PERsEPolis: CHRoNiQUE d`UNE sUCCEss stoRy

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PERsEPolis: CHRoNiQUE d`UNE sUCCEss stoRy
culture
©2.4.7. FILMS
©émilie Moysson
Marjane Satrapi
Persepolis : chronique
d’une success story
Téhéran, 1978. Marjane, 9 ans, rêve de sauver le monde sur fond de Révolution iranienne. Vingt ans
plus tard, à quelques jours de la sortie de Persepolis en DVD, rencontre exclusive avec une jeune
femme au franc-parler, résolument libre et passionnée.
Génération Solidaire :
Persepolis, c’est un pan de l’histoire
de l’Iran? Une histoire ? Un exil ?
Marjane Satrapi : Je n’ai pas
réfléchi à cela ; c’est l’histoire d’une vie
comme les autres, tout simplement. Un
point de vue subjectif porté de façon
rétrospective. L’histoire évolue au rythme
d’une enfant puisque j’avais une dizaine
d’années à l’époque de la Révolution iranienne, au rythme des événements, de
mon départ au moment de la guerre qui
opposait l’Iran à l’Irak. Et c’est un exil,
oui, dans la mesure où j’ai perdu le droit
d’y retourner. Pour l’instant.
Mais je ne suis ni historienne, ni politicienne, et mon but en faisant ce film,
comme la BD auparavant, n’était rien
d’autre que de remplir mon rôle d’artiste.
J’ai fait une école d’art : alors les images,
l’écriture sont venues spontanément.
Ce n’était pas un genre imposé, mais un
réel plaisir.
Ce qui frappe, c’est le côté anti-héros
de Marjane. Il y a aussi beaucoup
d’humour, de dérision…
Pour les gens, le vrai héros c’est plutôt
Superman. Mais c’est assommant, chiant
même, c’est trop parfait ! Ici, c’est la
réalité ! Certes, cette destinée est par
certains aspects spéciale, mais j’ai aussi
eu de la chance, j’ai fait la majeure partie
de mes études dans une école française.
Et près de la moitié de ma vie s’est faite
hors d’Iran.
J’ai été témoin de la vie de mon pays à un
moment précis de l’histoire, mais il n’y a
pas de renoncement. Il y a une vraie affection iranienne, pas dans le sens nostalgie
« 1001 nuits » - je déteste ce côté orientaliste et exotique, - mais dans les aspects
humains. J’adore l’humanisme, les gens,
ce qui fait qu’on peut se sentir proche
de quelqu’un qui vous est apparemment
étranger, et a contrario à mille lieux d’une
personne qui parle la même langue…
14 :: #12 :: Hiver 2007 :: GÉNÉRATION SOLIDAIRE
Comment s’est fait le passage de la
BD au film d’animation ?
Comme tout ce que je fais, cela s’est
produit un peu par hasard. Il n’y avait
pas de volonté particulière au départ.
Mais Marc-Antoine Robert (le producteur), et Vincent Paronnaud (le
co-réalisateur) ne sont évidemment pas
étrangers à cette décision. Quand on
arrive à un moment où l’on se voit proposer de faire un film, avec le temps, la
liberté de choix et d’action et les
moyens nécessaires, c’est tellement
rare que cela ne se refuse pas. J’ai
donc saisi l’occasion.
Chaque fois que je commence quelque
chose de nouveau, je me dis que le pire
qui puisse arriver est que je fasse une
merde… Et alors… Il restera toujours
des éléments positifs puisque chaque
nouvelle expérience est une occasion
d’apprendre. Cela se passe donc aussi
sur un mode ludique, joyeux.
le site
www.myspace.com/persepolislefilm
le DVD
de Marjane Satrapi
et Vincent Paronnaud.
2.4.7.Films/Diaphana films.
19,99 e (prix indicatif).
Sortie le 27 décembre.
la BD
de Marjane Satrapi.
édition de L’Association.
Monovolume : 32 e.
En 4 tomes : à partir de 14 e.
©2.4.7. FILMS
tout peRsepolIs
prix Alph’Art pour la BD, prix spécial
l’éducation est un enjeu essentiel
du jury pour le film au festival de
contre la bêtise humaine, mais aussi
Cannes cette année. Persepolis
pour la démocratie et l’égalité ?
représentera aussi la france aux
La culture et l’instruction sont de véritaoscars en 2008…
bles armes. Ça permet d’être moins con.
Oui. Ce n’est pas pour cela qu’on le
Le danger de la stupidité, c’est avant tout
fait mais c’est une vraie récompense.
un manque de connaissances et une sourC’est assez merveilleux.
ce d’erreurs. Regardez les
Beaucoup de mes amis sont La vraie division Strasbourgeois qui votent
du monde,
auteurs de BD, je viens de
pour le Front National alors
la BD underground, je tra- c’est entre les qu’ils ne savent finalement
vaille avec des éditeurs de fanatiques et les pas ce qu’est un étranger…
BD indépendants, pas des
non fanatiques, La vraie intelligence rend
grands groupes ! Et c’est
humble et lucide car plus
les intelligents on sait, plus le monde decela qui est d’ailleurs très
et les cons,
surprenant. C’est aussi
vient complexe et difficile à
les
riches et
encourageant pour la créaappréhender et à expliquer.
tion. C’est vraiment l’effet
Elle permet aussi de faire
les pauvres
bouche à oreille qui a foncdes choix en connaissance
tionné. Imaginez un peu, un film d’anide cause, d’avoir des références commumation en noir et blanc, adapté d’une BD,
nes, de regarder le monde autrement.
sur un sujet lié à l’Iran, qui sort en plein
été ; ce n’était pas gagné d’avance. Alors
quel regard portez-vous sur les
quand le public vous suit, c’est fabuleux.
mouvements étudiants, comme ceux
auxquels on peut assister en france
on a beaucoup parlé de choc des
régulièrement ?
cultures à propos du film…
Les années 80 ont été une période un peu
Il n’y a pas de choc des cultures, c’est de
facile, avec un aspect « golden boy »,
la foutaise ! La culture est « une », une
fric, grandes écoles : une espèce de
chaîne composée de nombreux maillons,
réaction post années 60-70. Il faut que
et nous sommes tous influencés, nourris
la jeune génération se bouge, mais mainpar d’autres cultures. Elle appartient à
tenant, sinon après « ce sera la merde ».
tous, c’est une question d’intelligence. Le
Et c’est l’état qui finira par décider de
vrai choc, la vraie division du monde, ce
tout. Il faut qu’elle continue à faire ses
n’est pas entre le Nord et le Sud, l’Orient
revendications, car il y a plein de choses
et l’Occident. C’est entre les fanatiques
à acquérir !
sous toutes leurs formes (anti-avortement, pro FN, etc) et les non fanatile film s’achève sur cette phrase :
ques, entre les intelligents et les cons,
« la liberté a un prix ». C’est le début
les riches et les pauvres ; car quand on
de tout finalement.
a un peu d’argent, on a forcément plus
Bien sûr ! Un prix physique, moral, un ende facilités : aller à l’école, voyager, se
gagement, une intégrité à soi-même. La
cultiver, et donc s’ouvrir aux autres, être
liberté a un prix car la pensée universelle
ouvert d’esprit.
a un prix. Aujourd’hui, l’état régit nos vies
par certains aspects, les médias ont des
contenus édulcorés – c’est pour cela que
Le Canard enchaîné est mon journal préféré ! Avoir une pensée personnelle, avoir
le droit de parler, exprimer son opinion
sans avoir peur du regard des autres,
oser embrasser une idée sous certains
aspects plutôt que dans son intégralité.
Être libre. C’est pour cela qu’il faut se
battre.
propos recueillis par
Virginie pierson de galzain
GÉNÉRATION SOLIDAIRE :: Hiver 2007 :: #12 :: 1

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