Tour de Suisse en train

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Tour de Suisse en train
VOYAGE S
Excursion en train
Tour de Suisse en train
Texte et photos: Peter U. Arbenz
I
l faut une belle dose d’enthousiasme ferroviaire pour entreprendre un tel «Tour de Suisse».
Je m’étais pour cela fixé les règles
suivantes : je ferais le voyage dans
le sens inverse des aiguilles d’une
montre, avec départ à Eglisau.
Ne devaient entrer en ligne de
compte que des tronçons qu’on
peut parcourir en train avec l’AG,
« Je m’ennuie tant en chemin de fer », écrivait Gustave Flaubert à un ami en
1864, « que je commence à hurler au bout de cinq minutes.» Qui pense ainsi
ne sacrifiera sûrement pas ses vacances à un voyage en train de douze jours
le long de la frontière suisse.
sans devoir payer de supplément.
Du coup, toutes les lignes de bus
ou de tram, les téléphériques et
les traversées en bateau étaient
hors de question. Ensuite, je voulais prendre l’itinéraire qui passait le plus près de la frontière
suisse, jusqu’au dernier arrêt
avant la frontière. Cela signifiait,
par exemple, que je ne traverse-
rais pas le tunnel du Simplon,
parce que la dernière gare avant
la frontière est Brigue. Je n’ai pas
non plus pris la direction des
Verrières sur la ligne Neuchâtel–Pontarlier, parce que cela fait
des années que le train ne s’arrête
plus après Travers. Si j’ai prévu
pour ce tour la durée respectable
de douze jours, cela tient à ce
que nombre de crochets dans des
«impasses» prennent beaucoup
de temps. Cela devient particulièrement clair en Valais où, pour
me rapprocher le plus possible de
la frontière, j’ai dû remonter les
vallées de la rive gauche, Val d’Illiez, Val de Trient, Val d’Entremont, Val de Bagnes et Mattertal,
regagnant entre deux la plaine
par le même chemin. On peut
néanmoins réduire sans peine
à dix jours ce tour avec ses 513
gares, à condition de densifier un
peu le programme, c’est-à-dire de
se lever plus tôt et de faire moins
de pauses. Je ne suis jamais parti
avant 8 heures et j’étais toujours
à destination avant 18 heures.
On peut même le réduire à huit
ou neuf jours, si on prend le repas de midi en train et qu’on renonce à l’un ou l’autre crochet,
ou qu’on aille du Valais au Tessin par Domodossola. Ainsi l’expédition devient réalisable même
pour ceux qui doivent être un
peu plus économes en matière de
vacances.
La décision d’entreprendre
le voyage début mai s’est révélée idéale. En plaine, le jaune
des dents-de-lion, des forsythias
Trains, gares et jolis paysages: un voyage ferroviaire à travers la Suisse
prend des allures de carte postale.
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et des champs de colza éclatait
aux fenêtres, et le vert des prairies et des feuillus n’est jamais
aussi clair et intense qu’au printemps. Pommiers et cerisiers
fleurissent à qui mieux mieux,
et au Tessin oléandres et glycines se présentent dans toute
leur splendeur. Il était fascinant,
dans le Jura et dans les Alpes, de
replonger parfois dans l’hiver, la
neige n’ayant pas encore fondu, à
l’ombre, au-dessus de 1000 m. Au
col de l’Oberalp et à celui de la
Bernina, il y en avait encore plus
d’un mètre. A Zermatt comme à
Saint-Moritz, j’ai rencontré des
dizaines de skieurs qui ne se lassaient pas de pratiquer leur sport
favori. Ce n’est cependant pas
que la beauté de la nature qui
invite à faire le voyage au printemps, mais aussi le fait qu’il y
ait moins de touristes en chemin
(sauf dans le Glacier Express et le
Bernina Express) et qu’on puisse
se choisir la meilleure place. La
température est agréable même
dans les voitures non climatisées, et les prix des nuitées sont
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en général plus bas qu’à la haute
saison. Reste que dans les régions
touristiques, nombre d’hôtels, de
restaurants et de chemins de fer
de montagne sont fermés dès la
mi-avril, parfois presque jusque
tard dans le mois de juin. Cela
était particulièrement frappant
sur le tronçon de la Bernina, où
tous les restaurants touristiques
de Morteratsch à Alp Grüm
étaient fermés, parfois pour rénovation. Mais presque partout,
il y a suffisamment d’auberges
ouvertes toute l’année, notamment la plupart des auberges de
jeunesse.
Quand en l’espace de deux
petites semaines on roule sur 50
lignes différentes et passe par
plus de 500 gares, on remarque
des choses qui sautent peut-être
moins aux yeux dans la vie de
tous les jours. Qui a les trains les
plus modernes, les CFF, les Chemins de fer rhétiques, les nombreuses compagnies privées du
Jura ou du Valais, Trenitalia ou la
Deutsche Bahn? (Le BLS n’était
pas sur mon itinéraire). Qui a
les plus belles gares, le personnel
le plus aimable, les meilleures
informations? De manière générale, il faut dire que presque tous
les trains, même les plus vieilles
locomotives, et la plupart des
gares de Suisse font une impression soignée. Mais les différences
de pouvoir d’investissement
entre les exploitants sont évidentes. Les plus modernes sont
les RER des CFF, qui ont mis en
service presque partout les véhicules spacieux de la firme Stadler. Les gares CFF d’une certaine
taille sont rénovées les unes après
les autres, « rangées» et équipées
de la technique la plus moderne.
Elles y perdent naturellement
le charme romantique des chemins de fer d’antan, d’autant
plus que de nombreuses petites
gares ne sont plus desservies. Le
seul chef de gare que j’aie vu sur
le quai avec casquette et palette
sur une ligne CFF, c’est, le fait est
révélateur, à Thayngen, une gare
gérée par la Deutsche Bahn. Ce
romantisme, on le trouve encore
La ville thermale de Bad Säckingen, avec
son pont couvert en bois, le plus long
d’Europe, est en Allemagne mais toujours
dans le rayon de validité de l’AG.
sur maintes lignes des Chemins
de fer rhétiques, qui servent plus
au tourisme qu’au transport de
personnes. Il est frappant de voir
avec quel amour du détail les
gares sont soignées dans la Surselva, mais aussi les arrêts plus
petits en Basse-Engadine, qui
restent dans le style architectural
local. C’est sur les lignes privées
du Jura, où le tourisme et le trafic voyageurs rapportent moins,
qu’il semble y avoir le moins
d’argent. Quelques-unes de ces
lignes ne tiennent encore le coup
que grâce aux foules d’écoliers
qui font une bonne partie du
chemin de l’école en train. Ce
qui fait que le conducteur doive
parfois aussi contrôler les billets
et nettoyer les wagons.
C’est la gare de Vallorbe qui
m’a fait la plus forte impression,
mais une impression partagée.
D’accord, j’y étais le week-end,
en l’absence des pendulaires.
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Excursion en train
Mais même en semaine, il est
clair que ce nœud ferroviaire
jadis important entre la France
et la Suisse, avec les formalités
douanières pour tous les voyageurs en transit, est aujourd’hui
complètement surdimensionné
pour les quelques trains qui s’arrêtent encore dans ce joli bourg
de 3200 habitants. Le week-end,
ce sont les requérants d’asile du
centre d’enregistrement tout
proche qui tuent le temps dans
une gare autrement déserte et
qui font la queue devant l’unique
Aigle ou Lugano, chaque gare de Suisse a
sa propre personnalité.
cabine téléphonique. Les guichets sont naturellement fermés
le week-end, et devant le Buffet
de la Gare, une feuille A4 froissée annonce depuis quatre ans
aux clients d’alors que malheureusement personne ne reprend
le restaurant. Malgré cette désolation, il est remarquable de voir
avec quel soin l’immense gare
et tous ses quais sont maintenus
en état. C’est à Vallorbe que j’ai
trouvé la plus grande et la plus
belle salle d’attente (mais vide
aussi) de tout mon voyage, une
salle claire au plafond haut et au
plancher de bois, avec des bancs
de couleur fraîchement repeints
dans le style du début du siècle
dernier. Et, chose qui ne va plus
de soi aujourd’hui, elle n’était pas
fermée à clé.
J’ai l’impression que chez
nous, le réseau ferroviaire a
évolué positivement. Bien sûr,
quelques petites lignes ont été
remplacées par des bus, et beaucoup de gares ne sont plus desservies. Mais le réseau qui reste,
long de plus de 3000 km, est très
bien entretenu et a même été
revalorisé à certains endroits. Je
pense notamment aux informations aux voyageurs sous forme
électronique dans les trains et les
gares, et à la nette amélioration
des toilettes, mobiles ou non,
qui autrefois forçaient plus d’un
voyageur à froncer le nez. Enfin,
il est aussi à relever que sur plus
de 3400 minutes de trajet, le
train n’a été que trois fois en retard pour un total de 55 minutes;
toutes les autres liaisons ont respecté l’horaire, avec une marge
de tolérance de trois minutes. Je
sais bien que je n’ai pas roulé sur
les tronçons les plus fréquentés ni
aux heures de pointe et que mon
impression n’est donc pas repré-
sentative. Mais tout de même,
cette performance est remarquable, surtout si on pense que la
cadence horaire avec correspondance garantie est assurée dans
tout le pays.
Ce tour quelque peu inhabituel a répondu à toutes mes
attentes. Sa préparation déjà m’a
réjoui et m’a permis de faire des
progrès appréciables dans l’utilisation de l’horaire CFF électronique. Le voyage lui-même
a été un pur plaisir d’un bout à
l’autre, malgré le temps souvent
peu clément. Mais dans ce genre
de vacances, le temps joue un
rôle plutôt secondaire. Il peut
être tout aussi beau de rester bien
au chaud dans le compartiment
quand dehors il vente et il grêle
que d’admirer les couleurs du
printemps sous le soleil. Et voyager en train est extrêmement
reposant. La force centrifuge est
bien plus faible qu’en auto ou en
bus, et les corps gardent ainsi
l’équilibre. Un tel voyage nourrit
aussi l’esprit et la culture, si on
engage la conversation avec les
autres passagers, souvent venus
des quatre coins du monde.
Le programme
1er jour: Eglisau à Bâle, via Stein
Säckingen, crochets: Laufenburg,
Riehen
2e jour: Bâle à La Chaux-de-Fonds,
via Saignelégier, crochets: Porrentruy, Boncourt, Bonfol
3e jour: La Chaux-de-Fonds à Neuchâtel, crochets: Les Brenets, Les
Buttes, Les Ponts-de-Martel
4e jour: Neuchâtel à Le Brassus,
via Vallorbe, crochets : Ste-Croix
5e jour: Le Brassus à Genève, via
Nyon, crochets : La Cure, Cointrin,
La Plaine
6e jour: Genève à Monthey, via
Aigle, crochets: Champéry, StGingolph
7e jour: Monthey à Zermatt, via
Viège, crochets: Finhaut*, Le
Châble, Orsières
8e jour: Zermatt à Locarno, via
Vallée de Conches, Göschenen,
crochets : Camedo
9e jour: Locarno à Lugano, via Bellinzone, crochets: Ranzo-Sant’Abbondio, Chiasso, Ponte Tresa
10e jour: Lugano à Thusis, via Col
de l’Oberalp
11e jour: Thusis à St-Moritz, crochets : Tirano
12e jour: St-Moritz à Eglisau, via
Vereina, Rorschach, crochets :
Scuol, Thayngen
*Le tronçon Finhaut–Le Châtelard était fermé pour cause de travaux d’entretien.
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VOYAGE S
Excursion
© Stefanie Stäuble
Le vapeur «Savoie» traverse le Lac Léman et fait halte dans la cité médiévale d’Yvoire.
Sur la côte d’Yvoire
Non, pas besoin de prendre l’avion pour visiter la côte d’Yvoire.
On y arrive sans peine en bateau depuis Genève.
B
on, d’accord, ce n’est pas la
Côte d’Ivoire, mais le petit
village français se trouve aussi
sur une côte, même si ce n’est que
celle du Léman et pas l’Afrique.
Nous rejoignons la petite cité
médiévale en embarquant à Genève, au Jardin anglais, dans le
vapeur « Savoie ». Il vaut la peine
d’investir dans un billet de première, car la partie supérieure
du bateau est réservée aux passagers de 1ère classe. A part une
élégante qui expertise les trésors qu’elle vient d’acquérir (un
parfum hors de prix, un bracelet en or), le pont supérieur est
vide. Nous nous installons sur
les transats, et je me sens un peu
comme Kate Winslet dans le film
Titanic. Rien d’étonnant à cela, le
« Savoie » est de la même époque ;
il a été mis à l’eau en 1914.
La traversée en bateau nous
fait nous sentir en vacances. Le
lac et le ciel se montrent sous
leur plus «bleu » jour. Une brise
agréable joue dans nos cheveux.
De temps à autre, le vapeur lance
un coup de sirène grave et démodé. L’ambiance nostalgique n’est
troublée que par les avions qui
filent toutes les cinq minutes auATE MAGAZINE / JUIN 2013
dessus de nos têtes. Les réacteurs
oranges trahissent leur appartenance à la compagnie Easy Jet.
Modernité, quand tu nous tiens
… Dommage. Mais les roues à
aubes originales de Sulzer battent
leur plein au pont inférieur, pour
la plus grande joie des petits et
des grands enfants. En 2006, le
«Savoie» a été complètement démonté et contrôlé sous toutes les
coutures. Les travaux de rénovation doivent avoir coûté dans les
dix millions de francs.
Nous apercevons de loin le
château d’Yvoire. C’est en 1306
que le comte Amédée V a commencé à faire du lieu une forteresse. Pendant un demi-siècle,
Yvoire a joué un rôle militaire
important. Plus tard, sous l’occupation bernoise qui a duré de
1536 à 1591, les remparts ont été
partiellement détruits et l’endroit
a perdu son importance militaire.
Le château a été incendié et il est
resté 350 ans sans toit. Comme
l’Office du tourisme l’écrit sur
son site Internet, on s’efforce de
«défendre contre la modernité les
précieux témoignages du passé
qui subsistent miraculeusement:
remparts, portes, fossés, maisons,
afin que le rêve demeure ...». Fidèle à cette résolution, Yvoire est
devenu une sorte de Ballenberg
français, et donc une grande attraction touristique. Mais quand,
à 17 heures, le dernier bateau
quitte le port et le parking des
cars se vide, le vacarme prend fin.
Les stores des galeries et des boutiques s’abaissent d’un coup sec,
et d’une minute à l’autre on ne
voit quasiment plus âme qui vive.
Assis sur le muret du port,
nous contemplons l’eau qui joue
devant nous. Nous n’avons hélas
pas de bière à siroter, la petite
épicerie du village n’ouvre que
le matin. Deux grèbes huppés se
font la cour, un cygne couve dans
les roseaux. Presque en même
temps, nos estomacs se mettent à
gargouiller. Les deux restaurants
du port attendent leur clientèle
vespérale. Nous optons pour le
«Jules Verne» et savourons des filets de perche préparés avec soin.
Pour la promenade digestive ou
un tour un peu plus long, laissons à Guillaume Fatio et à son
ouvrage Autour du lac Léman, de
1902, le soin de décrire le sentier
aujourd’hui connu sous le nom de
Littoral du Léman: «On ne peut
rien imaginer d’aussi pittoresque
que le trajet d’Yvoire à Thonon.
[…] Vu par un coucher de soleil
d’automne, ce paysage est à nul
autre pareil ; ce golfe peut être
comparé à celui de Naples ou de
Salerne, et l’on conçoit que Chateaubriand ait pu dire: ce pays n’a
pas d’égal.»
Stefanie Stäuble
Informations pratiques
Arrivée : Nous avons pris le «Savoie» à Genève, au Jardin anglais: départ
à 14h30, arrivée à Yvoire à 16h10. Autres lignes et horaire: www.cgn.ch
Logement: L’hôtel-restaurant *** Le Pré de la Cure n’est pas directement
au port (env. 5 min. à pied) et donc un peu moins cher, mais impeccable:
www.pre-delacure.com
Guide: Lac Léman: les 50 plus belles randonnées. Genève, Chablais,
Riviera, La Côte, Jura, par Daniel Anker, éd. Rother
Pour plus d’informations: www.yvoiretourism.com
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