Les relations entre syndicats de salariés
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Les relations entre syndicats de salariés
Les relations entre syndicats de salariés et mouvement associatif au regard de la micro histoire : L'exemple du département de la Vienne entre 1944 et 1968 Appréhender les relations entre organisations syndicales et associations en réduisant l’échelle d’analyse à un département ou une agglomération est - il pertinent sur le plan scientifique, alors que cette problématique reste largement à approfondir et que les travaux sur le sujet restent relativement rares1 ? Faute de comparaison possible, le chercheur est donc contraint de construire sa propre grille d’analyse, tout en évitant de sombrer dans la stricte monographie qui n’aurait pas pour ambition de nourrir la synthèse. Nous plaidons pour la complémentarité des échelles d’analyse2. Aussi, le cadre départemental se prête à l’investigation, l’essentiel des organisations militantes, ayant choisi une structuration qui épouse les contours de cette entité administrative. Reste à s’accorder sur les organisations soumises au regard du chercheur. En nombre plus limité, bien que croissant, les organisations syndicales sont aisément repérables. La CGT, la CGT-FO, la CFTC puis la CFDT se partagent l’essentiel des effectifs syndiqués dans le département. Nous laissons délibérément de côté la question du syndicalisme enseignant et son puissant réseau qui mériteraient un travail spécifique. Au regard du nombre, de la diversité et de leur caractère éphémère, nous ne considérerons que les associations ayant eu directement ou implicitement les rapports avec les syndicats. La documentation disponible est inégale. Globalement les archives relatives aux syndicats demeurent mieux conservées et en quantité plus abondante « grâce », entre autre, à la surveillance policière dont ils font l’objet, que celles qui concernent les associations, ces dernières ayant moins de moyens pour conserver leur documentation. Associations et syndicats ont une histoire et des préoccupations communes entre 1944 et 1968. Les uns comme les autres ont connu une période inédite de formidable effervescence et dans les années de l’immédiat après guerre, mais aussi un reflux important dès la fin des années quarante. La crise déstructurant les liens sociaux traditionnels que rencontre le département au cours des années cinquante et soixante, influe sur les combinaisons organisationnelles possibles, déjà largement déterminées par les enjeux politiques et sociaux du moment et le souhait des militants de retrouver la dynamique des années précédentes. 1 Une recension des travaux déjà réalisés à partir de la Bibliographie Annuelle de l’Histoire de France depuis les vingt dernières années rend compte de la quasi inexistence de travaux à ce sujet. En 1990 la rubrique Associations et Syndicats est remplacée par la rubrique Syndicats. 2 Denis Michel « L’approche régionale » L'histoire et le métier d'historien en France, 1945-1995, sous la dir. de François Bédarida, Paris : Éd. de la MSH, 1995, pp. 187-200, et Pierre-André Rosental « Qu’est ce qu’une ressource locale ? Homéostasie et microanalyse en histoire sociale », Revue de synthèse, n°1, janvier-mars 2001, pp. 71-91 1 PREMIERE PARTIE LES SYNDICATS ET LEURS RESEAUX ASSOCIATIFS : DES REVELATEURS CULTURELS ? A. La CGT : Un réseau important et idéologiquement marqué. Des organisations syndicales implantées dans le département de la Vienne, la CGT possède assurément le réseau associatif le plus important de la Libération à 1968. Quatre périodes distinctes se succèdent. De 1945 à 1948 de nombreuses initiatives sont menées conjointement avec différentes associations, incluant parfois la CFTC. La pluralité des courants politiques au sein de la CGT, la multiplication des problèmes liés au ravitaillement ainsi que la quête de légitimité de nombreuses structures favorisent les initiatives communes. Ainsi une commission unique pour l’assainissement des prix voit le jour en 1946 regroupant l’Union des Femmes Françaises (UFF), l’Association Départementale des Prisonniers de Guerre (ADPG), des associations familiales, la CGT et la CFTC3. La bipolarisation du monde a des répercutions sur les organisations constitutives du champ militant. L’Union Départementale CGT qui a depuis le mois de juin 1947 une majorité de cadres communiste privilégie, malgré ses démentis, les relations avec les associations appartenant au « conglomérat communiste ». A terme, cette stratégie ne lui est guère profitable car, comme elle, les associations telles que les Combattants de la paix ou bien l’UFF sont en nette perte de vitesse au début des années cinquante. Aussi, en mars 1953, alors que plusieurs responsables confédéraux de la CGT sont interpellés, l’UD CGT de la Vienne met en place avec l’UFF, l’UJRF, les FTP, le MLP et le PCF un comité d’action pour la défense des emprisonnés et des libertés4. Cette initiative, qui se traduit par des meetings et interpellations des pouvoirs publics, malgré l’énergie mise à l’œuvre par ses promoteurs, se solde par un échec et participe à la raréfaction des initiatives communes dans les années qui suivent. A compter de 1954 la stratégie de la CGT tend à privilégier l’Unité d’Action avec les autres organisations syndicales délaissant les associations avec lesquelles elle travaillait antérieurement5. Ce n’est qu’à partir de 1964-1965 dans un contexte social renouvelé, et l’arrivée d’une nouvelle génération dans l’espace militant que se renouent des relations entre la CGT et un certain nombre d’associations autour de thématiques pacifistes notamment. Entre 1944 et 1968, les relations entre associations et la CGT ne se limitent pas aux apparitions publiques. Aussi l’UD CGT disposant de ressources financières et de moyens plus importants peut aider sur le plan matériel et exceptionnellement certaines organisations, comme l’UJRF6. Sans qu’il soit possible de déterminer et de recenser l’ensemble de ces phénomènes il parait plausible qu’ils aient perduré d’autant que le comité fédéral du Parti Communiste constitue un véritable carrefour et un lieu d’échange régulier, et de sociabilité, entre responsables associatifs et syndicaux participant à la consolidation du « conglomérat communiste ». L’exécutif fédéral comprend en effet aux côtés des secrétaires départementaux ou d’Unions locales les principaux 3 La Nouvelle République n° 705, du 10.12.1946, p. 3, AD Vienne, 51 Jx 2 Note d’information n°299 du 10.03.1953, AD Vienne, 1 W 2979. 5 Cette question est notamment discutée au sein du PCF : note d’information n°192 du 19.02.1953, AD Vienne, 1 W 3165. 6 Entretien avec Jeanne Fromonteil, née en 1929, recueilli le 21.10.2003 et note d’information n° 1356 du 8.12.1954, AD Vienne, 1 W 2979. 2 4 cadres de la FNDIRP, de l’UFF, du mouvement de la paix, du mouvement des Vaillants, de la FNAA, ou de l’ADPG7. Au-delà des actions collectives, quelle est l’implication des syndicalistes dans le tissu associatif ? Il semble que, pour la période étudiée, le double engagement demeure relativement limité surtout au sein d’associations à dominante militante. Dans les faits les associations de parents d’élèves, ou bien à caractère sportif ou encore de défense de locataires ont la préférence des militants syndicaux8. B. La CFTC-CFDT et l’utilisation des associations comme lieu de sociabilité. Malgré la prégnance du phénomène religieux dans la Vienne, la CFTC reste, entre 1944 et 1968, une organisation modeste tant sur le plan de l’audience que sur celui de l’activité. Si la CFTC puis la CFDT collaborent avec des structures associatives, force est de constater que les liens demeurent distendus, phénomène qui d’ailleurs s’accroît dès le début des années cinquante. Véritable vivier de militants pour le syndicalisme chrétien, l’Action Catholique Ouvrière et la Jeunesse Ouvrière Chrétienne vont fournir plusieurs cadres à la CFTC entre 1944 et le milieu des années cinquante, sans être la seule voie d’accès aux plus hautes fonctions. Madeleine Marit secrétaire générale de l’UD CFTC et actrice de la déconfessionnalisation de cette structure incarne le parcours de nombreux autres militants. Née en 1925, elle obtient en 1943 un CAP grâce aux cours dispensés par les syndicats chrétiens. En 1945, elle rejoint la JOC ou elle participe aux journées de réflexion et aux formations. En 1947, elle est élue présidente locale de la JOC, avant de devenir responsable de l’ACO en 1952, année ou elle s’engage à la CFTC au sein de laquelle elle occupe différents mandats dans les années 1950-19609. L’ACO et la JOC se présentent dès lors comme des associations complémentaires du syndicalisme en participant à la formation des futurs cadres qui sont rapidement opérationnels dans leurs fonctions ultérieures. Les liens qui unissent les deux structures ne se limitent pas à cette fonction. Des initiatives collectives sont possibles telle que la constitution à la fin de l’année 1945 d’un comité de santé ouvrier composé de la JOC de la JOCF et de la CFTC10 D’autres initiatives sont menées de concert avec des associations familiales catholiques jusqu’à la fin des années 1940. Les transformations idéologiques et stratégiques qui affectent la CFTC au cours des années cinquante modifient la nature des rapports avec les associations relevant des réseaux catholiques. Progressivement la CFTC prend en charge elle-même la formation de ses militants et prend ainsi ses distances avec la JOC ou l’ACO, structure d’ailleurs en perte de vitesse. Le travail de redéfinition des valeurs portées par la CFTC, l’arrivée de nouveaux militants noncatholiques ainsi que la volonté de construire un syndicalisme à la fois novateur et qui ne reste pas dans l’ombre de ses rivaux amène un certain nombre de syndicalistes, en conflit avec les militants conservateurs de la CFTC, et en quête d’appui extérieur, à tenter de construire un réseau associatif. Au début des années 1960 plusieurs syndicalistes de la CFTC fondent avec des militants du PSU et des étudiants de l’Université de Poitiers un groupe des non-violents. Outre le 7 Nous remercions Claude Pennetier qui nous a transmis les documents préparatoires, ici la composition du comité fédéral de fédération de la Vienne du PCF pour la période 1953-1968, à l’édition du prochain dictionnaire biographique du mouvement social. 8 Ces résultats, à paraître dans notre thèse, sont le fruit du dépouillement d’un questionnaire adressé à une cinquantaine de militants de la CGT et d’entretiens oraux complémentaires. 9 Témoignage de Madeleine Marit, née en 1925, recueilli le 22.09.1999. 10 La Nouvelle République, n°400 du 10.12.1945, p. 4, AD Vienne, 51 Jx 1 3 secrétaire de l’UD CFTC Louis Girard, on y retrouve la plupart des dirigeants du SGEN-CFTC ainsi que des ex-membres de la JOCF mais aussi des militants du PCF11. Ce groupe organise des actions symboliques et pacifiques à Poitiers pour obtenir la paix en Algérie. Si il existe une volonté de se démarquer des structures existantes, les frontières entre groupements ne sont pas étanches comme en témoigne le parcours de Fernande Cormier dirigeante de l’UD CFDT, et qui devient Présidente du conseil départemental poitevin du mouvement de la paix aux côtés de militants cégétistes ou communistes12. Dans le Châtelleraudais, les militants de la CFTC réinvestissent certaines structures telles que l’Association des déportés du travail qui compte environ 250 membres à la fin de l’année 1964 qui a pour principale revendication la reconnaissance officielle du titre de déportés13. L’investissement de militants de la CFTC en dehors de la sphère syndicale a largement contribué à transformer les représentations existantes sur cette centrale. Les liens tissés au début des années 1960 permettent la diffusion et le rayonnement de ses valeurs au sein du mouvement social poitevin, ce qui lui permet d’attirer à elle de nombreux travailleurs et de supplanter au cours de cette décennie la CGT-FO nettement en retrait à la même période Dans l’univers de la centrale chrétienne les associations occupent une place particulière et occupent une double fonction. Elles sont à la fois un lieu de formation et un lieu de sociabilité voir de refuge pour les militants qui évoluent dans les deux univers. Les débats et les options individuelles s’expriment en dehors ou en marge de la CFTC permettant ainsi de conserver une relative unité organique alors que les divergences de vue sont attestées. C. La CGT-FO : Un syndicalisme sans les associations ? Une organisation syndicale peut-elle se passer de relations avec le tissu associatif local ? C’est la question qui s’impose lorsqu’on examine les archives disponibles sur la CGT-FO entre 1948 et 1968. Le souci d’indépendance exprimé par les cadres syndicaux de l’époque amène à ne privilégier aucune structure, association comprise, en particulier. Un ancien responsable de l’UD FO rappelle que son syndicat cherche alors plutôt des partenaires du côté de la mutualité, avec laquelle il est possible de bâtir des projets, qu’auprès des associations existantes considérées comme des « courroies de transmission ».14 Si FO est restée durant ces vingt premières années d’existence largement en retrait par rapport aux autres organisations syndicales ou associatives, elle a néanmoins été contrainte de construire des relations avec le monde associatif. Dans les mois qui suivent sa création, FO est en quête de visibilité et de légitimité. Elle doit montrer sa différence et sa capacité à initier des actions collectives. Pour cela elle doit trouver des partenaires. Avec la CFTC et plusieurs associations familiales, FO constitue un comité de lutte pour la baisse des prix qui demeure actif tout au long de l’été 194815. Cette initiative rencontre un vif succès et trouve le soutien du Préfet. Pourtant ce type d’initiative commune ne se répétera pas dans les années qui suivent laissant à penser que celle-ci relève plus d’une stratégie d’implantation dans le paysage social que d’une vocation à un travaille de concert. 11 Notes d’informations n° 1322 du 2.11.1961 et n°4294 à 4310 du 22.01.1962, AD Vienne, 1W 4327. Lettre du comité départementale du Mouvement de la Paix au Préfet de la Vienne du 15.04.1967, AD Vienne, 1 W 4327. 13 Note d’information n° 1091 du 10.11.1964, AD Vienne, 1 W 4433. 14 Témoignage d’André Tourancheau, né en 1920, recueilli le 17.05.2004. 15 Note d’information n° 1928 du 14.06.1948, AD Vienne, 1 W 2978. 12 4 Au milieu des années soixante l’UD FO est confrontée à plusieurs difficultés : Une Union départementale qui ne fonctionne pas et dans l’incapacité d’initier une activité collective, des effectifs en baisse posant des problèmes de trésorerie, et dans le même temps la venue de jeunes adhérents qu’il est indispensable de former et de fidéliser faute de quoi FO est condamné à régresser. Aussi, décision est prise d’initier une association départementale des jeunes syndicalistes. Son but est de donner aux jeunes travailleurs par l’éducation ouvrière une formation syndicale complète et leur permettre la pratique des sports ainsi que l’organisation de loisirs16. A l’image de FO pour cette période, cette association, ne rencontre qu’un succès relatif. On ne compte en effet que 33 membres en 1966 et l’activité de celle-ci se cantonne à des échanges franco-allemands annuels et quelques sessions de formations. Si on déplace le focal sur les militants, force est de constater que l’investissement associatif semble lui aussi limité pour ceux-ci. Les associations évoluant dans l’espace militant sont effectivement plus ou moins liées à l’écosystème communiste ou au monde catholique. Aussi rares sont-ils à doubler leur militantisme syndical d’une pratique associative à l’exception de certains cadres dirigeants, véritables professionnels du militantisme, et dont le choix de s’investir à FO correspond à des convictions idéologiques très fortes. PARTIE 2 LA DYNAMIQUE DES RELATIONS ENTRE ASSOCIATIONS ET SYNDICATS. A. Un exemple abouti de collaboration syndicats-associations : Le cas des vieux travailleurs. Jusqu’au milieu des années 1960, les travailleurs retraités ne sont que rarement intégrés aux syndicats hormis dans des secteurs professionnels fortement structurés. Depuis la Libération en effet de puissantes associations de Vieux travailleurs faisant office de syndicats pour retraités se sont formées dans le département de la Vienne. La plus importante d’entre elle, la fédération des vieux travailleurs de la Vienne regroupe près de 6000 adhérents en avril 1946 avant de connaître une baisse substantielle dans les années qui suivent. Les animateurs de cette structure sont généralement d’anciens responsables syndicaux tel que Raoul Gaillard, et ancien dirigeant du syndicat des postes et secrétaire de cette fédération jusqu’au milieu des années cinquante. D’autres militants, entrés en disgrâce avec les autres cadres syndicaux, y trouvent refuge à l’image de Pierre Foucault, ouvrier à la Manufacture d’Armes et ancien secrétaire de l’UL CGT de Châtellerault. Cette fédération fonctionne de façon similaire à une organisation syndicale, à la différence près que chaque section locale est interprofessionnelle. Lors des congrès un certain nombre de revendications sont énoncées, notamment l’augmentation de l’allocation destinée aux vieux travailleurs. Elle organise des actions collectives seule ou avec les syndicats de salariés. Les liens avec les organisations syndicales et en particulier la CGT, sont réaffirmés régulièrement par l’invitation qui est faite aux responsables de cette structure afin d’exposer leur thèse. En avril 1950 René Penin président de la section châtelleraudaise de la fédération appelle à voter pour les listes CGT aux élections à la sécurité sociale. Mais cette proximité avec la CGT dans une période de crispation sociale provoque le mécontentement grandissant de nombreux adhérents qui pensent que ce syndicat prend « un trop grand intérêt à leurs affaires ».17 16 Demande de subvention de l’association départementale des jeunesses syndicalistes « Force ouvrière » de la Vienne du 18.12.1967, AD Vienne, 1 W 3958. 17 Note d’information n°207 du 24.01.1949, AD Vienne, 1 W 2977. 5 Ces tensions persistantes aboutissent à une scission à la fin de l’année 1948 avec une partie du bureau qui constitue peu après une société des Vieux travailleurs indépendants. Ces militants se rapprocheront alors de la CGT-FO confédération avec laquelle des convergences de vue existent. Si les divisions existantes sur le plan syndical se reproduisent partiellement au sein de ses associations, ces dernières parviennent néanmoins à intégrer dans leurs instances des militants provenant d’horizons différents. Ainsi le bureau de la fédération générale des retraités qui s’occupe de manière privilégiée des retraités de la fonction publique comporte parmi ses membres des militants adhérents ou proches de la CGT ou de FO. Le déclin progressif des associations de vieux travailleurs et les difficultés de recrutement syndicales conduisent les syndicats à intégrer les retraités en nombre croissant parmi leurs adhérents. Les retraités n’ apparaissent comme une catégorie spécifique au sein des congrès départementaux de la CGTqu’à partir de 1969 par exemple18. B. Engagement associatif, engagement syndical, des options différentes ? Comment expliquer l’engagement de certains syndicalistes dans des associations, en fait une minorité que l’on retrouve essentiellement aux plus hautes fonctions syndicales et la réticence du plus grand nombre ? Deux raisons peuvent être invoquées. En premier lieu l’identité même des associations peut constituer un frein. Leur recrutement étroit, le caractère politisé et des objectifs parfois trop similaires à ceux du syndicalisme. L’UFF par exemple cumule ces trois handicaps. En effet plus le nombre de ses adhérentes a régressé, moins l’on retrouve de syndicalistes. En de nombreuses occasions cette association a été obligé de se justifier sur sa proximité avec le Parti Communiste. Au cours de son congrès départemental du mois d’avril 1947, une des dirigeantes précise « que chaque adhérente doit s’employer à démonter que l’UFF n’est pas un camouflage des femmes communistes19 ». Malgré cette exigence, cette image persiste durablement auprès du public. Enfin les objectifs de l’UFF et les relations qu’entretiennent les dirigeants de l’UD CGT avec cette structure sèment la confusion parmi les militants. Lorsque la CGT tente de mettre sur pied une commission départementale des femmes, ses dirigeants font appel aux principales figures de l’UFF. Les revendications exprimées par cette commission sont très semblables de celles de l’UFF20. Après l’échec de cette commission qui ne parvient à se pérenniser, les responsables cégétistes font preuve de bienveillance à l’égard de l’UFF en lui accordant par exemple des salles pour leurs réunions et congrès. Dans les faits, l’UFF rempli le rôle de la commission féminine de la CGT jusqu’au début des années soixante sans pour autant que cette répartition des fonctions ne profitent réellement à l’une ou l’autre. Le partage de l’espace social peut aussi être appréhendé par le biais de la sociologie des organisations. Rares sont en effet les associations qui ont une composition sociale semblable aux syndicats. La ligue des Droits de l’Homme, avec laquelle des actions sont parfois menées, comporte certes quelques ouvriers ou fonctionnaires, mais intègre davantage des membres issus de professions libérales et supérieures ou bien du corps enseignant21. Ce phénomène se retrouve dans les associations telles que l’Action Civique Non violente (ACNV) ou bien le Mouvement Contre l’Armement Atomique (MCAA) largement composé d’étudiants et d’enseignants et ne laissant qu’une place mineure aux autres catégories sociales. 18 Documents de travail relatifs au 45ème congrès de l’UD CGT (1er et 2 février 1969), Arch. de l’UD CGT de la Vienne. 19 Note d’information n°1139 du 18.04.1947, AD Vienne, 1 W 3161. 20 Note d’information n°73 du 10.01.1950, AD Vienne, 1 W 2979. 21 La documentation relative à la LDH est classée sous la côte 1 W 2746 aux archives départementales de la Vienne. 6 C. Les dimensions exogènes de l’action commune associations-syndicats. Si les relations suivies entre structures syndicales et associatives sont globalement peu fréquentes, sauf par l’entremise de certains militants, les évènements nationaux ou internationaux, les périodes de crises, ou les difficultés économiques persistantes favorisent l’action concertée de différents groupements. A notre sens trois thématiques font émerger des intérêts communs et transcendent les réseaux classiques. La lutte contre la guerre et en faveur de la paix est la première d’entre elles. La signature de l’appel de Stockholm, la lutte pour une solution négociée en Algérie, ou les actions en faveur du peuple vietnamien suscitent des convergences de vue qui peuvent se traduire par des manifestations, meetings, pétitions associant syndicats d’enseignants, partis de gauche, syndicats confédérés et de nombreuses associations. La lutte contre les difficultés économiques est une préoccupation fédératrice. L’été 1955 est l’occasion d’une campagne en faveur de la suppression des zones de salaires qui touchent le département menée par une intersyndicale incluant par endroit la CGT-FO, des associations familiales, et des partis de gauche. De nombreuses réunions cantonales sont organisées facilitant la constitution de comités d’action et incitant nombre de municipalités à adopter des motions favorables au mouvement. Malgré le succès de cette initiative, les liens noués ne semblent pas avoir permis de faire perdurer la dynamique au-delà de l’été22. La perspective de la fermeture de la Manufacture d’Armes de Châtellerault au début des années soixante, principale entreprise du département, soulève de vives inquiétudes et mobilisent de nombreuses organisations. Différents comités sont créés intégrant associations de la ville et syndicats de l’établissement. Un comité de défense se constitue non sans difficultés en novembre 1961, rapidement épaulé par un comité de défense féminin sur l’initiative de l’UFF. Les crises institutionnelles et leurs possibles conséquences constituent le troisième facteur de convergence entre groupements. La crise gouvernementale sur fond de guerre d’Algérie qui amène le général de Gaulle au pouvoir suscite une réaction des organisations syndicales et associatives qui s’inquiètent des incidences pour les libertés publiques en est une illustration. Un « appel aux républicains » est diffusé dans le département signé par la LDH, la ligue de l’enseignement, la CGT-FO, la CGT, et la CFTC entre autres23, mais les divisions au sein même des structures ont raison de l’unité affichée et l’appel à la grève de la CGT est un véritable échec. CONCLUSION Le déplacement de focal permet de démontrer que les relations entre syndicats et associations restent, même à l’échelle locale, particulièrement complexes, contradictoires et fragiles par delà les apparences. L’espace social demeure déterminé par le jeu des conflits et des stratégies organisationnelles, au sein duquel associations et syndicats s’affrontent, même implicitement. On observe ainsi entre 1945 et 1968 une évolution des rapports allant de la complémentarité à la concurrence, car les syndicats tentent d’absorber différents champs d’activités. Si les associations peuvent jouer un rôle majeur et complémentaire pour les syndicats en tant que lieu ressource, elles apparaissent néanmoins comme des structures annexes, le syndicat ou le parti ayant généralement les faveurs des militants. 22 Notes d’informations n° 680, du 2.06.1955, n°850 du 29.06.1955, AD Vienne, 1 W 2977 ; Rapport du Préfet de la Vienne au Ministère de l’Intérieur du 6.08.1955, AD Vienne, 1W 3124. 23 Rapport du Préfet de la Vienne au Ministre de l’Intérieur du 16.05.1958, AD Vienne, 1 W 3127. 7 Une sociologie historique comparative auquel souhaite contribuer ce travail doit permettre à terme de cerner la nature des réseaux relationnels à l’œuvre, les perceptions communes de la réalité sociale et les déterminants de l’adhésion. HAMELIN David Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Poitiers, membre de l’équipe « conflictuosité » du laboratoire GERHICO (Groupe d’Etudes et de Recherches Historiques du Centre Ouest Atlantique) Coordonnées : 53 rue du Haut des sables Appartement n°16 86000 Poitiers Mobile : 06 60 50 28 44 Fixe : 05 49 03 04 51 Courriel : [email protected] 8