Le Roman français contemporain

Transcription

Le Roman français contemporain
le roman
français
contemporain
Ministère des Affaires étrangères – adpf.
Michel Braudeau
Lakis Proguidis
Jean-Pierre Salgas
Dominique Viart
le roman
français
contemporain
Michel Braudeau
Lakis Proguidis
Jean-Pierre Salgas
Dominique Viart
Ministère des Affaires étrangères – adpf.
Le roman français contemporain
sommaire
Avant-propos
9
Michel Braudeau
Avec André Gide sur le pas de la porte
13
Bibliographie
35
Lakis Proguidis
Une décennie romanesque
41
Bibliographie
69
Jean-Pierre Salgas
Défense et illustration de la prose française
73
Bibliographie
111
Dominique Viart
Écrire avec le soupçon – enjeux du roman contemporain –
129
Bibliographie
165
Le roman français contemporain
9
avant-propos
Jamais le roman français n’a été aussi vivant. Le souvenir des grands
noms de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-guerre ne
paralyse que les lecteurs dépourvus de curiosité qui se servent de
ces évocations nostalgiques pour cacher leur ignorance et leur
paresse.
Ce qu’on peut constater quand on prend la peine de s’informer et qu’on se donne le plaisir de lire, c’est qu’à la suite de
grands auteurs légitimement sacralisés qui bénéficiaient de l’injuste méconnaissance de la littérature d’autres pays, sont apparus
à partir des années 1950 des romanciers que l’histoire n’obligeait
plus de la même façon. Les mouvements disparurent. Un ultime
groupe, « Le Nouveau Roman », réunit des auteurs particulièrement remarquables mais dont les œuvres sont si diverses que
leur labellisation apparaît aujourd’hui artificielle.
Désormais, les romanciers sont seuls. Ils écrivent sans
chercher à se situer par rapport à ceux qui les ont précédés. Cette
individualisation génère une diversité qui, libérée des références
contraignantes, est d’une exceptionnelle richesse. Elle oblige en
revanche le lecteur privé du confort du « groupe » ou du « mouvement » à aller à la découverte de chaque texte, de chaque auteur.
Il ne peut plus lire distraitement, rassuré par le nom d’un auteur
consacré et confortable. Il ne peut plus lire sans désir.
10
Le roman français contemporain
Oui, jamais le roman français n’a été aussi vivant. Malgré
la télévision qui dévore la plus grande part du temps libre naguère
donné à la lecture, malgré l’invasion du marché par des « bestsellers » habilement fabriqués, malgré les carences de la presse
qui remplit de moins en moins sa mission d’information, des écrivains écrivent des romans, des éditeurs convaincus les publient,
des lecteurs attentifs, curieux, gourmands les achètent et les lisent.
Pour rendre compte de cette diversité, de cette richesse,
nous avons demandé à MM. Michel Braudeau, Lakis Proguidis,
Jean-Pierre Salgas et Dominique Viart de proposer leur sélection des romans dont ils jugent la présence indispensable dans
une bibliothèque et en particulier dans les médiathèques de nos
établissements culturels à l’étranger et de nous donner les raisons de leur choix. Qu’ils en soient remerciés.
Yves Mabin
Chef de la division de l’écrit et des médiathèques
Une transcription abrégée de cette
conversation imaginaire est parue dans
le numéro 561 de La Nouvelle Revue
française, en avril 2002.
©Michel Braudeau
Le roman français contemporain
avec
André Gide
sur le pas
de la porte
Michel Braudeau
14
Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
Michel Braudeau, 55 ans, est écrivain et grand reporter associé au
Monde. Il a collaboré au service Culture de L’Express de 1977 à
1984, date à laquelle il est devenu critique de cinéma au Monde
avant d’y être feuilletoniste littéraire et chroniqueur culturel. Il est
rédacteur en chef de La Nouvelle Revue française (NRF) depuis
1999. Il est l’auteur, entre autres ouvrages, de Naissance d’une
passion (Seuil, 1985, prix Médicis), de Loin des forêts (Gallimard,
1997), de Pérou (Gallimard, 1998). Son dernier roman paru est
L’Interprétation des singes (Stock, 2001).
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
15
Il n’y a pas si longtemps, à la fin du jour, en descendant l’escalier
de la maison d’édition, je tombe sur lui dans le hall, André Gide,
que je croyais avoir laissé endormi dans un sauna un an plus tôt,
pour l’éternité vraisemblablement. À croire que les fantômes ont
la vie dure. Ou que l’homme que je prends pour lui à cet instant
a le don extraordinaire de lui ressembler, trait pour trait, jusqu’à
cette façon de porter son chapeau en bonnet pointu qu’on lui
connaît par les photos, son genre bohème protestant. Est-ce
bien lui ? J’hésite sur les dernières marches. Il n’est pas loin de
sept heures du soir et le concierge, Mateo, très strict quant à
l’heure de la fermeture, à cause du système d’alarme, est déjà en
train de rôder autour de la lourde porte. Si on est en retard, tant
pis, l’impitoyable Mateo, petit homme terrible comme un ancien
geôlier de Blanche-Neige, vous fait passer par la cour ou les
caves humides. Mais le Gide qui vient d’arriver ne s’en soucie
pas, il m’interpelle au passage et je le reconnais à sa voix, entendue
sur d’anciens enregistrements.
– Tiens, je n’ai pas ma photo dans l’entrée?
Il désigne les murs du hall où sont accrochés les portraits des auteurs dont les livres font l’actualité du mois ou de la
saison. Il s’est adressé à Mateo, qui bougonne:
– Non. Ce sont les nouveautés, ici.
– Tout de même. J’y suis pour quelque chose, dans vos
nouveautés, non? Vous trouvez ça normal, vous?
16
Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
Il s’est tourné vers moi.
– Hélas, maître… oui. Nous avons les derniers lauréats,
d’anciens poètes, de jeunes romanciers, un peu de tout, mais pas
les pères fondateurs. Juste les nouveautés, comme dit Mateo.
– Et vous trouvez du neuf tous les mois? Vous n’êtes pas
fauchés. Ou alors ce sont les mêmes qui repassent leurs plats.
Mais soit: depuis moi, donc, quoi de neuf?
– Tant de choses, maître… Je ne sais par où commencer.
En plus, je n’ai pas l’esprit universitaire et je ne suis pas critique
littéraire.
– Vous l’avez été. Vous ne l’êtes plus.
Je prends l’air piteux, pas plus fier que ça.
– Oui, je suis entré dans un jury d’automne.
– Mais c’est bien pis. Pourquoi pas dans un comité de
lecture? À la tête de ma revue?
– C’est fait. Je vous ai succédé.
Il me regarde à travers ses lunettes, avec circonspection, je le crains. Quel sarcasme va-t-il me décocher ? Il laisse la
menace en suspens, cela doit faire partie de sa technique d’intimidation, puis il émet un rire sec et me tape sur l’épaule, en bon
camarade.
– Épatant. J’aurais fait la même chose à votre place. Bien
sûr, vous en tirez des avantages énormes?
– Pas du tout. La vie littéraire a beaucoup changé, vous
savez. Les revues ne jouent plus le même rôle qu’avant, nous
sommes dans une période où la télévision règne d’une manière
que vous ne pouviez pas imaginer…
– Si, si, je regarde ça de temps en temps.
– Et ça vous plaît? s’enquiert Mateo.
– Non, comment pouvez-vous y songer seulement ? Au
début, il y a eu de bonnes choses, des entretiens dignes, où l’on
écoutait l’auteur s’expliquer, se raconter. Beaucoup de mes
contemporains y sont passés, même cette tête de lard de Céline
y est allé, avec une petite mine de ne pas y toucher, pour nous
expliquer que lui seul était léger, musical, que les autres pesaient.
Les journalistes, on ne les voyait pas et ils étaient excellents. Je
vous parle du temps des dinosaures, le dernier en date a pris sa
retraite, plus ou moins définitive ou provisoire, il y a peu. Le
plus fameux de tous. Et pourtant, il se montrait, on voyait qu’il
ne pouvait résister à ce mouvement d’incoercible promotion de
l’ego que l’écran favorise péniblement. Mais de la tenue, sous
son air bonhomme, de la classe. Et après lui, on a vu ce qui nous
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
17
pendait au nez, que sa présence avait longtemps contenu: le
déferlement du music-hall.
– Vous n’aimez pas les variétés ?
– Si, celles de Paul Valéry, surtout. Mais pas ces clowns
tristes, ces questionneurs qui coupent la parole aux auteurs, avec
leur inanité jactante, leurs «comment dirais-je?», en attendant
de leur couper la langue, tout simplement. Les pinces sont au feu,
n’ayez crainte, on n’attendra pas. Ou bien ceux qui assènent: «Ce
que les gens se demandent…» avant chaque ineptie, parce qu’ils
savent, eux, ce qui taraude les gens, bien sûr, on dirait qu’ils sont
reliés à l’angoisse littéraire de la population, ces bouffons. Et ils
soignent leur coupe de cheveux quand ils en ont, leur tenue (la
seule chose qu’ils aient étudiée un jour), leurs cravates, leurs
lunettes, les éclairages sur leur personne. Ils se foutent de vous.
– Mais on les regarde, c’est déjà ça, dit Mateo.
– Moi, cela me semble court, mon cher monsieur. Ils ont
presque tous arrêté leur scolarité trop tôt. Ils veulent briller. Ils
sont méchants pour cela, au besoin. Ils distribuent des brevets
d’un ordre militaire auquel ils n’appartiennent pas: untel est un
écrivain, celui-là n’en est pas un, etc. Comme s’ils avaient un nez
de parfumeur, un appareil à détecter l’écrivain caché sous le
moindre bougre, comme des cochons truffiers. Risibles généraux d’une armée changeante et virtuelle dont ils ne connaissent
aucune recrue. Mais il leur faut suivre le pitre qui les précède,
semer celui qui les talonne, et pour cela suivre leur avis ou en
prendre le contre-pied. Et aller vite, nous sommes des poissons
pêchés, il faut nous cuisiner tout frais; faire rire, la culture est
moins grave qu’on ne le dit, du reste elle est en constant recul
comme les anciennes maladies; garder l’exclusivité, comme si
nous ne devions servir qu’une fois. Les seuls auteurs qui se tirent
de ces traquenards sont ceux qui en cassent les règles, qui étonnent le meneur de jeu, se taisent ou bafouillent par exemple, ou
parlent surabondamment, trop bien, trop vite pour être suivis
par leur hôte. C’est un talent sans doute. Je ne suis pas sûr que
les meilleurs auteurs français l’aient tous eu en partage. Et vous?
– Je suis d’accord avec vous mais le fait est que la moitié
de la critique s’exerce par là, par l’écran.
– Sur la bobine des gens. Pittoresque méthode. Et l’autre
moitié?
– Par les journaux, comme avant. Vous les lisez, je suppose.
– Oui, c’est varié. Ça l’a toujours été, au demeurant, il n’y
a pas lieu de regretter quelque «bon vieux temps» que ce soit.
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Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
Des gens doués et des besogneux, des paresseux qui se recopient
et des tempéraments. Les grands critiques sont déjà des écrivains
considérables, Baudelaire, Nabokov, etc., et encore, ça ne les
empêche pas de se tromper ni d’être de mauvaise foi, alors... Moimême je me suis trompé avec Proust. De bonne foi, notez bien,
je me suis repris tout de suite. Le génie n’est pas toujours évident,
contrairement à ce qu’on pense. Vous en connaissez, des hommes
de génie ? Parmi les photos de ce hall ?
– Un ou deux, peut-être. Je vous laisse deviner.
– La barbe. Parlez-moi des tendances. Je sais qu’il y a
des réseaux, des lobbies, le jeune Bourdieu nous a raconté ça.
Mais des courants, des chapelles, des «écoles» comme on disait?
Le nouveau roman?
– Deux beaux arbres sont encore debout: un prix Nobel,
Claude Simon, et le sulfureux spécialiste des cactus, Alain RobbeGrillet. Ils n’ont pas d’héritier direct, ni eux ni ce qu’on appelle
abusivement le nouveau roman, qu’aucun de ses membres n’a
reconnu comme une école. C’était un éditeur, un air du temps,
une photo prise par hasard, un ensemble de refus, plus qu’une
doctrine précise. On peut dire qu’il a infusé chez certains. Duras
a été imitée, souvent involontairement. On peut trouver du nouveau roman par moments chez Jean Echenoz, mais pas seulement.
Les influences sont très indirectes parfois. Difficile de dire en
même temps où l’on en serait si ce moment-là n’avait pas existé.
Gide s’assoit dans un des fauteuils clubs près de l’entrée et me fait signe de prendre place dans l’autre.
– C’est comme votre Mai-68. J’en parle à mon aise, j’étais
mort, mais on ne dirait pas que cela ait produit une seule grande
œuvre, entre nous. Pour aller vite: Napoléon, cela donne, au
moins, Le Rouge et le Noir et La Guerre et la Paix, par exemple.
Mai-68? Peau de balle. Je préfère mes Faux-Monnayeurs.
– Rien de comparable. Mai-68 agit autrement. Il a flanqué un coup de vieux à beaucoup et rendu possibles des libertés
nouvelles, pas en littérature directement, mais quand la vie quotidienne change – et ça a été le cas, quoi qu’en disent les négationnistes de Mai –, cela se reflète dans les romans. Seuls les
situationnistes avaient précédé l’événement, Raoul Vaneigem,
Guy Debord…
– Des stylistes, comme toujours. Et des classiques. Le style
annonce l’époque en général, les œuvres éclosent, s’épanouissent
et tombent après, comme des fruits mûrs, quand le ciel n’est déjà
plus le même. Qui a du style, de nos jours? Des noms.
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
19
Je médite. Gide allume une Chesterfield. Il s’impatiente, fait signe à Mateo.
– Dites-moi, mon ami, votre avis sur le style. Ce garçon
ne va me donner aucun nom, c’est évident, par peur de se fâcher
avec ceux qu’il aura oubliés.
– Ce n’est pas gentil à vous de lui demander cela, aussi.
Je peux, moi, vous citer Patrick Modiano et Philippe Sollers,
Pascal Quignard et Jean d’Ormesson, Jean-Marie Gustave Le
Clézio et Hector Bianciotti, Érik Orsenna, Pierre Bergounioux,
Pierre Michon, Michel Del Castillo, Anne Wiazemsky, Michel
Tournier, Angelo Rinaldi, Annie Ernaux…
J’embraye dans le désordre.
– Et Jean-Jacques Schuhl, Emmanuel Carrère, Marie
Nimier, Jean-Marie Laclavetine, Maurice Georges Dantec. Avec
une mention particulière pour ceux qui enrichissent et réinventent le français à partir de l’outre-mer, Raphaël Confiant, Patrick
Chamoiseau, et le magnifique Édouard Glissant...
– Et, rien qu’ici, Michel Houellebecq et Christophe
Donner, pour s’en tenir aux vivants, bien sûr, et des tas d’autres
qui se détestent cordialement, se jalousent, s’acoquinent parfois,
une liste jusqu’au matin. Sans compter votre interlocuteur, trop
modeste.
– Je vous en prie, Mateo, dis-je.
Gide écrase sa cigarette et en cueille une autre dans le
paquet.
– Et pourquoi pas vous? Si on n’en parle pas ici, qui le
fera? Et de quoi auriez-vous l’air? Vous croyez que les autres se
gênent? Le premier venu affirme à tous les vents sa grande vocation d’écrivain, sans scrupule, à croire que c’est un rituel conjuratoire banal, et vous hésiteriez? À tort. Vous êtes un prosateur
remarquable. Classique et chatoyant. Je crois me relire, par
endroits. Plutôt atypique comme type, il est vrai, pas facile à classer.
Un original, un vrai, ce qui vous fait échapper au tamis des grossistes. C’est très bon signe, un gage d’avenir, évidemment.
– Vous êtes sûr ?
– À peu près. Je sais, il y a quelque chose d’austère, d’ingrat, disons d’un peu «âpre» dans l’instant, à ne compter que sur
la postérité: vous n’avez jamais eu envie d’être à la mode?
– Je ne sais pas parler de moi.
– Vous voyez, dit Mateo, rien que pour ça, il n’est pas à
la mode. Mais je l’ai dans ma liste, moi…
– Évidemment, fait Gide avec gaieté, votre liste, je la
20
Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
connais, il y a tout le monde, c’est une rafle. Vous aimez tout le
monde, vous, on devrait vous envoyer dans une ambassade, ma
parole, mais pas vous prendre dans une revue. Sérieusement,
avez-vous, disons, un Malraux?
Mateo se gratte la tête. Il réfléchit.
– Il y a des tentatives, c’est un modèle qui plaît, moins
dur que le Proust ou le Céline. Mais un vrai Malraux, non. On l’a
déjà eu, Malraux. Alors qu’est-ce que ce serait un autre Malraux,
elle est idiote, votre question.
Gide prend l’air faussement contrit.
– Je sais. C’était juste pour vérifier ce qui vous restait de
bon sens.
Mateo se demande s’il doit prendre cela pour un compliment tordu. Il regarde sa montre. Sept heures moins dix. Gide
se penche vers moi, me demande du feu.
– Et vous, l’homme de la revue, vous en pensez quoi, de
cette époque-ci, vous la résumeriez comment?
– Impossible, je me sens trop dedans, trop immergé, sans
recul. On voit à peine des directions, mais rien de précis. Les
Américains ont leurs minimalistes, les Mexicains ont un «groupe
du crack», les Italiens ont des «cannibales», les Anglais ont des
«Nouveaux Puritains», mais nous, c’est à peine si l’on sait former de petites bandes, dès que ça marche, le plus malin part en
solo. Il y a eu pendant quelques années des écrivains «gays»,
c’était une cause.
– Insuffisant, une cause. Idiots, les «gays», croyez-moi,
ça m’a fait bien du tort. Quand je repense à Corydon… J’étais vraiment un gamin par rapport à ce qu’on lit, pourtant. Et à part ça?
– Nous avons nos classiques modernes. Des gens de
confiance et de métier. Hector Bianciotti, par exemple, qui est
l’un des rares auteurs étrangers à être devenus français, à écrire
le français bien mieux que beaucoup de native speakers, comme
disent les linguistes, et qui a trouvé une façon unique de raconter sa vie, si excellente qu’elle lui a ouvert l’Académie, où il fait
sonner son accent musical et impétueux. D’ailleurs son élection
a été très bien appréciée.
– On m’a dit que Rinaldi…
– Il a été aussi élu, Angelo, un peu plus ric-rac, vu le
nombre des électeurs qu’il avait auparavant assassinés de ses
blanches mains, c’est un peu normal. Il y en a beaucoup qui ont
dû s’étrangler de rage en entendant ce prénom retentir sous la
Coupole, Angelo le grand Atrabilaire, l’impitoyable Surineur,
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
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comment maman Rinaldi a-t-elle pu donner ce prénom potelé à
ce féroce sosie de Humphrey Bogart, je vous demande un peu…
Mais j’aime ses romans, moi, bien qu’il n’ait jamais rien dit de
bon des miens, le ladre, parce que dans la tradition proustienne,
il maintient le cap. Le cap corse, qui n’est pas des moindres, par
les proportions. Ce ne sont plus les grandes voiles d’autrefois, la
transatlantique de Marcel, plutôt de la navigation de cabotage,
en secret, dans Paris…
– Sur les canaux, vous voulez dire? Valmy, Jemmapes,
l’Ourcq? Vous vous imaginez que ça va lui faire plaisir, ça, votre
histoire de cabotage?
– Ils ne sont jamais contents, nos amis, de toute façon. Je
voulais dire que Proust a été notre Magellan, on n’y peut rien.
Pas si mal, après lui, d’être le capitaine Cook.
– Qui a fini ses jours dans une marmite de sauvages
emplumés…
– Quel panache, non? Mais ma bonne opinion de lui va
plus loin. Le meilleur critère que je puisse vous indiquer est la
qualité de sa phrase, sa puissance, sa richesse. Une phrase est
chez lui comme une prise de judo, elle vous colle au tapis, elle
vous envoie en l’air, vous retourne, c’est une opération complexe, pas une banale addition, comme chez tant d’autres...
– N’oubliez pas Quignard, me souffle Mateo.
– Certes, mon ami. Pascal Quignard fait partie des classiques contemporains, sans doute, bien qu’il n’écrive jamais dans
les revues, ignorant qu’il faut parfois se retrousser les manches
dans ce métier. Ses Petits Traités l’immortaliseront à coup sûr,
c’est un vaste cabinet de curiosités comme on n’en espérait plus,
un magasin d’érudition élégante. Ses romans bâtis pour le
Goncourt ont fait chou blanc, Les Escaliers de Chambord, Le Salon
du Wurtemberg, mais il ne devrait pas en rester marri, parce qu’il
est si bon par ailleurs, avec ses romans latins ou sa Vie secrète, que
c’est les Goncourt qui seront un jour mortifiés de l’avoir omis au
moment du dessert. Et je n’oublie pas non plus Patrick Modiano,
dont on a fait grand cas au début, dont on s’est gaussé ensuite
parce qu’il faisait toujours le même roman et qu’on loue à nouveau aujourd’hui, justement parce qu’il fait encore le même
roman. Ce qui s’appelle de la persévérance. Pourquoi changerait-il de manière? Y aurait-il une obligation de se renouveler,
comme pour les automobiles ou les appareils ménagers ?
Demanderait-on à Molière d’écrire autre chose que du Molière?
Se lasse-t-on des albums de Tintin sous prétexte qu’on y trouve
22
Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
toujours Milou, le capitaine Haddock et la Castafiore? Au
contraire, ce sont là des figures imposées, que le public réclamerait à grands cris si elles venaient à manquer. Supposez un
Modiano sans incertitude ni angoisse, au contraire plein de personnages à l’identité précise, bien définie, avec des aventures, du
suspense, du sexe! Vous auriez immédiatement une émeute devant
les bureaux de son éditeur, des hordes de libraires et de lecteurs,
hurlant: «Rendez-nous-la-petite-musique! Nous-voulons-dubrouillard-sentimental! Rendez-nous-l’Occupation-allemande!»
– Celle-là, les Français la regrettent toujours, on dirait,
murmure Gide.
– Donc, Modiano reste pour moi définitivement du côté
des écrivains enchanteurs, comme Chateaubriand, mutatis mutandis,
de ceux qui me transportent dans un univers parallèle et proche,
qui apportent des lumières et de l’obscurité en même temps, et
aiguisent ma conscience du monde réel.
– Et ça vous sert à quoi? demande Mateo.
Gide et moi sursautons, unanimes:
– À rien, malheureux! L’art n’est pas fait pour servir à
quoi que ce soit, infortuné cerbère!
Mateo se mouche, un peu honteux. Puis, comme saisi
d’un remords ou retrouvant brusquement la mémoire, me
demande:
– Vous ne parlez pas à Monsieur de l’autofiction ? C’est
notre dernière tarte à la crème, si je ne me trompe.
– Qu’est-ce que ce mot affreux ? dit Gide.
– Je n’étais pas sûr de devoir vous infliger cela. C’est un
peu de l’autobiographie et de la fiction, sans être ni l’un ni l’autre.
On est soi-même son propre personnage, on se glisse dans les
habits de la fiction pour mieux s’approcher du moi réel, c’est une
façon de passer aux aveux, à travers un masque qui nous ressemble.
– Très potache. Mais cela se pratique depuis des lustres.
Rousseau, Chateaubriand, Proust, n’ont jamais pratiqué autrement. Et moi-même… Mais assez parlé de moi, comme dirait ce
raseur de Montherlant, vous avez lu mon Journal, tout cela est
clair comme de l’eau de roche.
– Oui, mais enfin, cela devient une sorte de micro-mouvement littéraire, maintenant. Je ne garantis pas que cela durera
plus de quelques mois, certes, mais c’est la dernière danse qu’on
a lancée…
– Je préférais le madison, dit Gide.
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
23
– Et moi le twist, ajoute Mateo.
– Tant pis pour vous: cette fois, c’est l’autofiction. Ainsi
Christophe Donner, par exemple, mélange assez volontiers sa
vie et sa création et le mouvement même de l’un à l’autre, les
hésitations, les regrets, les élans, la difficulté du tout, etc. Cela a
donné dans le meilleur des cas L’Esprit de vengeance, par exemple,
dans lequel il réglait les comptes de son grand-père mort en
déportation avec un célèbre et respecté philosophe humaniste
français, resté à l’abri de ses murs blancs en France, et dont un
petit-fils avait dû fricoter avec Donner, pour tout arranger. Bref,
le sac était si plein de nœuds que le philosophe obligea Donner
à changer d’éditeur, ce qui montre assez bien que la biographie
peut produire quelques effets dans le réel. Par ailleurs, je ne suis
pas toujours convaincu par les livres de Donner, il va un peu vite
à mon goût. Il a l’air très content de lui-même, ce qui fait plaisir
à voir. J’aime les gens qui ont de la trempe et prennent des
risques. C’est son tempérament qui le sauve, pour être juste, non
cette théorie de l’autofiction, qui ne va pas loin, je le crains…
– Jusqu’où ?
– Jusqu’à Christine Angot, par exemple. Un thème
d’une inconvenance idéale pour les hebdomadaires, l’inceste,
une écriture résolument bègue, répétitive. Prenez les derniers
livres de Duras à la fin de sa vie, retirez-en ce qu’il y reste toujours d’inouï, malgré tout, même à l’état de traces de plus en plus
rares, infinitésimales, et vous avez la prose de cette brave
Christine Angot. Faites ensuite l’emplette du livre suivant, consacré au succès du précédent, avec le recensement des articles, la
liste des journalistes gentils ou non, les chiffres, l’argent gagné,
etc. Comme ce deuxième livre, un peu contrarié, a ennuyé, on
aura droit à un troisième sous peu, pour nous expliquer que le
second a été victime d’un complot né de la jalousie créée par le
premier. Et par-dessus le marché, on en fait des lectures
publiques, on rugit son texte, on l’éructe en rap, on en grave des
CD! Et on navigue au plus près de ce qui flotte dans le marigot
du jour, on se cramponne pathétiquement au radeau, au petit
milieu, pas si farouche que ça. Du temps où je la connaissais,
avant qu’elle n’ait trouvé son personnage public, quand nous
allions au Bambi Bar, à Bordeaux, elle était très drôle, cette jeune
femme. Ce doit être un peu trop d’autofiction qui lui a porté sur
le système. Il y a de quoi: tout ce qu’on reprochait auparavant
aux biographes d’une certaine école – compter les boutons de
gilet, transcrire les notes de la blanchisseuse, etc. – , cette fois,
24
Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
c’est l’auteur qui s’en charge, de lui-même, sans qu’on ait à le
fouiller, et qui élève le moindre de ses pets au sublime du pur
contre-ut. Et tellement péremptoire avec ça. Comme chantait
Nougaro, «À Montpellier, même les mémés aiment la castagne…».
– Pas Montpellier, rectifie Mateo, il s’agit de Toulouse,
ô mon Toulouououse…
– Taisez-vous, malheureux portier, fait Gide. Mais vous,
cher Michel, ne me dites pas qu’il en va ainsi de toutes les
femmes?
– Non, non. J’ai déjà cité Marie NDiaye, Marie Nimier,
Marie Darrieussecq, l’étonnante Caroline Lamarche, même si
c’est absurde de faire une catégorie «Femmes», sauf d’un point
de vue historique, peut-être…
– Ah, les femmes, c’est l’avenir. Elles sont les premières
à nous lire. Et elles ont tout à dire encore. Je crois que j’ai été un
peu dur avec elles, la dernière fois qu’on en a parlé, dans ce
sauna. Il y en a bien quelques-unes d’agaçantes, c’est inévitable,
tout le monde en passe par là, le gémissement, la douleur. Mais
ensuite, quand elles seront de plain-pied, quand elles seront plus
nombreuses à écrire, on verra ce qu’on verra. Les Anglo-Saxonnes
ont déjà commencé. J’aimais bien Marguerite Yourcenar, quoiqu’un peu drapée à mon goût, et Nathalie Sarraute. On ne les
voyait pas sans arrêt dans les magazines et elles ne piaillaient pas
trop souvent à la télévision, celles-là, comme harengères en
lutte. Curieuse, en voyant un auteur dans le poste, cette mienne
impression que j’aie de compatir au sort d’un poulet qu’on rissole à la broche, en devanture d’une boucherie en hiver…
– Cela dit, maître, il est d’autres femmes moins belliqueuses. En apparence. Marie NDiaye, par exemple, est très
talentueuse et respectée. Elle n’a pas eu besoin de crier pour se
faire entendre, elle. Sans bouger de sa campagne. Ce n’est pas
que je souhaite absolument que tous les écrivains restent aux
champs, quoique le bon air leur fasse du bien, mais au fond l’idée
ne me déplaît pas… Paris débarrassé de ses écrivains, de ses
artistes, entièrement livré aux autocars climatisés des touristes,
rendu à sa vérité authentique et festive… Mais passons. Je vous
citerais volontiers Marie Darrieussecq, qui a fait quelque bruit
avec Truismes, l’histoire d’une jeune femme qui se métamorphosait en truie, comme le héros de La Métamorphose de Kafka se
transformait en cancrelat, si je ne craignais que le seul nom de
Darrieussecq n’importune Mme NDiaye, les deux romancières
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
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se sont crêpé le chignon, il y a peu, pour plagiat, je ne sais plus.
Je voudrais vous signaler Marie Nimier, une des rares qui ne se
répète pas et qui a des sujets originaux, un style onirique très
personnel, mais comme nous avons été assez proches, on pourrait y voir un favoritisme discutable, ce qui serait injuste, vous le
verrez par vous-même en la lisant. Enfin, le cas le plus singulier
de l’an dernier est à chercher du côté de Catherine Millet.
– La patronne d’Art Press?
– Elle-même. En compagnie de son mari, Jacques Henric,
le romancier, qui la photographie, elle raconte ses années de
jambes en l’air, partouzes multiples, partenaires à la pelle, le
grand tourniquet à l’arrière du camion, la bicyclette yougoslave
sur le capot, le turluru dans l’ascenseur, le piège malais à
Boulogne...
– Qu’est-ce que c’est?
– Une combinaison de la balayeuse municipale et du
petit Noël des pauvres, deux classiques, adaptée aux sous-bois
parisiens.
– Halte! Je rends les armes. Au fait, je vous prie.
– L’ouvrage, La Vie sexuelle de Catherine M., fait un tabac
incroyable. On le traduit dans toutes les langues, bientôt en
braille. En tête des ventes à l’étranger, au Brésil, en Allemagne.
Et la dame explique à qui veut l’entendre que tout va très bien,
elle n’est pas embarrassée du tout par les questions les plus sottement perfides, elle répond à tout avec un flegme superbe.
L’étonnant est que son livre soit ainsi, placide, énumératif,
amoral, signé par elle. Qu’il soit si paisiblement reçu, lu sur les
plages. Elle ne prétend pas faire œuvre littéraire grand genre, ni
donner un document brut. Elle a trop d’humour pour cela. Elle
nous donne (nous vend) cet objet, qu’elle appelle son «ouvrage»,
sans autre commentaire, comme une installation d’art moderne.
Il n’y a pas trop à gloser: on s’en approche, on en ressent
quelque chose ou pas. On peut s’en aller aussi. Il est possible
d’ailleurs que l’artiste s’en fiche.
– Pourvu que le fric arrive, nuance Mateo.
– Ne soyez pas trivial, cruel nocher qui nous indiquez la
porte, dis-je. D’autres tiennent le haut du pavé sans avoir, que
l’on sache, son vécu. Regardez Beigbeder. Il quitte le milieu de
la publicité pour faire la critique de la publicité, en disant: voyez
comme je suis malin, je sais que je suis un produit, je le proclame,
je donne le prix de mon livre comme titre, 99 Francs (et rebelote
avec le passage à l’euro), n’est-ce pas gonflé, ça, et en plus vous
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Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
ne pouvez même pas me traiter de vendu puisque c’est moi qui
me suis vendu le premier, à vous, et que mes poches sont pleines
de votre argent, librement dépensé. Mieux, tout ce que vous
pourrez dire sur la perversité de ce système, je l’ai déjà écrit, vous
l’avez entre les mains.
– Et c’est bien?
– Intelligent, drôle. Paradoxal aussi: on dirait un prisonnier tout heureux d’avoir obtenu de repeindre lui-même les barreaux de sa cage. Il n’en est pas sorti pour autant. Ce livre, je ne
suis pas sûr qu’il puisse en rester content bien longtemps. Mais
c’est un garçon qui a de la ressource, des lectures, du culot, il
anime une émission sur les livres qui se regarde de mieux en
mieux. Il occupe une place bien repérée dans le répertoire français, celle du dandy qui irrite et séduit, à la fois désinvolte et bon
duelliste...
– Ça me rappelle le jeune Pierre Louÿs, une référence de
qualité, lui et ses femmes, ses copains. Moi aussi j’ai eu mon
réseau, vous savez. La NRF, au départ, c’était une bande de
sacrés loustics, reprenez les bouquins de José Cabanis.
– Que sont devenus les autres, au fait?
– Très morts, merci. Une coterie, il faut la quitter vite,
avant d’en devenir le serviteur. Et ce Houellebecq dont on nous
a fait tout un fromage, du jamais vu dans la profession ?
– Un petit malin, pas très clair au premier abord. Il a eu
sa bande lui aussi, et une revue, Perpendiculaires. Tous dans le
même bateau, pour ce qui est devant, contre ce qui était avant.
Banalement «contre». Ce qu’on appelle le renouvellement
automatique des générations. Là-dessus, la revue tombe à l’eau,
qu’est-ce qui reste? Le capitaine Houellebecq, décalé et déprimé, quasi aphasique et rigolard intérieur, du genre à se payer
votre tête sans avoir l’air de le faire ouvertement, pour vous laisser dans le doute. Un impertinent.
– Plutôt sympathique, non?
– Trois livres étonnants, dont on ne sait s’ils lui sont
venus naturellement sous cette forme ou au contraire si c’est un
calcul savant. Je penche pour la première hypothèse, quant à moi.
On a dit pour le vendre que c’était «très bien écrit», etc. Non,
pas vraiment. C’est très maladroit souvent, d’une gaucherie
lamentable dès que l’auteur veut faire joli. Comme ces gens qui
n’ont pas de goût et qui font la décoration de leur appartement
sans moyens, juste en s’appliquant. Donc, pour l’esthétique, zéro
pointé. Mais, c’est peut-être un zéro voulu. Parce que juste
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
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après, un dialogue, une description sur un ton différent, un
changement d’angle, façonnent une perspective qu’on n’attendait
pas. Et le soupçon s’introduit chez le lecteur, après une première
moue dubitative, le voilà troublé par cette question, toujours la
même, qu’on se pose face à ce genre louche: et si ce zéro était
voulu, cette médiocrité intentionnelle? L’auteur est très habile à
jouer là-dessus. Il se trouve sans doute antipathique ou a peur de
l’être, il s’amuse beaucoup à nous placer à notre tour dans ce
malaise, devant ce dilemme, de le rejeter ou de l’adopter. Il
raconte la vie des petits bourgeois écrasés par la machine sociale,
laquelle n’a pas encore réalisé qu’elle était elle-même sur le
point d’être envoyée à la casse, rendue obsolète par les récents
progrès de la technique génétique. Émile Zola découvrant le
clonage. Une nouvelle humanité est en marche, sélectionnée et
immortelle, qui va nous balayer comme de vieux moucherons.
Déjà que nous n’étions pas tous les jours au mieux de notre forme
morale, voilà qui requinque. Mais pourquoi pas, cela se lit trop
bien pour être si mal foutu qu’on l’annonce. Évidemment, il a
aussi des idées…
– Le tourisme sexuel, j’ai cru entendre ça…
– Vous avez l’oreille fine, maître, depuis votre caveau.
Rien à voir avec vos galipettes africaines d’autrefois. On parle de
charters, de tourisme de masse, du sourire des Thaïlandaises et
de la sécheresse des vagins occidentaux, etc. On raisonne en
masses, en millions. En guerres de religions. A-t-il tort? Les
journalistes se défendent d’avoir fait dire à Houellebecq ce qu’il
leur a dit et qu’il pense tranquillement. Les éditeurs tremblent,
se tâtent. Les jurys s’abstiennent. Le public suit.
– Et vous?
– J’ai salué Les Particules élémentaires, l’aspect culotté de
l’entreprise, l’ambition. J’aime le côté dynamiteur en tricot du
bonhomme, avec son Prozac et son chien Clément. Il devrait
porter le béret. Je ne suis pas sûr de suivre ses idées, ni de vouloir chercher longtemps le «vrai» Houellebecq, savoir qui il est
«vraiment», comme quand on nous parle du «vrai Untel que
personne n’a compris». De sa part, c’est un jeu de cache-cache
sadique et tristounet avec les lecteurs, comme il peut jouer à la
baballe avec Clément – un coup, je te la donne, un coup, tu ne
l’auras pas –, qui n’est pas forcément mon idéal à l’heure de la
sieste. Mais, c’est encore trop tôt, il a certainement d’autres
cartes à abattre.
– Et vous n’avez rien de plus gai?
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Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
– Si, si. Jean Echenoz, écrivain sûr, moderne, sans dérapages indécents, calibré par Lindon (il a raconté comment), sans
devenir une «minuiterie», bel homme, de l’esprit, discrétion
assurée, du talent à revendre. Emmanuel Carrère, très distingué
aussi et impeccable auteur de La Moustache, d’une biographie de
Philip K. Dick, d’un roman-vérité sur l’affaire Romand, le type
qui se faisait passer pour un médecin et qui a trucidé toute sa
famille quand on l’a démasqué. Et qui a raté son suicide après. Si
tous les usurpateurs qui se prétendent romanciers devaient tuer
leur famille, dans certains couples on pourrait faire coup double.
– Les écrivains sont des célibataires de fond, même mariés.
– Ce n’est pas le cas de Carrère, qui n’est pas un usurpateur non plus mais un élément de premier choix. Il apprend le
russe pour écrire son autobiographie. C’est quand même le signe
d’un tempérament courageux et original, non?
– Tout cela est très bien. Très convenable, dites-moi…
– Alors, lisez Maurice G. Dantec, il va vous dégager les
bronches vite fait. Trois énormes romans policiers, deux tomes
d’un Journal métaphysique et polémique encore plus volcanique.
Pas du tout convenable, ni politiquement correct. Il lui arrive de
dérailler complètement, je le dis en toute amitié, de partir comme
un dératé dans des digressions aberrantes, d’émettre des opinions ahurissantes, mais en même temps il a un sens aigu de la
formule et une énergie, une soif, une ampleur, qui transforment
la plupart de ses camarades en nains de jardin. Un homme des
banlieues qui lit Joseph de Maistre et cite Max Planck, un guerrier,
je vous dis. Avec ses excès, ses humeurs. Parfois il en renverse, mais
il a un vrai tempérament de conquistador.
– Ah! Les grands espaces, la mer. Moi aussi, j’aurais
voulu être marin!
Gide esquisse de la main le geste de porter des
jumelles vers l’horizon.
– Pour le mousse, pas plus, murmure Mateo.
– Côté grand large, nous avons de beaux voiliers, Marc
Trillard, entre autres, chez Phébus, un de nos meilleurs éditeurs.
Et Érik Orsenna, qui connaît les grandes houles des cycles économiques, et celles du cap Horn, les marées de l’amour et les reflux
de la politique, un homme aux appétits multiples, fervent des îles
bretonnes et des jardins du roi, amoureux de la grammaire, c’est
un très fin régatier. Michel Le Bris, je le rangerais plutôt avec les
flibustiers. Un type qui se révèle en mai 68, alors qu’il ne s’intéressait qu’au jazz et à l’underground made in USA, qui invente un
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
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festival d’écrivains-voyageurs à Saint-Malo, puis à Missoula,
Sarajevo, Bamako. Qui écrit une biographie de Stevenson, en
même temps que les aventures des pirates au Siècle d’or, encore
une leçon de courage! Je pense aussi à Jean Rolin, ce voyageur qui
ressemble à un reporter de guerre de la grande époque, buvant des
Singapore Sling au bar de l’Hotel Raffle’s, un des nombreux enfants
de Roger Vailland et de Paul Morand.
– Eux, des enfants?
– Spirituels, maître. D’ailleurs, vous en avez bien eu
vous-même… Par ailleurs, nous avons des écrivains du concret,
du banal.
– Et ça donne quoi, le concret?
– On s’émerveille, sur de petites choses sensibles que tout
le monde connaît. Philippe Delerm avec un talent certain a
regroupé ainsi plusieurs courtes chroniques dans La Première
Gorgée de bière, qui ont eu un succès de librairie auquel lui-même
ne s’attendait pas. Sur le plaisir de boire un bock quand il fait
chaud, de marcher dans des espadrilles mouillées, d’écosser des
petits pois, et ainsi de suite. En un sens, il a permis de faire sentir
aux lecteurs qu’ils vivaient parfois des choses extraordinaires
sans s’en rendre compte ou sans oser en parler. En écrivant et en
publiant ces sensations, Delerm leur confère une légitimité existentielle et artistique. Et il prend soin de ne pas s’évaporer dans
le mystique, le religieux, parce qu’on pourrait aussi bien glisser
dans l’extase à partir des espadrilles, surtout mouillées. Comme
un Christian Bobin, qui voit Dieu partout. Mais Delerm est un
type sobre, il a les pieds sur terre, même humides.
– Les Français adorent pourtant les japoniaiseries, les
tarabiscotages calligraphiques et laqués, l’opium des riches, etc.
Ces Gaulois dégénérés sont des gogos de l’Asie. Alors pourquoi
pas troquer le gros rouge contre un moment de zen? Je parie que
vous avez encore des romans sur la nature, les moulins maudits,
les dynasties de sourciers. Tout le monde n’est pas Pagnol, ni
Giono. Encore moins François Augiéras.
– Eh oui, il nous reste des écrivains de terroir, des régionalistes…
– Ah, taisez-vous. Cela me lève le cœur. Les épopées
rurales… tirages fabuleux, public fidèle, séances de signatures
interminables, la pipe au bec. C’est dégoûtant. Hors sujet.
– Nous avons encore, dans un registre très différent,
tout une gamme d’intellectuels, comme on disait à votre époque.
Des penseurs, des humanistes…
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Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
– Ah! Ah! Et ils ont changé d’avis, n’est-ce pas?
– Sur quoi?
– Mais tout, voyons!
– C’est le moins qu’on puisse dire. On a différents modèles,
le gourou omniprésent en voie d’éparpillement insignifiant;
l’ancien compagnon de route solennel, romantique égaré, qui
voyage en solitaire, sombrement; le professeur de morale sorbonnastre, qui se mélange dans ses fiches, l’ancien gaucho, accidenté
de la télévision, le psychanalyste de cabaret, tous les genres de
beauté existent dans ce domaine et aucun ne tient vraiment la
route. Pour un pays de grande tradition, c’en est même navrant.
– Un sacré boulot, l’engagement. Hors sujet, les penseurs, donc?
– Non, pas encore, il y a des gens très bien dans le lot,
Bernard-Henri Lévy, Christian Jambet, mais ce ne sont pas des
romanciers, la fiction n’est pas leur outil premier. C’est pourquoi
je ne m’étends pas non plus sur mon ami et voisin de palier,
Philippe Sollers, d’abord parce qu’il le fait abondamment luimême et mieux que moi – nous sommes de trop vieux amis pour ne
pas nous méconnaître –, et parce qu’il est moins fictionneur qu’écrivain à toutes mains. Remarquable critique, partisan des Lumières et
de la gaieté, de l’amour et de la musique, égocentrique et très
généreux, le plus agile coureur sur toutes les pistes qui s’ouvrent
à tout propos, toujours le premier arrivé. Je craindrais d’en dire
davantage: il lui arrive de penser qu’il est victime d’un complot
visant à le bâillonner.
– Mais on n’entend que lui…
– Que voulez-vous, c’est un jeu difficile. Restons
confiants: n’a-t-il pas écrit Portrait du joueur, après tout? Et il y a
enfin des universitaires sérieux, qui font moins de cirque, même
si beaucoup sont bluffés par les premiers et leur consacrent des
thèses le plus respectueusement du monde. Le spectacle les fascine. Laissons dans leur ombre propice ces terrassiers de l’ennui.
Sans remonter aux ancêtres encore vivants, je peux vous citer
quan-tité d’universitaires de haute volée, de Jean-Pierre Richard
à René Girard, et bien d’autres. Le fait est qu’avec l’effondrement des grands systèmes comme le marxisme, le structuralisme,
etc., le métier est devenu ingrat. Plus de système, dispersion des
penseurs. Avec les progrès déconcertants de la science dans le
domaine génétique, notamment, il ne faut plus compter sur les
Français, mais sur un Peter Sloterdijk, un Allemand. Chez nous,
cette brusque dévaluation a eu pour conséquence un effet
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
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Roland Barthes massif. Chacun s’est campé en penseur-artiste, à
cheval sur deux rôles, évitant les responsabilités de l’un, les exigences de l’autre. Tout cela ne fait pas une école. Si l’on veut se
rafraîchir la santé – car le cerveau est un muscle –, il faut aller du
côté des insolents, Philippe Muray, notamment, auteur d’un
essai sur Céline qui fait autorité, et grand pourfendeur de
l’époque avec Après l’histoire. Et je vous recommande tout spécialement Annie Le Brun, une femme énergique et inflexible,
trop femme pour être «féministe», fidèle au surréalisme, à l’esprit de Sade et de Roussel, pas commode du tout, mais c’est ce
qui me plaît, l’amitié des indomptables…
– Bon, vous n’avez rien d’autre dans votre besace ?
– Si, je voulais vous parler de Patrick Besson, autre irrégulier, imprévisible et drôle. De Bernard Comment et de ses
hommes-troncs, d’Éric Chevillard et de son caoutchouc…
Gide se penche vers moi, et à voix basse:
– Dites, vous n’avez pas soif ? Rien que nous deux…
Mateo, qui l’a entendu, se dirige vers la porte et la
boucle d’un tour de clé.
– On ferme!
Il éteint les lumières du vestibule. Gide se lève, un peu
surpris, en homme guère habitué à être chassé. Je le prends par
le coude et lui fais emprunter le couloir qui mène à l’escalier en
colimaçon au cœur de la maison.
– Où m’emmenez-vous? En bas? Moi-même, dans Les
Caves du Vatican…
– Aucun rapport. Ici, nous approchons des archives de la
Série noire.
Gide ouvre les bras, déboutonne son manteau, soulève
son chapeau pointu.
– Enfin, le roman noir! Le roman populaire! La littérature policière et voyageuse, la plus vivante de toutes. Vous avez
lu mes voyages au Congo et en URSS?
– Oui, et les retouches au Retour d’URSS, incontestables.
– Je n’en doute pas. Écoutez, toute ma vie j’ai dit assez
de bien de Virgile et de Shakespeare, sans omettre Goethe, pas
vrai?
– Cela vous a conféré une respectabilité assez ampoulée,
d’ailleurs. Descendre le Congo en lisant Bossuet, et mentionnant le fait dans votre Journal, cela sent un peu la pose.
– J’accepte le mot. Mais en fait, j’aimais aussi beaucoup
Simenon, même à mi-voix. Et Chandler et Hammett! Sans parler
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Avec André Gide sur le pas de la porte • Michel Braudeau •
de l’immense Stevenson! Il y a de tout cela chez moi, comme chez
Conrad, vous l’avez remarqué, n’est-ce pas, en maints passages?
– Bien sûr, maître. Et tant d’autres choses encore…
– Vraiment? Lesquelles?
– Attention à la marche, nous sommes chez des gens très
bien, mais le plafond est bas. La sortie est par là, vers la cour de
derrière.
– Vous ne m’avez pas répondu.
– Il faut bien vous faire souffrir un peu. Par admiration.
Je vous le dirai un autre jour. Sachez pour ce soir que Raymond
Chandler sera un jour dans la Pléiade, comme vous.
– Excellente compagnie.
– Et qu’on parle de transporter Alexandre Dumas au
Panthéon. Un signe des temps. Le triomphe de Monte-Cristo.
– Voilà qui n’est pas pour moi. Pas du tout mon genre.
Vous me voyez là-bas avec tous ces vieux très sérieux?
– Non. C’est un honneur, une réparation pour Dumas,
oui. Pour vous, ce serait une sorte de malversation. Un déni.
– Et puis soyons clairs: le moins qu’on puisse dire, et je
m’en flatte, c’est que je n’ai rien fait pour le mériter. D’ailleurs
je suis très bien enterré à Cuverville. Mais quand même, j’aimerais bien savoir ce qu’est un écrivain moderne, aujourd’hui.
Un mélange de panique et d’ennui monte en moi. De
quand date exactement le mot «moderne»? Qu’a voulu dire
Rimbaud avec son «Il faut être absolument moderne», que l’on
a répété à l’envi sans y penser vraiment? Est-ce que Françoise
Sagan est plus moderne que madame de La Fayette? Daniel Pennac
plus moderne que Benjamin Constant? La présence d’objets
modernes, récemment créés, armes, ordinateurs, comme accessoires dans un roman, aide-t-elle celui-ci à être moderne? Quels
sont les situations et les sentiments modernes, inconnus avant
nous, en dehors des péripéties liées aux progrès techniques?
L’avion, le courrier électronique ont-ils changé en profondeur
ou non certains aspects de l’amour, de la solitude, du deuil? Si
profondeur il y a, la percevons-nous dans toute son ampleur,
avons-nous trouvé le style pour en rendre compte? Ne sommesnous pas d’abord sensibles aux apparences, tellement sensibles
que nous en restons là, à cette surface passionnément observée,
avec une retenue, une paralysie presque pathétiques et cliniques,
nous interdisant de la franchir, de la creuser, d’aller au-delà, derrière, de regarder l’envers ou le dessous, selon le gyroscope de
chacun, toutes investigations considérées comme inopportunes,
• Michel Braudeau •
Avec André Gide sur le pas de la porte
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inélégantes, désuètes? Tous fascinés par cette caresse des yeux sur le
monde apparent, constaté, laissé intact. Les jeunes romanciers
américains décrivent cet univers de surfaces lisses et de marques
déposées, sans qu’on saisisse bien chez nous le caractère violent
de la satire qui se tapit dans cette description d’où les émotions
sont bannies. Est-ce moderne? Ou un instant d’anesthésie historique, une ankylose du cœur devant l’accélération du temps? Le
moderne est-il le plus proche de nous dans le temps? Et Gide estil moderne? À mon avis oui, mais il doit s’interroger sur sa postérité, une formule de politesse ne l’apaisera pas, je le devine.
La minuterie s’éteint.
– Ah, dit Gide avec gaieté, déjà l’ambiance, la mise en
place, je suppose.
– Non, maître. Je dois vous dire que la Série noire ellemême n’est plus ce qu’elle était. Tout change…
Je l’aide à gravir un petit escalier dans la pénombre et
pousse une porte de secours qu’une loupiote signale. Au-dehors,
l’air est frais, des lanternes éclairent la cour.
– Mais alors, où allons-nous ?
– Nous sortons dans la rue. Nous retournons au monde
réel, aux rêves qu’il engendre et à ceux qui le soutiennent. Nous
n’écoutons plus les critiques et les donneurs de leçons, nous laissons choir les programmes, les dogmes, les cloisonnements du
genre, imposés par des habitudes ou des suggestions commerciales,
des manies de classement, policiers, noirs, science-fiction, etc. Tout
cela a explosé. Et nous écrivons des romans.
Je me retournai tout à coup, ayant l’impression une fois
de plus de parler tout seul, et constatai que Gide, à son habitude,
avait posé la question, éludé la réponse et filé à l’anglaise. Une
saine habitude apprise dans l’au-delà. Mais sur les pavés, dans
l’obscurité, je ramassai son mégot fumant de Chesterfield, avec
un filtre en liège comme on n’en fabrique plus depuis des années,
qui me prouvait avec sa braise encore ardente que je n’avais pas
tout inventé ce soir.
35
Le roman français contemporain
bibliographie
Angot, Christine
Bianciotti, Hector
Braudeau, Michel
L’Inceste,
Sans la miséricorde
du Christ,
Naissance d’une passion,
Stock, 1999
2-234-05148-7
Seuil, 1985
2-02-008892-4
Quitter la ville,
Gallimard, 1985
2-07-070472-6
Stock, 2000
2-234-05295-5
Seules les larmes
seront comptées,
Seuil, 1988
2-02-010281-1
Beigbeder, Frédéric
Gallimard, 1989
2-07-071544-2
La Non-Personne:
une enquête,
Comme la trace
de l’oiseau dans l’air,
Gallimard, 2000
2-07-075793-5
Gallimard, 2002
2-07-041814-6
L’Interprétation des singes,
99 Francs,
Grasset, 2000
2-246-56761-0
Bergounioux, Pierre
L’Objet perdu de l’amour,
Gallimard, 1996
2-07-074497-3
Bobin, Christian
Stock, 2001
2-234-05429-X
Une Petite Robe de fête,
Carrère, Emmanuel
Le Premier Mot,
Gallimard, 1991
2-07-072244-9
Je suis vivant et vous êtes
morts. Philip K. Dick
(1928-1982)
Seuil, 1993
La Mort de Brune,
Gallimard, 2001
2-07-076171-1
Besson, Patrick
Les Braban,
Albin Michel, 1995
2-226-07851-7
Lettre à un ami perdu,
Librio, 1998
2-277-30218-X
28, boulevard AristideBriand,
Bartillat, 2001
2-84100-234-9
Le Très-Bas,
Gallimard, 1992
2-07-072715-7
2-02-020173-9
La Folle Allure,
La Classe de neige,
Gallimard, 1995
2-07-074316-0
POL, 1995
2-86744-477-2
La plus que vive,
L’Adversaire,
Gallimard, 1996
2-07-074582-1
POL, 2000
2-86744-682-1
Autoportrait au radiateur, Chamoiseau, Patrick
Gallimard, 1997
Texaco,
2-07-074978-9
Gallimard, 1992
2-07-072750-5
36
Tracées de mélancolies,
Traces, 1999
2-9508246-1-7
Chevillard, Éric
Bibliographie • Michel Braudeau
Laboratoire
de catastrophe générale,
Gallimard, 2001
2-07-076267-X
Le Caoutchouc, décidément, Le Théâtre des opérations,
Contre l’imagination,
Fayard, 1998
2-213-60187-9
L’Empire de la morale,
Grasset, 2001
2-246-59291-7
Minuit, 1992
2-7073-1418-8
Gallimard, 2002
2-07-042114-7
L’Œuvre posthume
de Thomas Pilaster,
Darrieussecq, Marie
Une femme,
Naissance des fantômes,
Minuit, 1999
2-7073-1659-8
POL, 1998
2-86744-613-9
Gallimard, 1988
2-07-071200-1
Les Absences
du capitaine Cook,
Truismes,
Ernaux, Annie
La Place,
Gallimard, 1989
2-07-070048-8
Minuit, 2001
2-7073-1734-9
Gallimard, 1998
2-07-040307-6
Del Castillo, Michel
Comment, Bernard
La Gloire de Dina,
Roland Barthes,
vers le neutre,
Seuil, 1984
2-02-006923-7
Bourgois
1991
2-267-01026-7
Mon frère l’idiot,
Même les oiseaux,
De père français,
Des choses cachées depuis
la fondation du monde,
Bourgois, 1998
2-267-01469-6
Fayard, 1998
2-213-60101-1
LGF, 1983
2-253-03244-1
Le Colloque des bustes,
Delerm, Philippe
Girard, René
Bourgois, 2000
2-267-01557-9
Je vois Satan tomber
comme l’éclair,
Confiant, Raphaël
La Première Gorgée
de bière et autres plaisirs
minuscules,
Aimé Césaire,
le paradoxe,
Gallimard, 1997
2-07-074483-3
Stock, 1993
2-234-02618-0
Il avait plu
tout le dimanche,
Trilogie tropicale,
Mercure de France, 1998
2-7152-2031-6
Desclée de Brouwer,
2001
2-220-05011-4
La Sieste assassinée,
Glissant, Édouard
Gallimard, 2001
2-07-075835-4
Tout-monde,
Mille et une nuits, 1997
2-84205-173-4
Dantec, Maurice G.
Gallimard, 1997
2-07-040087-5
Passion simple,
Gallimard, 1991
2-07-072504-9
L’Occupation,
Gallimard, 2002
2-07-076471-0
Girard, René
Grasset, 1999
2-246-26791-9
Celui par qui
le scandale arrive,
Gallimard, 1995
2-07-049495-0
Donner, Christophe
Gallimard, 1993
2-07-073681-4
L’Esprit de vengeance,
Poèmes complets,
Babylon babies,
Grasset, 1992
2-246-45652-5
Gallimard, 1994
2-07-073887-6
Les Racines du mal,
Gallimard, 1999
2-07-075471-5
Michel Braudeau •
37
Bibliographie
Houellebecq, Michel
Le Bris, Michel
Lévy, Bernard-Henri
Extension
du domaine de la lutte,
Fragments du royaume.
Conversations
avec Yvon Le Men,
Le Testament de Dieu,
Paroles d’aube, 1995
2-909096-33-5
Le Siècle de Sartre,
M. Nadeau, 1994
2-86231-124-3
Les Particules
élémentaires,
Flammarion, 1998
2-08-067472-2
Plateforme:
au milieu du monde,
Les Flibustiers
de la Sonore,
J’ai lu, 2000
2-290-30161-2
Le Brun, Annie
Flammarion, 2001
2-08-068237-7
Les Châteaux
de la subversion,
Jambet, Christian
Gallimard, 1986
2-07-032341-2
L’Ange,
Grasset, 1976
2-246-00305-9
La Logique des
Orientaux. Henry Corbin
et la science des formes,
Soudain un bloc d’abîme.
Sade: introduction
aux œuvres complètes,
Pauvert, 1986
2-7202-0195-2
Denoël, 1983
2-282-30235-4
Grasset, 2000
2-246-59221-6
Michon, Pierre
Vies minuscules,
Gallimard, 1984
2-07-070038-0
Rimbaud le fils,
Gallimard, 1991
2-07-071740-2
Millet, Catherine
L’Art contemporain
en France,
Flammarion, 1998
2-08-010300-8
Seuil, 1983
2-02-006453-7
La Vie sexuelle
Vingt Mille Lieues sous les de Catherine M.,
Seuil, 2001
mots. Raymond Roussel,
Laclavetine, Jean-Marie
Pauvert, 1994
2-7202-1355-1
2-02-038112-5
Du trop de réalité,
Villa triste,
Première Ligne,
Stock, 2000
2-234-05165-7
Gallimard, 1975
2-07-029204-5,
Gallimard, 1999
2-07-075648-3
Le Clézio, Jean-Marie
Gustave
Voyage de noces
Le Pouvoir des fleurs,
Le Procès-verbal,
Gallimard, 2002
2-07-076385-4
Gallimard, 1990
2-07-023821-0
Lamarche, Caroline
Le Jour du chien,
Le Rêve mexicain
ou la Pensée interrompue,
Minuit, 1996
2-7073-1564-8
Gallimard, 1992
2-07-032680-2
Gallimard, 1999
2-07-075493-6
La Nuit l’après-midi,
L’Extase matérielle,
La Petite Bijou,
Minuit, 1998
2-7073-1649-0
Rocher, 1999
2-268-03287-6
Gallimard, 2001
2-07-076227-0
Donnafugata,
Gallimard, 1987
2-07-071118-8
L’Ours,
Gallimard, 2000
2-07-075760-9
Modiano, Patrick
Gallimard, 1990
2-07-071980-4
Dora Bruder,
Gallimard, 1997
2-07-074898-7
Des inconnues,
38
Bibliographie • Michel Braudeau
Muray, Philippe
Grand Amour,
L’Empire du bien,
Seuil, 1993
2-02-012127-1
Les Belles Lettres,
1991
2-251-44135-2
Longtemps,
Tout ce que je sais
de Marie,
Gallimard, 2000
2-07-076026-X
Fayard, 1998
2-213-60082-1
Robbe-Grillet, Alain
Après l’histoire (2 vol.),
Les Belles Lettres, 2000
2-251-44162-X
La grammaire
est une chanson douce,
Minuit, 1953
2-7073-0256-2
NDiaye, Marie
Stock, 2001
2-234-05403-6
La Jalousie,
La Femme
changée en bûche,
Minuit, 1989
2-7073-1285-1
La Sorcière,
Minuit, 1996
2-7073-1569-9
Quant au riche avenir,
Minuit, 1999
2-7073-1018-2
Rosie Carpe,
Minuit, 2001
2-7073-1740-3
Nimier, Marie
La Girafe,
Gallimard, 1987
2-07-071117-X
Quignard, Pascal
Albucius,
POL, 1990
2-86744-190-0
Les Gommes,
Minuit, 1957
2-7073-0054-3
L’Année dernière
à Marienbad,
Le Sexe et l’Effroi,
Minuit, 1961
2-7073-0311-9
Gallimard, 1996
2-07-040002-6
Pour un nouveau
roman,
Vie secrète,
Minuit, 1963
2-7073-0062-4
Gallimard, 1998
2-07-074879-0
Richard, Jean-Pierre
Études
sur le romantisme,
Seuil, 1999
2-02-037339-4
Un jardin en enfer,
Le miroir qui revient,
Minuit, 1985
2-7073-1007-7
Rolin, Jean
Zones,
Gallimard, 1995
2-07-074128-1
La Nouvelle
Pornographie,
Albin Michel, 2001
2-226-12194-3
Gallimard, 2000
2-07-075781-1
Rinaldi, Angelo
Gallimard, 1996
2-07-074551-1
L’Éducation de l’oubli,
Traverses: récit,
Sirène,
Denoël, 1974
2-207-28190-6
NIL, 1999
2-84111-113-X
Les Roses de Pline,
Schuhl, Jean-Jacques
Rose poussière,
Une comédie française,
Gallimard, 1987
2-07-071098-X
Seuil, 1980
2-02-005601-1
La Dernière Fête
de l’Empire,
L’Exposition coloniale,
Rocher, 1995
2-268-01999-3
Gallimard, 2000
2-07-041547-3
Orsenna, Érik
Seuil, 1988
2-02-010017-7
L’Organisation,
Gallimard, 1972
2-07-028187-6
Ingrid Caven,
Gallimard, 2000
2-07-075948-2
Michel Braudeau •
39
Bibliographie
Simon, Claude
Domestication de l’être,
Hymnes à l’amour,
La Route des Flandres,
Minuit, 1960
2-7073-0629-0
Mille et une nuits,
2000
2-84205-503-9
Gallimard, 1996
2-07-074301-2
Histoire,
Sollers, Philippe
Minuit, 1967
2-7073-0353-4
Femmes,
Gallimard, 1998
2-07-074676-3
La Bataille
de Pharsale,
Gallimard, 1983
2-07-024881-X
Portrait du Joueur,
Minuit, 1969
2-7073-0354-2
Gallimard, 1984
2-07-070317-7
La Chevelure
de Bérénice,
La Guerre du Goût,
Minuit, 1984
2-7073-0660-6
Discours de Stockholm,
Minuit, 1986
2-7073-1073-5
L’Acacia,
Minuit, 1989
2-7073-1296-7
Sloterdijk, Peter
Essai d’intoxication
volontaire.
Conversation avec
Carlos Oliveira,
Gallimard, 1994
2-07-073902-3
Passion fixe,
Gallimard, 2000
2-07-074905-3
Paradis,
Seuil, 2001
2-02-049996-7
Tournier, Michel
Vendredi ou
les Limbes du Pacifique,
Gallimard, 1967
2-07-026312-6
Les Météores,
Calmann-Lévy, 1999
2-7021-2981-1
Gallimard, 1975
2-07-029207-X
Règles pour le parc
humain. Une lettre
en réponse à la Lettre
sur l’humanisme
de Heidegger,
Le Vent Paraclet,
Mille et une nuits,
2000
2-84205-463-6
Gallimard, 1977
2-07-029618-0
Le Roi des Aulnes,
Gallimard, 1996
2-07-027397-0
Wiazemsky, Anne
Mon beau navire,
Critique
de la raison cynique,
Gallimard, 1989
2-07-071686-4
Bourgois, 2000
2-267-00527-1
Marimé,
Gallimard, 1993
2-07-038797-6
Une poignée de gens,
Le roman français contemporain
une décennie
romanesque
Lakis Proguidis
42
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
Lakis Proguidis, écrivain, fondateur (Paris, 1993) et directeur de la
revue L’Atelier du roman, est aussi l’auteur de trois essais, consacrés
principalement à l’art du roman : Un écrivain malgré la critique.
Essai sur l’œuvre de Witold Gombrowicz ( Gallimard, 1989 ),
La Conquête du roman. De Papadiamantis à Boccace
(Les Belles Lettres, 1997, préface de Milan Kundera); De l’autre
côté du brouillard. Essai sur le roman français contemporain
( Nota Bene, Canada, 2001 ).
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
43
Qui envisage d’esquisser un tableau de ce qui compte dans le
roman français des dernières années éprouve un embarras sans
pareil : que choisir ? L’interrogation est moins rhétorique qu’ontologique. Elle ne résulte pas uniquement des doutes légitimes
du critique concernant son objectivité, ses connaissances et sa
pertinence – il est plus qu’évident que, dans une telle entreprise,
on exprime son point de vue et on s’expose, sinon n’auraient
jamais existé ni dialogue esthétique ni vie littéraire. Elle est due,
cette interrogation, au fait que nous subissons sans relâche les
conséquences d’un monde qui a tout misé sur l’éphémère au
détriment du durable. Je ne peux argumenter ici sur cette
impression. Considérons-la comme un axiome. Toutefois l’axiome
ne paraîtra pas si éloigné de la réalité si nous essayons de
répondre à la question suivante : peut-on imaginer un débat de
fond, une analyse, une découverte tardive ou encore une redécouverte relative à un roman publié trois ou quatre ans auparavant ? Sans la foi en ce qui va durer, sans le sentiment de faire
partie d’un monde qui défie automatiquement, viscéralement et
systématiquement le temps du calendrier, qui s’oppose à ce qui
se consomme, voire se consume, passe et se perd sans retour, la
critique littéraire n’a aucun sens pour la simple raison que le
jugement esthétique est ontologiquement lié à la durée. Voici
alors le terrible dilemme : parler des livres qui ont fait du bruit
ou sont susceptibles d’en faire et qui, à coup sûr, seront éclipsés
44
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
par ceux qui en feront encore plus, ou se taire ? Le dilemme que
j’évoque n’a pourtant de valeur que théorique. Parce que,
aujourd’hui, fort heureusement, le critique n’est pas seul à ruminer ses apories et à recycler ses impasses. Se tient à ses côtés, s’il
observe bien, le romancier qui transpose, comme il sied à son
art, toute question provenant du monde, en l’occurrence celle de
l’éphémère et du durable, en énigme existentielle. En effet,
durant ces dix dernières années, plusieurs romanciers ont montré, indirectement j’entends, par leurs œuvres, qu’il existe là-dessous une problématique autrement plus fertile que les dilemmes
de la pensée. Ainsi, à la constatation accablante de la victoire
définitive du provisoire, ils répondent par le biais d’un nouveau
questionnement : et si on essayait de comprendre d’où vient et
où va l’homme fossoyeur de toute idée de pérennité ? Et si on
s’intéressait davantage à la réalité, le psychisme, le comportement, les mœurs, les ambitions, les inventions et les utopies de
cet homme qui, au fond, ne désire qu’une seule chose : ne pas
durer plus que l’air du temps ? Ne nous attendons pas à des solutions définitives. C’est le programme artistique qui compte.
C’est cette immense promesse d’une véritable création romanesque qui doit retenir notre regard. Reposons donc notre question initiale : Que choisir ? Ce qui est certain, c’est que l’œuvre
qui durera n’est désormais plus à chercher parmi celles qui sont
conçues innocemment et stylistiquement «pour durer» – encore
une étiquette bien gérée par le monde perpétuel du changement –,
mais parmi les œuvres destinées à scruter les mystères de l’homme éphémère. Que choisir ? Justement les romans écrits pour
appréhender les nouveaux rapports de l’homme au temps et, en
général, ceux qui parlent d’un monde qui, pour être en rupture
totale avec le précédent, n’est pas pour autant dépourvu d’intérêt romanesque : c’est même le contraire.
Sur ce chapitre du temps, pour commencer par l’essentiel, la manière spécifique de vivre le temps propre à l’homme
contemporain, trois romans, tous de la même année, 1997, tous
travaillés au cœur de cette dernière décennie, me paraissent particulièrement révélateurs. Il s’agit de On ferme de Philippe Muray,
Des hommes qui s’éloignent de François Taillandier, et de Drôle de
temps de Benoît Duteurtre. Les titres sont déjà suffisamment
évocateurs : on ferme, on s’éloigne, on entre dans un temps bizarre, inhabituel. Comme si on prenait la décision de tourner irrévocablement la page ; comme si on s’embarquait sur un navire qui
n’accostera plus jamais des ports familiers. Ou, au contraire, parce
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
45
que cela aussi existe, comme si on se réveillait brusquement dans
un ailleurs féerique qui correspondrait point par point au monde
réel, à l’exception de son poids. Dans ces romans, on trouvera à
plusieurs reprises les deux faces de la médaille : tantôt un monde
qui se veut radicalement autre par rapport à ce qui a été jusqu’à
hier ; tantôt un monde qui aspire à l’identique et pense se perpétuer tel quel dans l’éternité. Rien de plus humain, dira-t-on,
qu’être constamment exposé à des désirs contradictoires.
Pourtant ce qui distingue notre monde – le monde dont parlent
les romans significatifs et qui, bien entendu, est aussi le nôtre
mais clarifié, illuminé, comme si, à la lecture de ces romans, on le
voyait pour la première fois –, ce qui fait la spécificité de ce
monde, c’est sa conviction qu’il est possible de vivre à la fois et
l’autre et le même, sa persistance à n’y déceler aucune contradiction. Évidemment il ment. Mais pas de façon ordinaire. Il ment
parce qu’il utilise un langage dont les mots et les concepts sont
trafiqués.
C’est d’abord pour faire face à ce langage falsifié que j’ai
choisi les romans ci-dessus avant de passer à une vue d’ensemble.
Tous les trois, et de manière exemplaire, nous installent d’entrée
de jeu dans la vérité romanesque – pour nous souvenir de l’excellent ouvrage de René Girard, unique par sa compréhension
profonde de l’art du roman, Mensonge romantique et vérité romanesque. Ce qui signifie que ces romans nous fournissent généreusement en matière existentielle afin d’arriver à lire pertinemment les mots d’ordre de notre monde. Ce sont donc des romans
qui nous aident à comprendre que lorsqu’on fait usage du mot
« autre », on faut entendre « vide ». Apparemment on rêve d’altérité ; en fait on ne produit rien d’autre que le néant. On se
lance dans des découvertes extraordinaires ; en fait on accumule
des projets avortés. On ne jure que par le changement ; notre
anorexie existentielle est telle que tout nouveau départ est déjà
sapé. Et c’est également ainsi, toujours en suivant le chemin de
la vérité romanesque, qu’on comprendra que, lorsqu’on fait usage
du mot « même », il faut entendre « spectre » – ce mot essentiel
dans la pensée de Jean Baudrillard. Certes, rien n’empêche de
continuer à croire qu’il s’agit encore de la même terre, de la même
langue, des mêmes institutions, des mêmes relations humaines et
des mêmes rapports entre l’homme et l’au-delà ; à vrai dire il n’en
est rien. Ce « même » que nous voyons, c’est le « même » vidé de
son âme, le « même » vampirisé, le « même » qui a perdu sa raison d’être. Maintenant, une fois les mots justes revenus à leur
46
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
place, nous avons quelque chance de saisir concrètement le
monde. Un monde dont l’hyperagitation camoufle le fait qu’il
n’est plus touché par la grâce de la création. Un monde qui, par
conséquent, se permet toutes les audaces et toutes les libertés,
convaincu, en son for intérieur, que tout cela n’a aucun sens,
aucun effet palpable, que tout cela se déroule dans un univers
fantomatique, inconsistant, irréel, abstrait.
Abstrait. Le mot-clé est lancé. On ferme, Des hommes qui
s’éloignent, Drôle de temps, tous les romans importants de la
décennie en question ne manifestent qu’un seul et unique souci :
comment arracher l’homme à l’hydre de l’abstraction ? Mais, se
demandera-t-on, n’est-ce pas ce souci qui définit en propre le
roman ? Évidemment, Muray, Taillandier, Duteurtre pratiquent
le même art que Cervantès ou Flaubert, et renouvellent la même
tradition, le même idéal artistique : confronter le concret de l’existence aux chimères de l’abstraction. À cette différence capitale
près : les ancêtres avaient à faire à un homme sans cesse menacé
par la puissance hypnotique de l’abstraction, aujourd’hui c’est le
monde entier qui y succombe. Si bien que le souci permanent du
romancier acquiert une importance de vie et de mort : arriverat-il à introduire, à réintroduire le concret de la vie, le prosaïque,
le terre-à-terre, le trivial, l’échec, la mort, bref la vérité romanesque dans ce monde qui semble voué corps et âme à l’abstrait ?
Plus : qui est l’abstrait.
J’ai commencé ce « bilan » par l’embarras ontologique
du critique. Voilà que le romancier se heurte, à son tour, à son
propre embarras et que les deux embarras se conjuguent. Leurs
contenus s’entremêlent. Ils tournent autour du même puits
vertigineux. Ils sont le résultat du même problème fondamental :
celui de la fuite de l’homme hors du temps ; celui de l’émergence
d’un homme qui cherche par tous ses moyens ( sa technique,
ses loisirs, sa spiritualité, sa sexualité ) à s’extraire du temps historique. ( Signalons que seul le temps historique s’accorde avec la
notion de durée. Le temps a-historique ne connaît pas la durée,
seulement la fossilisation du même. )
Aucun élément de la forme, si on se contente d’identifier
la forme d’une œuvre d’art à son aspect extérieur, ne nous autorise à rapprocher les trois romans déjà mentionnés. Ni d’ailleurs
leur contenu, si on prend pour contenu les histoires racontées.
Cependant tous trois témoignent de l’emprise de l’abstraction,
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
47
tous trois constituent des versions de l’« homme sans temps ».
De surcroît, tous trois sont indispensables pour comprendre les
mutations profondes de la prose française actuelle et l’ampleur de
son renouveau. Il est peut-être encore tôt – sur ce point de la distance à l’œuvre observée, comme il a déjà été dit, il ne faut jamais
perdre de vue le rythme contraignant qu’impose à la critique
consciencieuse l’esprit du temps – pour défendre leur valeur
artistique dans une perspective mondiale. Il est temps, il est
même urgent de souligner leur signification, leur place centrale
par rapport à une période romanesque pendant laquelle une
multitude d’œuvres ont fait preuve d’une extraordinaire originalité et d’une surprenante capacité à intéresser un très large public
– surprenante capacité, dis-je, parce qu’il faut avouer que le lecteur qui aspire à une certaine qualité avait commencé, depuis
deux ou trois décennies, à se résigner au seul roman de laboratoire.
On ferme, d’abord. Roman fleuve, aurait-on dit en d’autres
temps. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un roman familial ou historique
puisqu’il parle d’un personnage sui generis. D’un personnage qui
n’est déterminé ni par sa famille, ni par l’Histoire, ni par ses rapports à sa patrie, à Dieu, aux conflits sociaux, etc., ni par son sexe
et ni, surtout, par son âge, plus précisément, d’un personnage
débarrassé de la cruelle question de l’âge. Lui, il est toujours
jeune ; ou, pour être encore plus précis, il est immunisé à fond
contre toute poussée de maturité. Il s’appelle Homo festivus. Dire
qu’il est partout, c’est de la tautologie. Il est l’âme du monde festivisé, festivocrate et festivolâtre. Du monde en fête. Du monde
qui ne fait plus la fête mais qui est devenu, horizontalement et
verticalement, fête, immense carnaval non-stop 24 heures sur 24
et 7 jours sur 7. Il va sans dire qu’il est le personnage superpositif
de notre époque, lui dont la « positivité » ferait pâlir d’envie le
plus grand héros de feu le réalisme socialiste. Il dit oui à tout. Il
est résolument du côté du Bien et, chose remarquable, sans trop
d’efforts vu que, par décrets successifs, il a relégué le Mal, tout
le Mal, dans le passé. Il ne jouit pas ; il est l’incarnation de la
jouissance. Il ne fête pas ; il est l’hypostase de Dionysos. Il ne
subit pas l’érosion du temps ; il est la personnification de l’idylle
festive, autrement dit du non-temps. Curieux tout de même,
comment l’humanité n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle en
avait pourtant l’expérience. Elle savait très bien que ses carnavals
annuels et ses kermesses échelonnées dans le calendrier permettaient à l’homme de s’évader du temps, de couper court à la
48
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
marche inéluctable du temps, de se bercer momentanément de
l’illusion de l’abolition du temps. Enfin, mieux vaut tard que
jamais : le voilà, le fameux Homo festivus qui se dresse de toute
son autorité, de toute sa masse, contre l’humanité de jadis, qui
restaure la fête éternelle et l’emporte décidément sur le temps. Il
va sans dire qu’à la fin il provoque – s’en rend-il compte ? – les
plus grandes catastrophes. Il va sans dire aussi que nous ne lisons
ni une diatribe sociophilosophique ni un prêchi-prêcha prophétique et apocalyptique, mais un roman où le rire le dispute à l’intelligence, une fête de l’imagination soutenue par un verbe où
viennent se tresser l’insoumission de Rabelais, la lucidité de
Balzac et la raillerie de Céline. Une fête ? Encore ? Eh oui : le
roman, dans ses heures les plus heureuses, se nourrit du même
poison que le reste du monde.
Chez Taillandier on tue le temps différemment, mais non
moins efficacement, que chez Muray. Des hommes qui s’éloignent est
l’histoire de Xeni, qui, la quarantaine à peine passée, se suicide.
L’histoire, c’est beaucoup dire. Pour être certain de ne pas trahir
la logique de l’œuvre, il faudrait plutôt parler de la non-histoire
de Xeni. Car dans ce roman on découvre ceci d’extraordinaire :
on ne dispose d’aucun moyen pour se frayer un chemin vers la
vie secrète d’une personne. Le paradoxe est de taille : comment
prétendre sérieusement aujourd’hui, à l’ère des Big Brothers et
autres Loft Stories, que la route vers l’intimité nous est barrée ?
Pourtant c’est ce qui se passe dans ce roman. Ne nous en étonnons pas outre mesure. Qu’est-ce qui nous éblouit dans un
roman réussi sinon l’aspect paradoxal de la vie ? Et encore, un
roman serait-il valable s’il n’allait pas au-delà de la doxa ? C’est
cette doxa concernant la transparence totale de la vie des
hommes et des femmes de nos jours, c’est cet exhibitionnisme si
fièrement revendiqué par nos sociétés qui est mis à rude épreuve
dans Des hommes qui s’éloignent. Finalement, et là le paradoxe est
à son comble, le roman de Taillandier fait davantage que démentir un cliché. Il parle du fait que, dans cet endroit jadis appelé
« place publique » et récemment transformé, sous la houlette des
médias, en alcôve collective, personne ne s’intéresse vraiment à
personne. Il parle du fait que cet incommensurable désir de
déballage qui s’empare de nos sociétés n’est rien d’autre que le
complément psychique d’êtres humains qui n’ont pas envie de
connaître quoi que ce soit de la vie de leurs semblables. Preuve
en est, ce roman qui marque un tournant troublant dans l’histoire du roman. Il signale la perte de tout intérêt pour notre pro-
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
49
chain, ami, parent ou simplement étranger. La belle affaire, dirat-on : l’homme ne fut jamais autre chose qu’un animal égoïste,
cynique, sourd au sort des autres. L’homme, oui. Mais pas le
roman. Le roman est venu au monde parce que, justement, on
voulait tout savoir de la vie d’un homme (la vie comprise comme
un tout, mort incluse). Tandis que, à propos de l’histoire de Xeni
qui se suicide, le romancier avoue ouvertement sa totale impuissance à proposer le maillon manquant entre Xeni vivant et Xeni
mort. Et pas seulement le romancier. Également l’entourage de
Xeni, les amis, les collègues, le quartier, la ville, la société, le
monde entier. On parle, on déballe, on s’étale, on interroge, on
enquête, on feint de s’intéresser à tout et à tous, et hop !, à la
seconde décisive, à la seconde où tout bascule dans le trou noir
de l’existence, personne ! Silence. Mutisme généralisé. Oui, on
en est là : la Vie (majuscule, s’il vous plaît) appartient à tous et la
mort est désormais une affaire strictement privée. En fin de
compte, cette transparence si acclamée par la foule n’est pas
grand-chose. Elle ne touche que ce qui a été au préalable déclaré du domaine du transparent, c’est-à-dire la vie nettoyée de la
noirceur de la mort. On a décrété visible la partie visible de la vie
et on a rejeté, en dehors, l’obscurité suprême que constitue la
mort. Ainsi, les choses sont au moins claires : on voit le visible
dans sa splendeur et on s’efforce d’oublier ces quelques secondes
qui, de temps à autre, perturbent la clarté de l’ensemble. De
même, personne, dans Des hommes qui s’éloignent, pas même le
romancier, ne s’obstine à comprendre l’événement impénétrable,
ce qui est tout à fait autre chose que l’absence d’explication.
L’explication peut toujours laisser à désirer. C’est précisément
l’absence du désir d’en avoir une qui est maintenant surprenante.
Fort heureusement, et c’est tout l’art de Taillandier, le roman va
même au-delà du constat. Il démontre, par un magnifique retour
aux sources inépuisables du romanesque, que l’acceptation de la
mort comme partie intégrante de la vie ne relève pas seulement
de la simple réalité – ce qui, pour ne pas oublier les constats de
On ferme est loin d’être le cas à l’ère festive –, mais aussi et surtout de l’impératif moral de la liberté humaine et que, vu sous cet
angle, le camouflage de la mort auquel aspirent nos sociétés est
synonyme d’asservissement.
D’un autre asservissement, également actuel, nous parle le
roman de Benoît Duteurtre Drôle de temps. Le roman est composé
de six nouvelles autonomes mais pas totalement indépendantes.
Les mêmes thèmes sont vécus par des personnages différents, un
50
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
peu à la manière de Kundera, quoique, ici, la forme soit encore plus
disloquée que dans, par exemple, le roman de Kundera Le Livre
du rire et de l’oubli. Par ailleurs, on trouve les mêmes esquisses,
précises et insolites, des scènes de la vie qui rappellent les dessins humoristiques de Sempé. Et l’ensemble est travaillé avec
une extrême économie en fioritures rhétoriques – on ne peut
s’empêcher de penser à Beckett. Cet éclectisme esthétique, fortement scellé par un don d’observation sans pareil et une ironie
personnelle et inimitable, reflète assez bien les goûts de l’auteur
de Requiem pour une avant-garde ( Robert Laffont, 1995 ), essai
critique envers un certain modernisme sectaire et puriste, voire
puritain. Ce sont donc les goûts d’un écrivain moderne « antimoderniste » qui poussent Duteurtre à embrasser et à pasticher
les confrères qui ont su entretenir avec la modernité des rapports
libres et ludiques. Ce qui explique en grande partie la disparité
compositionnelle si caractéristique de l’ensemble de son œuvre.
Disparité, dans le cas de Drôle de temps, tant extérieure (juxtaposition de parties autonomes) qu’intérieure: on a affaire tantôt à une
nouvelle classique, tantôt à un reportage, tantôt à un mini-roman,
et ainsi de suite.
Il faut ajouter à cette polyphonie formelle les variantes
relatives au personnage qui abrite à égalité l’auteur en personne,
un narrateur neutre, détaché, et des êtres fictifs. Ces quelques
remarques suffisent, me semble-t-il, à nous faire penser que, audelà de tous les emprunts créatifs, la véritable source de Duteurtre
est le roman picaresque. Sauf que le picaro de Duteurtre ne goûte
point à l’aventure. C’est peut-être cette absence de péripéties qui
l’oblige avec tant de force à renouveler ses tentatives. En vain !
Où qu’il aille ( à la campagne, à la ville, chez des amis ), quoi qu’il
fasse ( tomber amoureux, essayer d’évoluer avec son temps, opter
pour la mélancolie des artistes ), le même résultat revient : l’aventure moins sa réalité. D’où vient ce sentiment ? Du fait que notre
héros évolue dans un monde partagé en deux moitiés irréconciliables : d’un côté le bien-être de l’homme moderne avec, en corrélat, la destruction frénétique de tout ce qui peut entraver ses
appétences ; de l’autre la momification du passé, la transformation du monde en décor, l’arrêt sur image, le musée. Situation
jamais connue de la part du picaro de jadis. Lui, s’il partait à
l’aventure, c’était parce que le monde entier palpitait, naissait,
prenait forme et sens, changeait, bref, se créait sous ses pas. Au
monde de Drôle de temps on ne demande plus qu’une chose :
feindre l’agitation. Ainsi, à peu près au moment même où Philippe
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
51
Muray fait la découverte romanesque de la fuite hors du temps
par la féerie festive, où François Taillandier nous propose de
réfléchir sur le sens et la consistance d’une vie vidée de la mort,
Benoît Duteurtre nous donne une troisième version du royaume
de l’abstraction : vivre à l’intérieur du néo-monde où la création
a été jouée une fois pour toutes et où l’homme n’a plus qu’à jouir
de l’usufruit.
Si je m’intéresse en priorité au roman français de cette
dernière décennie, c’est parce que je suis persuadé de sa valeur
exceptionnelle et du potentiel créateur qui s’y dissimule. Cependant
je crains qu’il ait beaucoup de difficultés pour se faire connaître
– surtout à l’étranger. Car on a pris l’habitude de penser la littérature mondiale selon quelques caractéristiques sommaires et
collectives et de ne jamais se pencher sur l’inattendu, la surprise,
les quelques œuvres qui bouleversent l’image officielle et officialisée, image souvent forgée par des critères et des intérêts extralittéraires. En effet, qui entretient un quelconque rapport avec
ce qui se passe hors de l’Hexagone, dans le vaste marché mondial
du roman, connaît très bien la réticence des éditeurs étrangers à
l’égard de la production romanesque française, artistiquement
valable, des dernières décennies. On la juge, de façon presque
automatique, sans argumentation et sans preuve. Les étiquettes
abondent : nombriliste, avant-gardiste, autobiographique, élitiste,
fermée au reste du monde, formaliste, illisible, coupée de la vraie
vie, etc. Certes, on pourrait considérer qu’il s’agit de préjugés
– d’ailleurs, c’en est en grande partie – et passer outre. Sauf que,
à celui qui s’intéresse vraiment au sort de la littérature et aux
valeurs artistiques, il est devenu impossible de passer outre ; à
force d’être répétés, ces préjugés « bloquent » désormais non
seulement les bons romans, mais aussi la réflexion et la politique
à suivre pour les défendre.
À la difficulté disons endémique d’un marché conditionné
par les étiquettes, il faut ajouter, pour ne pas perdre de vue la
gravité du problème du temps, celle qui ressort exclusivement de
notre mode de vie : justement, nous n’avons pas le temps. On ne
nous laisse pas le loisir de réfléchir, de relire et d’analyser les
romans qui se distinguent par leurs nouveautés et leur singularité.
Pourtant ces romans existent. Mais iront-ils plus loin ?
Au cours de ces dernières années, plusieurs romanciers,
indépendamment de leur âge et de leur ancienneté dans le
52
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
métier, ont publié des œuvres remarquables. Pour donner une
idée plus précise de ce que je considère, dans le siècle écoulé,
comme un moment parmi les plus heureux de la littérature française, je mentionnerai quelques-unes de ces œuvres, dans l’ordre
de leur parution. Ce ne sera qu’une liste réduite au strict minimum, indicative, qui ne prétendra ni à l’exhaustivité ni surtout à
l’infaillibilité.
1992 : Le Libraire et son pygmée de Cyrille Cahen,
Texaco de Patrick Chamoiseau,
Tout doit disparaître de Benoît Duteurtre.
1993 : Sa femme d’Emmanuèle Bernheim,
Vétérinaires de Bernard Lamarche-Vadel.
1994 : Extension du domaine de la lutte
de Michel Houellebecq.
1995 : La Classe de neige d’Emmanuel Carrère,
La Chambre d’amour de Christophe Ferré,
Suerte de Claude Lucas,
La Gloire des Pythre de Richard Millet,
La Lenteur de Milan Kundera,
La Puissance des mouches de Lydie Salvayre.
1996 : L’Organisation de Jean Rolin.
1997 : Drôle de temps de Benoît Duteurtre,
Roxane de Michel Host,
Histoire d’amour de Régis Jauffret,
L’Identité de Milan Kundera,
On ferme de Philippe Muray,
Lu de Morgan Sportes,
Des hommes qui s’éloignent de François Taillandier.
1998 : Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq,
Madame Rose de Michel Déon.
1999: La nuit où Gérard retourna sa veste de Jacques Lederer,
Une désolation de Yasmina Reza,
Anielka de François Taillandier.
2000 : Porté disparu de Fernando Arrabal,
La mer à boire de Dominique Carleton,
L’Adversaire d’Emmanuel Carrère,
Le Tour du propriétaire de Nicolas Fargues.
2001: Taisez-vous… j’entends venir un ange de Michel Déon,
Comme un bruit d’abeilles de Mohammed Dib,
Le Voyage en France de Benoît Duteurtre,
Une réunion pour le nettoiement de Jacques Jouet,
Rosie Carpe de Marie NDiaye.
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
53
Quoique les auteurs de toutes ces œuvres ne constituent
pas un groupe ayant une homogénéité esthétique certaine, ils
partagent tous un point commun très fort : ils n’ont pas besoin
d’appartenir à un groupe. Ce sont des artistes qui travaillent
seuls, des individus distincts qui n’ont servi aucun cénacle, qui
n’ont pas cherché leur inspiration dans les ukases des avantgardes idéologico-politiques et qui se méfient viscéralement des
écoles, des familles et autres curies. Évidemment, aura-t-on
conclu, c’en est fini du temps de ces avant-gardes qui, pour se
faire valoir, déclaraient caduc le passé en bloc et qui se sont
acharnées à contenir l’esprit créatif dans l’étau idéologique.
Certes, mais si nous n’avons pas l’intention de devenir les apologistes du monde tel qu’il est, il ne faut jamais oublier que, si la
guerre néfaste des avant-gardes a pris fin, nous le devons principalement à des écrivains qui n’ont jamais cessé de croire à l’individu
et de pratiquer l’art en toute liberté. Certains de ces écrivains
figurent dans la liste ci-dessus. Les autres, les plus jeunes, sont
leurs dignes héritiers.
Résultat ? Une prodigalité formelle, thématique et
sémantique que nous n’avons pas connue depuis fort longtemps.
Aucune conquête du passé n’est a priori écartée. Aucune audace
n’est exclue. Cependant retenons-nous de voir dans cette richesse,
dans cette diversité, dans ce foisonnement du romanesque, le
signe d’une coquetterie postmoderniste, d’une production arbitraire, de syncrétismes abscons et de réalisations in vitro. Ce
feuillage multiforme qui ne rappelle aucun arbre a en effet des
racines. Pour faire la part des choses et ne pas abuser de métaphores sans rapport véritable avec le processus artistique, il faudrait
plutôt dire que le feuillage crée ses propres racines. Car les
romanciers dont nous parlons ont beau être dépourvus de
groupes protecteurs et promoteurs, ils ont en commun, à part
leur individualisme, quelque chose de beaucoup plus important
pour l’art du roman : ils ont le sens aigu du réel. Sans avoir au
préalable souscrit à une quelconque interprétation prêt-à-porter
du réel ( sociologique, politique, psychologique, psychanalytique, déconstructionniste et leurs combinaisons ), ils entrent,
par leurs livres, dans des mondes insoupçonnés, obscurs, des
mondes inconnus de nous autres mortels surinformés et internétisés. Ils ne se lamentent pas de l’absence d’autorité intellectuelle. Au contraire, ils en profitent, si je puis dire, pour devenir
des sortes de limiers solitaires. Chacun sur sa piste. Chacun dans
l’univers mystérieux qui grouille sous ce monde que nous
54
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
croyions formé pour l’éternité. Leurs romans sont des percées
dans ce qui couve dans les profondeurs de l’homme moderne,
des explorations de ce qui se prépare dans les ténèbres de son
âme. Sans support sérieux, et surtout « condamnés » à n’avoir
aucun lien avec des écoles et des familles artistiques, ces
quelques spéléologues du réel – je pense notamment aux romanciers qui mûrissent artistiquement durant cette décennie –
affrontent peut-être des risques que n’ont jamais connus par le
passé leurs illustres confrères.
1
La deuxième vague arrivera quatre ou
cinq ans plus tard avec l’expansion
ravageuse d’Halloween.
Une décennie romanesque n’est pas censée correspondre
à celle du calendrier. Ainsi, la mienne débute en 1992 avec la
parution de Tout doit disparaître, de Benoît Duteurtre, de Texaco,
de Patrick Chamoiseau, et du Libraire et son pygmée, de Cyrille
Cahen. C’est l’année de l’inauguration de Disneyland Paris, à
savoir de la première percée massive, et superbement soutenue
par les capitaux américains, de l’infantilisme en Europe 1. Il y a
infantilisme et infantilisme. Celui des Américains est fortement
coloré de la tendance à l’embellissement, au kitsch criard et à
l’ostracisme définitif du Mal. Il s’adresse à des enfants infantilisés,
disneylandisés, falsifiés, à des enfants qui ont perdu – à vrai dire,
qui feignent d’avoir perdu – leur réalité, leur monde obscur et
impénétrable où mijotent indistinctement cruauté et innocence.
Quel sera l’avenir de l’Europe après cette date fatidique, personne
ne peut le savoir. Ce qui est sûr, c’est que cette implantation d’un
pays de loisirs – d’un pays conçu par le peuple disneylandisé,
pour le peuple disneylandisé et avec le peuple disneylandisé – au
cœur de l’Europe marque, de tout le poids d’un événement historique majeur, le fait que dorénavant on préférera la vie dans sa
version cartoon que dans sa réalité crue et qu’on fuira le monde
du concret pour le monde de la maquette.
Revenons à notre liste. Est-il nécessaire de rappeler que
la divinité qui indique discrètement au roman le bon chemin est
communément appelée hasard ? Ce hasard a voulu que l’année
même où l’infantocratie tendance américaine érigeait sa première
forteresse en France, paraissaient les romans de Duteurtre, de
Chamoiseau et de Cahen, ces romans qu’on peut lire ( rétrospectivement ) comme de formidables signaux d’alarme. Certes, eu
égard à leurs auteurs, on trouvera difficilement des points communs. Benoît Duteurtre, âgé d’à peine plus de trente ans au
moment de la publication de Tout doit disparaître, hésite entre la
carrière de professeur de piano, celle de journaliste ou encore
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
55
d’écrivain. Venu à Paris de sa douce Normandie, il a déjà exprimé dans deux livres précédents le désarroi d’un jeune provincial
aux prises avec la vie chaotique de la capitale. Patrick
Chamoiseau, le Martiniquais, est un auteur déjà reconnu. Solibo
Magnifique, son précédent roman, qui mêlait de manière splendide l’insolite, le rire populaire et la critique sociale, l’impose
comme un romancier très important non seulement aux Antilles,
mais aussi dans la France métropolitaine, qui s’apprête à
accueillir et à couronner – Texaco, Goncourt 1992 – une langue
française vue, vécue et génialement revivifiée par les écrivains
créoles. Cyrille Cahen est pédopsychiatre, approche la soixantaine et Le Libraire et son pygmée est son premier roman.
Ces livres diffèrent encore plus entre eux que leurs
maîtres. Tout doit disparaître est l’histoire d’un journaliste spécialisé
dans l’actualité musicale. Il parcourt la France, envoie ses papiers
aux journaux et rédige ses observations pétries de drôlerie et
d’amertume face à un pays qui se relooke en hâte – « qui est en
pleine expansion », selon le jargon des journalistes, des économistes et des hommes politiques. Texaco est une épopée, l’histoire
d’un peuple qui, sorti de l’esclavage, s’entasse, quelques décennies plus tard, dans des bidonvilles ; c’est aussi l’histoire d’une
femme, descendante d’esclaves, qui lutte, contre vents et marées,
contre les géants du pétrole et leurs vassaux, contre les urbanismes
et autres réaménagements du territoire pour sauver sa baraque,
pour sauver son bout de terre, pour s’enraciner, pour persévérer
dans le sentiment que l’homme n’est pas un détritus encombrant
le paysage urbain et qu’aucune politique de revalorisation du sol
ne peut le balayer. En revanche, Le Libraire et son pygmée est une
anti-épopée, l’histoire d’un jeune homme simple, content du peu
qu’il a, de son travail comme employé dans une petite librairie,
de sa vie sentimentale peu exaltante, content en somme de vivre
sa vie paisible en marge d’une société qui n’a d’yeux que pour les
« Cités de la réussite »2. Or c’est justement sur ce point de la 2
C’est sous ce label que s’organise chaque
réussite que commence son drame cocasse. Car il n’a pas le droit année à la Sorbonne un colloque pendant lequel des gens qui ont réussi dans
de ne pas avoir d’ambitions. Il a beau vivre dans une société qui la vie sociale livrent aux étudiants leurs
formidables recettes.
tolère tous les excès, qui légalise tous les caprices de ses sujets,
notre héros ne connaîtra de sa société que sa haine implacable
envers tous ceux qui ne « bougent » pas. Oublions les loosers et
tous les anti-héros de la période noire de l’humanité. Dans ce
roman de Cyrille Cahen, même un clochard regarde d’un mauvais
œil ce jeune qui ne désire profondément qu’une seule chose : que
le monde ralentisse son rythme.
56
3
Même Nietzsche, qui, plus que tout autre
philosophe, voyait en l’humanité du Bien
le pire qui pourrait arriver à l’homme, ne
peut guère nous aider. Car un paradoxe
philosophique ne prend pas en considération l’homme concret, l’homme à la fois
source et du Bien et du Mal.
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
À première vue, nous avons donc affaire à trois tempéraments romanesques différents et à trois œuvres liées à des situations dissemblables. Il suffit pourtant d’un peu d’attention pour
comprendre que ces trois romans parlent de la même chose. Des
gens qui souffrent non à cause de conditions de vie désavantageuses, de calamités indépendantes de leur volonté et de leurs
désirs, d’injustices, etc., mais à cause d’un monde qui prétend ne
vouloir que leur bien. Manifestement, il s’agit d’une expérience
humaine jamais rencontrée auparavant, quand l’individu s’affirmait toujours par rapport à un environnement social, familial ou
culturel a priori hostile à ses désirs et à ses projets personnels.
Maintenant, c’est le contraire : le monde se manifeste comme un
ensemble d’opérations et d’initiatives visant au bien-être de tous,
au confort de tous, au bonheur de tous, à la joie de tous.
Empruntons un exemple au monde d’antan : la guerre. La guerre
n’était-elle pas le Mal ? Bien, mais il y a aussi la suite : puisque
c’est le Mal, celui qui s’y dérobe obtient au moins l’approbation
tacite de tous. Mais l’urbanisme ( Texaco ), la transformation d’un
pays entier en décor de théâtre ( Tout doit disparaître ), ou la course
effrénée vers la réussite ( Le Libraire et son pygmée ), sont des personnifications du Bien. Par conséquent, celui qui ne s’y soumet
pas ne peut être qu’une bizarrerie de la nature humaine.
D’autant plus, et sur ce point il faut insister, qu’il ne peut s’opposer
ouvertement ni à l’urbanisme ni à tous les biens que le monde lui
propose puisque lui aussi croit sincèrement à leur nécessité.
Nous perdrions certainement notre temps si, en essayant
de comprendre le mal que produit le Bien, nous lisions traité sur
traité (philosophiques, anthropologiques, sociologiques, etc.).
Les sciences de l’homme ne sont pas faites pour explorer les
paradoxes existentiels 3. En revanche, ces trois romans, sur un
fond imaginaire différent, sont des mises en scène de la même
situation paradoxale. Nous y suivons la marche triomphante du
monde allant du mieux au meilleur, à laquelle tous participent,
et parallèlement – oh, mais cela n’arrive que dans les romans qui
s’obstinent à douter de tout – nous avons l’impression que
l’homme est une tare, que l’homme en chair et en os est à la traîne
de cette marche, comme une charge incommode.
Je ne saurais tracer avec exactitude le tunnel qui conduit
de la disneylandisation de la vie aux découvertes de Duteurtre,
de Chamoiseau et de Cahen. Aujourd’hui, à l’ère de l’infantilisation généralisée, une réflexion détaillée et argumentée sur ce
mystère me paraît superflue. Cet important tournant roma-
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
57
nesque, cette quête concernant les victimes du Bien, n’a pu
débuter qu’au moment où l’humanité canalisait tous les biens
potentiels dont elle était capable vers son suprême Bien : l’Enfant.
Que le lecteur me pardonne le regroupement un peu
scolaire des trente-quatre romans que j’ai effectué plus haut. Il
n’avait pour but que de donner une image plus ou moins représentative du roman français le plus récent, qui connaît, à mon
avis, pendant cette période-là, une véritable renaissance. Et je
pèse mes mots. D’ailleurs, l’apparition durant ces mêmes années
d’un romancier de l’importance de Michel Houellebecq suffirait
à justifier cet avis. Et Houellebecq ne tombe pas du ciel. Sans
vouloir aucunement diminuer la valeur de ses œuvres, il y en a eu
d’autres aussi essentielles qui les ont précédées et leur ont succédé.
Je dirais même que l’œuvre romanesque de Houellebecq, traduite
déjà dans plusieurs langues, une fois isolée de cette période, restera
en grande partie incomprise. Plus : si son esthétique n’est pas liée
aux énigmes, aux inquiétudes et aux exploits artistiques de son
époque, elle sera balayée par les coups médiatiques, elle disparaîtra derrière sa transformation en événement paralittéraire, elle
sera réduite à un amas de provocations et de géniales intuitions.
Dans cette perspective, il serait peut-être intéressant
d’aborder, par l’intermédiaire de quelques-uns de ces trentequatre romans, les trois thèmes indispensables pour saisir les
enjeux esthétiques de la période concernée : le rapport à la tradition récente, la continuité de la langue, la rupture créatrice.
C’est à travers les solutions concrètes aux problèmes que pose
toujours aux artistes le passé de leur art que les romanciers auxquels je pense ont pu redonner au roman français son souffle et
sa place particulière dans le monde.
Commençons par le rapport de ces romanciers à la tradition récente.
Ce n’est que dans les années quatre-vingt-dix qu’on a
cessé de projeter toute œuvre d’une certaine valeur sur feu le
nouveau roman. Jusque-là c’était presque un rituel : on ne pouvait se concentrer sur telle ou telle œuvre pour dégager sa nouveauté ; il fallait d’abord examiner si elle était apte à susciter
auprès des doctes avant-gardistes et autres spécialistes autant
d’intérêt que le nouveau roman. Si, au moins, on comparait les
œuvres ! Mais non. On comparait les concepts et les intentions,
latentes ou explicites, de laboratoire. À vrai dire, il serait injuste
d’imputer au commentaire ce handicap. La circonspection fut
principalement artistique. C’était le roman même qui louchait
58
4
Je tiens à préciser que le calendrier de la
création ne suit pas forcément le calendrier ordinaire. Par ailleurs, si nous trouvons dans des romans qui succèdent de
quelques mois à Tout doit disparaître,
Texaco et Le Libraire et son pygmée
des éléments qui logiquement annoncent
leurs conquêtes, c’est parce que, dans
une si courte et si dense période, pratiquement tout coïncide avec tout et est
redevable de tout.
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
jalousement vers ces périodes glorieuses où l’on confectionnait à
Paris la mode littéraire pour le monde entier. C’était le roman
même qui hésitait à se lancer sur des pistes absolument nouvelles,
à s’exposer seul sans la carapace confortable d’une originalité
acquise une fois pour toutes, ou, encore plus loin, capable de bouleverser totalement les données. De ce point de vue, deux romans
de 1993, Vétérinaires, de Bernard Lamarche-Vadel, et Sa femme,
d’Emmanuèle Bernheim, me paraissent révélateurs de la persévérance d’une certaine discipline solidement formaliste des années
cinquante et soixante aussi bien que de formidables précurseurs 4.
En effet, du côté de Vétérinaires, cohabitent de manière
conflictuelle, explosive, les codes figés de l’« école du regard »
avec l’imprévisibilité de la nature. C’est l’histoire de l’ascension
d’un vétérinaire aux plus hautes instances de la prestigieuse et
toute-puissante Union des vétérinaires. En fait, il s’agit de la
descente, de la parodie en règle de tous les quadrillages interprétatifs du réel. C’est l’écroulement d’une réalité conçue in vitro
devant la force – heureusement – incontrôlable de la nature animalière. C’est du nouveau roman au moment où le « regard »,
ayant obtenu son extrême « objectivation », s’annule sous les
griffes d’un chien. C’est la porte qui s’ouvre subitement à la vie.
On laisse entrer de l’air. Mais on ne quitte pas la chambre. C’est
un roman où l’on continue à explorer la technique d’un œil qui
s’est substitué au pinceau, doublé d’une ironie tantôt féroce
– parfois autodestructrice, qui rappelle Le Bavard (1946) de
Louis-René des Forêts – , tantôt subtile et discrète qui nous fait
penser à L’Acacia (1989 ) de Claude Simon.
Chez Emmanuèle Bernheim, nous pouvons constater le
même genre de cohabitation. Ici c’est le « minimalisme » de la
basse époque des années soixante-dix et quatre-vingt et, carrément, l’« impassibilité » des années quatre-vingt qui rivalise avec
l’impétuosité. C’est surtout le cas de Sa femme. À la surface, le
calme, la phrase est modérée, courte, facile. Contentons-nous de
raconter, semble insinuer l’auteur, le peu que nous avons senti et
le peu que nous avons à dire. Cependant sous le manteau se
cache la lame : une femme qui drague. La belle affaire, dira-t-on.
Sauf que l’affaire n’est pas si simple. Car cette héroïne romanesque qui drague n’est pas un cas supplémentaire de la vaste littérature érotique, mais le symptôme d’une nouvelle humanité,
d’une nouvelle ère érotique, le signe que Don Juan a changé de
sexe. Ce qui a d’énormes conséquences. Car, nous dit Sa femme,
l’homme dépossédé de son peut-être unique rôle de séducteur
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
59
occupera, dans la nouvelle répartition du jeu érotique, une place
de beaucoup inférieure à celle qu’occupait jadis la femme opprimée. Et cette révélation romanesque est contenue dans un habit
simple, quotidien comme s’il s’agissait déjà d’une situation banale. Ici encore, la réussite vient du fait qu’on a détourné la forme
initiale de sa présupposée destination : le « peu d’expressivité littéraire », non pour représenter le « peu d’existence », mais, au
contraire, pour approcher et regarder avec la prudence nécessaire les monstres qui somnolent dans les entrailles de notre
monde. C’est aussi, pour ne pas perdre de vue les quelques
exploits d’avant notre décennie, le cas de Vies minuscules (1984),
de Pierre Michon, roman mettant en scène un autre couple antithétique : une rhétorique extrêmement travaillée, somptueusement rythmée, pour raconter la trivialité de la vie, des faits divers
à ras de terre. Exemple qui sera suivi et merveilleusement enrichi par Richard Millet dans sa trilogie La Gloire des Pythre
(1995), L’Amour des trois sœurs Piale (1997) et Lauve le pur (2000).
Ce qui ressort nettement de ces œuvres ( Vies minuscules,
Vétérinaires, Sa femme ), disons de transition par rapport aux véritables conquêtes romanesques de la décennie quatre-vingt-dix,
c’est qu’on expose les formes artistiques déjà assimilées aux
forces aléatoires de l’existence. Il faut attendre Extension du
domaine de la lutte ( 1994 ), de Michel Houellebecq, et On ferme
( 1997 ), de Philippe Muray, pour que l’interrogation existentielle se régénère dans des formes nouvelles, adéquates, pour que le
jeu formel soit de nouveau pétri des mystères indéchiffrables du
monde.
Observation qui nous conduit au deuxième thème, celui
de la continuité de la langue. Car si on peut redéfinir de fond en
comble le jeu formel, abandonner au besoin les terrains arides
des performances littéraires les plus récentes, arbitrairement et
abusivement ludiques, en faveur des frais bocages du prosaïque,
peut-on faire fi du souci dont ont témoigné pour la langue les
grands écrivains français ? Or, objectera-t-on, quel écrivain ne
s’intéresse pas à sa langue ? Certainement, j’ai conscience de la
tautologie : écrivain égale d’abord souci accru pour la langue de
son pays. Sauf que, en France, cette évidence a un sens différent.
Le souci de l’écrivain français pour la langue de son pays abrite
aussi le souci pour la langue d’une civilisation. Pour des raisons
historiques et culturelles, au fil des siècles les écrivains français
n’ont pas seulement perfectionné une langue nationale, ils ont
parallèlement édifié une civilisation. De sorte que, aujourd’hui,
60
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
dans chaque recul du français, dans chaque rétrécissement de
son territoire culturel, meurt un aspect du monde, expire un de
nos mondes, comme ont expiré le monde grec et le monde latin.
Et ce recul, comme chacun sait, est réel, incontournable, définitif.
Avec quel courage, dans quelle perspective et au nom de quelle
illusion se mettrait-on à créer en français, tout en sachant que
Rabelais, Balzac, Proust et Céline ont écrit leurs œuvres dans une
langue qui est condamnée à mourir? Pourquoi écrire si ce n’est
pour aspirer à la poursuite de la grandeur? Pour l’honneur? Pour
cantonner le splendide édifice de jadis dans une réserve naturelle ? Pour transformer l’universel d’hier en « exception » ? Aucun
écrivain menacé par la domination linguistique anglo-saxonne
ne vit le drame de l’écrivain français. Que faire ?
Là-dessus, c’est aussi aux années quatre-vingt-dix d’apporter une réponse qui, si elle ne conduit pas au salut, et pour
cause, a au moins le mérite de l’honnêteté artistique. Avant de
l’évoquer, il faut nous rappeler un heureux événement. C’est en
1995 que Milan Kundera publie La Lenteur, son premier roman
écrit directement en français. Un geste doublement significatif.
Premièrement, il s’agit d’un signe de solidarité, d’une défense de la
langue française à un moment où, après la chute du communisme,
on voit les bastions francophones d’hier, telles la République
tchèque, la Pologne et la Roumanie, succomber l’un après l’autre
à la poussée de l’anglais. Deuxièmement, à la lumière du roman, on
peut déceler les attaches profondes de l’auteur de La Plaisanterie à
l’héritage culturel français. La Lenteur est une surprenante
confrontation romanesque entre le XVIIIe siècle libertin et le XXe
siècle finissant dans la frénésie de la vitesse. On sait qui l’emporte dans le monde réel. Consolons-nous, dans la fiction c’est
la lenteur qui triomphe. Ou, pour ne pas trahir la poétique résolument anti-kitsch du romancier, laissons tomber nos enthousiasmes chimériques et écoutons la plainte qui s’en dégage : ah, si
le français, le français où luit toujours le franc amour du plaisir,
pouvait au moins freiner un peu notre course folle vers nulle part.
Et si on déclinait autrement cette plainte ? Si on ne
demandait plus au français de se regarder mourir avec amertume ?
Si on s’insurgeait ? Si on s’essayait à dévoiler le monde qui est en
train de détruire le monde français ? Si on s’intéressait davantage
à cette nouvelle civilisation planétairement unifiée, labellisée
anglo-saxonne, qui pointe à l’horizon ? Tel me paraît le pari de
Richard Millet, l’auteur du Sentiment de la langue ( 1993 ), un
essai sur la langue française travaillé à peu près à la même période
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
61
où a paru La Gloire des Pythre, le premier livre de sa trilogie
« paysanne ». Fort heureusement, ni la presse littéraire ni les
libraires n’ont manqué de remarquer l’importance de ce roman. Il
me semble pourtant qu’on a trop souligné l’excellent travail de
Millet sur la langue – estimation pleinement justifiée et par son
roman et par ses travaux d’essayiste –, et qu’on a laissé dans
l’ombre les raisons profondes qui ont poussé le romancier à ce
labeur précieux sur les mots, sur les phrases et le rythme. On a
applaudi cette langue somptueuse, cette langue qui embrasse
pareillement la mort, la merde et la prière, le deuil et le mariage, la cruauté et le chant – mais pour quoi faire ? dans quel but ?
N’est-ce pas parce que la langue de cette trilogie, plus particulièrement celle de La Gloire des Pythre, une langue lente comme
un chant funèbre, enveloppante comme un linceul, robuste
comme le marbre, est censée accompagner un enterrement ? Pas
n’importe quel enterrement. Ici, dans ce roman, on enterre la
terre même, on enterre la nuit qui l’emporte toujours sur toutes
les entreprises humaines, on enterre le grand temps destructeur,
nos idylles éphémères et nos tentatives pour occulter son emprise impitoyable. Oui, aussi paradoxal qu’il paraisse, dans ce
roman nous assistons à l’enterrement de la mort ou, ce qui
revient au même, à la domestication totale de la nature, à son
asservissement, à sa transsubstantiation en décor.
C’est à ce prix fort, à cette prise de conscience aiguë et
ultime de la nature de la fin qui s’amorce dans la mort du français, que cette langue aura un rôle artistique de premier ordre à
jouer dans le monde entier. Si le français aspire encore à de glorieuses conquêtes, il doit, sans tergiversations et sans effets spéciaux, décrire et démystifier le mensonge ontologique de la civilisation ascendante, la première dans l’histoire de l’humanité
qui, absorbée dans ses fantasmagories technologiques, ne veut
plus entendre parler de la mort.
Cependant Richard Millet n’est pas le seul romancier à
revendiquer la créativité du français. Il n’est pas le seul à avoir tourné
le dos aux artifices littéraires, aux expérimentations ennuyeuses et
aux voix d’alarme corporatistes; il n’est pas le seul à avoir compris
l’urgente nécessité de témoigner du fait qu’on vient de se réveiller
dans un monde nouveau, radicalement autre que tout ce qu’il nous
a été donné de connaître jusqu’à maintenant. Autrement dit, pour
passer au troisième thème, le français n’existera que comme fracture
par rapport au monde tel qu’il est et tel qu’il semble aller.
Il ne s’agit pas d’un radicalisme factice, monotone, théo-
62
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
rique ; il ne s’agit pas d’un radicalisme de positions prises et de
démystifications puisées dans l’arsenal du verbiage subversif.
C’est un radicalisme romanesque : on voit via le roman ce qu’on
n’a pas encore vu, on voit « en roman » l’ampleur et la profondeur
des destructions à venir. Ainsi, tous « mes » romans, et d’autres
dont j’ignore probablement l’existence, renforcent le sentiment
que nous sommes actuellement confrontés à un monde absolument
nouveau. Notons en passant que ce monde qui a rendu caducs les
anciens modes de perception, spirituels, conceptuels et artistiques, ne se livrera qu’à l’art qui osera l’envisager tel qu’il est, à
savoir comme un monde qui a coupé tous les ponts avec le passé.
Encore une fois, j’aurai recours à quelques romans de ma
liste pour donner une image de ce radicalisme romanesque.
Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, prouve –
romanesquement, j’entends, je ne reviendrai plus sur une telle
évidence – que la société humaine n’existe plus ! Elle a été remplacée par celle des cadres. Employer dans leur cas le terme de
société ne peut être qu’abusif. Il faudrait plutôt parler d’un troupeau de nomades, voire de monades exécutant une somme d’activités afin de s’exciter mutuellement et de croire qu’ils forment
ainsi une véritable communauté. Dans La Classe de neige
d’Emmanuel Carrère, nous vivons le cauchemar d’un garçon
dont le père est pédophile. Cependant c’est moins un récit
romanesque tiré, dirait-on, d’un fait divers que le renversement
d’un monde depuis ses fondements. Car en la personne de ce
père de famille affectueux et de ce garçon tremblant d’une
inquiétude innommable, on voit notre société dans sa terrible
nudité : ayant banalisé le vice, elle tremble maintenant devant la
possibilité que n’importe quelle famille paisible, normale et
prospère, puisse abriter des monstres. Avec La Chambre d’amour
de Christophe Ferré, on rend visite au monde des visiteurs communément appelé touristes. Ne nous attendons pas à des considérations sociologiques ou à des observations bêtement ironiques
contre les touristes. D’ailleurs, à proprement parler, ces touristes
on ne les voit pas. Ici, on découvre le monde à l’âme touristisée.
Ici, on découvre l’homo touristicus dont le cerveau est uniquement
constitué de cartes postales, de prises de vue et de réflexes précatalogués par les agences de voyages – et cela dès la plus tendre
enfance. Dans La Chambre d’amour (c’est le nom d’un hôtel), on
ne regarde pas le monde, on filme, l’homme étant devenu
cinéaste, acteur et spectateur de scènes mille fois recyclées. Dans
ce roman on ne vit pas, on participe de tout son être à la touris-
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
63
tisation du monde. Dans La Puissance des mouches de Lydie Salvayre,
on assiste aussi à une sorte de tournage. Un fils parricide joue
magistralement son inculpation. C’est lui qui mène l’enquête,
qui trie les événements, qui surveille l’acte d’accusation. Résultat ?
Il obtient la sympathie de tous, lecteur du roman inclus. Cela dit,
nous sommes aux antipodes du Meursault de L’Étranger, héros
tragique d’un monde absurde. Le héros de La Puissance des
mouches n’est pas tragique, il est malin. Il connaît magnifiquement
tous les rouages de notre monde viscéralement anti-autoritaire,
toutes nos théories et autres plaidoyers en faveur du « fils » et
contre le « père ». Il ne lui reste donc que la mise en scène de la
justice supérieure à celle des lois, la justice des enfants accusateurs d’autant plus redoutables qu’ils sont criminels. Un autre
roman, Histoire d’amour de Régis Jauffret, aboutit, d’une certaine
manière, au même résultat : le crime n’est plus difficile ; il suffit de
traduire correctement la logique profonde du monde. Dans
Histoire d’amour, un homme viole systématiquement une femme,
et toute la société ( parents, justice, collègues, amis, voisins ) se
montre impuissante devant sa force destructrice. Pourquoi ?
Parce qu’il la viole avec sympathie, par amour. Parce qu’il prétend être amoureux d’elle. Parce qu’il rêve à une famille, à un
foyer, à des enfants. Parce que, a priori, il est du côté du Bien. De
la violence gratuite, dira-t-on. Corrigeons d’après le roman :
c’est la violence qu’on appelle « gratuite », faute d’avoir admis
que nous vivons déjà dans un nouveau monde et faute d’avoir
compris son langage. Et ainsi de suite dans de nombreux
romans. Avec Roxane de Michel Host, c’est l’annihilation de
l’érotisme par le mécanisme bien huilé du sexe pour tous. Avec
La nuit où Gérard retourna sa veste de Jacques Lederer, et Une
réunion pour le nettoiement de Jacques Jouet, c’est l’effacement du
monde du travail face au triomphe des spécialistes ès économies.
Avec Une fuite ordinaire de Fabrice Lardreau, c’est la perte du
contact avec le monde pour les richesses fictionnelles des cartes de
crédit. Avec Une désolation de Yasmina Reza, et Rosie Carpe de Marie
NDiaye, c’est l’élimination de l’homme par son intégration, ô
combien volontaire, dans l’utopie ultramoderne du bien-être.
Ainsi de suite, roman après roman, se dévoile cette certitude qui,
pour être ignorée par les sciences de l’homme, est pourtant bien
installée dans nos âmes: dans ce meilleur des mondes qui est le
nôtre, tout va de travers.
64
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
On sera peut-être tenté d’expliquer le radicalisme du
roman français contemporain par les changements profonds
dont notre monde est devenu le théâtre depuis une bonne douzaine d’années : chute du communisme, triomphe planétaire de
l’idéologie du marché libre sous la surveillance serrée des ÉtatsUnis, flambée des guerres ethniques, du terrorisme, du fanatisme
religieux et du banditisme, consolidation et progression spectaculaire de la Pax americana par des guerres ressemblant à des jeux
électroniques grandeur nature, développement tous azimuts de
la biotechnologie, clonage, sida, mondialisation, unification de la
planète sous le signe de la communication informationnelle, croissance exponentielle des loisirs, alignement de la terre entière sur
la culture et la manière de vivre américaines et j’en passe.
Cependant il me semble vain et même faux d’expliquer ceci par
cela. Le renouveau romanesque dont nous parlons ici est
d’abord contemporain de ces événements majeurs. Ensuite il ne
faut jamais oublier que le roman n’est pas un miroir. Ni un
décor. Mais un « observateur » faisant partie du jeu. Un art
vivant. Un art où se mélangent à chaud nos désirs les plus profonds, nos inquiétudes les plus justifiées et nos projets contradictoires. Un art qui peut, par conséquent, nous aider à mieux nous
comprendre et à mieux saisir tout ce qui émerge dans le monde,
tout ce qu’on a appris à envisager par mass media interposés, sans
jamais en examiner les retombées existentielles, soit comme des
catastrophes, soit comme des avancées salutaires de l’humanité.
Le rôle du roman n’est ni de condamner ni d’applaudir les nouvelles situations dans lesquelles évolue l’homme. Mais d’y déceler
ce qui les différencie radicalement de toutes les précédentes et,
parallèlement, de nous faire comprendre que l’homme n’est ni
victime ni complice du monde, mais, potentiellement, les deux à
la fois, car, si l’on peut dire, il le précède. Ce qui explique
l’étrange sentiment que nous avons parfois à la lecture d’un
grand roman. Nous avons l’impression que ce que nous considérons comme réel répond à un désir sournoisement niché,
avant sa « réalisation », dans le for intérieur de l’homme. Le
mérite d’un certain nombre de romans français récents est
d’avoir découvert ce désir, de l’avoir poursuivi dans le labyrinthe
de l’existence et décliné en de nombreuses expériences artistiques.
Ce désir a un nom: abstraction. Autrement dit, on préfère l’image à la chose. Rien de tout ce qui advient actuellement dans le
monde ne serait possible sans l’avènement d’un homme nouveau, d’un homme qui aspire à l’abstraction, d’un homme qui
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
65
voue délibérément à l’abstraction son existence, ses dieux, ses
biens et ses projets.
J’ai commencé ces réflexions par quelques remarques sur
la critique littéraire qui trahit son essence lorsqu’elle se soumet
aux impératifs du calendrier éditorial. Si c’était là son seul handicap,
la situation ne serait pas si catastrophique. Tôt ou tard on verrait clairement que le roman français non seulement redonne
signe de vie, mais impose déjà en France et à l’étranger sa voix
unique. Cependant, force est de constater que, dans son agréable
rebondissement, le roman français s’est trouvé terriblement seul.
Les quelques essais théoriques et critiques parus vers la fin des
années quatre-vingt-dix continuent tranquillement la discussion
avec feu le structuralisme et avec la critique littéraire universitaire
autour de problèmes pseudo-esthétiques que cette dernière a
soulevés faute de romans marquant un nouveau départ. Ainsi, le
divorce fut consommé : d’un côté une critique qui se contente de
son propre commentaire sur elle-même, de l’autre un roman
qui, de tâtonnement en tâtonnement et d’audace en audace, a
reconquis sa place de meneur du jeu littéraire. Seul ? Il serait
plus juste de dire : avec l’appui généreux des ancêtres. Car si on
voit difficilement l’apport de la critique institutionnalisée aux
romanciers qui se sont démarqués de la littérature « laboratoire »
pour se ressourcer dans la vie réelle, on ne peut passer sous silence
le fait que, dans leurs œuvres, revivent tous les grands ignorés
par modernisme dogmatique de la deuxième moitié du XXe siècle,
comme Valery Larbaud, Jean Giono, Marcel Aymé et tant d’autres.
Si, en cette fin de siècle la critique littéraire est absente
de la création véritable, nous ne pouvons pas en dire autant de la
critique en général. Trois essais notamment se distinguent par
leur concordance avec les préoccupations majeures des romanciers. Le tout premier dans le temps, L’Empire du bien, de
Philippe Muray, publié en 1991, pourrait être considéré comme
le commentaire avant la lettre de toute création romanesque
ultérieure. L’idée est que nos sociétés ont massivement opté
pour la « Glucocratie » ( du grec glucos, sucré ), pour le kitsch,
pour l’embellissement par le camouflage. À l’approche du troisième millénaire, les monstres de Staline et d’Hitler ayant été
définitivement balayés de la surface de la terre, l’homme soulagé
s’autoproclame entièrement du côté du Bien. De sorte que, à
partir de ce moment « historique », tout devient plus facile : on
66
Une décennie romanesque • Lakis Proguidis
n’a qu’à ranger dans les poubelles de l’Histoire l’Histoire même
et toutes ses guerres, haines et autres exterminations. Et si la réalité
démentit constamment cette abstraction flagrante, tant pis pour
elle : elle ne sera, elle aussi, qu’une survivance du passé, une survivance de l’époque du Mal.
Les deux autres essais furent écrits vers la fin de la décennie : Vivre et penser comme des porcs ( 1998 ), de Gilles Châtelet, et
L’Enseignement de l’ignorance ( 1999 ), de Jean-Claude Michéa. Le
premier parle de notre Science qui coupe fièrement ses amarres
avec l’humain, avec l’homme concret, avec sa réalité sociale,
politique et historique. L’autre parle de notre École qui, ayant
remplacé le savoir par l’information et la transmission par les
réseaux, les flux, les contacts et les désirs virtuels, isole l’homme
de son passé et de ses semblables.
Ces trois essais tournent autour du même phénomène :
l’entrée fracassante de nos sociétés dans l’ère de l’abstraction.
Leurs auteurs, partant de perspectives différentes ( respectivement
éthique, cognitive et sociale ), créent ou réinventent des concepts
adéquats afin de mieux saisir les multiples aspects de cette ère
nouvelle. Le tableau peint par l’esprit critique resterait pourtant
incomplet sans la quête romanesque, sans la descente dans les
mystères infinis de l’existence.
Il serait erroné d’interpréter la rupture de ces quelques
romans avec le passé le plus récent comme une fuite en avant. Au
contraire, on peut légitimement parler, dans ce cas précis, d’une
fuite en arrière.
Parfois, en les lisant et en les relisant, j’ai l’impression
que cette rupture ouvertement affichée n’est pas autre chose
qu’un effort pour renouer des liens avec le passé le plus reculé.
Le plus souvent, je vois dans cette renaissance romanesque une réponse artistique singulière aux reproches que
Witold Gombrowicz, cet enfant terrible du modernisme, adressait
au roman français, en 1968, dans ses entretiens avec Dominique
de Roux :
« Primo : c’est théorique. Intellectuel. Fabriqué. D’inspiration scientifique. Abstrait. L’art à genoux devant la science
qui le mène par le bout du nez. Secundo : ça vit en vase clos. L’un
écrit pour l’autre. C’est le principe de l’admiration mutuelle.
Tertio : c’est pauvre. Leur but sera toujours économie, pureté,
quintessence, ‹ l’art pour l’art ›, ‹ l’écriture pour l’écriture ›, ‹ le
Lakis Proguidis •
Une décennie romanesque
67
mot pour le mot ›. Quarto : c’est naïf. La foi en l’art. La foi dans
le mythe ‹ je suis créateur ›, ‹ je suis artiste ›. Quinto : c’est monotone. Ils font tous à peu près la même chose. Sexto : c’est dans la
lune. Ça n’a pas les pieds sur terre. Abstraction. Obstination.
Solipsisme. Onanisme. Déloyauté vis-à-vis de la réalité. »
Et un peu plus loin :
« Vous n’avez que ce que vous méritez. Vous avez tant
persécuté ce malheureux ‹ moi › que vous en êtes arrivés à une littérature impersonnelle, donc abstraite, donc irréelle, donc artificielle, cérébrale, veule, dépourvue de force, d’élan, de fraîcheur,
d’originalité, et acharnée dans l’ennui. Où est-il donc le bon
vieux temps où Rabelais écrivait comme un marmot fait ses
besoins contre un arbre, pour se soulager ! L’ancien temps où la
littérature respirait à pleins poumons et se créait en liberté, entre
les gens, pour les gens ! »
J’ignore si « le bon vieux temps de Rabelais » est de
retour. Je n’ose pas rêver à un tel bonheur. Ce que je sais avec
certitude, c’est que, durant cette décennie, le roman français a
répondu point par point aux accusations bienveillantes de l’auteur
de Ferdydurke.
Et surtout sur celui-ci.
Dans tous ces romans, on rit.
Le rire étant le propre de l’homme, il n’est probablement
que son seul et ultime recours pour lutter contre les démons de
l’abstraction.
69
Le roman français contemporain
bibliographie
Arrabal, Fernando
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La Mer à boire,
Taisez-vous…
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Le roman français contemporain
défense et
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française
Jean-Pierre Salgas
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Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
À Idée
2001-1998-1968:
histoire d’un tournant
1968-1983:
de l’«ère du soupçon»
au « plaisir du texte»
1983-1998:
Ménard, Don Quichotte, Borges.
Au-delà du soupçon
1998-1983:
métamorphoses de Lazare.
Au-dessous du texte
1968-1998-2001:
au tournant de l’histoire
bibliographie:
histoire – théorie de la littérature
prose
75
Né en 1953. Critique depuis 1983 (La Quinzaine littéraire, La
Revue parlée du Centre Pompidou, Art-press, France-Culture,
Vient de paraître). Auteur du film Christian Boltanski, signalement (Centre Pompidou, 1992) et de Witold Gombrowicz ou
l’Athéisme généralisé (Seuil, 2000).
Commissaire de l’exposition 1968-1983-1998: Romans mode
d’emploi (adpf, ministère des Affaires étrangères, 1998). Professeur
d’histoire et théorie des arts à l’École nationale d’art de Bourges. À
paraître chez Belin: Prose au-devant du nouveau (19682001: l’évolution littéraire en France)
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
77
2001-1998-1968: histoire d’un tournant
2001 année théorique… Directeur des Éditions de
Minuit depuis 1947 (secondé par Alain Robbe-Grillet de 1955 à
1984 ), Jérôme Lindon disparaît en avril. Simultanément, responsable d’Apostrophes depuis 1975, puis de Bouillon de culture
depuis 1985, Bernard Pivot fait sa seconde sortie. Il y a là comme 1
Les Laclave : j’emprunte à la Christine
un condensé de ce qui s’est joué dans le champ littéraire français de Angot de L’Inceste, son personnage
conceptuel forgé à partir du patronyme
1968 à 1998: la défaite (provisoire) de ce qu’incarnait le premier d’un homme de lettres ordinaire; dans
les Laclave d’aujourd’hui, on retrouve évi(l’autonomie telle qu’elle avait été inventée au mi-temps du siècle demment les anciens hussards. Pourquoi
Les Inrockuptibles dans le rôle structupassé, et la modernité) devant la Restauration (le retour des rel qui fut celui des hussards ? à cause de
la conversion de l’hedomadaire – de
«grognards et hussards » décrits par Bernard Frank en 1952, Michel Rocard à Karl Zéro. À l’abri d’une
mémoire convenue de l’Histoire et de la
nouveaux modèles: les «Laclave» et Les Inrocks… 1 ), le triomphe bibliothèque (hommages à Manchette,
Daney, Lindon ou Bourdieu), le <<ton>>
exponentiel de ce dont le second fut l’agent (l’hétéronomie totale est de plus en plus devenu amnésique,
<< générationnel >> et second degré,
et le spectacle qui recouvre la Restauration même, une «littéra- <<moderne>> façon Canal +.
ture à l’estomac» d’un genre non prévu par Julien Gracq en 2
1949). Voudrait-on s’en convaincre qu’il faudrait lire les centaines On pourrait tout aussi bien analyser la
stratégie du devenir-patrimoine d’Alain
de pages parues dans la presse, d’hommage du vice à « l’essence de Robbe-Grillet lors de la dernière rentrée,
ou, au même moment, Jérôme Lindon,
la vertu littéraire» (Echenoz), à l’héroïsme du premier 2 et du le petit << roman familial >> du prix
Goncourt 1999.
vice au vice devenu vertu du second, tant les innombrables
clones de l’émission repoussent les limites de la soumission du 3
Seuls Philippe Lançon dans Libération
livre au spectacle 3. Pour le dire autrement : en 1968, «l’écrivain et Philippe Muray dans L’Atelier du
roman osèrent rompre le consensus,
français » se nomme Julien Gracq, sanctifié par son refus du comme naguère l’avaient fait Pierre
Bourdieu ou Gilles Deleuze analysant la
Goncourt en 1951, et sa Littérature à l’estomac (plus encore <<nouvelle philosophie>>.
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Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
qu’Hervé Bazin, conseillé par les enseignants «vipère au poing»,
Boris Vian, lu par les élèves, Philippe Sollers, par les étudiants,
ou le débutant Michel Tournier ) – c’est l’époque, souvenonsnous, où la culture la plus contemporaine passe en poche
(«Idées » et «Poésie»–Gallimard, le nouveau roman et le gauchisme en 10/18, bientôt «Folio »); en 2001 il s’appelle Frédéric
Beigbeder, le médien moraliste dans la tradition de Jean-Edern
Hallier, animateur télé ferraillant contre la «sous-culture journalistique », parfaitement décrit sous l’identité de « Boris
Fafner » par Philippe Sollers (Femmes, 1983 )… Il publie sous les
applaudissements générals une histoire de la littérature du XXe
siècle en forme de commentaire d’un sondage d’opinion :
Dernier Inventaire avant liquidation: «Le statut du commandé a
remplacé la statue du commandeur.» Trente ans après mai 1968,
c’est l’idée même de littérature ( la réalité de l’édition, de la critique, de la librairie) qui a changé. À l’instar de Chateaubriand,
il faut nous faire à l’idée que, nés dans un monde, nous mourrons
dans un autre, au-delà même des mutations du champ littéraire:
le champ de ruines du Berlin d’Alain Robbe-Grillet dans La
Reprise (2001) pourrait être une bonne métaphore. Histoire d’atténuer ou d’aggraver le problème, ne pas oublier que le Retour
à l’ordre et le Devenir-spectacle traversent tous les domaines de
la culture (de la nouvelle philosophie en 1977 à la «défaite de la
pensée» en 1987, via l’art contemporain depuis 1983, etc. ; au
cœur de cette haine de la « pensée 68 », la contestation de la
Révolution par un François Furet en 1989, sur fond de basculement Est-Ouest / Nord-Sud ).
2001, année théorique… La «confusion des lettres »
(Michel Crépu ) semble à son comble : le principal novateur des
années 1980 (du Méridien de Greenwich, 1979, à Nous trois, 1992 ),
Jean Echenoz, « s’en est allé» vers le Goncourt en 1999, manquant les noces du « réel» et du «contemporain», laissant à
Michel Houellebecq le soin de faire passer le second pour le premier. L’Académie française, pourtant sans poids face à la télévision (un Jean d’Ormesson semble plus célèbre pour son appartenance à la seconde), retrouve des prestiges oubliés ( Florence
Delay élue justement cette année ). Aujourd’hui, Minou Drouet
s’habille chez Pierre Guyotat, interdit à l’affichage en 1968,
comme naguère chez Paul Géraldy, et vient confier à l’écran son
refus blanchotien d’y passer. Etc., etc. Une «affaire Renaud
Camus » (« maillon faible» du champ littéraire devenu otage,
qui, par des propos antisémites de circonstance, cristallise des
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
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querelles internes au champ de l’édition et de la presse ) n’en
finit pas de finir, quand une adaptation au cinéma des Destinées
sentimentales suscite la célébration sans nuances de Jacques
Chardonne de Barbezieux et… de Vichy, quand triomphe le
Journal 1968-1976 de Paul Morand, à l’antisémitisme quotidien
( en 1968, le général de Gaulle avait refusé son entrée à
l’Académie Française); son « cosmopolitisme» tant vanté dissimule un perpétuel tour du monde des clochers et des clichés, où
les Anglaises sont rousses et les Allemands disciplinés ; quand la
«banque centrale» Gallimard choisit l’album Marcel Aymé pour
inaugurer le siècle en Pléiade… Chardonne-Morand: à l’heure
du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, cette « tenaille » semble
d’ailleurs emprisonner toute une zone de la littérature française,
la vraie, celle qui échapperait à cette nouvelle (médiatique) littérature à l’estomac: les nouveautés d’aujourd’hui seraient, au
choix, la «littérature de voyage », ancrée à Saint-Malo ( de
Michel Le Bris le «romantique» à l’exotisme d’Olivier Rolin),
et celle du terroir et de l’école de la IIIe République 4. Paradoxe ! 4
Je renvoie entre autres au Premier Mot
on peut s’interroger: à l’automne 2001, Michel Houellebecq de Pierre Bergounioux, paru en… 2001,
année théorique… qui sonne comme un
(j’écris ces lignes à l’ombre de sa Plateforme), le réactionnaire manifeste explicite de cette écriture scolaire (dissertation-rédaction) et rurale en
formel, le médiatisé absolu, le romancier à thèse anti-soixante- expansion dans le <<paysage>> français.
À mille lieux de toute réflexivité.
huitard qui s’élève dans la dernière livraison de la NRF contre la
«racaille gauchiste» qui a mobilisé le débat intellectuel tout au
long du XXe siècle, n’est-il pas celui qui pose le plus de questions
à la littérature (autant qu’Olivier Cadiot ou Patrick Chamoiseau,
qui inaugurent 2002)?
Tout de suite, une précision et deux remarques. Mon
intention exclut de parler «pour eux-mêmes » des auteurs et des
œuvres des années 1968-1983-1998-2001; il s’agit plutôt de
délimiter l’«espace littéraire» de l’époque, d’autant plus qu’il se
défait sous nos yeux. Le mot peut sembler faire signe vers
Maurice Blanchot, vers un espace idéal et idéel; mon arrièrepensée va plutôt, outre le premier Barthes, au Pierre Bourdieu
des Règles de l’art (Barthes continué, Blanchot «remis sur ses
pieds »?): à une réflexion en terme de «champ littéraire», insécablement esthétique et institutionnel, ou d’«écriture» selon le
Barthes du Degré Zéro (stratégie formelle dans la bibliothèque et
par rapport à l’Histoire). L’« espace», autrement dit le temps littéraire: genèse et structure de notre aujourd’hui. Champ sociologique… tout aussi bien « magnétique», question d’aimantation réciproque. Julien Gracq : « Les lecteurs lisent avec plaisir à
la fois les ouvrages critiques de M. Blanchot qui annoncent
80
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
l’Apocalypse et les romans de Mme Sagan qui ne la manifestent
pas» (Pourquoi la littérature respire mal, 1962 ). Ces quelques
pages en forme de flash-back parlent de (et sur ) cette zone frontière où une œuvre manifeste sa solidarité ou ses défiances à
l’égard de la bibliothèque et de l’Histoire… et de leur intersection, les institutions (édition ) qui la portent. Ni de l’intérieur
des textes ni tout à fait du dehors. Il ne saurait de toute manière,
en si peu de mots, être question d’évoquer sérieusement des
œuvres qui par définition sont singulières et mériteraient chacune
une étude (surtout celles qui sont «plus uniques que d’autres » –
où classer Romain Gary et Albert Cohen, Henri Thomas ou
Hélène Bessette, François Weyergans ou Jean-François Bory et
Jean-Luc Benoziglio, Jean-Louis Schefer et Daniel Oster,
Hubert Lucot ou Pierre Pachet ?). D’autre part, il faut se méfier
des fausses évidences de la chronologie comme des sûretés illusoires de l’« espace littéraire». Les écrivains ne sont pas contemporains selon l’ordre des années et des générations d’état civil
(même si le fait que, dans le désert théorique présent, ils se fantasment comme tels, ne peut être sans effet). Ils ne cessent d’inventer leurs ancêtres et leurs précurseurs (on connaît le cas limite
d’un Lautréamont qui n’a littéralement pas existé pour ses
«contemporains»). Et pas seulement les avant-gardes: qu’on
songe au mi-temps de notre période, à la réhabilitation d’«auteurs
vaincus au champ littéraire d’honneur ». Et les frontières de la
littérature ne cessent de bouger, la hiérarchie des genres mineurs
et majeurs est fluctuante, de plus en plus la littérature absorbe le
hors-littérature,tel Michel Houellebecq écrivant dans le «style »
d’Hot vidéo ou du Guide du routard ses scènes les plus vantées.
1968-1983-1998: on peut décrire ces trente ans comme
une période de changement des repères, instaurés par la modernité canonique de Philippe Sollers en 1968 – le commencement
de la fin de Tel quel – jusqu’à leur ruine, ratifiée par le même en
1983 (Femmes et ses tombeaux de Barthes, Lacan, Althusser – la
fin de la fin). J’irai jusqu’à avancer que l’année 1983 dure quatre
ans: Georges Perec disparaît prématurément en 1982, Alain
Robbe-Grillet éditeur se retire en 1984, Marguerite Duras et
Claude Simon sont proprement canonisés en 1984 et 1985. Puis
en 1998: à la télévision et dans L’Infini, Sollers adoube la révolution conservatrice de Houellebecq, son retour à Zola voire au
Barrès des Déracinés, et Christine Angot (L’Inceste). Philippe
Sollers ? Avec Tel quel (1983), non seulement la dernière avantgarde classique mais sûrement la fin de toutes les avant-gardes et
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
81
donc des discours de légitimité qui accompagnaient le roman, peu
ou prou depuis un siècle (Balzac), voire la littérature française
depuis Du Bellay (Défense et illustration de la langue française,
1579 ). Ensuite d’autres pensées du nouveau (écrivains de la lecture, des genres mineurs, bathmologues ) vont surgir et à leur
tour se résorber dans le paysage. Car je le précise: à l’intérieur du
champ, je choisis de privilégier le « nouveau » dans la prose, les
conditions de possibilité du nouveau, alors que s’évapore, s’est
évaporée la « tradition du Nouveau » ( Harold Rosenberg). De
1968 à 1998, un espace-temps se défait. Encore plus de 1998 à
2001. En perdant sa colonne vertébrale de 1983 à 1998, le
champ littéraire perd ses discours de légitimité. Exclu de chez
Gallimard, après n années de bons et loyaux services, Michel
Deguy a fait dans Le Comité (1988) la chronique sternienne de
la chose. Puis de 1998 à 2001 jusqu’à des contours nets. Là, le
grand livre-témoin est sûrement Quitter la ville, de Christine
Angot (2000): le récit de son irruption dans l’inceste littéraire et
le choix (exogamique) de son devenir-média (première phrase :
«Je suis cinquième sur la liste de L’Express, aujourd’hui 16 septembre»).
Restauration d’où « déprogrammation », spectacle d’où
cohabitation. Il n’y a plus depuis 1983, puis 1998, a fortiori en
2001, de centre, discours, revue ou éditeur, comme il en existait
depuis un siècle. Il faut relire Les Règles de l’art, de Pierre
Bourdieu, à l’envers… C’est significativement à François
Nourissier, président de l’académie Goncourt, archétype de
l’auteur Grasset, et véritable « président de cohabitation» de la
république des lettres, que Gallimard a confié le texte du symbolique Album 2000 de la Pléiade sur la NRF (l’année d’avant
l’album Marcel Aymé…). Vingt-trois ans après 1968, tout peut
désormais littéralement advenir sous n’importe quelle couverture… Même si POL (fondé en 1984) semble offrir le plus grand
«spectre», du roman «rose vif» (Camille Laurens) au «nerf
même» de la littérature (Daniel Oster, Hubert Lucot), via la
prose vieillotte de Richard Millet, le « best-seller de qualité »
( Emmanuel Carrère ), l’Oulipo ( Jacques Jouet, Michelle
Grangaud)… En quittant Tel quel et Le Seuil pour Gallimard en
1983, Philippe Sollers, autour de qui le champ se structurait, a
en effet aboli d’un coup les deux légitimités, expérimentation et
classicisme. Seule sanction apparente: l’immédiateté des médias.
Ou la Pléiade: un peu comme la Pologne raillée par Gombrowicz,
la France est devenue gros consommateur de centenaires, de
82
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
Rimbaud à Hugo, d’archives sans œuvres, de « patrimoine». Et de
«jeunisme» télégénique (l’écrivain français idéal est celui qui
sait faire le mort de son vivant ). Beigbeder ou Char, Hallier ou
Yourcenar, comme on dit «la bourse ou la vie», seule alternative? Duras après L’Amant, Sollers entre 1983 et aujourd’hui, et
Robbe-Grillet fin 2001: rien ne serait plus intéressant de ce
point de vue que d’analyser les risques symétriques pris par ces
trois protagonistes de la modernité au cœur de ce qui peut sembler
son reniement: comme des «analyses». Duras donnant avec impudeur le tout-venant de ses réflexions et de son corps à la société
comme on le donne à la science, Sollers au contraire se dissimulant derrière la multiplication calculée des simulacres, RobbeGrillet inventant en public la position d’«écrivain en viager »
provincial et médiatique «s’autocommémorant». D’un autre côté,
s’interroger sur les raisons qui poussent les écrivains à faire des
disques et des performances ( de Pierre Guyotat à Olivier
Cadiot, Pierre Alferi, Michel Houellebecq ou Christine Angot).
L’écrivain français contemporain se meut plus dans l’univers
vécu et décrit par Balzac ( Illusions perdues ) que dans le monde
désiré par Flaubert (L’Éducation sentimentale).
Corollaire: l’écrivain français n’est plus un intellectuel
total (Sartre, mais aussi Mauriac, ou à l’autre extrémité du
champ le Jacques Laurent de Paul et Jean-Paul ), plus même spécifique (Raymond Queneau, Claude Simon). À peine compte
«l’effort d’art» (Denis Roche): symptomatique, le petit livre
déjà cité de Jean Echenoz en mémoire de Jérôme Lindon et sa
revendication de modestie théorique ( «les virgules, seule divergence esthétique de fond entre nous »), ce qu’il condense de la
montée en puissance et de l’effacement, de la défaite ( faute de
théorie, faute de groupe, façon nouveau roman et Tel quel ) des
trois écritures novatrices des années 1970-1980. Si «le roman
pense avec les moyens du roman », comme l’analysent magnifiquement des théoriciens comme René Girard, Gilles Deleuze,
Pierre Macherey, Jacques Bouveresse ou Vincent Descombes, les
livres de romanciers tels L’Art du roman (1986) ou Les Testaments
trahis (1993), de Kundera, ne suscitent pas le tiers du quart des
conflits provoqués en 1963 par Robbe-Grillet avec Pour un nouveau roman. En 2001, bien qu’il rassemble des textes majeurs
(Un écrivain non réconcilié), Le Voyageur ne fait pas débat, pas plus
que les livres de Philippe Muray ou de Daniel Oster. Autre face
de la « déprogrammation » (Pascal Quignard) de la littérature:
la fin de la critique littéraire telle que l’incarnèrent Maurice
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
83
Blanchot ou les grands feuilletonistes comme Pascal Pia,
Maurice Nadeau 5 , et le règne de la «promo»: Elle ou Le Journal 5
N’oublions pas que 1966 a vu naître La
du dimanche sont devenus des supports «littéraires», mieux: les Quinzaine littéraire et Le Magazine
littéraire, Le Monde des livres est
organes du marché Livres hebdo ou Epok, le magazine de la FNAC arrivé très peu de temps après, les
Nouvelles littéraires et les Lettres
(je rappelle la métamorphose des Inrockuptibles, de la période men- françaises existent encore. Rappelonsnous aussi des revues comme L’Arc ou
L’Herne.
suelle à l’évolution sous nos yeux de l’hebdomadaire).
Second corollaire: ici et maintenant se redéfinit une fois
de plus, sur fond de mondialisation, l’« exception française » (née
avec la Pléiade), qui fait en 2001 débat à propos du cinéma. Il est
sûr que lors de ces années Restauration-Spectacle, perdant sa
colonne vertébrale théorique et institutionnelle, la «littérature
française», dont le champ fut pour le monde un modèle, est à ses
propres yeux un peu devenue « une littérature étrangère parmi
d’autres ». Excellente chose: les littératures «francophones »
sont définitivement admises comme autonomes et détachées de
l’arbre de la mère patrie, sur les modèles brésilien ou argentin.
En prend acte le Dictionnaire Bordas des littératures de langue française, qui voit le jour en 1984. Et les littératures étrangères ont
désormais autant de chances en France que les Français «de
souche»: bien au-delà de la nationalité française conférée par
François Mitterrand à Cortázar ou à Kundera… , Pessoa, Dick,
Bernhardt, mais aussi Primo Levi, Tabucchi ou Magris, mais
encore Raymond Carver, Philip Roth, Bret Easton Ellis…, ont
été adopté, en quelques semaines, Danilo Kis était sur le point
de l’être à sa mort, quand il avait fallu des années de Lettres nouvelles à un Maurice Nadeau ( qui fut l’équivalent de Lindon et de
Paulhan pour les auteurs étrangers) pour naturaliser français un
Gombrowicz (un Rabelais polonais). On peut signaler aussi le
catalogue Christian Bourgois ou le phénomène Actes Sud, des
éditeurs comme Rivages ou Le Serpent à plumes. Situation absolument inédite: à la «littérature française» (écrivains, éditeurs,
critiques) d’utiliser cet appel d’air pour éviter de finir coincée
entre roman international prétraduit (prototype: Umberto Eco)
et conte atavique et scolaire (voire pis: «une littérature Amélie
Poulain», le second fait par l’autre, la «petite gorgée de bière»
brassée à la Foire du livre de Francfort…). Le prix Nobel de littérature fut donné en 2000 au «Français» Gao Xingjian, qui écrit
en chinois. 2001, année théorique… Je nommais Gombrowicz:
dans son roman argentin Trans-Atlantique (1947), il inventait la
«filistrie», ce que Glissant nomme aujourd’hui la «créolisation».
La défense et l’illustration de la prose française passent aujourd’hui par une réflexion «formelle» sur cette dernière.
84
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
1968-1983:
de l’« ère du soupçon »
au « plaisir du texte »
de jean-paul sartre à claude simon
Prix Nobel de littérature 1985, Claude Simon est revenu,
dans son Discours de Stockholm, sur les divergences qui l’opposaient à Jean-Paul Sartre, prix Nobel ( refusé ) en 1964 :
« Qu’avez-vous à dire ? » demandait Sartre. Autrement dit,
«quel savoir possédez-vous ?». Et Claude Simon d’opposer la
technique au message, et l’écriture et son opacité à la transparence sartrienne. À un regard rétrospectif, les choses apparaissent moins simples. Tout se passe comme si on ne cessait d’opposer à l’auteur de Qu’est-ce que la littérature? les propositions
sur le roman du Sartre critique de Faulkner, Dos Passos, Mauriac,
Camus, Ponge, Renard…, dans la NRF d’avant-guerre, en
oubliant que c’est lui qui les a formulées. SituationsI à SituationsII,
et aussi La Nausée (avant-guerre) aux Chemins de la liberté (aprèsguerre). C’est bien plus sûrement Alain Robbe-Grillet qui dit vrai,
quand dans Le miroir qui revient, premier tome de ses
Romanesques, il écrit : « Du point de vue de son projet, l’œuvre de
Sartre est un échec. Cependant c’est cet échec qui, aujourd’hui,
nous intéresse et nous émeut. Voulant être le dernier philosophe, le dernier penseur de la totalité, il aura été en fin de
compte l’avant-garde des nouvelles structures de pensée : l’incertitude, la mouvance, le dérapage » ( il y revient dans un article
du Voyageur en 2001).
On se rappelle la célèbre conclusion de l’article sur
François Mauriac: « Un roman est écrit par un homme pour
des hommes. Au regard de Dieu qui perce les apparences, sans
s’y arrêter, il n’est point de roman, il n’est point d’art, puisque
l’art vit d’apparences. Dieu n’est pas un artiste ; M. Mauriac non
plus »: c’est bien ce Sartre-là, celui de La Nausée, qui a su penser
ce que Nathalie Sarraute a nommé l’«ère du soupçon», et dont
tous les écrivains du nouveau roman sont les héritiers dans leurs
œuvres comme dans leurs discours théoriques (Claude Simon
lui-même est en phase avec la «temporalité chez Faulkner »).
Par une sorte de ruse de l’histoire, via les nouveaux romanciers
(Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, et sa charge contre
les « notions périmées », en 1962 ), Sartre, qui, après-guerre, ne
fut pas un grand novateur, domine le début de notre période,
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
85
c’est lui qui a imposé les leçons de la modernité ( outre les
romanciers étudiés par le critique, Joyce, Proust, Kafka, Céline )
et balayé le roman psychologique à la française (modèle Adolphe,
histoire bien ficelée et cœur humain ), ou le si mal nommé roman
balzacien – il serait plutôt zolien… Il faudra un moment à Tel
quel pour conquérir l’hégémonie, imposer d’autres références
théoriques, une autre histoire littéraire, d’autres modalités du
soupçon (entre les deux, un lien sous-estimé: le premier Barthes,
qui, dans Le Degré zéro de l’écriture, ne fait que reformuler sous le
nom d’«écriture» alors pensée comme engagement de la forme,
les questions de Situations II dans les termes de Situations I ).
Gilles Deleuze le note dès 1964: « Tout passa par Sartre
non seulement parce que philosophe, il avait un génie de la totalisation, mais parce qu’il savait inventer le nouveau. » Sans
Sartre, une œuvre comme celle de Claude Simon aurait sûrement attendu des décennies pour être reconnue. À l’inverse, l’influence (à supposer que le mot veuille dire quelque chose) directe
du philosophe-écrivain est faible, hors de ses proches (Violette
Leduc, André Gorz), sinon peut-être chez le jeune romancier de
L’Extase matérielle, qui fait littéralement irruption en 1963 avec
Le Procès-Verbal, une sorte de Nausée solaire, et qui multipliera
les livres importants (du Déluge à La Guerre ) jusqu’à sa conversion au début des années 1970 ( Désert) à une inspiration très
conventionnelle (à la Saint-Exupéry). J. M. G. Le Clézio dont
on peut relire la préface de La Fièvre: « La poésie, les romans, les
nouvelles sont de singulières antiquités qui ne trompent plus
personne, ou presque. Des poèmes, des récits, pour quoi faire?
Il ne reste plus que l’écriture.» Fiction & Cie, dira Denis Roche
en 1973. Comme est faible, dans ces années-là, hors théâtre, hors
la revue Minuit, et hors du statut… de statue du commandeur, le
poids de Samuel Beckett, prix Nobel de littérature en 1969 ( à
mi-parcours entre Sartre et Simon ).
le pacte autobiographique
Si, laissant provisoirement de côté les écrivains qui sont
proprement de cette époque (1968-2001) qui nous occupe ( de
Sollers et Perec à Houellebecq ou Cadiot, via Modiano,
Quignard ou Echenoz), nous examinons, de bien avant Sartre
aux «nouveaux romanciers », la trajectoire des écrivains des
décennies qui précèdent, une constante apparaît: le souci auto-biographique (à la Leiris) ou autofictionnel (à la Proust) – dont la
86
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
chute dans le domaine public –, la masse de travaux qui l’accompagnent, le passage à la critique génétique de nombre d’anciens
structuralistes, est un des événements de ces années. Sans même
évoquer le Malraux des Antimémoires et de La Corde et les Souris.
1968 voit paraître de superbes Écrits intimes posthumes de Roger
Vailland, Michel Leiris donne en 1966 et 1976 les deux derniers
tomes de La Règle du jeu (on en retrouve la trace inattendue
récemment chez le Nourissier d’À défaut de génie, 2000 ) puis Le
Ruban au cou d’Olympia et Langage tangage, Jean Genet signe
quasi à l’instant de sa mort un Captif amoureux digne de
Chateaubriand, Henri Thomas nous livre avec Une saison volée
les débuts du collège de Pataphysique puis Le Poison des images,
Raymond Queneau avec Les Fleurs bleues une fable psychanalytique. Jean Cayrol se demande s’Il était une fois Jean Cayrol
(1982), Pierre Klossowski, après Les Lois de l’hospitalité, nous fait
de plus en plus les hôtes de sa relation à Roberte, Louis Calaferte
publie ses carnets, Louis-René des Forêts s’engage dans une
entreprise qu’il décrit comme sans fin sur les «épiphanies» d’une
existence: Ostinato (1997).
Là encore, domination de Sartre. La question, issue
selon mille médiations de la mort de Dieu ( qui n’était pas un
romancier ) à la fin du siècle précédent, qu’il s’est à lui-même
adressée dans Les Mots (et dans le corpus massif des entretiens de
la fin de sa vie), qu’il pose à l’orée de son gigantesque et ultime
opus L’Idiot de la famille : « Que peut-on savoir d’un homme
aujourd’hui?», est celle de ces trente ans, comme une basse
continue qu’on retrouvera – sous le rapport des écritures à l’histoire de la bibliothèque comme à l’Histoire tout court – dans les
«vies brèves » des uns, les «autobiographèmes » de l’autre, les
«identités rapprochées multiples » de Sollers, le Journal roi de
Renaud Camus ou dans Sujet Angot, etc. Même problématique
chez les romanciers de « l’ère du soupçon», qui sont passés au
tournant de 1968 par une période «formaliste » ( tentative de
fédération par Jean Ricardou, colloques de Cerisy): après une
phase ludique qui le voit jouer avec les stéréotypes, Alain RobbeGrillet publie les Romanesques, autobiographiques ( Le miroir qui
revient, Angélique ou l’Enchantement, Les Derniers Jours de
Corinthe), Nathalie Sarraute nous livre son Enfance, Robert
Pinget s’invente en quatre volumes un double, Monsieur Songe, à
qui il fait tenir ses carnets, enfin Marguerite Duras avec L’Amant
remonte à la source de son imaginaire. Elle livre ensuite divers
volumes dont le matériau vient de sa vie : La Douleur autour du
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
87
retour de Buchenwald de Robert Antelme, La Vie matérielle, puis
elle déborde la littérature, mettant au point un modèle social
d’écrivain, dont Annie Ernaux ou Christine Angot se souviennent aujourd’hui. Claude Simon revient en spirale sur ses premiers livres avec Les Géorgiques, L’Acacia, Le Jardin des Plantes.
Mémoire et avant-mémoire. Évidemment, on peut y adjoindre
le Roland Barthes par Roland Barthes, les Fragments d’un discours
amoureux ou La chambre claire, d’un Barthes théoricien du «biographème» en préface de Sade, Fourier, Loyola.
On a souvent voulu voir dans ces livres un reniement de
«l’ère du soupçon», de son refus de l’anecdote et des sécurités
de l’identité du personnage, une version chic du vieux «roman à
clefs», on l’a confondu avec la vague des confessions médiatiques.
J’inclinerai plutôt à y voir, comme Robbe-Grillet ne cesse d’y
insister, une façon de porter plus avant ce soupçon, sur ce qui
reste quand on a tout déconstruit: la personne sociale de l’auteur,
le titulaire de l’état civil, le moi. Après avoir interrogé le personnage, tous jouent avec le «pacte autobiographique» (Philippe
Lejeune 6 ), avec les paradoxes de « l’autofiction » ( Serge 6
Il invente le mot dans un livre décisif de
Doubrovsky 7 ). Les plus radicaux sont le fils de Mauriac, Claude 1975 et se convertira lui-même aux autobiographies anonymes, quand la chose
(Le Temps immobile ) et des enfants de Valéry, qui ont appris à lire s’éloignera de son attente fort peu
déconstructrice.
dans Monsieur Teste et les Cahiers : Pierre Pachet, Jean-Louis
Schefer. Daniel Oster surtout, disparu prématurément en 1999, 7
Il est le théoricien du genre qui comble
qui multiplie les faux écrits intimes d’écrivain : Dans l’intervalle, une case laissée vide par Philippe
Lejeune, également son praticien qu’on
Stéphane, La Gloire, Rangements. Tirant jusqu’à leurs termes, peut estimer moins heureux. À l’inverse,
un écrivain comme Hervé Guibert, à
comme seuls les écrivains d’Europe centrale – Musil, Wittgenstein l’œuvre duquel le sida donne un sens
lazaréen, semble en donner une illustra– ou un Pierre Bourdieu théoricien de «l’illusion biographique» –, tion exemplaire.
les conséquences existentielles de la mort de Dieu.
vie et mort de Tel quel
À l’exception d’Aragon ( Blanche ou l’Oubli, La Mise à
mort, Théâtre roman, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit, La
Défense de l’infini, l’immense inédit posthume en 1986 qui inclut
Le Con d’Irène), qui l’a « accompagné» dans ses livres et dans les
Lettres françaises qu’il dirige jusqu’en 1972 8, on peut avancer que 8
J’abats mon jeu par exemple est un petit
les parcours des grands prosateurs que je mentionnais n’ont pas livre sur Philippe Sollers.
été sensiblement infléchis par la jeune littérature du temps.
Littérature du temps? Je veux dire Tel quel qui dure de 1960 à
1983 et qui détermine et surtout, mot d’époque, surdétermine
toute l’évolution du roman français jusqu’à 1998 sûrement. Et
l’œuvre de Philippe Sollers. Plus que du nouveau roman, auquel
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9
Le Parc, deuxième roman de Sollers, passe
pour tel, et les néoromanciers sont les hôtes
des premiers numéros de la revue pour une
enquête sur l’état de la littérature.
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
l’apparente une filiation immédiate9 pour une enquête sur l’état
de la littérature, Tel quel reprend, répète en les métamorphosant,
rejoue plutôt les ambitions du surréalisme ( même si André
Breton, qui meurt en 1966, avait, fidèle à Valéry, condamné le
roman ) – Michel Foucault le remarque dès le début lors d’un
colloque de Cerisy –, qui lui-même rejouait contre Mallarmé ou
Apollinaire le romantisme allemand. Dans sa structure d’abord:
groupe, chef de file, revue, éditeur unique. Dans son programme
d’une « théorie d’ensemble» (1966 : «Une théorie d’ensemble
pensée à partir de la pratique de l’écriture demande à être élaborée»). En témoigne le sous-titre de la revue à compter de
1966: «Littérature, philosophie, science politique ». Impossible
de rentrer ici dans les étapes successives, mais il y a toujours eu
des alliances avec philosophes Althusser et Lacan (Marx et
Freud), Derrida (Heidegger), et théoriciens de la littérature
(Roland Barthes qui avait accompagné le nouveau roman, surtout
Alain Robbe-Grillet, Julia Kristeva, introductrice avec Tzvetan
Todorov des formalistes russes en France. Dissimulées par
d’autres alliances, politiques: le PCF puis les maoïstes autour de
Mai 68 dans une première phase de radicalisation progressive où
le texte et le monde semblent pouvoir se confondre, ensuite avec
la droite giscardienne après 1974 quand il est clair qu’il n’en est
rien. Projet: changer le monde et la vie. Surtout la littérature,
pensée avec Jacques Derrida comme «écriture textuelle», plus
souterrainement avec Heidegger, encore plus dans la seconde
phase, celle du désengagement politique. Acmé: Le Plaisir du texte,
théorisé par Barthes en 1973 comme une nouvelle possibilité
d’«écriture»; loin du simple congédiement des «notions périmées» du vieux roman, c’est la langue elle-même qu’il s’agit de
toucher, par le «texte de jouissance» opposé au «texte de plaisir»
– ce au moment où la dissociation s’opère entre une expérience
«mystique» de la littérature (H, Paradis publié en feuilleton dans
la revue) et des engagements séculiers successifs (qu’il ne faudrait, j’y reviendrai, pas confondre avec le «maoïsme » ou le
«christianisme» de Sollers ).
À défaut, 1968 est la cassure, de changer le monde et la
vie, le groupe Tel quel non seulement a produit des œuvres de premier plan (tous les livres de Philippe Sollers, Compact, de Maurice
Roche, Pierre Guyotat dans les marges (Tombeau pour cinq cent
mille soldats, Éden, éden, éden), mais aussi (surtout ?), a bouleversé
la bibliothèque dans la continuité du surréalisme (Lautréamont,
Sade: interdit encore dans les années 1960, il est entré dans la
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
89
Pléiade) du nouveau roman (Joyce), mais aussi Artaud et Bataille
(tout deux passés, via un mémorable colloque de Cerisy en 1973,
de la clandestinité aux Œuvres complètes ), ou même fait lire dès
1960 des contemporains immédiats comme Pierre Klossowski ou
Francis Ponge. À noter enfin que chaque étape, chaque virage du
groupe Tel quel, qu’il soit littéraire, politique, ou littéraire et politique, a comme généré un autre groupe dissident, une autre revue,
un autre chef de file: on peut énumérer, à des degrés divers de
dépendance, les revues Digraphe de Jean Ristat – qui mixe Aragon
et Derrida – ou Change de Jean-Pierre Faye – dominé par Jacques
Roubaud; on en peut retrouver des traces dans l’actuelle Revue de
littérature générale, Minuit, dirigée par Mathieu Lindon
(Savitzkaya, Guibert, on y trouve les toutes premières publications
d’Echenoz) – ou les Éditions des femmes (Cixous). Également, les
collections «Textes-Flammarion» qui deviendront POL après un
passage chez Hachette, ou, déjà nommée, «Fiction & Cie» de
Denis Roche (mêlant auteurs français et étrangers), qui demeurent aujourd’hui encore des laboratoires du nouveau.
1983-1998:
Ménard, Don Quichotte, Borges.
Au-delà du soupçon
du chemin aux brèves littératures
1968, mai: «Printemps rouge» (Sollers ). En avril, il a
publié deux livres, Nombres et Logiques, un roman, un recueil
d’essais où il noue tous les fils de « l’expérience des limites » qu’il
entend poursuivre («elle se trouve nécessairement du côté de
l’action révolutionnaire en cours », chaque section de Nombres se
clôt sur un idéogramme chinois), et il trace le «programme »
d’une histoire « textuelle», scandée par des œuvres de rupture
(Dante, Sade, Mallarmé-Lautréamont, Artaud-Bataille ). Jamais
il n’a été aussi loin dans la fusion (imaginaire) de l’Histoire et de
la littérature. J’ai l’intuition que la (première) scène primitive de
notre présent eut lieu là, quand donc Philippe Sollers assigna à
la littérature de «sortir de la scène représentative» – bien audelà des jeux du nouveau roman avec le récit – pour inclure dans
la langue le «réel historique constamment actif». On sait que
après mai, le monde a continué son cours, sans se fondre dans les
avancées de la bibliothèque… Ce qui se passe alors est, toutes
90
10
Le contraire, faut-il le préciser, du «roman
historique», qui utilise l’histoire comme un
décor pour mettre en scène l’éternité des
passions humaines. Je renvoie aussi bien à
Alexandre Dumas qu’à ses usages contemporains chez Yourcenar ou les hussards
(Jacques Laurent alias Cécil Saint-Laurent)
par exemple. Le roman historique a paradoxalement le plus souvent pour fonction
d’annuler l’Histoire. À rebours, l’usage de
l’archive chez les écrivains de la lecture peut
être comparé à celui d’un Michel Foucault.
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
proportions gardées, comparable à l’implosion de la philosophie
de Hegel après sa mort, en 1831. La célèbre fiction de Jorge Luis
Borges Pierre Ménard, auteur du Quichotte, avec les trois personnages théoriques qu’elle nous prête, nous permet d’y voir plus clair.
Mai 68 : plus discrètement, dans la collection « Le
Chemin », est paru le premier roman de Michel Chaillou,
Jonathamour, une rêverie sur le roman d’aventures à la Stevenson.
«Le Chemin»? une collection dirigée chez Gallimard par
Georges Lambrichs qui compte alors dans ses rangs Klossowski,
Le Clézio, Butor, Guyotat, Starobinski, le Raymond Roussel de
Michel Foucault ou un poète comme Michel Deguy, tous marginaux modernes des diverses avant-gardes. Une revue, Les Cahiers
du chemin, qui dure de 1967 à 1977 et qui constitue une sorte d’extrême gauche esthétique de la vieille NRF (qui sombre après le
décès de Paulhan dans le plus total académisme, dont on atteindra
le fond avec l’affaire des «moins-que-rien» en 1998), tout en
étant plus flâneuse que Tel quel. Il ne me semble pas exagéré de
dire que c’est là, dans cette nébuleuse sans chef de file, que s’élabore durant les années 1970 et 1980 l’une des trois sorties françaises de l’hégélianisme des avant-gardes.
Au Chemin, pas de « théorie », pas de «progressisme ».
Mais la conviction que là où il y a une langue il y a de «l’extrême
contemporain » (Chaillou ), et aussi qu’il n’y a pas nécessairement contradiction entre le soupçon sur le récit exploré par le
nouveau roman ou le travail sur la langue qu’expérimente Tel quel
et le fait de proposer un monde et des «récits». Il ne s’agit pas de
faire «marche arrière», de régresser vers une «innocence» qu’aucune littérature ne connaît, mais de réouvrir l’histoire des formes.
De retrouver d’autres lignes de légitimités, d’autres longueurs
d’onde, de raviver d’anciennes généalogies pour inventer 10.
Après Jonathamour, Chaillou traversera le vers classique ( Collège
Vaserman), l’Astrée d’Honoré d’Urfé (Le Sentiment géographique)
ou Montaigne ( Domestique chez Montaigne), de nouveau le
roman d’aventures ( La Vindicte du sourd), puis Pouchkine (La
Rue du capitaine Olchanski, roman russe). etc. Son manifeste pourrait être La Petite Vertu, une « anthologie de la prose courante
sous la Régence», dont pas un mot n’est de lui… Autant que
Chaillou, Pascal Quignard (derrière le brouillage dû à deux
romans à succès et à des scénarios, malgré son actuelle «yourcenarisation » précoce…) pourrait dans la durée personnifier cette
façon collective de faire son lit dans la langue des autres. De ses
premiers travaux sur Maurice Scève, Sacher-Masoch ou
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
91
Lycophron en 1968, dès son Lecteur, jusqu’à ses récents romans
qui mêlent Port-Royal, le Japon médiéval et la Rome d’Auguste
(Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, Albucius, Tous les matins du
monde). «J’écris pour être lu en 1640»: sa devise, clin d’œil à
Stendhal plus qu’au Flaubert de la modernité, dit bien cette histoire infinie dans laquelle se situent ces auteurs. Comme l’inconscient, selon Freud, la littérature ignore le temps. Et dédaigne le
siècle XIXe. Surtout: dans les huit volumes des Petits Traités, d’où
cette sentence est tirée, Quignard a réinventé, sur le modèle des
Vies brèves de John Aubrey, Anglais du XVIIe siècle puis de Marcel
Schwob – mais tout autant après Voragine ou Vasari, et avec
Michel Foucault –, le genre de la « vie brève», un genre qui
pourrait bien être l’un des grands apports formels de ces gens à
la littérature. Mlle de Scudéry, Spinoza, Littré, Longin…, dix
autres : sur chacun, Quignard assemble ce que Barthes en 1971,
dans Sade, Fourier, Loyola, nommait des « biographèmes »,
détails, goûts, inflexions, « dont la distinction et la mobilité
pourraient voyager hors de tout destin»: à des années-lumière
du nouveau roman, dans une étonnante proximité poétique à la
sociologie de Bourdieu et à son refus de l’«illusion biographique»,
il s’agit de faire sentir l’énigme de «tout destin», l’unité problématique de chaque existence, la multiplicité trouée de toute singularité. Importance capitale, à ce propos, de Pierre Michon, de
l’«autobiographie perpendiculaire» des Vies minuscules, comme
des «biographies obliques » qui suivirent : Vie de Joseph Roulin,
Maîtres et Serviteurs, surtout Rimbaud le fils. Et de Patrick
Mauriès et des livres du Promeneur, petite maison d’édition,
depuis intégrée chez Gallimard, qui de cette esthétique a fait un
projet éditorial.
À cet Au-delà du soupçon, on peut évidemment rattacher
des poètes: Jacques Roubaud, scribe contemporain de la matière
de Bretagne, des troubadours et des surréalistes, théoricien-historien de la poésie française (La Vieillesse d’Alexandre, La Fleur
inverse, Soleil du soleil ), Michel Deguy et son Tombeau de Du
Bellay, Jude Stéfan, poète latin, ou le « néoclassique» Jean Ristat,
des romanciers, des essayistes tel Gérard Macé, ou un peu Pierre
Pachet, etc. Florence Delay, parlant de Robert Desnos, formule
ce qui pourrait être, autant que celle de Quignard, leur devise
partagée: «J’appelle moderne ce qui me coupe le souffle et
ancien ce qui me le donne». Son Aie aie de la corne de brume
(1975) est un roman d’amour courtois qui se déroule dans le
quartier du Sentier à Paris, lors de l’élection présidentielle de
92
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
1974. Le titre renvoie au flamenco, et la composition à Gertrude
Stein. L’Insuccès de la fête (1980 ) dissimule anamorphiquement
un manifeste moderne dans la relation fiévreuse de quatre jours
du poète de la Pléiade Jodelle. À compter de 1990, Chaillou dirige
chez Hatier « les Brèves de la littérature française », une histoire
qui sera exclusivement l’œuvre d’écrivains. «Une sorte de roman
dont les auteurs sont les personnages, les œuvres la conversation
éternelle, Sainte-Beuve et Contre Sainte-Beuve réconciliés dans une
sorte de sociologie poétique (Petit Guide pédestre de la littérature du
XVIIe siècle). Une vingtaine de titre paraîtront avant que l’éditeur
n’interrompe la collection. S’il fallait à ces écrivains, qui sont
«de la lecture» comme ceux de Tel quel le furent «de l’écriture»,
un saint patron, ce serait sans hésitation Pierre Ménard, le héros
de la célèbre « fiction » de Borges, qui, à côté de son œuvre
visible, réécrit le Quichotte à l’identique au XXe siècle. Pierre
Ménard, pour qui l’ancien est l’avenir du nouveau: réécrire le
Quichotte dans un autre champ, selon une énonciation différente,
revient à composer un livre neuf, qui dit autrement le monde.
de manchette à echenoz
1968: pourquoi ne pas hisser le drapeau rouge sur la
Série noire? Tandis que Tel quel répète l’expérience surréaliste de
l’impossibilité historique de la liaison entre une littérature autonome à l’extrême et l’introuvable révolution sociale, une seconde
manière pour les écrivains de se situer «au-delà du soupçon»
commence, qui va parvenir à pleine maturité aux alentours de la
charnière de 1983, lorsque c’est le champ littéraire tout entier
qui explose: dans l’apesanteur théorique se mettent à flotter
ensemble, comme des monnaies ou des épaves, littérature de
recherche et culture de grande consommation. Les protagonistes de cette seconde voie sont les écrivains du «néopolar ».
Héritiers de Léo Malet, le père de Nestor Burma, compagnon
de route des surréalistes, peintre de Paris – un roman par arrondissement –, plus que de Georges Simenon, ils le sont surtout
des Américains, Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Les
stéréotypes du genre leur paraissent pouvoir être réinvestis pour
raconter et dénoncer un capitalisme à l’agonie ( nous sommes
dans les années Pompidou – Cause du peuple ; ils sont les contemporains exacts du journal Libération), puis l’histoire enfouie,
dissimulée, honteuse de la France contemporaine, les «trois placards » (selon Sollers ): Vichy, Algérie, mai 1968.
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
93
Le plus important de ces auteurs est imbibé de situationnisme (Ô dingos, ô châteaux), a réfléchi sur le terrorisme (Nada), et
s’appelle Jean-Patrick Manchette; ses meilleurs livres: Fatale, Le
Petit Bleu de la côte Ouest, la Position du tireur couché… En 1976,
Manchette cesse de publier, se consacre à des travaux de traducteur
(Robert Littell, Ross Thomas) et de critique et théoricien du genre
(Chroniques). Très vite, le rayon initié par Manchette dans la
bibliothèque se divise en deux: ici des écrivains qui maintiennent
l’intention politique de départ mais dont la littérature n’est jamais
la question: au premier rang, Didier Daeninckx et son obsession
des «trois placards», qu’incarne un personnage comme Papon
(Meurtres pour mémoire) ou Thierry Jonquet, hanté par la Shoah et
l’histoire du communisme (Les orpailleurs, Rouge c’est la vie, Du passé
faisons table rase); de l’autre côté, on peut sûrement classer les livres
de René Belletto (Revenant de la recherche au roman populaire),
mais nul doute qu’à lui tout seul et avec ses quatre premiers
romans 11, Jean Echenoz, qui a donné ses premiers textes à la revue 11
Un plus trois: véritable «somme par anticiMinuit, est le romancier de cette seconde voie (sacré par Le Monde pation», Le Méridien de Greenwich
(1979) expose comme le programme de
«romancier des années 80»). Dans le sillage de l’auteur du Petit l’œuvre ultérieure.
Bleu, qui l’adoube d’ailleurs à l’occasion de Cherokee, il s’impose à
première vue comme le maître du polar parodique, de l’aventure
ludique (L’Équipée malaise), du roman d’espionnage détourné
(Lac), du «malaise dans la fiction»: un air de soupçon, une allure
de second degré et de n’en penser pas moins – l’impératif critique
maintenu, intégré – tout en racontant à nouveau les histoires très
compliquées, très inachevées, très enchevêtrées, de la vie contemporaine. Mais à la différence de Manchette, son propos n’est pas
politique, et sa politique littéraire (sa stratégie) fort dissemblable:
en guerre contre les genres majeurs, la légitimité des avant-gardes
(qu’il cite et connaît très bien) et leur complicité avec l’ordre du
monde, Manchette se tournait vers le populaire et le dominé. Chez
Echenoz, point de hiérarchie. Dans ses romans d’une complexité
formelle et d’une densité de composition – souvent microscopique,
poétique – inépuisables, les éclats de culture sont tous sur le même
plan comme le sont les débris du monde. Un paragraphe de Lac
peut mêler souvenirs du Coup de dés et de L’Éducation sentimentale et
clichés policiers. À la limite le polar est l’instrument d’un classicisme analogue à la règle des trois unités dans la tragédie classique.
On mesure le trajet parcouru: contemporain des jeux de
Boris Vian avec les genres mineurs (J’irai cracher sur vos tombes),
Sartre se divertissait avec la Série noire, Robbe-Grillet la relevait
grâce à Œdipe (Les Gommes), ou la manipulait de haut (La Maison
94
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
de rendez-vous, 1965, Projet pour une révolution à New York, 1970 ),
Manchette même était dans le second degré. Echenoz, lui, n’est
jamais «plus malin » que son matériau, même s’il n’en est «pas
dupe». Tous les héritages sont présents mais jamais dominés.
Tout ce qui permet de vivre, voilà la bibliothèque. Résultat: un réalisme paradoxal qui naît d’une immersion totale, rousselienne
dans le langage, les cultures et leurs contraintes. Depuis 1990,
cette manière a connu son aboutissement, et sa mise en abyme.
Après quatre livres qui faisaient le tour de la paralittérature et
mettaient au point une écriture virtuose, une littérature «fractale»
comme il le disait récemment de Flaubert, Jean Echenoz publie en
1992 Nous trois, «second premier roman», redémarrage à zéro –
le zéro quasi pascalien de vies prises entre tremblement de terre
et voyage interplanétaire. Nouveau tournant en 1999, avec Je
m’en vais: à travers l’histoire d’un galeriste choisissant les valeurs
sûres de l’art « primitif», surprenant retournement de la plus
«contemporaine» des écritures contre l’art contemporain. En
2001, dans son bref hommage à Jérôme Lindon, qui est aussi un
anti traité d’esthétique, Echenoz prend imaginairement la place
du « père du père» (Beckett ). C’est vrai que, depuis 1983, ils
sont légion à pratiquer l’écriture Echenoz aux Éditions de
Minuit ou ailleurs : Patrick Deville, Alain Sevestre, Patrick
Lapeyre, Christian Oster, Christian Gailly, Gérard Gavarry, Éric
Laurrent, Tanguy Viel… Sa mise en abyme: en 1990, dans un livre
de science-fiction qui dit adieu au «ghetto-SF», Antoine Volodine,
auteur de quatre livres en «Présence du futur», fait l’éloge polémique et ambigu de la «littérature des poubelles» contre la littérature dominante, blanche: Lisbonne, dernière marge est un puissant
«tombeau» des avant-gardes, politiques et littéraires, à scénario
terroriste allemand ( Baader ) et littéraire lusitanien (Pessoa).
D’autres livres suivent, qui complexifient la donne jusqu’à Des anges
mineurs. Anticipation chez Volodine de ce que, comme naguère
le polar, la SF est devenue la littérature «naturaliste » de notre
temps d’après la chute du mur, la guerre du Golfe, Internet. Pour
qualifier l’écriture de Michel Houellebecq, qui ne dissimule pas sa
dette envers Lovecraft ou Huxley, Dantec parle de «science- fiction
du quotidien». Exemple: Maurice G. Dantec lui-même avec ses
extraordinaires Racines du mal en Série noire, et ses moins convaincantes prophéties (Théâtre des opérations, Laboratoire de catastrophe
générale) désormais accueillies dans la collection «blanche». Ou
Mehdi Belhaj Kacem et sa revue au titre cronenbergien: EvidenZ,
ou les romanciers de Ligne de risque.
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
95
On peut trouver la chronique de cette évolution ( d’une
littérature de genre subversive à la littérature tout court, novatrice, quand à son tour la première a « fait son temps ») dans le
rassemblement posthume des Chroniques (1976-1995 ) de JeanPatrick Manchette (1996), et son passage à l’acte dans Noces d’or,
le livre publié lors du cinquantenaire de la Série noire: le «code
Stéphane» (Mallarmé et sa Pléiade) sert de code clandestin aux
personnages. Pourquoi ne pas baptiser cette attitude la tendance
Don Quichotte? Les uns partent de la bibliothèque et s’en vont
rejoindre le réel, les autres habitent le réel éclaté, aplati, télévisé, de la fin du XXe siècle, éberlués d’être en même temps dans
les débris de la bibliothèque. Comme l’hidalgo partait à l’aventure, la tête farcie des romans de chevalerie, ils enfourchent le
roman populaire du temps… « Littérature des poubelles », autre
« dépôt de savoir et de technique» (Denis Roche).
de jean ricardou à renaud camus
Pierre Ménard ( «du neuf avec du vieux ») et Don
Quichotte («du neuf avec de l’usagé») se croisent chez Jorge
Luis Borges; d’autres encore, entreprennent de faire du neuf avec
les paradoxes du livre et du monde à la manière de ce dernier.
Dans la lignée de Jean Ricardou – à l’apogée de Tel quel, revenant
au nouveau roman et tentant de le formaliser et de le fédérer
dans de mémorables Colloques de Cerisy publiés en 10/18. Et
«influençant» les meilleurs livres de Claude Simon, le RobbeGrillet «non réconcilié» de la postface à La Maison de rendezvous, ou Claude Ollier. Qui à leur tour vont peser sur François
Bon, déjà cité, et la pratique qui est encore la sienne aujourd’hui
des «ateliers d’écriture», Alain Nadaud, ses fables borgésiennes
étirées et sa revue Quai Voltaire, Marie Redonnet (dès le début,
mais aussi à l’époque de ses grands petits livres : Silsie,
Nevermore, Candy story). Surtout l’écrivain considérable qu’est
Renaud Camus. «À la fin des années 60 si lourdement théoriciennes, le plaisir du texte est apparu comme un grand soulagement. À la fin des années 70, si pesamment dilettantes, une tentative de théorisation est appréciable à condition qu’elle prenne
en compte la réalité du dilettantisme.»
Ami de Roland Barthes, qui le promeut et le préface,
disciple de Ricardou, il se constitue tout de suite en fils de la littérature: Barnabooth, Bouvard et Pécuchet, Pessoa… Dès ses deux
premiers livres, qui se donnent pour remplis de citations «tirées
96
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
d’écrits antérieurs de l’auteur » autant que des grandes œuvres
du nouveau roman (Simon, Duras ). «La représentation continue», annonce la bande. Des quatre volumes des Églogues au
milieu des années 1970, une œuvre de plus de vingt volumes est
sortie, qui ressuscite des genres oubliés (miscellanées, élégies,
éloges, répertoire), mais aussi le roman historique, pour fantasmer
à neuf – sur fond lusitano-centre-européen – l’Histoire et le
roman ( Roman Roi, Roman Furieux, Voyageur en automne: un
pays, la Caronie, naît d’un récit, un écrivain, Odysseus Hanon,
naît de ce lieu ) et le journal (onze tomes à ce jour, du Journal
romain aux Nuits de l’âme : une vie naît d’une écriture). «Un peu
d’écriture éloigne du monde, mais beaucoup y ramène. » En
marge de l’entreprise: Tricks (1979 ), qui propose bien après
Genet, bien avant Catherine Millet, une nouvelle écriture de
l’(homo )sexualité. À Barthes par Barthes, qui l’a lui-même pris à
Pascal, Camus emprunte pour désigner son rapport aux récits et
au textes, à toutes les manières du langage déjà là, la «bathmologie», ou « science des échelonnements de langage ». Il lui a
consacré un traité: Buena vista park (1980 ), qui, autant que La
Petite Vertu, de Chaillou, ou les Chroniques de Manchette, est un
des plus sûrs manifestes littéraires de ce temps. À proprement
parler, Camus est sûrement le seul auteur français à avoir à l’histoire de la bibliothèque et à l’Histoire tout court un lien «postmoderne» (très « américain », à la Barth ou Barthelme ), qui
échappe à l’archive ( Quignard ) comme à la mélancolie
(Echenoz ).
On a pu, à propos de ces écrivains, parler de «postmodernité». Oui si on considère Queneau et Nabokov comme
les archétypes de la chose. Non, si le mot désigne l’alibi «intellectuel» du roman de consommation, ou l’habit neuf d’une
avant-garde retournée: l’histoire aurait fini par finir… en vestiaire; aucun ne la considère comme tel. À travers ces personnages de Borges, c’est tout simplement «l’héritage décrié de
Cervantès » (Milan Kundera, L’Art du roman ) qui revient de
trois manières. En 2001, elles se sont à demi évanouies, et à demi
dissoutes (dans la… troisième livraison de la Revue de littérature
générale: la Bible « des écrivains »).
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
97
1998-1983:
métamorphoses de Lazare:
Au-dessous du texte
réhabilitations
1983: après la publication en volume de «l’abstrait»
Paradis, qui le fut d’abord en feuilleton dans la revue, une longue
coulée de langue, Philippe Sollers fait paraître chez Gallimard
un gros roman «figuratif», Femmes (le premier d’une série de
romans-chroniques; dernier paru: Passion simple ), saborde Tel
quel et fonde L’Infini. Femmes fait événement par les «tombeaux»
qu’on y trouve de grands théoriciens qui ont accompagné Tel
quel: Barthes, Althusser, Lacan. Encore aujourd’hui controversé,
ce roman du champ littéraire (fort peu bourdieusien) fait date dans
celui-ci, puisqu’il clôt non seulement vingt-trois ans d’aventure
intellectuelle, mais un siècle de liaison des deux fins littéraire et
politique, le rêve de Joyce et Lénine se tenant par la main,
l’époque «avant-garde» de la modernité… Seconde scène primitive: c’est incontestablement de ce passage de Sollers de l’«avantgarde à l’avant-scène» des médias, et du Seuil à Gallimard, qu’on
peut dater les traits du paysage auxquels je faisais allusion au
départ. Je renvoie à ce que je disais pour commencer de cette
grande année 1983, qui est également celle du prix Médicis attribué à Cherokee, de Jean Echenoz, et de Roman Roi, le livre «caronien » de Renaud Camus. En ce début des années 1980, «hussards et grognards» et… revanchards, s’appuyant sur le Wall
Street Journal (sic), nous expliquent que la littérature française
était définitivement morte de l’ère « glaciaire» (Jean-Paul Aron)
traversée et qu’il ne restait plus qu’à se réchauffer au soleil du vrai
roman à histoires venu d’ailleurs (c’est le moment où les littératures étrangères arrivent de plein droit dans le champ littéraire
français ). Dans un champ « déboussolé», tout semble pouvoir
arriver (souvenons-nous des allers-retours de Pascal Quignard,
ou du passage de Danièle Sallenave de la descendance de Claude
Simon à La Vie fantôme ).
Ces années sans boussole sont également celles d’un
face-à-face aujourd’hui un peu oublié, celui du Tout sur le tout et
du rien sur le rien. Le Tout sur le tout : en rééditant, en polémique
contre l’état des lieux, ce titre d’Henri Calet, et d’autres écrivains méconnus ou oubliés des années 1950 (Raymond Guérin,
Paul Gadenne…) ou 1930, (l’immense Emmanuel Bove ), un
98
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
petit éditeur (relayé alors dans Le Monde des livres par Raphaël
Sorin, qui sera en 1998 chez Flammarion «l’extenseur du
domaine de Houellebecq»…) lance la mode des «réhabilitations»
tous azimuts, d’auteurs « morts au champ d’honneur littéraire»:
Gallimard crée la collection «L’imaginaire», Grasset «Les cahiers
rouges », Albin Michel « La bibliothèque Albin Michel », etc.
Contestable cause (ressentiment), excellent effet ( résurrection).
Redeviennent contemporains des écrivains oubliés : Paul
Léautaud, Alexandre Vialatte, André de Richaud, Jean Reverzy,
Jean Forton, Georges Hyvernaud, Eugène Dabit, Pierre
Herbart, Irène Nemirovsky…, et les vivants Henri Thomas,
Béatrice Beck, Louis Calaferte (dont on reprend l’érotique
Septentrion). Porté paradoxalement par cette vague, on assiste au
retour de Bernard Frank, réédité perpétuel, «escroc rentier de sa
jeunesse», et, dans ses chroniques, analyste hors pair de la
France dite profonde, celle que Sollers nommera «moisie » dans
Éloge de l’infini. Puis c’est la réhabilitation des hussards, surtout
d’Antoine Blondin, de Roger Nimier, de Jacques Laurent et de
leur rapport à l’Histoire (Anne Simonin l’a bien montré : le
«roman historique» est leur «écriture», qui permet de la rendre
contingente, et de dédouaner certains d’entre eux de leurs compromissions vichystes ). Puis des écrivains de la collaboration: le
duo Morand-Chardonne, Cocteau ( lui l’était depuis longtemps ), bientôt Pierre Drieu La Rochelle ( son Journal, des biographies ), directeur de la NRF sous l’occupation, ami de
Malraux, de Paulhan, d’Aragon, qui pourrait bien un jour figurer le nœud du siècle littéraire français tout entier…
Le rien sur le rien ; sous l’invocation emblématique de
La Littérature et le Droit à la mort, de Maurice Blanchot, et en
symétrie au Tout sur le tout, se développe toute une modernité
négative (j’emprunte le mot à Emmanuel Hocquart, qui l’a disséquée dans la poésie) qui voit la littérature aller inexorablement
vers sa fin, soit par épuisement interne ( Roger Laporte : Une
vie ), soit par verdict de l’Histoire: la fiction, sinon l’écriture,
serait impossible après Auschwitz. Auschwitz ? derrière la littérature, c’est la société française qui fait son anamnèse : de 1975
(Émile Ajar : La Vie devant soi; Georges Perec : W ou le souvenir
d’enfance ; Pierre Goldman : Souvenirs obscurs d’un juif polonais né
en France) à 1985 ( Claude Lanzmann : Shoah ). Souterrainement,
dans ce rapport à l’Histoire, plus qu’«au-delà du soupçon» et
bien « au-dessous du texte», se joue autrement le destin de la
prose française. On se souvient que sa présence dans le texte
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
99
obsédait le premier Barthes, tant par sa matière ( Michelet par luimême) que par son inscription à l’insu de l’auteur dans les mots
(ce qu’il nommait dans la première partie de son œuvre, je l’ai
rappelé, l’écriture en opposition au style). Chez Sartre elle intervient en «situation», elle s’absente «apparemment» du nouveau
roman pris en bloc; Sollers ne la connaît qu’«historiale» (préface
à Logiques, 1968, préface de La Guerre du goût), les «écrivains de
la lecture» à travers le filtre des langages et de l’archive. Reste
qu’à l’exception de Claude Simon (de La Route des Flandres,
1960, à L’Acacia, 1989), et de Pierre Guyotat ( Tombeau pour cinq
cent mille soldats, 1967, Éden, éden, éden, 1970) aucun auteur ne
semble l’avoir pris à bras le corps, disons banalement comme
«sujet ». Même si elle leste le soupçon (confirmation 2001 : La
Reprise, d’Alain Robbe-Grillet, dans les ruines de Berlin).
« Écrire après auschwitz »
Le rien sur le rien donc: cette ironie car, paradoxalement, il revient à un écrivain, certes résistant mais qui ne fut pas
déporté – il fut même avant la guerre, puis au début, engagé à
l’extrême-droite –, d’incarner la voix (la voie) lazaréenne dans la
littérature française. Et de la nier au même instant. Pour dire
l’état de l’écriture à son « degré zéro», pour désigner la suspension de l’adhésion à l’Histoire, Barthes a recours au mot de blancheur : sans jeu de mots, Maurice Blanchot est l’écrivain blanc
par excellence dans ses romans énigmatiques qui tournent
autour de la mort ( Thomas l’obscur, L’Arrêt de mort, Le Très Haut,
Le Dernier Homme) comme dans ses essais sur la littérature, qui
répètent l’opération de Heidegger sur Hölderlin sous le patronage de Hegel, la fin de l’art, la mort tapie dans le mot. D’un
Hegel lecteur de Mallarmé: « Quand je parle, la mort parle en
moi.» «Où va la littérature ?»… « La littérature va vers ellemême, vers son essence qui est la disparition.» Figure totémique
de ce courant qui transite à la gauche des Temps modernes par
Critique, la revue de Georges Bataille (1948), et Les Lettres nouvelles
de Maurice Nadeau (1953), cet auteur sans visage est le Mr
Hyde de la littérature française, le double de négativité, la doublure de néant de tous les règnes successifs de Sartre, du nouveau
roman, de Sollers et Tel quel. À l’enseigne de la fin se retrouvent
d’ailleurs d’autres écrivains qui n’ont pas connu l’expérience
concentrationnaire mais la rejoignent par l’extrême des situations où ils se placent, tous assujettis à une expérience qui n’est
100
12
Marguerite Duras, son épouse d’alors,
racontera bien plus tard son retour, dans
La Douleur.
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
pas que formelle: leur œuvre ne peut se lire que dans cette
lumière noire. De Georges Bataille ( l’érotisme, approbation de
la vie jusque dans la mort) à Samuel Beckett, via Louis-René des
Forêts ( Le Bavard, Pas à pas jusqu’au dernier ) ou Pierre
Klossowski… On peut parler d’un véritable collège invisible.
Appendice: on peut y adjoindre quelques livres directement
issus de l’après-Mai 68: Robert Linhart ( L’Établi ), Leslie Kaplan
(qui dit L’Excès-L’usine dans une langue creusée qui vient de
Blanchot et de Duras, avant de trouver son volume propre dans
Le Pont de Brooklyn ) ou François Bon (Sortie d’usine ), qui évoluera par la suite vers une sorte de naturalisme populiste. Paradoxe
dans le paradoxe: plus l’après-guerre se prolonge, plus Blanchot
se rapproche de la guerre et des camps, sans lesquels son extrémisme mallarméen d’origine ne peut pourtant être pleinement
compris : c’est seulement après 1968 ( 1969, L’Entretien infini,
197; L’Écriture du désastre), en 1983 lors de la réédition du
Ressassement éternel, qu’il déclare «qu’à quelque date qu’il puisse
être écrit, tout récit désormais sera d’avant Auschwitz ».
Formule qui joue en France un rôle analogue à l’interdit en
Allemagne attribué à Adorno, et qui connaît donc vers 1983 en
France sa fortune nihiliste maximale.
«La fin est là d’où nous partons», écrivait, à l’inverse, le
beaucoup plus méconnu Jean Cayrol: «J’étais un fidèle lecteur de
Kafka et puis j’avais des renseignements sur ce qui m’attendait»,
écrit le romancier catholique qui fut déporté à Mauthausen, dans
un livre autobiographique de 1982. Il reformule là autrement ce
qui déjà faisait le cœur de son manifeste de 1950 : Lazare parmi
nous. Dans les textes « lazaréens » se croisent et se démultiplient
modernité et expérience historique, l’une donnant sa pleine
résonance à l’autre, comme Kafka au camp, ou le camp à Kafka.
De façon inattendue, Cayrol cite l’abbé Prévost (Manon Lescaut)
et moins bizarrement L’Étranger, d’Albert Camus. À l’appui de sa
thèse, outre les livres de Cayrol lui-même (de Je vivrai l’amour
des autres, prix Renaudot 1947, à ses romans des années 1980, via
Les Corps étrangers) ou le film Nuit et Brouillard, qu’il réalise avec
Alain Resnais à l’intemporel présent, il faut mentionner les
témoignages, qui sont beaucoup plus que des «témoignages »,
de David Rousset ( Les Jours de notre mort), Charlotte Delbo ( Le
convoi du 21 janvier), ou Robert Antelme ( L’espèce humaine, sur le
camp de Buchenwald ) 12. L’Espèce humaine réajuste la littérature
selon la prévision cayrolienne: au camp «les travestissements
d’un style, les parodies, les fausses parures, en un mot le bric-à-
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
101
brac romanesque tombaient d’eux-mêmes, une œuvre se jugeait
comme un homme». Pour sortir de «Balzac», «Auschwitz» a fait
autant que Faulkner ou Joyce. Loin d’interdire, «Auschwitz »
«contraint» à l’invention : voir Perec.
georges perec
Depuis sa «disparition » prématurée en 1982, la gloire
posthume de Georges Perec est en effet sans équivalent, de l’édition savante (le moindre inédit publié et commenté, la croissance
exponentielle de la bibliothèque perecquienne) à la culture de
masse ( Je me souviens, devenu en 1989 une sorte de nouveau
questionnaire de Proust ). Longtemps considéré comme un
sociologue flaubertien et humoriste ( Les Choses en 1965), disciple
de Queneau, puis comme le technicien hors pair d’une sorte de
littérature en kit, démontable et remontable à merci, sans ombre
ni reste (le puzzle de La Vie mode d’emploi en 1978), virtuose du
palindrome et du lipogramme, oulipien au carré, tendance Vermot
et mots croisés, il a désormais totalement changé de statut dans la
culture hexagonale, à cause des relectures de ses textes au miroir
de W ou le Souvenir d’enfance, en 1975. C’est que les quatre zones
entre lesquelles il avait coutume de partager son œuvre ( autobiographique, sociologique, romanesque, ludique) sont désormais
hiérarchisées: l’autobiographie surdétermine les trois autres. W
et ses deux niveaux, la fiction et l’impossible exercice de mémoire
(W, dans les sous-textes duquel on a pu découvrir des fragments des
Corps étrangers de Cayrol), fait figure de microcosme de l’œuvre.
À l’écrivain «démocratique» (Claude Burgelin), qui
livre à qui veut les prendre les secrets de sa fabrique, s’est ajouté
l’auteur universel, « juif polonais né en France» orphelin pour
cause de nazisme, qui a trouvé dans le fait de s’agripper au petit
h de l’alphabet le moyen ni plus ni moins que de vivre après
qu’est passée sur son enfance « la grande hache de l’Histoire».
Les plus audacieuses des combinatoires ont été «déclenchées »
par l’expérience intime du vide, du crime et de l’effacement du
crime. Tant La Disparition (le roman sans « e») que La Vie mode
d’emploi sont à prendre – aussi – au sens fort, et leur force est
également que, de ce qui les fait être, elles ne parlent pas. Perec
est absolument, en un sens non fortuit, un écrivain de l’aprèsguerre, d’après le génocide (tout le programme de Perec est
d’ailleurs énoncé en clair dans une série d’articles parus dans
Partisans autour de 1960, bien avant Les Choses, et consacrés à
102
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
une critique « de gauche» du nouveau roman adossée au livre de
Robert Antelme). Derrière Roussel, Rousseau. Sous l’Oulipo,
l’anamorphose d’Auschwitz. Il revient à Bernard Magné d’avoir
mis au jour les mécanismes exacts de l’articulation des deux vertiges, les «æncrages».
Conséquence: à l’heure du décès de l’avant-garde, non
seulement Georges Perec rend caducs par son existence même
les lieux communs passés, via Maurice Blanchot, dans la doxa
cultivée, sur l’impossibilité d’écrire après Auschwitz, mais en
outre il rend vains par sa puissance narrative tous les «retours à »
et les « retours de». Il est le prototype, je renvoie à Julien Gracq,
de l’auteur qui cumule situation et audience, à la fois Jules
Romains et Franz Kafka… Mieux : il apparaît, aujourd’hui, avec
ses moyens propres, « contemporain» de tous ceux qui ont
modelé le paysage de ces trente années : avec chacun, il est en
intersection, avec Butor, Sollers en négatif, avec Le Chemin il
partage outre l’amitié une grande partie de la bibliothèque, avec
Jean Echenoz le réalisme antinaturaliste qui passe par une folie
rousselienne des mots. Est-ce un pur hasard si Alain RobbeGrillet, là encore bon témoin, clôt le dernier volume de ses
Romanesques, Les Derniers Jours de Corinthe, par le récit d’une
anodine rencontre avec Perec, puis apparemment sans raison, par
une litanie de «je me souviens». Post-scriptum de La Disparition
(1969): «L’ambition du Scriptor, son propos, disons son souci
constant, fut d’abord d’aboutir à un produit aussi original qu’instructif, à un produit qui aurait, qui pourrait avoir un pouvoir
stimulant sur la construction, la narration, l’affabulation, l’action,
disons, d’un mot, sur la façon du roman d’aujourd’hui. [...] Le
scriptor façonnait [...] un produit prototypal qui [...] abandonnant
à tout jamais la psychologisation qui s’alliant à la moralisation
constituait pour la plupart l’arc-boutant du bon goût national,
ouvrait sur un pouvoir mal connu, un pouvoir dont on avait fait fi
[...] l’innovant pouvoir d’un attirail narratif qu’on croyait aboli. »
À l’instar de Sartre, et plus que tout autre ( Sollers ), de par ce
lien unique entre vertige du texte et vertige de l’Histoire, il
apparaît rétrospectivement comme le «contemporain capital
posthume» de cette période 1968-2001. Son «horizon indépassable». Ce n’est pas la moindre surprise en «flash-back », la
moindre « ruse de l’Histoire ( littéraire)» de ces trente années.
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
103
1968-1998-2001:
Au tournant de l’histoire
2001, année théorique… Depuis 1998 (Michel Houellebecq : Les Particules élémentaires; Christine Angot: L’Inceste),
donc, l’«apesanteur» d’un champ désormais sans bords ni
centre; recouvert par la Grande Restauration, qui l’est ellemême par le Spectacle, les deux s’unifiant à l’enseigne de ce que
Michel Deguy baptise « le culturel». La vindicte, je la rappelais
au début, qui s’exerce dans tous les domaines, contre les «avantgardes » et la «pensée 68», la cascade des « retours à » et des
« retours de». La fin de la « tradition du nouveau », la modernité tuée avec les avant-gardes. Les trois « écritures » inaugurées
en 1968, et qui ont émergé au grand jour dans l’après-1983,
marquent le pas pour la même raison qui les a rendues visibles :
après un passage par des romans qu’on pourrait dire «mentaux », Jean Echenoz s’en est donc « allé», retournant la plus
contemporaine des écritures contre l’art contemporain. Florence
Delay a fait son entrée, fin 2001, à l’Académie française au fauteuil
de Jean Guitton. Pascal Quignard se «yourcenarise » ( Vie secrète,
1997 )… Renaud Camus abandonne toute « bathmologie » pour
Maurras et son antisémitisme vieillot, passe du Vichy de
Larbaud… à son Chamalières natal, celui du Chagrin et la Pitié,
de l’engendrement imaginaire par les livres à un curieux retour
aux origines: d’où «l’affaire» que j’ai dite… Pis : en lieu et place
de ces façons d’inventer, le doublon terroir-« littérature de voyage » que je rappelais, n’est pas sans devoir quelques prestiges à
celles-ci. Ici, en effet, certains « écrivains de la lecture» prêtent
la plume à la «belle prose» triste pour dictées (les noces du
Grand Meaulnes, du Petit Prince et de Maurice Blanchot…) qui
figure de plus en plus pour les « vrais lecteurs » l’image de la
« vraie littérature » face aux médias corrupteurs… Pierre
Michon avec François Bon et Pierre Bergougnioux. De cette
« confusion des lettres », de cette « cohabitation » dans les
œuvres elles-mêmes, un bon symptôme peut être fourni par la
tétralogie de Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, qui a l’histoire
de France et le XXe siècle pour sujet : Les Champs d’honneur, Des
hommes illustres, Le Monde à peu près, Pour vos cadeaux. Maurice
Genevoix s’y avance sous le masque de Claude Simon, la plus
convenue des mémoires nationales sous les fastes de la plus
novatrice des écritures. Là, le « poujado-gauchisme » ( amère-
104
13
Malgré les récents aveux des bourreaux,
qui, plus que les témoignages des victimes,
ont amorcé un processus, celle des guerres
coloniales n’est pas encore venue dans la
culture française.
14
Dans le prolongement des Exercices de
style et des 100 000 milliards de
poèmes de l’auteur de Chène et chien.
On peut lire une histoire personnelle de
l’Oulipo dans la toute récente Bibliothèque
de Warburg, de Jacques Roubaud.
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
ment diagnostiqué, superbement analysé par Jean-Patrick
Manchette dans ses Chroniques, publiées de façons posthume en
1996) submerge le néopolar sous les espèces du Poulpe (créé par
Jean-Bernard Pouy, pourtant auteur de Nous avons brûlé une sainte).
Lequel néopolar ne feint plus même de se donner les apparences
d’une alternative à la littérature légitime : les romanciers passent
et repassent les frontières de la « blanche » à la «noire» (Pierre
Bourgeade, Tonino Benacquista ), la presse la plus conformiste
n’en finit pas de célébrer le cinquantième anniversaire de la Série
noire, fondée par le surréaliste Marcel Duhamel dans l’aprèscoup de la Libération… À l’horizon, le cauchemar théorique que
j’inventais, ce qui serait la plus saugrenue redéfinition de l’exception française, une «littérature Amélie Poulain»: Daniel Pennac de
Belleville versus Christian Bobin du Creusot, et les nostalgies,
pas uniquement formelles, qu’ils incarnent face aux modernités
( avant-gardes et « spectacle » ici confondus), brassées à
Francfort… qui faillit advenir lorsque la NRF lança autour de
Philippe Delerm le mouvement des «moins-que-rien». Rien
n’est moins sûr : cinq « lignes de fuite », cinq «écritures » peuvent être décelées et nommées, qui laissent entrevoir une autre
«évolution littéraire» pour la prose française.
Georges Perec: plus que des clivages proprement esthétiques, internes au champ littéraire, entre «l’ancien et le nouveau»,
on peut se demander en effet si, depuis cette grande année 1983,
les partages ne sont pas désormais entre cette RestaurationSpectacle et ce que désigne le nom de Lazare ( les écrivains,
toutes écritures confondues, qui savent que l’Histoire pose des
questions aux formes ). Se demander, comme je viens de le faire,
si l’anamnèse de la société française sur Vichy-Auschwitz (19751985 13 ) n’a pas doublé – au sens «textile » comme au sens
«automobile»… – l’évolution littéraire ( qui allait à rebours ).
Grâce à Perec, 1945 pourrait avoir remplacé 1968, comme point
d’origine de la littérature qui s’avance. Conséquence: la dissociation des deux vertiges que l’auteur de La Disparition cumulait:
Perec donc Oulipo, Perec donc Modiano. L’Oulipo, «ouvroir de
littérature potentielle », créé en 1962 pour explorer les
contraintes du langage par Raymond Queneau et François Le
Lionnais, ou « la littérature à l’ère de sa reproductibilité technique» 14. Inversion temporelle : la gloire de Perec libère le
groupe de sa relative marginalité, devrait aussi dissiper ce qui
demeure en lui de velléités « Amélie Poulain» ( le côté Marcel
Aymé parfois de Queneau…, de certains oulipiens surtout). À
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
105
l’heure du retrait des « modernes» avant-gardes, sa parenté avec
l’art contemporain en tant qu’il n’est pas moderne devient son
atout ( je renvoie à Voilà le monde dans la tête, l’immense exposition au musée d’Art moderne à Paris en 2000, à des artistes entre
littérature et art comme Sophie Calle, Claude Closky ou Valérie
Mréjen). Modiano: l’auteur de cet autre Recherche du temps perdu
qui va de La place de l’Étoile (1968) à Dora Bruder (1997), l’interlocuteur d’Emmanuel Berl ( Interrogatoire), qui passait bizarrement, après Lacombe Lucien, pour responsable de la «mode
rétro», pourrait être à Vichy ce que Perec est à Auschwitz, le
grand écrivain «lazaréen » d’aujourd’hui (qui rappelait récemment que c’est au Mémorial de Serge Klarsfeld que l’écrivain doit
se mesurer, comme naguère Balzac à l’état civil), inventeur d’un
art de la mémoire, le « centre de gravité» de la prose française.
Georges Perec «horizon indépassable» et Patrick Modiano
«centre de gravité»… Et après ? Philippe Sollers, «astre sur
l’horizon» et «centre de légèreté »? En effet, après 1968, lors de
l’implosion et de l’évolution que j’ai retracées, le fondateur de Tel
quel s’engage dans un parcours double – et dans un malentendu
maximal. De façon visible, dans une trajectoire idéologique qui
mène «l’écrivain», le personnage social, de Mao Tsé-Toung à
Jean-Paul II, via les États-Unis, à une apparente adhésion aux
méandres de l’Histoire, à sa forme triviale, l’actualité. De façon
plus secrète, dans une passion d’écriture (de «style») visant à
échapper au «cauchemar» de celle-ci (H, Paradis), une tentative
de renouer le fil des «exceptions ». Sous le Grand Timonier, la
pensée chinoise, derrière le pape, les mystiques chrétiens… La
complexe métamorphose de Femmes (1983) fait se rejoindre les
deux dans l’espace de la chronique romanesque; l’écriture peut
sembler désormais soumise aux incartades des frontières du champ
et Sollers vouloir y occuper, successivement puis simultanément,
toutes les positions possibles 15. Malentendus démultipliés –que 15
Très actif dans le «spectacle», Sollers,
désigne la référence nouvelle chez celui que j’appellerai le qua- «baromètre», publie dans L’Infini, les
auteurs de la Restauration… Julia Kristeva
trième Sollers au «jeune hégélien » Guy Debord, théoricien, donne une version romanesque des années
Tel quel dans Les Samouraïs, aussitôt
dans l’avant-68, de la « société du spectacle» et au Martin après il suscite au Seuil une histoire intellectuelle de la revue par Philippe Forest.
Heidegger contempteur de la « technique»… Qu’accroissent
des livres exotériques (sur Casanova, Denon, Mozart), qui sonnent comme des plaidoyers à la Paul Morand ( Fouquet ) pour ses
engagements séculiers ( derniers en date : Balladur, Jospin,
Messier), et sa collaboration au Journal du dimanche. De livre en
livre, Sollers se propose de faire advenir les épiphanies du sens
et des sens, l’instant physique, dans la trame de l’instantané
106
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
médiatique qui le nie. L’« expérience intérieure» au cœur de
l’universel zapping, un corps qui écrit dans la manipulation génétique générale. Comme naguère le feuilleton du romancier,
L’Infini publie en ouverture de chaque livraison son feuilleton de
lecteur (La Guerre du goût, Éloge de l’infini). La ligne Rimbaud,
Proust, Aragon, Céline, Genet… la Pléiade a remplacé la moderne bibliothèque Tel quel. Comparaison possible avec les stratégies
d’images contemporaines d’un Jean-Luc Godard. Antipodes
absolues de l’indépendance d’un Georges Perec. Littérature
toute dernière marge à renégocier chaque jour.
Ou littérature «générale»? Face à Philippe Sollers, et à ce
qui fait figure d’équilibrisme avec «grognards-Laclave et hussardsInrocks» et nouvelle «littérature à l’estomac» (Beigbeder), de
jeunes poètes la reposent à nouveaux frais. Terrain par excellence du
«sacré», donc de la «messe» littéraire, la poésie a souffert, plus et
moins à la fois, de la Restauration que la prose. Témoins: Jacques
Roubaud, le théoricien de La Vieillesse d’Alexandre et de La Fleur
inverse, et Emmanuel Hocquart (Ma haie, 2001). Avec la Revue de
littérature générale (1995: La Mécanique lyrique; 1996: Digest),
Pierre Alferi et Olivier Cadiot, poètes passés à la prose, tentent
«à partir d’elle» un véritable «coup d’État des lieux», une reconquête et une recomposition du champ littéraire tout entier: la
réunion des prosateurs que je plaçais sous l’enseigne de «Pierre
Ménard, Don Quichotte et Borges», Jean Echenoz en tête, et des
marges de Tel quel, et surtout l’alliance, comme au début du siècle,
avec musiciens et artistes aux préoccupations formelles identiques
face à la Restauration (Pascal Dusapin, Alain Bashung, Benoît
Delbecq, Kat Onoma: On n’est pas indiens, c’est dommage, avec
Rodolphe Burger). Un programme qui peut faire signe vers l’itinéraire très singulier d’un Michel Butor ou vers Po&sie, le titreemblème de la revue de Michel Deguy (créée en 1977)… Une
autre géographie, une nouvelle autonomie sont peut-être en gestation… et temporairement en panne. 2001, année théorique…
sous la direction du romancier catholique Frédéric Boyer, édité
chez POL, une Bible des écrivains a vu le jour chez Bayard, engagée avec Cadiot et Alferi comme noyau dur, et rassemblant
autour de ce travail de traduction nombre d’écrivains qui peuvent
se rattacher aux trois écritures que j’ai inventoriées à l’enseigne
du Pierre Ménard de Borges. À l’arrivée, la réaffirmation offensive
de la traduction comme œuvre à part entière, mais la Bible devenue
une sorte de Revue de littérature générale numéro 3, l’instrument
défensif d’une resacralisation de la littérature face au Spectacle…
Jean-Pierre Salgas • Défense
et illustration de la prose française
107
2001, année théorique… mort de Léopold Sédar
Senghor, la version sage de la négritude, le rassembleur du puzzle d’une humanité en morceaux, danse nègre et raison hellène…
Et de René Étiemble, le grand comparatiste entre des cultures
comparables parce que séparées. À rebours, le prix Goncourt
1992, décerné à l’un des auteurs de l’Éloge de la créolité (pour
Texaco), Patrick Chamoiseau ( Biblique des derniers gestes, 2002 ),
parachevait l’autonomisation évoquée des littératures francophones à la manière hispanophone ou lusophone. La «poétique
du divers» d’Édouard Glissant ( Tout-monde), dont il est l’enfant,
anticipe, à rebours du « roman international prétraduit» ( à la
Eco ), une «créolisation » de la langue et des formes qui n’est pas
sans écho à Paris. Le jour approche où ces écrivains pèseront de
tout leur poids sur une « littérature française» en mutation dans
l’espace mondial, à l’égal des grands étrangers (pour l’heure,
seuls Milan Kundera, Tchèque en France, ou Denis Hollier,
Français des États-Unis, l’ont entrevu…; dernière minute :
Bernard Pivot à son tour un peu, sa nouvelle émission se nomme
Double je ). À ce propos : il serait temps de relire autrement que
sous la seule rubrique de la « supercherie» un romancier apparemment traditionnel comme Romain Gary-Émile Ajar. Peutêtre commence-t-il une vie posthume de première importance :
ses deux Goncourt sous deux identités différentes ne posent pas
que des problèmes de théorie littéraire, ne sont que la face
visible d’une hétéronymie plus vaste. Celle d’un écrivain français
d’Europe centrale, qui se réclamait de sa «batardise », celle d’un
«écrivain de frontière» tel que le définit Claudio Magris parlant
des romanciers de l’ex-empire des Habsbourg 16. Un écrivain à 16
«Kafka est lui-même une frontière, les lignes
la «diaspora dans la tête», soit, pour la dire autrement, le plus de démarcation et les points de jonction
passent à travers son corps qui ressemble à
exact opposé et d’un écrivain du terroir et d’un écrivain «de ces lieux géographiques où s’entrecoupent
les zones frontalières de plusieurs États.»
voyage », l’anticipation d’une autre France.
Je rappelais les disques d’Olivier Cadiot et Pierre Alferi,
en quête d’alliances transversales. Michel Houellebecq (apparu
avec Extension du domaine de la lutte), interprète lui aussi ses
poèmes en public, et Christine Angot fait des performances au
théâtre. Last but not least, ces promoteurs de ce qui semble une
«révolution conservatrice» 17 pourraient jouer leur rôle dans 17
Portée tout autant par l’ex-centre de la
l’invention du Nouveau. Conservatrice: les formes sont vieilles, banque centrale ( la Nouvelle Revue
Française de Michel Braudeau) que par
fiction ici d’un «état de nature» de la littérature, stylo à l’épaule les Inrockuptibles.
du sujet Angot, autofiction façon Dogma (Lars Von Trier ), là
mixte de naturalisme et d’écriture blanche (un certain Barrès,
Anatole France). Révolution : irruption du « réel» contre les
108
Défense et illustration de la prose française • Jean-Pierre Salgas
académismes et les pastiches d’avant-gardes, même si ce «réel »
est confondu, ici, avec une sorte d’état de nature, là avec le
«contemporain » (la vie sexuelle à l’ère du supermarché ). Si la
littérature française est redevenue hétéronome par rapport aux
médias, pourquoi ne pas prendre cela comme sujet? Après le
roman de l’inceste, je le rappelais pour commencer, Quitter la
ville est le roman de la « guerre» d’Angot, «Duras tendance
Villemin », Antigone, contre « la famille » littéraire incestueuse,
le champ, le microcosme qui la rejette. Pourquoi, toujours face
aux médias, « ne pas étendre le domaine de l’écriture ? »
Lanzarote, par exemple, le troisième opus houellebecqien ( un
digest partiel des Particules élémentaires, une esquisse de
Plateforme), monologue d’un «petit Blanc» (racisme et scientisme
ordinaire, positivisme de magazine ) en vacances sur une île volcanique des Canaries, est un «traité du style » autant qu’un
«traité du sexe»: Hot vidéo ou le Guide du routard entrent en littérature (on songe à Bouvard et Pécuchet, aux Choses, à une reprise
déplacée des stratégies d’écriture d’un Manchette et d’un
Echenoz…).
2001, année théorique… À l’instar de 1549, année de la
Défense et illustration de la langue française de Joachim Du Bellay.
Aujourd’hui certes, la question de la langue se pose différemment – il n’y aurait d’ailleurs rien de pire que la «littérature
Amélie Poulain » d’une France devenue une réserve d’Indiens
(on pourrait même imaginer, avec Gao Xingjian, une «littérature
française» composée en d’autres langues que le français ): il y a
désormais des langues françaises. Mais les enjeux restent strictement les mêmes qu’en cette époque déjà de mondialisation,
comme je le rappelais en évoquant la disparition de Jérôme
Lindon, les seconds adieux de Bernard Pivot: nouveauté, autonomie. Dissipées avec les avant-gardes, les formes classiques de
modernité, ce sont elles qui sont en refonte dans chacune des
cinq « écritures » que je viens d’énumérer, et à leur intersection.
À suivre…
111
Le roman français contemporain
bibliographie
histoire théorie
de la
littérature
Le Degré zéro
de l’écriture,
Seuil, 1953
2-02-002575-2
Bayard, Pierre
Aragon, Louis
Blanchot, Maurice
L’Amitié. Recueil d’essais
critiques sur des sujets très
variés tels que Lascaux,
Malraux, Bataille,
l’ethnographie, le
marxisme, la littérature,
la politique,
J’abats mon jeu,
Il était deux fois
Romain Gary,
Lettres françaises, 1992
2-909823-01-6
PUF, 1990
2-13-043132-1
Armel, Aliette
Beigbeder, Frédéric
Marguerite Duras
et l’Autobiographie,
Dernier Inventaire avant
liquidation,
Castor astral, 1996
2-85920-168-8
Grasset, 2001
2-246-59691-2
Aron, Jean-Paul
Belletto, René
Les Modernes,
Les Grandes Espérances
de Charles Dickens,
Tous les mots sont adultes.
Méthodes pour l’atelier
d’écriture,
Barthes, Roland
POL, 1994
2-86744-400-4
Fayard, 2000
2-213-60705-2
Sollers écrivain,
Bellos, David
Seuil, 1979
2-02-005187-7
Georges Perec.
Une Vie dans les mots,
La Folie Rabelais.
L’invention du Pantagruel,
Le Plaisir du texte,
Seuil, 1994
2-02-016868-5
Gallimard, 1984
2-07-070259-6
Seuil, 1973
2-02-006060-4
Bernabé, Jean
Gallimard, 1971
2-07-028044-6
L’Entretien infini,
Gallimard, 1969
2-07-026826-8
Bon, François
Minuit, 1990
2-7073-1350-5
Bonnefoy, Claude
Essais critiques,
Éloge de la créolité,
Panorama critique
de la littérature moderne,
Seuil, 1964
2-02-005809-X
Gallimard, 1993
2-07-073323-8
Belfond, 1981
2-7144-1355-2
112
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Borges, Jorge Luis
Butor, Michel
Chénetier, Marc
Fictions = Ficciones,
Répertoire. 5,
Gallimard, 1994
2-07-038904-9
Minuit, 1982
2-7073-0632-0
Boschetti, Anna
Répertoire. 4,
Au-delà du soupçon.
La nouvelle fiction
américaine
de 1960 à nos jours,
Sartre et « Les Temps
modernes ». Une
entreprise intellectuelle,
Minuit, 1974
2-7073-0009-8
Seuil, 1989
2-02-010558-6
Répertoire. 2,
Compagnon, Antoine
Minuit, 1985
2-7073-1051-4
Minuit, 1964
2-7073-0013-6
Boulanger, Pascal
Répertoire. 1,
Le démon de la théorie.
Littérature
et sens commun,
Une action poétique
de 1950 à aujourd’hui,
Minuit, 1960
2-7073-0398-4
Seuil, 1998
2-02-022506-9
Flammarion, 1998
2-08-067256-8
Calvino, Italo
Crépu, Michel
Leçons américaines.
Aide-mémoire pour
le prochain millénaire,
La Confusion des lettres,
Seuil, 2001
2-02-041342-6
Debray, Régis
Bourdieu, Pierre
Les Règles de l’art.
Genèse et structure
du champ littéraire,
Seuil, 1992
2-02-018159-2
Camus, Renaud
Questions de sociologie,
Minuit, 1980
2-7073-0325-9
Hachette Littératures,
1980
2-01-007305-3
Brunetiere, Ferdinand
Catonné, Jean-Marc
L’Évolution des genres
dans l’histoire
de la littérature.
Introduction :
évolution de la critique
depuis la Renaissance
jusqu’à nos jours,
Pocket, 2000
2-266-08195-0
Buena vista park,
Le Pouvoir
intellectuel en France,
Gallimard, 1986
2-07-032369-2
Deguy, Michel
Le Comité. Confession
d’un lecteur de grande
Romain Gary, Émile Ajar, maison,
Belfond, 1990
2-7144-2561-5
Champ Vallon, 1988
2-87673-011-1
Cayrol, Jean
Choses de la poésie
et affaire culturelle,
Nuit et Brouillard,
Fayard, 1997
2-213-59701-4
Chaillou, Michel
Georges Perec,
La Petite Vertu.
Huit années de prose
courante sous la Régence
Seuil, 2002
2-02-053650-1
Seuil, 1990
2-02-011464-X
Parties de dominos: Perec
chez Monsieur Lefèvre,
L’Hexaméron.
Il y a prose et prose
Circé, 1996
2-84242-001-2
Seuil, 1990
2-02-011540-9
Burgelin, Claude
Grasset, 1999
2-246-58731-X
Hachette Littératures,
1986
Delay, Florence
Petites Formes en prose
après Edison,
Fayard, 2001
2-213-61099-1
La Séduction brève,
Gallimard, 1997
2-07-074829-4
Jean-Pierre Salgas •
113
Bibliographie
Deleuze, Gilles
Philippe Sollers,
Seuils,
L’Île déserte et autres
textes ( 1953-1974 ),
Paradoxe,
Seuil, 1992
2-02-017336-0
Seuil, 1987
2-02-009525-4
Foucault, Michel
Gleize, Jean-Marie
Minuit, 2002
2-7073-1761-6
Dits et Écrits. 1.
(1954-1969),
Altitude zéro. Poètes,
et cetera: costumes,
Dialogues,
Gallimard, 2001
2-07-076186-X
Java, 1997
2-909951-06-5
Frank, Bernard
A noir.
Poésie et littéralité,
Flammarion, 1996
2-08-081343-9
Critique et Clinique,
Minuit, 1993
2-7073-1453-6
Derrida, Jacques
La Dissémination,
Seuil, 1972
2-02-001958-2
Descombes, Vincent
Proust.
Philosophie du roman,
Minuit, 1987
2-7073-1145-6
Mon siècle. Chroniques
(1952-1960),
Julliard, 1996
2-260-01182-9
En soixantaine.
Chroniques (1961-1971),
Julliard, 1996
2-260-01183-7
Seuil, 1992
2-02-017375-1
Glissant, Édouard
Le Discours antillais,
Gallimard, 1997
2-07-074622-4
La Panoplie littéraire,
Introduction à une
poétique du divers,
Flammarion, 1989
2-08-064333-9
Gallimard, 1996
2-07-074649-6
Gary, Romain
Gracq, Julien
Le Même et l’Autre.
Quarante-cinq ans
de philosophie française
(1933-1978),
Pour Sganarelle,
Préférences,
Gallimard, 1965
2-07-022668-9
Corti, 1989
2-7143-0341-2
Genette, Gérard
Henric, Jacques
Minuit, 1979
2-7073-0255-4
Palimpsestes.
La littérature
au second degré,
Le Roman et le Sacré,
Seuil, 1982
2-02-006116-3
Hocquard, Emmanuel
Echenoz, Jean
Jérôme Lindon,
Minuit, 2001
2-7073-1774-8
Eco, Umberto
Mimologiques.
Voyage en Cratylie,
Apostille au
Nom de la rose,
Seuil, 1976
2-02-004405-6
LGF, 1987
2-253-04414-8
Figures 1,
Forest, Philippe
Histoire de « Tel quel ».
(1960-1982),
Seuil, 1995
2-02-017346-8
Seuil, 1966
2-02-001933-7
Figures 2,
Seuil, 1969
2-02-001947-7
Grasset, 1991
2-246-42841-6
Ma haie.
Un privé à Tanger 2,
POL, 2001
2-86744-829-8
Un Privé à Tanger,
POL, 1987
2-86744-093-9
Houellebecq, Michel
H. P. Lovecraft. Contre
le monde, contre la vie,
Rocher, 2000
2-268-03182-9
114
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Interventions,
Laroche, Hadrien
Flamarion, 1998
2-08-067-631-8
Huret, Jules
Le Dernier Genet.
Une histoire politique
des hommes infâmes,
Enquête sur l’évolution
littéraire,
Seuil, 1997
2-02-030348-5
Corti, 1999
2-7143-0706-X
Laurent, Jacques
Huston, Nancy
Fallois, 1999
2-87706-358-5
Tombeau
de Romain Gary,
Actes Sud, 1999
2-7427-2069-3
Kaufmann, Vincent
Guy Debord.
La révolution
au service de la poésie,
Fayard, 2001
2-213-61059-2
Poétique des groupes
littéraires, avantgardes 1920-1970,
PUF, 1997
2-13-048086-1
Kristeva, Julia
Les Samouraïs,
Gallimard, 1992
2-07-038472-1
Kundera, Milan
L’Esprit des lettres. 1,
Manchette,
Jean-Patrick
Chroniques,
Rivages, 1996
2-7436-0101-9
Mesnard, Philippe
Maurice Blanchot.
Le sujet de
l’engagement,
Lebrun, Jean-Claude
L’Harmattan, 1996
2-7384-4577-2
Jean Echenoz,
Michel, Natacha
Rocher, 1992
2-268-01396-0
L’Écrivain pensif,
Lejeune, Philippe
Verdier, 1998
2-86432-273-0
Michon, Pierre
La Mémoire et
l’Oblique. Georges Perec Trois Auteurs,
Verdier, 1997
autobiographe,
POL, 1991
2-86744-196-X
2-86432-263-3
Moi aussi,
Céline,
Seuil, 1986
2-02-009086-4
Gallimard, 2001
2-07-041356-X
Le Pacte
autobiographique,
Exorcismes spirituelles
Seuil, 1975
2-02-004293-2
Macherey, Pierre
Muray, Philippe
(2 vol.),
Les Belles Lettres,
1997, 1998
2-251-44108-5
2-251-44133-6
Les Testaments trahis,
Á quoi pense
la littérature?,
Gallimard, 2000
2-07-075871-0
PUF, 1990
2-13-043309-X
Le Roman français
depuis la guerre,
L’Art du roman,
Magné, Bernard
Gallimard, 1986
2-07-070815-2
Georges Perec,
Le Passeur, 1992
2-907913-12-3
Nadeau, Maurice
Nathan, 1999
2-09-191051-1
Nourissier, François
Larbaud, Valery
Sous l’invocation
de Saint Jérome,
Magny,
Claude-Edmonde
Gallimard, 2000
2-07-011658-1
Gallimard, 1946
2-07-023740-0
Histoire du roman
français depuis 1918,
Oster, Daniel
Seuil, 1971
Seuil, 1983
2-02-006611-4
Un siècle NRF
Passages de Zénon,
Jean-Pierre Salgas •
115
Bibliographie
Oulipo
Prigent, Christian
Ristat, Jean
Un art simple
et tout d’exécution
Salut les anciens:
lectures;
Salut les modernes:
sur ce qui apparaît,
Qui sont
les contemporains?
Recueil d’articles,
Circé, 2001
2-84242-103-5
Perec, Georges
L.G.Une aventure
des années soixante,
POL, 2000
2-86744-792-5
Gallimard, 1975
2-07-029332-7
Robbe-Grillet, Alain
Une erreur de la nature, Le Voyageur,
Seuil, 1992
2-02-019116-4
POL, 1996
2-86744-501-9
Bourgois, 2001
2-267-01604-4
Picon, Gaëtan
Ceux qui merdRent,
Panorama
de la nouvelle
littérature française,
POL, 1991
2-86744-251-6
Pour un nouveau
roman,
Gallimard, 1988
2-07-071403-9
Rochlitz, Rainer
Une gêne technique
à l’égard des fragments, L’Art au banc d’essai.
Fata Morgana, 1986
Esthétique et critique,
Pinto, Louis
Quignard, Pascal
Les Philosophes
entre le lycée
et l’avant-garde.
Les métamorphoses
de la philosophie
dans la France
d’aujourd’hui,
2-85194-022-8
L’Harmattan, 1987
2-85802-906-7
Ricardou, Jean
Minuit, 1963
2-7073-0062-4
Gallimard, 1998
2-07-074340-3
Le Nouveau Roman;
Les Raisons
de l’ensemble,
Rossi, Paul Louis
Seuil, 1990
2-02-012391-6
Minerve, 1996
2-86931-082-X
Richard, Jean-Pierre
Roubaud, Jacques
Pivot, Bernard
Essais de critique
buissonnière,
Le Métier de lire.
réponses à Pierre Nora,
Gallimard, 1999
2-07-075638-6
La Vieillesse
d’Alexandre. Essai
sur quelques états
du vers français récent,
Gallimard, 2001
2-07-041949-5
Terrains de lecture,
Prévost, Claude
Lebrun, Jean-Claude
Gallimard, 1996
2-07-074495-7
Vocabulaire de la
modernité littéraire,
Ivrea, 2000
2-85184-276-5
Poésie etcetera, ménage,
Nouveau Territoires
romanesques,
L’État des choses.
Études sur huit
écrivains d’aujourd’hui,
Stock, 1995
2-234-04473-1
Messidor, 1990
2-209-06267-5
Gallimard, 1990
2-07-071913-8
La Bataille de cent ans.
Histoire de la
psychanalyse en France,
Rinaldi, Angelo
Service de presse,
Plon, 1999
2-259-18952-0
Roudinesco, Élisabeth
Seuil, 1986
2-02-009404-5
116
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Said, Edward W.
Simonin, Anne
6-13 juillet 1996
Culture
et Impérialisme,
Les Éditions de Minuit,
Lettres modernesMinard, 1999
2-256-90986-7
Fayard, 2000
2-213-60791-5
IMEC, 1994
2-908295-20-2
Sollers, Philippe
Sarraute, Nathalie
Éloge de l’infini,
Paul Valéry et l’Enfant
d’éléphant;
Flaubert le précurseur,
Gallimard, 2001
2-07-076976-3
Gallimard, 1986
2-07-070606-0
Vision à New York.
Entretiens avec
David Hayman,
L’Ère du soupçon.
Essais sur le roman
Gallimard, 1998
2-07-040510-9
Gallimard, 1964
2-07-035042-8
La Guerre du goût,
Sartre, Jean-Paul
Gallimard, 1994
2-07-073902-3
Situations. 1,
Improvisations,
Gallimard, 1947
2-07-025762-2
Gallimard, 1991
2-07-032634-9
Scarpetta, Guy
Théorie des exceptions,
Pour le plaisir,
Gallimard, 1985
2-07-032338-2
Gallimard, 1998
2-07-075296-8
Stéfan, Jude
L’Âge d’or du roman,
Dialogue des figures,
Grasset, 1996
2-246-51161-5
Champ Vallon, 1988
2-87673-008-1
L’Artifice,
Verny, Françoise
Grasset, 1989
2-246-40581-5
Le Plus Beau Métier
du monde,
L’Impureté,
Orban, 1990
2-85565-579-X
Grasset, 1985
2-246-34801-3
Schiffrin, André
L’Édition sans éditeur,
La Fabrique, 1999
2-913372-02-3
Simon, Claude
Discours de Stockholm,
Minuit, 1986
2-7073-1073-5
Viart, Dominique
( sous la dir. de )
Écritures
contemporaines. 2,
États du roman
contemporain: actes
du colloque de Calaceite
Fondation Noesis,
Jean-Pierre Salgas •
117
Bibliographie
revues
Actes de la recherche
en sciences sociales
«Littérature
et politique»,
n°111-112, 1996
«Édition, éditeurs»,
n°126-127, 1999
Art-press
«Que peut
le roman ?»,
hors série n°5,
1985-1986
Le Débat
«Questions
à la littérature»,
n°54, 1989
Digraphe
«Existe-t-il
aujourd’hui
des écrivains trop
connus?»,
Mercure de France,
n° 39-40, 1987
L’Infini
«Où en est
la littérature?»,
n°19, 1987
«Génération 89»,
n°26, 1989
«Contretemps»,
n°46, 1994
«De Tel Quel
à L’infini»,
n°49-50, 1995
«Écrivains non
programmables»,
n°52, 1995
Le Magazine littéraire
«Sartre», n°5,
«Robbe-Grillet », n°7,
«Aragon », n°10,
«Malraux », n°112,
«La relève des avantgardes », n°39,
«La nouvelle poésie
française », n°396,
«L’Oulipo », n°398
La Nouvelle
Revue française
«Avenir de la fiction »,
n°561, 2002
Po&sie
«L’extrême
contemporain »,
Belin,
n° 41, 1987
La Quinzaine
littéraire
«Où va la littérature
française ?»,
n°532, 1989
«Où va la littérature
française ?»,
n°711-712, 1997
Revue de littérature
générale 1,
POL, 1995
ouvrages
généraux
Bersani Jacques,
Autrand Michel,
Lecarme Jacques,
Vercier Bruno
La Littérature en
France de 1945 à
1968,
Bordas,1984
2-04-015251-2
Bonnefoy Claude,
Cartand Tony, Oster
Daniel
Dictionnaire
de littérature française
contemporaine,
Éd. Universitaires,
1977
2-7113-0077-3
Brenner Jacques
Histoire de la littérature
française de 1940 à
aujourd’hui,
Fayard, 1978
2-213-00673-3
Le Débat
Les Idées en France
1945-1988, une chronologie,
Gallimard,1989
2-07-032535-0
Fouché Pascal
L’Édition depuis 1945,
Éd. du Cercle de la
librairie, 1998
2-7654-0708-8
Garcin Jérôme
Le Dictionnaire,
François BourinJulliard, 1989
2-87686-021-X
118
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Hollier Denis, Rigolot
François
prose
Les Fiancés du paradis,
De la littérature
française,
Alferi, Pierre
Gallimard, 1995
2-07-074173-7
Bordas, 1993
2-04-018597-6
Le Cinéma des familles, Barthes, Roland
POL, 1999
Roland Barthes
2-86744-713-5
Angot, Christine
Seuil, 1995
2-02-026092-1
Quitter la ville,
La Chambre claire,
Stock, 2000
2-234-05295-5
Gallimard, 1989
2-07-020541-X
L’Inceste
Bataille, Georges
Stock, 1999
2-234-05148-7
Histoire de l’œil,
Aragon, Louis
Gallimard, 1993
2-07-072850-1
La Défense de l’infini:
Le Bleu du ciel,
fragments; Les Aventures Gallimard, 1991
2-07-072328-3
de Jean-Foutre la Bite,
Gallimard, 1986
Madame Edwarda,
2-07-070793-8
Théâtre/Roman,
Gallimard, 1974
2-07-029036-0
Blanche ou l’Oubli,
Gallimard, 1967
2-07-020231-3
Artaud, Antonin
Van Gogh ou le Suicidé
de la société ; Pour en
finir avec le jugement
de Dieu; Le Théâtre de
la cruauté,
Gallimard, 1974
2-07-028925-7
Pauvert, 1985
2-7202-0180-4
Beauvoir, Simone de
La Cérémonie
des adieux; Entretiens
avec Jean-Paul Sartre,
août-septembre 1974
Gallimard, 1981
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Beckett, Samuel
Compagnie,
Minuit, 1980
2-7073-0296-1
Le Dépeupleur,
Audiberti, Jacques
Minuit, 1970
2-7073-0288-0
Dimanche m’attend,
Mercier et Camier,
Gallimard, 1965
2-07-020356-5
Minuit, 1970
2-7073-0333-X
Bartelt, Franz
Comment c’est,
Simple,
Minuit, 1961
2-7073-0019-5
Mercure de France,
1999
2-7152-2161-4
Jean-Pierre Salgas •
119
Bibliographie
Belletto, René
Bouvier, Nicolas
Calet, Henri
Sur la terre
comme au ciel,
Le Poisson-Scorpion,
Le Tout sur le tout,
Gallimard, 1996
2-07-039495-6
Gallimard, 1980
2-07-022152-0
L’Usage du monde,
Calle, Sophie
Double Jeu,
Benoziglio, Jean-Luc
La découverte, 1985
2-7071-1563-0
La Boîte noire,
Bove, Emmanuel
Actes Sud, 2000
2-7427-1863-X
Seuil, 1992
2-02-016485-X
Œuvres,
Camus, Renaud
Hachette Littératures,
1982
2-01-008949-9
Flammarion, 1999
Bernheim, Emmanuèle 2-08-067694-6
Braudeau, Michel
Sa femme,
Gallimard, 1993
Fantôme d’une puce,
2-07-073588-5
Seuil, 1982
2-02-006245-3
Un couple,
Voyageur en automne,
Gallimard, 1988
2-07-071257-5
Butor, Michel
Roman Furieux,
Degrés,
Bessette, Hélène
Gallimard, 1978
2-07-029734-9
POL, 1987
2-86744-076-9
Les Petites Lilshard,
Gallimard, 1967
Bon, François
Sortie d’usine,
Mobile,
Gallimard, 1962
2-07-021097-9
POL, 1992
2-86744-302-4
Tricks,
POL, 1988
2-86744-133-1
Roman Roi,
POL, 1983
2-86744-005-X
Cadiot, Olivier
Journal d’un voyage
en France,
L’Aveu différé,
Retour définitif
et durable
de l’être aimé,
Hachette Littératures,
1981
2-01-006781-9
Gallimard, 1997
2-07-074737-9
POL, 2002
2-86744-728-3
Cariès, François
L’Adoration,
Le Colonel des zouaves,
Gallimard, 1965
2-07-010070-7
POL, 1997
2-86744-550-7
Impr. nationale,
1989
2-11-081025-4
Bory, Jean-François
Futur, ancien, fugitif,
L’Auteur,
une autobiographie,
POL, 1993
2-86744-305-9
Éd. de l’Olivier, 2001
2-87929-283-2
Calaferte, Louis
Minuit, 1982
2-7073-0630-4
Borel, Jacques
Un auteur sous
influence,
Flammarion, 1986
2-08-064957-4
L’Entrée des dieux,
Aux pieds
du vent du nord,
Gallimard, 1982
2-07-022516-X
La Mécanique
des femmes,
Carrère, Emmanuel
Gallimard, 1992
2-07-072642-8
Flammarion, 1983
2-08-064549-8
Septentrion,
Gallimard, 1990
2-07-038227-3
L’Amie du jaguar,
120
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Cayrol, Jean
Constant, Paule
Detrez, Conrad
Il était une fois
Jean Cayrol,
White spirit,
La Mélancolie
du voyeur,
Seuil, 1982
2-02-006046-9
L’Homme
dans le rétroviseur,
Seuil, 1981
2-02-005724-7
Céline,
Louis-Ferdinand
Rigodon,
Gallimard, 1969
2-07-026888-8
Ceton, Jean-Pierre
La Suive,
Impr. nationale, 1989
2-11-081016-5
Chaillou, Michel
Jonathamour
Gallimard, 1991
2-07-038344-X
Le Sentiment
géographique,
Gallimard, 1989
2-07-071438-1
Dantec, Maurice G.
Les Racines du mal,
Gallimard, 1995
2-07-049495-0
Debord, Guy
Panégyrique. 1,
Gallimard, 1993
2-07-073403-X
Delay, Florence
Le Aie aie
de la corne de brume,
Gallimard, 1984
2-07-037554-4
Denoël, 1986
2-207-23282-4
Domecq,
Jean-Philippe
Robespierre
derniers temps,
Seuil, 1984
2-02-006681-5
Dupré, Guy
Comme un adieu dans
une langue oubliée,
Grasset, 2001
2-246-40011-2
L’Insuccès de la fête,
Les Manœuvres
d’automne,
Gallimard, 1980
2-07-020233-X
Rocher, 1997
2-268-02578-0
Minuit sur les jeux,
Duras, Marguerite
Gallimard, 1973
2-07-028489-1
Le Ravissement
de Lol V. Stein,
Delbo, Charlotte
Gallimard, 1988
2-07-022102-4
Gallimard, 1976
2-07-029399-8
Le Convoi du 24
février,
Collège Vaserman,
Minuit, 1995
2-7073-0217-1
Minuit, 1984
2-7073-0695-9
Gallimard, 1970
2-07-026895-0
L’Amant,
Denis, Ariel
Détruire dit-elle,
Chamoiseau, Patrick
Une découverte,
Texaco,
Gallimard, 1989
2-07-071427-6
Minuit, 1969
2-7073-0136-1
Gallimard, 1992
2-07-072750-5
Dustan, Guillaume
Un anniversaire,
Je sors ce soir,
Biblique
des derniers gestes,
Gallimard, 1986
2-07-070839-X
POL, 1997
2-86744-579-5
Gallimard, 2002
2-07-075019-5
des Forêts, Louis-René
Dans ma chambre,
La Chambre
des enfants,
POL, 1996
2-86744-525-6
Cohen, Albert
Belle du Seigneur,
Gallimard, 1987
2-07-026917-5
Gallimard, 1983
2-07-026554-4
Jean-Pierre Salgas •
121
Bibliographie
Duvert, Tony
Gaillard, Yann
Genet, Jean
Un anneau
d’argent à l’oreille,
Choix des morts
illustres,
Un captif amoureux,
Minuit, 1982
2-7073-0606-1
10/18, 1987
2-264-01092-4
Duyckaerts, Éric
Gailly, Christian
Le Chemin de fer,
Hegel ou la Vie en rose,
K. 622,
Gallimard, 1992
2-07-072575-8
Minuit, 1995
2-7073-1299-1
Gallimard, 1998
2-07-075242-9
Echenoz, Jean
Les Fleurs,
Nous trois,
Minuit, 1993
2-7073-1468-4
L’Ordinaire
Mésaventure d’Archibald
de Rapoport,
Gary, Romain
Julliard, 1977
2-260-00091-6
Minuit, 1992
2-7073-1428-5
Lac,
Europa,
Minuit, 1989
2-7073-1304-1
Gallimard, 1999
2-07-041096-X
L’Équipée malaise,
Vie et mort
d’Émile Ajar,
Minuit, 1986
2-7073-1111-1
Cherokee,
Minuit, 1983
2-7073-0653-3
Le Méridien
de Greenwich,
Gallimard, 1994
2-07-026351-7
Les Cerfs-Volants,
Gallimard, 1980
2-07-021196-7
Minuit, 1979
2-07-029580-X
Au-delà de cette limite
votre ticket
n’est plus valable,
Elléouët, Yves
Gallimard, 1975
2-07-029305-X
Falc’hun,
Gallimard, 1976
2-07-070048-8
Ernaux, Annie
La Place,
Gallimard, 1989
2-07-070048-8
La Tête coupable,
Gallimard, 1968
2-07-027020-3
La Danse
de Gengis Cohn,
Gallimard, 1986
2-07-070673-7
Gilbert, Dominique
Goldman, Pierre
Souvenirs obscurs
d’un juif polonais né
en France,
Seuil, 1975
Gracq, Julien
La Forme d’une ville,
Corti, 1990
2-7143-0302-1
Grangaud, Michelle
Souvenirs
de ma vie collective,
POL, 2000
2-86744-755-0
État civil: inventaires,
POL, 1998
2-86744-599-X
Stations,
POL, 1990
Mémento fragment.
Anagrammes,
Frank, Bernard
Gallimard, 1967
2-07-022670-0
Romans et Essais,
Gavarry, Gérard
POL, 1987
2-86744-090-4
Flammarion, 1999
2-08-067840-X
Jojo,
Grimbert, Sibylle
POL, 1993
2-86744-379-2
Le Centre de gravité,
Stock, 2002
2-234-05470-2
122
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Birth days,
Hocquard, Emmanuel
Les Orpailleurs,
Stock, 2000
2-234-05260-2
Aerea dans les forêts
de Manhattan,
Gallimard, 1998
2-07-040638-5
Guérin, Raymond
POL, 1984
Jouve, Pierre Jean
2-86744-034-3
Les Poulpes,
Tout sur le tout, 1983 Houellebecq, Michel
2-86522-013-3
Plateforme.
Parmi tant
Au milieu du monde,
Flammarion, 2001
d’autres feux...,
Vagadu,
Gallimard, 1983
2-07-025438-0
2-08-068237-7
Le Pont de Brooklyn,
L’Apprenti,
Lanzarote.
Au milieu du monde,
POL, 1987
2-86744-077-7
Gallimard, 1946
Guibert, Hervé
Flammarion, 2000
2-08-067927-9
Klossowski, Pierre
Mercure de France,
1963
2-7152-0058-7
Kaplan, Leslie
Les Lois de l’hospitalité,
À l’ami qui
Les Particules
ne m’a pas sauvé la vie, élémentaires,
Gallimard, 1995
2-07-074209-1
Gallimard, 1990
2-07-071890-5
Flammarion, 1998
2-08-067472-2
Laporte, Roger
Mes parents,
Extension du domaine
de la lutte,
POL, 1986
2-86744-050-5
M. Nadeau, 1994
2-86231-124-3
Laurrent, Eric
Guyotat, Pierre
Progénitures,
Jauffret, Régis
Gallimard, 2000
2-07-075823-0
Promenade,
Minuit, 1996
2-7073-1573-7
Verticales, 2001
2-84335-100-6
Le Clézio,
Jean-Marie Gustave
Gallimard, 1986
2-07-070657-5
Tombeau pour
cinq cent mille soldats,
Une vie,
Les Atomiques,
Autobiographie,
Les Géants,
Gallimard, 1987
2-07-020722-6
Verticales, 2000
2-84335-051-4
Gallimard, 1997
2-07-074769-7
Éden, éden, éden,
Fragments
de la vie des gens,
Le Livre des fuites,
Gallimard, 1970
2-07-027065-3
Henric, Jacques
Verticales, 2000
2-84335-052-2
Chasses,
Clémence Picot,
Seuil,
2-02-001972-8
Verticales, 1999
2-84335-034-4
Herbart, Pierre
Jonquet, Thierry
La Ligne de force,
Rouge c’est la vie,
Gallimard, 1980
2-07-037228-6
Seuil, 1998
2-02-037445-5
Gallimard, 1989
2-07-071820-4
La Guerre,
Gallimard, 1971
2-07-027155-2
Le Déluge,
Gallimard, 1966
2-07-023823-7
Jean-Pierre Salgas •
123
Bibliographie
Léautaud, Paul
Simulation,
Vie de Joseph Roulin,
Journal particulier :
1933,
Impr. nationale, 1990
2-11-081058-0
Verdier, 1990
2-86432-066-5
Mercure de France,
1985
2-7152-1386-7
Phanées, les nuées,
Maîtres et Serviteurs,
POL, 1981
2-01-008399-7
Verdier, 1990
2-86432-110-6
Leduc, Violette
Malraux, André
Les Vies minuscules,
La Chasse à l’amour,
Antimémoires,
Gallimard, 1973
2-07-010800-7
Gallimard, 1970
2-07-010616-0
Gallimard, 1984
2-07-070038-0
La bâtarde,
Manchette,
Jean-Patrick
La Vie sexuelle
de Catherine M.,
La Position
du tireur couché,
Seuil, 2001
2-02-038112-5
Gallimard, 1998
2-07-040640-7
Modiano, Patrick
Le Petit Bleu
de la côte Ouest.
Trois hommes
à abattre,
Gallimard, 1999
2-07-075493-6
Gallimard, 1964
2-07-074535-X
Leiris, Michel
Langage, tangage ou
Ce que les mots me
disent,
Gallimard, 1995
2-07-074211-3
Le Ruban
au cou d’Olympia,
Gallimard, 1987
2-07-026361-4
Fibrilles,
Gallimard, 1966
2-07-023875-X
Gallimard, 1998
2-07-040657-1
Fatale,
Gallimard, 1996
2-07-074536-8
Mémoire, Danielle
Linhart, Robert
Trois Capitaines,
L’Établi,
POL, 1987
2-86744-098-X
Minuit, 1981
2-7073-0329-1
Lucot, Hubert
Probablement,
Des inconnues,
Dora Bruder,
Gallimard, 1997
2-07-074898-7
Livret de famille,
Gallimard, 1981
2-07-037293-6
Rue des boutiques
obscures,
Gallimard, 1978
2-07-028383-6
Dans la tour,
Les Boulevards
de ceinture,
POL, 1984
2-86744-015-7
Gallimard, 1972
2-07-028340-2
POL, 1999
2-86744-670-8
Michel, Natacha
Les Voleurs d’orgasme,
Gallimard, 1980
2-07-022871-1
POL, 1998
2-86744-607-4
Millet, Catherine
La Place de l’Étoile,
Le Repos de Penthésilée, Gallimard, 1968
Michon, Pierre
Sur le motif,
Rimbaud le fils,
POL, 1995
2-86744-457-8
Gallimard, 1991
2-07-071740-2
2-07-027213-3
Montherlant,
Henry de
Un assassin
est mon maître,
Gallimard, 1971
2-07-027783-6
124
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Morand, Paul
Apocalypses,
La Disparition,
Venises,
POL, 1999
2-86744-684-8
Gallimard, 1989
2-07-071523-X
La Gloire,
W ou le Souvenir
d’enfance,
Gallimard, 1987
2-07-024559-4
Mréjen, Valérie
L’Agrume,
POL, 1997
2-86744-544-2
Denoël, 1983
2-207-23491-6
Allia, 2001
2-84485-071-5
Stéphane,
Mon grand-père,
Allia, 1999
2-84485-009-X
Dans l’intervalle,
Quel petit vélo
à guidon chromé au
fond de la cour?,
POL, 1987
2-86744-084-X
Gallimard, 1982
2-07-037413-0
L’Iconoclaste.
La querelle des Images,
Byzance, 726-843
Pachet, Pierre
Pieyre de
Mandiargues, André
Quai Voltaire, 1989
2-87653-034-1
Autrement, 1994
2-86260-491-7
Gallimard, 1987
2-07-070946-9
Navarre, Yves
De quoi j’ai peur,
La Marge,
Biographie,
Gallimard, 1979
2-07-028617-7
Gallimard, 1981
2-07-037294-4
Nadaud, Alain
Flammarion, 1981
2-08-064384-3
POL, 1991
2-86744-205-2
Autobiographie
de mon père,
Tout disparaîtra,
Perec, Georges
Pinget, Robert
Noguez, Dominique
La Vie mode d’emploi,
Mahu ou le Matériau,
Les Trois Rimbaud,
Hachette Littératures,
2000
2-01-235557-9
2-01-005490-3
(éd. précédente)
Minuit, 1997
2-7073-0488-3
Je me souviens,
Monsieur Songe,
Hachette Littératures,
1998
2-01-235456-4
Minuit, 1982
2-7073-0612-6
Les Choses,
Minuit, 1980
2-7073-0322-4
Minuit, 1991
2-7073-1078-6
Lénine Dada,
Robert Laffont, 1989
2-221-05938-7
Nourissier, François
À défaut de génie,
Gallimard, 2000
2-07-075856-7
Ollier, Claude
Été indien,
Flammarion, 1981
2-08-064362-2
Oster, Daniel
Rangements,
POL, 2001
2-86744-723-2
Julliard, 1997
2-260-01471-2
Cette voix,
Minuit, 1991
2-7073-0047-0
L’Apocryphe,
Pirotte, Jean-Claude
Récits d’Ellis Island.
Histoires d’errance
et d’espoir,
La Pluie à Rethel,
POL, 1994
2-86744-430-6
Fond de cale,
Un homme qui dort,
Gallimard, 1990
2-07-038288-5
Table ronde, 2002
2-7103-2472-5
Le Temps qu’il fait,
1991
2-86853-111-3
Jean-Pierre Salgas •
125
Bibliographie
Pouy, Jean-Bernard
Reverzy, Jean
Rolin, Dominique
Nous avons brûlé
une sainte,
Œuvres,
Trente Ans
d’amour fou,
Gallimard, 2001
2-07-041963-0
Queneau, Raymond
Le Vol d’Icare,
Gallimard, 1994
2-07-038918-9
Les Fleurs bleues,
Gallimard, 1978
2-07-037000-3
Flamarion, 1977
2-08-064010-0
Ristat, Jean
Gallimard, 1988
2-07-071298-2
Le Fil(s) perdu;
Le Lit de Nicolas
Boileau
et de Jules Verne ,
Rolin, Olivier
Gallimard, 1974
2-07-029001-8
Rouaud, Jean
Robbe-Grillet, Alain
Minuit, 1990
2-7073-1565-6
Phénomène futur,
Seuil, 1983
2-02-006546-0
Les Champs d’honneur,
Quignard, Pascal
Romanesques (3 vol. ),
Carus,
Minuit,
1985, 1988, 1994
Roubaud, Jacques
Albucius,
La Maison
de rendez-vous,
Seuil, 1997
2-02-030683-2
POL, 1990
2-86744-190-0
Minuit, 1980
2-7073-0315-1
La Boucle,
Les Tablettes de buis
d’Apronenia Avitia,
Projet pour une
révolution à New York,
Gallimard, 1989
2-07-071520-5
Minuit, 1970
2-7073-0351-8
Quintane, Nathalie
Roche, Denis
Le Grand Incendie
de Londres. Récits, avec
incises et bifurcations,
(1985-1987),
Chaussure,
La Disparition
des lucioles,
Seuil, 1989
2-02-010472-5
Éd. de l’Étoile, 1982
Sarraute, Nathalie
Les Fruits d’or,
Nevermore,
Dépôts de savoir
et de technique,
POL, 1994
2-86744-423-3
Seuil, 1980
2-02-005430-2
Candy story,
Roche, Maurice
POL, 1992
2-86744-306-7
Compact,
Gallimard, 1990
2-07-038301-6
POL, 1997
2-86744-562-0
Redonnet, Marie
Tristram, 1997
2-907681-10-9
Mathématique. Récit,
Seuil, 1993
2-02-019119-9
Gallimard, 1988
2-07-025751-7
Enfance,
Gallimard, 1983
2-07-025979-X
L’Usage de la parole,
Gallimard, 1990
2-07-072072-1
Roger, Alain
Gallimard, 1980
2-07-020619-X
Le Misogyne,
Vous les entendez,
Reumaux, Patrick
Denoël, 1976
2-207-28214-7
Gallimard, 1976
2-07-036839-4
Silsie,
Jeanne aux chiens,
Gallimard, 1982
2-07-020028-0
126
Bibliographie • Jean-Pierre Salgas
Sartre, Jean-Paul
Schiff, Daniel
L’Invitation,
Les Mots,
La Ligne de Sceaux,
Gallimard, 1987
2-07-025773-8
Minuit, 1983
2-7073-0636-3
Minuit, 1988
2-7073-1155-3
Les Carnets de la drôle
de guerre: novembre
1939- mars 1940,
Schuhl, Jean-Jacques
Gallimard, 1983
2-07-025778-9
Ingrid Caven,
Gallimard, 2000
2-07-075948-2
Télex n° 1,
Les Géorgiques,
Minuit, 1981
2-7073-0520-0
Triptyque,
Minuit, 1973
2-7073-0085-3
L’Idiot de la famille.
Gustave Flaubert
de 1821 à 1857. t.I,
Gallimard, 1976
2-07-029505-2
Rose poussière,
Minuit, 1971
2-7073-0355-0
Gallimard,
2-07-071190-0
Gallimard, 1972
2-07-028187-6
La Bataille de
Pharsale,
L’Idiot de la famille.
Gustave Flaubert
de 1821 à 1857. t.II,
Seignolle, Claude
Minuit, 1969
2-7073-0354-2
Gallimard,
2-07-071191-9
Zulma, 1998
2-84304-050-7
Minuit, 1960
2-7073-0078-0
L’Idiot de la famille.
Gustave Flaubert
de 1821 à 1857. t.III,
Shéhadé, Georges
Siniac, Pierre
L’Écolier sultan, suivi
de Rodogune Sinne,
Bazar bizarre,
Gallimard
2-07-071189-7
Gallimard, 1973
2-07-028473-5
Savitzkaya, Eugène
Silent, Arthur
Un jeune
homme trop gros,
Mémoires minuscules,
Minuit, 1978
Schefer, Jean-Louis
Main courante. 3,
POL, 2001
2-86744-811-5
Main courante. 2,
Sexie ou l’Éloge
de la nymphomanie,
Femmes blafardes,
Rivages, 1997
2-7436-0203-1
Simenon, Georges
Gallimard, 2001
2-07-075743-9
La Fuite de
Monsieur Monde,
LGF, 2000
2-253-14283-2
Origine du crime,
Minuit, 1997
2-7073-1609-1
POL, 1998
2-86744-647-3
Baleine, 1998
2-84219-154-4
Sollers, Philippe
Simon, Claude
Main courante. 1,
La Route des Flandres,
Flammarion, 1984
2-08-064627-3
POL, 1999
2-86744-722-4
POL, 1998
2-86744-648-1
Les Corps conducteurs,
Le Jardin des Plantes,
L’Acacia,
Minuit, 1989
2-7073-1296-7
H,
Paradis,
Seuil, 2001
2-02-049996-7
2-02-023056-9
(éd. précédente)
Le Lys d’or,
Gallimard, 1989
2-07-071555-8
Femmes,
Gallimard, 1983
2-07-024881-X
Jean-Pierre Salgas •
127
Bibliographie
Nombres,
Thomas, Henri
Le Port intérieur,
Seuil, 1966
2-02-001943-4
Le Poison des images,
Minuit, 1996
2-7073-1548-6
Sonkin, François
Un homme singulier
et ordinaire,
Le Temps qu’il fait,
1993
2-86853-166-0
Lisbonne,
dernière marge,
Le Cinéma
dans la grange,
Minuit, 1990
2-7073-1339-4
Weyergans, François
Denoël, 1967
Le Temps qu’il fait,
1991
2-86853-145-8
Admirable,
Une saison volée,
Denoël, 1965
Sportes, Morgan
Gallimard, 1986
2-07-070714-8
Siam,
Tournier, Michel
Gallimard, 1973
2-07-028832-3
Seuil, 1982
2-02-006079-5
Le Roi des aulnes,
Wittig, Monique
Le Corps lesbien,
Stéfan, Jude
Gallimard, 1996
2-07-027397-0
Faux Journal,
Les Météores,
Le Temps qu’il fait,
1986
2-86853-027-3
Gallimard, 1975
2-07-029207-X
Zagdanski, Stéphane
Tardieu, Jean
Vendredi ou les Limbes
du Pacifique,
Pauvert, 2000
2-7202-1386-1
On vient chercher
monsieur Jean,
Gallimard, 1967
2-07-026312-6
Les Intérêts du temps,
Gallimard, 1990
2-07-071830-1
Toussaint,
Jean-Philippe
Tarkos, Christophe
La Salle de bain,
Anachronisme,
Minuit, 1985
2-7073-1028-X
Gallimard, 1990
2-07-071834-4
Le Mief,
POL, 2001
2-86744-790-9
Vailland, Roger
Teboul, Jacques
Écrits intimes,
Vermeer,
Gallimard, 1968
Seuil, 1977
2-02-004715-2
La Truite,
Thevenon, Patrick
La Fête,
L’Artefact,
Gallimard, 1960
Volodine, Antoine
Calmann-Lévy, 1977
2-7021-0217-4
Gallimard, 1964
Le Post-Exotisme
en dix leçons,
leçon onze,
Gallimard, 1998
2-07-075248-8
Franz et François,
Grasset, 1997
2-246-47281-4
Le Pitre,
Minuit, 1973
2-7073-0097-7
Pauvre de Gaulle !,
Gallimard, 1996
2-07-074286-5
Le roman français contemporain
écrire
avec le soupçon
- enjeux
du roman
contemporain Dominique Viart
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
L’artisanat, le commerce et l’écriture
La différence contemporaine
Épreuves de la subjectivité
Présences de l’altérité
Suspicion des savoirs
Approches du réel
Pratiques de la littérature
Un roman paradoxal
131
Né en 1958 dans la région parisienne, Dominique Viart est professeur de littérature française à l’université de Lille. Son premier
essai, L’Écriture seconde, pratique poétique de Jacques
Dupin, paraît en 1982 aux éditions Galilée. Il est suivi de travaux
et de directions d’ouvrages sur le roman et la poésie du XXe siècle
(La Littérature contemporaine. questions et perspectives,
PU de Leuven, 1993 ; L’Injonction silencieuse, La Table ronde,
1995 ; Jules Romains et les écritures de la simultanéité, PU
de Lille, 1996). Spécialiste de l’œuvre de Claude Simon, auquel
il a consacré un livre ( Une mémoire inquiète, PUF, 1997 ), et
codirecteur de La Revue des sciences humaines, il participe
en outre aux comités de rédaction des revues Beckett Today
(Amsterdam/Atlanta), Sites, the journal of 20th-century
contemporary french studies (USA) et Roman 20-50 (Lille).
Depuis une dizaine d’années, Dominique Viart compte au nombre de
ceux qui ont ouvert l’Université française à la littérature immédiatement contemporaine. En témoignent la collection Perspectives 20e,
qu’il dirige aux Presses universitaires du Septentrion et la série
Écritures contemporaines, qu’il a créée aux éditions Minard/
Lettres modernes. Derniers ouvrages parus: Le Roman français au
XXe siècle (Hachette, 1999) et «Paradoxes du biographique»,
Revue des sciences humaines, n° 263, 2001. Il prépare présentement un essai sur les «Fictions critiques» dans la littérature actuelle.
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
133
Près de quatre cents romans paraissent à chaque rentrée littéraire,
en septembre. Auxquels il faut ajouter ceux dont la publication
intervient au fil de l’année. C’est dire, au moins quantitativement, et même s’il faut faire la part d’un système éditorial qui
trouve son bénéfice économique dans la multiplication des
titres et des « offices » de librairies, l’extrême vitalité d’un genre
que l’on aurait pu croire menacé par le succès de l’audiovisuel ou
des échanges sur Internet. Mais qu’en est-il de la qualité et de
l’intérêt de ces livres? Quelques critiques (Jean-Marie Domenach,
Henri Raczymow…) se sont élevés ces dernières années pour
déplorer que la littérature française n’avait plus rien à dire, qu’elle
avait perdu sa valeur et sa vigueur. On peut certes regretter l’indigence de quantité de textes publiés comme « romans ».
Nombre d’entre eux tiennent du produit périssable – et la
« dure loi du marché » ne se prive pas de le leur rappeler. Mais
dans le flot tout n’est pas à rejeter. Et l’on est en droit de se
demander si de tels propos ne révèlent pas une relative méconnaissance du fait littéraire contemporain (du reste parfois reconnue par
ceux-là mêmes qui les tiennent ). Car la littérature évolue : elle ne
se donne pas aujourd’hui les mêmes enjeux qu’autrefois. Elle
réforme ses pratiques et ses usages, tente d’autres approches des
objets qui la sollicitent. On ne saurait dès lors l’évaluer selon les
canons constitués au regard des pratiques antérieures – ce que
font trop souvent ces critiques.
134
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
Il est manifeste que le début des années quatre-vingt a
connu une sorte d’aggiornamento esthétique qui remit en question une certaine conception de l’acte littéraire, lui-même élaboré sur une critique radicale des conceptions précédentes. C’est
à partir de cette mutation que l’on peut envisager le roman
contemporain dans ses spécificités. Une difficulté doit cependant
être prise en considération : la quantité de romans publiés défie
toute analyse exhaustive. Nul ne peut se prévaloir de les avoir
tous lus. Il faut tenter une approche discriminante. Elle reposera
sur une question préalable: celle des enjeux que l’œuvre se donne
à elle-même et dont elle témoigne. Une œuvre en effet n’existe
pas sans un enjeu qui la motive. Or cet enjeu, profondément lié à
l’idée que l’écrivain se fait de sa pratique d’écrivain, confère à
l’œuvre une place dans le grand concert plus ou moins discordant
des activités sociales, idéologiques et culturelles. Il est tout à la fois
le signe de son ambition et le critère de son exigence.
L’artisanat, le commerce et l’écriture
littératures consentantes
On peut ainsi aisément distinguer, dans le vaste spectre
des livres publiés, une littérature consentante, c’est-à-dire une littérature qui consent à occuper la place que la société préfère généralement lui accorder, celle d’un art d’agrément voué à l’exercice
de l’imaginaire et aux délices de la fiction. Quantité de romans
perpétuent ainsi une tradition du romanesque bien installée depuis
le XVIIIe siècle, qui produit chaque année son lot de livres achetés
et vendus sur les étals de supermarchés et par les « clubs du
livre » par correspondance. Je parlerais du reste volontiers à leur
égard de livraison plutôt que de littérature, n’étaient quelques
rares écrivains talentueux en ce domaine auxquels ce jeu de mots
peut-être ferait injure. Force cependant est de constater que ces
ouvrages se (re)produisent souvent en série, variant à l’infini les
mêmes intemporels ingrédients, mixtes de romans historiques,
exotiques ou sentimentaux ( aux sentiments toujours empêchés
mais toujours triomphants ). De tels livres relèvent au mieux de
l’artisanat, d’un artisanat bien maîtrisé parfois, mais de l’artisanat
quand même, non de l’art. Ces écrivains sont en quelque sorte
nos « compagnons du devoir ». Il n’en sera pas question ici.
Un récent avatar de la littérature consentante a cherché
à renouveler sa thématique. Accentuant par réaction au monde
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
135
contemporain une certaine image de la littérature comme lieu de
la beauté préservée, d’un univers qui se voudrait réconcilié et
désespère de ne l’être pas, il produit de « délicieux » petits
ouvrages où il n’est question que de la « lumière » de l’être, de la
« chance » de l’amour ou encore du rayonnement des humbles
mais vrais plaisirs de la vie. Une telle littérature consent à se faire
chant du monde, perpétuant à sa façon l’un des rôles que la collectivité sociale lui a dévolus depuis l’origine. Christian Bobin,
Philippe Delerm, Pierre Autin-Grenier, Colette Nys-Mazure,
Marie Rouanet, quelques autres, sont ainsi les chantres d’une
autre forme de sociabilité, dépouillée de ses âpretés, idéaliste et
naïve. Seuls comptent alors la sensibilité immédiate, la qualité de
présence qu’elle donne au monde et le goût des «petits bonheurs».
Sans intention de fiction ni d’intrigue, ces auteurs s’écartent de
la tradition romanesque au profit d’une narration souvent émotive
et descriptive qui rêve d’incarner une poésie qui n’est plus, et
déploie à plaisir un vague lyrisme du quotidien.
littérature concertante
Face à ce que d’aucuns peuvent à bon droit trouver un
peu mièvre s’avance une littérature qui ne consent pas moins,
mais selon un autre registre, plus mondain et plus mercantile. Je
l’appellerai littérature concertante en ce qu’elle fait chorus sur les
clichés du moment et se porte à grand bruit sur le devant de la
scène culturelle. Le bruit qu’elle suscite est d’ailleurs le seul gage
de sa valeur: attentive aux modes et aux humeurs du temps, elle
en propose le reflet exacerbé et souvent provocant. Sa recherche
est volontiers celle du scandale, mais un scandale calibré selon le
goût du jour, «surfant» sur le goût que le jour peut avoir, aujourd’hui, pour les jeux du sexe et du cynisme. Elle flirte avec les acmés
de violence rebelle et gratuite, les slogans publicitaires et les formules pseudo-culturelles. C’est aussi une littérature consentante
car elle consent à l’état du monde, qu’elle résume à la loi du marché et qu’elle exploite à son profit : elle sait ce qui va marcher,
c’est-à-dire susciter les articles et les émissions de radio et de
télévision. À cet égard elle tient plus du commerce que de l’artisanat. Nul doute que cette littérature traduise quelque chose de
l’état social, mais elle ne le pense pas. Elle n’a de vertu sociologique que symptomatique, et ne vaut, à ce titre, pas plus que
n’importe quelle autre conduite sociale momentanée.
Toutes ces formes d’écriture ont surtout pour particularité
136
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
de ne guère se préoccuper... de l’écriture. Qu’il s’agisse pour les
uns d’écrire selon une élégance héritée de l’enseignement académique, pour les autres de mimer les parlers du moment ou de ne
surtout pas se soucier de la façon dont ils écrivent, seuls comptent
les personnages et leurs histoires – ou leur absence d’histoire.
Lyrisme de pacotille ou parlure à la mode, jamais l’écriture ne se
cherche dans le mouvement du livre, elle est toujours déjà là, utilisable à satiété. Artisans ou provocateurs, ces écrivains ne s’interrogent guère sur leur instrument, qui n’est pour eux rien d’autre
qu’un instrument. Ils appartiennent à cette catégorie que Roland
Barthes autrefois appelait des « écrivants ». Bien sûr, tel ou tel
peut se prévaloir, selon son plus ou moins grand talent, d’un
« ton » qui permet de l’identifier. Il tient de l’habilité, non de ce
travail qui met en question et fait éclater les agencements du
verbe. « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue
étrangère », affirmait Proust dans son Contre Sainte-Beuve. Un
tel précepte leur est étranger.
littérature déconcertante
Romanesque maintenu, refuge idéalisé et scandale calibré
se partagent ainsi les feux de la scène médiatique, comme en
attestent les listes des meilleures ventes publiées par certains
magazines persuadés que la meilleure littérature est celle qui se
vend bien. L’ambiguïté même du verbe en dit d’ailleurs assez
long sur la façon dont cette littérature s’inféode à des principes
qu’elle ne choisit pas. Ce succès tapageur dissimule une autre littérature, sans doute plus exigeante mais aussi plus déconcertante,
qui, comme l’écrit Pierre Bergounioux, « prend à revers le sens
commun ». Ces livres circulent souvent de façon moins visible,
mais aussi plus insistante. Ils ne meurent pas d’une saison à
l’autre, emportés par le nouveau flux de la « production » littéraire, mais continuent d’irradier les consciences et de susciter les
échanges et les débats, finissant souvent par s’imposer. C’est une
littérature qui dérange, qui s’écrit là où on ne l’attend pas et
tarde de ce fait à trouver le chemin des articles de presse.
Cette littérature-là manque en effet de relais, surtout
depuis que les suppléments littéraires de la presse et les plateaux
de télévision se sont livrés aux valeurs du marché. Car c’est une
littérature qui dénonce le marché au lieu de s’y inscrire. Loin de
sacrifier à la valeur d’échange qui fait du livre un « produit », elle
destine à son lecteur les interrogations qui la travaillent. Surtout,
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
137
c’est une littérature qui interroge constamment sa pratique et ses
formes, sans pour autant faire de ces formes la fin même du travail
d’écrire. Aussi est-ce d’elle qu’il me paraît important de parler dans
un ouvrage qui délibère de présenter le roman contemporain.
Moins simplement symptomatique de notre époque que celle
évoquée plus haut, elle ne se propose pas moins, selon la juste
formule d’Olivier Rolin, d’en livrer le « diagnostic ». Car elle est
traversée des questionnements qui fondent notre temps et elle
ne se contente pas d’en façonner l’écume. Loin du commerce et
de l’artisanat, c’est une littérature qui se pense, explicitement ou
1
non, comme activité critique 1.
littérature critique
Dans un ouvrage justement intitulé Critique et Clinique,
Gilles Deleuze, reprenant l’idée de Proust, explique que l’écrivain
est celui qui « invente dans la langue une nouvelle langue, une
langue étrangère en quelque sorte ». Ce n’est pas pur plaisir d’invention ni recherche d’originalité. C’est l’effort pour arracher au
langage la part d’informulé et peut-être d’indicible qu’il recouvre
encore. Nous sommes toujours déjà parlés par la langue, se désole
Beckett. La langue commune alors est un masque ou un écran qui
dissimule plus qu’elle ne dévoile. Si l’œuvre littéraire déconcerte,
c’est qu’elle « entraîne la langue hors de ses sillons coutumiers ».
Et lui permet ainsi d’échapper aux significations préconçues, au
prêt-à-penser culturel. Il est impossible de faire apparaître de
nouvelles significations selon des agencements de verbes
anciens. Pour inventer la lumière en peinture, les impressionnistes ont dû inventer un autre art de la touche. C’est de même
un art de la phrase – du brouillage des instances personnelles à
l’insistance physiologique des métaphores filées – qu’il fallut à
Nathalie Sarraute pour faire comprendre ce que pouvaient être
les « tropismes » et la « sous-conversation ».
L’écriture est alors cette mise en crise des stabilités installées. Car s’il demeure pour quelques-uns urgent d’écrire – et
non de livrer un produit « manu-facturé » –, c’est qu’il y va aussi
d’un dérangement dans la conscience d’être au monde. Un état
du réel ou de la conscience, une qualité d’expérience ou une
forme d’existence que la culture encore n’a pas dits ; qui mettent
en crise le sujet, lequel n’en trouve pas de discours constitué
dans le monde, ou découvre à cette occasion combien les discours constitués falsifient le monde. C’est bien d’une crise dont
Reconnaissons que ces catégories ne sont
bien sûr pas tout à fait étanches, même
s’il s’agit, de fait, de types d’activités finalement à ce point hétérogènes qu’elles
s’exercent dans une commune indifférence
les unes des autres. Il arrive cependant qu’à
l’occasion d’un livre donné, un écrivain
émerge de l’une ou y replonge. Ainsi Les
Particules élémentaires, de Michel
Houellebecq, qui soulèvent nombre de
questions non négligeables, travaillent
une certaine syncope de l’écriture qui lui
donne efficacité et cohérence avec le
propos, et organisent le matériau critique
dans une forme narrative et discursive qui
perturbe l’énonciation au point de troubler aussi les positions idéologiques que
le livre semble adopter. Le roman suivant
en revanche s’inscrit dans la banalité
complaisante d’une écriture qui se
contente d’exploiter la thématique
sexuelle en vogue, sans rien oser, ni du
côté de l’écriture ni du côté du dérangement – sauf à croire qu’une ou deux provocations puissent valoir comme exercice
de la pensée.
138
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
il s’agit, que la littérature ne se donne pas pour tâche de
résoudre, mais qu’elle ne se résigne pas à laisser silencieuse. La
littérature déconcertante est aussi une littérature déconcertée : elle
manque de repères. Elle écrit là où le savoir défaille, là où il n’y
a pas de mots – ou pas encore. C’est pourquoi il y faut d’autres
mots, combinés selon des syntaxes improbables. Inédites, dans
tous les sens du terme – et pour lesquelles il vaut encore que les
éditeurs ne soient pas simplement des marchands.
La différence contemporaine
2
« Écrire au présent : l’esthétique contemporaine » in Michèle Touret et Francine
Dugast ( sous la dir. de ), Le Temps des
lettres, quelles périodisations pour
l’Histoire littéraire du XXe siècle ?, PU
de Rennes, 2001.
La période contemporaine est riche de ces livres exigeants envers eux-mêmes, avec bien sûr, ici ou là, plus ou moins
de réussite. Elle ne l’est sans doute pas plus que certaines autres
périodes de notre littérature, mais pas moins non plus, contrairement aux allégations des esprits chagrins: elle l’est différemment.
Et c’est à partir de cette différence qu’on peut la connaître.
J’ai montré ailleurs combien les années quatre-vingt avaient
prodigieusement transformé le « paysage » littéraire2. Aussi
n’envisagerai-je pour ce parcours du roman contemporain que les
deux décennies passées, c’est-à-dire celles qui s’affranchissent
d’une certaine conception «théorisée» de la littérature. Les années
cinquante - soixante-dix avaient en effet favorisé, notamment sous
l’influence de la pensée structurale et de ce qu’on appelle encore,
faute de mieux, le « nouveau roman » puis le « nouveau nouveau
roman », une littérature puissamment intransitive, délivrée des
« illusions » de la représentation, de la subjectivité et du réalisme.
Une rupture épistémologique posée entre le verbe et son référent
semblait condamner ces dernières avant-gardes à ne pouvoir travailler que la forme des œuvres.
La lecture rétrospective que l’on fait aujourd’hui des
meilleurs de ces livres – ceux de Claude Simon, de Marguerite
Duras, de Robert Pinget… – montre à l’évidence qu’un tel postulat tenait de l’illusion. Une certaine « théorie de la littérature »
estompait bien des aspects de ces textes, qui remettaient en question d’anciennes façons de penser et de représenter l’homme et
le monde, non pour y renoncer mais pour tenter des voies nouvelles. Quoi qu’on en ait dit à l’époque, Sarraute, Simon, Pinget,
Duras, Butor, Claude Mauriac... n’ont cessé de traquer dans
l’écriture les plus justes manifestations des courbures psychiques.
Mais parce qu’ils ont voulu débarrasser le roman des codes et des
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
139
conventions qui n’étaient jusqu’alors parvenus qu’à scléroser
expression et représentation, ils se sont trouvés hâtivement associés à une théorie solipsiste et à des pratiques plus formalistes
( Robbe-Grillet, Ricardou… ) qui n’étaient pas de même nature.
Continuant le travail de certains de leurs prédécesseurs – James,
Proust, Faulkner, Kafka, Woolf, Jouve… – , ils mettaient en fait
à l’épreuve dans l’écriture la fécondité d’approches phénoménologiques ou herméneutiques du sujet.
écrire avec le soupçon
Et c’est bien souvent à la lumière de leurs œuvres que la
littérature des années quatre-vingt s’est ressaisie des questions
suspectées ou apparemment éludées par celle qui la précédait.
Non pour revenir à la représentation, à la subjectivité ou au réalisme comme si aucune critique n’en avait été faite, mais justement pour en reprendre le questionnement : comment dire le
réel sans tomber sous le coup des déformations esthétiques et
idéologiques du réalisme ? comment arracher le sujet aux caricatures de la littérature psychologique sans l’abandonner aux lois
de la structure ? comment restituer l’Histoire collective ou les
existences singulières sans verser dans les faux-semblants de la
ligne narrative ? en un mot, comment renouer avec une littérature transitive sans méconnaître le soupçon? Car le soupçon perdure: fortement posé par la génération précédente, il constitue
l’héritage des écrivains d’aujourd’hui. Comment écrire avec le
soupçon ? Tel est l’enjeu critique de la littérature présente, que
celui-ci s’énonce effectivement dans les œuvres ou que celles-ci
se déploient implicitement à partir de lui.
Aussi le roman contemporain associe-t-il souvent deux
préoccupations : réfléchir sa forme et sa fonction tout en interrogeant son temps et son contexte. Profondément marqué par
les avancées des sciences humaines, il devient le lieu où ces avancées sont mises en débat, confrontées à d’autres modalités de
connaissance. La voix narrative elle-même, qu’elle soit ou non
incarnée dans un personnage, est désormais à la fois l’objet et le
sujet de ces questionnements. Ses incertitudes, son interrogation
sur la matière même de ce qu’elle rapporte ou reconstitue, mettent en évidence la «quête cognitive» d’un présent incertain. Le
souci de ne pas déformer une sensation ou une pensée la conduit
à reformuler souvent son propos, dans une sorte de « scrupule
narratif » qui suspecte les falsifications induites par le récit.
140
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
D’autant que ceux-ci ne sont jamais vraiment sûrs et que toutes
sortes de phénomènes inconscients ou de médiations culturelles
sont susceptibles de les troubler. Enfin le narrateur est marqué
par une perplexité plus sourde du sujet – son identité, son histoire, la conscience qu’il peut avoir de lui-même – où s’entend
son « inquiétude existentielle ».
Épreuves de la subjectivité
les désarrois du sujet
On peut dès lors considérer la façon dont ces enjeux
sont posés, la manière que les romanciers ont de les aborder – ou
de feindre de les éviter – et les inventions de forme et d’écriture
qu’ils requièrent. Le premier enjeu que je propose d’aborder,
parce qu’il est aussi le premier qui s’impose à une période qui
paradoxalement le refoule, est celui de la subjectivité. Roland
Barthes, Georges Perec, Michel Leiris et Serge Doubrovsky
sont ici les instigateurs de nouvelles écritures du sujet, affranchies de l’illusoire linéarité narrative, critiques envers toute lucidité de soi à soi et finalement plus interrogeantes et perplexes
que sûres d’un « moi » constitué. La multiplication des ouvrages
autobiographiques n’aurait que faire dans une présentation du
roman contemporain si le regard critique que le genre porte sur
lui-même n’avait favorisé sous le nom d’« autofiction » l’émergence d’une forme hybride, qui emprunte au roman ses modalités afin de mieux se saisir d’un sujet désormais pensé comme
« ligne de fiction » ( Jacques Lacan ).
Il ne suffit pas de constater au début des années quatrevingt, le regain d’intérêt que quelques écrivains, alors perçus
comme formalistes, éprouvent envers la question autobiographique
(Marguerite Duras, L’Amant ; Nathalie Sarraute, Enfance ; Alain
Robbe-Grillet, Les Romanesques ; Claude Simon , L’Acacia… ou
même Sollers, Femmes, Portrait du joueur ) pour mesurer l’importance de ce phénomène : ces textes invitent la plupart du
temps à relire leurs œuvres antérieures comme des romans où
déjà le sujet se cryptait et se cherchait, sous des formes certes
moins explicites. « Autofiction » est sans doute un concept peu
satisfaisant (voir Chaos, de Marc Weitzmann), comme du reste la
plupart des étiquettes critiques jetées sur nos perplexités génériques; il permet néanmoins de désigner cet ensemble plus vaste
de livres confrontés à l’incertitude du sujet. Incertitude en effet,
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
141
car la critique portée sur la limpidité subjective a fait son effet,
et la multiplication des savoirs – analytique, biologique, sociologique… – brouille toujours un peu plus la possibilité même d’une
conscience de soi entière, singulière et cohérente.
Un état symptomatique de ces désarrois, parfois indépendant d’une véritable expression du sujet, était à l’œuvre dans
nombre de textes qui faisaient l’épreuve de la clôture, des obsessions et des dévastations intimes. Le monologue intérieur et ses
variantes en étaient la forme privilégiée. Samuel Beckett, qui
écrivait dans L’Innommable : « Il faut dire des mots, tant qu’il y en
a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils
me disent», a porté très loin cette pratique depuis ses premiers
romans jusqu’en ses œuvres les plus récentes (Compagnie). Il
constitue ainsi comme une épure du monologue désormais livré à
sa force d’inertie, qui le prolonge, l’épuise et le relance. La parole
y demeure sans échappées ni échappatoires, comme résignée à sa
propre clôture.
Des écrivains plus jeunes, marqués par ce puissant exemple,
se sont attachés à nourrir la forme monologale d’expériences
subjectives plus identifiables, comme pour en réincarner le verbe.
Sans préjuger de la plus ou moins grande force littéraire de l’écriture de chacun, on rassemblerait ainsi des voix solipsistes, comme
enfermées dans ces marges mentales où quelque folie les dérobe
au réel. Jean-Marc Lovay ( qui met en scène des univers proches
de ceux de Faulkner, par exemple dans Polenta ), Jean-Claude
Pirotte ( qui voue aussi une admiration à Dhôtel ), Hélène
Lenoir ( chez qui s’entendent des « brisures » aux accents durassiens ), Lorette Nobécourt, Claude Gibert, Christian Gailly,
Linda Lê… figurent parmi ceux très divers qui font vibrer ces
réclusions verbales, aux limites parfois de l’aveuglement ou d’une
lucidité maladive, amère et caustique.
l’investigation subjective
D’autres bien sûr tentent de dénouer ces nœuds de la
personnalité. C’est alors l’histoire insistante et obscure de soi
qu’il faut mettre au jour, que cela se fasse dans l’échange ludique
et vindicatif du sujet avec la psychanalyse ( Serge Doubrovsky ),
dans le dialogue introspectif avec les données sociologiques
( Annie Ernaux ) ou anthropologiques ( Pierre Bergounioux ) ou
encore avec le souci de revisiter l’Histoire et ses non-dits, ses
individus négligés (Jean Rouaud…). Les variations sont certes
142
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
multiples, la part de fiction et de réflexion plus ou moins
équilibrée: il n’en demeure pas moins que cette littérature contemporaine est inquiète de l’identité subjective. Et elle ne se contente
plus alors de manifester la malaisance de soi dans ces monologues intérieurs dont elle hérite ( Faulkner, Joyce, Woolf, des
Forêts… demeurent pour cette génération aussi de puissants
intercesseurs ), elle veut la tirer au clair. Le succès du « stream
of consciousness » avait perturbé l’agencement narratif du récit
romanesque ; la question subjective, lorsqu’elle ne se contente
pas d’exhiber un délire complaisamment satisfait, connaît
aujourd’hui une autre mutation : elle tient de l’enquête et non
plus de la narration.
Aussi se prend-elle à des objets nouveaux que la modernité la plus récente désigne à son attention : les détails négligés
dont l’apparente insignifiance se révèle riche de sens ; objets de
faible valeur qui cependant témoignent de ce qui fut et conservent quelque chose de qui les manipula ; vagues photographies,
médiocres ou tremblées, où s’est imprimée la trace d’un temps
précaire ; maladresses du verbe ou recours aux lieux communs
des conversations qui en disent long sur des subjectivités
enfouies. La psychanalyse, surtout lacanienne, a rendu le texte
plus attentif aux mots, que ce soit de façon soucieuse des expressions de l’autre ( François Bon en fait l’expérience, restituant ce
qui s’est dit dans l’atelier d’écriture pour en laisser résonner les
sens obscurs dans C’était toute une vie et dans Prison ) ou dans
l’écho ludique qu’on peut en donner ( Leslie Kaplan, Le
Psychanalyste). Nathalie Sarraute avait montré comment ces mots
eux-mêmes pouvaient devenir objets de roman ( Disent les imbéciles, Ouvrez, L’Usage de la parole, Tu ne t’aimes pas ). C’est en
situation désormais qu’on fait entendre leur agressive faiblesse,
leur maladresse sournoise ( Laurent Mauvignier, Hélène Lenoir,
Gisèle Fournier… ).
l’épreuve du texte
À côté de ces textes assez accessibles, parce qu’ils font
souvent le choix d’une lisibilité retrouvée, d’autres s’attachent à
ne rien sacrifier des nœuds d’obscurité et des complexités du
sujet, quitte à opacifier le propos. Ostinato, l’ultime et inachevable
texte de Louis-René des Forêts, qui rassemble les méditations
d’une vie à sa fin, nourrie de furtives images et de son tremblement d’incertitude, en serait l’emblème. Dans cette voie que
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
143
chacun invente à sa façon, on suivrait Roger Laporte (Une vie),
Jean-Claude Montel ( L’Enfant au paysage dévasté ), Hélène
Cixous, Jean Daive, Hubert Lucot, dont Langst veut « charrier
tout le réel, y compris l’histoire de celui qui s’y désigne et son
économie subjective », ou encore, parmi de plus jeunes auteurs,
Pierre Alferi ( Le Cinéma des familles ) et Frédéric-Yves Jeannet
( Cyclone ; Charité ). Cet ensemble, disparate quant au style et à la
position que l’auteur y adopte, témoigne d’une puissance exploratoire de l’écriture du sujet, obstinée à chercher dans la matière de
sa langue la légitimité d’un acte qui lui semble désormais moins
évident. La forme même qu’y prend le texte témoigne d’une
défiance envers toute évidence du sujet, comme rapportée sans
cesse à des grilles d’explication qui ne sont plus de saison.
Cherchant malgré tout à se dire, ces narrateurs sont contraints à
mener d’un même élan la critique des paradigmes romanesque
et autobiographique. Écrire de soi ne va pas de soi, et le texte
demeure tendu entre sa tentation et son impossibilité.
Car on ne parle pas ici simplement de contenu : ce serait
méconnaître l’écriture de livres qui savent combien les mots
défaillent à dire ces nœuds du sujet – et les disent parfois dans
leur ombre portée, dans une sorte d’inter-dit de la parole.
L’écriture du sujet, quand bien même elle prend parfois la forme
d’une écriture de l’autre, est avant tout une écriture qui se
cherche, comme si le sujet n’était jamais constitué en amont de
l’écriture, mais s’éprouvait dans son présent et se cherchait en
son aval. Claude Simon l’a souvent souligné : on n’écrit jamais
que dans le présent de l’écriture, dans ce qui advient au présent
de l’écriture. Nul doute que les œuvres majeures de notre temps
s’écrivent effectivement dans cette conscience-là. À ce titre, le
roman ne répond plus au projet d’une intrigue préalablement
établie et qu’il faudrait conduire au terme de son drame. Il se fait
le lieu même d’une réflexion avançante, parfois contradictoire
ou ressassante, mais toujours plus critique et plus exigeante aussi
envers elle-même, sauf à recourir à d’autres modes, « impassibles », parodiques ou virtuoses, dont il sera question plus loin.
144
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
Présences de l’altérité
les enquêtes de filiation
Un aspect remarquable insiste dans la plupart de ces
livres : la conscience que le sujet n’est pas un être autonome,
indemne de toute détermination. Là encore, les sciences
humaines ont diffusé leur travail. Et c’est ce travail que le roman
interroge à son tour, traquant le sujet dans l’héritage qui le
constitue. Les récits de filiation ne sont pas simplement des
récits, ils n’ont que faire de la légende familiale. Ils en instituent
une autre, élaborée de bribes et de manques, d’objets incertains
et de souvenirs perdus ; ils suscitent l’enquête, désenfouissent les
vies oubliées ou les réinventent ( Simon, Cixous, Bergounioux,
Michon, Rouaud, Jeannet… ). Ces dernières années ont vu de
tels récits se multiplier – plus d’une centaine, de valeur inégale
bien évidemment – aux confins du roman et de l’autobiographie
( Clément, Adely, Veinstein, Bassez, Mignard… ). Intrication de
récit(s), de commentaires, de réflexions critiques ( historiques,
analytiques, sociologiques… ), de méditations et de mémoire, ils
interviennent sur une matière biographique sans se poser la
question du genre, dont les délimitations paraissent désormais
contraignantes et factices. À vrai dire, ces livres s’installent dans
un rapport non générique à l’écriture : la fiction y est un
« détour » au sens méthodique du mot. Elle sollicite tous les
moyens de l’écriture, quitte à les faire travailler les uns contre
– ou avec – les autres ( Yves Navarre, Biographie, roman, Pierre
Pachet, Autobiographie de mon père… ).
Faut-il dire que les récits de filiation sont aussi souvent,
sinon par excellence, des récits de deuil ? Deuil de ceux qui n’en
finissent pas de mourir en soi, dictant encore leurs ultimes
volontés ( Simon, Bergounioux, Guibert, Juliet, Vigouroux ) :
rarement on aura élaboré cette quête-amont non pas d’une origine que la littérature s’est souvent plu à débusquer, mais d’une
pesanteur issue du passé familial qui continue de courber le
sujet. Simon reconstruisant à partir de documents et de récits
incertains le destin d’un père trop nourri des valeurs de la
Troisième République, Bergounioux creusant sans répit l’écrasement psychique de son père, orphelin de la Grande Guerre, ou
les conséquences socio-culturelles d’une naissance au fond reculé
de la province... donnent caution à la réflexion de François
Vigouroux, qui ne conçoit d’existence que dans la dette assumée
par les fils envers des frustrations anciennes.
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
145
Ce sont aussi des deuils inversés qui troublent la logique
générationnelle: morts d’enfants qui installent le manque au cœur
de l’écriture des vies ( Forest, Chambaz, Adler ). L’expérience
n’en est certes pas propre à notre époque, mais l’impression de
sûreté des sociétés occidentales modernes, le scientisme médical
dont nous croyons bénéficier en rendent l’épreuve plus scandaleuse, moins acceptable aussi par une société désacralisée. Se
dessine alors une autre expérience de la précarité et du désarroi.
L’écriture cependant ne se veut pas thérapie ni confidence pathétique : elle ausculte en soi le creusement de l’absence. Ce faisant,
elle éclaire une nouvelle conscience du temps – non pas simplement divisé entre un avant et un après, mais brisé dans ses
rythmes, vécu d’une lenteur ou d’une densité singulières. Ce
sont des épreuves de lucidité qui se gardent aussi bien du pathos
que du positivisme. Comme la découverte – par l’écriture autant
que par l’expérience elle-même – des espaces d’ignorance et de
dette à quoi le deuil confronte.
les fictions biographiques
Dans l’investissement d’une antériorité du temps,
comme dans l’épreuve d’une perte présente, s’affirme ainsi la
conscience que le sujet ne se connaît qu’au détour de l’autre. Si cela
favorise ces espaces de confrontation familiale qu’Annie Ernaux,
Pierre Bergounioux ou Jean Rouaud ont su faire résonner avec
justesse, cette conscience s’aventure aussi du côté d’autres médiations. Suscitant finalement autant de « fictions biographiques »
qu’autobiographiques, les récits de Quignard, de Michon, de
Macé, de Louis-Combet, mi-interrogeants, mi-fascinés,… parfois
rassemblés dans des collections éditoriales («L’un et l’autre» chez
Gallimard), dessinent – ou désignent – des filiations plus électives que biologiques, mais non moins déterminantes.
Les écrivains, et parmi les plus mythiques de notre littérature – Rimbaud ( Pierre Michon, Dominique Noguez, Alain
Borer… ), Trakl ( Claude Louis-Combet, Marc FromentMeurice, Sylvie Germain… ), mais encore Baudelaire (BernardHenri Lévy ), Hart Crane ( Gérard Titus-Camel ), Kafka
(Bernard Pingaud)… – , les peintres, tout aussi singuliers ( Van
Gogh, Goya… pour Michon ; Frida Khalo pour Le Clézio, Le
Caravage pour Walter par exemple ) sont les plus sollicités par
ces tentatives de restitutions. Leurs existences réinventées autant
qu’auscultées disent unanimement la fascination où l’art nous
146
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
retient dans une période que l’on a pu croire « désenchantée ».
Mais, pour peu que les textes se prennent à des figures moins
installées ( Michon, Vies minuscules ; Bergounioux, Miette ), c’est
aussi l’occasion de mesurer chacun à son rêve et d’investir chaque
vie d’une densité qu’elle ne manifeste pas. L’intérêt pour la biographie et les rêveries qu’elle suscite consacre le succès posthume de cette forme marginale inaugurée par Marcel Schwob au
début du siècle dans les Vies imaginaires. C’est ainsi par la bande
que la littérature revient: loin des grandes épopées historiques ou
réalistes, elle cherche désormais à entrer dans une connaissance plus
fine de l’expérience subjective.
Interrogeant ainsi les figures auxquelles le sujet se prend,
ces textes disent l’altérité qui le relie à lui-même. Ils sont en
cohérence avec un souci de notre temps qui pose avec insistance
la question de l’autre ( Lévinas, Ricœur, Todorov… ). Leur multiplication, comme celle des enquêtes de filiation, signale aussi
une certaine désaffection pour les formes gratuites de l’imaginaire. Plutôt que d’inventer de toutes pièces des fictions improbables, l’écriture contemporaine, qui s’est faite investigatrice,
construit des fictions à partir des données incertaines et incomplètes de son expérience. Cela me semble être la marque d’un
temps interrogateur. Le sujet, orphelin désormais des valeurs qui
président à son existence, cherche à comprendre son temps, qui
lui échappe, et à se relier à son passé, à interroger ses modèles et
ses fondations. Ces textes enfin disent combien l’existence comme
la langue sont toujours habitées d’autres expériences et d’autres
paroles, qui la constituent et résonnent en elle.
l’œuvre en souffrance
Ces expériences et ces voix silencieuses mais agissantes,
il faut les faire venir au jour. Tel est le projet majeur d’un pan de
notre littérature, d’autant plus tendue vers cet enjeu qu’il répond
à un silence de plusieurs siècles. On a parlé de la « vigueur » francophone : elle est symptomatique de l’urgence de ce projet.
« Marqueurs de parole » initiant le lecteur à d’inédites mises en
voix ( Chamoiseau ), polyphonie des mondes et des races, des
expériences et des espérances ( Glissant ) : ce sont les espaces narratifs et comme sonores qu’il faut ouvrir au roman. Fondées sur
une conscience de la séparation, d’une parole non advenue et
comme demeurée «en souffrance» (Dominique Chancé), ces écritures se veulent entreprises de réappropriation et de synthèse. C’est
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
147
aussi une des seules littératures actuelles qui se pense au futur, du
moins en devenir, comme le proclament Chamoiseau et Glissant.
Elle se donne en effet pour tâche de transformer en
Histoire le passé subi pour refonder un héritage qui lui fut longtemps interdit – mais aussi d’en témoigner en histoires, singulières
et profuses, pour rendre à chacun l’hommage de son existence,
pour «démêler un sens douloureux du temps et le projeter dans
notre futur », comme l’écrit superbement Glissant. Avec eux,
d’autres, tels René Depestre, Maryse Condé, Daniel Maximin ou
Raphaël Confiant…, non seulement disent une réalité culturelle
qui n’avait pas cours dans la langue narrative, mais lui inventent
un « parler-langage » qui en fait résonner les sens depuis une
intériorité nouvelle. Un phénomène parfois semblable, mais
moins net et plus dispersé (c’est-à-dire moins collectivement
pensé), inspirait déjà la littérature du Maghreb. Sa tradition est
cependant plus nettement constituée, si bien qu’on la trouve
plus anciennement attachée à établir ( et à discuter ) le lien entre
les deux cultures qui la travaillent, entre un univers colonial ( qui
porte parfois en lui-même aussi les valeurs condamnant la colonisation) et une tradition orale qui cherche les modalités de sa réalisation écrite (Tahar Ben Jelloun, Driss Chraïbi, Assia Djebar…).
Si le lieu d’où ces livres nous parlent inscrit forcément
quelque chose de leur différence propre, il n’en demeure pas
moins qu’ils sont aux prises avec les mêmes exigences, les mêmes
objets auxquels se mesurer. Là encore il est question de la transmission et du passage, des généalogies et des filiations dans lesquelles inscrire les mutations culturelles d’une époque nouvelle
( dettes de reconnaissance et volonté de maintenir le dialogue
comme dans Le Blanc de l’Algérie, d’Assia Djebar ). Mais leur
conscience aiguë des tensions entre arrachement et attachement,
et des violences que cela induit, à quelque génération que l’on
appartienne ( Boudjedra, La Vie à l’endroit, Bouraoui, La Voyeuse
interdite ), leur confère une densité spécifique, qu’on ne saurait
réduire à des questionnements généraux.
la langue de l’autre
D’au-delà des limites traditionnelles de l’aire francophone
viennent des œuvres qui font élection de la langue française,
quand bien même elle n’était pas la langue maternelle des
romanciers et romancières considéré(e)s. Le phénomène est suffisamment large pour être relevé : on ne tentera pas ici d’en
148
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
déduire quelque enseignement sur un attrait particulier de notre
langue, ou une propriété singulière qui serait la sienne à accueillir
une expression littéraire. Ni d’oublier combien ce choix parfois
n’en est pas un, tant il se lie aux déchirures de l’Histoire, aux violences de l’exil et de la déroute. Force est tout de même de constater l’importance – quantitative et qualitative – de ces textes et de
souligner la puissance des échanges culturels auxquels ils nous
convient. Alexakis, Bianciotti, Del Castillo, Kristof, Kundera,
Maalouf, Makine, Manet, Wiesel... sont parmi les plus connus
de ces romanciers, d’origines certes très diverses. On ne saurait
comparer l’assignation à penser l’irréparable (Wiesel) à un cosmopolitisme plus anodin (Bianciotti). Mais tous travaillent à leur
façon les questions d’exil et de mémoire, et tissent ensemble les
problématiques d’expression dans une langue autre et dans un
autre contexte social. Quitte à se faire parfois, comme GeorgesArthur Goldschmidt, passeurs entre deux langues que l’Histoire
faillit rendre douloureusement incompatibles mais que l’œuvre
et le travail ne désespèrent pas de concilier.
Ce point de vue d’un ailleurs souvent chargé d’Histoire,
intimement installé au cœur actif de notre littérature, est d’importance. Il déplace l’habitude culturelle et engendre d’autres
considérations envers un univers socio-culturel que nous croyions
trop bien connaître. Il interroge notre monde depuis une extériorité qui lui est devenue linguistiquement consubstantielle. Bien
sûr ces œuvres ne sont pas comparables: chacune joue son propre
registre. Mais la fantaisie acide de l’un (Kundera), l’ambivalence
énonciative de l’autre (Kristof), la réflexion politique du troisième
( Manet ), etc., irriguent aussi la création contemporaine. Si pour
nombre de ces écrivains «le français est une langue d’étonnement»
( Makine ), c’est aussi leur français qui nous étonne, qui installe
de l’étonnement dans notre propre rapport à la langue.
Suspicion des savoirs
la réhistoricisation
Comme le reconnaît Pierre-André Taguieff, l’avenir
tient désormais de l’énigme plus que du volontarisme militant.
Notre époque a rompu avec le temps des promulgations et des
manifestes. Elle ne sait plus ce que la littérature « doit être », à
quelques rares exceptions près, et ne s’autorise pas à le prévoir.
Non pas seulement à cause des grands schismes de notre Histoire
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
149
– «comment écrire après Auschwitz?»… formule récurrente des
réflexions sur la littérature de ce demi-siècle –, mais en fonction
aussi d’un délitement plus sourd, et plus souterrain, de nos certitudes axiologiques et culturelles, auquel bien évidemment les
cassures historiques participent à leur façon ( Jean-François
Lyotard ). Dans l’incertitude et l’obscurité de quoi le présent est
fait, c’est, on l’a vu, vers le passé que se tourne l’interrogation.
Sans nostalgie d’un quelconque « âge d’or », mais plutôt pour
élucider le mouvement d’où nous sommes issus et qui fait que
nous en sommes là. Ce de quoi nous nous sommes affranchis
sans doute, mais aussi ce que nous avons laissé en chemin et dont
l’oubli nous menace.
Pas plus qu’il ne se perçoit en dehors d’un héritage, le
sujet ne s’affranchit de l’Histoire, bien au contraire : notre
époque est ainsi une époque de réhistoricisation de la conscience subjective. Et cette réhistoricisation elle-même ne va pas sans
dimension critique. Elle se propose d’abord comme réexamen
des discours reçus, souvent pour en démentir les allégations.
Il arrive que cela prenne la forme du roman policier ( Didier
Daeninckx, Sébastien Japrisot, Jean-François Vilar, Thierry
Jonquet… ) de devoir sous-tendre le récit de mémoire d’un souci
de l’enquête. Mais l’enquête ici excède la requête d’une forme
romanesque particulière : elle s’impose à l’écriture. Et déborde le
roman policier : le narrateur de L’Acacia, de Claude Simon,
comme celui des Champs d’honneur, de Rouaud cherchent à savoir.
Le sujet, l’autre, la mémoire, la filiation, l’Histoire sont désormais
non plus objets de narrations qui les disent avec l’aisance linéaire
de qui sait ce dont il est question et ce qu’il en advient, mais véritablement interrogés dans le mouvement même de l’écriture qui
en déplie les repliements complexes.
le travail de mémoire
Plus que d’un « devoir de mémoire », selon l’expression
désormais retenue, il faudrait ici parler d’un «travail de mémoire».
L’évolution des romans de Modiano, depuis l’évocation floue
d’une époque incertaine jusqu’à l’enquête de restitution (Dora
Bruder), est le signe de cette conscience interrogeante à l’œuvre.
La restitution historique repeuple de sujets effectifs des pans de
l’Histoire longtemps laissés aux discours généraux, fait entendre les
traumatismes que l’Histoire installe (Lydie Salvayre, La Compagnie
des spectres). C’est exemplairement le cas de Berg et Beck, de
150
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
Robert Bober, ou de J’apprends l’allemand, de Denis Lachaud, en
ce qui concerne les zones obscures de la Seconde Guerre mondiale ; ou de Douze Lettres d’amour au soldat inconnu, d’Olivier
Barbarant, pour la Grande Guerre. C’est encore la guerre
d’Algérie ( Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Arno Bertina ).
Loin de fournir un décor circonstancié favorable à quelque dramatisation du romanesque, comme dans le cas des « romans historiques » de facture traditionnelle, ces textes ouvrent des
espaces de confrontations et de démentis. Dès lors, la réalité historique n’est plus caution d’une fiction narrative : elle est interrogée en tant que « réalité » consensuellement constituée – et le
savoir qu’on en croyait avoir est dénoncé comme fiction discursive par cette entreprise narrative même.
De façon plus ambivalente, et comme pour dire que le
littéraire ne saurait s’affranchir d’une part de légendes, quelques
écrivains renouent avec le lyrisme épique ou mythique pour évoquer
ces périodes d’ombre d’où le présent émerge. Sylvie Germain
donne ainsi à l’Histoire du siècle l’ampleur des anciens récits de
fondation. Richard Millet restitue dans une trilogie la noire réalité
des vies aux confins des terres de montagnes, à peine arrachées à
leur isolement sauvage. Une surenchère de la langue, profuse et
mêlée chez l’une de rythmes bibliques, chez l’autre de la brutalité
des patois, confine à une véritable revendication littéraire. Comme
si c’était par la richesse de langue et la puissance d’imaginaire
que pouvait se ressaisir la réalité d’un temps que l’Histoire trop
rationnelle ne saurait véritablement dire.
L’écriture est alors entée sur les humeurs du corps, sur
l’écoute des sens plutôt que sur l’examen du sens. C’est un autre
legs de Claude Simon que de ne pas concevoir la restitution du
passé indépendamment d’une phénoménologie sensible. Le corps
aussi a son histoire, comme on le voit encore à lire les romans de
François Thibaut. Le mettre en scène permet de contrebalancer
une certaine inflation de la pensée conceptuelle. Il faudrait ici
dire l’importance prise par le corps dans la fiction contemporaine,
largement soutenue depuis les années soixante-dix par l’écriture
féminine ( d’Hélène Cixous et Chantal Chawaf à Lorette
Nobécourt et d’autres ) et la littérature gay ( de Tony Duvert et
Renaud Camus à Hervé Guibert et Guillaume Dustan ). Ce
serait néanmoins une erreur que de l’y circonscrire tant elle
concerne désormais le plus large spectre de la production actuelle, toutes catégories confondues. Le partage s’impose du reste
entre l’exploitation d’un thème « porteur » qui voit le succès
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
151
d’une littérature érotique ou d’une « nouvelle » ( ? ) pornographie
et les véritables difficultés qu’affrontent les rares écrivains
(Boudjedra, Cholodenko, Belhaj-Kacem, Noguez dans M&R…)
qui tentent véritablement d’écrire le corps, le sexe et le désir sans
choir dans la facilité.
l’archéologie des savoirs
L’interrogation historique ne se contente pas d’interroger
un passé accessible avec lequel nous sommes encore en relation
continue par l’intermédiaire de témoins vivants. Elle investit
aussi les fondements historiques et culturels de notre civilisation.
Tout un pan de la littérature narrative se tourne même vers des
époques plus anciennes dont elle interroge les mœurs, les cultures,
la pensée et les découvertes intellectuelles, les enthousiasmes philosophiques ou mystiques ( Pascal Quignard, Alain Nadaud,
Claude Louis-Combet… ). On ne saurait ici non plus parler de
roman historique, même s’il est probable que des livres comme
L’Œuvre au noir, de Marguerite Yourcenar, aient pu pour certains
contribuer à amorcer un tel intérêt. Car la forme de l’enquête y est
encore présente. Une conscience des incertitudes et des manques à
savoir qui nous séparent de toute intellection sûre de ces périodes
anciennes s’affiche souvent dans les textes. Si bien que ces
romans que l’on peut dire « cultivés » ou « érudits » sont surtout
des romans « archéologues », qui abordent parfois le passé à partir de notre relative ignorance de ce qu’il fut vraiment.
Le roman contemporain brasse ainsi prodigieusement
les questions du savoir. Non seulement il fait du manque à savoir
et du questionnement des savoirs l’un des exercices de l’écriture,
mais il se déploie aussi lui-même comme le lieu d’une critique des
savoirs. Pascal Quignard prend notre culture à contre-pied en lui
proposant d’autres bases et d’autres modèles ( Carus, La Raison,
Rhétorique spéculative ), substituant les auteurs orientaux ou latins
méconnus à ceux que nous avions trop bien appris. Alain
Nadaud nous confronte à ces pans de mystère et d’incertitude
qui règnent autour des fondements du Livre, de l’Image et du
Nombre ( Le Livre des malédictions, L’Iconoclaste, Archéologie du
zéro ). C’est à chaque fois une double interrogation sur ce que
nous savons et sur ce que nous révérons, confins de la connaissance et du sacré, épreuve d’ignorance fascinée. La fascination
de l’énigme originelle, en quête d’autres formes de savoirs, joue
à plein dans ces romans archéologues que sont aussi Dormance, de
152
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
Jean-Loup Trassard, Onitsha, de J.M.G. Le Clézio, et Méroé,
d’un Olivier Rolin en quête d’un Soudan toujours déjà perdu,
ou, plus emporté par un fantasme d’Orient, Gandara, de JeanMarc Moura. Si bien que le monde du savoir n’est plus l’envers
du doute ni du sacré. Notre temps brouille les catégories, les met
en friction constante. C’est bien la meilleure façon pour lui de
construire et de dénoncer tout à la fois les fictions qui structurent
la pensée. De les donner comme problables et jamais avérées.
Approches du réel
le refus du réalisme
Parmi ces questions auxquelles notre temps fait retour,
celle de la représentation du monde n’est pas la moindre. La présence du réel, que la littérature des années soixante-dix semblait
désespérer de convoquer dans l’espace des livres, est suffisamment
forte pour s’imposer au monde littéraire. Donné pour inaccessible
au verbe par la décennie structurale et cantonné au statut de «référent», le réel est donc à nouveau considéré, d’autant plus que les
systèmes de pensée qui ont cru pouvoir en rendre compte ont
montré leurs limites. Dès lors c’est à la résistance du réel que les
œuvres se trouvent confrontées, qu’il s’agisse de ce réel historique
dont il a été question plus haut, ou du réel social immédiat.
L’écriture s’en saisit au début des années quatre-vingt,
d’abord sur le mode du témoignage ( Robert Linhart, L’Établi )
puis avec le souci de manifester le réel et ses intensités sans sacrifier à l’illusion mimétique (François Bon, Sortie d’usine; Leslie
Kaplan, L’Excès-L’usine). Aussi le roman du réel a-t-il considérablement changé de forme. Non seulement il rompt désormais
avec l’esthétique réaliste, doublement dénoncée comme «esthétique», justement, et comme illusion idéologique (celle du «réalisme prolétarien» ou du «réalisme socialiste»), mais il met en question la forme narrative elle-même. Bien sûr, se perpétue ici et là
une certaine tradition du roman que l’on pourrait dire «populiste»
(Ragon, Pennac, Vautrin, Izzo…), veine volontiers populaire et
gouailleuse, parfois assez fantaisiste et comme issue de la rencontre inattendue entre les héritiers de Dabit et ceux de
Queneau. Mais elle demeure assez circonscrite, notamment au
roman policier et à ses entours.
Une autre voie choisit de s’inscrire dans une certaine déréalisation pour mieux s’affranchir des déformations de la représenta-
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
153
tion. Sans souci d’exact mimétisme ni de tradition esthétique,
Marie Redonnet, Eugène Savitzkaya, Marie NDiaye, Emmanuel
Carrère, Éric Chevillard..., désaccordent l’univers familier pour
en faire saillir des traits et des travers inaperçus, dans des constructions fictives où s’entend parfois comme un écho lointain et très
noirci des fictions de Boris Vian. La même fantaisie décalée, la
même inadéquation au monde s’y manifestent en effet, qui semblent dire combien c’est le monde lui-même qui est inadéquat aux
sujets qui l’habitent et se trouvent chahutés de ne le pas comprendre. Leurs personnages, marionnettes manipulées (Rose Mélie
Rose) ou incarnations de fantasmes (La Femme changée en bûche),
expriment l’ingénuité d’une violence crue. Parmi ces univers caustiques certains lancent parfois des interpellations grinçantes
(Medhi Belhaj Kacem) et férocement critiques (Valère Novarina).
l’état du monde
Une autre approche du réel en dehors de tout « modèle
littéraire », mais rétive à la déréalisation, s’impose cependant.
Afin de s’affranchir du romanesque, elle n’hésite pas à recourir à
la forme de l’inventaire plutôt qu’à celle de l’invention, qu’il
s’agisse de livrer le monde comme quantité ( d’événements, de
faits, de bribes d’histoires… ) brassées par les journaux ( Olivier
Rolin, L’Invention du monde ) ou comme matérialité ( Paysage fer,
de François Bon, récapitule tous les bâtiments et objets délaissés
qui témoignent de la fin de l’âge industriel ). Le temps n’est plus
cependant où la littérature pensait pouvoir saisir et restituer un
« être-là » du monde, bien au contraire. Il s’agit plutôt désormais
d’un dire du monde, qui fait large place à sa mise en voix. La
langue ainsi fait entendre et voir le monde. Elle n’est pas cette
pure transparence à laquelle une intention mimétique aurait
voulu la réduire. Ses déformations, les défigurations qu’elle
impose au réel le font paraître dans une intensité particulière.
Tout comme il s’affranchit du « réalisme », le roman du
réel se résigne mal à être « roman ». Il ne « romance » rien. Il
tient plutôt de la prise de parole. Ainsi hérite-t-il encore de
Faulkner, de Joyce, plus récemment de Pinget, comme je le
disais plus haut de l’écriture du sujet. De fait ces catégorisations,
auxquelles oblige tout travail de présentation, trouvent ici leurs
limites. On ne saurait définir des textes en fonction de leur seul
objet. C’est bien la façon dont l’écriture se conçoit qui détermine non seulement des périodes esthétiques mais aussi une certai-
154
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
ne éthique de l’écriture. Et de ce point de vue encore, la forme de
l’enquête, le souci du soupçon, la mise en œuvre de voix singulières caractérisent le roman contemporain au-delà de ses diversités thématiques. De même le roman du réel n’explique rien:
loin d’une prétention à décrypter les raisons du monde social, il
traque les intensités subjectives et les brisures que certaines
conditions sociales, le plus souvent désocialisées, imposent.
Qu’il s’agisse des premiers romans de François Bon
(Limite, Décor ciment), de Leslie Kaplan (Depuis maintenant), de
Jacques Serena (Basse Ville) ou encore d’œuvres très récentes
comme celle de Laurent Mauvignier (Loin d’eux), le réel n’existe
ainsi véritablement que dans la parole qui en installe la conscience.
Il n’est pas rare que la scène du théâtre (son «dispositif noir»
comme l’écrit François Bon dans Impatience) ou celle du cinéma
(Calvaire des chiens) soient choisies comme médiations entre le
roman et le réel. La littérature est ici en cohérence avec une nouvelle pratique sociologique, celle par exemple de Pierre Bourdieu
et de son équipe, qui livre la parole telle que les entretiens la suscitent (voir La Misère du monde, dont la jaquette porte en surimpression: «souffrance, parole, parle») et ne se contente pas de
la synthèse réflexive à laquelle ces entretiens donnent lieu. Ainsi
s’affirme une «poétique de la voix» (Dominique Rabaté) dont on
retrouverait aussi les éléments dans les formes dialoguées que les
dernières décennies du roman n’ont pas hésité à explorer (Pinget,
L’Inquisitoire; Sallenave, Viol).
la fiction en procès
Ce dernier titre, de Danièle Sallenave, me conduit à évoquer un autre aspect assez caractéristique de notre temps : le procès que la littérature romanesque fait au présent. Une partie de
son travail et de ses « thèmes » tient en effet de la dénonciation
ou de la mise en évidence de dérèglements sociaux. Cette
dimension critique se nourrit volontiers de procès effectifs, ou
plus généralement d’affaires judiciaires. L’exemple sans doute le
plus caractéristique est L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère,
construit comme une enquête-méditation autour de l’affaire
Romand, du nom de cet homme qui se fit passer pour médecin
pendant des années avant d’assassiner parents, femme et enfants
lorsqu’il ne fut plus en situation de maintenir sa « fiction ». Mais
on évoquerait tout aussi bien Un fait divers, de François Bon,
Mariage mixte, de Marc Weitzmann, et d’autres encore. Une
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
155
tension s’installe alors entre la dimension exceptionnelle – ou
extraordinaire – du fait divers considéré, stimulante sans doute
pour l’imaginaire fictionnel, et sa valeur de symptôme, révélatrice d’un état social – « ordinaire » – que la part critique de la fiction prend en considération.
Or, il arrive fréquemment que le roman soit aussi, à l’inverse, objet de poursuites judiciaires ou de condamnation par
voie de presse. Non pas pour des questions de droits d’auteurs
ou de plagiats éventuels, mais parce que la société s’inquiète des
libertés qu’octroie ( ou que s’octroie ) la fiction. Il y va certes de
condamnations morales ( ou politico-religieuses, comme dans le
cas bien connu de la « fatwa » contre Salman Rushdie ), mais elles
tendent à régresser, même si quelques livres ont su profiter d’un
effet de scandale pour atteindre une notoriété peu légitime.
Augmente en revanche le nombre de procès qu’on fait à la littérature pour s’être approprié une part de la réalité: François Bon,
Mathieu Lindon, Marc Weitzmann, Michel Houellebecq, Didier
Daeninckx… parmi d’autres, sont ainsi, dans des formes d’écriture différentes, mis en cause pour avoir parlé du réel, pour avoir
tenté de le lire – ou l’avoir porté aux confins de son délire.
les nouvelles formes de l’engagement
De tels phénomènes, qui ne disent rien de la qualité
intrinsèque d’une écriture, interrogent en revanche la conception
que notre temps se fait de la fiction, ou plus largement de la littérature, de sa fonction, de ses enjeux et de son espace de réalisation.
Bien évidemment, tout cela témoigne aussi d’un certain engagement de la littérature. Mais encore faut-il ici nuancer le propos.
Le temps n’est plus d’un roman inféodé à des doctrines idéologiques. On ne trouve plus aujourd’hui de « roman à thèse » ni
d’allégeance au principe de l’«autorité fictive» (Susan Suleiman).
Cela ne signifie pas que les romanciers se tiennent à l’écart des
questions politiques ou idéologiques. Leur implication est d’une
autre nature : loin des formules sartriennes ( ou malruciennes ou
aragoniennes… ), les nouvelles formes de l’engagement tiennent
désormais plus de l’écriture critique que du discours fictionnalisé.
Elles ne passent pas par l’esprit de système ni par l’ambition
didactique. Elles mettent en évidence une réalité que le corps
social connaît sans vouloir la réfléchir.
Ainsi de ces non-lieux, pensés par le sociologue Marc
Augé, et qui trouvent leur expression la plus nette dans les textes
156
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
de François Bon ou les «marges» de Didier Daeninckxet de Jean
Rollin; ainsi du déterminisme social dont Pierre Bergounioux ou
Annie Ernaux mesurent les conséquences sur le trajet des individus. La façon dont l’Histoire est revisitée par Claude Simon ou
mise en fiction politique par Rachid Boudjedra sont d’autres
exemples d’une littérature qui ne prétend pas se faire pourvoyeuse
de discours et préfère mettre en scène les détournements de sens
et les violences subies. Car, comme l’écrit Boudjedra, « la littérature récupère, de l’intérieur, les interrogations, les inquiétudes et
les malaises de l’Histoire ». Aussi l’engagement n’est-il plus une
soumission de l’acte littéraire à une nécessité supérieure comme
Sartre pouvait le concevoir, mais une comparution du politique
– au sens large – sur la scène de la fiction. On parlerait non pas
d’engagement de la littérature mais d’engagement par ou avec
la littérature, lieu et possibilité d’autres discours. Les résonances
entre roman et théâtre sont ici particulièrement vives et nombreuses (Bernard-Marie Koltès, Valère Novarina, Michel Vinaver,
Olivier Py…).
Pratiques de la littérature
la revendication littéraire
Demeurent cependant quelques romans qui élaborent
leur critique du monde contemporain grâce au privilège métaphorique de la fiction. Les écrivains prolongent alors la démarche
allégorique du Procès, de La Peste ou même du Rivage des Syrtes.
Il s’agit, selon la formule de Gracq, de mettre en œuvre un
«esprit de l’Histoire» plutôt qu’une réalité précisément localisée
et datée. La trilogie de Lamarche-Vadel ( Vétérinaires ; Tout casse ;
Sa vie, son œuvre ), Une peine à vivre, de Rachid Mimouni, La
Plage noire, de François Maspero, ou Le Censeur, de Jean-Marie
Barnaud, se retrouvent ici dans un ensemble qui vaut à la fois par
sa hauteur d’écriture et le regard critique que ces livres portent
sur le monde. La littérature se voit attribuer une double fonction, réflexive et esthétique, où chaque élément collabore à l’affirmation de l’autre : le choix esthétique lui-même étant déjà
l’adoption d’une position critique, qui ne se satisfait pas du sort
réservé à la culture ni des nouvelles définitions qu’on en donne
ici et là. Ne sacrifiant rien d’une idée exigeante de la littérature,
ces œuvres tentent de lui réserver une place privilégiée dans
l’échelle des valeurs communes.
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
157
C’est dire que la pratique artistique ne va pas sans réflexion
sur elle-même, fût-elle implicite. Fût-elle simplement dans
l’ordre d’une axiologie que le livre lui-même affiche. À cet égard,
les fictions que proposent Jean-Paul Goux, Pascal Quignard ou
Michel Chaillou sont une forme de revendication. Elles ne
renoncent pas à plier le verbe aux nuances du monde tel qu’il se
donne à l’intellection et à la sensibilité. Elles offrent l’espace de
déploiements subtils, où s’affirme un goût majeur pour la description et la méditation. Le mot et ses résonances y sont au
moins aussi importants, mais peut-être pas plus, que l’objet
auquel ils renvoient. La langue de Proust, celle de Gracq continuent ainsi d’irradier en profondeur une littérature contemporaine
qu’il ne faudrait pas penser seulement bousculée par Céline ou
résignée à la « blancheur » du minimalisme littéraire. Bien au
contraire, celle de Goux prend prétexte de réminiscences pour
explorer les intermittences de la sensibilité et la possibilité offerte
aux mots d’en sonder les variations. Celle de Chaillou ne
construit des histoires que pour autant qu’elle en a trouvé auparavant les formules et les élans, les images verbales qui lui donneront
corps, comme si c’était des mots, d’abord, que procédait l’invention romanesque.
la nostalgie de la littérature
Ces positions cependant ne sont pas indemnes d’une certaine lucidité qui en mine l’assurance. Pascal Quignard luimême en donne une idée dans ses romans mélancoliques.
Comme si une nostalgie du « continu » ( Jean-Paul Goux ) venait
y combattre la pratique fragmentaire des Petits Traités. Une nostalgie qui se relie à des moments d’ascèse et d’épiphanies cultivées et fait l’expérience d’une plénitude disparue, toujours déjà
disparaissante. L’euphorie narrative de la sensibilité s’y trouble
d’une menace de déperdition que ne démentiraient ni l’œuvre de
Lamarche-Vadel ni celle de Goux. Les réflexions des années
soixante - soixante-dix sur l’«épuisement » de la littérature ont
profondément marqué les générations ultérieures, a fortiori
celles qui se sont épanouies dans l’ombre de Maurice Blanchot
et de Louis-René des Forêts, dont le reclus de Lamarche-Vadel
( Sa vie, son œuvre ) adopte la posture effacée et méditative.
C’est par le truchement hétéronymique de Benjamin
Jordane, l’écrivain auquel il délègue littéralement la plume, en
« publiant » et en « commentant » ses œuvres ( L’Apprentissage du
158
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
roman ), que Jean-Benoît Puech dit sa fascination envers un tel
effacement incarné dans son livre par Delancourt, double de
Louis-René des Forêts. De cette lucidité, voire cette difficulté
présente de l’écriture narrative, l’œuvre de Pierre Michon, portée
vers les élégances du « grand style » mais lucide envers sa désuétude, paraît l’emblème. Entreprenant a contrario de restituer la
démesure d’écrivains tonitruants ( Rimbaud, Balzac, Faulkner ),
aux antipodes donc de Maurice Blanchot ou Louis-René des
Forêts, Michon n’essait-il pas de se déprendre de cette fascination où la « littérature de l’épuisement » retenait sa génération ?
Toujours est-il qu’il mène une œuvre critique à la fois envers ses
propres élans ( « nous sommes des crapules romanesques » ) et
envers la modernité qui les assèche ( « le fier arpent du moderne,
où peut-être rien ne pousse, mais moderne»). La lourde question
de l’héritage culturel dont on ne peut ni ne veut se déprendre, tant
il a donné de fortes œuvres, est bien ce avec quoi la littérature
présente ne cesse de (se) débattre.
les variations sur le roman
Si notre savoir de la littérature et de son histoire, de ses
manières et de ses formes, est désormais trop grand pour autoriser une écriture naïve, certains affectent cependant de ne pas
s’en apercevoir. Ils militent pour un retour au romanesque,
débrident l’imaginaire et revendiquent a contrario et de façon
quasi militante la légitimité d’une écriture indemne de toute
perplexité et simplement vouée aux délices de la « nouvelle fiction » ( Marc Petit, Frédérik Tristan, François Coupry, Hubert
Haddad… ), qui n’est rien qu’une fiction modelée sur celle des
siècles passés ( Stevenson, Conrad, Dickens… ). Mais force est de
constater que, pour les textes « déconcertants » qui nous intéressent ici, l’écriture du roman ne va plus de soi. Les attitudes alors
divergent, toutes vouées cependant à trouver comment continuer, toutes animées par le désir de le faire. Pour beaucoup, c’est
alors toute la littérature, non pas comme modèle à imiter sans
cesse, mais comme pratique et comme héritage, qui offre le
matériau d’œuvres nouvelles.
Écrire après, c’est pour ces écrivains-là écrire avec. Claude
Ollier poursuit ainsi une exploration conjuguée des formes narratives et du romanesque. Non pour les continuer mais pour les
faire dévier, en déplacer le cours et les accents. Car s’il y a toujours de quoi se prendre à ses récits : bribes de fictions que l’on
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
159
peut suivre, fût-ce du côté des inventions proches parfois de la
« science » -fiction, c’est dans la confrontation perturbante avec
des espaces discordants et des temps invérifiables ( Feuilleton,
Aberration, Préhistoire ). La fiction y est mise en péril dans un
souci d’innovation qui prend les attentes à rebours et repousse
toujours plus loin les limites du roman. Veine exploratoire dirat-on de ces textes aux marges d’invention irrépressibles, qui se
veulent parfois comme une grande synthèse du monde (Rolin,
L’Invention du monde; Badiou, Calme bloc ici-bas; Daive, La Condition
d’infini ). Ces variations littéraires, Antoine Volodine les met en
scène et les redouble selon des catégories improbables: «narrats»,
textes « post-exotiques », « shagas »… que l’on peine parfois à
identifier. Mais l’enjeu paraît alors bien différent. Plus proches
de la fiction politique que du jeu avec le romanesque, ses romans
font le choix d’un futur inassignable afin de renvoyer l’image
brouillée du présent ( et du passé récent ) poussée à sa déconcertation extrême.
les esthétiques du recyclage
On a parlé de recyclage ( Frédéric Briot ) à propos de
l’œuvre de Volodine. La notion est extensible à d’autres romanciers, habiles à composer avec les ruines du romanesque. Écrivains
ironiques et cultivés, Jacques Roubaud ( le cycle d’Hortense, Le
Grand Incendie de Londres ) ou Gilbert Lascault ( 420 Minutes dans
la cité des ombres ) mêlent ainsi le talent et le clin d’œil, et jouent
de la littérature comme d’un répertoire de formes et de motifs
où se plait leur inventivité oulipienne. Une pensée ludique du
contemporain comme revitalisation des cultures en friche
accompagne et même motive l’écriture, qui emprunte aussi bien
aux romanciers du XIXe siècle qu’à Dante, Homère, Queneau ou
Robbe-Grillet. Leur ouverture est plus large certes que celle de
ce dernier, qui raffine sur lui-même et recycle ses propres
romans ( La Reprise, bien nommée ). Du côté de cette virtuosité
que certains diraient «postmoderne» (elle est proche par exemple
des romans de Umberto Eco), il faudrait mentionner encore deux
romans que Renaud Camus a donnés dans les années quatrevingt: Roman roi et Roman furieux. Parodies de romans historiques et sentimentaux en même temps que réflexion indirecte et
ironique sur la littérature, ces textes sont demeurés sans équivalents dans la production française, comme du reste dans celle de
leur auteur.
160
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
Un jeu semblable avec la culture, dans une tonalité plus
amusée et moins sophistiquée, donne lieu aux romans de JeanPhilippe Toussaint ( L’Appareil-photo ; La Télévision ). La verve
froide de l’auteur, proche de celle de Woody Allen, s’exerce à la
fois envers le narrateur même et envers les usages du monde qui
l’entoure, où se cristallisent les banalités du quotidien. De même
Jean Echenoz entreprend de revisiter sous une forme parodique
la plupart des modèles romanesques : le roman policier avec
Cherokee, le roman d’aventures avec L’Équipée malaise, le roman
de science-fiction avec Nous trois, le roman d’espionnage ( Lac ),
la fantaisie ( Les Grandes Blondes )… Une même variation décalée,
mais plus inspirée par le cinéma cette fois, se retrouve dans les
textes de Tanguy Viel ( Cinéma ; L’Absolue Perfection du crime ).
Echenoz semble même se faire le miroir ironique des littératures
présentes lorsqu’il s’amuse avec les écritures réalistes de la marginalité ( Un an ) ou avec ce roman minimaliste ou « impassible »
dont quelques écrivains publiés aux Éditions de Minuit se sont
fait une spécialité ( Je m’en vais ).
Car c’est une autre façon de faire durer le plaisir du
récit, quand bien même il n’y aurait pas matière à le nourrir, que
de produire ces romans «minimaux» qui déroulent des histoires
faites de riens. Christain Gailly, Christian Oster, Éric Laurrent…
cultivent le ton placide et désabusé des narrateurs qui met une
distance entre le propos du roman et sa réalisation. Ils manifestent
ainsi une pulsion narrative qui s’accommode mal d’un épuisement
du littéraire et préfère s’installer ironiquement dans la fadeur du
réel plutôt que de renoncer. Mais ils disent dans le même temps
qu’ils ne sont pas dupes de leur propre travail. Si bien que, s’ils
se refusent à toute densité, s’ils écrivent de surface, c’est aussi
une autre façon de dire, par défaut, l’impossibilité d’une plénitude littéraire désormais trop factice.
Un roman paradoxal
Ce parcours ne saurait être complet. Des livres y manquent
déjà – que je n’ai pas voulu, pas su retenir, ou qui m’ont échappé.
D’autres livres y viendront, de jeunes auteurs que l’on découvre et
souhaite lire encore… Mais vingt ans après la grande mutation
esthétique des années quatre-vingt, et sachant n’énoncer ici que
quelques vérités provisoires, que peut-on retenir de ce roman
qui s’écrit là où on ne l’attend pas, et de la variété de ses terri-
Dominique Viart •
Écrire avec le soupçon
161
toires ? Je placerais volontiers le roman contemporain sous le
signe du paradoxe. En faisant jouer tous les sens du terme.
D’abord très certainement parce que ce que je propose de retenir de la quantité de choses qui se publie en ces temps sous le
nom de roman en est en effet le plus paradoxal : le plus en écart
avec des attentes calibrées en termes de public et de marketing,
le plus en désaccord avec cette masse de livres « grand public »
dont il n’a pas été question ici. Sans doute le roman dont je parle
est-il aussi le plus éloigné de la doxa en matière de « roman » :
puisque à quelques exemples près, forme et contenu diffèrent
souvent de ce que la tradition préfère retenir sous ce mot.
Le contenu s’avère effectivement assez peu « romanesque » et préfère le témoignage, l’enquête, le matériau réel,
historique ou biographique. Non pour en livrer l’exacte expression, que l’on sait toujours déformée par l’acte d’écrire; mais pour,
dans le moment même de l’écriture, en projeter l’éphémère configuration. La forme narrative est elle-même revisitée, tendue, perplexe: parce qu’il ne s’agit plus simplement de raconter mais aussi
bien d’interroger, de soupçonner, de faire entendre. D’investir
des champs incertains plutôt que d’inventer de nouvelles fables
ou de reproduire celles de l’histoire littéraire. Et cependant il
faut bien reconnaître que ces variations, ces extensions ont de
tout temps constitué la vitalité même du roman, qui jamais ne se
satisfait d’une forme ni d’une définition préalables et demeure
en constante mutation. Paradoxal, ce roman l’est encore par sa
dimension explicitement ou implicitement polémique. Il fait la
guerre à la langue comme aux discours. Il s’érige face aux idées
reçues, aux leçons apprises, aux pensées consensuelles – non
pour en opposer d’autres, tout aussi certaines de leur fait, mais
pour instiller sans relâche le soupçon et le doute. Encore faut-il
préciser que ce ne sont pas les romans les plus évidemment
« provocateurs » qui s’inscrivent véritablement en faux sur le
fond du prêt-à-penser, mais ceux qui paraissent parfois les plus
éloignés du scandale et déconcertent souvent plus intimement.
Est-ce dire le manque d’envergure du roman contemporain, comme on lui en fait reproche depuis quelques décennies ?
Je ne le crois pas. L’envergure simplement a changé de sens. Elle
ne réside plus dans cette ambition totalisante encore exercée par
le réalisme épique du début du siècle, ou par la modernité des
romans de l’excès dont Claude Simon a donné les derniers exemples
(Tiphaine Samoyault). Sans doute vivons-nous une époque qui voit
le roman s’affranchir tout à fait de sa parenté originelle avec l’épo-
162
Écrire avec le soupçon • Dominique Viart
pée comme avec les fantasmes du «livre total». Il n’a plus de collectivité sociale à fonder, plus de mythes à véhiculer, plus de
« grands récits » à illustrer ni de prolifération chaotique à mettre
en œuvre. L’ambition désormais ne se mesure ni à l’élan lyrique ni
à la quantité de mondes brassés. Elle tient de la nature éthique
du roman et de son plus grand scrupule, qui certes – c’est ce que
d’aucuns lui reprochent – nuisent à l’emballement de l’imaginaire romanesque. Mais on ne peut prendre la mesure de sa valeur
et de son apport que si l’on accepte de considérer l’importante
mutation qui affecte la notion même de fiction. Il s’agit peut-être
moins désormais des productions d’un « état d’esprit scindé qui
nous détache de nos représentations » ( Jean-Marie Schaeffer,
Pourquoi la fiction ? ), que de celles du sens critique exacerbé qui
nous y confronte.
165
Le roman français contemporain
bibliographie
Avertissement
1. Cette bibliographie mentionne parfois des ouvrages pour lesquels la définition de « roman »
peut étonner : c’est que le genre se dilue dans des formes d’écriture désormais plus souples,
plus expérimentales ou plus hybrides.
2. Elle ne retient, à quelques titres près, que des livres parus depuis 1981, début
de la mutation esthétique signalée dans le texte.
3. Elle est suivie d’une brève bibliographie critique.
Adely,Emmanuel
Jeanne, Jeanne, Jeanne,
Stock, 2000
2-234-05256-4
Adler, Laure
À ce soir,
Gallimard, 2001
2-07-076265-3
Alexakis, Vassili
La Langue maternelle,
Fayard, 1995
2-213-59530-5
Alferi, Pierre
Le Cinéma des familles,
POL, 1999
2-86744-713-5
Asso, Françoise
Reprises,
Verdier, 1989
2-864-32082-7
Badiou, Alain
Calme bloc ici-bas,
POL, 1997
2-86744-547-7
Bailly,
Jean-Christophe
Basse continue,
Seuil, 2000
2-02-039281-X
Barbarant, Olivier
Douze Lettres d’amour
au soldat inconnu,
Champ Vallon, 1996
2-87673-164-9
Barnaud, Jean-Marie
Le Censeur,
Gallimard, 1992
2-07-072541-3
Barthes, Roland
Roland Barthes
par Roland Barthes,
Seuil, 1975
2-02-026092-1
Belletto, René
L’Enfer,
POL, 1986
2-86744-052-1
La Machine,
POL, 1990
2-86744-163-3
Ben Jelloun, Tahar
L’Enfant de sable,
Seuil, 1985
2-02-008893-2
La Nuit sacrée,
Seuil, 1987
2-02-009716-8
Bassez, Daniel
Tombeau,
Cheyne éditeur, 1992
2-903705-60-7
Bergounioux, Pierre
L’Orphelin,
Gallimard, 1992
2-07-072712-2
Beckett, Samuel
Compagnie,
Minuit, 1980
2-7073-0296-1
La Toussaint,
Gallimard, 1994
2-07-073612-1
Mal vu mal dit,
Minuit, 1981
2-7073-0330-5
Belhaj,
Kacem Medhi,
Cancer,
Tristram, 1994
2-907681-07-9
Miette,
Gallimard, 1995
2-07-040078-6
Bertina, Arno
Le Dehors
ou la Migration
des truites,
Actes Sud, 2001
2-7427-3404-X
166
Bianciotti, Hector
Sans la miséricorde
du Christ,
Gallimard, 1985
2-07-070472-6
Bober, Robert
Berg et Beck,
POL, 1999
2-86744-714-3
Bobin, Christian
Le Très-Bas,
Gallimard, 1992
2-07-072715-7
Bon, François
Sortie d’usine,
Minuit, 1982
2-7073-0630-4
Limite,
Minuit, 1985
2-7073-1039-5
Décor ciment,
Minuit, 1988
2-7073-1179-0
Un fait divers,
Minuit, 1994
2-7073-1471-4
Bibliographie • Dominique Viart
La Vie à l’endroit,
Grasset, 1997
2-246-53521-2
Bouraoui, Nina
La Voyeuse interdite,
Gallimard, 1991
2-07-038730-5
Boutry, François
Faire part,
Minuit, 1986
2-7073-1101-4
Boyer, Frédéric
Des choses idiotes
et douces,
POL, 1993
2-86744-337-7
Braudeau, Michel
Mon Ami Pierrot,
Seuil, 1993
2-020775-3
Calle-Gruber, Mireille
La division
de l’intérieur,
L’Hexagone, 1996
2-89006-528-6
Prison,
Verdier, 1997
2-86432-282-X
Camus, Renaud,
Roman roi,
POL, 1983
2-86744-005-X
Impatience,
Minuit, 1998
2-7073-1625-3
Roman furieux,
POL, 1986
2-86744-076-9
Borer, Alain
Rimbaud en Abyssinie,
Seuil, 1984
2-02-006991-1
Carrère, Emmanuel
La Moustache,
POL, 1986
2-86744-057-2
Boudjedra, Rachid
Le Désordre des choses,
Denoël, 1990
2-207-23839-3
L’Adversaire,
POL, 2000
2-86744-682-1
Chaillou, Michel
Domestique
chez Montaigne,
Gallimard, 1983
2-07-023775-3
La Croyance des voleurs,
Seuil, 1989
2-02-050578-9
Indigne Indigo,
Seuil, 2000
2-02-034937-X
Chambaz, Bernard
Martin cet été,
Julliard, 1994
2-260-00111-4
Chamoiseau, Patrick
Texaco,
Gallimard, 1992
2-07-072750-5
L’Esclave vieil homme
et le Molosse,
Gallimard, 1997
2-07-074095-1
Chevillard, Éric
Mourir m’enrhume,
Minuit, 1987
2-7073-1141-3
Chraïbi, Driss
Un enquète au pays,
Seuil, 1981
2-02-037433-1
Cixous, Hélène
Illa,
Des Femmes, 1980
2-7210-0180-9
Déluge,
Des Femmes, 1980
2-7210-0431-X
Clément, Catherine
Cherche-midi,
Stock, 2000
2-234-05287-4
Dominique Viart •
167
Bibliographie
Condé, Maryse
La Vie scélérate,
Robert Laffont, 1988
2-221-05251-X
Désirade,
Robert Laffont, 1997
2-221-08466-7
Confiant, Raphaël
Eau de café,
Grasset, 1991
2-246-43881-0
Daeninckx, Didier
Meurtres pour mémoire,
Gallimard, 1984
2-07-049620-1
Le Der des ders,
Gallimard, 1985
2-07-040806-X
En marge,
Denoël, 1994
2-207-24147-5
Daive, Jean
La Condition d’infini,
4 volumes,
POL, 1995-1998
Un trouble
2-86744-451-9
La Condition d’infini
2,3,4
2-86744-488-8
La Condition d’infini 5,
2-86744-538-8
Américana,
un délinquant
impeccable,
2-86744-583-3,
Del Castillo, Michel
Le Crime des pères,
Seuil, 1993
2-02-013551-5
De père français,
Fayard, 1998
2-213-60101-1
Depestre, René
Hadriana
dans tous mes rêves,
Gallimard, 1988
2-07-071255-9
Des Forêts, Louis-René
Les Mendiants,
Gallimard,
édition définitive, 1986
2-07-070681-8
Ostinato,
Mercure de France,
1998
2-7152-2012-X
Pas à pas
jusqu’au dernier,
Mercure de France,
2001
2-7152-2295-5
Djebar, Assia
Loin de Médine,
Albin Michel, 1991
2-226-05259-3
Le Blanc de l’Algérie,
Albin Michel, 1996
2-226-08457-6
Doubrovsky, Serge
Fils,
Gallimard, 2001
2-07-041945-2
Un amour de soi,
Grasset, 1982
2-07-041951-7
Le Livre brisé,
Grasset, 1989
2-246-38631-4
Duras, Marguerite
La Maladie de la mort,
Minuit, 1982
2-7073-0639-8
L’Amant,
Gallimard, 1984
2-07-072379-8
Écrire,
Gallimard, 1993
2-07-073638-5
Echenoz, Jean
Le Méridien
de Greenwich,
Minuit, 1979
2-7073-0254-6
Lac,
Minuit, 1989
2-7073-1304-1
Cherokee,
Minuit, 1983
2-7073-0653-3
L’Équipée malaise,
Minuit, 1987
2-7073-1111-1
Un an,
Minuit, 1997
2-7073-1587-7
Ernaux, Annie
La Place,
Gallimard, 1983
2-07-070048-8
Une femme,
Gallimard, 1988
2-07-071200-1
La Honte,
Gallimard, 1997
2-07-074787-5
Forest, Philippe
L’Enfant éternel,
Gallimard, 1997
2-07-074796-4
168
Bibliographie • Dominique Viart
Toute la nuit,
Gallimard, 1999
2-07-075506-1
Goux, Jean-Paul
La Fable des jours,
Flammarion, 1980
Charité,
Flammarion, 2000
Fournier, Gisèle
Non-dits,
Minuit, 2000
2-7073-1716-0
2-08-062515-2
La Commémoration,
Actes Sud, 1995
Jonquet, Thierry
Les Orpailleurs,
Gallimard, 1993
2-7427-0466-3
2-07-040638-5
Froment-Meurice,
Marc
Tombeau de Trakl,
Belin, 1992
2-7011-1433-x
La Maison forte,
Actes Sud, 1999
Du passé faisons table rase,
Actes Sud, 1994
2-7427-2342-0
2-7427-1766-8
Guibert, Hervé
Voyage avec deux
enfants,
Minuit, 1982
Juliet, Charles
L’Inattendu,
POL, 1992
2-7073-0624-X
Lambeaux,
POL, 1995
Gailly, Christian
Dit-il,
Minuit, 1987
2-7073-1146-4
Be-Bop,
Minuit, 1995
2-7073-1514-1
Germain, Sylvie
Le Livre des nuits,
Gallimard, 1985
2-07-070474-2
Jours de colère,
Gallimard, 1988
2-07-071655-4
Gibert, Bruno
Claude,
Stock, 2000
2-234-05259-9
Glissant, Édouard
Tout-monde,
Gallimard, 1993
2-07-073681-4
Goldschmidt,
Georges-Arthur
La Traversée des fleuves,
Seuil, 1999
2-02-020991-8
Mes parents,
Gallimard, 1986
2-07-070657-5
Hocquard, Emmanuel
Aerea dans
les forêts de Manhattan,
POL, 1985
2-86744-034-3
2-85920-328-1
2-86744-176-5
2-86744-478-0
Kaplan, Leslie
L’Excès-L’usine,
POL, 1987
2-86744-078-5
Depuis maintenant,
POL, 1996
Houellebecq, Michel
Extension
du domaine de la lutte,
Maurice Nadeau, 1994
2-86744-506-X
2-86231-124-3
2-86744-560-4
Les Particules
élémentaires,
Flammarion, 1998
Le Psychanalyste,
POL, 1999
2-08-067472-2
Un long dimanche
de fiançailles,
Koltès,
Bernard-Marie
Prologue,
Minuit, 1991
Denoël, 1991
2-7073-1346-7
2-207-23610-2
Kristof, Agota
Le Grand Cahier,
Seuil, 1986
Japrisot, Sébastien
Jeannet,
Frédéric-Yves
Cyclone,
Castor astral, 1997
2-85920-328-1;
Les Prostituées
philosophes,
POL, 1997
2-86744-681-3
2-02-009079-1
Dominique Viart •
169
Bibliographie
La Preuve,
Seuil, 1988
Le Clézio, J.M.G.
Lucot, Hubert
Désert,
Langst,
2-02-023927-2
Gallimard, 1980
2-07-020712-9
POL, 1984
2-86744-025-4
Onitsha,
Maalouf, Amin
Gallimard, 1992
2-07-072230-9
Les Échelles du Levant,
Le Troisième Mensonge,
Seuil, 1991
2-02-025781-5
Kundera, Milan
La Lenteur,
Gallimard, 1995
2-07-074135-4
Lachaud, Denis
J’apprends l’allemand,
Actes Sud, 1999
2-7427-2528-8
Lamarche-Vadel
Bernard,
Lenoir, Hélène
Grasset, 1996
2-246-49771-X
La Brisure,
Macé, Gérard
Minuit, 1994
2-7073-1475-7
Le Dernier
des Égyptiens,
Son nom d’avant,
Gallimard, 1988
2-07-071470-5
Minuit, 1998
2-7073-1648-2
Lévy, Bernard-Henri
Vies antérieures,
Gallimard, 1991
2-07-072234-1
Vétérinaires,
Les Derniers Jours
de Baudelaire,
Gallimard, 1993
2-07-072908-7
Grasset, 1988
2-246-40171-2
Sa vie, son œuvre,
Linhart, Robert
Gallimard, 1997
2-07-074499-X
L’Établi,
Mercure de France,
1995
2-7152-1936-9
Laporte, Roger
Minuit, 1978
2-7073-0329-1
Manchette,
Jean-Patrick
Une vie,
Louis-Combet, Claude
POL, 1986
2-86744-050-5
Marinus et Marina,
La Position
du tireur couché,
Lascault, Gilbert
Beatabeata,
420 Minutes
dans la cité des ombres,
Flammarion, 1985
2-08-064630-3
Manet, Eduardo
Ramsay, 1987
2-85956-613-9
Blesse, ronce noire,
Grasset, 1999
2-246-55211-7
Flammarion, 1979
Laurrent, Éric
Corti, 1995
2-7143-0533-4
Dehors,
Lovay, Jean-Marc
Minuit, 2000
2-7073-1702-0
Polenta,
Makine, Andreï
Le Testament français,
Gallimard, 1985
2-07-040640-7
D’amour et d’exil,
La Sagesse du singe,
Grasset, 2001
2-246-57421-8
Gallimard, 1980
2-88182-340-8
Maspero, François
Bourgois, 1998
2-267-01468-8
Aucun de mes os
ne sera troué pour servir de flûte enchantée,
Seuil, 1995
2-02-030028-1
Lettre morte,
Verticales, 1998
2-84335-006-9
Loin d’eux,
Lê, Linda
Voix,
Bourgois, 1999
2-267-01479-3
La Plage noire,
Mauvignier, Laurent
Minuit, 1999
2-7073-1671-7
170
Bibliographie • Dominique Viart
Apprendre à finir,
Modiano, Patrick
Rosie Carpe,
Minuit, 2000
2-7073-1721-7
Dora Bruder,
Minuit, 2001
2-7073-1740-3
Maximin, Daniel
Gallimard, 1998
2-07-074898-7
L’isolé Soleil,
Montel, Jean Claude
La Démangeaison,
Seuil, 1981
2-02-048158-8
L’Enfant
au paysage dévasté,
Sortilège, 1994
2-251-49105-8
Michon, Pierre
Flammarion, 1985
2-08-064827-6
La Conversation,
Vies minuscules,
Gallimard, 1984
2-07-070038-0
Relances à pagaille,
Nobécourt, Lorette
Grasset, 1998
2-246-55681-3
Le Rocher, 1997
2-268-02450-4
Noël, Bernard
Verdier, 1990
2-86432-110-6
Moura, Jean-Marc
Ombres, 1995
2-84142-013-2
Rimbaud le fils,
Phébus, 2000
2-85940-618-2
Maîtres et Serviteurs,
Gallimard, 1991
2-07-071740-2
Gandara,
La Maladie de la chair,
La Langue d’Anna,
Nadaud, Alain
POL, 1998
2-86744-597-3
Trois Auteurs,
L’Archéologie du zéro,
Noguez, Dominique
Verdier, 1997
2-86432-263-3
Denoël, 1984
2-207-22978-5
Les Trois Rimbaud,
Mignard, Annie
L’Envers du temps
Le Père,
Denoël, 1985
2-207-23161-5
Seghers, 1991
2-232-10285-8
L’Iconoclaste,
Minuit, 1986
2-7073-1078-6
M&R,
Le Rocher, 1999
2-268-03397-X
Quai Voltaire, 1989
2-87653-034-1
Nothomb, Amélie
La Gloire des Pythre,
POL, 1995
2-86744-481-0
Le Livre
des malédictions,
Albin Michel, 1992
2-226-05964-4
L’Amour
des trois sœurs Piale,
Grasset, 1995
2-246-51191-7
Novarina, Valère
POL, 1997
2-86744-574-4
Navarre, Yves
Lauve le pur,
Flammarion, 1981
2-08-064384-3
Millet, Richard
POL, 2000
2-86744-712-7
Biographie, roman,
Hygiène de l’assassin,
Le Discours
aux animaux,
POL, 1987
2-86744-080-7
Ollier, Claude
NDiaye, Marie
Aberration,
Mimouni, Rachid
En famille,
L’Honneur de la tribu,
Minuit, 1990
2-7073-1367-X
POL, 1997
2-86744-499-3
Robert Laffont, 1989
2-221-06402-X
Une peine à vivre
La Femme
changée en bûche,
Robert Laffont, 1991
2-234-02407-2
Minuit, 1989
2-7073-1285-1
Missing,
POL, 1998
2-86744-638-4
Dominique Viart •
171
Bibliographie
Préhistoire,
Pirotte, Jean-Claude
POL, 2001
2-86744-821-2
La Pluie à Rethel,
2-7073-1007-7
Oster, Christian
La Table ronde, 1981
2-7103-2472-5
Angélique
ou l’Enchantement,
L’Aventure,
Un été dans la combe,
2-7073-1159-6
Minuit, 1993
2-7073-1446-3
La Table ronde, 1993
2-7103-0575-5
Les Derniers Jours
de Corinthe,
Mon grand
appartement,
Puech, Jean-Benoît
2-7073-1479-X,
L’Apprentissage
du roman,
La Reprise,
Minuit, 1999
2-7073-1682-2
Le miroir qui revient,
Minuit, 2001
2-7073-1756-X
Pachet, Pierre
Champ Vallon, 1993
Quignard, Pascal
Autobiographie
de mon père,
Les Tablettes de buis
d’Apronenia Avitia,
Autrement, 1987
2-86260-491-7
Gallimard, 1984
2-07-070095-X
Pennac, Daniel
Au bonheur des ogres,
Le Salon du
Wurtemberg,
Gallimard, 1985
2-07-040369-6
Gallimard, 1986
2-07-070710-5
Perec, Georges
Les Escaliers
de Chambord,
Seuil, 1994
2-02-028132-5
Gallimard, 1989
2-07-071694-5
Méroé,
W ou le Souvenir
d’enfance,
Denoël, 1975
2-207-23491-6
(avec Robert Bober)
Récits d’Ellis Island,
POL, 1980
2-86744-482-9
La Raison,
Rolin, Jean
La Clôture,
POL, 2002
2-86744-858-1
Rolin, Olivier
L’Invention du monde,
Seuil, 1993
2-02-012862-4
Port Soudan,
Seuil, 1998
2-02-039563-0
Le Promeneur, 1990
2-87653-092-9
Rouaud, Jean
Rhétorique spéculative,
Minuit, 1990
2-7073-1347-5
Les Champs d’honneur,
Pingaud, Bernard
Calmann-Lévy, 1995
2-7021-2398-8
Adieu Kafka,
Redonnet, Marie
Gallimard, 1989
2-07-071737-2
Rose Mélie Rose
Minuit, 1993
2-7073-1452-8
Pinget, Robert
Minuit, 1987
2-7073-1133-2
Sur la scène
comme au ciel,
Monsieur Songe,
Rio, Michel
Minuit, 1982
2-7073-0612-6
Mélancolie Nord,
Minuit, 1999
2-7073-1685-7
L’Ennemi,
Minuit, 1987
2-7073-1126-X
Seuil, 1982
2-02-032078-9
Robbe-Grillet, Alain
Les Romanesques,
3 volumes,
Minuit, 1984-1994
Des hommes illustres,
172
Bibliographie • Dominique Viart
Titus-Carmel, Gérard
Hortense, 3 volumes
Minuit, 1977
2-7073-0150-7
Ramsay-Seghers,
Marin mon coeur,
La Belle Hortense,
Minuit, 1992
2-7073-1416-1
Seuil, 1998
2-02-034024-0
L’Enlèvement
d’Hortense,
En vie,
2-232-10374-9
Minuit, 1995
2-7073-1498-6
L’Exil d’Hortense,
Serena, Jacques
Minuit, 1985
2-7073-1028-X
Ramsay-Seghers,
2-232-10282-3,
Basse Ville,
L’Appareil-photo,
Minuit, 1992
2-7073-1408-0
Minuit, 1989
2-7073-1197-9
Simon, Claude
La Télévision,
Les Géorgiques,
Minuit, 1981
Minuit, 1997
2-7073-1582-6
Roubaud, Jacques
2-232-10322-6
Le Grand Incendie
de Londres,
Seuil, 1989
2-02-010472-5
L’Élancement,
Toussaint,
Jean-Philippe
La Salle de bain,
Sallenave, Danièle
2-7073-0520-0
Trassard, Jean-Loup
Les Portes de Gubbio,
Discours de Stockholm,
Dormance,
Gallimard, 1980
2-07-039378-X
Minuit-Fondation
Nobel, 1986
2-7073-1073-5
Gallimard, 2000
2-07-075982-2
L’Acacia,
L’Accordeur,
Minuit, 1989
2-7073-1296-7
Calmann-Lévy, 1996
2-7021-2577-8
Le Jardin des plantes,
Viel, Tanguy
Minuit, 1997
2-7073-1609-1
Cinéma,
Adieu,
POL, 1988
2-86744-111-0
Viol,
Gallimard, 1997
2-07-074498-1
Salvayre, Lydie
La Compagnie
des spectres,
Seuil, 1997
2-02-035285-0
Le Tramway,
Minuit, 1999
2-7073-1670-9
Minuit, 2001
2-7073-1732-2
L’Absolue
Perfection du crime,
Sollers, Philippe
Minuit, 2001
2-7073-1765-9
Sarraute, Nathalie
Paradis,
Enfance,
Seuil, 1981
2-02-005728-X
Gallimard, 1983
2-07-025979-X
Tu ne t’aimes pas,
Gallimard, 1989
2-07-071695-3
Ici,
Gallimard, 1995
2-07-074244-X
Veinstein, Alain
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L’Atelier du roman,
« L’extrême
contemporain »,
n°41, 1987
Et plus largement :
Écritures (Liège),
Le Matricule
des Anges,
Prétexte, Scherzo
Titres parus
Réalisation adpf Jean de Collongue.
6, rue Ferrus. Paris 14 \
Fabrication Cent pages. Mise en page Bérangère Lallemant
Composé en Architype Renner & Janson Text.
Imprimé sur papier Bouffant Paradis 80 g pour l’intérieur
et Munken Lynx 240 g pour la couverture.
Ministère des A{aires étrangères — adpf \
Juin 2002/12500 exemplaires. Isbn 2-911127-93-5/12 €
Les textes publiés dans ce livret et les idées qui peuvent
s’y exprimer n’engagent que la responsabilité de leur
auteur et ne représentent en aucun cas une position
o|cielle du ministère des A{aires étrangères.
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