Le Roman français contemporain
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Le Roman français contemporain
le roman français contemporain Ministère des Affaires étrangères – adpf. Michel Braudeau Lakis Proguidis Jean-Pierre Salgas Dominique Viart le roman français contemporain Michel Braudeau Lakis Proguidis Jean-Pierre Salgas Dominique Viart Ministère des Affaires étrangères – adpf. Le roman français contemporain sommaire Avant-propos 9 Michel Braudeau Avec André Gide sur le pas de la porte 13 Bibliographie 35 Lakis Proguidis Une décennie romanesque 41 Bibliographie 69 Jean-Pierre Salgas Défense et illustration de la prose française 73 Bibliographie 111 Dominique Viart Écrire avec le soupçon – enjeux du roman contemporain – 129 Bibliographie 165 Le roman français contemporain 9 avant-propos Jamais le roman français n’a été aussi vivant. Le souvenir des grands noms de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-guerre ne paralyse que les lecteurs dépourvus de curiosité qui se servent de ces évocations nostalgiques pour cacher leur ignorance et leur paresse. Ce qu’on peut constater quand on prend la peine de s’informer et qu’on se donne le plaisir de lire, c’est qu’à la suite de grands auteurs légitimement sacralisés qui bénéficiaient de l’injuste méconnaissance de la littérature d’autres pays, sont apparus à partir des années 1950 des romanciers que l’histoire n’obligeait plus de la même façon. Les mouvements disparurent. Un ultime groupe, « Le Nouveau Roman », réunit des auteurs particulièrement remarquables mais dont les œuvres sont si diverses que leur labellisation apparaît aujourd’hui artificielle. Désormais, les romanciers sont seuls. Ils écrivent sans chercher à se situer par rapport à ceux qui les ont précédés. Cette individualisation génère une diversité qui, libérée des références contraignantes, est d’une exceptionnelle richesse. Elle oblige en revanche le lecteur privé du confort du « groupe » ou du « mouvement » à aller à la découverte de chaque texte, de chaque auteur. Il ne peut plus lire distraitement, rassuré par le nom d’un auteur consacré et confortable. Il ne peut plus lire sans désir. 10 Le roman français contemporain Oui, jamais le roman français n’a été aussi vivant. Malgré la télévision qui dévore la plus grande part du temps libre naguère donné à la lecture, malgré l’invasion du marché par des « bestsellers » habilement fabriqués, malgré les carences de la presse qui remplit de moins en moins sa mission d’information, des écrivains écrivent des romans, des éditeurs convaincus les publient, des lecteurs attentifs, curieux, gourmands les achètent et les lisent. Pour rendre compte de cette diversité, de cette richesse, nous avons demandé à MM. Michel Braudeau, Lakis Proguidis, Jean-Pierre Salgas et Dominique Viart de proposer leur sélection des romans dont ils jugent la présence indispensable dans une bibliothèque et en particulier dans les médiathèques de nos établissements culturels à l’étranger et de nous donner les raisons de leur choix. Qu’ils en soient remerciés. Yves Mabin Chef de la division de l’écrit et des médiathèques Une transcription abrégée de cette conversation imaginaire est parue dans le numéro 561 de La Nouvelle Revue française, en avril 2002. ©Michel Braudeau Le roman français contemporain avec André Gide sur le pas de la porte Michel Braudeau 14 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • Michel Braudeau, 55 ans, est écrivain et grand reporter associé au Monde. Il a collaboré au service Culture de L’Express de 1977 à 1984, date à laquelle il est devenu critique de cinéma au Monde avant d’y être feuilletoniste littéraire et chroniqueur culturel. Il est rédacteur en chef de La Nouvelle Revue française (NRF) depuis 1999. Il est l’auteur, entre autres ouvrages, de Naissance d’une passion (Seuil, 1985, prix Médicis), de Loin des forêts (Gallimard, 1997), de Pérou (Gallimard, 1998). Son dernier roman paru est L’Interprétation des singes (Stock, 2001). • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 15 Il n’y a pas si longtemps, à la fin du jour, en descendant l’escalier de la maison d’édition, je tombe sur lui dans le hall, André Gide, que je croyais avoir laissé endormi dans un sauna un an plus tôt, pour l’éternité vraisemblablement. À croire que les fantômes ont la vie dure. Ou que l’homme que je prends pour lui à cet instant a le don extraordinaire de lui ressembler, trait pour trait, jusqu’à cette façon de porter son chapeau en bonnet pointu qu’on lui connaît par les photos, son genre bohème protestant. Est-ce bien lui ? J’hésite sur les dernières marches. Il n’est pas loin de sept heures du soir et le concierge, Mateo, très strict quant à l’heure de la fermeture, à cause du système d’alarme, est déjà en train de rôder autour de la lourde porte. Si on est en retard, tant pis, l’impitoyable Mateo, petit homme terrible comme un ancien geôlier de Blanche-Neige, vous fait passer par la cour ou les caves humides. Mais le Gide qui vient d’arriver ne s’en soucie pas, il m’interpelle au passage et je le reconnais à sa voix, entendue sur d’anciens enregistrements. – Tiens, je n’ai pas ma photo dans l’entrée? Il désigne les murs du hall où sont accrochés les portraits des auteurs dont les livres font l’actualité du mois ou de la saison. Il s’est adressé à Mateo, qui bougonne: – Non. Ce sont les nouveautés, ici. – Tout de même. J’y suis pour quelque chose, dans vos nouveautés, non? Vous trouvez ça normal, vous? 16 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • Il s’est tourné vers moi. – Hélas, maître… oui. Nous avons les derniers lauréats, d’anciens poètes, de jeunes romanciers, un peu de tout, mais pas les pères fondateurs. Juste les nouveautés, comme dit Mateo. – Et vous trouvez du neuf tous les mois? Vous n’êtes pas fauchés. Ou alors ce sont les mêmes qui repassent leurs plats. Mais soit: depuis moi, donc, quoi de neuf? – Tant de choses, maître… Je ne sais par où commencer. En plus, je n’ai pas l’esprit universitaire et je ne suis pas critique littéraire. – Vous l’avez été. Vous ne l’êtes plus. Je prends l’air piteux, pas plus fier que ça. – Oui, je suis entré dans un jury d’automne. – Mais c’est bien pis. Pourquoi pas dans un comité de lecture? À la tête de ma revue? – C’est fait. Je vous ai succédé. Il me regarde à travers ses lunettes, avec circonspection, je le crains. Quel sarcasme va-t-il me décocher ? Il laisse la menace en suspens, cela doit faire partie de sa technique d’intimidation, puis il émet un rire sec et me tape sur l’épaule, en bon camarade. – Épatant. J’aurais fait la même chose à votre place. Bien sûr, vous en tirez des avantages énormes? – Pas du tout. La vie littéraire a beaucoup changé, vous savez. Les revues ne jouent plus le même rôle qu’avant, nous sommes dans une période où la télévision règne d’une manière que vous ne pouviez pas imaginer… – Si, si, je regarde ça de temps en temps. – Et ça vous plaît? s’enquiert Mateo. – Non, comment pouvez-vous y songer seulement ? Au début, il y a eu de bonnes choses, des entretiens dignes, où l’on écoutait l’auteur s’expliquer, se raconter. Beaucoup de mes contemporains y sont passés, même cette tête de lard de Céline y est allé, avec une petite mine de ne pas y toucher, pour nous expliquer que lui seul était léger, musical, que les autres pesaient. Les journalistes, on ne les voyait pas et ils étaient excellents. Je vous parle du temps des dinosaures, le dernier en date a pris sa retraite, plus ou moins définitive ou provisoire, il y a peu. Le plus fameux de tous. Et pourtant, il se montrait, on voyait qu’il ne pouvait résister à ce mouvement d’incoercible promotion de l’ego que l’écran favorise péniblement. Mais de la tenue, sous son air bonhomme, de la classe. Et après lui, on a vu ce qui nous • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 17 pendait au nez, que sa présence avait longtemps contenu: le déferlement du music-hall. – Vous n’aimez pas les variétés ? – Si, celles de Paul Valéry, surtout. Mais pas ces clowns tristes, ces questionneurs qui coupent la parole aux auteurs, avec leur inanité jactante, leurs «comment dirais-je?», en attendant de leur couper la langue, tout simplement. Les pinces sont au feu, n’ayez crainte, on n’attendra pas. Ou bien ceux qui assènent: «Ce que les gens se demandent…» avant chaque ineptie, parce qu’ils savent, eux, ce qui taraude les gens, bien sûr, on dirait qu’ils sont reliés à l’angoisse littéraire de la population, ces bouffons. Et ils soignent leur coupe de cheveux quand ils en ont, leur tenue (la seule chose qu’ils aient étudiée un jour), leurs cravates, leurs lunettes, les éclairages sur leur personne. Ils se foutent de vous. – Mais on les regarde, c’est déjà ça, dit Mateo. – Moi, cela me semble court, mon cher monsieur. Ils ont presque tous arrêté leur scolarité trop tôt. Ils veulent briller. Ils sont méchants pour cela, au besoin. Ils distribuent des brevets d’un ordre militaire auquel ils n’appartiennent pas: untel est un écrivain, celui-là n’en est pas un, etc. Comme s’ils avaient un nez de parfumeur, un appareil à détecter l’écrivain caché sous le moindre bougre, comme des cochons truffiers. Risibles généraux d’une armée changeante et virtuelle dont ils ne connaissent aucune recrue. Mais il leur faut suivre le pitre qui les précède, semer celui qui les talonne, et pour cela suivre leur avis ou en prendre le contre-pied. Et aller vite, nous sommes des poissons pêchés, il faut nous cuisiner tout frais; faire rire, la culture est moins grave qu’on ne le dit, du reste elle est en constant recul comme les anciennes maladies; garder l’exclusivité, comme si nous ne devions servir qu’une fois. Les seuls auteurs qui se tirent de ces traquenards sont ceux qui en cassent les règles, qui étonnent le meneur de jeu, se taisent ou bafouillent par exemple, ou parlent surabondamment, trop bien, trop vite pour être suivis par leur hôte. C’est un talent sans doute. Je ne suis pas sûr que les meilleurs auteurs français l’aient tous eu en partage. Et vous? – Je suis d’accord avec vous mais le fait est que la moitié de la critique s’exerce par là, par l’écran. – Sur la bobine des gens. Pittoresque méthode. Et l’autre moitié? – Par les journaux, comme avant. Vous les lisez, je suppose. – Oui, c’est varié. Ça l’a toujours été, au demeurant, il n’y a pas lieu de regretter quelque «bon vieux temps» que ce soit. 18 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • Des gens doués et des besogneux, des paresseux qui se recopient et des tempéraments. Les grands critiques sont déjà des écrivains considérables, Baudelaire, Nabokov, etc., et encore, ça ne les empêche pas de se tromper ni d’être de mauvaise foi, alors... Moimême je me suis trompé avec Proust. De bonne foi, notez bien, je me suis repris tout de suite. Le génie n’est pas toujours évident, contrairement à ce qu’on pense. Vous en connaissez, des hommes de génie ? Parmi les photos de ce hall ? – Un ou deux, peut-être. Je vous laisse deviner. – La barbe. Parlez-moi des tendances. Je sais qu’il y a des réseaux, des lobbies, le jeune Bourdieu nous a raconté ça. Mais des courants, des chapelles, des «écoles» comme on disait? Le nouveau roman? – Deux beaux arbres sont encore debout: un prix Nobel, Claude Simon, et le sulfureux spécialiste des cactus, Alain RobbeGrillet. Ils n’ont pas d’héritier direct, ni eux ni ce qu’on appelle abusivement le nouveau roman, qu’aucun de ses membres n’a reconnu comme une école. C’était un éditeur, un air du temps, une photo prise par hasard, un ensemble de refus, plus qu’une doctrine précise. On peut dire qu’il a infusé chez certains. Duras a été imitée, souvent involontairement. On peut trouver du nouveau roman par moments chez Jean Echenoz, mais pas seulement. Les influences sont très indirectes parfois. Difficile de dire en même temps où l’on en serait si ce moment-là n’avait pas existé. Gide s’assoit dans un des fauteuils clubs près de l’entrée et me fait signe de prendre place dans l’autre. – C’est comme votre Mai-68. J’en parle à mon aise, j’étais mort, mais on ne dirait pas que cela ait produit une seule grande œuvre, entre nous. Pour aller vite: Napoléon, cela donne, au moins, Le Rouge et le Noir et La Guerre et la Paix, par exemple. Mai-68? Peau de balle. Je préfère mes Faux-Monnayeurs. – Rien de comparable. Mai-68 agit autrement. Il a flanqué un coup de vieux à beaucoup et rendu possibles des libertés nouvelles, pas en littérature directement, mais quand la vie quotidienne change – et ça a été le cas, quoi qu’en disent les négationnistes de Mai –, cela se reflète dans les romans. Seuls les situationnistes avaient précédé l’événement, Raoul Vaneigem, Guy Debord… – Des stylistes, comme toujours. Et des classiques. Le style annonce l’époque en général, les œuvres éclosent, s’épanouissent et tombent après, comme des fruits mûrs, quand le ciel n’est déjà plus le même. Qui a du style, de nos jours? Des noms. • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 19 Je médite. Gide allume une Chesterfield. Il s’impatiente, fait signe à Mateo. – Dites-moi, mon ami, votre avis sur le style. Ce garçon ne va me donner aucun nom, c’est évident, par peur de se fâcher avec ceux qu’il aura oubliés. – Ce n’est pas gentil à vous de lui demander cela, aussi. Je peux, moi, vous citer Patrick Modiano et Philippe Sollers, Pascal Quignard et Jean d’Ormesson, Jean-Marie Gustave Le Clézio et Hector Bianciotti, Érik Orsenna, Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Michel Del Castillo, Anne Wiazemsky, Michel Tournier, Angelo Rinaldi, Annie Ernaux… J’embraye dans le désordre. – Et Jean-Jacques Schuhl, Emmanuel Carrère, Marie Nimier, Jean-Marie Laclavetine, Maurice Georges Dantec. Avec une mention particulière pour ceux qui enrichissent et réinventent le français à partir de l’outre-mer, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau, et le magnifique Édouard Glissant... – Et, rien qu’ici, Michel Houellebecq et Christophe Donner, pour s’en tenir aux vivants, bien sûr, et des tas d’autres qui se détestent cordialement, se jalousent, s’acoquinent parfois, une liste jusqu’au matin. Sans compter votre interlocuteur, trop modeste. – Je vous en prie, Mateo, dis-je. Gide écrase sa cigarette et en cueille une autre dans le paquet. – Et pourquoi pas vous? Si on n’en parle pas ici, qui le fera? Et de quoi auriez-vous l’air? Vous croyez que les autres se gênent? Le premier venu affirme à tous les vents sa grande vocation d’écrivain, sans scrupule, à croire que c’est un rituel conjuratoire banal, et vous hésiteriez? À tort. Vous êtes un prosateur remarquable. Classique et chatoyant. Je crois me relire, par endroits. Plutôt atypique comme type, il est vrai, pas facile à classer. Un original, un vrai, ce qui vous fait échapper au tamis des grossistes. C’est très bon signe, un gage d’avenir, évidemment. – Vous êtes sûr ? – À peu près. Je sais, il y a quelque chose d’austère, d’ingrat, disons d’un peu «âpre» dans l’instant, à ne compter que sur la postérité: vous n’avez jamais eu envie d’être à la mode? – Je ne sais pas parler de moi. – Vous voyez, dit Mateo, rien que pour ça, il n’est pas à la mode. Mais je l’ai dans ma liste, moi… – Évidemment, fait Gide avec gaieté, votre liste, je la 20 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • connais, il y a tout le monde, c’est une rafle. Vous aimez tout le monde, vous, on devrait vous envoyer dans une ambassade, ma parole, mais pas vous prendre dans une revue. Sérieusement, avez-vous, disons, un Malraux? Mateo se gratte la tête. Il réfléchit. – Il y a des tentatives, c’est un modèle qui plaît, moins dur que le Proust ou le Céline. Mais un vrai Malraux, non. On l’a déjà eu, Malraux. Alors qu’est-ce que ce serait un autre Malraux, elle est idiote, votre question. Gide prend l’air faussement contrit. – Je sais. C’était juste pour vérifier ce qui vous restait de bon sens. Mateo se demande s’il doit prendre cela pour un compliment tordu. Il regarde sa montre. Sept heures moins dix. Gide se penche vers moi, me demande du feu. – Et vous, l’homme de la revue, vous en pensez quoi, de cette époque-ci, vous la résumeriez comment? – Impossible, je me sens trop dedans, trop immergé, sans recul. On voit à peine des directions, mais rien de précis. Les Américains ont leurs minimalistes, les Mexicains ont un «groupe du crack», les Italiens ont des «cannibales», les Anglais ont des «Nouveaux Puritains», mais nous, c’est à peine si l’on sait former de petites bandes, dès que ça marche, le plus malin part en solo. Il y a eu pendant quelques années des écrivains «gays», c’était une cause. – Insuffisant, une cause. Idiots, les «gays», croyez-moi, ça m’a fait bien du tort. Quand je repense à Corydon… J’étais vraiment un gamin par rapport à ce qu’on lit, pourtant. Et à part ça? – Nous avons nos classiques modernes. Des gens de confiance et de métier. Hector Bianciotti, par exemple, qui est l’un des rares auteurs étrangers à être devenus français, à écrire le français bien mieux que beaucoup de native speakers, comme disent les linguistes, et qui a trouvé une façon unique de raconter sa vie, si excellente qu’elle lui a ouvert l’Académie, où il fait sonner son accent musical et impétueux. D’ailleurs son élection a été très bien appréciée. – On m’a dit que Rinaldi… – Il a été aussi élu, Angelo, un peu plus ric-rac, vu le nombre des électeurs qu’il avait auparavant assassinés de ses blanches mains, c’est un peu normal. Il y en a beaucoup qui ont dû s’étrangler de rage en entendant ce prénom retentir sous la Coupole, Angelo le grand Atrabilaire, l’impitoyable Surineur, • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 21 comment maman Rinaldi a-t-elle pu donner ce prénom potelé à ce féroce sosie de Humphrey Bogart, je vous demande un peu… Mais j’aime ses romans, moi, bien qu’il n’ait jamais rien dit de bon des miens, le ladre, parce que dans la tradition proustienne, il maintient le cap. Le cap corse, qui n’est pas des moindres, par les proportions. Ce ne sont plus les grandes voiles d’autrefois, la transatlantique de Marcel, plutôt de la navigation de cabotage, en secret, dans Paris… – Sur les canaux, vous voulez dire? Valmy, Jemmapes, l’Ourcq? Vous vous imaginez que ça va lui faire plaisir, ça, votre histoire de cabotage? – Ils ne sont jamais contents, nos amis, de toute façon. Je voulais dire que Proust a été notre Magellan, on n’y peut rien. Pas si mal, après lui, d’être le capitaine Cook. – Qui a fini ses jours dans une marmite de sauvages emplumés… – Quel panache, non? Mais ma bonne opinion de lui va plus loin. Le meilleur critère que je puisse vous indiquer est la qualité de sa phrase, sa puissance, sa richesse. Une phrase est chez lui comme une prise de judo, elle vous colle au tapis, elle vous envoie en l’air, vous retourne, c’est une opération complexe, pas une banale addition, comme chez tant d’autres... – N’oubliez pas Quignard, me souffle Mateo. – Certes, mon ami. Pascal Quignard fait partie des classiques contemporains, sans doute, bien qu’il n’écrive jamais dans les revues, ignorant qu’il faut parfois se retrousser les manches dans ce métier. Ses Petits Traités l’immortaliseront à coup sûr, c’est un vaste cabinet de curiosités comme on n’en espérait plus, un magasin d’érudition élégante. Ses romans bâtis pour le Goncourt ont fait chou blanc, Les Escaliers de Chambord, Le Salon du Wurtemberg, mais il ne devrait pas en rester marri, parce qu’il est si bon par ailleurs, avec ses romans latins ou sa Vie secrète, que c’est les Goncourt qui seront un jour mortifiés de l’avoir omis au moment du dessert. Et je n’oublie pas non plus Patrick Modiano, dont on a fait grand cas au début, dont on s’est gaussé ensuite parce qu’il faisait toujours le même roman et qu’on loue à nouveau aujourd’hui, justement parce qu’il fait encore le même roman. Ce qui s’appelle de la persévérance. Pourquoi changerait-il de manière? Y aurait-il une obligation de se renouveler, comme pour les automobiles ou les appareils ménagers ? Demanderait-on à Molière d’écrire autre chose que du Molière? Se lasse-t-on des albums de Tintin sous prétexte qu’on y trouve 22 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • toujours Milou, le capitaine Haddock et la Castafiore? Au contraire, ce sont là des figures imposées, que le public réclamerait à grands cris si elles venaient à manquer. Supposez un Modiano sans incertitude ni angoisse, au contraire plein de personnages à l’identité précise, bien définie, avec des aventures, du suspense, du sexe! Vous auriez immédiatement une émeute devant les bureaux de son éditeur, des hordes de libraires et de lecteurs, hurlant: «Rendez-nous-la-petite-musique! Nous-voulons-dubrouillard-sentimental! Rendez-nous-l’Occupation-allemande!» – Celle-là, les Français la regrettent toujours, on dirait, murmure Gide. – Donc, Modiano reste pour moi définitivement du côté des écrivains enchanteurs, comme Chateaubriand, mutatis mutandis, de ceux qui me transportent dans un univers parallèle et proche, qui apportent des lumières et de l’obscurité en même temps, et aiguisent ma conscience du monde réel. – Et ça vous sert à quoi? demande Mateo. Gide et moi sursautons, unanimes: – À rien, malheureux! L’art n’est pas fait pour servir à quoi que ce soit, infortuné cerbère! Mateo se mouche, un peu honteux. Puis, comme saisi d’un remords ou retrouvant brusquement la mémoire, me demande: – Vous ne parlez pas à Monsieur de l’autofiction ? C’est notre dernière tarte à la crème, si je ne me trompe. – Qu’est-ce que ce mot affreux ? dit Gide. – Je n’étais pas sûr de devoir vous infliger cela. C’est un peu de l’autobiographie et de la fiction, sans être ni l’un ni l’autre. On est soi-même son propre personnage, on se glisse dans les habits de la fiction pour mieux s’approcher du moi réel, c’est une façon de passer aux aveux, à travers un masque qui nous ressemble. – Très potache. Mais cela se pratique depuis des lustres. Rousseau, Chateaubriand, Proust, n’ont jamais pratiqué autrement. Et moi-même… Mais assez parlé de moi, comme dirait ce raseur de Montherlant, vous avez lu mon Journal, tout cela est clair comme de l’eau de roche. – Oui, mais enfin, cela devient une sorte de micro-mouvement littéraire, maintenant. Je ne garantis pas que cela durera plus de quelques mois, certes, mais c’est la dernière danse qu’on a lancée… – Je préférais le madison, dit Gide. • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 23 – Et moi le twist, ajoute Mateo. – Tant pis pour vous: cette fois, c’est l’autofiction. Ainsi Christophe Donner, par exemple, mélange assez volontiers sa vie et sa création et le mouvement même de l’un à l’autre, les hésitations, les regrets, les élans, la difficulté du tout, etc. Cela a donné dans le meilleur des cas L’Esprit de vengeance, par exemple, dans lequel il réglait les comptes de son grand-père mort en déportation avec un célèbre et respecté philosophe humaniste français, resté à l’abri de ses murs blancs en France, et dont un petit-fils avait dû fricoter avec Donner, pour tout arranger. Bref, le sac était si plein de nœuds que le philosophe obligea Donner à changer d’éditeur, ce qui montre assez bien que la biographie peut produire quelques effets dans le réel. Par ailleurs, je ne suis pas toujours convaincu par les livres de Donner, il va un peu vite à mon goût. Il a l’air très content de lui-même, ce qui fait plaisir à voir. J’aime les gens qui ont de la trempe et prennent des risques. C’est son tempérament qui le sauve, pour être juste, non cette théorie de l’autofiction, qui ne va pas loin, je le crains… – Jusqu’où ? – Jusqu’à Christine Angot, par exemple. Un thème d’une inconvenance idéale pour les hebdomadaires, l’inceste, une écriture résolument bègue, répétitive. Prenez les derniers livres de Duras à la fin de sa vie, retirez-en ce qu’il y reste toujours d’inouï, malgré tout, même à l’état de traces de plus en plus rares, infinitésimales, et vous avez la prose de cette brave Christine Angot. Faites ensuite l’emplette du livre suivant, consacré au succès du précédent, avec le recensement des articles, la liste des journalistes gentils ou non, les chiffres, l’argent gagné, etc. Comme ce deuxième livre, un peu contrarié, a ennuyé, on aura droit à un troisième sous peu, pour nous expliquer que le second a été victime d’un complot né de la jalousie créée par le premier. Et par-dessus le marché, on en fait des lectures publiques, on rugit son texte, on l’éructe en rap, on en grave des CD! Et on navigue au plus près de ce qui flotte dans le marigot du jour, on se cramponne pathétiquement au radeau, au petit milieu, pas si farouche que ça. Du temps où je la connaissais, avant qu’elle n’ait trouvé son personnage public, quand nous allions au Bambi Bar, à Bordeaux, elle était très drôle, cette jeune femme. Ce doit être un peu trop d’autofiction qui lui a porté sur le système. Il y a de quoi: tout ce qu’on reprochait auparavant aux biographes d’une certaine école – compter les boutons de gilet, transcrire les notes de la blanchisseuse, etc. – , cette fois, 24 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • c’est l’auteur qui s’en charge, de lui-même, sans qu’on ait à le fouiller, et qui élève le moindre de ses pets au sublime du pur contre-ut. Et tellement péremptoire avec ça. Comme chantait Nougaro, «À Montpellier, même les mémés aiment la castagne…». – Pas Montpellier, rectifie Mateo, il s’agit de Toulouse, ô mon Toulouououse… – Taisez-vous, malheureux portier, fait Gide. Mais vous, cher Michel, ne me dites pas qu’il en va ainsi de toutes les femmes? – Non, non. J’ai déjà cité Marie NDiaye, Marie Nimier, Marie Darrieussecq, l’étonnante Caroline Lamarche, même si c’est absurde de faire une catégorie «Femmes», sauf d’un point de vue historique, peut-être… – Ah, les femmes, c’est l’avenir. Elles sont les premières à nous lire. Et elles ont tout à dire encore. Je crois que j’ai été un peu dur avec elles, la dernière fois qu’on en a parlé, dans ce sauna. Il y en a bien quelques-unes d’agaçantes, c’est inévitable, tout le monde en passe par là, le gémissement, la douleur. Mais ensuite, quand elles seront de plain-pied, quand elles seront plus nombreuses à écrire, on verra ce qu’on verra. Les Anglo-Saxonnes ont déjà commencé. J’aimais bien Marguerite Yourcenar, quoiqu’un peu drapée à mon goût, et Nathalie Sarraute. On ne les voyait pas sans arrêt dans les magazines et elles ne piaillaient pas trop souvent à la télévision, celles-là, comme harengères en lutte. Curieuse, en voyant un auteur dans le poste, cette mienne impression que j’aie de compatir au sort d’un poulet qu’on rissole à la broche, en devanture d’une boucherie en hiver… – Cela dit, maître, il est d’autres femmes moins belliqueuses. En apparence. Marie NDiaye, par exemple, est très talentueuse et respectée. Elle n’a pas eu besoin de crier pour se faire entendre, elle. Sans bouger de sa campagne. Ce n’est pas que je souhaite absolument que tous les écrivains restent aux champs, quoique le bon air leur fasse du bien, mais au fond l’idée ne me déplaît pas… Paris débarrassé de ses écrivains, de ses artistes, entièrement livré aux autocars climatisés des touristes, rendu à sa vérité authentique et festive… Mais passons. Je vous citerais volontiers Marie Darrieussecq, qui a fait quelque bruit avec Truismes, l’histoire d’une jeune femme qui se métamorphosait en truie, comme le héros de La Métamorphose de Kafka se transformait en cancrelat, si je ne craignais que le seul nom de Darrieussecq n’importune Mme NDiaye, les deux romancières • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 25 se sont crêpé le chignon, il y a peu, pour plagiat, je ne sais plus. Je voudrais vous signaler Marie Nimier, une des rares qui ne se répète pas et qui a des sujets originaux, un style onirique très personnel, mais comme nous avons été assez proches, on pourrait y voir un favoritisme discutable, ce qui serait injuste, vous le verrez par vous-même en la lisant. Enfin, le cas le plus singulier de l’an dernier est à chercher du côté de Catherine Millet. – La patronne d’Art Press? – Elle-même. En compagnie de son mari, Jacques Henric, le romancier, qui la photographie, elle raconte ses années de jambes en l’air, partouzes multiples, partenaires à la pelle, le grand tourniquet à l’arrière du camion, la bicyclette yougoslave sur le capot, le turluru dans l’ascenseur, le piège malais à Boulogne... – Qu’est-ce que c’est? – Une combinaison de la balayeuse municipale et du petit Noël des pauvres, deux classiques, adaptée aux sous-bois parisiens. – Halte! Je rends les armes. Au fait, je vous prie. – L’ouvrage, La Vie sexuelle de Catherine M., fait un tabac incroyable. On le traduit dans toutes les langues, bientôt en braille. En tête des ventes à l’étranger, au Brésil, en Allemagne. Et la dame explique à qui veut l’entendre que tout va très bien, elle n’est pas embarrassée du tout par les questions les plus sottement perfides, elle répond à tout avec un flegme superbe. L’étonnant est que son livre soit ainsi, placide, énumératif, amoral, signé par elle. Qu’il soit si paisiblement reçu, lu sur les plages. Elle ne prétend pas faire œuvre littéraire grand genre, ni donner un document brut. Elle a trop d’humour pour cela. Elle nous donne (nous vend) cet objet, qu’elle appelle son «ouvrage», sans autre commentaire, comme une installation d’art moderne. Il n’y a pas trop à gloser: on s’en approche, on en ressent quelque chose ou pas. On peut s’en aller aussi. Il est possible d’ailleurs que l’artiste s’en fiche. – Pourvu que le fric arrive, nuance Mateo. – Ne soyez pas trivial, cruel nocher qui nous indiquez la porte, dis-je. D’autres tiennent le haut du pavé sans avoir, que l’on sache, son vécu. Regardez Beigbeder. Il quitte le milieu de la publicité pour faire la critique de la publicité, en disant: voyez comme je suis malin, je sais que je suis un produit, je le proclame, je donne le prix de mon livre comme titre, 99 Francs (et rebelote avec le passage à l’euro), n’est-ce pas gonflé, ça, et en plus vous 26 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • ne pouvez même pas me traiter de vendu puisque c’est moi qui me suis vendu le premier, à vous, et que mes poches sont pleines de votre argent, librement dépensé. Mieux, tout ce que vous pourrez dire sur la perversité de ce système, je l’ai déjà écrit, vous l’avez entre les mains. – Et c’est bien? – Intelligent, drôle. Paradoxal aussi: on dirait un prisonnier tout heureux d’avoir obtenu de repeindre lui-même les barreaux de sa cage. Il n’en est pas sorti pour autant. Ce livre, je ne suis pas sûr qu’il puisse en rester content bien longtemps. Mais c’est un garçon qui a de la ressource, des lectures, du culot, il anime une émission sur les livres qui se regarde de mieux en mieux. Il occupe une place bien repérée dans le répertoire français, celle du dandy qui irrite et séduit, à la fois désinvolte et bon duelliste... – Ça me rappelle le jeune Pierre Louÿs, une référence de qualité, lui et ses femmes, ses copains. Moi aussi j’ai eu mon réseau, vous savez. La NRF, au départ, c’était une bande de sacrés loustics, reprenez les bouquins de José Cabanis. – Que sont devenus les autres, au fait? – Très morts, merci. Une coterie, il faut la quitter vite, avant d’en devenir le serviteur. Et ce Houellebecq dont on nous a fait tout un fromage, du jamais vu dans la profession ? – Un petit malin, pas très clair au premier abord. Il a eu sa bande lui aussi, et une revue, Perpendiculaires. Tous dans le même bateau, pour ce qui est devant, contre ce qui était avant. Banalement «contre». Ce qu’on appelle le renouvellement automatique des générations. Là-dessus, la revue tombe à l’eau, qu’est-ce qui reste? Le capitaine Houellebecq, décalé et déprimé, quasi aphasique et rigolard intérieur, du genre à se payer votre tête sans avoir l’air de le faire ouvertement, pour vous laisser dans le doute. Un impertinent. – Plutôt sympathique, non? – Trois livres étonnants, dont on ne sait s’ils lui sont venus naturellement sous cette forme ou au contraire si c’est un calcul savant. Je penche pour la première hypothèse, quant à moi. On a dit pour le vendre que c’était «très bien écrit», etc. Non, pas vraiment. C’est très maladroit souvent, d’une gaucherie lamentable dès que l’auteur veut faire joli. Comme ces gens qui n’ont pas de goût et qui font la décoration de leur appartement sans moyens, juste en s’appliquant. Donc, pour l’esthétique, zéro pointé. Mais, c’est peut-être un zéro voulu. Parce que juste • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 27 après, un dialogue, une description sur un ton différent, un changement d’angle, façonnent une perspective qu’on n’attendait pas. Et le soupçon s’introduit chez le lecteur, après une première moue dubitative, le voilà troublé par cette question, toujours la même, qu’on se pose face à ce genre louche: et si ce zéro était voulu, cette médiocrité intentionnelle? L’auteur est très habile à jouer là-dessus. Il se trouve sans doute antipathique ou a peur de l’être, il s’amuse beaucoup à nous placer à notre tour dans ce malaise, devant ce dilemme, de le rejeter ou de l’adopter. Il raconte la vie des petits bourgeois écrasés par la machine sociale, laquelle n’a pas encore réalisé qu’elle était elle-même sur le point d’être envoyée à la casse, rendue obsolète par les récents progrès de la technique génétique. Émile Zola découvrant le clonage. Une nouvelle humanité est en marche, sélectionnée et immortelle, qui va nous balayer comme de vieux moucherons. Déjà que nous n’étions pas tous les jours au mieux de notre forme morale, voilà qui requinque. Mais pourquoi pas, cela se lit trop bien pour être si mal foutu qu’on l’annonce. Évidemment, il a aussi des idées… – Le tourisme sexuel, j’ai cru entendre ça… – Vous avez l’oreille fine, maître, depuis votre caveau. Rien à voir avec vos galipettes africaines d’autrefois. On parle de charters, de tourisme de masse, du sourire des Thaïlandaises et de la sécheresse des vagins occidentaux, etc. On raisonne en masses, en millions. En guerres de religions. A-t-il tort? Les journalistes se défendent d’avoir fait dire à Houellebecq ce qu’il leur a dit et qu’il pense tranquillement. Les éditeurs tremblent, se tâtent. Les jurys s’abstiennent. Le public suit. – Et vous? – J’ai salué Les Particules élémentaires, l’aspect culotté de l’entreprise, l’ambition. J’aime le côté dynamiteur en tricot du bonhomme, avec son Prozac et son chien Clément. Il devrait porter le béret. Je ne suis pas sûr de suivre ses idées, ni de vouloir chercher longtemps le «vrai» Houellebecq, savoir qui il est «vraiment», comme quand on nous parle du «vrai Untel que personne n’a compris». De sa part, c’est un jeu de cache-cache sadique et tristounet avec les lecteurs, comme il peut jouer à la baballe avec Clément – un coup, je te la donne, un coup, tu ne l’auras pas –, qui n’est pas forcément mon idéal à l’heure de la sieste. Mais, c’est encore trop tôt, il a certainement d’autres cartes à abattre. – Et vous n’avez rien de plus gai? 28 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • – Si, si. Jean Echenoz, écrivain sûr, moderne, sans dérapages indécents, calibré par Lindon (il a raconté comment), sans devenir une «minuiterie», bel homme, de l’esprit, discrétion assurée, du talent à revendre. Emmanuel Carrère, très distingué aussi et impeccable auteur de La Moustache, d’une biographie de Philip K. Dick, d’un roman-vérité sur l’affaire Romand, le type qui se faisait passer pour un médecin et qui a trucidé toute sa famille quand on l’a démasqué. Et qui a raté son suicide après. Si tous les usurpateurs qui se prétendent romanciers devaient tuer leur famille, dans certains couples on pourrait faire coup double. – Les écrivains sont des célibataires de fond, même mariés. – Ce n’est pas le cas de Carrère, qui n’est pas un usurpateur non plus mais un élément de premier choix. Il apprend le russe pour écrire son autobiographie. C’est quand même le signe d’un tempérament courageux et original, non? – Tout cela est très bien. Très convenable, dites-moi… – Alors, lisez Maurice G. Dantec, il va vous dégager les bronches vite fait. Trois énormes romans policiers, deux tomes d’un Journal métaphysique et polémique encore plus volcanique. Pas du tout convenable, ni politiquement correct. Il lui arrive de dérailler complètement, je le dis en toute amitié, de partir comme un dératé dans des digressions aberrantes, d’émettre des opinions ahurissantes, mais en même temps il a un sens aigu de la formule et une énergie, une soif, une ampleur, qui transforment la plupart de ses camarades en nains de jardin. Un homme des banlieues qui lit Joseph de Maistre et cite Max Planck, un guerrier, je vous dis. Avec ses excès, ses humeurs. Parfois il en renverse, mais il a un vrai tempérament de conquistador. – Ah! Les grands espaces, la mer. Moi aussi, j’aurais voulu être marin! Gide esquisse de la main le geste de porter des jumelles vers l’horizon. – Pour le mousse, pas plus, murmure Mateo. – Côté grand large, nous avons de beaux voiliers, Marc Trillard, entre autres, chez Phébus, un de nos meilleurs éditeurs. Et Érik Orsenna, qui connaît les grandes houles des cycles économiques, et celles du cap Horn, les marées de l’amour et les reflux de la politique, un homme aux appétits multiples, fervent des îles bretonnes et des jardins du roi, amoureux de la grammaire, c’est un très fin régatier. Michel Le Bris, je le rangerais plutôt avec les flibustiers. Un type qui se révèle en mai 68, alors qu’il ne s’intéressait qu’au jazz et à l’underground made in USA, qui invente un • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 29 festival d’écrivains-voyageurs à Saint-Malo, puis à Missoula, Sarajevo, Bamako. Qui écrit une biographie de Stevenson, en même temps que les aventures des pirates au Siècle d’or, encore une leçon de courage! Je pense aussi à Jean Rolin, ce voyageur qui ressemble à un reporter de guerre de la grande époque, buvant des Singapore Sling au bar de l’Hotel Raffle’s, un des nombreux enfants de Roger Vailland et de Paul Morand. – Eux, des enfants? – Spirituels, maître. D’ailleurs, vous en avez bien eu vous-même… Par ailleurs, nous avons des écrivains du concret, du banal. – Et ça donne quoi, le concret? – On s’émerveille, sur de petites choses sensibles que tout le monde connaît. Philippe Delerm avec un talent certain a regroupé ainsi plusieurs courtes chroniques dans La Première Gorgée de bière, qui ont eu un succès de librairie auquel lui-même ne s’attendait pas. Sur le plaisir de boire un bock quand il fait chaud, de marcher dans des espadrilles mouillées, d’écosser des petits pois, et ainsi de suite. En un sens, il a permis de faire sentir aux lecteurs qu’ils vivaient parfois des choses extraordinaires sans s’en rendre compte ou sans oser en parler. En écrivant et en publiant ces sensations, Delerm leur confère une légitimité existentielle et artistique. Et il prend soin de ne pas s’évaporer dans le mystique, le religieux, parce qu’on pourrait aussi bien glisser dans l’extase à partir des espadrilles, surtout mouillées. Comme un Christian Bobin, qui voit Dieu partout. Mais Delerm est un type sobre, il a les pieds sur terre, même humides. – Les Français adorent pourtant les japoniaiseries, les tarabiscotages calligraphiques et laqués, l’opium des riches, etc. Ces Gaulois dégénérés sont des gogos de l’Asie. Alors pourquoi pas troquer le gros rouge contre un moment de zen? Je parie que vous avez encore des romans sur la nature, les moulins maudits, les dynasties de sourciers. Tout le monde n’est pas Pagnol, ni Giono. Encore moins François Augiéras. – Eh oui, il nous reste des écrivains de terroir, des régionalistes… – Ah, taisez-vous. Cela me lève le cœur. Les épopées rurales… tirages fabuleux, public fidèle, séances de signatures interminables, la pipe au bec. C’est dégoûtant. Hors sujet. – Nous avons encore, dans un registre très différent, tout une gamme d’intellectuels, comme on disait à votre époque. Des penseurs, des humanistes… 30 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • – Ah! Ah! Et ils ont changé d’avis, n’est-ce pas? – Sur quoi? – Mais tout, voyons! – C’est le moins qu’on puisse dire. On a différents modèles, le gourou omniprésent en voie d’éparpillement insignifiant; l’ancien compagnon de route solennel, romantique égaré, qui voyage en solitaire, sombrement; le professeur de morale sorbonnastre, qui se mélange dans ses fiches, l’ancien gaucho, accidenté de la télévision, le psychanalyste de cabaret, tous les genres de beauté existent dans ce domaine et aucun ne tient vraiment la route. Pour un pays de grande tradition, c’en est même navrant. – Un sacré boulot, l’engagement. Hors sujet, les penseurs, donc? – Non, pas encore, il y a des gens très bien dans le lot, Bernard-Henri Lévy, Christian Jambet, mais ce ne sont pas des romanciers, la fiction n’est pas leur outil premier. C’est pourquoi je ne m’étends pas non plus sur mon ami et voisin de palier, Philippe Sollers, d’abord parce qu’il le fait abondamment luimême et mieux que moi – nous sommes de trop vieux amis pour ne pas nous méconnaître –, et parce qu’il est moins fictionneur qu’écrivain à toutes mains. Remarquable critique, partisan des Lumières et de la gaieté, de l’amour et de la musique, égocentrique et très généreux, le plus agile coureur sur toutes les pistes qui s’ouvrent à tout propos, toujours le premier arrivé. Je craindrais d’en dire davantage: il lui arrive de penser qu’il est victime d’un complot visant à le bâillonner. – Mais on n’entend que lui… – Que voulez-vous, c’est un jeu difficile. Restons confiants: n’a-t-il pas écrit Portrait du joueur, après tout? Et il y a enfin des universitaires sérieux, qui font moins de cirque, même si beaucoup sont bluffés par les premiers et leur consacrent des thèses le plus respectueusement du monde. Le spectacle les fascine. Laissons dans leur ombre propice ces terrassiers de l’ennui. Sans remonter aux ancêtres encore vivants, je peux vous citer quan-tité d’universitaires de haute volée, de Jean-Pierre Richard à René Girard, et bien d’autres. Le fait est qu’avec l’effondrement des grands systèmes comme le marxisme, le structuralisme, etc., le métier est devenu ingrat. Plus de système, dispersion des penseurs. Avec les progrès déconcertants de la science dans le domaine génétique, notamment, il ne faut plus compter sur les Français, mais sur un Peter Sloterdijk, un Allemand. Chez nous, cette brusque dévaluation a eu pour conséquence un effet • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 31 Roland Barthes massif. Chacun s’est campé en penseur-artiste, à cheval sur deux rôles, évitant les responsabilités de l’un, les exigences de l’autre. Tout cela ne fait pas une école. Si l’on veut se rafraîchir la santé – car le cerveau est un muscle –, il faut aller du côté des insolents, Philippe Muray, notamment, auteur d’un essai sur Céline qui fait autorité, et grand pourfendeur de l’époque avec Après l’histoire. Et je vous recommande tout spécialement Annie Le Brun, une femme énergique et inflexible, trop femme pour être «féministe», fidèle au surréalisme, à l’esprit de Sade et de Roussel, pas commode du tout, mais c’est ce qui me plaît, l’amitié des indomptables… – Bon, vous n’avez rien d’autre dans votre besace ? – Si, je voulais vous parler de Patrick Besson, autre irrégulier, imprévisible et drôle. De Bernard Comment et de ses hommes-troncs, d’Éric Chevillard et de son caoutchouc… Gide se penche vers moi, et à voix basse: – Dites, vous n’avez pas soif ? Rien que nous deux… Mateo, qui l’a entendu, se dirige vers la porte et la boucle d’un tour de clé. – On ferme! Il éteint les lumières du vestibule. Gide se lève, un peu surpris, en homme guère habitué à être chassé. Je le prends par le coude et lui fais emprunter le couloir qui mène à l’escalier en colimaçon au cœur de la maison. – Où m’emmenez-vous? En bas? Moi-même, dans Les Caves du Vatican… – Aucun rapport. Ici, nous approchons des archives de la Série noire. Gide ouvre les bras, déboutonne son manteau, soulève son chapeau pointu. – Enfin, le roman noir! Le roman populaire! La littérature policière et voyageuse, la plus vivante de toutes. Vous avez lu mes voyages au Congo et en URSS? – Oui, et les retouches au Retour d’URSS, incontestables. – Je n’en doute pas. Écoutez, toute ma vie j’ai dit assez de bien de Virgile et de Shakespeare, sans omettre Goethe, pas vrai? – Cela vous a conféré une respectabilité assez ampoulée, d’ailleurs. Descendre le Congo en lisant Bossuet, et mentionnant le fait dans votre Journal, cela sent un peu la pose. – J’accepte le mot. Mais en fait, j’aimais aussi beaucoup Simenon, même à mi-voix. Et Chandler et Hammett! Sans parler 32 Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau • de l’immense Stevenson! Il y a de tout cela chez moi, comme chez Conrad, vous l’avez remarqué, n’est-ce pas, en maints passages? – Bien sûr, maître. Et tant d’autres choses encore… – Vraiment? Lesquelles? – Attention à la marche, nous sommes chez des gens très bien, mais le plafond est bas. La sortie est par là, vers la cour de derrière. – Vous ne m’avez pas répondu. – Il faut bien vous faire souffrir un peu. Par admiration. Je vous le dirai un autre jour. Sachez pour ce soir que Raymond Chandler sera un jour dans la Pléiade, comme vous. – Excellente compagnie. – Et qu’on parle de transporter Alexandre Dumas au Panthéon. Un signe des temps. Le triomphe de Monte-Cristo. – Voilà qui n’est pas pour moi. Pas du tout mon genre. Vous me voyez là-bas avec tous ces vieux très sérieux? – Non. C’est un honneur, une réparation pour Dumas, oui. Pour vous, ce serait une sorte de malversation. Un déni. – Et puis soyons clairs: le moins qu’on puisse dire, et je m’en flatte, c’est que je n’ai rien fait pour le mériter. D’ailleurs je suis très bien enterré à Cuverville. Mais quand même, j’aimerais bien savoir ce qu’est un écrivain moderne, aujourd’hui. Un mélange de panique et d’ennui monte en moi. De quand date exactement le mot «moderne»? Qu’a voulu dire Rimbaud avec son «Il faut être absolument moderne», que l’on a répété à l’envi sans y penser vraiment? Est-ce que Françoise Sagan est plus moderne que madame de La Fayette? Daniel Pennac plus moderne que Benjamin Constant? La présence d’objets modernes, récemment créés, armes, ordinateurs, comme accessoires dans un roman, aide-t-elle celui-ci à être moderne? Quels sont les situations et les sentiments modernes, inconnus avant nous, en dehors des péripéties liées aux progrès techniques? L’avion, le courrier électronique ont-ils changé en profondeur ou non certains aspects de l’amour, de la solitude, du deuil? Si profondeur il y a, la percevons-nous dans toute son ampleur, avons-nous trouvé le style pour en rendre compte? Ne sommesnous pas d’abord sensibles aux apparences, tellement sensibles que nous en restons là, à cette surface passionnément observée, avec une retenue, une paralysie presque pathétiques et cliniques, nous interdisant de la franchir, de la creuser, d’aller au-delà, derrière, de regarder l’envers ou le dessous, selon le gyroscope de chacun, toutes investigations considérées comme inopportunes, • Michel Braudeau • Avec André Gide sur le pas de la porte 33 inélégantes, désuètes? Tous fascinés par cette caresse des yeux sur le monde apparent, constaté, laissé intact. Les jeunes romanciers américains décrivent cet univers de surfaces lisses et de marques déposées, sans qu’on saisisse bien chez nous le caractère violent de la satire qui se tapit dans cette description d’où les émotions sont bannies. Est-ce moderne? Ou un instant d’anesthésie historique, une ankylose du cœur devant l’accélération du temps? Le moderne est-il le plus proche de nous dans le temps? Et Gide estil moderne? À mon avis oui, mais il doit s’interroger sur sa postérité, une formule de politesse ne l’apaisera pas, je le devine. La minuterie s’éteint. – Ah, dit Gide avec gaieté, déjà l’ambiance, la mise en place, je suppose. – Non, maître. Je dois vous dire que la Série noire ellemême n’est plus ce qu’elle était. Tout change… Je l’aide à gravir un petit escalier dans la pénombre et pousse une porte de secours qu’une loupiote signale. Au-dehors, l’air est frais, des lanternes éclairent la cour. – Mais alors, où allons-nous ? – Nous sortons dans la rue. Nous retournons au monde réel, aux rêves qu’il engendre et à ceux qui le soutiennent. Nous n’écoutons plus les critiques et les donneurs de leçons, nous laissons choir les programmes, les dogmes, les cloisonnements du genre, imposés par des habitudes ou des suggestions commerciales, des manies de classement, policiers, noirs, science-fiction, etc. Tout cela a explosé. Et nous écrivons des romans. Je me retournai tout à coup, ayant l’impression une fois de plus de parler tout seul, et constatai que Gide, à son habitude, avait posé la question, éludé la réponse et filé à l’anglaise. Une saine habitude apprise dans l’au-delà. Mais sur les pavés, dans l’obscurité, je ramassai son mégot fumant de Chesterfield, avec un filtre en liège comme on n’en fabrique plus depuis des années, qui me prouvait avec sa braise encore ardente que je n’avais pas tout inventé ce soir. 35 Le roman français contemporain bibliographie Angot, Christine Bianciotti, Hector Braudeau, Michel L’Inceste, Sans la miséricorde du Christ, Naissance d’une passion, Stock, 1999 2-234-05148-7 Seuil, 1985 2-02-008892-4 Quitter la ville, Gallimard, 1985 2-07-070472-6 Stock, 2000 2-234-05295-5 Seules les larmes seront comptées, Seuil, 1988 2-02-010281-1 Beigbeder, Frédéric Gallimard, 1989 2-07-071544-2 La Non-Personne: une enquête, Comme la trace de l’oiseau dans l’air, Gallimard, 2000 2-07-075793-5 Gallimard, 2002 2-07-041814-6 L’Interprétation des singes, 99 Francs, Grasset, 2000 2-246-56761-0 Bergounioux, Pierre L’Objet perdu de l’amour, Gallimard, 1996 2-07-074497-3 Bobin, Christian Stock, 2001 2-234-05429-X Une Petite Robe de fête, Carrère, Emmanuel Le Premier Mot, Gallimard, 1991 2-07-072244-9 Je suis vivant et vous êtes morts. Philip K. Dick (1928-1982) Seuil, 1993 La Mort de Brune, Gallimard, 2001 2-07-076171-1 Besson, Patrick Les Braban, Albin Michel, 1995 2-226-07851-7 Lettre à un ami perdu, Librio, 1998 2-277-30218-X 28, boulevard AristideBriand, Bartillat, 2001 2-84100-234-9 Le Très-Bas, Gallimard, 1992 2-07-072715-7 2-02-020173-9 La Folle Allure, La Classe de neige, Gallimard, 1995 2-07-074316-0 POL, 1995 2-86744-477-2 La plus que vive, L’Adversaire, Gallimard, 1996 2-07-074582-1 POL, 2000 2-86744-682-1 Autoportrait au radiateur, Chamoiseau, Patrick Gallimard, 1997 Texaco, 2-07-074978-9 Gallimard, 1992 2-07-072750-5 36 Tracées de mélancolies, Traces, 1999 2-9508246-1-7 Chevillard, Éric Bibliographie • Michel Braudeau Laboratoire de catastrophe générale, Gallimard, 2001 2-07-076267-X Le Caoutchouc, décidément, Le Théâtre des opérations, Contre l’imagination, Fayard, 1998 2-213-60187-9 L’Empire de la morale, Grasset, 2001 2-246-59291-7 Minuit, 1992 2-7073-1418-8 Gallimard, 2002 2-07-042114-7 L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, Darrieussecq, Marie Une femme, Naissance des fantômes, Minuit, 1999 2-7073-1659-8 POL, 1998 2-86744-613-9 Gallimard, 1988 2-07-071200-1 Les Absences du capitaine Cook, Truismes, Ernaux, Annie La Place, Gallimard, 1989 2-07-070048-8 Minuit, 2001 2-7073-1734-9 Gallimard, 1998 2-07-040307-6 Del Castillo, Michel Comment, Bernard La Gloire de Dina, Roland Barthes, vers le neutre, Seuil, 1984 2-02-006923-7 Bourgois 1991 2-267-01026-7 Mon frère l’idiot, Même les oiseaux, De père français, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Bourgois, 1998 2-267-01469-6 Fayard, 1998 2-213-60101-1 LGF, 1983 2-253-03244-1 Le Colloque des bustes, Delerm, Philippe Girard, René Bourgois, 2000 2-267-01557-9 Je vois Satan tomber comme l’éclair, Confiant, Raphaël La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Aimé Césaire, le paradoxe, Gallimard, 1997 2-07-074483-3 Stock, 1993 2-234-02618-0 Il avait plu tout le dimanche, Trilogie tropicale, Mercure de France, 1998 2-7152-2031-6 Desclée de Brouwer, 2001 2-220-05011-4 La Sieste assassinée, Glissant, Édouard Gallimard, 2001 2-07-075835-4 Tout-monde, Mille et une nuits, 1997 2-84205-173-4 Dantec, Maurice G. Gallimard, 1997 2-07-040087-5 Passion simple, Gallimard, 1991 2-07-072504-9 L’Occupation, Gallimard, 2002 2-07-076471-0 Girard, René Grasset, 1999 2-246-26791-9 Celui par qui le scandale arrive, Gallimard, 1995 2-07-049495-0 Donner, Christophe Gallimard, 1993 2-07-073681-4 L’Esprit de vengeance, Poèmes complets, Babylon babies, Grasset, 1992 2-246-45652-5 Gallimard, 1994 2-07-073887-6 Les Racines du mal, Gallimard, 1999 2-07-075471-5 Michel Braudeau • 37 Bibliographie Houellebecq, Michel Le Bris, Michel Lévy, Bernard-Henri Extension du domaine de la lutte, Fragments du royaume. Conversations avec Yvon Le Men, Le Testament de Dieu, Paroles d’aube, 1995 2-909096-33-5 Le Siècle de Sartre, M. Nadeau, 1994 2-86231-124-3 Les Particules élémentaires, Flammarion, 1998 2-08-067472-2 Plateforme: au milieu du monde, Les Flibustiers de la Sonore, J’ai lu, 2000 2-290-30161-2 Le Brun, Annie Flammarion, 2001 2-08-068237-7 Les Châteaux de la subversion, Jambet, Christian Gallimard, 1986 2-07-032341-2 L’Ange, Grasset, 1976 2-246-00305-9 La Logique des Orientaux. Henry Corbin et la science des formes, Soudain un bloc d’abîme. Sade: introduction aux œuvres complètes, Pauvert, 1986 2-7202-0195-2 Denoël, 1983 2-282-30235-4 Grasset, 2000 2-246-59221-6 Michon, Pierre Vies minuscules, Gallimard, 1984 2-07-070038-0 Rimbaud le fils, Gallimard, 1991 2-07-071740-2 Millet, Catherine L’Art contemporain en France, Flammarion, 1998 2-08-010300-8 Seuil, 1983 2-02-006453-7 La Vie sexuelle Vingt Mille Lieues sous les de Catherine M., Seuil, 2001 mots. 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Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 43 Qui envisage d’esquisser un tableau de ce qui compte dans le roman français des dernières années éprouve un embarras sans pareil : que choisir ? L’interrogation est moins rhétorique qu’ontologique. Elle ne résulte pas uniquement des doutes légitimes du critique concernant son objectivité, ses connaissances et sa pertinence – il est plus qu’évident que, dans une telle entreprise, on exprime son point de vue et on s’expose, sinon n’auraient jamais existé ni dialogue esthétique ni vie littéraire. Elle est due, cette interrogation, au fait que nous subissons sans relâche les conséquences d’un monde qui a tout misé sur l’éphémère au détriment du durable. Je ne peux argumenter ici sur cette impression. Considérons-la comme un axiome. Toutefois l’axiome ne paraîtra pas si éloigné de la réalité si nous essayons de répondre à la question suivante : peut-on imaginer un débat de fond, une analyse, une découverte tardive ou encore une redécouverte relative à un roman publié trois ou quatre ans auparavant ? Sans la foi en ce qui va durer, sans le sentiment de faire partie d’un monde qui défie automatiquement, viscéralement et systématiquement le temps du calendrier, qui s’oppose à ce qui se consomme, voire se consume, passe et se perd sans retour, la critique littéraire n’a aucun sens pour la simple raison que le jugement esthétique est ontologiquement lié à la durée. Voici alors le terrible dilemme : parler des livres qui ont fait du bruit ou sont susceptibles d’en faire et qui, à coup sûr, seront éclipsés 44 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis par ceux qui en feront encore plus, ou se taire ? Le dilemme que j’évoque n’a pourtant de valeur que théorique. Parce que, aujourd’hui, fort heureusement, le critique n’est pas seul à ruminer ses apories et à recycler ses impasses. Se tient à ses côtés, s’il observe bien, le romancier qui transpose, comme il sied à son art, toute question provenant du monde, en l’occurrence celle de l’éphémère et du durable, en énigme existentielle. En effet, durant ces dix dernières années, plusieurs romanciers ont montré, indirectement j’entends, par leurs œuvres, qu’il existe là-dessous une problématique autrement plus fertile que les dilemmes de la pensée. Ainsi, à la constatation accablante de la victoire définitive du provisoire, ils répondent par le biais d’un nouveau questionnement : et si on essayait de comprendre d’où vient et où va l’homme fossoyeur de toute idée de pérennité ? Et si on s’intéressait davantage à la réalité, le psychisme, le comportement, les mœurs, les ambitions, les inventions et les utopies de cet homme qui, au fond, ne désire qu’une seule chose : ne pas durer plus que l’air du temps ? Ne nous attendons pas à des solutions définitives. C’est le programme artistique qui compte. C’est cette immense promesse d’une véritable création romanesque qui doit retenir notre regard. Reposons donc notre question initiale : Que choisir ? Ce qui est certain, c’est que l’œuvre qui durera n’est désormais plus à chercher parmi celles qui sont conçues innocemment et stylistiquement «pour durer» – encore une étiquette bien gérée par le monde perpétuel du changement –, mais parmi les œuvres destinées à scruter les mystères de l’homme éphémère. Que choisir ? Justement les romans écrits pour appréhender les nouveaux rapports de l’homme au temps et, en général, ceux qui parlent d’un monde qui, pour être en rupture totale avec le précédent, n’est pas pour autant dépourvu d’intérêt romanesque : c’est même le contraire. Sur ce chapitre du temps, pour commencer par l’essentiel, la manière spécifique de vivre le temps propre à l’homme contemporain, trois romans, tous de la même année, 1997, tous travaillés au cœur de cette dernière décennie, me paraissent particulièrement révélateurs. Il s’agit de On ferme de Philippe Muray, Des hommes qui s’éloignent de François Taillandier, et de Drôle de temps de Benoît Duteurtre. Les titres sont déjà suffisamment évocateurs : on ferme, on s’éloigne, on entre dans un temps bizarre, inhabituel. Comme si on prenait la décision de tourner irrévocablement la page ; comme si on s’embarquait sur un navire qui n’accostera plus jamais des ports familiers. Ou, au contraire, parce Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 45 que cela aussi existe, comme si on se réveillait brusquement dans un ailleurs féerique qui correspondrait point par point au monde réel, à l’exception de son poids. Dans ces romans, on trouvera à plusieurs reprises les deux faces de la médaille : tantôt un monde qui se veut radicalement autre par rapport à ce qui a été jusqu’à hier ; tantôt un monde qui aspire à l’identique et pense se perpétuer tel quel dans l’éternité. Rien de plus humain, dira-t-on, qu’être constamment exposé à des désirs contradictoires. Pourtant ce qui distingue notre monde – le monde dont parlent les romans significatifs et qui, bien entendu, est aussi le nôtre mais clarifié, illuminé, comme si, à la lecture de ces romans, on le voyait pour la première fois –, ce qui fait la spécificité de ce monde, c’est sa conviction qu’il est possible de vivre à la fois et l’autre et le même, sa persistance à n’y déceler aucune contradiction. Évidemment il ment. Mais pas de façon ordinaire. Il ment parce qu’il utilise un langage dont les mots et les concepts sont trafiqués. C’est d’abord pour faire face à ce langage falsifié que j’ai choisi les romans ci-dessus avant de passer à une vue d’ensemble. Tous les trois, et de manière exemplaire, nous installent d’entrée de jeu dans la vérité romanesque – pour nous souvenir de l’excellent ouvrage de René Girard, unique par sa compréhension profonde de l’art du roman, Mensonge romantique et vérité romanesque. Ce qui signifie que ces romans nous fournissent généreusement en matière existentielle afin d’arriver à lire pertinemment les mots d’ordre de notre monde. Ce sont donc des romans qui nous aident à comprendre que lorsqu’on fait usage du mot « autre », on faut entendre « vide ». Apparemment on rêve d’altérité ; en fait on ne produit rien d’autre que le néant. On se lance dans des découvertes extraordinaires ; en fait on accumule des projets avortés. On ne jure que par le changement ; notre anorexie existentielle est telle que tout nouveau départ est déjà sapé. Et c’est également ainsi, toujours en suivant le chemin de la vérité romanesque, qu’on comprendra que, lorsqu’on fait usage du mot « même », il faut entendre « spectre » – ce mot essentiel dans la pensée de Jean Baudrillard. Certes, rien n’empêche de continuer à croire qu’il s’agit encore de la même terre, de la même langue, des mêmes institutions, des mêmes relations humaines et des mêmes rapports entre l’homme et l’au-delà ; à vrai dire il n’en est rien. Ce « même » que nous voyons, c’est le « même » vidé de son âme, le « même » vampirisé, le « même » qui a perdu sa raison d’être. Maintenant, une fois les mots justes revenus à leur 46 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis place, nous avons quelque chance de saisir concrètement le monde. Un monde dont l’hyperagitation camoufle le fait qu’il n’est plus touché par la grâce de la création. Un monde qui, par conséquent, se permet toutes les audaces et toutes les libertés, convaincu, en son for intérieur, que tout cela n’a aucun sens, aucun effet palpable, que tout cela se déroule dans un univers fantomatique, inconsistant, irréel, abstrait. Abstrait. Le mot-clé est lancé. On ferme, Des hommes qui s’éloignent, Drôle de temps, tous les romans importants de la décennie en question ne manifestent qu’un seul et unique souci : comment arracher l’homme à l’hydre de l’abstraction ? Mais, se demandera-t-on, n’est-ce pas ce souci qui définit en propre le roman ? Évidemment, Muray, Taillandier, Duteurtre pratiquent le même art que Cervantès ou Flaubert, et renouvellent la même tradition, le même idéal artistique : confronter le concret de l’existence aux chimères de l’abstraction. À cette différence capitale près : les ancêtres avaient à faire à un homme sans cesse menacé par la puissance hypnotique de l’abstraction, aujourd’hui c’est le monde entier qui y succombe. Si bien que le souci permanent du romancier acquiert une importance de vie et de mort : arriverat-il à introduire, à réintroduire le concret de la vie, le prosaïque, le terre-à-terre, le trivial, l’échec, la mort, bref la vérité romanesque dans ce monde qui semble voué corps et âme à l’abstrait ? Plus : qui est l’abstrait. J’ai commencé ce « bilan » par l’embarras ontologique du critique. Voilà que le romancier se heurte, à son tour, à son propre embarras et que les deux embarras se conjuguent. Leurs contenus s’entremêlent. Ils tournent autour du même puits vertigineux. Ils sont le résultat du même problème fondamental : celui de la fuite de l’homme hors du temps ; celui de l’émergence d’un homme qui cherche par tous ses moyens ( sa technique, ses loisirs, sa spiritualité, sa sexualité ) à s’extraire du temps historique. ( Signalons que seul le temps historique s’accorde avec la notion de durée. Le temps a-historique ne connaît pas la durée, seulement la fossilisation du même. ) Aucun élément de la forme, si on se contente d’identifier la forme d’une œuvre d’art à son aspect extérieur, ne nous autorise à rapprocher les trois romans déjà mentionnés. Ni d’ailleurs leur contenu, si on prend pour contenu les histoires racontées. Cependant tous trois témoignent de l’emprise de l’abstraction, Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 47 tous trois constituent des versions de l’« homme sans temps ». De surcroît, tous trois sont indispensables pour comprendre les mutations profondes de la prose française actuelle et l’ampleur de son renouveau. Il est peut-être encore tôt – sur ce point de la distance à l’œuvre observée, comme il a déjà été dit, il ne faut jamais perdre de vue le rythme contraignant qu’impose à la critique consciencieuse l’esprit du temps – pour défendre leur valeur artistique dans une perspective mondiale. Il est temps, il est même urgent de souligner leur signification, leur place centrale par rapport à une période romanesque pendant laquelle une multitude d’œuvres ont fait preuve d’une extraordinaire originalité et d’une surprenante capacité à intéresser un très large public – surprenante capacité, dis-je, parce qu’il faut avouer que le lecteur qui aspire à une certaine qualité avait commencé, depuis deux ou trois décennies, à se résigner au seul roman de laboratoire. On ferme, d’abord. Roman fleuve, aurait-on dit en d’autres temps. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un roman familial ou historique puisqu’il parle d’un personnage sui generis. D’un personnage qui n’est déterminé ni par sa famille, ni par l’Histoire, ni par ses rapports à sa patrie, à Dieu, aux conflits sociaux, etc., ni par son sexe et ni, surtout, par son âge, plus précisément, d’un personnage débarrassé de la cruelle question de l’âge. Lui, il est toujours jeune ; ou, pour être encore plus précis, il est immunisé à fond contre toute poussée de maturité. Il s’appelle Homo festivus. Dire qu’il est partout, c’est de la tautologie. Il est l’âme du monde festivisé, festivocrate et festivolâtre. Du monde en fête. Du monde qui ne fait plus la fête mais qui est devenu, horizontalement et verticalement, fête, immense carnaval non-stop 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il va sans dire qu’il est le personnage superpositif de notre époque, lui dont la « positivité » ferait pâlir d’envie le plus grand héros de feu le réalisme socialiste. Il dit oui à tout. Il est résolument du côté du Bien et, chose remarquable, sans trop d’efforts vu que, par décrets successifs, il a relégué le Mal, tout le Mal, dans le passé. Il ne jouit pas ; il est l’incarnation de la jouissance. Il ne fête pas ; il est l’hypostase de Dionysos. Il ne subit pas l’érosion du temps ; il est la personnification de l’idylle festive, autrement dit du non-temps. Curieux tout de même, comment l’humanité n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle en avait pourtant l’expérience. Elle savait très bien que ses carnavals annuels et ses kermesses échelonnées dans le calendrier permettaient à l’homme de s’évader du temps, de couper court à la 48 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis marche inéluctable du temps, de se bercer momentanément de l’illusion de l’abolition du temps. Enfin, mieux vaut tard que jamais : le voilà, le fameux Homo festivus qui se dresse de toute son autorité, de toute sa masse, contre l’humanité de jadis, qui restaure la fête éternelle et l’emporte décidément sur le temps. Il va sans dire qu’à la fin il provoque – s’en rend-il compte ? – les plus grandes catastrophes. Il va sans dire aussi que nous ne lisons ni une diatribe sociophilosophique ni un prêchi-prêcha prophétique et apocalyptique, mais un roman où le rire le dispute à l’intelligence, une fête de l’imagination soutenue par un verbe où viennent se tresser l’insoumission de Rabelais, la lucidité de Balzac et la raillerie de Céline. Une fête ? Encore ? Eh oui : le roman, dans ses heures les plus heureuses, se nourrit du même poison que le reste du monde. Chez Taillandier on tue le temps différemment, mais non moins efficacement, que chez Muray. Des hommes qui s’éloignent est l’histoire de Xeni, qui, la quarantaine à peine passée, se suicide. L’histoire, c’est beaucoup dire. Pour être certain de ne pas trahir la logique de l’œuvre, il faudrait plutôt parler de la non-histoire de Xeni. Car dans ce roman on découvre ceci d’extraordinaire : on ne dispose d’aucun moyen pour se frayer un chemin vers la vie secrète d’une personne. Le paradoxe est de taille : comment prétendre sérieusement aujourd’hui, à l’ère des Big Brothers et autres Loft Stories, que la route vers l’intimité nous est barrée ? Pourtant c’est ce qui se passe dans ce roman. Ne nous en étonnons pas outre mesure. Qu’est-ce qui nous éblouit dans un roman réussi sinon l’aspect paradoxal de la vie ? Et encore, un roman serait-il valable s’il n’allait pas au-delà de la doxa ? C’est cette doxa concernant la transparence totale de la vie des hommes et des femmes de nos jours, c’est cet exhibitionnisme si fièrement revendiqué par nos sociétés qui est mis à rude épreuve dans Des hommes qui s’éloignent. Finalement, et là le paradoxe est à son comble, le roman de Taillandier fait davantage que démentir un cliché. Il parle du fait que, dans cet endroit jadis appelé « place publique » et récemment transformé, sous la houlette des médias, en alcôve collective, personne ne s’intéresse vraiment à personne. Il parle du fait que cet incommensurable désir de déballage qui s’empare de nos sociétés n’est rien d’autre que le complément psychique d’êtres humains qui n’ont pas envie de connaître quoi que ce soit de la vie de leurs semblables. Preuve en est, ce roman qui marque un tournant troublant dans l’histoire du roman. Il signale la perte de tout intérêt pour notre pro- Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 49 chain, ami, parent ou simplement étranger. La belle affaire, dirat-on : l’homme ne fut jamais autre chose qu’un animal égoïste, cynique, sourd au sort des autres. L’homme, oui. Mais pas le roman. Le roman est venu au monde parce que, justement, on voulait tout savoir de la vie d’un homme (la vie comprise comme un tout, mort incluse). Tandis que, à propos de l’histoire de Xeni qui se suicide, le romancier avoue ouvertement sa totale impuissance à proposer le maillon manquant entre Xeni vivant et Xeni mort. Et pas seulement le romancier. Également l’entourage de Xeni, les amis, les collègues, le quartier, la ville, la société, le monde entier. On parle, on déballe, on s’étale, on interroge, on enquête, on feint de s’intéresser à tout et à tous, et hop !, à la seconde décisive, à la seconde où tout bascule dans le trou noir de l’existence, personne ! Silence. Mutisme généralisé. Oui, on en est là : la Vie (majuscule, s’il vous plaît) appartient à tous et la mort est désormais une affaire strictement privée. En fin de compte, cette transparence si acclamée par la foule n’est pas grand-chose. Elle ne touche que ce qui a été au préalable déclaré du domaine du transparent, c’est-à-dire la vie nettoyée de la noirceur de la mort. On a décrété visible la partie visible de la vie et on a rejeté, en dehors, l’obscurité suprême que constitue la mort. Ainsi, les choses sont au moins claires : on voit le visible dans sa splendeur et on s’efforce d’oublier ces quelques secondes qui, de temps à autre, perturbent la clarté de l’ensemble. De même, personne, dans Des hommes qui s’éloignent, pas même le romancier, ne s’obstine à comprendre l’événement impénétrable, ce qui est tout à fait autre chose que l’absence d’explication. L’explication peut toujours laisser à désirer. C’est précisément l’absence du désir d’en avoir une qui est maintenant surprenante. Fort heureusement, et c’est tout l’art de Taillandier, le roman va même au-delà du constat. Il démontre, par un magnifique retour aux sources inépuisables du romanesque, que l’acceptation de la mort comme partie intégrante de la vie ne relève pas seulement de la simple réalité – ce qui, pour ne pas oublier les constats de On ferme est loin d’être le cas à l’ère festive –, mais aussi et surtout de l’impératif moral de la liberté humaine et que, vu sous cet angle, le camouflage de la mort auquel aspirent nos sociétés est synonyme d’asservissement. D’un autre asservissement, également actuel, nous parle le roman de Benoît Duteurtre Drôle de temps. Le roman est composé de six nouvelles autonomes mais pas totalement indépendantes. Les mêmes thèmes sont vécus par des personnages différents, un 50 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis peu à la manière de Kundera, quoique, ici, la forme soit encore plus disloquée que dans, par exemple, le roman de Kundera Le Livre du rire et de l’oubli. Par ailleurs, on trouve les mêmes esquisses, précises et insolites, des scènes de la vie qui rappellent les dessins humoristiques de Sempé. Et l’ensemble est travaillé avec une extrême économie en fioritures rhétoriques – on ne peut s’empêcher de penser à Beckett. Cet éclectisme esthétique, fortement scellé par un don d’observation sans pareil et une ironie personnelle et inimitable, reflète assez bien les goûts de l’auteur de Requiem pour une avant-garde ( Robert Laffont, 1995 ), essai critique envers un certain modernisme sectaire et puriste, voire puritain. Ce sont donc les goûts d’un écrivain moderne « antimoderniste » qui poussent Duteurtre à embrasser et à pasticher les confrères qui ont su entretenir avec la modernité des rapports libres et ludiques. Ce qui explique en grande partie la disparité compositionnelle si caractéristique de l’ensemble de son œuvre. Disparité, dans le cas de Drôle de temps, tant extérieure (juxtaposition de parties autonomes) qu’intérieure: on a affaire tantôt à une nouvelle classique, tantôt à un reportage, tantôt à un mini-roman, et ainsi de suite. Il faut ajouter à cette polyphonie formelle les variantes relatives au personnage qui abrite à égalité l’auteur en personne, un narrateur neutre, détaché, et des êtres fictifs. Ces quelques remarques suffisent, me semble-t-il, à nous faire penser que, audelà de tous les emprunts créatifs, la véritable source de Duteurtre est le roman picaresque. Sauf que le picaro de Duteurtre ne goûte point à l’aventure. C’est peut-être cette absence de péripéties qui l’oblige avec tant de force à renouveler ses tentatives. En vain ! Où qu’il aille ( à la campagne, à la ville, chez des amis ), quoi qu’il fasse ( tomber amoureux, essayer d’évoluer avec son temps, opter pour la mélancolie des artistes ), le même résultat revient : l’aventure moins sa réalité. D’où vient ce sentiment ? Du fait que notre héros évolue dans un monde partagé en deux moitiés irréconciliables : d’un côté le bien-être de l’homme moderne avec, en corrélat, la destruction frénétique de tout ce qui peut entraver ses appétences ; de l’autre la momification du passé, la transformation du monde en décor, l’arrêt sur image, le musée. Situation jamais connue de la part du picaro de jadis. Lui, s’il partait à l’aventure, c’était parce que le monde entier palpitait, naissait, prenait forme et sens, changeait, bref, se créait sous ses pas. Au monde de Drôle de temps on ne demande plus qu’une chose : feindre l’agitation. Ainsi, à peu près au moment même où Philippe Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 51 Muray fait la découverte romanesque de la fuite hors du temps par la féerie festive, où François Taillandier nous propose de réfléchir sur le sens et la consistance d’une vie vidée de la mort, Benoît Duteurtre nous donne une troisième version du royaume de l’abstraction : vivre à l’intérieur du néo-monde où la création a été jouée une fois pour toutes et où l’homme n’a plus qu’à jouir de l’usufruit. Si je m’intéresse en priorité au roman français de cette dernière décennie, c’est parce que je suis persuadé de sa valeur exceptionnelle et du potentiel créateur qui s’y dissimule. Cependant je crains qu’il ait beaucoup de difficultés pour se faire connaître – surtout à l’étranger. Car on a pris l’habitude de penser la littérature mondiale selon quelques caractéristiques sommaires et collectives et de ne jamais se pencher sur l’inattendu, la surprise, les quelques œuvres qui bouleversent l’image officielle et officialisée, image souvent forgée par des critères et des intérêts extralittéraires. En effet, qui entretient un quelconque rapport avec ce qui se passe hors de l’Hexagone, dans le vaste marché mondial du roman, connaît très bien la réticence des éditeurs étrangers à l’égard de la production romanesque française, artistiquement valable, des dernières décennies. On la juge, de façon presque automatique, sans argumentation et sans preuve. Les étiquettes abondent : nombriliste, avant-gardiste, autobiographique, élitiste, fermée au reste du monde, formaliste, illisible, coupée de la vraie vie, etc. Certes, on pourrait considérer qu’il s’agit de préjugés – d’ailleurs, c’en est en grande partie – et passer outre. Sauf que, à celui qui s’intéresse vraiment au sort de la littérature et aux valeurs artistiques, il est devenu impossible de passer outre ; à force d’être répétés, ces préjugés « bloquent » désormais non seulement les bons romans, mais aussi la réflexion et la politique à suivre pour les défendre. À la difficulté disons endémique d’un marché conditionné par les étiquettes, il faut ajouter, pour ne pas perdre de vue la gravité du problème du temps, celle qui ressort exclusivement de notre mode de vie : justement, nous n’avons pas le temps. On ne nous laisse pas le loisir de réfléchir, de relire et d’analyser les romans qui se distinguent par leurs nouveautés et leur singularité. Pourtant ces romans existent. Mais iront-ils plus loin ? Au cours de ces dernières années, plusieurs romanciers, indépendamment de leur âge et de leur ancienneté dans le 52 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis métier, ont publié des œuvres remarquables. Pour donner une idée plus précise de ce que je considère, dans le siècle écoulé, comme un moment parmi les plus heureux de la littérature française, je mentionnerai quelques-unes de ces œuvres, dans l’ordre de leur parution. Ce ne sera qu’une liste réduite au strict minimum, indicative, qui ne prétendra ni à l’exhaustivité ni surtout à l’infaillibilité. 1992 : Le Libraire et son pygmée de Cyrille Cahen, Texaco de Patrick Chamoiseau, Tout doit disparaître de Benoît Duteurtre. 1993 : Sa femme d’Emmanuèle Bernheim, Vétérinaires de Bernard Lamarche-Vadel. 1994 : Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq. 1995 : La Classe de neige d’Emmanuel Carrère, La Chambre d’amour de Christophe Ferré, Suerte de Claude Lucas, La Gloire des Pythre de Richard Millet, La Lenteur de Milan Kundera, La Puissance des mouches de Lydie Salvayre. 1996 : L’Organisation de Jean Rolin. 1997 : Drôle de temps de Benoît Duteurtre, Roxane de Michel Host, Histoire d’amour de Régis Jauffret, L’Identité de Milan Kundera, On ferme de Philippe Muray, Lu de Morgan Sportes, Des hommes qui s’éloignent de François Taillandier. 1998 : Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, Madame Rose de Michel Déon. 1999: La nuit où Gérard retourna sa veste de Jacques Lederer, Une désolation de Yasmina Reza, Anielka de François Taillandier. 2000 : Porté disparu de Fernando Arrabal, La mer à boire de Dominique Carleton, L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, Le Tour du propriétaire de Nicolas Fargues. 2001: Taisez-vous… j’entends venir un ange de Michel Déon, Comme un bruit d’abeilles de Mohammed Dib, Le Voyage en France de Benoît Duteurtre, Une réunion pour le nettoiement de Jacques Jouet, Rosie Carpe de Marie NDiaye. Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 53 Quoique les auteurs de toutes ces œuvres ne constituent pas un groupe ayant une homogénéité esthétique certaine, ils partagent tous un point commun très fort : ils n’ont pas besoin d’appartenir à un groupe. Ce sont des artistes qui travaillent seuls, des individus distincts qui n’ont servi aucun cénacle, qui n’ont pas cherché leur inspiration dans les ukases des avantgardes idéologico-politiques et qui se méfient viscéralement des écoles, des familles et autres curies. Évidemment, aura-t-on conclu, c’en est fini du temps de ces avant-gardes qui, pour se faire valoir, déclaraient caduc le passé en bloc et qui se sont acharnées à contenir l’esprit créatif dans l’étau idéologique. Certes, mais si nous n’avons pas l’intention de devenir les apologistes du monde tel qu’il est, il ne faut jamais oublier que, si la guerre néfaste des avant-gardes a pris fin, nous le devons principalement à des écrivains qui n’ont jamais cessé de croire à l’individu et de pratiquer l’art en toute liberté. Certains de ces écrivains figurent dans la liste ci-dessus. Les autres, les plus jeunes, sont leurs dignes héritiers. Résultat ? Une prodigalité formelle, thématique et sémantique que nous n’avons pas connue depuis fort longtemps. Aucune conquête du passé n’est a priori écartée. Aucune audace n’est exclue. Cependant retenons-nous de voir dans cette richesse, dans cette diversité, dans ce foisonnement du romanesque, le signe d’une coquetterie postmoderniste, d’une production arbitraire, de syncrétismes abscons et de réalisations in vitro. Ce feuillage multiforme qui ne rappelle aucun arbre a en effet des racines. Pour faire la part des choses et ne pas abuser de métaphores sans rapport véritable avec le processus artistique, il faudrait plutôt dire que le feuillage crée ses propres racines. Car les romanciers dont nous parlons ont beau être dépourvus de groupes protecteurs et promoteurs, ils ont en commun, à part leur individualisme, quelque chose de beaucoup plus important pour l’art du roman : ils ont le sens aigu du réel. Sans avoir au préalable souscrit à une quelconque interprétation prêt-à-porter du réel ( sociologique, politique, psychologique, psychanalytique, déconstructionniste et leurs combinaisons ), ils entrent, par leurs livres, dans des mondes insoupçonnés, obscurs, des mondes inconnus de nous autres mortels surinformés et internétisés. Ils ne se lamentent pas de l’absence d’autorité intellectuelle. Au contraire, ils en profitent, si je puis dire, pour devenir des sortes de limiers solitaires. Chacun sur sa piste. Chacun dans l’univers mystérieux qui grouille sous ce monde que nous 54 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis croyions formé pour l’éternité. Leurs romans sont des percées dans ce qui couve dans les profondeurs de l’homme moderne, des explorations de ce qui se prépare dans les ténèbres de son âme. Sans support sérieux, et surtout « condamnés » à n’avoir aucun lien avec des écoles et des familles artistiques, ces quelques spéléologues du réel – je pense notamment aux romanciers qui mûrissent artistiquement durant cette décennie – affrontent peut-être des risques que n’ont jamais connus par le passé leurs illustres confrères. 1 La deuxième vague arrivera quatre ou cinq ans plus tard avec l’expansion ravageuse d’Halloween. Une décennie romanesque n’est pas censée correspondre à celle du calendrier. Ainsi, la mienne débute en 1992 avec la parution de Tout doit disparaître, de Benoît Duteurtre, de Texaco, de Patrick Chamoiseau, et du Libraire et son pygmée, de Cyrille Cahen. C’est l’année de l’inauguration de Disneyland Paris, à savoir de la première percée massive, et superbement soutenue par les capitaux américains, de l’infantilisme en Europe 1. Il y a infantilisme et infantilisme. Celui des Américains est fortement coloré de la tendance à l’embellissement, au kitsch criard et à l’ostracisme définitif du Mal. Il s’adresse à des enfants infantilisés, disneylandisés, falsifiés, à des enfants qui ont perdu – à vrai dire, qui feignent d’avoir perdu – leur réalité, leur monde obscur et impénétrable où mijotent indistinctement cruauté et innocence. Quel sera l’avenir de l’Europe après cette date fatidique, personne ne peut le savoir. Ce qui est sûr, c’est que cette implantation d’un pays de loisirs – d’un pays conçu par le peuple disneylandisé, pour le peuple disneylandisé et avec le peuple disneylandisé – au cœur de l’Europe marque, de tout le poids d’un événement historique majeur, le fait que dorénavant on préférera la vie dans sa version cartoon que dans sa réalité crue et qu’on fuira le monde du concret pour le monde de la maquette. Revenons à notre liste. Est-il nécessaire de rappeler que la divinité qui indique discrètement au roman le bon chemin est communément appelée hasard ? Ce hasard a voulu que l’année même où l’infantocratie tendance américaine érigeait sa première forteresse en France, paraissaient les romans de Duteurtre, de Chamoiseau et de Cahen, ces romans qu’on peut lire ( rétrospectivement ) comme de formidables signaux d’alarme. Certes, eu égard à leurs auteurs, on trouvera difficilement des points communs. Benoît Duteurtre, âgé d’à peine plus de trente ans au moment de la publication de Tout doit disparaître, hésite entre la carrière de professeur de piano, celle de journaliste ou encore Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 55 d’écrivain. Venu à Paris de sa douce Normandie, il a déjà exprimé dans deux livres précédents le désarroi d’un jeune provincial aux prises avec la vie chaotique de la capitale. Patrick Chamoiseau, le Martiniquais, est un auteur déjà reconnu. Solibo Magnifique, son précédent roman, qui mêlait de manière splendide l’insolite, le rire populaire et la critique sociale, l’impose comme un romancier très important non seulement aux Antilles, mais aussi dans la France métropolitaine, qui s’apprête à accueillir et à couronner – Texaco, Goncourt 1992 – une langue française vue, vécue et génialement revivifiée par les écrivains créoles. Cyrille Cahen est pédopsychiatre, approche la soixantaine et Le Libraire et son pygmée est son premier roman. Ces livres diffèrent encore plus entre eux que leurs maîtres. Tout doit disparaître est l’histoire d’un journaliste spécialisé dans l’actualité musicale. Il parcourt la France, envoie ses papiers aux journaux et rédige ses observations pétries de drôlerie et d’amertume face à un pays qui se relooke en hâte – « qui est en pleine expansion », selon le jargon des journalistes, des économistes et des hommes politiques. Texaco est une épopée, l’histoire d’un peuple qui, sorti de l’esclavage, s’entasse, quelques décennies plus tard, dans des bidonvilles ; c’est aussi l’histoire d’une femme, descendante d’esclaves, qui lutte, contre vents et marées, contre les géants du pétrole et leurs vassaux, contre les urbanismes et autres réaménagements du territoire pour sauver sa baraque, pour sauver son bout de terre, pour s’enraciner, pour persévérer dans le sentiment que l’homme n’est pas un détritus encombrant le paysage urbain et qu’aucune politique de revalorisation du sol ne peut le balayer. En revanche, Le Libraire et son pygmée est une anti-épopée, l’histoire d’un jeune homme simple, content du peu qu’il a, de son travail comme employé dans une petite librairie, de sa vie sentimentale peu exaltante, content en somme de vivre sa vie paisible en marge d’une société qui n’a d’yeux que pour les « Cités de la réussite »2. Or c’est justement sur ce point de la 2 C’est sous ce label que s’organise chaque réussite que commence son drame cocasse. Car il n’a pas le droit année à la Sorbonne un colloque pendant lequel des gens qui ont réussi dans de ne pas avoir d’ambitions. Il a beau vivre dans une société qui la vie sociale livrent aux étudiants leurs formidables recettes. tolère tous les excès, qui légalise tous les caprices de ses sujets, notre héros ne connaîtra de sa société que sa haine implacable envers tous ceux qui ne « bougent » pas. Oublions les loosers et tous les anti-héros de la période noire de l’humanité. Dans ce roman de Cyrille Cahen, même un clochard regarde d’un mauvais œil ce jeune qui ne désire profondément qu’une seule chose : que le monde ralentisse son rythme. 56 3 Même Nietzsche, qui, plus que tout autre philosophe, voyait en l’humanité du Bien le pire qui pourrait arriver à l’homme, ne peut guère nous aider. Car un paradoxe philosophique ne prend pas en considération l’homme concret, l’homme à la fois source et du Bien et du Mal. Une décennie romanesque • Lakis Proguidis À première vue, nous avons donc affaire à trois tempéraments romanesques différents et à trois œuvres liées à des situations dissemblables. Il suffit pourtant d’un peu d’attention pour comprendre que ces trois romans parlent de la même chose. Des gens qui souffrent non à cause de conditions de vie désavantageuses, de calamités indépendantes de leur volonté et de leurs désirs, d’injustices, etc., mais à cause d’un monde qui prétend ne vouloir que leur bien. Manifestement, il s’agit d’une expérience humaine jamais rencontrée auparavant, quand l’individu s’affirmait toujours par rapport à un environnement social, familial ou culturel a priori hostile à ses désirs et à ses projets personnels. Maintenant, c’est le contraire : le monde se manifeste comme un ensemble d’opérations et d’initiatives visant au bien-être de tous, au confort de tous, au bonheur de tous, à la joie de tous. Empruntons un exemple au monde d’antan : la guerre. La guerre n’était-elle pas le Mal ? Bien, mais il y a aussi la suite : puisque c’est le Mal, celui qui s’y dérobe obtient au moins l’approbation tacite de tous. Mais l’urbanisme ( Texaco ), la transformation d’un pays entier en décor de théâtre ( Tout doit disparaître ), ou la course effrénée vers la réussite ( Le Libraire et son pygmée ), sont des personnifications du Bien. Par conséquent, celui qui ne s’y soumet pas ne peut être qu’une bizarrerie de la nature humaine. D’autant plus, et sur ce point il faut insister, qu’il ne peut s’opposer ouvertement ni à l’urbanisme ni à tous les biens que le monde lui propose puisque lui aussi croit sincèrement à leur nécessité. Nous perdrions certainement notre temps si, en essayant de comprendre le mal que produit le Bien, nous lisions traité sur traité (philosophiques, anthropologiques, sociologiques, etc.). Les sciences de l’homme ne sont pas faites pour explorer les paradoxes existentiels 3. En revanche, ces trois romans, sur un fond imaginaire différent, sont des mises en scène de la même situation paradoxale. Nous y suivons la marche triomphante du monde allant du mieux au meilleur, à laquelle tous participent, et parallèlement – oh, mais cela n’arrive que dans les romans qui s’obstinent à douter de tout – nous avons l’impression que l’homme est une tare, que l’homme en chair et en os est à la traîne de cette marche, comme une charge incommode. Je ne saurais tracer avec exactitude le tunnel qui conduit de la disneylandisation de la vie aux découvertes de Duteurtre, de Chamoiseau et de Cahen. Aujourd’hui, à l’ère de l’infantilisation généralisée, une réflexion détaillée et argumentée sur ce mystère me paraît superflue. Cet important tournant roma- Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 57 nesque, cette quête concernant les victimes du Bien, n’a pu débuter qu’au moment où l’humanité canalisait tous les biens potentiels dont elle était capable vers son suprême Bien : l’Enfant. Que le lecteur me pardonne le regroupement un peu scolaire des trente-quatre romans que j’ai effectué plus haut. Il n’avait pour but que de donner une image plus ou moins représentative du roman français le plus récent, qui connaît, à mon avis, pendant cette période-là, une véritable renaissance. Et je pèse mes mots. D’ailleurs, l’apparition durant ces mêmes années d’un romancier de l’importance de Michel Houellebecq suffirait à justifier cet avis. Et Houellebecq ne tombe pas du ciel. Sans vouloir aucunement diminuer la valeur de ses œuvres, il y en a eu d’autres aussi essentielles qui les ont précédées et leur ont succédé. Je dirais même que l’œuvre romanesque de Houellebecq, traduite déjà dans plusieurs langues, une fois isolée de cette période, restera en grande partie incomprise. Plus : si son esthétique n’est pas liée aux énigmes, aux inquiétudes et aux exploits artistiques de son époque, elle sera balayée par les coups médiatiques, elle disparaîtra derrière sa transformation en événement paralittéraire, elle sera réduite à un amas de provocations et de géniales intuitions. Dans cette perspective, il serait peut-être intéressant d’aborder, par l’intermédiaire de quelques-uns de ces trentequatre romans, les trois thèmes indispensables pour saisir les enjeux esthétiques de la période concernée : le rapport à la tradition récente, la continuité de la langue, la rupture créatrice. C’est à travers les solutions concrètes aux problèmes que pose toujours aux artistes le passé de leur art que les romanciers auxquels je pense ont pu redonner au roman français son souffle et sa place particulière dans le monde. Commençons par le rapport de ces romanciers à la tradition récente. Ce n’est que dans les années quatre-vingt-dix qu’on a cessé de projeter toute œuvre d’une certaine valeur sur feu le nouveau roman. Jusque-là c’était presque un rituel : on ne pouvait se concentrer sur telle ou telle œuvre pour dégager sa nouveauté ; il fallait d’abord examiner si elle était apte à susciter auprès des doctes avant-gardistes et autres spécialistes autant d’intérêt que le nouveau roman. Si, au moins, on comparait les œuvres ! Mais non. On comparait les concepts et les intentions, latentes ou explicites, de laboratoire. À vrai dire, il serait injuste d’imputer au commentaire ce handicap. La circonspection fut principalement artistique. C’était le roman même qui louchait 58 4 Je tiens à préciser que le calendrier de la création ne suit pas forcément le calendrier ordinaire. Par ailleurs, si nous trouvons dans des romans qui succèdent de quelques mois à Tout doit disparaître, Texaco et Le Libraire et son pygmée des éléments qui logiquement annoncent leurs conquêtes, c’est parce que, dans une si courte et si dense période, pratiquement tout coïncide avec tout et est redevable de tout. Une décennie romanesque • Lakis Proguidis jalousement vers ces périodes glorieuses où l’on confectionnait à Paris la mode littéraire pour le monde entier. C’était le roman même qui hésitait à se lancer sur des pistes absolument nouvelles, à s’exposer seul sans la carapace confortable d’une originalité acquise une fois pour toutes, ou, encore plus loin, capable de bouleverser totalement les données. De ce point de vue, deux romans de 1993, Vétérinaires, de Bernard Lamarche-Vadel, et Sa femme, d’Emmanuèle Bernheim, me paraissent révélateurs de la persévérance d’une certaine discipline solidement formaliste des années cinquante et soixante aussi bien que de formidables précurseurs 4. En effet, du côté de Vétérinaires, cohabitent de manière conflictuelle, explosive, les codes figés de l’« école du regard » avec l’imprévisibilité de la nature. C’est l’histoire de l’ascension d’un vétérinaire aux plus hautes instances de la prestigieuse et toute-puissante Union des vétérinaires. En fait, il s’agit de la descente, de la parodie en règle de tous les quadrillages interprétatifs du réel. C’est l’écroulement d’une réalité conçue in vitro devant la force – heureusement – incontrôlable de la nature animalière. C’est du nouveau roman au moment où le « regard », ayant obtenu son extrême « objectivation », s’annule sous les griffes d’un chien. C’est la porte qui s’ouvre subitement à la vie. On laisse entrer de l’air. Mais on ne quitte pas la chambre. C’est un roman où l’on continue à explorer la technique d’un œil qui s’est substitué au pinceau, doublé d’une ironie tantôt féroce – parfois autodestructrice, qui rappelle Le Bavard (1946) de Louis-René des Forêts – , tantôt subtile et discrète qui nous fait penser à L’Acacia (1989 ) de Claude Simon. Chez Emmanuèle Bernheim, nous pouvons constater le même genre de cohabitation. Ici c’est le « minimalisme » de la basse époque des années soixante-dix et quatre-vingt et, carrément, l’« impassibilité » des années quatre-vingt qui rivalise avec l’impétuosité. C’est surtout le cas de Sa femme. À la surface, le calme, la phrase est modérée, courte, facile. Contentons-nous de raconter, semble insinuer l’auteur, le peu que nous avons senti et le peu que nous avons à dire. Cependant sous le manteau se cache la lame : une femme qui drague. La belle affaire, dira-t-on. Sauf que l’affaire n’est pas si simple. Car cette héroïne romanesque qui drague n’est pas un cas supplémentaire de la vaste littérature érotique, mais le symptôme d’une nouvelle humanité, d’une nouvelle ère érotique, le signe que Don Juan a changé de sexe. Ce qui a d’énormes conséquences. Car, nous dit Sa femme, l’homme dépossédé de son peut-être unique rôle de séducteur Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 59 occupera, dans la nouvelle répartition du jeu érotique, une place de beaucoup inférieure à celle qu’occupait jadis la femme opprimée. Et cette révélation romanesque est contenue dans un habit simple, quotidien comme s’il s’agissait déjà d’une situation banale. Ici encore, la réussite vient du fait qu’on a détourné la forme initiale de sa présupposée destination : le « peu d’expressivité littéraire », non pour représenter le « peu d’existence », mais, au contraire, pour approcher et regarder avec la prudence nécessaire les monstres qui somnolent dans les entrailles de notre monde. C’est aussi, pour ne pas perdre de vue les quelques exploits d’avant notre décennie, le cas de Vies minuscules (1984), de Pierre Michon, roman mettant en scène un autre couple antithétique : une rhétorique extrêmement travaillée, somptueusement rythmée, pour raconter la trivialité de la vie, des faits divers à ras de terre. Exemple qui sera suivi et merveilleusement enrichi par Richard Millet dans sa trilogie La Gloire des Pythre (1995), L’Amour des trois sœurs Piale (1997) et Lauve le pur (2000). Ce qui ressort nettement de ces œuvres ( Vies minuscules, Vétérinaires, Sa femme ), disons de transition par rapport aux véritables conquêtes romanesques de la décennie quatre-vingt-dix, c’est qu’on expose les formes artistiques déjà assimilées aux forces aléatoires de l’existence. Il faut attendre Extension du domaine de la lutte ( 1994 ), de Michel Houellebecq, et On ferme ( 1997 ), de Philippe Muray, pour que l’interrogation existentielle se régénère dans des formes nouvelles, adéquates, pour que le jeu formel soit de nouveau pétri des mystères indéchiffrables du monde. Observation qui nous conduit au deuxième thème, celui de la continuité de la langue. Car si on peut redéfinir de fond en comble le jeu formel, abandonner au besoin les terrains arides des performances littéraires les plus récentes, arbitrairement et abusivement ludiques, en faveur des frais bocages du prosaïque, peut-on faire fi du souci dont ont témoigné pour la langue les grands écrivains français ? Or, objectera-t-on, quel écrivain ne s’intéresse pas à sa langue ? Certainement, j’ai conscience de la tautologie : écrivain égale d’abord souci accru pour la langue de son pays. Sauf que, en France, cette évidence a un sens différent. Le souci de l’écrivain français pour la langue de son pays abrite aussi le souci pour la langue d’une civilisation. Pour des raisons historiques et culturelles, au fil des siècles les écrivains français n’ont pas seulement perfectionné une langue nationale, ils ont parallèlement édifié une civilisation. De sorte que, aujourd’hui, 60 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis dans chaque recul du français, dans chaque rétrécissement de son territoire culturel, meurt un aspect du monde, expire un de nos mondes, comme ont expiré le monde grec et le monde latin. Et ce recul, comme chacun sait, est réel, incontournable, définitif. Avec quel courage, dans quelle perspective et au nom de quelle illusion se mettrait-on à créer en français, tout en sachant que Rabelais, Balzac, Proust et Céline ont écrit leurs œuvres dans une langue qui est condamnée à mourir? Pourquoi écrire si ce n’est pour aspirer à la poursuite de la grandeur? Pour l’honneur? Pour cantonner le splendide édifice de jadis dans une réserve naturelle ? Pour transformer l’universel d’hier en « exception » ? Aucun écrivain menacé par la domination linguistique anglo-saxonne ne vit le drame de l’écrivain français. Que faire ? Là-dessus, c’est aussi aux années quatre-vingt-dix d’apporter une réponse qui, si elle ne conduit pas au salut, et pour cause, a au moins le mérite de l’honnêteté artistique. Avant de l’évoquer, il faut nous rappeler un heureux événement. C’est en 1995 que Milan Kundera publie La Lenteur, son premier roman écrit directement en français. Un geste doublement significatif. Premièrement, il s’agit d’un signe de solidarité, d’une défense de la langue française à un moment où, après la chute du communisme, on voit les bastions francophones d’hier, telles la République tchèque, la Pologne et la Roumanie, succomber l’un après l’autre à la poussée de l’anglais. Deuxièmement, à la lumière du roman, on peut déceler les attaches profondes de l’auteur de La Plaisanterie à l’héritage culturel français. La Lenteur est une surprenante confrontation romanesque entre le XVIIIe siècle libertin et le XXe siècle finissant dans la frénésie de la vitesse. On sait qui l’emporte dans le monde réel. Consolons-nous, dans la fiction c’est la lenteur qui triomphe. Ou, pour ne pas trahir la poétique résolument anti-kitsch du romancier, laissons tomber nos enthousiasmes chimériques et écoutons la plainte qui s’en dégage : ah, si le français, le français où luit toujours le franc amour du plaisir, pouvait au moins freiner un peu notre course folle vers nulle part. Et si on déclinait autrement cette plainte ? Si on ne demandait plus au français de se regarder mourir avec amertume ? Si on s’insurgeait ? Si on s’essayait à dévoiler le monde qui est en train de détruire le monde français ? Si on s’intéressait davantage à cette nouvelle civilisation planétairement unifiée, labellisée anglo-saxonne, qui pointe à l’horizon ? Tel me paraît le pari de Richard Millet, l’auteur du Sentiment de la langue ( 1993 ), un essai sur la langue française travaillé à peu près à la même période Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 61 où a paru La Gloire des Pythre, le premier livre de sa trilogie « paysanne ». Fort heureusement, ni la presse littéraire ni les libraires n’ont manqué de remarquer l’importance de ce roman. Il me semble pourtant qu’on a trop souligné l’excellent travail de Millet sur la langue – estimation pleinement justifiée et par son roman et par ses travaux d’essayiste –, et qu’on a laissé dans l’ombre les raisons profondes qui ont poussé le romancier à ce labeur précieux sur les mots, sur les phrases et le rythme. On a applaudi cette langue somptueuse, cette langue qui embrasse pareillement la mort, la merde et la prière, le deuil et le mariage, la cruauté et le chant – mais pour quoi faire ? dans quel but ? N’est-ce pas parce que la langue de cette trilogie, plus particulièrement celle de La Gloire des Pythre, une langue lente comme un chant funèbre, enveloppante comme un linceul, robuste comme le marbre, est censée accompagner un enterrement ? Pas n’importe quel enterrement. Ici, dans ce roman, on enterre la terre même, on enterre la nuit qui l’emporte toujours sur toutes les entreprises humaines, on enterre le grand temps destructeur, nos idylles éphémères et nos tentatives pour occulter son emprise impitoyable. Oui, aussi paradoxal qu’il paraisse, dans ce roman nous assistons à l’enterrement de la mort ou, ce qui revient au même, à la domestication totale de la nature, à son asservissement, à sa transsubstantiation en décor. C’est à ce prix fort, à cette prise de conscience aiguë et ultime de la nature de la fin qui s’amorce dans la mort du français, que cette langue aura un rôle artistique de premier ordre à jouer dans le monde entier. Si le français aspire encore à de glorieuses conquêtes, il doit, sans tergiversations et sans effets spéciaux, décrire et démystifier le mensonge ontologique de la civilisation ascendante, la première dans l’histoire de l’humanité qui, absorbée dans ses fantasmagories technologiques, ne veut plus entendre parler de la mort. Cependant Richard Millet n’est pas le seul romancier à revendiquer la créativité du français. Il n’est pas le seul à avoir tourné le dos aux artifices littéraires, aux expérimentations ennuyeuses et aux voix d’alarme corporatistes; il n’est pas le seul à avoir compris l’urgente nécessité de témoigner du fait qu’on vient de se réveiller dans un monde nouveau, radicalement autre que tout ce qu’il nous a été donné de connaître jusqu’à maintenant. Autrement dit, pour passer au troisième thème, le français n’existera que comme fracture par rapport au monde tel qu’il est et tel qu’il semble aller. Il ne s’agit pas d’un radicalisme factice, monotone, théo- 62 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis rique ; il ne s’agit pas d’un radicalisme de positions prises et de démystifications puisées dans l’arsenal du verbiage subversif. C’est un radicalisme romanesque : on voit via le roman ce qu’on n’a pas encore vu, on voit « en roman » l’ampleur et la profondeur des destructions à venir. Ainsi, tous « mes » romans, et d’autres dont j’ignore probablement l’existence, renforcent le sentiment que nous sommes actuellement confrontés à un monde absolument nouveau. Notons en passant que ce monde qui a rendu caducs les anciens modes de perception, spirituels, conceptuels et artistiques, ne se livrera qu’à l’art qui osera l’envisager tel qu’il est, à savoir comme un monde qui a coupé tous les ponts avec le passé. Encore une fois, j’aurai recours à quelques romans de ma liste pour donner une image de ce radicalisme romanesque. Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, prouve – romanesquement, j’entends, je ne reviendrai plus sur une telle évidence – que la société humaine n’existe plus ! Elle a été remplacée par celle des cadres. Employer dans leur cas le terme de société ne peut être qu’abusif. Il faudrait plutôt parler d’un troupeau de nomades, voire de monades exécutant une somme d’activités afin de s’exciter mutuellement et de croire qu’ils forment ainsi une véritable communauté. Dans La Classe de neige d’Emmanuel Carrère, nous vivons le cauchemar d’un garçon dont le père est pédophile. Cependant c’est moins un récit romanesque tiré, dirait-on, d’un fait divers que le renversement d’un monde depuis ses fondements. Car en la personne de ce père de famille affectueux et de ce garçon tremblant d’une inquiétude innommable, on voit notre société dans sa terrible nudité : ayant banalisé le vice, elle tremble maintenant devant la possibilité que n’importe quelle famille paisible, normale et prospère, puisse abriter des monstres. Avec La Chambre d’amour de Christophe Ferré, on rend visite au monde des visiteurs communément appelé touristes. Ne nous attendons pas à des considérations sociologiques ou à des observations bêtement ironiques contre les touristes. D’ailleurs, à proprement parler, ces touristes on ne les voit pas. Ici, on découvre le monde à l’âme touristisée. Ici, on découvre l’homo touristicus dont le cerveau est uniquement constitué de cartes postales, de prises de vue et de réflexes précatalogués par les agences de voyages – et cela dès la plus tendre enfance. Dans La Chambre d’amour (c’est le nom d’un hôtel), on ne regarde pas le monde, on filme, l’homme étant devenu cinéaste, acteur et spectateur de scènes mille fois recyclées. Dans ce roman on ne vit pas, on participe de tout son être à la touris- Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 63 tisation du monde. Dans La Puissance des mouches de Lydie Salvayre, on assiste aussi à une sorte de tournage. Un fils parricide joue magistralement son inculpation. C’est lui qui mène l’enquête, qui trie les événements, qui surveille l’acte d’accusation. Résultat ? Il obtient la sympathie de tous, lecteur du roman inclus. Cela dit, nous sommes aux antipodes du Meursault de L’Étranger, héros tragique d’un monde absurde. Le héros de La Puissance des mouches n’est pas tragique, il est malin. Il connaît magnifiquement tous les rouages de notre monde viscéralement anti-autoritaire, toutes nos théories et autres plaidoyers en faveur du « fils » et contre le « père ». Il ne lui reste donc que la mise en scène de la justice supérieure à celle des lois, la justice des enfants accusateurs d’autant plus redoutables qu’ils sont criminels. Un autre roman, Histoire d’amour de Régis Jauffret, aboutit, d’une certaine manière, au même résultat : le crime n’est plus difficile ; il suffit de traduire correctement la logique profonde du monde. Dans Histoire d’amour, un homme viole systématiquement une femme, et toute la société ( parents, justice, collègues, amis, voisins ) se montre impuissante devant sa force destructrice. Pourquoi ? Parce qu’il la viole avec sympathie, par amour. Parce qu’il prétend être amoureux d’elle. Parce qu’il rêve à une famille, à un foyer, à des enfants. Parce que, a priori, il est du côté du Bien. De la violence gratuite, dira-t-on. Corrigeons d’après le roman : c’est la violence qu’on appelle « gratuite », faute d’avoir admis que nous vivons déjà dans un nouveau monde et faute d’avoir compris son langage. Et ainsi de suite dans de nombreux romans. Avec Roxane de Michel Host, c’est l’annihilation de l’érotisme par le mécanisme bien huilé du sexe pour tous. Avec La nuit où Gérard retourna sa veste de Jacques Lederer, et Une réunion pour le nettoiement de Jacques Jouet, c’est l’effacement du monde du travail face au triomphe des spécialistes ès économies. Avec Une fuite ordinaire de Fabrice Lardreau, c’est la perte du contact avec le monde pour les richesses fictionnelles des cartes de crédit. Avec Une désolation de Yasmina Reza, et Rosie Carpe de Marie NDiaye, c’est l’élimination de l’homme par son intégration, ô combien volontaire, dans l’utopie ultramoderne du bien-être. Ainsi de suite, roman après roman, se dévoile cette certitude qui, pour être ignorée par les sciences de l’homme, est pourtant bien installée dans nos âmes: dans ce meilleur des mondes qui est le nôtre, tout va de travers. 64 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis On sera peut-être tenté d’expliquer le radicalisme du roman français contemporain par les changements profonds dont notre monde est devenu le théâtre depuis une bonne douzaine d’années : chute du communisme, triomphe planétaire de l’idéologie du marché libre sous la surveillance serrée des ÉtatsUnis, flambée des guerres ethniques, du terrorisme, du fanatisme religieux et du banditisme, consolidation et progression spectaculaire de la Pax americana par des guerres ressemblant à des jeux électroniques grandeur nature, développement tous azimuts de la biotechnologie, clonage, sida, mondialisation, unification de la planète sous le signe de la communication informationnelle, croissance exponentielle des loisirs, alignement de la terre entière sur la culture et la manière de vivre américaines et j’en passe. Cependant il me semble vain et même faux d’expliquer ceci par cela. Le renouveau romanesque dont nous parlons ici est d’abord contemporain de ces événements majeurs. Ensuite il ne faut jamais oublier que le roman n’est pas un miroir. Ni un décor. Mais un « observateur » faisant partie du jeu. Un art vivant. Un art où se mélangent à chaud nos désirs les plus profonds, nos inquiétudes les plus justifiées et nos projets contradictoires. Un art qui peut, par conséquent, nous aider à mieux nous comprendre et à mieux saisir tout ce qui émerge dans le monde, tout ce qu’on a appris à envisager par mass media interposés, sans jamais en examiner les retombées existentielles, soit comme des catastrophes, soit comme des avancées salutaires de l’humanité. Le rôle du roman n’est ni de condamner ni d’applaudir les nouvelles situations dans lesquelles évolue l’homme. Mais d’y déceler ce qui les différencie radicalement de toutes les précédentes et, parallèlement, de nous faire comprendre que l’homme n’est ni victime ni complice du monde, mais, potentiellement, les deux à la fois, car, si l’on peut dire, il le précède. Ce qui explique l’étrange sentiment que nous avons parfois à la lecture d’un grand roman. Nous avons l’impression que ce que nous considérons comme réel répond à un désir sournoisement niché, avant sa « réalisation », dans le for intérieur de l’homme. Le mérite d’un certain nombre de romans français récents est d’avoir découvert ce désir, de l’avoir poursuivi dans le labyrinthe de l’existence et décliné en de nombreuses expériences artistiques. Ce désir a un nom: abstraction. Autrement dit, on préfère l’image à la chose. Rien de tout ce qui advient actuellement dans le monde ne serait possible sans l’avènement d’un homme nouveau, d’un homme qui aspire à l’abstraction, d’un homme qui Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 65 voue délibérément à l’abstraction son existence, ses dieux, ses biens et ses projets. J’ai commencé ces réflexions par quelques remarques sur la critique littéraire qui trahit son essence lorsqu’elle se soumet aux impératifs du calendrier éditorial. Si c’était là son seul handicap, la situation ne serait pas si catastrophique. Tôt ou tard on verrait clairement que le roman français non seulement redonne signe de vie, mais impose déjà en France et à l’étranger sa voix unique. Cependant, force est de constater que, dans son agréable rebondissement, le roman français s’est trouvé terriblement seul. Les quelques essais théoriques et critiques parus vers la fin des années quatre-vingt-dix continuent tranquillement la discussion avec feu le structuralisme et avec la critique littéraire universitaire autour de problèmes pseudo-esthétiques que cette dernière a soulevés faute de romans marquant un nouveau départ. Ainsi, le divorce fut consommé : d’un côté une critique qui se contente de son propre commentaire sur elle-même, de l’autre un roman qui, de tâtonnement en tâtonnement et d’audace en audace, a reconquis sa place de meneur du jeu littéraire. Seul ? Il serait plus juste de dire : avec l’appui généreux des ancêtres. Car si on voit difficilement l’apport de la critique institutionnalisée aux romanciers qui se sont démarqués de la littérature « laboratoire » pour se ressourcer dans la vie réelle, on ne peut passer sous silence le fait que, dans leurs œuvres, revivent tous les grands ignorés par modernisme dogmatique de la deuxième moitié du XXe siècle, comme Valery Larbaud, Jean Giono, Marcel Aymé et tant d’autres. Si, en cette fin de siècle la critique littéraire est absente de la création véritable, nous ne pouvons pas en dire autant de la critique en général. Trois essais notamment se distinguent par leur concordance avec les préoccupations majeures des romanciers. Le tout premier dans le temps, L’Empire du bien, de Philippe Muray, publié en 1991, pourrait être considéré comme le commentaire avant la lettre de toute création romanesque ultérieure. L’idée est que nos sociétés ont massivement opté pour la « Glucocratie » ( du grec glucos, sucré ), pour le kitsch, pour l’embellissement par le camouflage. À l’approche du troisième millénaire, les monstres de Staline et d’Hitler ayant été définitivement balayés de la surface de la terre, l’homme soulagé s’autoproclame entièrement du côté du Bien. De sorte que, à partir de ce moment « historique », tout devient plus facile : on 66 Une décennie romanesque • Lakis Proguidis n’a qu’à ranger dans les poubelles de l’Histoire l’Histoire même et toutes ses guerres, haines et autres exterminations. Et si la réalité démentit constamment cette abstraction flagrante, tant pis pour elle : elle ne sera, elle aussi, qu’une survivance du passé, une survivance de l’époque du Mal. Les deux autres essais furent écrits vers la fin de la décennie : Vivre et penser comme des porcs ( 1998 ), de Gilles Châtelet, et L’Enseignement de l’ignorance ( 1999 ), de Jean-Claude Michéa. Le premier parle de notre Science qui coupe fièrement ses amarres avec l’humain, avec l’homme concret, avec sa réalité sociale, politique et historique. L’autre parle de notre École qui, ayant remplacé le savoir par l’information et la transmission par les réseaux, les flux, les contacts et les désirs virtuels, isole l’homme de son passé et de ses semblables. Ces trois essais tournent autour du même phénomène : l’entrée fracassante de nos sociétés dans l’ère de l’abstraction. Leurs auteurs, partant de perspectives différentes ( respectivement éthique, cognitive et sociale ), créent ou réinventent des concepts adéquats afin de mieux saisir les multiples aspects de cette ère nouvelle. Le tableau peint par l’esprit critique resterait pourtant incomplet sans la quête romanesque, sans la descente dans les mystères infinis de l’existence. Il serait erroné d’interpréter la rupture de ces quelques romans avec le passé le plus récent comme une fuite en avant. Au contraire, on peut légitimement parler, dans ce cas précis, d’une fuite en arrière. Parfois, en les lisant et en les relisant, j’ai l’impression que cette rupture ouvertement affichée n’est pas autre chose qu’un effort pour renouer des liens avec le passé le plus reculé. Le plus souvent, je vois dans cette renaissance romanesque une réponse artistique singulière aux reproches que Witold Gombrowicz, cet enfant terrible du modernisme, adressait au roman français, en 1968, dans ses entretiens avec Dominique de Roux : « Primo : c’est théorique. Intellectuel. Fabriqué. D’inspiration scientifique. Abstrait. L’art à genoux devant la science qui le mène par le bout du nez. Secundo : ça vit en vase clos. L’un écrit pour l’autre. C’est le principe de l’admiration mutuelle. Tertio : c’est pauvre. Leur but sera toujours économie, pureté, quintessence, ‹ l’art pour l’art ›, ‹ l’écriture pour l’écriture ›, ‹ le Lakis Proguidis • Une décennie romanesque 67 mot pour le mot ›. Quarto : c’est naïf. La foi en l’art. La foi dans le mythe ‹ je suis créateur ›, ‹ je suis artiste ›. Quinto : c’est monotone. Ils font tous à peu près la même chose. Sexto : c’est dans la lune. Ça n’a pas les pieds sur terre. Abstraction. Obstination. Solipsisme. Onanisme. Déloyauté vis-à-vis de la réalité. » Et un peu plus loin : « Vous n’avez que ce que vous méritez. Vous avez tant persécuté ce malheureux ‹ moi › que vous en êtes arrivés à une littérature impersonnelle, donc abstraite, donc irréelle, donc artificielle, cérébrale, veule, dépourvue de force, d’élan, de fraîcheur, d’originalité, et acharnée dans l’ennui. Où est-il donc le bon vieux temps où Rabelais écrivait comme un marmot fait ses besoins contre un arbre, pour se soulager ! L’ancien temps où la littérature respirait à pleins poumons et se créait en liberté, entre les gens, pour les gens ! » J’ignore si « le bon vieux temps de Rabelais » est de retour. Je n’ose pas rêver à un tel bonheur. Ce que je sais avec certitude, c’est que, durant cette décennie, le roman français a répondu point par point aux accusations bienveillantes de l’auteur de Ferdydurke. Et surtout sur celui-ci. Dans tous ces romans, on rit. Le rire étant le propre de l’homme, il n’est probablement que son seul et ultime recours pour lutter contre les démons de l’abstraction. 69 Le roman français contemporain bibliographie Arrabal, Fernando Carleton, Dominique Le Funambule de Dieu, La Mer à boire, Taisez-vous… j’entends venir un ange, Écriture, 1998 2-909240-34-7 Denoël, 2000 2-207-25014-8 Gallimard, 2001 2-07-076178-9 Porté disparu, Carrère, Emmanuel Dib, Mohammed Plon, 2000 2-259-19272-6 La Classe de neige, Si diable veut, Bernheim, Emmanuèle POL, 1995 2-86744-477-2 Albin Michel, 1998 2-226-09567-5 Sa femme, L’Adversaire, Gallimard, 1993 2-07-073588-5 POL, 2000 2-86744-682-1 Comme un bruit d’abeilles, Vendredi soir, Castaignède, Monique Albin Michel, 2001 2-226-12253-2 Gallimard, 1998 2-07-075087-6 Chroniques barbares Duteurtre, Benoît (nouvelles), Rocher, 1999 2-268-03438-0 Tout doit disparaître, Chamoiseau, Patrick Gaieté parisienne, Texaco, Gallimard, 1996 2-07-074406-X Berthet, Frédéric Le Retour de Bouvard et Pécuchet, Rocher, 1996 2-268-02224-2 Cahen, Cyrille Gallimard, 1992 2-07-072750-5 Le Libraire et son pygmée, Daillie, François-René Castor astral, 1992 Le Divertissement, 2-85920-199-8 L’Escampette, 1996 2-909-42836-2 Gallimard, 1992 2-07-072626-6 Drôle de temps, Gallimard, 1997 2-07-074808-1 Les Malentendus, Castor astral, 1993 2-85920-222-6 Déon, Michel Gallimard, 1999 2-07-075447-2 Madame Rose, À propos des vaches, Cannone, Belinda Albin Michel, 1998 2-226-10426-7 Les Belles Lettres, 2000 2-251-44164-6 La Serveuse, Trois Nuits d’un personnage, Stock, 1994 2-234-04276-3 Le Voyage en France, Gallimard, 2001 2-07-075896-6 70 Fargues, Nicolas Bibliographie • Lakis Proguidis Le Tour du propriétaire, Fragments de la vie des gens, La nuit où Gérard retourna sa veste, POL, 2000 2-86744-742-9 Verticales-Seuil, 2000 2-84335-052-2 Fayard, 1999 2-213-60438-X Ferré, Christophe Jouet, Jacques Lucas, Claude La Chambre d’amour, Une réunion pour le nettoiement, POL, 2001 Suerte, Arléa, 1995 2-86959-248-5 Plon, 1995 2-259-18216-X La Septième Nuit, 2-86744-813-1 Masson, Jean-Yves Seuil, 2000 2-02-039550-9 Kundera, Milan L’Isolement, La Lenteur, Host, Michel Gallimard, 1995 2-07-074135-4 Verdier, 1996 2-86432-250-1 Roxane, Zulma, 1997 2-84304-001-9 Millet, Richard L’Identité, La Gloire des Pythre, Gallimard, 1997 2-07-075194-5 POL, 1995 2-86744-481-0 Extension du domaine de la lutte, Lainé, Pascal Collision fatale, L’Amour des trois sœurs Piale, Maurice Nadeau, 1994 2-86231-124-3 Stock, 1994 2-234-04370-0 POL, 1997 2-86744-574-4 Houellebecq, Michel Les Particules élémentaires, Comme une image, Lauve le pur, Flammarion, 1998 2-08-067472-2 Stock, 1997 2-234-04728-5 POL, 2000 2-86744-712-7 Plateforme, Lamarche-Vadel, Bernard Muray, Philippe Flammarion, 2001 2-08-068237-7 Vétérinaires, On ferme, Jaenada, Philippe Gallimard, 1993 2-07-072908-7 Les Belles Lettres, 1997 2-251-44103-4 Le Chameau sauvage, Tout casse, NDiaye, Marie Julliard, 1997 2-260-01474-7 Gallimard, 1995 2-07-073937-6 La Sorcière, Jauffret, Régis Lardreau, Fabrice Minuit, 1996 2-7073-1569-9 Sur un tableau noir, Une fuite ordinaire, Rosie Carpe, Gallimard, 1993 2-07-072973-7 Denoël, 1997 2-207-24480-6 Minuit, 2001 2-7073-1740-3 Histoire d’amour, Lederer, Jacques Oster, Christian Verticales, 1997 2-84335-099-9 Mordre le couteau Le Pont d’Arcueil, (nouvelles), Flammarion, 1994 2-08-067001-8 Minuit, 1994 2-7073-1478-1 Clémence Picot, Verticales, 1999 2-84335-034-4 Lakis Proguidis • 71 Bibliographie Pirotte, Jean-Claude La Légende des petits matins, La Table Ronde, 1996 2-7103-0778-2 Boléro, La Table Ronde, 1998 2-7103-0863-0 Raymond-Thimonga, Philippe Ressemblances, Desclée de Brouwer, 1997 2-220-03911-0 La Compagnie des spectres, Seuil, 1997 2-02-035285-0 Sportès, Morgan Pour la plus grande gloire de Dieu, Seuil, 1993 2-02-019667-0 Lu, Seuil, 1997 2-02-026376-9 Taillandier, François Les Nuits Racine, Le Moral des ménages, Fallois, 1992 2-87706-142-6 Stock, 2002 2-234-05461-3 Des hommes qui s’éloignent, Renonçay, Philippe Fayard, 1997 2-213-59943-2 Reinhard, Éric La Mécanique de la rupture, Anielka, Denoël, 1999 2-207-24839-9 Stock, 1999 2-234-05155-X Reza, Yasmina Le Cas Gentile, Une désolation, Stock, 2001 2-234-05392-7 Albin Michel, 1999 2-226-10851-3 Vittoz, Michel Rolin, Jean L’institut Giuliani, Cyrille et Méthode, Buchet-Chastel, 2002 2-283-01876-5 Gallimard, 1994 2-07-073824-8 L’Organisation, Gallimard, 1996 2-07-074551-1 Salem, Gemma L’Opale de Saint-Antoine, Zulma, 2001 2-84304-180-5 Salvayre, Lydie La Puissance des mouches, Seuil, 1995 2-02-022728-2 Le roman français contemporain défense et illustration de la prose française Jean-Pierre Salgas 74 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française À Idée 2001-1998-1968: histoire d’un tournant 1968-1983: de l’«ère du soupçon» au « plaisir du texte» 1983-1998: Ménard, Don Quichotte, Borges. Au-delà du soupçon 1998-1983: métamorphoses de Lazare. Au-dessous du texte 1968-1998-2001: au tournant de l’histoire bibliographie: histoire – théorie de la littérature prose 75 Né en 1953. Critique depuis 1983 (La Quinzaine littéraire, La Revue parlée du Centre Pompidou, Art-press, France-Culture, Vient de paraître). Auteur du film Christian Boltanski, signalement (Centre Pompidou, 1992) et de Witold Gombrowicz ou l’Athéisme généralisé (Seuil, 2000). Commissaire de l’exposition 1968-1983-1998: Romans mode d’emploi (adpf, ministère des Affaires étrangères, 1998). Professeur d’histoire et théorie des arts à l’École nationale d’art de Bourges. À paraître chez Belin: Prose au-devant du nouveau (19682001: l’évolution littéraire en France) Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 77 2001-1998-1968: histoire d’un tournant 2001 année théorique… Directeur des Éditions de Minuit depuis 1947 (secondé par Alain Robbe-Grillet de 1955 à 1984 ), Jérôme Lindon disparaît en avril. Simultanément, responsable d’Apostrophes depuis 1975, puis de Bouillon de culture depuis 1985, Bernard Pivot fait sa seconde sortie. Il y a là comme 1 Les Laclave : j’emprunte à la Christine un condensé de ce qui s’est joué dans le champ littéraire français de Angot de L’Inceste, son personnage conceptuel forgé à partir du patronyme 1968 à 1998: la défaite (provisoire) de ce qu’incarnait le premier d’un homme de lettres ordinaire; dans les Laclave d’aujourd’hui, on retrouve évi(l’autonomie telle qu’elle avait été inventée au mi-temps du siècle demment les anciens hussards. Pourquoi Les Inrockuptibles dans le rôle structupassé, et la modernité) devant la Restauration (le retour des rel qui fut celui des hussards ? à cause de la conversion de l’hedomadaire – de «grognards et hussards » décrits par Bernard Frank en 1952, Michel Rocard à Karl Zéro. À l’abri d’une mémoire convenue de l’Histoire et de la nouveaux modèles: les «Laclave» et Les Inrocks… 1 ), le triomphe bibliothèque (hommages à Manchette, Daney, Lindon ou Bourdieu), le <<ton>> exponentiel de ce dont le second fut l’agent (l’hétéronomie totale est de plus en plus devenu amnésique, << générationnel >> et second degré, et le spectacle qui recouvre la Restauration même, une «littéra- <<moderne>> façon Canal +. ture à l’estomac» d’un genre non prévu par Julien Gracq en 2 1949). Voudrait-on s’en convaincre qu’il faudrait lire les centaines On pourrait tout aussi bien analyser la stratégie du devenir-patrimoine d’Alain de pages parues dans la presse, d’hommage du vice à « l’essence de Robbe-Grillet lors de la dernière rentrée, ou, au même moment, Jérôme Lindon, la vertu littéraire» (Echenoz), à l’héroïsme du premier 2 et du le petit << roman familial >> du prix Goncourt 1999. vice au vice devenu vertu du second, tant les innombrables clones de l’émission repoussent les limites de la soumission du 3 Seuls Philippe Lançon dans Libération livre au spectacle 3. Pour le dire autrement : en 1968, «l’écrivain et Philippe Muray dans L’Atelier du roman osèrent rompre le consensus, français » se nomme Julien Gracq, sanctifié par son refus du comme naguère l’avaient fait Pierre Bourdieu ou Gilles Deleuze analysant la Goncourt en 1951, et sa Littérature à l’estomac (plus encore <<nouvelle philosophie>>. 78 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas qu’Hervé Bazin, conseillé par les enseignants «vipère au poing», Boris Vian, lu par les élèves, Philippe Sollers, par les étudiants, ou le débutant Michel Tournier ) – c’est l’époque, souvenonsnous, où la culture la plus contemporaine passe en poche («Idées » et «Poésie»–Gallimard, le nouveau roman et le gauchisme en 10/18, bientôt «Folio »); en 2001 il s’appelle Frédéric Beigbeder, le médien moraliste dans la tradition de Jean-Edern Hallier, animateur télé ferraillant contre la «sous-culture journalistique », parfaitement décrit sous l’identité de « Boris Fafner » par Philippe Sollers (Femmes, 1983 )… Il publie sous les applaudissements générals une histoire de la littérature du XXe siècle en forme de commentaire d’un sondage d’opinion : Dernier Inventaire avant liquidation: «Le statut du commandé a remplacé la statue du commandeur.» Trente ans après mai 1968, c’est l’idée même de littérature ( la réalité de l’édition, de la critique, de la librairie) qui a changé. À l’instar de Chateaubriand, il faut nous faire à l’idée que, nés dans un monde, nous mourrons dans un autre, au-delà même des mutations du champ littéraire: le champ de ruines du Berlin d’Alain Robbe-Grillet dans La Reprise (2001) pourrait être une bonne métaphore. Histoire d’atténuer ou d’aggraver le problème, ne pas oublier que le Retour à l’ordre et le Devenir-spectacle traversent tous les domaines de la culture (de la nouvelle philosophie en 1977 à la «défaite de la pensée» en 1987, via l’art contemporain depuis 1983, etc. ; au cœur de cette haine de la « pensée 68 », la contestation de la Révolution par un François Furet en 1989, sur fond de basculement Est-Ouest / Nord-Sud ). 2001, année théorique… La «confusion des lettres » (Michel Crépu ) semble à son comble : le principal novateur des années 1980 (du Méridien de Greenwich, 1979, à Nous trois, 1992 ), Jean Echenoz, « s’en est allé» vers le Goncourt en 1999, manquant les noces du « réel» et du «contemporain», laissant à Michel Houellebecq le soin de faire passer le second pour le premier. L’Académie française, pourtant sans poids face à la télévision (un Jean d’Ormesson semble plus célèbre pour son appartenance à la seconde), retrouve des prestiges oubliés ( Florence Delay élue justement cette année ). Aujourd’hui, Minou Drouet s’habille chez Pierre Guyotat, interdit à l’affichage en 1968, comme naguère chez Paul Géraldy, et vient confier à l’écran son refus blanchotien d’y passer. Etc., etc. Une «affaire Renaud Camus » (« maillon faible» du champ littéraire devenu otage, qui, par des propos antisémites de circonstance, cristallise des Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 79 querelles internes au champ de l’édition et de la presse ) n’en finit pas de finir, quand une adaptation au cinéma des Destinées sentimentales suscite la célébration sans nuances de Jacques Chardonne de Barbezieux et… de Vichy, quand triomphe le Journal 1968-1976 de Paul Morand, à l’antisémitisme quotidien ( en 1968, le général de Gaulle avait refusé son entrée à l’Académie Française); son « cosmopolitisme» tant vanté dissimule un perpétuel tour du monde des clochers et des clichés, où les Anglaises sont rousses et les Allemands disciplinés ; quand la «banque centrale» Gallimard choisit l’album Marcel Aymé pour inaugurer le siècle en Pléiade… Chardonne-Morand: à l’heure du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, cette « tenaille » semble d’ailleurs emprisonner toute une zone de la littérature française, la vraie, celle qui échapperait à cette nouvelle (médiatique) littérature à l’estomac: les nouveautés d’aujourd’hui seraient, au choix, la «littérature de voyage », ancrée à Saint-Malo ( de Michel Le Bris le «romantique» à l’exotisme d’Olivier Rolin), et celle du terroir et de l’école de la IIIe République 4. Paradoxe ! 4 Je renvoie entre autres au Premier Mot on peut s’interroger: à l’automne 2001, Michel Houellebecq de Pierre Bergounioux, paru en… 2001, année théorique… qui sonne comme un (j’écris ces lignes à l’ombre de sa Plateforme), le réactionnaire manifeste explicite de cette écriture scolaire (dissertation-rédaction) et rurale en formel, le médiatisé absolu, le romancier à thèse anti-soixante- expansion dans le <<paysage>> français. À mille lieux de toute réflexivité. huitard qui s’élève dans la dernière livraison de la NRF contre la «racaille gauchiste» qui a mobilisé le débat intellectuel tout au long du XXe siècle, n’est-il pas celui qui pose le plus de questions à la littérature (autant qu’Olivier Cadiot ou Patrick Chamoiseau, qui inaugurent 2002)? Tout de suite, une précision et deux remarques. Mon intention exclut de parler «pour eux-mêmes » des auteurs et des œuvres des années 1968-1983-1998-2001; il s’agit plutôt de délimiter l’«espace littéraire» de l’époque, d’autant plus qu’il se défait sous nos yeux. Le mot peut sembler faire signe vers Maurice Blanchot, vers un espace idéal et idéel; mon arrièrepensée va plutôt, outre le premier Barthes, au Pierre Bourdieu des Règles de l’art (Barthes continué, Blanchot «remis sur ses pieds »?): à une réflexion en terme de «champ littéraire», insécablement esthétique et institutionnel, ou d’«écriture» selon le Barthes du Degré Zéro (stratégie formelle dans la bibliothèque et par rapport à l’Histoire). L’« espace», autrement dit le temps littéraire: genèse et structure de notre aujourd’hui. Champ sociologique… tout aussi bien « magnétique», question d’aimantation réciproque. Julien Gracq : « Les lecteurs lisent avec plaisir à la fois les ouvrages critiques de M. Blanchot qui annoncent 80 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas l’Apocalypse et les romans de Mme Sagan qui ne la manifestent pas» (Pourquoi la littérature respire mal, 1962 ). Ces quelques pages en forme de flash-back parlent de (et sur ) cette zone frontière où une œuvre manifeste sa solidarité ou ses défiances à l’égard de la bibliothèque et de l’Histoire… et de leur intersection, les institutions (édition ) qui la portent. Ni de l’intérieur des textes ni tout à fait du dehors. Il ne saurait de toute manière, en si peu de mots, être question d’évoquer sérieusement des œuvres qui par définition sont singulières et mériteraient chacune une étude (surtout celles qui sont «plus uniques que d’autres » – où classer Romain Gary et Albert Cohen, Henri Thomas ou Hélène Bessette, François Weyergans ou Jean-François Bory et Jean-Luc Benoziglio, Jean-Louis Schefer et Daniel Oster, Hubert Lucot ou Pierre Pachet ?). D’autre part, il faut se méfier des fausses évidences de la chronologie comme des sûretés illusoires de l’« espace littéraire». Les écrivains ne sont pas contemporains selon l’ordre des années et des générations d’état civil (même si le fait que, dans le désert théorique présent, ils se fantasment comme tels, ne peut être sans effet). Ils ne cessent d’inventer leurs ancêtres et leurs précurseurs (on connaît le cas limite d’un Lautréamont qui n’a littéralement pas existé pour ses «contemporains»). Et pas seulement les avant-gardes: qu’on songe au mi-temps de notre période, à la réhabilitation d’«auteurs vaincus au champ littéraire d’honneur ». Et les frontières de la littérature ne cessent de bouger, la hiérarchie des genres mineurs et majeurs est fluctuante, de plus en plus la littérature absorbe le hors-littérature,tel Michel Houellebecq écrivant dans le «style » d’Hot vidéo ou du Guide du routard ses scènes les plus vantées. 1968-1983-1998: on peut décrire ces trente ans comme une période de changement des repères, instaurés par la modernité canonique de Philippe Sollers en 1968 – le commencement de la fin de Tel quel – jusqu’à leur ruine, ratifiée par le même en 1983 (Femmes et ses tombeaux de Barthes, Lacan, Althusser – la fin de la fin). J’irai jusqu’à avancer que l’année 1983 dure quatre ans: Georges Perec disparaît prématurément en 1982, Alain Robbe-Grillet éditeur se retire en 1984, Marguerite Duras et Claude Simon sont proprement canonisés en 1984 et 1985. Puis en 1998: à la télévision et dans L’Infini, Sollers adoube la révolution conservatrice de Houellebecq, son retour à Zola voire au Barrès des Déracinés, et Christine Angot (L’Inceste). Philippe Sollers ? Avec Tel quel (1983), non seulement la dernière avantgarde classique mais sûrement la fin de toutes les avant-gardes et Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 81 donc des discours de légitimité qui accompagnaient le roman, peu ou prou depuis un siècle (Balzac), voire la littérature française depuis Du Bellay (Défense et illustration de la langue française, 1579 ). Ensuite d’autres pensées du nouveau (écrivains de la lecture, des genres mineurs, bathmologues ) vont surgir et à leur tour se résorber dans le paysage. Car je le précise: à l’intérieur du champ, je choisis de privilégier le « nouveau » dans la prose, les conditions de possibilité du nouveau, alors que s’évapore, s’est évaporée la « tradition du Nouveau » ( Harold Rosenberg). De 1968 à 1998, un espace-temps se défait. Encore plus de 1998 à 2001. En perdant sa colonne vertébrale de 1983 à 1998, le champ littéraire perd ses discours de légitimité. Exclu de chez Gallimard, après n années de bons et loyaux services, Michel Deguy a fait dans Le Comité (1988) la chronique sternienne de la chose. Puis de 1998 à 2001 jusqu’à des contours nets. Là, le grand livre-témoin est sûrement Quitter la ville, de Christine Angot (2000): le récit de son irruption dans l’inceste littéraire et le choix (exogamique) de son devenir-média (première phrase : «Je suis cinquième sur la liste de L’Express, aujourd’hui 16 septembre»). Restauration d’où « déprogrammation », spectacle d’où cohabitation. Il n’y a plus depuis 1983, puis 1998, a fortiori en 2001, de centre, discours, revue ou éditeur, comme il en existait depuis un siècle. Il faut relire Les Règles de l’art, de Pierre Bourdieu, à l’envers… C’est significativement à François Nourissier, président de l’académie Goncourt, archétype de l’auteur Grasset, et véritable « président de cohabitation» de la république des lettres, que Gallimard a confié le texte du symbolique Album 2000 de la Pléiade sur la NRF (l’année d’avant l’album Marcel Aymé…). Vingt-trois ans après 1968, tout peut désormais littéralement advenir sous n’importe quelle couverture… Même si POL (fondé en 1984) semble offrir le plus grand «spectre», du roman «rose vif» (Camille Laurens) au «nerf même» de la littérature (Daniel Oster, Hubert Lucot), via la prose vieillotte de Richard Millet, le « best-seller de qualité » ( Emmanuel Carrère ), l’Oulipo ( Jacques Jouet, Michelle Grangaud)… En quittant Tel quel et Le Seuil pour Gallimard en 1983, Philippe Sollers, autour de qui le champ se structurait, a en effet aboli d’un coup les deux légitimités, expérimentation et classicisme. Seule sanction apparente: l’immédiateté des médias. Ou la Pléiade: un peu comme la Pologne raillée par Gombrowicz, la France est devenue gros consommateur de centenaires, de 82 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas Rimbaud à Hugo, d’archives sans œuvres, de « patrimoine». Et de «jeunisme» télégénique (l’écrivain français idéal est celui qui sait faire le mort de son vivant ). Beigbeder ou Char, Hallier ou Yourcenar, comme on dit «la bourse ou la vie», seule alternative? Duras après L’Amant, Sollers entre 1983 et aujourd’hui, et Robbe-Grillet fin 2001: rien ne serait plus intéressant de ce point de vue que d’analyser les risques symétriques pris par ces trois protagonistes de la modernité au cœur de ce qui peut sembler son reniement: comme des «analyses». Duras donnant avec impudeur le tout-venant de ses réflexions et de son corps à la société comme on le donne à la science, Sollers au contraire se dissimulant derrière la multiplication calculée des simulacres, RobbeGrillet inventant en public la position d’«écrivain en viager » provincial et médiatique «s’autocommémorant». D’un autre côté, s’interroger sur les raisons qui poussent les écrivains à faire des disques et des performances ( de Pierre Guyotat à Olivier Cadiot, Pierre Alferi, Michel Houellebecq ou Christine Angot). L’écrivain français contemporain se meut plus dans l’univers vécu et décrit par Balzac ( Illusions perdues ) que dans le monde désiré par Flaubert (L’Éducation sentimentale). Corollaire: l’écrivain français n’est plus un intellectuel total (Sartre, mais aussi Mauriac, ou à l’autre extrémité du champ le Jacques Laurent de Paul et Jean-Paul ), plus même spécifique (Raymond Queneau, Claude Simon). À peine compte «l’effort d’art» (Denis Roche): symptomatique, le petit livre déjà cité de Jean Echenoz en mémoire de Jérôme Lindon et sa revendication de modestie théorique ( «les virgules, seule divergence esthétique de fond entre nous »), ce qu’il condense de la montée en puissance et de l’effacement, de la défaite ( faute de théorie, faute de groupe, façon nouveau roman et Tel quel ) des trois écritures novatrices des années 1970-1980. Si «le roman pense avec les moyens du roman », comme l’analysent magnifiquement des théoriciens comme René Girard, Gilles Deleuze, Pierre Macherey, Jacques Bouveresse ou Vincent Descombes, les livres de romanciers tels L’Art du roman (1986) ou Les Testaments trahis (1993), de Kundera, ne suscitent pas le tiers du quart des conflits provoqués en 1963 par Robbe-Grillet avec Pour un nouveau roman. En 2001, bien qu’il rassemble des textes majeurs (Un écrivain non réconcilié), Le Voyageur ne fait pas débat, pas plus que les livres de Philippe Muray ou de Daniel Oster. Autre face de la « déprogrammation » (Pascal Quignard) de la littérature: la fin de la critique littéraire telle que l’incarnèrent Maurice Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 83 Blanchot ou les grands feuilletonistes comme Pascal Pia, Maurice Nadeau 5 , et le règne de la «promo»: Elle ou Le Journal 5 N’oublions pas que 1966 a vu naître La du dimanche sont devenus des supports «littéraires», mieux: les Quinzaine littéraire et Le Magazine littéraire, Le Monde des livres est organes du marché Livres hebdo ou Epok, le magazine de la FNAC arrivé très peu de temps après, les Nouvelles littéraires et les Lettres (je rappelle la métamorphose des Inrockuptibles, de la période men- françaises existent encore. Rappelonsnous aussi des revues comme L’Arc ou L’Herne. suelle à l’évolution sous nos yeux de l’hebdomadaire). Second corollaire: ici et maintenant se redéfinit une fois de plus, sur fond de mondialisation, l’« exception française » (née avec la Pléiade), qui fait en 2001 débat à propos du cinéma. Il est sûr que lors de ces années Restauration-Spectacle, perdant sa colonne vertébrale théorique et institutionnelle, la «littérature française», dont le champ fut pour le monde un modèle, est à ses propres yeux un peu devenue « une littérature étrangère parmi d’autres ». Excellente chose: les littératures «francophones » sont définitivement admises comme autonomes et détachées de l’arbre de la mère patrie, sur les modèles brésilien ou argentin. En prend acte le Dictionnaire Bordas des littératures de langue française, qui voit le jour en 1984. Et les littératures étrangères ont désormais autant de chances en France que les Français «de souche»: bien au-delà de la nationalité française conférée par François Mitterrand à Cortázar ou à Kundera… , Pessoa, Dick, Bernhardt, mais aussi Primo Levi, Tabucchi ou Magris, mais encore Raymond Carver, Philip Roth, Bret Easton Ellis…, ont été adopté, en quelques semaines, Danilo Kis était sur le point de l’être à sa mort, quand il avait fallu des années de Lettres nouvelles à un Maurice Nadeau ( qui fut l’équivalent de Lindon et de Paulhan pour les auteurs étrangers) pour naturaliser français un Gombrowicz (un Rabelais polonais). On peut signaler aussi le catalogue Christian Bourgois ou le phénomène Actes Sud, des éditeurs comme Rivages ou Le Serpent à plumes. Situation absolument inédite: à la «littérature française» (écrivains, éditeurs, critiques) d’utiliser cet appel d’air pour éviter de finir coincée entre roman international prétraduit (prototype: Umberto Eco) et conte atavique et scolaire (voire pis: «une littérature Amélie Poulain», le second fait par l’autre, la «petite gorgée de bière» brassée à la Foire du livre de Francfort…). Le prix Nobel de littérature fut donné en 2000 au «Français» Gao Xingjian, qui écrit en chinois. 2001, année théorique… Je nommais Gombrowicz: dans son roman argentin Trans-Atlantique (1947), il inventait la «filistrie», ce que Glissant nomme aujourd’hui la «créolisation». La défense et l’illustration de la prose française passent aujourd’hui par une réflexion «formelle» sur cette dernière. 84 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas 1968-1983: de l’« ère du soupçon » au « plaisir du texte » de jean-paul sartre à claude simon Prix Nobel de littérature 1985, Claude Simon est revenu, dans son Discours de Stockholm, sur les divergences qui l’opposaient à Jean-Paul Sartre, prix Nobel ( refusé ) en 1964 : « Qu’avez-vous à dire ? » demandait Sartre. Autrement dit, «quel savoir possédez-vous ?». Et Claude Simon d’opposer la technique au message, et l’écriture et son opacité à la transparence sartrienne. À un regard rétrospectif, les choses apparaissent moins simples. Tout se passe comme si on ne cessait d’opposer à l’auteur de Qu’est-ce que la littérature? les propositions sur le roman du Sartre critique de Faulkner, Dos Passos, Mauriac, Camus, Ponge, Renard…, dans la NRF d’avant-guerre, en oubliant que c’est lui qui les a formulées. SituationsI à SituationsII, et aussi La Nausée (avant-guerre) aux Chemins de la liberté (aprèsguerre). C’est bien plus sûrement Alain Robbe-Grillet qui dit vrai, quand dans Le miroir qui revient, premier tome de ses Romanesques, il écrit : « Du point de vue de son projet, l’œuvre de Sartre est un échec. Cependant c’est cet échec qui, aujourd’hui, nous intéresse et nous émeut. Voulant être le dernier philosophe, le dernier penseur de la totalité, il aura été en fin de compte l’avant-garde des nouvelles structures de pensée : l’incertitude, la mouvance, le dérapage » ( il y revient dans un article du Voyageur en 2001). On se rappelle la célèbre conclusion de l’article sur François Mauriac: « Un roman est écrit par un homme pour des hommes. Au regard de Dieu qui perce les apparences, sans s’y arrêter, il n’est point de roman, il n’est point d’art, puisque l’art vit d’apparences. Dieu n’est pas un artiste ; M. Mauriac non plus »: c’est bien ce Sartre-là, celui de La Nausée, qui a su penser ce que Nathalie Sarraute a nommé l’«ère du soupçon», et dont tous les écrivains du nouveau roman sont les héritiers dans leurs œuvres comme dans leurs discours théoriques (Claude Simon lui-même est en phase avec la «temporalité chez Faulkner »). Par une sorte de ruse de l’histoire, via les nouveaux romanciers (Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, et sa charge contre les « notions périmées », en 1962 ), Sartre, qui, après-guerre, ne fut pas un grand novateur, domine le début de notre période, Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 85 c’est lui qui a imposé les leçons de la modernité ( outre les romanciers étudiés par le critique, Joyce, Proust, Kafka, Céline ) et balayé le roman psychologique à la française (modèle Adolphe, histoire bien ficelée et cœur humain ), ou le si mal nommé roman balzacien – il serait plutôt zolien… Il faudra un moment à Tel quel pour conquérir l’hégémonie, imposer d’autres références théoriques, une autre histoire littéraire, d’autres modalités du soupçon (entre les deux, un lien sous-estimé: le premier Barthes, qui, dans Le Degré zéro de l’écriture, ne fait que reformuler sous le nom d’«écriture» alors pensée comme engagement de la forme, les questions de Situations II dans les termes de Situations I ). Gilles Deleuze le note dès 1964: « Tout passa par Sartre non seulement parce que philosophe, il avait un génie de la totalisation, mais parce qu’il savait inventer le nouveau. » Sans Sartre, une œuvre comme celle de Claude Simon aurait sûrement attendu des décennies pour être reconnue. À l’inverse, l’influence (à supposer que le mot veuille dire quelque chose) directe du philosophe-écrivain est faible, hors de ses proches (Violette Leduc, André Gorz), sinon peut-être chez le jeune romancier de L’Extase matérielle, qui fait littéralement irruption en 1963 avec Le Procès-Verbal, une sorte de Nausée solaire, et qui multipliera les livres importants (du Déluge à La Guerre ) jusqu’à sa conversion au début des années 1970 ( Désert) à une inspiration très conventionnelle (à la Saint-Exupéry). J. M. G. Le Clézio dont on peut relire la préface de La Fièvre: « La poésie, les romans, les nouvelles sont de singulières antiquités qui ne trompent plus personne, ou presque. Des poèmes, des récits, pour quoi faire? Il ne reste plus que l’écriture.» Fiction & Cie, dira Denis Roche en 1973. Comme est faible, dans ces années-là, hors théâtre, hors la revue Minuit, et hors du statut… de statue du commandeur, le poids de Samuel Beckett, prix Nobel de littérature en 1969 ( à mi-parcours entre Sartre et Simon ). le pacte autobiographique Si, laissant provisoirement de côté les écrivains qui sont proprement de cette époque (1968-2001) qui nous occupe ( de Sollers et Perec à Houellebecq ou Cadiot, via Modiano, Quignard ou Echenoz), nous examinons, de bien avant Sartre aux «nouveaux romanciers », la trajectoire des écrivains des décennies qui précèdent, une constante apparaît: le souci auto-biographique (à la Leiris) ou autofictionnel (à la Proust) – dont la 86 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas chute dans le domaine public –, la masse de travaux qui l’accompagnent, le passage à la critique génétique de nombre d’anciens structuralistes, est un des événements de ces années. Sans même évoquer le Malraux des Antimémoires et de La Corde et les Souris. 1968 voit paraître de superbes Écrits intimes posthumes de Roger Vailland, Michel Leiris donne en 1966 et 1976 les deux derniers tomes de La Règle du jeu (on en retrouve la trace inattendue récemment chez le Nourissier d’À défaut de génie, 2000 ) puis Le Ruban au cou d’Olympia et Langage tangage, Jean Genet signe quasi à l’instant de sa mort un Captif amoureux digne de Chateaubriand, Henri Thomas nous livre avec Une saison volée les débuts du collège de Pataphysique puis Le Poison des images, Raymond Queneau avec Les Fleurs bleues une fable psychanalytique. Jean Cayrol se demande s’Il était une fois Jean Cayrol (1982), Pierre Klossowski, après Les Lois de l’hospitalité, nous fait de plus en plus les hôtes de sa relation à Roberte, Louis Calaferte publie ses carnets, Louis-René des Forêts s’engage dans une entreprise qu’il décrit comme sans fin sur les «épiphanies» d’une existence: Ostinato (1997). Là encore, domination de Sartre. La question, issue selon mille médiations de la mort de Dieu ( qui n’était pas un romancier ) à la fin du siècle précédent, qu’il s’est à lui-même adressée dans Les Mots (et dans le corpus massif des entretiens de la fin de sa vie), qu’il pose à l’orée de son gigantesque et ultime opus L’Idiot de la famille : « Que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui?», est celle de ces trente ans, comme une basse continue qu’on retrouvera – sous le rapport des écritures à l’histoire de la bibliothèque comme à l’Histoire tout court – dans les «vies brèves » des uns, les «autobiographèmes » de l’autre, les «identités rapprochées multiples » de Sollers, le Journal roi de Renaud Camus ou dans Sujet Angot, etc. Même problématique chez les romanciers de « l’ère du soupçon», qui sont passés au tournant de 1968 par une période «formaliste » ( tentative de fédération par Jean Ricardou, colloques de Cerisy): après une phase ludique qui le voit jouer avec les stéréotypes, Alain RobbeGrillet publie les Romanesques, autobiographiques ( Le miroir qui revient, Angélique ou l’Enchantement, Les Derniers Jours de Corinthe), Nathalie Sarraute nous livre son Enfance, Robert Pinget s’invente en quatre volumes un double, Monsieur Songe, à qui il fait tenir ses carnets, enfin Marguerite Duras avec L’Amant remonte à la source de son imaginaire. Elle livre ensuite divers volumes dont le matériau vient de sa vie : La Douleur autour du Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 87 retour de Buchenwald de Robert Antelme, La Vie matérielle, puis elle déborde la littérature, mettant au point un modèle social d’écrivain, dont Annie Ernaux ou Christine Angot se souviennent aujourd’hui. Claude Simon revient en spirale sur ses premiers livres avec Les Géorgiques, L’Acacia, Le Jardin des Plantes. Mémoire et avant-mémoire. Évidemment, on peut y adjoindre le Roland Barthes par Roland Barthes, les Fragments d’un discours amoureux ou La chambre claire, d’un Barthes théoricien du «biographème» en préface de Sade, Fourier, Loyola. On a souvent voulu voir dans ces livres un reniement de «l’ère du soupçon», de son refus de l’anecdote et des sécurités de l’identité du personnage, une version chic du vieux «roman à clefs», on l’a confondu avec la vague des confessions médiatiques. J’inclinerai plutôt à y voir, comme Robbe-Grillet ne cesse d’y insister, une façon de porter plus avant ce soupçon, sur ce qui reste quand on a tout déconstruit: la personne sociale de l’auteur, le titulaire de l’état civil, le moi. Après avoir interrogé le personnage, tous jouent avec le «pacte autobiographique» (Philippe Lejeune 6 ), avec les paradoxes de « l’autofiction » ( Serge 6 Il invente le mot dans un livre décisif de Doubrovsky 7 ). Les plus radicaux sont le fils de Mauriac, Claude 1975 et se convertira lui-même aux autobiographies anonymes, quand la chose (Le Temps immobile ) et des enfants de Valéry, qui ont appris à lire s’éloignera de son attente fort peu déconstructrice. dans Monsieur Teste et les Cahiers : Pierre Pachet, Jean-Louis Schefer. Daniel Oster surtout, disparu prématurément en 1999, 7 Il est le théoricien du genre qui comble qui multiplie les faux écrits intimes d’écrivain : Dans l’intervalle, une case laissée vide par Philippe Lejeune, également son praticien qu’on Stéphane, La Gloire, Rangements. Tirant jusqu’à leurs termes, peut estimer moins heureux. À l’inverse, un écrivain comme Hervé Guibert, à comme seuls les écrivains d’Europe centrale – Musil, Wittgenstein l’œuvre duquel le sida donne un sens lazaréen, semble en donner une illustra– ou un Pierre Bourdieu théoricien de «l’illusion biographique» –, tion exemplaire. les conséquences existentielles de la mort de Dieu. vie et mort de Tel quel À l’exception d’Aragon ( Blanche ou l’Oubli, La Mise à mort, Théâtre roman, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit, La Défense de l’infini, l’immense inédit posthume en 1986 qui inclut Le Con d’Irène), qui l’a « accompagné» dans ses livres et dans les Lettres françaises qu’il dirige jusqu’en 1972 8, on peut avancer que 8 J’abats mon jeu par exemple est un petit les parcours des grands prosateurs que je mentionnais n’ont pas livre sur Philippe Sollers. été sensiblement infléchis par la jeune littérature du temps. Littérature du temps? Je veux dire Tel quel qui dure de 1960 à 1983 et qui détermine et surtout, mot d’époque, surdétermine toute l’évolution du roman français jusqu’à 1998 sûrement. Et l’œuvre de Philippe Sollers. Plus que du nouveau roman, auquel 88 9 Le Parc, deuxième roman de Sollers, passe pour tel, et les néoromanciers sont les hôtes des premiers numéros de la revue pour une enquête sur l’état de la littérature. Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas l’apparente une filiation immédiate9 pour une enquête sur l’état de la littérature, Tel quel reprend, répète en les métamorphosant, rejoue plutôt les ambitions du surréalisme ( même si André Breton, qui meurt en 1966, avait, fidèle à Valéry, condamné le roman ) – Michel Foucault le remarque dès le début lors d’un colloque de Cerisy –, qui lui-même rejouait contre Mallarmé ou Apollinaire le romantisme allemand. Dans sa structure d’abord: groupe, chef de file, revue, éditeur unique. Dans son programme d’une « théorie d’ensemble» (1966 : «Une théorie d’ensemble pensée à partir de la pratique de l’écriture demande à être élaborée»). En témoigne le sous-titre de la revue à compter de 1966: «Littérature, philosophie, science politique ». Impossible de rentrer ici dans les étapes successives, mais il y a toujours eu des alliances avec philosophes Althusser et Lacan (Marx et Freud), Derrida (Heidegger), et théoriciens de la littérature (Roland Barthes qui avait accompagné le nouveau roman, surtout Alain Robbe-Grillet, Julia Kristeva, introductrice avec Tzvetan Todorov des formalistes russes en France. Dissimulées par d’autres alliances, politiques: le PCF puis les maoïstes autour de Mai 68 dans une première phase de radicalisation progressive où le texte et le monde semblent pouvoir se confondre, ensuite avec la droite giscardienne après 1974 quand il est clair qu’il n’en est rien. Projet: changer le monde et la vie. Surtout la littérature, pensée avec Jacques Derrida comme «écriture textuelle», plus souterrainement avec Heidegger, encore plus dans la seconde phase, celle du désengagement politique. Acmé: Le Plaisir du texte, théorisé par Barthes en 1973 comme une nouvelle possibilité d’«écriture»; loin du simple congédiement des «notions périmées» du vieux roman, c’est la langue elle-même qu’il s’agit de toucher, par le «texte de jouissance» opposé au «texte de plaisir» – ce au moment où la dissociation s’opère entre une expérience «mystique» de la littérature (H, Paradis publié en feuilleton dans la revue) et des engagements séculiers successifs (qu’il ne faudrait, j’y reviendrai, pas confondre avec le «maoïsme » ou le «christianisme» de Sollers ). À défaut, 1968 est la cassure, de changer le monde et la vie, le groupe Tel quel non seulement a produit des œuvres de premier plan (tous les livres de Philippe Sollers, Compact, de Maurice Roche, Pierre Guyotat dans les marges (Tombeau pour cinq cent mille soldats, Éden, éden, éden), mais aussi (surtout ?), a bouleversé la bibliothèque dans la continuité du surréalisme (Lautréamont, Sade: interdit encore dans les années 1960, il est entré dans la Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 89 Pléiade) du nouveau roman (Joyce), mais aussi Artaud et Bataille (tout deux passés, via un mémorable colloque de Cerisy en 1973, de la clandestinité aux Œuvres complètes ), ou même fait lire dès 1960 des contemporains immédiats comme Pierre Klossowski ou Francis Ponge. À noter enfin que chaque étape, chaque virage du groupe Tel quel, qu’il soit littéraire, politique, ou littéraire et politique, a comme généré un autre groupe dissident, une autre revue, un autre chef de file: on peut énumérer, à des degrés divers de dépendance, les revues Digraphe de Jean Ristat – qui mixe Aragon et Derrida – ou Change de Jean-Pierre Faye – dominé par Jacques Roubaud; on en peut retrouver des traces dans l’actuelle Revue de littérature générale, Minuit, dirigée par Mathieu Lindon (Savitzkaya, Guibert, on y trouve les toutes premières publications d’Echenoz) – ou les Éditions des femmes (Cixous). Également, les collections «Textes-Flammarion» qui deviendront POL après un passage chez Hachette, ou, déjà nommée, «Fiction & Cie» de Denis Roche (mêlant auteurs français et étrangers), qui demeurent aujourd’hui encore des laboratoires du nouveau. 1983-1998: Ménard, Don Quichotte, Borges. Au-delà du soupçon du chemin aux brèves littératures 1968, mai: «Printemps rouge» (Sollers ). En avril, il a publié deux livres, Nombres et Logiques, un roman, un recueil d’essais où il noue tous les fils de « l’expérience des limites » qu’il entend poursuivre («elle se trouve nécessairement du côté de l’action révolutionnaire en cours », chaque section de Nombres se clôt sur un idéogramme chinois), et il trace le «programme » d’une histoire « textuelle», scandée par des œuvres de rupture (Dante, Sade, Mallarmé-Lautréamont, Artaud-Bataille ). Jamais il n’a été aussi loin dans la fusion (imaginaire) de l’Histoire et de la littérature. J’ai l’intuition que la (première) scène primitive de notre présent eut lieu là, quand donc Philippe Sollers assigna à la littérature de «sortir de la scène représentative» – bien audelà des jeux du nouveau roman avec le récit – pour inclure dans la langue le «réel historique constamment actif». On sait que après mai, le monde a continué son cours, sans se fondre dans les avancées de la bibliothèque… Ce qui se passe alors est, toutes 90 10 Le contraire, faut-il le préciser, du «roman historique», qui utilise l’histoire comme un décor pour mettre en scène l’éternité des passions humaines. Je renvoie aussi bien à Alexandre Dumas qu’à ses usages contemporains chez Yourcenar ou les hussards (Jacques Laurent alias Cécil Saint-Laurent) par exemple. Le roman historique a paradoxalement le plus souvent pour fonction d’annuler l’Histoire. À rebours, l’usage de l’archive chez les écrivains de la lecture peut être comparé à celui d’un Michel Foucault. Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas proportions gardées, comparable à l’implosion de la philosophie de Hegel après sa mort, en 1831. La célèbre fiction de Jorge Luis Borges Pierre Ménard, auteur du Quichotte, avec les trois personnages théoriques qu’elle nous prête, nous permet d’y voir plus clair. Mai 68 : plus discrètement, dans la collection « Le Chemin », est paru le premier roman de Michel Chaillou, Jonathamour, une rêverie sur le roman d’aventures à la Stevenson. «Le Chemin»? une collection dirigée chez Gallimard par Georges Lambrichs qui compte alors dans ses rangs Klossowski, Le Clézio, Butor, Guyotat, Starobinski, le Raymond Roussel de Michel Foucault ou un poète comme Michel Deguy, tous marginaux modernes des diverses avant-gardes. Une revue, Les Cahiers du chemin, qui dure de 1967 à 1977 et qui constitue une sorte d’extrême gauche esthétique de la vieille NRF (qui sombre après le décès de Paulhan dans le plus total académisme, dont on atteindra le fond avec l’affaire des «moins-que-rien» en 1998), tout en étant plus flâneuse que Tel quel. Il ne me semble pas exagéré de dire que c’est là, dans cette nébuleuse sans chef de file, que s’élabore durant les années 1970 et 1980 l’une des trois sorties françaises de l’hégélianisme des avant-gardes. Au Chemin, pas de « théorie », pas de «progressisme ». Mais la conviction que là où il y a une langue il y a de «l’extrême contemporain » (Chaillou ), et aussi qu’il n’y a pas nécessairement contradiction entre le soupçon sur le récit exploré par le nouveau roman ou le travail sur la langue qu’expérimente Tel quel et le fait de proposer un monde et des «récits». Il ne s’agit pas de faire «marche arrière», de régresser vers une «innocence» qu’aucune littérature ne connaît, mais de réouvrir l’histoire des formes. De retrouver d’autres lignes de légitimités, d’autres longueurs d’onde, de raviver d’anciennes généalogies pour inventer 10. Après Jonathamour, Chaillou traversera le vers classique ( Collège Vaserman), l’Astrée d’Honoré d’Urfé (Le Sentiment géographique) ou Montaigne ( Domestique chez Montaigne), de nouveau le roman d’aventures ( La Vindicte du sourd), puis Pouchkine (La Rue du capitaine Olchanski, roman russe). etc. Son manifeste pourrait être La Petite Vertu, une « anthologie de la prose courante sous la Régence», dont pas un mot n’est de lui… Autant que Chaillou, Pascal Quignard (derrière le brouillage dû à deux romans à succès et à des scénarios, malgré son actuelle «yourcenarisation » précoce…) pourrait dans la durée personnifier cette façon collective de faire son lit dans la langue des autres. De ses premiers travaux sur Maurice Scève, Sacher-Masoch ou Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 91 Lycophron en 1968, dès son Lecteur, jusqu’à ses récents romans qui mêlent Port-Royal, le Japon médiéval et la Rome d’Auguste (Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, Albucius, Tous les matins du monde). «J’écris pour être lu en 1640»: sa devise, clin d’œil à Stendhal plus qu’au Flaubert de la modernité, dit bien cette histoire infinie dans laquelle se situent ces auteurs. Comme l’inconscient, selon Freud, la littérature ignore le temps. Et dédaigne le siècle XIXe. Surtout: dans les huit volumes des Petits Traités, d’où cette sentence est tirée, Quignard a réinventé, sur le modèle des Vies brèves de John Aubrey, Anglais du XVIIe siècle puis de Marcel Schwob – mais tout autant après Voragine ou Vasari, et avec Michel Foucault –, le genre de la « vie brève», un genre qui pourrait bien être l’un des grands apports formels de ces gens à la littérature. Mlle de Scudéry, Spinoza, Littré, Longin…, dix autres : sur chacun, Quignard assemble ce que Barthes en 1971, dans Sade, Fourier, Loyola, nommait des « biographèmes », détails, goûts, inflexions, « dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin»: à des années-lumière du nouveau roman, dans une étonnante proximité poétique à la sociologie de Bourdieu et à son refus de l’«illusion biographique», il s’agit de faire sentir l’énigme de «tout destin», l’unité problématique de chaque existence, la multiplicité trouée de toute singularité. Importance capitale, à ce propos, de Pierre Michon, de l’«autobiographie perpendiculaire» des Vies minuscules, comme des «biographies obliques » qui suivirent : Vie de Joseph Roulin, Maîtres et Serviteurs, surtout Rimbaud le fils. Et de Patrick Mauriès et des livres du Promeneur, petite maison d’édition, depuis intégrée chez Gallimard, qui de cette esthétique a fait un projet éditorial. À cet Au-delà du soupçon, on peut évidemment rattacher des poètes: Jacques Roubaud, scribe contemporain de la matière de Bretagne, des troubadours et des surréalistes, théoricien-historien de la poésie française (La Vieillesse d’Alexandre, La Fleur inverse, Soleil du soleil ), Michel Deguy et son Tombeau de Du Bellay, Jude Stéfan, poète latin, ou le « néoclassique» Jean Ristat, des romanciers, des essayistes tel Gérard Macé, ou un peu Pierre Pachet, etc. Florence Delay, parlant de Robert Desnos, formule ce qui pourrait être, autant que celle de Quignard, leur devise partagée: «J’appelle moderne ce qui me coupe le souffle et ancien ce qui me le donne». Son Aie aie de la corne de brume (1975) est un roman d’amour courtois qui se déroule dans le quartier du Sentier à Paris, lors de l’élection présidentielle de 92 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas 1974. Le titre renvoie au flamenco, et la composition à Gertrude Stein. L’Insuccès de la fête (1980 ) dissimule anamorphiquement un manifeste moderne dans la relation fiévreuse de quatre jours du poète de la Pléiade Jodelle. À compter de 1990, Chaillou dirige chez Hatier « les Brèves de la littérature française », une histoire qui sera exclusivement l’œuvre d’écrivains. «Une sorte de roman dont les auteurs sont les personnages, les œuvres la conversation éternelle, Sainte-Beuve et Contre Sainte-Beuve réconciliés dans une sorte de sociologie poétique (Petit Guide pédestre de la littérature du XVIIe siècle). Une vingtaine de titre paraîtront avant que l’éditeur n’interrompe la collection. S’il fallait à ces écrivains, qui sont «de la lecture» comme ceux de Tel quel le furent «de l’écriture», un saint patron, ce serait sans hésitation Pierre Ménard, le héros de la célèbre « fiction » de Borges, qui, à côté de son œuvre visible, réécrit le Quichotte à l’identique au XXe siècle. Pierre Ménard, pour qui l’ancien est l’avenir du nouveau: réécrire le Quichotte dans un autre champ, selon une énonciation différente, revient à composer un livre neuf, qui dit autrement le monde. de manchette à echenoz 1968: pourquoi ne pas hisser le drapeau rouge sur la Série noire? Tandis que Tel quel répète l’expérience surréaliste de l’impossibilité historique de la liaison entre une littérature autonome à l’extrême et l’introuvable révolution sociale, une seconde manière pour les écrivains de se situer «au-delà du soupçon» commence, qui va parvenir à pleine maturité aux alentours de la charnière de 1983, lorsque c’est le champ littéraire tout entier qui explose: dans l’apesanteur théorique se mettent à flotter ensemble, comme des monnaies ou des épaves, littérature de recherche et culture de grande consommation. Les protagonistes de cette seconde voie sont les écrivains du «néopolar ». Héritiers de Léo Malet, le père de Nestor Burma, compagnon de route des surréalistes, peintre de Paris – un roman par arrondissement –, plus que de Georges Simenon, ils le sont surtout des Américains, Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Les stéréotypes du genre leur paraissent pouvoir être réinvestis pour raconter et dénoncer un capitalisme à l’agonie ( nous sommes dans les années Pompidou – Cause du peuple ; ils sont les contemporains exacts du journal Libération), puis l’histoire enfouie, dissimulée, honteuse de la France contemporaine, les «trois placards » (selon Sollers ): Vichy, Algérie, mai 1968. Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 93 Le plus important de ces auteurs est imbibé de situationnisme (Ô dingos, ô châteaux), a réfléchi sur le terrorisme (Nada), et s’appelle Jean-Patrick Manchette; ses meilleurs livres: Fatale, Le Petit Bleu de la côte Ouest, la Position du tireur couché… En 1976, Manchette cesse de publier, se consacre à des travaux de traducteur (Robert Littell, Ross Thomas) et de critique et théoricien du genre (Chroniques). Très vite, le rayon initié par Manchette dans la bibliothèque se divise en deux: ici des écrivains qui maintiennent l’intention politique de départ mais dont la littérature n’est jamais la question: au premier rang, Didier Daeninckx et son obsession des «trois placards», qu’incarne un personnage comme Papon (Meurtres pour mémoire) ou Thierry Jonquet, hanté par la Shoah et l’histoire du communisme (Les orpailleurs, Rouge c’est la vie, Du passé faisons table rase); de l’autre côté, on peut sûrement classer les livres de René Belletto (Revenant de la recherche au roman populaire), mais nul doute qu’à lui tout seul et avec ses quatre premiers romans 11, Jean Echenoz, qui a donné ses premiers textes à la revue 11 Un plus trois: véritable «somme par anticiMinuit, est le romancier de cette seconde voie (sacré par Le Monde pation», Le Méridien de Greenwich (1979) expose comme le programme de «romancier des années 80»). Dans le sillage de l’auteur du Petit l’œuvre ultérieure. Bleu, qui l’adoube d’ailleurs à l’occasion de Cherokee, il s’impose à première vue comme le maître du polar parodique, de l’aventure ludique (L’Équipée malaise), du roman d’espionnage détourné (Lac), du «malaise dans la fiction»: un air de soupçon, une allure de second degré et de n’en penser pas moins – l’impératif critique maintenu, intégré – tout en racontant à nouveau les histoires très compliquées, très inachevées, très enchevêtrées, de la vie contemporaine. Mais à la différence de Manchette, son propos n’est pas politique, et sa politique littéraire (sa stratégie) fort dissemblable: en guerre contre les genres majeurs, la légitimité des avant-gardes (qu’il cite et connaît très bien) et leur complicité avec l’ordre du monde, Manchette se tournait vers le populaire et le dominé. Chez Echenoz, point de hiérarchie. Dans ses romans d’une complexité formelle et d’une densité de composition – souvent microscopique, poétique – inépuisables, les éclats de culture sont tous sur le même plan comme le sont les débris du monde. Un paragraphe de Lac peut mêler souvenirs du Coup de dés et de L’Éducation sentimentale et clichés policiers. À la limite le polar est l’instrument d’un classicisme analogue à la règle des trois unités dans la tragédie classique. On mesure le trajet parcouru: contemporain des jeux de Boris Vian avec les genres mineurs (J’irai cracher sur vos tombes), Sartre se divertissait avec la Série noire, Robbe-Grillet la relevait grâce à Œdipe (Les Gommes), ou la manipulait de haut (La Maison 94 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas de rendez-vous, 1965, Projet pour une révolution à New York, 1970 ), Manchette même était dans le second degré. Echenoz, lui, n’est jamais «plus malin » que son matériau, même s’il n’en est «pas dupe». Tous les héritages sont présents mais jamais dominés. Tout ce qui permet de vivre, voilà la bibliothèque. Résultat: un réalisme paradoxal qui naît d’une immersion totale, rousselienne dans le langage, les cultures et leurs contraintes. Depuis 1990, cette manière a connu son aboutissement, et sa mise en abyme. Après quatre livres qui faisaient le tour de la paralittérature et mettaient au point une écriture virtuose, une littérature «fractale» comme il le disait récemment de Flaubert, Jean Echenoz publie en 1992 Nous trois, «second premier roman», redémarrage à zéro – le zéro quasi pascalien de vies prises entre tremblement de terre et voyage interplanétaire. Nouveau tournant en 1999, avec Je m’en vais: à travers l’histoire d’un galeriste choisissant les valeurs sûres de l’art « primitif», surprenant retournement de la plus «contemporaine» des écritures contre l’art contemporain. En 2001, dans son bref hommage à Jérôme Lindon, qui est aussi un anti traité d’esthétique, Echenoz prend imaginairement la place du « père du père» (Beckett ). C’est vrai que, depuis 1983, ils sont légion à pratiquer l’écriture Echenoz aux Éditions de Minuit ou ailleurs : Patrick Deville, Alain Sevestre, Patrick Lapeyre, Christian Oster, Christian Gailly, Gérard Gavarry, Éric Laurrent, Tanguy Viel… Sa mise en abyme: en 1990, dans un livre de science-fiction qui dit adieu au «ghetto-SF», Antoine Volodine, auteur de quatre livres en «Présence du futur», fait l’éloge polémique et ambigu de la «littérature des poubelles» contre la littérature dominante, blanche: Lisbonne, dernière marge est un puissant «tombeau» des avant-gardes, politiques et littéraires, à scénario terroriste allemand ( Baader ) et littéraire lusitanien (Pessoa). D’autres livres suivent, qui complexifient la donne jusqu’à Des anges mineurs. Anticipation chez Volodine de ce que, comme naguère le polar, la SF est devenue la littérature «naturaliste » de notre temps d’après la chute du mur, la guerre du Golfe, Internet. Pour qualifier l’écriture de Michel Houellebecq, qui ne dissimule pas sa dette envers Lovecraft ou Huxley, Dantec parle de «science- fiction du quotidien». Exemple: Maurice G. Dantec lui-même avec ses extraordinaires Racines du mal en Série noire, et ses moins convaincantes prophéties (Théâtre des opérations, Laboratoire de catastrophe générale) désormais accueillies dans la collection «blanche». Ou Mehdi Belhaj Kacem et sa revue au titre cronenbergien: EvidenZ, ou les romanciers de Ligne de risque. Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 95 On peut trouver la chronique de cette évolution ( d’une littérature de genre subversive à la littérature tout court, novatrice, quand à son tour la première a « fait son temps ») dans le rassemblement posthume des Chroniques (1976-1995 ) de JeanPatrick Manchette (1996), et son passage à l’acte dans Noces d’or, le livre publié lors du cinquantenaire de la Série noire: le «code Stéphane» (Mallarmé et sa Pléiade) sert de code clandestin aux personnages. Pourquoi ne pas baptiser cette attitude la tendance Don Quichotte? Les uns partent de la bibliothèque et s’en vont rejoindre le réel, les autres habitent le réel éclaté, aplati, télévisé, de la fin du XXe siècle, éberlués d’être en même temps dans les débris de la bibliothèque. Comme l’hidalgo partait à l’aventure, la tête farcie des romans de chevalerie, ils enfourchent le roman populaire du temps… « Littérature des poubelles », autre « dépôt de savoir et de technique» (Denis Roche). de jean ricardou à renaud camus Pierre Ménard ( «du neuf avec du vieux ») et Don Quichotte («du neuf avec de l’usagé») se croisent chez Jorge Luis Borges; d’autres encore, entreprennent de faire du neuf avec les paradoxes du livre et du monde à la manière de ce dernier. Dans la lignée de Jean Ricardou – à l’apogée de Tel quel, revenant au nouveau roman et tentant de le formaliser et de le fédérer dans de mémorables Colloques de Cerisy publiés en 10/18. Et «influençant» les meilleurs livres de Claude Simon, le RobbeGrillet «non réconcilié» de la postface à La Maison de rendezvous, ou Claude Ollier. Qui à leur tour vont peser sur François Bon, déjà cité, et la pratique qui est encore la sienne aujourd’hui des «ateliers d’écriture», Alain Nadaud, ses fables borgésiennes étirées et sa revue Quai Voltaire, Marie Redonnet (dès le début, mais aussi à l’époque de ses grands petits livres : Silsie, Nevermore, Candy story). Surtout l’écrivain considérable qu’est Renaud Camus. «À la fin des années 60 si lourdement théoriciennes, le plaisir du texte est apparu comme un grand soulagement. À la fin des années 70, si pesamment dilettantes, une tentative de théorisation est appréciable à condition qu’elle prenne en compte la réalité du dilettantisme.» Ami de Roland Barthes, qui le promeut et le préface, disciple de Ricardou, il se constitue tout de suite en fils de la littérature: Barnabooth, Bouvard et Pécuchet, Pessoa… Dès ses deux premiers livres, qui se donnent pour remplis de citations «tirées 96 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas d’écrits antérieurs de l’auteur » autant que des grandes œuvres du nouveau roman (Simon, Duras ). «La représentation continue», annonce la bande. Des quatre volumes des Églogues au milieu des années 1970, une œuvre de plus de vingt volumes est sortie, qui ressuscite des genres oubliés (miscellanées, élégies, éloges, répertoire), mais aussi le roman historique, pour fantasmer à neuf – sur fond lusitano-centre-européen – l’Histoire et le roman ( Roman Roi, Roman Furieux, Voyageur en automne: un pays, la Caronie, naît d’un récit, un écrivain, Odysseus Hanon, naît de ce lieu ) et le journal (onze tomes à ce jour, du Journal romain aux Nuits de l’âme : une vie naît d’une écriture). «Un peu d’écriture éloigne du monde, mais beaucoup y ramène. » En marge de l’entreprise: Tricks (1979 ), qui propose bien après Genet, bien avant Catherine Millet, une nouvelle écriture de l’(homo )sexualité. À Barthes par Barthes, qui l’a lui-même pris à Pascal, Camus emprunte pour désigner son rapport aux récits et au textes, à toutes les manières du langage déjà là, la «bathmologie», ou « science des échelonnements de langage ». Il lui a consacré un traité: Buena vista park (1980 ), qui, autant que La Petite Vertu, de Chaillou, ou les Chroniques de Manchette, est un des plus sûrs manifestes littéraires de ce temps. À proprement parler, Camus est sûrement le seul auteur français à avoir à l’histoire de la bibliothèque et à l’Histoire tout court un lien «postmoderne» (très « américain », à la Barth ou Barthelme ), qui échappe à l’archive ( Quignard ) comme à la mélancolie (Echenoz ). On a pu, à propos de ces écrivains, parler de «postmodernité». Oui si on considère Queneau et Nabokov comme les archétypes de la chose. Non, si le mot désigne l’alibi «intellectuel» du roman de consommation, ou l’habit neuf d’une avant-garde retournée: l’histoire aurait fini par finir… en vestiaire; aucun ne la considère comme tel. À travers ces personnages de Borges, c’est tout simplement «l’héritage décrié de Cervantès » (Milan Kundera, L’Art du roman ) qui revient de trois manières. En 2001, elles se sont à demi évanouies, et à demi dissoutes (dans la… troisième livraison de la Revue de littérature générale: la Bible « des écrivains »). Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 97 1998-1983: métamorphoses de Lazare: Au-dessous du texte réhabilitations 1983: après la publication en volume de «l’abstrait» Paradis, qui le fut d’abord en feuilleton dans la revue, une longue coulée de langue, Philippe Sollers fait paraître chez Gallimard un gros roman «figuratif», Femmes (le premier d’une série de romans-chroniques; dernier paru: Passion simple ), saborde Tel quel et fonde L’Infini. Femmes fait événement par les «tombeaux» qu’on y trouve de grands théoriciens qui ont accompagné Tel quel: Barthes, Althusser, Lacan. Encore aujourd’hui controversé, ce roman du champ littéraire (fort peu bourdieusien) fait date dans celui-ci, puisqu’il clôt non seulement vingt-trois ans d’aventure intellectuelle, mais un siècle de liaison des deux fins littéraire et politique, le rêve de Joyce et Lénine se tenant par la main, l’époque «avant-garde» de la modernité… Seconde scène primitive: c’est incontestablement de ce passage de Sollers de l’«avantgarde à l’avant-scène» des médias, et du Seuil à Gallimard, qu’on peut dater les traits du paysage auxquels je faisais allusion au départ. Je renvoie à ce que je disais pour commencer de cette grande année 1983, qui est également celle du prix Médicis attribué à Cherokee, de Jean Echenoz, et de Roman Roi, le livre «caronien » de Renaud Camus. En ce début des années 1980, «hussards et grognards» et… revanchards, s’appuyant sur le Wall Street Journal (sic), nous expliquent que la littérature française était définitivement morte de l’ère « glaciaire» (Jean-Paul Aron) traversée et qu’il ne restait plus qu’à se réchauffer au soleil du vrai roman à histoires venu d’ailleurs (c’est le moment où les littératures étrangères arrivent de plein droit dans le champ littéraire français ). Dans un champ « déboussolé», tout semble pouvoir arriver (souvenons-nous des allers-retours de Pascal Quignard, ou du passage de Danièle Sallenave de la descendance de Claude Simon à La Vie fantôme ). Ces années sans boussole sont également celles d’un face-à-face aujourd’hui un peu oublié, celui du Tout sur le tout et du rien sur le rien. Le Tout sur le tout : en rééditant, en polémique contre l’état des lieux, ce titre d’Henri Calet, et d’autres écrivains méconnus ou oubliés des années 1950 (Raymond Guérin, Paul Gadenne…) ou 1930, (l’immense Emmanuel Bove ), un 98 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas petit éditeur (relayé alors dans Le Monde des livres par Raphaël Sorin, qui sera en 1998 chez Flammarion «l’extenseur du domaine de Houellebecq»…) lance la mode des «réhabilitations» tous azimuts, d’auteurs « morts au champ d’honneur littéraire»: Gallimard crée la collection «L’imaginaire», Grasset «Les cahiers rouges », Albin Michel « La bibliothèque Albin Michel », etc. Contestable cause (ressentiment), excellent effet ( résurrection). Redeviennent contemporains des écrivains oubliés : Paul Léautaud, Alexandre Vialatte, André de Richaud, Jean Reverzy, Jean Forton, Georges Hyvernaud, Eugène Dabit, Pierre Herbart, Irène Nemirovsky…, et les vivants Henri Thomas, Béatrice Beck, Louis Calaferte (dont on reprend l’érotique Septentrion). Porté paradoxalement par cette vague, on assiste au retour de Bernard Frank, réédité perpétuel, «escroc rentier de sa jeunesse», et, dans ses chroniques, analyste hors pair de la France dite profonde, celle que Sollers nommera «moisie » dans Éloge de l’infini. Puis c’est la réhabilitation des hussards, surtout d’Antoine Blondin, de Roger Nimier, de Jacques Laurent et de leur rapport à l’Histoire (Anne Simonin l’a bien montré : le «roman historique» est leur «écriture», qui permet de la rendre contingente, et de dédouaner certains d’entre eux de leurs compromissions vichystes ). Puis des écrivains de la collaboration: le duo Morand-Chardonne, Cocteau ( lui l’était depuis longtemps ), bientôt Pierre Drieu La Rochelle ( son Journal, des biographies ), directeur de la NRF sous l’occupation, ami de Malraux, de Paulhan, d’Aragon, qui pourrait bien un jour figurer le nœud du siècle littéraire français tout entier… Le rien sur le rien ; sous l’invocation emblématique de La Littérature et le Droit à la mort, de Maurice Blanchot, et en symétrie au Tout sur le tout, se développe toute une modernité négative (j’emprunte le mot à Emmanuel Hocquart, qui l’a disséquée dans la poésie) qui voit la littérature aller inexorablement vers sa fin, soit par épuisement interne ( Roger Laporte : Une vie ), soit par verdict de l’Histoire: la fiction, sinon l’écriture, serait impossible après Auschwitz. Auschwitz ? derrière la littérature, c’est la société française qui fait son anamnèse : de 1975 (Émile Ajar : La Vie devant soi; Georges Perec : W ou le souvenir d’enfance ; Pierre Goldman : Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France) à 1985 ( Claude Lanzmann : Shoah ). Souterrainement, dans ce rapport à l’Histoire, plus qu’«au-delà du soupçon» et bien « au-dessous du texte», se joue autrement le destin de la prose française. On se souvient que sa présence dans le texte Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 99 obsédait le premier Barthes, tant par sa matière ( Michelet par luimême) que par son inscription à l’insu de l’auteur dans les mots (ce qu’il nommait dans la première partie de son œuvre, je l’ai rappelé, l’écriture en opposition au style). Chez Sartre elle intervient en «situation», elle s’absente «apparemment» du nouveau roman pris en bloc; Sollers ne la connaît qu’«historiale» (préface à Logiques, 1968, préface de La Guerre du goût), les «écrivains de la lecture» à travers le filtre des langages et de l’archive. Reste qu’à l’exception de Claude Simon (de La Route des Flandres, 1960, à L’Acacia, 1989), et de Pierre Guyotat ( Tombeau pour cinq cent mille soldats, 1967, Éden, éden, éden, 1970) aucun auteur ne semble l’avoir pris à bras le corps, disons banalement comme «sujet ». Même si elle leste le soupçon (confirmation 2001 : La Reprise, d’Alain Robbe-Grillet, dans les ruines de Berlin). « Écrire après auschwitz » Le rien sur le rien donc: cette ironie car, paradoxalement, il revient à un écrivain, certes résistant mais qui ne fut pas déporté – il fut même avant la guerre, puis au début, engagé à l’extrême-droite –, d’incarner la voix (la voie) lazaréenne dans la littérature française. Et de la nier au même instant. Pour dire l’état de l’écriture à son « degré zéro», pour désigner la suspension de l’adhésion à l’Histoire, Barthes a recours au mot de blancheur : sans jeu de mots, Maurice Blanchot est l’écrivain blanc par excellence dans ses romans énigmatiques qui tournent autour de la mort ( Thomas l’obscur, L’Arrêt de mort, Le Très Haut, Le Dernier Homme) comme dans ses essais sur la littérature, qui répètent l’opération de Heidegger sur Hölderlin sous le patronage de Hegel, la fin de l’art, la mort tapie dans le mot. D’un Hegel lecteur de Mallarmé: « Quand je parle, la mort parle en moi.» «Où va la littérature ?»… « La littérature va vers ellemême, vers son essence qui est la disparition.» Figure totémique de ce courant qui transite à la gauche des Temps modernes par Critique, la revue de Georges Bataille (1948), et Les Lettres nouvelles de Maurice Nadeau (1953), cet auteur sans visage est le Mr Hyde de la littérature française, le double de négativité, la doublure de néant de tous les règnes successifs de Sartre, du nouveau roman, de Sollers et Tel quel. À l’enseigne de la fin se retrouvent d’ailleurs d’autres écrivains qui n’ont pas connu l’expérience concentrationnaire mais la rejoignent par l’extrême des situations où ils se placent, tous assujettis à une expérience qui n’est 100 12 Marguerite Duras, son épouse d’alors, racontera bien plus tard son retour, dans La Douleur. Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas pas que formelle: leur œuvre ne peut se lire que dans cette lumière noire. De Georges Bataille ( l’érotisme, approbation de la vie jusque dans la mort) à Samuel Beckett, via Louis-René des Forêts ( Le Bavard, Pas à pas jusqu’au dernier ) ou Pierre Klossowski… On peut parler d’un véritable collège invisible. Appendice: on peut y adjoindre quelques livres directement issus de l’après-Mai 68: Robert Linhart ( L’Établi ), Leslie Kaplan (qui dit L’Excès-L’usine dans une langue creusée qui vient de Blanchot et de Duras, avant de trouver son volume propre dans Le Pont de Brooklyn ) ou François Bon (Sortie d’usine ), qui évoluera par la suite vers une sorte de naturalisme populiste. Paradoxe dans le paradoxe: plus l’après-guerre se prolonge, plus Blanchot se rapproche de la guerre et des camps, sans lesquels son extrémisme mallarméen d’origine ne peut pourtant être pleinement compris : c’est seulement après 1968 ( 1969, L’Entretien infini, 197; L’Écriture du désastre), en 1983 lors de la réédition du Ressassement éternel, qu’il déclare «qu’à quelque date qu’il puisse être écrit, tout récit désormais sera d’avant Auschwitz ». Formule qui joue en France un rôle analogue à l’interdit en Allemagne attribué à Adorno, et qui connaît donc vers 1983 en France sa fortune nihiliste maximale. «La fin est là d’où nous partons», écrivait, à l’inverse, le beaucoup plus méconnu Jean Cayrol: «J’étais un fidèle lecteur de Kafka et puis j’avais des renseignements sur ce qui m’attendait», écrit le romancier catholique qui fut déporté à Mauthausen, dans un livre autobiographique de 1982. Il reformule là autrement ce qui déjà faisait le cœur de son manifeste de 1950 : Lazare parmi nous. Dans les textes « lazaréens » se croisent et se démultiplient modernité et expérience historique, l’une donnant sa pleine résonance à l’autre, comme Kafka au camp, ou le camp à Kafka. De façon inattendue, Cayrol cite l’abbé Prévost (Manon Lescaut) et moins bizarrement L’Étranger, d’Albert Camus. À l’appui de sa thèse, outre les livres de Cayrol lui-même (de Je vivrai l’amour des autres, prix Renaudot 1947, à ses romans des années 1980, via Les Corps étrangers) ou le film Nuit et Brouillard, qu’il réalise avec Alain Resnais à l’intemporel présent, il faut mentionner les témoignages, qui sont beaucoup plus que des «témoignages », de David Rousset ( Les Jours de notre mort), Charlotte Delbo ( Le convoi du 21 janvier), ou Robert Antelme ( L’espèce humaine, sur le camp de Buchenwald ) 12. L’Espèce humaine réajuste la littérature selon la prévision cayrolienne: au camp «les travestissements d’un style, les parodies, les fausses parures, en un mot le bric-à- Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 101 brac romanesque tombaient d’eux-mêmes, une œuvre se jugeait comme un homme». Pour sortir de «Balzac», «Auschwitz» a fait autant que Faulkner ou Joyce. Loin d’interdire, «Auschwitz » «contraint» à l’invention : voir Perec. georges perec Depuis sa «disparition » prématurée en 1982, la gloire posthume de Georges Perec est en effet sans équivalent, de l’édition savante (le moindre inédit publié et commenté, la croissance exponentielle de la bibliothèque perecquienne) à la culture de masse ( Je me souviens, devenu en 1989 une sorte de nouveau questionnaire de Proust ). Longtemps considéré comme un sociologue flaubertien et humoriste ( Les Choses en 1965), disciple de Queneau, puis comme le technicien hors pair d’une sorte de littérature en kit, démontable et remontable à merci, sans ombre ni reste (le puzzle de La Vie mode d’emploi en 1978), virtuose du palindrome et du lipogramme, oulipien au carré, tendance Vermot et mots croisés, il a désormais totalement changé de statut dans la culture hexagonale, à cause des relectures de ses textes au miroir de W ou le Souvenir d’enfance, en 1975. C’est que les quatre zones entre lesquelles il avait coutume de partager son œuvre ( autobiographique, sociologique, romanesque, ludique) sont désormais hiérarchisées: l’autobiographie surdétermine les trois autres. W et ses deux niveaux, la fiction et l’impossible exercice de mémoire (W, dans les sous-textes duquel on a pu découvrir des fragments des Corps étrangers de Cayrol), fait figure de microcosme de l’œuvre. À l’écrivain «démocratique» (Claude Burgelin), qui livre à qui veut les prendre les secrets de sa fabrique, s’est ajouté l’auteur universel, « juif polonais né en France» orphelin pour cause de nazisme, qui a trouvé dans le fait de s’agripper au petit h de l’alphabet le moyen ni plus ni moins que de vivre après qu’est passée sur son enfance « la grande hache de l’Histoire». Les plus audacieuses des combinatoires ont été «déclenchées » par l’expérience intime du vide, du crime et de l’effacement du crime. Tant La Disparition (le roman sans « e») que La Vie mode d’emploi sont à prendre – aussi – au sens fort, et leur force est également que, de ce qui les fait être, elles ne parlent pas. Perec est absolument, en un sens non fortuit, un écrivain de l’aprèsguerre, d’après le génocide (tout le programme de Perec est d’ailleurs énoncé en clair dans une série d’articles parus dans Partisans autour de 1960, bien avant Les Choses, et consacrés à 102 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas une critique « de gauche» du nouveau roman adossée au livre de Robert Antelme). Derrière Roussel, Rousseau. Sous l’Oulipo, l’anamorphose d’Auschwitz. Il revient à Bernard Magné d’avoir mis au jour les mécanismes exacts de l’articulation des deux vertiges, les «æncrages». Conséquence: à l’heure du décès de l’avant-garde, non seulement Georges Perec rend caducs par son existence même les lieux communs passés, via Maurice Blanchot, dans la doxa cultivée, sur l’impossibilité d’écrire après Auschwitz, mais en outre il rend vains par sa puissance narrative tous les «retours à » et les « retours de». Il est le prototype, je renvoie à Julien Gracq, de l’auteur qui cumule situation et audience, à la fois Jules Romains et Franz Kafka… Mieux : il apparaît, aujourd’hui, avec ses moyens propres, « contemporain» de tous ceux qui ont modelé le paysage de ces trente années : avec chacun, il est en intersection, avec Butor, Sollers en négatif, avec Le Chemin il partage outre l’amitié une grande partie de la bibliothèque, avec Jean Echenoz le réalisme antinaturaliste qui passe par une folie rousselienne des mots. Est-ce un pur hasard si Alain RobbeGrillet, là encore bon témoin, clôt le dernier volume de ses Romanesques, Les Derniers Jours de Corinthe, par le récit d’une anodine rencontre avec Perec, puis apparemment sans raison, par une litanie de «je me souviens». Post-scriptum de La Disparition (1969): «L’ambition du Scriptor, son propos, disons son souci constant, fut d’abord d’aboutir à un produit aussi original qu’instructif, à un produit qui aurait, qui pourrait avoir un pouvoir stimulant sur la construction, la narration, l’affabulation, l’action, disons, d’un mot, sur la façon du roman d’aujourd’hui. [...] Le scriptor façonnait [...] un produit prototypal qui [...] abandonnant à tout jamais la psychologisation qui s’alliant à la moralisation constituait pour la plupart l’arc-boutant du bon goût national, ouvrait sur un pouvoir mal connu, un pouvoir dont on avait fait fi [...] l’innovant pouvoir d’un attirail narratif qu’on croyait aboli. » À l’instar de Sartre, et plus que tout autre ( Sollers ), de par ce lien unique entre vertige du texte et vertige de l’Histoire, il apparaît rétrospectivement comme le «contemporain capital posthume» de cette période 1968-2001. Son «horizon indépassable». Ce n’est pas la moindre surprise en «flash-back », la moindre « ruse de l’Histoire ( littéraire)» de ces trente années. Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 103 1968-1998-2001: Au tournant de l’histoire 2001, année théorique… Depuis 1998 (Michel Houellebecq : Les Particules élémentaires; Christine Angot: L’Inceste), donc, l’«apesanteur» d’un champ désormais sans bords ni centre; recouvert par la Grande Restauration, qui l’est ellemême par le Spectacle, les deux s’unifiant à l’enseigne de ce que Michel Deguy baptise « le culturel». La vindicte, je la rappelais au début, qui s’exerce dans tous les domaines, contre les «avantgardes » et la «pensée 68», la cascade des « retours à » et des « retours de». La fin de la « tradition du nouveau », la modernité tuée avec les avant-gardes. Les trois « écritures » inaugurées en 1968, et qui ont émergé au grand jour dans l’après-1983, marquent le pas pour la même raison qui les a rendues visibles : après un passage par des romans qu’on pourrait dire «mentaux », Jean Echenoz s’en est donc « allé», retournant la plus contemporaine des écritures contre l’art contemporain. Florence Delay a fait son entrée, fin 2001, à l’Académie française au fauteuil de Jean Guitton. Pascal Quignard se «yourcenarise » ( Vie secrète, 1997 )… Renaud Camus abandonne toute « bathmologie » pour Maurras et son antisémitisme vieillot, passe du Vichy de Larbaud… à son Chamalières natal, celui du Chagrin et la Pitié, de l’engendrement imaginaire par les livres à un curieux retour aux origines: d’où «l’affaire» que j’ai dite… Pis : en lieu et place de ces façons d’inventer, le doublon terroir-« littérature de voyage » que je rappelais, n’est pas sans devoir quelques prestiges à celles-ci. Ici, en effet, certains « écrivains de la lecture» prêtent la plume à la «belle prose» triste pour dictées (les noces du Grand Meaulnes, du Petit Prince et de Maurice Blanchot…) qui figure de plus en plus pour les « vrais lecteurs » l’image de la « vraie littérature » face aux médias corrupteurs… Pierre Michon avec François Bon et Pierre Bergougnioux. De cette « confusion des lettres », de cette « cohabitation » dans les œuvres elles-mêmes, un bon symptôme peut être fourni par la tétralogie de Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, qui a l’histoire de France et le XXe siècle pour sujet : Les Champs d’honneur, Des hommes illustres, Le Monde à peu près, Pour vos cadeaux. Maurice Genevoix s’y avance sous le masque de Claude Simon, la plus convenue des mémoires nationales sous les fastes de la plus novatrice des écritures. Là, le « poujado-gauchisme » ( amère- 104 13 Malgré les récents aveux des bourreaux, qui, plus que les témoignages des victimes, ont amorcé un processus, celle des guerres coloniales n’est pas encore venue dans la culture française. 14 Dans le prolongement des Exercices de style et des 100 000 milliards de poèmes de l’auteur de Chène et chien. On peut lire une histoire personnelle de l’Oulipo dans la toute récente Bibliothèque de Warburg, de Jacques Roubaud. Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas ment diagnostiqué, superbement analysé par Jean-Patrick Manchette dans ses Chroniques, publiées de façons posthume en 1996) submerge le néopolar sous les espèces du Poulpe (créé par Jean-Bernard Pouy, pourtant auteur de Nous avons brûlé une sainte). Lequel néopolar ne feint plus même de se donner les apparences d’une alternative à la littérature légitime : les romanciers passent et repassent les frontières de la « blanche » à la «noire» (Pierre Bourgeade, Tonino Benacquista ), la presse la plus conformiste n’en finit pas de célébrer le cinquantième anniversaire de la Série noire, fondée par le surréaliste Marcel Duhamel dans l’aprèscoup de la Libération… À l’horizon, le cauchemar théorique que j’inventais, ce qui serait la plus saugrenue redéfinition de l’exception française, une «littérature Amélie Poulain»: Daniel Pennac de Belleville versus Christian Bobin du Creusot, et les nostalgies, pas uniquement formelles, qu’ils incarnent face aux modernités ( avant-gardes et « spectacle » ici confondus), brassées à Francfort… qui faillit advenir lorsque la NRF lança autour de Philippe Delerm le mouvement des «moins-que-rien». Rien n’est moins sûr : cinq « lignes de fuite », cinq «écritures » peuvent être décelées et nommées, qui laissent entrevoir une autre «évolution littéraire» pour la prose française. Georges Perec: plus que des clivages proprement esthétiques, internes au champ littéraire, entre «l’ancien et le nouveau», on peut se demander en effet si, depuis cette grande année 1983, les partages ne sont pas désormais entre cette RestaurationSpectacle et ce que désigne le nom de Lazare ( les écrivains, toutes écritures confondues, qui savent que l’Histoire pose des questions aux formes ). Se demander, comme je viens de le faire, si l’anamnèse de la société française sur Vichy-Auschwitz (19751985 13 ) n’a pas doublé – au sens «textile » comme au sens «automobile»… – l’évolution littéraire ( qui allait à rebours ). Grâce à Perec, 1945 pourrait avoir remplacé 1968, comme point d’origine de la littérature qui s’avance. Conséquence: la dissociation des deux vertiges que l’auteur de La Disparition cumulait: Perec donc Oulipo, Perec donc Modiano. L’Oulipo, «ouvroir de littérature potentielle », créé en 1962 pour explorer les contraintes du langage par Raymond Queneau et François Le Lionnais, ou « la littérature à l’ère de sa reproductibilité technique» 14. Inversion temporelle : la gloire de Perec libère le groupe de sa relative marginalité, devrait aussi dissiper ce qui demeure en lui de velléités « Amélie Poulain» ( le côté Marcel Aymé parfois de Queneau…, de certains oulipiens surtout). À Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 105 l’heure du retrait des « modernes» avant-gardes, sa parenté avec l’art contemporain en tant qu’il n’est pas moderne devient son atout ( je renvoie à Voilà le monde dans la tête, l’immense exposition au musée d’Art moderne à Paris en 2000, à des artistes entre littérature et art comme Sophie Calle, Claude Closky ou Valérie Mréjen). Modiano: l’auteur de cet autre Recherche du temps perdu qui va de La place de l’Étoile (1968) à Dora Bruder (1997), l’interlocuteur d’Emmanuel Berl ( Interrogatoire), qui passait bizarrement, après Lacombe Lucien, pour responsable de la «mode rétro», pourrait être à Vichy ce que Perec est à Auschwitz, le grand écrivain «lazaréen » d’aujourd’hui (qui rappelait récemment que c’est au Mémorial de Serge Klarsfeld que l’écrivain doit se mesurer, comme naguère Balzac à l’état civil), inventeur d’un art de la mémoire, le « centre de gravité» de la prose française. Georges Perec «horizon indépassable» et Patrick Modiano «centre de gravité»… Et après ? Philippe Sollers, «astre sur l’horizon» et «centre de légèreté »? En effet, après 1968, lors de l’implosion et de l’évolution que j’ai retracées, le fondateur de Tel quel s’engage dans un parcours double – et dans un malentendu maximal. De façon visible, dans une trajectoire idéologique qui mène «l’écrivain», le personnage social, de Mao Tsé-Toung à Jean-Paul II, via les États-Unis, à une apparente adhésion aux méandres de l’Histoire, à sa forme triviale, l’actualité. De façon plus secrète, dans une passion d’écriture (de «style») visant à échapper au «cauchemar» de celle-ci (H, Paradis), une tentative de renouer le fil des «exceptions ». Sous le Grand Timonier, la pensée chinoise, derrière le pape, les mystiques chrétiens… La complexe métamorphose de Femmes (1983) fait se rejoindre les deux dans l’espace de la chronique romanesque; l’écriture peut sembler désormais soumise aux incartades des frontières du champ et Sollers vouloir y occuper, successivement puis simultanément, toutes les positions possibles 15. Malentendus démultipliés –que 15 Très actif dans le «spectacle», Sollers, désigne la référence nouvelle chez celui que j’appellerai le qua- «baromètre», publie dans L’Infini, les auteurs de la Restauration… Julia Kristeva trième Sollers au «jeune hégélien » Guy Debord, théoricien, donne une version romanesque des années Tel quel dans Les Samouraïs, aussitôt dans l’avant-68, de la « société du spectacle» et au Martin après il suscite au Seuil une histoire intellectuelle de la revue par Philippe Forest. Heidegger contempteur de la « technique»… Qu’accroissent des livres exotériques (sur Casanova, Denon, Mozart), qui sonnent comme des plaidoyers à la Paul Morand ( Fouquet ) pour ses engagements séculiers ( derniers en date : Balladur, Jospin, Messier), et sa collaboration au Journal du dimanche. De livre en livre, Sollers se propose de faire advenir les épiphanies du sens et des sens, l’instant physique, dans la trame de l’instantané 106 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas médiatique qui le nie. L’« expérience intérieure» au cœur de l’universel zapping, un corps qui écrit dans la manipulation génétique générale. Comme naguère le feuilleton du romancier, L’Infini publie en ouverture de chaque livraison son feuilleton de lecteur (La Guerre du goût, Éloge de l’infini). La ligne Rimbaud, Proust, Aragon, Céline, Genet… la Pléiade a remplacé la moderne bibliothèque Tel quel. Comparaison possible avec les stratégies d’images contemporaines d’un Jean-Luc Godard. Antipodes absolues de l’indépendance d’un Georges Perec. Littérature toute dernière marge à renégocier chaque jour. Ou littérature «générale»? Face à Philippe Sollers, et à ce qui fait figure d’équilibrisme avec «grognards-Laclave et hussardsInrocks» et nouvelle «littérature à l’estomac» (Beigbeder), de jeunes poètes la reposent à nouveaux frais. Terrain par excellence du «sacré», donc de la «messe» littéraire, la poésie a souffert, plus et moins à la fois, de la Restauration que la prose. Témoins: Jacques Roubaud, le théoricien de La Vieillesse d’Alexandre et de La Fleur inverse, et Emmanuel Hocquart (Ma haie, 2001). Avec la Revue de littérature générale (1995: La Mécanique lyrique; 1996: Digest), Pierre Alferi et Olivier Cadiot, poètes passés à la prose, tentent «à partir d’elle» un véritable «coup d’État des lieux», une reconquête et une recomposition du champ littéraire tout entier: la réunion des prosateurs que je plaçais sous l’enseigne de «Pierre Ménard, Don Quichotte et Borges», Jean Echenoz en tête, et des marges de Tel quel, et surtout l’alliance, comme au début du siècle, avec musiciens et artistes aux préoccupations formelles identiques face à la Restauration (Pascal Dusapin, Alain Bashung, Benoît Delbecq, Kat Onoma: On n’est pas indiens, c’est dommage, avec Rodolphe Burger). Un programme qui peut faire signe vers l’itinéraire très singulier d’un Michel Butor ou vers Po&sie, le titreemblème de la revue de Michel Deguy (créée en 1977)… Une autre géographie, une nouvelle autonomie sont peut-être en gestation… et temporairement en panne. 2001, année théorique… sous la direction du romancier catholique Frédéric Boyer, édité chez POL, une Bible des écrivains a vu le jour chez Bayard, engagée avec Cadiot et Alferi comme noyau dur, et rassemblant autour de ce travail de traduction nombre d’écrivains qui peuvent se rattacher aux trois écritures que j’ai inventoriées à l’enseigne du Pierre Ménard de Borges. À l’arrivée, la réaffirmation offensive de la traduction comme œuvre à part entière, mais la Bible devenue une sorte de Revue de littérature générale numéro 3, l’instrument défensif d’une resacralisation de la littérature face au Spectacle… Jean-Pierre Salgas • Défense et illustration de la prose française 107 2001, année théorique… mort de Léopold Sédar Senghor, la version sage de la négritude, le rassembleur du puzzle d’une humanité en morceaux, danse nègre et raison hellène… Et de René Étiemble, le grand comparatiste entre des cultures comparables parce que séparées. À rebours, le prix Goncourt 1992, décerné à l’un des auteurs de l’Éloge de la créolité (pour Texaco), Patrick Chamoiseau ( Biblique des derniers gestes, 2002 ), parachevait l’autonomisation évoquée des littératures francophones à la manière hispanophone ou lusophone. La «poétique du divers» d’Édouard Glissant ( Tout-monde), dont il est l’enfant, anticipe, à rebours du « roman international prétraduit» ( à la Eco ), une «créolisation » de la langue et des formes qui n’est pas sans écho à Paris. Le jour approche où ces écrivains pèseront de tout leur poids sur une « littérature française» en mutation dans l’espace mondial, à l’égal des grands étrangers (pour l’heure, seuls Milan Kundera, Tchèque en France, ou Denis Hollier, Français des États-Unis, l’ont entrevu…; dernière minute : Bernard Pivot à son tour un peu, sa nouvelle émission se nomme Double je ). À ce propos : il serait temps de relire autrement que sous la seule rubrique de la « supercherie» un romancier apparemment traditionnel comme Romain Gary-Émile Ajar. Peutêtre commence-t-il une vie posthume de première importance : ses deux Goncourt sous deux identités différentes ne posent pas que des problèmes de théorie littéraire, ne sont que la face visible d’une hétéronymie plus vaste. Celle d’un écrivain français d’Europe centrale, qui se réclamait de sa «batardise », celle d’un «écrivain de frontière» tel que le définit Claudio Magris parlant des romanciers de l’ex-empire des Habsbourg 16. Un écrivain à 16 «Kafka est lui-même une frontière, les lignes la «diaspora dans la tête», soit, pour la dire autrement, le plus de démarcation et les points de jonction passent à travers son corps qui ressemble à exact opposé et d’un écrivain du terroir et d’un écrivain «de ces lieux géographiques où s’entrecoupent les zones frontalières de plusieurs États.» voyage », l’anticipation d’une autre France. Je rappelais les disques d’Olivier Cadiot et Pierre Alferi, en quête d’alliances transversales. Michel Houellebecq (apparu avec Extension du domaine de la lutte), interprète lui aussi ses poèmes en public, et Christine Angot fait des performances au théâtre. Last but not least, ces promoteurs de ce qui semble une «révolution conservatrice» 17 pourraient jouer leur rôle dans 17 Portée tout autant par l’ex-centre de la l’invention du Nouveau. Conservatrice: les formes sont vieilles, banque centrale ( la Nouvelle Revue Française de Michel Braudeau) que par fiction ici d’un «état de nature» de la littérature, stylo à l’épaule les Inrockuptibles. du sujet Angot, autofiction façon Dogma (Lars Von Trier ), là mixte de naturalisme et d’écriture blanche (un certain Barrès, Anatole France). Révolution : irruption du « réel» contre les 108 Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas académismes et les pastiches d’avant-gardes, même si ce «réel » est confondu, ici, avec une sorte d’état de nature, là avec le «contemporain » (la vie sexuelle à l’ère du supermarché ). Si la littérature française est redevenue hétéronome par rapport aux médias, pourquoi ne pas prendre cela comme sujet? Après le roman de l’inceste, je le rappelais pour commencer, Quitter la ville est le roman de la « guerre» d’Angot, «Duras tendance Villemin », Antigone, contre « la famille » littéraire incestueuse, le champ, le microcosme qui la rejette. Pourquoi, toujours face aux médias, « ne pas étendre le domaine de l’écriture ? » Lanzarote, par exemple, le troisième opus houellebecqien ( un digest partiel des Particules élémentaires, une esquisse de Plateforme), monologue d’un «petit Blanc» (racisme et scientisme ordinaire, positivisme de magazine ) en vacances sur une île volcanique des Canaries, est un «traité du style » autant qu’un «traité du sexe»: Hot vidéo ou le Guide du routard entrent en littérature (on songe à Bouvard et Pécuchet, aux Choses, à une reprise déplacée des stratégies d’écriture d’un Manchette et d’un Echenoz…). 2001, année théorique… À l’instar de 1549, année de la Défense et illustration de la langue française de Joachim Du Bellay. Aujourd’hui certes, la question de la langue se pose différemment – il n’y aurait d’ailleurs rien de pire que la «littérature Amélie Poulain » d’une France devenue une réserve d’Indiens (on pourrait même imaginer, avec Gao Xingjian, une «littérature française» composée en d’autres langues que le français ): il y a désormais des langues françaises. Mais les enjeux restent strictement les mêmes qu’en cette époque déjà de mondialisation, comme je le rappelais en évoquant la disparition de Jérôme Lindon, les seconds adieux de Bernard Pivot: nouveauté, autonomie. Dissipées avec les avant-gardes, les formes classiques de modernité, ce sont elles qui sont en refonte dans chacune des cinq « écritures » que je viens d’énumérer, et à leur intersection. À suivre… 111 Le roman français contemporain bibliographie histoire théorie de la littérature Le Degré zéro de l’écriture, Seuil, 1953 2-02-002575-2 Bayard, Pierre Aragon, Louis Blanchot, Maurice L’Amitié. Recueil d’essais critiques sur des sujets très variés tels que Lascaux, Malraux, Bataille, l’ethnographie, le marxisme, la littérature, la politique, J’abats mon jeu, Il était deux fois Romain Gary, Lettres françaises, 1992 2-909823-01-6 PUF, 1990 2-13-043132-1 Armel, Aliette Beigbeder, Frédéric Marguerite Duras et l’Autobiographie, Dernier Inventaire avant liquidation, Castor astral, 1996 2-85920-168-8 Grasset, 2001 2-246-59691-2 Aron, Jean-Paul Belletto, René Les Modernes, Les Grandes Espérances de Charles Dickens, Tous les mots sont adultes. Méthodes pour l’atelier d’écriture, Barthes, Roland POL, 1994 2-86744-400-4 Fayard, 2000 2-213-60705-2 Sollers écrivain, Bellos, David Seuil, 1979 2-02-005187-7 Georges Perec. Une Vie dans les mots, La Folie Rabelais. 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Son premier essai, L’Écriture seconde, pratique poétique de Jacques Dupin, paraît en 1982 aux éditions Galilée. Il est suivi de travaux et de directions d’ouvrages sur le roman et la poésie du XXe siècle (La Littérature contemporaine. questions et perspectives, PU de Leuven, 1993 ; L’Injonction silencieuse, La Table ronde, 1995 ; Jules Romains et les écritures de la simultanéité, PU de Lille, 1996). Spécialiste de l’œuvre de Claude Simon, auquel il a consacré un livre ( Une mémoire inquiète, PUF, 1997 ), et codirecteur de La Revue des sciences humaines, il participe en outre aux comités de rédaction des revues Beckett Today (Amsterdam/Atlanta), Sites, the journal of 20th-century contemporary french studies (USA) et Roman 20-50 (Lille). Depuis une dizaine d’années, Dominique Viart compte au nombre de ceux qui ont ouvert l’Université française à la littérature immédiatement contemporaine. En témoignent la collection Perspectives 20e, qu’il dirige aux Presses universitaires du Septentrion et la série Écritures contemporaines, qu’il a créée aux éditions Minard/ Lettres modernes. Derniers ouvrages parus: Le Roman français au XXe siècle (Hachette, 1999) et «Paradoxes du biographique», Revue des sciences humaines, n° 263, 2001. Il prépare présentement un essai sur les «Fictions critiques» dans la littérature actuelle. Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 133 Près de quatre cents romans paraissent à chaque rentrée littéraire, en septembre. Auxquels il faut ajouter ceux dont la publication intervient au fil de l’année. C’est dire, au moins quantitativement, et même s’il faut faire la part d’un système éditorial qui trouve son bénéfice économique dans la multiplication des titres et des « offices » de librairies, l’extrême vitalité d’un genre que l’on aurait pu croire menacé par le succès de l’audiovisuel ou des échanges sur Internet. Mais qu’en est-il de la qualité et de l’intérêt de ces livres? Quelques critiques (Jean-Marie Domenach, Henri Raczymow…) se sont élevés ces dernières années pour déplorer que la littérature française n’avait plus rien à dire, qu’elle avait perdu sa valeur et sa vigueur. On peut certes regretter l’indigence de quantité de textes publiés comme « romans ». Nombre d’entre eux tiennent du produit périssable – et la « dure loi du marché » ne se prive pas de le leur rappeler. Mais dans le flot tout n’est pas à rejeter. Et l’on est en droit de se demander si de tels propos ne révèlent pas une relative méconnaissance du fait littéraire contemporain (du reste parfois reconnue par ceux-là mêmes qui les tiennent ). Car la littérature évolue : elle ne se donne pas aujourd’hui les mêmes enjeux qu’autrefois. Elle réforme ses pratiques et ses usages, tente d’autres approches des objets qui la sollicitent. On ne saurait dès lors l’évaluer selon les canons constitués au regard des pratiques antérieures – ce que font trop souvent ces critiques. 134 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart Il est manifeste que le début des années quatre-vingt a connu une sorte d’aggiornamento esthétique qui remit en question une certaine conception de l’acte littéraire, lui-même élaboré sur une critique radicale des conceptions précédentes. C’est à partir de cette mutation que l’on peut envisager le roman contemporain dans ses spécificités. Une difficulté doit cependant être prise en considération : la quantité de romans publiés défie toute analyse exhaustive. Nul ne peut se prévaloir de les avoir tous lus. Il faut tenter une approche discriminante. Elle reposera sur une question préalable: celle des enjeux que l’œuvre se donne à elle-même et dont elle témoigne. Une œuvre en effet n’existe pas sans un enjeu qui la motive. Or cet enjeu, profondément lié à l’idée que l’écrivain se fait de sa pratique d’écrivain, confère à l’œuvre une place dans le grand concert plus ou moins discordant des activités sociales, idéologiques et culturelles. Il est tout à la fois le signe de son ambition et le critère de son exigence. L’artisanat, le commerce et l’écriture littératures consentantes On peut ainsi aisément distinguer, dans le vaste spectre des livres publiés, une littérature consentante, c’est-à-dire une littérature qui consent à occuper la place que la société préfère généralement lui accorder, celle d’un art d’agrément voué à l’exercice de l’imaginaire et aux délices de la fiction. Quantité de romans perpétuent ainsi une tradition du romanesque bien installée depuis le XVIIIe siècle, qui produit chaque année son lot de livres achetés et vendus sur les étals de supermarchés et par les « clubs du livre » par correspondance. Je parlerais du reste volontiers à leur égard de livraison plutôt que de littérature, n’étaient quelques rares écrivains talentueux en ce domaine auxquels ce jeu de mots peut-être ferait injure. Force cependant est de constater que ces ouvrages se (re)produisent souvent en série, variant à l’infini les mêmes intemporels ingrédients, mixtes de romans historiques, exotiques ou sentimentaux ( aux sentiments toujours empêchés mais toujours triomphants ). De tels livres relèvent au mieux de l’artisanat, d’un artisanat bien maîtrisé parfois, mais de l’artisanat quand même, non de l’art. Ces écrivains sont en quelque sorte nos « compagnons du devoir ». Il n’en sera pas question ici. Un récent avatar de la littérature consentante a cherché à renouveler sa thématique. Accentuant par réaction au monde Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 135 contemporain une certaine image de la littérature comme lieu de la beauté préservée, d’un univers qui se voudrait réconcilié et désespère de ne l’être pas, il produit de « délicieux » petits ouvrages où il n’est question que de la « lumière » de l’être, de la « chance » de l’amour ou encore du rayonnement des humbles mais vrais plaisirs de la vie. Une telle littérature consent à se faire chant du monde, perpétuant à sa façon l’un des rôles que la collectivité sociale lui a dévolus depuis l’origine. Christian Bobin, Philippe Delerm, Pierre Autin-Grenier, Colette Nys-Mazure, Marie Rouanet, quelques autres, sont ainsi les chantres d’une autre forme de sociabilité, dépouillée de ses âpretés, idéaliste et naïve. Seuls comptent alors la sensibilité immédiate, la qualité de présence qu’elle donne au monde et le goût des «petits bonheurs». Sans intention de fiction ni d’intrigue, ces auteurs s’écartent de la tradition romanesque au profit d’une narration souvent émotive et descriptive qui rêve d’incarner une poésie qui n’est plus, et déploie à plaisir un vague lyrisme du quotidien. littérature concertante Face à ce que d’aucuns peuvent à bon droit trouver un peu mièvre s’avance une littérature qui ne consent pas moins, mais selon un autre registre, plus mondain et plus mercantile. Je l’appellerai littérature concertante en ce qu’elle fait chorus sur les clichés du moment et se porte à grand bruit sur le devant de la scène culturelle. Le bruit qu’elle suscite est d’ailleurs le seul gage de sa valeur: attentive aux modes et aux humeurs du temps, elle en propose le reflet exacerbé et souvent provocant. Sa recherche est volontiers celle du scandale, mais un scandale calibré selon le goût du jour, «surfant» sur le goût que le jour peut avoir, aujourd’hui, pour les jeux du sexe et du cynisme. Elle flirte avec les acmés de violence rebelle et gratuite, les slogans publicitaires et les formules pseudo-culturelles. C’est aussi une littérature consentante car elle consent à l’état du monde, qu’elle résume à la loi du marché et qu’elle exploite à son profit : elle sait ce qui va marcher, c’est-à-dire susciter les articles et les émissions de radio et de télévision. À cet égard elle tient plus du commerce que de l’artisanat. Nul doute que cette littérature traduise quelque chose de l’état social, mais elle ne le pense pas. Elle n’a de vertu sociologique que symptomatique, et ne vaut, à ce titre, pas plus que n’importe quelle autre conduite sociale momentanée. Toutes ces formes d’écriture ont surtout pour particularité 136 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart de ne guère se préoccuper... de l’écriture. Qu’il s’agisse pour les uns d’écrire selon une élégance héritée de l’enseignement académique, pour les autres de mimer les parlers du moment ou de ne surtout pas se soucier de la façon dont ils écrivent, seuls comptent les personnages et leurs histoires – ou leur absence d’histoire. Lyrisme de pacotille ou parlure à la mode, jamais l’écriture ne se cherche dans le mouvement du livre, elle est toujours déjà là, utilisable à satiété. Artisans ou provocateurs, ces écrivains ne s’interrogent guère sur leur instrument, qui n’est pour eux rien d’autre qu’un instrument. Ils appartiennent à cette catégorie que Roland Barthes autrefois appelait des « écrivants ». Bien sûr, tel ou tel peut se prévaloir, selon son plus ou moins grand talent, d’un « ton » qui permet de l’identifier. Il tient de l’habilité, non de ce travail qui met en question et fait éclater les agencements du verbe. « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère », affirmait Proust dans son Contre Sainte-Beuve. Un tel précepte leur est étranger. littérature déconcertante Romanesque maintenu, refuge idéalisé et scandale calibré se partagent ainsi les feux de la scène médiatique, comme en attestent les listes des meilleures ventes publiées par certains magazines persuadés que la meilleure littérature est celle qui se vend bien. L’ambiguïté même du verbe en dit d’ailleurs assez long sur la façon dont cette littérature s’inféode à des principes qu’elle ne choisit pas. Ce succès tapageur dissimule une autre littérature, sans doute plus exigeante mais aussi plus déconcertante, qui, comme l’écrit Pierre Bergounioux, « prend à revers le sens commun ». Ces livres circulent souvent de façon moins visible, mais aussi plus insistante. Ils ne meurent pas d’une saison à l’autre, emportés par le nouveau flux de la « production » littéraire, mais continuent d’irradier les consciences et de susciter les échanges et les débats, finissant souvent par s’imposer. C’est une littérature qui dérange, qui s’écrit là où on ne l’attend pas et tarde de ce fait à trouver le chemin des articles de presse. Cette littérature-là manque en effet de relais, surtout depuis que les suppléments littéraires de la presse et les plateaux de télévision se sont livrés aux valeurs du marché. Car c’est une littérature qui dénonce le marché au lieu de s’y inscrire. Loin de sacrifier à la valeur d’échange qui fait du livre un « produit », elle destine à son lecteur les interrogations qui la travaillent. Surtout, Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 137 c’est une littérature qui interroge constamment sa pratique et ses formes, sans pour autant faire de ces formes la fin même du travail d’écrire. Aussi est-ce d’elle qu’il me paraît important de parler dans un ouvrage qui délibère de présenter le roman contemporain. Moins simplement symptomatique de notre époque que celle évoquée plus haut, elle ne se propose pas moins, selon la juste formule d’Olivier Rolin, d’en livrer le « diagnostic ». Car elle est traversée des questionnements qui fondent notre temps et elle ne se contente pas d’en façonner l’écume. Loin du commerce et de l’artisanat, c’est une littérature qui se pense, explicitement ou 1 non, comme activité critique 1. littérature critique Dans un ouvrage justement intitulé Critique et Clinique, Gilles Deleuze, reprenant l’idée de Proust, explique que l’écrivain est celui qui « invente dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte ». Ce n’est pas pur plaisir d’invention ni recherche d’originalité. C’est l’effort pour arracher au langage la part d’informulé et peut-être d’indicible qu’il recouvre encore. Nous sommes toujours déjà parlés par la langue, se désole Beckett. La langue commune alors est un masque ou un écran qui dissimule plus qu’elle ne dévoile. Si l’œuvre littéraire déconcerte, c’est qu’elle « entraîne la langue hors de ses sillons coutumiers ». Et lui permet ainsi d’échapper aux significations préconçues, au prêt-à-penser culturel. Il est impossible de faire apparaître de nouvelles significations selon des agencements de verbes anciens. Pour inventer la lumière en peinture, les impressionnistes ont dû inventer un autre art de la touche. C’est de même un art de la phrase – du brouillage des instances personnelles à l’insistance physiologique des métaphores filées – qu’il fallut à Nathalie Sarraute pour faire comprendre ce que pouvaient être les « tropismes » et la « sous-conversation ». L’écriture est alors cette mise en crise des stabilités installées. Car s’il demeure pour quelques-uns urgent d’écrire – et non de livrer un produit « manu-facturé » –, c’est qu’il y va aussi d’un dérangement dans la conscience d’être au monde. Un état du réel ou de la conscience, une qualité d’expérience ou une forme d’existence que la culture encore n’a pas dits ; qui mettent en crise le sujet, lequel n’en trouve pas de discours constitué dans le monde, ou découvre à cette occasion combien les discours constitués falsifient le monde. C’est bien d’une crise dont Reconnaissons que ces catégories ne sont bien sûr pas tout à fait étanches, même s’il s’agit, de fait, de types d’activités finalement à ce point hétérogènes qu’elles s’exercent dans une commune indifférence les unes des autres. Il arrive cependant qu’à l’occasion d’un livre donné, un écrivain émerge de l’une ou y replonge. Ainsi Les Particules élémentaires, de Michel Houellebecq, qui soulèvent nombre de questions non négligeables, travaillent une certaine syncope de l’écriture qui lui donne efficacité et cohérence avec le propos, et organisent le matériau critique dans une forme narrative et discursive qui perturbe l’énonciation au point de troubler aussi les positions idéologiques que le livre semble adopter. Le roman suivant en revanche s’inscrit dans la banalité complaisante d’une écriture qui se contente d’exploiter la thématique sexuelle en vogue, sans rien oser, ni du côté de l’écriture ni du côté du dérangement – sauf à croire qu’une ou deux provocations puissent valoir comme exercice de la pensée. 138 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart il s’agit, que la littérature ne se donne pas pour tâche de résoudre, mais qu’elle ne se résigne pas à laisser silencieuse. La littérature déconcertante est aussi une littérature déconcertée : elle manque de repères. Elle écrit là où le savoir défaille, là où il n’y a pas de mots – ou pas encore. C’est pourquoi il y faut d’autres mots, combinés selon des syntaxes improbables. Inédites, dans tous les sens du terme – et pour lesquelles il vaut encore que les éditeurs ne soient pas simplement des marchands. La différence contemporaine 2 « Écrire au présent : l’esthétique contemporaine » in Michèle Touret et Francine Dugast ( sous la dir. de ), Le Temps des lettres, quelles périodisations pour l’Histoire littéraire du XXe siècle ?, PU de Rennes, 2001. La période contemporaine est riche de ces livres exigeants envers eux-mêmes, avec bien sûr, ici ou là, plus ou moins de réussite. Elle ne l’est sans doute pas plus que certaines autres périodes de notre littérature, mais pas moins non plus, contrairement aux allégations des esprits chagrins: elle l’est différemment. Et c’est à partir de cette différence qu’on peut la connaître. J’ai montré ailleurs combien les années quatre-vingt avaient prodigieusement transformé le « paysage » littéraire2. Aussi n’envisagerai-je pour ce parcours du roman contemporain que les deux décennies passées, c’est-à-dire celles qui s’affranchissent d’une certaine conception «théorisée» de la littérature. Les années cinquante - soixante-dix avaient en effet favorisé, notamment sous l’influence de la pensée structurale et de ce qu’on appelle encore, faute de mieux, le « nouveau roman » puis le « nouveau nouveau roman », une littérature puissamment intransitive, délivrée des « illusions » de la représentation, de la subjectivité et du réalisme. Une rupture épistémologique posée entre le verbe et son référent semblait condamner ces dernières avant-gardes à ne pouvoir travailler que la forme des œuvres. La lecture rétrospective que l’on fait aujourd’hui des meilleurs de ces livres – ceux de Claude Simon, de Marguerite Duras, de Robert Pinget… – montre à l’évidence qu’un tel postulat tenait de l’illusion. Une certaine « théorie de la littérature » estompait bien des aspects de ces textes, qui remettaient en question d’anciennes façons de penser et de représenter l’homme et le monde, non pour y renoncer mais pour tenter des voies nouvelles. Quoi qu’on en ait dit à l’époque, Sarraute, Simon, Pinget, Duras, Butor, Claude Mauriac... n’ont cessé de traquer dans l’écriture les plus justes manifestations des courbures psychiques. Mais parce qu’ils ont voulu débarrasser le roman des codes et des Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 139 conventions qui n’étaient jusqu’alors parvenus qu’à scléroser expression et représentation, ils se sont trouvés hâtivement associés à une théorie solipsiste et à des pratiques plus formalistes ( Robbe-Grillet, Ricardou… ) qui n’étaient pas de même nature. Continuant le travail de certains de leurs prédécesseurs – James, Proust, Faulkner, Kafka, Woolf, Jouve… – , ils mettaient en fait à l’épreuve dans l’écriture la fécondité d’approches phénoménologiques ou herméneutiques du sujet. écrire avec le soupçon Et c’est bien souvent à la lumière de leurs œuvres que la littérature des années quatre-vingt s’est ressaisie des questions suspectées ou apparemment éludées par celle qui la précédait. Non pour revenir à la représentation, à la subjectivité ou au réalisme comme si aucune critique n’en avait été faite, mais justement pour en reprendre le questionnement : comment dire le réel sans tomber sous le coup des déformations esthétiques et idéologiques du réalisme ? comment arracher le sujet aux caricatures de la littérature psychologique sans l’abandonner aux lois de la structure ? comment restituer l’Histoire collective ou les existences singulières sans verser dans les faux-semblants de la ligne narrative ? en un mot, comment renouer avec une littérature transitive sans méconnaître le soupçon? Car le soupçon perdure: fortement posé par la génération précédente, il constitue l’héritage des écrivains d’aujourd’hui. Comment écrire avec le soupçon ? Tel est l’enjeu critique de la littérature présente, que celui-ci s’énonce effectivement dans les œuvres ou que celles-ci se déploient implicitement à partir de lui. Aussi le roman contemporain associe-t-il souvent deux préoccupations : réfléchir sa forme et sa fonction tout en interrogeant son temps et son contexte. Profondément marqué par les avancées des sciences humaines, il devient le lieu où ces avancées sont mises en débat, confrontées à d’autres modalités de connaissance. La voix narrative elle-même, qu’elle soit ou non incarnée dans un personnage, est désormais à la fois l’objet et le sujet de ces questionnements. Ses incertitudes, son interrogation sur la matière même de ce qu’elle rapporte ou reconstitue, mettent en évidence la «quête cognitive» d’un présent incertain. Le souci de ne pas déformer une sensation ou une pensée la conduit à reformuler souvent son propos, dans une sorte de « scrupule narratif » qui suspecte les falsifications induites par le récit. 140 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart D’autant que ceux-ci ne sont jamais vraiment sûrs et que toutes sortes de phénomènes inconscients ou de médiations culturelles sont susceptibles de les troubler. Enfin le narrateur est marqué par une perplexité plus sourde du sujet – son identité, son histoire, la conscience qu’il peut avoir de lui-même – où s’entend son « inquiétude existentielle ». Épreuves de la subjectivité les désarrois du sujet On peut dès lors considérer la façon dont ces enjeux sont posés, la manière que les romanciers ont de les aborder – ou de feindre de les éviter – et les inventions de forme et d’écriture qu’ils requièrent. Le premier enjeu que je propose d’aborder, parce qu’il est aussi le premier qui s’impose à une période qui paradoxalement le refoule, est celui de la subjectivité. Roland Barthes, Georges Perec, Michel Leiris et Serge Doubrovsky sont ici les instigateurs de nouvelles écritures du sujet, affranchies de l’illusoire linéarité narrative, critiques envers toute lucidité de soi à soi et finalement plus interrogeantes et perplexes que sûres d’un « moi » constitué. La multiplication des ouvrages autobiographiques n’aurait que faire dans une présentation du roman contemporain si le regard critique que le genre porte sur lui-même n’avait favorisé sous le nom d’« autofiction » l’émergence d’une forme hybride, qui emprunte au roman ses modalités afin de mieux se saisir d’un sujet désormais pensé comme « ligne de fiction » ( Jacques Lacan ). Il ne suffit pas de constater au début des années quatrevingt, le regain d’intérêt que quelques écrivains, alors perçus comme formalistes, éprouvent envers la question autobiographique (Marguerite Duras, L’Amant ; Nathalie Sarraute, Enfance ; Alain Robbe-Grillet, Les Romanesques ; Claude Simon , L’Acacia… ou même Sollers, Femmes, Portrait du joueur ) pour mesurer l’importance de ce phénomène : ces textes invitent la plupart du temps à relire leurs œuvres antérieures comme des romans où déjà le sujet se cryptait et se cherchait, sous des formes certes moins explicites. « Autofiction » est sans doute un concept peu satisfaisant (voir Chaos, de Marc Weitzmann), comme du reste la plupart des étiquettes critiques jetées sur nos perplexités génériques; il permet néanmoins de désigner cet ensemble plus vaste de livres confrontés à l’incertitude du sujet. Incertitude en effet, Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 141 car la critique portée sur la limpidité subjective a fait son effet, et la multiplication des savoirs – analytique, biologique, sociologique… – brouille toujours un peu plus la possibilité même d’une conscience de soi entière, singulière et cohérente. Un état symptomatique de ces désarrois, parfois indépendant d’une véritable expression du sujet, était à l’œuvre dans nombre de textes qui faisaient l’épreuve de la clôture, des obsessions et des dévastations intimes. Le monologue intérieur et ses variantes en étaient la forme privilégiée. Samuel Beckett, qui écrivait dans L’Innommable : « Il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent», a porté très loin cette pratique depuis ses premiers romans jusqu’en ses œuvres les plus récentes (Compagnie). Il constitue ainsi comme une épure du monologue désormais livré à sa force d’inertie, qui le prolonge, l’épuise et le relance. La parole y demeure sans échappées ni échappatoires, comme résignée à sa propre clôture. Des écrivains plus jeunes, marqués par ce puissant exemple, se sont attachés à nourrir la forme monologale d’expériences subjectives plus identifiables, comme pour en réincarner le verbe. Sans préjuger de la plus ou moins grande force littéraire de l’écriture de chacun, on rassemblerait ainsi des voix solipsistes, comme enfermées dans ces marges mentales où quelque folie les dérobe au réel. Jean-Marc Lovay ( qui met en scène des univers proches de ceux de Faulkner, par exemple dans Polenta ), Jean-Claude Pirotte ( qui voue aussi une admiration à Dhôtel ), Hélène Lenoir ( chez qui s’entendent des « brisures » aux accents durassiens ), Lorette Nobécourt, Claude Gibert, Christian Gailly, Linda Lê… figurent parmi ceux très divers qui font vibrer ces réclusions verbales, aux limites parfois de l’aveuglement ou d’une lucidité maladive, amère et caustique. l’investigation subjective D’autres bien sûr tentent de dénouer ces nœuds de la personnalité. C’est alors l’histoire insistante et obscure de soi qu’il faut mettre au jour, que cela se fasse dans l’échange ludique et vindicatif du sujet avec la psychanalyse ( Serge Doubrovsky ), dans le dialogue introspectif avec les données sociologiques ( Annie Ernaux ) ou anthropologiques ( Pierre Bergounioux ) ou encore avec le souci de revisiter l’Histoire et ses non-dits, ses individus négligés (Jean Rouaud…). Les variations sont certes 142 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart multiples, la part de fiction et de réflexion plus ou moins équilibrée: il n’en demeure pas moins que cette littérature contemporaine est inquiète de l’identité subjective. Et elle ne se contente plus alors de manifester la malaisance de soi dans ces monologues intérieurs dont elle hérite ( Faulkner, Joyce, Woolf, des Forêts… demeurent pour cette génération aussi de puissants intercesseurs ), elle veut la tirer au clair. Le succès du « stream of consciousness » avait perturbé l’agencement narratif du récit romanesque ; la question subjective, lorsqu’elle ne se contente pas d’exhiber un délire complaisamment satisfait, connaît aujourd’hui une autre mutation : elle tient de l’enquête et non plus de la narration. Aussi se prend-elle à des objets nouveaux que la modernité la plus récente désigne à son attention : les détails négligés dont l’apparente insignifiance se révèle riche de sens ; objets de faible valeur qui cependant témoignent de ce qui fut et conservent quelque chose de qui les manipula ; vagues photographies, médiocres ou tremblées, où s’est imprimée la trace d’un temps précaire ; maladresses du verbe ou recours aux lieux communs des conversations qui en disent long sur des subjectivités enfouies. La psychanalyse, surtout lacanienne, a rendu le texte plus attentif aux mots, que ce soit de façon soucieuse des expressions de l’autre ( François Bon en fait l’expérience, restituant ce qui s’est dit dans l’atelier d’écriture pour en laisser résonner les sens obscurs dans C’était toute une vie et dans Prison ) ou dans l’écho ludique qu’on peut en donner ( Leslie Kaplan, Le Psychanalyste). Nathalie Sarraute avait montré comment ces mots eux-mêmes pouvaient devenir objets de roman ( Disent les imbéciles, Ouvrez, L’Usage de la parole, Tu ne t’aimes pas ). C’est en situation désormais qu’on fait entendre leur agressive faiblesse, leur maladresse sournoise ( Laurent Mauvignier, Hélène Lenoir, Gisèle Fournier… ). l’épreuve du texte À côté de ces textes assez accessibles, parce qu’ils font souvent le choix d’une lisibilité retrouvée, d’autres s’attachent à ne rien sacrifier des nœuds d’obscurité et des complexités du sujet, quitte à opacifier le propos. Ostinato, l’ultime et inachevable texte de Louis-René des Forêts, qui rassemble les méditations d’une vie à sa fin, nourrie de furtives images et de son tremblement d’incertitude, en serait l’emblème. Dans cette voie que Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 143 chacun invente à sa façon, on suivrait Roger Laporte (Une vie), Jean-Claude Montel ( L’Enfant au paysage dévasté ), Hélène Cixous, Jean Daive, Hubert Lucot, dont Langst veut « charrier tout le réel, y compris l’histoire de celui qui s’y désigne et son économie subjective », ou encore, parmi de plus jeunes auteurs, Pierre Alferi ( Le Cinéma des familles ) et Frédéric-Yves Jeannet ( Cyclone ; Charité ). Cet ensemble, disparate quant au style et à la position que l’auteur y adopte, témoigne d’une puissance exploratoire de l’écriture du sujet, obstinée à chercher dans la matière de sa langue la légitimité d’un acte qui lui semble désormais moins évident. La forme même qu’y prend le texte témoigne d’une défiance envers toute évidence du sujet, comme rapportée sans cesse à des grilles d’explication qui ne sont plus de saison. Cherchant malgré tout à se dire, ces narrateurs sont contraints à mener d’un même élan la critique des paradigmes romanesque et autobiographique. Écrire de soi ne va pas de soi, et le texte demeure tendu entre sa tentation et son impossibilité. Car on ne parle pas ici simplement de contenu : ce serait méconnaître l’écriture de livres qui savent combien les mots défaillent à dire ces nœuds du sujet – et les disent parfois dans leur ombre portée, dans une sorte d’inter-dit de la parole. L’écriture du sujet, quand bien même elle prend parfois la forme d’une écriture de l’autre, est avant tout une écriture qui se cherche, comme si le sujet n’était jamais constitué en amont de l’écriture, mais s’éprouvait dans son présent et se cherchait en son aval. Claude Simon l’a souvent souligné : on n’écrit jamais que dans le présent de l’écriture, dans ce qui advient au présent de l’écriture. Nul doute que les œuvres majeures de notre temps s’écrivent effectivement dans cette conscience-là. À ce titre, le roman ne répond plus au projet d’une intrigue préalablement établie et qu’il faudrait conduire au terme de son drame. Il se fait le lieu même d’une réflexion avançante, parfois contradictoire ou ressassante, mais toujours plus critique et plus exigeante aussi envers elle-même, sauf à recourir à d’autres modes, « impassibles », parodiques ou virtuoses, dont il sera question plus loin. 144 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart Présences de l’altérité les enquêtes de filiation Un aspect remarquable insiste dans la plupart de ces livres : la conscience que le sujet n’est pas un être autonome, indemne de toute détermination. Là encore, les sciences humaines ont diffusé leur travail. Et c’est ce travail que le roman interroge à son tour, traquant le sujet dans l’héritage qui le constitue. Les récits de filiation ne sont pas simplement des récits, ils n’ont que faire de la légende familiale. Ils en instituent une autre, élaborée de bribes et de manques, d’objets incertains et de souvenirs perdus ; ils suscitent l’enquête, désenfouissent les vies oubliées ou les réinventent ( Simon, Cixous, Bergounioux, Michon, Rouaud, Jeannet… ). Ces dernières années ont vu de tels récits se multiplier – plus d’une centaine, de valeur inégale bien évidemment – aux confins du roman et de l’autobiographie ( Clément, Adely, Veinstein, Bassez, Mignard… ). Intrication de récit(s), de commentaires, de réflexions critiques ( historiques, analytiques, sociologiques… ), de méditations et de mémoire, ils interviennent sur une matière biographique sans se poser la question du genre, dont les délimitations paraissent désormais contraignantes et factices. À vrai dire, ces livres s’installent dans un rapport non générique à l’écriture : la fiction y est un « détour » au sens méthodique du mot. Elle sollicite tous les moyens de l’écriture, quitte à les faire travailler les uns contre – ou avec – les autres ( Yves Navarre, Biographie, roman, Pierre Pachet, Autobiographie de mon père… ). Faut-il dire que les récits de filiation sont aussi souvent, sinon par excellence, des récits de deuil ? Deuil de ceux qui n’en finissent pas de mourir en soi, dictant encore leurs ultimes volontés ( Simon, Bergounioux, Guibert, Juliet, Vigouroux ) : rarement on aura élaboré cette quête-amont non pas d’une origine que la littérature s’est souvent plu à débusquer, mais d’une pesanteur issue du passé familial qui continue de courber le sujet. Simon reconstruisant à partir de documents et de récits incertains le destin d’un père trop nourri des valeurs de la Troisième République, Bergounioux creusant sans répit l’écrasement psychique de son père, orphelin de la Grande Guerre, ou les conséquences socio-culturelles d’une naissance au fond reculé de la province... donnent caution à la réflexion de François Vigouroux, qui ne conçoit d’existence que dans la dette assumée par les fils envers des frustrations anciennes. Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 145 Ce sont aussi des deuils inversés qui troublent la logique générationnelle: morts d’enfants qui installent le manque au cœur de l’écriture des vies ( Forest, Chambaz, Adler ). L’expérience n’en est certes pas propre à notre époque, mais l’impression de sûreté des sociétés occidentales modernes, le scientisme médical dont nous croyons bénéficier en rendent l’épreuve plus scandaleuse, moins acceptable aussi par une société désacralisée. Se dessine alors une autre expérience de la précarité et du désarroi. L’écriture cependant ne se veut pas thérapie ni confidence pathétique : elle ausculte en soi le creusement de l’absence. Ce faisant, elle éclaire une nouvelle conscience du temps – non pas simplement divisé entre un avant et un après, mais brisé dans ses rythmes, vécu d’une lenteur ou d’une densité singulières. Ce sont des épreuves de lucidité qui se gardent aussi bien du pathos que du positivisme. Comme la découverte – par l’écriture autant que par l’expérience elle-même – des espaces d’ignorance et de dette à quoi le deuil confronte. les fictions biographiques Dans l’investissement d’une antériorité du temps, comme dans l’épreuve d’une perte présente, s’affirme ainsi la conscience que le sujet ne se connaît qu’au détour de l’autre. Si cela favorise ces espaces de confrontation familiale qu’Annie Ernaux, Pierre Bergounioux ou Jean Rouaud ont su faire résonner avec justesse, cette conscience s’aventure aussi du côté d’autres médiations. Suscitant finalement autant de « fictions biographiques » qu’autobiographiques, les récits de Quignard, de Michon, de Macé, de Louis-Combet, mi-interrogeants, mi-fascinés,… parfois rassemblés dans des collections éditoriales («L’un et l’autre» chez Gallimard), dessinent – ou désignent – des filiations plus électives que biologiques, mais non moins déterminantes. Les écrivains, et parmi les plus mythiques de notre littérature – Rimbaud ( Pierre Michon, Dominique Noguez, Alain Borer… ), Trakl ( Claude Louis-Combet, Marc FromentMeurice, Sylvie Germain… ), mais encore Baudelaire (BernardHenri Lévy ), Hart Crane ( Gérard Titus-Camel ), Kafka (Bernard Pingaud)… – , les peintres, tout aussi singuliers ( Van Gogh, Goya… pour Michon ; Frida Khalo pour Le Clézio, Le Caravage pour Walter par exemple ) sont les plus sollicités par ces tentatives de restitutions. Leurs existences réinventées autant qu’auscultées disent unanimement la fascination où l’art nous 146 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart retient dans une période que l’on a pu croire « désenchantée ». Mais, pour peu que les textes se prennent à des figures moins installées ( Michon, Vies minuscules ; Bergounioux, Miette ), c’est aussi l’occasion de mesurer chacun à son rêve et d’investir chaque vie d’une densité qu’elle ne manifeste pas. L’intérêt pour la biographie et les rêveries qu’elle suscite consacre le succès posthume de cette forme marginale inaugurée par Marcel Schwob au début du siècle dans les Vies imaginaires. C’est ainsi par la bande que la littérature revient: loin des grandes épopées historiques ou réalistes, elle cherche désormais à entrer dans une connaissance plus fine de l’expérience subjective. Interrogeant ainsi les figures auxquelles le sujet se prend, ces textes disent l’altérité qui le relie à lui-même. Ils sont en cohérence avec un souci de notre temps qui pose avec insistance la question de l’autre ( Lévinas, Ricœur, Todorov… ). Leur multiplication, comme celle des enquêtes de filiation, signale aussi une certaine désaffection pour les formes gratuites de l’imaginaire. Plutôt que d’inventer de toutes pièces des fictions improbables, l’écriture contemporaine, qui s’est faite investigatrice, construit des fictions à partir des données incertaines et incomplètes de son expérience. Cela me semble être la marque d’un temps interrogateur. Le sujet, orphelin désormais des valeurs qui président à son existence, cherche à comprendre son temps, qui lui échappe, et à se relier à son passé, à interroger ses modèles et ses fondations. Ces textes enfin disent combien l’existence comme la langue sont toujours habitées d’autres expériences et d’autres paroles, qui la constituent et résonnent en elle. l’œuvre en souffrance Ces expériences et ces voix silencieuses mais agissantes, il faut les faire venir au jour. Tel est le projet majeur d’un pan de notre littérature, d’autant plus tendue vers cet enjeu qu’il répond à un silence de plusieurs siècles. On a parlé de la « vigueur » francophone : elle est symptomatique de l’urgence de ce projet. « Marqueurs de parole » initiant le lecteur à d’inédites mises en voix ( Chamoiseau ), polyphonie des mondes et des races, des expériences et des espérances ( Glissant ) : ce sont les espaces narratifs et comme sonores qu’il faut ouvrir au roman. Fondées sur une conscience de la séparation, d’une parole non advenue et comme demeurée «en souffrance» (Dominique Chancé), ces écritures se veulent entreprises de réappropriation et de synthèse. C’est Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 147 aussi une des seules littératures actuelles qui se pense au futur, du moins en devenir, comme le proclament Chamoiseau et Glissant. Elle se donne en effet pour tâche de transformer en Histoire le passé subi pour refonder un héritage qui lui fut longtemps interdit – mais aussi d’en témoigner en histoires, singulières et profuses, pour rendre à chacun l’hommage de son existence, pour «démêler un sens douloureux du temps et le projeter dans notre futur », comme l’écrit superbement Glissant. Avec eux, d’autres, tels René Depestre, Maryse Condé, Daniel Maximin ou Raphaël Confiant…, non seulement disent une réalité culturelle qui n’avait pas cours dans la langue narrative, mais lui inventent un « parler-langage » qui en fait résonner les sens depuis une intériorité nouvelle. Un phénomène parfois semblable, mais moins net et plus dispersé (c’est-à-dire moins collectivement pensé), inspirait déjà la littérature du Maghreb. Sa tradition est cependant plus nettement constituée, si bien qu’on la trouve plus anciennement attachée à établir ( et à discuter ) le lien entre les deux cultures qui la travaillent, entre un univers colonial ( qui porte parfois en lui-même aussi les valeurs condamnant la colonisation) et une tradition orale qui cherche les modalités de sa réalisation écrite (Tahar Ben Jelloun, Driss Chraïbi, Assia Djebar…). Si le lieu d’où ces livres nous parlent inscrit forcément quelque chose de leur différence propre, il n’en demeure pas moins qu’ils sont aux prises avec les mêmes exigences, les mêmes objets auxquels se mesurer. Là encore il est question de la transmission et du passage, des généalogies et des filiations dans lesquelles inscrire les mutations culturelles d’une époque nouvelle ( dettes de reconnaissance et volonté de maintenir le dialogue comme dans Le Blanc de l’Algérie, d’Assia Djebar ). Mais leur conscience aiguë des tensions entre arrachement et attachement, et des violences que cela induit, à quelque génération que l’on appartienne ( Boudjedra, La Vie à l’endroit, Bouraoui, La Voyeuse interdite ), leur confère une densité spécifique, qu’on ne saurait réduire à des questionnements généraux. la langue de l’autre D’au-delà des limites traditionnelles de l’aire francophone viennent des œuvres qui font élection de la langue française, quand bien même elle n’était pas la langue maternelle des romanciers et romancières considéré(e)s. Le phénomène est suffisamment large pour être relevé : on ne tentera pas ici d’en 148 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart déduire quelque enseignement sur un attrait particulier de notre langue, ou une propriété singulière qui serait la sienne à accueillir une expression littéraire. Ni d’oublier combien ce choix parfois n’en est pas un, tant il se lie aux déchirures de l’Histoire, aux violences de l’exil et de la déroute. Force est tout de même de constater l’importance – quantitative et qualitative – de ces textes et de souligner la puissance des échanges culturels auxquels ils nous convient. Alexakis, Bianciotti, Del Castillo, Kristof, Kundera, Maalouf, Makine, Manet, Wiesel... sont parmi les plus connus de ces romanciers, d’origines certes très diverses. On ne saurait comparer l’assignation à penser l’irréparable (Wiesel) à un cosmopolitisme plus anodin (Bianciotti). Mais tous travaillent à leur façon les questions d’exil et de mémoire, et tissent ensemble les problématiques d’expression dans une langue autre et dans un autre contexte social. Quitte à se faire parfois, comme GeorgesArthur Goldschmidt, passeurs entre deux langues que l’Histoire faillit rendre douloureusement incompatibles mais que l’œuvre et le travail ne désespèrent pas de concilier. Ce point de vue d’un ailleurs souvent chargé d’Histoire, intimement installé au cœur actif de notre littérature, est d’importance. Il déplace l’habitude culturelle et engendre d’autres considérations envers un univers socio-culturel que nous croyions trop bien connaître. Il interroge notre monde depuis une extériorité qui lui est devenue linguistiquement consubstantielle. Bien sûr ces œuvres ne sont pas comparables: chacune joue son propre registre. Mais la fantaisie acide de l’un (Kundera), l’ambivalence énonciative de l’autre (Kristof), la réflexion politique du troisième ( Manet ), etc., irriguent aussi la création contemporaine. Si pour nombre de ces écrivains «le français est une langue d’étonnement» ( Makine ), c’est aussi leur français qui nous étonne, qui installe de l’étonnement dans notre propre rapport à la langue. Suspicion des savoirs la réhistoricisation Comme le reconnaît Pierre-André Taguieff, l’avenir tient désormais de l’énigme plus que du volontarisme militant. Notre époque a rompu avec le temps des promulgations et des manifestes. Elle ne sait plus ce que la littérature « doit être », à quelques rares exceptions près, et ne s’autorise pas à le prévoir. Non pas seulement à cause des grands schismes de notre Histoire Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 149 – «comment écrire après Auschwitz?»… formule récurrente des réflexions sur la littérature de ce demi-siècle –, mais en fonction aussi d’un délitement plus sourd, et plus souterrain, de nos certitudes axiologiques et culturelles, auquel bien évidemment les cassures historiques participent à leur façon ( Jean-François Lyotard ). Dans l’incertitude et l’obscurité de quoi le présent est fait, c’est, on l’a vu, vers le passé que se tourne l’interrogation. Sans nostalgie d’un quelconque « âge d’or », mais plutôt pour élucider le mouvement d’où nous sommes issus et qui fait que nous en sommes là. Ce de quoi nous nous sommes affranchis sans doute, mais aussi ce que nous avons laissé en chemin et dont l’oubli nous menace. Pas plus qu’il ne se perçoit en dehors d’un héritage, le sujet ne s’affranchit de l’Histoire, bien au contraire : notre époque est ainsi une époque de réhistoricisation de la conscience subjective. Et cette réhistoricisation elle-même ne va pas sans dimension critique. Elle se propose d’abord comme réexamen des discours reçus, souvent pour en démentir les allégations. Il arrive que cela prenne la forme du roman policier ( Didier Daeninckx, Sébastien Japrisot, Jean-François Vilar, Thierry Jonquet… ) de devoir sous-tendre le récit de mémoire d’un souci de l’enquête. Mais l’enquête ici excède la requête d’une forme romanesque particulière : elle s’impose à l’écriture. Et déborde le roman policier : le narrateur de L’Acacia, de Claude Simon, comme celui des Champs d’honneur, de Rouaud cherchent à savoir. Le sujet, l’autre, la mémoire, la filiation, l’Histoire sont désormais non plus objets de narrations qui les disent avec l’aisance linéaire de qui sait ce dont il est question et ce qu’il en advient, mais véritablement interrogés dans le mouvement même de l’écriture qui en déplie les repliements complexes. le travail de mémoire Plus que d’un « devoir de mémoire », selon l’expression désormais retenue, il faudrait ici parler d’un «travail de mémoire». L’évolution des romans de Modiano, depuis l’évocation floue d’une époque incertaine jusqu’à l’enquête de restitution (Dora Bruder), est le signe de cette conscience interrogeante à l’œuvre. La restitution historique repeuple de sujets effectifs des pans de l’Histoire longtemps laissés aux discours généraux, fait entendre les traumatismes que l’Histoire installe (Lydie Salvayre, La Compagnie des spectres). C’est exemplairement le cas de Berg et Beck, de 150 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart Robert Bober, ou de J’apprends l’allemand, de Denis Lachaud, en ce qui concerne les zones obscures de la Seconde Guerre mondiale ; ou de Douze Lettres d’amour au soldat inconnu, d’Olivier Barbarant, pour la Grande Guerre. C’est encore la guerre d’Algérie ( Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Arno Bertina ). Loin de fournir un décor circonstancié favorable à quelque dramatisation du romanesque, comme dans le cas des « romans historiques » de facture traditionnelle, ces textes ouvrent des espaces de confrontations et de démentis. Dès lors, la réalité historique n’est plus caution d’une fiction narrative : elle est interrogée en tant que « réalité » consensuellement constituée – et le savoir qu’on en croyait avoir est dénoncé comme fiction discursive par cette entreprise narrative même. De façon plus ambivalente, et comme pour dire que le littéraire ne saurait s’affranchir d’une part de légendes, quelques écrivains renouent avec le lyrisme épique ou mythique pour évoquer ces périodes d’ombre d’où le présent émerge. Sylvie Germain donne ainsi à l’Histoire du siècle l’ampleur des anciens récits de fondation. Richard Millet restitue dans une trilogie la noire réalité des vies aux confins des terres de montagnes, à peine arrachées à leur isolement sauvage. Une surenchère de la langue, profuse et mêlée chez l’une de rythmes bibliques, chez l’autre de la brutalité des patois, confine à une véritable revendication littéraire. Comme si c’était par la richesse de langue et la puissance d’imaginaire que pouvait se ressaisir la réalité d’un temps que l’Histoire trop rationnelle ne saurait véritablement dire. L’écriture est alors entée sur les humeurs du corps, sur l’écoute des sens plutôt que sur l’examen du sens. C’est un autre legs de Claude Simon que de ne pas concevoir la restitution du passé indépendamment d’une phénoménologie sensible. Le corps aussi a son histoire, comme on le voit encore à lire les romans de François Thibaut. Le mettre en scène permet de contrebalancer une certaine inflation de la pensée conceptuelle. Il faudrait ici dire l’importance prise par le corps dans la fiction contemporaine, largement soutenue depuis les années soixante-dix par l’écriture féminine ( d’Hélène Cixous et Chantal Chawaf à Lorette Nobécourt et d’autres ) et la littérature gay ( de Tony Duvert et Renaud Camus à Hervé Guibert et Guillaume Dustan ). Ce serait néanmoins une erreur que de l’y circonscrire tant elle concerne désormais le plus large spectre de la production actuelle, toutes catégories confondues. Le partage s’impose du reste entre l’exploitation d’un thème « porteur » qui voit le succès Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 151 d’une littérature érotique ou d’une « nouvelle » ( ? ) pornographie et les véritables difficultés qu’affrontent les rares écrivains (Boudjedra, Cholodenko, Belhaj-Kacem, Noguez dans M&R…) qui tentent véritablement d’écrire le corps, le sexe et le désir sans choir dans la facilité. l’archéologie des savoirs L’interrogation historique ne se contente pas d’interroger un passé accessible avec lequel nous sommes encore en relation continue par l’intermédiaire de témoins vivants. Elle investit aussi les fondements historiques et culturels de notre civilisation. Tout un pan de la littérature narrative se tourne même vers des époques plus anciennes dont elle interroge les mœurs, les cultures, la pensée et les découvertes intellectuelles, les enthousiasmes philosophiques ou mystiques ( Pascal Quignard, Alain Nadaud, Claude Louis-Combet… ). On ne saurait ici non plus parler de roman historique, même s’il est probable que des livres comme L’Œuvre au noir, de Marguerite Yourcenar, aient pu pour certains contribuer à amorcer un tel intérêt. Car la forme de l’enquête y est encore présente. Une conscience des incertitudes et des manques à savoir qui nous séparent de toute intellection sûre de ces périodes anciennes s’affiche souvent dans les textes. Si bien que ces romans que l’on peut dire « cultivés » ou « érudits » sont surtout des romans « archéologues », qui abordent parfois le passé à partir de notre relative ignorance de ce qu’il fut vraiment. Le roman contemporain brasse ainsi prodigieusement les questions du savoir. Non seulement il fait du manque à savoir et du questionnement des savoirs l’un des exercices de l’écriture, mais il se déploie aussi lui-même comme le lieu d’une critique des savoirs. Pascal Quignard prend notre culture à contre-pied en lui proposant d’autres bases et d’autres modèles ( Carus, La Raison, Rhétorique spéculative ), substituant les auteurs orientaux ou latins méconnus à ceux que nous avions trop bien appris. Alain Nadaud nous confronte à ces pans de mystère et d’incertitude qui règnent autour des fondements du Livre, de l’Image et du Nombre ( Le Livre des malédictions, L’Iconoclaste, Archéologie du zéro ). C’est à chaque fois une double interrogation sur ce que nous savons et sur ce que nous révérons, confins de la connaissance et du sacré, épreuve d’ignorance fascinée. La fascination de l’énigme originelle, en quête d’autres formes de savoirs, joue à plein dans ces romans archéologues que sont aussi Dormance, de 152 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart Jean-Loup Trassard, Onitsha, de J.M.G. Le Clézio, et Méroé, d’un Olivier Rolin en quête d’un Soudan toujours déjà perdu, ou, plus emporté par un fantasme d’Orient, Gandara, de JeanMarc Moura. Si bien que le monde du savoir n’est plus l’envers du doute ni du sacré. Notre temps brouille les catégories, les met en friction constante. C’est bien la meilleure façon pour lui de construire et de dénoncer tout à la fois les fictions qui structurent la pensée. De les donner comme problables et jamais avérées. Approches du réel le refus du réalisme Parmi ces questions auxquelles notre temps fait retour, celle de la représentation du monde n’est pas la moindre. La présence du réel, que la littérature des années soixante-dix semblait désespérer de convoquer dans l’espace des livres, est suffisamment forte pour s’imposer au monde littéraire. Donné pour inaccessible au verbe par la décennie structurale et cantonné au statut de «référent», le réel est donc à nouveau considéré, d’autant plus que les systèmes de pensée qui ont cru pouvoir en rendre compte ont montré leurs limites. Dès lors c’est à la résistance du réel que les œuvres se trouvent confrontées, qu’il s’agisse de ce réel historique dont il a été question plus haut, ou du réel social immédiat. L’écriture s’en saisit au début des années quatre-vingt, d’abord sur le mode du témoignage ( Robert Linhart, L’Établi ) puis avec le souci de manifester le réel et ses intensités sans sacrifier à l’illusion mimétique (François Bon, Sortie d’usine; Leslie Kaplan, L’Excès-L’usine). Aussi le roman du réel a-t-il considérablement changé de forme. Non seulement il rompt désormais avec l’esthétique réaliste, doublement dénoncée comme «esthétique», justement, et comme illusion idéologique (celle du «réalisme prolétarien» ou du «réalisme socialiste»), mais il met en question la forme narrative elle-même. Bien sûr, se perpétue ici et là une certaine tradition du roman que l’on pourrait dire «populiste» (Ragon, Pennac, Vautrin, Izzo…), veine volontiers populaire et gouailleuse, parfois assez fantaisiste et comme issue de la rencontre inattendue entre les héritiers de Dabit et ceux de Queneau. Mais elle demeure assez circonscrite, notamment au roman policier et à ses entours. Une autre voie choisit de s’inscrire dans une certaine déréalisation pour mieux s’affranchir des déformations de la représenta- Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 153 tion. Sans souci d’exact mimétisme ni de tradition esthétique, Marie Redonnet, Eugène Savitzkaya, Marie NDiaye, Emmanuel Carrère, Éric Chevillard..., désaccordent l’univers familier pour en faire saillir des traits et des travers inaperçus, dans des constructions fictives où s’entend parfois comme un écho lointain et très noirci des fictions de Boris Vian. La même fantaisie décalée, la même inadéquation au monde s’y manifestent en effet, qui semblent dire combien c’est le monde lui-même qui est inadéquat aux sujets qui l’habitent et se trouvent chahutés de ne le pas comprendre. Leurs personnages, marionnettes manipulées (Rose Mélie Rose) ou incarnations de fantasmes (La Femme changée en bûche), expriment l’ingénuité d’une violence crue. Parmi ces univers caustiques certains lancent parfois des interpellations grinçantes (Medhi Belhaj Kacem) et férocement critiques (Valère Novarina). l’état du monde Une autre approche du réel en dehors de tout « modèle littéraire », mais rétive à la déréalisation, s’impose cependant. Afin de s’affranchir du romanesque, elle n’hésite pas à recourir à la forme de l’inventaire plutôt qu’à celle de l’invention, qu’il s’agisse de livrer le monde comme quantité ( d’événements, de faits, de bribes d’histoires… ) brassées par les journaux ( Olivier Rolin, L’Invention du monde ) ou comme matérialité ( Paysage fer, de François Bon, récapitule tous les bâtiments et objets délaissés qui témoignent de la fin de l’âge industriel ). Le temps n’est plus cependant où la littérature pensait pouvoir saisir et restituer un « être-là » du monde, bien au contraire. Il s’agit plutôt désormais d’un dire du monde, qui fait large place à sa mise en voix. La langue ainsi fait entendre et voir le monde. Elle n’est pas cette pure transparence à laquelle une intention mimétique aurait voulu la réduire. Ses déformations, les défigurations qu’elle impose au réel le font paraître dans une intensité particulière. Tout comme il s’affranchit du « réalisme », le roman du réel se résigne mal à être « roman ». Il ne « romance » rien. Il tient plutôt de la prise de parole. Ainsi hérite-t-il encore de Faulkner, de Joyce, plus récemment de Pinget, comme je le disais plus haut de l’écriture du sujet. De fait ces catégorisations, auxquelles oblige tout travail de présentation, trouvent ici leurs limites. On ne saurait définir des textes en fonction de leur seul objet. C’est bien la façon dont l’écriture se conçoit qui détermine non seulement des périodes esthétiques mais aussi une certai- 154 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart ne éthique de l’écriture. Et de ce point de vue encore, la forme de l’enquête, le souci du soupçon, la mise en œuvre de voix singulières caractérisent le roman contemporain au-delà de ses diversités thématiques. De même le roman du réel n’explique rien: loin d’une prétention à décrypter les raisons du monde social, il traque les intensités subjectives et les brisures que certaines conditions sociales, le plus souvent désocialisées, imposent. Qu’il s’agisse des premiers romans de François Bon (Limite, Décor ciment), de Leslie Kaplan (Depuis maintenant), de Jacques Serena (Basse Ville) ou encore d’œuvres très récentes comme celle de Laurent Mauvignier (Loin d’eux), le réel n’existe ainsi véritablement que dans la parole qui en installe la conscience. Il n’est pas rare que la scène du théâtre (son «dispositif noir» comme l’écrit François Bon dans Impatience) ou celle du cinéma (Calvaire des chiens) soient choisies comme médiations entre le roman et le réel. La littérature est ici en cohérence avec une nouvelle pratique sociologique, celle par exemple de Pierre Bourdieu et de son équipe, qui livre la parole telle que les entretiens la suscitent (voir La Misère du monde, dont la jaquette porte en surimpression: «souffrance, parole, parle») et ne se contente pas de la synthèse réflexive à laquelle ces entretiens donnent lieu. Ainsi s’affirme une «poétique de la voix» (Dominique Rabaté) dont on retrouverait aussi les éléments dans les formes dialoguées que les dernières décennies du roman n’ont pas hésité à explorer (Pinget, L’Inquisitoire; Sallenave, Viol). la fiction en procès Ce dernier titre, de Danièle Sallenave, me conduit à évoquer un autre aspect assez caractéristique de notre temps : le procès que la littérature romanesque fait au présent. Une partie de son travail et de ses « thèmes » tient en effet de la dénonciation ou de la mise en évidence de dérèglements sociaux. Cette dimension critique se nourrit volontiers de procès effectifs, ou plus généralement d’affaires judiciaires. L’exemple sans doute le plus caractéristique est L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère, construit comme une enquête-méditation autour de l’affaire Romand, du nom de cet homme qui se fit passer pour médecin pendant des années avant d’assassiner parents, femme et enfants lorsqu’il ne fut plus en situation de maintenir sa « fiction ». Mais on évoquerait tout aussi bien Un fait divers, de François Bon, Mariage mixte, de Marc Weitzmann, et d’autres encore. Une Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 155 tension s’installe alors entre la dimension exceptionnelle – ou extraordinaire – du fait divers considéré, stimulante sans doute pour l’imaginaire fictionnel, et sa valeur de symptôme, révélatrice d’un état social – « ordinaire » – que la part critique de la fiction prend en considération. Or, il arrive fréquemment que le roman soit aussi, à l’inverse, objet de poursuites judiciaires ou de condamnation par voie de presse. Non pas pour des questions de droits d’auteurs ou de plagiats éventuels, mais parce que la société s’inquiète des libertés qu’octroie ( ou que s’octroie ) la fiction. Il y va certes de condamnations morales ( ou politico-religieuses, comme dans le cas bien connu de la « fatwa » contre Salman Rushdie ), mais elles tendent à régresser, même si quelques livres ont su profiter d’un effet de scandale pour atteindre une notoriété peu légitime. Augmente en revanche le nombre de procès qu’on fait à la littérature pour s’être approprié une part de la réalité: François Bon, Mathieu Lindon, Marc Weitzmann, Michel Houellebecq, Didier Daeninckx… parmi d’autres, sont ainsi, dans des formes d’écriture différentes, mis en cause pour avoir parlé du réel, pour avoir tenté de le lire – ou l’avoir porté aux confins de son délire. les nouvelles formes de l’engagement De tels phénomènes, qui ne disent rien de la qualité intrinsèque d’une écriture, interrogent en revanche la conception que notre temps se fait de la fiction, ou plus largement de la littérature, de sa fonction, de ses enjeux et de son espace de réalisation. Bien évidemment, tout cela témoigne aussi d’un certain engagement de la littérature. Mais encore faut-il ici nuancer le propos. Le temps n’est plus d’un roman inféodé à des doctrines idéologiques. On ne trouve plus aujourd’hui de « roman à thèse » ni d’allégeance au principe de l’«autorité fictive» (Susan Suleiman). Cela ne signifie pas que les romanciers se tiennent à l’écart des questions politiques ou idéologiques. Leur implication est d’une autre nature : loin des formules sartriennes ( ou malruciennes ou aragoniennes… ), les nouvelles formes de l’engagement tiennent désormais plus de l’écriture critique que du discours fictionnalisé. Elles ne passent pas par l’esprit de système ni par l’ambition didactique. Elles mettent en évidence une réalité que le corps social connaît sans vouloir la réfléchir. Ainsi de ces non-lieux, pensés par le sociologue Marc Augé, et qui trouvent leur expression la plus nette dans les textes 156 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart de François Bon ou les «marges» de Didier Daeninckxet de Jean Rollin; ainsi du déterminisme social dont Pierre Bergounioux ou Annie Ernaux mesurent les conséquences sur le trajet des individus. La façon dont l’Histoire est revisitée par Claude Simon ou mise en fiction politique par Rachid Boudjedra sont d’autres exemples d’une littérature qui ne prétend pas se faire pourvoyeuse de discours et préfère mettre en scène les détournements de sens et les violences subies. Car, comme l’écrit Boudjedra, « la littérature récupère, de l’intérieur, les interrogations, les inquiétudes et les malaises de l’Histoire ». Aussi l’engagement n’est-il plus une soumission de l’acte littéraire à une nécessité supérieure comme Sartre pouvait le concevoir, mais une comparution du politique – au sens large – sur la scène de la fiction. On parlerait non pas d’engagement de la littérature mais d’engagement par ou avec la littérature, lieu et possibilité d’autres discours. Les résonances entre roman et théâtre sont ici particulièrement vives et nombreuses (Bernard-Marie Koltès, Valère Novarina, Michel Vinaver, Olivier Py…). Pratiques de la littérature la revendication littéraire Demeurent cependant quelques romans qui élaborent leur critique du monde contemporain grâce au privilège métaphorique de la fiction. Les écrivains prolongent alors la démarche allégorique du Procès, de La Peste ou même du Rivage des Syrtes. Il s’agit, selon la formule de Gracq, de mettre en œuvre un «esprit de l’Histoire» plutôt qu’une réalité précisément localisée et datée. La trilogie de Lamarche-Vadel ( Vétérinaires ; Tout casse ; Sa vie, son œuvre ), Une peine à vivre, de Rachid Mimouni, La Plage noire, de François Maspero, ou Le Censeur, de Jean-Marie Barnaud, se retrouvent ici dans un ensemble qui vaut à la fois par sa hauteur d’écriture et le regard critique que ces livres portent sur le monde. La littérature se voit attribuer une double fonction, réflexive et esthétique, où chaque élément collabore à l’affirmation de l’autre : le choix esthétique lui-même étant déjà l’adoption d’une position critique, qui ne se satisfait pas du sort réservé à la culture ni des nouvelles définitions qu’on en donne ici et là. Ne sacrifiant rien d’une idée exigeante de la littérature, ces œuvres tentent de lui réserver une place privilégiée dans l’échelle des valeurs communes. Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 157 C’est dire que la pratique artistique ne va pas sans réflexion sur elle-même, fût-elle implicite. Fût-elle simplement dans l’ordre d’une axiologie que le livre lui-même affiche. À cet égard, les fictions que proposent Jean-Paul Goux, Pascal Quignard ou Michel Chaillou sont une forme de revendication. Elles ne renoncent pas à plier le verbe aux nuances du monde tel qu’il se donne à l’intellection et à la sensibilité. Elles offrent l’espace de déploiements subtils, où s’affirme un goût majeur pour la description et la méditation. Le mot et ses résonances y sont au moins aussi importants, mais peut-être pas plus, que l’objet auquel ils renvoient. La langue de Proust, celle de Gracq continuent ainsi d’irradier en profondeur une littérature contemporaine qu’il ne faudrait pas penser seulement bousculée par Céline ou résignée à la « blancheur » du minimalisme littéraire. Bien au contraire, celle de Goux prend prétexte de réminiscences pour explorer les intermittences de la sensibilité et la possibilité offerte aux mots d’en sonder les variations. Celle de Chaillou ne construit des histoires que pour autant qu’elle en a trouvé auparavant les formules et les élans, les images verbales qui lui donneront corps, comme si c’était des mots, d’abord, que procédait l’invention romanesque. la nostalgie de la littérature Ces positions cependant ne sont pas indemnes d’une certaine lucidité qui en mine l’assurance. Pascal Quignard luimême en donne une idée dans ses romans mélancoliques. Comme si une nostalgie du « continu » ( Jean-Paul Goux ) venait y combattre la pratique fragmentaire des Petits Traités. Une nostalgie qui se relie à des moments d’ascèse et d’épiphanies cultivées et fait l’expérience d’une plénitude disparue, toujours déjà disparaissante. L’euphorie narrative de la sensibilité s’y trouble d’une menace de déperdition que ne démentiraient ni l’œuvre de Lamarche-Vadel ni celle de Goux. Les réflexions des années soixante - soixante-dix sur l’«épuisement » de la littérature ont profondément marqué les générations ultérieures, a fortiori celles qui se sont épanouies dans l’ombre de Maurice Blanchot et de Louis-René des Forêts, dont le reclus de Lamarche-Vadel ( Sa vie, son œuvre ) adopte la posture effacée et méditative. C’est par le truchement hétéronymique de Benjamin Jordane, l’écrivain auquel il délègue littéralement la plume, en « publiant » et en « commentant » ses œuvres ( L’Apprentissage du 158 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart roman ), que Jean-Benoît Puech dit sa fascination envers un tel effacement incarné dans son livre par Delancourt, double de Louis-René des Forêts. De cette lucidité, voire cette difficulté présente de l’écriture narrative, l’œuvre de Pierre Michon, portée vers les élégances du « grand style » mais lucide envers sa désuétude, paraît l’emblème. Entreprenant a contrario de restituer la démesure d’écrivains tonitruants ( Rimbaud, Balzac, Faulkner ), aux antipodes donc de Maurice Blanchot ou Louis-René des Forêts, Michon n’essait-il pas de se déprendre de cette fascination où la « littérature de l’épuisement » retenait sa génération ? Toujours est-il qu’il mène une œuvre critique à la fois envers ses propres élans ( « nous sommes des crapules romanesques » ) et envers la modernité qui les assèche ( « le fier arpent du moderne, où peut-être rien ne pousse, mais moderne»). La lourde question de l’héritage culturel dont on ne peut ni ne veut se déprendre, tant il a donné de fortes œuvres, est bien ce avec quoi la littérature présente ne cesse de (se) débattre. les variations sur le roman Si notre savoir de la littérature et de son histoire, de ses manières et de ses formes, est désormais trop grand pour autoriser une écriture naïve, certains affectent cependant de ne pas s’en apercevoir. Ils militent pour un retour au romanesque, débrident l’imaginaire et revendiquent a contrario et de façon quasi militante la légitimité d’une écriture indemne de toute perplexité et simplement vouée aux délices de la « nouvelle fiction » ( Marc Petit, Frédérik Tristan, François Coupry, Hubert Haddad… ), qui n’est rien qu’une fiction modelée sur celle des siècles passés ( Stevenson, Conrad, Dickens… ). Mais force est de constater que, pour les textes « déconcertants » qui nous intéressent ici, l’écriture du roman ne va plus de soi. Les attitudes alors divergent, toutes vouées cependant à trouver comment continuer, toutes animées par le désir de le faire. Pour beaucoup, c’est alors toute la littérature, non pas comme modèle à imiter sans cesse, mais comme pratique et comme héritage, qui offre le matériau d’œuvres nouvelles. Écrire après, c’est pour ces écrivains-là écrire avec. Claude Ollier poursuit ainsi une exploration conjuguée des formes narratives et du romanesque. Non pour les continuer mais pour les faire dévier, en déplacer le cours et les accents. Car s’il y a toujours de quoi se prendre à ses récits : bribes de fictions que l’on Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 159 peut suivre, fût-ce du côté des inventions proches parfois de la « science » -fiction, c’est dans la confrontation perturbante avec des espaces discordants et des temps invérifiables ( Feuilleton, Aberration, Préhistoire ). La fiction y est mise en péril dans un souci d’innovation qui prend les attentes à rebours et repousse toujours plus loin les limites du roman. Veine exploratoire dirat-on de ces textes aux marges d’invention irrépressibles, qui se veulent parfois comme une grande synthèse du monde (Rolin, L’Invention du monde; Badiou, Calme bloc ici-bas; Daive, La Condition d’infini ). Ces variations littéraires, Antoine Volodine les met en scène et les redouble selon des catégories improbables: «narrats», textes « post-exotiques », « shagas »… que l’on peine parfois à identifier. Mais l’enjeu paraît alors bien différent. Plus proches de la fiction politique que du jeu avec le romanesque, ses romans font le choix d’un futur inassignable afin de renvoyer l’image brouillée du présent ( et du passé récent ) poussée à sa déconcertation extrême. les esthétiques du recyclage On a parlé de recyclage ( Frédéric Briot ) à propos de l’œuvre de Volodine. La notion est extensible à d’autres romanciers, habiles à composer avec les ruines du romanesque. Écrivains ironiques et cultivés, Jacques Roubaud ( le cycle d’Hortense, Le Grand Incendie de Londres ) ou Gilbert Lascault ( 420 Minutes dans la cité des ombres ) mêlent ainsi le talent et le clin d’œil, et jouent de la littérature comme d’un répertoire de formes et de motifs où se plait leur inventivité oulipienne. Une pensée ludique du contemporain comme revitalisation des cultures en friche accompagne et même motive l’écriture, qui emprunte aussi bien aux romanciers du XIXe siècle qu’à Dante, Homère, Queneau ou Robbe-Grillet. Leur ouverture est plus large certes que celle de ce dernier, qui raffine sur lui-même et recycle ses propres romans ( La Reprise, bien nommée ). Du côté de cette virtuosité que certains diraient «postmoderne» (elle est proche par exemple des romans de Umberto Eco), il faudrait mentionner encore deux romans que Renaud Camus a donnés dans les années quatrevingt: Roman roi et Roman furieux. Parodies de romans historiques et sentimentaux en même temps que réflexion indirecte et ironique sur la littérature, ces textes sont demeurés sans équivalents dans la production française, comme du reste dans celle de leur auteur. 160 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart Un jeu semblable avec la culture, dans une tonalité plus amusée et moins sophistiquée, donne lieu aux romans de JeanPhilippe Toussaint ( L’Appareil-photo ; La Télévision ). La verve froide de l’auteur, proche de celle de Woody Allen, s’exerce à la fois envers le narrateur même et envers les usages du monde qui l’entoure, où se cristallisent les banalités du quotidien. De même Jean Echenoz entreprend de revisiter sous une forme parodique la plupart des modèles romanesques : le roman policier avec Cherokee, le roman d’aventures avec L’Équipée malaise, le roman de science-fiction avec Nous trois, le roman d’espionnage ( Lac ), la fantaisie ( Les Grandes Blondes )… Une même variation décalée, mais plus inspirée par le cinéma cette fois, se retrouve dans les textes de Tanguy Viel ( Cinéma ; L’Absolue Perfection du crime ). Echenoz semble même se faire le miroir ironique des littératures présentes lorsqu’il s’amuse avec les écritures réalistes de la marginalité ( Un an ) ou avec ce roman minimaliste ou « impassible » dont quelques écrivains publiés aux Éditions de Minuit se sont fait une spécialité ( Je m’en vais ). Car c’est une autre façon de faire durer le plaisir du récit, quand bien même il n’y aurait pas matière à le nourrir, que de produire ces romans «minimaux» qui déroulent des histoires faites de riens. Christain Gailly, Christian Oster, Éric Laurrent… cultivent le ton placide et désabusé des narrateurs qui met une distance entre le propos du roman et sa réalisation. Ils manifestent ainsi une pulsion narrative qui s’accommode mal d’un épuisement du littéraire et préfère s’installer ironiquement dans la fadeur du réel plutôt que de renoncer. Mais ils disent dans le même temps qu’ils ne sont pas dupes de leur propre travail. Si bien que, s’ils se refusent à toute densité, s’ils écrivent de surface, c’est aussi une autre façon de dire, par défaut, l’impossibilité d’une plénitude littéraire désormais trop factice. Un roman paradoxal Ce parcours ne saurait être complet. Des livres y manquent déjà – que je n’ai pas voulu, pas su retenir, ou qui m’ont échappé. D’autres livres y viendront, de jeunes auteurs que l’on découvre et souhaite lire encore… Mais vingt ans après la grande mutation esthétique des années quatre-vingt, et sachant n’énoncer ici que quelques vérités provisoires, que peut-on retenir de ce roman qui s’écrit là où on ne l’attend pas, et de la variété de ses terri- Dominique Viart • Écrire avec le soupçon 161 toires ? Je placerais volontiers le roman contemporain sous le signe du paradoxe. En faisant jouer tous les sens du terme. D’abord très certainement parce que ce que je propose de retenir de la quantité de choses qui se publie en ces temps sous le nom de roman en est en effet le plus paradoxal : le plus en écart avec des attentes calibrées en termes de public et de marketing, le plus en désaccord avec cette masse de livres « grand public » dont il n’a pas été question ici. Sans doute le roman dont je parle est-il aussi le plus éloigné de la doxa en matière de « roman » : puisque à quelques exemples près, forme et contenu diffèrent souvent de ce que la tradition préfère retenir sous ce mot. Le contenu s’avère effectivement assez peu « romanesque » et préfère le témoignage, l’enquête, le matériau réel, historique ou biographique. Non pour en livrer l’exacte expression, que l’on sait toujours déformée par l’acte d’écrire; mais pour, dans le moment même de l’écriture, en projeter l’éphémère configuration. La forme narrative est elle-même revisitée, tendue, perplexe: parce qu’il ne s’agit plus simplement de raconter mais aussi bien d’interroger, de soupçonner, de faire entendre. D’investir des champs incertains plutôt que d’inventer de nouvelles fables ou de reproduire celles de l’histoire littéraire. Et cependant il faut bien reconnaître que ces variations, ces extensions ont de tout temps constitué la vitalité même du roman, qui jamais ne se satisfait d’une forme ni d’une définition préalables et demeure en constante mutation. Paradoxal, ce roman l’est encore par sa dimension explicitement ou implicitement polémique. Il fait la guerre à la langue comme aux discours. Il s’érige face aux idées reçues, aux leçons apprises, aux pensées consensuelles – non pour en opposer d’autres, tout aussi certaines de leur fait, mais pour instiller sans relâche le soupçon et le doute. Encore faut-il préciser que ce ne sont pas les romans les plus évidemment « provocateurs » qui s’inscrivent véritablement en faux sur le fond du prêt-à-penser, mais ceux qui paraissent parfois les plus éloignés du scandale et déconcertent souvent plus intimement. Est-ce dire le manque d’envergure du roman contemporain, comme on lui en fait reproche depuis quelques décennies ? Je ne le crois pas. L’envergure simplement a changé de sens. Elle ne réside plus dans cette ambition totalisante encore exercée par le réalisme épique du début du siècle, ou par la modernité des romans de l’excès dont Claude Simon a donné les derniers exemples (Tiphaine Samoyault). Sans doute vivons-nous une époque qui voit le roman s’affranchir tout à fait de sa parenté originelle avec l’épo- 162 Écrire avec le soupçon • Dominique Viart pée comme avec les fantasmes du «livre total». Il n’a plus de collectivité sociale à fonder, plus de mythes à véhiculer, plus de « grands récits » à illustrer ni de prolifération chaotique à mettre en œuvre. L’ambition désormais ne se mesure ni à l’élan lyrique ni à la quantité de mondes brassés. Elle tient de la nature éthique du roman et de son plus grand scrupule, qui certes – c’est ce que d’aucuns lui reprochent – nuisent à l’emballement de l’imaginaire romanesque. Mais on ne peut prendre la mesure de sa valeur et de son apport que si l’on accepte de considérer l’importante mutation qui affecte la notion même de fiction. Il s’agit peut-être moins désormais des productions d’un « état d’esprit scindé qui nous détache de nos représentations » ( Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ? ), que de celles du sens critique exacerbé qui nous y confronte. 165 Le roman français contemporain bibliographie Avertissement 1. Cette bibliographie mentionne parfois des ouvrages pour lesquels la définition de « roman » peut étonner : c’est que le genre se dilue dans des formes d’écriture désormais plus souples, plus expérimentales ou plus hybrides. 2. Elle ne retient, à quelques titres près, que des livres parus depuis 1981, début de la mutation esthétique signalée dans le texte. 3. Elle est suivie d’une brève bibliographie critique. Adely,Emmanuel Jeanne, Jeanne, Jeanne, Stock, 2000 2-234-05256-4 Adler, Laure À ce soir, Gallimard, 2001 2-07-076265-3 Alexakis, Vassili La Langue maternelle, Fayard, 1995 2-213-59530-5 Alferi, Pierre Le Cinéma des familles, POL, 1999 2-86744-713-5 Asso, Françoise Reprises, Verdier, 1989 2-864-32082-7 Badiou, Alain Calme bloc ici-bas, POL, 1997 2-86744-547-7 Bailly, Jean-Christophe Basse continue, Seuil, 2000 2-02-039281-X Barbarant, Olivier Douze Lettres d’amour au soldat inconnu, Champ Vallon, 1996 2-87673-164-9 Barnaud, Jean-Marie Le Censeur, Gallimard, 1992 2-07-072541-3 Barthes, Roland Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, 1975 2-02-026092-1 Belletto, René L’Enfer, POL, 1986 2-86744-052-1 La Machine, POL, 1990 2-86744-163-3 Ben Jelloun, Tahar L’Enfant de sable, Seuil, 1985 2-02-008893-2 La Nuit sacrée, Seuil, 1987 2-02-009716-8 Bassez, Daniel Tombeau, Cheyne éditeur, 1992 2-903705-60-7 Bergounioux, Pierre L’Orphelin, Gallimard, 1992 2-07-072712-2 Beckett, Samuel Compagnie, 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Paris 14 \ Fabrication Cent pages. Mise en page Bérangère Lallemant Composé en Architype Renner & Janson Text. Imprimé sur papier Bouffant Paradis 80 g pour l’intérieur et Munken Lynx 240 g pour la couverture. Ministère des A{aires étrangères — adpf \ Juin 2002/12500 exemplaires. Isbn 2-911127-93-5/12 € Les textes publiés dans ce livret et les idées qui peuvent s’y exprimer n’engagent que la responsabilité de leur auteur et ne représentent en aucun cas une position o|cielle du ministère des A{aires étrangères. Architecture en France Art contemporain en France/épuisé Bande dessinée en France Balzac (Honoré de) Berlioz écrivain Bernanos (Georges) Breton (André) Chateaubriand (François René de) Cinéma français Cinéma français 2 Cinquante Ans de philosophie française 1. Les années cinquante 2. Les années structure, Les années révolte 3. Traverses 4. 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