je te
sauverai malgré toi, coquine ! Et de peur que tu ne te sauves, je vais
t'enfermer dans ta chambre et tu y resteras toujours.
Là-dessus, Bogué emporta la jeunette dans une chambre sans modem, dont il
ferma la porte à double tour.
Malheureusement, il avait oublié la fenêtre et à peine eut-il le dos tourné, que
la petite s'en alla vers la capitale...Tu ris, Momo ? Parbleu ! Je crois bien ; tu es
du parti des femmes, toi, contre ce bon Bogué... Nous allons voir si tu riras tout
à l'heure.
Quand «Blondie» arriva sur le forum, ce fut un ravissement général. Jamais les
corsaires n'avaient rien lu d'aussi charmant. On la reçut comme une petite
reine. Les vieux routards lui faisaient moult compliments pour la caresser du
bout de leur verve. Les petits nouveaux l'accueillaient avec une gentillesse
devenue depuis légendaire. Tout le forum lui fit fête.
- Tu penses, Momo, si notre mignonne était heureuse !
Plus de papier, plus de crayons... rien qui l'empêchât de surfer, de s'exprimer à
sa guise... C'est là qu'il y en avait des threads ! Des pages entières, mon
cher!... Et dans quels styles! Savoureux, fins, ciselés, écrits de mille mots
plaisants... C'était bien autre chose que les phrases laconiques de ce vieux
Bogué. Et des poèmes donc !... Des textes de belles chansons dans «Music is
life», des extraits de musiques envoûtantes dans «un, deux, trois... soleil», des
livres à découvrir dans «Phrase relais», et mille autres belles choses. Tout ça
comme une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !...
La douce enfant, à moitié soûle de plaisir, se vautrait là-dedans les doigts en
l'air au-dessus du clavier et dévidait sa prose le long des threads, pêle-mêle
avec Blueorange, Themiramis, Nanisette... Puis, tout à coup, elle en ouvrait un
nouveau et puis un autre encore, suivant son inspiration. Hop ! La voilà partie,
la tête en avant, DoubleArticpiqué, TripleArticpiqué tantôt ici, tantôt là, en haut,
en bas, partout... On aurait dit qu'il y avait dix «Blondie» sur le forum.
C'est qu'elle n'avait peur de rien «Blondie».
Elle franchissait d'un DAP de hautes PAL qui s'écroulaient au passage dans un
joyeux charivalivres.
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En attendant Modo
Alors, toute émoustillée, elle allait sur le wiki élaborer quelques nouvelle
pages...
Une fois, consultant «L'album de famille», elle aperçut par hasard (qui l'avait
mise là), la maison de Bogué avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes.
- Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ? Vive Paris la
grande ville et ces cyber-cafés.
Pauvrette ! De se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande
que le monde...
En somme, ce fut une bonne journée pour la fiancée de Bogué. Vers le milieu
du jour, en allant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de
corsaires mâles en train de discuter dans un bar de la rue Saint-Denis «Le Petit
Châtelet». Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la
meilleure place à la table, et tous ces messieurs furent très galants... Il paraît
même, - ceci doit rester entre nous, Momo, - qu'un jeune corsaire eut la bonne
fortune de plaire à Blondie. Les deux amoureux s'égarèrent une heure ou deux,
et si tu veux savoir ce qu'ils se dirent, va le demander aux fontaines bavardes
qui coulent dans les espaces verts de Paris.
Quand elle revint guillerette sur le forum c'était le soir et tous peu à peu se
déloguaient.
- Déjà ! dit Blondie ; et elle fut fort étonnée.
Bogué inscrit en catastrophe sur ce même forum, ouvrait un à un tous les
threads pour essayer de retrouver son amante.
Dans un reste d'euphorie Blondie négligea de répondre, mais en même temps
elle se sentit l'âme toute triste... une ombre la frôla de ses ailes en passant.
Elle tressaillit...
Puis ce fut un hurlement sur le forum:
- HOU ! HOU !
Elle pensa au Modo ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé... Au même
moment un ultime thread s'ouvrit. C'était ce bon Bogué qui tentait un dernier
appel.
- Hou ! Hou !... faisait le Modo.
- REVIENS ! REVIENS !... criait Bogué.
Blondie eut envie de revenir ; mais en se rappelant le papier, les crayons, la
boîte d'aquarelle, les humbles fleurs des champs et la chambre sans modem
elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait
mieux rester.
Le thread de Bogué était parti aux oubliettes... personne pour le remonter !
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En attendant Modo
Blondie vit qu'elle était désormais seule.
Elle ouvrit ce thread angoissant et comprit :
C'était le Modo.
Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite
princesse et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait,
le Modo ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire
méchamment.
- Ah ! Ha ! La petite fiancée de Bogué ! Et il passa sa grosse langue rouge sur
ses babines d'amadou.
Blondie se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille
Renacle03, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit
qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite; puis, s'étant
ravisée, elle tomba en garde, les yeux fixés sur l'écran et les doigts agités de
spasmes au dessus du clavier, comme une brave épouse de Bogué qu'elle
était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le Modo, les ingénues ne tuent pas le
Modo, - mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la
Renacle03
Alors le monstre commença, et la petite naïve affûta ses phrases.
Ah ! La brave enfante, elle y allait de bon cœur! Plus de dix fois, je ne mens pas,
Momo, elle força le Modo à reculer pour retrouver l'inspiration. Pendant ces
trêves d'une minute, la gourmande relisait encore une fois toutes les
gentillesses qu'on lui avait dit au long de la journée
Cela dura toute la nuit. De temps en temps la petite madame Bogué regardait
les chiffres de l'horloge qui défilaient inexorablement : 04:45, 04:46....
- Oh ! Pourvu que je tienne jusqu'à l'aube...
L'une après l'autre, les secondes défilèrent. Blondie redoubla d'humour, de
phrases spirituelles, le Modo de blagues vaseuses et lourdingues...
Une lueur pâle parut dans
commencèrent leur tournée.
le
carreau
de
la
fenêtre...
Les
éboueurs
Il est cinq heures, Paris s'éveille.
- Enfin ! dit la pauvre innocente, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ;
et elle lui laissa le dernier mot
Alors le Modo se jeta sur la délicate jeune fille et la mangea.
Adieu, Momo !
L'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu
viens en Provence, nos pays te parleront souvent de la pitchoune de moussu
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En attendant Modo
Séguin, que se battégue tonto la neui erré lou Modo, e piei lou matin lou Modo
la mangé 1.
Tu m'entends bien, Momo.
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En attendant Modo
Chapitre 9
Chapitre de da-chronic se déroulant à Paris - Rennes - La
Rochelle
Protection de l'Alfred oblige, je prenais soin de sortir chargé et de ce côté là
comme Tintin fait confiance à Dupont et Dupond, je fais toujours confiance à
Smith et Wesson. Je sortis de mon bureau et je traversai le parvis de Notre
Dame pour retrouver la tigresse en question à une terrasse de café. En guise
d'introduction, elle me dit :
- Vous n'aviez pas mieux qu'un endroit puant le touriste pour nous rencontrer ?
- Désolé ma belle, mais mon château est en rénovation en ce moment, même
les cafards ont été obligés de prendre leurs RTT. Mais je ne crois pas que nous
soyons ici pour parler du 1% patronal... Alors, vous voulez retrouver un certain
Modo ? Vous avez au moins le début d'une queue de piste à me fournir ou bien
je dois gratter moi-même ?
- Bogué, vous allez avoir la queue du mickey. Vous avez un ordinateur ?
- Moi non, mais j'ai des amis qui ont des amis qui en ont. C'est important pour
vous que je sois informatisé ?
- Plutôt, oui. Nous ne nous reverrons plus et nous ne fonctionnerons que par email à partir du moment où je vais quitter cet endroit. Voici l'adresse IP du
fameux Modo l'un des nôtres a réussi à la retenir un soir où il est passé nous
narguer sur le chat du wiki. Mon mail se trouve au dos de la carte.
- Le chat du wik? Vous n'échangez pas que des livres vous faites dans
l'animalier aussi ?
- Décidément, je me demande si vous êtes la bonne personne. Les
bookcrossers ont un site autogéré : le wiki, sur lequel ils peuvent se brancher
pour parler en direct avec les autres connectés, ça s'appelle un chat. Au
moment où un intervenant quitte la discussion, son adresse IP s'affiche un peu
comme votre adresse postale; chaque personne ayant la sienne, vous avez
maintenant entre vos mains la queue du mickey... Et maintenant prenez votre
pelle et votre seau et retrouvez-le.
- Vous avez regardé à l'intérieur de Notre Dame ?
- Pardon ?
- Vous avez une quasi adresse ?
- Oui
- Vous recherchez un Modo ?
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En attendant Modo
- Votre humour est nul, Bogué; j'espère juste que votre flair de détective soit à
un niveau supérieur, adieu
- Je ne sais pas si mon humour est nul, mais votre démarche m'inspire des
idées lubriques. A bientôt.
L'un des nôtres... une façon étonnante de parler d'une bande de zozos jouant à
cache-cache avec des livres. Pourquoi vouloir retrouver ce gars ? En attendant,
l'oseille dans ma poche me ferait le plus grand bien.
Tout en remuant ma matière grise sur les motivations de la gazelle, je pris le
chemin des Quais pour me rendre à la Concorde. Si une personne pouvait m'en
apprendre plus sur l'adresse IP de ce Modo, mon ami Lucien, directeur
informatique au quai d'Orsay pourrait m'aider. Tout petit déjà, et même plus
grand plus tard, les puces et les trucs qui composent ces boîtes métalliques le
passionnaient; alors, depuis le temps qu'il me disait de venir le voir, ça tombait
bien.
Il faisait beau et je m'arrêtai un moment pour regarder passer les ‘mouches' et
ces cohortes de japonais vissées à leurs yeux de cyclope, lorsque je vis un gars
sortir de derrière un arbre. Au début, je pensais à un pervers, je m'aperçus
qu'il avait une sacoche, un livre en dépassait arborant le logo du livre en train
de courir : un des leurs, sans aucun doute.
- Excusez-moi... vous êtes un bookcrosser ?
- Ouais mon gars, je suis en train de faire quelques lâchers. Un problème ?
- Non pas vraiment. Vous êtes qui sur le forum ?
- Qu'est ce que ça peut vous faire ?
- Juste comme ça pour info. Je suis à la recherche d'un certain Modo... vous le
connaissez ?
- Modo ? Encore un faux pseudo d'une banane du forum. Un gars devait
s'emmerder un après midi au bureau, alors il a eu l'idée de ce modérateur. F'ré
mieux d'relâcher des livres, l'andouille.
- Vous avez une idée de qui est derrière ?
- Je suis un gars de Vanves moi, j'aime pas les poulets.
Décidément les bookcrossers n'étaient pas des gens aimables. Après avoir
montré au petit gars de Vanves les vertus pédagogiques d'un Smith et Wesson
sur la tempe et avoir compris que son pseudo n'était pas Elj mais E.L.J, je fus
bien obligé de me rendre à l'évidence : il ne savait pas qui était Modo. Je
reprenais alors mon chemin vers la Concorde.
Devant l'entrée du quai d'Orsay, un planton faisait la gard. Je me présentai à lui
comme un représentant de la BSW Corp venu rendre visite à M. Lucien
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En attendant Modo
D'ardouère - Directeur Informatique. Le bougre se sentit obligé de me faire la
conversation pendant que j'attendais Lucien.
- Et vous faites dans quoi à la BSW Corp ?
- Euh... Nous faisons dans le plomb, la Bogué Smith Wesson Corporation fait
dans l'export en gros pour client unique.
- Et vous trouvez toujours des clients ?
- Les clients ne sont pas le problème, le problème, ce sont les contrôles
douaniers
- Et l'import ?
- La Bogué Smith Wesson préfère éviter de recevoir du plomb, ça n'est pas bon
pour la santé.
- Ah je croyais pas ça !
- Je sais c'est pour ça que vous êtes là, et moi ici.
Heureusement pour moi, Lucien arriva avant que le petit nain n'agite ses
neurones. Je lui expliquai mon histoire et ce truc que l'on appelle une IP. Il
rigola un moment en se moquant de ma prédisposition au refus de la modernité.
Ce n'est pas parce qu'un gars aime son téléphone à cadran qu'il est un vieux
con, après tout.
Deux heures plus tard, je le quittais en lui promettant de le revoir avant les
cinq prochaines années, et, d'ici là, de me faire greffer une puce électronique
en guise de cerveau. Une fois dans la rue, mal à l'aise après ce contact avec
mon ami cybernétique et toutes les radiations qui devaient sortir des
ordinateurs qui m'avaient entouré, je regardai l'adresse de ma prochaine
destination... Merde alors ! Si ce matin on m'avait dit que j'allais visiter Rennes
en avril, je serais resté couché.
Rennes a bien changé depuis dix ans. La civilisation les a rejoints puisqu'ils
ont un métro. Encore vingt ans et on ne verra plus la différence avec la capitale.
L'adresse IP de Lucien m‘envoyait vers un cybercafé. Modo n'allait pas se
risquer à intervenir de chez lui. Je descendis du métro à République (lorsque je
vous disais qu'ils se parisianisent) sortie place de la république, continuant ma
marche vers Emile Zola, puis Pasteur, remontant enfin Gambetta pour arriver
au 22 de la rue St Georges. Je poussai la porte du cybercafé. La patronne me
regarda tendrement. Je me présentai comme un commercial de la BSW Corp et
lui demandai la possibilité d'envoyer un mail à ma patronne.
- Bien sûr, prenez un ordinateur.
- Vous voulez que je me promène avec ce machin sur moi ?
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En attendant Modo
- Non, je voulais dire : asseyez-vous devant et consultez vos mails. Vous n'avez
pas l'air de savoir comment ça marche...
- A vrai dire, j'espérais que vous pourriez m'expliquer.
- Si vous voulez, je peux vous ouvrir une adresse mail : vous préférez yahoo ou
hotmail ?
- Je dois répondre quoi pour dîner avec vous ?
- Yahoo.
- Va pour Yahoo.
- Va pour le dîner.
- Oui, où ?
- Chez moi ce soir.
Le soir même, nous nous retrouvions dans son lit. Comme je n'avais pas de
réservation à l'hôtel, ça tombait plutôt bien. J'avais enfin une adresse mail et
j'avais envoyé les premiers éléments de mon enquête à ma mystérieuse
patronne. La journée avait été longue, le moment de dormir était arrivé.
Au réveil, Stéphanie, s'occupa de mon érection matinale, puis me prépara un
petit déjeuner.
- Tu te souviens bien des gens qui passent dans ton cybercafé ?
- Ca dépend : ceux avec qui j'ai couché oui, les autres moins; pourquoi ?
- Je cherche un ami; c'est lui qui m'a conseillé ton adresse.
- A quoi il ressemble... ton ami ?
- Il fait du bookcrossing, il...
- Ah ! Toi aussi, tu es membre de ce site ? Bien sûr que je me souviens de lui :
un vrai baiseur celui là; il est venu plusieurs jours de suite j'ai hésité avant de
l'inviter à dîner car il était un peu trop jeune pour moi, puis le dernier jour c'est
lui qui me l'a proposé. Le lendemain matin, au réveil, il m'avait laissé un dessin.
Mais je ne voyais pas ce qu'il voulait me dire, en dehors du fait que c'est là que
nous nous sommes embrassés la première fois : promenade des bonnets
rouges, tiens! regarde.
37 / 160
En attendant Modo
- Un pont ?
- Oui. Juste après, il a regardé en l'air et il m'a dit « ça tu vois c'est une bonne
planque pour les livres ». Je m'en souviens, car je me suis dit qu'il fallait
toujours que je tombe sur des allumés.
- Tu peux me montrer où ça se trouve ?
- Je peux te donner le dessin si tu veux, et je peux t'expliquer comment y aller,
mais il faut que j'ouvre le cyber. Le samedi, c'est le jour où je fais le plus de
recette, et puis il y a toujours un beau gosse dans le tas... Tu dois me prendre
pour une salope...
- Je me demande toujours pourquoi, dans l'imagination populaire, une fille qui
couche avec plusieurs mecs est une salope, et pourquoi un mec qui fait la
même chose est un tombeur. Tu vis ta vie, c'est ça le plus important. Il n'y a
pas de honte à te faire du bien.
- Bien. Alors... Pour aller sous le pont, tu vas te rendre au 26, bd Villebois
Mareuil : il y a un escalier, tu descends et tu y es. Tu es vraiment commercial ?
- Non, je suis un philosophe du week-end. À bientôt.
Une fois sous le pont, je regardai un moment sans rien voir, puis j'aperçus
enfin un plastique. Je tirai dessus et je me retrouvai avec un livre entre les
mains : Les rivières pourpres de Jean Christophe Grangé. J'avais vu le film un
soir de déprime, sur une chaîne télé : une histoire de meurtrier en série. Je
trouvai l'identifiant du bookcrossing à la première page, un morceau de carte
routière traçant la route entre Rennes et la Rochelle, un post-it dessus.
- Tu peux venir me retrouver à Chatelaillon. Tu as un mois. Après je ne serai
plus dans le coin. Modo 38 / 160
En attendant Modo
Amusant de voir que Modo se prenait pour un tombeur. Stéphanie ne l'aurait
jamais retrouvé grâce à son jeu d'énigmes. Savait-il qu'elle ne viendrait jamais,
mais qu'il risquait d'y avoir un détective sur ses traces un jour ou l'autre pour
récupérer cet indice ? Tout en réfléchissant à ses motivations, et partant de
l'hypothèse que la carte ne s'adressait pas à elle mais bien à moi, je me dirigeai
d'un pas rapide vers la gare.
Pour
mon voyage, j'avais hérité d'un voisin jeune cadre dynamique : du
téléphone à l'ordinateur, chez lui tout était portable. Je le regardai quelques
minutes, puis je lui demandai :
- Vous pouvez vous connecter à Internet avec votre planche à repasser ?
- Bien sûr, je suis équipé wi-fi.
- Vous pouvez regarder quelque chose? ça ne prendra que quelques minutes.
- Ecoutez j'ai autre chose à faire. Attendez d'être à la Rochelle.
- Franchement, non. Vous connaissez la BSW Corp ?
Je lui montrai mes associés Smith et Wesson et d'un seul coup le ton changea.
Décidément, les amis, il n'y a que ça de vrai dans la vie.
- Vous voulez vous connecter sur quoi ?
- Bookcrossing.com
- Bien. Voilà. Je fais quoi ?
- Vous rentrez ce numéro et vous attendez de voir ce qui se passe.
Le message qui s'afficha alors ne ressemblait pas à une déclaration d'amour.
Modo savait que j'allais le suivre, il se permettait même de me donner des
indications pour entrer en contact avec lui à Chatelaillon, et il terminait par un
« Bon voyage cher Alfred ». Comment me connaissait-il celui là ? Les
bookcrossers étaient vraiment très forts dans l'élaboration de leurs plans; je
commençais tout juste à m'en apercevoir.
La Rochelle est une ville à part. Elle l'a toujours été. Démocrate avant l'heure,
elle élit son premier maire en 1199, elle est protestante quand la France est
catholique, elle est protégée des rois quand le pays plie sous les impôts, bref...
La Rochelle est bien française et elle emmerde la pensée unique. En attendant
le bus pour aller à Chatelaillon, je me demandais si Modo essayait de me faire
passer le message.
Son apparition avait-elle coïncidé avec l'apparition d'un mouvement de pensée
unique sur le forum des bookcrossers ? Modo était-il l'électrochoc qui avait
réveillé un forum poussiéreux et sur le déclin ?
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En attendant Modo
La solution se trouvait peut-être là bas... D'après son message, je devais me
rendre devant le Casino, puis dans le parc juste à côté. Là, je devais m'asseoir
sur un banc en face des jeux pour enfants et ne pas en bouger : une personne
viendrait me voir.
Cinq heures plus tard et quelques dizaines de cigarettes en moins dans mon
paquet, j'allais partir explorer la ville lorsqu'une petite fille s'avança vers moi.
Elle avait un papier dans la main. Elle me regarda et me dit :
- C'est toi le monsieur pas propre qui s'appelle Alfred ?
- Pas propre, je ne sais pas. Chacun ses critères, ma belle ! Mais pour Alfred tu
as bien pioché.
- Tiens, je dois te donner ça de la part de Monsieur de la Modération qu'il a dit.
- Qu'il a dit... Tu peux me le montrer le monsieur ?
- Non. Il a dit que tu allais me demander ça et que je devais te répondre qu'il
était déjà dans le train pour Paris.
- Le train pour Paris ? Il y a une gare ici ?
- Tu vas tout droit en sortant du parc et tu vas tomber dessus
Je me levai et je courus aussi vite que mes jambes fatiguées par les facéties
bookcrosseuses pouvaient me le permettre. Sur le quai, le temps d'apercevoir
vaguement une forme à une vitre coiffée d'un grand chapeau noir et d'une
écharpe, je ne pouvais rien faire d'autre que regarder passer le TER comme une
vache charentaise sur un bord de voie ferrée. Je comprenais mieux pourquoi il
m'avait dit de prendre le train jusqu'à la Rochelle, puis le bus. J'ouvris la main
pour y trouver le papier froissé de la petite fille, je le regardai et j'explosai :
- Encore un putain de pont. De la flotte et des ponts ! Je cherche qui, moi ? le
capitaine Haddock ? Je te hais Modo.
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En attendant Modo
Un détail changeait par rapport à la première fois : un texte sur le côté du
dessin,
Indice
pour
trouver
le
pont
de
dos http://www.bookcrossing.com/journalpics/1843946.jpg encore une adresse
en www. Il allait encore falloir que je trouve un ordinateur. J'en venais à me
demander comment des pirates pourraient trouver un trésor de nos jours sans
le grand dieu Internet. J'allais au guichet SNCF. Le fonctionnaire de service me
regarda bizarrement lorsque je lui demandai s'il avait Internet
- Si c'est pour prendre un billet, je peux vous en vendre un; vous n'avez pas
besoin d'Internet pour ça.
- Oui, un billet pour Paris, ce soir.
- Très bien. ça vous fera 30 euros.
- Dites-moi... Pour faire la réservation du billet, vous vous connectez sur un
autre ordinateur, non ?
- Oui.
- Vous passez par Internet, alors ?
- Oui.
- Intéressant, vous pouvez me faire une note de frais pour la BSW Corp ?
Dix minutes plus tard, je ressortais de la gare avec mon information : le pont
en question se trouvait dans le parc où la petite fille m'avait donné le dessin.
Modo avait osé me mettre un indice, alors que j'avais ce pont sous les yeux. Il
ne pouvait pas prévoir que j'allais me ruer hors du parc pour courir à la gare au
lieu de regarder le papier. Non, personne ne pouvait prévoir ce genre de détail,
et pourtant il savait que je devrais rechercher ce pont plus tard.
En voyant la photo apparaître sur son écran, le guichetier s'était étonné du fait
que je lui tape dessus pour regarder un pont qui se trouvait en vrai à quelques
mètres de là.
Bien au centre du mini cirque romain, me dressant face au pont, je regardais le
dessin et le modèle. Je m'orientai alors sur ma gauche, et je commençai à
retourner la terre. Je comprenais maintenant l'excitation des bookcrossers : au
bout de quelques secondes, je touchais un emballage plastique et je sortais un
livre. Il avait dû être enterré là plusieurs semaines auparavant.
Dans
le train qui me ramenait vers Paris, je regardai tranquillement le
contenu du sachet plastique. A l'intérieur, avec le livre, une lettre m'attendait,
moi, Alfred Bogué. La femme m'avait contacté quelques jours avant, et ce livre
avait bien séjourné un mois sous terre. Il y avait trop d'incohérences dans cette
histoire, et plus j'y pensais, plus il était évident que je me retrouvais au centre
d'une grande manipulation. Qu'est ce que je venais faire là dedans, au milieu
d'une horde de fous d'Internet, moi qui n'avait même pas un téléphone
portable ?
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En attendant Modo
Cher Alfred Bogué,
je suis heureux de voir qu'en moins de trois jours vous avez retrouvé ma trace
assez facilement. Vous êtes bien à la hauteur de votre réputation et vous avez
le cerveau encore vif pour un ancien flic, même si vous êtes un peu alcoolique
sur les bords.
Vous savez, Alfred, des spécimens comme vous n'existent plus que dans les
films du ciné-club ! Mais ne vous plaignez pas : vous avez eu quelques
compensations en nature si je ne me trompe.
Voulez vous jouer une dernière fois avec moi, Bogué ?
Vous m'amusez avec votre Smith & Wesson... Alors, je vais vous donner un
dernier rendez-vous à Paris. Je sais que vous appréciez particulièrement mes
dessins. Je ne peux résister à la joie de vous en faire un dernier.
Cet endroit se trouve au Parc Montsouris, juste au-dessus de la cascade, il y a
un petit panoramique. Asseyez vous, et si vous vous ennuyez, vous trouverez
un livre sous un des bancs. N'hésitez pas à remuer la terre, vous devez avoir
l'habitude si vous êtes en train de me lire. J'ai laissé un livre de circonstance
pour un limier comme vous - Enquêtes sur les Serial Killers Bonne chasse.
Modo
En arrivant à la gare Montparnasse, je rentrai me reposer et faire une nuit
complète. Puis le lendemain matin, je pris le métro direction porte d'Orléans.
Une fois sur place, je remontai les maréchaux et je me rendis au Parc
Montsouris.
Un gardien m'indiqua la cascade. Au-dessus, à l'endroit précisé, je trouvai le
livre.
Je restai là, en attendant Modo.
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En attendant Modo
Chapitre 10
Chapitre de stephenteam se déroulant à Lyon
Bogué dans la gueule du Lyon
- Heu... Excusez-moi... - Yeah ?!
Dans quoi il s'était fourré ? Il se retrouve là, dans un pub à Lyon, blindé
d'Anglo-Saxons qui hurlent pendant un match de foot. Manchester United Arsenal. Un des plus gros matches de la saison. Et lui, Alfred Bogué, se balade
dans cette boîte de sardines et entame la causette avec un grand gars en kilt,
bonnet rose sur la table et écharpe assortie qu'il fait tournoyer au-dessus de sa
tête en criant «Henry ! Henry !». Fredo se demandait encore ce qui l'avait
amené là...
Ring !... Ring !... - Mouais ?... Grumph... Qui donc peut bien m'appeler à cette
heure-ci ? Merde ! Il fait encore jour ! Les gens ne savent pas que le lundi est
un jour pourri ?! Je déteste les lundis. Je préfère dormir toute la journée. Ca
passe plus vite.
- Ouais, c'est pourquoi ?
- Monsieur Bogué ? Alfred Bogué ? Le détective ? »
Hé coquine, how you doin' ?! Bon, il se peut que je lui pardonne. C'est encore
cette personne à la jolie voix de velours. Reprenons avec le mode «Barry» :
- Oui, c'est toujours ok pour notre petit rendez-vous ?... {Voix terriblement
sensuelle, j'assure grave !}
- En fait, on a eu des nouvelles de ce «Modo». Il a réapparu sur le forum du
Bookcrossing. Juste pour laisser une note. Je vous la donne :
«Il faut se mettre à la place
Du danseur, par le fauve dévoré.
Quand le défenseur droit se casse,
Un royal passage au but est ouvré.»
C'est peut-être tiré par les cheveux, mais l'allusion au fauve qui dévore le
danseur fait penser à la ville de Lyon. Après, on n'a aucune idée de ce que veut
dire ce message. Je peux vous donner l'adresse d'un contact à Lyon, en
espérant que ce soit le bon point de départ. Allez demain au Smoking dog, vers
21h. Il aura un bonnet et une écharpe rose. Il s'appelle Aaron Levis. Je vous
recontacterai par son intermédiaire. Voilà. Je ne peux rien d'autre pour vous.
Au revoir, et bonne chance. - Heu... Merci... »
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En attendant Modo
Elle a déjà raccroché. Voilà une femme qui ne s'embarrasse pas de paroles
inutiles, et qui sait ce qu'elle veut. Simple. Directe. Un brin dominatrice...
J'adore.
Le voilà donc à Lyon, dans ce bar avec ce Levis qui a l'air un peu bizarre,
allumé.
- Excusez-moi, vous êtes Aaron Levis ?
- T'es pour qui ?
- Heu... comment ?
- Manchester ou Arsenal ?
- Heu... (Il criait Henry. Et il me semble que celui-ci est à Arsenal.) Ben, je
préfère... Arsenal ?...
- Yémen ! Ouais, c'est moi Aaron. T'es là pour l'affaire Modo ? Une femme qui
m'a l'air terriblement bonnasse m'a appelé pour que j'aide un détective privé à
résoudre une énigme. Je fais des études de cryptologie. T'as la bête ?
- Oui. Voilà, dit Bogué en lui tendant le papier où figure l'énigme.
- Mouais, pas facile. Un danseur... Du foot...
- Vous ne connaîtriez pas une salle de danse à côté d'un stade de foot ?
- Attends. Avant d'aller plus loin, j'ai un truc à faire. »
Levis se faufile jusqu'au bar, et en revient chargé de deux pintes de Mac Ewan's.
- Vas-y. Remplis tes ballasts, et plonge à la recherche de ton esprit intérieur. Et
puis arrête de me vouvoyer, on boit de la binouze ensemble !
En principe, Bogué ne buvait pas pendant une enquête. Il ne disait jamais non
à un Ricard avec deux gnolives, mais l'alcool, il évitait normalement. Là, c'était
pour les besoins de l'enquête, donc un petit verre ne lui ferait pas de mal. Pas
autant qu'avant. Il boit sa bière. En face, Aaron sourit à pleines dents et
reprend :
- Bien ! Alors niveau danse, on a le conservatoire, l'Opéra, la maison de la
danse, plusieurs salles de spectacles... Après, le rapport entre un danseur et le
fait qu'il soit dévoré, je vois pas. A part que ça serait à Lyon. Ensuite, il nous
parle de foot. Le stade est à Gerland. Il y a le Palais des Sports juste à côté, et
la Halle Tony Garnier pas loin. Il y a aussi le Transbordeur derrière les terrains
universitaires.
A ce moment-là, la salle hurle. Des gémissements et des cris de joie se mêlent.
Manchester a marqué. Aaron grimace.
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En attendant Modo
- On s'entend plus réfléchir ici. Sortons. Ca sera plus calme. En fait on pourrait
même se balader pour regarder quelques emplacements. Ma moto n'est pas
bien loin.
Il enfonce la tête dans son bonnet... ou alors il enfonce son bonnet sur sa tête,
enroule son écharpe et se lève pour sortir. Bogué le suit.
Dehors, il fait froid. Le détective se demande comment l'autre fait en kilt. Ils
marchent, côte à côte. Levis perdu dans ses pensées. Alfred regardant partout
autour de lui. Le Vieux Lyon, c'est plutôt sympa. Aaron brise le silence.
- Bon, je vois pas trop. On va prendre ma moto et commencer par jeter un
coup d'œil à Gerland. Je suis garé sur les quais du Rhône. On va marcher
jusque là-bas.
Lors du passage sur la Saône, le vent frais se fait bien sentir. Il fait plus que
frisquet. Ils arrivent à la place Bellecour qu'ils traversent en diagonale. Ils
passent à côté de la statue du cheval de bronze. Bogué voit que c'est Louis XIV.
Il sort la feuille où est inscrite l'énigme.
- Ca serait vraiment tiré par les cheveux... «Il faut se mettre à la place du
danseur par le fauve dévoré...».
Attends Aaron... C'est ici ! J'en suis presque sûr. Nous sommes sur cette place
où trône Louis XIV, le roi soleil, le roi danseur. Il faisait des spectacles et
dansait magnifiquement à ce qu'il paraît. Donc la place du danseur, serait ici.
- La place Bellecour... C'est abusé, et tordu, mais plausible. Après, le rapport
avec le football... Y'a bien OL Coiffure, là-bas, côté Saône. Sinon en foot...
Foot ? C'est pied en anglais ? Et le défenseur droit c'est l'arrière droit. Vu
comment les deux premiers vers sont bizarres, la suite doit être dans le genre.
Si au lieu de parler de football, il parlait de la patte arrière droite du cheval de
Louis XIV ?
- Oui. Approfondissons cette piste.
Les 2 hommes, excités comme des enfants s'approchent de la statue. Ils
cherchent sur le promontoire, du côté indiqué. Rien... Le socle. Rien... Pour
monter sur la statue, et vérifier le sabot, c'est compliqué. Elle est haute. Levis
est plutôt massif, mais il se glisse agilement au sommet de la sculpture. Au
niveau de la cheville de la patte arrière droite, à l'intérieur, une espèce de levier
apparaît.
- J'ai quelque chose. Viens Bogué, je vais t'aider.
Quand on voit Alfred Bogué, on l'imagine plus volontiers derrière un bureau que
sur une barre fixe, ou tout autre agrès. Et on a raison. Aaron a beaucoup de
mal à soulever Fredo. Celui-ci, après avoir constaté qu'Aaron portait le kilt à
l'écossaise, et que le froid faisait son petit effet, arrive à se hisser sur le socle
de la statue. Après avoir repris son souffle, il s'approche du levier.
- Tenons-nous prêts à tout...
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En attendant Modo
Bogué tire le levier. Un grondement sourd. Le cheval semble gémir. Il tremble.
Un petit passage, comme une bouche d'égout vient d'apparaître. Aaron sort un
portable de son sporran (poche du costume écossais sur le devant du kilt). Il
l'allume et ça éclaire un peu le passage. Ils tiennent juste à deux. Aaron déçu
dit à Bogué :
- Y'a rien. Que dalle. On est juste dans le socle.
- Il ne pourrait pas y avoir un autre passage secret ?
- Non. Dessous il y a un parking, et un peu plus loin le métro. Je ne pense pas
qu'il y ait un autre truc là en bas.
- Il y avait forcément quelque chose...
Les deux hommes déçus ressortent. Autant l'excitation était forte, autant là, la
déception est grande. Ils referment le passage et descendent de leur perchoir.
L'un gracieusement, l'autre comme une grosse merde, il faut le dire.
- Bon, Aaron. Je n'ai que cette note. On l'a déchiffrée, mais on n'a aucune autre
indication.
- Ouais. C'est un cul-de-sac.
- Je crois qu'on va devoir abandonner.
- Attends. On n'abandonne pas aussi facilement, nous, les lyonnais. Je vais
appeler un gars pour nous amener une lampe de poche. On est peut-être passé
à côté d'un truc.
Levis prend son portable, pianote dessus et le porte à son oreille.
- Wazzaaaa ! Kécidi ?... Ouais, j'ai besoin de toi. Tu peux m'amener une lampe
de poche ?... Vas-y, arrête-toi ! C'est pas tard ?!... C'est pas que pour ça !... Je
te dis quand t'arrive. Allez tcho !
Il range son portable et dit à Bogué :
- Il s'appelle Crant. Gary Crant. Il est spécialiste en histoire de Lyon. Il est là
dans pas trop longtemps. Je vais essayer de lui en dire le moins possible si je
peux.
Dix minutes plus tard, un gars, pas rasé, avec des cheveux jusqu'au bas du dos
arrive.
- 'a va ?
- Ouais. Je te présente Alfred Bogué. Un détective. Fredo, voici Gary Crant.
Dragueur de la veuve et redresseur de l'orphelin. Bon, Gary. Qu'est-ce que tu
peux me dire sur la place Bellecour ? Son histoire ?
- Tu veux que je te raconte tout ?
- Ouais, enfin surtout l'histoire de la statue et des sous-sols.
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En attendant Modo
- Tu l'auras voulu. Tu sais que quand je commence, je suis inarrêtable.
Bogué n'a même pas le temps de prendre peur que le récit commence. Tous les
trois sont installés sur les marches sous la queue du cheval :
...
Pour des raisons de budget, de temps et de location d'emplacement, la
production ne peut diffuser ici cette passionnante histoire. Vous la trouverez
néanmoins sur la JE du bouquin.
...
- Merci... C'était... dense. Ca nous aide peu, mais merci quand même.
- Tant pis. Si vous me disiez tout, je pense que je pourrais faire plus. Au fait,
j'ai amené ma lampe de poche...
- D'accord. Fredo, je pense qu'on peut lui dire.
Bogué transmet à Crant l'énigme de Modo. Le nouveau venu la lit.
- Voilà pourquoi vous me demandiez l'histoire de la statue. C'est déjà bien.
Vous avez trouvé le sens de l'énigme. Qu'avez-vous découvert ?
- Ben rien, c'est ça le problème. Il y a un levier sur la patte droite du cheval de
bronze. Ca ouvre un passage dans le socle, puis rien. Enfin, on n'avait pas
beaucoup de lumière. On n'a rien trouvé. On va réessayer avec ta lampe de
poche.
Crant et Levis montent sous le destrier, évitant à Bogué de se démener encore
une fois pour atteindre le haut du socle. Gary est ébahi quand son ami ouvre le
passage secret. Ils disparaissent tous les deux. A peine deux minutes plus tard,
ils sont de retour auprès de Bogué.
- Alors ? Qu'avez-vous vu ?
C'est Levis qui lui répond :
- Il y avait une note, très bien cachée. Sur un mur au niveau du sol, y'avait ça
d'écrit :
«Là où le Soleil,
Fleuretait dans l'ombre,
Un grand secret sommeille
Et en recèle un grand nombre.»
Gary, tu sais ce que ça veut dire. J'ai vu que tu as le regard de la «nice pose».
- En effet, je sais. Le Soleil est encore un nom représentant Louis XIV. On parle
ici d'une aventure amoureuse qu'aurait eu le roi. Or, lors de son séjour à Lyon,
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En attendant Modo
il était présent pour le concours de Miss Reine de la France: qui de Marguerite
de Savoie, de Marie Mancini ou de Marie-Thérèse d'Autriche recevrait la rose
tant désirée ? La Marguerite fut vite exclue du choix, on n'aurait jamais permis
qu'une reine ait un prénom aussi... Marie Mancini n'avait elle non plus aucune
chance, bien que le roi lui ait manifesté une vive passion. Les raisons d'Etat
étant plus importantes que les raisons du cœur, et Mazarin tirant les ficelles
pour un rapprochement avec un grand ennemi de la France, le choix du
Bachelor se porta sur Marie-Thérèse d'Autriche, fille du roi Philippe IV
d'Espagne, comme l'indique son nom...
Donc, même s'il ne la choisit pas, on sait que Louis XIV compta fleurette un
petit moment à la nièce de son conseiller. C'était même une grande histoire
d'amour qui commença, genre Charles/Camilla. On sait que Marie Mancini
logeait à la Maison Rouge, à l'angle Sud-Ouest de la place Bellecour. Elle fut
détruite après la Révolution, mais on peut aller voir l'endroit où elle était.
- Pourquoi pas... Toute suggestion est bonne à prendre.
- Allons-y. Vous voyez là-bas. On voit une vitrine rouge à l'endroit qui abrita
autrefois un grand amour royal. C'est Decitre maintenant. Je ne sais pas ce
qu'on va y trouver...
Quelques minutes plus tard, nos trois Indiana Jones sont devant le magasin. Il
n'y a pas beaucoup de cachettes. On voit deux gros pots de fleurs. Bogué va
vers celui côté Saône, Aaron côté Rhône. Celui-ci crie victoire.
- Hey ! J'ai quelque chose... C'est un livre...
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En attendant Modo
Chapitre 11
Chapitre de Snoow se déroulant à Lyon
Café ristrette en terrasse, clope tout juste roulé.
Il n'existe pas de meilleure manière de commencer une journée, foi d'Alfred
Bogué. Je n'émerge pas tant que l'arabica n'a pas réveillé mes papilles et que
les volutes caramélisées de l'Amsterdamer ne m'ont pas envahi les poumons.
Alors, je peux attaquer la lecture de mon canard. Ce matin, c'est le Progrès.
C'est tout ce que le patron de ce foutu troquet croix-roussien a pu me dégotter.
Celui-là, il est pas lyonnais pour rien. La ligne 36 en grève, un caniche écrasé
avenue de Saxe, les travaux du tramway prennent du retard, bref, rien de
vraiment folichon dans cette feuille de chou... Ah ! Andy Warhol au musée d'art
contemporain, j'irai faire un tour aujourd'hui. Ça me détendra, et puis je n'ai
rien d'autre à faire, mon enquête piétine de plus en plus. Hier, encore un lapin
posé par la voix de velours. Je vais finir par me prendre pour Alice, "Sauf que je
commence à croire que je ne vais pas voir les merveilles" maugrée-je dans ma
barbe de trois jours. J'ai dû penser tout haut, parce que j'entends le patron :
"Les merveilles, c'est à Saint-Etienne", me lance-t-il, "Ici, on appelle ça des
bugnes, mais c'est pas l'époque". Les provinciaux et leur humour, je ne m'y
ferai jamais. Bon, Vladimir, au lieu de raconter des conneries tu vas m'aider. Je
lui demande "Pour aller au musée d'art contemporain, on fait comment ?". Il
réfléchit un peu, "Métro C jusqu'à Hôtel de Ville, puis A jusqu'à Foch, et enfin
Bus 4 jusqu'à Cité Internationale" rétorque-t-il. Je le remercie et pose les deux
euros du café sur son zinc. Il pense que je vais prendre ses satanés métros, il
croit quoi lui ? Que je vais m'entasser avec des centaines de gens qui regardent
leur pieds en essayant de tripoter les fesses de la voisine tout en me
bousculant ? Je trouverai bien mon chemin tout seul en bagnole.
Je prends tranquillement la direction de mon bon vieux vévé. Eh merde ! Cette
nuit, les aubergines ont fait du zèle et m'ont collé un joli papillon sur le parebrise. Mais, attends une minute ! C'est pas une prune, c'est un mot. On dirait
un billet doux de cette chère Jessica ! Je déplie la feuille de papier : "Le
modérateur est un vorace". Je sens que je ne verrai pas Andy Warhol
aujourd'hui et surtout qu'il va falloir que je me creuse encore une fois le
ciboulot. Qu'est ce que ça peut bien vouloir dire cette histoire de glouton ?
Finalement, je décide de me balader dans le quartier à pied, je réfléchis mieux
en marchant, et puis on sait jamais, je pourrais peut-être apercevoir mon lapin
blanc. Des idées plus stupides les unes que les autres me passent par la
caboche. Je me dis qu'il va falloir que je cherche à rencontrer tous les
bookcorsaires et que le plus gros d'entre eux sera le maudit modo. Où encore
que le coupable est le plus avide de livres. Bon sang, mais c'est bien sûr, c'est
elj ! Non, ça ne colle pas.
Midi est arrivé, je suis toujours bredouille et je commence à avoir la dalle et la
pépie comme ils disent ici. Je me trouve un petit bouchon où je m'enfile des
oeufs en meurette, avec une sauce au beaujolais. Une andouillette "Bobosse" à
la sauce moutarde ne tarde pas à les suivre, j'arrose le tout avec un petit
Fleurie fort agréable, bref un repas léger. Pour finir, une petite cervelle de
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En attendant Modo
canut, c'est délicieux et pourtant si simple : du fromage blanc, un peu
d'échalote, d'ail, de ciboulette, de persil, de cerfeuil et d'estragon. Quand le
serveur m'apporte la douloureuse, j'en profite pour lui demander si ça lui dit
quelque chose cette histoire de morphale. Il me répond du tac au tac
"Morphale ? Vous voulez dire vorace !", je regarde mon bout de papelard, c'est
qu'il a raison le bougre ! "C'est un bel escalier assez connu sur Lyon, si vous
voulez, je peux vous indiquer quelle traboule peut vous y mener". Ah ah ! Je
crois que je suis lucky aujourd'hui, cette fois, je ne vais pas rater mon rendezvous.
Je me pointe donc à l'escalier des Voraces, joli morceau d'architecture, il faut
l'admettre. Je commence à grimper les marches avec la curieuse impression
d'être observé. Mon flair de privé ne me trompe jamais, je jette un coup d'oeil
discret autour de moi, mais je ne détecte rien. Je continue mon ascension tout
en gardant l'oeil alerte, ce qui me permet de dénicher un bouquin caché. Je
sens qu'il y a quelque chose qui cloche, j'ai comme une impression de déjà vu.
J'entends le bruit des pas de quelqu'un qui s'éclipse discrètement. Impossible
de savoir d'où ça vient. Meeeeeerde ! Je me suis encore fait avoir comme un
bleu ! Pourtant, je commence à les connaître ces zozos de bookcorsaires ! Je le
savais bien que certains d'entre eux observent le trouveur du livre qu'ils
viennent de libérer !
Caramba ! Encore raté mon Pozzo !
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En attendant Modo
Chapitre 12
Chapitre de LaPeste se déroulant à Nantes
Nantes m'était encore inconnue, je n'y étais jamais venu... Il y flottait dans l'air
comme un souffle de marée basse. En clair, ça puait la vase. Bizarre. La mer
n'était pourtant pas juste à côté.
J'étais entré dans la ville par les quais, ceux-là même qui autrefois devaient
accueillir d'innombrables bateaux. Le trafic ancestral pesait de son ombre sur
les chantiers navals moribonds, et le souvenir des familles d'armateurs
richissimes se pavanait encore aux devantures des hôtels particuliers, rythmant,
de leur stature étrangement penchée, les bordures de la Loire. « La vache, ça
doit être épique à meubler un appart' de guingois !»
Je trouvai une place sur un parking au bout des quais. Mon combi Volkswagen
pouvait souffler un peu après toute cette route... et moi aussi !
Il était encore tôt, je n'avais rencard qu'à 15h. J'avais encore le temps de
trouver le lieu du rendez-vous et même de m'en jeter une dans le creux du
gosier : le soleil commençait à taper et la route m'avait desséché. Je jetai mon
dévolu sur une grande place ensoleillée parsemée de terrasses de café, avec en
point de mire la façade de l'ancien Palais de la Bourse reconverti en FNAC...
mon point de jonction.
Je commandai une pression, en faisant remarquer au garçon, (plus trop jeune
pour un garçon) l'odeur désagréable de vase qui bordait les quais :
« C'était marée basse ce matin, monsieur ! » me rétorqua-t-il comme une
évidence, « depuis que le lit du fleuve a été creusé après la guerre pour
reconstruire la ville, les marées se font sentir jusqu'à loin dans les terres. A
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En attendant Modo
marée montante le cours de l'eau semble s'inverser et repartir vers la source...
Vous n'êtes pas du coin ? »
« De passage...» lui répondis-je, et je tournai la tête de peur qu'il ne me
saoule... je le sentais bien parti pour me refaire l'histoire de son bled, et
franchement, je n'avais qu'une envie, c'était de me dorer la pilule en attendant
ma demoiselle mystérieuse.
L'espace se remplissait doucement : le soleil attirait les lézards. Les travailleurs
pressés vidaient peu à peu les lieux et laissaient la place aux promeneurs
alanguis.
Je scrutais la droite du Palais de la Bourse, au pied de la statue du navigateur
portant un cadran nautique. Aucune poupée ne m'attendait... et soudain je
grimaçai intérieurement, de dépit ; je me rappelai le signe distinctif qui me
permettrait de la reconnaître : un livre à la main... à la sortie du plus grand
centre commercial du livre, quelle bonne blague ! Ca sentait le lapin mouillé !
Mon vieil Alfred, cette donzelle s'est moqué d'ta pogne, t'as fait tous ce chemin
pour des clopinettes... Je réglai l'addition sans un mot et ramassai mon barda,
déconfit. J'allai malgré tout traîner mes basques au pied du grand bonhomme
de pierre couvert de fiente. Rien, nada, aucun indice, pas une miette
d'information, juste une vague odeur rance de vieille urine. (En plus de la fiente
de pigeon, le pauvre navigateur devait soulager les vessies alourdies des
étudiants après de longues soirées arrosées ou des supporters de foot les soirs
de match). J'allais m'en retourner, quand je sentis quelqu'un m'attraper par la
manche.
- C'est toi l' détective ? »... un drôle de bonhomme me faisait face. Long
manteau élimé, barbe blanche et teint rougeaud, il tirait un caddie rempli d'un
bric-à-brac digne de la Zézette du splendide.
- Oui ? Alfred Bogué. Qui êtes vous ? Moi qui espérais une jolie naïade, j'étais
servi.
- J' m'appelle Moïse, j' suis philosophe. Le clochard se rapprocha de moi et me
susurra à l'oreille à travers son haleine chargée :
- J'ai un message pour vous. - Qui vous a donné ce message, vous l'avez vue,
elle vous a parlé ?
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En attendant Modo
Moïse se redressa :
- Elle ?..., nan, c'est un drôle de pingouin en costard qui m'a bien rincé pour
que je vous récite quelques mots, il m'a fait répéter la leçon au moins dix fois
pour pas qu' j' me trompe... j' vais pouvoir m'acheter des lunettes de soleil, j'ai
toujours rêvé d'avoir des lunettes de soleil, surtout qu'avec le soleil, j'ai les
yeux qui fatiguent, il paraît que...
- Bon, tu descends de ta montagne, tu m'la fais ta tirade !
- Oh, ça va l'touriste humoriste, tu te crois drôle ? Y'a qu' les gosses qui osent
me la faire celle-là...
Moïse marqua une pause. Je crus qu'il ne lâcherait plus rien, puis finalement il
reprit :
- Bon t'es prêt? C'est bien parce que j'ai ramassé du frais sur l'autre pingouin :
Dans le Passage à l'entrepont trouvez l'enfant des Beaux-arts de Jean de Bay.
Près de lui, un indice vous attend au dessus des dragons femelles.
et Moïse fièrement s'illumina d'un large sourire édenté.
- Quoi ? C'est quoi c' t'embrouille ? J'ai plus dix ans, j'ai passé l'âge des
mystères à deux balles !
Ca commençait à me courir l'épiderme c' t'enquête. Le greluche était vicieuse,
elle voulait que j'l'aide, mais on pouvait pas dire qu'elle y mettait du sien... elle
s'appliquait malicieusement à me mettre des bâtons dans les roues...
- Moi je peux te rencarder...
A moins que l'enjeu de cette enquête, ce fameux Modo, cette figure de l'ombre,
l'imposteur du net, ne soit quelque dangereux criminel craignant pour son
anonymat... Il fallait rester prudent.
- Hein quoi !
Je l'avais oublié celui-là... Moïse me tirait encore sur la manche avec son
sourire de nain d' jardin en vitrine.
- Moi je peux te rencarder. Je connais la ville comme mon salon, c'est mon
jardin, mon musée, je la vis et je la respire à longueur de journée... : je sais où
est le Passage !
Je le regardais interloqué.
- Vas-y ! Je t'écoute !
- Donnant-donnant ! me répondit-il.
Je sortis une liasse de billets de ma poche et lui en donnai la moitié. Moïse
s'obstinait en silence. Je lui donnai le reste. Comme je pouvais le constater, les
tarifs en province avaient aussi augmenté, à moins que mon statut de touriste
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En attendant Modo
ne me réserve un forfait luxe... Tant pis, le bonhomme devenait sympathique
et j'avais hâte d'avancer dans cet étrange labyrinthe.
- Suis-moi, je te montre...
Il mit son caddie en mouvement et m'entraîna vers une ruelle s'ouvrant en
bordure de la place. Je le suivais, confiant, son allure de Père-Noël défraîchi lui
conférait une aura rassurante. Au bout de la ruelle, nous avions bien fait 50
mètres environ, l'entrée d'un passage intérieur couvert, orné d'une enseigne
sous forme d'invite : Visitez le Passage Pommeraye.
Les 50 mètres me revenaient cher, mais désormais, il ne me restait plus qu'à
trouver l'enfant et les dragons.
«Bon, je te laisse là. Mon caddie ne peut pas monter les marches. Ah ! Autre
chose : m'est avis que ton Jean de Bay est un sculpteur...» Puis s'éloignant :
«Ravi de t'avoir rencontré» me cria-t-il en tapotant sur la poche où il avait
glissé l'oseille dont il venait de me soulager.
Je grimpai les quelques marches. La galerie commerciale, digne du Bonheur de
Dames de Zola, s'allongeait sous la voûte, rythmée de magasins dont les
enseignes d'origine avaient été conservées. Arcades, sculptures, médaillons,
bustes. Cet endroit hors du temps avait gardé un charme indescriptible. Je
m'avançai au bout du premier niveau. un grand escalier de bois orné de
ferronneries et de colonnes sculptées me faisait face. Sur le pont intermédiaire
et la partie supérieure, des statues d'enfants nus décoraient l'espace, baignées
d'une chaude lumière grise filtrée par le toit en verrière.
Le but était proche, et la ville m'inspirait comme elle avait inspiré auteurs et
réalisateurs. Je gravis l'escalier jusqu'à l'entrepont. Quatre statuettes
m'entouraient. Je m'approchai et je compris : sans doute allégories des
activités de la ville, les statuettes représentaient l'industrie, l'agriculture, etc....
Je trouvai sans peine le Génie des Arts... Foi de Bogué, je sentais mon
épiderme s'emballer. «Tu brûles mon grand !»
Pas loin de là, une colonie de dragons femelles me tirait la langue. Je leur tirai
la langue en retour, amusé par ce nouveau jeu. un paquet m'attendait
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En attendant Modo
sagement dissimulé au dessus de leur tête. Je l'attrapai en état de grâce : un
livre enfermé dans du plastique.
«Yawwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwp !» hurlai-je.
Je sortis de l'ombre surpris par deux vieilles dames chargées de sacs Damart,
stupéfaites par si peu de discrétion. Je leur fis une révérence gracieuse d'Alfred
Bogué, mais elles poursuivirent leur chemin, outrées. Mon trésor sous le bras,
je sortis du passage en prenant par la galerie haute. «Mon royaume pour un
petit hôtel et une bonne douche».
Ma journée n'était pas encore finie, mais j'étais tout à mon nouveau bonheur de
chasseur de livre.
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En attendant Modo
Chapitre 13
Chapitre de bacicoline se déroulant à Paris
Alfred était en nage...sa patience était à bout...
Depuis bientôt un quart d'heure, il farfouillait dans le lierre et les palmiers, sous
les yeux méfiants d'un vigile et ceux amusés d'un petit garçon joufflu tenant un
gros ballon bleu à la main, plus gros que sa petite tête bouclée.
Se doutait-il, il y a quelques temps, alors qu'il espérait, assis dans un café,
l'apparition de Jessica Rabbit, que non seulement il ne rencontrerait pas de sitôt
la déesse occupant ses pensées mais pire... que ses pérégrinations aux quatre
coins de l'Europe ne lui épargneraient aucune humiliation ?
Il y a deux jours, Alfred avait reçu par la poste un message qui lui avait paru
plus que mystérieux :
- Lieu du rendez-vous : gmail
- Nom du contact : arabesque
- Mot de passe : cabot_cove
Il avait passé la journée, le nez dans tous ses livres spécialisés, à tenter de
déchiffrer le code secret, trouver la clef lui permettant de connaître le lieu du
rendez-vous. Et même le lendemain, alors qu'il sirotait un diabolo citron, il
continuait à se torturer les méninges. Il avait tenté l'alphabet inversé, une
correspondance entre les lettres et les chiffres... Il avait même vérifié les pages
jaunes au cas où il s'agirait du dernier lieu de rendez-vous à la mode.
Mais il n'avait trouvé aucun indice. Où donc allait le mener ce nouvel indice ?
GMAIL... Voyons, voyons.
Alors que le serveur ramassait la monnaie, il s'exclama :
« Tiens gmail. C'est nouveau ? Connaissais pas ce service... Moi j'utilise yahoo.
C'est bien comme site ?
- Ah vous savez où ça se trouve ? demanda Alfred, éberlué.
- Hein ? répondit le serveur sans vraiment s'inquiéter de son interlocuteur.
Continuant sur sa lancée, il expliqua : Par contre, z'êtes pas prudent de laisser
toutes ces info à la portée de tous, avec tous les curieux qui traînent...
- Mais de quoi parlez-vous ? Et pourriez-vous m'indiquer comment me rendre à
gmail ? C'est un nouveau bar parisien ?
Bogué posa cette dernière question d'un ton plein d'espoir. Pourvu qu'il puisse
rester dans la région... Il en avait assez des départs impromptus vers la Suisse
ou Toulouse. Il avait envie d'un bon bol d'air pollué à la parisienne, d'une
plongée dans la bonne humeur locale !
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En attendant Modo
- Un bar !? Mais pas du tout, c'est un site de messagerie sur internet. Un
endroit où vous pouvez ouvrir une boîte aux lettres virtuelle.
- Ah ? Et vous savez comment je peux faire pour y accéder si je n'ai pas
internet chez moi ? Vous pourriez le faire pour moi par exemple ? Et ce «
arabesque », on est sûr qu'il sera là quel que soit le moment où j'irai sur ce
site ?
Les questions de Bogué semblaient si farfelues au serveur qu'il crut d'abord à
une blague. Et puis finalement, intrigué et curieux, il proposa :
- Je finis dans un quart d'heure et j'habite à deux pas. Si vous voulez, je vous
montre comment faire... »
Bogué ne fut que trop heureux d'accepter. Et c'est comme ça qu'il se retrouvait
une demi heure plus tard dans la chambre de bonne du serveur-étudiant en
chimie à qui Alfred avait un peu expliqué l'histoire et qui semblait maintenant
enthousiasmé par la mission qui venait de lui être confiée.
Mais là, assis à côté de l'ordinateur de son adjoint d'un jour, Alfred était
soudain plus que perplexe devant l'indice pour le moins elliptique qu'il venait
d'obtenir.
« Alfred,
Dirige-toi sans tarder vers le lieu où les liciers sont à l'œuvre depuis le 17ème
siècle.
Dans le temple de la consommation local tu te rendras.
Tu y trouveras l'indice suivant sous les palmiers.
Amicalement
Jessica Fletcher »
Décidément, Alfred avait fait le bon choix en se confiant à cet étudiant. Ce
dernier ne le laissa pas tomber. Son cher Watson tapota en effet quelques mots
dans son ordinateur et aussitôt, de précieuses informations lui permirent de
remettre en marche les rouages de son esprit. Il mit bout à bout chaque
élément.
Pressé de découvrir le mystérieux modo, il fila aussitôt vers l'endroit où était
caché le prochain livre.
Et c'est pour ça qu'Alfred, priant pour que ces maudites plantes vertes ne
soient pas traitées avec un produit chimique toxique, soulevait les branches à la
recherche du livre annoncé dans le message. Il était accroupi en haut des
escalators, à mi-chemin entre une séance de cinéma et un steak d'hippopotame.
Une foule d'adeptes du shopping lui passaient à côté sans même lui jeter un
regard.
Quelques minutes plus tard, triomphant, il repartait vers son bureau, un
précieux indice à la main.
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En attendant Modo
Chapitre 14
Chapitre de abstraite se déroulant à Rouen
Bogué, un peu essoufflé - comme à chaque fois qu'il fait trois pas - ronchonne
encore et toujours :
«Ca n'est plus de mon âge tout ça, il va vraiment falloir que j'arrête de fumer,
ou bien que je songe à une reconversion, un boulot plus calme, je ne sais pas,
moi, fleuriste ?... En tout cas cette nénette se paie ma tête : en vouloir à un
simple modérateur, sous prétexte qu'il «pollue un forum internet et bride la
spontanéité des intervenants»... Elle n'a rien de mieux à faire que de le
traquer ? C'est louche, il doit y avoir autre chose... Si ça se trouve elle est
mytho ! Remarque, ça me change un peu des histoires de coucheries et
d'amants délaissés...»
Il pose deux minutes son baise-en-ville - comme dit son pote Andras en se
fichant de lui - sur le banc de l'abribus et en sort un petit dictaphone d'un autre
âge, vaguement protégé par une housse en skaï élimée.
Mode «record» on :
«J'arrive à proximité du lieu de RDV. Du moins je pense. Les indications étaient
un peu vagues : "En-dessous de la gare, le plus beau petit jardin du centre-ville
accessible au public... qui donne sur ce musée, vous savez ?" Non, je ne sais
pas, je ne connais pas toutes les villes par cœur, mademoiselle ! Et elle qui me
répond : "Oh moi non plus, je suis pâârisienne ! Mais j'effectue régulièrement
des déplacements en province et je serai à Rouen dans les prochains jours?...
Oh zut ! Il faudrait que je fasse attention à ce que j'enregistre, quand-même!»
Il coupe le dictaphone et poursuit, perdu dans ses pensées :
«Elle minaudait, ma parole ! "On y est comme coupé du monde, on y sera
tranquille..." Tu parles ! Ca m'a tout l'air d'un rendez-vous galant : Elle s'attend
peut-être à ce que je lui effeuille la marguerite, ah ah ! Bon, nous y voilà...
Toute cette verdure, ce plan d'eau, ces cygnes? Ca serait plutôt zen, sans les
jacasseries des ménagères et les hurlements des mioches... Je ferais peut-être
mieux d'aller me taper une petite Jeanlain au troquet du coin...»
Il chasse néanmoins cette idée de son esprit et se résout à patienter. Vingt
minutes s'écoulent... Bogué a bien du mal à résister à la tentation : une petite
pipe ne serait pas de refus, histoire de se détendre...
«Monsieur, vous pourriez vous abstenir, si près des enfants!»
Enfin quoi ? C'est qui cette rombière ? Je fume quand je veux d'abord... Hum,
je n'avais pas vu le couffin ! Admettons... «Ne m'en veuillez pas, M'dame, c'est
que voyez-vous, j'ai la rate au court-bouillon : C'est un rendez-vous galant et
j'ai comme l'impression que la demoiselle m'a posé un lapin !
Rien d'étonnant ! Regardez comme vous êtes attifé ! Vous faites peur aux
enfants ! Boutonnez-moi donc ce col, éteignez cette pipe et donnez-vous un
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En attendant Modo
coup de peigne, que diable ! En plus, faire sa cour au milieu des bacs à sable et
des cages à écureuils? en voilà une idée ! Vous seriez tellement mieux là-haut...
C'est beaucoup plus intime !
Là-haut ?...
Eh bien oui, dans le jardin du petit musée !
Rhô nadidiou ! Je n'y suis donc pas ?
Mais non, vous êtes au square Verdrel ! Prenez donc le petit escalier là-bas,
côté nord, et poussez la grande porte rouge, sur votre gau - mais ! mais ! mais
vous pourriez dire au revoir tout de même ! Quel goujat ! Il n'est pas prêt pour
le grand amour, lui...»
En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, Bogué a empoigné sa sacoche
et s'est débiné sans plus de cérémonies.
Mode «record» on :
«Et voilà, le rencard était foireux, je m'en doutais... Sur mon plan j'ai vu le
Musée des Beaux-Arts et je n'ai pas cherché plus loin, je vieillis, y'a pas à dire,
je vieillis... Espérons qu'elle m'attende encore... !»
Mod'off.
«Poussez-vous les Jap's, vous photographierez les vieilles poteries un autre
jour... Oh ! Mais c'est plutôt chouette par ici!»
Mode record on :
«Un petit jardin tout croquignolet... des bancs de pierre... Eh ! mais c'est
sûrement elle, qui se barre par l'autre sortie ! Madame, madame, attendez-moi !
Bon sang, laissez-moi passer les Jap's ! Je n'en crois pas mes yeux, elle a fichu
le camp... Du moins si c'était elle... Ce n'est pas aujourd'hui que je verrai la
couleur des siens...»
Mode record off.
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En attendant Modo
Chapitre 15
Chapitre de CafardKiller se déroulant à Rennes
Alfred Bogué chercha sa place numérotée dans le TGV qui le menait à Rennes,
nouveau rendez vous que lui avait donné la voix mystérieuse.
Son damné combi Volkswagen venait de le lâcher et se faisait refaire une
beauté au garage.
Il était fatigué et commençait à en avoir assez de se faire trimballer d'une ville
à l'autre. Il ne put même pas se détendre pendant ce voyage de deux heures et
quart en allumant sa pipe puisque la nouvelle loi avait rendu le train
entièrement aseptisé, c'est-à-dire non fumeur. Il se remémora avec nostalgie
les premières réactions des fumeurs de clopes au temps béni des wagons
fumeurs, espèce désormais éteinte, lorsqu'ils le voyaient sortir sa racine de
bruyère. Ils lui lançaient d'abord un regard effrayé, certains de subir un
supplice nauséabond laryngo-grattant et lacrimo-extractant. C'est fou comme le
commun des mortels peut vivre de préjugés sur tout. Puis les nez respiraient
avec méfiance et les regards passaient de l'étonnement au sourire en
découvrant avec stupeur et soulagement le doux parfum caramel et sensuel de
son Amsterdamer.
Ne pouvant se délecter que du souvenir, il rongea son frein et ouvrit le livre
étrange, étiqueté, que son dernier rendez vous raté lui avait fait trouver.
Plus absorbé qu'il ne le croyait par sa lecture, les heures passèrent comme un
charme et le contrôleur annonça les trois minutes d'arrêt du Paris Quimper en
la gare de Rennes. Cette dernière avait bien changé depuis son précédent
séjour à Roazhon il y a quinze ans; ça n'était plus la gare étriquée et sale qu'il
avait connue, mais une grande gare moderne propre et tout confort.
Il fut tenté de s'arrêter prendre un café mais renonça et prit la sortie Nord, la
seule qui existait il y a quinze ans, et héla un taxi. Il voulait faire vite, pas
question de passer encore une nuit dans un hôtel de gare provincial et miteux,
il était fermement décidé à rentrer sur Paris le soir même, sauf si la piste se
montrait enfin à la hauteur de ses espérances. Cependant la voix lui avait
tellement posé de lapins que son intuition lui disait que ce n'était pas encore à
Rennes qu'il allait enfin rencontrer son inconnue
Son taxi était une Clio grise, assez confortable. Il aperçut avec bonheur un
cendrier :
- Je peux fumer ?
- Oui.
- Cimetière de l'Est s'il vous plait.
Le chauffeur, un petit homme grisonnant avec un nez en patate, fit signe qu'il
avait compris et démarra. Bogué constata avec soulagement que son homme
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En attendant Modo
ne se lancerait pas dans de grandes discussions, il n'avait surtout pas envie de
faire la conversation avec une commère.
Le cimetière de l'Est... ses rendez vous devenaient de plus en plus glauques.
Elle lui avait promis d'être là, plutôt sordide comme lieu de rencontre... Avaitelle du nouveau sur Modo ? Quels éléments nouveaux étaient susceptibles
d'être découverts dans un cimetière ? Pourvu qu'il ne soit pas mort! Et si son
inconnue disparaissait sans même lui avoir révélé son nom et surtout son
visage, qui, s'il était assorti à sa voix promettait de réchauffer les sens du
pauvre détective. ?
Le cimetière ne se trouvait pas très loin de la gare, de sorte qu'Alfred n'eut pas
le temps de rêvasser plus longtemps. Le chauffeur s'arrêta sur le petit parking
parsemé d'arbres.
- Quatre euros cinquante cinq.
Alfred lui tendit un billet de cinq et sorti du taxi. Il salua l'homme au nez en
patate qui ne répondit pas et démarra aussitôt.
Il pénétra aussitôt dans le vaste cimetière, parfaitement entretenu. Il sortit de
la poche intérieure de son veston un morceau de papier. Son inconnue lui avait
donné un nom, était ce le sien ? «Demandez Véronique L****** au gardien et
il vous mènera à moi.». Il jeta en passant un coup d'œil aux horaires
d'ouverture afin d'être sûr de ne pas rester enfermé : Dimanche et jours fériés
9h/18h et en semaine 8h30/18h30, c'était bon il avait du temps devant lui. Il
chercha des yeux dans le vaste terrain quelqu'un qui pourrait être le gardien. Il
remarqua un vieux bonhomme tout tordu armé d'une bêche qui faisait un tas
avec des plantes fanées et des restes de ce qui avait été des bouquets de fleurs.
Il portait une vieille casquette grise et une veste toute élimée.
- Pardon monsieur vous êtes le gardien du cimetière ?
- Non mon gars, j'm'amuse à déplacer toutes ces cochonneries pour l'plaisir.
Bien sûr qu'c'est moé !
- Je cherche Véronique L******, on m'a dit que vous pourriez me conduire à
elle.
- Qu'est-ce qu'vous lui voulez à la pitchnoune ?
- On a rendez-vous.
- Z'avez rendez-vous ? Elle est bien bonne celle là !
Il me regarda d'un air plus que méfiant mais ne fit pas mine de bouger.
- Ecoutez, je suis assez pressé, si vous pouviez me conduire à elle rapidement,
je vous en serais très reconnaissant...
Et Alfred glissa un billet de 10 euros dans la main terreuse et calleuse du vieux
bougre.
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En attendant Modo
Le visage du vieux se détendit et se déplaça lentement vers la gauche de
l'entrée du cimetière. Ils dépassèrent le jardin du souvenir puis longèrent le
cimetière des enfants, ils suivirent un tournant, là un chemin naturellement
creusé par le petit tracteur d'entretient séparait le cimetière des petits en deux.
A la reprise de la deuxième partie, Alfred lut au bord de la route le numéro 60
peint en blanc, le gardien s'arrêta à quelques dizaines de centimètres, devant
une petite tombe grise. Il y avait, planté en haut de la tombe une pierre haute
rectangulaire sur la gauche qui se transformait en une espèce de menhir plat
sur sa droite. Au pied de cette pierre se trouvait une petite plaque
commémorative toute usée, avec devant celle ci un petit vase blanc en boule,
où mourait ce qui avait été une petite plante grasse. Devant le vase se trouvait
un carré de petits galets blancs, et enfin la tombe se terminait par un rectangle
de terre destiné à recueillir des plantes.
Un sentiment de tristesse envahit le détective qui se tournant vers le gardien
dit :
- Pourquoi vous arrêtez vous là ? Je ne vois personne.
- Ben c'est ben la p'tite que vous vouliez voir nan ? Elle est là la malheureuse.
C'est alors qu'Alfred lu l'inscription sur la pierre :
Véronique L******
21/08/58
13/05/59
- J'savais point qu'y avait encore quelque vivant qui s'en préoccupait d'c'te
gamine, ça faisait bien vingt ans qu'la tombe était pas fleurie et pis v'la qu'en
un mois y a deux personnes qui m'la réclament.
- Comment ?! Qui était la première personne ? Un homme, une femme ?
- Un homme.
Bogué fut déçu, ça n'était pas encore aujourd'hui qu'il aurait la description de
sa belle inconnue.
- Vous a-t'il donné son nom ?
- Ouaip.
Le bonhomme commençait à lui taper sur les nerfs, il restait silencieux. Le
détective se délesta de nouveau d'un billet de dix.
- L'a dit un nom bizarre, Rodo, ou Modo, queque chose dans l'genre.
Enfin, il retrouvait un semblant de trace de Modo ! Mais où était son Arlésienne ?
Et qui était la petite Véronique ? Quel était son lien avec Modo ?
- Que savez-vous de la petite ?
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En attendant Modo
- J'connaissais pas la famille, j'ai juste vu la mère à l'enterrement, une rousse
splendide, pulpeuse à souhait. Le drame avait fait la une des journaux locaux,
le grand frère d'la gamine qu'était à peine plus vieux avait étouffé la gosse avec
un sac plastique, è gueulait trop qu'il a dit à sa mère quand elle les a
retrouvés... c'était moche...
Et le vieux s'éloigna en grommelant des paroles incompréhensibles.
Notre Sherlock resta un instant perplexe devant la tombe, constatant
intérieurement que son enquête n'avait pas beaucoup avancé, et qu'il s'était
encore fait poser un lapin par la voix. Il allait rentrer chez lui bredouille, lorsque
son attention fut attirée par un paquet derrière la plaque grise. Il se pencha et
le prit. Il ouvrit le paquet et découvrit encore une fois un livre. Il était question
dans ce livre, d'après la quatrième de couverture, d'un homme amnésique et
d'un cimetière d'anges... Le lieu, c'était clair, avait un rapport avec sa petite
balade du jour, mais l'amnésie était-elle un message à propos de Modo ? Sa
disparition avait-elle un rapport avec une quelconque perte de mémoire ? Qui
avait laissé ce livre ici ? La voix ? Modo lui-même ? Qui tirait les ficelles de cette
histoire ? Les hurluberlus du forum ne se fichaient-ils pas de lui ?
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En attendant Modo
Chapitre 16
Chapitre de tit-vinz se déroulant à Paris
Une légère bruine détrempait le pavé parisien. A peine de retour dans la
capitale et voilà qu'Alfred Bogué se faisait saucer par une de ses petites averses
printanières qu'il exécrait tant. Traverser la moitié de la France, n'arriver jamais
à rien, tout ça pour finir ici, dans le sud de Paname, le cheveu collé au front et
la pipe noyée par la fine pluie.
Sale temps pour un privé, il fallait bien l'avouer. De toute façon, toute cette
histoire était bizarre. Il avait beau faire des efforts, courir après ce damné Modo
à travers tout le pays, il n'arrivait à rien. Et tout ce qu'il trouvait au final, c'était
des livres. Il commençait à avoir une sacrée collection, il fallait bien l'avouer.
Toutefois, cette fois ci serait la bonne. Il le sentait. Son instinct de détective ne
se trompait jamais. Il lui avait permis de résoudre bon nombre d'affaires tout
au long de sa carrière. Et sans ce damné sixième sens, il aurait dû plus d'une
fois casser sa pipe. Instinct ou chance folle ? Ca n'avait pas d'importance. En
tout cas, c'était comme ça qu'il avait bien souvent échappé à un bien triste sort.
Comme ce soir, du côté des Halles, lorsqu'il avait évité les coups de feu de Joe
Le Trembleur... bah, c'était le bon temps...
Alfred Bogué s'ébroua, comme un gros chien un peu pataud. Il était plus que
temps de trouver un abri pour se protéger de cette pluie agaçante. Et puis, le
passé était le passé, il lui fallait se consacrer à son affaire.
Après tout, ce sacré modérateur n'allait pas lui échapper tout le temps.
Et puis cette nouvelle piste, cet appel de son informateur, se présentait très
bien. Apparemment la Dame (c'est en tout cas ainsi qu'intérieurement il
l'appelait, à défaut de plus amples informations sur son identité) avait retrouvé
la piste du lascar, ici, à Paris. Il avait retrouvé un télégramme chez lui, à son
retour de voyage.
Le temps de faire un brin de toilette et de se reposer un peu, et il avait sauté
sur cette nouvelle piste, comme un bookcrosseur sur un livre.
Modo était dans le 15e, il en était sûr. Il s'était installé un refuge quelque part
dans le quartier. La Dame avait précisé qu'Alfred recevrait de l'aide dans sa
recherche. Elle lui avait même donné quelques mots de passe assez obscurs
pour prendre contact. Alfred regarda sa montre. 15h30. Ou sa tocante avait
pris l'eau une fois de plus, ou il était sacrément en retard. En toute hâte, il
partit vers son lieu de rendez-vous.
Le MacDonald sentait la friture, le vieux papier, la mauvaise viande cuite, et
résonnait des cris de gamins venus là fêter l'anniversaire d'un des leurs. Alfred
détestait ces pseudo-restaurants, où on essayait de faire le plus d'argent
possible avec le moins de nourriture. Comme auraient dit certains, ça sentait le
pognon jusque dans le cœur des frites. D'ailleurs tout ça lui donnait une légère
nausée. La Dame l'avait habitué à mieux quand même. Une bestiole géante,
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En attendant Modo
nouvelle mascotte du restaurant, se dandinait au milieu des gosses en chantant
des chansons ineptes. Apparemment c'était la représentation que se faisaient
les responsables de l'endroit d'un pangolin. Ce n'était pas évident au premier
abord, mais tout devenait clair quand on lisait le badge arboré par l'animal :
Toto le Pangolin. Alfred jeta de nouveau un œil à ses notes. Il ne comprenait
vraiment pas ces mots de passe.
Une voix au-dessus de son épaule susurra : « J'ai plus d'appétit... ». Il sursauta
et se retourna vivement. Le pangolin géant le regardait d'un air goguenard (ce
qui n'est pas évident pour un pangolin, il faut bien l'avouer). La bestiole répéta :
« J'ai plus d'appétit... ? » Tout était clair maintenant ! Sans hésitation, Alfred,
répondit : « qu'un baracouda... ba-ra-cou-da ! ».
Visiblement rassuré, le pangolin s'installa en face d'Alfred.
« Vous savez qui m'envoie ? J'ai un message pour vous. »
« De la part de qui ? questionna Alfred. » Après tout, comme il le répétait
souvent, on n'est jamais trop prudent dans ce genre de cas.
« De Sa part bien sûr ! » La majuscule était presque audible dans la réponse.
La Dame ! Alfred se pencha et fit signe au pangolin de continuer.
Le pangolin poursuivit :
- L'un de mes informateurs a eu vent d'évènements étranges du côté des
anciens abattoirs.
- Quels abattoirs ? interrogea Alfred.
- J'y reviendrai, j'y reviendrai. Bref, mon informateur avait réussi visiblement à
trouver la cachette de celui que vous cherchez. Il m'a laissé quelques indices
pour me guider, mais depuis quelques jours il a disparu.
- Mais enfin, allez vous me dire où sont ces abattoirs, sabre de bois ! s'emporta
Alfred.
- Evidemment, il s'agit...
Le pangolin n'eu pas le temps de finir sa phrase. Il s'écroula. Alfred se précipita
pour retirer le masque en caoutchouc. L'homme en dessous était en train de
s'étouffer, son visage était gris. Un empoisonnement. Intérieurement, Alfred
pensa qu'il avait eu raison de ne pas commander ici, visiblement la cuisine
n'était pas de grande qualité. L'homme murmura quelque chose. Alfred se
pencha pour mieux entendre : « Les... les abattoirs... les amoureux... bancs
publics... bancs... publics... message sur la statue... entre les halles...
message... »
L'homme avait usé ses dernières forces pour transmettre son message. Il
s'écroula, mort. Alfred remit le masque en place et adressa une pensée à ce
brave pangolin. Puis avant qu'on ne remarque ce qui s'était passé (le bruit des
enfants, et leur agitation avaient masqué toute la scène aux autres clients du
fast-food), Alfred sortit rapidement.
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En attendant Modo
Tout en marchant dans les rues de Paris, il réfléchit à ces dernières
informations. D'anciens abattoirs, des bancs publics, des amoureux, des halles...
voilà qui était bien étrange. Allumant sa pipe, il plongea dans ses souvenirs. Où
avait-il entendu ça ? Soudain il comprit.
Il avait une petite trotte jusqu'à l'endroit mais après tout, maintenant que la
pluie s'était arrêtée, il pouvait bien faire un peu d'exercice.
Vingt minutes plus tard, il arrivait sur les lieux. Il n'était venu qu'une fois ici,
pour y rencontrer un indic dans le cadre d'une sordide affaire d'adultère qui
mettait en jeu un couple, un pingouin et une orange sanguine. Rien que d'y
penser, il en frissonnait encore. Ca avait été certainement l'un des pires affaires
d'adultère qu'il ait eu à traiter.
Bon plus le temps de se plonger dans ces souvenirs. Il devait se mettre en
chasse. D'abord la statue et son message. Il repéra les halles et entre les deux
espaces, il vit la statue. De l'autre côté de la rue, un bar-restaurant présentait
sur sa vitrine des verres de vin souriant et dansant. Le dessin ne plaisait pas du
tout à Alfred. De toute façon il n'aimait pas vraiment le vin blanc.
Oubliant la «fresque» il se retourna et se concentra sur la statue : elle
représentait un homme portant sur ses épaules un quartier de viande.
Visiblement on avait voulu rappeler à tous les passants qu'ici se tenaient
autrefois d'anciens abattoirs. En observant la statue avec plus d'attention,
Alfred vit un petit morceau de papier. Sans hésitation, il le récupéra et le
déplia : «Entrez et tournez directement à gauche. Sous le premier banc, un
message.». Le privé descendit les quelques marches en arc de cercle qui
menaient à l'entrée. Il tourna tout de suite à gauche et se retrouva à longer les
halles. Il monta quelques marches et arriva sur une petite esplanade pavée de
plantations. Sous un banc, il trouva un second message : «Il suffit de passer le
pont, de vous diriger vers la pyramide, de repasser un pont, de trouver l'origine
des bourdonnements et face au bâtiment, de trouver le petit chemin qui forme
une anse.»
Alfred regarda autour de lui. Un pont partait de là où il se trouvait. Il menait à
un espace dégagé qui dominait tout le lieu. À gauche un chemin descendait.
Quand il l'emprunta, il aperçut au loin un bâtiment bien étrange : une pyramide
entourée d'une sorte de ruban rouge. Il suivit l'un des chemins qui menait à
cette pyramide. Du coin de l'œil il aperçut un autre pont. Jusqu'ici tout semblait
correspondre. Il emprunta le pont qui surplombait le parking de l'étrange
pyramide moderne. De l'autre côté, une pancarte lui arracha un sourire : il
comprenait mieux cette histoire de bourdonnements. Il se dirigea donc dans
cette direction et arriva rapidement devant un petit bâtiment en hauteur. Il ne
lui restait plus qu'à trouver ce chemin. Il ne fut pas long à dénicher cette petite
anse. Mais étrangement il n'y avait pas grand-chose. Quelques fleurs et herbes,
un arbre.
Il remarqua toutefois quelque chose accroché aux branches de cet arbre. Il
s'approcha, et jura doucement. Pendu aux branches, tournant dans le vent, un
livre, et un petit mot : «Désolé, ça ne sera pas pour cette fois.» Bien entendu le
mot était signé par Modérateur.
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En attendant Modo
Il jura une fois de plus, récupéra le livre. Un de plus pour sa collection.
Il ne lui restait plus qu'à trouver une autre piste. En tout cas, il ne s'avouait pas
vaincu. Après tout, il avait connu des affaires bien plus difficiles et dangereuses.
Il se rappelait par exemple la fois où...
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En attendant Modo
Chapitre 17
Chapitre de Seg0 et babettbaboon se déroulant à Paris
Alfred Bogué souriait au volant de son combi. Un coup d'oeil à l'horloge...15
heures 40. "16 heures à la laverie rue Riquet." avait indiqué la voix. "Dans le
19e ?" "18e" avait-elle répondu, laconique, avant de raccrocher.
20 minutes, c'est juste le temps qu'il me faut pour me garer, pensa-t-il. Et c'est
pour ça qu'il souriait Alfred Bogué, trop content d'y avoir pensé cette fois, qu'il
faudrait se garer. Aussitôt qu'il eut tourné à droite pour s'engouffrer dans la rue
Riquet, son sourire se figea. Des places pour se garer, il y en avait à n'en savoir
que faire.
C'était une rue commerçante bien animée à cette heure. Ça et là, des grappes
de personnes tapaient la conversation. Des gamins couraient, criaient et
sautillaient. Contrairement à leurs aînés, ceux-là n'étaient pas rangés par
couleur. Devant le pressing, un petit vieux avait ouvert en grand le coffre de sa
R21. Une lourde balance trônait là, au milieu des pommes qu'il vendait en vrac.
A gauche, une rue piétonne étalait ses terrasses et primeurs et longeait un peu
plus loin un marché couvert. A l'angle un restaurant Indien, puis un hôtel
miteux, un kebab, un rade, une boulangerie, et la laverie. Alfred Bogué y jeta
un oeil, la trouva proprette mais pas au point d'y poireauter 20 minutes. Il
stoppa finalement son combi le long du trottoir d'en face, devant une épicerie à
devanture jaune qui se faisait appeler Plado.
L'appel de l'estomac. L'appel de la forêt, on pouvait bien y résister. Mais l'appel
de l'estomac, Bogué ne manquait jamais d'y répondre. Les gargouillis, les
borborygmes gastriques, c'était pas son truc. Aussitôt vide, il lui fallait
retapisser ses parois intestinales sans attendre et si possible faire couler le tout
avec une rinçade quelconque. Il fit le tour du pâté de maison : rue de
Guadeloupe, rue du Canada, de la Martinique, rue de Louisiane puis arriva
devant un marché où il espérait bien trouver les mets que ce parcours lui
évoquait. Des accras de morue, de la poutine, des avocats gros comme des
melons et...
La marchande, derrière son étal, lui roula des yeux aussi ronds que les olives
qu'elle vendait quand il lui demanda une spécialité d'Acadie.
- D'où ça ?
- D'Acadie. De la Nouvelle Orléans. Qu'est-ce que vous avez qui vienne de
Louisiane ?
- Euh...je vends des spécialités portugaises...
- Vous avez des accras de morue ?
- Ah ça oui, j'en ai. Vous savez le Portugal est un pays de pêcheurs et depuis
longtemps nous...
- Alors donnez-moi des accras. Avec une Sagres.
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En attendant Modo
Outrée par cet homme qui ne prenait pas le temps d'écouter son histoire - que
son grand-père avait été l'un des meilleurs pêcheurs de son petit village natal,
qu'il était le plus habile au rafistolage de filet et autres marinesques exploits elle emballa les accras et prit l'argent que Bogué lui tendait sans même lui jeter
un regard.
Il s'emmancha dans le dédale de vitrines basses aux reflets charcutiers et
fromagers. De la tradition française dégueulait de tous les étals, tenus par des
parisiennes joufflues et hanchues qu'on aurait cru fraichement débarquées de
province pour vendre du cabecou.
Bogué s'aperçut avec effroi que la petite morue aux yeux de biche ne lui avait
pas donné de serviette. Il profita qu'une rombière lui tournait le dos pour
essuyer sa main grasse sur la lourde fourrure qu'elle portait malgré la chaleur.
Merde ! Du lapin ! Du vrai lapin ! Ca se sentait bien, cet incomparable poil
soyeux. T'it lapin, pensa-t-il, mélancolique. Il s'apprêtait à demander à cette
préhistorique créature si elle comptait manger du civet ce soir mais se contenta
d'essuyer sa main gauche et accompagna son geste d'un léger rot aux relents
marins qu'il souffla en sa direction.
A l'odeur ou au geste -Bogué n'eut pas le temps de comprendre- la vioque se
retourna et eut un mouvement de recul. Elle tâta sa peau de bête, contempla
sa main grasse, et son visage devint soudain furieux. “Mais où vous croyezvous donc espèce de porc !” lui hurla-t-elle à la figure avant de lui décocher un
coup de cabas à la mâchoire qui lui fit faire un demi-tour sur lui-même.
Tournant le dos au gros lapin rugissant, il ne vit pas arriver le coup fatal et il
bascula, tête première, dans le bac à rougets du poissonnier. Bogué eut du mal
à se ressaisir, l'osier du panier lui avait griffé le visage et le commerçant était là,
au-dessus de lui, avec ses yeux de merlan :
- Y voudrait-y pas laisser mes rougets tranquilles ?
Bogué se redressa tant bien que mal et s'enfila dans l'allée la plus proche qui
menait à la sortie.
De retour dans la rue ensoleillée, il s'approcha d'une terrasse, tira une chaise et
se laissa tomber dessus. En portant la main à sa poche, il constata avec joie
que sa bière était intacte et la décapsula.
Bogué commença à se rafraîchir les idées. C'était un beau pactole certes, mais
avant même d'avoir rencontré l'inconnue et pris connaissance du reste de la
“mission”, il avait déjà réussi à attirer les coups. “Vous devez aider certains de
mes amis à démasquer le Modo, un dangereux maniaque de la censure”. Le
motif, Bogué s'en foutait bien. L'oseille, ça oui, l'odeur l'avait attiré. Par ici la
bonne soupe ! “Ton modo, cocotte, je te le livre. Tant qu'il est emballé dans du
beau papier.” Il sentit le contact chaleureux de billets roulés dans sa poche.
Il fut soudain tiré de sa contemplation par une tape sur l'épaule. Une énorme
paluche était posée dessus ; elle appartenait visiblement au molosse qui se
trouvait à l'autre bout du bras et qui dévisageait Bogué.
- Ca va bonhomme ? Tu es bien là ? Je t'amène quelques cacahouètes ?
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En attendant Modo
- Des noix de cajou. Je préférerais des noix de cajou de Louisiane.
Le rugissement du serveur fit sursauter les badauds, tous les regards se
tournèrent vers Bogué qui agitait ridiculement les jambes dans le vide. Le géant
le porta d'une main par le col jusqu'au milieu de la rue. La bière n'avait pas
bougé des ses mains et il avait à peine pensé à moufter. L'autre regagna son
zinc sous le regard étonné de certains et les ricanements des habitués qui
reconnaissaient bien là le sang-froid de ce grand cardiaque d'Albert.
Bogué comprenait déjà qu'il était grand temps pour lui d'en finir avec cette
histoire. La laverie était à quelque pas qu'il parcourut en se croyant dévisagé
alors que toute le foule attentive quelques instants plus tôt, s'en était retournée
au palpage de légumes et tâtage de fruits.
Dans la laverie, presque toutes les machines ronronnaient sourdement et
presque tout le monde avait déserté les lieux. Une fillette aux tresses
multicolores dressées sur la tête était juchée sur la table. Encadrée par deux
énormes sacs de course, elle regardait le joyeux va et vient de ses pieds dans
le vide. Un type plié en deux traînait un bac vert à roulettes. Son visage
s'anima brusquement quand il répondit au téléphone, et la laverie fut aussitôt
envahie par un flot de paroles enthousiastes et russes. La fillette ne bronchait
plus, bouche ouverte, les yeux ronds accrochés aux lèvres du type. Son
attention fascinée fut détournée par une ombre à l'entrée de la laverie. Une
énorme silhouette s'encadra dans la porte. “Cette femme pèse au moins deux
cents kilos” se dit Bogué en levant les yeux vers la forme opaque qui obstruait
la lumière. Il constata que ses chevilles étaient très larges et qu'elle
chevauchait l'arrière de ses chaussures avec ses talons caleux. Ses hanches
touchaient les montants de la porte et, calé entre ses bras potelés et son
imposante poitrine, elle soutenait un gros baluchon à coup sûr rempli de linge
sale. Elle se déplaça en dodelinant et en soufflant et vint écraser dans un
tremblement ses lourdes fesses sur les deux sièges à côté de Bogué. Elle avait
laissé choir à ses pieds son ballot puant et tourna un visage écarlate vers
Bogué :
- C'est toi le détective ?
- Pardon ? Interrogea Bogué surpris.
- Le détective. Mogué, c'est toi oui ou merde ?
- Euh... mon nom c'est Bogué, balbutia-il Avec un B.
- Figure-toi que j'en ai rien à secouer moi du M et du B. On m'a dit d'apporter
un message ici à Mogué. Un coup d'téléphone que je sais même pas de qui. Et
que pour ça, je serai grassement récompensée, si tu vois ce que je veux dire.
- Non pas vraiment, rétorqua Bogué, peu rassuré et flairant le coup fourré et
fumant.
- Alors je vais t'expliquer, reprit la lavandière. Tu vas gentiment écouter mon
indice pis tu vas m'donner la moitié de c' que t' as dans ta poche gauche. C'est
comme ça qu' c'était convenu avec l'aut' du coup de fil.
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En attendant Modo
Bogué regarda autour de lui. La fillette observait par-dessus son épaule, sans
broncher. Deux jeunettes, médusées et satisfaites par cette belle animation,
avaient cessé tout palabre et regardaient la scène avec attention et des
sourires mi-amusés. Quant au russe, il avait fini de plier ses fringues de sa
main libre et avait quitté la laverie. Quelques mines réjouies commentaient la
scène à travers les vitres de la laverie.
- Très bien, enchaîna Bogué impressionné par le mastodonte, qu'est ce que je
dois faire ?
- Tu dois trouver les fous.
- Hein ? Mais où sont-ils ?
- Tu dois les trouver. Et tu dois aller dans leurs jardins, rue Pajol, le long de la
voie ferrée.
- Et quel rapport avec ce Modo ?
- Qu'est ce j'en sais moi ? Et maintenant aboule la thune. Et avec un peu de
ferraille pasque j'ai une lessive à faire tourner moi...
Bogué tenta sournoisement un départ tranquille, assuré de sa rapidité sur le
double quintal. Elle ne devait pas bien dormir la nuit pour rêver comme ça la
journée, pensa-t-il. La moitié de l'argent, et puis quoi encore, un câlin ? Le
cerveau de Bogué n'avait pas imprimé l'image qu'un coup violent l'envoya
balloter contre les parois de son crâne. D'un mouvement circulaire du bras, la
mégère ménagère venait d'abattre son sac de lessive sur Bogué qui s'effondra
contre une machine. En phase de dernier essorage, l'engin fit tressauter le
corps de Bogué un court instant avant que l'assaillante ne se jette sur lui.
Abasourdi, Bogué tenta une vaine crochette avec sa jambe droite. Mais elle
était déjà sur lui, immobilisa ses jambes de tout son poids et enfourna sa tête
dans la chair qui débordait de son corsage. Une forte odeur de parfum capiteux
mêlée à de la sueur envahit Bogué. Douillettement maîtrisé et un peu dans les
vapes, il extirpa de sa poche le rouleau de billets et le lui tendit. Elle se servit
sans regarder et enfourna le reste dans la bouche de Bogué qu'elle tenait à
présent par les cheveux.
- Et estime-toi heureux, toi ! Maintenant, dégage !
Bogué tituba vers la porte et tourna à gauche. Sa voiture était garée sur le
trottoir d'en face, il pensa la regagner mais continua quelques mètres encore se
retournant souvent. Seule la fillette le regardait encore.
Les orgues de Flandre perçaient l'horizon, Bogué traînait des pieds mais son
cerveau ballotait déjà moins. Il marmonnait furieusement. "ras-le-bol de ce
putain de modo. Ca va être quoi encore que ces fous ?! Si l'aut' salope était pas
folle, ça promet". Il tourna à droite avant le pont pour se diriger vers les
anciens entrepôts.
Dans la friche devant le hangar, un chevalier en ferraille rivalisait avec une
autruche en extincteurs. “Qu'est-ce que c'est que cette horreur ?! Mais ils
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En attendant Modo
doutent de rien, y'en a”. En y regardant de plus près, Bogué constata qu'il n'y
avait rien d'autre que ces sculptures en ferraille, il lui sembla qu'il ne s'agissait
pas d'un squat d'artistes mais le squat d'un artiste et il se demanda bien
comment un seul artiste pouvait squatter à lui seul tout cet espace dans Paris.
Le mur de pierre se transforma en mur de crépi puis en mur de dalles. Au
milieu une porte en pointillés verts indiquait qu'il approchait bien des jardins
Ecobox. Un peu plus loin, une large grille bleue entreouverte et une pancarte
indiquant que le jardin était ouvert le samedi de 15 heures 30 à 18 heures 30.
Deux barils bleus annonçaient la couleur : “Zone de Butinage”.
Bogué se faufila à l'intérieur et fut presque charmé par le lieu. Au premier plan
des petits carrés de jardinets encadrés proprement par des palettes. Il n'y avait
personne mais un tuyau d'arrosage crachait tranquillement un filet d'eau par
terre. Au fond, l'entrepôt s'avançait comme une scène de théâtre, des bancs
avaient été installés face aux jardins. Sur les murs, quelques graffitis et des
affiches. Bogué s'approcha "Où sont passés les fous, bordel", s'impatienta-t-il,
et levant la tête, se trouva drôlement prémonitoire.
“Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? hurla-t-il.“C'est de l'art ducon !”
Bogué n'avait pas entendu venir l'homme derrière lui et lorsqu'il se retourna, il
s'aperçut que celui-ci tenait un bâton à la main. “Vous n'auriez pas dû venir ici
monsieur Mogué. Il n'y a rien à trouver dans ce quartier, pas même votre modo.
Il n'y a que des fous et ce n'est pas un fou de plus qui fera taire le Modo. Vous
devriez rentrer chez vous.”
L'homme n'avait pas l'air fou, pensa Bogué, juste inquiétant. Il se montrait
maintenant agressif et quand Bogué lui proposa son argent en échange d'un
“cédez le passage”, l'homme se mit à rire.
“Vous ne semblez pas comprendre, monsieur Mogué, grinça-t-il. Votre argent,
je vais le prendre bien sûr. Mais je vais surtout vous faire passer le goût de
courir après le Modo.”
Quand Bogué émergea, un écho atroce retentissait dans son crâne. C'était celui
d'un ballon que des gamins s'amusaient à shooter dans le mur. L'endroit était
animé, des gens étaient apparus sans se soucier de l'état de Bogué, étendu là
comme un clochard aurait fait sa sieste. Il se releva, sentit la grande halle
tourner autour de lui puis se dirigea vers la grille en zigzaguant. C'en était fini à
présent, se dit-il en remontant la rue pour regagner son combi. La disparition
du reste du fric dans sa poche le conforta dans l'idée d'abandonner là toute
recherche bénévole pour le compte de ses commanditaires.
Bogué poussa la porte de l'épicerie Plado avec difficulté, le cerveau bien écrasé
et les bras encore engourdis. Il pensait à son lit et se voyait tirant la couette
sur sa tête. Sur le comptoir recouvert de Monde, de Parisien, un chien pouilleux
avait élu domicile. Brassens chantait qu' auprès de son arbre il vivait heureux.
L'épicier asiatique leva les yeux de son journal et adressa un sourire chaleureux
à Bogué.
- Bonjour monsieur. Qu'est-ce qu'il vous faut ?
- Donnez-moi une mousse.
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En attendant Modo
- Oui, bien sûr. et il se dirigea vers le réfrégirateur, saisit une cannette fraîche
et la déposa sur le comptoir
- Il vous fallait autre chose ?
- Non, merci.
- Alors ce sera un euro monsieur. Dites, c'est à vous la camionnette orange ?
- Le combi ? Oui.
- Une petite fille m'a déposé ça pour vous.
Bogué prit l'enveloppe. C'était une enveloppe kraft semblable à celle dans
laquelle il avait reçu l'argent. Elle semblait contenir autre chose que des billets.
Il remercia l'épicier et sortit sans pour autant le quitter des yeux, de peur de
finir assommé dans l'arrière boutique. Sur le pas de porte, Bogué décacheta
l'enveloppe, non sans avoir jeté des coups d'oeil aux alentours. Un mot était
glissé à l'intérieur.
“Monsieur Mogué, je pense que vous avez compris la leçon, cessez-là vos
recherches. Le Modo n'est pas homme à se laisser influencer.Vous trouverez
une petite compensation à vos malheurs derrière le....”
“Derrière le quoi ? s'exclama Bogué. Encore des salades et des coups à prendre
pour pas un rond. Qu'ils aillent se faire voir avec leur Modo.” Bogué s'apprêtait
à remonter dans son combi lorsque son regard fut attiré. “Merde”, s'exclama-til et il referma la porte de la voiture.
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En attendant Modo
Chapitre 18
Chapitre de Toflabeuze se déroulant à Paris
Alfred Bogué se réveilla en sursaut, tiré de ses rêves étranges par la clarté de
l'aube. Il lui semblait n'avoir pratiquement pas dormi, entraîné qu'il était par
d'effrayantes chimères. Tout avait commencé quelques semaines auparavant. Il
était à Paris pour découvrir quelques indices sur son insaisissable cible,
l'énigmatique Modo. Sa mystérieuse indicatrice, à la voix si troublante, lui avait
de nouveau téléphoné, lui donnant un de ses énigmatiques rendez-vous à Paris,
sans donner plus d'information. Qui était-elle ? Bogué l'ignorait. Il finissait par
se demander s'il elle n'était pas Modo elle-même, menant contre lui une sourde
vengeance, l'attirant dans sa toile un peu partout en France, de piège en
piège...
Bogué était troublé. Cette fois-ci, elle avait été bien avare en indications. Passé
le périphérique, rentrant dans Paris, allait-il devoir sillonner les rues dans sa
vieille guimbarde, et dans l'espoir de trouver quoi ? Il avait fini par louer une
petite chambre dans un hôtel miteux. Chambre froide comme un tombeau dans
lequel on voulait l'ensevelir. Et il tournait en rond sans savoir quoi faire, par où
commencer, attendant près du téléphone un éventuel secours de son inconnue.
Alors la nuit vint, apportant son cortège de peurs. Ce ne fut au début qu'un
vague souvenir insaisissable au petit matin, le rêve qu'on a au bout de l'esprit
sans pouvoir le toucher. Alfred Bogué se sentait néanmoins fatigué, comme si
ses rêves devenaient des insomnies. Le mal s'intensifia rapidement, couvrant la
totalité de ses nuits d'ombres confuses, de présences invisibles et d'une frayeur
grandissante. Il se réveilla plusieurs matins hagard, complètement vidé de
toute énergie, ne sachant plus ce qu'il faisait, ce qu'il était venu chercher. Dans
la journée, il n'espérait qu'une chose, entendre enfin sa voix, "elle" qui l'avait
amené ici, "elle " était pour lui celle qui le délivrerait de cette douleur étrange
qui lui était apparue subitement. Mais rien.
Ses délires finirent par se manifester en plein jour, la première fois alors qu'il
marchait sur les quais. Il se réveilla brusquement place de la Bastille, sans
savoir comment il était arrivé là. Juste le souvenir encore vivace d'une ombre
planant au-dessus de lui, lui parlant sans qu'il puisse entendre. Puis de nouveau
un rêve quasi éveillé qui emmena ses pas dans le 20ème arrondissement sans
qu'il sache comment et pourquoi. Mais cette fois, il se souvenait d' "elle", enfin !
Il la voyait devant lui, entourée de tombes, de sépultures, de caveaux,
prononcer des mots sans signification, mais qu'il s'empressa de noter sur son
vieux calepin. Il n'était pas sûr de sa retranscription, mais le rêve commençait
déjà à s'évanouir en lui. Pourtant, il sentait qu'"elle" n'était pas loin d'ici.
Bogué relut la phrase énigmatique qu'il avait notée : "En allant de la croix à la
fontaine, et malgré la douleur, tu découvriras près du trophée, en dessous du
pontet, ce que tu cherches..." Allait-il y trouver Modo ? Ou était-ce un rendezvous de son étrange indicatrice ? Ou un piège... Mais il devait y aller, il sentait
qu'il était prêt de découvrir quelque chose d'important depuis qu'il avait
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En attendant Modo
commencé la traque de Modo dans tout le pays. De plus, il avait une petite idée
de ce que signifiait cette nébuleuse phrase...
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En attendant Modo
Chapitre 19
Chapitre de Debwin se déroulant à Paris
Il avait de suite compris, l'Alfred, que cette affaire n'aurait rien à voir avec une
de ses enquêtes habituelles, c'était du neuf, de l'inconnu, et ça tombait plutot
bien : à cinquante berges, il en avait sa claque de rouiller des heures en
planque dans son combi orange, de s'enfumer dans des rades glauques pour un
renseignement foireux, et les filatures lui filaient le bourdon. Son enthousiasme
tombait en quenouille.
Un affaire pareille, complètement virtuelle, c'était une aubaine. Parce qu'il en
avait pas marre de chercher, Alfred, non, il en avait juste marre de
bourlinguerpar tous les temps...
Là, rien à voir : depuis trois semaines qu'il avait commencé la traque de Modo,
c'était comme si sa vie avait recommencé ! Plus aucune fatigue, plus aucune
routine, parce que tout était nouveau.
Si Modo existait, il le trouverait, et cela ne pouvait être que sur Internet. Il
avait demandé à son neveu Pierrot de le mettre au parfum -ça tombait bien:
Bogué Pierre, l'unique descendant du nom, passait deux mois pour ses études à
l'étranger. Tonton avait ses clés, l'ordi, le mode d'emploi et Pierrot lui avait tout
expliqué. En échange il répondait au chat et nourissait les (nombreuses) expetites amies de Pierrot.(ndlr : et vice-versa)
Le plus dur au début -mais c'était loin déjà - avait été de se trouver un pseudo
pour devenir membre de ce mysterieux forum dans les tréfonds duquel le
Modérateur s'était volontairement englouti....
Trois nuits blanches d'affilée devant l'écran lui avaient suffi pour être sûr que ce
serait pas facile : ils existaient vraiment, tous ces zozos, et pas seulement la
femme qui lui avait donné son premier-rendez vous à Fosses, les autres aussi
existaient quelque part dans la nature, "in the wild" comme ils disaient entre
eux.
Trois nuit, oui, pour être sûr qu'ils étaient nombreux, mais pas autant que le
nombre des pseudos pouvait le laisser penser : n'empêche, elle était géniale,
leur orga, parce qu'ils avaient chacun plusieurs pseudos, soigneusement choisis
et codés pour certains d'entre eux ! Mais à ce stade de ses investigations Alfred
n'avait pas encore essayé tous les codes...
Subtil, leur réseau, une toile de plus sur le net, tissée horizontalement sans
aucune hiérarchie apparente, reliant entre eux plusieurs centres nerveux qu'ils
appelaient des "PC". Là se trouvaient les seuls lieux d'échange non-virtuels par
lequel transitaient, dans de mysterieuses enveloppes kraft tout à fait anodines
extérieurement, LA marchandise...
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En attendant Modo
Dès le début de l'enquête, Bogué en vieux routier avait foncé sur un des PC,
celui de Paris. Au coeur d'une rue interlope, il n'avait eu aucun problème pour
accéder à l'endroit -une sorte de cave-où s'effectuait le stockage...
Mais évidemment, rien, il n'avait rien trouvé, et pour cause, de retour devant
l'ordi de Pierrot, une rapide visite sur le forum lui avait permis de constater qu'il
avait été doublé, et de quelques heures à peine, par un nettoyeur, et comble du
cynisme ce nettoyeur était venu parader sur le forum, sous le pseudo (un peu
facile, mais ô combien parlant!) d'Arsène Lupin ! Il avait bien fait le ménage, le
salaud, et les réactions des autres sur le forum lui avaient confirmé ce qu'il
avait déjà compris, qu'ils étaient tous de mèche, pas un ne s'était plaint de voir
que la marchandise - LEUR marchandise - avait disparu !
C'est pour ça que depuis Bogué s'était enfermé devant l'ordi : il allait les
prendre de vitesse, en observant les mouvements, les réunions qu'ils
appelaient des « MBC » (avec leurs rites secrets) et surtout en finissant de
décrypter ces maudits pseudos et les messages -codés- qu'ils s'échangeaient
ouvertement au nez et à la barbe de tout le web ! Les pseudos le conduiraient
au Modo. Le lamentable épisode de sa descente foireuse au PC lui avait
enseigné aussi la chose suivante : dans cette enquête qui n'avait rien d'une
course de vitesse, il fallait les prendre à rebours, remonter la chaîne des signes
et des symboles, c'est comme ça qu'il débusquerait Modo.
Il s'était usé les yeux à tout lire, mais bon dieu, c'était à la suite de ces nuits de
lecture que tout était devenu presque clair : Modo était apparu au moment
même où allait être faite une révélation dangereuse, que sa seule présence
avait empêchée.....Puis, il avait lui-même disparu de sa propre volonté en
enjoignant aux autres de le laisser sombrer dans l'oubli...Et...Le plus stupéfiant
de tout....Bogué avait encore un frisson en pensant à la nuit où il avait
découvert tout ça !............Dans les jours suivant la disparition du Modérateur,
plusieur membres avaient disparu - l'un d'entre eux avait même réussi à
s'évaporer en ne laissant AUCUNE trace ! Le comble, c'est que......... personne
ne s'était inquiété de ces disparitions inexpliquées.....Et pour cause ! Les
absents étaient réapparus presqu'aussitôt, mais... sous d'autres pseudos,
qu'Alfred avait décryptés. Il ne lui en manquait plus qu'un, celui qui lui
donnerait LA REPONSE attendue, la réponse à l'énigme que lui avait soumise la
femme mysterieuse de Fosses.
Mais rien à faire, il lui manquait LA FORMULE.
Un léger signal sonore l'avertit de l'arrivée d'un mail, qu'il ouvit de suite, car il
venait de Pierrot, et comme Pierrot avait fait Math Spé,Alfred lui avait demandé
de l'aider à décrypter.
Il lut : < Bogué Pierre> mailto<Tonton Fredo (alias ********)> "Je crois que
j'ai trouvé un truc pour toi. Ce livre contient la fameuse suite de Fibonacci, si tu
l'appliques a "M-O-D-E-R-A-T-E-U-R" (t'inquiètes, je l'ai déjà fait) on trouve
quelque chose de très très très instructif ! Je peux pas te l'envoyer par mail,
trop dangereux, pas assez confidentiel : va le chercher là où l'a planqué pour
toi ton ancien collègue le Comissaire Gourrel. Mais fais vite, avant le 9 Avril."
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En attendant Modo
Bogué ferma les yeux, il avait un espèce de vertige... La suite de Fibonacci....Le
CODE !
Sans même éteindre l'ordinateur, il saisit son chapeau et les clé du combi,
oubliant même son tabac. Deux minutes après il démarrait en trombe, en
direction du Quai des Orfèvres.
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En attendant Modo
Chapitre 20
Chapitre de Debwin se déroulant à Marseille
Quittant la PJ, Alfred Bogué longea le quai des Orfèvressans même voir le
spectacle grandiose offert par le couchant flamboyant derrière Notre-Dame : il
était encore abasourdi de ce qu'il venait d'entendre...Sonné, il était comme
sonné par l'ampleur des révélations que son ancien collègue le Commissaire
Gourrel venait de lui faire, preuves à l'appui.
« Tu dois te rappeler être allé à Fosses le mois dernier pour y rencontrer une
femme qui avait besoin de toi ? »...Un peu, pensa Alfred, que je me rappelle
de Fosses (beau nom pour un début...c'est là que l'enquête avait commencé...
Alfred avait beau avoir quitté la PJ depuis quinze ans, il se souvenait que son
pote Gourrel avait une qualité bien particulière, qui avait fait son succès et
son ascension rapide dans la carrière : quand il posait une question, c'est qu'il
savait déjà la réponse...
- « C'est moi qui te l'ai envoyée...»
Preuves sur la table, Gourrel avait affranchi Alfred. « Le Modérateur », alias
« ******* », touchait de si près au centre du pouvoir qu'il n'était pas
question pour la PJ d'ouvrir une enquête officielle...
Alfred, Gourrel l'avait choisi parce qu'il avait quitté la PJ depuis assez
longtemps pour ne pas être repérable, mais aussi et surtout parce qu'il
continuait à employer dans son boulot les bonnes vieilles méthodes
«maison », et d'abord la discrétion. De la discrétion, il en faudrait pour
« mouiller « Modo », suffisamment pour le neutraliser, mais pas trop pour ne
pas risquer d'éclabousser l'E****....
- « Modo, nous savons maintenant qui c'est... » Le regard bleu du
Commissaire laissa percer un éclair de menace... « Et je te le dis, Alfred, il
vaut mieux que tu ne le saches pas ! Si tu as une idée, eh bien,oublie
vite....ou du moins ne le dis à personne ! »
A l'angle du Quai des Orfèvres, le Soleil d'Or s'ouvrait devant Albert, lui
ouvrant ses portes comme deux bras protecteurs...Il se cala au comptoir et
commanda un double scotch. Tout d'abord une pipe pour se remettre de cette
incroyable entrevue....C'était bien la premiere fois de sa vie qu'il allait devoir
abandonner une enquête si près du but ! Et comme il avait bien fait de garder
le silence quand Gourrel avait évoqué la possibilité qu'il ait déjà découvert
l'identité du Modérateur ! Depuis la veille, grace au « CODE » et à Pierrot,
Alfred « savait »...Et maintenant il savait aussi qu'il était plus prudent
d' « oublier »...Oublier... « Garçon, un autre double ! »
- « Par contre il faut récupérer de toute urgence les enveloppes qui étaient
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En attendant Modo
stockées au PC, avant qu'elles quittent le territoire national. Tu es seul sur ce
coup-là, Alfred, méfie-toi, ils sont rapides, et redoutablement organisés. Tu
n'as que jusqu'au 9 Avril. Si tu ne les a pas trouvées à cette date, on risque la
cata, nationale aussi...Et souviens-toi : ne les ouvre pas, surtout, et si tu te
doutes de quoi que ce soit au moins ne le dis à personne !
-C'est donc de la dynamite ? hasarda Bogué.
-Tu ne crois pas si bien dire ! Pour ta sécurité, ne les ouvre pas, et rappelletoi : tu es tout seul ! »
Sur ces dernières recommandations (ne pas les ouvrir et ne pas l'ouvrir !),
Bogué s'était retrouvé dehors, il avait quitté le Quai des Orfèvres la tête en
feu, et tenté d'éteindre l'incendie au Soleil d'Or...
L'insistance de Gourrel sur « Ne le dis à personne » ne lui laissait aucun
doute : le voyage vers Marseille n'était pas sans danger. Finie, la douillette
tranquillité de l'enquête virtuelle sur le web...l'Alfred d'avant, le bourlingueur,
reprenait du service.
« Ne le dis à personne... »
Il avait déjà dans sa poche le billet de TGV pour la gare Saint-Charles.
Il se hâta vers la gare de Lyon, et laissa au parking son combi orange.
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En attendant Modo
Chapitre 21
Chapitre de Dooimy se déroulant à Genève
Depuis un poignée de jours déjà Bogué était coincé dans cette ville et ça lui
foutait le cafard.
Pourtant elle n'était pas dénuée de charme cette ville, ce n'était pas l'endroit le
problème. Ce qui lui minait le moral, c'était son enquête qui piétinait depuis un
sacré bout de temps déjà. C'est que la dame le baladait à travers toute la
France et maintenant même en-dehors des frontières et tout ça pour que dalle,
cette foutue affaire n'avancait pas.
C'était toujours la même rengaine : la mignonne lui passait un coup de
bigophone et, de sa voix chaude et suave, lui donnait le lieu, la date et l'heure
du prochain rendez-vous, auquel, une fois encore, elle ne se montrerait pas.
Cette fois encore, après son appel, il avait fourré quelques vêtements en boule
dans son vieux sac en cuir marron qui l'accompagnait dans toutes ses
aventures et il avait pris la direction de Genève dans son fidèle combi
Volkswagen. Il était rentré, comme les fois précédentes, avec un nouvel indice
de son premier rencard genevois, mais il avait également hérité d'un bout de
nappe en papier sur lequel était griffonné quelques mots lui fixant un rendezvous supplémentaire trois jours plus tard.
Il avait mis à contribution ces quelques jours pour visiter un peu la ville. Mais
les musées, les églises et autres monuments, c'est pas trop son truc à notre
Fredo. Il a sa façon toute personnelle de découvrir une ville. Il a pour ainsi dire
visité toute la Suisse sans quitter le quartier où il s'était dégoté un petit hôtel
minable. Rue de Lausanne, rue de Zürich et surtout rue de Berne, il avait testé
tous les bars et traîné avec toutes les filles ou l'inverse, faut dire qu'elle sont
pas farouches dans le secteur tant qu'on a du liquide dans le poches. Après
quelques jours de ce régime, il avait les idées encore plus embrumées, mais il
comptait sur le deuxième rendez-vous pour y voir un peu plus clair dans cette
affaire.
C'était un bar un peu glauque, un de plus. Il s'était installé au comptoir, à côté
des deux seuls clients, deux poivrots occupés à refaire le monde et à divaguer
sur des sujets aussi vastes que la vie, l'univers et le reste, enfin des sujets qui
paraissent toujours beaucoup plus clairs avec un coup dans le tarin. Le petit
bout de nappe mentionnant le rendez-vous indiquait aussi: « Vous me
reconnaîtrez à ma tenue, je serais vêtue au couleurs de Stendhal, ou de Jeanne
Mas, tout dépend de vos références. »
Une dizaine de bières et quelques gorgées de whisky plus tard, une femme
portant un corset noir et une jupe rouge en simili-cuir fit son entrée. On
imaginait un certain charme sous cette perruque blonde platine et cette masse
de maquillage, une certaine tristesse aussi. Elle s'approcha de Bogué et sortit
une feuille pliée en huit de son corsage et la lui donna en lui lançant « Un p'tit
câlin mon grand, ça te tente? »
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En attendant Modo
Le détective déclina l'offre, si alléchante fût-elle, et sorti dans l'air frais du
matin. Là, il déplia le papier et découvrit un plan de la ville marqué d'une croix
rouge, ainsi que quelques mots griffonnés en dessous.
Il décida de s'y rendre tout de suite, cette affaire n'avait que trop traîné. Il
laissa son combi orange et opta pour une promenade matinale. Il descendit
jusqu'au bord du lac et s'amusa de voir cet immense colonne d'eau émerger de
ce bout de lac et sourit à l'idée de tous ces touristes prenant la pose, le temps
d'une photo, devant ce phallus aqueux (ces derniers jours lui avaient peut-être
un peu détraqué les idées).
Il traversa le lac et se dirigea vers la partie plus ancienne de la ville. Il aimait se
balader dans les rues désertes et découvrir leurs noms. Rue d'Enfer, rue du
Purgatoire, pas très marrant dans le coin. Place de la Taconnerie, ça lui plaisait
déjà plus. Il continua à déambuler dans les rues un moment, puis il leva les
yeux pour connaître le nom de la rue dans laquelle il se trouvait. Ce nom le
laissa rêveur, il pensa à la « voix », il se dit que si ses mirettes étaient aussi
sublimes que sa voix était sensuelle, cette rue devrait lui être dédiée.
Il reprit ses esprits et regarda le plan, il n'était plus très loin maintenant. Au
bout de la rue, il aperçut un bâtiment qui devait être l'école mentionnée sur le
plan et, en face, se trouvait le but de cette promenade.
Il déchiffra les quelques mots situés sous le plan: « Au coeur de cette île de
verdure suspendue au milieu de la ville, vous trouverez l'objet recherché. Il
repose au sein des branches d'un arbre, sous le regard de bronze de deux
femmes dédiées à un certain Hodler ».
L'objet en question était un agenda avec une liste de noms, apparemment des
pseudos, probablement des bookcorsaires comme il se nomment eux-mêmes.
Peut-être que ceux-ci avaient des indices qui pourraient faire avancer sa foutue
enquête.
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En attendant Modo
Chapitre 22
Chapitre de Badgam se déroulant à Rennes
Jeudi 31 mars 2005 - 11h32
J'avais le crâne farci par les salades de la miss Modo. Elle me parlait d'un gars
qui portait un nom de bossu mais dont personne n'était capable de savoir où il
créchait, ce qu'il faisait de ses journées et, surtout, pourquoi une femme à la
voix si suave le recherchait par le biais d'un privé. Si l'hypothèse que la
donz'elle en gardait sous le pied pour ne pas me dévoiler tout son jeu dès notre
premier contact m'avait effleuré l'esprit, les quelques questions pièges que je
lui posai au sujet du fameux Modo me poussaient plutôt dans la direction que le
jeu en valait peut-être la chandelle, et peu importe si je partais dans l'inconnu.
D'ailleurs, je sortais d'une filature pour le compte d'un grand industriel de la
côte bretonne qui soupçonnait sa femme de ne pas vendre que des
Tupperwares dans les réunions nocturnes où elle se rendait plusieurs fois par
semaine. Sans vouloir blesser mon commanditaire, Madame savait mettre les
gens à l'aise et je compris très rapidement le succès de ses réunions. Bref, du
classique bien glauque dont je me passerais bien mais, il faut bien régler ses
dettes. Je décidai donc d'accepter cette affaire, histoire de voir de quel bois se
chauffait ce fameux Modo.
La seule piste que me laissait la poupée était des bancs publics, des cabines
téléphoniques, des bars et autres endroits atypiques où Mister Modo avait été
aperçu mais sans réelle description physique.
Même jour - Café Elsa Poppin' - Rue Poullain Duparc - 12h54
Modo semblait y passer régulièrement. Il prenait un café, le plus souvent le
midi, mais à des jours différents de la semaine. Le Modo était toujours très
généreux en pourboire et c'était certainement une des raisons pour lesquelles
le serveur se rappelait si bien de lui. Le seul problème était qu'on ne l'avait pas
revu depuis plusieurs semaines. Le garçon de café - qui devait se sentir tout
excité de se faire questionner par un détective - m'avait donné pas mal de
détails sur le personnage mais rien qui pût me satisfaire. Il portait tantôt un
chapeau noir, des lunettes noires, une cravate noire, et tantôt arborait un style
très différent... chemise hawaïenne et tongues, bref, le genre de type qui
maîtrise l'art de passer inaperçu. D'ailleurs ma dernière question posée au
serveur m'en dit plus long que ses 15 réponses à mes 15 questions
précédentes !
- Pourriez-vous le reconnaître s'il était dans cette salle ?
- Bien s... heu... non finalement, maintenant que vous me posez la question, je
ne saurais pas vous dire la tête qu'il a !
Pendant que le jeune homme restait perplexe le plateau à la main, je réglai
mon café et quittai les lieux en lui tapotant l'épaule.
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En attendant Modo
Même jour - Quai Emile Zola - 15h21
Je me rendis sur un des bancs publics du quai Emile Zola, près de la République,
où je devais retrouver mon informateur préféré dont - vous le comprendrez
aisément - je ne peux pas vous dévoiler ici la véritable identité. Pour le boulot,
je l'appelle Omar le canard ! Un nom de code plutôt déroutant mais ce gars est
un génie de l'information. Il sait tout sur tout le monde. Agent du
gouvernement à la retraite, il prenait son rôle d'informateur avec beaucoup de
sérieux. Je le retrouvai donc assis sur le banc habituel, le nez dans l'Equipe de
la veille (c'est notre code lorsqu'il a une info !).
- Tu es en retard, me dit-il sans lever les yeux de son journal.
- De 2 minutes, Omar !
- Il peut se passer beaucoup de choses en 2 minutes ! (Quand je vous disais
qu'il prenait son rôle au sérieux !).
- Bon, dis-moi... tu ne connaîtrais pas un certain Modo par le plus grand des
hasards ?
- Modo... je le connais presque...
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je veux dire que je connais un Quasi... modo ! (Imaginez Omar tout sourire,
fier de sa blague à 80 centimes d'euros).
- Bon, je vois que tu n'es pas d'humeur à bosser, excuse-moi mais j'ai du pain
sur la planche.
Je commençais à plier bagage lorsque Omar redevint l'homme le plus sérieux
du monde.
- T'emballe pas, le privé... si on ne peut plus rire. Il sortit son carnet relié cuir
et commença à feuilleter les pages jusqu'à son expression qui me fit
comprendre que, non seulement Omar est infaillible, mais qu'en plus il le sait !
- Modo, tu disais ?
- Omar !... tu ne veux pas arrêter de te croire dans un polar ; à chaque fois
qu'on se voit tu me fais la même scène !
- Okay... j'ai entendu parler de ce type lorsque je m'occupais d'un trafic de
livres qu'un groupe de fondus volaient dans les bibliothèques pour les laisser
dans la nature... pour en faire profiter Mr tout le monde qu'ils disaient. Bref, ce
gars n'a jamais été retrouvé, volatilisé dans la nature... appartement vide, pas
d'adresse, ni de famille ou d'amis, pas d'abonnement à quoi que ce soit... le
fantôme de l'opéra des temps modernes !
- Et comment tu as entendu parlé de lui ?
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En attendant Modo
- Tu te souviens de Kaiser Sauzé ?
- Bien sûr !
- Et bien c'est le même genre de personnage en moins violent !
- C'est l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme... et au bout du compte
personne ne l'a jamais réellement vu.
- Je crois bien que pour une fois tu ne vas pas pouvoir m'aider... tu vieillis
Omar... tu vieillis.
- Ça c'est que tu crois Bogué ! Tu vois, dans cette unité centrale que je
nommerai mon cerveau, j'ai des données insoupçonnables.
- Je ne crois que ce que je vois.
Omar se mit alors à griffonner un nom sur un morceau du journal qu'il venait
de déchirer. Je pus lire des initiales qui ne m'éclairèrent pas vraiment : O.D.I.L.
- Qu'est-ce que cela veut bien pouvoir dire ? interrogeai-je mon camarade de
jeu du regard.
- Organisation de Diffusion Indépendante des Livres ! Ca, c'est un pote haut
placé qui me l'a confié. Ça doit rester secret. Il s'agirait d'une sorte de QG du
fameux groupe dissident qui "kidnappe" des livres pour les "libérer dans la
nature".
- Trop fort !
- Voilà l'adresse.
- Omar, t'es vraiment trop...
-... fort ! Oui je sais.
Je le laissai le sourire aux lèvres... il faut parfois savoir caresser les gens dans
le sens du poil, n'est-ce pas ? Moi Alfred Bogué, détective privé, j'allais
découvrir qui se cachait derrière ce Modo et prouver à tous ceux qui n'avaient
jamais pu mettre la main dessus que n'est pas Bogué qui veut !
Vendredi 1er avril - Chez moi - 9h53
L'adresse que ce cher Omar le canard m'avait discrètement transmise
correspondait à une écluse située Quai Saint-Cast, près du boulevard Mitterand.
Comment ce Modo avait-ii pu passer inaperçu dans un lieu aussi fréquenté ? Ce
n'était pas mon problème. Tout ce que je souhaitais, c'était lui tomber dessus,
le faire parler, appeler la donz'elle, encaisser mon chèque et prendre un peu de
repos au soleil.
Même jour - Hôtel - 10h17
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En attendant Modo
Je décidai de louer une chambre de l'autre côté de la rue où se situait l'écluse
afin de surveiller les allées et venues et voir si ce mystérieux Modo se
manifesterait. Je n'eus pas beaucoup à attendre et ça tombait plutôt bien car très franchement - le café de l'hôtel était pire que la pisse d'âne des
amerloques - je comptais bien en dire deux mots au boss de l'établissement au
moment de régler ma note. Mais revenons à nos moutons... un type
pa(s)tibulaire mais presque semblait tourner autour du pot (je fais ici allusion à
l'écluse). Il portait un genre de manteau de laine plutôt large et un sac à dos
qui me semblait plutôt bien rempli. Le jeune homme s'installa sur l'un des
bancs du petit square aménagé autour de l'écluse et commença à trifouiller
dans son sac pour en sortir un casse-dalle. Je ne sais pas pourquoi mais mon
instinct tapait à la porte de mon crâne et me disait : « Mon Alfred, si tu ne
bouges pas avant qu'il termine son sandwich, tu vas t'en mordre les doigts car
ce bougre pourrait bien être le Modo en question ». J'enfilai mon par-dessus,
vissai mon feutre sur mon crâne et vérifiai qu'aucune miette de croissant n'était
restée coincée entre les dents - ça pourrait faire mauvais effet - et je descendis
les étages 4 à 4.
Petit bonhomme rouge - Passage piéton / Pont de la mission - 11h12
Je fixais la silhouette où se trouvait toujours le gars au sandwich pendant que
les bolides glissaient sur le bitume à la queue leu leu telles des perles qui
s'enfilent sur du fil.
Petit bonhomme vert - Passage piéton / Pont de la mission - 11h13
Je traversai la rue et m'approchai discrétos en restant planqué derrière un
buisson à l'affût du gaillard qui - semblait-il - aimait déjeuner en paix. Alors
qu'il finissait son en-cas, il se leva et regarda autour de lui. Je restai bien caché,
histoire de garder l'avantage de la surprise. Il referma son sac et se prépara à
quitter son banc. Il était temps de passer à l'action. Je sortis de ma planque et
m'approchai en faisant fi de m'occuper de lui. Du coin de l'œil, je saisis qu'il se
demandait d'où je sortais mais ne sembla pas en faire une formalité. Mon plan
fonctionnait à merveille. Inutile de vous dire qu'en des moments pareils,
l'excitation est à son comble et - pour rien au monde - je ne changerais de
boulot. Soit il avait du flair, soit il avait un train à prendre, quoi qu'il en soit, je
le sentais prêt à prendre la poudre d'escampette. Je n'allais tout de même pas
le laisser échapper maintenant que je le tenais. Il pressait le pas, j'emboîtai le
sien. Ni une, ni deux, je l'interpellai :
- Modo ?
Il se retourna et me dévisagea, incrédule.
- Je vous connais ?
- Peu importe, j'ai deux mots à vous dire.
- Excusez-moi mais je ne vois pas de quoi nous pourrions parler et je ne sais
pas qui est ce Modo !
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En attendant Modo
Il reprit sa marche tout en passant une main sous son manteau. S'il croyait
pouvoir se débarrasser de moi comme d'un vulgaire insecte, il se méprenait sur
mon compte. Je le rattrapai et le retins par l'épaule. Le gars - du style rebelle glissa une main sous son manteau, semblant chercher à tâter du calibre, ça
n'allait pas se passer comme ça.
- Eh... on se calme Modo.
- Cessez de m'appeler Modo et laissez-moi tranquille. Je n'ai pas de temps à
perdre, me lança-t-il en se débattant et en retirant sa main de son vêtement
Cette fois c'en était trop, je ne tenais pas à me faire descendre en public, alors
je lui allongeai un pain comme Luciano savait en donner pour conclure un
combat. Il vacilla, se rattrapa et s'assit sur le banc où il avait tranquillement
dégusté son jambon beurre quelques minutes plus tôt.
- Vous êtes malade...
Il ouvrit son manteau et je découvris l'objet que sa main cherchait. Il s'agissait
d'un livre de poche... 98 pages tout au plus. Je sais ce que vous allez penser :
Alfred tu ne fais pas dans le détail et tu aurais peut-être pu réfléchir avant
d'agir. J'avais cru qu'il voulait se saisir d'une arme et en guise d'arme, il me
sortit un polar. Tout le monde peut se tromper. La seule excuse qu'il me restait
c'est que dans les polars on trouve souvent des pétoires, non ? Ca ne vous
suffit pas ?
- Arrêtez de m'appeler Modo, je ne suis pas celui que vous cherchez ! - Et... par
le plus grand des hasards, vous ne connaîtriez pas ce M...
- Non non et non,... laissez moi tranquille, je vous dis.
- Ok... si ce n'est pas indiscret, vous comptiez en faire quoi de votre bouquin ?
- Le libérer... je fais partie d'une communauté appelée Bookcrossing.
- Une secte, quoi ?
- Pas du tout ! Vous voyez le mal partout vous !
- C'est mon boulot...
- Si vous ni voyez pas d'inconvénient, je vais vous laisser maintenant et ne me
suivez pas.
- Loin de moi cette idée.
- Je vous connais, les privés, vous passez votre temps à filer les gens, boire du
whiskey, draguer votre secrétaire et filer des pains aux inconnus.
- Vous lisez un peu trop de polars, jeune homme. (Sur ce coup il fallait avouer
qu'il avait vu juste le bougre).
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En attendant Modo
- Dernière question... comment vous savez que je suis un privé ?
- Attifé de la sorte de nos jours ?
Je le laissais partir en m'estimant heureux qu'il ne déposât pas plainte contre
moi pour l'avoir frappé sans raison. Je m'étais planté mais faute avouée, à demi
pardonnée, comme disait... je ne sais plus qui d'ailleurs. Bogué n'aime pas
rester sur un échec. Aussi, je décidai de rentrer à l'hôtel, régler ma note et
reprendre l'enquête depuis le début. En partant, je retrouvai la réceptionniste
qui me tendit la note.
- Vous partez déjà ?
- Oui, les affaires. Dites-moi,...
- Oui, me demanda la brune qui sentait que j'allais l'inviter à prendre un verre.
Mais les paroles du faux Modo sur sa vision des privés me hantèrent subitement.
Draguer ma secrétaire ? Comme si je n'avais que cela à faire ! Je repris mes
esprits et - rien que pour le contredire - je décidai de planter la brune.
Même jour - Bureau d'Alfred Bogué - 14h17
De retour au bureau, je découvris plusieurs messages de la donz'elle qui
recherchait Modo désespérément, et la rappelai dare dare.
- Que faisiez-vous Bogué ? Je n'ai pas arrêté de vous appeler. - Eh ! Du calme,
je bossais sur votre affaire, je vous signale.
- Ah bon ? Et qu'avez-vous trouvé ?
- Un type qui libère des bouquins et qui mange des sandwichs mais qui ne
connait pas Modo.
- Je ne vous suis pas très bien Mr Bogué.
- Moi non plus ma belle ! Et maintenant, j'aimerais bien que vous m'en disiez
un peu plus sur votre Modo sinon je crois que je vais laisser tomber cette
enquête et vous demander de me rembourser mes frais d'hôtel.
- Quoi ! Vous avez déjà des frais au bout de 24 heures d'enquête ?
- Qu'est-ce que vous croyez, que je me tourne les pouces ?
- Ecoutez, Bogué. Je vous ai engagé car vous semblez être la référence en
matière de recherche et de filature mais si vous pensez ne pas être à la hauteur
autant le dire tout de suite et je changerai de crémerie. Ce n'est pas plus
compliqué que cela !
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En attendant Modo
Il ne manquait plus que cela. Elle me sortait le grand jeu du mandataire qui a
des doutes sur mes compétences et qui veut se retirer de la table avant de
perdre gros.
- Bogué ne bogue jamais, Mam'zelle. Vous comprenez ce que je vous dis ?
Alors, soit vous m'en dites plus, soit je débarque chez vous et on discute de
tout cela face à face, si vous voyez ce que je veux dire.
- Vous avez gagné. Je vais vous expliquer. Ce Modo... je sais où vous pouvez le
rencontrer.
- Vous plaisantez ?
- Non, il m'a contactée hier soir et veut me rencontrer ce soir.
- Dites toujours mais j'espère que vous ne vous moquez pas de moi.
- Il m'a dit qu'il passait souvent du temps sur la place... pourquoi ne pas vous y
rendre à ma place.
- Ne comptez pas sur moi pour me travestir !
- Bogué !
- Pas de problème, ma belle. Je suis déjà parti.
Les affaires reprenaient et ça... ça me motivait. Cette fois, le Modo serait mien
avant minuit, parole d'Alfred Bogué, détective privé.
Même jour - Place du Palais - 21h08
Je connaissais le terrain puisque j'habitais dans la rue qui menait au parc que
semblait apprécier Modo. Je m'installai à une table en terrasse du Pub Irlandais
et commandai une Adel. Une heure plus tard, rien ne m'indiquait que Mr M
traînerait ses guêtres dans le quartier ce soir. Je décidai donc de faire quelques
pas dans le parc face au Parlement de Bretagne. Je m'arrêtai un instant et
zieutai la place lorsque mon regard s'arrêta sur une affiche colorée sur un
poteau. Je me frottai les orbites au point d'en pleurer et la rage m'envahit
comme la moutarde vous monte irrémédiablement au nez !
Je découvris ceci :
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En attendant Modo
LE CIRQUE DES PETITS ET DES GRANDS
Ce soir à Rennes à partir de 22h00
Samedi 02 avril 2005 - Mon plumard - 8h12
Je me retrouvai assis au milieu de mon lit et me frottai le visage en me disant
que ça faisait bien longtemps que je n'avais pas fait un aussi mauvais rêve. Je
me levai et me préparai un café.
Même jour - rue nationale - 9h34
Je sortis de mon immeuble, le feutre vissé sur la tête et bien décidé à oublier
cette histoire. Je repassai par la place du Palais lorsque je remarquai un
bouquin posé sur une des énormes potiches en bas des escaliers qui menait au
parc. Un petit mot était inscrit dessus :
Avec les compliments de Modo
Je me dis que - finalement - voilà de quoi passer quelques heures tranquille, en
attendant Modo…
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En attendant Modo
Chapitre 23
Chapitre de Pitoune se déroulant à Lyon
Rendez-vous dans la capitale des Gaules
Ce matin, malgré ma gueule de bois, j'ai décroché le téléphone dès la deuxième
sonnerie. J'ai tout de suite reconnu sa voix. Elle me disait qu'elle était enfin
prête à me rencontrer pour m'expliquer pourquoi elle faisait tant de mystères.
Elle se trouvait en ce moment sur Lyon et se proposait de me retrouver dès le
lendemain pour déjeuner ensemble chez Georges, célèbre bouchon lyonnais de
la presqu'île.
Aussitôt accepté, je me rappelai qu'il me fallait rouler pendant sept heures avec
ma vieille guimbarde, car il était hors de question de prendre l'autoroute, mes
moyens financiers ne me le permettaient toujours pas !
Un petit déjeuner, quelques affaires, un coup de téléphone à une ancienne
copine aujourd'hui sur Lyon et quelques heures plus tard me voici dans la
capitale des Gaules. Point d'ancrage, Lucie, une fille que j'avais rencontré à la
fac, devenue journaliste. Elle vivait à la Croix-Rousse. J'aimais bien ce quartier
cosmopolite rempli d'étudiants, de pseudo-intellos, d'artistes en tous genres et
d'immigrés. A peine arrivée, il m'a fallu trouver une place pour me garer, chose
bien périlleuse sur ses pentes.
Lucie m'avait préparé un repas Gargantuesque constitué de ripailles
typiquement lyonnaises : tablier de sapeur, saucisses, cervelle des canuts,...
Après ce repas, je me roulais une cigarette et expliquais à Lucie les raisons de
ma venue. Elle était toujours au courant des derniers potins et connaissait cette
récente communauté de bookcorsaires. Leur lieu de rendez-vous mensuel se
trouvait près de chez elle. Il y avait de plus en plus de membres et elle pouvait
peut-être m'en faire rencontrer quelques-uns si cela m'intéressait. Je ne savais
pas encore combien de temps je resterais ici, mais cela me semblait une bonne
idée. Cette première soirée dura très longtemps, cela faisait quelques années
que nous ne nous étions pas revus et nous avions pleins de choses à rattraper.
Le lendemain, j'étais frais et dispos pour mon rendez-vous. Je suis arrivé un
peu en avance, je voulais la voir dès son entrée. Une table pour deux était
réservée à mon nom, elle avait vraiment bien fait les choses. Mais à 13h30,
toujours personne et je décidai de commander.
C'était trop beau, il me paraissait maintenant évident qu'elle n'avait jamais
voulu me rencontrer, que c'était juste un moyen de m'attirer dans cette ville. A
14h30, j'étais au dessert quand le serveur vint me demander si j'étais bien
Alfred Bogué. Une femme me demandait au téléphone. C'était Elle. Elle me
disait qu'elle était désolée, mais un empêchement de dernière minute ne lui
avait pas permis de venir. Elle avait quand même des renseignements à me
donner. Il fallait que je prenne des notes.
Mon dessert était excellent, mais une petite marche ne pouvait me faire que du
bien. Je m'avançai jusqu'à la Place Bellecour et je fis deux fois le tour de la
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En attendant Modo
place avant de trouver l'arrêt du bus 28 qui devait m'amener à la Place Henri.
C'est dans ce quartier de Montchat que je devais retrouver mes précieux
renseignements. Une quarantaine de minutes plus tard, j'y étais. J'ai ensuite
suivi les instructions à la lettre. Je devais remonter le cours du docteur Long
jusqu'à son intersection avec la rue Bonnand. A cet endroit, j'étais censé
trouver une agence du Crédit Lyonnais et regarder sous les bacs de plantes
situés devant. Ces indications étaient simples et je retrouvai facilement le
document. C'était un livre, un de plus à lire, j'espère que celui-ci me
permettrait vraiment de découvrir des renseignement sur Modo.
Je rentrai chez Lucie. Elle avait invité des bookcorsaires pour la soirée et ils
étaient déjà arrivés. Ils savaient qu'un privé était à la recherche de la véritable
identité de Modo, et cela leur faisait plaisir de me rencontrer. Ils voulaient
savoir qui m'avait embauché et obtenir bien d'autres renseignements. Je les ai
trouvés un peu curieux, mais bien sympa. En discutant avec eux, j'appris
quelques nouvelles choses, surtout sur le site, comment il fonctionnait, qui
étaient les membres les plus présents. En avril, un mégabookcrossing est prévu
dans la ville. Au parc de la Tête d'Or exactement. Ils me conseillèrent de
revenir à cette période et peut-être aurais-je une chance d'y croiser La Voix et
d'y trouver Modo.
Après cette seconde soirée à Lyon, mon appart me manquait. Je décidai d'y
retourner dès le lendemain, ce que je fis après avoir fini la nuit avec Lucie.
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En attendant Modo
Chapitre 24
Chapitre de jaed se déroulant à Valence
Marre ! Marre de cette histoire de modo. Marre de poireauter à côté de mon
téléphone, attendant un appel de ma mystérieuse inconnue, comme un
amoureux transi ! C'est stupide, en vérité ! Qu'ai-je à y gagner ? Rien ! Je me
casse !
Voilà à peu près pourquoi je me retrouvai ici, à Valence. J'y ai passé quelque
temps autrefois. Ma frangine m'hébergeait - elle travaille pour une boîte de
dessins animés, Folimage. Elle m'avait ramassé après une histoire
particulièrement sordide. J'avais découvert alors le seul petit ange qu'il reste
sur cette foutue planète : ma nièce, Magali. Hasard du calendrier, c'était son
anniversaire, et j'avais besoin de prendre l'air. Je m'y étais invité, une Barbie
sous le bras pour respecter la traditionnelle remise de présent à la reine du jour.
Une fois dans la chambre de la demoiselle, j'ai compris qu'il y avait maldonne.
Mon petit ange avait grandi. Si sa chambre avait gardé une apparence bien
rangée, bien propre, il suffisait de fermer la porte et de contempler le savant
collage de posters d'Eminem qui la décorait pour réaliser qu'à 14 ans, une
Barbie n'est peut-être pas le cadeau idéal. J'en avais déduit qu'une mission
secrète à la recherche du cadeau idéal s'imposait.
J'avais avoué mon échec à ma soeur. Compatissante, elle m'avait accompagné
en ville jusqu'à une de ses adresses favorites. Un magasin de jouets en bois, «
traditionnel », dans une petite rue médiévale. La façade rouge, un chat bleu qui
danse, le décor est planté. J'entrais... La vendeuse me fit son plus grand
sourire et je l'écoutais, charmé, me conter ses jeux, ses histoires. J'en ressortis
avec sous le bras une petite merveille de jeu de société, un Jungle Speed. Ils
étaient loin, bookcrossing, modo, voix mystérieuse et compagnie. Cette pause
dans l'enquête me faisait retrouver le goût des vacances...
... et oublier également la première règle du privé ; toujours être sur ses
gardes. À peine sorti du magasin, alors que, nostalgique, je retournais visiter
l'arrière-cour de la maison des têtes, un coup à la base du crâne m'envoya dans
les bras de Morphée. Je me réveillais solidement ficelé, probablement à l'arrière
d'un fourgon, à en juger par l'odeur d'essence et les sons étouffés qui
parvenaient de l'extérieur, un sac en toile de jute sur la tête. J'allais me laisser
aller à ma rage de m'être fait avoir si facilement, lorsqu'un parfum envoûtant
me fit tourner la tête. À travers les mailles du sac, je distinguais une forme
féminine. Avant même qu'elle ne prononce un mot, j'avais deviné que je me
trouvais enfin face à ma mystérieuse inconnue.
"Alfred - permettez-moi de vous appeler Alfred, juste pour cette fois - je
comprends que vous ne vouliez plus jouer le jeu. Et comprenez de votre côté
que je sois obligée d'utiliser cette méthode quelque peu brutale pour vous
contacter. Vous ne m'avez pas laissé le choix. Cette enquête est d'une
importance capitale ! Vous ne pouvez pas nous laisser ainsi ! Retournez au
travail, Alfred, nous vous contacterons très prochainement, avec de nouvelles
informations. Nous avons besoin de vous."
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En attendant Modo
Et ce fut tout. Après ce message laconique, je me sentis traîné à l'air libre, et
jeté sans trop de ménagement par terre. Le temps d'enlever le sac à patates
qui me recouvrait la tête et de me démêler des liens qui m'entravaient, le
véhicule de mes ravisseurs avaient disparu. Je me suis retrouvé libre, encore
plus intrigué qu'auparavant par cette affaire. Ainsi, ils avaient besoin de moi...
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En attendant Modo
Chapitre 25
Chapitre de Septentria se déroulant à Lyon
Où Bogué endure son chemin de Croix...
Quand la sonnerie du téléphone retentit, Alfred sursauta dans son lit mais il lui
fallut une bonne minute avant d'être en mesure de saisir le combiné. Il
fourragea un moment pour se sortir des draps puis il grommela un "Allô" peu
engageant. Voix-de-Velours (puisque c'était elle) eut un petit rire de gorge qui,
en résonnant dans l'appareil, lui fit un drôle de creux dans l'estomac. Sacrée
bonne femme, aussi insaisissable que le Modo...
Lorsqu'il raccrocha, Alfred émit un long soupir. Encore un rencard qui lui
donnerait un indice, encore une vraie-fausse rencontre avec la patronne... Mais,
bon, fallait voir le bon côté des choses: il allait avoir l'occasion de découvrir une
nouvelle partie de la ville. Et avec un peu de bol, il pourrait ce soir encore se
payer un bon gueuleton dans un bouchon lyonnais, arrosé d'un de ces petits
Beaujolais dont les gens d'ici avaient le secret... Il fit une rapide toilette et un
quart d'heure plus tard, il était au volant de son Combi, direction le Vieux-Lyon.
Le rencard était situé au 54, rue Saint-Jean, au beau milieu d'une rue piétonne
et touristique. Alfred avait garé sa guimbarde sur un parking des bords de
Saône et il s'était engagé à pied dans les ruelles étroites du quartier le plus
ancien de la ville. Il n'y avait pas encore grand monde, les commerçants
balayaient devant leurs boutiques et les restos étaient encore fermés. La veille,
il avait passé une soirée mémorable non loin de là, à goûter les spécialités du
coin: tablier de sapeur, grattons, salade de lentilles, cervelle de canut... Y'a pas
à dire, on savait vivre par ici!
Alfred était un peu en avance. Il en profita pour déambuler un peu, le nez en
l'air. Les façades étaient jolies, souvent retapées. Un quartier classé par
l'UNESCO... Alfred se demanda si on ne devrait pas aussi classer le Moulin-àVent de la veille au patrimoine de l'humanité. Franchement, ça mériterait...
A l'heure dite, le détective se planta devant la porte du numéro 54. C'était bien
entendu un vieil immeuble, mais restauré. Une vieille d'au moins 150 balais
était en train de passer un coup de chiffon sur la plaque dorée de l'entrée.
Comme Alfred s'approchait, elle l'interpella avec un fort accent lyonnais: "Alors,
c'est vous le détective!" et comme il ne répondait pas, elle continua: "Ben oui,
un parigot à galure qui vient lentibardaner par chez moi à c'te heure... ça peut
être que vous! Venez, on va boire un coup au cani du coin, j'ai des choses à
vous dire..." Alfred n'avait pas tout compris mais il emboîta quand même le pas
de la vieille. Il avait bien besoin d'un petit noir pour avoir les idées claires...
Le cani se révéla être un bistrot. Alfred commanda un café et un croissant
tandis que la vieille, en terrain connu, se voyait servir d'office un petit blanc
avec une assiette de sauciflard. Elle vida son verre cul sec puis regarda Alfred
avec malice. "Ça fait du bien par où ça passe! C'est que j'suis d'bout depuis
point d'heure, moi! J'ai dû sortir mes équevilles avant que les boueux passent,
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En attendant Modo
et puis j'ai passé un coup d'panosse dans l'allée avant que tout le monde
vienne pétafiner! J'vous l'dis, je vais prendre ma r'traite, moi!" Le détective
marmonna quelque chose qui se voulait compatissant. Mais quelle langue elle
parlait, la vioque?? "Enfin, j'ai un message pour vous, reprit la vieille. Paraît
que vous avez un paquet à aller chercher et on m'a dit de vous indiquer le
chemin. C'est qu'c'est grand, Lyon! Faudrait voir à pas vous perdre! Et puis,
j'espère que vous êtes vigoret parce qu'elle vous envoie sur les hauteurs, la
gourgandine..." Alfred interrompit la vieille d'un geste "-Quoi? Vous l'avez vue?
De quoi elle avait l'air? demanda-t-il, d'un air faussement détaché.
- Ben, j'sais pas moi. C'est un gône qui m'a apporté le message. Mais y m'a
parlé d'une grande brune qu'avait l'air nette comme torchette et bien gaunée
avec ça... Du genre qu'a des pécuniaux, si vous voyez c'que j'veux dire..."
Alfred sourit. Voix-de-Velours savait toujours brouiller les pistes, on pouvait
compter sur elle. Il entama son croissant pendant que la vieille s'envoyait un
deuxième petit blanc.
"- Bon alors, va falloir passer par chez moi pour rejoindre la rue du Bœuf" et
comme Alfred la regardait d'un air ahuri, elle poursuivit: "Bah, c'est bien les
parigots ça, ils savent pas c'que c'est qu'une traboule! Quand vous rentrez dans
mon allée, rue Saint-Jean, vous ressortez dans la rue derrière, la rue du Bœuf!
C'est bien pratique quand ça mouillasse, comme aujourd'hui... Et puis, vous
risquez pas de vous perdre, y'a des touristes à regonfle. C'est la plus belle
traboule de la ville, Môssieur!"
Alfred acquiesca et prit des notes dans son calepin.
"Bon, et après? demanda-t-il.
- Après, vous allez prendre la montée du Tire-Cul. J'vous préviens, montez pas
trop vite sinon, vous serez tout flapi en haut. C'est qu'ça grimpe, à Lyon! Vous
pouvez pas vous tromper, c'est la seule montée d'escaliers de la rue du Bœuf!
Et devinez où elle monte? A Fourvière, Môssieur! La colline qui prie..."
Allons bon! Pourvu que la vioque ne s'embarque pas dans des bondieuseries à
deux balles.... Mais non, elle venait de siffler deux petits blancs et elle attaquait
le sauciflard.
"- Vous en voulez pas un peu? C'est de la rosette. Non? bon... Où j'en étais,
moi? Oui, montée du Tire-Cul. Ça s'appelle les Chazeaux maintenant mais moi,
ça m'parle pas. J'préfère dire Tire-Cul, c'est plus joli. Tout en haut des marches,
vous faut traverser la route pour entrer dans le parc, presque en face. Le
chemin, c'est une ancienne voie romaine. Y'a une plaque de marbre à l'entrée,
sur le mur. C'est marqué des choses mais moi, je cause français, Môssieur,
j'saurais pas vous dire de quoi y retourne" et comme Alfred ne pouvait
s'empêcher d'esquisser un sourire, elle éructa: "Vous pouvez vous moquer!
Avec vot'veste toute encrenillée, vous m'avez tout l'air d'un cogne-mou!
Faut'l'dire si j'vous bassine, espèce de galapia! Moi, je retourne à mes pattes et
on n'en parle plus!!!"
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En attendant Modo
Alfred leva la main en signe d'apaisement et d'un geste, il commanda un
troisième petit blanc pour la concierge en colère. Et puis un pour lui aussi,
parce qu'il allait en avoir besoin pour affronter cette harpie... La vieille avala
son verre d'un trait dès que le serveur le posa devant elle et elle dévisagea le
détective d'un air mauvais. Il lui fit signe de continuer. Elle grogna:
" Faudrait voir à pas me prendre pour une gnougne, non mais... Bon, donc, ce
parc, c'est la promenade du Rosaire. Ça monte en tortillant jusqu'à Fourvière.
La basilique. Faudra prendre des bonnes grolles si vous voulez pas vous ruiner
les arpions! Mais je sais pas si votre gourgandine veut que vous montiez
jusqu'en haut. Elle a laissé un paquet pour vous dans la petite grotte, au
numéro 12. En tout cas, c'est c'qu'elle a dit au gône..."
Au numéro 12? Une voie numérotée dans un parc public? Tiens donc... Alfred
essaya bien de tirer les vers du nez de la concierge mais elle ne savait rien de
plus. Grand seigneur, le détective paya la note et il refermait son calepin, où il
avait griffonné toutes les informations de la vieille, quand celle-ci lui lança, d'un
air goguenard: "M'est avis que vous vous êtes lancé sur une drôle d'affaire!
Méfiez-vous des colombes. Celle-là risque bien de vous faire des arias avec ses
jolis quinquets... Et n'allez pas débarouler le Tire-Cul, hein? Allez, je dois
prendre du souci... A la revoyure, détective!"
Alfred termina son verre de blanc, perdu dans ses pensées puis il sortit. La rue
Saint-Jean était maintenant pleine de badauds, des touristes pour la plupart. Le
détective sortit sa pipe, son paquet d'Amsterdamer et s'en alluma une petite.
Puis il se dirigea d'un pas tranquille vers le 54 de la rue, où la vieille avait
disparu. "Allons-y, Alonzo! se dit-il. Avec un peu de bol, je serai redescendu
pour midi." Le bouchon du coin de la rue avait l'air plutôt sympathique et la
serveuse bien aimable...
Il poussa la lourde porte et immédiatement, fut plongé dans l'obscurité du long
couloir qui s'ouvrait devant lui. Les quelques appliques disposées sur les murs
n'étaient pas très efficaces... Il avança un peu, jusqu'au puits de lumière. Là,
au-dessus de sa tête, il vit un bout de ciel gris émerger. Il était dans une cour
étroite. Marrant, comme architecture! Mais il se demanda si les plantes vertes
du locataire du 4e avaient assez de lumière pour survivre... Il poursuivit le long
du couloir qui zigzaguait un peu. Il avait l'impression d'être dans une oubliette
de château-fort. Mais un château-fort équipé d'ascenseurs dernier cri ! Il arriva
enfin à une porte en bois qui était entrouverte. Dehors, la rue du Bœuf. Quels
drôles de zigues, ces lyonnais, avec leurs traboules!
Presque en face de l'endroit où Alfred était ressorti, une volée de marches
s'élançait, fléchée "Fourvière". Quand il se retrouva au pied de l'escalier, le
détective lâcha un juron. Il y avait au moins 1000 marches et rien qu'à l'idée de
les gravir, notre bonhomme se sentait étouffer. Il éteignit sa pipe qui ne lui
serait d'aucun recours pour grimper cet Himalaya lyonnais et la fourra dans sa
poche. Puis il commença l'ascension en maudissant la gourgandine qui lui
infligeait cette punition. Heureusement, il y avait des paliers qui lui
permettaient de souffler un peu. Mais il regrettait maintenant de ne pas avoir
pris cet abonnement à une salle de sport, comme le lui avait conseillé son vieux
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En attendant Modo
pote René. "Tu verras, ça sert, surtout quand tu dois filocher un jeune loup qui
court tous les dimanche au Bois". Pour sûr, ça n'aurait pas pu lui faire du mal...
Arrivé au sommet, Bogué s'appuya sur une rambarde pour souffler un peu. Il
était hors d'haleine et il sortit sa flasque pour avaler une lampée de son 12ans-d'âge. Il fallait bien tout ça pour le remettre de ses émotions. La vieille
avait raison et il comprenait tout à coup très bien ce que pouvait dire "flapi"!
Mais, pas de répit, la grimpette n'était pas terminée. Alfred jeta un œil autour
de lui et avisa l'entrée du parc, un peu plus haut sur la route.
Il y avait bien une plaque, qui commençait par les mots "Tu foules passant les
dalles de la voie de Condate". Rien que du bon français dans le texte... La
vieille avait dû se laisser abuser par Condate et ne devait pas être très familière
des tournures poétiques...
Bogué prit le chemin et commença à chercher des numéros. Quand il serait au
12, il y verrait plus clair. Le parc était agréable (bien qu'en pente!) et le chemin
jalonné de bancs sur lesquels Bogué aurait volontiers fait une petite pause.
Mais pas de numéros! Il s'arrêta un instant et réfléchit. Qu'avait bien voulu dire
la frangine avec son numéro 12 ?
Devant lui, une vieille dame s'assit sur un banc de pierre et se mit à
marmonner doucement, l'air perdue dans ses pensées. Alfred allait
l'interrompre pour lui demander de l'aide lorsqu'il comprit soudain. Le Rosaire!
La mémé récitait ses prières en égrenant un chapelet... Il était sur la
promenade du Rosaire, qui représentait les étapes du chemin de croix du
Christ ! Comme quoi, le catéchisme de l'abbé Frouillard avait de beaux restes !
S'il s'en souvenait bien, le chemin de croix comptait 14 étapes, elles devaient
être numérotées quelque part le long de ce sentier. Il poursuivit un peu, en
regardant attentivement autour de lui. Mais c'est à ses pieds qu'il trouva enfin
la solution de l'énigme. Dans le goudron étaient régulièrement scellées de
petites roses sur des plaques métalliques et puis aussi des numéros... Alfred en
était déjà au 4, il fallait encore grimper.
Il faillit rater le numéro 12, tant il était occupé à profiter du paysage. C'était
décidément un beau parc, très paisible. A hauteur du 12 se trouvait
effectivement une petite grotte, construite là par amoncellement de cailloux
gris, peut-être destinée à accueillir une statue religieuse qui avait dû finir par
se faire héberger ailleurs. Bogué se courba un peu pour entrer dans la cavité et
il chercha une trace du passage de Voix-de-Velours. Celle-ci ne s'était pas
fatiguée. Une enveloppe était cachée sous une pierre plate, à la portée de
n'importe qui. Le détective s'empara de la lettre et ressortit rapidement de la
grotte pour regarder si sa mystérieuse patronne n'était pas encore dans les
environs. Elle avait dû poser ce courrier très peu de temps auparavant car le
papier n'était même pas humide. Or, tout à l'heure encore, Lyon avait essuyé
une bonne radée pendant que Bogué blablatait avec la vieille concierge... Il
déchira l'enveloppe et à sa grande surprise, découvrit un prospectus publicitaire
vantant les mérites de la Carte Neige. Dessus, un Post-It avec un message
laconique: "Cherchez dans la verdure, sur le mur". Alfred se gratta la tête,
perplexe. Que venait faire la Carte Neige dans ce mic-mac? A quoi pouvait bien
servir une Carte Neige dans une ville comme Lyon?
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En attendant Modo
Après une deuxième lampée de whisky, le détective décida de demander à un
autochtone des éclaircissements. Un employé de l'entretien des parcs venait
justement de faire son apparition au détour d'un bosquet, son sac poubelle à la
main. Bogué le salua et lui demanda si la Carte Neige pouvait être d'une
quelconque utilité ici, à Lyon. Le bonhomme le regarda, un peu bizarrement.
"Ben ma foi, je sais pas trop. C'est qu'il neige pas souvent, ici. Les hivers sont
plus comme autrefois..." Il réfléchit un moment. "Mais j'y pense, y'a quand
même une piste de ski à Lyon! Et c'est pas loin d'ici!" Bogué lui fit signe de
continuer. "C'est la piste de la Sarra. Maintenant, les jeunes y font du VTT. Je
crois pas qu'elle ait servi à faire du ski depuis longtemps... Montez jusqu'à
Fourvière (là, Bogué ne put s'empêcher de faire grimace. Voix-de-Velours
aurait sa peau...), et prenez à droite, en direction de la Tour Métallique, vous
savez, celle qui ressemble à la Tour Eiffel. Juste avant la Tour, à gauche, il y a
un parc public, le parc des Hauteurs. Vous suivez le chemin, traversez le pont
suspendu et tout au bout, un peu avant d'arriver au cimetière, vous trouverez
la piste de la Sarra. Une grande côte qui descend jusqu'à Vaise. Peut-être qu'on
pourra vous renseigner là-bas..." Bogué remercia le bonhomme et s'attaqua en
ronchonnant au restant de son chemin de Croix...
La vue sur l'esplanade de Fourvière était magnifique. Bon, le temps était un
peu bouché et on ne voyait pas les Alpes, mais le spectacle de la ville à ses
pieds remit un peu de baume au cœur de Bogué, qui commençait à trouver la
chasse à l'indice un peu longuette. C'était mal barré pour être au petit resto de
la rue Saint-Jean à midi...
Bogué suivit les indications de l'employé municipal et trouva facilement l'entrée
du parc des Hauteurs. Au passage, il jeta un œil méprisant à la Tour Métallique.
Hum, un simple relais de télécommunication... "Tour Eiffel lyonnaise", ce mec
était un peu Marseillais!
Le parc des Hauteurs était un aménagement relativement récent d'un ancien
trajet de tramway qui reliait autrefois la basilique de Fourvière au cimetière de
Loyasse. Il était à parier que ses clients ne devaient prendre pour la plupart
qu'un aller simple... Sur le pont suspendu, Bogué s'arrêta un instant pour
admirer le paysage. Il découvrait le flanc ouest de la ville, qu'on ne pouvait voir
d'en bas car il était caché par un bras de la Saône. Un plan panoramique lui
indiquait les Monts d'Or et le quartier de Vaise, en contrebas. Il approchait.
Le parc était visiblement construit le long de propriétés religieuses. Qui d'autre
que l'Eglise pouvait avoir des bâtiments pareils et des terrains de cette taille,
juste derrière Fourvière? Bogué avait lu dans le Progrès de la veille que
l'Evêché vendait des biens pour se faire un peu de liquidités. "Si j'avais un peu
de blé, cette petite maison près du pont ferait bien mon affaire...", pensa-t-il.
Il reprit sa route et commença à guetter la présence d'une ancienne piste de ski
sur sa droite, le côté qui descendait. Dans une ville aussi pentue, il aurait été
dommage de ne pas prévoir un endroit où chausser des planches... Il longea un
bois, puis un petit jardin de curé (en tout cas, c'est à ça que ça lui faisait
penser) puis il entrevit devant lui la grille de sortie du parc. Mince, il avait loupé
la piste!
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En attendant Modo
C'est alors que son œil fut attiré par une grande pancarte bleue collée contre
une maison. Dessus, le coq bleu-blanc-rouge de la Carte Neige l'invitait à
prendre une assurance avant d'aller skier...
"C'est là que les Athéniens s'atteignirent...", murmura-t-il pour lui-même. Le
mur, la verdure... Il allait encore trouver un de ces satanés bouquins, comme
d'habitude...
"Ma parole, ces bookcorsaires vont finir
Wolkswagen en bibliobus, si ça continue..."
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par
transformer
mon
Combi
En attendant Modo
Chapitre 26
Chapitre de Dingus se déroulant à Genève
Je suis en retard. Passage obligé à la douane suisse, rien à déclarer. Moi, Alfred
Bogué, privé de profession, et à l'ordinaire si calme, je perds patience dans les
embouteillages qui encombrent la longue route dont le nom, côté français, est
accolé à Voltaire. Mais je suis sur le territoire genevois à présent. Ma douce
inconnue à la voix suave a intérêt à se présenter au rendez-vous, c'est bien à
cause d'elle et de son cas soi-disant "très urgent" d'après le coup de fil d'hier
soir - elle veut que je retrouve un dénommé Modo - que je me suis réveillé à
six heures ce matin, sans même le temps de boire un café ou de lire le journal
en fumant une Amsterdamer, comme d'habitude. Bref, je suis de mauvais poil.
Si seulement l'aiguille des minutes pouvait avancer aussi rapidement que la
voiture de devant... On peut rêver. Je serai bel et bien en retard. Je m'en
moque, elle attendra. Par le passé, une dénommée Valentine m'avait posé un
lapin dans cette ville-même, avant de m'annoncer, par téléphone que tout était
fini entre nous. C'est de l'histoire ancienne, certes. Mais je ne porte pas la cité
de Calvin dans mon cœur, c'est ainsi. Mon inconnue sera peut-être plus
clémente. J'arrive enfin sur la grande place, ou plutôt la place du grand... puis
je bifurque dans une petite rue à droite, rejoignant le trolleybus à enseigne rose,
et je descends à gauche. Vers la petite place, ou plutôt la place du petit... je
me gare. Le Soleil m'attend. J'entre dans la lumière. C'est plutôt un restaurant
minuscule un peu glauque, et qui sent les pieds. Normal. Qu'importe, la
mystérieuse demoiselle m'y attend. Un serveur prend ma veste, je m'avance.
Rien, pas l'ombre d'une silhouette féminine dans ce décor vétuste. On
m'installe près de la fenêtre, je commande un café...
Une heure plus tard, toujours aucun signe. Elle m'a bien eu, cette petite! Aigri,
je demande l'addition. Trois francs cinquante, c'est cher...mais...que vois-je, au
verso de la douloureuse, un petit mot : "Le Seigneur t'aidera à trouver Modo".
Une plaisanterie? J'en ai bien peur. Pourtant en regardant par la fenêtre,
l'édifice réformé d'en face semble dire : "Oui, j'ai ce que tu cherches". Je me
lève, et fonce donc vers l'entrée du lieu saint. J'essaie d'ouvrir la porte, mais
elle est fermée. Désespéré, je repère soudain, sous un des gros pots de fleurs à
l'entrée... Un livre! Il est enveloppé dans un sac plastique. Je le ramasse et
l'ouvre avec précaution. A l'intérieur, une adresse web... Serait-ce un indice? Je
m'en vais trouver un cybercafé pour chercher un sens à tout cela...
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En attendant Modo
Chapitre 27
Chapitre de Pandore, Tyhma et Olwe se déroulant à Le Mans
- Allô ?
- Vous devez vous rendre au Mans.
- Hein ?
Il se leva du canapé, à peine rasé et en maillot de corps. Il se servit un verre de
whisky. La nuit risquait d'être longue.
- Vous devez vous rendre au Mans.
- Vous savez l'heure qu'il est ?
- Rendez-vous au Mans.
C'est alors qu'il reconnut la voix. La Voix. Il s'approcha furtivement de la
fenêtre pour jeter un coup d'oeil dans la rue, mais trébucha dans le pied de la
table. Son verre lui echappa des mains.
- Et merde !
- Vous devez vous rendre au Mans.
- Ouais, ouais, j'ai compris...Le Mans...c'est dans quel coin ?
- Retrouvez Wilbur Wright au plus vite, il détient ce que vous cherchez.
- C'est qui ce...
Elle avait déjà raccroché.
Son vieux combi orange s'engagea dans les embouteillages et le détective
commençait déjà à pester contrer ces foutus manceaux. Il s'arrêta au feu rouge
(Bogué ne se sentait pas assez en forme, après cette nuit de voyage, pour
tenter quoi que ce soit). C'est alors qu'à travers le flux de piétons, un étrange
et incongru petit coffre monté sur plusieurs jambes roses et dodues apparut
aux yeux d'Alfred Bogué. Il les ferma quelques secondes, ne voulant pas croire
ce qu'il voyait, et lorsqu'il les rouvrit enfin - quelque peu forcé par le
conducteur du véhicule arrière - le mystérieux Bagage avait disparu.
Décidément cette nuit ne l'avait pas arrangé.
Cette hallucination (que cela pouvait-il être d'autre ?) l'avait légérement remis
d'aplomb. Il rangea son véhicule sur le trottoir. En sortant, il aperçut une jeune
fille tout de rouge vêtue.
- Hé petite ! Tu connais un certain Wilbur Whright ?
- Je suis pressé, monsieur, je dois porter une galette et un pot de beurre à ma
mamie, dit-elle en s'éloignant.
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En attendant Modo
- D'accord, lâcha-t-il d'un air dubitatif. Il avait une désagréable impression de
déjà vu.
Il allait repartir lorsqu'un groupe composé d'hommes (dont quatre plutôt petits)
l'interpella. Ce fut le vieil homme qui prit la parole.
- Excusez-moi jeune homme, n'auriez-vous pas vu passer un nain ?
- Un nain ?! Je crois pas. Il haussa un sourcil, perplexe. Il hésita à leur
demander son chemin mais se retint au dernier moment.
Il les regarda plutôt s'éloigner et songea qu'il ne supportait plus aussi bien
l'alcool. On venait du lui servir du jeune homme...
Un peu perdu et troublé, le détective se remit en quête d'un plan, ou de tout
autre indice concernant ce Wilbur Whright. Il trouva un arrêt de bus (Mendès
France ? Encore un nom à coucher dehors). Il finit par repérer ce qu'il cherchait.
S'il comprenait bien le plan, il ne se trouvait pas loin d'une rue portant ce nom.
Se retournant vers un jeune
homme :
- Wilbur Whright, ça vous dit quelque chose ?
- Vous voyez la grande statue là-bas ? C'est le tunnel qui est juste à côté.
Enfin quelqu'un qui connaissait le nom des rues. Il traversa un parking
encombré de voitures et se retrouva face à une grande statue montrant un
homme, les bras écartés vers le ciel. Bogué ne prit pas la peine de lire ce qui
était écrit et descendit dans le tunnel. Après quelques mètres, il se demanda
enfn ce qu'il était censé trouver. Des livres sûrement. Depuis le début il ne
faisait que ça. Trouver des livres. Alfred Bogué se mit en quête de ce livre qui
allait - espérait-il - mettre fin à son enquête.
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elj-épisode
193/07/Tuesday 00h59
_ C'est en 2364 qu'eut lieu la Catastrophe _
_ Nul ne sut d'où provint la mousse _
_ Paris fut isolée sous une c l oc he en
nano
-carbo-verre™ _
Extraits de: Petit manuel de la Terre
De: sas n°4-porte de Vanves
Objet: Signalisation d'entrée
Date: 7 avril 2486 10:32:05 TS
À: Brigade de Sûreté de Paris
10:32:04
entrant: robot AV-4_ 20p2458
code valide: bleu_1d3_vert _8m5
De: Brigade de Sûreté de Paris
Objet: Rép : Signalisation d'entrée
Date: 7 avril 2486 10:33:15 TS
À: sas n°4-porte de Vanves
Cc: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Ce robot n'est plus accrédité pour le franchissement des [sas].
Lancez procédure: _rouge.4_
De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Objet: Rép : Signalisation d'entrée
file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html
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elj-épisode
193/07/Tuesday 00h59
Date: 7 avril 2486 10:35:42 TS
À: Brigade de Sûreté de Paris
Confirmez procédure rouge.4
Etendez à tous les [sas].
le contrôleur BS
De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Objet: URGENT Demande de renseignements
Date: 7 avril 2486 10:37:22 TS
À: Agence Centrale de Robotique et d'Intelligence Artificielle
Veuillez nous faire parvenir rapidement tous renseignements sur le
robot:
AV-4_20p2458
le contrôleur BS
De: Agence Centrale de Robotique et d'Intelligence Artificielle
Objet: Rép : URGENT Demande de renseignements
Date: 7 avril 2486 10:44:03 TS
À: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
robot AV-4_20p2458
Date de fabrication : 2459
Cellule positronique : [2 µ 3] -r/r
Dotation I.A. : police standard-NF(E)6
Assignation : Brigade de Sûreté de Paris
1/6/2485
Réformé
I.A. effacée
12/7/2485
file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html
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elj-épisode
193/07/Tuesday 00h59
12/7/2485
Vendu à:
M. Johanne Verlanger / Beltem Détectives
12 bld Camélinat
IDF48 SACLAY
Nouvelle dotation I.A. : Alfred Bogué
Alfred Bogué
Personnage: détective privé
Langue: français
Auteur: Collectif
Editeur: néant
Droits: néant
Publication: web 2005
Titres: une quarantaine d'histoires courtes
Contrairement à une I.A. de détective plus prestigieux, sa personnalité est assez
malléable car l'ensemble de l'œuvre qui lui est consacré est peu volumineux et tout
entier centré autour du même adversaire. Cela permet une grande souplesse
d'utilisation dans une agence d'investigation mais il faut que sa formation initiale
soit très soignée.
L'Agence n'a pas jugé nécessaire de lui implanter d'autre programmation que les
Trois Lois Ordinaires, les risques d'interférences entre son passé littéraire et le
présent étant nuls.
A.C.R.I.A.
De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Objet: ORDRE D'INTERVENTION
Date: 7 avril 2486 10:46:34 TS
À: Brigade de Sûreté de Paris
INTERCEPTER ET NEUTRALISER ROBOT AV-4_20p2458
Extraire la cellule/p et l'envoyer à la Division
(Appliquer décontamination standard)
le contrôleur BS
file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html
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elj-épisode
193/07/Tuesday 00h59
De: Brigade de Sûreté de Paris
Objet: Rapport d'intervention
Date: 7 avril 2486 12:30:51 TS
À: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Nous sommes entrés dans la c l oc he à 10:56 par le [sas] n°4-porte de
Vanves.
Le sas n'a pas été forcé, le code entré par le robot intrus était bien
valide.
Nous avons progressé dans la mousse sans difficulté axe Nord-Est et
avons intercepté le robot qui venait vers nous apparemment pour
ressortir.
Nous l'avons mis hors-circuit et ramené au [sas].
Sur lui, nous avons trouvé un paperel avec ce message:
entre 7eNemo et 15eAdélie
Un agent est en route pour vous remettre la cellule/p.
brigadier J-CP
De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Objet: ORDRE DE RETRAIT
Date: 8 avril 2486 11:25:36 TS
À: Agence Centrale de Robotique et d'Intelligence Artificielle
Suite à l'intrusion dans Paris d'un robot, nous vous demandons de
rappeler sans délai tous les robots dotés de l'I.A. _Alfred Bogué_
pour modification.
Une première analyse de sa cellule/p a révélé une corrélation entre
son passé et un évènement récent.
le directeur de la Sûreté E. Vidocq
file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html
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elj-épisode
193/07/Tuesday 00h59
De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté
Objet: robot AV-4_202458
Date: 8 avril 2486 14:12:28 TS
À: Johanne Verlanger / Beltem Détectives
Madame,
hier matin votre robot-détective est entré dans Paris.
Il appartenait auparavant à la brigade en charge de la surveillance et
de la maintenance de la c l oc he et nous pensons que l'effacement de
sa précédente I.A. était incomplet et qu'il avait encore les
informations lui permettant de traverser les =marais= et d'ouvrir les
[sas].
Pour des raisons de sécurité que vous comprendrez aisément, nous
ne pouvons vous le restituer dans l'immédiat.
Afin de nous permettre de comprendre les raisons de cet acte, un
agent de la Sûreté sera à votre agence demain matin pour collecter
tous les documents concernant la dernière enquête que vous lui
aviez confiée.
le directeur de la Sûreté E. Vidocq
file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html
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En attendant Modo
Chapitre 29
Chapitre de Bilbi se déroulant à Chambéry
A l'entrée de la ville de Chambéry, un immense panneau annonçait : «
Chambéry : capitale historique de la Savoie, ville d'avenir ». Preuve s'il en était
besoin de montrer la fierté de ce peuple de montagnards. Fierté ? Chauvinisme ?
Alfred Bogué hésitait. Il eut un sourire quand il lut que la température était de
25°C et qu'il était 77 h 77... Son inconnue l'avait prévenu : ce « panneau »
digital était très souvent en panne et au-dessous d'un Jean-Jacques Rousseau
en 4 par 3, l'heure semblait venir d'une autre dimension. En tout cas, dans la
sienne, il était 14 h 30.
Pour cette enquête, il espérait bien ne pas devoir faire le tour des
anfractuosités de la ville qu'une certaine bookcorsaire locale semblait apprécier
tout particulièrement. Peut-être allait-il la rencontrer... qui sait ? Il gara sa
Volkswagen avenue de la Boisse. Il profiterait de la température agréable en
cette saison pour s'oxygéner les poumons et son vieux combi pourrait se
remettre des routes alpines.
Arrivé au bout de la rue Freizier, un bar appelé « Au bureau » lui faisait face. Il
ne put s'empêcher d'improviser un dialogue que les gens du coin ne devaient
pas manquer de faire.
« Chéri, où tu es ? »
- Je suis Au Bureau !!! »
« Apparemment, le crétin des Alpes était plus qu'un mythe », se dit-il en
esquissant un sourire.
Après un verre de bière et plusieurs de vins locaux, il se sentait plutôt
euphorique. Il traversa la rue et se retrouva face à la Sasson, cette statue
déboulonnée et envoyée en Allemagne pour faire des boulets de canon. Il se
rappelait « son amie » lui racontant comment les Chambériens s'étaient battus
pour la récupérer dans les années 80 alors qu'elle gisait abandonnée dans un
jardin tout proche. Aujourd'hui, elle trônait fièrement devant un magasin de
chaussures !!! Il prit le boulevard de la Colonne, et découvrit les fameux « 4
sans Q », les éléphants offerts à la ville par le Comte de Boigne. Il croyait que
c'était les éléphants d'Anibal mais pas du tout... Bref. Il alluma une
Amsterdamer avant de déchirer l'enveloppe d'un coup sec. Il put lire :
« Quelque part dans un carré de culture, il faudra se mettre à quatre pattes
pour décrocher Laurence. Heureusement, Jean-Jacques n'est pas de son côté ».
« Me voilà bien avancé, grommela-t-il. » Sa mystérieuse amie lui avait laissé
un plan de la ville sur lequel il repéra tout de suite l'Office de Tourisme, bien
qu'il ne sache pas s'il allait oser s'adresser au personnel dudit office pour
demander : « Bonjour. Je cherche Laurence, je suis prêt à me mettre à quatre
pattes. Savez-vous où je peux la trouver ? ». Il n'était pas sorti de l'auberge.
111 / 160
En attendant Modo
Sur un post-it accroché au feuillet était griffonnée une autre phrase laconique :
« Ne t'inquiète pas, je ne suis pas jalouse. » Décidément, elle commençait à
l'énerver cette inconnue. Elle avait beau être à des centaines de kilomètres, il
lui aurait bien tordu le cou. Il renonça à l'appeler sur son portable pour lui dire
tout le bien qu'il pensait des gens à quatre pattes, des 4 sans Q et de ces
philosophes à la manque !!!
Il lui fallu tout de même reconnaître qu'il n'était pas si mal sur ce banc,
l'atmosphère était fraîche ; de loin lui parvenaient des effluves de pâtisserie et
sa tranquillité n'était perturbée que par le passage régulier des bus.
Il ferma les yeux et se laissa pénétrer de cette énigme plus que mystérieuse.
Jean-Jacques... L'énigme ne pouvait que se rapporter à Chambéry et à son
histoire. De ses cours de philosophie, il avait retenu que Jean-Jacques
Rousseau avait habité aux Charmettes. Il s'en souvenait surtout pour sa
relation amoureuse avec Mme de Warens. Le contenu des ouvrages du
philosophe lui était plutôt passé au-dessus de la tête. Il déplia le plan de
Chambéry et chercha dans l'index une rue, une avenue ou quoi que ce soit qui
pourrait l'aiguiller.
Facile ! Là, sous son doigt, il trouva une rue Jean-Jacques Rousseau, et voilà,
ça au moins, c'était facile.
Bon. Avoir trouvé ce premier morceau du puzzle lui avait redonné de l'énergie.
Mais des énigmes précédentes, Bogué avait appris que chaque mot avait son
importance. Pourquoi un carré de la culture ? Et puis, comment son inconnue
aurait-elle pu savoir si le musée était ouvert aujourd'hui ? Il ferma les yeux et
se concentra. Il avait déjà eu l'occasion de résoudre des énigmes dans d'autres
villes françaises et ce n'est pas les hésitations du début qui pouvaient le
démoraliser.
Au bout d'une heure et demie, il se leva, s'étira et se dirigea vers le fumet
alléchant qui lui chatouillait les narines depuis qu'il était assis sur ce banc. Il
acheta deux pains au chocolat encore tout chauds et se décida pour un jus
d'orange. «Pas de folie : c'est surtout que t'as trop bu, gars », pensa-t-il alors
qu'il mordait dans sa viennoiserie toute chaude.
Bogué prit la direction de la rue Jean-Jacques Rousseau, mais un panneau
attira son attention. Il indiquait « Carré Curial ». Apparemment, ce carré était
tout proche, s'il pouvait trouver un lien avec Rousseau et bien, l'énigme serait
résolue très vite.
Le Carré Curial était une ancienne caserne. Des générations de militaires en
étaient sortis pour aller le plus souvent se battre contre les Allemands. Une
plaque rappelait qu'au milieu de la cour avaient été fusillés des résistants
pendant la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui on trouvait l'espace Malraux
qui proposait entre autres des expositions photographiques, des pièces de
théâtre, la bibliothèque, des restaurants et bien d'autres magasins encore.
C'est étrange comme l'Histoire se réduit parfois à une simple plaque...
Bogué savait désormais qu'il était au bon endroit. Ne restait plus qu'à trouver le
livre. Il fit plusieurs fois le tour du carré mais sans succès.
112 / 160
En attendant Modo
Son amie lui avait expliqué que les membres de cette communauté n'hésitaient
pas à crapahuter pour trouver des livres libérés : ils appelaient ça chasser. Il
avait plutôt l'impression d'être idiot rasant les murs pour ne pas laisser passer
un seul interstice.
« Bon. Réfléchissons. Ton amie ne pouvait pas savoir que tu passais à
Chambéry un jour de semaine ou un week-end et donc, elle n'aurait pas laisser
le livre dans un restau ou dans un magasin. Et puis, il y avait cette histoire de
se mettre à genoux devant Laurence. Il ne se voyait pas parcourir à genoux le
Carré Curial comme le faisait régulièrement les pèlerins les plus fervents en
route pour Compostelle.
Il se rappelait l'histoire d'une chasseuse de livres lyonnaise qui avait ouvert
toutes les poubelles avant de sortir bredouille d'une grande surface... pour y
retourner le lendemain et trouver le livre dans un meuble à la porte déglinguée.
http://www.bookcrossing.com/journal/1153908
«
Apparemment,
les
bookcrosseurs n'ont aucun amour-propre, pensa-t-il en dans un craquement de
rotules. »...
Fort heureusement, il ne croisa pas trop de personnes, les rares passants
l'avaient regardé d'un air plutôt amusé voire l'avaient complètement ignoré. Il
mit la main sous les vitrines de l'Espace Malraux mais encore une fois, il ne
trouva pas de livre. Il avança tout droit. Sur sa gauche, il pouvait voir quelques
voitures stationnées. Il savait qu'il était proche de la solution. Tel un chien aux
aguets, il se figea. Sous ce porche, il y avait des boîtes aux lettres. Il se releva
péniblement pour atteindre plus vite ces boîtes... « Merde ! Rien. Bon sang,
mais je vais pas passer ma vie à quatre pattes ! Merde, j'ai pas envie d'être un
bon toutou, j'en ai maaaaaaaarre ! explosa-t-il ! ». Quelques minutes furent
nécessaires pour qu'il retrouve son calme. Il en avait ras-le-bol de ces zigotos
qui libéraient des livres, tu parles, comme les libérateurs de nains de jardins,
sûrement des tarés qui... Il sentait la moutarde lui remonter au nez et ce
n'était pas ce qu'il fallait. Il savait qu'il était proche. Ce n'était pas la première
fois qu'il butait sur des énigmes. Son amie lui avait dit que les bookcrossers
regardaient la ville différemment, repéraient partout des lieux où relâcher des
livres. Lui, il n'avait pas des yeux de chasseur de livres, mais il enquêtait et il
devrait logiquement trouver l'endroit. Il se concentra et repéra deux espèces de
triangle en fer dans le coin à côté des boîtes aux lettres. C'était l'endroit idéal :
au vu et au su de tous, le livre se trouverait là, il n'en faisait aucun doute pour
lui.
« Allez, fais-le cabot une dernière fois ». Il se mis à quatre pattes, passa la
main sous ce « bidule » (il n'avait pas fait l'école d'architecture...) et sentit un
paquet. Il l'arracha d'un coup sec, l'ouvrit et lu :
Lawrence Block - Même les scélérats.
Il éclata de rire : « Et bien, je l'ai enfin trouvé Laurence ».
113 / 160
En attendant Modo
Chapitre 30
Chapitre de Misou se déroulant à Metz
Voila pas que maintenant je dois me farcir toute la France pour me retrouver
dans l'Est, à Metz plus précisément. Pfff en plus ça doit cailler en cette période,
heureusement que j'ai mon bon vieil imper et ma pipe pour me réchauffer !
J'espère que ma bonne vieille Volkswagen ne va pas me lâcher durant le trajet !
Ah! j'arrive enfin, après 2 pannes, ça fait plaisir d'arriver ! Il fait déjà nuit, les
rues sont froides, désertes. J'entends les cloches des églises, cette ville semble
en posséder des dizaines, mince déjà 23h !
La 1ere chose qui me saute au nez en arrivant dans cette ville, ce sont ces
casernes, ces longs blocs rectangulaires de couleur jaune, qui semblent dormir
depuis la fin du service militaire. De toute façon, c'est pas plus mal, je déteste
l'armée ; tous ces décervelés qui marchent au pas, beurk.
Bon alors... je dois aller où maintenant ? un coup d'œil sur l'indice que j'ai
récupéré dans l'autre bouquin...
La phrase disait ceci :
Tbnmzhv klfi ovh ilnzrmh,
Vtorhv klfi ovh xsigrvmh,
Kivh wv xv orvh hzrmg
Gf gilfevizh glm yrvm !
2110812680
Mais que peut bien signifier ce charabia ? Est ce un système de codage pour
m'indiquer l'endroit où se trouvait mon prochain indice !?
Après plusieurs minutes de réflexion, je réussis finalement à percer ce code !
Sans perdre une minute, je gare ma voiture dans le parking le plus proche et je
cours jusqu'à l'endroit cité !
C'est une magnifique bâtisse qui semble posséder une âme, éclairée de mille
lumières qui font ressortir la belle couleur jaune de la pierre de Jaumont, elle
est magnifique !
J'arrive sur son parvis. L'endroit est désert, pas un bruit, pas un chat ! Je fouille
du regard la petite place en quête d'indices lorsque mon regard se fixe sur une
petite trace de sang au sol. Ces petites taches se répètent, comme si quelqu'un
s'était coupé ou saignait du nez, et forment ainsi par terre un fin d'Ariane rouge.
Ce chemin me mène jusqu'à un petit éclairage qui lui aussi est taché de rouge !
114 / 160
En attendant Modo
Je regarde derrière, quelque chose y est caché! C'est assez petit et de forme
rectangulaire, sûrement un autre livre!
Je l'attrape, chouette un polar ! Je le feuillette. Le BCID inscrit dedans est lui
aussi rouge, du même aspect que celui qui maculait le sol, sûrement du sang !
La personne qui a laissé là cet indice serait donc assez folle pour se lacérer afin
d'inscrire avec son propre sang un autre indice ? Ca promet pour la suite !
Qu'à cela ne tienne, ce BCID est sûrement une piste ou un secret qui me
rapprochera un peu plus de ce fameux modo...
115 / 160
En attendant Modo
Chapitre 31
Chapitre de lesezeichen se déroulant à Düsseldorf
L'inconnue lui avait donné rendez-vous sur la Kö, pas loin du Schadowplatz.
Alfred ne se sentait pas tout à fait à l'aise devant toute cette splendeur, mais il
essaya de dissimuler son malaise en faisant mine de rien. Dans la rue on
pouvait facilement repérer son vieux combi Volkswagen orange qui était en
contraste criard avec toutes les Mercedes et BMW parqués autour de lui. Tout
d'un coup quelqu'un le prit par le bras. Alfred tourna la tête mais il ne pouvait
rien distinguer à cause du brouillard qui montait en provenance du Rhin. Cette
inconnue pouvait-elle bien être son interlocutrice de tout à l'heure ? La
personne à ses côtés tournait la tête et un voile lui cachait partiellement le
visage.
« Venez avec moi » murmura-t-elle mais en parlant si bas que une fois de plus
Alfred n'était pas en mesure de l'identifier. « Tant pis » pensa-t-il, « on verra
bien ». Tout en suivant la silhouette, il regardait autour de lui mais son
accompagnatrice le menait par de petites ruelles et il finit par ne plus arriver à
s'orienter. Mais il lui semblait qu'ils étaient en train de se rapprocher du Rhin
puisque la brume devenait de plus en plus épaisse. L'inconnue s'était tue
pendant tout le trajet. Mais tout d'un coup elle se mit à lui adresser la parole. «
Bon, là il faut que je vous laisse. Si vous souhaitez trouver davantage
d'indications pour découvrir votre Modo, il faut que vous montiez là-bas. »
Pendant un instant Alfred arriva à apercevoir un visage qui était très
distinctement féminin et il crut reconnaître la belle voix de son interlocutrice au
téléphone mais, avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, la silhouette avait
disparu dans le brouillard. Alfred se lança à la poursuite de cette femme
mystérieuse mais au bout d'un moment il dut reconnaître qu'il avait perdu toute
trace de l'inconnue.
A regret il détourna son regard. A travers la brume et le crépuscule il arriva à
distinguer une haute tour s'élevant devant lui émettant des lumières
clignotantes ce qui avait un effet franchement fantomatique dans la nuit qui
commençait à tomber. Alfred releva son col et se mit à avancer en direction de
la tour. Une fois arrivé, il commença à repérer les lieux. Soudain il crut
apercevoir une flèche sur la porte d'entrée. Petit à petit, il poussa la porte et
entra en prenant un maximum de précautions. Comme il ne voyait rien, il
alluma sa lampe de poche. Devant lui se dressait la porte de l'ascenseur sur
laquelle il crut apercevoir une autre flèche.
Il entra dans l'ascenseur qui commença à monter sans bruit. Arrivé en haut
Alfred sortit de l'ascenseur et jeta un regard furtif autour de lui. Il alluma une
fois de plus sa lampe de poche et la dirigea sur les tables qui étaient dressées
devant lui. A sa gauche il y avait un distributeur -rouge- de boissons. Il y avait
quelque chose dessus. En se rapprochant, il pouvait reconnaître qu'il s'agissait...
d'un livre. Alfred l'ouvrit et se mit à le feuilleter et soudain son visage s'éclaira.
Il poursuivit encore un peu sa lecture et finalement un sourire entendu apparut
116 / 160
En attendant Modo
sur son visage. Il mit le livre dans sa poche et se dirigea vers l'ascenseur pour
entamer sa redescente...
Die Unbekannte hatte sich mit ihm auf der Kö verabredet, nicht weit vom
Schadowplatz. Alfred fühlt sich in all dem Luxus überhaupt nicht wohl, aber er
versuchte sein Unbehagen zu verbergen, indem er möglichst unbeteiligt in die
Welt schaute. Auf der Straße ließ sich leicht sein alter oranger Volkswagen
ausmachen, der mit den Mercedes und BMWs, die um ihn herum geparkt waren,
ein scharfen Kontrast bildete. Plötzlich berührte ihn jemand am Arm. Alfred
drehte sich um, aber wegen des Nebels, der vom Rhein aufstieg, konnte er
kaum
etwas
erkennen.
Konnte
diese
Unbekannte
wirklich
seine
Gesprächspartnerin von vorhin sein? Die Person an seiner Seite hielt ihr Gesicht
abgewandt und ein Schleier verdeckte teilweise ihr Gesicht.
"Folgen Sie mir" murmelte sie und sprach dabei so leise, dass Alfred auch
diesmal nicht sicher sein konnte, wen er vor sich hatte. "Macht nichts" dachte
er bei sich, "wir werden schon sehen". Während er der Gestalt folgte, die vor
ihm herging, guckte er sich um, aber seine Begleiterin führte ihn durch lauter
kleine Gassen und er verlor schließlich die Orientierung. Aber es schien ihm, als
würden sie sich dem Rhein nähern, denn der Nebel wurde immer dichter. Die
Unbekannte hatte während des ganzen Weges geschwiegen. Aber plötzlich
sprach sie ihn an. "Ich muß Sie nun verlassen, für weitere Hinweise, um Ihren
Modo zu finden, müssen Sie dort hochfahren."
Einen Moment lang erhaschte Alfred einen Blick auf ein Gesicht, dass ganz
eindeutig weiblich war und er glaubte, die äußert angenehme Stimme der
Dame zu erkennen, mit der er eben telefoniert hatte, aber bevor er reagieren
konnte, war die Gestalt schon im Nebel verschwunden. Alfred machte sich auf
die Verfolgung der schönen Unbekannten, aber sehr schnell musste er einsehen,
dass er seine rätselhafte Begleiterin aus den Augen verloren hatte.
Widerstrebend wandte er seinen Blick ab. Durch den Nebel und die
Abenddämmerung hindurch konnte er einen hohen, blinkenden Turm erkennen,
was in der aufkommenden Nacht außergewöhnlich unheimlich wirkte. Alfred
schlug seinen Kragen hoch und bewegte sich in Richtung des Turmes. Dort
angekommen begann er sich umzusehen. Plötzlich glaubte er, einen Pfeil auf
der Eingangstür zu erkennen. Ganz vorsichtig öffnete er die Türe. Da er nichts
sehen konnte, schaltete er seine Taschenlampe an. Vor ihm sah er nun die Tür
eines Aufzuges, auf der er einen weiteren Pfeil zu erkennen glaubte.
Er betrat den Aufzug, der sich geräuschlos nach oben bewegte. Auf der
Aussichtsplattform angekommen, verließ Alfred den Aufzug und warf einen
verstohlenen Blick um sich. Er schaltete wieder seine Taschenlampe an und
bewegte sich auf die Tische zu, die er vor sich sah. Links von ihm konnte er
einen roten Getränkeautomaten sehen. Irgendetwas schien da drauf zu liegen.
Er näherte sich und plötzlich erkannte er, dass es sich... um ein Buch handelte.
Alfred öffnete es und blätterte ein wenig darin rum. Plötzlich erhellte sich sein
Gesicht. Er steckte das Buch ein und ging wieder auf den Aufzug zu, um wieder
nach unten zu fahren...
117 / 160
En attendant Modo
Chapitre 32
Chapitre de coffee-break se déroulant à Paris
Alf' ouvre un oeil ( l'autre patauge encore dans le fond de son oreiller) : noir,
nuit... Nuit noire ?... A se demander s'il a bien ouvert le bon. Son cerveau, en
guise d'albumine, semble l'avoir rejoint et crépite dans son crâne comme un
oeuf sur le plat. Etau, douleur, l'heure.... "Quelle heure ?", la question s'arrache
de sa brume cérébrale. Sa main droite fouille le sol à la recherche de son p'tit
réveil noir : en vain. "Ta montre !", deuxième fois que son cerveau lui parle ; la
journée promet d'être rude. Il libère alors son bras gauche (encore engourdi
par le poids de sa poitrine), le laisse glisser sur les draps frais, heurte un épaule,
caresse un sein... " un sein ?" : sa main se fige, son oeil s'écarquille : "...Et
merd...! " pensa-t-il en laissant échapper un soupir d'exaspération : sa propre
exaspération. Alf ne s'aime pas, encore moins dans ces moments là, même si,
au final : il s'en fout. Il se retourne lentement sur le dos. L'obscurité se dilue, et
laisse échapper des nuances de gris qui se détachent peu à peu sur un mobilier
qui n'est pas le sien... ?!...La réplique parfaite d'une chambre témoin Ikéa.
Bogué fouille le fond du lit de ses doigts de pieds à la recherche de son caleçon,
le trouve, se tourne sur le côté, s'apprête discrètement à se lever... lorsque le
bras de l'inconnue vient s'abattre sur sa hanche : interrompant net son
mouvement.
Alf retient sa respiration, saisit délicatement la main de l'étrangère et la repose
doucement sur sa propriétaire. Il marque une pause, fait doucement glisser la
couette sur le côté, s'assoit sur le lit et, toujours au ralenti, se lève. Il repère
ses fringues, les ramasse une à une, se laissant ainsi guider jusqu'à la porte...
et se retrouve dans un couloir menant à ce qui doit être la porte d'entrée. Il
s'habille, enfile son vieux caban, claque doucement la porte, évite l'ascenseur
et emprunte l'escalier de ce qui semble être un vieil immeuble fin 19ème...
Tout en descendant les marches, Alf tente de faire le tri : la fille, l'appart',
l'immeuble... Le nom de cette fille lui revient presque. Ca sonnait comme un
nom de bagnole : "mercedes" quelque chose, ou machin "merced...", un truc
comme ça...
"DANIELLE MERCED !!! Ca y est, j'y suis !".
L'apparition de la Vierge n'aurait pas pu faire plus d'effet sur Alfred SOUBIROUS
que celle de ce nom qui résonnait désormais à l'infini. Il se souvenait
maintenant : Fosses, ce rendez-vous dans le bar, cette fille et son départ
précipité, la bière qu'il avait finie seul, la pluie, son Volkswagen, le
ronronnement du moteur encore froid, les pinceaux des phares...
... Et cette même fille se jetant sous ses roues, 100 mètres plus loin, avenue de
la Haute Grève. Ecart, coup de freins, crissement, silence, bruit des essuieglaces,...puis celui de la pluie et l'impact glacé de ses gouttes dans son cou. Il
revoit la route luisante et cet ange déchu : le poids étonnamment léger de ce
corps trempé dans ses bras, ses cheveux mouillés collés contre sa joue mal
rasée, leur odeur, le mouvement de cette petite main froide lui enserrant la
nuque, la portière se refermant sur ces pleurs. Il la ramène chez elle, silence,
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En attendant Modo
sanglots puis plus un mot, du moins rien de plus que ce qu'elle lui avait déjà
appris. Elle lui propose un verre, ils en prennent plusieurs, puis : plus rien...
Alf passe le hall, appuie sur l'interrupteur, déclenche le tnîîîît graveleux
d'ouverture de la porte, l'ouvre, fait un pas, s'arrête, attend le click de
fermeture et s'adosse placidement sur le battant en fer forgé.
un petit vent glacé vient saisir le bout de ses doigts qui se recroquevillent et se
blottissent au fond de leur paume. Alf les porte à sa bouche et souffle... une
fois, puis deux. Le sang afflue et le froid se dissipe. D'une main il remonte son
col, de l'autre il sort son paquet de tabac, l'ouvre... "Damned !" : un fond de
miettes sèches, à peine de quoi en faire une. Il saisit une feuille entre deux
doigts et son pouce et se lance dans la périlleuse entreprise d'une "roulax" née
d'un fond de paquet...
ooo
Nicolas rentre chez lui. Le jour se lève. Le cœur serré, les yeux dans ses
godasses, c'est à contre courant qu'il remonte la rue Saint-Denis. Il y jette ses
dernières forces comme le ferait un saumon dans un torrent, simple question
de survie. Plus que quelques mètres, il lève la tête, un homme, la cinquantaine,
est adossé à la porte de son immeuble. Pantalon en toile crème, vieux caban
bleu marine : une espèce de Corto Maltese qui aurait mal vieilli, ne conservant
de son personnage que le regard. Un regard opaque et pénétrant absorbé par
le mouvement de six doigts sur une roulée en chantier. Nicolas continue
d'avancer. Parler à un inconnu, ne serait-ce que dire "bonjour !"... Nicolas n'en
a pas la force, encore moins ce matin. Danielle n'est pas rentrée hier soir, il a
passé toute la nuit à la chercher en vain et embauche dans moins d'une heure.
Nicolas est d'une nature plutôt timide : le moindre regard posé sur lui agit
comme autant de coups de ciseaux sur chacune de ses terminaisons nerveuses :
l'empêchant d'émettre un son, faisant couler un voile rouge sur ses joues,
laissant tomber ses yeux sur ses pieds... Plus que quelques mètres, il va
pourtant bien falloir dire quelque chose s'il veut rentrer chez lui, ne pouvant
compter sur ses yeux encore scotchés à ses pieds. Il décoche sèchement un
"pardon!", l'homme se pousse sans même lui adresser un regard. Nicolas
parcourt rapidement le digicode : 8-6-5-2-B et referme la porte derrière lui,
soulagé. Il franchit le hall prend l'ascenseur et monte au troisième. La porte
s'ouvre : "Déjà?!" ; Nicolas ouvre les yeux, pose son regard sur le bout de son
doigt encore enfoncé sur le bouton "3", décolle son front de la paroi métallique
et sort. Il ouvre la porte de son appartement, n'allume pas la lumière du long
couloir. La porte du fond, celle de la chambre est entrouverte. Il claque
doucement la porte derrière lui, pose ses clés sur le meuble de droite et
s'avance vers la chambre à pas feutrés étouffant chaque craquement de
plancher d'une pression patiente et mesurée. Il pousse un peu plus la porte qui
s'ouvre sur le lit :
Danny est revenue. Elle est étendue sur le ventre, les bras en croix, légèrement
repliés sur eux-mêmes. La couette semble s'être retirée comme pour libérer le
passage de son dos au premier des regards égarés qui viendrait s'échouer sur
ses côtes. Chaque pli de tissu vient mourir un à un sur l'échancrure de ses reins
sans oser aller plus loin comme pour ne pas troubler la quiétude dénudée de ce
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En attendant Modo
petit corps endormi. Nicolas suit les sillons de sa colonne pour s'abandonner sur
ce petit visage que les donneurs de leçon, les sûrs d'eux comme il les appelle,
affubleraient d'insignifiant. Cette insignifiance rend les gens plus consistants
selon Nicolas, elle fuit les lectures linéaires, elle pousse à l'effort patient, celui
d'apprivoiser ce voile sans l'effrayer pour le soulever, doucement, le cœur
battant, sur qui se cache derrière. En tout cas elle signifiait beaucoup pour lui :
il l'aimait.
Ses yeux sont humides : fatigue, joie ou peine, cette première larme ne sait
plus pour qui elle coule. Nicolas stoppe net les suivantes du dos de sa main,
pivote sur sa gauche, s'avance dans le salon et s'affale dans le canapé. Il
renifle : un petit claquement sec, comme un coup de revolver sur une ligne de
départ. Ses cils se lèvent et ses yeux quittent leurs starting-blocks pour aller se
perdre dans le mur d'en face.... Cela faisait 5 ans qu'ils étaient ensemble.
Depuis un an ils ne se parlaient plus vraiment, ils s'étaient perdus et passaient
désespérément leur temps à se croiser. Les rares fois où ils se retrouvent, c'est
pour poser ensemble une larme sur cet amour qui s'étiole ; le voir se dérober
sous leurs pieds, s'y enfoncer, doucement, sentir l'angoisse monter, se débattre,
se raccrocher à tout ce qui traîne (un souvenir, une caresse, un baiser...),
réaliser impuissant que chacune de ces tentatives accélère l'appétit de ce
gouffre... Disparaître, se réveiller sur l'absence. Vomir à l'idée que chaque
tentative de sauvetage se solde systématiquement par un naufrage. Haïr
Sisyphe et son mythe.
Voilà plus de trois mois qu'elle s'était réfugiée dans le " bookcrossing ", et lui en
avait fermé l'accès. Il avait pourtant essayé de s'y intéresser pour récupérer
celle qu'il aimait, mieux la comprendre. Mais il n'en comprenait ni l'essence, ni
le sens, plus omnubilé (qu'il était) par l'idée de reprendre celle que ce
"bookcrossing" lui avait volé, que par l'envie de s'insérer dans une communauté
se vouant au culte du livre. Nicolas hait les communautés, elles dépossèdent
l'individu et vous absorbent aussi facilement qu'elles vous rejettent. Il sait que
ce jour-là, démuni, vous vous retournez vers les gens qui vous aiment et que
vous aimez pour vous apercevoir qu'ils ne sont plus là, qu'en les oubliant, vous
les avez semés. Semé, il commençait à l'être. Depuis près de 5 jours elle
s'évaporait régulièrement, une histoire de Modo à laquelle il ne comprenait rien
et qu'il ne voulait surtout pas comprendre...
Nicolas jette un coup d'oil sur les bouteilles posées au pied de la table basse. Il
se penche en avant, attrape celle de martini blanc... vide ; il incline celle de
rhum... vide aussi. Il soulève alors celle de whisky : elle semble être intacte. Il
saisit l'un des deux verres posés devant lui, se sert allègrement et avale le tout
d'une seule traite. Sa gorge s'enflamme avant de s'éteindre sur un petit arrière
goût de martini. 8 heures, il se lève. Il est temps de partir s'il ne veut pas être
en retard au boulot.
ooo
Alf coince son clope entre ses lèvres, l'allume...regarde en face de lui : "le
London", une espèce de boîte de nuit à la devanture bleue arborant un rainbow
flag, lui fait front... "Bon, ou j'chuis, Paris ?!...Où est-ce que j'ai bien pu foutre
mon van ?!", se lança-t-il en enfonçant ses mains dans les poches de son
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En attendant Modo
caban... "Qu'est-ce que ?!...Un livre !!!". De surprise en surprise. Alf n'aime pas
les surprises, encore moins être surpris, comme par un livre qui se love dans
ses poches. La personne qui l'avait mis là n'était guère un mystère, il venait à
peine de s'enfuir de chez elle; ce qui l'intriguait d'avantage, c'était le moment
où celle-ci avait réussi à le glisser dans la poche de son caban sans qu'il s'en
aperçoive. Sans ôter les mains de ses poches, le clope au bec, il se détache de
la porte, jette un coup d'oeil au-dessus : "n°50". Il fait quelques pas sur sa
droite, passe l'angle de l'immeuble, lève la tête : "rue des Lombards". A ses
pieds, un carrefour en guise de placette. En face "la 'averne du phare"(le "T"
s'était fait la malle), à gauche, plus en hauteur : "rue Saint Denis". Plus à
gauche encore, la rue, place du Châtelet et au fond il reconnaît la Conciergerie.
"Pas de doute : Paris !" soupira-t-il. Il saisit sa roulée entre son pouce et l'index,
crache deux ou trois p'tits brins de tabac, la rallume, tire une latte et prend à
gauche direction place du Châtelet. Il passe deux putes qui tuent le temps, à
hauteur de la rue Courtalon, puis s'arrête dans le premier troquet qui
s'présente : "Le petit Châtelet".
Il entre : un zinc, une pièce toute en longueur, à sa droite des tables et leurs
mosaïques, à sa gauche deux tabourets hauts. Alf choisit le plus pourri, celui à
la doublure en skaï éventrée, laissant échapper ses boyaux de mousse jaune. Il
s'accoude au comptoir "un café s'il vous plaît !". En face de lui : les bouteilles.
Au-dessus : les verres et au-dessus des verres, Erik Truffaz trône, coincé entre
une bouteille de cointreau et une bouteille de schweppes. Bogué sort le livre de
sa poche : "Terre d'exil et autres nouvelles" de Cesare PAVESE... " ?!
"...Connaît pas. Acheva-t-il sans autre considération. Il ouvre la page de garde :
une page blanche, quelques mots griffonnés au crayon de bois. Un nom, un lieu,
une heure et une date...
Alf pose le bouquin sur le bar, se lève : "combien je vous dois ?", pose un euro
cinquante sur le comptoir et s'échappe sans même avoir touché son café.
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En attendant Modo
Chapitre 33
Chapitre de Lola-France se déroulant à Toulouse
Lorsque le train arriva en gare de Toulouse-Matabiau, Bogué était tout excité à
l'idée de retrouver sa « princesse ». Cette sombre affaire de Modo l'avait
amené à descendre dans le sud-ouest sur les conseils de la mystérieuse
inconnue du téléphone. Il avait alors profité de l'occasion pour renouer contact
avec une ex. Enfin un peu plus qu'une ex, « sa princesse » comme il aimait
l'appeler à l'époque, c'était il y a dix ans déjà. « Comme le temps passe vite se
dit-il, et qu'ai je fait de ma vie durant ces dix dernières années ? pas grand
chose, si ce n'est courir après des voleurs, sans jamais les rattraper vraiment.
».
Bogué était un solitaire, il n'avait pas pris le temps de vivre sa vie d'homme et
de s'arrêter auprès d'une femme. « Sa princesse » aurait pu être celle qui
aurait partagé ses vieux jours, mais le destin du privé en avait décidé
autrement. Et puis aussi pourquoi était-elle partie subitement au petit matin, ce
13 avril ? Y avait-il urgence à fuir ainsi, le laissant seul avec ses sentiments
confus qu'il n'arrivait pas à démêler ? « Sa princesse » était une prostituée du
bord du canal. Il l'avait rencontrée à Toulouse, un soir d'enquête sur un sombre
proxénète qui était recherché par sa femme, son officielle. Elle œuvrait entre
Matabiau et l'avenue Camille-Pujol, sur la rive Est. Il se surprit à repenser au
passé avec nostalgie. Qu'était-elle devenue ? Il le saurait bientôt, elle avait
promis de venir le chercher à la gare.
Il était 11h31 et le train en provenance de Paris s'arrêta sur le quai N°1 de la
gare Matabiau. Il descendit, s'avança sur le quai en direction de la sortie et la
vit qui scrutait du regard les voyageurs. Ils se reconnurent tout de suite, et
s'approchèrent l'un de l'autre avec une certaine émotion en travers de la gorge.
« Bonjour Alfred, tu me reconnais ? »
« Bien sur, ma princesse, tu n'as pas pris une ride. Je suis content de te
retrouver ».
« Moi aussi je suis contente de te voir, allons prendre un café et tu me
raconteras l'objet de ta visite dans la ville rose ».
Ils sortirent de la gare et longèrent le canal en direction du sud. Ils passèrent
devant la nouvelle médiathèque. « Tiens cela n'était pas construit auparavant,
se dit Bogué » en observant l'arche de brique. Tout avait changé et il ne
reconnaissait rien de cette ville. Mais « sa princesse » était la même, toujours
aussi belle et pas mal conservée pour son âge.
Ils rentrèrent dans un café et s'assirent dans un coin tranquille. Bogué préférait
rester discret sur l'objet de son enquête. Mais avant de lui donner les détails de
sa visite dans le sud, il lui demanda des nouvelles avec le secret espoir qu'elle
lui dirait enfin pourquoi elle l'avait quitté.
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En attendant Modo
« Alors quoi de neuf depuis ces dix dernières années ? Toujours au tapin ou
bien tu as raccroché ? »
« Oh non c'est fini le canal, tu sais maintenant ils importent des filles de l'Est,
alors la concurrence est rude. Je me suis rangée, et puis j'ai ma petite
princesse. Alors je me dois de luis donner une belle image de sa mère. »
« Ah bon tu as une fille ? »
« Oui elle a neuf ans et demi maintenant. Elle est belle comme un cœur et
finalement ressemble pas mal à son papa.»
« Ah ! et vous êtes installés dans une maison tous les trois ? » dit Bogué avec
un pincement au cœur en repensant au temps jadis.
« Oh non, tu sais les hommes ça va, ça vient. Il n'avait pas le courage de ses
sentiments et moi à l'époque je ne savais pas encore si j'allais la garder. Alors
j'ai préféré fuir un beau matin d'avril ».
Bogué toussa dans sa bière, et faillit s'étrangler. Elle était en train de lui
annoncer de but en blanc qu'il avait une fille. Une petite princesse, aussi jolie
que sa mère sans doute, lui qui n'avait rien fait de sa vie de ses dix dernières
années se retrouvait propulsé père de famille.
L'émotion passée, il lui demanda de préciser la suggestion qu'elle venait de
faire. Avec un grand sourire elle lui raconta sa vie depuis la naissance de sa fille.
Bogué écoutait bouche bée. Elle lui dit aussi qu'elle n'avait toujours pas trouvé
le prince charmant. Il en avait presque oublié l'objet de sa visite à Toulouse.
Après ce préambule, un peu remuant, il prit à son tour la parole et lui raconta
les premiers éléments de son enquête. La fameuse inconnue du téléphone, la
recherche de Modo, et comment la piste l'avait amené dans le sud-ouest.
Il cherchait un livre. Peut-être un livre de math ou quelque chose en rapport
avec les chiffres. Une énigme lui avait été posée sous forme d'une charade : «
mon premier se consomme avec modération, mon deuxième n'est pas ancien,
mon troisième fait souvent de la musique de chambre, Au numéro du premier
et du deuxième se trouve mon troisième ». Il avait à peu prés trouvé la
combinaison des chiffres mais restait à trouver la rue où était caché le livre. Et
des rues il y en avait pas mal à Toulouse.
Ils passèrent une paire d'heures à disserter sur les hasards de la vie et
décidèrent de se revoir bientôt. Elle lui fixa rendez-vous dans une heure place
du Capitole. Elle partit, comme elle l'avait déjà fait quelques années plus tôt,
mais au moment où elle passait la porte elle lui jeta un bref regard et lui dit «
Si tu veux bien être mon prince charmant, je pourrais redevenir ta princesse ».
Bogué resta un moment puis sortit et commença à longer le canal, perdu dans
ses pensées. Il se souvenait du temps où il avait vécu à Toulouse. Il se rappela
leur première rencontre : c'était après un dîner dans un restaurant japonais. Ils
avaient déambulé dans les rues, se laissant guider par le bruit de leur pas sur
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En attendant Modo
le bitume. Ils avaient parlé toute la nuit, de chose et d'autre, de l'écriture, de la
lecture, des voyages. Bogué se laissait de nouveau aller au gré de ses pas.
Il remonta l'avenue Camille-Pujol sur le trottoir de gauche, passa la rue
Mirabeau. « Tiens, se dit-il, sous le pont Mirabeau coule la Seine, ce sont les
paroles d'une chanson ancienne de mon enfance ». Il tourna dans la rue Jean
Micoud, passa devant la maison du père Noël, et ses pas le firent tourner à
gauche de nouveau. Cette petite rue étroite il avait l'impression de la
reconnaître. « Mais oui, c'est là qu'habitait une vielle tante » Une tante qu'il
était venu visiter avec sa mère à l'âge de dix ans. Dix ans c'était presque l'âge
de sa fille !
Il descendit la rue et s'arrêta devant la maison, observa pour voir s'il y avait
des gens à l'intérieur, rien ne bougeait. Ils étaient sans doute côté cour. Il
s'approcha de la sonnette, l'activa mais elle ne marchait pas. Il entendit s'ouvrir
une fenêtre en face dans la rue et demanda à la vieille si elle connaissait la
personne qui habitait ici. Elle lui répondit que les gens avaient déménagé et
qu'il ferait bien de passer son chemin. « La vieille était du genre Ma Dalton, un
tromblon à la main, si tu touches à la maison, j'appelle les flic immédiatement
» pensa-t-il. Il sortit un calepin de sa poche et s'approcha de la boite aux
lettres pour y déposer un message.
Et c'est là qu'il vit le livre, posé en évidence sur la boite, sous le feuillage vert
du chèvrefeuille grimpant. Il s'en saisit et sut aussitôt que le hasard de ses pas
l'avait une fois de plus guidé au bon endroit. Il vérifia le numéro de la maison,
cela collait à l'énigme. Il ouvrit le sac, lut le titre du livre et sourit. Il avait
toujours fait confiance à sa bonne étoile et aujourd'hui encore elle l'avait
accompagné.
Bogué fourra le livre dans son sac et détala à toutes jambes craignant de
recevoir une décharge de gros sel s'il s'attardait davantage devant la maison. Il
dévala la pente, rejoignit le canal et courut au rendez-vous avec « sa princesse
». Oui il voulait bien être son prince charmant, enfin au moins pour ce soir. «
Demain sera un autre jour » se dit-il fier d'être l'auteur de cette phrase
remarquable. « Pour ce soir j'abandonne Modo et ses amis, et je me fais une
soirée avec ma princesse ».
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En attendant Modo
Chapitre 34
Chapitre de Andromeda23 se déroulant à Madrid
Il y a 3 semaines sur le pare-brise du combi orange de Bogué apparut une
enveloppe. Son contenu :
- 1 billet d'avion pour Madrid
- 1 plan de la ville et ses environs
- 1 abonnement touristique pour 3 jours
- 1 réservation d'hôtel.
Le déplacement aérien/souterrain et l'arrivée à l'hôtel ne posèrent aucun
problème. Juste un certain ras-le-bol; trimballer sa valise de droite à gauche ne
l'a jamais enchanté.
La chambre avait bel et bien été réservée. Avec la clé on lui remit une 2ème
enveloppe; sans entête, son nom en plein milieu.
En l'ouvrant il trouva un mot : - "Bienvenu à Madrid ! Rendez-vous demain à la
gare de Cercanías de Alcalá de Henares à 15h" et l'accompagnait un nouveau
plan de la ville avec le trajet Hôtel-gare d'Atocha marqué en rouge ainsi qu'1
plan de la gare avec la localisation du quai du train à prendre [cela fait belle
lurette qu'il ne s'étonne plus de ces rendez-vous étranges].
Et le voilà sur le quai de la gare d'Alcalá, intrigué. Il est 15h, personne ne
semble prêter attention à lui. 15h05...15h10 [Quand même me faire poireauter
comme ça!]
Soudain, comme sortie du néant, une petite voix : "¡Hola!"
-???"¡Hola?!"[L'espagnol n'était pas son fort mais quand même, il connaît
quelques mots]. Il a du mal à le croire; une petite fille de pas plus de 12 ans
est là, à ses côtés et lui sourit.
Elle lui tend un mot:
-"Etonné? [un peu], n'ayez crainte, elle vous amènera auprès de moi".
Juste le temps de lever les yeux du mot et la petite fille lui prend la main.
Et les voilà partis, traversant une rue, une deuxième [calle libreros?? elle est
belle celle-là], puis ils tournent. Aux questions qu'il essaie de lui poser, aucune
réponse, juste le sourire.
Ils traversent une place [tiens, une statue de Cervantés!], s'approchent d'un
bâtiment [c'est de l'ancien ça!!!], et entrent, 1 cour, puis une 2ème, là, la
petite guide s'arrête un moment et lui montre le sol. Bogué lit: "La ciudad del
saber, Universidad de Alcalá, patrimonio de la humanidad"[???!!!]; et elle sourit.
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En attendant Modo
Quelques pas et un mur avec inscription "Patio trilingue" et les voilà nez à nez
avec une porte verrouillée ???!!!. La petite fille, regardant d'abord à droite, puis
à gauche, approche sa main et ¡hop!!! Plus de verrou ???!!! Il traversent la
porte verrouillée/non verrouillée et longent le mur à gauche, là, elle touche une
pierre qui s'agrandit, devient porche, qu'elle ouvre, qu'ils franchissent et qui se
referme aussitôt derrière eux. Au devant, un escalier en colimaçon et une
étrange lumière bleutée. Descente et....
Bogué bouche bée : une immense bibliothèque; livres, manuscrits à perte de
vue.
Une jeune fille s'approche, glissant sur les dalles du sol.
"-Bonjour! Ne vous effrayez pas! -la jeune fille embrasse l'enfant.
"-Vous parlez français? bredouille Bogué.
"-Oui et beaucoup d'autres langues, mais elle, elle ne parle que le castellan ajoute-t-elle en signalant la petite guide...
"-Nous n'avons que peu de temps Mr Bogué.
Ce que vous voyez ici est l'âme des exemplaires de livres qui un jour ont existé
et ont été détruits, principalement par le feu. Disons qu'il s'agit d'une
bibliothèque suspendue, fantomatique si vous préférez.
"-Et vous, vous êtes aussi fantomatique???
-Oui et non, mais ce serait trop long à expliquer. Je suis en fait la gardienne de
ces lieux. Celle qui accueille ceux qui doivent y recueillir un livre, un manuscrit.
Il y a 3 semaines l'âme d'un d'entre eux initia sa transformation. Cela veut dire
que quelqu'un le cherche désespérément et cette désespérance d'une qualité
toute particulière crée la transformation. Et vous êtes là pour recueillir le
volume et l'amener à son destinataire. Je peux juste ajouter qu'il s'agit d'un
libraire et que vous le lui remettrez le 23 Avril."
C'est alors que Bogué se rend compte que le regard hypnotique de la jeune fille
vire et se perd dans le néant. Et perdu dans ce vide, elle ajoute.
"-Le temps s'est écoulé vous devez repartir. Votre petite guide vous reconduira
à la gare."
Bogué voulait ajouter quelque chose, poser des questions, savoir... mais la
jeune fille glisse déjà sur les dalles, s'éloignant. [Mais!!!]...
La petite fille lui signale un manuscrit du doigt et lui reprend la main. Ahuri il le
prend, lit : "L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha" et se laisse
entraîner par l'enfant...Escaliers, porche, cours, place, rues et gare.
La petite guide lui lâche la main en même temps qu'elle lui dit -"¡Adios!"
souriante et disparaît. Il regarde ses mains, plus une trace du manuscrit.
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En attendant Modo
Hébété, ahuri, il reprend le chemin du retour. Il se sent étrange, glissant entre
la foule, sans hésitation il retrouve la ligne de métro via l'hôtel.
Bogué vient de sortir du métro et sans difficulté trouve l'hôtel. Il franchit la
porte giratoire, tend la réservation au réceptionniste et dépose sa valise au sol.
On lui remet la clé de la chambre et avec elle une enveloppe avec entête: Modo.
Et bien sûr un mot: "Mr Bogué, l'indice Modo se trouve au café Mendocino, au
fond, 3e étagère à droite. Le café est le point bleu signalé sur la carte, comme
vous voyez, à deux pas de l'hôtel;-). Comme ça vous avez deux jours pour
visiter Madrid et environs. Le trajet à Tolède est inclus dans l'abonnement
touristique. N'oubliez pas d'y faire un tour..."
Fatigué, il rejoint la chambre et s'assied sur le lit. Pendant qu'il bourre sa pipe
d'Amsterdamer, l'allume et se relaxe, il sent que quelque chose d'étrange
habite un coin de sa mémoire, mais quoi???...
(Le 23 Avril, le manuscrit apparaîtra sur le siège du combi et sans préambule il
le remettra à la personne adéquate et petit à petit il se souviendra...)
Pour l'instant, il lui reste à défaire sa valise et aller au Café Mendocino...
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En attendant Modo
Chapitre 35
Chapitre de omne se déroulant à Paris
Madame,
ce vendredi 1 avril 2005, conformément aux indications reçues dans
le courrier (Cf copie jointe) daté du 25 mars 2005 qui accompagnait
l'avance de règlement entendue, je suis sorti de mon bureau en
début d'après-midi - ma montre indiquait 13h25 - dehors la mélopée
éternelle des oiseaux parisiens poussait doucement les nuages dans
un ciel azur que portait avec l'assurance de l'âge la multitude des
sommets citadins. Belleville devait vibrer de son habituelle
symphonie de klaxons, mélopée quotidienne pour les danseurs
bigarrés qui rythment notre village. Mes pas résonnaient sur le
bois vieillissant de l'escalier.
Bordel de merde, si je continue à frapper comme ça au rythme effréné de mes
deux index boudinés (auquel vient s'adjoindre régulièrement le pouce plaquant
sèchement la barre d'espace, oui madame, on n'est pas manchot dans la
profession) mes quelques neurones non occupés à un numéro de contorsion
sous l'œil creux de leurs synapses amorphes et, de fait, encore capables d'un
minimum d'efficacité, vont se rebeller et dégouliner lâchement par mes oreilles
en route vers un Éden de boite crânienne, quelque part, loin de l'étau où je les
froisse quotidiennement. Quelle nuit. Essayons de recadrer.
Le kebab du midi devait être frelaté, quelle autre explication ? Heureusement,
dans ces cas là, j'ai toujours une bouteille de JB de secours, pour freiner la
progression de ses salopes d'amibes dans leurs tentatives de retournement de
mon estomac. Et une seconde bouteille, pour le goût, la soif du feu, la
délicieuse âpreté. Le reste de l'après midi est assez flou, je l'ai sans aucun
doute passé ici, j'en veux pour preuve le tas de cadavres flétris dans le cendrier
et le fait qu'une photo en gros plan de mon index et majeur droits pourrait
facilement m'introduire dans les cercles les plus clos de la pègre chinoise. Vers
une heure du mat' le souvenir du rendez-vous est venu faire des galipettes un
peu plus volontaires que celles du troupeau de suédoises en bikini qui
gambadent habituellement dans mes circonvolutions ; j'ai attrapé mon imper
avant de m'engouffrer dans l'escalier. La vis s'annonçait houleuse, aussi
décidai-je de marquer fermement le pas dans le vain espoir d'un instant de
stabilité des marches, le temps pour mon pied de supporter ma masse, tandis
que le reste de l'architecture s'étirait paresseusement dans un soupir cubiste.
J'ai frappé à la porte de Marguerite Sadur, ma voisine du dessous,
charmante vieille dame aux verres d'ombre sur monture en gros
plastique ocellé - me cachant la douceur de son regard, fort
heureusement compensée du sourire toujours aussi charmeur qui
inonde son visage à jamais et tend ses joues un peu fatiguées par
la chute des années - dont je m'inquiète toujours compte tenu de
son grand âge et de la santé fragile qui en découle. Elle vit seule
dans un coquet deux pièces en compagnie de son chien, Yann-Andréas,
merveilleux adjuvant à l'étirement des jours dans lequel vivent nos
aïeux, comme annonciateur de la nuit, enfin. Je rapporte ici
quelques bribes de la conversation :
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En attendant Modo
- Monsieur Bogué, vous sortez bien tard aujourd'hui. Je ne vous ai
pas entendu jouer du violoncelle.
- Marguerite, toujours aussi belle. Quand daignerez-vous me laisser
vous inviter au restaurant ?
- Monsieur Bogué, arrêtez, mon Robert nous regarde de là-haut,
voyons. Vous feriez mieux de vous concentrer sur Bach.
- Ha, désolé Bach attendra, le devoir m'appelle. Comment se porte
le charmant Yann-Andréas ?
- Vous êtes gentil, il souffre, mon bébé, mais résiste fièrement,
mon amour le sauvera, je lui fais la lecture. Dis bonjour, YannAndréas.
La vieille salope du second m'attendait sur le pas de sa porte, nue autant
qu'engoncée dans une chemise de nuit qui avait du être blanche et même
constellée de petites fleurs bleues et roses, mais que les frottements de son
corps gargantuesque aux épais draps du lit où elle passe l'essentiel de son
temps à écouter les voix sirupeuses des chanteurs geignards ont tellement
élimée qu'elle en a perdu toute opacité - n'était les éternelles taches de sauce
qui forment un plastron bigarré sur le devant sans pour autant cacher la
silhouette de sa poitrine, illustration éternelle de la fuite du temps et de la
gravitation universelle, respectivement chères à Ronsard et Newton. L'œil
glauque, elle se tenait là, vampirisant le tuteur d'un balai dont la pilosité hirsute
et rare n'est pas sans rappeler celle de son clébard atteint de je ne sais quelle
maladie de peau et qu'elle passe ses journée à asperger d'une poudre
nauséabonde que le corniaud répand partout dans l'appart ; le jour derrière elle
filtrait au travers des rideaux pisseux et j'eus un haut-le-cœr en songeant à
l'effroyable contre-jour qui m'attendait une fois en face d'elle, m'exposant sans
aucun mystère les ravages du temps sur un corps qui fut sans doute tendre et
féminin autrefois mais abandonné, depuis, aux ravages des voluptueuse
calories d'une nourriture grasse et sucrée que ses déplacement de culbuto ne
parviennent pas à brûler.
- Bogué, me fit-elle en me bloquant le route avant même que j'aie pu tenter
quoi que ce soit (l'idée d'un uppercut entre ses deux mamelles - soit sous le
nombril - fut difficile à réfréner).
- Marguerite, soit la cage d'escalier est depuis peu corsetée, soit vous vous
exposez à de graves ennuis artériels, dis-je pour tenter de détourner son
attention avec le peu d'amabilité que mon sang épais me permettait encore.
- Vous avez encore fait beugler votre zinzof toute la nuit, mon Yann-Andréas a
les oreilles fragiles.
- Coltrane, lui rétorquai-je, moi-même étonné du surprenant effet du JB sur ma
mâchoire inférieure me permettant une prononciation proche de la perfection.
Du jazz, inculte.
- Oui de la musique de nègres, je vais appeler la mairie, répondit-elle en une
tentative de rejeter en arrière une des rares touffes violacées qui constituent
ses cheveux mais qui n'eut pas d'autre effet que celui de l'entourer d'un nuage
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En attendant Modo
blanc qui expliquait mieux la quantité de poudre que le véto lui fourgue chaque
semaine.
- Faites donc, dis-je en me faufilant à la première occasion entre la rampe et la
portée de quintuplés que devaient cacher les remous adipeux qui tendaient le
tissu éreinté.
Sitôt le porche de l'immeuble enjambé la lumière aveuglante du
début d'après-midi me fit plisser les yeux, je les masquai
incontinent sous le regard froid d'une paire de lunettes de soleil
et vissai un borsalino à mon crâne ; j'avais pour objectif de
repérer les lieux avant le rendez-vous. Passée la bouche de métro
enneigée, je pris à gauche dans la descente admirant un instant, du
haut de la rue, visuellement engoncée entre les deux rangées
d'immeubles qui cadrent la chaussée, mais en réalité plus libre que
jamais, la belle dame de fer qui exposait ses résilles centenaires
aux yeux des touristes. Des enfants se tenant par la main couraient
vers le savoir qui leur tendait les bras un peu plus haut dans la
rue, derrière les lourds murs historiques forçant au respect, et je
fus pris un instant par la nostalgie de mes jeunes années, quand
les pavés s'étalaient plus qu'alors dans les rues, que les pistons
de mes genoux écorchés de la non protection des culottes courtes me
poussaient, comme ces innocents là, quand les boutiques du quartier,
bien différentes d'alors, répandaient dans la rue le sirocco,
l'odeur aigre des arachides ou les pleurs des violons que
rythmaient de place en place quelques grelots sur des ventres
mouvants et tendus.
Quelques mètres plus bas, après un arrêt au tabac, j'obliquai à
droite pour une légère montée entre vieux immeubles et modernité
avec vue, afin de profiter de celle, panoramique, qu'offre le
parvis
qui
surplombe
le
parc.
Abandonnant
pour
l'heure
l'amphithéâtre sur ma gauche, je gagnai l'abri des fausses arcades
pour m'appuyer à la balustrade, laisser mon regard se perdre au
loin, flâner, s'accrocher aux aspérités diverses que je ne
reconnaissais pas, en revenant vers le parc à mes pieds et la foule
qui s'y pressait. La capitale miroitait sous la tonnelle d'une
légère brume de pollution d'où les monuments semblaient naître en
s'étirant ; on sentait la langueur sur les passants, elle se
glissait, frisson entre la chemise humide et la peau trop blanche,
les regards se touchaient, un sourire bondissait de visage en
visage, poursuivant la trajectoire de quelque corps court vêtu,
ondulant sous le soleil.
L'épreuve la plus difficile était sans aucun doute derrière moi, mais la crainte de
représailles me fit achever ma descente hélicoïdale le plus rapidement possible,
martelant les marches deux à deux, au risque de me mettre définitivement à
dos les voisins et mon estomac où le magma brûlant et pâteux que j'y berçais
depuis quelques heures au hamac de Coltrane commençait à frémir. Je
trébuchai sur la barre de seuil de la petite porte du porche de l'immeuble pour
atterrir dans la nuit américaine de nos grandes villes. Quelques rares
embarcations sillonnaient placidement la chaussée, tous feux inutilement
allumés sous la douche introvertie des réverbères hypercyphosés. Je pris la
direction du parc, mû par une conscience professionnelle aveugle bien que
tardive et, dépassant la bouche de métro, j'aperçus une lumière glauque qui
noyait la pâleur de la céramique derrière la muselière des grilles closes ; le
peuple des infimes y entrait sans doute en branle pour rendre aux boyaux leur
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En attendant Modo
grisaille habituelle que la faune du lendemain traverserait sans ciller. Avant de
traverser la rue qui coupait ma route en plongeant à ma droite, j'eus le temps
d'un aveuglement par le phare solitaire qui tournait sur le port endormi, le
squelette de la gloire parisienne scintillait des mille lucioles parkinsoniennes
accrochées à sa carcasse et l'envie soudaine me traversa de héler un vaporetto
au passage pour partir voir la Mère de nos souffrances Capitales ; pleurer à ses
pieds sous les flashes inutiles des touristes chiures de mouches pendus aux
bastingages. Je décidai à la place de contenter ma vessie contre la grille du
marchand de kebab avec le sentiment crétin d'ourdir une douce vengeance
contre mon pire ennemi. Mes pas prirent le quai du général, ses troupes au
garde-à-vous luttaient de toutes leurs feuilles contre la tourmente du large, les
déferlantes à gauche venaient se rompre contre le trottoir, salissant mes
chaussures des éclaboussures de lumière des paquebots inconscients. Les
immeubles pliaient aux vents, se penchaient vers moi, quelques fenêtres
illuminées aguichaient encore la nuit sous le rimmel des stores de leur intimité
exhibée ; nulle âme qui vive, sinon celles-ci, ne jalonnait mon chemin. Je
sentais une croix, comme celle du devoir, ou celle du repenti, peser plus à mon
estomac qu'à mes épaules, mais, aussi, une sourde volonté me poussait
assurément vers ce que je ne pouvais appeler autrement que mon destin, aussi
cette marche forcenée ne pouvait-elle m'évoquer autre chose que celle de
l'autre illustre marchant à sa mort la couronne au front, les péchés du monde
aux épaules ; la comparaison cessait ici : mon père ne me sauverait
certainement pas, ni ce soir ni dans trois jours, aussi troquai-je le C contre le B
et cette idée contre la réalité qui s'offrait à moi en dégainant mon flash de
secours. Alors, sans que je sois monté sur un pont, ni passé du bitume à la
plage, le sol se mit à tanguer sous mes pas, du cubisme de l'escalier, je passai
au surréalisme du trottoir, fondu sous la plume d'un Dali. Bien qu'en descente,
le chemin me paraissait autant ardu qu'interminable, deux goélands gris et
dodus picoraient les pieds d'une des sentinelles qui les ignorait avec toute la
superbe de son rang, des voiliers en carton occupaient toute la longueur du
quai et je me détournai de leurs ondoiements au gré de la marée qui les faisait
passer de crêtes à creux avec de petits hoquets, de peur que l'équinoxe ne se
joue également de mon océan de suc et ne le projette par dessus la digue de
mes dents. Longtemps le parc me parut en vue, droit devant, sans jamais que
le flot de mes pas ne m'en rapproche, un infini s'écoula avant que j'atteigne la
grille principale non sans subir l'épreuve d'une traversée océane ; elle se fit à
pieds secs, par de gros rochers blancs desquels j'eus un grand soin de ne pas
m'abîmer. Naturellement, la grille était close. Je m'y accrochai des deux mains,
exténué, les marches dans le sable m'ont toujours été éprouvantes.
Je n'eus aucune difficulté, même de loin, à reconnaître mon rendezvous, manifestement lui aussi en avance, assis sur l'accotement de
la fontaine asséchée tel qu'indiqué dans le courrier ; la tête
haute pour masquer mon anxiété aux flâneurs de pelouse, je pris le
passage qui surplombait l'amphithéâtre sur le gril-béton duquel
lézardaient quelques autochtones avachis, puis l'escalier gris qui
y était découpé débouchant non loin des marches roses de la
fontaine stérile mais qui attirait malgré tout quelques enfants
assoiffés : des galipettes humides baignaient leurs yeux au chlore
des souvenirs perdus.
Poignet souple, geste sûr, elle offrait à ses lèvres le carmin d'un
tube ébène, avec cette facilité mystérieuse et naturelle qu'ont les
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En attendant Modo
oiseaux à s'envoler ; pleine des premières hésitations, des
tentatives ratées, de l'assurance acquise et, enfin, de la maîtrise
inconsciente. De même, à son pied droit, dansait une chaussure
souple, suspendue au-dessus de la poussière par un croisement de
jambes qui dérobait son genoux au sable du tailleur laissant ainsi
un fin reflet - légèrement plus brillant au mollet tendu - longer
cette partie de jambe visible ; sa jumelle abandonnait son brillant
aux vétilles crème du sol tout en tremblant légèrement des
ondulations de la première. Elle tenait devant son visage un miroir
de poche circulaire sans doute dans l'intention de se cacher aux
regards alentour plutôt que pour assurer la perfection de son geste.
J'ôtai mes lunettes de soleil, plissant les yeux un instant,
conscient de ce que la luminosité ambiante réduirait mes pupilles
pour étaler un peu plus de couleurs aux prunelles.
-Bonjour, dis-je. Elle porta son regard au mien, déjà vaincu.
-Bonjour. Une mèche échappée fut lentement replacée derrière
l'oreille gauche d'où elle n'aurait de cesse de s'évader par la
suite, retournant chaque fois à sa place peu de temps après, par
une habitude d'index glissant le long de la tempe jusqu'à l'oreille.
Je ne saurai jamais le temps qui s'écoula, ni ce qui fut dit entre cette grille et
moi mais une fois l'assurance mienne de la pertinence de mes propos tout
autant que de la suprématie de mon argumentaire, je décidai d'aller contre la
fatalité à la rencontre du mystérieux rendez-vous qui devait m'attendre de
longtemps, peut-être à errer dans les allée du parc ou même terrée dans le
minaret qui surplombe le pont des suicidés et, au delà, la banlieue nord.
Je décidai de suivre la grille sur le terrain le plus plat, pris à droite. La grève y
était plus large et la longue palissade du parc m'offrait un secours rassurant, j'y
laissai mes doigts courir puisque mes jambes ne le pouvaient plus de
longtemps bien que mon changement de direction ait placé la brise marine
dans mon dos, me soutenant de mille fouets de sable qui grêlaient mon imper ;
les yeux mis-clos je lui offris toute l'envergure de mes ailes, confiant dans les
alizés quant à mon avenir migratoire. Je guettais le plus attentivement possible
une quelconque brèche par laquelle me faufiler ou, au pire, un promontoire d'où
je pourrais passer au dessus de la barrière. Des pas infinis me portèrent bientôt
non loin d'une des entrées officielles du parc, non loin du métro. Approchant de
la porte j'aperçus au loin une forme accroupie devant les grilles, un bras
passé/glissé de l'autre côté, entre les barres métalliques. Je m'approchai en
silence et lui tapai sur l'épaule.
Le tissu de son chemisier crissait sous les doigts. Les cinq
boutons nacrés, timides un instant au passage de la boutonnière,
étaient hémisphériques ; lisses et fuyants. Un nœud de ganse
blanche scellé d'une minuscule perle dormait au creux des bonnets
de dentelle, lové. Le reflet qui dormait au mollet quelques heures
plus tôt était bien celui d'un bas de soie.
Je n'eus pas même le temps de lui demander ce qu'elle pouvait m'apprendre
sur cette histoire d'Air Corse® et du trafic de boucs qui s'y pratiquait que,
poussant un cri aigu que je sentis remonter avec une étonnante précision le
long de mon nerf auditif - ou vestibulo-cochléaire comme aiment à l'appeler les
anatomistes, bien que dans « oh oscar ma petite Thérèse me fait a grande
peine six gosses » le « a » mnémotechnise le nerf auculaire, m'apprit plus tard
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En attendant Modo
dans un rire gras mon toubib - laissant derrière lui enclume, marteau et étrier
tandis qu'un Bucéphale quelconque piétinait joyeusement mes sillons cérébraux,
heureux que nul soleil ne lui fasse d'ombre en ces lieux ; elle me lança sa
chaussure et tout ce qu'elle contenait d'arpions, panard, et autres joyeux
matériel pesant dans cette partie de mon intimité que j'avais jusqu'à présent su
préserver des ravages du temps par une stimulation appliquée et précise de la
troisième pièce du costume.
Au matin, sur la table de la cuisine était un petit mot sagement
griffonné, adossé au pupitre d'un cylindre ébène dont le carmin
tari parfumait encore la cavité sombre. " J'ai bien compris votre
insistance discrète, et ces questions auxquelles je ne voulais pas
répondre ; je ne sais rien, n'était pas elle. Dans les buissons,
alors que je ne savais pas encore être dans l'attente de vous, une
autre femme à déposé un livre. Il portait une étiquette, un numéro.
"
Lorsque je me relevai, elle était déjà loin, et là, passant mon bras entre les
barreaux pour atteindre l'intérieur du parc où je décidai de ne pas aller - avoir
laissé un testicule sur le mocassin de la demoiselle ne me donnait pas le droit
d'abandonner le second à la férocité des pointes acérées du grillage - ma main
bien qu'inefficace à parer l'assaut que je venais de subir, me permit d'écarter
les branches, un paquet en tomba. Me relevant, une gégène me précipita de
nouveau au sol, le trottoir fit un accueil chaleureux à mon nez qui, soyons
honnête, à une fâcheuse tendance à dépasser en avant de mon visage, ne
facilitant pas les atterrissages forcés sur sol dur. Tournant la tête pour dégager
l'appendice j'en profitai pour me lover sur le sol, plaçant ainsi mon regard dans
l'axe exact de la couverture du livre. Au delà de tiges métalliques, à travers le
plastique semi-transparent d'un sac à congélation, je vis un livre. Il portait une
étiquette, un numéro.
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En attendant Modo
Chapitre 36
Chapitre de tennessee4919 se déroulant à Lyon
J'étais donc en retard au rancard ; mon combi orange était tombé en rade du
côté d'Ecully et c'est à pattes, pauvre de moi, que j'ai rejoint le palais de justice.
Nulle part je ne voyais l'Inconnue (avec une majuscule, elle s'impose ; moi,
j'appelle un chat un chat, et une nana sans prénom c'est l'Inconnue).
J'attends, moi qui ne suis pas patient - et c'est rien de le dire, que mon
Inconnue se pointe. Je tente alors de m'en griller une, mais impossible de
l'allumer. Trop de vent sur les bords de Saône. Saloperie de vent ! Je ne vous
raconte pas dans quel état de nerf je suis : mon rancard absent et une clope
désespérément éteinte au coin du bec (je vois d'ici vos commentaires, je n'ai
aucun lien de parenté avec Lucky Luke ; d'ailleurs, pendant que je discute avec
vous, je tenais à vous dire que ce Lucky Luke, c'est un petit joueur à côté du
Grand Alfred.)
Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à stresser.
Soudain, et quand je dis soudain, je ne plaisante pas car j'aime utiliser des
mots précis, oui, Ami lecteur, et soudain donc, une charmante jeune personne
m'aborde. Je vous fais un dessin, il facilitera votre compréhension : taille
moyenne, brune aux yeux verts, le teint mat - une bombe ! Légère et court
vêtue, pour la saison bien sûr... J'ai tiré une tête façon loup amoureux dans Tex
Avery alors qu'elle me demande juste du feu. Moi, le grand Alfred Bogué, je
suis incapable de dire un mot ! Un comble pour un bavard de ma trempe. Là,
muet comme une tombe !
Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à rougir pour un oui,
ou pour un non. Et là, ma famille, je la maudis : attraper un coup de soleil en
trente secondes, ce n'est pas donné à tout le monde.
Quand j'ai retrouvé l'usage de la parole, j'ai demandé le palais de justice et
l'Apparition m'a aiguillé vers le nouveau palais de justice, dans le 3e
arrondissement.
Une sacré trotte, faites moi confiance. Je ne sens plus mes pieds. Je les ai
beaucoup mieux sentis quand, répandu sur un banc à l'arrêt du tram, j'ai retiré
mes chaussures pour les reposer. Pour tout vous dire, dans ma famille, on a
une fâcheuse tendance héréditaire à... Enfin, vous avez compris.
On a aussi une fâcheuse tendance héréditaire à avoir toujours raison, voilà
pourquoi j'ai pris cette affaire en main.
Au nouveau palais de justice, aucune trace de mon Inconnue. Pourtant, vu la
dégaine annoncée, le repérage devrait être un jeu d'enfant. Imaginez un peu :
combinaison de ski rose, lunettes noires, après-ski roses assortis, sans oublier
le caniche, blanc.
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En attendant Modo
*DRING* *DRING* quelque part, mon portable s'agite. Mais dans le feu de
l'action, je ne le retrouve pas. Evidemment (je dis évidemment car cette
situation vous est arrivée un jour ou l'autre, ou vous arrivera) je mets la main
dessus au moment précis où il s'arrête de sonner. Pestant contre moi-même le Grand Alfred déteste manquer une affaire, sans doute plus intéressante que
cette histoire de Modo, j'écoute le message, et fissa, râlant à tout va contre
mon répondeur trop lent à mon goût.
Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à être pressé.
Je reconnais sans peine la voix de mon Inconnue, qui, s'excusant de son
absence, m'invite à me rendre à la gare la plus proche.
Dare-dare, je remets mes pompes et cours vers la Part-Dieu. Drôle de nom,
n'est-ce pas ? Un jour, je me renseignerai sur son origine.
Arrivé à la gare, je m'affole : c'est immense ! Comment retrouver mon rencard
dans cette foule des grands jours, en partance pour là-bas, de retour d'ailleurs ?
La pression monte, monte, monte...
Dans la famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à stresser quand un
plan ne se déroule pas sans accroc.
*DRING* *DRING* Et là, plus rapide que mon ombre (aucun lien avec Lucky
Luke, je vous l'ai déjà dit), je décroche avant que mon interlocuteur ne
raccroche. Le Grand Alfred est le plus fort !
Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à la modestie, vous
l'avez sans doute remarqué.
L'Inconnue s'excuse de ne pas être présente car elle est partie d'urgence pour
Paris (en combinaison de ski, je ne vous raconte pas la touche), et m'informe
que d'autres instructions vont suivre. Puis elle coupe la communication sans
autre forme de procès.
« Tan, tan, tan... Monsieur Alfred Bogué est demandé à l'accueil »
Je me torture les méninges pour trouver l'identité de celui ou celle qui me
demande. Mais qui sait que je suis à Lyon, à la gare, qui plus est, à part
l'Inconnue ? Encore elle ! C'est à l'agent de l'accueil qu'elle a laissé ses
instructions, que je vous livre telles quelles :
RENDEZ VOUS SUR LA VOIE OU EST ARRIVE LE TGV 5342
EN PROVENANCE DE NANTES LE VENDREDI 8 AVRIL 2005.
Précis, non ? Je me renseigne auprès de l'agent d'accueil, qui appelle le PRS qui dit qu'il ne sait pas, qui appelle l'agent présent la veille - qui n'est pas chez
lui, et qui finit par appeler son chef, qui lui rétorque que ce fichu train est reçu
sur la voie H et qu'il ne faut pas le déranger pour des broutilles ! J'ai donc mon
renseignement, et je me précipite vers la voie H. Entre nous, je ne sais pas si
vous connaissez la gare SNCF de la Part Dieu, mais c'est un véritable foutoir !
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En attendant Modo
Je trouve, quand même, la voie H, et je reste en plan : « Non, monsieur, vous
ne pouvez pas monter, l'accès est réservé aux porteurs d'un titre de transport
composté » Sourire jusqu'aux oreilles du clampin aux couleurs de la SNCF.
Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à l'humour de bas
étage, et pour nous, SNCF signifie « sur neuf, cinq fainéants ». Mais aujourd'hui,
je leur tire mon chapeau, car la maison n'est pas en grève. Je dirai même que
tout ce petit monde fait du zèle...
Mes neurones s'agitent et se trémoussent, ils réflexionnent. Le plus facile serait
d'acheter un billet, mais Alfred Bogué est fauché.
Eurêka ! comme disait l'autre ; et la lumière fut selon une autre source bien
informée... D'une cabine téléphonique hors d'âge et déglinguée, je bigophone à
la police, anonyme of course, et invente un colis suspect dans la gare.
Et là mes amis, le branle-bas de combat ! Je me planque dans un photomaton
pour reluquer le spectacle. Les bleus arrivent dans la minute, rapide ! Et en
moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la gare est vidée de ses occupants.
Les autorités fouillent les environs.
Fier de ma combine, je rejoins discretos la voie H. Je la parcours d'un bout à
l'autre, sans rien trouver. Une fois, deux fois, trois fois... je m'énerve tout seul
dans mon coin. L'Inconnue me mène en bateau, c'est sûr ! Enfin, en train serait
plus juste... Mon regard accroche finalement un petit paquet, délaissé sur un
distributeur automatique. Le message, laconique et sibyllin, est signé
l'Inconnue :
JE CHERCHE MODO
UN INDICE VOUS ATTEND PORTE VIVIER MERLE
AMICALEMENT
L'INCONNUE
Grrrrrrrrrrrr, elle me prend le chou l'Inconnue à me balader dans les méandres
de la Part-Dieu. A quoi elle joue ? Pour qui elle se prend cette pimbêche pour
jouer ainsi avec le Grand Alfred ? J'en viens à me demander si je n'ai pas
affaire à DES Inconnues.
Je m'apprête à redescendre, quand j'aperçois un policier qui monte ! Ciel,
l'alerte ! Tout à mes ennuis, j'ai oublié ceux que j'ai provoqués à la gare. Je me
planque donc voie H en attendant la fin de l'alerte, et je me maudis d'avoir
provoqué ce grand chambardement.
Les minutes, puis les heures passent, lentement... Au bout de deux heures,
montre en main - en or massif, s'il vous plaît, les usagers passagers clients
reprennent leurs quartiers dans la gare, et je me précipite vers la porte Vivier
Merle comme si j'avais le feu aux fesses.
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En attendant Modo
La foule est dense, je me fraye un passage tant bien que mal en jouant des
coudes. Mes yeux de lynx, ça va de soi, sont en éveil et détectent soudain une
forme étrange.
Mais, mais, mais, quelqu'un d'autre se dirige vers elle et va mettre le grappin
dessus. Je m'affole, je m'active, et j'ordonne à mon cerveau d'ordonner à mes
jambes de se magner le train.
Je suis plus rapide que l'autre, et je me retrouve avec... un livre (moi, le Grand
Alfred qui hait tout ce qui touche à la lecture, voilà que je tiens entre mes
mains un objet... bizarre).
*Ouf* je n'aurai pas à lire ce truc, cette chose. J'ai en main un billet de train,
vers ma prochaine destination.
Je suis toujours à la recherche de Modo.
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En attendant Modo
Chapitre 37
Chapitre de blue-orange se déroulant à Paris
Cette histoire devenait de plus en plus compliquée et mystérieuse. Alfred Bogué
commençait à en perdre son latin... ou plutôt son argot! Et cette voix de femme
au téléphone le mettait dans tous ses états. D'ailleurs c'était la seule chose qui
le motivait un tant soit peu. Ouais parce qu'après vérification, l'enveloppe
bombée ne contenait pas tant de biffetons que ça. En enlevant le plan, les
photos et la carte postale parfumée... bin il restait plus grand chose comme
oseille! La gazelle roulait pas sur l'or apparemment. Mais bon, Alfred, bien que
fauché, n'en demeurait pas moins un gentleman. Aider -et consoler surtout- la
veuve éplorée, il était pas contre. Il se voyait déjà, serrer dans ses bras
musclés (euh...) sa mystérieuse (et forcément sublime) interlocutrice, tel
Humphrey Bogart enlaçant Ingrid Bergman dans "Casablanca": "Don't be afraid,
kid. I'm here now. Nothing wrong can happen to you. I'll protect you from the
vampires..." (NdT: "Er... Humphrie, there are no vampires in Casablanca...")
Alors tant pis, pour cette fois encore il resterait au régime pâtes et jambon
Leader Price pendant quelques mois.
En détective consciencieux, il entreprit d'examiner de plus près les documents
contenus dans l'enveloppe:
-une carte postale du Moulin Rouge illuminé.
Parfumée au... il huma à plusieurs reprises. Oui il s'agissait bien du parfum
"Paris" d'YSL. La donzelle avait du goût. Et de la classe à n'en pas douter. Au
dos de la carte postale, ces quelques mots: "Rendez-vous à Pigalle. Pour
connaître le lieu précis, écouter avec attention la chanson d'un des Garçons
Bouchers qui se déroule dans le quartier."
Ah ah, une énigme. La minette voulait jouer au chat et à la souris. No problem.
Eh puis, trop fastoche, la chanson c'était bien sûr "Dans le bar-tabac de la rue
des Martyrs".
-le plan: un plan de Paris of course! Avec entourés les 9e et 18e
arrondissements. Logique. Par contre, il y avait un gros point rouge au niveau
de Châtelet, rue Saint-Denis plus précisément. Là ça se corsait. Y aurait-il un
lien entre Pigalle et la rue Saint-Denis? A part les filles de joie, pas si joyeuses
que ça d'ailleurs, il ne voyait pas. Pour l'instant. Car il ne s'avouait jamais
vaincu.
-les photos: des tas de livres, encore des livres, toujours des livres. Bogué, la
lecture c'était pas trop son truc. Sauf les polars. Mais là il avait affaire de toute
évidence à une lectrice passionnée. Une dernière photo le laissait un peu
perplexe. Celle-ci représentait un homme de dos (ou bien était-ce une femme?),
avec un imper gris, un galure sur la tête et une cigarette laissant échapper une
volute de fumée. Au dos de la photo, ceci: "Modo! WANTED!"
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En attendant Modo
Modo... ce nom revenait sans cesse à chacune de leurs entrevues... le mystère
s'épaississait encore un peu plus.
Il décida de se rendre sans plus tarder à son rendez-vous et de réfléchir à
l'enquête en chemin. Pour une fois, il s'y rendrait en métro, car dans le quartier
envahi par les autocars de touristes, il risquait de ne pouvoir y garer son combi
VW orange.
Une fois arrivé à Pigalle, il suivit le boulevard et se prit à imaginer le petit
Antoine Doisnel (alias Jean-Pierre Léaud) le parcourant avec son copain dans
les "400 coups" de Truffaut. Rue des Martyrs, il passa devant "le Divan du
Monde" (anciennement "Divan Japonais"), et les cabarets "Madame Arthur" et
"Chez Michou". Mais il eut beau refaire ce tronçon de rue de long en large, pas
l'ombre d'un bar-tabac!
On s'était moqué de lui! Alors qu'il commençait à trépigner de rage et de colère,
une jeune femme... fraîchement rasée du matin mais néanmoins fort
séduisante s'approcha et lui dit d'une voix... masculine: "Salut beau gosse!
C'est bien toi, Alfredo Boguetto? On m'a chargée de te dire que tu trouverais un
précieux indice pour ton enquête, caché non loin d'ici, dans l'église en brique
rouge et mosaïque, juste en face d'une sortie de métro à la verrière style
Guimard".
Puis la vaporeuse créature disparut dans la foule, ne laissant pas le temps à
Bogué de protester et de s'offusquer à propos de son nom méchamment
écorché. Enfin il n'était plus à une surprise près. Il se dirigea, résigné, vers le
lieu de la cachette, qu'il avait immédiatement reconnu, en ancien p'tit poulbot
parisien qu'il était.
Le livre se trouvait caché contre le mur, derrière l'endroit où sont
confiés les péchés..
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En attendant Modo
Chapitre 38
Chapitre de Girlinthemoon se déroulant à St-Maur les Fossés
Télégramme du jour « Rendez-vous à St Maur des Fossés, à la Croix
Souris ; suivez les moutons et trouvez le premier livre sous le portrait
du grand homme, ensuite allez vers St Nicolas et le parc de l'abbaye,
n'oubliez pas l'homme et vous trouverez le livre... »
Les indices encore une fois étaient minces et tout ceci était bien énigmatique
mais Bogué, qui venait de se garer au niveau du RER St Maur/Créteil était bien
décidé à résoudre ce nouveau mystère. Il lui fallait mettre la main sur ces
indices, il devait retrouver le modo.
A première vue, trouver des moutons ici n'allait pas être chose facile, on était
bien loin de la campagne ! Tout d'abord il devait trouver cette souris...
- Savez-vous comment je peux me rendre à la Croix Souris s'il vous plaît ?
demanda-t-il à l'agent RATP posté au guichet
- Voulez-vous prendre le bus pour vous y rendre ? À pied ça irait plus vite, vous
savez.
Elle lui apprend que la Croix Souris est l'arrêt de bus devant le collège Rabelais.
Sur le parvis, il suivit les indications qu'elle lui avait données, la route sur la
gauche, vers la droite... Rue du Pont de Créteil, là il n'eut pas de mal à voir les
moutons. Tous ces banlieusards qui rentraient chez eux et semblaient suivre le
mouvement, le regard dans le vide...
Il n'y connaissait pas grand-chose en littérature mais il savait que là il suivait
un troupeau de moutons... les moutons de Panurge, voilà ce qu'ils étaient en ce
moment !
Il y était, la Croix Souris, et il semble bien que le grand homme était juste
devant lui.... Il traverse la route, et se dirige vers lui. Là il trouve un livre, bien
caché dans les sapins, un sourire s'affiche sur son visage. Décidément, ils sont
un peu dérangés ces bookcorsaires !
Mission suivante : trouver St Nicolas et l'abbaye.... Sans indice supplémentaire,
il lui fallait bien trouver quelque chose qui lui dise dans quelle direction il devait
aller. Devant lui, il vit un bar, il avait bien mérité une blonde, à défaut de
trouver sa mystérieuse inconnue.
Assis au bar, il alluma une Amsterdamer et se demanda où tout ça allait bien
pouvoir le mener désormais. Le garçon lui indiqua le chemin pour aller vers St
Nicolas, à la sortie du bar, il fallait prendre la route sur la gauche, monter vers
le lycée et ensuite tourner à droite dans la rue du four. En haut de la montée, il
serait à St Nicolas.
La circulation était dense et en attendant de pouvoir traverser, il observa les
rues alentour, il vit derrière lui ce qui semblait être une librairie... encore un de
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En attendant Modo
ces allumés des bouquins !!! Pfff finalement les affaires d'adultère lui
manquaient....
En montant la rue, il regretta l'Amsterdamer qu'il venait de s'offrir, ce n'était
plus de son âge de crapahuter de cette façon, surtout pour « chasser » des
livres planqués on ne sait où ! Ce faisant il se remémorait les fêtes de son
enfance, il se sentait désormais plus proche du père Fouettard que de St
Nicolas et pourtant.... il se surprit à laisser son imagination filer. Ah, il y était,
bon très bien, maintenant le parc de l'abbaye. Voilà que maintenant il fallait
redescendre, heureusement il n'avait que quelques pas à faire pour trouver
l'entrée du parc.
Il y avait des enfants qui couraient vers les jeux, des vélos, des patinettes, il ne
tenait toutefois pas à s'attarder auprès de ces autochtones, il n'allait pas laisser
à nouveau son imagination vagabonder et leva les yeux sur le plan du parc. Le
grand homme était juste derrière lui, il n'avait qu'à se retourner. Le livre était à
nouveau camouflé dans les sapins...
C'en était fait de sa mission du jour, il avait trouvé ses indices, il allait pouvoir
retrouver son vieux combi et continuer l'enquête. Ses pas firent crisser le
gravier quand il ouvrit le portillon, il ne vit pas qu'en haut des marches une
silhouette l'observait, son visage exprimait le dépit, dépit d'avoir été moins
rapide que ce privé aux vieilles savates.
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En attendant Modo
Chapitre 39
Chapitre de Andras se déroulant à Juvisy sur Orge
Bogué se met en quatre
Le Combi VW orange d'Alfred Bogué fit le tour des Halles et se gara sur la place
du marché. On ne peut pas dire qu'il passait inaperçu. Sur les côtés du véhicule
et sur le capot, un logo représentant un gros livre jaune courant sur des petites
pattes frêles affichait clairement la couleur,... celle du bookcrossing dont c'était
le symbole. Bogué avait finalement compris que dans cette enquête pas comme
les autres, la discrétion ne servait à rien. Peut-être même qu'un peu de
publicité pour ce mouvement des livres voyageurs pourrait lui apporter un
indice enfin utile dans sa quête du Modo, quête dont l'absurdité commençait à
lui courir sérieusement sur le haricot.
Bogué descendit de son véhicule. Il avait roulé toute la matinée sans s'arrêter
depuis Bruxelles, où il avait fait étape pour la nuit. Il était parti la veille de
Düsseldorf avec un livre en plus dans sa besace, Neuf nouvelles nouvelles. Ah,
ah, la bonne blague ! Modo ou celle qu'il considérait maintenant comme sa
complice, cette Voix-de-Velours, c'étaient vraiment des comiques ! En fait de
neuf, c'était toujours la même rengaine. Heureusement que, pour se délasser
de la route, il y avait eu ce moment magique la veille, au Music Village, un club
de jazz pas très loin de la Grand-Place de Bruxelles. Le chanteur David Lynx y
donnait un concert pour ses 40 ans, accompagné d'un trio piano-basse-batterie
de tout premier ordre. Ah ! David Lynx chantant en rappel Les mots, cette
chanson sublime qu'il avait enregistrée pour le disque posthume de Nougaro !
C'avait été un grand moment. Un sacré bon moment, même !
Il essayait de se repérer sur un plan de la ville au coin de la place quand un
bruit suspect autour de son Combi le fit se retourner brusquement et pousser
un juron. « Saperlipopette ! qu'est-ce que... » Deux gamins s'enfuyaient en
courant. Sur les logos du Combi, ils avaient eu le temps de dessiner un
chapeau mou (comme celui que portait Bogué en ce moment), des lunettes
noires (ressemblant assez aux siennes) et plein de points noirs qui
représentaient probablement sa barbe de 3 jours. Ma foi, ainsi affublé, ce logo
ne manquait pas d'allure, se dit-il, en se dirigeant vers la rue piétonne.
Il faisait beau ce jeudi là et il s'arrêta un instant pour respirer le parfum des
fleurs devant la boutique de la fleuriste. Mais il n'avait personne à qui offrir des
fleurs et il pressentait que ce nouveau rendez-vous que lui avait donné Voix-deVelours au téléphone serait un lapin de plus pour sa collection. Il donnerait cher
pour savoir qui était cette garce ! Il eut un petit trémolo dans la pensée à
l'évocation de l'inconnue qui hantait ses rêves depuis quelques semaines mais il
se ressaisit vite et poursuivant son chemin, il arriva au Café de la Mairie, le lieu
de rendez-vous qu'on lui avait donné. Il entra.
Il n'était pas loin de deux heures et il n'y avait plus là qu'une petite douzaine de
personnes terminant de déjeuner. Au comptoir, il y avait deux personnes dont
l'une était le sosie parfait de John Malkovitch et l'autre c'était Kristin Scott142 / 160
En attendant Modo
Thomas. Bogué salua à la cantonade et quand il eut précisé que c'était pour
manger, on lui dit de s'asseoir où il voulait. « Ca n'a pas changé, ici, toujours à
la bonne franquette, chez Janine », se dit-il in petto en choisissant une table.
Janine arriva avec un grand sourire pour lui demander ce qu'il voulait comme
plat, boudin ou bavette à l'échalote, mais à cette heure-ci y avait plus de
boudin alors il choisit bavette. Janine ne l'avait pas reconnu, tant mieux. Il se
rappela qu'ici, c'était hors d'œuvre à volonté, et il se leva pour aller se servir. Il
passa alors à côté d'un homme qui mangeait avec son chapeau sur la tête, un
feutre un peu comme le sien. Sa tête lui disait quelque chose. Il n'avait pas
enlevé son manteau, c'était d'ailleurs plus un imperméable qu'un manteau,
serré à la taille par une ceinture, un truc qu'on ne portait plus depuis belle
lurette. Le type fumait. Chez Janine, on pouvait encore fumer.
Bogué se servit et regagna sa place. A ce moment précis, quelqu'un qui était
assis à une table près de la fenêtre interpella un homme qui se servait au buffet
de hors d'œuvre : « Eh Andras ! tu peux nous ramener quelques olives et
quelques cornichons fissa ! » Bogué dressa l'oreille intrigué par ce prénom qui
lui rappelait quelque chose. L'autre répondit : « Eh ho, Livro, tout doux ! c'est
pas parce que t'es venu à Juvisy libérer un bouquin au pied de mon immeuble
que...hein ? » Bogué resta interloqué : "Andras", "libérer un livre"... pas de
doute, il devait s'agir de l'un des « french » bookcrosseurs et Livro était
sûrement le diminutif de Livrovorus, celui dont on ignorait l'identité, tout
comme Modo. D'ailleurs, il portait un loup noir sur le visage. Nom de Dieu ! Ce
café serait-il leur repaire ? Diable, l'affaire se corsait. A la table d'Andras et de
Livrovorus, il y avait deux jeunes femmes, que Bogué trouva fort appétissantes.
En tendant l'oreille, Bogué réussit à capter leur nom, plutôt des pseudos en fait,
mais comme disait Romain Gary qui, en la matière, était un connaisseur : « Les
noms ? Ce sont tous des pseudonymes ! ». L'une d'elles portait le pseudo de
damned-marcel mais le plus souvent les autres l'appelaient « damned » ce qui
franchement la foutait mal pour un si joli brin de fille, dont le débardeur laissait
apparaître de sublimes épaules. Quant à l'autre, c'était plus difficile à saisir.
C'était quelque chose comme vrenise, scurprise, churmise, enfin un truc en «
ize » imprononçable. Dommage car Bogué aurait bien fait une petite sieste
dans son Combi avec elle, tiens. Pourquoi d'ailleurs qualifier de crapuleuses ces
siestes inoffensives, ces brefs moments de bonheur qu'on vole au cours
monotone des jours ? Ouais, parce qu'on les vole, ça devait être ça.
Bogué continua d'écouter ce qui se disait à la table des bookcrosseurs, espérant
capter quelqu'information au sujet de Modo ou bien de sa cliente mais en vain.
L'un d'eux s'exclama soudain : « Et si on allait lâcher thématiquement des
livres à l'Observatoire Camille Flammarion ? » « Super ! » répondirent en
chœur les trois autres et Dagobert poussa un « Houah ! » et frétilla de la queue.
« Enfin de l'aventure ! » pensait-il sûrement. Il laissèrent là leur boudin,
lancèrent « on revient tout à l'heure ! » et Janine, qui avait l'air de bien les
connaître, écrasa une petite larme en les voyant partir vers de nouvelles
libérations de nouvelles, la cape de Livrovorus flottant majestueusement dans
le vent et le sourire de Joconde de Cochize restant un moment suspendu sur
toutes les lèvres...
Bogué mit quelques secondes à revenir à ses échalotes. Il y a des choses
bizarres dans ce monde, se dit-il. C'est alors que le type à la gabardine appela
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En attendant Modo
d'un geste la patronne, elle lui griffonna une addition, le type régla et sortit,
tout cela sans un mot. Comme il passait devant la table de Bogué, un bristol
tomba de sa poche et atterrit juste à côté de l'assiette que Bogué venait de
reposer pleine sur sa table. Celui-ci fit un geste pour avertir l'individu mais le
métier prit le dessus. Il jeta un coup d'œil à la carte et il lut ces mots : « Allez à
la Bibliothèque Municipale et cherchez Brassens. »
« C'est reparti pour un tour. » se dit-il, soudain conscient que son métier avait
quelque chose à voir avec ces dessins en noir et blanc de Franquin, où celui qui
se croit le plus malin est probablement le prochain sur la liste à se faire éliminer.
Il termina son repas, s'offrit son petit "coffee-break" comme il aimait à dire
(non sans un certain snobisme un tantinet provincial), paya et sortit avec la
voix de Janine qui s'exclama bien fort dans son dos : « Ca fait quand même
plaisir de revoir des anciens clients, même quand ils ont pas grand-chose à
dire ! ». Alfred ne trouva rien à répliquer et il referma la porte derrière lui.
La bibliothèque se trouvait juste à côté de la rue piétonne et elle venait d'ouvrir.
Bogué parcourut les rayons : à « Georges Brassens », il n'y avait qu'un livre,
les paroles de ses chansons, ça tombait bien. Quand Bogué l'ouvrit il vit que
des marque-pages avaient été glissés pour marquer deux chansons : l'une était
Dans l'eau de la claire fontaine et l'autre Il suffit de passer le pont. L'association
de ces deux titres de chanson était claire comme de l'eau de roche, en tout cas
pour ceux qui, comme lui, connaissaient un peu Juvisy-sur-Orge et ses
ouvrages d'art. Il remit le livre dans les rayons en subtilisant au passage les
deux marque-pages (c'était en effet une de ses coupables passions) et il
s'apprêtait à quitter la bibliothèque quand il entendit « Psst ! ». Il se leva la
tête et vit Livrovorus perché sur un rayon qui lui tendait un livre. « Prenez ça,
ça peut servir ». Il attrapa le livre qui s'avéra être Le Mur de Sartre. « Et celui
là ne vous intéresse pas ? ». Soubise, perchée sur un autre rayon, se pencha
vers lui en lui offrant, en plus d'une vue imprenable sur un décolleté à damner
un saint, un exemplaire de Fin de parties de Manuel D'Echecs. « Et celui-ci ? »
Andras à son tour, mais avec nettement moins de charmes, lui tendait du haut
de l'étagère Le Bécé perché d'Italo Calvino. « Vous perdez votre temps, cher
monsieur, emportez donc cela ! ». C'était damned-marcel, juchée comme les
autres sur les rayonnages, qui lui offrait dans ses bras sublimes, l'intégrale par
Karajan de La recherche du temps perdu dans la version BD. « Désolée, la
version intégralement sans images et sans sons a été empruntée l'autre jour
par un jongleur clarinetiste omniscient qui en avait un besoin pressant» ajoutat-elle avec un petit sourire en coin.
Il choisit Le mur. Il adorait les nouvelles. Depuis tout petit. C'était un besoin
irrépressible. France Info du matin au soir. Et en rentrant chez lui il passait sa
nuit à parcourir les blogs du monde entier et à en transcrire des pages entières
sur son propre blog qu'il avait appelé « La Fausse Parole », en hommage à un
grand prédécesseur. Il faudrait qu'il en parle un jour à son docteur.
La bibliothécaire qui s'appelait Emilie-Jolie et qui, depuis qu'il était entré,
fredonnait une chanson où il était question de lapins, approuva son choix et lui
glissa un petit supplément comme elle faisait à chaque fois - c'était plus fort
qu'elle - et celui-là s'intitulait Une rivière verte et silencieuse. Charmé par son
sourire, Bogué s'enhardit à la questionner : « Vous ne savez pas qui est Modo
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En attendant Modo
par hasard ? ». « Adressez vous au guichet du savoir, c'est au rez-de-chaussée !
». C'est vrai, la vie était simple parfois, se dit Bogué.
Le guichet du savoir était tenu par deux jolies femmes qui n'arrêtaient pas de
papoter. Sur leur badge, on lisait Ginaluna pour l'une et Mamoune, pour l'autre.
- Hum ! excusez-moi de vous déranger...
- Mais vous ne nous dérangez pas, cher Monsieur » répondit celle qui arborait le
badge Mamoune, nous étions en train d'approfondir notre savoir.
- Ah, je vois..., répondit Bogué, déjà conquis par le sourire engageant de
Mamoune.
- Savez-vous qui est Modo, un bookcrosseur qui...
- Oui, nous sommes au courant ! dit Ginaluna
- Ah ! et vous savez qui se cache derrière ce pseudonyme ?
- Désolé, nous ne donnons pas de renseignements d'ordre personnel, répondit
Mamoune.
- Si ça peut contribuer à lever certains obstacles, dit Bogué en glissant deux
billets de banque vers les deux femmes.
- Mais monsieur Bogué, nous sommes un service public, voyons ! s'exclamèrent
en cœur Mamoune et Ginaluna et elles attrapèrent la cordelette qui pendait et
le rideau en tissu vert du guichet s'abaissa dans un bruit infernal de store
métallique.
Bogué put alors lire sur le rideau la phrase suivante : « Les réponses arrivent
quand on s'y attend le moins. »
Bogué n'eut aucune peine à trouver l'endroit que les titres des chansons de
Brassens et des livres qu'il avait emportés lui désignaient. Et bien qu'il fût assez
empoté de nature, il finit par dénicher un livre dans un des trous du mur.
C'était un qu'il n'avait pas encore, et il sentait que c'était une bonne prise. En
tout cas, des livres comme ça, ce n'était pas banal.
De retour sur la place où il avait laissé son Combi, Bogué vit qu'un grand tag
barrait son capot « Ton histoire est boguée, Alfred. » et c'était signé Snoow,
probablement un de ces hackeurs-surfeurs niçois qui, l'hiver, montaient
chercher un peu de chaleur humaine en banlieue parisienne. Ouvrant la portière,
il aperçut la silhouette du type du Café de la Mairie, celui à l'imperméable et au
chapeau mou, qui, la clope au bec, faisait semblant de s'intéresser à la vitrine
d'un magasin de literie à l'enseigne du « Bon sommeil ». Association d'idées,
Alfred se mit à bailler et là, ce fut le flash. « Mais c'est bien sûr ! » lança-t-il en
mettant en marche le Combi. « Je le reconnais mon lascar ! ». En arrivant à la
hauteur du type, Bogué baissa sa vitre promptement et balança au gars
interloqué : « Mais tu devais pas écrire un épisode pour Modo, toi ? ». Bogué
était déjà loin quand il entendit l'autre crier dans sa direction : « Hey !
Nobody's perfect !!! »
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En attendant Modo
Chapitre 40
Chapitre de petitcercle se déroulant à St-Louis - Missouri
La French Connection d'AB
De l'avion, AB, notre Alfred Bogué, regardait les deux grands cours d'eau, la
rivière Missouri et le fleuve Mississippi, deux « strong brown gods », comme dit
le poème de T. S. Eliot, originaire lui-même de Saint Louis, Missouri. Autour du
confluent s'étalaient des habitations plus ou moins organisées par quartiers
aussi bien que des champs toujours cultivés, car les inondations annuelles du
Missouri et du Mississippi ont créé ici un des sols les plus fertiles et plus
profonds du monde. Et bien sûr, il voyait la ville de Saint Louis, dont le
monument « The Gateway Arch » signifie le rôle historique joué par la ville
comme point de départ des expéditions vers l' Ouest pendant l'expansion de la
population au XIXème siècle.
C'était la fin d'un après-midi du mois de février, un peu froid, car février est
toujours l'hiver dans cette région au centre des États-Unis. Le ciel était couvert
et une pluie fine tombait. En effet, le temps rappelait l'hiver au nord de la
France.
« Vous savez que vous arrivez ici l'anniversaire même du jour où notre
fondateur, Pierre Laclède, a mis pied sur terre sur la rive du Mississippi et l'a
revendiquée pour le roi de France, Louis XV ? » demanda Petit Cercle, le guide
volontaire qui fut venu chercher AB à l'aéroport.
« Nous sommes bien le 14 février, n'est-ce pas ? Ce que vous, américains,
appellez le Valentine's Day ? » répondit AB.
« Oui, justement, mais en 1764, il n'y avait rien ici pour fêter ce jour. Il n'y
avait que de grandes forêts, des bêtes sauvages, et bien entendu des indiens
américains, qui avaient eux aussi leurs villages autour des grands cours d'eau.
Pierre Laclède est venu de la Nouvelle Orléans en canoë chercher des castors et
d'autres animaux pour leur fourrure. Au centre ville à côté de notre Hôtel de
Ville (dont l'architecte a imité le style français XVIIe) il y a sa statue, et notre
Société Française a l'habitude d'y poser une couronne pour marquer
l'anniversaire.
« Mais je pense que vous êtes venu ici pour trouver un morceau du puzzle de
l'identité de Modo, le Modérateur mystérieux du Forum français de
Bookcrossing, n'est-ce pas ? Alors, vous voulez vous reposer ce soir chez nous,
et puis recommencer votre recherche demain ? » proposa Petit Cercle, qui
aimait bien avoir des invités de partout dans le monde.
Le lendemain, avec le mari de Petit Cercle, Brad, qui supportait depuis des
années les lubies de sa femme avec beaucoup de patience et de bonne humour,
AB et PC s'assemblèrent autour du plan de la ville : « Ce que vous cherchez
sera sans doute près d'une des statues des français qui se trouvent ici et là à
Saint Louis, car ce sont des français diaboliques et enthousiastes qui ont
inventé ce jeu », remarqua Brad, qui est très bien pour résoudre des problèmes.
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En attendant Modo
Vous savez, si vous n'étiez pas français, je vous amènerais à la brasserie la
plus grande du monde, Anheuser-Busch, dont le siège se trouve ici. C'est très
intéressant d'un point de vue historique, d'ailleurs. Et on a le droit de goûter
une des bières après la visite! A Saint Louis, AB veut dire Anheuser-Busch,
vous savez, donc je chercherais chez eux, mais la nationalité n'est pas la bonne
dans ce cas. Ce sont des allemands qui ont fondé la brasserie au XIXème siècle.
Mais revenons à nos moutons. À mon avis le livre que vous cherchez sera au
pied d'un français résident permanent de notre ville. Il y en a plusieurs : Sainte
Jeanne d'Arc, la sainte patronne de France, à ce que nous appelons « La vieille
cathédrale », la basilique de Saint Louis, sous l'Arche en centre ville ; Pierre
Laclède au jardin à l'ouest de l'Hôtel de Ville ; et devant notre musée des Beaux
Arts, Saint Louis lui-même, Louis IX de France, qui tient haut la manche de son
épée comme croix pour revendiquer notre ville pour la France. Le dernier indice
est que notre personnage français qui protège le livre est à cheval.
« Nous vous avons loué une voiture avec GPS et nous vous proposons de
prendre la voiture qui vous guidera à chacun des monuments. Vous allez
sûrement trouver votre livre. Revenez donc chez nous et nous boirons une
bonne bouteille de Champagne français pour fêter votre succès ! Et demain
vous pourrez repartir pour la vieille douce France avec un autre morceau du
puzzle pour nos amis là-bas. À tout à l'heure. Et bonne chance !»
The French Connection of AB
From the plane AB watched the two great waterways, the Missouri and the
Mississippi Rivers, two “strong brown gods”, says T. S. Eliot in his poem, who
was himself a native Saint Louisan. Around the confluence of the rivers he could
see various houses and buildings, arranged more or less in subdivisions, towns;
and cultivated fields, too, for in the flood plain around the rivers, the topsoil is
some of the richest on earth. And of course, there was Saint Louis itself, whose
Gateway Arch testifies to its role as “Gateway to the West” during the great
westward migrations of the 19th century.
It was the end of a February afternoon, a chilly day; February is still winter in
the Midwest. The sky was gray and there was a fine drizzle of rain. Like winter
in northern France, as a matter of fact.
“Do you know that today is the anniversary of the founding of the city of Saint
Louis by Pierre Laclede? He set foot on the bank here and claimed it for Louis
XV,” remarked Petit Cercle, who had volunteered to guide AB during his stay.
“It's February 14, right?” asked AB. “What you Americans call Valentine's Day?”
“Yes, right, but in 1764, there was no Saint Valentine's day, only vast forests,
wild animals, and of course American Indians, who had settled around the area
where the rivers come together. Pierre Laclede came up the river from New
Orleans, in a canoe, to trap beaver and other animals for their fur. Downtown,
next to City Hall (built in 17th century French style), there is a statue of him,
and our French Society lays a wreath there every year to commemorate the
day.
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En attendant Modo
“But you're here to find a piece of the puzzle to solve the mystery of the
Moderator on the French forum of Bookcrossing, right? How about resting
tonight at our house and starting your search tomorrow?” said Petit Cercle, who
liked having guests from around the world.
The next day, with Petit Cercle's husband, Brad, who had been humoring her
whims for years and years, AB and PC gathered around the map of St. Louis to
plan. “You will probably find your book near one of the statues of Frenchmen in
our city, because the diabolical nerds who invented this game are French,” Brad
remarked. He was excellent at solving problems. “You know, if you weren't
French, we'd begin with the largest brewery in the world, Anheuser-Busch,
whose headquarters are here. There's a very interesting tour, and you get to
taste one of their beers afterwards. In Saint Louis, say “AB” and everyone
thinks “Anheuser-Busch”, but Germans founded the company, so that clue
probably won't work. I think you will find your book at the base of one of the
permanent French residents of the city: Saint Joan of Arc, in the Old Cathedral
down by the Arch; Pierre Laclede in the park just west of City Hall; or Saint
Louis himself, Louis IX of France, holding the cross of his sword handle towards
the city as if to claim it for France, in front of the Saint Louis Art Museum in
Forest Park. My best clue is that I think you will find your book at the base of
the Frenchman on horseback.
“We've rented you a car with GPS. Take it and it will guide you to the statues.
You'll find your book! Then come back here and we'll celebrate with a bottle of
good French champagne. And tomorrow you can return to dear old France with
another piece of the puzzle for our friends there. See you later. And good luck!”
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En attendant Modo
Chapitre 41
Chapitre de lordofzeringo se déroulant à Paris
Alfred Bogué ne savait plus que faire. Depuis la découverte du dernier indice,
ses nuits avaient été particulièrement agitées. Ses idées se mélangeaient, tous
les éléments de l'enquête s'entremêlaient sans cohérence. Pour le détective,
c'en était trop. Il devait rebondir et retrouver la trace du dénommé Modo.
Un matin de février, Bogué était comme à son habitude assis à son bureau
dans son ensemble de tweed gris, la pipe à la main, le regard vague. Son esprit
vagabondait tandis qu'il regardait au dehors la pluie inonder les rues de la ville.
Soudain le bruit de téléphone retentit, le ramenant à une réalité qu'il aurait
préféré oublier.
Lentement, il se leva et se dirigea d'un pas réservé vers la commode en bois de
hêtre sur laquelle était posé l'appareil. Avec une certaine anxiété, il saisit le
combiné puis d'une voix monocorde articula : «Alfred Bogué investigations,
j'écoute». Il n'y eu pas de réponse. Alfred Bogué prononça à nouveau ces
quelques mots. Rien. «Encore un plaisantin» pensa-t-il. Il était vraiment urgent
d'engager une secrétaire. Plus agacé qu'inquiet, il reposa le combiné de
bakélite noir sur sa base d'un coup brusque. Décidément persuadé que la
journée avait mal commencé, il alla s'installer dans son fauteuil anglais couleur
cigare, histoire de relire quelques pages d'un vieux dossier non encore résolu.
Le téléphone sonna à nouveau. Bogué hésita longuement, puis se releva et se
dirigea vers la commode. Il décrocha et attendit. Son interlocuteur ne disait
toujours rien mais cette fois le détective parvint à entendre un sifflement
lointain quasiment inaudible. Quelques notes de musique s'échappaient à
présent du combiné. Il ne put identifier immédiatement la chanson. La ligne
était trop mauvaise. Un couplet revenait en boucle telle une litanie :
« Comme le voile d'un étoile
S'éteint dans le printemps du matin
Comme la toile d'une voile
Se détend lorsque le vent s'éteint
Je me repose, de mon chagrin
Mon cœur repose, sur du satin »
Que pouvaient donc bien signifier ces mots ?
Mais la communication fut brusquement interrompue. Bogué tenta de lancer un
appel désespéré envers son interlocuteur, mais c'était trop tard. Plus rien au
bout du fil. N'étant pas un fin mélomane, le détective songea immédiatement à
appeler son ami Georges Leduel, qui travaillait depuis de nombreuses années
au Hibou Jaune, music-hall mythique des années 30 transformé en cabaret
miteux depuis le crack boursier des années 70. Georges Leduel était un petit
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En attendant Modo
être sympathique mais à l'humour approximatif et à l'hygiène plus que
contestable. «Allo Georges ? Ici Alfred Bogué. Comment vas-tu depuis tout ce
temps?». Leduel s'empressa de répondre : «Mais très bien mon bon ami. Que
me vaut l'honneur de ton coup de fil ?». Bogué était rassuré. Son ami ne l'avait
pas oublié. «Cessons les politesses d'usage si tu veux bien. J'ai un service à te
demander. Voilà j'ai reçu en cadeau un vieux vinyle sans pochette dont la
sérigraphie est très abîmée. J'ignore le nom de l'interprète et le titre de la
chanson. Si je te donne quelques paroles, pourrais-tu éclairer ma lanterne ?».
«Mais bien sûr, je t'écoute». Avec une infinie précaution, le détective dicta à
Leduel les quelques phrases qu'il avait réussi à identifier. «Ah oui je vois, c'est
bête mais cela me rappelle quelque chose. Oh, je l'ai sur le bout de la langue...
Georgette Plana, non ! Marina Vlady ? Non plus ! Ah ça y est, j'ai trouvé». A
l'autre bout de la ligne, Bogué esquissa un sourire. Il savait que Georges était
quelqu'un de fiable. Mais son sourire se transforma vite en une grimace informe.
Leduel n'était pas sûr. «Non, je vais chercher et je te rappelle dès que j'en sais
plus». Bogué n'avait de toute façon pas le choix. Il raccrocha non sans le
remercier chaleureusement pour son aide.
Il n'était pas plus avancé. Mais peut-être devait-il se concentrer sur les paroles
qu'il avait entendues. La tension était trop forte. Il devait sortir de cet endroit
oppressant. Revêtant son habit de lumière qui était en fait un vieux pardessus
noir en velours rongé par le temps, Bogué sortit de son bureau. Tandis qu'il se
promenait d'un pas léger, un mot occupa son esprit : «je me repose». Pourquoi
n'arrivait-il pas à penser à autre chose ? Peut-être était-ce un indice
supplémentaire dans sa longue quête ? Il avait l'impression que cette phrase lui
parlait du lieu où se rendre. Peut-être un cimetière se dit-il. Paris est connu
pour trois cimetières : le Père Lachaise, Montparnasse et Montmartre. Comme il
se trouvait à quelques stations de métro, il opta pour le cimetière Montmartre.
Il déambula dans les allées pendant un long moment.
Arrivé à l'angle d'une allée, un petit écriteau posé à même le sol attira son
attention. En gros caractères Bogué put lire : « derrière le soleil dominant le
cimetière, tu trouveras la réponse à tes questions ». « Un soleil ? »
s'interrogea-t-il. « Peut être est-ce la forme d'une des tombes ? ». Une chose
était sûre : il était au bon endroit... Mais allait-il devoir arpenter toutes les
allées de ces 11 hectares ?
Il ressortit pour rappeler Leduel, peut-être aurait-il une piste. Et il avait eu
raison : à la seconde où il lui dit où il se trouvait, Alfred entendit un cri à l'autre
bout du fil : « DALIDA » mais oui bien sûr, il s'agissait des paroles de « Je me
repose », comment n'ai-je pas pensé à cette chanson plus tôt ?
Il était déjà 18h. Les portes du cimetière allaient se refermer. A ce moment là,
Bogué, se trouvait devant le plan du cimetière. Il se dirigea d'un pas décidé
vers l'endroit indiqué sur le panneau. Puis, après avoir fait quelques pas, il
releva la tête. Elle se tenait là, rayonnante au milieu des tombes. Le disque
doré qui entourait la statue de Dalida lui permit de savoir que son intuition était
la bonne : le message décrivait la tombe où était dissimulé le livre. Il se mit
sans attendre à chercher...
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En attendant Modo
Chapitre 42
Chapitre de Darwinara se déroulant à Joinville le Pont
Bogué Night à Joinville le Pont
Voila quelques jours que le travail en cours de Bogué piétinait. Mais qui pouvait
bien être ce satané Modo ? Et cette enquête, qui s'annonçait comme plutôt
simple, prenait des proportions inattendues. Ca commence par un coup de fil
sans grande originalité, et à force Bogué se retrouvait avec assez de bouquins
pour concurrencer la Bibliothèque Nationale. Et sans être plus avancé ! Ce
relatif échec le travaillait au corps, il s'était réveillé en sursaut ce matin sur les
coups de 5 heures, et s'était mis à son bureau avec une grande tasse de café. Il
était 10 heures, le cendrier était déjà plein, et le voilà qui retournait pour la
centième fois entre ses mains les livres qu'il avait collectés ces derniers jours.
Il était d'ailleurs en train de feuilleter le dernier récupéré dans l'affaire «la
milicienne lubrique», et maintenant par-dessus le marché il se posait des
questions sur la moralité de sa commanditaire à la voix de miel. Alors le
bouquin en question, écrit avec les pieds par un gratte-papier à l'imagination
aussi épaisse qu'une feuille de papier toilette SNCF, avait été enregistré par un
certain Atma, encore un de ces allumés, puis déposé dans un autre de ces
endroits improbables pour un livre... Lassé, Bogué jeta le livre sur son bureau,
prêt à aller se recoucher, lorsque au milieu des feuilles ouvertes, offertes et
béantes du livre qui gisait à présent sur le bureau, il aperçut une feuille plus
colorée que les autres. Photo oubliée ? Illustration, sans doute pleine de bon
goût, prévue par l'éditeur de ce tas de feuilles ? Non point de belle militaire
offerte à la vue du chaland, mais une carte en bristol, de couleur écrue avec
des lettrages verts forêt. Le texte disait la chose suivante :
«Soirée Apaches et Casques d'Or. Messieurs, deffe sur la tête, veston à
soutaches, enfilez vos bottines jaunes, et rejoignez-nous. Mesdames, montez
vos chignons, lissez vos accroche-cœurs pour faire tourner les têtes et venez
guincher. Samedi 2 avril 2005, à partir de 18h30. Le Petit Robinson, 164 quai
Polangis, Joinville le Pont »
Eh ben mazette, voila un beau cadeau que m'fait la milicienne, ne manqua pas
de s'étonner Bogué. Un petit coup d'œil au calendrier postal (pas de chance
cette année, il ne restait plus au facteur qu'une portée de petits chatons dont
un louchonnait et un autre semblait hésiter entre un cri d'alarme et un long
bâillement figé pour l'éternité) punaisé sur le mur. Ben tiens, justement c'est
bien ce que je pensais : c'est après-demain.
Le surlendemain, Bogué garait son fidèle Combi Volkswagen au pied d'un pont
d'autoroute. Ha, elle aurait vu ça la chère Casque d'or, elle en aurait bouffé son
fameux chignon ! Il emprunta une impasse bordée de petits pavillons sinistres
en meulière, entourés de bandes de terre sur lesquels faisaient l'effort de
pousser quelques buissons, au bord de l'épuisement et qui tentaient de suivre
le printemps en exhibant quelques fleurs malingres. Eh ben c'est pas la fête à
Neuneu ! Quelques mètres plus loin, il atteignit enfin les bords de la Marne,
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En attendant Modo
encore éclairés par la douce lumière de fin d'après-midi. Quelques promeneurs
attardés baladaient enfants et chiens entre les bacs à plantation devant le
bowling. Des rameurs se hâtaient avant le crépuscule sous les cris rythmés de
leur entraîneur qui les poussait sans relâche à filer plus vite sur l'eau. Sur
l'autre rive, le pavillon Baltard semblait regretter cette époque révolue qu'on
tentait de faire renaître ce soir, époque où il brillait tel un joyau monstrueux au
cœur de Paris qu'il nourrissait presque à lui seul. La Marne semblait immobile,
l'air était doux. A la porte de chez Gégène, le serveur essaya de le convaincre
d'entrer, dans un espoir vain de concurrencer la guinguette voisine qui drainait
le monde.
Bogué dépassa la terrasse toute en harmonie rouge du concurrent et s'arrêta
médusé en apercevant enfin son but, Le Petit Robinson. Devant la bâtisse
couverte de treillage, sur lesquels grimpait du lierre, se pressait toute une
faune bigarrée. La moyenne d'âge fleurait bon les 60 ans, les paillettes des
robes étaient trop brillantes et les plumes des boas trop colorées. Que diable
allait-il faire dans cette galère, tel fut son premier réflexe. Mais une fois que le
vin (blanc ?) est tiré, il faut le boire, comme le préconise la sagesse populaire.
Il pénétra sous la marquise qui abritait l'entrée, et passa devant le cerbère des
lieux. Ce dernier fit la grimace à sa tenue, pas du tout dans le ton de la soirée,
mais s'effaça devant le carton collé sous son nez par Bogué. Une fois dans la
salle de danse, il jeta un regard circulaire, observant les quelques couples qui
s'étaient déjà formés. Les hommes coiffés de casquettes ou de canotiers,
portant des vestes et des pulls à rayures, enlaçaient les dames vêtues de
corsages et jupes qui froufroutaient au rythme de la java endiablée que le duo
d'accordéonistes jouait sur l'estrade. Les danseurs, malgré leurs sourires de
jeunes fiancés et leur application à ne pas manquer un pas, montraient une
raideur sûrement due à leur âge qui lui aussi était d'or, à l'image des cheveux
de l'héroïne de la soirée. Une seule chose à faire pour aller se remettre de ces
émotions, Bogué se dirigea vers le bar en rasant les murs. Le barman derrière
le comptoir arborait une moustache ridicule et des cheveux gominés. Bogué lui
commanda un verre de vin blanc, et tenta de le questionner sur des éventuels
livres qui seraient abandonnés ici, ou des rendez-vous de groupes de jeunes
dans le restaurant. Le barman le regarda comme s'il était fou. Chou blanc une
fois de plus. Bogué s'apprêtait à sortir lorsque la salle se remplit tout à coup.
Plus moyen d'atteindre les issues, coincé ici jusqu'à nouvel ordre.
Rien ne pouvait plus le surprendre à ce stade, il resta donc accoudé au bar à
siroter des petits blancs en attendant la fin de la démonstration de danse de
salon, donnée par trois couples de seniors au maquillage trop appuyé. Lorsque
les autres couples de spectateurs prirent possession de la piste, Bogué réussit
enfin à atteindre la sortie, pour voir que la nuit était tombée entre temps. Il
s'apprêtait à sortir, enfin !, lorsqu'il entendit prononcer son nom. Se retournant
il tomba nez à nez avec une jeune femme. 20 ans au plus, le teint velouté, des
yeux bleus curieusement allongés qui lui donnaient un air goguenard. Ses
cheveux étaient coiffés selon le mot d'ordre de la soirée, deux mèches
gominées recourbées encadraient son visage en forme de coeur, sauf que ce
n'était pas casque d'Or mais plutôt casque de jais. Elle portait une jupe de
velours noir, et un chemisier blanc recouvert de gros pois noirs qui s'ouvrait
complètement vers le haut. Ses épaules étaient presque nues, son cou entouré
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En attendant Modo
d'un ruban de velours noir. Un médaillon doré, suspendu au collier, reposait
dans le creux entre ses clavicules, là où on sent le pouls palpiter au bout d'un
baiser. Le cœur de Bogué manqua un battement à la vue de cette souris des
villes.
«Monsieur Bogué? - je, oui c'est moi... comment m'avez-vous reconnu ? - on
ne peut pas vous manquer, répondit la créature en partant d'un rire moqueur.
Venez danser ! » Incapable de s'insurger face à un tel commandement, Bogué
la suivit dans la salle où ils se mêlèrent aux danseurs de la piste. Il tenta de la
questionner mais elle n'entendait pas ses questions, ou faisait mine d'y être
sourde, avec le bruit de l'accordéon, et l'essoufflement de la ronde qui les
entraînait. Combien de temps dura cette danse, quelques minutes ou quelques
heures, Bogué ne pouvait le dire, subjugué qu'il était par sa partenaire. Celle-ci
gardait ses yeux plantés dans les siens, et son regard se faisait plutôt coquin.
Finalement elle l'entraîna dehors, face à la Marne. Ils s'appuyèrent contre la
balustrade, le long du mur d'un petit cabanon de bois construit à cet endroit
sans doute pour entreposer du matériel de canotage. Bogué hésitait à
l'interroger sur son affaire de modo, un peu parce qu'il avait presque oublié
cette affaire, surtout parce qu'il avait peur de briser le charme et le mystère de
cette rencontre.
Il osa poser quelques questions banales. Elle s'appelait Mélie, lui répondit-t-elle
avec son sourire taquin. Elle avait 22 ans et était Joinvillaise. Bookcrossing,
quoi ? non jamais entendu parler. Bogué se détendit. Cette rencontre était
peut-être vraiment indépendante de son affaire. Il se rapprocha de Mélie, qui
faisait face à la Marne, regardant les baies vitrées illuminées des grandes villas
de Nogent-sur-Marne qui se reflétaient dans l'eau. Son parfum légèrement
épicé et riche lui faisait un peu tourner la tête. Au moment où il s'apprêtait à se
pencher vers elle pour l'embrasser, voila qu'elle se mit à glapir « Mon sac, mon
sac, il est tombé de l'autre côté ». Chevaleresque, Bogué sauta par-dessus la
rambarde et se pencha pour ramasser le sac de cuir noir de la demoiselle. Ce
dernier s'était ouvert dans la bagarre et des objets étaient éparpillés dans
l'herbe. Un portefeuille rouge, hop, au fond du sac, un mouchoir en tissu, un
vaporisateur de parfum, un livre de poche. Bogué regarda l'ouvrage, peut-être
plus par réflexe après sa collecte forcée de livres des dernières semaines que
par réelle curiosité. Et là, sur la couverture s'étalait l'objet du délit : un écusson
représentant un petit livre jaune en train de courir couvrait la moitié de
l'illustration. Le sang déserta son visage, il releva la tête vers sa compagne. Un
éclair de compréhension passa dans les beaux yeux bleus de Mélie, et quelque
chose d'autre, que Bogué interpréta plus tard comme un mélange de culpabilité
et de regret. Elle plongea, plus vive qu'une vipère et arracha son sac des mains
de Bogué pétrifié, avant de s'enfuir en courant, ses talons claquant sur
l'asphalte.
Il resta sur le talus herbeux, le livre dans une main, son cœur brisé dans l'autre.
Encore une jolie fleur dans une peau de vache, se lamenta-t-il au barman qui le
ficha dehors au petit matin, étonné de ce client si bizarre qui n'avait
pratiquement pas dansé de la soirée et était resté à vider ses bouteilles de
blanc au comptoir.
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En attendant Modo
Chapitre 43
Chapitre de Victor-Schmara se déroulant à Lille
Alfred était en ville depuis six jours.
Vendredi dernier, on lui avait dit :
«Venez demain, à 18h, devant l'Opéra.
Pas longtemps.
Nous vous donnerons des explications.»
Un message indirect, une fois de plus. Depuis le premier rendez-vous de Fosses,
il n'était plus rare qu'ils cherchent à le contacter par tout moyen, dès lors qu'il
disparaissait quelque temps. Comme s'ils étaient inquiets.
Mais de quoi, grands dieux ?
Un jour c'était au téléphone -une voix féminine, toujours, avec un accent
indéfinissable, une façon personnelle d'écraser certaines syllabes, de prononcer
les -é, de dire « Hm », de sourire, de laisser des blancs.
Un autre jour c'était par mail. Au début il n'y comprenait rien ; c'était plein de
caractères impossibles, d'accents partout, de hiéroglyphes, de ponctuations
anarchiques. Un code, en fait, dont il s'éreinta à pénétrer la logique.
Aujourd'hui encore il n'était pas certain d'avoir tout compris.
Plus rarement -mais cela lui causait étrangement un plaisir indéfinissable-, par
Texto.
D'autres fois comme celle-ci, et l'on devinait alors une inhabituelle fébrilité, on
le convoquait via le Messageur Privé, le dernier gadget à la mode de la tribu
dans laquelle depuis quelques semaines il enquêtait. Le Messageur Privé, c'était
l'avant-dernier degré de l'alarme, juste avant la petite annonce dans Libé.
C'était sérieux. C'était «Ecoutez, pas le temps de vous faire un mail ni un
dessin, venez, la situation l'exige, ou bien il sera trop tard.»
Evidemment, le rendez-vous était pour le lendemain, un samedi.
Impossible, bien sûr.
Alfred ne travaille plus le samedi depuis 1963, c'est un principe.
Le samedi chômé, l'Amsterdamer, un bon combi orange bien robuste, et la vie
était belle.
Ou alors...
Mais il aurait fallu...
Non, décidément, Alfred n'était pas prêt à déroger à ses samedi hors du monde.
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En attendant Modo
Par superstition. Quelque chose en lui -ce petit quelque chose qui faisait qu'il
était toujours là, lui, Alfred Bogué, la cinquantaine vaillante, en dépit de tant
d'aventures, de mauvais coups et de traquenards-, quelque chose en lui dans
cette ville inconnue l'avertissait d'un profond danger.
Du reste il n'avait plus d'arme.
Son Beretta l'attendait caché dans un pot de graisse au fond de son atelier, à
Périgueux, Dordogne, et inutile de compter sur son Colt 45, si maniable et
précieux au temps de Raoul-Le-Belge -mais c'étaient les grandes heures,
aujourd'hui il reposait avec Raoul dans un trou hâtivement rebouché de la forêt
de Senlis, Oise, par deux mètres de fond, à l'abri des détecteurs de métaux et
des chiens truffiers de la Mondaine.
Alfred botta en touche.
Le samedi midi, quelques heures à peine avant le rendez-vous, il appela ce
même numéro à partir duquel on l'avait appelé la toute première fois, le soir de
la fête où l'on n'entendait rien, sur l'Esplanade, qui avait duré si longtemps,
tant les détails, tous les détails, importaient.
Ça ne répondit pas.
Il laissa un message vocal, sobre, neutre, professionnel.
Désinvolte, il dit qu'il regrettait mais n'était pas libre, et proposait une autre
date.
L'autre date, c'est aujourd'hui.
On lui a confirmé hier qu'on y serait, et pas plus tard qu'à 16h02 aujourd'hui,
précisé qu'on l'attendrait «ici», dans le bar exigu et bruyant où Alfred est
attablé à ce moment précis où, contre toute attente, la plus jolie femme de la
métropole franchit le seuil, et se dirige résolument vers lui.
Au-delà, dans la rue, le trafic est fluide.
Il fait presque nuit.
Passent quelques patineurs.
Un groupe de pigeons migre du banc vert à la boîte aux lettres.
La jeune femme est à cinq mètres maintenant. Elle le fixe.
Quelque chose ne va pas.
Elle s'assoit en face d'Alfred, pose un sac, vérifie son portable.
A son air sombre on pressent que la situation est grave.
- La situation est grave, dit-elle.
Plus grave que prévue.
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En attendant Modo
Le problème prend de l'ampleur. Nous avons besoin de vous.
Alfred la dévisage.
- C'est vous qui m'avez appelé ?
- Evidemment, qui voulez-vous que ce soit.
- Bonjour quand même.
- Oui. Bonjour. Pardonnez-moi. Je n'ai pas beaucoup de temps. Je prends un
chocolat.
- Garçon !
Alfred se tourne vers le comptoir.
Un chocolat et un thé.
Elle a un sursaut :
- Non, pas un thé !
Alfred la regarde quelques instants. Puis, calmement :
- Rectification.
Il sourit au serveur.
Un chocolat et un Schweppes.
Vous êtes malade, qu'est-ce qui vous prend ?
- Ecoutez. Excusez-moi. Ce serait un peu long. Je vais...
Elle tremble imperceptiblement.
Voilà. Les gens qui m'envoient, les gens qui vous ont appelé pour votre enquête
-on croit beaucoup en vous, vous savez-, tout le monde est un peu tendu, en
ce moment, les gens qui m'envoient ne plaisantent pas. On a un gros gros
problème.
- Ah bon ?
- Un gros gros gros problème.
- Alors ça n'est pas pour moi. Je ne m'occupe que des légers problèmes, et
encore, quand j'ai bien mangé et que j'ai un peu de temps.
- Je vous en prie, écoutez-moi.
Elle saisit son portable, en vérifie l'écran, le repose.
Vous connaissez le FLY ?
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En attendant Modo
- Ça, pour sûr que je connais. Au revoir, madame.
Il fait mine de se lever.
- Attendez ! Attendez un peu.
De toute façon... vous ne pouvez pas sortir. Il y a des gens dehors, et...
Alfred se rasseoit avec une lenteur infinie.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire...
- Asseyez-vous et écoutez-moi attentivement. Ensuite je partirai, et vous
partirez exactement six minutes après moi, par l'autre entrée.
Mais d'abord dites-moi ce que vous savez du FLY.
Il avale péniblement une gorgée de son Schweppes, d'une amertume
inaccoutumée.
- J'ai lu les journaux, comme tout le monde. Et puis il y a quelques années, à
Zurich, je les ai vus à l'œuvre. Par hasard. Je rentrais dans un café, ils en
sortaient. J'ai pas vraiment pu consommer : le patron gisait dans son sang,
douze balles dans la peau, derrière le comptoir, au milieu des épluchures, un
petit sachet jaune entre les deux yeux, il fumait encore.
- La vache.
- C'est à peu près ce que je me suis dit.
Du beau boulot, néanmoins. On ne les a jamais retrouvés. C'est ces gars-là que
vous voulez ? Très peu pour moi.
La jeune femme rajuste deux bretelles, une blanche et une noire, sur son
épaule droite, remonte un peu son large pull en laine, semble quelques
secondes regarder dans le vague, un point mystérieux derrière Alfred, avec un
sourire énigmatique, puis commence son histoire.
- Le FLY est né à la fin des années 60, ici-même, à Lille.
Au départ, un truc de potaches, un petit jeu d'écoliers, puis d'étudiants
désoeuvrés. Ils faisaient des blagues, ils s'amusaient. Des poissons d'avril,
genre. Ils accrochaient des petits sachets un peu partout, aux endroits qui ne
leur revenaient pas, les statues moches, les mannequins dans les vitrines, les
stations-service, aux sonnettes des ambassades, aux troncs des églises, etc...
Puis ça s'est radicalisé.
Juste après l'Irak -la première-, il y a eu comme un schisme.
Les modérés sont rentrés chez eux, un peu étourdis, mais les durs sont
complètement partis en vrille. Aujourd'hui ils sont incontrôlables. Au nom d'un
pseudo-manifeste politique de justice universelle, ils se croient tout permis.
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En attendant Modo
Mais ça ne rigole plus du tout ; tenez-vous bien : ils veulent renverser le monde.
- Quoi ?
- Des exaltés. Ils prônent le chaos total, le renversement de l'ordre établi, la
révolution permanente, la chute du grand capital. Ils ont leur cible : la société
de consommation. Et leur Grand Satan : Thomas Lipton. Sir Thomas Lipton. Oui,
celui du thé. Les nuits sans lune, ils tiennent des cérémonies secrètes, genre
KKK, déguisés en sachets jaunes -sans la ficelle. C'est une catastrophe, ils vont
beaucoup trop loin.
- Je ne vous le fais pas dire. A une époque, j'ai collecté un peu leurs faits
d'armes. Si je me souviens bien, ces dernières années, ils n'ont plus guère fait
parler d'eux...
- Si, mais jamais au grand jour. Ce sont des malins. Il n'y a guère que les RG
aujourd'hui, qui tiennent les comptes. Mais croyez-moi, ça défie l'entendement.
Les cafetiers baptisés au 11.43, c'était un début. C'était gentil. Ils sont passés
professionnels, depuis. Vous vous souvenez d'AZF ?
- Non !... Pas eux !?
- Les MacDo de Bretagne, à l'explosif ?
- Non...
- Les inondations de Vaison-la-Romaine, de Nîmes ?
- Allez...
- Le tunnel du Mont-Blanc, la marée noire du Prestige, l'Erika, Ariane 5, le
compte à rebours interrompu sur la tour Eiffel pour l'an 2000, la canicule, les
plaques de marbre qui se décrochent sur l'Opéra-Bastille, l'arrêt de la diffusion
d'Urgences, d'Ally Mac Beal... Vous ne pouvez pas savoir, leurs ressources sont
infinies.
- L'incendie du Super-U de Béthune-sud ?
- Pareil.
- C'est dégueulasse.
- Des chacals.
Son téléphone sonna.
- Excusez-moi.
Elle se leva, s'éloigna de quelques pas, s'entretint brièvement avec une voix,
revint.
- Désolée. Bref. Aujourd'hui on a un sérieux problème.
- Où ça ?
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En attendant Modo
- Ici. Enfin, partout, mais spécialement ici, c'est pour ça qu'on a besoin de vous,
parce qu'ils nous ont promis un festival.
- Pourquoi ici ?
- Que vous le croyiez ou non, Lille est l'exact barycentre de la puissance
commerciale de l'Europe : à la croisée des chemins de Londres, Bonn, Bruxelles,
Genève, Amsterdam et Paris, c'est LA ville-symbole par excellence, le temple
de la production et de la consommation de masse occidentale. A moins de trois
heures de route, vous avez autour d'ici tout ce que le XXI° siècle produit de
plus opulent : automobile, électro-ménager, banque, armement, alimentaire,
textile, media, tout.
Et ils veulent pulvériser le symbole...
Alfred se rembrunit.
« Gros morceau », pensait-il.
En même temps, totalement son créneau. Sauver le monde, bon, ça ne
manquait pas d'intérêt.
La bouche sèche, il reprit sa paille. L'autre continua :
- Je vais vous parler sans détours, monsieur Bogué.
Il y a une bombe.
Alfred s'étouffa dans son verre.
- Vous plaisantez ?
A nouveau le portable vibra. Elle le prit sur la banquette, le souleva à peine, le
manipula, le reposa. Replaçant ses cheveux, elle le fixa droit dans les yeux.
- Monsieur Bogué. Que ça vous plaise ou non, vous jouez avec nous désormais.
Je dois partir. Je vais vous dire un peu de ce que nous savons, puis je vais
partir, et la balle sera dans votre camp. Est-ce que c'est clair ?
- J'ai le choix ?
Elle sourit.
- Vous avez bien compris.
Voilà les faits : Les gars du FLY veulent frapper un grand coup. Ils visent ce
qu'ils appellent un « temple de la consommation », ici, en plein centre-ville.
Leur message évoque « une saison où tout explose ». Je vous épargne les
slogans annexes. La bombe est dans un parking jouxtant l'édifice, peut-être
même au-dessus, dernier étage, à l'air libre. Il y a de quoi faire sauter la ville
et ses environs. Si nos sources sont exactes, le dispositif a la taille d'un livre de
poche, il est emballé dans du papier aluminium, et neutralisable par saisie d'un
code secret sur un site ad hoc. Je ne sais pas quel code, je ne sais pas quel site.
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En attendant Modo
Dernier détail : il est programmé pour ce samedi 9, 18h01. On n'y comprend
rien, et on n'a pas le temps de s'en occuper, on part pour Davos où ils ont
prévu encore pire. C'est terrible, monsieur Bogué. Terrible.
A vous de jouer.
Alfred s'affalait lentement sur la banquette en moleskine verte.
- Ah, dernier détail. Si ça tournait mal, évidemment on ne s'est jamais vus. Si
vous parvenez à faire le travail, nous devrons vous réapprocher hors des
canaux habituels. Laissez-moi un code, une phrase, un élément pour réinitier le
contact, qui nous authentifiera.
Elle lui tendit un minuscule carnet et un fin crayon.
Ecrivez là.
Le portable vibra une dernière fois. Tandis qu'il écrivait, Alfred la vit
distinctement le manipuler à nouveau, sourire à travers ses cheveux, le
regardant à la dérobée.
- Un souci ?
- Pas vraiment. Mais le monde est décidément plein de gens curieux.
Puis, après un temps :
- Soyez prudent, monsieur Bogué. Nous aimerions assez vous revoir.
Sur ces paroles mystérieuses, elle reprit son sac, son téléphone, se leva,
replaça ses bretelles gauches, et sortit dans la nuit.
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