L`utilisation des antibiotiques, une responsabilité collective!

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L`utilisation des antibiotiques, une responsabilité collective!
MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
L’utilisation des
antibiotiques,
une responsabilité
collective!
La gestion responsable de l’utilisation des antibiotiques
est une nécessité pour limiter le développement de
l’antibiorésistance. C’est l’affaire de tous!
L’utilisation des antibiotiques
occupe beaucoup d’espace dans le
débat public en ce moment. Les qualificatifs « judicieux », « prudent » et
autres termes similaires attirent l’attention sur un danger, d’où les nombreux cris d’alarme à propos de la
résistance aux antibiotiques. Il n’y a
pas de doute que cette préoccupation
grandissante est justifiée. L’utilisation
des antibiotiques en productions animales est souvent une cible facile pour
expliquer le phénomène. Est-ce justifié
dans les faits?
La question se pose considérant
que, selon un rapport du Center of
Diseases Control de 20131 aux ÉtatsUnis, 18 microbes causant chez l’être
humain des infections traitées avec
des antibiotiques ont acquis une
résistance et constituent une menace
sérieuse pour la santé humaine. Selon
l’Animal Health Institute2, seulement
deux de ces infections, causées par
Staphylococcus aureus (MRSA et
VRSA), ont un lien « potentiel » avec
l’utilisation des antibiotiques en productions animales. L’utilisation des
antibiotiques en médecine humaine
joue donc un rôle très important dans
le développement de l’antibiorésis-
L
es médecins vétérinaires québécois
seront eux aussi de
la partie après avoir
suivi une formation sur
l’antibiorésistance et
l’utilisation responsable
des antibiotiques.
Par PAUL BAILLARGEON, médecin
­vétérinaire, chef des services vétérinaires,
division bovins, Zoetis, et GILLES FECTEAU,
médecin vétérinaire, professeur, Faculté
de médecine vétérinaire, Université de
Montréal
tance. Dans les faits, une revue de
cette question publiée récemment3
conclut que le risque de développement de la résistance aux antibiotiques
d’origine animale est beaucoup moins
important que ce que suggère l’information véhiculée par les médias.
L’UTILISATION PRUDENTE
ES ANTIBIOTIQUES
Le développement de l’antibiorésistance n’est pas seulement associé
à l’utilisation des antibiotiques, mais
aussi à la façon dont ils sont utilisés.
Ceci est d’ailleurs bien documenté
en médecine humaine. Le rapport du
Center of Diseases Control signale que
plus de 50 % des prises d’antibiotiques
en médecine humaine ne sont pas
médicalement justifiables ou ceux-ci
ne sont pas efficaces tels que prescrits
ou utilisés.
Les antibiotiques contribuent à
maintenir les animaux en santé et,
de façon indissociable, à la qualité
des aliments, au bien-être animal et à
l’efficacité des entreprises. Même si les
bénéfices pour tous les secteurs des
productions animales ne font aucun
doute, les pratiques pour leur utilisation varient d’un secteur à l’autre.
LA CHRONIQUE VÉTÉRINAIRE EST SOUS LA RESPONSABILITÉ D’UN COMITÉ DE RÉDACTION QUI RÉVISE CHACUN DES ARTICLES
AVANT PUBLICATION.
GILLES FECTEAU, FMV Saint-Hyacinthe, coordonnateur du comité de rédaction; PAUL BAILLARGEON, ZOETIS; GUY BOISCLAIR,
Merck santé animale; YVES CARON, Clinique vétérinaire St-Tite; ANNIE DAIGNAULT, Clinique vétérinaire Saint-Césaire;
MAXIME DESPÔTS, Clinique vétérinaire St-Louis-Embryobec; DAVID FRANCOZ, FMV Saint-Hyacinthe; JEAN-PHILIPPE ROY, FMV Saint-Hyacinthe;
ISABELLE VEILLEUX, Clinique vétérinaire Centre-du-Québec; NICOLE RUEST, Clinique vétérinaire Centre-du-Québec.
Pour questions ou commentaires : [email protected].
DÉCEMBRE 2014 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS
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MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
cette utilisation, et l’industrie animale
en général reconnaissent qu’il s’agit
là d’un geste responsable dont les
conséquences pour les élevages seront
gérables.
Les mesures proposées au Canada
et aux États-Unis visent deux autres
objectifs :
• Assujettir l’utilisation des antibiotiques à la supervision vétérinaire
dans le cadre d’une relation vétérinaire-client-patient valide.
• Éliminer l’accès aux antibiotiques
en vente libre.
LA SITUATION AU QUÉBEC
Selon les conclusions d’un groupe de
travail, dont le rapport a été publié
récemment4, les mesures recommandées pour une utilisation responsable
doivent être adaptées aux besoins de
chacun pour être viables.
Certains pays européens ont
décrété que le volume d’antibiotiques
chez les animaux devait être réduit.
La prémisse étant que le risque de
développement de l’antibiorésistance
est proportionnel au volume d’antibiotiques utilisé. Par exemple, de 2009 à
2013, la Hollande a diminué de 57 %
(l’objectif était de 50 %) la quantité
d’antibiotiques utilisés en productions
animales. Le Danemark avait adopté
une politique similaire au cours des
années 90.
Concernant la Communauté européenne, la diminution des volumes
utilisés a été obtenue par le retrait,
dès 2006, de l’indication « promotion
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de la croissance » et en limitant les
indications pour la prévention des
maladies. La supervision vétérinaire
obligatoire, comme condition d’utilisation des antibiotiques, a permis de
maintenir les utilisations approuvées
pour le traitement.
Même si les bénéfices de ces programmes de réduction pour la santé
humaine ne sont pas démontrés 3 ,
l’expérience de ces pays révèle tout de
même que les mesures de régie permettant l’optimisation de la santé des
animaux peuvent maintenir l’efficacité
des entreprises tout en rationalisant
l’utilisation des antibiotiques.
Aux États-Unis et au Canada, les
agences réglementaires interdiront
l’utilisation des antibiotiques pour
favoriser la croissance des animaux à
partir de décembre 2016. Les 26 fabricants et distributeurs, qui ont tous
accepté de renoncer volontairement à
L’adage dit : « Quand je me regarde
je me désole, quand je me compare
je me console. » C’est précisément
la situation de l’industrie animale au
Québec dans ce dossier. Les 2 objectifs mentionnés précédemment sont
une réalité chez nous depuis plus de
20 ans. Depuis la fin des années 80,
en effet, la prescription vétérinaire
est requise pour l’accès aux antibiotiques, assurant ainsi la supervision
vétérinaire, et la vente libre des antibiotiques est interdite.
Plus récemment, l’industrie laitière
a mis en place le programme Lait canadien de qualité, qui comprend la supervision des prescriptions vétérinaires et
le recensement des traitements appliqués. Les producteurs laitiers se sont
dotés d’un instrument qui encadre de
façon réglementaire l’usage des médicaments et des antibiotiques. Dans un
avenir prochain, la mise en place du
programme ProAction contribuera à la
santé des troupeaux par l’amélioration
du confort et du bien-être des animaux.
Les médecins vétérinaires québécois seront eux aussi de la partie après
avoir suivi une formation sur l’antibiorésistance et l’utilisation responsable
des antibiotiques, la date d’échéance
étant avril 2015.
STRATÉGIE POUR UNE
UTILISATION RESPONSABLE
Les antibiotiques devraient être
utilisés autant que nécessaires, mais
seulement si nécessaires. La stratégie
de former un groupe de travail comme
celui de l’ANSES4 (Agence nationale
de sécurité sanitaire) en France serait
à notre avis pertinente chez nous
aussi pour le développement de solutions adaptées à chaque production.
BONNES PRATIQUES
POUR L’UTILISATION
DES ANTIBIOTIQUES
• Évaluer la condition de
l’animal en utilisant les
critères décrits dans le
protocole de traitement :
consulter son médecin
vétérinaire au besoin
• Utiliser seulement
l’antibiotique prescrit
• Respecter les recommandations pour son utilisation :
dosage, voie d’administration
et période d’attente ou de
retrait
• Inscrire le traitement au
dossier de l’animal
• Consultez le médecin vétérinaire
pour les situations qui ne sont pas
couvertes par les protocoles de
traitement.
• Consultez votre vétérinaire pour
l’élimination de vos déchets biomédicaux : flacons périmés, seringues
et aiguilles souillées, etc.
RÉÉVALUER POUR CORRIGER
Même si le lien entre l’utilisation
des antibiotiques en productions animales et le développement de l’antibiorésistance existe, son importance
semble relativement faible par rapport
à celle découlant de leur utilisation en
santé humaine. Une attitude responsable commande toutefois de réévaluer
et de corriger certaines pratiques existantes en reconnaissant les besoins
particuliers de chaque secteur.
Ces mesures correctrices contribueront non seulement à diminuer
les risques pour la santé humaine,
mais aussi à maintenir l’efficacité des
antibiotiques utilisés chez les animaux.
Sans compter l’impact positif pour la
réputation de l’industrie auprès du
public.
La situation du Québec et de son
industrie laitière est enviable par rapport à celle observée ailleurs au Canada
et aux États-Unis. Une approche multidisciplinaire pour identifier les pratiques à risque de chaque production
et promouvoir celles qui sont bonnes
permettra de conserver les avantages
de l’utilisation des antibiotiques tout
en minimisant les risques reliés à leur
utilisation. n
1
Réf. : http://www.cdc.gov/drugresistance/
threat-report-2013/pdf/ar-threats-2013-508.
pdf#page=6
2 Réf. : http://feedstuffs.com/story-drug-resistance-threats-outlined-45-102504
3 Réf. : http://onlinelibrary.wiley.com.proxy1.
athensams.net/doi/10.1111/eva.12185/pdf
4 Réf. : https://www.anses.fr/sites/default/files/
documents/SANT2011sa0071Ra.pdf
L’objectif étant d’identifier et de promouvoir les bonnes pratiques d’utilisation et d’éliminer celles qui constituent
un risque pour le développement de
l’antibiorésistance.
En attendant, les règles suivantes
constituent un guide universel pour
l’utilisation responsable et prudente
des antibiotiques :
• Les indications approuvées par
Santé Canada, incluant celles pour
aider à la prévention des infections
et des maladies, sont sécuritaires et
appuyées par des données scientifiques autant pour leur efficacité
que pour leur innocuité.
• Consultez votre médecin vétérinaire
lorsqu’une indication n’apparait pas
sur l’étiquette d’un antibiotique.
L’utilisation « en dérogation de
l’étiquette » est légale et prudente
lorsqu’elle est supervisée par un
médecin vétérinaire et documentée
par une prescription.
• Établissez des protocoles de traitement en consultant votre médecin
vétérinaire pour les situations courantes requérant l’administration
d’antibiotiques (par ex. la mammite
clinique) et assurez-vous que toutes
les personnes concernées dans
votre entreprise les connaissent.
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