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EN ATTENDANT MODO KJ Enquête bookcrosso-littéraire Ve r FEATURING: eux · 12 ju illet 2 005 d n sio D : 215-3028292 BCI : http://enattendantmodo.free.fr/ ANDRAS DAMNED-MARCEL Septentria MOSAVA Dingus SNOOW Pandore Ginaluna Tyhma Lancelot-du-lac Olwe Badral Elj Mamoune Bilbi Da-chronic Misou Stephenteam Lesezeichen Lapeste Coffee-break Bacicoline Lola-France Abstraite Andromeda23 Cafardkiller Omne Tit-vinz Tennessee4919 Seg0 Blue-orange Babettbaboon Girlinthemoon Toflabeuze Andras Debwin Petitcercle Dooimy Lordofzeringo Badgam Darwinara Pitoune Victor-Schmara Jaed Un enquête (rondement) menée par les BookCorsaires francophones http://www.bookcrossing.com/forum/17 http://bookcrossing.apinc.org/ http://enattendantmodo.free.fr/ En attendant Modo En attendant Modo Une nouvelle enquête d'Alfred Bogué Cette histoire de modo commençait vraiment à m'échauffer les oreilles. Ca avait débuté sur internet, dans une communauté de gentils allumés des bouquins. Evidemment, à l'époque j'avais encore jamais entendu parler d'eux. Je venais juste de boucler une affaire d'adultère, le genre d'embrouille classique qui ferait même pas palpiter le cœur d'une midinette, quand j'ai reçu ce mystérieux coup de fil. La voix était plutôt pas mal, et quand je dis pas mal... c'était du genre velours, voyez, une que vous aimeriez bien fréquenter d'un peu plus près si c'était possible. Mais franchement aujourd'hui, c'est plus une voix qui suffirait à me faire embrayer sur une affaire. Par contre, le petit paquet de fraîche que j'ai vu arriver dans une enveloppe rebondie était beaucoup plus convaincant. La frangine au téléphone m'en a déballé une bonne tranche, et elle répondait pas toujours à mes questions. Voilà ce que j'ai compris. A l'origine, il y avait eu une banale plaisanterie. Quelqu'un, débarqué d'on ne sait où avait lancé sur le forum « Salut, c'est moi le grand modérateur », et manifestement, il la jouait un peu provoc. Les réactions n'avaient pas tardé. C'était tombé comme à Gravelotte, parce qu'il faut vous dire que les bookcorsaires -c'est comme ça qu'ils s'appellent-, c'est pas des ramollis du cerveau. La chantilly était montée, et ils cherchaient tous à savoir qui était le malin qui se cachait derrière ce pseudo. Là, je vous dois une explication: figurez-vous que pour simplifier mes affaires, y'en pas un qui affiche son vrai nom, et je vous mets au défi de retrouver vos petits au milieu de ces Da-chronic, Nobodysperfect, Matindautomne, LordSchizzo, Atma et compagnie. Et voilà qu'aujourd'hui apparemment, ce maudit modo (le surnom dont ils avaient aussitôt affublé ce modérateur) s'était évaporé dans la nature, et qu'il manquait cruellement à quelqu'un. Une voix à faire relever tous mes aïeux dans leurs cercueils me demandait de le retrouver, et tout ce qu'elle me proposait en pâture, c'était une liste de noms à coucher dehors sous la pluie, et une sombre histoire de bouquins planqués qui font des petits partout, en France, en Navarre, et peut-être bien au-delà... Du coup, mettez-vous à ma place, elle me laissait pas vraiment le choix: il fallait que je la rencontre, la mignonne, pour en savoir un peu plus long. Croyez-en mon expérience: la confrontation, y'a que ça de vrai. Après tout ce que j'ai vécu, je connais ce coup-là comme si je l'avais inventé; c'est banal à chialer: vous vous pointez pour rencontrer la gisquette éplorée qui a perdu son jules, et vous vous retrouvez face à une mante-religieuse avec du sang tout frais sur les mandibules. C'est pas sans réticence qu'elle accepta de me donner ce rancard pourrave. 1 / 160 En attendant Modo Chapitre 1 Chapitre de damned-marcel se déroulant à Fosses C'est à Fosses, obscure petite ville du Val d'Oise, devant un bar aux néons moribonds, que le Combi Volkswagen d'Alfred Bogué s'arrêta. «Au Rallye, à 21h. Parole de moi, ça s'appelle presque de l'avance», se dit le privé en regardant sa montre. Il poussa la porte du café. «A quoi peut bien ressembler ma Jessica Rabbit?». L'air de trop rien, il cherchait parmi les clients, encore assez nombreux à cette heure, une créature pulpeuse en robe lamée, et tant qu'à faire, aux longs cheveux roux en cascade. «Dans tes rêves, Fredo. Non seulement, je vois pas l'ombre d'une paillette, mais les souris m'ont tout l'air d'avoir déserté le rade». Il s'installa devant une table marquée d'auréoles de bière, où traînait encore un verre vide. «Vous me reconnaîtrez: je lirai» avait-elle dit. Bien. Dans un coin, un pékin un peu fait déployait amoureusement sur son torse un journal du jour, Parisien libéré ou prévisions des courses, au papier aussi torché que lui, et dans ce café sans charme, c'était toute l'harmonie qu'on pouvait espérer trouver, ce poivrot et son Paris-turf assorti. «Mouais, voilà bien un accessoire de lecture, mais pour le reste... Si la voix que j'ai entendue au bigophone se trouve à l'intérieur de ce corps imbibé, je veux bien avaler ma carte de privé, et me faire engager chez les petits chanteurs à la croix de bois». Le patron, bel homme avenant sans aucun des signes qu'on se serait attendu à trouver chez un bistroquier, vint s'enquérir de la commande. La Jenlain s'affichant absente, Bogué, pour rester dans les tons de la table, demanda un demi pression. Son joli rancard avait manifestement l'intention de se faire désirer. Parfait. Il avait la nuit devant lui. Rien de chaud ni de moelleux ne l'attendait nulle part, mis à part son lit, sur lequel il savait pouvoir compter -les moutons notamment-, comme sur une parfaite épouse mais en mieux. Le regard dérivant au gré des vagues de fumée, Bogué essayait de combiner les rares éléments dont il disposait pour progresser dans cette énigme, lorsque la porte du troquet s'ouvrit pour laisser entrer quelqu'un, ce qui n'arrivait plus depuis un bon moment. Détail non négligeable, ce quelqu'un là tenait un livre. Et, c'était une femme. 2 / 160 En attendant Modo Certes, pas celle qu'on espérait, mais Bogué se dit que cette arrivée lui permettrait peut-être d'ajouter un plus dans la colonne des moins. Bajoues et cheveux courts, chaussures plates de bonne soeur, tenue sans forme et sans paillettes, certain âge assez incertain, elle semblait remonter des grands fonds, et se trouver piégée dans la lumière pourtant bien chiche que dispensaient les vilains plafonniers du bar. Elle se dirigea finalement, après quelques longues minutes où les conversations avaient cessé, vers la table d'Alfred Bogué, et s'assit gauchement en face de lui. «Euh, bonsoir, vous êtes le détective, c'est ça?». La voix? Ca n'était pas la bonne non plus, du moins... Non... ou alors... ça voulait dire que la mémère était vraiment, mais alors SACREMENT meilleure actrice qu'elle n'en avait l'air. Il décida de jouer son gentil, et se releva brièvement en lui tendant la main: «Enchanté, Alfred Bogué pour vous servir. En quoi puis-je vous être utile, Madame, Madame...?» «Euh, je... Danielle Merced. Pardonnez-moi ». Elle triturait sans rien dire le verre vide devant elle. Bogué la regardait en douce. D'ou sortait-elle, celle-ci? connaissait-elle le modo? connaissait-elle la Voix? était-elle l'un ou l'autre? commanditaire, ou pion? entre les mains de qui? « Voilà, commença-t-elle, je... en fait... j'ai un message pour vous ». Bogué attendait la suite, s'efforçant de lui présenter un visage à la fois attentif et avenant, ce qu'il avait trouvé de mieux en magasin. Elle continua, d'une voix à peine audible «Vous n'êtes pas le seul à chercher. Shéhérazade pourra vous aider » «Vous voulez dire... Quelqu'un sur le site? le forum? Ou bien? Vous-même, vous faites partie de la communauté?» Elle restait immobile et muette, puis reculant bruyamment la chaise sur laquelle elle n'était qu'à moitié assise, elle se releva brusquement, et fila étonnamment vite, en marmonnant quelques excuses. Lourde et lente elle avait semblé, mais elle s'était évaporée sans autre préavis. Bogué régla sa bière, s'avança vers la porte. La pluie était de sortie, il aperçut deux silhouettes frileuses filant vers leur morne destinée. Il releva son col. Au lieu de la flamboyante frangine qu'il avait imaginé rencontrer, il se retrouvait avec la vague image d'une vague personne, et un indice qui ne lui disait pas grand-chose. Il n'était pas seul à chercher, avait dit la messagère. Shéhérazade en tous les cas pouvait très bien co-habiter dans sa tête avec sa commanditaire mystérieuse. Dans le genre obsession, il avait connu pire... 3 / 160 En attendant Modo Avant se retourner dans ses pénates, il s'arrêta devant un plan de la ville, planté au bord de ce qui lui paraissait être un champ sans fin, s'enfonçant dans le noir jusqu'au bord du monde. Il se félicita d'avoir un briquet -l'orthodoxie des fumeurs de pipe ne le concernait pas vraiment-, pour arriver à déchiffrer d'un peu plus près la liste des rues et leur entrelacement. Finalement, ce bled avait au moins un aspect sympathique, comme quoi, ça vaut parfois le coup d'essayer d'aller un peu plus loin. Le plan de la ville était un vrai poème, un annuaire pour les rêveurs, une liste évocatrice d'écrivains et de musiciens, de héros de romans, et d'aventuriers. Il lui faudrait peut-être revenir dans les parages, tôt ou tard, et peut-être bien avant longtemps. Pour l'instant, un petit somme ne serait pas du luxe. En remontant dans son tacot, il se répéta une de ses phrases favorites, dont il était si fier d'être l'auteur: demain sera un autre jour. 4 / 160 En attendant Modo Chapitre 2 Chapitre de Ginaluna se déroulant à Strasbourg Qu'est ce qui m'avait pris de suivre cette fausse piste dans ce bouge minable du Val d'Oise. J'étais rentré trempé, transi, et crotté, pour me jeter avec reconnaissance sur mon lit moutonneux, et rabattre ma courtepointe sur cette foutue affaire. Et ce matin, je n'étais pas plus avancé, tout cotonneux devant mon premier café. Qu'est ce que cette Danielle Merced avait bien voulu dire? Au diable sa timidité maladive, j'allais empoigner un bon vieil annuaire, et lui demander de combiné à combiné quelques explications. Du moins c'est ce que je m'apprêtais à faire lorsque ma concierge sonna à ma porte. «Eu'l courrier !» Merci madame Grinderche. Quelques factures, publicités, une carte postale de Strasbourg. Une carte postale de Strasbourg ? Je n'y connaissais personne. Incendiée par les prussiens J'ai abrité en mon sein Un incunable inestimable. Soyez raisonnable Pour retrouver Modo vivant Partez dès maintenant Un scribouillard m'adressait un poème bancal, sans aucune autre signature qu'un livre en train de courir. Après son lapin au bar, Voix de Velours m'entraînait à l'autre bout du pays. Soit. Rien ne me retenait ici que l'intégrale des enquêtes de Derrick en poche. Je décidais de l'emmener avec moi, au cas où la capitale alsacienne se révélerait peu attrayante, au moins aurais-je quelque lecture. Je pris aussitôt la route de l'Est dans mon vieux combi volkswagen. Sur l'aire d'autoroute de Nancy, j'eus tout le loisir de me pencher sur la mystérieuse missive. Elle était postée de Strasbourg Bourse, selon le cachet de la poste. L'écriture était fine, nerveuse, appliquée... féminine. Voix de Velours ? Non, cette femme là écrivait rondement... Le lieu était plus obscur... Le Guide Vert acheté au relais H m'appris qu'une grande partie du vieux Strasbourg avait été incendié par les prussiens lors du siège de 1870. J'avançais à petits pas, et la vie de Modo était en jeu. L'incunable me mit la puce à l'oreille. Je décidai, sitôt arrivé à Strasbourg, de me rendre aux archives de la ville et d'interroger un de ces éminents spécialistes de vieux papiers, un de ces bibliophiles qui vivent sans voir d'autre lumière que celle de leur abat jour verdâtre, à la lueur duquel ils déchiffrent les précieux manuscrits. Quelle ne fut pas ma surprise, en me stationnant route du Rhin, de tomber sur un bâtiment flambant neuf, en face d'un cinéma géant dernier cri. Je fus accueilli non pas par une relique humanoïde, mais par une fraîche et accorte 5 / 160 En attendant Modo jeune femme à qui je montrai à tout hasard ma carte postale. Franchement amusée d'abord : «vous en recevez, de drôles de lettres anonymes», elle se montra ensuite très professionnelle, et me guida jusqu'à son bureau, une pièce lumineuse décorée de plantes vertes. «Vous avez de la chance d'être tombé sur moi. Je suis chargée de conserver, de restaurer et de numériser les plans séculaires de Strasbourg pour les mettre à la disposition du public sans que celui-ci ne les abîme.» Elle alluma un ordinateur, ouvrit quelques dossiers virtuels, et afficha bientôt sur son écran la photo d'une imposante construction de pierre. «Voici l'actuel Temple-Neuf. Il a été construit à la place de l'ancienne Grande Bibliothèque de Strasbourg, incendiée par les prussiens lors du siège de 1870. C'est votre histoire d'incunable qui m'a mise sur la voie. Le manuscrit du Jardin des Délices, richement enluminé par la religieuse Herade de Landsberg en 1540 y était conservé - Ce manuscrit, où est il maintenant ? - Hélas, il a brûlé avec la Grande Bibliothèque. C'est une perte considérable pour notre patrimoine national. Je crois que vous devriez vous rendre au Temple-Neuf. Votre Modo vous y attend peut être ?» Temple neuf. Grosse bâtisse en pierre de taille dont l'architecture néo germanique n'a rien à voir avec le chef d'œuvre d'art roman qui périt sous les flammes. Ce guide touristique fait du lyrisme, il me tirerait presque des larmes. J'entre dans l'édifice religieux, où ma machiavélique messagère doit m'attendre, planquée dans un confessionnal. Pas un chat. Quelques grenouilles de bénitier protestent des incantations. Leur office terminé, elles se lèvent et s'en vont vers d'autres cieux. Une silhouette plus attrayante enveloppée dans une parka satinée s'attarde auprès des cierges. Voix de Velours ... se faufile vers la sortie. Je file sur ses talons, mais un objet s'engouffre sous ma semelle et me fait perdre l'équilibre. Je maudirais bien ce sacré porte-carte s'il ne contenait pas la clé de la suite de mon périple. Tout en frottant mes genoux endoloris, j'en tire un morceau de papier orné du même petit livre qui court : Bravo d'être arrivé jusqu'ici. Vous n'êtes pas aussi bête que vous en avez l'air. Tomi Ungerer vous aidera à trouver Modo. Rendez vous au numéro 3 de la rue Kuhn. Ne traînez pas trop. Loin de me vexer, cette missive me rendit tout guilleret. En effet, j'avais chez moi quelques reproductions des estampes coquines du Sieur Ungerer, mais 6 / 160 En attendant Modo j'ignorais qu'il fût alsacien. Réjoui à l'idée de rencontrer le célèbre illustrateur amateur de sado-masochisme, je traversai le centre historique de Strasbourg sans même prendre le temps d'admirer les maisons traditionnelles de la place de la Cathédrale. La rue Kuhn était un peu excentrée, mais après avoir tourné en rond dans le quartier de la gare, je finis par parvenir à ce que je crus être la demeure de Tomi Ungerer. Peine perdue, et peste soit de cette monomaniaque de Voix de Velours, je me retrouvais devant un énième bâtiment culturel. Peut être l'écrivain donnait il une conférence dans la bibliothèque municipale ? Perplexe, j'entrai. Pas d'accorte jeune femme en vue, mais des bibliothécaires dont l'aspect correspondait en tout point à leur réputation. Devant la franche hilarité de la bougresse lorsque je demandai à voir Mr Ungerer, je me promis de lui donner rendez vous avec les semelles de mes souliers si d'aventure elle recroisait mon chemin. A ma décharge, je fus tout honteux de n'avoir pas pensé plus tôt à consulter le rayon des ouvrages d'art contemporain, où je pus trouver l'œuvre complète de mon idole. Un ouvrage en particulier attira mon attention, un livre pour enfants « les trois brigands ». Une pochette cartonnée colorée était scotchée au dos du recueil. Sur un grand morceau de papier Canson était peint ce message imagé. Il était temps de faire appel à un spécialiste. Heureusement, j'avais plein de gamins sous la main. J'en chopai un au vol, et lui exhibai mon rébus. «Qu'est ce que ça veut dire, selon toi ?» - Trop fastoche ! Un « s », un œuf en anglais, un monsieur qui travaille dans un moulin en allemand. - Merci petit. » Toujours se munir d'auxiliaires. Il ne me restait plus qu'à trouver quelqu'un répondant au doux nom de S - egg - muller. Je retournai place de la Cathédrale dans l'idée de nous offrir, à moi et à mon flair, un demi et un pipe à la maison Kammertzel. Mais la poste centrale me fit changer d'avis. « Seggmuller... Seegmuller... » Pages jaunes, rien. Pages blanches... pas davantage. J'étais sur le point d'abandonner quand une vénérable ancêtre me tira par la manche «Vous cherchez les Seggmuller ?» me demanda-t-elle avec un accent alsacien si prononcé que je dus lui faire répéter sa question «Vous n'avez pas la bonne orthographe ! C'est SeEgmuller. Mais même comme ça vous ne les trouverez pas. Ca fait bien longtemps qu'ils ont quitté Strasbourg. Mon mari a travaillé 7 / 160 En attendant Modo toute sa vie aux entrepôts d'armement... hooo oui, c'était le bon temps... la vie était facile alors... bon salaire.. on allait à la guinguette à Neudorf tous les samedi soirs. J'étais la plus courtisée, un beau brin de fille, vous savez ... Maintenant tout est laissé à l'abandon... on dit qu'ils vont tout détruire, et construire une bibliothèque à la place... - Mais de quoi parlez vous madame ? Où se trouvent ces entrepôts ? - Allez donc voir route du Rhin, derrière cet affreux cinéma.» Retour à la case départ. J'aurais pu récupérer mon combi toujours stationné, avec une amende en prime, devant les archives municipales, et m'en retourner à Paris et tant pis pour Voix de Velours, ces bouquins à la mords-moi-le-nœud... Modo n'existait pas, cette histoire était inventée de toutes pièces par une célibataire enquiquineuse... je n'avais même pas goûté à la Fischer locale et j'étais mort de fatigue. Pourtant quelque chose me poussait à continuer. L'amour des belles histoires et des fins heureuses, où Derrick trouve l'assassin et se fend la poire dans son bureau marronnasse avec son brave sous-fifre. Je contournai le cinéma par l'arrière, pénétrai sur l'îlot, sinistre avec ses monstres de fer, sa voie ferrée avortée, ses tours aux vitres brisées... j'avançais péniblement dans les ornières, et trébuchais sur des barbelés, la main crispée sur le tuyau de ma pipe... je crus voir à 20m de moi, au bord de l'Ill, une silhouette furtive drapée dans une parka satinée... je jetai un cri d'alerte, me mis à courir et soudain, douleur intense à la tête, le noir, la chute... Lorsque je repris conscience, j'étais couché à l'arrière de mon combi, avec dans ma main droite, ma tète, affublée d'une migraine atroce et d'une vilaine plaie au cuir chevelu, et dans l'autre, un livre : «La Grande Bibliothèque» d'Hubert Bari. 8 / 160 En attendant Modo Chapitre 3 Chapitre de Lancelot-du-lac se déroulant à Genève Alfred Bogué, suite à son agression dans ce parking de Strasbourg, a été retrouvé inanimé par un passant qui a assisté impuissant à la scène. Il l'a transporté à l'hôpital. Heureusement que la blessure n'est pas bien grave. Il en est ressorti peu de temps après avec un petit pansement sur la tête. Néanmoins le passant a relevé que la voiture dans laquelle Voix-de-Velours a pris la fuite portait un autocollant CH, qui signifie "Confédération helvétique". Les plaques minéralogiques commencent par deux lettres: GE, suivies par des chiffres. "Les chiffres je ne m'en suis pas rappelé": disait-il à Bogué. GE pour Genève. Ce détail correspondait aux éléments fournis par son commanditaire: Modo était témoin involontaire dans une affaire de blanchiment d'argent par la Mafia italienne. Et Genève devrait être un des centres de recyclage des fonds provenant de ce trafic illégal. Sur ces faits, Alfred Bogué saute dans sa combi VW pour aller à Genève. Après avoir passé le pont de l'Europe, il transite d'abord par l'Allemagne avant d'arriver en Suisse à Bâle. Il traverse successivement les villes de Berne, Lausanne et enfin après un peu plus de 400 bornes, il arrive à Genève tard dans la soirée. Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour débarquer à l'hôtel Cornavin où il loue une chambre. Le temps de prendre un bon repas et une douche bien chaude, il se met au lit, crevé par la fatigue du voyage et des événements. Le lendemain il sort son labtob pour relever son courrier électronique. L'inconnue lui a envoyé un emel avec des informations complémentaires. Modo a été témoin malgré lui d'une scène de racket au moment de son passage à Strasbourg. De nature curieuse, et ayant dans les veines du sang chevaleresque, il s'obstine à vouloir mettre au grand jour ce circuit illégal. L'enquête de Modo l'a amené à Niederschaeffolsheim, petit bled perdu dans la campagne alsacienne. Il y a fait connaissance d'un certain Pedro de la Castagna, à l'hôtel restaurant le Boeuf Rouge. Au moment de la rencontre, de la Castagna était venu dans la région pour "affaires". Citoyen italien établi en Suisse depuis de nombreuses années, patron d'une société fiduciaire travaillant en réseau avec une étude d'avocats et une banque d'affaires, de la Castagna est spécialiste de l'évasion fiscale. Sous couverture de multiples sociétés écrans, destinées à brouiller les pistes des autorités fiscales du monde entier, l'argent provenant d'un commerce illicite transite tour à tour par différents paradis fiscaux (Bahamas, Caymans, Liechtenstein, Panama,...) avant d'être rapatrié au pays d'origine où il dort 9 / 160 En attendant Modo tranquillement à l'abri d'une structure financière connue sous forme de trust ou fondation, dont les ADE (ayant-droit économiques) et fondés de procuration sont des honorables hommes de paille rémunérés pour la cause. Pour obtenir ces informations, Modo a dû se faire passer pour un richissime homme d'affaires, bavard et imbu de lui-même, cherchant des opportunités intéressantes pour soutirer sa fortune aux appétits de plus en plus croissants du fisc. L'inconnue a joint à son emel une photo de ce Pedro de la Castagna. Une information supplémentaire fournie par l'inconnue : Pedro de la Castagna a rendez-vous pour une transaction importante dans le courant de cet après-midi, dans une banque située dans le quartier de l'église russe à Genève. La raison sociale de la banque impliquée s'apparente à une pierre précieuse, la plus brillante et la plus dure de toutes, le plus souvent incolore. Pas de détails supplémentaires, l'inconnue n'étant sûrement pas une initiée du monde bancaire. Bogué se présente sans tarder au Registre du Commerce genevois pour avoir des renseignements concernant une banque répondant à ce signalement. Grâce à la gentillesse de l'employée qui l'a reçu au guichet, il obtient la raison sociale de cet établissement et même son adresse en prime. Puis, sans perdre de temps, il s'y rend pour faire le guet. Trouvant facilement une place de parc à proximité immédiate de la banque, il se met à bourrer sa pipe d'Amsterdamer et fume par petites bouffées en attendant la suite des événements. Il est 13h. Comme les heures de fermeture se situent entre midi et 14h, il y a de fortes chances que ce rendez-vous ait lieu plus tard. Ne voulant pas trop attirer l'attention sur lui, il ne va pas non plus se faire remarquer en entrant dans la banque pour demander les horaires d'ouverture. Extérieurement la banque passe inaperçue au milieu des autres immeubles anodins qui l'entourent. Située en plein dans une rue où pullulent les études d'avocats les plus illustres de Genève, elle s'apparente plutôt à un hôtel particulier assez modeste. Seule une plaquette dorée révèle une activité hautement financière. A gauche, une autre plaquette dorée indique le numéro de l'adresse. Il n'y a pas trop d'allées et venues devant l'entrée de la banque, ce qui facilite ses observations. Des gens qui entrent en courant. Sûrement des employés revenant de déjeuner. Mais aucun n'en sort. Puis le regard du détective privé est attiré par une Porsche rouge qui ralentit à l'approche de l'immeuble surveillé. Après s'être enfin arrêté, le conducteur descend de la voiture. Selon la photo que Bogué a vue, c'est bien de la Castagna. en chair et en os. 10 / 160 En attendant Modo Un petit klaxon retentit au loin, l'Italien se tourne vers une voiture, une Peugeot 306 verte parquant au loin. Deux courts appels de phares qui devraient être un signal de reconnaissance. De la Castagna s'y dirige, monte dans la 306. S'ensuit une petite discussion, puis l'Italien sort de la voiture avec une mallette et pénètre dans la banque. Tout de suite après, l'inconnu de la Peugeot 306 démarr en trombe et quitte le quartier. Une heure plus tard, de la Castagna sortit de la banque avec un bouquin dans la main gauche. Sans changer de trottoir, il remonta la rue en direction de l'église russe. Il s'arrêta devant l'immeuble se situant deux numéros de rue plus loin, regarda autour de lui pour s'assurer qu'il n'était pas suivi et que personne ne le regardait, puis sortit de sa poche un cornet en plastique dans lequel il glissa le bouquin. Puis il posa le tout derrière la grille qui séparait les marches d'escalier des plantes vertes poussant devant l'entrée. Son acte accompli, il sauta dans sa voiture puis quitta le quartier. Relevant son col le détective privé sortit de sa combi et se dirigea vers cet immeuble pour récupérer le livre. Que pouvait-il bien renfermer ? Une piste menant à Modo ? Ne pouvant retenir sa curiosité, le détective privé sort de sa combi, pipe à la main, puis se dirige à son tour au coin de la rue où se situe l'immeuble en question. Il s'arrête devant, jette furtivement un coup d'œil aux alentours, puis glisse sa main derrière la grille pour récupérer le fameux colis. Il s'avance au coin de la rue, sort le bouquin de son cornet en plastique et examine attentivement son contenu. Un post-it était collé sur la première page avec la phrase suivante, écrite au stylo bille et à la main: "RDV place Wilson à Toulouse dans deux jours pour la suite..." Pour ne pas éveiller les soupçons des mafioso, il remit le bouquin avec son post-it dans le cornet et laissa le tout à la même place qu'avant. "La place Wilson à Toulouse ?" marmonna Bogué. "Cette place me dit quelque chose. Ah ! Mais bien sûr, puisque cette place est célèbre pour être un lieu de trafic de drogue à Toulouse." Voilà qui explique tout. "Bon bon" se dit-il, "en route pour Toulouse. Ca me fait du bien de quitter cette terre helvète enneigée et glaciale." Toutefois, avant de reprendre la route, il passa dans un grand magasin pour acheter des chocolats suisses à sa dulcinée : se rappelant que le tabac en Suisse est meilleur marché qu'en France, il en profita aussi pour faire quelques réserves d'Amsterdamer pour la route. Sans oublier, bien naturellement, de bien remplir son réservoir d'essence. Et voilà ! En route pour Toulouse. 11 / 160 En attendant Modo Chapitre 4 Chapitre de Badral se déroulant à Toulouse N.B : Si vous voulez résoudre l'énigme de vous même, arrêtez votre lecture à la fin de la conversation téléphonique. La suite vous amène petit à petit à la solution. Toulouse, place Wilson. En regardant autour de lui, Bogué pouvait voir tous les petits détails, invisibles aux yeux du commun des mortels, qui ne le trompaient pas lui, le professionnel. Comme il l'avait pensé au départ de Genève, il se trouvait bien sur le lieu du trafic de drogue toulousain. La présence policière plus ou moins discrète en témoignait. Il y avait ce petit éclat lumineux au deuxième étage de l'immeuble en face de lui, reflet de la lentille de la caméra plantée là par les flics en planque, ou cet employé municipal, un peu trop zélé pour être vrai, qui était en train de ratisser les feuilles du square Goudouli à l'aide d'un râteau flambant neuf au lieu du vieux balai à gazon réglementaire. Sans oublier le fourgon blanc censé être là incognito qui stationnait autour de la place. Nul doute qu'une partie de l'argent blanchi à Genève provenait d'ici. Cependant tout cela ne lui disait pas ce qu'il devait faire maintenant, ni qui il attendait. Allait-il enfin trouver Modo et arrêter son petit tour d'Europe ? Son combi Wolkswagen avait beau être confortable, il aurait préféré se poser devant un bon match de foot plutôt que de tester toutes les routes de France et de Navarre derrière son volant. Son téléphone portable sonna. Sans consulter le numéro affiché, seules les personnes importantes possédant le numéro, il décrocha. - Bogué. - C'est moi. Où êtes vous ? Ah cette voix... Bogué aurait donné cher pour voir si le plumage était aussi beau et sexy que le ramage. - Je suis à Toulouse. - A Toulouse ? Que faites-vous là bas ? Puis-je me permettre de vous rappeler que je vous paye, et assez cher, pour retrouver quelqu'un ? Jolie voix mais un peu agressive... Sans lui laisser le temps de répondre, elle enchaîna. - Bon, j'ai des infos pour vous. J'envoie quelqu'un à votre rencontre pour vous les donner. Est-ce que vous avez de quoi noter ? - Toujours. - Où êtes vous exactement à Toulouse ? 12 / 160 En attendant Modo - Place Wilson. - D'accord... Laissez moi réfléchir... Oui, c'est ça. Prenez le bus et descendez à l'arrêt Assalit. De là, entrez par la porte de Caillibens et rendez vous section 2 division 11 près de Sainte Héléna. A plus tard. - Eh attendez ! Trop tard elle avait raccroché. Si elle lui en avait laissé le temps, il aurait pu expliquer que son combi était plutôt bien équipé ; qu'il suffisait donc de lui faxer ou de lui envoyer par mail les infos, plutôt que de l'envoyer une fois de plus à l'aventure. D'autant qu'elle était bien gentille, mais il ne savait pas quel bus il devait prendre, ni où il devait aller. Il ne lui restait plus qu'à prouver qu'elle ne le payait pas pour rien et qu'il était le meilleur dans sa profession. Il relut attentivement le bout de papier sur lequel il avait noté les indications. Pour commencer, il avait donc un nom d'arrêt de bus mais pas le numéro du bus correspondant. Deux solutions s'offraient donc à lui : demander de l'aide à un employé du réseau de bus ou espérer qu'il existait un site Internet du réseau toulousain. La deuxième solution semblait être la meilleure. En effet, il avait beau regarder autour de lui il ne voyait pas de guichet d'information des bus ou métro ; juste des grilles annonçant que bientôt la deuxième ligne de métro passerait par là et que la place Wilson serait toute rénovée. Il se dirigea donc vers le boulevard de Strasbourg en direction du parking Jean Jaurès où il avait garé son combi. Alors qu'il descendait les marches de l'entrée du parking, il manqua de bousculer un homme qui les montait trois par trois sans regarder devant lui. Sans même ralentir ou se retourner pour s'excuser, ce dernier finit son ascension et se dirigea vers la place que venait de quitter Bogué. Quelque chose dans son attitude lui était familière. Il n'arrivait pas à savoir où mais Bogué avait déjà vu cet homme... Cette démarche, ce visage... Bon sang mais c'est bien sûr ! Genève ! C'était l'homme qui avait remis l'argent à De la Castagna ! Bogué savait enfin qui la carte postale allait lui faire rencontrer. La piste de Genève allait peut être le mener à quelque chose plus vite que prévu. Seulement, il avait aussi ce rendez vous avec l'indic de sa cliente... Que devaitil faire ? Suivre l'inconnu ou aller au rendez vous fixé... Ce choix était d'autant plus dur que c'était elle qui tenait les cordons de la bourse. Elle pouvait à tout moment se passer de ses services, et lui couper les vivres. Surtout, si elle faisait ça, elle pouvait ensuite lui faire de la mauvaise publicité. Bogué n'aimait pas avoir de mauvais retours de clients. Il aimait qu'ils soient pleinement satisfaits. Il irait donc à ce rendez-vous. Il aurait toujours le temps de reprendre la piste des trafiquants si celle du rendez vous ne donnait rien. Après presque une heure de recherches sur Internet, Bogué pensait tenir la réponse à ses questions. Sur le site de la Tisséo-connex, l'entreprise chargée des transports en commun de l'agglomération toulousaine, il avait trouvé le numéro du bus qu'il devait prendre. Ce dernier passait justement à Jean Jaurès. Sur un autre site, il avait récolté de plus amples informations sur cette « sainte Héléna », jamais canonisée par un pape, mais devenue sainte à la suite d'une canonisation populaire spontanée des Toulousains. Il avait même trouvé sa 13 / 160 En attendant Modo photo sur http://www.jacobins.mairie-toulouse.fr/patrhist/photos/helena.jpg. Il ne lui restait plus qu'à se mettre en route. Bogué n'eut pas de mal à trouver la porte de Caillibens. Il lui fut cependant un peu plus difficile de trouver sainte Héléna. Une fois la porte passée, il alla tout droit. Sur sa droite il croisa la famille Courtois, fondatrice de la célèbre banque du même nom. Au bout du chemin il prit à gauche puis tout de suite à droite. Il longea le carré des sœurs et se retrouva devant l'imposant Armand Duportal qu'il contourna pour poursuivre son chemin. Là, sur sa droite il vit le résistant Marcel Langer et aperçut Héléna. Elle était seule. Bogué s'approcha d'elle et attendit quelques instants. Personne. Son rendez vous était-il en retard ou déjà reparti ? L'odeur des jonquilles, des tulipes et des autres fleurs lui donnait l'impression de se trouver dans un champ de fleurs. Il y en avait partout ; ainsi que des plaques remerciant Sainte Héléna. Bogué décida de faire une petite inspection pour regarder tout cela de plus près. Dans une petite niche fermée par une porte en plexiglas se trouvait des prospectus où était imprimée la prière à Sainte Héléna. Il n'osa pas en prendre. Pour les personnes qui venaient ici ce lieu était important. Pas pour lui mais, par respect, parce qu'il savait que le papier finirait à la poubelle, il n'ouvrit pas la porte. Par terre sous la niche se trouvait une plaque récemment posée là. Bogué s'agenouilla pour lire l'inscription qui disait «Merci sainte Héléna pour Hervé et Philippe. 01-2005». Juste derrière la plaque, il lui sembla voir quelque chose de coloré. Il tendit la main et en sorti un petit paquet plastifié. Non ! Pas encore... Un livre. Une chose était sûre. La personne avec qui il avait rendez vous était bien passée par là. 14 / 160 En attendant Modo Chapitre 5 Chapitre de mamoune se déroulant à Strasbourg En ce début d'année 2005, Alfred Bogué était en pleine dérive. Il venait de se prendre une sacrée claque dans sa vie privée, Paulette l'avait quitté ou plutôt lui avait demandé de partir, comme ça, sans préavis. Elle s'était, soi-disant, amourachée d'une sorte de rêveur, romantique, intellectuel et passionné de lecture. Tout le contraire de lui évidemment. De plus, ses affaires étaient au point mort, pas une seule petite enquête à se mettre sous la dent. A croire que tout le monde avait décidé de résoudre ses propres problèmes tout seul... pas même une minable filature pour un constat d'adultère! Il avait donc chargé ses affaires dans son minable combi-Wolkswagen et depuis un mois maintenant vivait dans son bureau tout aussi minable faubourg de Saverne à Strasbourg. Bon, tant qu'à faire, autant s'occuper de ses propres affaires : découvrir qui était le type qui était maintenant dans le lit de sa nana ! Discrètement il commença donc à surveiller les allées et venues de Paulette. Etrange ! elle avait l'air de vivre seule ! pas le moindre type dans les parages. Cela faisait maintenant deux semaines qu'il la filait et rien, rien de rien. Elle n'avait pas changé ses habitudes, elle se rendait au boulot, voyait ses copines pour un ciné ou pour un resto, continuait à aller à la piscine tous les vendredis ! Seul petit détail peut-être, elle se couchait assez tard. Par la fenêtre du bureau, il la voyait assise devant son ordinateur à pianoter sur son clavier d'une manière frénétique. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien fabriquer ? ? ? Elle ne s'était pourtant jamais trop préoccupée de cette machine-là qu'ils avaient achetée sur un coup de tête, un peu pour faire comme tout le monde. C'est l'outil du progrès paraît-il ! L'enthousiasme de la nouveauté n'avait duré qu'un temps et l'ordinateur restait éteint... maintenant qu'il y repense, il lui semble bien que Paulette avait même parlé d'arrêter l'abonnement d'internet prochainement ! Bref, Bogué n'avait toujours pas avancé sur «son» affaire «très privée». Il était en train de fumer en regardant, par la fenêtre de son bureau au 3ème étage, les gens pressés de rentrer chez eux après une bonne journée de travail, il était environ 18h30. Et là très surpris, il voit entrer Paulette au Troc-café, un bistrot fait de bric et broc, quasiment en face de son «chez lui». 15 / 160 En attendant Modo Ce troquet, il le connaît bien : il va y boire une bière très régulièrement. Pas du tout le genre d'endroit que fréquenterait Paulette, elle est plutôt salon de thé, elle déteste les endroits enfumés....il évitait même de fumer en sa présence! Qu'est-ce qui peut bien l'amener dans ce lieu à une heure où elle est déjà chez elle normalement ? Pas un instant à perdre, il tient peut-être enfin une piste. Il éteint toutes ses lumières, prend ses jumelles. Paulette semble un peu perdue au milieu du bistrot, elle a l'air de chercher quelqu'un, tiens! elle a un livre à la main ? ! Elle s'avance timidement vers l'endroit où sont déjà assises 5 ou 6 personnes, il y a des livres sur la table... ils lui font une place et l'accueillent chaleureusement apparemment. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Bogué n'y comprend rien! Plusieurs personnes viennent encore les rejoindre, ils ont tous des bouquins, ils ont tous plus ou moins l'air de se connaître ! Il y a plus de nanas que de mecs et Paulette n'a pas l'air d'être venue pour l'un deux. Elle leur adresse à peine la parole. Pendant une heure et demie, un va-et-vient de personnes qui se joignent au groupe, qui repartent. Enfin Paulette se lève à son tour. Vite, Bogué enfile son veston et la suit. Elle repart avec plusieurs bouquins et a l'air très contente, elle est seule, rentre seule et une fois de plus passe un long moment à pianoter sur son clavier. Le lendemain, mine de rien, Alfred Bogué va boire sa bière au comptoir du Troc-café. Parmi tout ce bric à brac, il n'avait jamais remarqué dans un coin cette étagère de livres; faut dire que les bouquins c'est pas trop son truc. «Tiens t'as des bouquins maintenant ?» demande Alfred à Georges le barman. «Ah oui t'avais pas remarqué ? ça fait déjà un moment, c'est un groupe de personnes qui ont établi leur PC, comme ils disent, chez moi. Ils se réunissent tous les premiers jeudis de chaque mois, ils passent aussi pour déposer des livres, d'autres passent les reprendre, ils en laissent aussi pour la clientèle, c'est assez sympa comme concept, un truc de livres qui voyagent !» lui répond Georges. Bogué va s'installer avec sa bière près de l'étagère et regarde de plus près. Tiens un Vargas... et collé sur le bouquin une étiquette avec un stupide logo de livre jaune avec des bras et des jambes ! ! ! Dans le livre, un numéro et l'adresse d'un site. Bogué finit sa bière, embarque le livre et se rend deux rues plus loin dans un cybercafé. Le Bookcrossing ? qu'est-ce que c'est que ce truc ? 16 / 160 En attendant Modo Après plus de trois heures devant la bécane, Alfred rentre chez lui pour faire le point. Paulette s'est inscrite dans une espèce de «secte à livres». Ces bookcorsaires, comme ils se nomment viennent de partout, il y en a dans toute la France et même dans le monde entier ! Hallucinant ce truc ! «Putain, je me suis fait doubler par un type virtuel qu'elle ne connaît même pas, saloperie d'internet» se dit Boqué ! Sur le forum, il est beaucoup question d'un certain Modo, bien sûr impossible de savoir qui est qui, même de savoir qui est un homme ou une femme, ils se cachent tous derrière des pseudos, tous plus débiles les uns que les autres ! ! quant à savoir d'où ils viennent, ils peuvent bien mettre ce qu'ils veulent ! Il n'a pas non plus réussi à reconnaître «sa» Paulette. Il avait pensé qu'elle prendrait le petit nom dont il usait quand ils n'étaient que tous les deux : poulette ! mais non, point de poulette. Il y a une pouniète, une pitoune, une fripounette...mais ça ne colle pas avec sa poulette, quoi que... il allait peut-être bien s'inscrire comme nouveau membre pour infiltrer le réseau. Il avait remarqué qu'il y avait plein de «p'tits nouveaux» sur Strasbourg ces temps-ci, son inscription ne serait donc pas suspecte. Il tient enfin une piste. De plus un Mega Bookcrossing va être organisé dans peu de temps à Strasbourg, au parc de l'orangerie. Une organisation de pro ! Des bookcorsaires vont venir en masse et ils espèrent tous que le fameux Modo sera de la partie. Alfred Bogué se dit qu'il va faire d'une pierre deux coups, essayer lui aussi de découvrir qui est ce fameux Modo et en même temps dénicher qui est l'enfoiré qui fait rêver Paulette. Et si les deux ne faisait qu'un ? Bogué a pris comme pseudo «Bogard», et il a été accueilli sur le forum BC comme il se doit, plein de messages de bienvenue... et ceux de Strasbourg l'ont vivement invité à se joindre à eux pour la «grande messe» le fameux MBC ! ! ! ! Il a même «dragué» Paulette via les «private-messages» et celle-ci n'a même pas soupçonné un seul instant qui il était... il s'est bien marré ! ! Toujours est-il que cela lui a aussi permis d'apprendre que Paulette ne serait pas présente le 9 avril au MBC, sa soeur se marie ce jour là. Apparemment, se dit Bogué, je ne fais plus partie de la famille, je n'ai même pas eu de faire-part. Mais au moins je n'aurai pas besoin de sortir ma panoplie de camouflage pour me rendre au Megabookcrossing. Son enquête a bien avancé, il est de plus en plus persuadé que le fameux Modo est celui qui lui a piqué sa Paulette. En effet, celui-ci a annoncé sa venue à Strasbourg. 17 / 160 En attendant Modo «Je viendrai déposer quelques livres au parc et ailleurs...» a-t-il écrit sur le forum, «désolé de ne pas me joindre à vous pour le reste de la journée mais je suis invité à une autre fête, ne soyez pas trop déçu je vous laisserai un indice pour vous éclairer sur mon identité, cherchez bien». Il joue au malin ce Modo mais là, Bogué est sur son terrain et il est maintenant persuadé qu'il saura trouver, bien avant tous les autres bookcorsaires, qui se cache sous ce pseudo ridicule. 18 / 160 En attendant Modo Chapitre 6 Chapitre de mosava se déroulant à Valence Les baby-sitters Bogué n'avait jamais été aussi loin du but. Il était sûr maintenant qu'elle (Jessica, l'arlésienne, mémère : c'est comme vous voudrez) allait le faire devenir chèvre. Chez les Chinois, elle devait être du signe du serpent. Lui était cochon et c'est bien connu que les serpents font tourner les cochons en bourrique. Il en avait tellement marre de ces embrouilles. Combien de fois ces deux dernières semaines elle lui avait filé entre les doigts comme une anguille. Son combi, bourré de livres, n'avançait désormais qu'à moins de trente à l'heure, une véritable tortue. Il n'avait plus la place pour y dormir, même debout. Il était temps d'en finir. Ce n'est pas avec les trois sous qu'elle lui distillait au compte-gouttes pour payer ses honoraires qu'il allait faire fortune : même pas se payer une chambre d'hôtel, même pas un terrier pour le pauvre renard ! Son esprit fatigué repassait son plan en boucle. «La prochaine rencontre est à Valence, à quelques kilomètres de Barcelonne, dans un bar à tapas, il y a là une voyante extralucide, Madame Momo, qui pourra sans doute vous aider.» Elle avait même glissé une carte dans l'enveloppe. «Non mais qu'est ce qu'elle s'imagine, les clauses du contrat précisaient bien «en France ou en Navarre». Il n'a jamais été question de l'Espagne. -Et puis qu'est ce que je vais bien pouvoir faire des jumelles, qui sont aussi agitées que des puces ? -j'ai pas d'autorisation de sortie du territoire pour ces deux greluches. -Il faut que je dégote une baby-sitter et fissa!» Toutes ces pensées, ces questions, se bousculaient dans sa tête. La migraine était imminente. En plus il avait un début d'angine, une bronchite confirmée, son Hallux Valgus le faisait terriblement souffrir et puis il ne digérait pas les tapas, ça lui donnait des lourdeurs d'estomac insoutenables. Il avait apprécié les cannelés à Bordeaux, les saucisses à Strasbourg, les tabliers de sapeur à Lyon, il s'était enivré du parfum de la violette à Toulouse, 19 / 160 En attendant Modo s'était vêtu de dentelle à Calais, mais les jumelles n'avaient fait que des bêtises à Cambrai. Il fallait à tout prix les caser. D'ailleurs, avec leurs cheveux flamboyants, elles attiraient trop l'attention et il s'était bien rendu compte qu'on commençait à se méfier de lui. Il avait vu ça et là, au cours de son zigzagant périple, quelques affiches inquiétantes. À Paris il en avait arraché une, juste à temps, avant que l'attroupement qui se formait autour d'eux n'attire encore plus l'attention «Il faut, se dit-il, que je détermine des priorités». Il sortit de sa poche son petit calepin de molesquine (carnet légendaire qui accompagna les plus grands artistes et intellectuels de ces deux derniers siècles mais aussi bon nombre de sans talent, de sans grade, de ménagères de plus de 50 ans qui y notaient leurs listes de courses et leur plan de table, et de calamiteux détectives). Dans sa précipitation, il fit tomber le carnet noir et les innombrables annexes glissées entre les pages s'éparpillèrent sur le sol. Il s'accroupit, mais ses genoux lâchèrent et il se retrouva sur le cul, les lunettes brisées et les mains tendues vers le ciel. Un passant lui jeta quelques pièces et les jumelles se mirent à courir en ronde autour de lui. Elles hurlaient : «C'est un faux aveugle, c'est un faux aveugle!» Dans l'instant, les milliards de portables jaillirent de milliards de poches et la police reçut des milliards d'appels. Le central téléphonique sauta, un incendie se déclara. Aussitôt les agents télécom se mirent en grève, descendirent dans la rue, entraînant avec eux les postiers et les pompiers, les profs et leurs élèves, les infirmières et leurs patients, les cheminots et tous les voyageurs, les étudiants et les appariteurs, les ornithologues et les corbeaux, les psychopathes et les homéopathes, les dompteurs et les panthères, les pécheurs ê la ligne et leur pliant de toile, les matadors et les taureaux, des divas désaccordées, des dentistes avec des clés à molette, des glandeurs les mains dans les poches, des balais de sorcières, trois saxophones ténor, deux bookcrosseurs et un raton laveur. Profitant de cette pagaille qui tournait déjà à l'échauffourée, notre Alfred saisit les jumelles au collet, et s'esquiva aussi vite qu'il se peut, laissant là, sur les pavés déjà sanglants, veaux, vaches, cochons, carnet. Tout ce qu'il put sauver du naufrage fut une vieille carte de restaurant, au dos de laquelle sa sœur avait noté un numéro de téléphone pour la joindre en cas d'urgence. [Aparté : Sa sœur Germaine, qui n'était pas vraiment sa sœur mais sa cousine issue de germains, et pourtant sa vraie sœur de lait (ils avaient été nourris du lait de la même vache -qui ne s'appelait pas Germaine, mais Marguerite - et à laquelle ils étaient très attachés, vous pouvez le comprendre. Elle était morte quand ils 20 / 160 En attendant Modo étaient encore à la fleur de l'âge, dans d'affreuses souffrances, des suites d'une maladie qui l'avait rendue folle et ni l'un ni l'autre ne s'en étaient jamais remis), la frangine, donc, s'était amoureusement escapadée en Amérique du Sud avec un danseur de tango argentin sensuel, fatal et bovin qui lui rappelait sa chère nourrice, lui laissant sur les bras les jumelles, ses nièces issues de Germaine et du lait d'une vache). Vous me suivez? Les donzelles étaient deux infernales chieuses, mais il s'y était attaché car quand elles meuglaient, elles lui rappelaient de doux souvenirs d'enfance (leurs meuglements c'était sa madeleine, si vous voyez ce que je veux dire ? mais non, elles ne s'appelaient pas Madeleine, vous êtes bouchés ou quoi ?) Bon je peux vous le dire, elles portaient respectivement les beaux et doux noms de Charybde et Scylla. Leur histoire est une autre histoire (celle peut-être du 60ème moisiversaire des 24H du Bookcrossing). Mais pour les plus curieux je vais dévoiler leur destin : Charybde termina une brillante carrière comme «encoquilleuse d'escargots» dans une grande société multinationale et Scylla, moins ambitieuse et moins chanceuse finit sa vie, hétaïre avinée, dans un bordel de Vera Cruz. Fin de l'aparté : revenons à nos ovins (ou nos bovins, je sais plus)] Essoufflés et suants, ils finirent par rejoindre le combi qui pendant leur absence avait été réquisitionné par le clergé et squatté par une assemblée de pingouines, religieuses et mystiques, qui partait ce jour-là faire le tour des grands pèlerinages mondiaux : Lourdes, Paray le Monial, Fatima, Saint-Trond, La Mecque, Kumbh Mela (organisé, vous l'avez deviné, par un tour-opérateur œcuménique dont je ne citerai pas le nom : on a dit « pas de pub ») Ces femelles au grand cœur s'attendrirent devant sa détresse et lui proposèrent de prendre les jumelles avec elles. Elles lui donnèrent une splendide paire de chaussures bénies pour continuer son voyage. Alfred était ravi de laisser ses chères nièces en d'aussi bonnes mains, mais soudain il percuta : «-Mais les livres qu'en avez-vous fait ? -Oh ! Les livres? Eh, bien,... Euh ! Voilà, euh! Une femme est passée, on lui aurait donné le bon Dieu sans confession, mais elle nous a menacées. Je m'appelle Damned qu'elle a dit, ces livres sont à moi, si vous ne me les remettez pas sur le champ, vous serez damnées vous aussi et pour l'éternité. Vous pensez si on a obtempéré. Mais on est pas tombées de la dernière pluie et on a exigé un reçu. Le voici.» 21 / 160 En attendant Modo Alfred prit le papier, couvrit les deux enfants de bisous bien baveux, pinça à la volée des seins et des fesses, et sous les cris d'excitation et de plaisir des nonnes rougissantes et remerciant le ciel de ce vibrant hommage, partit la queue plus vraiment basse mais le moral en berne. Une heure plus tard, dans une gare désertée (rappelez-vous, c'était la grève), Alfred gratta ses fonds de poche, essayant d'y trouver quelques brins de tabac pour se rouler un clopot. Il trouva quelques miettes Du gris, que l'on prend dans ses doigts Et qu'on roule C'est fort, c'est acre, comme du bois, Ça vous soûle. C'est bon et ça vous laisse un goût Presque louche De sang, d'amour et de dégoût, Dans la bouche. le reçu de la femme damnée qu'il avait l'intention de recycler en papier à rouler, et la carte du restaurant avec le numéro de téléphone de sa sœur (qui n'était pas vraiment sa sœur...Ah ouais, je vous l'ai déjà raconté). Il retourna la carte de visite et là tout fut illuminé. «Bon sang, mais c'est bien sûr, Le Barcelonne, avec 2 N, c'était pas celui de Pepe Carvalho, c'était celui de la Drôme, celui où nounou Marguerite était née, celui ou nous passâmes de si belle vacances (ici, on se doit d'avoir quelques larmes d'émotion ou du moins un sourire attendri et bienveillant : c'est un sentimental le Fredo). C'était un bel après-midi d'avril (mai n'était plus très loin), Arsène le monte en l'air (pardon je me trompe d'histoire, je reprends) Alfred le pouce en l'air, sur le bord de la route prit la direction de Valence, pour un bar à tapas où il espérait enfin retrouver Jessica, l'arlésienne, mémère : c'est comme vous voudrez. Il chantonnait, De toutes les routes de France d'Europe Celle que j'préfère est celle qui conduit En auto ou en auto-stop Vers les rivages du Midi Nationale Sept 22 / 160 En attendant Modo Il faut la prendre qu'on aille à Rome à Sète Que l'on soit deux trois quatre cinq six ou sept C'est une route qui fait recette Route des vacances Qui traverse la Bourgogne et la Provence Qui fait d'Paris un p'tit faubourg d'Valence Et la banlieue d'Saint-Paul de Vence Mais les voitures lui filaient sous le nez sans jamais s'arrêter. Il commençait à désespérer, quand une camionnette stoppa enfin devant lui. C'était le plombier qui partait sur Valence (justement ça m'arrange) avec sa blonde à son côté. «Montez derrière, vous trouverez bien un coin ou vous asseoir !» Et c'est ainsi qu'Alfred arriva dans la bonne ville de Valence, capitale du Rhône moyen, du Suisse, et des travaux urbains, assis sur un bidet d'émail blanc et les pieds dans un bac à douche, le tout dans la luxueuse camionnette estampillée Ernest Des Bouchetou Plombier des stars. Il était l'heure de l'apéro, Alfred se dirigea vers le bar, il y entra l'œil aux aguets. Le bar était plein. Il demanda une place à une table où étaient déjà installés un clone de Che Guevara, un de Fidel Castro et celui de l'indien Hatuey qui lui glissa à l'oreille : «- C'est toi le privé - je sais plus très bien qui je suis à ce jour. - mais tu t'appelles bien Alfred, Alfred Bogué. - il parait, mais depuis quelques temps je préférerais me nommer Bond, James Bond - C'est ton problème. Tiens une femme a laissé ça pour toi.» Il lui tendit un livre, dont le titre lui rappela sa sœur (enfin, ce n'était pas vraiment sa sœur...etc... Qui a dit que je rabâche ?) et il se mit à pleurer. C'est alors que mosava, «qui passait par là comme elle passe partout» entra, le prit dans ses bras, sécha ses larmes, «cassa l'assiette et mangea la pomme» et l'entraîna jusqu'au kiosque à musique où tous les deux, bercés par les 23 / 160 En attendant Modo sensuelles mélodies jouées par un orphéon en délire, échangèrent leurs maigres informations sur le modo. Les indices contenus dans le livre, c'était vraiment pas grand chose. Le casse tête était de plus en plus hermétique. Dépités, presque désespérés, ils se consolèrent dans un langoureux tango. La nuit ne faisait que commencer..., et ce fut « le mystère de la chambre jaune » De cette folle nuit d'amour, vous ne saurez rien : ici s'applique l'auto censure Merci à Jacques Prévert, Berthe Silva, Charles Trenet, Le Chameau, AnneSophie Pic, Che Guevara, Fidel Castro, le Grand chef Hatuey, Ian Fleming, Raymond Peynet, Gaston Leroux, Andras et Damned-marcel, pour leur contribution (même si elle est involontaire et irrespectueusement détournée) Fatal tango Nozière Jean-Paul.- SEUIL, 2002.- (POINTS POLICIER) Slimane Rahali n'a pas de chance. Bogart, son chien adoptif a de l'eczéma. Lui, cultive son mal à l'âme dans un campement de forains. Et, une nouvelle enquête commence. Qui a tué Emile, l'accordéoniste ? Dans un coin reculé du Jura, il découvre la bien curieuse famille Zonca : la mère, dans son fauteuil roulant, pas plus infirme qu'un coureur de marathon, Fleur, la fille aussi prompte à se dévêtir qu'à tirer à la carabine, et les trois frères, sortis tout droit d'un cauchemar. Slimane s'en sortira. Mais, sans l'aide de Lili Boniche et de sa musique guimauve, ses recherches étaient bien mal parties. Jean-Paul Nozière est né en 1943. Il est aujourd'hui documentaliste après avoir enseigné neuf ans l'histoire et la géographie. Il adore dire qu'il habite un "trou" à la campagne qu'il aime et qu'il déteste. Loin des villes, il est l'écrivain des champs, passant d'un sujet à l'autre avec le même entrain qu'il met à passer de son vélo à sa moto. C'est somme toute un homme tranquille. Mais gare aux apparences. Toute sa violence cachée s'exprime dans ses romans policiers. Il a publié une vingtaine de romans et poursuit son œuvre du côté d'Is-sur-Tille ; l'ensemble de son œuvre a été couronné par le prix des Salons Brive-Montréal en 1993. Le mystère de la chambre jaune Leroux Gaston, Jaubert Alain, Fieschi Hélène.- GALLIMARD (FOLIO PLUS) 24 / 160 En attendant Modo Chapitre 7 Chapitre de mosava se déroulant à Domont LA DEPRIME Mon enquête piétinait. Ça faisait des lustres que je sillonnais la France du nord au sud et d'est en ouest, à la recherche d'un individu qu'on nommait « Le Modo » et tout ça pour des plosses. J'étais épuisé. C'était un mercredi, pas le mercredi 5 janvier, jour sacré pour certains, mais le quelconque mercredi d'un printemps complètement pourrave et pour moi mercredi de repos accordé par mézigue à mézigue. J'avais besoin de me reprendre, de faire le point, de réfléchir. Mais c'est en vain que j'essayais d'activer mes méninges. Quand on n'a pas le neurone véloce de naissance, on a beau faire, c'est peine perdue. (C'est vrai quoi, je m'appelle Alfred d'accord, mais pas Alfred Nobel seulement Alfred Bogué. Freddo pour les amis et Freddy pour les dames). Donc depuis des plombes, je repassais le film des événements dans ma tête, essayant de trouver des connexions, des similitudes, de recouper les coïncidences. RIEN. Alors je laissais le vague m'envahir l'âme et j'étais là, dans mon fauteuil, pelotonné dans mon ennui et dans mon désespoir, quand le téléphone sonna. Je décrochai, trop content d'avoir peut-être quelqu'un à qui parler et me confier peut-être. - mgrrrra, mgrrrroue, mgrrrred, susurra une voix caverneuse. - mais qui demandez-vous ? On répéta - mgrrrra, mgrrrroue, mgrrrred Et je crus entendre : - T'as l'bonjour d'Alfred. Et puis, après un long silence, on raccrocha. J'ai rien compris. Alfred c'est moi ! j'suis pas Musset, j'suis pas Vigny, j'suis pas Jarry, je suis Bogué, et complètement bogué je le crains. Après un moment d'intense réflexion je décidai que c'était une erreur, une énième coïncidence et je retombai dans ma torpeur. J'allais presque m'endormir quand la sonnerie retentit à nouveau. Je tendis le bras, attrapai le récepteur. 25 / 160 En attendant Modo - Allo ! -.......... - Allo ! -......... - ALLO ! -......... Rageur, je reposai le combiné et je me levai pour prendre une mousse dans le fridge. Putain d'frigo : c'était vraiment l'désert. Rien qu'une vieille boîte de lait qui avait eu tout son temps pour tourner depuis que les jumelles n'étaient plus avec moi... A la pensée de ces deux chères têtes rouges, mon cœur se tordit de douleur. Bien sûr, elles m'en avaient fait voir les coquines, mais elles me manquaient terriblement. Tout était vide, ma vie, mes poches, ma tête et comble de l'horreur, le pot de Nutella aussi. Alors, malgré tous mes efforts pour essayer de perdre de vue cette triste réalité, je compris enfin que j'étais dans la merde. Je retournai m'affaler dans mon fauteuil défoncé, complètement traumat. Par trois fois encore le téléphone sonna avec toujours la même rengaine. Je veux dire cet horrible silence, ce vide menaçant, cet effroyable néant. Pour la première fois de ma vie j'avais les chocottes. Je psalmodiais : résister à l'angoisse, résister à l'angoisse... Mais l'abîme était vertigineux et je me sentais vraiment tomber au fond du trou. Soudain on frappa furieusement à la porte. Mon sang se glaça, une froide sueur coula je long de mon dos. La gorge serrée et l'œil hagard, je scrutai par le judas le palier de l'appartement. Ce n'était que la concierge, une vioque acariâtre, qui se tenait là, les lèvres pincées, le cheveu gras et les bas tirebouchonnés sur ses chevilles épaisses. Elle tenait à la main une enveloppe bleue du style que je commençais à bien connaître. J'ouvris la porte et elle se mit à me gueuler dessus. «-Ça doit bien faire dix fois que j'essaye de vous joindre. Il faut le faire réparer votre bigo s'il est en dérangement. M'obliger à grimper six étages, à mon âge, avec ma phlébite parce que Mossieu ne peut même pas se déranger pour venir prendre un pli urgent et que Mossieu le radin me filera même pas trois balles pour les étrennes.» Je lui arrachai le papier et claquai la porte, maudissant cette harpie (et France Telecom par la même occasion) jusqu'à la vingtième génération, mais soulagé 26 / 160 En attendant Modo quand même que ce que j'avais pris pour un odieux et dangereux harcèlement, une terrible menace, ne fût qu'une panne sur ma ligne. Je retournai m'asseoir pour ouvrir le bifton. Je savais d'où ça venait : même papier parfumé, même encre noire, même écriture pointue. Pour sûr c'était elle, la mystérieuse, l'inquiétante mais supposée belle inconnue qui m'avait commandé cette foutue enquête. Qu'avait-elle encore inventé ? Quelques lignes apparemment tracées à la hâte. «Retour à la case départ, l'ami Jean-Claude vous attendra demain au Rallye et vous conduira vers moi, nous avons je crois beaucoup de choses à nous dire» Suivait une sorte de code : F01O34S68S46E45S L'espoir, bien que ténu, de rencontrer enfin celle qui me promenait depuis belle lurette me fit sauter dans mes baskets et oublier un moment ma déprime. Cette fois sera peut-être la bonne. Je me hâtai vers mon rancard mais Comme d'habitude, ma Jessica Rabbit me posa un lapin Comme d'habitude je me retrouve Le bec dans l'eau, comme d'habituuuuuude Et Comme d'habitude je suis en retard Comme d'habitude tout est gris dehors J'ai froid, je relève mon col, et je repars chez moi, comme d'habituuuuuude Mais de retour j'ai laborieusement (comme d'habitude) déchiffré le code. Et je vous jure que, comme d'habitude, je n'ai pas du tout l'intention de lâcher le morceau parce que, parce que parce que : “Yes it is my way” 27 / 160 En attendant Modo Chapitre 8 Chapitre de mosava se déroulant à Paris La petite femme de Monsieur Bogué Texte librement adapté Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Momo ! Comment ! On t'offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l'aplomb de refuser... Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce jean troué, ces baskets en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà pourtant où t'a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t'ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du Bookcrossing... Est-ce que tu n'as pas honte, à la fin ? Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! Fais-toi chroniqueur ! Tu gagneras de beaux euros à la rose, tu auras ton couvert à La Tour d'argent, et tu pourras te montrer les jours de première avec une médaille de Chevalier des Arts et des Lettres à la boutonnière. Non ? Tu ne veux pas ?... Tu prétends rester libre à ta guise jusqu'au bout... Eh bien, écoute un peu l'histoire de la femme d'Alfred Bogué. Tu verras ce que l'on gagne à vouloir vivre libre Alfred Bogué n'avait jamais eu de bonheur avec ses femmes. Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles allumaient un micro, se loguaient sur le forum, et là, le Modo les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du Modo, rien ne les retenait. C'était, paraît-il, des femmes indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. Le brave Bogué, qui ne comprenait rien au caractère de ses mignonnes, était consterné. Il disait : - C'est fini ; les donzelles s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une. Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six femmes de la même manière, il en épousa une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât à demeurer chez lui. Ah ! Momo, qu'elle était jolie la petite épouse d'Alfred Bogué ! Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa bouche en cœur, ses oreilles comme des coquillages, son nez mutin et ses longs cheveux blonds qui lui faisaient une houppelande! C'était presque aussi charmant que le «Printemps »de Botticelli, tu te rappelles, Momo ? - et puis, docile, caressante, se laissant câliner sans bouger, prenant son pied sans écuelle. Un amour de promise... Bogué avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est là qu'il mit sa nouvelle compagne. 28 / 160 En attendant Modo Il installa un hamac, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de papier et de crayons, et de temps en temps, il venait voir si elle était bien. La belle se trouvait très heureuse et écrivait et dessinait de si bon cœur que Bogué était ravi. Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi ! Bogué se trompait, sa Chérie s'ennuya. Un jour, elle se dit en regardant l'écran qui scintillait dans le bureau de Bogué : - Comme ça doit être bien d'écrire là ! Quel plaisir de surfer sur le net sans contrôle parental qui vous bride !... C'est bon pour les minots de dessiner des petits Mickeys et des coquelicots !... nous autres femmes, il nous faut du large.. À partir de ce moment, les fleurs du clos lui parurent fades. L'ennui lui vint. Elle maigrit, son sourire se fit rare. C'était pitié de la voir lorgner tout le jour ce maudit écran, la tête tournée du côté du bureau, l'œil larmoyant, en disant « S'il vous plait ».!... tristement. Bogué s'apercevait bien que sa dulcinée avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était... Un matin, comme il achevait de brosser ses cheveux, la petite se retourna et lui dit dans son patois : - Écoutez, Alfred, je me languis chez vous, laissez-moi aller jusqu'au cyber café. - Ah ! Mon Dieu !... Elle aussi ! cria Bogué stupéfait, et du coup il laissa tomber la brosse ; puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa douce : - Comment, Blondie, tu veux me quitter ! Et Blondie répondit : - Oui, monsieur Bogué. - Qu'est-ce qu'il te manque ici - Oh ! Rien ! Monsieur Bogué - Tu n'as peut-être pas assez de papier, de crayons, veux-tu que je t'achète des aquarelles ? - Ce n'est pas la peine, monsieur Bogué. - Alors, qu'est-ce qu'il te faut ? Qu'est-ce que tu veux ? - Je veux aller sur le forum, monsieur Bogué. - Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le Modo sur le forum... Que ferastu quand il t'interpellera ?... - Je lui répondrai du tac au tac, monsieur Bogué. 29 / 160 En attendant Modo - Le Modo se moque bien de tes répliques. Il m'a démonté des pipelettes avec une langue mieux pendue que la tienne... Tu sais bien, la pauvre vieille Renacle03 qui était ici l'an dernier ? Une maîtresse femme, forte et méchante comme une teigne. Elle a débattu avec le Modo toute la nuit... puis, le matin, le Modo lui a définitivement cloué le bec. - Pécaïre ! Pauvre Renacle03 !... Ça ne fait rien, monsieur Bogué, laissez-moi aller sur le forum. - Bonté divine !... dit Bogué ; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à mes femmes ? Encore une que le Modo va me manger... Eh bien, non... je te sauverai malgré toi, coquine ! Et de peur que tu ne te sauves, je vais t'enfermer dans ta chambre et tu y resteras toujours. Là-dessus, Bogué emporta la jeunette dans une chambre sans modem, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s'en alla vers la capitale...Tu ris, Momo ? Parbleu ! Je crois bien ; tu es du parti des femmes, toi, contre ce bon Bogué... Nous allons voir si tu riras tout à l'heure. Quand «Blondie» arriva sur le forum, ce fut un ravissement général. Jamais les corsaires n'avaient rien lu d'aussi charmant. On la reçut comme une petite reine. Les vieux routards lui faisaient moult compliments pour la caresser du bout de leur verve. Les petits nouveaux l'accueillaient avec une gentillesse devenue depuis légendaire. Tout le forum lui fit fête. - Tu penses, Momo, si notre mignonne était heureuse ! Plus de papier, plus de crayons... rien qui l'empêchât de surfer, de s'exprimer à sa guise... C'est là qu'il y en avait des threads ! Des pages entières, mon cher!... Et dans quels styles! Savoureux, fins, ciselés, écrits de mille mots plaisants... C'était bien autre chose que les phrases laconiques de ce vieux Bogué. Et des poèmes donc !... Des textes de belles chansons dans «Music is life», des extraits de musiques envoûtantes dans «un, deux, trois... soleil», des livres à découvrir dans «Phrase relais», et mille autres belles choses. Tout ça comme une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !... La douce enfant, à moitié soûle de plaisir, se vautrait là-dedans les doigts en l'air au-dessus du clavier et dévidait sa prose le long des threads, pêle-mêle avec Blueorange, Themiramis, Nanisette... Puis, tout à coup, elle en ouvrait un nouveau et puis un autre encore, suivant son inspiration. Hop ! La voilà partie, la tête en avant, DoubleArticpiqué, TripleArticpiqué tantôt ici, tantôt là, en haut, en bas, partout... On aurait dit qu'il y avait dix «Blondie» sur le forum. C'est qu'elle n'avait peur de rien «Blondie». Elle franchissait d'un DAP de hautes PAL qui s'écroulaient au passage dans un joyeux charivalivres. 30 / 160 En attendant Modo Alors, toute émoustillée, elle allait sur le wiki élaborer quelques nouvelle pages... Une fois, consultant «L'album de famille», elle aperçut par hasard (qui l'avait mise là), la maison de Bogué avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes. - Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ? Vive Paris la grande ville et ces cyber-cafés. Pauvrette ! De se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde... En somme, ce fut une bonne journée pour la fiancée de Bogué. Vers le milieu du jour, en allant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de corsaires mâles en train de discuter dans un bar de la rue Saint-Denis «Le Petit Châtelet». Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la table, et tous ces messieurs furent très galants... Il paraît même, - ceci doit rester entre nous, Momo, - qu'un jeune corsaire eut la bonne fortune de plaire à Blondie. Les deux amoureux s'égarèrent une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu'ils se dirent, va le demander aux fontaines bavardes qui coulent dans les espaces verts de Paris. Quand elle revint guillerette sur le forum c'était le soir et tous peu à peu se déloguaient. - Déjà ! dit Blondie ; et elle fut fort étonnée. Bogué inscrit en catastrophe sur ce même forum, ouvrait un à un tous les threads pour essayer de retrouver son amante. Dans un reste d'euphorie Blondie négligea de répondre, mais en même temps elle se sentit l'âme toute triste... une ombre la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit... Puis ce fut un hurlement sur le forum: - HOU ! HOU ! Elle pensa au Modo ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé... Au même moment un ultime thread s'ouvrit. C'était ce bon Bogué qui tentait un dernier appel. - Hou ! Hou !... faisait le Modo. - REVIENS ! REVIENS !... criait Bogué. Blondie eut envie de revenir ; mais en se rappelant le papier, les crayons, la boîte d'aquarelle, les humbles fleurs des champs et la chambre sans modem elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester. Le thread de Bogué était parti aux oubliettes... personne pour le remonter ! 31 / 160 En attendant Modo Blondie vit qu'elle était désormais seule. Elle ouvrit ce thread angoissant et comprit : C'était le Modo. Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite princesse et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le Modo ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment. - Ah ! Ha ! La petite fiancée de Bogué ! Et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou. Blondie se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renacle03, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, les yeux fixés sur l'écran et les doigts agités de spasmes au dessus du clavier, comme une brave épouse de Bogué qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le Modo, les ingénues ne tuent pas le Modo, - mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renacle03 Alors le monstre commença, et la petite naïve affûta ses phrases. Ah ! La brave enfante, elle y allait de bon cœur! Plus de dix fois, je ne mens pas, Momo, elle força le Modo à reculer pour retrouver l'inspiration. Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande relisait encore une fois toutes les gentillesses qu'on lui avait dit au long de la journée Cela dura toute la nuit. De temps en temps la petite madame Bogué regardait les chiffres de l'horloge qui défilaient inexorablement : 04:45, 04:46.... - Oh ! Pourvu que je tienne jusqu'à l'aube... L'une après l'autre, les secondes défilèrent. Blondie redoubla d'humour, de phrases spirituelles, le Modo de blagues vaseuses et lourdingues... Une lueur pâle parut dans commencèrent leur tournée. le carreau de la fenêtre... Les éboueurs Il est cinq heures, Paris s'éveille. - Enfin ! dit la pauvre innocente, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle lui laissa le dernier mot Alors le Modo se jeta sur la délicate jeune fille et la mangea. Adieu, Momo ! L'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos pays te parleront souvent de la pitchoune de moussu 32 / 160 En attendant Modo Séguin, que se battégue tonto la neui erré lou Modo, e piei lou matin lou Modo la mangé 1. Tu m'entends bien, Momo. 33 / 160 En attendant Modo Chapitre 9 Chapitre de da-chronic se déroulant à Paris - Rennes - La Rochelle Protection de l'Alfred oblige, je prenais soin de sortir chargé et de ce côté là comme Tintin fait confiance à Dupont et Dupond, je fais toujours confiance à Smith et Wesson. Je sortis de mon bureau et je traversai le parvis de Notre Dame pour retrouver la tigresse en question à une terrasse de café. En guise d'introduction, elle me dit : - Vous n'aviez pas mieux qu'un endroit puant le touriste pour nous rencontrer ? - Désolé ma belle, mais mon château est en rénovation en ce moment, même les cafards ont été obligés de prendre leurs RTT. Mais je ne crois pas que nous soyons ici pour parler du 1% patronal... Alors, vous voulez retrouver un certain Modo ? Vous avez au moins le début d'une queue de piste à me fournir ou bien je dois gratter moi-même ? - Bogué, vous allez avoir la queue du mickey. Vous avez un ordinateur ? - Moi non, mais j'ai des amis qui ont des amis qui en ont. C'est important pour vous que je sois informatisé ? - Plutôt, oui. Nous ne nous reverrons plus et nous ne fonctionnerons que par email à partir du moment où je vais quitter cet endroit. Voici l'adresse IP du fameux Modo l'un des nôtres a réussi à la retenir un soir où il est passé nous narguer sur le chat du wiki. Mon mail se trouve au dos de la carte. - Le chat du wik? Vous n'échangez pas que des livres vous faites dans l'animalier aussi ? - Décidément, je me demande si vous êtes la bonne personne. Les bookcrossers ont un site autogéré : le wiki, sur lequel ils peuvent se brancher pour parler en direct avec les autres connectés, ça s'appelle un chat. Au moment où un intervenant quitte la discussion, son adresse IP s'affiche un peu comme votre adresse postale; chaque personne ayant la sienne, vous avez maintenant entre vos mains la queue du mickey... Et maintenant prenez votre pelle et votre seau et retrouvez-le. - Vous avez regardé à l'intérieur de Notre Dame ? - Pardon ? - Vous avez une quasi adresse ? - Oui - Vous recherchez un Modo ? 34 / 160 En attendant Modo - Votre humour est nul, Bogué; j'espère juste que votre flair de détective soit à un niveau supérieur, adieu - Je ne sais pas si mon humour est nul, mais votre démarche m'inspire des idées lubriques. A bientôt. L'un des nôtres... une façon étonnante de parler d'une bande de zozos jouant à cache-cache avec des livres. Pourquoi vouloir retrouver ce gars ? En attendant, l'oseille dans ma poche me ferait le plus grand bien. Tout en remuant ma matière grise sur les motivations de la gazelle, je pris le chemin des Quais pour me rendre à la Concorde. Si une personne pouvait m'en apprendre plus sur l'adresse IP de ce Modo, mon ami Lucien, directeur informatique au quai d'Orsay pourrait m'aider. Tout petit déjà, et même plus grand plus tard, les puces et les trucs qui composent ces boîtes métalliques le passionnaient; alors, depuis le temps qu'il me disait de venir le voir, ça tombait bien. Il faisait beau et je m'arrêtai un moment pour regarder passer les ‘mouches' et ces cohortes de japonais vissées à leurs yeux de cyclope, lorsque je vis un gars sortir de derrière un arbre. Au début, je pensais à un pervers, je m'aperçus qu'il avait une sacoche, un livre en dépassait arborant le logo du livre en train de courir : un des leurs, sans aucun doute. - Excusez-moi... vous êtes un bookcrosser ? - Ouais mon gars, je suis en train de faire quelques lâchers. Un problème ? - Non pas vraiment. Vous êtes qui sur le forum ? - Qu'est ce que ça peut vous faire ? - Juste comme ça pour info. Je suis à la recherche d'un certain Modo... vous le connaissez ? - Modo ? Encore un faux pseudo d'une banane du forum. Un gars devait s'emmerder un après midi au bureau, alors il a eu l'idée de ce modérateur. F'ré mieux d'relâcher des livres, l'andouille. - Vous avez une idée de qui est derrière ? - Je suis un gars de Vanves moi, j'aime pas les poulets. Décidément les bookcrossers n'étaient pas des gens aimables. Après avoir montré au petit gars de Vanves les vertus pédagogiques d'un Smith et Wesson sur la tempe et avoir compris que son pseudo n'était pas Elj mais E.L.J, je fus bien obligé de me rendre à l'évidence : il ne savait pas qui était Modo. Je reprenais alors mon chemin vers la Concorde. Devant l'entrée du quai d'Orsay, un planton faisait la gard. Je me présentai à lui comme un représentant de la BSW Corp venu rendre visite à M. Lucien 35 / 160 En attendant Modo D'ardouère - Directeur Informatique. Le bougre se sentit obligé de me faire la conversation pendant que j'attendais Lucien. - Et vous faites dans quoi à la BSW Corp ? - Euh... Nous faisons dans le plomb, la Bogué Smith Wesson Corporation fait dans l'export en gros pour client unique. - Et vous trouvez toujours des clients ? - Les clients ne sont pas le problème, le problème, ce sont les contrôles douaniers - Et l'import ? - La Bogué Smith Wesson préfère éviter de recevoir du plomb, ça n'est pas bon pour la santé. - Ah je croyais pas ça ! - Je sais c'est pour ça que vous êtes là, et moi ici. Heureusement pour moi, Lucien arriva avant que le petit nain n'agite ses neurones. Je lui expliquai mon histoire et ce truc que l'on appelle une IP. Il rigola un moment en se moquant de ma prédisposition au refus de la modernité. Ce n'est pas parce qu'un gars aime son téléphone à cadran qu'il est un vieux con, après tout. Deux heures plus tard, je le quittais en lui promettant de le revoir avant les cinq prochaines années, et, d'ici là, de me faire greffer une puce électronique en guise de cerveau. Une fois dans la rue, mal à l'aise après ce contact avec mon ami cybernétique et toutes les radiations qui devaient sortir des ordinateurs qui m'avaient entouré, je regardai l'adresse de ma prochaine destination... Merde alors ! Si ce matin on m'avait dit que j'allais visiter Rennes en avril, je serais resté couché. Rennes a bien changé depuis dix ans. La civilisation les a rejoints puisqu'ils ont un métro. Encore vingt ans et on ne verra plus la différence avec la capitale. L'adresse IP de Lucien m‘envoyait vers un cybercafé. Modo n'allait pas se risquer à intervenir de chez lui. Je descendis du métro à République (lorsque je vous disais qu'ils se parisianisent) sortie place de la république, continuant ma marche vers Emile Zola, puis Pasteur, remontant enfin Gambetta pour arriver au 22 de la rue St Georges. Je poussai la porte du cybercafé. La patronne me regarda tendrement. Je me présentai comme un commercial de la BSW Corp et lui demandai la possibilité d'envoyer un mail à ma patronne. - Bien sûr, prenez un ordinateur. - Vous voulez que je me promène avec ce machin sur moi ? 36 / 160 En attendant Modo - Non, je voulais dire : asseyez-vous devant et consultez vos mails. Vous n'avez pas l'air de savoir comment ça marche... - A vrai dire, j'espérais que vous pourriez m'expliquer. - Si vous voulez, je peux vous ouvrir une adresse mail : vous préférez yahoo ou hotmail ? - Je dois répondre quoi pour dîner avec vous ? - Yahoo. - Va pour Yahoo. - Va pour le dîner. - Oui, où ? - Chez moi ce soir. Le soir même, nous nous retrouvions dans son lit. Comme je n'avais pas de réservation à l'hôtel, ça tombait plutôt bien. J'avais enfin une adresse mail et j'avais envoyé les premiers éléments de mon enquête à ma mystérieuse patronne. La journée avait été longue, le moment de dormir était arrivé. Au réveil, Stéphanie, s'occupa de mon érection matinale, puis me prépara un petit déjeuner. - Tu te souviens bien des gens qui passent dans ton cybercafé ? - Ca dépend : ceux avec qui j'ai couché oui, les autres moins; pourquoi ? - Je cherche un ami; c'est lui qui m'a conseillé ton adresse. - A quoi il ressemble... ton ami ? - Il fait du bookcrossing, il... - Ah ! Toi aussi, tu es membre de ce site ? Bien sûr que je me souviens de lui : un vrai baiseur celui là; il est venu plusieurs jours de suite j'ai hésité avant de l'inviter à dîner car il était un peu trop jeune pour moi, puis le dernier jour c'est lui qui me l'a proposé. Le lendemain matin, au réveil, il m'avait laissé un dessin. Mais je ne voyais pas ce qu'il voulait me dire, en dehors du fait que c'est là que nous nous sommes embrassés la première fois : promenade des bonnets rouges, tiens! regarde. 37 / 160 En attendant Modo - Un pont ? - Oui. Juste après, il a regardé en l'air et il m'a dit « ça tu vois c'est une bonne planque pour les livres ». Je m'en souviens, car je me suis dit qu'il fallait toujours que je tombe sur des allumés. - Tu peux me montrer où ça se trouve ? - Je peux te donner le dessin si tu veux, et je peux t'expliquer comment y aller, mais il faut que j'ouvre le cyber. Le samedi, c'est le jour où je fais le plus de recette, et puis il y a toujours un beau gosse dans le tas... Tu dois me prendre pour une salope... - Je me demande toujours pourquoi, dans l'imagination populaire, une fille qui couche avec plusieurs mecs est une salope, et pourquoi un mec qui fait la même chose est un tombeur. Tu vis ta vie, c'est ça le plus important. Il n'y a pas de honte à te faire du bien. - Bien. Alors... Pour aller sous le pont, tu vas te rendre au 26, bd Villebois Mareuil : il y a un escalier, tu descends et tu y es. Tu es vraiment commercial ? - Non, je suis un philosophe du week-end. À bientôt. Une fois sous le pont, je regardai un moment sans rien voir, puis j'aperçus enfin un plastique. Je tirai dessus et je me retrouvai avec un livre entre les mains : Les rivières pourpres de Jean Christophe Grangé. J'avais vu le film un soir de déprime, sur une chaîne télé : une histoire de meurtrier en série. Je trouvai l'identifiant du bookcrossing à la première page, un morceau de carte routière traçant la route entre Rennes et la Rochelle, un post-it dessus. - Tu peux venir me retrouver à Chatelaillon. Tu as un mois. Après je ne serai plus dans le coin. Modo 38 / 160 En attendant Modo Amusant de voir que Modo se prenait pour un tombeur. Stéphanie ne l'aurait jamais retrouvé grâce à son jeu d'énigmes. Savait-il qu'elle ne viendrait jamais, mais qu'il risquait d'y avoir un détective sur ses traces un jour ou l'autre pour récupérer cet indice ? Tout en réfléchissant à ses motivations, et partant de l'hypothèse que la carte ne s'adressait pas à elle mais bien à moi, je me dirigeai d'un pas rapide vers la gare. Pour mon voyage, j'avais hérité d'un voisin jeune cadre dynamique : du téléphone à l'ordinateur, chez lui tout était portable. Je le regardai quelques minutes, puis je lui demandai : - Vous pouvez vous connecter à Internet avec votre planche à repasser ? - Bien sûr, je suis équipé wi-fi. - Vous pouvez regarder quelque chose? ça ne prendra que quelques minutes. - Ecoutez j'ai autre chose à faire. Attendez d'être à la Rochelle. - Franchement, non. Vous connaissez la BSW Corp ? Je lui montrai mes associés Smith et Wesson et d'un seul coup le ton changea. Décidément, les amis, il n'y a que ça de vrai dans la vie. - Vous voulez vous connecter sur quoi ? - Bookcrossing.com - Bien. Voilà. Je fais quoi ? - Vous rentrez ce numéro et vous attendez de voir ce qui se passe. Le message qui s'afficha alors ne ressemblait pas à une déclaration d'amour. Modo savait que j'allais le suivre, il se permettait même de me donner des indications pour entrer en contact avec lui à Chatelaillon, et il terminait par un « Bon voyage cher Alfred ». Comment me connaissait-il celui là ? Les bookcrossers étaient vraiment très forts dans l'élaboration de leurs plans; je commençais tout juste à m'en apercevoir. La Rochelle est une ville à part. Elle l'a toujours été. Démocrate avant l'heure, elle élit son premier maire en 1199, elle est protestante quand la France est catholique, elle est protégée des rois quand le pays plie sous les impôts, bref... La Rochelle est bien française et elle emmerde la pensée unique. En attendant le bus pour aller à Chatelaillon, je me demandais si Modo essayait de me faire passer le message. Son apparition avait-elle coïncidé avec l'apparition d'un mouvement de pensée unique sur le forum des bookcrossers ? Modo était-il l'électrochoc qui avait réveillé un forum poussiéreux et sur le déclin ? 39 / 160 En attendant Modo La solution se trouvait peut-être là bas... D'après son message, je devais me rendre devant le Casino, puis dans le parc juste à côté. Là, je devais m'asseoir sur un banc en face des jeux pour enfants et ne pas en bouger : une personne viendrait me voir. Cinq heures plus tard et quelques dizaines de cigarettes en moins dans mon paquet, j'allais partir explorer la ville lorsqu'une petite fille s'avança vers moi. Elle avait un papier dans la main. Elle me regarda et me dit : - C'est toi le monsieur pas propre qui s'appelle Alfred ? - Pas propre, je ne sais pas. Chacun ses critères, ma belle ! Mais pour Alfred tu as bien pioché. - Tiens, je dois te donner ça de la part de Monsieur de la Modération qu'il a dit. - Qu'il a dit... Tu peux me le montrer le monsieur ? - Non. Il a dit que tu allais me demander ça et que je devais te répondre qu'il était déjà dans le train pour Paris. - Le train pour Paris ? Il y a une gare ici ? - Tu vas tout droit en sortant du parc et tu vas tomber dessus Je me levai et je courus aussi vite que mes jambes fatiguées par les facéties bookcrosseuses pouvaient me le permettre. Sur le quai, le temps d'apercevoir vaguement une forme à une vitre coiffée d'un grand chapeau noir et d'une écharpe, je ne pouvais rien faire d'autre que regarder passer le TER comme une vache charentaise sur un bord de voie ferrée. Je comprenais mieux pourquoi il m'avait dit de prendre le train jusqu'à la Rochelle, puis le bus. J'ouvris la main pour y trouver le papier froissé de la petite fille, je le regardai et j'explosai : - Encore un putain de pont. De la flotte et des ponts ! Je cherche qui, moi ? le capitaine Haddock ? Je te hais Modo. 40 / 160 En attendant Modo Un détail changeait par rapport à la première fois : un texte sur le côté du dessin, Indice pour trouver le pont de dos http://www.bookcrossing.com/journalpics/1843946.jpg encore une adresse en www. Il allait encore falloir que je trouve un ordinateur. J'en venais à me demander comment des pirates pourraient trouver un trésor de nos jours sans le grand dieu Internet. J'allais au guichet SNCF. Le fonctionnaire de service me regarda bizarrement lorsque je lui demandai s'il avait Internet - Si c'est pour prendre un billet, je peux vous en vendre un; vous n'avez pas besoin d'Internet pour ça. - Oui, un billet pour Paris, ce soir. - Très bien. ça vous fera 30 euros. - Dites-moi... Pour faire la réservation du billet, vous vous connectez sur un autre ordinateur, non ? - Oui. - Vous passez par Internet, alors ? - Oui. - Intéressant, vous pouvez me faire une note de frais pour la BSW Corp ? Dix minutes plus tard, je ressortais de la gare avec mon information : le pont en question se trouvait dans le parc où la petite fille m'avait donné le dessin. Modo avait osé me mettre un indice, alors que j'avais ce pont sous les yeux. Il ne pouvait pas prévoir que j'allais me ruer hors du parc pour courir à la gare au lieu de regarder le papier. Non, personne ne pouvait prévoir ce genre de détail, et pourtant il savait que je devrais rechercher ce pont plus tard. En voyant la photo apparaître sur son écran, le guichetier s'était étonné du fait que je lui tape dessus pour regarder un pont qui se trouvait en vrai à quelques mètres de là. Bien au centre du mini cirque romain, me dressant face au pont, je regardais le dessin et le modèle. Je m'orientai alors sur ma gauche, et je commençai à retourner la terre. Je comprenais maintenant l'excitation des bookcrossers : au bout de quelques secondes, je touchais un emballage plastique et je sortais un livre. Il avait dû être enterré là plusieurs semaines auparavant. Dans le train qui me ramenait vers Paris, je regardai tranquillement le contenu du sachet plastique. A l'intérieur, avec le livre, une lettre m'attendait, moi, Alfred Bogué. La femme m'avait contacté quelques jours avant, et ce livre avait bien séjourné un mois sous terre. Il y avait trop d'incohérences dans cette histoire, et plus j'y pensais, plus il était évident que je me retrouvais au centre d'une grande manipulation. Qu'est ce que je venais faire là dedans, au milieu d'une horde de fous d'Internet, moi qui n'avait même pas un téléphone portable ? 41 / 160 En attendant Modo Cher Alfred Bogué, je suis heureux de voir qu'en moins de trois jours vous avez retrouvé ma trace assez facilement. Vous êtes bien à la hauteur de votre réputation et vous avez le cerveau encore vif pour un ancien flic, même si vous êtes un peu alcoolique sur les bords. Vous savez, Alfred, des spécimens comme vous n'existent plus que dans les films du ciné-club ! Mais ne vous plaignez pas : vous avez eu quelques compensations en nature si je ne me trompe. Voulez vous jouer une dernière fois avec moi, Bogué ? Vous m'amusez avec votre Smith & Wesson... Alors, je vais vous donner un dernier rendez-vous à Paris. Je sais que vous appréciez particulièrement mes dessins. Je ne peux résister à la joie de vous en faire un dernier. Cet endroit se trouve au Parc Montsouris, juste au-dessus de la cascade, il y a un petit panoramique. Asseyez vous, et si vous vous ennuyez, vous trouverez un livre sous un des bancs. N'hésitez pas à remuer la terre, vous devez avoir l'habitude si vous êtes en train de me lire. J'ai laissé un livre de circonstance pour un limier comme vous - Enquêtes sur les Serial Killers Bonne chasse. Modo En arrivant à la gare Montparnasse, je rentrai me reposer et faire une nuit complète. Puis le lendemain matin, je pris le métro direction porte d'Orléans. Une fois sur place, je remontai les maréchaux et je me rendis au Parc Montsouris. Un gardien m'indiqua la cascade. Au-dessus, à l'endroit précisé, je trouvai le livre. Je restai là, en attendant Modo. 42 / 160 En attendant Modo Chapitre 10 Chapitre de stephenteam se déroulant à Lyon Bogué dans la gueule du Lyon - Heu... Excusez-moi... - Yeah ?! Dans quoi il s'était fourré ? Il se retrouve là, dans un pub à Lyon, blindé d'Anglo-Saxons qui hurlent pendant un match de foot. Manchester United Arsenal. Un des plus gros matches de la saison. Et lui, Alfred Bogué, se balade dans cette boîte de sardines et entame la causette avec un grand gars en kilt, bonnet rose sur la table et écharpe assortie qu'il fait tournoyer au-dessus de sa tête en criant «Henry ! Henry !». Fredo se demandait encore ce qui l'avait amené là... Ring !... Ring !... - Mouais ?... Grumph... Qui donc peut bien m'appeler à cette heure-ci ? Merde ! Il fait encore jour ! Les gens ne savent pas que le lundi est un jour pourri ?! Je déteste les lundis. Je préfère dormir toute la journée. Ca passe plus vite. - Ouais, c'est pourquoi ? - Monsieur Bogué ? Alfred Bogué ? Le détective ? » Hé coquine, how you doin' ?! Bon, il se peut que je lui pardonne. C'est encore cette personne à la jolie voix de velours. Reprenons avec le mode «Barry» : - Oui, c'est toujours ok pour notre petit rendez-vous ?... {Voix terriblement sensuelle, j'assure grave !} - En fait, on a eu des nouvelles de ce «Modo». Il a réapparu sur le forum du Bookcrossing. Juste pour laisser une note. Je vous la donne : «Il faut se mettre à la place Du danseur, par le fauve dévoré. Quand le défenseur droit se casse, Un royal passage au but est ouvré.» C'est peut-être tiré par les cheveux, mais l'allusion au fauve qui dévore le danseur fait penser à la ville de Lyon. Après, on n'a aucune idée de ce que veut dire ce message. Je peux vous donner l'adresse d'un contact à Lyon, en espérant que ce soit le bon point de départ. Allez demain au Smoking dog, vers 21h. Il aura un bonnet et une écharpe rose. Il s'appelle Aaron Levis. Je vous recontacterai par son intermédiaire. Voilà. Je ne peux rien d'autre pour vous. Au revoir, et bonne chance. - Heu... Merci... » 43 / 160 En attendant Modo Elle a déjà raccroché. Voilà une femme qui ne s'embarrasse pas de paroles inutiles, et qui sait ce qu'elle veut. Simple. Directe. Un brin dominatrice... J'adore. Le voilà donc à Lyon, dans ce bar avec ce Levis qui a l'air un peu bizarre, allumé. - Excusez-moi, vous êtes Aaron Levis ? - T'es pour qui ? - Heu... comment ? - Manchester ou Arsenal ? - Heu... (Il criait Henry. Et il me semble que celui-ci est à Arsenal.) Ben, je préfère... Arsenal ?... - Yémen ! Ouais, c'est moi Aaron. T'es là pour l'affaire Modo ? Une femme qui m'a l'air terriblement bonnasse m'a appelé pour que j'aide un détective privé à résoudre une énigme. Je fais des études de cryptologie. T'as la bête ? - Oui. Voilà, dit Bogué en lui tendant le papier où figure l'énigme. - Mouais, pas facile. Un danseur... Du foot... - Vous ne connaîtriez pas une salle de danse à côté d'un stade de foot ? - Attends. Avant d'aller plus loin, j'ai un truc à faire. » Levis se faufile jusqu'au bar, et en revient chargé de deux pintes de Mac Ewan's. - Vas-y. Remplis tes ballasts, et plonge à la recherche de ton esprit intérieur. Et puis arrête de me vouvoyer, on boit de la binouze ensemble ! En principe, Bogué ne buvait pas pendant une enquête. Il ne disait jamais non à un Ricard avec deux gnolives, mais l'alcool, il évitait normalement. Là, c'était pour les besoins de l'enquête, donc un petit verre ne lui ferait pas de mal. Pas autant qu'avant. Il boit sa bière. En face, Aaron sourit à pleines dents et reprend : - Bien ! Alors niveau danse, on a le conservatoire, l'Opéra, la maison de la danse, plusieurs salles de spectacles... Après, le rapport entre un danseur et le fait qu'il soit dévoré, je vois pas. A part que ça serait à Lyon. Ensuite, il nous parle de foot. Le stade est à Gerland. Il y a le Palais des Sports juste à côté, et la Halle Tony Garnier pas loin. Il y a aussi le Transbordeur derrière les terrains universitaires. A ce moment-là, la salle hurle. Des gémissements et des cris de joie se mêlent. Manchester a marqué. Aaron grimace. 44 / 160 En attendant Modo - On s'entend plus réfléchir ici. Sortons. Ca sera plus calme. En fait on pourrait même se balader pour regarder quelques emplacements. Ma moto n'est pas bien loin. Il enfonce la tête dans son bonnet... ou alors il enfonce son bonnet sur sa tête, enroule son écharpe et se lève pour sortir. Bogué le suit. Dehors, il fait froid. Le détective se demande comment l'autre fait en kilt. Ils marchent, côte à côte. Levis perdu dans ses pensées. Alfred regardant partout autour de lui. Le Vieux Lyon, c'est plutôt sympa. Aaron brise le silence. - Bon, je vois pas trop. On va prendre ma moto et commencer par jeter un coup d'œil à Gerland. Je suis garé sur les quais du Rhône. On va marcher jusque là-bas. Lors du passage sur la Saône, le vent frais se fait bien sentir. Il fait plus que frisquet. Ils arrivent à la place Bellecour qu'ils traversent en diagonale. Ils passent à côté de la statue du cheval de bronze. Bogué voit que c'est Louis XIV. Il sort la feuille où est inscrite l'énigme. - Ca serait vraiment tiré par les cheveux... «Il faut se mettre à la place du danseur par le fauve dévoré...». Attends Aaron... C'est ici ! J'en suis presque sûr. Nous sommes sur cette place où trône Louis XIV, le roi soleil, le roi danseur. Il faisait des spectacles et dansait magnifiquement à ce qu'il paraît. Donc la place du danseur, serait ici. - La place Bellecour... C'est abusé, et tordu, mais plausible. Après, le rapport avec le football... Y'a bien OL Coiffure, là-bas, côté Saône. Sinon en foot... Foot ? C'est pied en anglais ? Et le défenseur droit c'est l'arrière droit. Vu comment les deux premiers vers sont bizarres, la suite doit être dans le genre. Si au lieu de parler de football, il parlait de la patte arrière droite du cheval de Louis XIV ? - Oui. Approfondissons cette piste. Les 2 hommes, excités comme des enfants s'approchent de la statue. Ils cherchent sur le promontoire, du côté indiqué. Rien... Le socle. Rien... Pour monter sur la statue, et vérifier le sabot, c'est compliqué. Elle est haute. Levis est plutôt massif, mais il se glisse agilement au sommet de la sculpture. Au niveau de la cheville de la patte arrière droite, à l'intérieur, une espèce de levier apparaît. - J'ai quelque chose. Viens Bogué, je vais t'aider. Quand on voit Alfred Bogué, on l'imagine plus volontiers derrière un bureau que sur une barre fixe, ou tout autre agrès. Et on a raison. Aaron a beaucoup de mal à soulever Fredo. Celui-ci, après avoir constaté qu'Aaron portait le kilt à l'écossaise, et que le froid faisait son petit effet, arrive à se hisser sur le socle de la statue. Après avoir repris son souffle, il s'approche du levier. - Tenons-nous prêts à tout... 45 / 160 En attendant Modo Bogué tire le levier. Un grondement sourd. Le cheval semble gémir. Il tremble. Un petit passage, comme une bouche d'égout vient d'apparaître. Aaron sort un portable de son sporran (poche du costume écossais sur le devant du kilt). Il l'allume et ça éclaire un peu le passage. Ils tiennent juste à deux. Aaron déçu dit à Bogué : - Y'a rien. Que dalle. On est juste dans le socle. - Il ne pourrait pas y avoir un autre passage secret ? - Non. Dessous il y a un parking, et un peu plus loin le métro. Je ne pense pas qu'il y ait un autre truc là en bas. - Il y avait forcément quelque chose... Les deux hommes déçus ressortent. Autant l'excitation était forte, autant là, la déception est grande. Ils referment le passage et descendent de leur perchoir. L'un gracieusement, l'autre comme une grosse merde, il faut le dire. - Bon, Aaron. Je n'ai que cette note. On l'a déchiffrée, mais on n'a aucune autre indication. - Ouais. C'est un cul-de-sac. - Je crois qu'on va devoir abandonner. - Attends. On n'abandonne pas aussi facilement, nous, les lyonnais. Je vais appeler un gars pour nous amener une lampe de poche. On est peut-être passé à côté d'un truc. Levis prend son portable, pianote dessus et le porte à son oreille. - Wazzaaaa ! Kécidi ?... Ouais, j'ai besoin de toi. Tu peux m'amener une lampe de poche ?... Vas-y, arrête-toi ! C'est pas tard ?!... C'est pas que pour ça !... Je te dis quand t'arrive. Allez tcho ! Il range son portable et dit à Bogué : - Il s'appelle Crant. Gary Crant. Il est spécialiste en histoire de Lyon. Il est là dans pas trop longtemps. Je vais essayer de lui en dire le moins possible si je peux. Dix minutes plus tard, un gars, pas rasé, avec des cheveux jusqu'au bas du dos arrive. - 'a va ? - Ouais. Je te présente Alfred Bogué. Un détective. Fredo, voici Gary Crant. Dragueur de la veuve et redresseur de l'orphelin. Bon, Gary. Qu'est-ce que tu peux me dire sur la place Bellecour ? Son histoire ? - Tu veux que je te raconte tout ? - Ouais, enfin surtout l'histoire de la statue et des sous-sols. 46 / 160 En attendant Modo - Tu l'auras voulu. Tu sais que quand je commence, je suis inarrêtable. Bogué n'a même pas le temps de prendre peur que le récit commence. Tous les trois sont installés sur les marches sous la queue du cheval : ... Pour des raisons de budget, de temps et de location d'emplacement, la production ne peut diffuser ici cette passionnante histoire. Vous la trouverez néanmoins sur la JE du bouquin. ... - Merci... C'était... dense. Ca nous aide peu, mais merci quand même. - Tant pis. Si vous me disiez tout, je pense que je pourrais faire plus. Au fait, j'ai amené ma lampe de poche... - D'accord. Fredo, je pense qu'on peut lui dire. Bogué transmet à Crant l'énigme de Modo. Le nouveau venu la lit. - Voilà pourquoi vous me demandiez l'histoire de la statue. C'est déjà bien. Vous avez trouvé le sens de l'énigme. Qu'avez-vous découvert ? - Ben rien, c'est ça le problème. Il y a un levier sur la patte droite du cheval de bronze. Ca ouvre un passage dans le socle, puis rien. Enfin, on n'avait pas beaucoup de lumière. On n'a rien trouvé. On va réessayer avec ta lampe de poche. Crant et Levis montent sous le destrier, évitant à Bogué de se démener encore une fois pour atteindre le haut du socle. Gary est ébahi quand son ami ouvre le passage secret. Ils disparaissent tous les deux. A peine deux minutes plus tard, ils sont de retour auprès de Bogué. - Alors ? Qu'avez-vous vu ? C'est Levis qui lui répond : - Il y avait une note, très bien cachée. Sur un mur au niveau du sol, y'avait ça d'écrit : «Là où le Soleil, Fleuretait dans l'ombre, Un grand secret sommeille Et en recèle un grand nombre.» Gary, tu sais ce que ça veut dire. J'ai vu que tu as le regard de la «nice pose». - En effet, je sais. Le Soleil est encore un nom représentant Louis XIV. On parle ici d'une aventure amoureuse qu'aurait eu le roi. Or, lors de son séjour à Lyon, 47 / 160 En attendant Modo il était présent pour le concours de Miss Reine de la France: qui de Marguerite de Savoie, de Marie Mancini ou de Marie-Thérèse d'Autriche recevrait la rose tant désirée ? La Marguerite fut vite exclue du choix, on n'aurait jamais permis qu'une reine ait un prénom aussi... Marie Mancini n'avait elle non plus aucune chance, bien que le roi lui ait manifesté une vive passion. Les raisons d'Etat étant plus importantes que les raisons du cœur, et Mazarin tirant les ficelles pour un rapprochement avec un grand ennemi de la France, le choix du Bachelor se porta sur Marie-Thérèse d'Autriche, fille du roi Philippe IV d'Espagne, comme l'indique son nom... Donc, même s'il ne la choisit pas, on sait que Louis XIV compta fleurette un petit moment à la nièce de son conseiller. C'était même une grande histoire d'amour qui commença, genre Charles/Camilla. On sait que Marie Mancini logeait à la Maison Rouge, à l'angle Sud-Ouest de la place Bellecour. Elle fut détruite après la Révolution, mais on peut aller voir l'endroit où elle était. - Pourquoi pas... Toute suggestion est bonne à prendre. - Allons-y. Vous voyez là-bas. On voit une vitrine rouge à l'endroit qui abrita autrefois un grand amour royal. C'est Decitre maintenant. Je ne sais pas ce qu'on va y trouver... Quelques minutes plus tard, nos trois Indiana Jones sont devant le magasin. Il n'y a pas beaucoup de cachettes. On voit deux gros pots de fleurs. Bogué va vers celui côté Saône, Aaron côté Rhône. Celui-ci crie victoire. - Hey ! J'ai quelque chose... C'est un livre... 48 / 160 En attendant Modo Chapitre 11 Chapitre de Snoow se déroulant à Lyon Café ristrette en terrasse, clope tout juste roulé. Il n'existe pas de meilleure manière de commencer une journée, foi d'Alfred Bogué. Je n'émerge pas tant que l'arabica n'a pas réveillé mes papilles et que les volutes caramélisées de l'Amsterdamer ne m'ont pas envahi les poumons. Alors, je peux attaquer la lecture de mon canard. Ce matin, c'est le Progrès. C'est tout ce que le patron de ce foutu troquet croix-roussien a pu me dégotter. Celui-là, il est pas lyonnais pour rien. La ligne 36 en grève, un caniche écrasé avenue de Saxe, les travaux du tramway prennent du retard, bref, rien de vraiment folichon dans cette feuille de chou... Ah ! Andy Warhol au musée d'art contemporain, j'irai faire un tour aujourd'hui. Ça me détendra, et puis je n'ai rien d'autre à faire, mon enquête piétine de plus en plus. Hier, encore un lapin posé par la voix de velours. Je vais finir par me prendre pour Alice, "Sauf que je commence à croire que je ne vais pas voir les merveilles" maugrée-je dans ma barbe de trois jours. J'ai dû penser tout haut, parce que j'entends le patron : "Les merveilles, c'est à Saint-Etienne", me lance-t-il, "Ici, on appelle ça des bugnes, mais c'est pas l'époque". Les provinciaux et leur humour, je ne m'y ferai jamais. Bon, Vladimir, au lieu de raconter des conneries tu vas m'aider. Je lui demande "Pour aller au musée d'art contemporain, on fait comment ?". Il réfléchit un peu, "Métro C jusqu'à Hôtel de Ville, puis A jusqu'à Foch, et enfin Bus 4 jusqu'à Cité Internationale" rétorque-t-il. Je le remercie et pose les deux euros du café sur son zinc. Il pense que je vais prendre ses satanés métros, il croit quoi lui ? Que je vais m'entasser avec des centaines de gens qui regardent leur pieds en essayant de tripoter les fesses de la voisine tout en me bousculant ? Je trouverai bien mon chemin tout seul en bagnole. Je prends tranquillement la direction de mon bon vieux vévé. Eh merde ! Cette nuit, les aubergines ont fait du zèle et m'ont collé un joli papillon sur le parebrise. Mais, attends une minute ! C'est pas une prune, c'est un mot. On dirait un billet doux de cette chère Jessica ! Je déplie la feuille de papier : "Le modérateur est un vorace". Je sens que je ne verrai pas Andy Warhol aujourd'hui et surtout qu'il va falloir que je me creuse encore une fois le ciboulot. Qu'est ce que ça peut bien vouloir dire cette histoire de glouton ? Finalement, je décide de me balader dans le quartier à pied, je réfléchis mieux en marchant, et puis on sait jamais, je pourrais peut-être apercevoir mon lapin blanc. Des idées plus stupides les unes que les autres me passent par la caboche. Je me dis qu'il va falloir que je cherche à rencontrer tous les bookcorsaires et que le plus gros d'entre eux sera le maudit modo. Où encore que le coupable est le plus avide de livres. Bon sang, mais c'est bien sûr, c'est elj ! Non, ça ne colle pas. Midi est arrivé, je suis toujours bredouille et je commence à avoir la dalle et la pépie comme ils disent ici. Je me trouve un petit bouchon où je m'enfile des oeufs en meurette, avec une sauce au beaujolais. Une andouillette "Bobosse" à la sauce moutarde ne tarde pas à les suivre, j'arrose le tout avec un petit Fleurie fort agréable, bref un repas léger. Pour finir, une petite cervelle de 49 / 160 En attendant Modo canut, c'est délicieux et pourtant si simple : du fromage blanc, un peu d'échalote, d'ail, de ciboulette, de persil, de cerfeuil et d'estragon. Quand le serveur m'apporte la douloureuse, j'en profite pour lui demander si ça lui dit quelque chose cette histoire de morphale. Il me répond du tac au tac "Morphale ? Vous voulez dire vorace !", je regarde mon bout de papelard, c'est qu'il a raison le bougre ! "C'est un bel escalier assez connu sur Lyon, si vous voulez, je peux vous indiquer quelle traboule peut vous y mener". Ah ah ! Je crois que je suis lucky aujourd'hui, cette fois, je ne vais pas rater mon rendezvous. Je me pointe donc à l'escalier des Voraces, joli morceau d'architecture, il faut l'admettre. Je commence à grimper les marches avec la curieuse impression d'être observé. Mon flair de privé ne me trompe jamais, je jette un coup d'oeil discret autour de moi, mais je ne détecte rien. Je continue mon ascension tout en gardant l'oeil alerte, ce qui me permet de dénicher un bouquin caché. Je sens qu'il y a quelque chose qui cloche, j'ai comme une impression de déjà vu. J'entends le bruit des pas de quelqu'un qui s'éclipse discrètement. Impossible de savoir d'où ça vient. Meeeeeerde ! Je me suis encore fait avoir comme un bleu ! Pourtant, je commence à les connaître ces zozos de bookcorsaires ! Je le savais bien que certains d'entre eux observent le trouveur du livre qu'ils viennent de libérer ! Caramba ! Encore raté mon Pozzo ! 50 / 160 En attendant Modo Chapitre 12 Chapitre de LaPeste se déroulant à Nantes Nantes m'était encore inconnue, je n'y étais jamais venu... Il y flottait dans l'air comme un souffle de marée basse. En clair, ça puait la vase. Bizarre. La mer n'était pourtant pas juste à côté. J'étais entré dans la ville par les quais, ceux-là même qui autrefois devaient accueillir d'innombrables bateaux. Le trafic ancestral pesait de son ombre sur les chantiers navals moribonds, et le souvenir des familles d'armateurs richissimes se pavanait encore aux devantures des hôtels particuliers, rythmant, de leur stature étrangement penchée, les bordures de la Loire. « La vache, ça doit être épique à meubler un appart' de guingois !» Je trouvai une place sur un parking au bout des quais. Mon combi Volkswagen pouvait souffler un peu après toute cette route... et moi aussi ! Il était encore tôt, je n'avais rencard qu'à 15h. J'avais encore le temps de trouver le lieu du rendez-vous et même de m'en jeter une dans le creux du gosier : le soleil commençait à taper et la route m'avait desséché. Je jetai mon dévolu sur une grande place ensoleillée parsemée de terrasses de café, avec en point de mire la façade de l'ancien Palais de la Bourse reconverti en FNAC... mon point de jonction. Je commandai une pression, en faisant remarquer au garçon, (plus trop jeune pour un garçon) l'odeur désagréable de vase qui bordait les quais : « C'était marée basse ce matin, monsieur ! » me rétorqua-t-il comme une évidence, « depuis que le lit du fleuve a été creusé après la guerre pour reconstruire la ville, les marées se font sentir jusqu'à loin dans les terres. A 51 / 160 En attendant Modo marée montante le cours de l'eau semble s'inverser et repartir vers la source... Vous n'êtes pas du coin ? » « De passage...» lui répondis-je, et je tournai la tête de peur qu'il ne me saoule... je le sentais bien parti pour me refaire l'histoire de son bled, et franchement, je n'avais qu'une envie, c'était de me dorer la pilule en attendant ma demoiselle mystérieuse. L'espace se remplissait doucement : le soleil attirait les lézards. Les travailleurs pressés vidaient peu à peu les lieux et laissaient la place aux promeneurs alanguis. Je scrutais la droite du Palais de la Bourse, au pied de la statue du navigateur portant un cadran nautique. Aucune poupée ne m'attendait... et soudain je grimaçai intérieurement, de dépit ; je me rappelai le signe distinctif qui me permettrait de la reconnaître : un livre à la main... à la sortie du plus grand centre commercial du livre, quelle bonne blague ! Ca sentait le lapin mouillé ! Mon vieil Alfred, cette donzelle s'est moqué d'ta pogne, t'as fait tous ce chemin pour des clopinettes... Je réglai l'addition sans un mot et ramassai mon barda, déconfit. J'allai malgré tout traîner mes basques au pied du grand bonhomme de pierre couvert de fiente. Rien, nada, aucun indice, pas une miette d'information, juste une vague odeur rance de vieille urine. (En plus de la fiente de pigeon, le pauvre navigateur devait soulager les vessies alourdies des étudiants après de longues soirées arrosées ou des supporters de foot les soirs de match). J'allais m'en retourner, quand je sentis quelqu'un m'attraper par la manche. - C'est toi l' détective ? »... un drôle de bonhomme me faisait face. Long manteau élimé, barbe blanche et teint rougeaud, il tirait un caddie rempli d'un bric-à-brac digne de la Zézette du splendide. - Oui ? Alfred Bogué. Qui êtes vous ? Moi qui espérais une jolie naïade, j'étais servi. - J' m'appelle Moïse, j' suis philosophe. Le clochard se rapprocha de moi et me susurra à l'oreille à travers son haleine chargée : - J'ai un message pour vous. - Qui vous a donné ce message, vous l'avez vue, elle vous a parlé ? 52 / 160 En attendant Modo Moïse se redressa : - Elle ?..., nan, c'est un drôle de pingouin en costard qui m'a bien rincé pour que je vous récite quelques mots, il m'a fait répéter la leçon au moins dix fois pour pas qu' j' me trompe... j' vais pouvoir m'acheter des lunettes de soleil, j'ai toujours rêvé d'avoir des lunettes de soleil, surtout qu'avec le soleil, j'ai les yeux qui fatiguent, il paraît que... - Bon, tu descends de ta montagne, tu m'la fais ta tirade ! - Oh, ça va l'touriste humoriste, tu te crois drôle ? Y'a qu' les gosses qui osent me la faire celle-là... Moïse marqua une pause. Je crus qu'il ne lâcherait plus rien, puis finalement il reprit : - Bon t'es prêt? C'est bien parce que j'ai ramassé du frais sur l'autre pingouin : Dans le Passage à l'entrepont trouvez l'enfant des Beaux-arts de Jean de Bay. Près de lui, un indice vous attend au dessus des dragons femelles. et Moïse fièrement s'illumina d'un large sourire édenté. - Quoi ? C'est quoi c' t'embrouille ? J'ai plus dix ans, j'ai passé l'âge des mystères à deux balles ! Ca commençait à me courir l'épiderme c' t'enquête. Le greluche était vicieuse, elle voulait que j'l'aide, mais on pouvait pas dire qu'elle y mettait du sien... elle s'appliquait malicieusement à me mettre des bâtons dans les roues... - Moi je peux te rencarder... A moins que l'enjeu de cette enquête, ce fameux Modo, cette figure de l'ombre, l'imposteur du net, ne soit quelque dangereux criminel craignant pour son anonymat... Il fallait rester prudent. - Hein quoi ! Je l'avais oublié celui-là... Moïse me tirait encore sur la manche avec son sourire de nain d' jardin en vitrine. - Moi je peux te rencarder. Je connais la ville comme mon salon, c'est mon jardin, mon musée, je la vis et je la respire à longueur de journée... : je sais où est le Passage ! Je le regardais interloqué. - Vas-y ! Je t'écoute ! - Donnant-donnant ! me répondit-il. Je sortis une liasse de billets de ma poche et lui en donnai la moitié. Moïse s'obstinait en silence. Je lui donnai le reste. Comme je pouvais le constater, les tarifs en province avaient aussi augmenté, à moins que mon statut de touriste 53 / 160 En attendant Modo ne me réserve un forfait luxe... Tant pis, le bonhomme devenait sympathique et j'avais hâte d'avancer dans cet étrange labyrinthe. - Suis-moi, je te montre... Il mit son caddie en mouvement et m'entraîna vers une ruelle s'ouvrant en bordure de la place. Je le suivais, confiant, son allure de Père-Noël défraîchi lui conférait une aura rassurante. Au bout de la ruelle, nous avions bien fait 50 mètres environ, l'entrée d'un passage intérieur couvert, orné d'une enseigne sous forme d'invite : Visitez le Passage Pommeraye. Les 50 mètres me revenaient cher, mais désormais, il ne me restait plus qu'à trouver l'enfant et les dragons. «Bon, je te laisse là. Mon caddie ne peut pas monter les marches. Ah ! Autre chose : m'est avis que ton Jean de Bay est un sculpteur...» Puis s'éloignant : «Ravi de t'avoir rencontré» me cria-t-il en tapotant sur la poche où il avait glissé l'oseille dont il venait de me soulager. Je grimpai les quelques marches. La galerie commerciale, digne du Bonheur de Dames de Zola, s'allongeait sous la voûte, rythmée de magasins dont les enseignes d'origine avaient été conservées. Arcades, sculptures, médaillons, bustes. Cet endroit hors du temps avait gardé un charme indescriptible. Je m'avançai au bout du premier niveau. un grand escalier de bois orné de ferronneries et de colonnes sculptées me faisait face. Sur le pont intermédiaire et la partie supérieure, des statues d'enfants nus décoraient l'espace, baignées d'une chaude lumière grise filtrée par le toit en verrière. Le but était proche, et la ville m'inspirait comme elle avait inspiré auteurs et réalisateurs. Je gravis l'escalier jusqu'à l'entrepont. Quatre statuettes m'entouraient. Je m'approchai et je compris : sans doute allégories des activités de la ville, les statuettes représentaient l'industrie, l'agriculture, etc.... Je trouvai sans peine le Génie des Arts... Foi de Bogué, je sentais mon épiderme s'emballer. «Tu brûles mon grand !» Pas loin de là, une colonie de dragons femelles me tirait la langue. Je leur tirai la langue en retour, amusé par ce nouveau jeu. un paquet m'attendait 54 / 160 En attendant Modo sagement dissimulé au dessus de leur tête. Je l'attrapai en état de grâce : un livre enfermé dans du plastique. «Yawwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwp !» hurlai-je. Je sortis de l'ombre surpris par deux vieilles dames chargées de sacs Damart, stupéfaites par si peu de discrétion. Je leur fis une révérence gracieuse d'Alfred Bogué, mais elles poursuivirent leur chemin, outrées. Mon trésor sous le bras, je sortis du passage en prenant par la galerie haute. «Mon royaume pour un petit hôtel et une bonne douche». Ma journée n'était pas encore finie, mais j'étais tout à mon nouveau bonheur de chasseur de livre. 55 / 160 En attendant Modo Chapitre 13 Chapitre de bacicoline se déroulant à Paris Alfred était en nage...sa patience était à bout... Depuis bientôt un quart d'heure, il farfouillait dans le lierre et les palmiers, sous les yeux méfiants d'un vigile et ceux amusés d'un petit garçon joufflu tenant un gros ballon bleu à la main, plus gros que sa petite tête bouclée. Se doutait-il, il y a quelques temps, alors qu'il espérait, assis dans un café, l'apparition de Jessica Rabbit, que non seulement il ne rencontrerait pas de sitôt la déesse occupant ses pensées mais pire... que ses pérégrinations aux quatre coins de l'Europe ne lui épargneraient aucune humiliation ? Il y a deux jours, Alfred avait reçu par la poste un message qui lui avait paru plus que mystérieux : - Lieu du rendez-vous : gmail - Nom du contact : arabesque - Mot de passe : cabot_cove Il avait passé la journée, le nez dans tous ses livres spécialisés, à tenter de déchiffrer le code secret, trouver la clef lui permettant de connaître le lieu du rendez-vous. Et même le lendemain, alors qu'il sirotait un diabolo citron, il continuait à se torturer les méninges. Il avait tenté l'alphabet inversé, une correspondance entre les lettres et les chiffres... Il avait même vérifié les pages jaunes au cas où il s'agirait du dernier lieu de rendez-vous à la mode. Mais il n'avait trouvé aucun indice. Où donc allait le mener ce nouvel indice ? GMAIL... Voyons, voyons. Alors que le serveur ramassait la monnaie, il s'exclama : « Tiens gmail. C'est nouveau ? Connaissais pas ce service... Moi j'utilise yahoo. C'est bien comme site ? - Ah vous savez où ça se trouve ? demanda Alfred, éberlué. - Hein ? répondit le serveur sans vraiment s'inquiéter de son interlocuteur. Continuant sur sa lancée, il expliqua : Par contre, z'êtes pas prudent de laisser toutes ces info à la portée de tous, avec tous les curieux qui traînent... - Mais de quoi parlez-vous ? Et pourriez-vous m'indiquer comment me rendre à gmail ? C'est un nouveau bar parisien ? Bogué posa cette dernière question d'un ton plein d'espoir. Pourvu qu'il puisse rester dans la région... Il en avait assez des départs impromptus vers la Suisse ou Toulouse. Il avait envie d'un bon bol d'air pollué à la parisienne, d'une plongée dans la bonne humeur locale ! 56 / 160 En attendant Modo - Un bar !? Mais pas du tout, c'est un site de messagerie sur internet. Un endroit où vous pouvez ouvrir une boîte aux lettres virtuelle. - Ah ? Et vous savez comment je peux faire pour y accéder si je n'ai pas internet chez moi ? Vous pourriez le faire pour moi par exemple ? Et ce « arabesque », on est sûr qu'il sera là quel que soit le moment où j'irai sur ce site ? Les questions de Bogué semblaient si farfelues au serveur qu'il crut d'abord à une blague. Et puis finalement, intrigué et curieux, il proposa : - Je finis dans un quart d'heure et j'habite à deux pas. Si vous voulez, je vous montre comment faire... » Bogué ne fut que trop heureux d'accepter. Et c'est comme ça qu'il se retrouvait une demi heure plus tard dans la chambre de bonne du serveur-étudiant en chimie à qui Alfred avait un peu expliqué l'histoire et qui semblait maintenant enthousiasmé par la mission qui venait de lui être confiée. Mais là, assis à côté de l'ordinateur de son adjoint d'un jour, Alfred était soudain plus que perplexe devant l'indice pour le moins elliptique qu'il venait d'obtenir. « Alfred, Dirige-toi sans tarder vers le lieu où les liciers sont à l'œuvre depuis le 17ème siècle. Dans le temple de la consommation local tu te rendras. Tu y trouveras l'indice suivant sous les palmiers. Amicalement Jessica Fletcher » Décidément, Alfred avait fait le bon choix en se confiant à cet étudiant. Ce dernier ne le laissa pas tomber. Son cher Watson tapota en effet quelques mots dans son ordinateur et aussitôt, de précieuses informations lui permirent de remettre en marche les rouages de son esprit. Il mit bout à bout chaque élément. Pressé de découvrir le mystérieux modo, il fila aussitôt vers l'endroit où était caché le prochain livre. Et c'est pour ça qu'Alfred, priant pour que ces maudites plantes vertes ne soient pas traitées avec un produit chimique toxique, soulevait les branches à la recherche du livre annoncé dans le message. Il était accroupi en haut des escalators, à mi-chemin entre une séance de cinéma et un steak d'hippopotame. Une foule d'adeptes du shopping lui passaient à côté sans même lui jeter un regard. Quelques minutes plus tard, triomphant, il repartait vers son bureau, un précieux indice à la main. 57 / 160 En attendant Modo Chapitre 14 Chapitre de abstraite se déroulant à Rouen Bogué, un peu essoufflé - comme à chaque fois qu'il fait trois pas - ronchonne encore et toujours : «Ca n'est plus de mon âge tout ça, il va vraiment falloir que j'arrête de fumer, ou bien que je songe à une reconversion, un boulot plus calme, je ne sais pas, moi, fleuriste ?... En tout cas cette nénette se paie ma tête : en vouloir à un simple modérateur, sous prétexte qu'il «pollue un forum internet et bride la spontanéité des intervenants»... Elle n'a rien de mieux à faire que de le traquer ? C'est louche, il doit y avoir autre chose... Si ça se trouve elle est mytho ! Remarque, ça me change un peu des histoires de coucheries et d'amants délaissés...» Il pose deux minutes son baise-en-ville - comme dit son pote Andras en se fichant de lui - sur le banc de l'abribus et en sort un petit dictaphone d'un autre âge, vaguement protégé par une housse en skaï élimée. Mode «record» on : «J'arrive à proximité du lieu de RDV. Du moins je pense. Les indications étaient un peu vagues : "En-dessous de la gare, le plus beau petit jardin du centre-ville accessible au public... qui donne sur ce musée, vous savez ?" Non, je ne sais pas, je ne connais pas toutes les villes par cœur, mademoiselle ! Et elle qui me répond : "Oh moi non plus, je suis pâârisienne ! Mais j'effectue régulièrement des déplacements en province et je serai à Rouen dans les prochains jours?... Oh zut ! Il faudrait que je fasse attention à ce que j'enregistre, quand-même!» Il coupe le dictaphone et poursuit, perdu dans ses pensées : «Elle minaudait, ma parole ! "On y est comme coupé du monde, on y sera tranquille..." Tu parles ! Ca m'a tout l'air d'un rendez-vous galant : Elle s'attend peut-être à ce que je lui effeuille la marguerite, ah ah ! Bon, nous y voilà... Toute cette verdure, ce plan d'eau, ces cygnes? Ca serait plutôt zen, sans les jacasseries des ménagères et les hurlements des mioches... Je ferais peut-être mieux d'aller me taper une petite Jeanlain au troquet du coin...» Il chasse néanmoins cette idée de son esprit et se résout à patienter. Vingt minutes s'écoulent... Bogué a bien du mal à résister à la tentation : une petite pipe ne serait pas de refus, histoire de se détendre... «Monsieur, vous pourriez vous abstenir, si près des enfants!» Enfin quoi ? C'est qui cette rombière ? Je fume quand je veux d'abord... Hum, je n'avais pas vu le couffin ! Admettons... «Ne m'en veuillez pas, M'dame, c'est que voyez-vous, j'ai la rate au court-bouillon : C'est un rendez-vous galant et j'ai comme l'impression que la demoiselle m'a posé un lapin ! Rien d'étonnant ! Regardez comme vous êtes attifé ! Vous faites peur aux enfants ! Boutonnez-moi donc ce col, éteignez cette pipe et donnez-vous un 58 / 160 En attendant Modo coup de peigne, que diable ! En plus, faire sa cour au milieu des bacs à sable et des cages à écureuils? en voilà une idée ! Vous seriez tellement mieux là-haut... C'est beaucoup plus intime ! Là-haut ?... Eh bien oui, dans le jardin du petit musée ! Rhô nadidiou ! Je n'y suis donc pas ? Mais non, vous êtes au square Verdrel ! Prenez donc le petit escalier là-bas, côté nord, et poussez la grande porte rouge, sur votre gau - mais ! mais ! mais vous pourriez dire au revoir tout de même ! Quel goujat ! Il n'est pas prêt pour le grand amour, lui...» En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, Bogué a empoigné sa sacoche et s'est débiné sans plus de cérémonies. Mode «record» on : «Et voilà, le rencard était foireux, je m'en doutais... Sur mon plan j'ai vu le Musée des Beaux-Arts et je n'ai pas cherché plus loin, je vieillis, y'a pas à dire, je vieillis... Espérons qu'elle m'attende encore... !» Mod'off. «Poussez-vous les Jap's, vous photographierez les vieilles poteries un autre jour... Oh ! Mais c'est plutôt chouette par ici!» Mode record on : «Un petit jardin tout croquignolet... des bancs de pierre... Eh ! mais c'est sûrement elle, qui se barre par l'autre sortie ! Madame, madame, attendez-moi ! Bon sang, laissez-moi passer les Jap's ! Je n'en crois pas mes yeux, elle a fichu le camp... Du moins si c'était elle... Ce n'est pas aujourd'hui que je verrai la couleur des siens...» Mode record off. 59 / 160 En attendant Modo Chapitre 15 Chapitre de CafardKiller se déroulant à Rennes Alfred Bogué chercha sa place numérotée dans le TGV qui le menait à Rennes, nouveau rendez vous que lui avait donné la voix mystérieuse. Son damné combi Volkswagen venait de le lâcher et se faisait refaire une beauté au garage. Il était fatigué et commençait à en avoir assez de se faire trimballer d'une ville à l'autre. Il ne put même pas se détendre pendant ce voyage de deux heures et quart en allumant sa pipe puisque la nouvelle loi avait rendu le train entièrement aseptisé, c'est-à-dire non fumeur. Il se remémora avec nostalgie les premières réactions des fumeurs de clopes au temps béni des wagons fumeurs, espèce désormais éteinte, lorsqu'ils le voyaient sortir sa racine de bruyère. Ils lui lançaient d'abord un regard effrayé, certains de subir un supplice nauséabond laryngo-grattant et lacrimo-extractant. C'est fou comme le commun des mortels peut vivre de préjugés sur tout. Puis les nez respiraient avec méfiance et les regards passaient de l'étonnement au sourire en découvrant avec stupeur et soulagement le doux parfum caramel et sensuel de son Amsterdamer. Ne pouvant se délecter que du souvenir, il rongea son frein et ouvrit le livre étrange, étiqueté, que son dernier rendez vous raté lui avait fait trouver. Plus absorbé qu'il ne le croyait par sa lecture, les heures passèrent comme un charme et le contrôleur annonça les trois minutes d'arrêt du Paris Quimper en la gare de Rennes. Cette dernière avait bien changé depuis son précédent séjour à Roazhon il y a quinze ans; ça n'était plus la gare étriquée et sale qu'il avait connue, mais une grande gare moderne propre et tout confort. Il fut tenté de s'arrêter prendre un café mais renonça et prit la sortie Nord, la seule qui existait il y a quinze ans, et héla un taxi. Il voulait faire vite, pas question de passer encore une nuit dans un hôtel de gare provincial et miteux, il était fermement décidé à rentrer sur Paris le soir même, sauf si la piste se montrait enfin à la hauteur de ses espérances. Cependant la voix lui avait tellement posé de lapins que son intuition lui disait que ce n'était pas encore à Rennes qu'il allait enfin rencontrer son inconnue Son taxi était une Clio grise, assez confortable. Il aperçut avec bonheur un cendrier : - Je peux fumer ? - Oui. - Cimetière de l'Est s'il vous plait. Le chauffeur, un petit homme grisonnant avec un nez en patate, fit signe qu'il avait compris et démarra. Bogué constata avec soulagement que son homme 60 / 160 En attendant Modo ne se lancerait pas dans de grandes discussions, il n'avait surtout pas envie de faire la conversation avec une commère. Le cimetière de l'Est... ses rendez vous devenaient de plus en plus glauques. Elle lui avait promis d'être là, plutôt sordide comme lieu de rencontre... Avaitelle du nouveau sur Modo ? Quels éléments nouveaux étaient susceptibles d'être découverts dans un cimetière ? Pourvu qu'il ne soit pas mort! Et si son inconnue disparaissait sans même lui avoir révélé son nom et surtout son visage, qui, s'il était assorti à sa voix promettait de réchauffer les sens du pauvre détective. ? Le cimetière ne se trouvait pas très loin de la gare, de sorte qu'Alfred n'eut pas le temps de rêvasser plus longtemps. Le chauffeur s'arrêta sur le petit parking parsemé d'arbres. - Quatre euros cinquante cinq. Alfred lui tendit un billet de cinq et sorti du taxi. Il salua l'homme au nez en patate qui ne répondit pas et démarra aussitôt. Il pénétra aussitôt dans le vaste cimetière, parfaitement entretenu. Il sortit de la poche intérieure de son veston un morceau de papier. Son inconnue lui avait donné un nom, était ce le sien ? «Demandez Véronique L****** au gardien et il vous mènera à moi.». Il jeta en passant un coup d'œil aux horaires d'ouverture afin d'être sûr de ne pas rester enfermé : Dimanche et jours fériés 9h/18h et en semaine 8h30/18h30, c'était bon il avait du temps devant lui. Il chercha des yeux dans le vaste terrain quelqu'un qui pourrait être le gardien. Il remarqua un vieux bonhomme tout tordu armé d'une bêche qui faisait un tas avec des plantes fanées et des restes de ce qui avait été des bouquets de fleurs. Il portait une vieille casquette grise et une veste toute élimée. - Pardon monsieur vous êtes le gardien du cimetière ? - Non mon gars, j'm'amuse à déplacer toutes ces cochonneries pour l'plaisir. Bien sûr qu'c'est moé ! - Je cherche Véronique L******, on m'a dit que vous pourriez me conduire à elle. - Qu'est-ce qu'vous lui voulez à la pitchnoune ? - On a rendez-vous. - Z'avez rendez-vous ? Elle est bien bonne celle là ! Il me regarda d'un air plus que méfiant mais ne fit pas mine de bouger. - Ecoutez, je suis assez pressé, si vous pouviez me conduire à elle rapidement, je vous en serais très reconnaissant... Et Alfred glissa un billet de 10 euros dans la main terreuse et calleuse du vieux bougre. 61 / 160 En attendant Modo Le visage du vieux se détendit et se déplaça lentement vers la gauche de l'entrée du cimetière. Ils dépassèrent le jardin du souvenir puis longèrent le cimetière des enfants, ils suivirent un tournant, là un chemin naturellement creusé par le petit tracteur d'entretient séparait le cimetière des petits en deux. A la reprise de la deuxième partie, Alfred lut au bord de la route le numéro 60 peint en blanc, le gardien s'arrêta à quelques dizaines de centimètres, devant une petite tombe grise. Il y avait, planté en haut de la tombe une pierre haute rectangulaire sur la gauche qui se transformait en une espèce de menhir plat sur sa droite. Au pied de cette pierre se trouvait une petite plaque commémorative toute usée, avec devant celle ci un petit vase blanc en boule, où mourait ce qui avait été une petite plante grasse. Devant le vase se trouvait un carré de petits galets blancs, et enfin la tombe se terminait par un rectangle de terre destiné à recueillir des plantes. Un sentiment de tristesse envahit le détective qui se tournant vers le gardien dit : - Pourquoi vous arrêtez vous là ? Je ne vois personne. - Ben c'est ben la p'tite que vous vouliez voir nan ? Elle est là la malheureuse. C'est alors qu'Alfred lu l'inscription sur la pierre : Véronique L****** 21/08/58 13/05/59 - J'savais point qu'y avait encore quelque vivant qui s'en préoccupait d'c'te gamine, ça faisait bien vingt ans qu'la tombe était pas fleurie et pis v'la qu'en un mois y a deux personnes qui m'la réclament. - Comment ?! Qui était la première personne ? Un homme, une femme ? - Un homme. Bogué fut déçu, ça n'était pas encore aujourd'hui qu'il aurait la description de sa belle inconnue. - Vous a-t'il donné son nom ? - Ouaip. Le bonhomme commençait à lui taper sur les nerfs, il restait silencieux. Le détective se délesta de nouveau d'un billet de dix. - L'a dit un nom bizarre, Rodo, ou Modo, queque chose dans l'genre. Enfin, il retrouvait un semblant de trace de Modo ! Mais où était son Arlésienne ? Et qui était la petite Véronique ? Quel était son lien avec Modo ? - Que savez-vous de la petite ? 62 / 160 En attendant Modo - J'connaissais pas la famille, j'ai juste vu la mère à l'enterrement, une rousse splendide, pulpeuse à souhait. Le drame avait fait la une des journaux locaux, le grand frère d'la gamine qu'était à peine plus vieux avait étouffé la gosse avec un sac plastique, è gueulait trop qu'il a dit à sa mère quand elle les a retrouvés... c'était moche... Et le vieux s'éloigna en grommelant des paroles incompréhensibles. Notre Sherlock resta un instant perplexe devant la tombe, constatant intérieurement que son enquête n'avait pas beaucoup avancé, et qu'il s'était encore fait poser un lapin par la voix. Il allait rentrer chez lui bredouille, lorsque son attention fut attirée par un paquet derrière la plaque grise. Il se pencha et le prit. Il ouvrit le paquet et découvrit encore une fois un livre. Il était question dans ce livre, d'après la quatrième de couverture, d'un homme amnésique et d'un cimetière d'anges... Le lieu, c'était clair, avait un rapport avec sa petite balade du jour, mais l'amnésie était-elle un message à propos de Modo ? Sa disparition avait-elle un rapport avec une quelconque perte de mémoire ? Qui avait laissé ce livre ici ? La voix ? Modo lui-même ? Qui tirait les ficelles de cette histoire ? Les hurluberlus du forum ne se fichaient-ils pas de lui ? 63 / 160 En attendant Modo Chapitre 16 Chapitre de tit-vinz se déroulant à Paris Une légère bruine détrempait le pavé parisien. A peine de retour dans la capitale et voilà qu'Alfred Bogué se faisait saucer par une de ses petites averses printanières qu'il exécrait tant. Traverser la moitié de la France, n'arriver jamais à rien, tout ça pour finir ici, dans le sud de Paname, le cheveu collé au front et la pipe noyée par la fine pluie. Sale temps pour un privé, il fallait bien l'avouer. De toute façon, toute cette histoire était bizarre. Il avait beau faire des efforts, courir après ce damné Modo à travers tout le pays, il n'arrivait à rien. Et tout ce qu'il trouvait au final, c'était des livres. Il commençait à avoir une sacrée collection, il fallait bien l'avouer. Toutefois, cette fois ci serait la bonne. Il le sentait. Son instinct de détective ne se trompait jamais. Il lui avait permis de résoudre bon nombre d'affaires tout au long de sa carrière. Et sans ce damné sixième sens, il aurait dû plus d'une fois casser sa pipe. Instinct ou chance folle ? Ca n'avait pas d'importance. En tout cas, c'était comme ça qu'il avait bien souvent échappé à un bien triste sort. Comme ce soir, du côté des Halles, lorsqu'il avait évité les coups de feu de Joe Le Trembleur... bah, c'était le bon temps... Alfred Bogué s'ébroua, comme un gros chien un peu pataud. Il était plus que temps de trouver un abri pour se protéger de cette pluie agaçante. Et puis, le passé était le passé, il lui fallait se consacrer à son affaire. Après tout, ce sacré modérateur n'allait pas lui échapper tout le temps. Et puis cette nouvelle piste, cet appel de son informateur, se présentait très bien. Apparemment la Dame (c'est en tout cas ainsi qu'intérieurement il l'appelait, à défaut de plus amples informations sur son identité) avait retrouvé la piste du lascar, ici, à Paris. Il avait retrouvé un télégramme chez lui, à son retour de voyage. Le temps de faire un brin de toilette et de se reposer un peu, et il avait sauté sur cette nouvelle piste, comme un bookcrosseur sur un livre. Modo était dans le 15e, il en était sûr. Il s'était installé un refuge quelque part dans le quartier. La Dame avait précisé qu'Alfred recevrait de l'aide dans sa recherche. Elle lui avait même donné quelques mots de passe assez obscurs pour prendre contact. Alfred regarda sa montre. 15h30. Ou sa tocante avait pris l'eau une fois de plus, ou il était sacrément en retard. En toute hâte, il partit vers son lieu de rendez-vous. Le MacDonald sentait la friture, le vieux papier, la mauvaise viande cuite, et résonnait des cris de gamins venus là fêter l'anniversaire d'un des leurs. Alfred détestait ces pseudo-restaurants, où on essayait de faire le plus d'argent possible avec le moins de nourriture. Comme auraient dit certains, ça sentait le pognon jusque dans le cœur des frites. D'ailleurs tout ça lui donnait une légère nausée. La Dame l'avait habitué à mieux quand même. Une bestiole géante, 64 / 160 En attendant Modo nouvelle mascotte du restaurant, se dandinait au milieu des gosses en chantant des chansons ineptes. Apparemment c'était la représentation que se faisaient les responsables de l'endroit d'un pangolin. Ce n'était pas évident au premier abord, mais tout devenait clair quand on lisait le badge arboré par l'animal : Toto le Pangolin. Alfred jeta de nouveau un œil à ses notes. Il ne comprenait vraiment pas ces mots de passe. Une voix au-dessus de son épaule susurra : « J'ai plus d'appétit... ». Il sursauta et se retourna vivement. Le pangolin géant le regardait d'un air goguenard (ce qui n'est pas évident pour un pangolin, il faut bien l'avouer). La bestiole répéta : « J'ai plus d'appétit... ? » Tout était clair maintenant ! Sans hésitation, Alfred, répondit : « qu'un baracouda... ba-ra-cou-da ! ». Visiblement rassuré, le pangolin s'installa en face d'Alfred. « Vous savez qui m'envoie ? J'ai un message pour vous. » « De la part de qui ? questionna Alfred. » Après tout, comme il le répétait souvent, on n'est jamais trop prudent dans ce genre de cas. « De Sa part bien sûr ! » La majuscule était presque audible dans la réponse. La Dame ! Alfred se pencha et fit signe au pangolin de continuer. Le pangolin poursuivit : - L'un de mes informateurs a eu vent d'évènements étranges du côté des anciens abattoirs. - Quels abattoirs ? interrogea Alfred. - J'y reviendrai, j'y reviendrai. Bref, mon informateur avait réussi visiblement à trouver la cachette de celui que vous cherchez. Il m'a laissé quelques indices pour me guider, mais depuis quelques jours il a disparu. - Mais enfin, allez vous me dire où sont ces abattoirs, sabre de bois ! s'emporta Alfred. - Evidemment, il s'agit... Le pangolin n'eu pas le temps de finir sa phrase. Il s'écroula. Alfred se précipita pour retirer le masque en caoutchouc. L'homme en dessous était en train de s'étouffer, son visage était gris. Un empoisonnement. Intérieurement, Alfred pensa qu'il avait eu raison de ne pas commander ici, visiblement la cuisine n'était pas de grande qualité. L'homme murmura quelque chose. Alfred se pencha pour mieux entendre : « Les... les abattoirs... les amoureux... bancs publics... bancs... publics... message sur la statue... entre les halles... message... » L'homme avait usé ses dernières forces pour transmettre son message. Il s'écroula, mort. Alfred remit le masque en place et adressa une pensée à ce brave pangolin. Puis avant qu'on ne remarque ce qui s'était passé (le bruit des enfants, et leur agitation avaient masqué toute la scène aux autres clients du fast-food), Alfred sortit rapidement. 65 / 160 En attendant Modo Tout en marchant dans les rues de Paris, il réfléchit à ces dernières informations. D'anciens abattoirs, des bancs publics, des amoureux, des halles... voilà qui était bien étrange. Allumant sa pipe, il plongea dans ses souvenirs. Où avait-il entendu ça ? Soudain il comprit. Il avait une petite trotte jusqu'à l'endroit mais après tout, maintenant que la pluie s'était arrêtée, il pouvait bien faire un peu d'exercice. Vingt minutes plus tard, il arrivait sur les lieux. Il n'était venu qu'une fois ici, pour y rencontrer un indic dans le cadre d'une sordide affaire d'adultère qui mettait en jeu un couple, un pingouin et une orange sanguine. Rien que d'y penser, il en frissonnait encore. Ca avait été certainement l'un des pires affaires d'adultère qu'il ait eu à traiter. Bon plus le temps de se plonger dans ces souvenirs. Il devait se mettre en chasse. D'abord la statue et son message. Il repéra les halles et entre les deux espaces, il vit la statue. De l'autre côté de la rue, un bar-restaurant présentait sur sa vitrine des verres de vin souriant et dansant. Le dessin ne plaisait pas du tout à Alfred. De toute façon il n'aimait pas vraiment le vin blanc. Oubliant la «fresque» il se retourna et se concentra sur la statue : elle représentait un homme portant sur ses épaules un quartier de viande. Visiblement on avait voulu rappeler à tous les passants qu'ici se tenaient autrefois d'anciens abattoirs. En observant la statue avec plus d'attention, Alfred vit un petit morceau de papier. Sans hésitation, il le récupéra et le déplia : «Entrez et tournez directement à gauche. Sous le premier banc, un message.». Le privé descendit les quelques marches en arc de cercle qui menaient à l'entrée. Il tourna tout de suite à gauche et se retrouva à longer les halles. Il monta quelques marches et arriva sur une petite esplanade pavée de plantations. Sous un banc, il trouva un second message : «Il suffit de passer le pont, de vous diriger vers la pyramide, de repasser un pont, de trouver l'origine des bourdonnements et face au bâtiment, de trouver le petit chemin qui forme une anse.» Alfred regarda autour de lui. Un pont partait de là où il se trouvait. Il menait à un espace dégagé qui dominait tout le lieu. À gauche un chemin descendait. Quand il l'emprunta, il aperçut au loin un bâtiment bien étrange : une pyramide entourée d'une sorte de ruban rouge. Il suivit l'un des chemins qui menait à cette pyramide. Du coin de l'œil il aperçut un autre pont. Jusqu'ici tout semblait correspondre. Il emprunta le pont qui surplombait le parking de l'étrange pyramide moderne. De l'autre côté, une pancarte lui arracha un sourire : il comprenait mieux cette histoire de bourdonnements. Il se dirigea donc dans cette direction et arriva rapidement devant un petit bâtiment en hauteur. Il ne lui restait plus qu'à trouver ce chemin. Il ne fut pas long à dénicher cette petite anse. Mais étrangement il n'y avait pas grand-chose. Quelques fleurs et herbes, un arbre. Il remarqua toutefois quelque chose accroché aux branches de cet arbre. Il s'approcha, et jura doucement. Pendu aux branches, tournant dans le vent, un livre, et un petit mot : «Désolé, ça ne sera pas pour cette fois.» Bien entendu le mot était signé par Modérateur. 66 / 160 En attendant Modo Il jura une fois de plus, récupéra le livre. Un de plus pour sa collection. Il ne lui restait plus qu'à trouver une autre piste. En tout cas, il ne s'avouait pas vaincu. Après tout, il avait connu des affaires bien plus difficiles et dangereuses. Il se rappelait par exemple la fois où... 67 / 160 En attendant Modo Chapitre 17 Chapitre de Seg0 et babettbaboon se déroulant à Paris Alfred Bogué souriait au volant de son combi. Un coup d'oeil à l'horloge...15 heures 40. "16 heures à la laverie rue Riquet." avait indiqué la voix. "Dans le 19e ?" "18e" avait-elle répondu, laconique, avant de raccrocher. 20 minutes, c'est juste le temps qu'il me faut pour me garer, pensa-t-il. Et c'est pour ça qu'il souriait Alfred Bogué, trop content d'y avoir pensé cette fois, qu'il faudrait se garer. Aussitôt qu'il eut tourné à droite pour s'engouffrer dans la rue Riquet, son sourire se figea. Des places pour se garer, il y en avait à n'en savoir que faire. C'était une rue commerçante bien animée à cette heure. Ça et là, des grappes de personnes tapaient la conversation. Des gamins couraient, criaient et sautillaient. Contrairement à leurs aînés, ceux-là n'étaient pas rangés par couleur. Devant le pressing, un petit vieux avait ouvert en grand le coffre de sa R21. Une lourde balance trônait là, au milieu des pommes qu'il vendait en vrac. A gauche, une rue piétonne étalait ses terrasses et primeurs et longeait un peu plus loin un marché couvert. A l'angle un restaurant Indien, puis un hôtel miteux, un kebab, un rade, une boulangerie, et la laverie. Alfred Bogué y jeta un oeil, la trouva proprette mais pas au point d'y poireauter 20 minutes. Il stoppa finalement son combi le long du trottoir d'en face, devant une épicerie à devanture jaune qui se faisait appeler Plado. L'appel de l'estomac. L'appel de la forêt, on pouvait bien y résister. Mais l'appel de l'estomac, Bogué ne manquait jamais d'y répondre. Les gargouillis, les borborygmes gastriques, c'était pas son truc. Aussitôt vide, il lui fallait retapisser ses parois intestinales sans attendre et si possible faire couler le tout avec une rinçade quelconque. Il fit le tour du pâté de maison : rue de Guadeloupe, rue du Canada, de la Martinique, rue de Louisiane puis arriva devant un marché où il espérait bien trouver les mets que ce parcours lui évoquait. Des accras de morue, de la poutine, des avocats gros comme des melons et... La marchande, derrière son étal, lui roula des yeux aussi ronds que les olives qu'elle vendait quand il lui demanda une spécialité d'Acadie. - D'où ça ? - D'Acadie. De la Nouvelle Orléans. Qu'est-ce que vous avez qui vienne de Louisiane ? - Euh...je vends des spécialités portugaises... - Vous avez des accras de morue ? - Ah ça oui, j'en ai. Vous savez le Portugal est un pays de pêcheurs et depuis longtemps nous... - Alors donnez-moi des accras. Avec une Sagres. 68 / 160 En attendant Modo Outrée par cet homme qui ne prenait pas le temps d'écouter son histoire - que son grand-père avait été l'un des meilleurs pêcheurs de son petit village natal, qu'il était le plus habile au rafistolage de filet et autres marinesques exploits elle emballa les accras et prit l'argent que Bogué lui tendait sans même lui jeter un regard. Il s'emmancha dans le dédale de vitrines basses aux reflets charcutiers et fromagers. De la tradition française dégueulait de tous les étals, tenus par des parisiennes joufflues et hanchues qu'on aurait cru fraichement débarquées de province pour vendre du cabecou. Bogué s'aperçut avec effroi que la petite morue aux yeux de biche ne lui avait pas donné de serviette. Il profita qu'une rombière lui tournait le dos pour essuyer sa main grasse sur la lourde fourrure qu'elle portait malgré la chaleur. Merde ! Du lapin ! Du vrai lapin ! Ca se sentait bien, cet incomparable poil soyeux. T'it lapin, pensa-t-il, mélancolique. Il s'apprêtait à demander à cette préhistorique créature si elle comptait manger du civet ce soir mais se contenta d'essuyer sa main gauche et accompagna son geste d'un léger rot aux relents marins qu'il souffla en sa direction. A l'odeur ou au geste -Bogué n'eut pas le temps de comprendre- la vioque se retourna et eut un mouvement de recul. Elle tâta sa peau de bête, contempla sa main grasse, et son visage devint soudain furieux. “Mais où vous croyezvous donc espèce de porc !” lui hurla-t-elle à la figure avant de lui décocher un coup de cabas à la mâchoire qui lui fit faire un demi-tour sur lui-même. Tournant le dos au gros lapin rugissant, il ne vit pas arriver le coup fatal et il bascula, tête première, dans le bac à rougets du poissonnier. Bogué eut du mal à se ressaisir, l'osier du panier lui avait griffé le visage et le commerçant était là, au-dessus de lui, avec ses yeux de merlan : - Y voudrait-y pas laisser mes rougets tranquilles ? Bogué se redressa tant bien que mal et s'enfila dans l'allée la plus proche qui menait à la sortie. De retour dans la rue ensoleillée, il s'approcha d'une terrasse, tira une chaise et se laissa tomber dessus. En portant la main à sa poche, il constata avec joie que sa bière était intacte et la décapsula. Bogué commença à se rafraîchir les idées. C'était un beau pactole certes, mais avant même d'avoir rencontré l'inconnue et pris connaissance du reste de la “mission”, il avait déjà réussi à attirer les coups. “Vous devez aider certains de mes amis à démasquer le Modo, un dangereux maniaque de la censure”. Le motif, Bogué s'en foutait bien. L'oseille, ça oui, l'odeur l'avait attiré. Par ici la bonne soupe ! “Ton modo, cocotte, je te le livre. Tant qu'il est emballé dans du beau papier.” Il sentit le contact chaleureux de billets roulés dans sa poche. Il fut soudain tiré de sa contemplation par une tape sur l'épaule. Une énorme paluche était posée dessus ; elle appartenait visiblement au molosse qui se trouvait à l'autre bout du bras et qui dévisageait Bogué. - Ca va bonhomme ? Tu es bien là ? Je t'amène quelques cacahouètes ? 69 / 160 En attendant Modo - Des noix de cajou. Je préférerais des noix de cajou de Louisiane. Le rugissement du serveur fit sursauter les badauds, tous les regards se tournèrent vers Bogué qui agitait ridiculement les jambes dans le vide. Le géant le porta d'une main par le col jusqu'au milieu de la rue. La bière n'avait pas bougé des ses mains et il avait à peine pensé à moufter. L'autre regagna son zinc sous le regard étonné de certains et les ricanements des habitués qui reconnaissaient bien là le sang-froid de ce grand cardiaque d'Albert. Bogué comprenait déjà qu'il était grand temps pour lui d'en finir avec cette histoire. La laverie était à quelque pas qu'il parcourut en se croyant dévisagé alors que toute le foule attentive quelques instants plus tôt, s'en était retournée au palpage de légumes et tâtage de fruits. Dans la laverie, presque toutes les machines ronronnaient sourdement et presque tout le monde avait déserté les lieux. Une fillette aux tresses multicolores dressées sur la tête était juchée sur la table. Encadrée par deux énormes sacs de course, elle regardait le joyeux va et vient de ses pieds dans le vide. Un type plié en deux traînait un bac vert à roulettes. Son visage s'anima brusquement quand il répondit au téléphone, et la laverie fut aussitôt envahie par un flot de paroles enthousiastes et russes. La fillette ne bronchait plus, bouche ouverte, les yeux ronds accrochés aux lèvres du type. Son attention fascinée fut détournée par une ombre à l'entrée de la laverie. Une énorme silhouette s'encadra dans la porte. “Cette femme pèse au moins deux cents kilos” se dit Bogué en levant les yeux vers la forme opaque qui obstruait la lumière. Il constata que ses chevilles étaient très larges et qu'elle chevauchait l'arrière de ses chaussures avec ses talons caleux. Ses hanches touchaient les montants de la porte et, calé entre ses bras potelés et son imposante poitrine, elle soutenait un gros baluchon à coup sûr rempli de linge sale. Elle se déplaça en dodelinant et en soufflant et vint écraser dans un tremblement ses lourdes fesses sur les deux sièges à côté de Bogué. Elle avait laissé choir à ses pieds son ballot puant et tourna un visage écarlate vers Bogué : - C'est toi le détective ? - Pardon ? Interrogea Bogué surpris. - Le détective. Mogué, c'est toi oui ou merde ? - Euh... mon nom c'est Bogué, balbutia-il Avec un B. - Figure-toi que j'en ai rien à secouer moi du M et du B. On m'a dit d'apporter un message ici à Mogué. Un coup d'téléphone que je sais même pas de qui. Et que pour ça, je serai grassement récompensée, si tu vois ce que je veux dire. - Non pas vraiment, rétorqua Bogué, peu rassuré et flairant le coup fourré et fumant. - Alors je vais t'expliquer, reprit la lavandière. Tu vas gentiment écouter mon indice pis tu vas m'donner la moitié de c' que t' as dans ta poche gauche. C'est comme ça qu' c'était convenu avec l'aut' du coup de fil. 70 / 160 En attendant Modo Bogué regarda autour de lui. La fillette observait par-dessus son épaule, sans broncher. Deux jeunettes, médusées et satisfaites par cette belle animation, avaient cessé tout palabre et regardaient la scène avec attention et des sourires mi-amusés. Quant au russe, il avait fini de plier ses fringues de sa main libre et avait quitté la laverie. Quelques mines réjouies commentaient la scène à travers les vitres de la laverie. - Très bien, enchaîna Bogué impressionné par le mastodonte, qu'est ce que je dois faire ? - Tu dois trouver les fous. - Hein ? Mais où sont-ils ? - Tu dois les trouver. Et tu dois aller dans leurs jardins, rue Pajol, le long de la voie ferrée. - Et quel rapport avec ce Modo ? - Qu'est ce j'en sais moi ? Et maintenant aboule la thune. Et avec un peu de ferraille pasque j'ai une lessive à faire tourner moi... Bogué tenta sournoisement un départ tranquille, assuré de sa rapidité sur le double quintal. Elle ne devait pas bien dormir la nuit pour rêver comme ça la journée, pensa-t-il. La moitié de l'argent, et puis quoi encore, un câlin ? Le cerveau de Bogué n'avait pas imprimé l'image qu'un coup violent l'envoya balloter contre les parois de son crâne. D'un mouvement circulaire du bras, la mégère ménagère venait d'abattre son sac de lessive sur Bogué qui s'effondra contre une machine. En phase de dernier essorage, l'engin fit tressauter le corps de Bogué un court instant avant que l'assaillante ne se jette sur lui. Abasourdi, Bogué tenta une vaine crochette avec sa jambe droite. Mais elle était déjà sur lui, immobilisa ses jambes de tout son poids et enfourna sa tête dans la chair qui débordait de son corsage. Une forte odeur de parfum capiteux mêlée à de la sueur envahit Bogué. Douillettement maîtrisé et un peu dans les vapes, il extirpa de sa poche le rouleau de billets et le lui tendit. Elle se servit sans regarder et enfourna le reste dans la bouche de Bogué qu'elle tenait à présent par les cheveux. - Et estime-toi heureux, toi ! Maintenant, dégage ! Bogué tituba vers la porte et tourna à gauche. Sa voiture était garée sur le trottoir d'en face, il pensa la regagner mais continua quelques mètres encore se retournant souvent. Seule la fillette le regardait encore. Les orgues de Flandre perçaient l'horizon, Bogué traînait des pieds mais son cerveau ballotait déjà moins. Il marmonnait furieusement. "ras-le-bol de ce putain de modo. Ca va être quoi encore que ces fous ?! Si l'aut' salope était pas folle, ça promet". Il tourna à droite avant le pont pour se diriger vers les anciens entrepôts. Dans la friche devant le hangar, un chevalier en ferraille rivalisait avec une autruche en extincteurs. “Qu'est-ce que c'est que cette horreur ?! Mais ils 71 / 160 En attendant Modo doutent de rien, y'en a”. En y regardant de plus près, Bogué constata qu'il n'y avait rien d'autre que ces sculptures en ferraille, il lui sembla qu'il ne s'agissait pas d'un squat d'artistes mais le squat d'un artiste et il se demanda bien comment un seul artiste pouvait squatter à lui seul tout cet espace dans Paris. Le mur de pierre se transforma en mur de crépi puis en mur de dalles. Au milieu une porte en pointillés verts indiquait qu'il approchait bien des jardins Ecobox. Un peu plus loin, une large grille bleue entreouverte et une pancarte indiquant que le jardin était ouvert le samedi de 15 heures 30 à 18 heures 30. Deux barils bleus annonçaient la couleur : “Zone de Butinage”. Bogué se faufila à l'intérieur et fut presque charmé par le lieu. Au premier plan des petits carrés de jardinets encadrés proprement par des palettes. Il n'y avait personne mais un tuyau d'arrosage crachait tranquillement un filet d'eau par terre. Au fond, l'entrepôt s'avançait comme une scène de théâtre, des bancs avaient été installés face aux jardins. Sur les murs, quelques graffitis et des affiches. Bogué s'approcha "Où sont passés les fous, bordel", s'impatienta-t-il, et levant la tête, se trouva drôlement prémonitoire. “Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? hurla-t-il.“C'est de l'art ducon !” Bogué n'avait pas entendu venir l'homme derrière lui et lorsqu'il se retourna, il s'aperçut que celui-ci tenait un bâton à la main. “Vous n'auriez pas dû venir ici monsieur Mogué. Il n'y a rien à trouver dans ce quartier, pas même votre modo. Il n'y a que des fous et ce n'est pas un fou de plus qui fera taire le Modo. Vous devriez rentrer chez vous.” L'homme n'avait pas l'air fou, pensa Bogué, juste inquiétant. Il se montrait maintenant agressif et quand Bogué lui proposa son argent en échange d'un “cédez le passage”, l'homme se mit à rire. “Vous ne semblez pas comprendre, monsieur Mogué, grinça-t-il. Votre argent, je vais le prendre bien sûr. Mais je vais surtout vous faire passer le goût de courir après le Modo.” Quand Bogué émergea, un écho atroce retentissait dans son crâne. C'était celui d'un ballon que des gamins s'amusaient à shooter dans le mur. L'endroit était animé, des gens étaient apparus sans se soucier de l'état de Bogué, étendu là comme un clochard aurait fait sa sieste. Il se releva, sentit la grande halle tourner autour de lui puis se dirigea vers la grille en zigzaguant. C'en était fini à présent, se dit-il en remontant la rue pour regagner son combi. La disparition du reste du fric dans sa poche le conforta dans l'idée d'abandonner là toute recherche bénévole pour le compte de ses commanditaires. Bogué poussa la porte de l'épicerie Plado avec difficulté, le cerveau bien écrasé et les bras encore engourdis. Il pensait à son lit et se voyait tirant la couette sur sa tête. Sur le comptoir recouvert de Monde, de Parisien, un chien pouilleux avait élu domicile. Brassens chantait qu' auprès de son arbre il vivait heureux. L'épicier asiatique leva les yeux de son journal et adressa un sourire chaleureux à Bogué. - Bonjour monsieur. Qu'est-ce qu'il vous faut ? - Donnez-moi une mousse. 72 / 160 En attendant Modo - Oui, bien sûr. et il se dirigea vers le réfrégirateur, saisit une cannette fraîche et la déposa sur le comptoir - Il vous fallait autre chose ? - Non, merci. - Alors ce sera un euro monsieur. Dites, c'est à vous la camionnette orange ? - Le combi ? Oui. - Une petite fille m'a déposé ça pour vous. Bogué prit l'enveloppe. C'était une enveloppe kraft semblable à celle dans laquelle il avait reçu l'argent. Elle semblait contenir autre chose que des billets. Il remercia l'épicier et sortit sans pour autant le quitter des yeux, de peur de finir assommé dans l'arrière boutique. Sur le pas de porte, Bogué décacheta l'enveloppe, non sans avoir jeté des coups d'oeil aux alentours. Un mot était glissé à l'intérieur. “Monsieur Mogué, je pense que vous avez compris la leçon, cessez-là vos recherches. Le Modo n'est pas homme à se laisser influencer.Vous trouverez une petite compensation à vos malheurs derrière le....” “Derrière le quoi ? s'exclama Bogué. Encore des salades et des coups à prendre pour pas un rond. Qu'ils aillent se faire voir avec leur Modo.” Bogué s'apprêtait à remonter dans son combi lorsque son regard fut attiré. “Merde”, s'exclama-til et il referma la porte de la voiture. 73 / 160 En attendant Modo Chapitre 18 Chapitre de Toflabeuze se déroulant à Paris Alfred Bogué se réveilla en sursaut, tiré de ses rêves étranges par la clarté de l'aube. Il lui semblait n'avoir pratiquement pas dormi, entraîné qu'il était par d'effrayantes chimères. Tout avait commencé quelques semaines auparavant. Il était à Paris pour découvrir quelques indices sur son insaisissable cible, l'énigmatique Modo. Sa mystérieuse indicatrice, à la voix si troublante, lui avait de nouveau téléphoné, lui donnant un de ses énigmatiques rendez-vous à Paris, sans donner plus d'information. Qui était-elle ? Bogué l'ignorait. Il finissait par se demander s'il elle n'était pas Modo elle-même, menant contre lui une sourde vengeance, l'attirant dans sa toile un peu partout en France, de piège en piège... Bogué était troublé. Cette fois-ci, elle avait été bien avare en indications. Passé le périphérique, rentrant dans Paris, allait-il devoir sillonner les rues dans sa vieille guimbarde, et dans l'espoir de trouver quoi ? Il avait fini par louer une petite chambre dans un hôtel miteux. Chambre froide comme un tombeau dans lequel on voulait l'ensevelir. Et il tournait en rond sans savoir quoi faire, par où commencer, attendant près du téléphone un éventuel secours de son inconnue. Alors la nuit vint, apportant son cortège de peurs. Ce ne fut au début qu'un vague souvenir insaisissable au petit matin, le rêve qu'on a au bout de l'esprit sans pouvoir le toucher. Alfred Bogué se sentait néanmoins fatigué, comme si ses rêves devenaient des insomnies. Le mal s'intensifia rapidement, couvrant la totalité de ses nuits d'ombres confuses, de présences invisibles et d'une frayeur grandissante. Il se réveilla plusieurs matins hagard, complètement vidé de toute énergie, ne sachant plus ce qu'il faisait, ce qu'il était venu chercher. Dans la journée, il n'espérait qu'une chose, entendre enfin sa voix, "elle" qui l'avait amené ici, "elle " était pour lui celle qui le délivrerait de cette douleur étrange qui lui était apparue subitement. Mais rien. Ses délires finirent par se manifester en plein jour, la première fois alors qu'il marchait sur les quais. Il se réveilla brusquement place de la Bastille, sans savoir comment il était arrivé là. Juste le souvenir encore vivace d'une ombre planant au-dessus de lui, lui parlant sans qu'il puisse entendre. Puis de nouveau un rêve quasi éveillé qui emmena ses pas dans le 20ème arrondissement sans qu'il sache comment et pourquoi. Mais cette fois, il se souvenait d' "elle", enfin ! Il la voyait devant lui, entourée de tombes, de sépultures, de caveaux, prononcer des mots sans signification, mais qu'il s'empressa de noter sur son vieux calepin. Il n'était pas sûr de sa retranscription, mais le rêve commençait déjà à s'évanouir en lui. Pourtant, il sentait qu'"elle" n'était pas loin d'ici. Bogué relut la phrase énigmatique qu'il avait notée : "En allant de la croix à la fontaine, et malgré la douleur, tu découvriras près du trophée, en dessous du pontet, ce que tu cherches..." Allait-il y trouver Modo ? Ou était-ce un rendezvous de son étrange indicatrice ? Ou un piège... Mais il devait y aller, il sentait qu'il était prêt de découvrir quelque chose d'important depuis qu'il avait 74 / 160 En attendant Modo commencé la traque de Modo dans tout le pays. De plus, il avait une petite idée de ce que signifiait cette nébuleuse phrase... 75 / 160 En attendant Modo Chapitre 19 Chapitre de Debwin se déroulant à Paris Il avait de suite compris, l'Alfred, que cette affaire n'aurait rien à voir avec une de ses enquêtes habituelles, c'était du neuf, de l'inconnu, et ça tombait plutot bien : à cinquante berges, il en avait sa claque de rouiller des heures en planque dans son combi orange, de s'enfumer dans des rades glauques pour un renseignement foireux, et les filatures lui filaient le bourdon. Son enthousiasme tombait en quenouille. Un affaire pareille, complètement virtuelle, c'était une aubaine. Parce qu'il en avait pas marre de chercher, Alfred, non, il en avait juste marre de bourlinguerpar tous les temps... Là, rien à voir : depuis trois semaines qu'il avait commencé la traque de Modo, c'était comme si sa vie avait recommencé ! Plus aucune fatigue, plus aucune routine, parce que tout était nouveau. Si Modo existait, il le trouverait, et cela ne pouvait être que sur Internet. Il avait demandé à son neveu Pierrot de le mettre au parfum -ça tombait bien: Bogué Pierre, l'unique descendant du nom, passait deux mois pour ses études à l'étranger. Tonton avait ses clés, l'ordi, le mode d'emploi et Pierrot lui avait tout expliqué. En échange il répondait au chat et nourissait les (nombreuses) expetites amies de Pierrot.(ndlr : et vice-versa) Le plus dur au début -mais c'était loin déjà - avait été de se trouver un pseudo pour devenir membre de ce mysterieux forum dans les tréfonds duquel le Modérateur s'était volontairement englouti.... Trois nuits blanches d'affilée devant l'écran lui avaient suffi pour être sûr que ce serait pas facile : ils existaient vraiment, tous ces zozos, et pas seulement la femme qui lui avait donné son premier-rendez vous à Fosses, les autres aussi existaient quelque part dans la nature, "in the wild" comme ils disaient entre eux. Trois nuit, oui, pour être sûr qu'ils étaient nombreux, mais pas autant que le nombre des pseudos pouvait le laisser penser : n'empêche, elle était géniale, leur orga, parce qu'ils avaient chacun plusieurs pseudos, soigneusement choisis et codés pour certains d'entre eux ! Mais à ce stade de ses investigations Alfred n'avait pas encore essayé tous les codes... Subtil, leur réseau, une toile de plus sur le net, tissée horizontalement sans aucune hiérarchie apparente, reliant entre eux plusieurs centres nerveux qu'ils appelaient des "PC". Là se trouvaient les seuls lieux d'échange non-virtuels par lequel transitaient, dans de mysterieuses enveloppes kraft tout à fait anodines extérieurement, LA marchandise... 76 / 160 En attendant Modo Dès le début de l'enquête, Bogué en vieux routier avait foncé sur un des PC, celui de Paris. Au coeur d'une rue interlope, il n'avait eu aucun problème pour accéder à l'endroit -une sorte de cave-où s'effectuait le stockage... Mais évidemment, rien, il n'avait rien trouvé, et pour cause, de retour devant l'ordi de Pierrot, une rapide visite sur le forum lui avait permis de constater qu'il avait été doublé, et de quelques heures à peine, par un nettoyeur, et comble du cynisme ce nettoyeur était venu parader sur le forum, sous le pseudo (un peu facile, mais ô combien parlant!) d'Arsène Lupin ! Il avait bien fait le ménage, le salaud, et les réactions des autres sur le forum lui avaient confirmé ce qu'il avait déjà compris, qu'ils étaient tous de mèche, pas un ne s'était plaint de voir que la marchandise - LEUR marchandise - avait disparu ! C'est pour ça que depuis Bogué s'était enfermé devant l'ordi : il allait les prendre de vitesse, en observant les mouvements, les réunions qu'ils appelaient des « MBC » (avec leurs rites secrets) et surtout en finissant de décrypter ces maudits pseudos et les messages -codés- qu'ils s'échangeaient ouvertement au nez et à la barbe de tout le web ! Les pseudos le conduiraient au Modo. Le lamentable épisode de sa descente foireuse au PC lui avait enseigné aussi la chose suivante : dans cette enquête qui n'avait rien d'une course de vitesse, il fallait les prendre à rebours, remonter la chaîne des signes et des symboles, c'est comme ça qu'il débusquerait Modo. Il s'était usé les yeux à tout lire, mais bon dieu, c'était à la suite de ces nuits de lecture que tout était devenu presque clair : Modo était apparu au moment même où allait être faite une révélation dangereuse, que sa seule présence avait empêchée.....Puis, il avait lui-même disparu de sa propre volonté en enjoignant aux autres de le laisser sombrer dans l'oubli...Et...Le plus stupéfiant de tout....Bogué avait encore un frisson en pensant à la nuit où il avait découvert tout ça !............Dans les jours suivant la disparition du Modérateur, plusieur membres avaient disparu - l'un d'entre eux avait même réussi à s'évaporer en ne laissant AUCUNE trace ! Le comble, c'est que......... personne ne s'était inquiété de ces disparitions inexpliquées.....Et pour cause ! Les absents étaient réapparus presqu'aussitôt, mais... sous d'autres pseudos, qu'Alfred avait décryptés. Il ne lui en manquait plus qu'un, celui qui lui donnerait LA REPONSE attendue, la réponse à l'énigme que lui avait soumise la femme mysterieuse de Fosses. Mais rien à faire, il lui manquait LA FORMULE. Un léger signal sonore l'avertit de l'arrivée d'un mail, qu'il ouvit de suite, car il venait de Pierrot, et comme Pierrot avait fait Math Spé,Alfred lui avait demandé de l'aider à décrypter. Il lut : < Bogué Pierre> mailto<Tonton Fredo (alias ********)> "Je crois que j'ai trouvé un truc pour toi. Ce livre contient la fameuse suite de Fibonacci, si tu l'appliques a "M-O-D-E-R-A-T-E-U-R" (t'inquiètes, je l'ai déjà fait) on trouve quelque chose de très très très instructif ! Je peux pas te l'envoyer par mail, trop dangereux, pas assez confidentiel : va le chercher là où l'a planqué pour toi ton ancien collègue le Comissaire Gourrel. Mais fais vite, avant le 9 Avril." 77 / 160 En attendant Modo Bogué ferma les yeux, il avait un espèce de vertige... La suite de Fibonacci....Le CODE ! Sans même éteindre l'ordinateur, il saisit son chapeau et les clé du combi, oubliant même son tabac. Deux minutes après il démarrait en trombe, en direction du Quai des Orfèvres. 78 / 160 En attendant Modo Chapitre 20 Chapitre de Debwin se déroulant à Marseille Quittant la PJ, Alfred Bogué longea le quai des Orfèvressans même voir le spectacle grandiose offert par le couchant flamboyant derrière Notre-Dame : il était encore abasourdi de ce qu'il venait d'entendre...Sonné, il était comme sonné par l'ampleur des révélations que son ancien collègue le Commissaire Gourrel venait de lui faire, preuves à l'appui. « Tu dois te rappeler être allé à Fosses le mois dernier pour y rencontrer une femme qui avait besoin de toi ? »...Un peu, pensa Alfred, que je me rappelle de Fosses (beau nom pour un début...c'est là que l'enquête avait commencé... Alfred avait beau avoir quitté la PJ depuis quinze ans, il se souvenait que son pote Gourrel avait une qualité bien particulière, qui avait fait son succès et son ascension rapide dans la carrière : quand il posait une question, c'est qu'il savait déjà la réponse... - « C'est moi qui te l'ai envoyée...» Preuves sur la table, Gourrel avait affranchi Alfred. « Le Modérateur », alias « ******* », touchait de si près au centre du pouvoir qu'il n'était pas question pour la PJ d'ouvrir une enquête officielle... Alfred, Gourrel l'avait choisi parce qu'il avait quitté la PJ depuis assez longtemps pour ne pas être repérable, mais aussi et surtout parce qu'il continuait à employer dans son boulot les bonnes vieilles méthodes «maison », et d'abord la discrétion. De la discrétion, il en faudrait pour « mouiller « Modo », suffisamment pour le neutraliser, mais pas trop pour ne pas risquer d'éclabousser l'E****.... - « Modo, nous savons maintenant qui c'est... » Le regard bleu du Commissaire laissa percer un éclair de menace... « Et je te le dis, Alfred, il vaut mieux que tu ne le saches pas ! Si tu as une idée, eh bien,oublie vite....ou du moins ne le dis à personne ! » A l'angle du Quai des Orfèvres, le Soleil d'Or s'ouvrait devant Albert, lui ouvrant ses portes comme deux bras protecteurs...Il se cala au comptoir et commanda un double scotch. Tout d'abord une pipe pour se remettre de cette incroyable entrevue....C'était bien la premiere fois de sa vie qu'il allait devoir abandonner une enquête si près du but ! Et comme il avait bien fait de garder le silence quand Gourrel avait évoqué la possibilité qu'il ait déjà découvert l'identité du Modérateur ! Depuis la veille, grace au « CODE » et à Pierrot, Alfred « savait »...Et maintenant il savait aussi qu'il était plus prudent d' « oublier »...Oublier... « Garçon, un autre double ! » - « Par contre il faut récupérer de toute urgence les enveloppes qui étaient 79 / 160 En attendant Modo stockées au PC, avant qu'elles quittent le territoire national. Tu es seul sur ce coup-là, Alfred, méfie-toi, ils sont rapides, et redoutablement organisés. Tu n'as que jusqu'au 9 Avril. Si tu ne les a pas trouvées à cette date, on risque la cata, nationale aussi...Et souviens-toi : ne les ouvre pas, surtout, et si tu te doutes de quoi que ce soit au moins ne le dis à personne ! -C'est donc de la dynamite ? hasarda Bogué. -Tu ne crois pas si bien dire ! Pour ta sécurité, ne les ouvre pas, et rappelletoi : tu es tout seul ! » Sur ces dernières recommandations (ne pas les ouvrir et ne pas l'ouvrir !), Bogué s'était retrouvé dehors, il avait quitté le Quai des Orfèvres la tête en feu, et tenté d'éteindre l'incendie au Soleil d'Or... L'insistance de Gourrel sur « Ne le dis à personne » ne lui laissait aucun doute : le voyage vers Marseille n'était pas sans danger. Finie, la douillette tranquillité de l'enquête virtuelle sur le web...l'Alfred d'avant, le bourlingueur, reprenait du service. « Ne le dis à personne... » Il avait déjà dans sa poche le billet de TGV pour la gare Saint-Charles. Il se hâta vers la gare de Lyon, et laissa au parking son combi orange. 80 / 160 En attendant Modo Chapitre 21 Chapitre de Dooimy se déroulant à Genève Depuis un poignée de jours déjà Bogué était coincé dans cette ville et ça lui foutait le cafard. Pourtant elle n'était pas dénuée de charme cette ville, ce n'était pas l'endroit le problème. Ce qui lui minait le moral, c'était son enquête qui piétinait depuis un sacré bout de temps déjà. C'est que la dame le baladait à travers toute la France et maintenant même en-dehors des frontières et tout ça pour que dalle, cette foutue affaire n'avancait pas. C'était toujours la même rengaine : la mignonne lui passait un coup de bigophone et, de sa voix chaude et suave, lui donnait le lieu, la date et l'heure du prochain rendez-vous, auquel, une fois encore, elle ne se montrerait pas. Cette fois encore, après son appel, il avait fourré quelques vêtements en boule dans son vieux sac en cuir marron qui l'accompagnait dans toutes ses aventures et il avait pris la direction de Genève dans son fidèle combi Volkswagen. Il était rentré, comme les fois précédentes, avec un nouvel indice de son premier rencard genevois, mais il avait également hérité d'un bout de nappe en papier sur lequel était griffonné quelques mots lui fixant un rendezvous supplémentaire trois jours plus tard. Il avait mis à contribution ces quelques jours pour visiter un peu la ville. Mais les musées, les églises et autres monuments, c'est pas trop son truc à notre Fredo. Il a sa façon toute personnelle de découvrir une ville. Il a pour ainsi dire visité toute la Suisse sans quitter le quartier où il s'était dégoté un petit hôtel minable. Rue de Lausanne, rue de Zürich et surtout rue de Berne, il avait testé tous les bars et traîné avec toutes les filles ou l'inverse, faut dire qu'elle sont pas farouches dans le secteur tant qu'on a du liquide dans le poches. Après quelques jours de ce régime, il avait les idées encore plus embrumées, mais il comptait sur le deuxième rendez-vous pour y voir un peu plus clair dans cette affaire. C'était un bar un peu glauque, un de plus. Il s'était installé au comptoir, à côté des deux seuls clients, deux poivrots occupés à refaire le monde et à divaguer sur des sujets aussi vastes que la vie, l'univers et le reste, enfin des sujets qui paraissent toujours beaucoup plus clairs avec un coup dans le tarin. Le petit bout de nappe mentionnant le rendez-vous indiquait aussi: « Vous me reconnaîtrez à ma tenue, je serais vêtue au couleurs de Stendhal, ou de Jeanne Mas, tout dépend de vos références. » Une dizaine de bières et quelques gorgées de whisky plus tard, une femme portant un corset noir et une jupe rouge en simili-cuir fit son entrée. On imaginait un certain charme sous cette perruque blonde platine et cette masse de maquillage, une certaine tristesse aussi. Elle s'approcha de Bogué et sortit une feuille pliée en huit de son corsage et la lui donna en lui lançant « Un p'tit câlin mon grand, ça te tente? » 81 / 160 En attendant Modo Le détective déclina l'offre, si alléchante fût-elle, et sorti dans l'air frais du matin. Là, il déplia le papier et découvrit un plan de la ville marqué d'une croix rouge, ainsi que quelques mots griffonnés en dessous. Il décida de s'y rendre tout de suite, cette affaire n'avait que trop traîné. Il laissa son combi orange et opta pour une promenade matinale. Il descendit jusqu'au bord du lac et s'amusa de voir cet immense colonne d'eau émerger de ce bout de lac et sourit à l'idée de tous ces touristes prenant la pose, le temps d'une photo, devant ce phallus aqueux (ces derniers jours lui avaient peut-être un peu détraqué les idées). Il traversa le lac et se dirigea vers la partie plus ancienne de la ville. Il aimait se balader dans les rues désertes et découvrir leurs noms. Rue d'Enfer, rue du Purgatoire, pas très marrant dans le coin. Place de la Taconnerie, ça lui plaisait déjà plus. Il continua à déambuler dans les rues un moment, puis il leva les yeux pour connaître le nom de la rue dans laquelle il se trouvait. Ce nom le laissa rêveur, il pensa à la « voix », il se dit que si ses mirettes étaient aussi sublimes que sa voix était sensuelle, cette rue devrait lui être dédiée. Il reprit ses esprits et regarda le plan, il n'était plus très loin maintenant. Au bout de la rue, il aperçut un bâtiment qui devait être l'école mentionnée sur le plan et, en face, se trouvait le but de cette promenade. Il déchiffra les quelques mots situés sous le plan: « Au coeur de cette île de verdure suspendue au milieu de la ville, vous trouverez l'objet recherché. Il repose au sein des branches d'un arbre, sous le regard de bronze de deux femmes dédiées à un certain Hodler ». L'objet en question était un agenda avec une liste de noms, apparemment des pseudos, probablement des bookcorsaires comme il se nomment eux-mêmes. Peut-être que ceux-ci avaient des indices qui pourraient faire avancer sa foutue enquête. 82 / 160 En attendant Modo Chapitre 22 Chapitre de Badgam se déroulant à Rennes Jeudi 31 mars 2005 - 11h32 J'avais le crâne farci par les salades de la miss Modo. Elle me parlait d'un gars qui portait un nom de bossu mais dont personne n'était capable de savoir où il créchait, ce qu'il faisait de ses journées et, surtout, pourquoi une femme à la voix si suave le recherchait par le biais d'un privé. Si l'hypothèse que la donz'elle en gardait sous le pied pour ne pas me dévoiler tout son jeu dès notre premier contact m'avait effleuré l'esprit, les quelques questions pièges que je lui posai au sujet du fameux Modo me poussaient plutôt dans la direction que le jeu en valait peut-être la chandelle, et peu importe si je partais dans l'inconnu. D'ailleurs, je sortais d'une filature pour le compte d'un grand industriel de la côte bretonne qui soupçonnait sa femme de ne pas vendre que des Tupperwares dans les réunions nocturnes où elle se rendait plusieurs fois par semaine. Sans vouloir blesser mon commanditaire, Madame savait mettre les gens à l'aise et je compris très rapidement le succès de ses réunions. Bref, du classique bien glauque dont je me passerais bien mais, il faut bien régler ses dettes. Je décidai donc d'accepter cette affaire, histoire de voir de quel bois se chauffait ce fameux Modo. La seule piste que me laissait la poupée était des bancs publics, des cabines téléphoniques, des bars et autres endroits atypiques où Mister Modo avait été aperçu mais sans réelle description physique. Même jour - Café Elsa Poppin' - Rue Poullain Duparc - 12h54 Modo semblait y passer régulièrement. Il prenait un café, le plus souvent le midi, mais à des jours différents de la semaine. Le Modo était toujours très généreux en pourboire et c'était certainement une des raisons pour lesquelles le serveur se rappelait si bien de lui. Le seul problème était qu'on ne l'avait pas revu depuis plusieurs semaines. Le garçon de café - qui devait se sentir tout excité de se faire questionner par un détective - m'avait donné pas mal de détails sur le personnage mais rien qui pût me satisfaire. Il portait tantôt un chapeau noir, des lunettes noires, une cravate noire, et tantôt arborait un style très différent... chemise hawaïenne et tongues, bref, le genre de type qui maîtrise l'art de passer inaperçu. D'ailleurs ma dernière question posée au serveur m'en dit plus long que ses 15 réponses à mes 15 questions précédentes ! - Pourriez-vous le reconnaître s'il était dans cette salle ? - Bien s... heu... non finalement, maintenant que vous me posez la question, je ne saurais pas vous dire la tête qu'il a ! Pendant que le jeune homme restait perplexe le plateau à la main, je réglai mon café et quittai les lieux en lui tapotant l'épaule. 83 / 160 En attendant Modo Même jour - Quai Emile Zola - 15h21 Je me rendis sur un des bancs publics du quai Emile Zola, près de la République, où je devais retrouver mon informateur préféré dont - vous le comprendrez aisément - je ne peux pas vous dévoiler ici la véritable identité. Pour le boulot, je l'appelle Omar le canard ! Un nom de code plutôt déroutant mais ce gars est un génie de l'information. Il sait tout sur tout le monde. Agent du gouvernement à la retraite, il prenait son rôle d'informateur avec beaucoup de sérieux. Je le retrouvai donc assis sur le banc habituel, le nez dans l'Equipe de la veille (c'est notre code lorsqu'il a une info !). - Tu es en retard, me dit-il sans lever les yeux de son journal. - De 2 minutes, Omar ! - Il peut se passer beaucoup de choses en 2 minutes ! (Quand je vous disais qu'il prenait son rôle au sérieux !). - Bon, dis-moi... tu ne connaîtrais pas un certain Modo par le plus grand des hasards ? - Modo... je le connais presque... - Qu'est-ce que tu veux dire ? - Je veux dire que je connais un Quasi... modo ! (Imaginez Omar tout sourire, fier de sa blague à 80 centimes d'euros). - Bon, je vois que tu n'es pas d'humeur à bosser, excuse-moi mais j'ai du pain sur la planche. Je commençais à plier bagage lorsque Omar redevint l'homme le plus sérieux du monde. - T'emballe pas, le privé... si on ne peut plus rire. Il sortit son carnet relié cuir et commença à feuilleter les pages jusqu'à son expression qui me fit comprendre que, non seulement Omar est infaillible, mais qu'en plus il le sait ! - Modo, tu disais ? - Omar !... tu ne veux pas arrêter de te croire dans un polar ; à chaque fois qu'on se voit tu me fais la même scène ! - Okay... j'ai entendu parler de ce type lorsque je m'occupais d'un trafic de livres qu'un groupe de fondus volaient dans les bibliothèques pour les laisser dans la nature... pour en faire profiter Mr tout le monde qu'ils disaient. Bref, ce gars n'a jamais été retrouvé, volatilisé dans la nature... appartement vide, pas d'adresse, ni de famille ou d'amis, pas d'abonnement à quoi que ce soit... le fantôme de l'opéra des temps modernes ! - Et comment tu as entendu parlé de lui ? 84 / 160 En attendant Modo - Tu te souviens de Kaiser Sauzé ? - Bien sûr ! - Et bien c'est le même genre de personnage en moins violent ! - C'est l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme... et au bout du compte personne ne l'a jamais réellement vu. - Je crois bien que pour une fois tu ne vas pas pouvoir m'aider... tu vieillis Omar... tu vieillis. - Ça c'est que tu crois Bogué ! Tu vois, dans cette unité centrale que je nommerai mon cerveau, j'ai des données insoupçonnables. - Je ne crois que ce que je vois. Omar se mit alors à griffonner un nom sur un morceau du journal qu'il venait de déchirer. Je pus lire des initiales qui ne m'éclairèrent pas vraiment : O.D.I.L. - Qu'est-ce que cela veut bien pouvoir dire ? interrogeai-je mon camarade de jeu du regard. - Organisation de Diffusion Indépendante des Livres ! Ca, c'est un pote haut placé qui me l'a confié. Ça doit rester secret. Il s'agirait d'une sorte de QG du fameux groupe dissident qui "kidnappe" des livres pour les "libérer dans la nature". - Trop fort ! - Voilà l'adresse. - Omar, t'es vraiment trop... -... fort ! Oui je sais. Je le laissai le sourire aux lèvres... il faut parfois savoir caresser les gens dans le sens du poil, n'est-ce pas ? Moi Alfred Bogué, détective privé, j'allais découvrir qui se cachait derrière ce Modo et prouver à tous ceux qui n'avaient jamais pu mettre la main dessus que n'est pas Bogué qui veut ! Vendredi 1er avril - Chez moi - 9h53 L'adresse que ce cher Omar le canard m'avait discrètement transmise correspondait à une écluse située Quai Saint-Cast, près du boulevard Mitterand. Comment ce Modo avait-ii pu passer inaperçu dans un lieu aussi fréquenté ? Ce n'était pas mon problème. Tout ce que je souhaitais, c'était lui tomber dessus, le faire parler, appeler la donz'elle, encaisser mon chèque et prendre un peu de repos au soleil. Même jour - Hôtel - 10h17 85 / 160 En attendant Modo Je décidai de louer une chambre de l'autre côté de la rue où se situait l'écluse afin de surveiller les allées et venues et voir si ce mystérieux Modo se manifesterait. Je n'eus pas beaucoup à attendre et ça tombait plutôt bien car très franchement - le café de l'hôtel était pire que la pisse d'âne des amerloques - je comptais bien en dire deux mots au boss de l'établissement au moment de régler ma note. Mais revenons à nos moutons... un type pa(s)tibulaire mais presque semblait tourner autour du pot (je fais ici allusion à l'écluse). Il portait un genre de manteau de laine plutôt large et un sac à dos qui me semblait plutôt bien rempli. Le jeune homme s'installa sur l'un des bancs du petit square aménagé autour de l'écluse et commença à trifouiller dans son sac pour en sortir un casse-dalle. Je ne sais pas pourquoi mais mon instinct tapait à la porte de mon crâne et me disait : « Mon Alfred, si tu ne bouges pas avant qu'il termine son sandwich, tu vas t'en mordre les doigts car ce bougre pourrait bien être le Modo en question ». J'enfilai mon par-dessus, vissai mon feutre sur mon crâne et vérifiai qu'aucune miette de croissant n'était restée coincée entre les dents - ça pourrait faire mauvais effet - et je descendis les étages 4 à 4. Petit bonhomme rouge - Passage piéton / Pont de la mission - 11h12 Je fixais la silhouette où se trouvait toujours le gars au sandwich pendant que les bolides glissaient sur le bitume à la queue leu leu telles des perles qui s'enfilent sur du fil. Petit bonhomme vert - Passage piéton / Pont de la mission - 11h13 Je traversai la rue et m'approchai discrétos en restant planqué derrière un buisson à l'affût du gaillard qui - semblait-il - aimait déjeuner en paix. Alors qu'il finissait son en-cas, il se leva et regarda autour de lui. Je restai bien caché, histoire de garder l'avantage de la surprise. Il referma son sac et se prépara à quitter son banc. Il était temps de passer à l'action. Je sortis de ma planque et m'approchai en faisant fi de m'occuper de lui. Du coin de l'œil, je saisis qu'il se demandait d'où je sortais mais ne sembla pas en faire une formalité. Mon plan fonctionnait à merveille. Inutile de vous dire qu'en des moments pareils, l'excitation est à son comble et - pour rien au monde - je ne changerais de boulot. Soit il avait du flair, soit il avait un train à prendre, quoi qu'il en soit, je le sentais prêt à prendre la poudre d'escampette. Je n'allais tout de même pas le laisser échapper maintenant que je le tenais. Il pressait le pas, j'emboîtai le sien. Ni une, ni deux, je l'interpellai : - Modo ? Il se retourna et me dévisagea, incrédule. - Je vous connais ? - Peu importe, j'ai deux mots à vous dire. - Excusez-moi mais je ne vois pas de quoi nous pourrions parler et je ne sais pas qui est ce Modo ! 86 / 160 En attendant Modo Il reprit sa marche tout en passant une main sous son manteau. S'il croyait pouvoir se débarrasser de moi comme d'un vulgaire insecte, il se méprenait sur mon compte. Je le rattrapai et le retins par l'épaule. Le gars - du style rebelle glissa une main sous son manteau, semblant chercher à tâter du calibre, ça n'allait pas se passer comme ça. - Eh... on se calme Modo. - Cessez de m'appeler Modo et laissez-moi tranquille. Je n'ai pas de temps à perdre, me lança-t-il en se débattant et en retirant sa main de son vêtement Cette fois c'en était trop, je ne tenais pas à me faire descendre en public, alors je lui allongeai un pain comme Luciano savait en donner pour conclure un combat. Il vacilla, se rattrapa et s'assit sur le banc où il avait tranquillement dégusté son jambon beurre quelques minutes plus tôt. - Vous êtes malade... Il ouvrit son manteau et je découvris l'objet que sa main cherchait. Il s'agissait d'un livre de poche... 98 pages tout au plus. Je sais ce que vous allez penser : Alfred tu ne fais pas dans le détail et tu aurais peut-être pu réfléchir avant d'agir. J'avais cru qu'il voulait se saisir d'une arme et en guise d'arme, il me sortit un polar. Tout le monde peut se tromper. La seule excuse qu'il me restait c'est que dans les polars on trouve souvent des pétoires, non ? Ca ne vous suffit pas ? - Arrêtez de m'appeler Modo, je ne suis pas celui que vous cherchez ! - Et... par le plus grand des hasards, vous ne connaîtriez pas ce M... - Non non et non,... laissez moi tranquille, je vous dis. - Ok... si ce n'est pas indiscret, vous comptiez en faire quoi de votre bouquin ? - Le libérer... je fais partie d'une communauté appelée Bookcrossing. - Une secte, quoi ? - Pas du tout ! Vous voyez le mal partout vous ! - C'est mon boulot... - Si vous ni voyez pas d'inconvénient, je vais vous laisser maintenant et ne me suivez pas. - Loin de moi cette idée. - Je vous connais, les privés, vous passez votre temps à filer les gens, boire du whiskey, draguer votre secrétaire et filer des pains aux inconnus. - Vous lisez un peu trop de polars, jeune homme. (Sur ce coup il fallait avouer qu'il avait vu juste le bougre). 87 / 160 En attendant Modo - Dernière question... comment vous savez que je suis un privé ? - Attifé de la sorte de nos jours ? Je le laissais partir en m'estimant heureux qu'il ne déposât pas plainte contre moi pour l'avoir frappé sans raison. Je m'étais planté mais faute avouée, à demi pardonnée, comme disait... je ne sais plus qui d'ailleurs. Bogué n'aime pas rester sur un échec. Aussi, je décidai de rentrer à l'hôtel, régler ma note et reprendre l'enquête depuis le début. En partant, je retrouvai la réceptionniste qui me tendit la note. - Vous partez déjà ? - Oui, les affaires. Dites-moi,... - Oui, me demanda la brune qui sentait que j'allais l'inviter à prendre un verre. Mais les paroles du faux Modo sur sa vision des privés me hantèrent subitement. Draguer ma secrétaire ? Comme si je n'avais que cela à faire ! Je repris mes esprits et - rien que pour le contredire - je décidai de planter la brune. Même jour - Bureau d'Alfred Bogué - 14h17 De retour au bureau, je découvris plusieurs messages de la donz'elle qui recherchait Modo désespérément, et la rappelai dare dare. - Que faisiez-vous Bogué ? Je n'ai pas arrêté de vous appeler. - Eh ! Du calme, je bossais sur votre affaire, je vous signale. - Ah bon ? Et qu'avez-vous trouvé ? - Un type qui libère des bouquins et qui mange des sandwichs mais qui ne connait pas Modo. - Je ne vous suis pas très bien Mr Bogué. - Moi non plus ma belle ! Et maintenant, j'aimerais bien que vous m'en disiez un peu plus sur votre Modo sinon je crois que je vais laisser tomber cette enquête et vous demander de me rembourser mes frais d'hôtel. - Quoi ! Vous avez déjà des frais au bout de 24 heures d'enquête ? - Qu'est-ce que vous croyez, que je me tourne les pouces ? - Ecoutez, Bogué. Je vous ai engagé car vous semblez être la référence en matière de recherche et de filature mais si vous pensez ne pas être à la hauteur autant le dire tout de suite et je changerai de crémerie. Ce n'est pas plus compliqué que cela ! 88 / 160 En attendant Modo Il ne manquait plus que cela. Elle me sortait le grand jeu du mandataire qui a des doutes sur mes compétences et qui veut se retirer de la table avant de perdre gros. - Bogué ne bogue jamais, Mam'zelle. Vous comprenez ce que je vous dis ? Alors, soit vous m'en dites plus, soit je débarque chez vous et on discute de tout cela face à face, si vous voyez ce que je veux dire. - Vous avez gagné. Je vais vous expliquer. Ce Modo... je sais où vous pouvez le rencontrer. - Vous plaisantez ? - Non, il m'a contactée hier soir et veut me rencontrer ce soir. - Dites toujours mais j'espère que vous ne vous moquez pas de moi. - Il m'a dit qu'il passait souvent du temps sur la place... pourquoi ne pas vous y rendre à ma place. - Ne comptez pas sur moi pour me travestir ! - Bogué ! - Pas de problème, ma belle. Je suis déjà parti. Les affaires reprenaient et ça... ça me motivait. Cette fois, le Modo serait mien avant minuit, parole d'Alfred Bogué, détective privé. Même jour - Place du Palais - 21h08 Je connaissais le terrain puisque j'habitais dans la rue qui menait au parc que semblait apprécier Modo. Je m'installai à une table en terrasse du Pub Irlandais et commandai une Adel. Une heure plus tard, rien ne m'indiquait que Mr M traînerait ses guêtres dans le quartier ce soir. Je décidai donc de faire quelques pas dans le parc face au Parlement de Bretagne. Je m'arrêtai un instant et zieutai la place lorsque mon regard s'arrêta sur une affiche colorée sur un poteau. Je me frottai les orbites au point d'en pleurer et la rage m'envahit comme la moutarde vous monte irrémédiablement au nez ! Je découvris ceci : 89 / 160 En attendant Modo LE CIRQUE DES PETITS ET DES GRANDS Ce soir à Rennes à partir de 22h00 Samedi 02 avril 2005 - Mon plumard - 8h12 Je me retrouvai assis au milieu de mon lit et me frottai le visage en me disant que ça faisait bien longtemps que je n'avais pas fait un aussi mauvais rêve. Je me levai et me préparai un café. Même jour - rue nationale - 9h34 Je sortis de mon immeuble, le feutre vissé sur la tête et bien décidé à oublier cette histoire. Je repassai par la place du Palais lorsque je remarquai un bouquin posé sur une des énormes potiches en bas des escaliers qui menait au parc. Un petit mot était inscrit dessus : Avec les compliments de Modo Je me dis que - finalement - voilà de quoi passer quelques heures tranquille, en attendant Modo… 90 / 160 En attendant Modo Chapitre 23 Chapitre de Pitoune se déroulant à Lyon Rendez-vous dans la capitale des Gaules Ce matin, malgré ma gueule de bois, j'ai décroché le téléphone dès la deuxième sonnerie. J'ai tout de suite reconnu sa voix. Elle me disait qu'elle était enfin prête à me rencontrer pour m'expliquer pourquoi elle faisait tant de mystères. Elle se trouvait en ce moment sur Lyon et se proposait de me retrouver dès le lendemain pour déjeuner ensemble chez Georges, célèbre bouchon lyonnais de la presqu'île. Aussitôt accepté, je me rappelai qu'il me fallait rouler pendant sept heures avec ma vieille guimbarde, car il était hors de question de prendre l'autoroute, mes moyens financiers ne me le permettaient toujours pas ! Un petit déjeuner, quelques affaires, un coup de téléphone à une ancienne copine aujourd'hui sur Lyon et quelques heures plus tard me voici dans la capitale des Gaules. Point d'ancrage, Lucie, une fille que j'avais rencontré à la fac, devenue journaliste. Elle vivait à la Croix-Rousse. J'aimais bien ce quartier cosmopolite rempli d'étudiants, de pseudo-intellos, d'artistes en tous genres et d'immigrés. A peine arrivée, il m'a fallu trouver une place pour me garer, chose bien périlleuse sur ses pentes. Lucie m'avait préparé un repas Gargantuesque constitué de ripailles typiquement lyonnaises : tablier de sapeur, saucisses, cervelle des canuts,... Après ce repas, je me roulais une cigarette et expliquais à Lucie les raisons de ma venue. Elle était toujours au courant des derniers potins et connaissait cette récente communauté de bookcorsaires. Leur lieu de rendez-vous mensuel se trouvait près de chez elle. Il y avait de plus en plus de membres et elle pouvait peut-être m'en faire rencontrer quelques-uns si cela m'intéressait. Je ne savais pas encore combien de temps je resterais ici, mais cela me semblait une bonne idée. Cette première soirée dura très longtemps, cela faisait quelques années que nous ne nous étions pas revus et nous avions pleins de choses à rattraper. Le lendemain, j'étais frais et dispos pour mon rendez-vous. Je suis arrivé un peu en avance, je voulais la voir dès son entrée. Une table pour deux était réservée à mon nom, elle avait vraiment bien fait les choses. Mais à 13h30, toujours personne et je décidai de commander. C'était trop beau, il me paraissait maintenant évident qu'elle n'avait jamais voulu me rencontrer, que c'était juste un moyen de m'attirer dans cette ville. A 14h30, j'étais au dessert quand le serveur vint me demander si j'étais bien Alfred Bogué. Une femme me demandait au téléphone. C'était Elle. Elle me disait qu'elle était désolée, mais un empêchement de dernière minute ne lui avait pas permis de venir. Elle avait quand même des renseignements à me donner. Il fallait que je prenne des notes. Mon dessert était excellent, mais une petite marche ne pouvait me faire que du bien. Je m'avançai jusqu'à la Place Bellecour et je fis deux fois le tour de la 91 / 160 En attendant Modo place avant de trouver l'arrêt du bus 28 qui devait m'amener à la Place Henri. C'est dans ce quartier de Montchat que je devais retrouver mes précieux renseignements. Une quarantaine de minutes plus tard, j'y étais. J'ai ensuite suivi les instructions à la lettre. Je devais remonter le cours du docteur Long jusqu'à son intersection avec la rue Bonnand. A cet endroit, j'étais censé trouver une agence du Crédit Lyonnais et regarder sous les bacs de plantes situés devant. Ces indications étaient simples et je retrouvai facilement le document. C'était un livre, un de plus à lire, j'espère que celui-ci me permettrait vraiment de découvrir des renseignement sur Modo. Je rentrai chez Lucie. Elle avait invité des bookcorsaires pour la soirée et ils étaient déjà arrivés. Ils savaient qu'un privé était à la recherche de la véritable identité de Modo, et cela leur faisait plaisir de me rencontrer. Ils voulaient savoir qui m'avait embauché et obtenir bien d'autres renseignements. Je les ai trouvés un peu curieux, mais bien sympa. En discutant avec eux, j'appris quelques nouvelles choses, surtout sur le site, comment il fonctionnait, qui étaient les membres les plus présents. En avril, un mégabookcrossing est prévu dans la ville. Au parc de la Tête d'Or exactement. Ils me conseillèrent de revenir à cette période et peut-être aurais-je une chance d'y croiser La Voix et d'y trouver Modo. Après cette seconde soirée à Lyon, mon appart me manquait. Je décidai d'y retourner dès le lendemain, ce que je fis après avoir fini la nuit avec Lucie. 92 / 160 En attendant Modo Chapitre 24 Chapitre de jaed se déroulant à Valence Marre ! Marre de cette histoire de modo. Marre de poireauter à côté de mon téléphone, attendant un appel de ma mystérieuse inconnue, comme un amoureux transi ! C'est stupide, en vérité ! Qu'ai-je à y gagner ? Rien ! Je me casse ! Voilà à peu près pourquoi je me retrouvai ici, à Valence. J'y ai passé quelque temps autrefois. Ma frangine m'hébergeait - elle travaille pour une boîte de dessins animés, Folimage. Elle m'avait ramassé après une histoire particulièrement sordide. J'avais découvert alors le seul petit ange qu'il reste sur cette foutue planète : ma nièce, Magali. Hasard du calendrier, c'était son anniversaire, et j'avais besoin de prendre l'air. Je m'y étais invité, une Barbie sous le bras pour respecter la traditionnelle remise de présent à la reine du jour. Une fois dans la chambre de la demoiselle, j'ai compris qu'il y avait maldonne. Mon petit ange avait grandi. Si sa chambre avait gardé une apparence bien rangée, bien propre, il suffisait de fermer la porte et de contempler le savant collage de posters d'Eminem qui la décorait pour réaliser qu'à 14 ans, une Barbie n'est peut-être pas le cadeau idéal. J'en avais déduit qu'une mission secrète à la recherche du cadeau idéal s'imposait. J'avais avoué mon échec à ma soeur. Compatissante, elle m'avait accompagné en ville jusqu'à une de ses adresses favorites. Un magasin de jouets en bois, « traditionnel », dans une petite rue médiévale. La façade rouge, un chat bleu qui danse, le décor est planté. J'entrais... La vendeuse me fit son plus grand sourire et je l'écoutais, charmé, me conter ses jeux, ses histoires. J'en ressortis avec sous le bras une petite merveille de jeu de société, un Jungle Speed. Ils étaient loin, bookcrossing, modo, voix mystérieuse et compagnie. Cette pause dans l'enquête me faisait retrouver le goût des vacances... ... et oublier également la première règle du privé ; toujours être sur ses gardes. À peine sorti du magasin, alors que, nostalgique, je retournais visiter l'arrière-cour de la maison des têtes, un coup à la base du crâne m'envoya dans les bras de Morphée. Je me réveillais solidement ficelé, probablement à l'arrière d'un fourgon, à en juger par l'odeur d'essence et les sons étouffés qui parvenaient de l'extérieur, un sac en toile de jute sur la tête. J'allais me laisser aller à ma rage de m'être fait avoir si facilement, lorsqu'un parfum envoûtant me fit tourner la tête. À travers les mailles du sac, je distinguais une forme féminine. Avant même qu'elle ne prononce un mot, j'avais deviné que je me trouvais enfin face à ma mystérieuse inconnue. "Alfred - permettez-moi de vous appeler Alfred, juste pour cette fois - je comprends que vous ne vouliez plus jouer le jeu. Et comprenez de votre côté que je sois obligée d'utiliser cette méthode quelque peu brutale pour vous contacter. Vous ne m'avez pas laissé le choix. Cette enquête est d'une importance capitale ! Vous ne pouvez pas nous laisser ainsi ! Retournez au travail, Alfred, nous vous contacterons très prochainement, avec de nouvelles informations. Nous avons besoin de vous." 93 / 160 En attendant Modo Et ce fut tout. Après ce message laconique, je me sentis traîné à l'air libre, et jeté sans trop de ménagement par terre. Le temps d'enlever le sac à patates qui me recouvrait la tête et de me démêler des liens qui m'entravaient, le véhicule de mes ravisseurs avaient disparu. Je me suis retrouvé libre, encore plus intrigué qu'auparavant par cette affaire. Ainsi, ils avaient besoin de moi... 94 / 160 En attendant Modo Chapitre 25 Chapitre de Septentria se déroulant à Lyon Où Bogué endure son chemin de Croix... Quand la sonnerie du téléphone retentit, Alfred sursauta dans son lit mais il lui fallut une bonne minute avant d'être en mesure de saisir le combiné. Il fourragea un moment pour se sortir des draps puis il grommela un "Allô" peu engageant. Voix-de-Velours (puisque c'était elle) eut un petit rire de gorge qui, en résonnant dans l'appareil, lui fit un drôle de creux dans l'estomac. Sacrée bonne femme, aussi insaisissable que le Modo... Lorsqu'il raccrocha, Alfred émit un long soupir. Encore un rencard qui lui donnerait un indice, encore une vraie-fausse rencontre avec la patronne... Mais, bon, fallait voir le bon côté des choses: il allait avoir l'occasion de découvrir une nouvelle partie de la ville. Et avec un peu de bol, il pourrait ce soir encore se payer un bon gueuleton dans un bouchon lyonnais, arrosé d'un de ces petits Beaujolais dont les gens d'ici avaient le secret... Il fit une rapide toilette et un quart d'heure plus tard, il était au volant de son Combi, direction le Vieux-Lyon. Le rencard était situé au 54, rue Saint-Jean, au beau milieu d'une rue piétonne et touristique. Alfred avait garé sa guimbarde sur un parking des bords de Saône et il s'était engagé à pied dans les ruelles étroites du quartier le plus ancien de la ville. Il n'y avait pas encore grand monde, les commerçants balayaient devant leurs boutiques et les restos étaient encore fermés. La veille, il avait passé une soirée mémorable non loin de là, à goûter les spécialités du coin: tablier de sapeur, grattons, salade de lentilles, cervelle de canut... Y'a pas à dire, on savait vivre par ici! Alfred était un peu en avance. Il en profita pour déambuler un peu, le nez en l'air. Les façades étaient jolies, souvent retapées. Un quartier classé par l'UNESCO... Alfred se demanda si on ne devrait pas aussi classer le Moulin-àVent de la veille au patrimoine de l'humanité. Franchement, ça mériterait... A l'heure dite, le détective se planta devant la porte du numéro 54. C'était bien entendu un vieil immeuble, mais restauré. Une vieille d'au moins 150 balais était en train de passer un coup de chiffon sur la plaque dorée de l'entrée. Comme Alfred s'approchait, elle l'interpella avec un fort accent lyonnais: "Alors, c'est vous le détective!" et comme il ne répondait pas, elle continua: "Ben oui, un parigot à galure qui vient lentibardaner par chez moi à c'te heure... ça peut être que vous! Venez, on va boire un coup au cani du coin, j'ai des choses à vous dire..." Alfred n'avait pas tout compris mais il emboîta quand même le pas de la vieille. Il avait bien besoin d'un petit noir pour avoir les idées claires... Le cani se révéla être un bistrot. Alfred commanda un café et un croissant tandis que la vieille, en terrain connu, se voyait servir d'office un petit blanc avec une assiette de sauciflard. Elle vida son verre cul sec puis regarda Alfred avec malice. "Ça fait du bien par où ça passe! C'est que j'suis d'bout depuis point d'heure, moi! J'ai dû sortir mes équevilles avant que les boueux passent, 95 / 160 En attendant Modo et puis j'ai passé un coup d'panosse dans l'allée avant que tout le monde vienne pétafiner! J'vous l'dis, je vais prendre ma r'traite, moi!" Le détective marmonna quelque chose qui se voulait compatissant. Mais quelle langue elle parlait, la vioque?? "Enfin, j'ai un message pour vous, reprit la vieille. Paraît que vous avez un paquet à aller chercher et on m'a dit de vous indiquer le chemin. C'est qu'c'est grand, Lyon! Faudrait voir à pas vous perdre! Et puis, j'espère que vous êtes vigoret parce qu'elle vous envoie sur les hauteurs, la gourgandine..." Alfred interrompit la vieille d'un geste "-Quoi? Vous l'avez vue? De quoi elle avait l'air? demanda-t-il, d'un air faussement détaché. - Ben, j'sais pas moi. C'est un gône qui m'a apporté le message. Mais y m'a parlé d'une grande brune qu'avait l'air nette comme torchette et bien gaunée avec ça... Du genre qu'a des pécuniaux, si vous voyez c'que j'veux dire..." Alfred sourit. Voix-de-Velours savait toujours brouiller les pistes, on pouvait compter sur elle. Il entama son croissant pendant que la vieille s'envoyait un deuxième petit blanc. "- Bon alors, va falloir passer par chez moi pour rejoindre la rue du Bœuf" et comme Alfred la regardait d'un air ahuri, elle poursuivit: "Bah, c'est bien les parigots ça, ils savent pas c'que c'est qu'une traboule! Quand vous rentrez dans mon allée, rue Saint-Jean, vous ressortez dans la rue derrière, la rue du Bœuf! C'est bien pratique quand ça mouillasse, comme aujourd'hui... Et puis, vous risquez pas de vous perdre, y'a des touristes à regonfle. C'est la plus belle traboule de la ville, Môssieur!" Alfred acquiesca et prit des notes dans son calepin. "Bon, et après? demanda-t-il. - Après, vous allez prendre la montée du Tire-Cul. J'vous préviens, montez pas trop vite sinon, vous serez tout flapi en haut. C'est qu'ça grimpe, à Lyon! Vous pouvez pas vous tromper, c'est la seule montée d'escaliers de la rue du Bœuf! Et devinez où elle monte? A Fourvière, Môssieur! La colline qui prie..." Allons bon! Pourvu que la vioque ne s'embarque pas dans des bondieuseries à deux balles.... Mais non, elle venait de siffler deux petits blancs et elle attaquait le sauciflard. "- Vous en voulez pas un peu? C'est de la rosette. Non? bon... Où j'en étais, moi? Oui, montée du Tire-Cul. Ça s'appelle les Chazeaux maintenant mais moi, ça m'parle pas. J'préfère dire Tire-Cul, c'est plus joli. Tout en haut des marches, vous faut traverser la route pour entrer dans le parc, presque en face. Le chemin, c'est une ancienne voie romaine. Y'a une plaque de marbre à l'entrée, sur le mur. C'est marqué des choses mais moi, je cause français, Môssieur, j'saurais pas vous dire de quoi y retourne" et comme Alfred ne pouvait s'empêcher d'esquisser un sourire, elle éructa: "Vous pouvez vous moquer! Avec vot'veste toute encrenillée, vous m'avez tout l'air d'un cogne-mou! Faut'l'dire si j'vous bassine, espèce de galapia! Moi, je retourne à mes pattes et on n'en parle plus!!!" 96 / 160 En attendant Modo Alfred leva la main en signe d'apaisement et d'un geste, il commanda un troisième petit blanc pour la concierge en colère. Et puis un pour lui aussi, parce qu'il allait en avoir besoin pour affronter cette harpie... La vieille avala son verre d'un trait dès que le serveur le posa devant elle et elle dévisagea le détective d'un air mauvais. Il lui fit signe de continuer. Elle grogna: " Faudrait voir à pas me prendre pour une gnougne, non mais... Bon, donc, ce parc, c'est la promenade du Rosaire. Ça monte en tortillant jusqu'à Fourvière. La basilique. Faudra prendre des bonnes grolles si vous voulez pas vous ruiner les arpions! Mais je sais pas si votre gourgandine veut que vous montiez jusqu'en haut. Elle a laissé un paquet pour vous dans la petite grotte, au numéro 12. En tout cas, c'est c'qu'elle a dit au gône..." Au numéro 12? Une voie numérotée dans un parc public? Tiens donc... Alfred essaya bien de tirer les vers du nez de la concierge mais elle ne savait rien de plus. Grand seigneur, le détective paya la note et il refermait son calepin, où il avait griffonné toutes les informations de la vieille, quand celle-ci lui lança, d'un air goguenard: "M'est avis que vous vous êtes lancé sur une drôle d'affaire! Méfiez-vous des colombes. Celle-là risque bien de vous faire des arias avec ses jolis quinquets... Et n'allez pas débarouler le Tire-Cul, hein? Allez, je dois prendre du souci... A la revoyure, détective!" Alfred termina son verre de blanc, perdu dans ses pensées puis il sortit. La rue Saint-Jean était maintenant pleine de badauds, des touristes pour la plupart. Le détective sortit sa pipe, son paquet d'Amsterdamer et s'en alluma une petite. Puis il se dirigea d'un pas tranquille vers le 54 de la rue, où la vieille avait disparu. "Allons-y, Alonzo! se dit-il. Avec un peu de bol, je serai redescendu pour midi." Le bouchon du coin de la rue avait l'air plutôt sympathique et la serveuse bien aimable... Il poussa la lourde porte et immédiatement, fut plongé dans l'obscurité du long couloir qui s'ouvrait devant lui. Les quelques appliques disposées sur les murs n'étaient pas très efficaces... Il avança un peu, jusqu'au puits de lumière. Là, au-dessus de sa tête, il vit un bout de ciel gris émerger. Il était dans une cour étroite. Marrant, comme architecture! Mais il se demanda si les plantes vertes du locataire du 4e avaient assez de lumière pour survivre... Il poursuivit le long du couloir qui zigzaguait un peu. Il avait l'impression d'être dans une oubliette de château-fort. Mais un château-fort équipé d'ascenseurs dernier cri ! Il arriva enfin à une porte en bois qui était entrouverte. Dehors, la rue du Bœuf. Quels drôles de zigues, ces lyonnais, avec leurs traboules! Presque en face de l'endroit où Alfred était ressorti, une volée de marches s'élançait, fléchée "Fourvière". Quand il se retrouva au pied de l'escalier, le détective lâcha un juron. Il y avait au moins 1000 marches et rien qu'à l'idée de les gravir, notre bonhomme se sentait étouffer. Il éteignit sa pipe qui ne lui serait d'aucun recours pour grimper cet Himalaya lyonnais et la fourra dans sa poche. Puis il commença l'ascension en maudissant la gourgandine qui lui infligeait cette punition. Heureusement, il y avait des paliers qui lui permettaient de souffler un peu. Mais il regrettait maintenant de ne pas avoir pris cet abonnement à une salle de sport, comme le lui avait conseillé son vieux 97 / 160 En attendant Modo pote René. "Tu verras, ça sert, surtout quand tu dois filocher un jeune loup qui court tous les dimanche au Bois". Pour sûr, ça n'aurait pas pu lui faire du mal... Arrivé au sommet, Bogué s'appuya sur une rambarde pour souffler un peu. Il était hors d'haleine et il sortit sa flasque pour avaler une lampée de son 12ans-d'âge. Il fallait bien tout ça pour le remettre de ses émotions. La vieille avait raison et il comprenait tout à coup très bien ce que pouvait dire "flapi"! Mais, pas de répit, la grimpette n'était pas terminée. Alfred jeta un œil autour de lui et avisa l'entrée du parc, un peu plus haut sur la route. Il y avait bien une plaque, qui commençait par les mots "Tu foules passant les dalles de la voie de Condate". Rien que du bon français dans le texte... La vieille avait dû se laisser abuser par Condate et ne devait pas être très familière des tournures poétiques... Bogué prit le chemin et commença à chercher des numéros. Quand il serait au 12, il y verrait plus clair. Le parc était agréable (bien qu'en pente!) et le chemin jalonné de bancs sur lesquels Bogué aurait volontiers fait une petite pause. Mais pas de numéros! Il s'arrêta un instant et réfléchit. Qu'avait bien voulu dire la frangine avec son numéro 12 ? Devant lui, une vieille dame s'assit sur un banc de pierre et se mit à marmonner doucement, l'air perdue dans ses pensées. Alfred allait l'interrompre pour lui demander de l'aide lorsqu'il comprit soudain. Le Rosaire! La mémé récitait ses prières en égrenant un chapelet... Il était sur la promenade du Rosaire, qui représentait les étapes du chemin de croix du Christ ! Comme quoi, le catéchisme de l'abbé Frouillard avait de beaux restes ! S'il s'en souvenait bien, le chemin de croix comptait 14 étapes, elles devaient être numérotées quelque part le long de ce sentier. Il poursuivit un peu, en regardant attentivement autour de lui. Mais c'est à ses pieds qu'il trouva enfin la solution de l'énigme. Dans le goudron étaient régulièrement scellées de petites roses sur des plaques métalliques et puis aussi des numéros... Alfred en était déjà au 4, il fallait encore grimper. Il faillit rater le numéro 12, tant il était occupé à profiter du paysage. C'était décidément un beau parc, très paisible. A hauteur du 12 se trouvait effectivement une petite grotte, construite là par amoncellement de cailloux gris, peut-être destinée à accueillir une statue religieuse qui avait dû finir par se faire héberger ailleurs. Bogué se courba un peu pour entrer dans la cavité et il chercha une trace du passage de Voix-de-Velours. Celle-ci ne s'était pas fatiguée. Une enveloppe était cachée sous une pierre plate, à la portée de n'importe qui. Le détective s'empara de la lettre et ressortit rapidement de la grotte pour regarder si sa mystérieuse patronne n'était pas encore dans les environs. Elle avait dû poser ce courrier très peu de temps auparavant car le papier n'était même pas humide. Or, tout à l'heure encore, Lyon avait essuyé une bonne radée pendant que Bogué blablatait avec la vieille concierge... Il déchira l'enveloppe et à sa grande surprise, découvrit un prospectus publicitaire vantant les mérites de la Carte Neige. Dessus, un Post-It avec un message laconique: "Cherchez dans la verdure, sur le mur". Alfred se gratta la tête, perplexe. Que venait faire la Carte Neige dans ce mic-mac? A quoi pouvait bien servir une Carte Neige dans une ville comme Lyon? 98 / 160 En attendant Modo Après une deuxième lampée de whisky, le détective décida de demander à un autochtone des éclaircissements. Un employé de l'entretien des parcs venait justement de faire son apparition au détour d'un bosquet, son sac poubelle à la main. Bogué le salua et lui demanda si la Carte Neige pouvait être d'une quelconque utilité ici, à Lyon. Le bonhomme le regarda, un peu bizarrement. "Ben ma foi, je sais pas trop. C'est qu'il neige pas souvent, ici. Les hivers sont plus comme autrefois..." Il réfléchit un moment. "Mais j'y pense, y'a quand même une piste de ski à Lyon! Et c'est pas loin d'ici!" Bogué lui fit signe de continuer. "C'est la piste de la Sarra. Maintenant, les jeunes y font du VTT. Je crois pas qu'elle ait servi à faire du ski depuis longtemps... Montez jusqu'à Fourvière (là, Bogué ne put s'empêcher de faire grimace. Voix-de-Velours aurait sa peau...), et prenez à droite, en direction de la Tour Métallique, vous savez, celle qui ressemble à la Tour Eiffel. Juste avant la Tour, à gauche, il y a un parc public, le parc des Hauteurs. Vous suivez le chemin, traversez le pont suspendu et tout au bout, un peu avant d'arriver au cimetière, vous trouverez la piste de la Sarra. Une grande côte qui descend jusqu'à Vaise. Peut-être qu'on pourra vous renseigner là-bas..." Bogué remercia le bonhomme et s'attaqua en ronchonnant au restant de son chemin de Croix... La vue sur l'esplanade de Fourvière était magnifique. Bon, le temps était un peu bouché et on ne voyait pas les Alpes, mais le spectacle de la ville à ses pieds remit un peu de baume au cœur de Bogué, qui commençait à trouver la chasse à l'indice un peu longuette. C'était mal barré pour être au petit resto de la rue Saint-Jean à midi... Bogué suivit les indications de l'employé municipal et trouva facilement l'entrée du parc des Hauteurs. Au passage, il jeta un œil méprisant à la Tour Métallique. Hum, un simple relais de télécommunication... "Tour Eiffel lyonnaise", ce mec était un peu Marseillais! Le parc des Hauteurs était un aménagement relativement récent d'un ancien trajet de tramway qui reliait autrefois la basilique de Fourvière au cimetière de Loyasse. Il était à parier que ses clients ne devaient prendre pour la plupart qu'un aller simple... Sur le pont suspendu, Bogué s'arrêta un instant pour admirer le paysage. Il découvrait le flanc ouest de la ville, qu'on ne pouvait voir d'en bas car il était caché par un bras de la Saône. Un plan panoramique lui indiquait les Monts d'Or et le quartier de Vaise, en contrebas. Il approchait. Le parc était visiblement construit le long de propriétés religieuses. Qui d'autre que l'Eglise pouvait avoir des bâtiments pareils et des terrains de cette taille, juste derrière Fourvière? Bogué avait lu dans le Progrès de la veille que l'Evêché vendait des biens pour se faire un peu de liquidités. "Si j'avais un peu de blé, cette petite maison près du pont ferait bien mon affaire...", pensa-t-il. Il reprit sa route et commença à guetter la présence d'une ancienne piste de ski sur sa droite, le côté qui descendait. Dans une ville aussi pentue, il aurait été dommage de ne pas prévoir un endroit où chausser des planches... Il longea un bois, puis un petit jardin de curé (en tout cas, c'est à ça que ça lui faisait penser) puis il entrevit devant lui la grille de sortie du parc. Mince, il avait loupé la piste! 99 / 160 En attendant Modo C'est alors que son œil fut attiré par une grande pancarte bleue collée contre une maison. Dessus, le coq bleu-blanc-rouge de la Carte Neige l'invitait à prendre une assurance avant d'aller skier... "C'est là que les Athéniens s'atteignirent...", murmura-t-il pour lui-même. Le mur, la verdure... Il allait encore trouver un de ces satanés bouquins, comme d'habitude... "Ma parole, ces bookcorsaires vont finir Wolkswagen en bibliobus, si ça continue..." 100 / 160 par transformer mon Combi En attendant Modo Chapitre 26 Chapitre de Dingus se déroulant à Genève Je suis en retard. Passage obligé à la douane suisse, rien à déclarer. Moi, Alfred Bogué, privé de profession, et à l'ordinaire si calme, je perds patience dans les embouteillages qui encombrent la longue route dont le nom, côté français, est accolé à Voltaire. Mais je suis sur le territoire genevois à présent. Ma douce inconnue à la voix suave a intérêt à se présenter au rendez-vous, c'est bien à cause d'elle et de son cas soi-disant "très urgent" d'après le coup de fil d'hier soir - elle veut que je retrouve un dénommé Modo - que je me suis réveillé à six heures ce matin, sans même le temps de boire un café ou de lire le journal en fumant une Amsterdamer, comme d'habitude. Bref, je suis de mauvais poil. Si seulement l'aiguille des minutes pouvait avancer aussi rapidement que la voiture de devant... On peut rêver. Je serai bel et bien en retard. Je m'en moque, elle attendra. Par le passé, une dénommée Valentine m'avait posé un lapin dans cette ville-même, avant de m'annoncer, par téléphone que tout était fini entre nous. C'est de l'histoire ancienne, certes. Mais je ne porte pas la cité de Calvin dans mon cœur, c'est ainsi. Mon inconnue sera peut-être plus clémente. J'arrive enfin sur la grande place, ou plutôt la place du grand... puis je bifurque dans une petite rue à droite, rejoignant le trolleybus à enseigne rose, et je descends à gauche. Vers la petite place, ou plutôt la place du petit... je me gare. Le Soleil m'attend. J'entre dans la lumière. C'est plutôt un restaurant minuscule un peu glauque, et qui sent les pieds. Normal. Qu'importe, la mystérieuse demoiselle m'y attend. Un serveur prend ma veste, je m'avance. Rien, pas l'ombre d'une silhouette féminine dans ce décor vétuste. On m'installe près de la fenêtre, je commande un café... Une heure plus tard, toujours aucun signe. Elle m'a bien eu, cette petite! Aigri, je demande l'addition. Trois francs cinquante, c'est cher...mais...que vois-je, au verso de la douloureuse, un petit mot : "Le Seigneur t'aidera à trouver Modo". Une plaisanterie? J'en ai bien peur. Pourtant en regardant par la fenêtre, l'édifice réformé d'en face semble dire : "Oui, j'ai ce que tu cherches". Je me lève, et fonce donc vers l'entrée du lieu saint. J'essaie d'ouvrir la porte, mais elle est fermée. Désespéré, je repère soudain, sous un des gros pots de fleurs à l'entrée... Un livre! Il est enveloppé dans un sac plastique. Je le ramasse et l'ouvre avec précaution. A l'intérieur, une adresse web... Serait-ce un indice? Je m'en vais trouver un cybercafé pour chercher un sens à tout cela... 101 / 160 En attendant Modo Chapitre 27 Chapitre de Pandore, Tyhma et Olwe se déroulant à Le Mans - Allô ? - Vous devez vous rendre au Mans. - Hein ? Il se leva du canapé, à peine rasé et en maillot de corps. Il se servit un verre de whisky. La nuit risquait d'être longue. - Vous devez vous rendre au Mans. - Vous savez l'heure qu'il est ? - Rendez-vous au Mans. C'est alors qu'il reconnut la voix. La Voix. Il s'approcha furtivement de la fenêtre pour jeter un coup d'oeil dans la rue, mais trébucha dans le pied de la table. Son verre lui echappa des mains. - Et merde ! - Vous devez vous rendre au Mans. - Ouais, ouais, j'ai compris...Le Mans...c'est dans quel coin ? - Retrouvez Wilbur Wright au plus vite, il détient ce que vous cherchez. - C'est qui ce... Elle avait déjà raccroché. Son vieux combi orange s'engagea dans les embouteillages et le détective commençait déjà à pester contrer ces foutus manceaux. Il s'arrêta au feu rouge (Bogué ne se sentait pas assez en forme, après cette nuit de voyage, pour tenter quoi que ce soit). C'est alors qu'à travers le flux de piétons, un étrange et incongru petit coffre monté sur plusieurs jambes roses et dodues apparut aux yeux d'Alfred Bogué. Il les ferma quelques secondes, ne voulant pas croire ce qu'il voyait, et lorsqu'il les rouvrit enfin - quelque peu forcé par le conducteur du véhicule arrière - le mystérieux Bagage avait disparu. Décidément cette nuit ne l'avait pas arrangé. Cette hallucination (que cela pouvait-il être d'autre ?) l'avait légérement remis d'aplomb. Il rangea son véhicule sur le trottoir. En sortant, il aperçut une jeune fille tout de rouge vêtue. - Hé petite ! Tu connais un certain Wilbur Whright ? - Je suis pressé, monsieur, je dois porter une galette et un pot de beurre à ma mamie, dit-elle en s'éloignant. 102 / 160 En attendant Modo - D'accord, lâcha-t-il d'un air dubitatif. Il avait une désagréable impression de déjà vu. Il allait repartir lorsqu'un groupe composé d'hommes (dont quatre plutôt petits) l'interpella. Ce fut le vieil homme qui prit la parole. - Excusez-moi jeune homme, n'auriez-vous pas vu passer un nain ? - Un nain ?! Je crois pas. Il haussa un sourcil, perplexe. Il hésita à leur demander son chemin mais se retint au dernier moment. Il les regarda plutôt s'éloigner et songea qu'il ne supportait plus aussi bien l'alcool. On venait du lui servir du jeune homme... Un peu perdu et troublé, le détective se remit en quête d'un plan, ou de tout autre indice concernant ce Wilbur Whright. Il trouva un arrêt de bus (Mendès France ? Encore un nom à coucher dehors). Il finit par repérer ce qu'il cherchait. S'il comprenait bien le plan, il ne se trouvait pas loin d'une rue portant ce nom. Se retournant vers un jeune homme : - Wilbur Whright, ça vous dit quelque chose ? - Vous voyez la grande statue là-bas ? C'est le tunnel qui est juste à côté. Enfin quelqu'un qui connaissait le nom des rues. Il traversa un parking encombré de voitures et se retrouva face à une grande statue montrant un homme, les bras écartés vers le ciel. Bogué ne prit pas la peine de lire ce qui était écrit et descendit dans le tunnel. Après quelques mètres, il se demanda enfn ce qu'il était censé trouver. Des livres sûrement. Depuis le début il ne faisait que ça. Trouver des livres. Alfred Bogué se mit en quête de ce livre qui allait - espérait-il - mettre fin à son enquête. 103 / 160 elj-épisode 193/07/Tuesday 00h59 _ C'est en 2364 qu'eut lieu la Catastrophe _ _ Nul ne sut d'où provint la mousse _ _ Paris fut isolée sous une c l oc he en nano -carbo-verre™ _ Extraits de: Petit manuel de la Terre De: sas n°4-porte de Vanves Objet: Signalisation d'entrée Date: 7 avril 2486 10:32:05 TS À: Brigade de Sûreté de Paris 10:32:04 entrant: robot AV-4_ 20p2458 code valide: bleu_1d3_vert _8m5 De: Brigade de Sûreté de Paris Objet: Rép : Signalisation d'entrée Date: 7 avril 2486 10:33:15 TS À: sas n°4-porte de Vanves Cc: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Ce robot n'est plus accrédité pour le franchissement des [sas]. Lancez procédure: _rouge.4_ De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Objet: Rép : Signalisation d'entrée file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html Page 1 sur 5 elj-épisode 193/07/Tuesday 00h59 Date: 7 avril 2486 10:35:42 TS À: Brigade de Sûreté de Paris Confirmez procédure rouge.4 Etendez à tous les [sas]. le contrôleur BS De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Objet: URGENT Demande de renseignements Date: 7 avril 2486 10:37:22 TS À: Agence Centrale de Robotique et d'Intelligence Artificielle Veuillez nous faire parvenir rapidement tous renseignements sur le robot: AV-4_20p2458 le contrôleur BS De: Agence Centrale de Robotique et d'Intelligence Artificielle Objet: Rép : URGENT Demande de renseignements Date: 7 avril 2486 10:44:03 TS À: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté robot AV-4_20p2458 Date de fabrication : 2459 Cellule positronique : [2 µ 3] -r/r Dotation I.A. : police standard-NF(E)6 Assignation : Brigade de Sûreté de Paris 1/6/2485 Réformé I.A. effacée 12/7/2485 file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html Page 2 sur 5 elj-épisode 193/07/Tuesday 00h59 12/7/2485 Vendu à: M. Johanne Verlanger / Beltem Détectives 12 bld Camélinat IDF48 SACLAY Nouvelle dotation I.A. : Alfred Bogué Alfred Bogué Personnage: détective privé Langue: français Auteur: Collectif Editeur: néant Droits: néant Publication: web 2005 Titres: une quarantaine d'histoires courtes Contrairement à une I.A. de détective plus prestigieux, sa personnalité est assez malléable car l'ensemble de l'œuvre qui lui est consacré est peu volumineux et tout entier centré autour du même adversaire. Cela permet une grande souplesse d'utilisation dans une agence d'investigation mais il faut que sa formation initiale soit très soignée. L'Agence n'a pas jugé nécessaire de lui implanter d'autre programmation que les Trois Lois Ordinaires, les risques d'interférences entre son passé littéraire et le présent étant nuls. A.C.R.I.A. De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Objet: ORDRE D'INTERVENTION Date: 7 avril 2486 10:46:34 TS À: Brigade de Sûreté de Paris INTERCEPTER ET NEUTRALISER ROBOT AV-4_20p2458 Extraire la cellule/p et l'envoyer à la Division (Appliquer décontamination standard) le contrôleur BS file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html Page 3 sur 5 elj-épisode 193/07/Tuesday 00h59 De: Brigade de Sûreté de Paris Objet: Rapport d'intervention Date: 7 avril 2486 12:30:51 TS À: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Nous sommes entrés dans la c l oc he à 10:56 par le [sas] n°4-porte de Vanves. Le sas n'a pas été forcé, le code entré par le robot intrus était bien valide. Nous avons progressé dans la mousse sans difficulté axe Nord-Est et avons intercepté le robot qui venait vers nous apparemment pour ressortir. Nous l'avons mis hors-circuit et ramené au [sas]. Sur lui, nous avons trouvé un paperel avec ce message: entre 7eNemo et 15eAdélie Un agent est en route pour vous remettre la cellule/p. brigadier J-CP De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Objet: ORDRE DE RETRAIT Date: 8 avril 2486 11:25:36 TS À: Agence Centrale de Robotique et d'Intelligence Artificielle Suite à l'intrusion dans Paris d'un robot, nous vous demandons de rappeler sans délai tous les robots dotés de l'I.A. _Alfred Bogué_ pour modification. Une première analyse de sa cellule/p a révélé une corrélation entre son passé et un évènement récent. le directeur de la Sûreté E. Vidocq file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html Page 4 sur 5 elj-épisode 193/07/Tuesday 00h59 De: Directoire d'Ile-de-France, Division de la Sûreté Objet: robot AV-4_202458 Date: 8 avril 2486 14:12:28 TS À: Johanne Verlanger / Beltem Détectives Madame, hier matin votre robot-détective est entré dans Paris. Il appartenait auparavant à la brigade en charge de la surveillance et de la maintenance de la c l oc he et nous pensons que l'effacement de sa précédente I.A. était incomplet et qu'il avait encore les informations lui permettant de traverser les =marais= et d'ouvrir les [sas]. Pour des raisons de sécurité que vous comprendrez aisément, nous ne pouvons vous le restituer dans l'immédiat. Afin de nous permettre de comprendre les raisons de cet acte, un agent de la Sûreté sera à votre agence demain matin pour collecter tous les documents concernant la dernière enquête que vous lui aviez confiée. le directeur de la Sûreté E. Vidocq file:///Users/ericjouannest/Desktop/elj-Modo.html Page 5 sur 5 En attendant Modo Chapitre 29 Chapitre de Bilbi se déroulant à Chambéry A l'entrée de la ville de Chambéry, un immense panneau annonçait : « Chambéry : capitale historique de la Savoie, ville d'avenir ». Preuve s'il en était besoin de montrer la fierté de ce peuple de montagnards. Fierté ? Chauvinisme ? Alfred Bogué hésitait. Il eut un sourire quand il lut que la température était de 25°C et qu'il était 77 h 77... Son inconnue l'avait prévenu : ce « panneau » digital était très souvent en panne et au-dessous d'un Jean-Jacques Rousseau en 4 par 3, l'heure semblait venir d'une autre dimension. En tout cas, dans la sienne, il était 14 h 30. Pour cette enquête, il espérait bien ne pas devoir faire le tour des anfractuosités de la ville qu'une certaine bookcorsaire locale semblait apprécier tout particulièrement. Peut-être allait-il la rencontrer... qui sait ? Il gara sa Volkswagen avenue de la Boisse. Il profiterait de la température agréable en cette saison pour s'oxygéner les poumons et son vieux combi pourrait se remettre des routes alpines. Arrivé au bout de la rue Freizier, un bar appelé « Au bureau » lui faisait face. Il ne put s'empêcher d'improviser un dialogue que les gens du coin ne devaient pas manquer de faire. « Chéri, où tu es ? » - Je suis Au Bureau !!! » « Apparemment, le crétin des Alpes était plus qu'un mythe », se dit-il en esquissant un sourire. Après un verre de bière et plusieurs de vins locaux, il se sentait plutôt euphorique. Il traversa la rue et se retrouva face à la Sasson, cette statue déboulonnée et envoyée en Allemagne pour faire des boulets de canon. Il se rappelait « son amie » lui racontant comment les Chambériens s'étaient battus pour la récupérer dans les années 80 alors qu'elle gisait abandonnée dans un jardin tout proche. Aujourd'hui, elle trônait fièrement devant un magasin de chaussures !!! Il prit le boulevard de la Colonne, et découvrit les fameux « 4 sans Q », les éléphants offerts à la ville par le Comte de Boigne. Il croyait que c'était les éléphants d'Anibal mais pas du tout... Bref. Il alluma une Amsterdamer avant de déchirer l'enveloppe d'un coup sec. Il put lire : « Quelque part dans un carré de culture, il faudra se mettre à quatre pattes pour décrocher Laurence. Heureusement, Jean-Jacques n'est pas de son côté ». « Me voilà bien avancé, grommela-t-il. » Sa mystérieuse amie lui avait laissé un plan de la ville sur lequel il repéra tout de suite l'Office de Tourisme, bien qu'il ne sache pas s'il allait oser s'adresser au personnel dudit office pour demander : « Bonjour. Je cherche Laurence, je suis prêt à me mettre à quatre pattes. Savez-vous où je peux la trouver ? ». Il n'était pas sorti de l'auberge. 111 / 160 En attendant Modo Sur un post-it accroché au feuillet était griffonnée une autre phrase laconique : « Ne t'inquiète pas, je ne suis pas jalouse. » Décidément, elle commençait à l'énerver cette inconnue. Elle avait beau être à des centaines de kilomètres, il lui aurait bien tordu le cou. Il renonça à l'appeler sur son portable pour lui dire tout le bien qu'il pensait des gens à quatre pattes, des 4 sans Q et de ces philosophes à la manque !!! Il lui fallu tout de même reconnaître qu'il n'était pas si mal sur ce banc, l'atmosphère était fraîche ; de loin lui parvenaient des effluves de pâtisserie et sa tranquillité n'était perturbée que par le passage régulier des bus. Il ferma les yeux et se laissa pénétrer de cette énigme plus que mystérieuse. Jean-Jacques... L'énigme ne pouvait que se rapporter à Chambéry et à son histoire. De ses cours de philosophie, il avait retenu que Jean-Jacques Rousseau avait habité aux Charmettes. Il s'en souvenait surtout pour sa relation amoureuse avec Mme de Warens. Le contenu des ouvrages du philosophe lui était plutôt passé au-dessus de la tête. Il déplia le plan de Chambéry et chercha dans l'index une rue, une avenue ou quoi que ce soit qui pourrait l'aiguiller. Facile ! Là, sous son doigt, il trouva une rue Jean-Jacques Rousseau, et voilà, ça au moins, c'était facile. Bon. Avoir trouvé ce premier morceau du puzzle lui avait redonné de l'énergie. Mais des énigmes précédentes, Bogué avait appris que chaque mot avait son importance. Pourquoi un carré de la culture ? Et puis, comment son inconnue aurait-elle pu savoir si le musée était ouvert aujourd'hui ? Il ferma les yeux et se concentra. Il avait déjà eu l'occasion de résoudre des énigmes dans d'autres villes françaises et ce n'est pas les hésitations du début qui pouvaient le démoraliser. Au bout d'une heure et demie, il se leva, s'étira et se dirigea vers le fumet alléchant qui lui chatouillait les narines depuis qu'il était assis sur ce banc. Il acheta deux pains au chocolat encore tout chauds et se décida pour un jus d'orange. «Pas de folie : c'est surtout que t'as trop bu, gars », pensa-t-il alors qu'il mordait dans sa viennoiserie toute chaude. Bogué prit la direction de la rue Jean-Jacques Rousseau, mais un panneau attira son attention. Il indiquait « Carré Curial ». Apparemment, ce carré était tout proche, s'il pouvait trouver un lien avec Rousseau et bien, l'énigme serait résolue très vite. Le Carré Curial était une ancienne caserne. Des générations de militaires en étaient sortis pour aller le plus souvent se battre contre les Allemands. Une plaque rappelait qu'au milieu de la cour avaient été fusillés des résistants pendant la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui on trouvait l'espace Malraux qui proposait entre autres des expositions photographiques, des pièces de théâtre, la bibliothèque, des restaurants et bien d'autres magasins encore. C'est étrange comme l'Histoire se réduit parfois à une simple plaque... Bogué savait désormais qu'il était au bon endroit. Ne restait plus qu'à trouver le livre. Il fit plusieurs fois le tour du carré mais sans succès. 112 / 160 En attendant Modo Son amie lui avait expliqué que les membres de cette communauté n'hésitaient pas à crapahuter pour trouver des livres libérés : ils appelaient ça chasser. Il avait plutôt l'impression d'être idiot rasant les murs pour ne pas laisser passer un seul interstice. « Bon. Réfléchissons. Ton amie ne pouvait pas savoir que tu passais à Chambéry un jour de semaine ou un week-end et donc, elle n'aurait pas laisser le livre dans un restau ou dans un magasin. Et puis, il y avait cette histoire de se mettre à genoux devant Laurence. Il ne se voyait pas parcourir à genoux le Carré Curial comme le faisait régulièrement les pèlerins les plus fervents en route pour Compostelle. Il se rappelait l'histoire d'une chasseuse de livres lyonnaise qui avait ouvert toutes les poubelles avant de sortir bredouille d'une grande surface... pour y retourner le lendemain et trouver le livre dans un meuble à la porte déglinguée. http://www.bookcrossing.com/journal/1153908 « Apparemment, les bookcrosseurs n'ont aucun amour-propre, pensa-t-il en dans un craquement de rotules. »... Fort heureusement, il ne croisa pas trop de personnes, les rares passants l'avaient regardé d'un air plutôt amusé voire l'avaient complètement ignoré. Il mit la main sous les vitrines de l'Espace Malraux mais encore une fois, il ne trouva pas de livre. Il avança tout droit. Sur sa gauche, il pouvait voir quelques voitures stationnées. Il savait qu'il était proche de la solution. Tel un chien aux aguets, il se figea. Sous ce porche, il y avait des boîtes aux lettres. Il se releva péniblement pour atteindre plus vite ces boîtes... « Merde ! Rien. Bon sang, mais je vais pas passer ma vie à quatre pattes ! Merde, j'ai pas envie d'être un bon toutou, j'en ai maaaaaaaarre ! explosa-t-il ! ». Quelques minutes furent nécessaires pour qu'il retrouve son calme. Il en avait ras-le-bol de ces zigotos qui libéraient des livres, tu parles, comme les libérateurs de nains de jardins, sûrement des tarés qui... Il sentait la moutarde lui remonter au nez et ce n'était pas ce qu'il fallait. Il savait qu'il était proche. Ce n'était pas la première fois qu'il butait sur des énigmes. Son amie lui avait dit que les bookcrossers regardaient la ville différemment, repéraient partout des lieux où relâcher des livres. Lui, il n'avait pas des yeux de chasseur de livres, mais il enquêtait et il devrait logiquement trouver l'endroit. Il se concentra et repéra deux espèces de triangle en fer dans le coin à côté des boîtes aux lettres. C'était l'endroit idéal : au vu et au su de tous, le livre se trouverait là, il n'en faisait aucun doute pour lui. « Allez, fais-le cabot une dernière fois ». Il se mis à quatre pattes, passa la main sous ce « bidule » (il n'avait pas fait l'école d'architecture...) et sentit un paquet. Il l'arracha d'un coup sec, l'ouvrit et lu : Lawrence Block - Même les scélérats. Il éclata de rire : « Et bien, je l'ai enfin trouvé Laurence ». 113 / 160 En attendant Modo Chapitre 30 Chapitre de Misou se déroulant à Metz Voila pas que maintenant je dois me farcir toute la France pour me retrouver dans l'Est, à Metz plus précisément. Pfff en plus ça doit cailler en cette période, heureusement que j'ai mon bon vieil imper et ma pipe pour me réchauffer ! J'espère que ma bonne vieille Volkswagen ne va pas me lâcher durant le trajet ! Ah! j'arrive enfin, après 2 pannes, ça fait plaisir d'arriver ! Il fait déjà nuit, les rues sont froides, désertes. J'entends les cloches des églises, cette ville semble en posséder des dizaines, mince déjà 23h ! La 1ere chose qui me saute au nez en arrivant dans cette ville, ce sont ces casernes, ces longs blocs rectangulaires de couleur jaune, qui semblent dormir depuis la fin du service militaire. De toute façon, c'est pas plus mal, je déteste l'armée ; tous ces décervelés qui marchent au pas, beurk. Bon alors... je dois aller où maintenant ? un coup d'œil sur l'indice que j'ai récupéré dans l'autre bouquin... La phrase disait ceci : Tbnmzhv klfi ovh ilnzrmh, Vtorhv klfi ovh xsigrvmh, Kivh wv xv orvh hzrmg Gf gilfevizh glm yrvm ! 2110812680 Mais que peut bien signifier ce charabia ? Est ce un système de codage pour m'indiquer l'endroit où se trouvait mon prochain indice !? Après plusieurs minutes de réflexion, je réussis finalement à percer ce code ! Sans perdre une minute, je gare ma voiture dans le parking le plus proche et je cours jusqu'à l'endroit cité ! C'est une magnifique bâtisse qui semble posséder une âme, éclairée de mille lumières qui font ressortir la belle couleur jaune de la pierre de Jaumont, elle est magnifique ! J'arrive sur son parvis. L'endroit est désert, pas un bruit, pas un chat ! Je fouille du regard la petite place en quête d'indices lorsque mon regard se fixe sur une petite trace de sang au sol. Ces petites taches se répètent, comme si quelqu'un s'était coupé ou saignait du nez, et forment ainsi par terre un fin d'Ariane rouge. Ce chemin me mène jusqu'à un petit éclairage qui lui aussi est taché de rouge ! 114 / 160 En attendant Modo Je regarde derrière, quelque chose y est caché! C'est assez petit et de forme rectangulaire, sûrement un autre livre! Je l'attrape, chouette un polar ! Je le feuillette. Le BCID inscrit dedans est lui aussi rouge, du même aspect que celui qui maculait le sol, sûrement du sang ! La personne qui a laissé là cet indice serait donc assez folle pour se lacérer afin d'inscrire avec son propre sang un autre indice ? Ca promet pour la suite ! Qu'à cela ne tienne, ce BCID est sûrement une piste ou un secret qui me rapprochera un peu plus de ce fameux modo... 115 / 160 En attendant Modo Chapitre 31 Chapitre de lesezeichen se déroulant à Düsseldorf L'inconnue lui avait donné rendez-vous sur la Kö, pas loin du Schadowplatz. Alfred ne se sentait pas tout à fait à l'aise devant toute cette splendeur, mais il essaya de dissimuler son malaise en faisant mine de rien. Dans la rue on pouvait facilement repérer son vieux combi Volkswagen orange qui était en contraste criard avec toutes les Mercedes et BMW parqués autour de lui. Tout d'un coup quelqu'un le prit par le bras. Alfred tourna la tête mais il ne pouvait rien distinguer à cause du brouillard qui montait en provenance du Rhin. Cette inconnue pouvait-elle bien être son interlocutrice de tout à l'heure ? La personne à ses côtés tournait la tête et un voile lui cachait partiellement le visage. « Venez avec moi » murmura-t-elle mais en parlant si bas que une fois de plus Alfred n'était pas en mesure de l'identifier. « Tant pis » pensa-t-il, « on verra bien ». Tout en suivant la silhouette, il regardait autour de lui mais son accompagnatrice le menait par de petites ruelles et il finit par ne plus arriver à s'orienter. Mais il lui semblait qu'ils étaient en train de se rapprocher du Rhin puisque la brume devenait de plus en plus épaisse. L'inconnue s'était tue pendant tout le trajet. Mais tout d'un coup elle se mit à lui adresser la parole. « Bon, là il faut que je vous laisse. Si vous souhaitez trouver davantage d'indications pour découvrir votre Modo, il faut que vous montiez là-bas. » Pendant un instant Alfred arriva à apercevoir un visage qui était très distinctement féminin et il crut reconnaître la belle voix de son interlocutrice au téléphone mais, avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, la silhouette avait disparu dans le brouillard. Alfred se lança à la poursuite de cette femme mystérieuse mais au bout d'un moment il dut reconnaître qu'il avait perdu toute trace de l'inconnue. A regret il détourna son regard. A travers la brume et le crépuscule il arriva à distinguer une haute tour s'élevant devant lui émettant des lumières clignotantes ce qui avait un effet franchement fantomatique dans la nuit qui commençait à tomber. Alfred releva son col et se mit à avancer en direction de la tour. Une fois arrivé, il commença à repérer les lieux. Soudain il crut apercevoir une flèche sur la porte d'entrée. Petit à petit, il poussa la porte et entra en prenant un maximum de précautions. Comme il ne voyait rien, il alluma sa lampe de poche. Devant lui se dressait la porte de l'ascenseur sur laquelle il crut apercevoir une autre flèche. Il entra dans l'ascenseur qui commença à monter sans bruit. Arrivé en haut Alfred sortit de l'ascenseur et jeta un regard furtif autour de lui. Il alluma une fois de plus sa lampe de poche et la dirigea sur les tables qui étaient dressées devant lui. A sa gauche il y avait un distributeur -rouge- de boissons. Il y avait quelque chose dessus. En se rapprochant, il pouvait reconnaître qu'il s'agissait... d'un livre. Alfred l'ouvrit et se mit à le feuilleter et soudain son visage s'éclaira. Il poursuivit encore un peu sa lecture et finalement un sourire entendu apparut 116 / 160 En attendant Modo sur son visage. Il mit le livre dans sa poche et se dirigea vers l'ascenseur pour entamer sa redescente... Die Unbekannte hatte sich mit ihm auf der Kö verabredet, nicht weit vom Schadowplatz. Alfred fühlt sich in all dem Luxus überhaupt nicht wohl, aber er versuchte sein Unbehagen zu verbergen, indem er möglichst unbeteiligt in die Welt schaute. Auf der Straße ließ sich leicht sein alter oranger Volkswagen ausmachen, der mit den Mercedes und BMWs, die um ihn herum geparkt waren, ein scharfen Kontrast bildete. Plötzlich berührte ihn jemand am Arm. Alfred drehte sich um, aber wegen des Nebels, der vom Rhein aufstieg, konnte er kaum etwas erkennen. Konnte diese Unbekannte wirklich seine Gesprächspartnerin von vorhin sein? Die Person an seiner Seite hielt ihr Gesicht abgewandt und ein Schleier verdeckte teilweise ihr Gesicht. "Folgen Sie mir" murmelte sie und sprach dabei so leise, dass Alfred auch diesmal nicht sicher sein konnte, wen er vor sich hatte. "Macht nichts" dachte er bei sich, "wir werden schon sehen". Während er der Gestalt folgte, die vor ihm herging, guckte er sich um, aber seine Begleiterin führte ihn durch lauter kleine Gassen und er verlor schließlich die Orientierung. Aber es schien ihm, als würden sie sich dem Rhein nähern, denn der Nebel wurde immer dichter. Die Unbekannte hatte während des ganzen Weges geschwiegen. Aber plötzlich sprach sie ihn an. "Ich muß Sie nun verlassen, für weitere Hinweise, um Ihren Modo zu finden, müssen Sie dort hochfahren." Einen Moment lang erhaschte Alfred einen Blick auf ein Gesicht, dass ganz eindeutig weiblich war und er glaubte, die äußert angenehme Stimme der Dame zu erkennen, mit der er eben telefoniert hatte, aber bevor er reagieren konnte, war die Gestalt schon im Nebel verschwunden. Alfred machte sich auf die Verfolgung der schönen Unbekannten, aber sehr schnell musste er einsehen, dass er seine rätselhafte Begleiterin aus den Augen verloren hatte. Widerstrebend wandte er seinen Blick ab. Durch den Nebel und die Abenddämmerung hindurch konnte er einen hohen, blinkenden Turm erkennen, was in der aufkommenden Nacht außergewöhnlich unheimlich wirkte. Alfred schlug seinen Kragen hoch und bewegte sich in Richtung des Turmes. Dort angekommen begann er sich umzusehen. Plötzlich glaubte er, einen Pfeil auf der Eingangstür zu erkennen. Ganz vorsichtig öffnete er die Türe. Da er nichts sehen konnte, schaltete er seine Taschenlampe an. Vor ihm sah er nun die Tür eines Aufzuges, auf der er einen weiteren Pfeil zu erkennen glaubte. Er betrat den Aufzug, der sich geräuschlos nach oben bewegte. Auf der Aussichtsplattform angekommen, verließ Alfred den Aufzug und warf einen verstohlenen Blick um sich. Er schaltete wieder seine Taschenlampe an und bewegte sich auf die Tische zu, die er vor sich sah. Links von ihm konnte er einen roten Getränkeautomaten sehen. Irgendetwas schien da drauf zu liegen. Er näherte sich und plötzlich erkannte er, dass es sich... um ein Buch handelte. Alfred öffnete es und blätterte ein wenig darin rum. Plötzlich erhellte sich sein Gesicht. Er steckte das Buch ein und ging wieder auf den Aufzug zu, um wieder nach unten zu fahren... 117 / 160 En attendant Modo Chapitre 32 Chapitre de coffee-break se déroulant à Paris Alf' ouvre un oeil ( l'autre patauge encore dans le fond de son oreiller) : noir, nuit... Nuit noire ?... A se demander s'il a bien ouvert le bon. Son cerveau, en guise d'albumine, semble l'avoir rejoint et crépite dans son crâne comme un oeuf sur le plat. Etau, douleur, l'heure.... "Quelle heure ?", la question s'arrache de sa brume cérébrale. Sa main droite fouille le sol à la recherche de son p'tit réveil noir : en vain. "Ta montre !", deuxième fois que son cerveau lui parle ; la journée promet d'être rude. Il libère alors son bras gauche (encore engourdi par le poids de sa poitrine), le laisse glisser sur les draps frais, heurte un épaule, caresse un sein... " un sein ?" : sa main se fige, son oeil s'écarquille : "...Et merd...! " pensa-t-il en laissant échapper un soupir d'exaspération : sa propre exaspération. Alf ne s'aime pas, encore moins dans ces moments là, même si, au final : il s'en fout. Il se retourne lentement sur le dos. L'obscurité se dilue, et laisse échapper des nuances de gris qui se détachent peu à peu sur un mobilier qui n'est pas le sien... ?!...La réplique parfaite d'une chambre témoin Ikéa. Bogué fouille le fond du lit de ses doigts de pieds à la recherche de son caleçon, le trouve, se tourne sur le côté, s'apprête discrètement à se lever... lorsque le bras de l'inconnue vient s'abattre sur sa hanche : interrompant net son mouvement. Alf retient sa respiration, saisit délicatement la main de l'étrangère et la repose doucement sur sa propriétaire. Il marque une pause, fait doucement glisser la couette sur le côté, s'assoit sur le lit et, toujours au ralenti, se lève. Il repère ses fringues, les ramasse une à une, se laissant ainsi guider jusqu'à la porte... et se retrouve dans un couloir menant à ce qui doit être la porte d'entrée. Il s'habille, enfile son vieux caban, claque doucement la porte, évite l'ascenseur et emprunte l'escalier de ce qui semble être un vieil immeuble fin 19ème... Tout en descendant les marches, Alf tente de faire le tri : la fille, l'appart', l'immeuble... Le nom de cette fille lui revient presque. Ca sonnait comme un nom de bagnole : "mercedes" quelque chose, ou machin "merced...", un truc comme ça... "DANIELLE MERCED !!! Ca y est, j'y suis !". L'apparition de la Vierge n'aurait pas pu faire plus d'effet sur Alfred SOUBIROUS que celle de ce nom qui résonnait désormais à l'infini. Il se souvenait maintenant : Fosses, ce rendez-vous dans le bar, cette fille et son départ précipité, la bière qu'il avait finie seul, la pluie, son Volkswagen, le ronronnement du moteur encore froid, les pinceaux des phares... ... Et cette même fille se jetant sous ses roues, 100 mètres plus loin, avenue de la Haute Grève. Ecart, coup de freins, crissement, silence, bruit des essuieglaces,...puis celui de la pluie et l'impact glacé de ses gouttes dans son cou. Il revoit la route luisante et cet ange déchu : le poids étonnamment léger de ce corps trempé dans ses bras, ses cheveux mouillés collés contre sa joue mal rasée, leur odeur, le mouvement de cette petite main froide lui enserrant la nuque, la portière se refermant sur ces pleurs. Il la ramène chez elle, silence, 118 / 160 En attendant Modo sanglots puis plus un mot, du moins rien de plus que ce qu'elle lui avait déjà appris. Elle lui propose un verre, ils en prennent plusieurs, puis : plus rien... Alf passe le hall, appuie sur l'interrupteur, déclenche le tnîîîît graveleux d'ouverture de la porte, l'ouvre, fait un pas, s'arrête, attend le click de fermeture et s'adosse placidement sur le battant en fer forgé. un petit vent glacé vient saisir le bout de ses doigts qui se recroquevillent et se blottissent au fond de leur paume. Alf les porte à sa bouche et souffle... une fois, puis deux. Le sang afflue et le froid se dissipe. D'une main il remonte son col, de l'autre il sort son paquet de tabac, l'ouvre... "Damned !" : un fond de miettes sèches, à peine de quoi en faire une. Il saisit une feuille entre deux doigts et son pouce et se lance dans la périlleuse entreprise d'une "roulax" née d'un fond de paquet... ooo Nicolas rentre chez lui. Le jour se lève. Le cœur serré, les yeux dans ses godasses, c'est à contre courant qu'il remonte la rue Saint-Denis. Il y jette ses dernières forces comme le ferait un saumon dans un torrent, simple question de survie. Plus que quelques mètres, il lève la tête, un homme, la cinquantaine, est adossé à la porte de son immeuble. Pantalon en toile crème, vieux caban bleu marine : une espèce de Corto Maltese qui aurait mal vieilli, ne conservant de son personnage que le regard. Un regard opaque et pénétrant absorbé par le mouvement de six doigts sur une roulée en chantier. Nicolas continue d'avancer. Parler à un inconnu, ne serait-ce que dire "bonjour !"... Nicolas n'en a pas la force, encore moins ce matin. Danielle n'est pas rentrée hier soir, il a passé toute la nuit à la chercher en vain et embauche dans moins d'une heure. Nicolas est d'une nature plutôt timide : le moindre regard posé sur lui agit comme autant de coups de ciseaux sur chacune de ses terminaisons nerveuses : l'empêchant d'émettre un son, faisant couler un voile rouge sur ses joues, laissant tomber ses yeux sur ses pieds... Plus que quelques mètres, il va pourtant bien falloir dire quelque chose s'il veut rentrer chez lui, ne pouvant compter sur ses yeux encore scotchés à ses pieds. Il décoche sèchement un "pardon!", l'homme se pousse sans même lui adresser un regard. Nicolas parcourt rapidement le digicode : 8-6-5-2-B et referme la porte derrière lui, soulagé. Il franchit le hall prend l'ascenseur et monte au troisième. La porte s'ouvre : "Déjà?!" ; Nicolas ouvre les yeux, pose son regard sur le bout de son doigt encore enfoncé sur le bouton "3", décolle son front de la paroi métallique et sort. Il ouvre la porte de son appartement, n'allume pas la lumière du long couloir. La porte du fond, celle de la chambre est entrouverte. Il claque doucement la porte derrière lui, pose ses clés sur le meuble de droite et s'avance vers la chambre à pas feutrés étouffant chaque craquement de plancher d'une pression patiente et mesurée. Il pousse un peu plus la porte qui s'ouvre sur le lit : Danny est revenue. Elle est étendue sur le ventre, les bras en croix, légèrement repliés sur eux-mêmes. La couette semble s'être retirée comme pour libérer le passage de son dos au premier des regards égarés qui viendrait s'échouer sur ses côtes. Chaque pli de tissu vient mourir un à un sur l'échancrure de ses reins sans oser aller plus loin comme pour ne pas troubler la quiétude dénudée de ce 119 / 160 En attendant Modo petit corps endormi. Nicolas suit les sillons de sa colonne pour s'abandonner sur ce petit visage que les donneurs de leçon, les sûrs d'eux comme il les appelle, affubleraient d'insignifiant. Cette insignifiance rend les gens plus consistants selon Nicolas, elle fuit les lectures linéaires, elle pousse à l'effort patient, celui d'apprivoiser ce voile sans l'effrayer pour le soulever, doucement, le cœur battant, sur qui se cache derrière. En tout cas elle signifiait beaucoup pour lui : il l'aimait. Ses yeux sont humides : fatigue, joie ou peine, cette première larme ne sait plus pour qui elle coule. Nicolas stoppe net les suivantes du dos de sa main, pivote sur sa gauche, s'avance dans le salon et s'affale dans le canapé. Il renifle : un petit claquement sec, comme un coup de revolver sur une ligne de départ. Ses cils se lèvent et ses yeux quittent leurs starting-blocks pour aller se perdre dans le mur d'en face.... Cela faisait 5 ans qu'ils étaient ensemble. Depuis un an ils ne se parlaient plus vraiment, ils s'étaient perdus et passaient désespérément leur temps à se croiser. Les rares fois où ils se retrouvent, c'est pour poser ensemble une larme sur cet amour qui s'étiole ; le voir se dérober sous leurs pieds, s'y enfoncer, doucement, sentir l'angoisse monter, se débattre, se raccrocher à tout ce qui traîne (un souvenir, une caresse, un baiser...), réaliser impuissant que chacune de ces tentatives accélère l'appétit de ce gouffre... Disparaître, se réveiller sur l'absence. Vomir à l'idée que chaque tentative de sauvetage se solde systématiquement par un naufrage. Haïr Sisyphe et son mythe. Voilà plus de trois mois qu'elle s'était réfugiée dans le " bookcrossing ", et lui en avait fermé l'accès. Il avait pourtant essayé de s'y intéresser pour récupérer celle qu'il aimait, mieux la comprendre. Mais il n'en comprenait ni l'essence, ni le sens, plus omnubilé (qu'il était) par l'idée de reprendre celle que ce "bookcrossing" lui avait volé, que par l'envie de s'insérer dans une communauté se vouant au culte du livre. Nicolas hait les communautés, elles dépossèdent l'individu et vous absorbent aussi facilement qu'elles vous rejettent. Il sait que ce jour-là, démuni, vous vous retournez vers les gens qui vous aiment et que vous aimez pour vous apercevoir qu'ils ne sont plus là, qu'en les oubliant, vous les avez semés. Semé, il commençait à l'être. Depuis près de 5 jours elle s'évaporait régulièrement, une histoire de Modo à laquelle il ne comprenait rien et qu'il ne voulait surtout pas comprendre... Nicolas jette un coup d'oil sur les bouteilles posées au pied de la table basse. Il se penche en avant, attrape celle de martini blanc... vide ; il incline celle de rhum... vide aussi. Il soulève alors celle de whisky : elle semble être intacte. Il saisit l'un des deux verres posés devant lui, se sert allègrement et avale le tout d'une seule traite. Sa gorge s'enflamme avant de s'éteindre sur un petit arrière goût de martini. 8 heures, il se lève. Il est temps de partir s'il ne veut pas être en retard au boulot. ooo Alf coince son clope entre ses lèvres, l'allume...regarde en face de lui : "le London", une espèce de boîte de nuit à la devanture bleue arborant un rainbow flag, lui fait front... "Bon, ou j'chuis, Paris ?!...Où est-ce que j'ai bien pu foutre mon van ?!", se lança-t-il en enfonçant ses mains dans les poches de son 120 / 160 En attendant Modo caban... "Qu'est-ce que ?!...Un livre !!!". De surprise en surprise. Alf n'aime pas les surprises, encore moins être surpris, comme par un livre qui se love dans ses poches. La personne qui l'avait mis là n'était guère un mystère, il venait à peine de s'enfuir de chez elle; ce qui l'intriguait d'avantage, c'était le moment où celle-ci avait réussi à le glisser dans la poche de son caban sans qu'il s'en aperçoive. Sans ôter les mains de ses poches, le clope au bec, il se détache de la porte, jette un coup d'oeil au-dessus : "n°50". Il fait quelques pas sur sa droite, passe l'angle de l'immeuble, lève la tête : "rue des Lombards". A ses pieds, un carrefour en guise de placette. En face "la 'averne du phare"(le "T" s'était fait la malle), à gauche, plus en hauteur : "rue Saint Denis". Plus à gauche encore, la rue, place du Châtelet et au fond il reconnaît la Conciergerie. "Pas de doute : Paris !" soupira-t-il. Il saisit sa roulée entre son pouce et l'index, crache deux ou trois p'tits brins de tabac, la rallume, tire une latte et prend à gauche direction place du Châtelet. Il passe deux putes qui tuent le temps, à hauteur de la rue Courtalon, puis s'arrête dans le premier troquet qui s'présente : "Le petit Châtelet". Il entre : un zinc, une pièce toute en longueur, à sa droite des tables et leurs mosaïques, à sa gauche deux tabourets hauts. Alf choisit le plus pourri, celui à la doublure en skaï éventrée, laissant échapper ses boyaux de mousse jaune. Il s'accoude au comptoir "un café s'il vous plaît !". En face de lui : les bouteilles. Au-dessus : les verres et au-dessus des verres, Erik Truffaz trône, coincé entre une bouteille de cointreau et une bouteille de schweppes. Bogué sort le livre de sa poche : "Terre d'exil et autres nouvelles" de Cesare PAVESE... " ?! "...Connaît pas. Acheva-t-il sans autre considération. Il ouvre la page de garde : une page blanche, quelques mots griffonnés au crayon de bois. Un nom, un lieu, une heure et une date... Alf pose le bouquin sur le bar, se lève : "combien je vous dois ?", pose un euro cinquante sur le comptoir et s'échappe sans même avoir touché son café. 121 / 160 En attendant Modo Chapitre 33 Chapitre de Lola-France se déroulant à Toulouse Lorsque le train arriva en gare de Toulouse-Matabiau, Bogué était tout excité à l'idée de retrouver sa « princesse ». Cette sombre affaire de Modo l'avait amené à descendre dans le sud-ouest sur les conseils de la mystérieuse inconnue du téléphone. Il avait alors profité de l'occasion pour renouer contact avec une ex. Enfin un peu plus qu'une ex, « sa princesse » comme il aimait l'appeler à l'époque, c'était il y a dix ans déjà. « Comme le temps passe vite se dit-il, et qu'ai je fait de ma vie durant ces dix dernières années ? pas grand chose, si ce n'est courir après des voleurs, sans jamais les rattraper vraiment. ». Bogué était un solitaire, il n'avait pas pris le temps de vivre sa vie d'homme et de s'arrêter auprès d'une femme. « Sa princesse » aurait pu être celle qui aurait partagé ses vieux jours, mais le destin du privé en avait décidé autrement. Et puis aussi pourquoi était-elle partie subitement au petit matin, ce 13 avril ? Y avait-il urgence à fuir ainsi, le laissant seul avec ses sentiments confus qu'il n'arrivait pas à démêler ? « Sa princesse » était une prostituée du bord du canal. Il l'avait rencontrée à Toulouse, un soir d'enquête sur un sombre proxénète qui était recherché par sa femme, son officielle. Elle œuvrait entre Matabiau et l'avenue Camille-Pujol, sur la rive Est. Il se surprit à repenser au passé avec nostalgie. Qu'était-elle devenue ? Il le saurait bientôt, elle avait promis de venir le chercher à la gare. Il était 11h31 et le train en provenance de Paris s'arrêta sur le quai N°1 de la gare Matabiau. Il descendit, s'avança sur le quai en direction de la sortie et la vit qui scrutait du regard les voyageurs. Ils se reconnurent tout de suite, et s'approchèrent l'un de l'autre avec une certaine émotion en travers de la gorge. « Bonjour Alfred, tu me reconnais ? » « Bien sur, ma princesse, tu n'as pas pris une ride. Je suis content de te retrouver ». « Moi aussi je suis contente de te voir, allons prendre un café et tu me raconteras l'objet de ta visite dans la ville rose ». Ils sortirent de la gare et longèrent le canal en direction du sud. Ils passèrent devant la nouvelle médiathèque. « Tiens cela n'était pas construit auparavant, se dit Bogué » en observant l'arche de brique. Tout avait changé et il ne reconnaissait rien de cette ville. Mais « sa princesse » était la même, toujours aussi belle et pas mal conservée pour son âge. Ils rentrèrent dans un café et s'assirent dans un coin tranquille. Bogué préférait rester discret sur l'objet de son enquête. Mais avant de lui donner les détails de sa visite dans le sud, il lui demanda des nouvelles avec le secret espoir qu'elle lui dirait enfin pourquoi elle l'avait quitté. 122 / 160 En attendant Modo « Alors quoi de neuf depuis ces dix dernières années ? Toujours au tapin ou bien tu as raccroché ? » « Oh non c'est fini le canal, tu sais maintenant ils importent des filles de l'Est, alors la concurrence est rude. Je me suis rangée, et puis j'ai ma petite princesse. Alors je me dois de luis donner une belle image de sa mère. » « Ah bon tu as une fille ? » « Oui elle a neuf ans et demi maintenant. Elle est belle comme un cœur et finalement ressemble pas mal à son papa.» « Ah ! et vous êtes installés dans une maison tous les trois ? » dit Bogué avec un pincement au cœur en repensant au temps jadis. « Oh non, tu sais les hommes ça va, ça vient. Il n'avait pas le courage de ses sentiments et moi à l'époque je ne savais pas encore si j'allais la garder. Alors j'ai préféré fuir un beau matin d'avril ». Bogué toussa dans sa bière, et faillit s'étrangler. Elle était en train de lui annoncer de but en blanc qu'il avait une fille. Une petite princesse, aussi jolie que sa mère sans doute, lui qui n'avait rien fait de sa vie de ses dix dernières années se retrouvait propulsé père de famille. L'émotion passée, il lui demanda de préciser la suggestion qu'elle venait de faire. Avec un grand sourire elle lui raconta sa vie depuis la naissance de sa fille. Bogué écoutait bouche bée. Elle lui dit aussi qu'elle n'avait toujours pas trouvé le prince charmant. Il en avait presque oublié l'objet de sa visite à Toulouse. Après ce préambule, un peu remuant, il prit à son tour la parole et lui raconta les premiers éléments de son enquête. La fameuse inconnue du téléphone, la recherche de Modo, et comment la piste l'avait amené dans le sud-ouest. Il cherchait un livre. Peut-être un livre de math ou quelque chose en rapport avec les chiffres. Une énigme lui avait été posée sous forme d'une charade : « mon premier se consomme avec modération, mon deuxième n'est pas ancien, mon troisième fait souvent de la musique de chambre, Au numéro du premier et du deuxième se trouve mon troisième ». Il avait à peu prés trouvé la combinaison des chiffres mais restait à trouver la rue où était caché le livre. Et des rues il y en avait pas mal à Toulouse. Ils passèrent une paire d'heures à disserter sur les hasards de la vie et décidèrent de se revoir bientôt. Elle lui fixa rendez-vous dans une heure place du Capitole. Elle partit, comme elle l'avait déjà fait quelques années plus tôt, mais au moment où elle passait la porte elle lui jeta un bref regard et lui dit « Si tu veux bien être mon prince charmant, je pourrais redevenir ta princesse ». Bogué resta un moment puis sortit et commença à longer le canal, perdu dans ses pensées. Il se souvenait du temps où il avait vécu à Toulouse. Il se rappela leur première rencontre : c'était après un dîner dans un restaurant japonais. Ils avaient déambulé dans les rues, se laissant guider par le bruit de leur pas sur 123 / 160 En attendant Modo le bitume. Ils avaient parlé toute la nuit, de chose et d'autre, de l'écriture, de la lecture, des voyages. Bogué se laissait de nouveau aller au gré de ses pas. Il remonta l'avenue Camille-Pujol sur le trottoir de gauche, passa la rue Mirabeau. « Tiens, se dit-il, sous le pont Mirabeau coule la Seine, ce sont les paroles d'une chanson ancienne de mon enfance ». Il tourna dans la rue Jean Micoud, passa devant la maison du père Noël, et ses pas le firent tourner à gauche de nouveau. Cette petite rue étroite il avait l'impression de la reconnaître. « Mais oui, c'est là qu'habitait une vielle tante » Une tante qu'il était venu visiter avec sa mère à l'âge de dix ans. Dix ans c'était presque l'âge de sa fille ! Il descendit la rue et s'arrêta devant la maison, observa pour voir s'il y avait des gens à l'intérieur, rien ne bougeait. Ils étaient sans doute côté cour. Il s'approcha de la sonnette, l'activa mais elle ne marchait pas. Il entendit s'ouvrir une fenêtre en face dans la rue et demanda à la vieille si elle connaissait la personne qui habitait ici. Elle lui répondit que les gens avaient déménagé et qu'il ferait bien de passer son chemin. « La vieille était du genre Ma Dalton, un tromblon à la main, si tu touches à la maison, j'appelle les flic immédiatement » pensa-t-il. Il sortit un calepin de sa poche et s'approcha de la boite aux lettres pour y déposer un message. Et c'est là qu'il vit le livre, posé en évidence sur la boite, sous le feuillage vert du chèvrefeuille grimpant. Il s'en saisit et sut aussitôt que le hasard de ses pas l'avait une fois de plus guidé au bon endroit. Il vérifia le numéro de la maison, cela collait à l'énigme. Il ouvrit le sac, lut le titre du livre et sourit. Il avait toujours fait confiance à sa bonne étoile et aujourd'hui encore elle l'avait accompagné. Bogué fourra le livre dans son sac et détala à toutes jambes craignant de recevoir une décharge de gros sel s'il s'attardait davantage devant la maison. Il dévala la pente, rejoignit le canal et courut au rendez-vous avec « sa princesse ». Oui il voulait bien être son prince charmant, enfin au moins pour ce soir. « Demain sera un autre jour » se dit-il fier d'être l'auteur de cette phrase remarquable. « Pour ce soir j'abandonne Modo et ses amis, et je me fais une soirée avec ma princesse ». 124 / 160 En attendant Modo Chapitre 34 Chapitre de Andromeda23 se déroulant à Madrid Il y a 3 semaines sur le pare-brise du combi orange de Bogué apparut une enveloppe. Son contenu : - 1 billet d'avion pour Madrid - 1 plan de la ville et ses environs - 1 abonnement touristique pour 3 jours - 1 réservation d'hôtel. Le déplacement aérien/souterrain et l'arrivée à l'hôtel ne posèrent aucun problème. Juste un certain ras-le-bol; trimballer sa valise de droite à gauche ne l'a jamais enchanté. La chambre avait bel et bien été réservée. Avec la clé on lui remit une 2ème enveloppe; sans entête, son nom en plein milieu. En l'ouvrant il trouva un mot : - "Bienvenu à Madrid ! Rendez-vous demain à la gare de Cercanías de Alcalá de Henares à 15h" et l'accompagnait un nouveau plan de la ville avec le trajet Hôtel-gare d'Atocha marqué en rouge ainsi qu'1 plan de la gare avec la localisation du quai du train à prendre [cela fait belle lurette qu'il ne s'étonne plus de ces rendez-vous étranges]. Et le voilà sur le quai de la gare d'Alcalá, intrigué. Il est 15h, personne ne semble prêter attention à lui. 15h05...15h10 [Quand même me faire poireauter comme ça!] Soudain, comme sortie du néant, une petite voix : "¡Hola!" -???"¡Hola?!"[L'espagnol n'était pas son fort mais quand même, il connaît quelques mots]. Il a du mal à le croire; une petite fille de pas plus de 12 ans est là, à ses côtés et lui sourit. Elle lui tend un mot: -"Etonné? [un peu], n'ayez crainte, elle vous amènera auprès de moi". Juste le temps de lever les yeux du mot et la petite fille lui prend la main. Et les voilà partis, traversant une rue, une deuxième [calle libreros?? elle est belle celle-là], puis ils tournent. Aux questions qu'il essaie de lui poser, aucune réponse, juste le sourire. Ils traversent une place [tiens, une statue de Cervantés!], s'approchent d'un bâtiment [c'est de l'ancien ça!!!], et entrent, 1 cour, puis une 2ème, là, la petite guide s'arrête un moment et lui montre le sol. Bogué lit: "La ciudad del saber, Universidad de Alcalá, patrimonio de la humanidad"[???!!!]; et elle sourit. 125 / 160 En attendant Modo Quelques pas et un mur avec inscription "Patio trilingue" et les voilà nez à nez avec une porte verrouillée ???!!!. La petite fille, regardant d'abord à droite, puis à gauche, approche sa main et ¡hop!!! Plus de verrou ???!!! Il traversent la porte verrouillée/non verrouillée et longent le mur à gauche, là, elle touche une pierre qui s'agrandit, devient porche, qu'elle ouvre, qu'ils franchissent et qui se referme aussitôt derrière eux. Au devant, un escalier en colimaçon et une étrange lumière bleutée. Descente et.... Bogué bouche bée : une immense bibliothèque; livres, manuscrits à perte de vue. Une jeune fille s'approche, glissant sur les dalles du sol. "-Bonjour! Ne vous effrayez pas! -la jeune fille embrasse l'enfant. "-Vous parlez français? bredouille Bogué. "-Oui et beaucoup d'autres langues, mais elle, elle ne parle que le castellan ajoute-t-elle en signalant la petite guide... "-Nous n'avons que peu de temps Mr Bogué. Ce que vous voyez ici est l'âme des exemplaires de livres qui un jour ont existé et ont été détruits, principalement par le feu. Disons qu'il s'agit d'une bibliothèque suspendue, fantomatique si vous préférez. "-Et vous, vous êtes aussi fantomatique??? -Oui et non, mais ce serait trop long à expliquer. Je suis en fait la gardienne de ces lieux. Celle qui accueille ceux qui doivent y recueillir un livre, un manuscrit. Il y a 3 semaines l'âme d'un d'entre eux initia sa transformation. Cela veut dire que quelqu'un le cherche désespérément et cette désespérance d'une qualité toute particulière crée la transformation. Et vous êtes là pour recueillir le volume et l'amener à son destinataire. Je peux juste ajouter qu'il s'agit d'un libraire et que vous le lui remettrez le 23 Avril." C'est alors que Bogué se rend compte que le regard hypnotique de la jeune fille vire et se perd dans le néant. Et perdu dans ce vide, elle ajoute. "-Le temps s'est écoulé vous devez repartir. Votre petite guide vous reconduira à la gare." Bogué voulait ajouter quelque chose, poser des questions, savoir... mais la jeune fille glisse déjà sur les dalles, s'éloignant. [Mais!!!]... La petite fille lui signale un manuscrit du doigt et lui reprend la main. Ahuri il le prend, lit : "L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha" et se laisse entraîner par l'enfant...Escaliers, porche, cours, place, rues et gare. La petite guide lui lâche la main en même temps qu'elle lui dit -"¡Adios!" souriante et disparaît. Il regarde ses mains, plus une trace du manuscrit. 126 / 160 En attendant Modo Hébété, ahuri, il reprend le chemin du retour. Il se sent étrange, glissant entre la foule, sans hésitation il retrouve la ligne de métro via l'hôtel. Bogué vient de sortir du métro et sans difficulté trouve l'hôtel. Il franchit la porte giratoire, tend la réservation au réceptionniste et dépose sa valise au sol. On lui remet la clé de la chambre et avec elle une enveloppe avec entête: Modo. Et bien sûr un mot: "Mr Bogué, l'indice Modo se trouve au café Mendocino, au fond, 3e étagère à droite. Le café est le point bleu signalé sur la carte, comme vous voyez, à deux pas de l'hôtel;-). Comme ça vous avez deux jours pour visiter Madrid et environs. Le trajet à Tolède est inclus dans l'abonnement touristique. N'oubliez pas d'y faire un tour..." Fatigué, il rejoint la chambre et s'assied sur le lit. Pendant qu'il bourre sa pipe d'Amsterdamer, l'allume et se relaxe, il sent que quelque chose d'étrange habite un coin de sa mémoire, mais quoi???... (Le 23 Avril, le manuscrit apparaîtra sur le siège du combi et sans préambule il le remettra à la personne adéquate et petit à petit il se souviendra...) Pour l'instant, il lui reste à défaire sa valise et aller au Café Mendocino... 127 / 160 En attendant Modo Chapitre 35 Chapitre de omne se déroulant à Paris Madame, ce vendredi 1 avril 2005, conformément aux indications reçues dans le courrier (Cf copie jointe) daté du 25 mars 2005 qui accompagnait l'avance de règlement entendue, je suis sorti de mon bureau en début d'après-midi - ma montre indiquait 13h25 - dehors la mélopée éternelle des oiseaux parisiens poussait doucement les nuages dans un ciel azur que portait avec l'assurance de l'âge la multitude des sommets citadins. Belleville devait vibrer de son habituelle symphonie de klaxons, mélopée quotidienne pour les danseurs bigarrés qui rythment notre village. Mes pas résonnaient sur le bois vieillissant de l'escalier. Bordel de merde, si je continue à frapper comme ça au rythme effréné de mes deux index boudinés (auquel vient s'adjoindre régulièrement le pouce plaquant sèchement la barre d'espace, oui madame, on n'est pas manchot dans la profession) mes quelques neurones non occupés à un numéro de contorsion sous l'œil creux de leurs synapses amorphes et, de fait, encore capables d'un minimum d'efficacité, vont se rebeller et dégouliner lâchement par mes oreilles en route vers un Éden de boite crânienne, quelque part, loin de l'étau où je les froisse quotidiennement. Quelle nuit. Essayons de recadrer. Le kebab du midi devait être frelaté, quelle autre explication ? Heureusement, dans ces cas là, j'ai toujours une bouteille de JB de secours, pour freiner la progression de ses salopes d'amibes dans leurs tentatives de retournement de mon estomac. Et une seconde bouteille, pour le goût, la soif du feu, la délicieuse âpreté. Le reste de l'après midi est assez flou, je l'ai sans aucun doute passé ici, j'en veux pour preuve le tas de cadavres flétris dans le cendrier et le fait qu'une photo en gros plan de mon index et majeur droits pourrait facilement m'introduire dans les cercles les plus clos de la pègre chinoise. Vers une heure du mat' le souvenir du rendez-vous est venu faire des galipettes un peu plus volontaires que celles du troupeau de suédoises en bikini qui gambadent habituellement dans mes circonvolutions ; j'ai attrapé mon imper avant de m'engouffrer dans l'escalier. La vis s'annonçait houleuse, aussi décidai-je de marquer fermement le pas dans le vain espoir d'un instant de stabilité des marches, le temps pour mon pied de supporter ma masse, tandis que le reste de l'architecture s'étirait paresseusement dans un soupir cubiste. J'ai frappé à la porte de Marguerite Sadur, ma voisine du dessous, charmante vieille dame aux verres d'ombre sur monture en gros plastique ocellé - me cachant la douceur de son regard, fort heureusement compensée du sourire toujours aussi charmeur qui inonde son visage à jamais et tend ses joues un peu fatiguées par la chute des années - dont je m'inquiète toujours compte tenu de son grand âge et de la santé fragile qui en découle. Elle vit seule dans un coquet deux pièces en compagnie de son chien, Yann-Andréas, merveilleux adjuvant à l'étirement des jours dans lequel vivent nos aïeux, comme annonciateur de la nuit, enfin. Je rapporte ici quelques bribes de la conversation : 128 / 160 En attendant Modo - Monsieur Bogué, vous sortez bien tard aujourd'hui. Je ne vous ai pas entendu jouer du violoncelle. - Marguerite, toujours aussi belle. Quand daignerez-vous me laisser vous inviter au restaurant ? - Monsieur Bogué, arrêtez, mon Robert nous regarde de là-haut, voyons. Vous feriez mieux de vous concentrer sur Bach. - Ha, désolé Bach attendra, le devoir m'appelle. Comment se porte le charmant Yann-Andréas ? - Vous êtes gentil, il souffre, mon bébé, mais résiste fièrement, mon amour le sauvera, je lui fais la lecture. Dis bonjour, YannAndréas. La vieille salope du second m'attendait sur le pas de sa porte, nue autant qu'engoncée dans une chemise de nuit qui avait du être blanche et même constellée de petites fleurs bleues et roses, mais que les frottements de son corps gargantuesque aux épais draps du lit où elle passe l'essentiel de son temps à écouter les voix sirupeuses des chanteurs geignards ont tellement élimée qu'elle en a perdu toute opacité - n'était les éternelles taches de sauce qui forment un plastron bigarré sur le devant sans pour autant cacher la silhouette de sa poitrine, illustration éternelle de la fuite du temps et de la gravitation universelle, respectivement chères à Ronsard et Newton. L'œil glauque, elle se tenait là, vampirisant le tuteur d'un balai dont la pilosité hirsute et rare n'est pas sans rappeler celle de son clébard atteint de je ne sais quelle maladie de peau et qu'elle passe ses journée à asperger d'une poudre nauséabonde que le corniaud répand partout dans l'appart ; le jour derrière elle filtrait au travers des rideaux pisseux et j'eus un haut-le-cœr en songeant à l'effroyable contre-jour qui m'attendait une fois en face d'elle, m'exposant sans aucun mystère les ravages du temps sur un corps qui fut sans doute tendre et féminin autrefois mais abandonné, depuis, aux ravages des voluptueuse calories d'une nourriture grasse et sucrée que ses déplacement de culbuto ne parviennent pas à brûler. - Bogué, me fit-elle en me bloquant le route avant même que j'aie pu tenter quoi que ce soit (l'idée d'un uppercut entre ses deux mamelles - soit sous le nombril - fut difficile à réfréner). - Marguerite, soit la cage d'escalier est depuis peu corsetée, soit vous vous exposez à de graves ennuis artériels, dis-je pour tenter de détourner son attention avec le peu d'amabilité que mon sang épais me permettait encore. - Vous avez encore fait beugler votre zinzof toute la nuit, mon Yann-Andréas a les oreilles fragiles. - Coltrane, lui rétorquai-je, moi-même étonné du surprenant effet du JB sur ma mâchoire inférieure me permettant une prononciation proche de la perfection. Du jazz, inculte. - Oui de la musique de nègres, je vais appeler la mairie, répondit-elle en une tentative de rejeter en arrière une des rares touffes violacées qui constituent ses cheveux mais qui n'eut pas d'autre effet que celui de l'entourer d'un nuage 129 / 160 En attendant Modo blanc qui expliquait mieux la quantité de poudre que le véto lui fourgue chaque semaine. - Faites donc, dis-je en me faufilant à la première occasion entre la rampe et la portée de quintuplés que devaient cacher les remous adipeux qui tendaient le tissu éreinté. Sitôt le porche de l'immeuble enjambé la lumière aveuglante du début d'après-midi me fit plisser les yeux, je les masquai incontinent sous le regard froid d'une paire de lunettes de soleil et vissai un borsalino à mon crâne ; j'avais pour objectif de repérer les lieux avant le rendez-vous. Passée la bouche de métro enneigée, je pris à gauche dans la descente admirant un instant, du haut de la rue, visuellement engoncée entre les deux rangées d'immeubles qui cadrent la chaussée, mais en réalité plus libre que jamais, la belle dame de fer qui exposait ses résilles centenaires aux yeux des touristes. Des enfants se tenant par la main couraient vers le savoir qui leur tendait les bras un peu plus haut dans la rue, derrière les lourds murs historiques forçant au respect, et je fus pris un instant par la nostalgie de mes jeunes années, quand les pavés s'étalaient plus qu'alors dans les rues, que les pistons de mes genoux écorchés de la non protection des culottes courtes me poussaient, comme ces innocents là, quand les boutiques du quartier, bien différentes d'alors, répandaient dans la rue le sirocco, l'odeur aigre des arachides ou les pleurs des violons que rythmaient de place en place quelques grelots sur des ventres mouvants et tendus. Quelques mètres plus bas, après un arrêt au tabac, j'obliquai à droite pour une légère montée entre vieux immeubles et modernité avec vue, afin de profiter de celle, panoramique, qu'offre le parvis qui surplombe le parc. Abandonnant pour l'heure l'amphithéâtre sur ma gauche, je gagnai l'abri des fausses arcades pour m'appuyer à la balustrade, laisser mon regard se perdre au loin, flâner, s'accrocher aux aspérités diverses que je ne reconnaissais pas, en revenant vers le parc à mes pieds et la foule qui s'y pressait. La capitale miroitait sous la tonnelle d'une légère brume de pollution d'où les monuments semblaient naître en s'étirant ; on sentait la langueur sur les passants, elle se glissait, frisson entre la chemise humide et la peau trop blanche, les regards se touchaient, un sourire bondissait de visage en visage, poursuivant la trajectoire de quelque corps court vêtu, ondulant sous le soleil. L'épreuve la plus difficile était sans aucun doute derrière moi, mais la crainte de représailles me fit achever ma descente hélicoïdale le plus rapidement possible, martelant les marches deux à deux, au risque de me mettre définitivement à dos les voisins et mon estomac où le magma brûlant et pâteux que j'y berçais depuis quelques heures au hamac de Coltrane commençait à frémir. Je trébuchai sur la barre de seuil de la petite porte du porche de l'immeuble pour atterrir dans la nuit américaine de nos grandes villes. Quelques rares embarcations sillonnaient placidement la chaussée, tous feux inutilement allumés sous la douche introvertie des réverbères hypercyphosés. Je pris la direction du parc, mû par une conscience professionnelle aveugle bien que tardive et, dépassant la bouche de métro, j'aperçus une lumière glauque qui noyait la pâleur de la céramique derrière la muselière des grilles closes ; le peuple des infimes y entrait sans doute en branle pour rendre aux boyaux leur 130 / 160 En attendant Modo grisaille habituelle que la faune du lendemain traverserait sans ciller. Avant de traverser la rue qui coupait ma route en plongeant à ma droite, j'eus le temps d'un aveuglement par le phare solitaire qui tournait sur le port endormi, le squelette de la gloire parisienne scintillait des mille lucioles parkinsoniennes accrochées à sa carcasse et l'envie soudaine me traversa de héler un vaporetto au passage pour partir voir la Mère de nos souffrances Capitales ; pleurer à ses pieds sous les flashes inutiles des touristes chiures de mouches pendus aux bastingages. Je décidai à la place de contenter ma vessie contre la grille du marchand de kebab avec le sentiment crétin d'ourdir une douce vengeance contre mon pire ennemi. Mes pas prirent le quai du général, ses troupes au garde-à-vous luttaient de toutes leurs feuilles contre la tourmente du large, les déferlantes à gauche venaient se rompre contre le trottoir, salissant mes chaussures des éclaboussures de lumière des paquebots inconscients. Les immeubles pliaient aux vents, se penchaient vers moi, quelques fenêtres illuminées aguichaient encore la nuit sous le rimmel des stores de leur intimité exhibée ; nulle âme qui vive, sinon celles-ci, ne jalonnait mon chemin. Je sentais une croix, comme celle du devoir, ou celle du repenti, peser plus à mon estomac qu'à mes épaules, mais, aussi, une sourde volonté me poussait assurément vers ce que je ne pouvais appeler autrement que mon destin, aussi cette marche forcenée ne pouvait-elle m'évoquer autre chose que celle de l'autre illustre marchant à sa mort la couronne au front, les péchés du monde aux épaules ; la comparaison cessait ici : mon père ne me sauverait certainement pas, ni ce soir ni dans trois jours, aussi troquai-je le C contre le B et cette idée contre la réalité qui s'offrait à moi en dégainant mon flash de secours. Alors, sans que je sois monté sur un pont, ni passé du bitume à la plage, le sol se mit à tanguer sous mes pas, du cubisme de l'escalier, je passai au surréalisme du trottoir, fondu sous la plume d'un Dali. Bien qu'en descente, le chemin me paraissait autant ardu qu'interminable, deux goélands gris et dodus picoraient les pieds d'une des sentinelles qui les ignorait avec toute la superbe de son rang, des voiliers en carton occupaient toute la longueur du quai et je me détournai de leurs ondoiements au gré de la marée qui les faisait passer de crêtes à creux avec de petits hoquets, de peur que l'équinoxe ne se joue également de mon océan de suc et ne le projette par dessus la digue de mes dents. Longtemps le parc me parut en vue, droit devant, sans jamais que le flot de mes pas ne m'en rapproche, un infini s'écoula avant que j'atteigne la grille principale non sans subir l'épreuve d'une traversée océane ; elle se fit à pieds secs, par de gros rochers blancs desquels j'eus un grand soin de ne pas m'abîmer. Naturellement, la grille était close. Je m'y accrochai des deux mains, exténué, les marches dans le sable m'ont toujours été éprouvantes. Je n'eus aucune difficulté, même de loin, à reconnaître mon rendezvous, manifestement lui aussi en avance, assis sur l'accotement de la fontaine asséchée tel qu'indiqué dans le courrier ; la tête haute pour masquer mon anxiété aux flâneurs de pelouse, je pris le passage qui surplombait l'amphithéâtre sur le gril-béton duquel lézardaient quelques autochtones avachis, puis l'escalier gris qui y était découpé débouchant non loin des marches roses de la fontaine stérile mais qui attirait malgré tout quelques enfants assoiffés : des galipettes humides baignaient leurs yeux au chlore des souvenirs perdus. Poignet souple, geste sûr, elle offrait à ses lèvres le carmin d'un tube ébène, avec cette facilité mystérieuse et naturelle qu'ont les 131 / 160 En attendant Modo oiseaux à s'envoler ; pleine des premières hésitations, des tentatives ratées, de l'assurance acquise et, enfin, de la maîtrise inconsciente. De même, à son pied droit, dansait une chaussure souple, suspendue au-dessus de la poussière par un croisement de jambes qui dérobait son genoux au sable du tailleur laissant ainsi un fin reflet - légèrement plus brillant au mollet tendu - longer cette partie de jambe visible ; sa jumelle abandonnait son brillant aux vétilles crème du sol tout en tremblant légèrement des ondulations de la première. Elle tenait devant son visage un miroir de poche circulaire sans doute dans l'intention de se cacher aux regards alentour plutôt que pour assurer la perfection de son geste. J'ôtai mes lunettes de soleil, plissant les yeux un instant, conscient de ce que la luminosité ambiante réduirait mes pupilles pour étaler un peu plus de couleurs aux prunelles. -Bonjour, dis-je. Elle porta son regard au mien, déjà vaincu. -Bonjour. Une mèche échappée fut lentement replacée derrière l'oreille gauche d'où elle n'aurait de cesse de s'évader par la suite, retournant chaque fois à sa place peu de temps après, par une habitude d'index glissant le long de la tempe jusqu'à l'oreille. Je ne saurai jamais le temps qui s'écoula, ni ce qui fut dit entre cette grille et moi mais une fois l'assurance mienne de la pertinence de mes propos tout autant que de la suprématie de mon argumentaire, je décidai d'aller contre la fatalité à la rencontre du mystérieux rendez-vous qui devait m'attendre de longtemps, peut-être à errer dans les allée du parc ou même terrée dans le minaret qui surplombe le pont des suicidés et, au delà, la banlieue nord. Je décidai de suivre la grille sur le terrain le plus plat, pris à droite. La grève y était plus large et la longue palissade du parc m'offrait un secours rassurant, j'y laissai mes doigts courir puisque mes jambes ne le pouvaient plus de longtemps bien que mon changement de direction ait placé la brise marine dans mon dos, me soutenant de mille fouets de sable qui grêlaient mon imper ; les yeux mis-clos je lui offris toute l'envergure de mes ailes, confiant dans les alizés quant à mon avenir migratoire. Je guettais le plus attentivement possible une quelconque brèche par laquelle me faufiler ou, au pire, un promontoire d'où je pourrais passer au dessus de la barrière. Des pas infinis me portèrent bientôt non loin d'une des entrées officielles du parc, non loin du métro. Approchant de la porte j'aperçus au loin une forme accroupie devant les grilles, un bras passé/glissé de l'autre côté, entre les barres métalliques. Je m'approchai en silence et lui tapai sur l'épaule. Le tissu de son chemisier crissait sous les doigts. Les cinq boutons nacrés, timides un instant au passage de la boutonnière, étaient hémisphériques ; lisses et fuyants. Un nœud de ganse blanche scellé d'une minuscule perle dormait au creux des bonnets de dentelle, lové. Le reflet qui dormait au mollet quelques heures plus tôt était bien celui d'un bas de soie. Je n'eus pas même le temps de lui demander ce qu'elle pouvait m'apprendre sur cette histoire d'Air Corse® et du trafic de boucs qui s'y pratiquait que, poussant un cri aigu que je sentis remonter avec une étonnante précision le long de mon nerf auditif - ou vestibulo-cochléaire comme aiment à l'appeler les anatomistes, bien que dans « oh oscar ma petite Thérèse me fait a grande peine six gosses » le « a » mnémotechnise le nerf auculaire, m'apprit plus tard 132 / 160 En attendant Modo dans un rire gras mon toubib - laissant derrière lui enclume, marteau et étrier tandis qu'un Bucéphale quelconque piétinait joyeusement mes sillons cérébraux, heureux que nul soleil ne lui fasse d'ombre en ces lieux ; elle me lança sa chaussure et tout ce qu'elle contenait d'arpions, panard, et autres joyeux matériel pesant dans cette partie de mon intimité que j'avais jusqu'à présent su préserver des ravages du temps par une stimulation appliquée et précise de la troisième pièce du costume. Au matin, sur la table de la cuisine était un petit mot sagement griffonné, adossé au pupitre d'un cylindre ébène dont le carmin tari parfumait encore la cavité sombre. " J'ai bien compris votre insistance discrète, et ces questions auxquelles je ne voulais pas répondre ; je ne sais rien, n'était pas elle. Dans les buissons, alors que je ne savais pas encore être dans l'attente de vous, une autre femme à déposé un livre. Il portait une étiquette, un numéro. " Lorsque je me relevai, elle était déjà loin, et là, passant mon bras entre les barreaux pour atteindre l'intérieur du parc où je décidai de ne pas aller - avoir laissé un testicule sur le mocassin de la demoiselle ne me donnait pas le droit d'abandonner le second à la férocité des pointes acérées du grillage - ma main bien qu'inefficace à parer l'assaut que je venais de subir, me permit d'écarter les branches, un paquet en tomba. Me relevant, une gégène me précipita de nouveau au sol, le trottoir fit un accueil chaleureux à mon nez qui, soyons honnête, à une fâcheuse tendance à dépasser en avant de mon visage, ne facilitant pas les atterrissages forcés sur sol dur. Tournant la tête pour dégager l'appendice j'en profitai pour me lover sur le sol, plaçant ainsi mon regard dans l'axe exact de la couverture du livre. Au delà de tiges métalliques, à travers le plastique semi-transparent d'un sac à congélation, je vis un livre. Il portait une étiquette, un numéro. 133 / 160 En attendant Modo Chapitre 36 Chapitre de tennessee4919 se déroulant à Lyon J'étais donc en retard au rancard ; mon combi orange était tombé en rade du côté d'Ecully et c'est à pattes, pauvre de moi, que j'ai rejoint le palais de justice. Nulle part je ne voyais l'Inconnue (avec une majuscule, elle s'impose ; moi, j'appelle un chat un chat, et une nana sans prénom c'est l'Inconnue). J'attends, moi qui ne suis pas patient - et c'est rien de le dire, que mon Inconnue se pointe. Je tente alors de m'en griller une, mais impossible de l'allumer. Trop de vent sur les bords de Saône. Saloperie de vent ! Je ne vous raconte pas dans quel état de nerf je suis : mon rancard absent et une clope désespérément éteinte au coin du bec (je vois d'ici vos commentaires, je n'ai aucun lien de parenté avec Lucky Luke ; d'ailleurs, pendant que je discute avec vous, je tenais à vous dire que ce Lucky Luke, c'est un petit joueur à côté du Grand Alfred.) Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à stresser. Soudain, et quand je dis soudain, je ne plaisante pas car j'aime utiliser des mots précis, oui, Ami lecteur, et soudain donc, une charmante jeune personne m'aborde. Je vous fais un dessin, il facilitera votre compréhension : taille moyenne, brune aux yeux verts, le teint mat - une bombe ! Légère et court vêtue, pour la saison bien sûr... J'ai tiré une tête façon loup amoureux dans Tex Avery alors qu'elle me demande juste du feu. Moi, le grand Alfred Bogué, je suis incapable de dire un mot ! Un comble pour un bavard de ma trempe. Là, muet comme une tombe ! Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à rougir pour un oui, ou pour un non. Et là, ma famille, je la maudis : attraper un coup de soleil en trente secondes, ce n'est pas donné à tout le monde. Quand j'ai retrouvé l'usage de la parole, j'ai demandé le palais de justice et l'Apparition m'a aiguillé vers le nouveau palais de justice, dans le 3e arrondissement. Une sacré trotte, faites moi confiance. Je ne sens plus mes pieds. Je les ai beaucoup mieux sentis quand, répandu sur un banc à l'arrêt du tram, j'ai retiré mes chaussures pour les reposer. Pour tout vous dire, dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à... Enfin, vous avez compris. On a aussi une fâcheuse tendance héréditaire à avoir toujours raison, voilà pourquoi j'ai pris cette affaire en main. Au nouveau palais de justice, aucune trace de mon Inconnue. Pourtant, vu la dégaine annoncée, le repérage devrait être un jeu d'enfant. Imaginez un peu : combinaison de ski rose, lunettes noires, après-ski roses assortis, sans oublier le caniche, blanc. 134 / 160 En attendant Modo *DRING* *DRING* quelque part, mon portable s'agite. Mais dans le feu de l'action, je ne le retrouve pas. Evidemment (je dis évidemment car cette situation vous est arrivée un jour ou l'autre, ou vous arrivera) je mets la main dessus au moment précis où il s'arrête de sonner. Pestant contre moi-même le Grand Alfred déteste manquer une affaire, sans doute plus intéressante que cette histoire de Modo, j'écoute le message, et fissa, râlant à tout va contre mon répondeur trop lent à mon goût. Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à être pressé. Je reconnais sans peine la voix de mon Inconnue, qui, s'excusant de son absence, m'invite à me rendre à la gare la plus proche. Dare-dare, je remets mes pompes et cours vers la Part-Dieu. Drôle de nom, n'est-ce pas ? Un jour, je me renseignerai sur son origine. Arrivé à la gare, je m'affole : c'est immense ! Comment retrouver mon rencard dans cette foule des grands jours, en partance pour là-bas, de retour d'ailleurs ? La pression monte, monte, monte... Dans la famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à stresser quand un plan ne se déroule pas sans accroc. *DRING* *DRING* Et là, plus rapide que mon ombre (aucun lien avec Lucky Luke, je vous l'ai déjà dit), je décroche avant que mon interlocuteur ne raccroche. Le Grand Alfred est le plus fort ! Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à la modestie, vous l'avez sans doute remarqué. L'Inconnue s'excuse de ne pas être présente car elle est partie d'urgence pour Paris (en combinaison de ski, je ne vous raconte pas la touche), et m'informe que d'autres instructions vont suivre. Puis elle coupe la communication sans autre forme de procès. « Tan, tan, tan... Monsieur Alfred Bogué est demandé à l'accueil » Je me torture les méninges pour trouver l'identité de celui ou celle qui me demande. Mais qui sait que je suis à Lyon, à la gare, qui plus est, à part l'Inconnue ? Encore elle ! C'est à l'agent de l'accueil qu'elle a laissé ses instructions, que je vous livre telles quelles : RENDEZ VOUS SUR LA VOIE OU EST ARRIVE LE TGV 5342 EN PROVENANCE DE NANTES LE VENDREDI 8 AVRIL 2005. Précis, non ? Je me renseigne auprès de l'agent d'accueil, qui appelle le PRS qui dit qu'il ne sait pas, qui appelle l'agent présent la veille - qui n'est pas chez lui, et qui finit par appeler son chef, qui lui rétorque que ce fichu train est reçu sur la voie H et qu'il ne faut pas le déranger pour des broutilles ! J'ai donc mon renseignement, et je me précipite vers la voie H. Entre nous, je ne sais pas si vous connaissez la gare SNCF de la Part Dieu, mais c'est un véritable foutoir ! 135 / 160 En attendant Modo Je trouve, quand même, la voie H, et je reste en plan : « Non, monsieur, vous ne pouvez pas monter, l'accès est réservé aux porteurs d'un titre de transport composté » Sourire jusqu'aux oreilles du clampin aux couleurs de la SNCF. Dans ma famille, on a une fâcheuse tendance héréditaire à l'humour de bas étage, et pour nous, SNCF signifie « sur neuf, cinq fainéants ». Mais aujourd'hui, je leur tire mon chapeau, car la maison n'est pas en grève. Je dirai même que tout ce petit monde fait du zèle... Mes neurones s'agitent et se trémoussent, ils réflexionnent. Le plus facile serait d'acheter un billet, mais Alfred Bogué est fauché. Eurêka ! comme disait l'autre ; et la lumière fut selon une autre source bien informée... D'une cabine téléphonique hors d'âge et déglinguée, je bigophone à la police, anonyme of course, et invente un colis suspect dans la gare. Et là mes amis, le branle-bas de combat ! Je me planque dans un photomaton pour reluquer le spectacle. Les bleus arrivent dans la minute, rapide ! Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la gare est vidée de ses occupants. Les autorités fouillent les environs. Fier de ma combine, je rejoins discretos la voie H. Je la parcours d'un bout à l'autre, sans rien trouver. Une fois, deux fois, trois fois... je m'énerve tout seul dans mon coin. L'Inconnue me mène en bateau, c'est sûr ! Enfin, en train serait plus juste... Mon regard accroche finalement un petit paquet, délaissé sur un distributeur automatique. Le message, laconique et sibyllin, est signé l'Inconnue : JE CHERCHE MODO UN INDICE VOUS ATTEND PORTE VIVIER MERLE AMICALEMENT L'INCONNUE Grrrrrrrrrrrr, elle me prend le chou l'Inconnue à me balader dans les méandres de la Part-Dieu. A quoi elle joue ? Pour qui elle se prend cette pimbêche pour jouer ainsi avec le Grand Alfred ? J'en viens à me demander si je n'ai pas affaire à DES Inconnues. Je m'apprête à redescendre, quand j'aperçois un policier qui monte ! Ciel, l'alerte ! Tout à mes ennuis, j'ai oublié ceux que j'ai provoqués à la gare. Je me planque donc voie H en attendant la fin de l'alerte, et je me maudis d'avoir provoqué ce grand chambardement. Les minutes, puis les heures passent, lentement... Au bout de deux heures, montre en main - en or massif, s'il vous plaît, les usagers passagers clients reprennent leurs quartiers dans la gare, et je me précipite vers la porte Vivier Merle comme si j'avais le feu aux fesses. 136 / 160 En attendant Modo La foule est dense, je me fraye un passage tant bien que mal en jouant des coudes. Mes yeux de lynx, ça va de soi, sont en éveil et détectent soudain une forme étrange. Mais, mais, mais, quelqu'un d'autre se dirige vers elle et va mettre le grappin dessus. Je m'affole, je m'active, et j'ordonne à mon cerveau d'ordonner à mes jambes de se magner le train. Je suis plus rapide que l'autre, et je me retrouve avec... un livre (moi, le Grand Alfred qui hait tout ce qui touche à la lecture, voilà que je tiens entre mes mains un objet... bizarre). *Ouf* je n'aurai pas à lire ce truc, cette chose. J'ai en main un billet de train, vers ma prochaine destination. Je suis toujours à la recherche de Modo. 137 / 160 En attendant Modo Chapitre 37 Chapitre de blue-orange se déroulant à Paris Cette histoire devenait de plus en plus compliquée et mystérieuse. Alfred Bogué commençait à en perdre son latin... ou plutôt son argot! Et cette voix de femme au téléphone le mettait dans tous ses états. D'ailleurs c'était la seule chose qui le motivait un tant soit peu. Ouais parce qu'après vérification, l'enveloppe bombée ne contenait pas tant de biffetons que ça. En enlevant le plan, les photos et la carte postale parfumée... bin il restait plus grand chose comme oseille! La gazelle roulait pas sur l'or apparemment. Mais bon, Alfred, bien que fauché, n'en demeurait pas moins un gentleman. Aider -et consoler surtout- la veuve éplorée, il était pas contre. Il se voyait déjà, serrer dans ses bras musclés (euh...) sa mystérieuse (et forcément sublime) interlocutrice, tel Humphrey Bogart enlaçant Ingrid Bergman dans "Casablanca": "Don't be afraid, kid. I'm here now. Nothing wrong can happen to you. I'll protect you from the vampires..." (NdT: "Er... Humphrie, there are no vampires in Casablanca...") Alors tant pis, pour cette fois encore il resterait au régime pâtes et jambon Leader Price pendant quelques mois. En détective consciencieux, il entreprit d'examiner de plus près les documents contenus dans l'enveloppe: -une carte postale du Moulin Rouge illuminé. Parfumée au... il huma à plusieurs reprises. Oui il s'agissait bien du parfum "Paris" d'YSL. La donzelle avait du goût. Et de la classe à n'en pas douter. Au dos de la carte postale, ces quelques mots: "Rendez-vous à Pigalle. Pour connaître le lieu précis, écouter avec attention la chanson d'un des Garçons Bouchers qui se déroule dans le quartier." Ah ah, une énigme. La minette voulait jouer au chat et à la souris. No problem. Eh puis, trop fastoche, la chanson c'était bien sûr "Dans le bar-tabac de la rue des Martyrs". -le plan: un plan de Paris of course! Avec entourés les 9e et 18e arrondissements. Logique. Par contre, il y avait un gros point rouge au niveau de Châtelet, rue Saint-Denis plus précisément. Là ça se corsait. Y aurait-il un lien entre Pigalle et la rue Saint-Denis? A part les filles de joie, pas si joyeuses que ça d'ailleurs, il ne voyait pas. Pour l'instant. Car il ne s'avouait jamais vaincu. -les photos: des tas de livres, encore des livres, toujours des livres. Bogué, la lecture c'était pas trop son truc. Sauf les polars. Mais là il avait affaire de toute évidence à une lectrice passionnée. Une dernière photo le laissait un peu perplexe. Celle-ci représentait un homme de dos (ou bien était-ce une femme?), avec un imper gris, un galure sur la tête et une cigarette laissant échapper une volute de fumée. Au dos de la photo, ceci: "Modo! WANTED!" 138 / 160 En attendant Modo Modo... ce nom revenait sans cesse à chacune de leurs entrevues... le mystère s'épaississait encore un peu plus. Il décida de se rendre sans plus tarder à son rendez-vous et de réfléchir à l'enquête en chemin. Pour une fois, il s'y rendrait en métro, car dans le quartier envahi par les autocars de touristes, il risquait de ne pouvoir y garer son combi VW orange. Une fois arrivé à Pigalle, il suivit le boulevard et se prit à imaginer le petit Antoine Doisnel (alias Jean-Pierre Léaud) le parcourant avec son copain dans les "400 coups" de Truffaut. Rue des Martyrs, il passa devant "le Divan du Monde" (anciennement "Divan Japonais"), et les cabarets "Madame Arthur" et "Chez Michou". Mais il eut beau refaire ce tronçon de rue de long en large, pas l'ombre d'un bar-tabac! On s'était moqué de lui! Alors qu'il commençait à trépigner de rage et de colère, une jeune femme... fraîchement rasée du matin mais néanmoins fort séduisante s'approcha et lui dit d'une voix... masculine: "Salut beau gosse! C'est bien toi, Alfredo Boguetto? On m'a chargée de te dire que tu trouverais un précieux indice pour ton enquête, caché non loin d'ici, dans l'église en brique rouge et mosaïque, juste en face d'une sortie de métro à la verrière style Guimard". Puis la vaporeuse créature disparut dans la foule, ne laissant pas le temps à Bogué de protester et de s'offusquer à propos de son nom méchamment écorché. Enfin il n'était plus à une surprise près. Il se dirigea, résigné, vers le lieu de la cachette, qu'il avait immédiatement reconnu, en ancien p'tit poulbot parisien qu'il était. Le livre se trouvait caché contre le mur, derrière l'endroit où sont confiés les péchés.. 139 / 160 En attendant Modo Chapitre 38 Chapitre de Girlinthemoon se déroulant à St-Maur les Fossés Télégramme du jour « Rendez-vous à St Maur des Fossés, à la Croix Souris ; suivez les moutons et trouvez le premier livre sous le portrait du grand homme, ensuite allez vers St Nicolas et le parc de l'abbaye, n'oubliez pas l'homme et vous trouverez le livre... » Les indices encore une fois étaient minces et tout ceci était bien énigmatique mais Bogué, qui venait de se garer au niveau du RER St Maur/Créteil était bien décidé à résoudre ce nouveau mystère. Il lui fallait mettre la main sur ces indices, il devait retrouver le modo. A première vue, trouver des moutons ici n'allait pas être chose facile, on était bien loin de la campagne ! Tout d'abord il devait trouver cette souris... - Savez-vous comment je peux me rendre à la Croix Souris s'il vous plaît ? demanda-t-il à l'agent RATP posté au guichet - Voulez-vous prendre le bus pour vous y rendre ? À pied ça irait plus vite, vous savez. Elle lui apprend que la Croix Souris est l'arrêt de bus devant le collège Rabelais. Sur le parvis, il suivit les indications qu'elle lui avait données, la route sur la gauche, vers la droite... Rue du Pont de Créteil, là il n'eut pas de mal à voir les moutons. Tous ces banlieusards qui rentraient chez eux et semblaient suivre le mouvement, le regard dans le vide... Il n'y connaissait pas grand-chose en littérature mais il savait que là il suivait un troupeau de moutons... les moutons de Panurge, voilà ce qu'ils étaient en ce moment ! Il y était, la Croix Souris, et il semble bien que le grand homme était juste devant lui.... Il traverse la route, et se dirige vers lui. Là il trouve un livre, bien caché dans les sapins, un sourire s'affiche sur son visage. Décidément, ils sont un peu dérangés ces bookcorsaires ! Mission suivante : trouver St Nicolas et l'abbaye.... Sans indice supplémentaire, il lui fallait bien trouver quelque chose qui lui dise dans quelle direction il devait aller. Devant lui, il vit un bar, il avait bien mérité une blonde, à défaut de trouver sa mystérieuse inconnue. Assis au bar, il alluma une Amsterdamer et se demanda où tout ça allait bien pouvoir le mener désormais. Le garçon lui indiqua le chemin pour aller vers St Nicolas, à la sortie du bar, il fallait prendre la route sur la gauche, monter vers le lycée et ensuite tourner à droite dans la rue du four. En haut de la montée, il serait à St Nicolas. La circulation était dense et en attendant de pouvoir traverser, il observa les rues alentour, il vit derrière lui ce qui semblait être une librairie... encore un de 140 / 160 En attendant Modo ces allumés des bouquins !!! Pfff finalement les affaires d'adultère lui manquaient.... En montant la rue, il regretta l'Amsterdamer qu'il venait de s'offrir, ce n'était plus de son âge de crapahuter de cette façon, surtout pour « chasser » des livres planqués on ne sait où ! Ce faisant il se remémorait les fêtes de son enfance, il se sentait désormais plus proche du père Fouettard que de St Nicolas et pourtant.... il se surprit à laisser son imagination filer. Ah, il y était, bon très bien, maintenant le parc de l'abbaye. Voilà que maintenant il fallait redescendre, heureusement il n'avait que quelques pas à faire pour trouver l'entrée du parc. Il y avait des enfants qui couraient vers les jeux, des vélos, des patinettes, il ne tenait toutefois pas à s'attarder auprès de ces autochtones, il n'allait pas laisser à nouveau son imagination vagabonder et leva les yeux sur le plan du parc. Le grand homme était juste derrière lui, il n'avait qu'à se retourner. Le livre était à nouveau camouflé dans les sapins... C'en était fait de sa mission du jour, il avait trouvé ses indices, il allait pouvoir retrouver son vieux combi et continuer l'enquête. Ses pas firent crisser le gravier quand il ouvrit le portillon, il ne vit pas qu'en haut des marches une silhouette l'observait, son visage exprimait le dépit, dépit d'avoir été moins rapide que ce privé aux vieilles savates. 141 / 160 En attendant Modo Chapitre 39 Chapitre de Andras se déroulant à Juvisy sur Orge Bogué se met en quatre Le Combi VW orange d'Alfred Bogué fit le tour des Halles et se gara sur la place du marché. On ne peut pas dire qu'il passait inaperçu. Sur les côtés du véhicule et sur le capot, un logo représentant un gros livre jaune courant sur des petites pattes frêles affichait clairement la couleur,... celle du bookcrossing dont c'était le symbole. Bogué avait finalement compris que dans cette enquête pas comme les autres, la discrétion ne servait à rien. Peut-être même qu'un peu de publicité pour ce mouvement des livres voyageurs pourrait lui apporter un indice enfin utile dans sa quête du Modo, quête dont l'absurdité commençait à lui courir sérieusement sur le haricot. Bogué descendit de son véhicule. Il avait roulé toute la matinée sans s'arrêter depuis Bruxelles, où il avait fait étape pour la nuit. Il était parti la veille de Düsseldorf avec un livre en plus dans sa besace, Neuf nouvelles nouvelles. Ah, ah, la bonne blague ! Modo ou celle qu'il considérait maintenant comme sa complice, cette Voix-de-Velours, c'étaient vraiment des comiques ! En fait de neuf, c'était toujours la même rengaine. Heureusement que, pour se délasser de la route, il y avait eu ce moment magique la veille, au Music Village, un club de jazz pas très loin de la Grand-Place de Bruxelles. Le chanteur David Lynx y donnait un concert pour ses 40 ans, accompagné d'un trio piano-basse-batterie de tout premier ordre. Ah ! David Lynx chantant en rappel Les mots, cette chanson sublime qu'il avait enregistrée pour le disque posthume de Nougaro ! C'avait été un grand moment. Un sacré bon moment, même ! Il essayait de se repérer sur un plan de la ville au coin de la place quand un bruit suspect autour de son Combi le fit se retourner brusquement et pousser un juron. « Saperlipopette ! qu'est-ce que... » Deux gamins s'enfuyaient en courant. Sur les logos du Combi, ils avaient eu le temps de dessiner un chapeau mou (comme celui que portait Bogué en ce moment), des lunettes noires (ressemblant assez aux siennes) et plein de points noirs qui représentaient probablement sa barbe de 3 jours. Ma foi, ainsi affublé, ce logo ne manquait pas d'allure, se dit-il, en se dirigeant vers la rue piétonne. Il faisait beau ce jeudi là et il s'arrêta un instant pour respirer le parfum des fleurs devant la boutique de la fleuriste. Mais il n'avait personne à qui offrir des fleurs et il pressentait que ce nouveau rendez-vous que lui avait donné Voix-deVelours au téléphone serait un lapin de plus pour sa collection. Il donnerait cher pour savoir qui était cette garce ! Il eut un petit trémolo dans la pensée à l'évocation de l'inconnue qui hantait ses rêves depuis quelques semaines mais il se ressaisit vite et poursuivant son chemin, il arriva au Café de la Mairie, le lieu de rendez-vous qu'on lui avait donné. Il entra. Il n'était pas loin de deux heures et il n'y avait plus là qu'une petite douzaine de personnes terminant de déjeuner. Au comptoir, il y avait deux personnes dont l'une était le sosie parfait de John Malkovitch et l'autre c'était Kristin Scott142 / 160 En attendant Modo Thomas. Bogué salua à la cantonade et quand il eut précisé que c'était pour manger, on lui dit de s'asseoir où il voulait. « Ca n'a pas changé, ici, toujours à la bonne franquette, chez Janine », se dit-il in petto en choisissant une table. Janine arriva avec un grand sourire pour lui demander ce qu'il voulait comme plat, boudin ou bavette à l'échalote, mais à cette heure-ci y avait plus de boudin alors il choisit bavette. Janine ne l'avait pas reconnu, tant mieux. Il se rappela qu'ici, c'était hors d'œuvre à volonté, et il se leva pour aller se servir. Il passa alors à côté d'un homme qui mangeait avec son chapeau sur la tête, un feutre un peu comme le sien. Sa tête lui disait quelque chose. Il n'avait pas enlevé son manteau, c'était d'ailleurs plus un imperméable qu'un manteau, serré à la taille par une ceinture, un truc qu'on ne portait plus depuis belle lurette. Le type fumait. Chez Janine, on pouvait encore fumer. Bogué se servit et regagna sa place. A ce moment précis, quelqu'un qui était assis à une table près de la fenêtre interpella un homme qui se servait au buffet de hors d'œuvre : « Eh Andras ! tu peux nous ramener quelques olives et quelques cornichons fissa ! » Bogué dressa l'oreille intrigué par ce prénom qui lui rappelait quelque chose. L'autre répondit : « Eh ho, Livro, tout doux ! c'est pas parce que t'es venu à Juvisy libérer un bouquin au pied de mon immeuble que...hein ? » Bogué resta interloqué : "Andras", "libérer un livre"... pas de doute, il devait s'agir de l'un des « french » bookcrosseurs et Livro était sûrement le diminutif de Livrovorus, celui dont on ignorait l'identité, tout comme Modo. D'ailleurs, il portait un loup noir sur le visage. Nom de Dieu ! Ce café serait-il leur repaire ? Diable, l'affaire se corsait. A la table d'Andras et de Livrovorus, il y avait deux jeunes femmes, que Bogué trouva fort appétissantes. En tendant l'oreille, Bogué réussit à capter leur nom, plutôt des pseudos en fait, mais comme disait Romain Gary qui, en la matière, était un connaisseur : « Les noms ? Ce sont tous des pseudonymes ! ». L'une d'elles portait le pseudo de damned-marcel mais le plus souvent les autres l'appelaient « damned » ce qui franchement la foutait mal pour un si joli brin de fille, dont le débardeur laissait apparaître de sublimes épaules. Quant à l'autre, c'était plus difficile à saisir. C'était quelque chose comme vrenise, scurprise, churmise, enfin un truc en « ize » imprononçable. Dommage car Bogué aurait bien fait une petite sieste dans son Combi avec elle, tiens. Pourquoi d'ailleurs qualifier de crapuleuses ces siestes inoffensives, ces brefs moments de bonheur qu'on vole au cours monotone des jours ? Ouais, parce qu'on les vole, ça devait être ça. Bogué continua d'écouter ce qui se disait à la table des bookcrosseurs, espérant capter quelqu'information au sujet de Modo ou bien de sa cliente mais en vain. L'un d'eux s'exclama soudain : « Et si on allait lâcher thématiquement des livres à l'Observatoire Camille Flammarion ? » « Super ! » répondirent en chœur les trois autres et Dagobert poussa un « Houah ! » et frétilla de la queue. « Enfin de l'aventure ! » pensait-il sûrement. Il laissèrent là leur boudin, lancèrent « on revient tout à l'heure ! » et Janine, qui avait l'air de bien les connaître, écrasa une petite larme en les voyant partir vers de nouvelles libérations de nouvelles, la cape de Livrovorus flottant majestueusement dans le vent et le sourire de Joconde de Cochize restant un moment suspendu sur toutes les lèvres... Bogué mit quelques secondes à revenir à ses échalotes. Il y a des choses bizarres dans ce monde, se dit-il. C'est alors que le type à la gabardine appela 143 / 160 En attendant Modo d'un geste la patronne, elle lui griffonna une addition, le type régla et sortit, tout cela sans un mot. Comme il passait devant la table de Bogué, un bristol tomba de sa poche et atterrit juste à côté de l'assiette que Bogué venait de reposer pleine sur sa table. Celui-ci fit un geste pour avertir l'individu mais le métier prit le dessus. Il jeta un coup d'œil à la carte et il lut ces mots : « Allez à la Bibliothèque Municipale et cherchez Brassens. » « C'est reparti pour un tour. » se dit-il, soudain conscient que son métier avait quelque chose à voir avec ces dessins en noir et blanc de Franquin, où celui qui se croit le plus malin est probablement le prochain sur la liste à se faire éliminer. Il termina son repas, s'offrit son petit "coffee-break" comme il aimait à dire (non sans un certain snobisme un tantinet provincial), paya et sortit avec la voix de Janine qui s'exclama bien fort dans son dos : « Ca fait quand même plaisir de revoir des anciens clients, même quand ils ont pas grand-chose à dire ! ». Alfred ne trouva rien à répliquer et il referma la porte derrière lui. La bibliothèque se trouvait juste à côté de la rue piétonne et elle venait d'ouvrir. Bogué parcourut les rayons : à « Georges Brassens », il n'y avait qu'un livre, les paroles de ses chansons, ça tombait bien. Quand Bogué l'ouvrit il vit que des marque-pages avaient été glissés pour marquer deux chansons : l'une était Dans l'eau de la claire fontaine et l'autre Il suffit de passer le pont. L'association de ces deux titres de chanson était claire comme de l'eau de roche, en tout cas pour ceux qui, comme lui, connaissaient un peu Juvisy-sur-Orge et ses ouvrages d'art. Il remit le livre dans les rayons en subtilisant au passage les deux marque-pages (c'était en effet une de ses coupables passions) et il s'apprêtait à quitter la bibliothèque quand il entendit « Psst ! ». Il se leva la tête et vit Livrovorus perché sur un rayon qui lui tendait un livre. « Prenez ça, ça peut servir ». Il attrapa le livre qui s'avéra être Le Mur de Sartre. « Et celui là ne vous intéresse pas ? ». Soubise, perchée sur un autre rayon, se pencha vers lui en lui offrant, en plus d'une vue imprenable sur un décolleté à damner un saint, un exemplaire de Fin de parties de Manuel D'Echecs. « Et celui-ci ? » Andras à son tour, mais avec nettement moins de charmes, lui tendait du haut de l'étagère Le Bécé perché d'Italo Calvino. « Vous perdez votre temps, cher monsieur, emportez donc cela ! ». C'était damned-marcel, juchée comme les autres sur les rayonnages, qui lui offrait dans ses bras sublimes, l'intégrale par Karajan de La recherche du temps perdu dans la version BD. « Désolée, la version intégralement sans images et sans sons a été empruntée l'autre jour par un jongleur clarinetiste omniscient qui en avait un besoin pressant» ajoutat-elle avec un petit sourire en coin. Il choisit Le mur. Il adorait les nouvelles. Depuis tout petit. C'était un besoin irrépressible. France Info du matin au soir. Et en rentrant chez lui il passait sa nuit à parcourir les blogs du monde entier et à en transcrire des pages entières sur son propre blog qu'il avait appelé « La Fausse Parole », en hommage à un grand prédécesseur. Il faudrait qu'il en parle un jour à son docteur. La bibliothécaire qui s'appelait Emilie-Jolie et qui, depuis qu'il était entré, fredonnait une chanson où il était question de lapins, approuva son choix et lui glissa un petit supplément comme elle faisait à chaque fois - c'était plus fort qu'elle - et celui-là s'intitulait Une rivière verte et silencieuse. Charmé par son sourire, Bogué s'enhardit à la questionner : « Vous ne savez pas qui est Modo 144 / 160 En attendant Modo par hasard ? ». « Adressez vous au guichet du savoir, c'est au rez-de-chaussée ! ». C'est vrai, la vie était simple parfois, se dit Bogué. Le guichet du savoir était tenu par deux jolies femmes qui n'arrêtaient pas de papoter. Sur leur badge, on lisait Ginaluna pour l'une et Mamoune, pour l'autre. - Hum ! excusez-moi de vous déranger... - Mais vous ne nous dérangez pas, cher Monsieur » répondit celle qui arborait le badge Mamoune, nous étions en train d'approfondir notre savoir. - Ah, je vois..., répondit Bogué, déjà conquis par le sourire engageant de Mamoune. - Savez-vous qui est Modo, un bookcrosseur qui... - Oui, nous sommes au courant ! dit Ginaluna - Ah ! et vous savez qui se cache derrière ce pseudonyme ? - Désolé, nous ne donnons pas de renseignements d'ordre personnel, répondit Mamoune. - Si ça peut contribuer à lever certains obstacles, dit Bogué en glissant deux billets de banque vers les deux femmes. - Mais monsieur Bogué, nous sommes un service public, voyons ! s'exclamèrent en cœur Mamoune et Ginaluna et elles attrapèrent la cordelette qui pendait et le rideau en tissu vert du guichet s'abaissa dans un bruit infernal de store métallique. Bogué put alors lire sur le rideau la phrase suivante : « Les réponses arrivent quand on s'y attend le moins. » Bogué n'eut aucune peine à trouver l'endroit que les titres des chansons de Brassens et des livres qu'il avait emportés lui désignaient. Et bien qu'il fût assez empoté de nature, il finit par dénicher un livre dans un des trous du mur. C'était un qu'il n'avait pas encore, et il sentait que c'était une bonne prise. En tout cas, des livres comme ça, ce n'était pas banal. De retour sur la place où il avait laissé son Combi, Bogué vit qu'un grand tag barrait son capot « Ton histoire est boguée, Alfred. » et c'était signé Snoow, probablement un de ces hackeurs-surfeurs niçois qui, l'hiver, montaient chercher un peu de chaleur humaine en banlieue parisienne. Ouvrant la portière, il aperçut la silhouette du type du Café de la Mairie, celui à l'imperméable et au chapeau mou, qui, la clope au bec, faisait semblant de s'intéresser à la vitrine d'un magasin de literie à l'enseigne du « Bon sommeil ». Association d'idées, Alfred se mit à bailler et là, ce fut le flash. « Mais c'est bien sûr ! » lança-t-il en mettant en marche le Combi. « Je le reconnais mon lascar ! ». En arrivant à la hauteur du type, Bogué baissa sa vitre promptement et balança au gars interloqué : « Mais tu devais pas écrire un épisode pour Modo, toi ? ». Bogué était déjà loin quand il entendit l'autre crier dans sa direction : « Hey ! Nobody's perfect !!! » 145 / 160 En attendant Modo Chapitre 40 Chapitre de petitcercle se déroulant à St-Louis - Missouri La French Connection d'AB De l'avion, AB, notre Alfred Bogué, regardait les deux grands cours d'eau, la rivière Missouri et le fleuve Mississippi, deux « strong brown gods », comme dit le poème de T. S. Eliot, originaire lui-même de Saint Louis, Missouri. Autour du confluent s'étalaient des habitations plus ou moins organisées par quartiers aussi bien que des champs toujours cultivés, car les inondations annuelles du Missouri et du Mississippi ont créé ici un des sols les plus fertiles et plus profonds du monde. Et bien sûr, il voyait la ville de Saint Louis, dont le monument « The Gateway Arch » signifie le rôle historique joué par la ville comme point de départ des expéditions vers l' Ouest pendant l'expansion de la population au XIXème siècle. C'était la fin d'un après-midi du mois de février, un peu froid, car février est toujours l'hiver dans cette région au centre des États-Unis. Le ciel était couvert et une pluie fine tombait. En effet, le temps rappelait l'hiver au nord de la France. « Vous savez que vous arrivez ici l'anniversaire même du jour où notre fondateur, Pierre Laclède, a mis pied sur terre sur la rive du Mississippi et l'a revendiquée pour le roi de France, Louis XV ? » demanda Petit Cercle, le guide volontaire qui fut venu chercher AB à l'aéroport. « Nous sommes bien le 14 février, n'est-ce pas ? Ce que vous, américains, appellez le Valentine's Day ? » répondit AB. « Oui, justement, mais en 1764, il n'y avait rien ici pour fêter ce jour. Il n'y avait que de grandes forêts, des bêtes sauvages, et bien entendu des indiens américains, qui avaient eux aussi leurs villages autour des grands cours d'eau. Pierre Laclède est venu de la Nouvelle Orléans en canoë chercher des castors et d'autres animaux pour leur fourrure. Au centre ville à côté de notre Hôtel de Ville (dont l'architecte a imité le style français XVIIe) il y a sa statue, et notre Société Française a l'habitude d'y poser une couronne pour marquer l'anniversaire. « Mais je pense que vous êtes venu ici pour trouver un morceau du puzzle de l'identité de Modo, le Modérateur mystérieux du Forum français de Bookcrossing, n'est-ce pas ? Alors, vous voulez vous reposer ce soir chez nous, et puis recommencer votre recherche demain ? » proposa Petit Cercle, qui aimait bien avoir des invités de partout dans le monde. Le lendemain, avec le mari de Petit Cercle, Brad, qui supportait depuis des années les lubies de sa femme avec beaucoup de patience et de bonne humour, AB et PC s'assemblèrent autour du plan de la ville : « Ce que vous cherchez sera sans doute près d'une des statues des français qui se trouvent ici et là à Saint Louis, car ce sont des français diaboliques et enthousiastes qui ont inventé ce jeu », remarqua Brad, qui est très bien pour résoudre des problèmes. 146 / 160 En attendant Modo Vous savez, si vous n'étiez pas français, je vous amènerais à la brasserie la plus grande du monde, Anheuser-Busch, dont le siège se trouve ici. C'est très intéressant d'un point de vue historique, d'ailleurs. Et on a le droit de goûter une des bières après la visite! A Saint Louis, AB veut dire Anheuser-Busch, vous savez, donc je chercherais chez eux, mais la nationalité n'est pas la bonne dans ce cas. Ce sont des allemands qui ont fondé la brasserie au XIXème siècle. Mais revenons à nos moutons. À mon avis le livre que vous cherchez sera au pied d'un français résident permanent de notre ville. Il y en a plusieurs : Sainte Jeanne d'Arc, la sainte patronne de France, à ce que nous appelons « La vieille cathédrale », la basilique de Saint Louis, sous l'Arche en centre ville ; Pierre Laclède au jardin à l'ouest de l'Hôtel de Ville ; et devant notre musée des Beaux Arts, Saint Louis lui-même, Louis IX de France, qui tient haut la manche de son épée comme croix pour revendiquer notre ville pour la France. Le dernier indice est que notre personnage français qui protège le livre est à cheval. « Nous vous avons loué une voiture avec GPS et nous vous proposons de prendre la voiture qui vous guidera à chacun des monuments. Vous allez sûrement trouver votre livre. Revenez donc chez nous et nous boirons une bonne bouteille de Champagne français pour fêter votre succès ! Et demain vous pourrez repartir pour la vieille douce France avec un autre morceau du puzzle pour nos amis là-bas. À tout à l'heure. Et bonne chance !» The French Connection of AB From the plane AB watched the two great waterways, the Missouri and the Mississippi Rivers, two “strong brown gods”, says T. S. Eliot in his poem, who was himself a native Saint Louisan. Around the confluence of the rivers he could see various houses and buildings, arranged more or less in subdivisions, towns; and cultivated fields, too, for in the flood plain around the rivers, the topsoil is some of the richest on earth. And of course, there was Saint Louis itself, whose Gateway Arch testifies to its role as “Gateway to the West” during the great westward migrations of the 19th century. It was the end of a February afternoon, a chilly day; February is still winter in the Midwest. The sky was gray and there was a fine drizzle of rain. Like winter in northern France, as a matter of fact. “Do you know that today is the anniversary of the founding of the city of Saint Louis by Pierre Laclede? He set foot on the bank here and claimed it for Louis XV,” remarked Petit Cercle, who had volunteered to guide AB during his stay. “It's February 14, right?” asked AB. “What you Americans call Valentine's Day?” “Yes, right, but in 1764, there was no Saint Valentine's day, only vast forests, wild animals, and of course American Indians, who had settled around the area where the rivers come together. Pierre Laclede came up the river from New Orleans, in a canoe, to trap beaver and other animals for their fur. Downtown, next to City Hall (built in 17th century French style), there is a statue of him, and our French Society lays a wreath there every year to commemorate the day. 147 / 160 En attendant Modo “But you're here to find a piece of the puzzle to solve the mystery of the Moderator on the French forum of Bookcrossing, right? How about resting tonight at our house and starting your search tomorrow?” said Petit Cercle, who liked having guests from around the world. The next day, with Petit Cercle's husband, Brad, who had been humoring her whims for years and years, AB and PC gathered around the map of St. Louis to plan. “You will probably find your book near one of the statues of Frenchmen in our city, because the diabolical nerds who invented this game are French,” Brad remarked. He was excellent at solving problems. “You know, if you weren't French, we'd begin with the largest brewery in the world, Anheuser-Busch, whose headquarters are here. There's a very interesting tour, and you get to taste one of their beers afterwards. In Saint Louis, say “AB” and everyone thinks “Anheuser-Busch”, but Germans founded the company, so that clue probably won't work. I think you will find your book at the base of one of the permanent French residents of the city: Saint Joan of Arc, in the Old Cathedral down by the Arch; Pierre Laclede in the park just west of City Hall; or Saint Louis himself, Louis IX of France, holding the cross of his sword handle towards the city as if to claim it for France, in front of the Saint Louis Art Museum in Forest Park. My best clue is that I think you will find your book at the base of the Frenchman on horseback. “We've rented you a car with GPS. Take it and it will guide you to the statues. You'll find your book! Then come back here and we'll celebrate with a bottle of good French champagne. And tomorrow you can return to dear old France with another piece of the puzzle for our friends there. See you later. And good luck!” 148 / 160 En attendant Modo Chapitre 41 Chapitre de lordofzeringo se déroulant à Paris Alfred Bogué ne savait plus que faire. Depuis la découverte du dernier indice, ses nuits avaient été particulièrement agitées. Ses idées se mélangeaient, tous les éléments de l'enquête s'entremêlaient sans cohérence. Pour le détective, c'en était trop. Il devait rebondir et retrouver la trace du dénommé Modo. Un matin de février, Bogué était comme à son habitude assis à son bureau dans son ensemble de tweed gris, la pipe à la main, le regard vague. Son esprit vagabondait tandis qu'il regardait au dehors la pluie inonder les rues de la ville. Soudain le bruit de téléphone retentit, le ramenant à une réalité qu'il aurait préféré oublier. Lentement, il se leva et se dirigea d'un pas réservé vers la commode en bois de hêtre sur laquelle était posé l'appareil. Avec une certaine anxiété, il saisit le combiné puis d'une voix monocorde articula : «Alfred Bogué investigations, j'écoute». Il n'y eu pas de réponse. Alfred Bogué prononça à nouveau ces quelques mots. Rien. «Encore un plaisantin» pensa-t-il. Il était vraiment urgent d'engager une secrétaire. Plus agacé qu'inquiet, il reposa le combiné de bakélite noir sur sa base d'un coup brusque. Décidément persuadé que la journée avait mal commencé, il alla s'installer dans son fauteuil anglais couleur cigare, histoire de relire quelques pages d'un vieux dossier non encore résolu. Le téléphone sonna à nouveau. Bogué hésita longuement, puis se releva et se dirigea vers la commode. Il décrocha et attendit. Son interlocuteur ne disait toujours rien mais cette fois le détective parvint à entendre un sifflement lointain quasiment inaudible. Quelques notes de musique s'échappaient à présent du combiné. Il ne put identifier immédiatement la chanson. La ligne était trop mauvaise. Un couplet revenait en boucle telle une litanie : « Comme le voile d'un étoile S'éteint dans le printemps du matin Comme la toile d'une voile Se détend lorsque le vent s'éteint Je me repose, de mon chagrin Mon cœur repose, sur du satin » Que pouvaient donc bien signifier ces mots ? Mais la communication fut brusquement interrompue. Bogué tenta de lancer un appel désespéré envers son interlocuteur, mais c'était trop tard. Plus rien au bout du fil. N'étant pas un fin mélomane, le détective songea immédiatement à appeler son ami Georges Leduel, qui travaillait depuis de nombreuses années au Hibou Jaune, music-hall mythique des années 30 transformé en cabaret miteux depuis le crack boursier des années 70. Georges Leduel était un petit 149 / 160 En attendant Modo être sympathique mais à l'humour approximatif et à l'hygiène plus que contestable. «Allo Georges ? Ici Alfred Bogué. Comment vas-tu depuis tout ce temps?». Leduel s'empressa de répondre : «Mais très bien mon bon ami. Que me vaut l'honneur de ton coup de fil ?». Bogué était rassuré. Son ami ne l'avait pas oublié. «Cessons les politesses d'usage si tu veux bien. J'ai un service à te demander. Voilà j'ai reçu en cadeau un vieux vinyle sans pochette dont la sérigraphie est très abîmée. J'ignore le nom de l'interprète et le titre de la chanson. Si je te donne quelques paroles, pourrais-tu éclairer ma lanterne ?». «Mais bien sûr, je t'écoute». Avec une infinie précaution, le détective dicta à Leduel les quelques phrases qu'il avait réussi à identifier. «Ah oui je vois, c'est bête mais cela me rappelle quelque chose. Oh, je l'ai sur le bout de la langue... Georgette Plana, non ! Marina Vlady ? Non plus ! Ah ça y est, j'ai trouvé». A l'autre bout de la ligne, Bogué esquissa un sourire. Il savait que Georges était quelqu'un de fiable. Mais son sourire se transforma vite en une grimace informe. Leduel n'était pas sûr. «Non, je vais chercher et je te rappelle dès que j'en sais plus». Bogué n'avait de toute façon pas le choix. Il raccrocha non sans le remercier chaleureusement pour son aide. Il n'était pas plus avancé. Mais peut-être devait-il se concentrer sur les paroles qu'il avait entendues. La tension était trop forte. Il devait sortir de cet endroit oppressant. Revêtant son habit de lumière qui était en fait un vieux pardessus noir en velours rongé par le temps, Bogué sortit de son bureau. Tandis qu'il se promenait d'un pas léger, un mot occupa son esprit : «je me repose». Pourquoi n'arrivait-il pas à penser à autre chose ? Peut-être était-ce un indice supplémentaire dans sa longue quête ? Il avait l'impression que cette phrase lui parlait du lieu où se rendre. Peut-être un cimetière se dit-il. Paris est connu pour trois cimetières : le Père Lachaise, Montparnasse et Montmartre. Comme il se trouvait à quelques stations de métro, il opta pour le cimetière Montmartre. Il déambula dans les allées pendant un long moment. Arrivé à l'angle d'une allée, un petit écriteau posé à même le sol attira son attention. En gros caractères Bogué put lire : « derrière le soleil dominant le cimetière, tu trouveras la réponse à tes questions ». « Un soleil ? » s'interrogea-t-il. « Peut être est-ce la forme d'une des tombes ? ». Une chose était sûre : il était au bon endroit... Mais allait-il devoir arpenter toutes les allées de ces 11 hectares ? Il ressortit pour rappeler Leduel, peut-être aurait-il une piste. Et il avait eu raison : à la seconde où il lui dit où il se trouvait, Alfred entendit un cri à l'autre bout du fil : « DALIDA » mais oui bien sûr, il s'agissait des paroles de « Je me repose », comment n'ai-je pas pensé à cette chanson plus tôt ? Il était déjà 18h. Les portes du cimetière allaient se refermer. A ce moment là, Bogué, se trouvait devant le plan du cimetière. Il se dirigea d'un pas décidé vers l'endroit indiqué sur le panneau. Puis, après avoir fait quelques pas, il releva la tête. Elle se tenait là, rayonnante au milieu des tombes. Le disque doré qui entourait la statue de Dalida lui permit de savoir que son intuition était la bonne : le message décrivait la tombe où était dissimulé le livre. Il se mit sans attendre à chercher... 150 / 160 En attendant Modo Chapitre 42 Chapitre de Darwinara se déroulant à Joinville le Pont Bogué Night à Joinville le Pont Voila quelques jours que le travail en cours de Bogué piétinait. Mais qui pouvait bien être ce satané Modo ? Et cette enquête, qui s'annonçait comme plutôt simple, prenait des proportions inattendues. Ca commence par un coup de fil sans grande originalité, et à force Bogué se retrouvait avec assez de bouquins pour concurrencer la Bibliothèque Nationale. Et sans être plus avancé ! Ce relatif échec le travaillait au corps, il s'était réveillé en sursaut ce matin sur les coups de 5 heures, et s'était mis à son bureau avec une grande tasse de café. Il était 10 heures, le cendrier était déjà plein, et le voilà qui retournait pour la centième fois entre ses mains les livres qu'il avait collectés ces derniers jours. Il était d'ailleurs en train de feuilleter le dernier récupéré dans l'affaire «la milicienne lubrique», et maintenant par-dessus le marché il se posait des questions sur la moralité de sa commanditaire à la voix de miel. Alors le bouquin en question, écrit avec les pieds par un gratte-papier à l'imagination aussi épaisse qu'une feuille de papier toilette SNCF, avait été enregistré par un certain Atma, encore un de ces allumés, puis déposé dans un autre de ces endroits improbables pour un livre... Lassé, Bogué jeta le livre sur son bureau, prêt à aller se recoucher, lorsque au milieu des feuilles ouvertes, offertes et béantes du livre qui gisait à présent sur le bureau, il aperçut une feuille plus colorée que les autres. Photo oubliée ? Illustration, sans doute pleine de bon goût, prévue par l'éditeur de ce tas de feuilles ? Non point de belle militaire offerte à la vue du chaland, mais une carte en bristol, de couleur écrue avec des lettrages verts forêt. Le texte disait la chose suivante : «Soirée Apaches et Casques d'Or. Messieurs, deffe sur la tête, veston à soutaches, enfilez vos bottines jaunes, et rejoignez-nous. Mesdames, montez vos chignons, lissez vos accroche-cœurs pour faire tourner les têtes et venez guincher. Samedi 2 avril 2005, à partir de 18h30. Le Petit Robinson, 164 quai Polangis, Joinville le Pont » Eh ben mazette, voila un beau cadeau que m'fait la milicienne, ne manqua pas de s'étonner Bogué. Un petit coup d'œil au calendrier postal (pas de chance cette année, il ne restait plus au facteur qu'une portée de petits chatons dont un louchonnait et un autre semblait hésiter entre un cri d'alarme et un long bâillement figé pour l'éternité) punaisé sur le mur. Ben tiens, justement c'est bien ce que je pensais : c'est après-demain. Le surlendemain, Bogué garait son fidèle Combi Volkswagen au pied d'un pont d'autoroute. Ha, elle aurait vu ça la chère Casque d'or, elle en aurait bouffé son fameux chignon ! Il emprunta une impasse bordée de petits pavillons sinistres en meulière, entourés de bandes de terre sur lesquels faisaient l'effort de pousser quelques buissons, au bord de l'épuisement et qui tentaient de suivre le printemps en exhibant quelques fleurs malingres. Eh ben c'est pas la fête à Neuneu ! Quelques mètres plus loin, il atteignit enfin les bords de la Marne, 151 / 160 En attendant Modo encore éclairés par la douce lumière de fin d'après-midi. Quelques promeneurs attardés baladaient enfants et chiens entre les bacs à plantation devant le bowling. Des rameurs se hâtaient avant le crépuscule sous les cris rythmés de leur entraîneur qui les poussait sans relâche à filer plus vite sur l'eau. Sur l'autre rive, le pavillon Baltard semblait regretter cette époque révolue qu'on tentait de faire renaître ce soir, époque où il brillait tel un joyau monstrueux au cœur de Paris qu'il nourrissait presque à lui seul. La Marne semblait immobile, l'air était doux. A la porte de chez Gégène, le serveur essaya de le convaincre d'entrer, dans un espoir vain de concurrencer la guinguette voisine qui drainait le monde. Bogué dépassa la terrasse toute en harmonie rouge du concurrent et s'arrêta médusé en apercevant enfin son but, Le Petit Robinson. Devant la bâtisse couverte de treillage, sur lesquels grimpait du lierre, se pressait toute une faune bigarrée. La moyenne d'âge fleurait bon les 60 ans, les paillettes des robes étaient trop brillantes et les plumes des boas trop colorées. Que diable allait-il faire dans cette galère, tel fut son premier réflexe. Mais une fois que le vin (blanc ?) est tiré, il faut le boire, comme le préconise la sagesse populaire. Il pénétra sous la marquise qui abritait l'entrée, et passa devant le cerbère des lieux. Ce dernier fit la grimace à sa tenue, pas du tout dans le ton de la soirée, mais s'effaça devant le carton collé sous son nez par Bogué. Une fois dans la salle de danse, il jeta un regard circulaire, observant les quelques couples qui s'étaient déjà formés. Les hommes coiffés de casquettes ou de canotiers, portant des vestes et des pulls à rayures, enlaçaient les dames vêtues de corsages et jupes qui froufroutaient au rythme de la java endiablée que le duo d'accordéonistes jouait sur l'estrade. Les danseurs, malgré leurs sourires de jeunes fiancés et leur application à ne pas manquer un pas, montraient une raideur sûrement due à leur âge qui lui aussi était d'or, à l'image des cheveux de l'héroïne de la soirée. Une seule chose à faire pour aller se remettre de ces émotions, Bogué se dirigea vers le bar en rasant les murs. Le barman derrière le comptoir arborait une moustache ridicule et des cheveux gominés. Bogué lui commanda un verre de vin blanc, et tenta de le questionner sur des éventuels livres qui seraient abandonnés ici, ou des rendez-vous de groupes de jeunes dans le restaurant. Le barman le regarda comme s'il était fou. Chou blanc une fois de plus. Bogué s'apprêtait à sortir lorsque la salle se remplit tout à coup. Plus moyen d'atteindre les issues, coincé ici jusqu'à nouvel ordre. Rien ne pouvait plus le surprendre à ce stade, il resta donc accoudé au bar à siroter des petits blancs en attendant la fin de la démonstration de danse de salon, donnée par trois couples de seniors au maquillage trop appuyé. Lorsque les autres couples de spectateurs prirent possession de la piste, Bogué réussit enfin à atteindre la sortie, pour voir que la nuit était tombée entre temps. Il s'apprêtait à sortir, enfin !, lorsqu'il entendit prononcer son nom. Se retournant il tomba nez à nez avec une jeune femme. 20 ans au plus, le teint velouté, des yeux bleus curieusement allongés qui lui donnaient un air goguenard. Ses cheveux étaient coiffés selon le mot d'ordre de la soirée, deux mèches gominées recourbées encadraient son visage en forme de coeur, sauf que ce n'était pas casque d'Or mais plutôt casque de jais. Elle portait une jupe de velours noir, et un chemisier blanc recouvert de gros pois noirs qui s'ouvrait complètement vers le haut. Ses épaules étaient presque nues, son cou entouré 152 / 160 En attendant Modo d'un ruban de velours noir. Un médaillon doré, suspendu au collier, reposait dans le creux entre ses clavicules, là où on sent le pouls palpiter au bout d'un baiser. Le cœur de Bogué manqua un battement à la vue de cette souris des villes. «Monsieur Bogué? - je, oui c'est moi... comment m'avez-vous reconnu ? - on ne peut pas vous manquer, répondit la créature en partant d'un rire moqueur. Venez danser ! » Incapable de s'insurger face à un tel commandement, Bogué la suivit dans la salle où ils se mêlèrent aux danseurs de la piste. Il tenta de la questionner mais elle n'entendait pas ses questions, ou faisait mine d'y être sourde, avec le bruit de l'accordéon, et l'essoufflement de la ronde qui les entraînait. Combien de temps dura cette danse, quelques minutes ou quelques heures, Bogué ne pouvait le dire, subjugué qu'il était par sa partenaire. Celle-ci gardait ses yeux plantés dans les siens, et son regard se faisait plutôt coquin. Finalement elle l'entraîna dehors, face à la Marne. Ils s'appuyèrent contre la balustrade, le long du mur d'un petit cabanon de bois construit à cet endroit sans doute pour entreposer du matériel de canotage. Bogué hésitait à l'interroger sur son affaire de modo, un peu parce qu'il avait presque oublié cette affaire, surtout parce qu'il avait peur de briser le charme et le mystère de cette rencontre. Il osa poser quelques questions banales. Elle s'appelait Mélie, lui répondit-t-elle avec son sourire taquin. Elle avait 22 ans et était Joinvillaise. Bookcrossing, quoi ? non jamais entendu parler. Bogué se détendit. Cette rencontre était peut-être vraiment indépendante de son affaire. Il se rapprocha de Mélie, qui faisait face à la Marne, regardant les baies vitrées illuminées des grandes villas de Nogent-sur-Marne qui se reflétaient dans l'eau. Son parfum légèrement épicé et riche lui faisait un peu tourner la tête. Au moment où il s'apprêtait à se pencher vers elle pour l'embrasser, voila qu'elle se mit à glapir « Mon sac, mon sac, il est tombé de l'autre côté ». Chevaleresque, Bogué sauta par-dessus la rambarde et se pencha pour ramasser le sac de cuir noir de la demoiselle. Ce dernier s'était ouvert dans la bagarre et des objets étaient éparpillés dans l'herbe. Un portefeuille rouge, hop, au fond du sac, un mouchoir en tissu, un vaporisateur de parfum, un livre de poche. Bogué regarda l'ouvrage, peut-être plus par réflexe après sa collecte forcée de livres des dernières semaines que par réelle curiosité. Et là, sur la couverture s'étalait l'objet du délit : un écusson représentant un petit livre jaune en train de courir couvrait la moitié de l'illustration. Le sang déserta son visage, il releva la tête vers sa compagne. Un éclair de compréhension passa dans les beaux yeux bleus de Mélie, et quelque chose d'autre, que Bogué interpréta plus tard comme un mélange de culpabilité et de regret. Elle plongea, plus vive qu'une vipère et arracha son sac des mains de Bogué pétrifié, avant de s'enfuir en courant, ses talons claquant sur l'asphalte. Il resta sur le talus herbeux, le livre dans une main, son cœur brisé dans l'autre. Encore une jolie fleur dans une peau de vache, se lamenta-t-il au barman qui le ficha dehors au petit matin, étonné de ce client si bizarre qui n'avait pratiquement pas dansé de la soirée et était resté à vider ses bouteilles de blanc au comptoir. 153 / 160 En attendant Modo Chapitre 43 Chapitre de Victor-Schmara se déroulant à Lille Alfred était en ville depuis six jours. Vendredi dernier, on lui avait dit : «Venez demain, à 18h, devant l'Opéra. Pas longtemps. Nous vous donnerons des explications.» Un message indirect, une fois de plus. Depuis le premier rendez-vous de Fosses, il n'était plus rare qu'ils cherchent à le contacter par tout moyen, dès lors qu'il disparaissait quelque temps. Comme s'ils étaient inquiets. Mais de quoi, grands dieux ? Un jour c'était au téléphone -une voix féminine, toujours, avec un accent indéfinissable, une façon personnelle d'écraser certaines syllabes, de prononcer les -é, de dire « Hm », de sourire, de laisser des blancs. Un autre jour c'était par mail. Au début il n'y comprenait rien ; c'était plein de caractères impossibles, d'accents partout, de hiéroglyphes, de ponctuations anarchiques. Un code, en fait, dont il s'éreinta à pénétrer la logique. Aujourd'hui encore il n'était pas certain d'avoir tout compris. Plus rarement -mais cela lui causait étrangement un plaisir indéfinissable-, par Texto. D'autres fois comme celle-ci, et l'on devinait alors une inhabituelle fébrilité, on le convoquait via le Messageur Privé, le dernier gadget à la mode de la tribu dans laquelle depuis quelques semaines il enquêtait. Le Messageur Privé, c'était l'avant-dernier degré de l'alarme, juste avant la petite annonce dans Libé. C'était sérieux. C'était «Ecoutez, pas le temps de vous faire un mail ni un dessin, venez, la situation l'exige, ou bien il sera trop tard.» Evidemment, le rendez-vous était pour le lendemain, un samedi. Impossible, bien sûr. Alfred ne travaille plus le samedi depuis 1963, c'est un principe. Le samedi chômé, l'Amsterdamer, un bon combi orange bien robuste, et la vie était belle. Ou alors... Mais il aurait fallu... Non, décidément, Alfred n'était pas prêt à déroger à ses samedi hors du monde. 154 / 160 En attendant Modo Par superstition. Quelque chose en lui -ce petit quelque chose qui faisait qu'il était toujours là, lui, Alfred Bogué, la cinquantaine vaillante, en dépit de tant d'aventures, de mauvais coups et de traquenards-, quelque chose en lui dans cette ville inconnue l'avertissait d'un profond danger. Du reste il n'avait plus d'arme. Son Beretta l'attendait caché dans un pot de graisse au fond de son atelier, à Périgueux, Dordogne, et inutile de compter sur son Colt 45, si maniable et précieux au temps de Raoul-Le-Belge -mais c'étaient les grandes heures, aujourd'hui il reposait avec Raoul dans un trou hâtivement rebouché de la forêt de Senlis, Oise, par deux mètres de fond, à l'abri des détecteurs de métaux et des chiens truffiers de la Mondaine. Alfred botta en touche. Le samedi midi, quelques heures à peine avant le rendez-vous, il appela ce même numéro à partir duquel on l'avait appelé la toute première fois, le soir de la fête où l'on n'entendait rien, sur l'Esplanade, qui avait duré si longtemps, tant les détails, tous les détails, importaient. Ça ne répondit pas. Il laissa un message vocal, sobre, neutre, professionnel. Désinvolte, il dit qu'il regrettait mais n'était pas libre, et proposait une autre date. L'autre date, c'est aujourd'hui. On lui a confirmé hier qu'on y serait, et pas plus tard qu'à 16h02 aujourd'hui, précisé qu'on l'attendrait «ici», dans le bar exigu et bruyant où Alfred est attablé à ce moment précis où, contre toute attente, la plus jolie femme de la métropole franchit le seuil, et se dirige résolument vers lui. Au-delà, dans la rue, le trafic est fluide. Il fait presque nuit. Passent quelques patineurs. Un groupe de pigeons migre du banc vert à la boîte aux lettres. La jeune femme est à cinq mètres maintenant. Elle le fixe. Quelque chose ne va pas. Elle s'assoit en face d'Alfred, pose un sac, vérifie son portable. A son air sombre on pressent que la situation est grave. - La situation est grave, dit-elle. Plus grave que prévue. 155 / 160 En attendant Modo Le problème prend de l'ampleur. Nous avons besoin de vous. Alfred la dévisage. - C'est vous qui m'avez appelé ? - Evidemment, qui voulez-vous que ce soit. - Bonjour quand même. - Oui. Bonjour. Pardonnez-moi. Je n'ai pas beaucoup de temps. Je prends un chocolat. - Garçon ! Alfred se tourne vers le comptoir. Un chocolat et un thé. Elle a un sursaut : - Non, pas un thé ! Alfred la regarde quelques instants. Puis, calmement : - Rectification. Il sourit au serveur. Un chocolat et un Schweppes. Vous êtes malade, qu'est-ce qui vous prend ? - Ecoutez. Excusez-moi. Ce serait un peu long. Je vais... Elle tremble imperceptiblement. Voilà. Les gens qui m'envoient, les gens qui vous ont appelé pour votre enquête -on croit beaucoup en vous, vous savez-, tout le monde est un peu tendu, en ce moment, les gens qui m'envoient ne plaisantent pas. On a un gros gros problème. - Ah bon ? - Un gros gros gros problème. - Alors ça n'est pas pour moi. Je ne m'occupe que des légers problèmes, et encore, quand j'ai bien mangé et que j'ai un peu de temps. - Je vous en prie, écoutez-moi. Elle saisit son portable, en vérifie l'écran, le repose. Vous connaissez le FLY ? 156 / 160 En attendant Modo - Ça, pour sûr que je connais. Au revoir, madame. Il fait mine de se lever. - Attendez ! Attendez un peu. De toute façon... vous ne pouvez pas sortir. Il y a des gens dehors, et... Alfred se rasseoit avec une lenteur infinie. - Qu'est-ce que c'est que cette histoire... - Asseyez-vous et écoutez-moi attentivement. Ensuite je partirai, et vous partirez exactement six minutes après moi, par l'autre entrée. Mais d'abord dites-moi ce que vous savez du FLY. Il avale péniblement une gorgée de son Schweppes, d'une amertume inaccoutumée. - J'ai lu les journaux, comme tout le monde. Et puis il y a quelques années, à Zurich, je les ai vus à l'œuvre. Par hasard. Je rentrais dans un café, ils en sortaient. J'ai pas vraiment pu consommer : le patron gisait dans son sang, douze balles dans la peau, derrière le comptoir, au milieu des épluchures, un petit sachet jaune entre les deux yeux, il fumait encore. - La vache. - C'est à peu près ce que je me suis dit. Du beau boulot, néanmoins. On ne les a jamais retrouvés. C'est ces gars-là que vous voulez ? Très peu pour moi. La jeune femme rajuste deux bretelles, une blanche et une noire, sur son épaule droite, remonte un peu son large pull en laine, semble quelques secondes regarder dans le vague, un point mystérieux derrière Alfred, avec un sourire énigmatique, puis commence son histoire. - Le FLY est né à la fin des années 60, ici-même, à Lille. Au départ, un truc de potaches, un petit jeu d'écoliers, puis d'étudiants désoeuvrés. Ils faisaient des blagues, ils s'amusaient. Des poissons d'avril, genre. Ils accrochaient des petits sachets un peu partout, aux endroits qui ne leur revenaient pas, les statues moches, les mannequins dans les vitrines, les stations-service, aux sonnettes des ambassades, aux troncs des églises, etc... Puis ça s'est radicalisé. Juste après l'Irak -la première-, il y a eu comme un schisme. Les modérés sont rentrés chez eux, un peu étourdis, mais les durs sont complètement partis en vrille. Aujourd'hui ils sont incontrôlables. Au nom d'un pseudo-manifeste politique de justice universelle, ils se croient tout permis. 157 / 160 En attendant Modo Mais ça ne rigole plus du tout ; tenez-vous bien : ils veulent renverser le monde. - Quoi ? - Des exaltés. Ils prônent le chaos total, le renversement de l'ordre établi, la révolution permanente, la chute du grand capital. Ils ont leur cible : la société de consommation. Et leur Grand Satan : Thomas Lipton. Sir Thomas Lipton. Oui, celui du thé. Les nuits sans lune, ils tiennent des cérémonies secrètes, genre KKK, déguisés en sachets jaunes -sans la ficelle. C'est une catastrophe, ils vont beaucoup trop loin. - Je ne vous le fais pas dire. A une époque, j'ai collecté un peu leurs faits d'armes. Si je me souviens bien, ces dernières années, ils n'ont plus guère fait parler d'eux... - Si, mais jamais au grand jour. Ce sont des malins. Il n'y a guère que les RG aujourd'hui, qui tiennent les comptes. Mais croyez-moi, ça défie l'entendement. Les cafetiers baptisés au 11.43, c'était un début. C'était gentil. Ils sont passés professionnels, depuis. Vous vous souvenez d'AZF ? - Non !... Pas eux !? - Les MacDo de Bretagne, à l'explosif ? - Non... - Les inondations de Vaison-la-Romaine, de Nîmes ? - Allez... - Le tunnel du Mont-Blanc, la marée noire du Prestige, l'Erika, Ariane 5, le compte à rebours interrompu sur la tour Eiffel pour l'an 2000, la canicule, les plaques de marbre qui se décrochent sur l'Opéra-Bastille, l'arrêt de la diffusion d'Urgences, d'Ally Mac Beal... Vous ne pouvez pas savoir, leurs ressources sont infinies. - L'incendie du Super-U de Béthune-sud ? - Pareil. - C'est dégueulasse. - Des chacals. Son téléphone sonna. - Excusez-moi. Elle se leva, s'éloigna de quelques pas, s'entretint brièvement avec une voix, revint. - Désolée. Bref. Aujourd'hui on a un sérieux problème. - Où ça ? 158 / 160 En attendant Modo - Ici. Enfin, partout, mais spécialement ici, c'est pour ça qu'on a besoin de vous, parce qu'ils nous ont promis un festival. - Pourquoi ici ? - Que vous le croyiez ou non, Lille est l'exact barycentre de la puissance commerciale de l'Europe : à la croisée des chemins de Londres, Bonn, Bruxelles, Genève, Amsterdam et Paris, c'est LA ville-symbole par excellence, le temple de la production et de la consommation de masse occidentale. A moins de trois heures de route, vous avez autour d'ici tout ce que le XXI° siècle produit de plus opulent : automobile, électro-ménager, banque, armement, alimentaire, textile, media, tout. Et ils veulent pulvériser le symbole... Alfred se rembrunit. « Gros morceau », pensait-il. En même temps, totalement son créneau. Sauver le monde, bon, ça ne manquait pas d'intérêt. La bouche sèche, il reprit sa paille. L'autre continua : - Je vais vous parler sans détours, monsieur Bogué. Il y a une bombe. Alfred s'étouffa dans son verre. - Vous plaisantez ? A nouveau le portable vibra. Elle le prit sur la banquette, le souleva à peine, le manipula, le reposa. Replaçant ses cheveux, elle le fixa droit dans les yeux. - Monsieur Bogué. Que ça vous plaise ou non, vous jouez avec nous désormais. Je dois partir. Je vais vous dire un peu de ce que nous savons, puis je vais partir, et la balle sera dans votre camp. Est-ce que c'est clair ? - J'ai le choix ? Elle sourit. - Vous avez bien compris. Voilà les faits : Les gars du FLY veulent frapper un grand coup. Ils visent ce qu'ils appellent un « temple de la consommation », ici, en plein centre-ville. Leur message évoque « une saison où tout explose ». Je vous épargne les slogans annexes. La bombe est dans un parking jouxtant l'édifice, peut-être même au-dessus, dernier étage, à l'air libre. Il y a de quoi faire sauter la ville et ses environs. Si nos sources sont exactes, le dispositif a la taille d'un livre de poche, il est emballé dans du papier aluminium, et neutralisable par saisie d'un code secret sur un site ad hoc. Je ne sais pas quel code, je ne sais pas quel site. 159 / 160 En attendant Modo Dernier détail : il est programmé pour ce samedi 9, 18h01. On n'y comprend rien, et on n'a pas le temps de s'en occuper, on part pour Davos où ils ont prévu encore pire. C'est terrible, monsieur Bogué. Terrible. A vous de jouer. Alfred s'affalait lentement sur la banquette en moleskine verte. - Ah, dernier détail. Si ça tournait mal, évidemment on ne s'est jamais vus. Si vous parvenez à faire le travail, nous devrons vous réapprocher hors des canaux habituels. Laissez-moi un code, une phrase, un élément pour réinitier le contact, qui nous authentifiera. Elle lui tendit un minuscule carnet et un fin crayon. Ecrivez là. Le portable vibra une dernière fois. Tandis qu'il écrivait, Alfred la vit distinctement le manipuler à nouveau, sourire à travers ses cheveux, le regardant à la dérobée. - Un souci ? - Pas vraiment. Mais le monde est décidément plein de gens curieux. Puis, après un temps : - Soyez prudent, monsieur Bogué. Nous aimerions assez vous revoir. Sur ces paroles mystérieuses, elle reprit son sac, son téléphone, se leva, replaça ses bretelles gauches, et sortit dans la nuit. 160 / 160