1er prix - Catégorie Jeunesse Mélina Gagnon
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1er prix - Catégorie Jeunesse Mélina Gagnon
- 1er prix Catégorie Jeunesse Mélina Gagnon Ce qui ne va pas avec moi, c'est la frénésie. C'est ce que les gens disent quand ils parlent de moi, parce que oui, ils parlent souvent de moi. La frénésie goûte la réglisse noire. Au premier contact, elle tourne tout à l'envers. La bouchée remonte tranquillement vers la bouche, comme ça, sans faire de bruit. D'abord tout doucement, puis de plus en plus ardemment. Un peu comme un monstre en cage. Une fois le paroxysme atteint, la frénésie se coince dans la gorge de celui ou de celle qui la goûte et éclate ensuite en miettes de bonbons à l'anis. Un peu comme on crache une gorgée de rince-bouche, ou plutôt comme un monstre qui sort de sa cage. La frénésie est un orgasme, un orgasme insupportablement bon. Plaisir, vomir, vomir de plaisir, réglisse rouge ou réglisse noire, c'est de la réglisse quand même. C'est un peu ça mon problème, d'ailleurs. Je confonds tout, j'établis mal les nuances et les distinctions. Effets secondaires de la frénésie. Lorsqu'elle entre en scène, elle prend toute la place, il n'y a plus qu'elle. Ça se passe un peu comme dans les films hollywoodiens. Quand on parle de moi, parce que oui, on parle souvent de moi, on me nomme la Peintre de Nuances. Ils disent que je maîtrise si bien les couleurs qu'on dirait que c'est moi-même qui les a créées. La vérité, c'est que je suis daltonienne. C'est drôle, non? Moi je trouve ça drôle, parce qu'on ne partage ni les mêmes couleurs, ni les mêmes messages, mais ils apprécient quand même ce que je fais. Moi aussi, d'ailleurs. Les gens achètent mes toiles mais ne les comprennent pas, et moi je peins sans comprendre qu'est-ce qui se trouve devant moi. Ils ne voient rien mais ils seraient prêts à tuer pour obtenir une bouchée de cet art. Une bouchée de réglisse noire. Si seulement ils savaient ce qui se trouve derrière. Comment quelque chose d'aussi beau peut-il être aussi laid? Quand on parle de moi, parce que oui, on parle souvent de moi, on me loue, on me vante, on me couvre de louanges. Un peu comme on couvre un petit être qui a froid. Toutes ces fleurs, ça me plait, mais ça me rend en colère. Les imbéciles. Ils vendraient leur âme pour une jeune femme qu'ils ne comprennent pas le moins du monde. Le pire, c'est que je n'en mérite pas une once. C'est drôle, non? Mais en même temps, c'est quand même un peu triste. Enfin, j'imagine. Quand les gens parlent de moi, parce que oui, ils parlent assez souvent de moi, ils disent que je suis belle. La vérité, c'est que je suis laide. Tellement laide qu'on pourrait en vomir. En même temps, c'est souvent ce qui est beau qui fait vomir. Les gens ne distinguent pas la beauté de l'atrocité. Tout est beau, tout est laid, tout est bien et tout est mal. L'objectivité est probablement la plus belle chose qui existe dans ce monde. Personne n'est assez important pour juger de la teinte d'une couleur ou de la teinte d'un impact. Ce qui est, est, point final. Les gens ont parlé de moi à la télévision hier. Ils ont dit que j'ai fait quelque chose de mal. Pour moi, c'était bien. C'était bon. Je me suis retrouvée en prison parce que j'ai peint, ou parce que j'ai tué. J'ai donné la mort, ou des portraits, j'en sais trop rien. J'ai mélangé la réglisse noire avec la réglisse rouge. Merde. Quand j'y pense, je trouve ça un peu ridicule, parce que donner c'est donner, ça relève d'un acte de bonté, mais bon, ils ne voient pas la même couleur de réglisse que moi. De toute façon, je ne me souviens de rien. Le seul souvenir qui colore mon esprit, c'est la douce frénésie qui se mélangeait à l'écume de mes lèvres saveur de réglisse noire. De grands coups de pinceau, de grands coups de couteau. La même réglisse. Aujourd'hui, on m'a demandé de me convertir, de prêcher au nom de la foi et de demander pardon à notre Dieu d'amour. J'ai dit non, puis je me suis retournée vers Satan, et il m'a dit non. On m'a aussi demandé de présenter mes excuses à la télévision, j'ai refusé, pour ne pas mentir. Ce n'est pas que je n'aurais pas apprécié regarder mon joli portrait au petit écran, mais je me conserve pour les grands films hollywoodiens. Finalement, on m'a demandé de faire une esquisse du monstre que je suis. J'ai accepté, j'ai du talent pour la peinture. Tant qu'à être né, autant exister. Laissez-moi vous dire, chers admirateurs de mon incroyable personne, qu'un monstre ne naît pas monstrueux. Ce sont les circonstances et la société qui le peignent ainsi. Moi, on a peint sur mon corps. Sans me le demander. On lui a donné des couleurs à faire vomir. La vérité, c'est qu'au début d'un film hollywoodien, un monstre n'est rien de plus qu'un petit être pur qui grelotte de froid. Nous sommes tous de petits êtres purs et nous méritons tous une couverture, mais certains s'en verront privés faute de... j'en sais trop rien. Moi, on m'a laissé grelotter.