La terra incognita de l`intercommunalité touristique

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La terra incognita de l`intercommunalité touristique
En attente
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La terra incognita
de l’intercommunalité
touristique
JEAN LUC PECQUEUX
Chargé de mission ingénierie touristique
Odit France
([email protected])
L
e rapport du Conseil national du tourisme relatif à l’intercommunalité(1) fait état
que 83 % des EPCI déclarent posséder la compétence dans ce domaine, et que neuf
EPCI sur dix disent la mettre en ?uvre. Toutefois, ainsi que le soulignent les rapporteurs, cet engouement pour la matière touristique relève souvent plus du discours que
de la réalité. L’examen, d’un point de vue juridique, des compétences de ces EPCI démontre
cette réalité inversée. Les difficultés pour manier l’environnement juridique complexe de
l’intercommunalité n’expliquent pas tout. Gérer la compétence touristique au niveau
intercommunal n’est pas un simple problème de technique juridique, c’est un enjeu de pouvoirs à la symbolique puissante. Mettre en place une intercommunalité touristique exige
une volonté politique sans faille qui doit s’appuyer sur une définition précise des limites
des pouvoirs et missions transférés. Il faut alors reconnaître que le droit du tourisme ne
facilite pas la tâche en ne définissant pas de façon précise ce qu’est la compétence tourisme.
RÈGLES D’INTERCOMMUNALITÉ
Le principe d’exclusivité
Quelle que soit la formule d’intercommunalité choisie, les compétences que les communes transfèrent à l’organisme intercommunal ne peuvent plus être exercées par la commune. Les biens et personnels affectés à l’exercice des compétences transférées sont, de
droit, transférés à l’organisme intercommunal. De même, l’organisme intercommunal se
substitue à la commune pour l’exécution des contrats et obligations afférents aux compétences transférées.
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Intercommunalité et tourisme • Novembre 2006 • CAHIER ESPACES 91
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Le principe de spécialité
Une collectivité locale ne peut jamais transférer toutes ses compétences à un organisme intercommunal et seules les compétences transférées peuvent être exercées par ce dernier. La collectivité locale, dirigée par des élus, garde toujours l’ascendant sur l’organisme
intercommunal, dirigé par des personnes désignées par les collectivités locales.
En cas de doute sur la définition des compétences transférées, le juge effectue une interprétation stricte des délibérations des communes ou des EPCI et limite le transfert aux seules
compétences effectivement mentionnées.
La gestion des compétences
en fonction de l’intérêt communautaire
Les compétences des communautés de communes (CC) et certaines compétences des
communautés d’agglomération (CA) et des communautés urbaines (CU) doivent être
réparties entre les communes et leurs regroupements en fonction d’un intérêt communautaire
qui doit être établi par les communes, pour les CC, et par les conseils communautaires pour
les CA et CU.
Depuis le 18 août 2006, faute d’avoir défini la notion d’intérêt communautaire, l’intégralité
de la compétence est transférée au groupement intercommunal. Avant cette date, l’absence
de définition de l’intérêt communautaire avait pour effet de laisser l’entière compétence
aux communes.
RÈGLES D’INTERCOMMUNALITÉ TOURISTIQUE
Une compétence facultative
Selon les formules d’intercommunalité (communauté de communes, communauté
d’agglomération, communauté urbaine), certaines compétences doivent obligatoirement
être transférées à l’organisme intercommunal, d’autres doivent être choisies parmi une liste
de compétences. Le tourisme ne figure ni parmi les compétences obligatoires, ni parmi
celles optionnelles.
Le transfert de la compétence tourisme est purement facultatif et dépend de l’entière
volonté des collectivités locales.
Les Zatic, zones d’activités touristiques
d’intérêt communautaire
Toutefois, dans le cas des communautés d’agglomération, des communautés
urbaines et des communautés de communes qui ont instauré la taxe professionnelle
unique (TPU), l’aménagement, la gestion et l’entretien de zones d’activité touristique d’intérêt communautaire (Zatic) sont de la compétence communautaire.
Seules ces zones et ces missions sont communautaires. Cette disposition ne vaut pas
transfert total de la compétence touristique.
Les communautés de communes ayant instauré la TPU, les CA et les CU, même sans transfert exprès de la compétence tourisme, sont, conformément au code général des collectivités territoriales, compétentes en matière de gestion et d’aménagement des zones d’activités touristiques d’intérêt communautaire (Zatic).
Si, le 18 août 2006, la notion d’intérêt communautaire n’est pas définie, ces EPCI sont de
droit compétents sur les Zatic.
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PRATIQUES D’INTERCOMMUNALITÉ TOURISTIQUE
En raison des principes exposés ci-dessus, rien n’oblige les communes à confier la
compétence touristique à un EPCI, puisque cette compétence ne figure ni dans la liste des
compétences obligatoires ni dans celles optionnelles. Seule la compétence concernant les
Zatic pourrait incomber à un EPCI, mais les communes peuvent dans ce cas limiter
l’étendue de ce transfert en définissant de façon restrictive l’intérêt communautaire. Ces
remarques générales formulées, en quoi consiste la compétence touristique des communes ?
Logique territoriale ou fonctionnelle ?
Le premier article du Code du tourisme dispose : “L’État, les régions, les départements et les communes sont compétents dans le domaine du tourisme et exercent ces compétences en coopération et de façon coordonnée.” Cette forme de décentralisation, qui n’attribue pas des blocs de compétences distincts à chaque niveau de collectivités, ne répartit
pas en fait les pouvoirs touristiques entre les collectivités territoriales.
Le critère de délimitation du pouvoir touristique n’est donc pas la matière, mais la frontière. De sorte que communes, départements et régions se concurrencent entre eux. Pour
tenter de résoudre cette contradiction de la loi – qui devrait être l’expression de l’intérêt
général mais qui, en l’espèce, renforce la concurrence entre les collectivités et donc entre
les citoyens –, le législateur s’empresse d’imposer immédiatement le principe de l’exercice
du pouvoir touristique en coopération et de façon coordonnée.
L’absence de création, par la loi, de blocs de compétences touristiques entre les collectivités constitue sans aucun doute une grande difficulté pour la gouvernance intercommunale
de la compétence touristique. En effet, la “culture institutionnelle” du tourisme, structurée autour des territoires, place les communes face à aux solutions alternatives suivantes :
– perpétrer la logique territoriale et réfléchir à l’intercommunalité en termes de création
d’un territoire touristique pertinent, et donc essayer de constituer un nouveau territoire
touristique ;
– entrer dans une logique fonctionnelle. Dans ce cas, elles doivent alors créer elles-mêmes
des blocs de compétences touristiques entre le niveau communal et l’intercommunal.
La première démarche, sorte de système du tout ou rien, exige que les conseils municipaux
acceptent de perdre leur souveraineté touristique.
La deuxième permet de concilier les pouvoirs, s’appuie sur des logiques de réseaux,
estompe les frontières entre les territoires. Elle exige rigueur et coordination entre les communes et l’EPCI dans la gestion des actions touristiques.
Découpage fonctionnel de la compétence touristique
Au niveau communal, le Code du tourisme ne définit pas les compétences des communes, mais uniquement celles de l’office de tourisme. Dans la mesure où l’OT est un organisme créé par la commune, cela suppose que cette dernière soit au moins titulaire des compétences qu’elle attribue à son OT. Par voie de conséquence, un EPCI désirant créer un
OT communautaire doit posséder les compétences normalement dévolues à un OT.
Par ailleurs, le Code précise que le titre “office de tourisme” est réservé à l’organisme qui
exerce les missions d’accueil, d’information et de promotion touristique, ainsi que la
coordination des acteurs locaux du tourisme. Ce faisant, il interdit de répartir entre commune et EPCI les compétences des OT.
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Si, d’une façon détournée, le législateur a créé un bloc de compétences touristiques des communes en définissant les compétences des OT, il laisse entendre que les compétences touristiques des communes sont plus larges que celles des OT. Il précise, en effet, que l’OT peut
se voir confier en outre la gestion de la politique touristique, des études ou des équipements.
Les compétences touristiques des communes ne se limitent pas aux compétences des OT,
mais le législateur n’a pas pour autant défini les compétences touristiques des communes,
pas plus qu’il n’a donné du contenu aux missions des OT. Il appartient alors aux seuls exécutifs locaux de définir précisément le contenu de leur compétence touristique.
L’exercice étant particulièrement délicat, la majorité des démarches touristiques intercommunales
se contentent de régler la question du pouvoir sur l’OT, limité aux fonctions minimums
définies par la loi. La problématique de la définition précise de la compétence touristique
est donc éludée.
De même, de nombreux EPCI se gardent bien de préciser le contenu exact des missions
des OT. Une fois encore, le débat (ou le combat) demeure au stade symbolique : celui qui
dirige le tourisme serait celui qui maîtrise l’OT, donc l’image touristique. Pourtant, chacun sait que l’image n’est pas la réalité, comme la carte n’est pas le territoire. Se placer sur
ce seul niveau, c’est accepter que le pouvoir touristique réel se situe ailleurs, chez celui qui
maîtrise des compétences plus stratégiques comme l’économie, l’urbanisme, l’agriculture
ou la culture.
Service public touristique
Constituer une intercommunalité autour du ramassage scolaire, de la gestion de l’eau
ou de tout autre service au bénéfice des administrés des communes regroupées trouve sa
légitimité directement par le service rendu. Même quand le service aurait pu être optimisé
par un regroupement plus vaste, la notion de périmètre pertinent de l’EPCI est somme toute
secondaire. Pour tous ces services, le principal bénéficiaire du service réside sur le territoire.
En matière touristique, l’usager est double : l’usager de premier rang, le touriste, est, par
définition, un non-résidant, un étranger ; l’usager de deuxième rang, l’électeur, est le
commerçant local ou l’offreur de services touristiques.
Comment traiter ces deux usagers et à quel niveau ? Chacun sait que les territoires d’élection, dans tous les sens du mot, de ces deux types d’usager ne se recoupent pas forcément.
Penser qu’il suffirait de faire coïncider les deux territoires pour régler la question semble
naïf. En revanche, réfléchir en termes de fonction à remplir apparaît, une fois encore, plus
pertinent.
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La démarche qui semble s’opérer au niveau des CDT, qui se traduit par la revendication de la nouvelle appellation d’“agence de développement touristique” montre sans
doute une volonté de s’adresser en priorité à l’usager commerçant ou producteur, plutôt
que directement au touriste. En tout état de cause, que ce soit au niveau des CRT, CDT
et des OT, chacun se rend compte qu’il faudra un jour se mettre d’accord sur une répartition de fonctions entre chacun des niveaux et donc sur une définition desdites fonctions.
Le secteur du tourisme doit s’affranchir de sa conception féodale de la gestion du pouvoir,
fondée sur la maîtrise de l’image et sur les guerres médiatiques. Les territoires touristiques
n’existent que dans l’imaginaire de ceux qui les visitent et n’ont pas de frontières communes
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avec le territoire de ceux qui y habitent. Face à un touriste de plus en plus volatil et insaisissable, la seule chance de l’attraper consiste à mailler des réseaux techniquement solides
qui lui donneront le sentiment de découvrir librement ce qui doit rester fondamentalement
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la terra incognita.
Glossaire relatif a l’intercommunalité
• Établissement public de coopération intercommunale
(EPCI)
Les établissements publics de coopération intercommunale
(EPCI) sont des regroupements de communes ayant pour objet
l'élaboration de “projets communs de développement au sein
de périmètres de solidarité”. Ils sont soumis à des règles communes, homogènes et comparables à celles de collectivités
locales. Les communautés urbaines, communautés d’agglomération, communautés de communes, syndicats d’agglomération nouvelle, syndicats de communes et les syndicats mixtes
sont des EPCI.
• Communauté de communes
Créée par la loi du 6 février 1992 et renforcée par la loi du
12 juillet 1999, la communauté de communes est un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes, associées au sein d’un espace de solidarité,
autour d’un projet commun de développement économique
et d’aménagement de l’espace. C’est la formule la plus simple
et la plus souple de la coopération intercommunale à fiscalité propre, pratiquée surtout en milieu rural. Au-delà de ces
deux compétences obligatoires, elle peut prendre une forme
plus intégrée, en exerçant à la place des communes des compétences de voirie communautaire, de logement social et de
déchets.
• Communauté d’agglomération
Créée par la loi du 12 juillet 1999, la communauté d’agglomération est un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) regroupant plusieurs communes formant
un ensemble de plus de 50 000 habitants, d’un seul tenant et
sans enclave, autour d’une commune centre de plus de 15 000
habitants ou du chef-lieu du département (afin de garantir une
certaine densité urbaine). Elle a pour objet d’associer des
communes au sein d’un espace de solidarité, en vue de bâtir
un projet commun de développement urbain. Elle exerce
pour cela des compétences obligatoires en matière de déve-
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loppement économique, d’aménagement de l’espace, d’équilibre social de l’habitat et de politique de la ville.
• Communauté urbaine
La communauté urbaine regroupe plusieurs communes formant un ensemble de plus de 500 000 habitants, d’un seul tenant
et sans enclave. Forme de coopération plus intégrée que la
communauté d’agglomération, elle dispose de prérogatives plus
larges que la communauté d’agglomération. Elle est ainsi compétente, à titre obligatoire, dans les mêmes domaines que la
communauté d’agglomération, mais également en matière
de développement et d’aménagement économique, social
et culturel, de gestion des services collectifs et en matière d’environnement.
• Intérêt communautaire
L’intérêt communautaire est la ligne de partage au sein d’une
compétence entre les domaines d’action de la communauté,
qui agit dans les domaines d’intérêt communautaire, et ceux
de la commune. Les communes conservent ainsi la capacité
de mener des actions de proximité sur leur territoire.
S’agissant des communautés de communes, il revient aux
conseils municipaux des communes membres de définir l’intérêt communautaire. En revanche, dans les communautés d’agglomération et les communautés urbaines, c’est au conseil communautaire de déterminer lui-même l’intérêt communautaire
pour l’ensemble des compétences dont l’exercice est subordonné à la reconnaissance de cet intérêt communautaire.
Cette distinction traduit les degrés divers d’intégration des EPCI
à fiscalité propre.
• Fiscalité propre
Intercommunalité dont le financement est assuré par le recours
à la fiscalité directe locale. Il s’agit des communautés de communes, des communautés d’agglomération et des communautés
urbaines.
(sources : www.interieur.gouv.fr et www.insee.fr)
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