La résurrection du crucifié FOCALE

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La résurrection du crucifié FOCALE
ANC / FOCALE 2015-2016
LA RÉSURRECTION DU CRUCIFIÉ
CHRIST EST RESSUSCITÉ, IL EST VRAIMENT RESSUSCITÉ
1. Textes bibliques fondateurs
a) Vocabulaire biblique de la résurrection du Christ
Il n’existe pas de terme hébreu ou grec pour dire la résurrection du Christ. Les premiers
chrétiens ont puisé dans le vocabulaire disponible (et dans les images présentes dans le judaïsme) pour
exprimer la nouveauté de l’événement de la résurrection du Christ.
Le substantif “résurrection”
- Aucun mot hébreu traduit par la TOB par “résurrection”. La Torah ne parle quasiment pas de
résurrection.
- Quand la TOB emploie le mot “résurrection”, elle traduit le grec anastasis, employé 2 fois dans
l’AT grec (dans le 2ème livre des Maccabées : 2 M 7,14 et 2 M 12,43) et 43 fois dans le NT.
- Quelques grands textes :
La controverse entre Jésus et les sadducéens au sujet de la résurrection des morts (Mt 22 //
Lc 10)
Le discours de Jésus en Jn 5
Le dialogue entre Marthe, sœur de Lazare, et Jésus en Jn 11
1 Co 15
Le verbe “ressusciter”
La TOB utilise 109 fois le verbe “ressusciter” : 1 fois dans l’AT hébreu (Es 26,19), 3 fois dans l’AT
grec (2 M 7, 9.14 et 2 M 12, 44) et 105 fois dans le NT.
Ce verbe traduit deux verbes grecs.
1ère conception de la résurrection de Jésus
- Le verbe egeirô qui signifie : faire lever, d’où éveiller, s’éveiller.
Il y a 156 occurrences de ce verbe dans le NT, traduit 72 fois par “ressusciter”, et dans
d’autres textes par lever, relever, réveiller…
- Le verbe anistêmi qui signifie : lever, faire se lever.
Il y a 173 occurrences de ce verbe dans le NT, traduit 31 fois par “ressusciter”, et dans
d’autres textes par lever (53 fois)…
On trouve ce verbe dans d’autres textes que ceux déjà cités :
Dans les annonces de la Passion et résurrection dans la bouche de Jésus
Quand les Actes des apôtres et Paul parlent de Jésus “ressuscité”.
On est dans un schéma avant / après (il était mort, il est ressuscité), un schéma temporel. La
résurrection est comprise comme un retour à la vie. Il y a continuité entre Jésus de Nazareth et le Christ
ressuscité.
C’est ce vocabulaire, le plus présent dans les récits évangéliques, qui décrit les rencontres avec le
Ressuscité, celui qui mange avec ses disciples par exemple, celui que les disciples reconnaissent, le
Ressuscité est “le même” que Jésus de Nazareth.
Le verbe “exalter” ou “élever”
Le verbe grec hupsoô ou huperupsoô qui signifie : exalter, élever, exprime également la
résurrection du Christ, par exemple en Ph 2, 9, en Ac 2, 33 (« exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du
Père l’Esprit Saint promis et il l’a répandu »), et Ac 5,31. Il est utilisé dans le verset de Jn 12,32 (« pour moi,
quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ») qui peut donner lieu à plusieurs
interprétations. Une deuxième conception de la résurrection de Jésus, l’exaltation ou ascension.
On est dans un schéma bas / haut, un schéma spatial. La résurrection de Jésus est interprétée
comme une entrée dans la gloire de Dieu, une exaltation ou ascension. Il y a discontinuité entre Jésus de
Nazareth et le Christ ressuscité.
Le Christ ressuscité est du côté de Dieu, il est “autre”, il passe à travers les murs… les disciples ne le
reconnaissent pas au premier coup d’œil.
Il y a deux types de textes, et d’expériences, dans les Évangiles, pour parler de la résurrection de
Jésus, les récits dits du “tombeau vide” et les récits d’apparition du Ressuscité à un ou plusieurs de ses
disciples. Dans les premiers, le Christ est absent, dans les seconds le Christ est présent et donne lui-même
le sens de l’événement. L’absence du cadavre atteste la possibilité de la résurrection, mais l’expérience de
la rencontre avec le Ressuscité est plus fondamentale. Ce qui est premier, c’est l’expérience pascale des
disciples et de l’Église.
b) Le tombeau vide en Mc 16,1-8
Texte biblique
Voir commentaire sur feuille à part.
c) L’apparition à Marie de Magdala en Jn 20,11-18
Texte biblique
Voir commentaire feuille à part.
Extraits d’un sermon de Maitre Eckhart
2. Représentations iconographiques de la résurrection du Christ
a) Des scènes évangéliques
Duccio :
les femmes au tombeau,
Marie de Magdala et le Ressuscité (“noli me tangere”),
deux scènes évangéliques, le tombeau vide et la rencontre avec le Ressuscité.
b) La descente aux enfers
La descente aux enfers (icône traditionnelle).
Lire le sermon de St Épiphane.
c) Résurrection et Ascension
La résurrection du retable d’Issemheim : on note les marques des clous, les gardes endormis, le
Christ à la fois ressuscitant et en ascension.
d) La croix de Tibhirine
La croix de Tibhirine
Nous avons ici une icône de la Croix, pas un crucifix.
Remarquons que l’inscription qui figure sur le bois de la croix n’est pas le traditionnel écriteau
« le roi des juifs » en latin, en grec ou en hébreu, mais il est écrit en arabe : « il est ressuscité », salutation
traditionnelle des chrétiens orientaux le jour de Pâques : « il est vraiment ressuscité ».
Une homélie de Christian de Chergé sur la croix glorieuse affirme qu’il existe une croix de
derrière et une croix de devant. Cette croix de devant est celle qui vient de Dieu, qu’elle a été créée par
Dieu. Cette croix, c’est cet homme qui a les mains étendues pour embrasser et pour aimer.
Que dit le prieur de Tibhirine de cette « croix de devant » dans d’autres homélies ou prises de
parole ?
Si la croix de derrière est instrument de supplice, cette croix de devant est « croix de chair créée
pour l’amour à l’image de Dieu »1. Cette croix de chair nous la voyons bien, avec cet homme droit, les bras
étendus, dans « le geste invaincu de l’Amour embrassant le monde »2, un geste d’accueil, d’ouverture, une
attitude d’amour et de pardon.
1
2
Homélie du 22 juin 1986
Homélie du vendredi saint 1 avril 1983
-2-
Le corps de Jésus est cette croix de chair, où « la verticale de la Croix exprime aussi parfaitement la
réponse de l'homme à toutes ces prévenances de Dieu : Je te bénis, Père… Jésus, c'est la "bénédiction de
Dieu faite chair" ; mais c'est aussi "l'homme fait bénédiction", remontant tout entier vers le Père en
louange de gloire. »3
Déjà les pères grecs l’avaient magnifiquement dit, on pourrait citer Irénée ou Athanase parmi les
nombreuses méditations sur les bras étendus sur la croix.
Verbe tout-puissant de Dieu, sa présence invisible s’étend à la création tout entière et en soutient la
longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur : tout est gouverné par le Verbe de Dieu. Il a été crucifié, lui
le Fils de Dieu, en ces quatre dimensions, lui dont l’univers portait déjà l’empreinte cruciforme […] Car
c’est lui qui illumine les hauteurs, c’est à dire les cieux, qui scrute les profondeurs de la terre ; il parcourt
l’étendue de l’Orient à l’Occident, il atteint l’immense espace du Nord au Midi, et appelle à la connaissance
de son Père les hommes partout dispersés. 4
Car c’est seulement sur la croix que l’on meurt les mains étendues. Aussi convenait-il que le
Seigneur subît cette mort et étendit les mains : de l’une il attirerait l’ancien peuple, de l’autre les Gentils,
et il réunirait les deux en lui. Et cela, lui-même l’a dit, en indiquant par quelle mort il rachèterait tous les
hommes : « Quand je serai élevé, je les attirerai tous à moi » (Jn 12,32)5
Le point d’appui de cette théologie est le verset de l’Évangile de Jean : « pour moi, quand j’aurai été
élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes »6. La plupart des commentateurs de ce verset, comme
l’Évangile lui-même, entendent que Jésus a été élevé sur la croix, c’est là le lieu de sa glorification, et le lieu
de notre salut.
La croix de chair élevée
Regardons mieux cette croix de chair sur l’icône de Tibhirine.
Que voyons-nous ?
Un homme debout, pas affaissé ou arqué comme chez Cimabue ou Giotto, mais droit
verticalement, et les bras étendus à l’horizontale.
A la place habituelle des clous, nous voyons des étoiles de lumière cf. l’homélie de la croix
glorieuse : « c’est l’amour, et non les clous, qui le tenait fixé à ce gibet que nous lui avions taillé ». Il n’a pas
de trace de blessure ou de souffrance, pas de sang qui s’écoule.
Un homme vêtu avec une tunique blanche et un drapé rouge. Le seul vêtement blanc pourrait
évoquer la transfiguration. Le drapé rouge est plutôt signe de la royauté de celui qui s’est laissé revêtir par
le Père de gloire et d’honneur7. Il y a aussi une allusion à l’habit des noces, et il faut étendre les bras pour se
laisser vêtir de cet habit8.
Un homme vivant9, avec les yeux ouverts et les mains tournées vers le haut. Il semble nous
regarder et nous accueillir comme le Père du prodigue.
Il n’est pas cloué sur la croix, mais tient-il sur ses pieds ? Ou est-il élevé ?
On a donc la représentation d’un Christ de type byzantin, pas seulement glorieux ou triomphant,
mais ressuscité, élevé !
Et en effet, en allant chercher dans les écrits de Christian de Chergé à quels endroits il parlait de la
croix, je suis arrivée à des sermons sur … l’Ascension10 ! Notons que pour lui, l’Ascension est
« consommation en gloire du Verbe incarné »11, autre façon donc de dire la résurrection ou l’exaltation du
Christ.
3
chapitre du 28 avril 1994
Irénée de Lyon La prédication des apôtres et ses preuves 34, DDB 1977 page 43
5
Athanase d’Alexandrie De l’incarnation 25
4
6
kagw ean uqwyw ek thv ghv pantav elkusw prov emauton (Jn 12,32 IGNT)
7
Chapitre du 28 octobre 1987
cf. en particulier l’homélie du 14 octobre 1984
9
« Le gibet prend vie dans l’élan du corps vivant qui s’en détache » homélie du 22 juin 1980
10
En particulier le 20 mai 1982 et le 28 mai 1992
11
Chapitre du 14 mai 1994
8
-3-
En effet, le prieur de Tibhirine utilise ce thème des bras étendus dans des homélies du jour de
l’Ascension. Par exemple : « Un double mouvement qui révèle la CROIX telle qu’elle préexiste dans le cœur
de Dieu, dans le cœur du Christ, où vibrait un double ÉLAN : mettre le feu à la terre et aller vers le Père.
Tourné vers le Père et livré à la multitude12 ».
Christian de Chergé superpose la croix de chair de la crucifixion et le Christ qui monte aux cieux de
l’Ascension. Le Christ crucifié est aussi celui qui a été élevé (autre langage pour dire la résurrection cf. Ph
2,913), et celui qui est élevé a toujours les bras étendus. Finalement celui qui est au premier plan est le
ressuscité. Ce ne sont pas les deux faces du mystère pascal dos à dos ou côte à côte (cf. Grünewald qui fait
deux tableaux différents sur son retable), mais les deux moments sont superposés dans la théologie de
Christian de Chergé comme sur l’icône de la croix de Tibhirine. C’est le même mystère d’amour qu’il nous
est donné à contempler : « pour moi, quand je serai élevé, j’attirerai à moi tous les hommes ». Le Christ
livré pour la multitude attire tous les hommes et introduit l’humanité dans la gloire de Dieu.
La fresque de la résurrection dans la chapelle orthodoxe de l’atelier St Jean
Damascène : la résurrection est en même temps descente aux enfers, c'est-à-dire liée à notre
libération. On note que le Christ va chercher Adam, qu’il le tire par le poignet, pas par la main car
alors on pourrait penser qu’Adam s’accroche au Christ, mais c’est bien le Christ qui a l’initiative et
qui tire Adam des enfers (cf. sermon de St Epiphane).
3. Récapitulatif : il est, il était et il vient
a) La résurrection, un événement historique ?
Il n'y a aucun témoin de l'événement, du moment de la résurrection. Aucun récit évangélique ne
nous montre Jésus en train de ressusciter (sauf les évangiles apocryphes qui aiment le merveilleux). « Jésus
ne s’est pas montré ressuscitant, il a appris aux siens à le reconnaître ressuscité.14 »
En un sens la résurrection n’est pas un fait historique. L’événement de la résurrection n’est pas
justiciable de la preuve historique, il ne peut pas être reconnu scientifiquement par des historiens.
Il n’y a pas de témoin immédiat, et il ne pouvait pas en avoir, car Jésus passe au delà des limites de
notre histoire, sa résurrection est sortie de l’espace et du temps.
Mais cet événement est historique au sens où c’est un événement réel arrivé à un homme de notre
histoire, Jésus.
Il est également historique par les traces qu’il a laissé dans l’histoire, en particulier le témoignage
des apôtres. Les disciples ont eu la certitude que leur maître était vivant. Les apôtres qui se cachaient après
la mort, crient maintenant au grand jour que Jésus est ressuscité, qu'il a vaincu la mort, qu'il est leur
Seigneur et que cette résurrection leur ouvre un avenir. Depuis 2 000 ans, des hommes et des femmes
continuent de le crier au grand jour et d’en vivre, et cela c’est historique !
b) Un acte de foi
Il est frappant de constater que les plus anciens textes du NT affirmant la résurrection ne sont
pas les récits évangéliques du tombeau vide ou les apparitions du Ressuscité, mais les confessions de foi
(1 Co 15,3-5 par exemple) ou les hymnes (Ph 2,6-11). La résurrection est d'abord objet de foi, elle n'est pas
démontrable ni racontable. Les “signes” ne sont des signes que pour les croyants.
La reconnaissance de la résurrection est un acte de foi, une conversion à la foi qui est un acte de
liberté. Chaque croyant s’engage pour affirmer la résurrection et le sens de ce fait pour sa propre vie.
12
Homélie de l’Ascension 28 mai 1992
9
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, dio
kai o yeov auton uperuqwsen kai ecarisato autw onoma to uper pan onoma (Philippiens 2,9 TOB-IGNT)
14
F. VARILLON . Joie de croire, joie de vivre, page 89
13 9
-4-
Cette résurrection ne peut pas faire l’objet de reportage, mais de témoignage seulement. Nous
sommes certains que Jésus est vivant et qu’il nous ouvre les portes de la Vie véritable, et nous sommes
capables d’en témoigner jusqu’au bout, jusqu’au martyre pour certains (martyre = témoignage).
c) La parousie ou « il viendra dans la gloire » :
La prédication des apôtres commence par annoncer le “retour”, plus exactement la “venue” de
Jésus. Les deux premiers écrits du NT, les lettres aux Thessaloniciens, ne parlent que de ce retour, il s’agit
d’attendre cette venue que les premiers chrétiens imaginaient imminente. L’Apocalypse annonce le Dieu
qui est, qui était et qui vient. Paul dans la 1ère lettre aux Corinthiens commente ainsi le récit de l’institution
de l’eucharistie : « Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous
annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (1 Co 11, 26). Et on proclame dans l’anamnèse dans
la liturgie eucharistique : Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous
attendons ta venue dans la gloire, ou une formule similaire à trois temps, la mort, la résurrection, la venue.
En termes théologiques, on appelle cette venue la parousie. La parousie n’est pas un retour, le
Christ n’a rien quitté, il est descendu au cœur du monde. Jésus de Nazareth ne peut pas être présent à tous
et à tous les moments, seul le Christ monté aux cieux, qui a disparu aux yeux de ses disciples peut être
présent au cœur du monde. Cette présence de Jésus dans les “apparitions” vient de la fin des temps. Jésus
hèle l’homme à lui. Jésus se rend présent au monde en l’amenant à sa plénitude : il vient en faisant venir,
apparaît en donnant de le voir 15.
La mort seule aurait rejeté Jésus hors de l’histoire, la résurrection comme enlèvement au ciel aurait
aussi coupé Jésus de la terre et de l’histoire, il faut ce troisième terme ou temps, la parousie, pour ouvrir
l’avenir.
En distinguant résurrection et exaltation, résurrection et parousie, l’Église parle du passé (« Dieu l’a
ressuscité ») et d’un futur, d’un avenir plus exactement (« Il viendra dans la gloire »), pour dire le Christ
comme début et terme de l’histoire.
Remarques sur le mot “gloire”
La gloire, doxa = ce qui se montre, ce qui apparait.
Dans le grec biblique, le mot doxa a été choisi pour traduire la densité, la manifestation de l’être de
Dieu qui se donne à voir. La gloire de Dieu est l’être de Dieu tel qu’il se donne à voir, tel qu’il est
manifesté en Jésus et donné aux hommes. Cf. Jn 1. La gloire, c’est la participation à la filiation divine de
Jésus, Jésus tient de Dieu son être filial et nous offre de le recevoir. Le fils nous invite à participer à sa
gloire.
15
François-Xavier Durwell, La résurrection de Jésus, mystère de salut, p. 106.
-5-
JE CROIS À LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR
1 - Fondements bibliques
a) Anthropologie biblique : l’âme, le souffle et la chair
Tout être humain est composé de trois éléments :
L’âme (nephesh en hébreu, psuchè en grec)
Gn 2, 7 : « Dieu modela l’humain avec de la poussière du sol, il insuffla dans ses narines une haleine
de vie et l’humain devint un être vivant (en hébreu : nephesh hayyal, en grec psuchèn zôsan) ». La nephesh
est donc la force biologique de vie, l’âme animale.
Ce mot hébreu est traduit souvent en grec par psuchè (“âme”), il désigne la personne en son
identité, ce qui l’anime et se manifeste sous des formes variées (émotions corporelles ou spirituelles), et
qui résiste au temps.
Pour le judaïsme biblique, l’homme n’a pas une âme, il est une nephesh.
Le souffle (ruah en hébreu, pneuma en grec)
Ce souffle est le don de Dieu qui assure l’existence à l’homme, qui fait de l’homme un être vivant.
C’est bien sûr le souffle de Dieu ou l’Esprit de Dieu, personnalisé dans le christianisme, l’Esprit Saint. Le mot
est traduit par pneuma en grec.
La chair (basar en hébreu, sarx en grec)
Basar se traduit par chair, viande ... c’est la réalité matérielle de l’être humain. Ce terme exprime la
fragilité de l’homme, son manque (cf. l’apparition du mot en Gn), mais n’a aucune nuance péjorative en
hébreu. Dieu, par Noé, fait alliance avec toute chair. Cette chair est sexuée.
Le terme est traduit en grec par sarx, avec une interprétation négative dans le vocabulaire paulinien
(où Paul oppose la chair à l’esprit par exemple en Rm 8). Mais il n’y a pas de connotation négative dans
l’évangile de Jean, « le Verbe s’est fait chair » (Jean 1,14) et « celui qui mange ma chair et boit mon sang a
la vie éternelle » (Jn 6, 54).
La chair dit la profondeur de mon être, mon corps qui éprouve profondément (cf. la loi conjugale en
Gn 2,24).
b) Étude du texte de 1 Co 15
Extraits du texte biblique
Paul utilise d'abord un raisonnement par l'absurde :
au v 12 question des Corinthiens, réponse de Paul : s'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ
n'est pas ressuscité et notre prédication est vide, notre foi est vaine. Nier la résurrection des morts serait
nier la résurrection du Christ.
Les versets 20-28 sont l'affirmation centrale du passage :
Christ est ressuscité des morts
prémices de ceux qui sont morts (v. 20)
cf. Rm 8,23 : nous possédons les prémices de l'Esprit
cf. Rm 8,11 :
Et si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous,
Celui qui a ressuscité Jésus Christ d'entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels,
par son Esprit qui habite en vous.
Paul affirme une double solidarité :
par un homme, la mort
par un homme, la résurrection des morts
en Adam tous meurent
en Christ tous seront vivifiés
-6-
Solidarité de tous les hommes dans la figure d'Adam, et solidarité du Christ avec tous les hommes,
car il est homme. En ce sens Jésus est le premier-né d'entre les morts.
Mais les Corinthiens posent la question : mais comment les morts ressusciteront-ils ? (v.35)
v.36-38 : une première comparaison : la semence
D’autres textes utilisent cette comparaison :
on s'en va, on s'en va en pleurant, on porte la semence
on s'en vient, on s'en vient en chantant, on rapporte les gerbes (Ps 126,6)
Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul
mais s'il meurt il porte beaucoup de fruits (Jn 12, 24)
Paul ne nie pas la réalité de la mort physique, il prend parti contre la conception de la résurrection
comme réanimation du cadavre, comme une revivification matérielle.
v. 39-41 : insistance sur la différence, sur le “autre”, nos corps ressuscités seront autres.
v. 42-44 application à la résurrection des morts
Notre corps mort est enfoui dans la terre, semé pour ressusciter. Quatre antithèses expriment la
continuité et le changement entre ce corps mortel et ce corps ressuscité :
♦ corruption (dans le sens de dégradation) / incorruptibilité
♦ mépris (ou misère) / gloire
La gloire c'est la présence lumineuse de Dieu, le poids de sa présence, la densité de son amour
rayonnant. Être ressuscité dans la gloire, c'est participer à la vie de Dieu, vivre en communion avec Dieu.
♦ faiblesse / puissance (puissance de salut, cf. les miracles de Jésus)
♦ corps animal (ψυχικον : terrestre) / corps spirituel (πνευµατικον)
ψυχη : vie, " âme", c'est à dire ce qui anime notre corps actuel, ce qui fait de nous aujourd'hui des
êtres vivants.
Mais notre corps ressuscité sera spirituel. Ce concept exprime à la fois la continuité et la
discontinuité radicale avec le corps mortel. Le corps spirituel c'est le corps ayant atteint son état adulte de
chrétien habité par l'Esprit, le corps délivré de toutes ses pesanteurs, aussi bien ses péchés que ses
faiblesses qui l'empêchent de vivre dans la pleine communion avec Dieu. Le corps spirituel est « l’état d’un
corps parfaitement et définitivement réconcilié avec l’esprit et qui a donc franchi toutes les limites dont
notre condition mortelle fait l’expérience. » (B. SESBOUÉ, Pédagogie du Christ, page 121)
Lire le texte de saint Irénée (évêque de Lyon à la fin du IIe siècle).
2 - Conception juive de la résurrection des morts
a). La genèse de la foi en la résurrection des morts
La mort est naturelle, elle est la fin de la vie, l’achèvement d’un être humain ayant planté, bâti, fondé
une famille, ayant une descendance.
Les patriarches meurent “rassasiés de jours” (Gn 5,5 / Gn 49,29-33 / Gn 50,26)
Mourir âgé avec une nombreuse descendance est le signe de la bénédiction de Dieu (une “bonne mort”).
L’espérance des hommes est liée à la vie terrestre.
Après la mort l’âme (nephesh) descend au Shéol (la ruah retourne à Dieu et la basar retourne à la poussière
dans la terre). Le Shéol est le séjour des morts où ceux-ci sont comme des ombres, un lieu neutre, “pays de
l’oubli”, “lieu de ténèbres” (Jb 10,21-22) “lieu de silence” (Ps 94,17).
Mais la mort est aussi liée au péché. En effet, suivre la Loi de Dieu, c’est vivre, la transgresser c’est
prendre le chemin de la mort. La mort est rupture de la relation avec Dieu.
La mort est figure du péché cf. Dt 30,15-20 / Am 5,14 / Jr 21,8-9
Mais elle peut être aussi comprise comme conséquence du péché cf. Gn 2-3
Péché et mort disent la condition de l’homme, condition finie et imparfaite.
-7-
Le Dieu tout-puissant a aussi pouvoir sur le Shéol : cf. 1 S 2,6 / Am 9,2 / Os 13,14.
Dieu a le pouvoir sur la vie et la mort. Dieu est le Dieu de la vie.
L’espérance d’Israël est d’abord collective. Dieu a fait Alliance avec un peuple, il ne peut pas
abandonner ce peuple. D’où une idée de résurrection collective plutôt proche d’une restauration d’Israël,
d’une réhabilitation : Os 6,1-3 / Ez 37 / Is 53 ... dans les périodes troublées de l’histoire d’Israël (division en
deux royaumes, exil à Babylone)
Qu’en est-il de la mort des justes ? Plusieurs réponses :
Les personnages exceptionnels ne meurent pas, ils sont “enlevés” au ciel (Hénoch en Gn 5,24 ; Elie en 2
R 2,11
La foi en la résurrection personnelle apparaît vers le 2nd siècle avant JC grâce à deux éléments :
Prise de conscience de la responsabilité individuelle
La mort des justes, en particulier des martyrs d’Israël, lors de la révolte des Maccabées est
scandaleuse, injuste. La résurrection est réponse à cette injustice.
Le Shéol va devenir le lieu où les justes attendent la résurrection.
Cette foi en la résurrection apparaît dans deux textes (grecs) : Dn 12,1-3 et 2 M 7, 14.21-23
b) Une croyance discutée
La foi en la résurrection des morts s’est imposée largement au 1er siècle av. JC, seul le groupe
des sadducéens la refuse.
Pour les sadducéens, la résurrection des morts n’est pas acceptable car la Torah ne l’enseigne pas.
Pour les rabbis pharisiens, la Torah orale (la Tradition des pères) fait aussi autorité, ils scrutent l’Ecriture
pour y relever des traces de l’affirmation de la résurrection des morts (cf. Supplément au Cahier Evangile
73, pages 39-40).
Il y a un écho de cette controverse avec les Sadducéens dans les Evangiles.
Voir résumé sur texte de Robberechts.
3 - Conception chrétienne
a) Immortalité de l’âme ou résurrection de la chair ?
Dans l’anthropologie platonicienne : L’être humain est composé d’une âme immortelle et d’un
corps périssable.
La conception chrétienne de la résurrection puise parfois dans ces deux anthropologies, biblique et
juive, et grecque.
Dire que l'âme est immortelle et que la mort est la séparation de l'âme et du corps est une façon
d’affirmer que dans la mort physique, bien que le corps ne soit plus animé et aille vers sa dégradation, la
personne n'est pas anéantie et demeure vivante.
Mais cette formulation reste ambiguë : elle fait référence à la philosophie platonicienne où l’âme
est immortelle par nature ; alors que le salut chrétien est un don de Dieu, une grâce faite à l’homme. Seule
la puissance de Dieu peut ressusciter les morts. L’homme ne possède pas cette immortalité par nature.
Comment dire ?
Nous devons dire à la fois que les morts sont ressuscités et qu'ils ne sont pas encore ressuscités. Ils
vivent d'une première résurrection qui demeure incomplète tant que l'humanité entière et le cosmos avec
elle ne sont pas parvenus à la résurrection plénière qui aura lieu lors du retour du Christ.
La résurrection est une lente genèse, cf. l'écart entre la mort de Jésus et sa résurrection.
-8-
Autre comparaison : il faut que tous les invités au festin soient là pour que la fête commence et que
la joie soit totale.
Le langage biblique exprime avec le mot de “chair” l'homme dans sa condition historique, dans sa
vulnérabilité et sa faiblesse, son enracinement dans le monde créé. C'est en ce sens que le Verbe s'est fait
chair, il a assumé notre condition concrète.
Le symbole des apôtres parle de “résurrection de la chair”. L'homme sera sauvé dans tout ce qui
fait sa condition concrète. La résurrection de la chair affirme à la fois la continuité et la discontinuité entre
notre état présent et notre état futur (cf. les apparitions de Jésus ressuscité).
N'oublions pas comme la mère des sept frères en 2 M 7 notre ignorance en la matière, la
résurrection est objet de foi.
b) Une façon contemporaine d’exprimer cette résurrection des morts
La résurrection de l’holocauste
Aujourd’hui nous existons dans des oppositions : intérieur / extérieur, intelligible / sensible,
corporel / spirituel. Trois aspects de nous-mêmes se recoupent : notre corps physique, notre corps animé
par un psychisme (affectivité, imagination) et notre intellect (intelligence et volonté), nous tendons vers
l’unité, “notre esprit en train de devenir lui-même”, nous sommes appelés à devenir corps spirituel, le
corps “rayonnement de l’esprit et l’esprit la réalité même du corps” (E. Pousset)
L'incorruptibilité, la gloire, la puissance et l'Esprit sont les attributs de Dieu. Notre corps ressuscité
participera à la vie divine. C'est l'action créatrice de Dieu qui se manifeste, celui qui donne la vie humaine, a
le pouvoir d'achever sa création par la résurrection finale.
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