Le bonheur estdanslapub

Transcription

Le bonheur estdanslapub
analyse
Happiness Brussels mise fortement sur les réseaux sociaux
Le bonheur est dans la pub
LA CAMPAGNE
AYO CAR DANCE
PARTY (TOYOTA)
EN 2009
A 45 ans, la patronne et co-fondatrice de
Happiness Brussels savoure modestement le
succès de son entreprise. Lancée il y a cinq
ans à peine avec trois autres personnes, son
agence compte aujourd’hui pas moins de 30
employés en Belgique et 22 autres dans une
filiale établie récemment au Vietnam — Bliss
Suivant l’exemple
de Juri et de
Boris, pas moins
de 2.000
personnes avaient
posté à l’époque
leurs propres
délires en vidéo
C
52 Analyse Trends-Tendance s 2 se p te mb re 2 0 1 0
GREGORY
TITECA,
CREATIVE
DIRECTOR
AU SEIN DE
L’AGENCE
HAPPINESS
BRUSSELS
sur le site
spécialement
créé pour
l’occasion.
— et exclusivement dévouée aux campagnes interactives et mobiles. Contrairement à la grande majorité des agences du secteur qui ont été méchamment secouées par la crise, le navire de
Karen Corrigan a traversé plutôt sereinement la tempête du secteur, maintenant un chiffre d’affaires de quelque 6 millions d’euros pour Happiness Brussels et environ 7 millions pour Bliss.
Le bénéfice net de l’agence bruxelloise s’est même offert le luxe
de croître au fil des années, passant ainsi de 72.000 euros en
2006 à 207.000 euros en 2008, pour atteindre finalement 287.000
euros en 2009.
Joli score pour une dame qui a pourtant débuté sa carrière
dans l’enseignement, comme sa maman. Après avoir décroché
un régendat en français-anglais-histoire à Turnhout au milieu
des années 1980, Karen Corrigan fait en effet ses premiers pas
professionnels comme enseignante, avant de jeter le gant, deux
ans plus tard, peu séduite par le métier. Elle change complètement d’orientation et rejoint le département marketing de Nike
Belgique. Son boulot consiste alors à recevoir notamment les
grands noms du tennis belge comme Sabine Appelmans pour
les habiller avec les vêtements de la célèbre marque américaine.
Et c’est là que le virus de la pub la mord à pleine dents. «Un
jour, une agence a débarqué dans nos locaux pour présenter la
maquette de la nouvelle campagne de Nike, se souvient-elle.
C’était l’époque du Just do it et des fameuses Air Shoes. Quand ces
personnes ont commencé leur présentation, je me suis dit tout
de suite : «C’est ça que je veux faire !». Car c’est un métier qui
mélange la créativité, le commercial et le stratégique. Et en plus,
je trouvais que je pouvais faire mieux qu’elles (rires) !»
Retour sur les bancs de l’école
Boostée par cette révélation, Karen Corrigan reprend alors
des cours du soir en pub et en marketing à Anvers, pendant trois
«J’AIME LA VIE»: EN 2010 COMME EN 1986
Une campagne originale (mettant en vedette Sandra
Kim) créée pour Delta Lloyd Life.
GV Company, où elle gère une vingtaine de personnes pendant
un an et demi, avant d’être à nouveau débauchée par un grand
nom de la pub, Philip Greenfield, pour gérer les 50 personnes
de la section Advertising d’Ogilvy à l’âge de 32 ans à peine. Responsable finale de trois gros clients — Proximus, Delhaize et
Thalys — elle y reste cinq ans et y expérimente les prémices
d’une vraie communication à 360 degrés.
Suit une première tentative de création d’agence en nom propre — Kado lancée en 2002 avec Dominique Van Doormaal à
Hasselt qui ne décollera pas vraiment — et un passage dans la
foulée chez DDB où le même duo, responsable à la fois de la
stratégie et de la création, développe un nouveau modèle de
creative management, un terme que Karen Corrigan déposera.
C’est là que la trentenaire rencontre un jeune talent créatif de
25 ans — Gregory Titeca — avec qui elle travaille trois ans et décroche quelques jolies récompenses dont un Lion d’Or et deux
Lions d’Argent à Cannes en 2005. «Là-bas, on a senti qu’on pouvait faire la différence et on a donc décidé de lancer notre propre agence à quatre (Ndlr : Karen Corrigan, Gregory Titeca,
Dominique Van Doormaal et Mohamed Oudaha, tous actifs à
l’époque chez DDB), que l’on a baptisée Happiness en guise de
clin d’œil à un tournage pluvieux en Afrique du Sud où le caméraman ne cessait de répéter ce mot pour détendre l’atmosphère
alors que l’on attendait désespérément le soleil !»
Depuis, les deux derniers associés ont décidé de quitter
l’agence, laissant désormais le soin à la CEO Karen Corrigan et
au creative director Gregory Titeca — chacun détenteur des parts
de la société à 50% — de mener Happiness Brussels à bon port.
Et cela leur réussit plutôt bien puisqu’avant de rafler le titre de
«Meilleure agence interactive de l’année» au festival Eurobest
en 2009 et de décrocher le Grand Prix dans la catégorie Design
aux Cannes Lions 2010, l’agence belge avait déjà décroché un
▲
e fut assurément l’un des buzz de l’été.
Un écran divisé en deux: à gauche, SanPOUR L’IQ
KAREN
DE TOYOTA
dra Kim version 1986, lorsqu’elle venait
CORRIGAN,
L’agence de pub
CEO ET COde remporter le Concours Eurovision
a eu l’idée
FONDATRICE
de la Chanson avec le redoutable
DE
J’aime la vie à l’âge de 13 ans ; à droite, la même
HAPPINESS
BRUSSELS
Sandra, un tout petit quart de siècle plus tard, fre«A partir
donnant la même chanson dans un clip 100 % caldu moment
qué sur son voisin de gauche. Même dégaine,
où l’on est
mêmes décors, mêmes mimiques, les ridules et
juste, on peut
aller très
les kilos en plus. Diffusée à tout va sur les réloin dans la
seaux sociaux, cette «double vidéo» se révélait
créativité.»
être, in fine, une publicité pour l’assureur Delta
Lloyd Life, le clip de 2’57’’ se terminant par le slogan «Vous serez pensionné plus vite que vous ne
le pensez», suivi du logo de l’annonceur. Simple,
amusant, efficace.
Derrière cette bonne idée «néostalgique», se cache
saugrenue
Happiness Brussels, une agence belge qui fête ses
d’inviter
le véhicule
cinq ans cette semaine et qui suscite, elle aussi, pas
à dévoiler
mal de buzz dans le petit monde de la pub depuis
son identité
qu’elle collectionne les prix de prestige. Désignée
typographique,
en 2009 comme «Meilleure agence interactive de
autrement dit
sa propre police
l’année» au très couru festival Eurobest (qui réde caractères
compense les meilleures créations publicitaires de
baptisée iQ
toute l’Europe), Happiness Brussels a une fois de
Font. Un tabac!
plus créé l’événement en juin dernier en décrochant
cette fois un Grand Prix dans la catégorie Design aux
quel ordinateur et qui a d’ailleurs été déjà téléchargée plus de
Cannes Lions 2010, le Festival international de la Publicité. Une
25.000 fois sur le site de Toyota. Quant au spot proprement dit,
récompense quasi historique, puisque la Belgique n’avait jusqu’ici
il a été relayé par tous les blogs de pub de la planète et visionné
décroché que deux Grands Prix en plus de 50 ans de festival.
plus de 512.000 fois sur le site de partage vidéo www.vimeo.com
L’objet de cet honneur cannois attribué à Happiness Brussels?
— sans parler des classiques Youtube et autres réseaux sociaux
Sa campagne virale pour le modèle iQ de Toyota, une voiture
de type Facebook — avant de séduire finalement le jury interà la maniabilité étonnante et délibérément ciblée «jeunes». Une
national du festival Cannes Lions 2010.
citadine tellement agile que l’agence de pub a eu l’idée saugrenue d’inviter le véhicule à dévoiler son identité typographique,
autrement dit sa propre police de caractères baptisée iQ Font !
«Il faut aussi des résultats»
Présenté sous la forme d’un reportage classique, le spot mon«C’est une campagne très juste, directe, où le produit est le
tre comment la voiture dessine habilement les différentes letvéritable héros de l’histoire, commente Karen Corrigan, CEO
tres de l’alphabet avec le mouvement de ses roues, grâce à un
de Happiness Brussels. A partir du moment où l’on est juste, on
pilote de course, des créatifs, des designers et des ingénieurs
peut aller très loin dans la créativité. Mais la créativité pour la
qui permettent de visualiser concrètement le défi.
créativité ne m’intéresse pas. Il faut aussi des résultats. Sur le
Singulier, cet exploit «auto-graphique» est beaucoup plus qu’un
site de Toyota, cette campagne iQ Font a généré directement
simple gadget publicitaire puisque l’iQ Font est aujourd’hui une
2.500 demandes d’essai de voiture. Parce que le produit est cenvraie police de caractères qui peut désormais équiper n’importe
tral, une fois de plus.»
PHOTOS : HAPPINESS BRUSSELS/PG
Cinq ans à peine après sa création, Happiness Brussels se profile déjà comme l’agence de pub belge la
plus «tendance» du moment. Ses campagnes décalées et son Grand Prix décroché cet été à Cannes lors
du Festival international de la Publicité y sont évidemment pour beaucoup. ❙ Frédéric Brébant
ans, tout en continuant son aventure chez Nike. Nouveau diplôme en poche, elle passe ensuite quelques mois
comme account executive chez Reader’s Digest où elle
entre en contact avec différentes agences de pub, avant
de se faire débaucher par l’une d’entre elles, Young &
Rubicam, pour y occuper la même fonction. Nous
sommes en 1990 et c’est là qu’elle apprend véritablement le métier pendant six ans. «C’était à mon tour de
vendre des maquettes de campagne auprès des clients,
ce dont je rêvais chez Nike», sourit-elle. Devenue finalement account manager chez Y&R, elle rejoint
Trends-Tendances 2 septembre 2010 Analyse 53
analyse
L’arbre qui parle
est mon ami D’abord créer le buzz et puis
joli Lion d’Or cannois en 2009 pour sa campagne Ayo Car Dance
Party (Toyota) qui jouait la carte du web participatif. En clair :
des spots complètement déjantés invitaient les internautes à adopter, exclusivement en voiture, les chorégraphies déjantées de
Boris et Juri, experts russes en dance car party sur fond de new
beat. Un délice et surtout un succès puisque pas moins de 2.000
personnes ont posté à l’époque leurs propres délires en vidéo sur
le site spécialement créé pour l’occasion.»
révéler seulement le nom du
client. Happiness Brussels excelle dans cette technique
publicitaire et remet aujourd’hui le couvert avec le Talking
Tree. Traduction: l’arbre qui parle. Lancé il y a une semaine
à peine, le site www.talking-tree.com est en effet en train
de séduire tout doucement les réseaux sociaux.
Vous pensez, un arbre qui ressent l’environnement et qui,
Dites «concept providers»
surtout, communique ses états d’âme en temps réel,
Désormais prisée des annonceurs pour ses initiatives délibéça ne se voit pas tous les jours!
rément
originales (lire l’encadré page 54), Happiness Brussels
Car cet être végétal, caché quelque part dans un bois
cultive plus que jamais sa différence en affirmant notamment ne
de Bruxelles, communique bel et bien: il livre à ses amis
pas employer de «créatifs à proprement parler», contrairement
son humeur du jour — phrase à l’appui — et les informe
à toutes les agences de pub. «On préfère les présende la vitesse du vent qui souffle dans ses feuilles
ter comme des concept providers, confie le creative
et, surtout, de la qualité de l’air ambiant. Oui,
director Gregory Titeca. Car nous estimons que l’écriCACHÉ DANS
l’«arbre qui parle» a des amis. Des vrais, en chair
UN BOIS DE
ture de la pub doit évoluer. Chez nous, il y a des gens
et en os. Ce lundi 30 août, il en comptait déjà
BRUXELLES,
qui
ne viennent absolument pas de ce milieu et qui ont
plus de 400 sur Facebook et plusieurs dizaines
THE TALKING
donc
une tout autre vision de la communication. Nous
TREE LIVRE
sur Twitter. Des fans qui suivent donc tous
voulons surtout éviter le cloisonnement des genres
SES HUMEURS
les statuts et les images (photos, vidéos)
Happiness
en permettant à chacun de travailler aussi bien sur les
de ce Talking Tree singulier.
Brussels joue
films que sur les points de vente. Dans les bureaux de
Vaste fumisterie? «Pas du tout, s’insurge Gregory
une fois de plus
Happiness Brussels, il y a aussi une quinzaine de nala
carte
Titeca, creative director au sein de l’agence
de l’innovation
tionalités différentes, ce qui est très enrichissant, et
Happiness Brussels. Cet arbre existe vraiment et
technologique
nous avons également une database de talents à trail est équipé de toute une série de capteurs qui
vers le monde qui nous permet de ne pas utiliser les
lui permettent de donner de véritables informamêmes ficelles que les autres agences.»
tions sur son environnement immédiat.»
Focalisant aujourd’hui ses objectifs sur l’inDe là à le faire parler... «Justement!, enternational — «la prochaine étape vise à déchaîne le responsable du projet. On a
crocher des budgets européens», reconnaît
écrit des milliers de phrases en foncKaren Corrigan —, Happiness Brussels
tion des différents paramètres qui
veut également se définir comme une
peuvent influencer la vie de l’arbre.
marque à part entière, «fournisseuse de
Et donc, lorsque telle situation se
bonheur» (sic) et clairement axée sur
produit avec tel ou tel facteur mel’innovation. L’agence a ainsi créé résuré par tel et tel capteur, l’arbre
cemment une «vraie couette avec
donne tel ou tel statut en direct sur
manches», baptisée Happiness in Bed,
les réseaux sociaux.»
permettant
à son propriétaire de lire au lit
Partant du postulat que l’on parle
les
soirs
d’hiver
sans avoir froid au bras (!)
beaucoup de l’environnement mais
et pourrait même, pourquoi pas, «ouvrir un
qu’on ne laisse jamais la parole aux
jour un Happiness Hotel», dixit la CEO de
principaux intéressés (sic), Happiness
l’agence.
Brussels joue donc une fois de plus la carte
Mais pour l’instant, les 30 employés concentrés
de l’innovation technologique pour faire la pub
à Bruxelles et la vingtaine d’autres délocalisés au
d’un des ses clients. Car ce Talking Tree sert évipour faire la pub
Vietnam pour des raisons strictement économiques
demment une cause «commerciale». Ce n’est
d’un des ses
mettent
toute leur énergie sur d’autres campagnes
pas clairement indiqué sur le site en question,
clients. Ici en
qui
s’annoncent
d’ores et déjà décoiffantes. L’une
l’occurrence,
mais en y regardant de plus près, on y trouve
il s’agit d’EOS.
d’entre elles débute ce vendredi 3 septembre et vise
in fine le nom d’EOS, le magazine des sciences
à promouvoir, de façon très spectaculaire, le nouveau
— pas très connu du grand public — qui lanmodèle hybride de Toyota en s’attaquant carrément
cera en novembre le Low impact month, une
à
«la
voiture
diesel la plus polluante de Belgique». Sensations
opération visant à réduire l’empreinte technologique de
fortes garanties. Et dans la foulée, Happiness Brussels promet enchacun. Et l’arbre y participera naturellement, entraînant
suite une action innovante, comme toujours, et «très très très
avec lui ses probables milliers d’amis dont une partie
virale»
dans le monde de la musique. La campagne est sous ems’abonnera peut-être au magazine EOS avec la bénédicbargo
pour
quelques semaines encore, mais est franchement
tion de Happiness Brussels.
extraordinaire. Et promis, juré, Sandra Kim n’y est cette fois
pour rien.
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