Le Louvre en Contrepoint - Centre de Gestion Scientifique

Transcription

Le Louvre en Contrepoint - Centre de Gestion Scientifique
Rapport d’étude d’option
Juin 2006
Ecole des Mines de Paris,
Option Gestion Scientifique
Le Louvre en Contrepoint
Emmanuel Ladoux, Marion Rabate
1
Résumé
L
e musée du Louvre ouvre ses portes au public en 1793, après avoir été pendant
plusieurs siècles le Palais Royal. C’est aujourd’hui le plus grand musée du
monde, par la richesse de ses collections, et par la masse de public qu’il attire
chaque année – 7,6 millions de visiteurs en 2005.
Le musée s’ouvre aujourd’hui à son époque. Plusieurs initiatives l’attestent : le
nombre des expositions temporaires a été multiplié par deux en cinq ans (17
expositions en 2006, par exemple), le nombre d'acquisitions a fortement augmenté (35
millions d'euros en un an ont permis d'enrichir les collections du musée), la création
d'événements faisant appel au spectacle vivant et à la création contemporaine animent
désormais régulièrement le Louvre, notamment lors des nocturnes du vendredi ou à
l'occasion des Nuits blanches, par exemple, la réalisation, prévue pour 2009 d'un
nouveau musée à Lens fondé sur un concept muséal innovant.... L’institution
s’investit également dans l'art contemporain, permettant ainsi de confronter regards
classique et d'aujourd'hui (exposition de sculptures modernes, concerts, spectacles
vivants,…). Ces transformations, bien visibles du grand public, font écho à un
mouvement de profonde rénovation de la gestion de l’établissement, avec notamment
la signature d’un « contrat d’objectifs et de moyens » avec les ministères de tutelle,
qui se traduit par une plus grande autonomie de gestion donnée au Louvre.
Autre évolution, qui, aujourd’hui, agite particulièrement l’institution : la redéfinition
du rapport aux publics, un enjeu qui avait déjà mené en 2002 à la création de la
Direction des Publics – au sein de laquelle s’est déroulé notre travail. Car bien
qu’habitué au succès du tourisme de masse, le musée rencontre des difficultés
récurrentes avec le public dit « de proximité », pour qui hordes de visiteurs et files
d’attentes constituent un frein à la visite. C’est ainsi que le musée a défini des publics
prioritaires – jeunes, franciliens, handicapés et public du champ social – pour lesquels
l’accès à la visite doit être facilité.
Un des axes privilégiés d’action en la matière est aujourd’hui la fidélisation, thème de
notre étude. Celle-ci passe notamment par l’élaboration de « produits » de fidélisation,
comme les cartes d’adhésion. Or le bilan de ces cartes n’apparaît pas, aux yeux
mêmes des acteurs qui la gèrent, satisfaisant : ventes et taux de ré-adhésion en-deçà
des attentes, et produits trop peu personnalisés. La Direction des Publics avance des
difficultés organisationnelles pour expliquer ce bilan en demi-teinte : le travail est
mené dans l’urgence et les « process » sont peu efficaces, certainement en raison
d’une absence de travail « en mode projet ».
Notre analyse a montré qu’au-delà de problèmes organisationnels, les difficultés
résidaient dans la complexité à définir une stratégie claire, aussi bien au niveau de
l’élaboration des produits de fidélisation qu’en termes de positionnement de la
Direction des Publics au sein de l’institution.
Afin d’envisager concrètement des voies de transformation, nous nous sommes
focalisés sur un produit de fidélisation particulier : la Carte Louvre Professionnels. A
partir d’une enquête menée auprès d’un échantillon d’adhérents, qui dessinait un
portrait inédit du porteur de cartes, nous avons proposé une innovation produit
2
susceptible d’induire aussi une amélioration de l’organisation. Celle-ci constitue à nos
yeux un premier pas vers la personnalisation de la relation avec le visiteur, qui répond
à un enjeu crucial, non seulement pour la Direction des Publics, mais aussi pour le
Louvre dans son ensemble : organiser l’accueil de masse des touristes tout en gérant
la diversité de certains publics, définis comme prioritaires par le musée lui-même.
3
Remerciements
N
ous tenons à remercier nos conseillers du Centre de Gestion Scientifique
(CGS) de l’Ecole des Mines de Paris, Fréderic Kletz et Olivier Lenay, pour
leur implication dans notre travail et leur suivi régulier tout au long de
l’année.
Nous remercions nos interlocuteurs du Musée du Louvre et plus particulièrement de la
Direction des Publics, au sein de laquelle nous avons été intégrés pour notre étude.
4
Résumé................................................................................................................................ 2
Remerciements.................................................................................................................... 4
Introduction......................................................................................................................... 6
1.
L’émergence d’un nouveau Louvre ............................................................................ 8
Une refonte de l’organigramme ...................................................................................... 9
Une nouvelle logique des publics ................................................................................. 12
La fidélisation des publics ............................................................................................ 14
Les cartes d’adhésion.................................................................................................... 15
2. La politique de fidélisation en question ........................................................................ 19
Un bilan en demi-teinte de la fidélisation ..................................................................... 20
Quelle stratégie et quels outils pour une politique de fidélisation ? ............................. 20
Des logiques d’acteurs différentes ................................................................................ 21
Organisation et méthode : la culture du « mode-projet ».............................................. 21
Quelle légitimité pour la Direction des Publics au sein du Musée du Louvre ? Un
positionnement incertain............................................................................................... 22
Les Conservateurs......................................................................................................... 22
3. Le salut de la politique des publics par l’innovation des produits ? ............................. 24
Une faible connaissance des attentes des adhérents ..................................................... 26
Une enquête auprès des adhérents CLP : méthodologie et démarche .......................... 27
Résultats de l’enquête ................................................................................................... 27
Une proposition pour faire évoluer la Carte Louvre Professionnels............................. 31
Le processus d’acceptation ........................................................................................... 32
Conséquences organisationnelles.................................................................................. 32
Conclusion ........................................................................................................................ 33
5
Introduction
D
epuis plus de deux siècles, le Musée du Louvre abrite les collections les plus
prestigieuses au monde ; il est aujourd’hui considéré comme le plus grand
musée qui soit. Pourtant, Henri Loyrette, nommé à la tête de l’établissement
en 2001, a décidé de ne pas se reposer sur le succès incontestable du Louvre, et il a
entrepris une transformation en profondeur de l’institution.
Un exemple frappant : l’introduction de l’art contemporain. Les visiteurs du musée
ont pu contempler cette année sous la Pyramide, l’œuvre d’un artiste brésilien
(Tunga), ou des sculptures modernes qui côtoient des œuvres classiques, dans le cadre
de l’exposition annuelle d’art contemporain Contrepoint – conçue comme un moyen
original de jeter un nouveau regard sur les chefs-d’œuvre classiques et de faire
dialoguer tradition et modernité.
Il en va de même pour la gestion du musée. Un des enjeux centraux de la Direction du
musée est de réussir à faire dialoguer des corps de métier traditionnels – conservateurs
et historiens de l’Art – et des fonctions créées plus récemment – comme l’Auditorium,
qui accueille des conférences sur les collections, des concerts de musique classique,
mais aussi des spectacles vivants, des films, ou des initiatives avant-gardistes comme
ces Duos éphémères, mises en scène de musiques électroniques sur fond d’images
d’archives.
L’introduction de ces fonctions de gestion modernes bouleverse l’institution à
plusieurs titres. Elle remet en question la mission d’un musée de beaux-arts, et fait
intervenir de manière centrale la question du rapport du musée à l’argent : certains
conservateurs prétendent par exemple que le Louvre est en train de dériver vers le
modèle de l’« entreprise privée », ou qu’on risque de voir des œuvres dégradées, sous
prétexte que le public doit y avoir accès en masse.
La Direction des Publics, créée par Henri Loyrette en 2002, est représentative du
bouleversement que vit actuellement le musée. Elle a pour mission de transformer le
rapport de l’institution à ses publics.
Un des axes de travail majeur de cette nouvelle logique des publics réside dans la
fidélisation des visiteurs.
Le musée a pourtant accueilli 7,6 millions de visites l’an dernier, grâce – entre autres
– à l’émergence de nouveaux publics touristiques et à l’effet « Da Vinci Code ». Le
musée croule donc déjà sous les visiteurs, alors que les infrastructures ont été
dimensionnées pour accueillir « seulement » 3,5 millions visiteurs par an. Si autant de
monde se presse pour venir au Louvre, on peut légitimement se poser la question de
l’intérêt de développer les actions de fidélisation des publics, notamment via les cartes
de fidélité (qui représentent environ 60 000 adhérents par an, auxquels il faut ajouter
les 60 000 Amis du Louvre). Or, parmi les visiteurs actuels, 72% sont des touristes,
alors que le flux des autres publics, notamment ceux qui apparaissent comme une
priorité – cf. infra – est plus faible.
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Lors de notre étude, qui a porté sur ces cartes de fidélité et sur les problématiques de
fidélisation du Louvre, nous avons abordé le problème sous l’angle de l’organisation
et du contenu de ces offres, en se demandant si les cartes qui existent aujourd’hui
parviennent à attirer les publics que l’on cherche à fidéliser en priorité, et si le Louvre
se donne les moyens de sa mission de service public.
Mais au-delà des questions d’organisation, nous nous sommes penchés sur une
interrogation plus fondamentale qui est celle de la greffe d’une nouvelle Direction et
d’une nouvelle logique – celle des publics – dans une institution vieille de plus de
deux siècles.
Image emblématique de ce dialogue entre tradition et modernité, en couverture de ce
rapport : le visuel de la carte de fidélité du Louvre destinée aux 18-26 ans (voir page
de couverture). Nathalie Talec, artiste contemporaine a choisi de poser son appareil
dans les salons de Napoléon III, dans l’aile Richelieu du Palais du Louvre. Dans ce
décor parfaitement traditionnel, noble – mais statique – est mis en scène un
personnage vivant, vêtu de blanc, fantaisiste, en tout cas moins noble dans le regard de
certains.
C’est bien cette rencontre entre tradition et modernité, noble et moins noble, qui est au
cœur de notre sujet : c’est ainsi que notre rapport vous présente un « Louvre en
Contrepoint ».
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1. L’émergence d’un
nouveau Louvre
Notre réflexion sur la fidélisation des publics s’inscrit dans l’émergence d’un nouveau
Louvre, dans une institution en pleine effervescence : le nombre des expositions
temporaires a été multiplié par deux en cinq ans, le Louvre a décidé de s’installer dans
une ville sinistrée du nord de la France… des initiatives auxquelles on ne s’attendrait
pas naturellement de la part d’un musée de beaux-arts.
Mais ces transformations touchent beaucoup d’autres domaines, particulièrement en
interne, avec une refonte de l’organigramme, la mise en place de nouveaux outils de
gestion (dont une des illustrations fortes est le changement de statut administratif du
musée vis-à-vis de l’Etat), et un poids nouveau pour la logique des publics.
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Des projets inattendus
Le Louvre n’est plus un musée exclusivement consacré à la conservation et
l’exposition de ses collections. Ainsi, par exemple, le musée participe également à la
création contemporaine, puisque pour la deuxième fois cette année ont été exposées
des sculptures modernes dans les salles du musée, dans le cadre de l’exposition
Contrepoint.
L’initiative du Président-Directeur Henry Loyrette,
saluée avec enthousiasme par la critique, n’a pas fait
l’unanimité en interne, notamment auprès des
conservateurs. « Comment expliquer que le musée ait
une conservatrice dédiée à l’art contemporain,
s’insurge un conservateur, quand la peinture
espagnole n’en a toujours pas ? » 1
Parmi les rapprochements avec le monde de la
création contemporaine, on peut également citer le
montage de l’artiste brésilien Tunga (dans le cadre de
l’année du Brésil en France) exposé sous la Pyramide,
ou bien l’invitation lancée à deux artistes
contemporains à redécorer les cimaises du musée.
Le triomphe de Flore, François Vergier.
Exposé au musée du Louvre dans le
cadre du projet Contrepoint
Le Louvre surprend également en décidant de s’installer dans le département du Nord,
à Lens. Les plus beaux chefs-d’œuvre du Louvre y seront exposés, par roulement, à
l’exception des plus fragiles, telle La Joconde. Comme on peut le voir ci-dessous,
l’architecture de ce futur bâtiment, qui devrait ouvrir ses portes au public en 2010,
tranche avec le classicisme des chefs-d’œuvre qui seront accueillis dans ces salles.
Une refonte de l’organigramme
Un nouvel organigramme
1
Cité par Télérama n°2932 – 22 mars 2006
9
Au-delà des transformations visibles par le public, le Louvre subit également des
transformations fondamentales de sa gestion en interne. Ces modifications répondent
aux nouvelles questions qui émergent pour piloter les nouveaux projets (Louvre-Lens,
Contrepoint, multiplication des expositions temporaires, etc.)
Traditionnellement, les conservateurs – qui sont d’éminents spécialistes des œuvres et
de l’Histoire de l’Art – règnent sur le musée. Mais à partir de 2002, la refonte de
l’organigramme (voir schéma ci-dessous) déplace l’équilibre organisationnel. La
création des Directions donne une place centrale à certaines entités du musée, dont la
Direction des Publics, créée à cette occasion.
Direction
Générale
Services « support »
Départements Conservation
Mis en forme :
Police :10 pt
Mis en forme :
Police :10 pt
Directions
De nouveaux enjeux de gestion
Sous l’impulsion de son président directeur Henri Loyrette et de son administrateur
général Didier Séllès, le Louvre met en place de nouvelles modalités de gestion qui
visent à faire évoluer autant les méthodes que les esprits et la culture de tous les
collaborateurs.. Le changement passe notamment par la mise en place de deux types
d’outils :
-
les outils de suivi des objectifs : depuis 2003, un Contrat d’Objectifs et de
Moyens, signé avec les Ministères de tutelle (Ministère du Budget et Ministère de
la Culture) prévoit le respect d’un certain nombre d’indicateurs fixés à l’avance ;
un service du contrôle de gestion est chargé de s’assurer que ces objectifs
stratégiques peuvent être atteints, et propose, en liaison avec les directions
concernées, des « actions correctrices » le cas échéant ; la Direction Financière et
Juridique se charge, elle, de concevoir des outils de contrôle interne en terme de
suivi des dépenses ;
-
les outils d’optimisation des « process » et des méthodes : ils sont encore peu
nombreux, mais certains postes ont été créés spécialement pour mieux organiser
10
Mis en forme :
Police :10 pt
les projets (par exemple l’ « unité de gestion et de pilotage », du service des
activités éducatives et culturelles).
Le Contrat d'Objectifs et de Moyens (COM) 2003-2006 prévoit le respect d’une série
d’indicateurs chiffrés, qui portent sur les objectifs stratégiques du Louvre. Ces
objectifs sont structurés en trois axes :
- Axe 1 : Intensifier le développement culturel
- Axe 2 : Développer la protection et la mise en valeur du patrimoine
- Axe 3 : Renforcer les fonctions administratives et techniques
On notera que l’ensemble des objectifs de l'axe 1 concernent particulièrement les
actions vers les Publics :
- Objectif 1.1 : Maintenir la fréquentation du musée à un haut niveau
- Objectif 1.2 : Mener une politique volontariste à l'égard du public national
- Objectif 1.3 : Diffuser le savoir sur les collections et l'histoire de l'art
- Objectif 1.4 : Améliorer l'accueil et l'information du public à la pyramide
- Objectif 1.5 : Offrir un accès maximal aux collections
En échange du respect de ces objectifs, l'établissement jouit d’une plus grande
autonomie dans sa gestion. La gestion des agents titulaires, par exemple, est
déconcentrée: elle est directement assurée par le musée et non plus par les tutelles.
Le Louvre fait figure d’établissement « pilote » en la matière, puisque c’est la
première institution culturelle publique à passer un tel accord avec ses tutelles.
Le service du contrôle de gestion du musée se charge de définir, en liaison avec les
différentes directions de l’établissement, des méthodes de suivi des objectifs
stratégiques fixés par le COM (le suivi des dépenses est assuré par la Direction
Financière et Juridique, DFJ). Le contrôle de gestion élabore pour chaque service une
« feuille de route ».
En cas de non-respect d'un indicateur du COM, les responsables concernés doivent
mettre en place une « action correctrice », ou justifier que « l'objectif n'était pas
réalisable ». Il n'est pas prévu de sanction en cas de non-respect du COM, mais le
contrat constitue une pression non négligeable, notamment envers les cadres de
l’institution.
Les grandes recettes du Louvre proviennent pour 33M€ de la billetterie, 93M€ de
subventions publiques et 17.5M€ du mécénat. Dans ces grandes masses budgétaires,
les cartes d’adhésion (représentant seulement 14 % des recettes), sur lesquelles nous
nous pencherons par la suite, sont vues comme « un micro-sujet », tant pour les
recettes que pour les dépenses.
11
Une nouvelle logique des publics
Dans un contexte d’expositions dont le nombre a été multiplié par 2 en 5 ans, la
question de l’accueil des publics prend une place primordiale au sein du Louvre.
Henri Loyrette, président-directeur, en fait une priorité et veut mettre les publics au
cœur des préoccupations du musée.
Mais l’introduction des publics au Louvre n’est pas une question nouvelle, elle agite
l’institution depuis sa création.
Avant d’être un musée, le Louvre est un palais royal. Ses salles ouvrent au public en
1793, à la suite de la Révolution : le « Museum Central » se limite alors à la Grande
Galerie et au Salon Carré. Le nombre de salles ouvertes au public augmente
progressivement.
Le public de départ est
essentiellement
constitué
d’apprentis
artistes,
venus
s’inspirer des maîtres, ainsi que
des
« honnêtes
hommes »,
érudits, ou fins connaisseurs de
l’Histoire de l’Art.
Ci-contre : une toile d’Hubert
ROBERT, Projet d'aménagement
de la Grande Galerie du Louvre,
vers 1789 (1796), qui figure des
artistes venus reproduire les
tableaux de la Grande Galerie.
Le public se démocratise progressivement, et il est aujourd’hui à
72% touristique, avec 53% de « primo-visiteurs ».
Le musée devient également un lieu d’apprentissage, avec une part
importante de public scolaire et étudiant.
Le Musée se doit d’accueillir ce nouveau public dans toute sa diversité, et de présenter
de manière accessible à tous les collections.
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Les grands travaux de 1989 mènent à la construction de la pyramide, conçue avec
l’idée de faciliter l’accueil physique du public : c’est le Projet Grand Louvre. Ce
projet est aussi l’occasion de réfléchir à cet accueil dans sa définition plus générale,
non pas seulement dans la gestion des flux mais aussi dans l’accompagnement et
l’aide à la visite, et la médiation possible entre les œuvres et le visiteur.
Cette réflexion mène en 2002 à la création de la Direction des Publics, chargée de ce
rôle de médiateur.
Les missions de la Direction des Publics
Une de nos premières préoccupations fut de mieux appréhender la « doctrine » du
Musée du Louvre en termes de « politique des Publics ».
A la mission de conservation des oeuvres et du patrimoine national, à la vocation
esthétique du Musée, s'opposent divers enjeux utilitaristes, mais non moins essentiels,
tels la facilité d'accès au Musée, ou une bonne communication avec le visiteur.
Si le musée idéal, dans l’esprit de certains conservateurs, est un musée visité par
quelques rares « élus », spécialistes de leur domaine culturel, comme c'était le cas au
XIXème siècle, les objectifs du Louvre d'aujourd'hui, tels qu'ils sont définis dans le
Contrat d'Objectifs et de Moyens (COM) signé par le Louvre et ses tutelles, mettent
les publics au centre du musée.
Or avec un public actuel de plus de 7 millions de visiteurs par an, dont une grande
partie sont des touristes « primo visiteurs », un public « captif » pour le Musée du
Louvre, pour qui une première visite au Louvre lors de leur découverte de Paris est
incontournable, on peut se demander pourquoi faire l'effort d'aller chercher encore
plus de public et pourquoi améliorer leur visite. La mission de service public impose
au Louvre de se rendre accessible à tous et dans les meilleures conditions de visite
possible.
La Direction des Publics s’occupe donc de l’accueil du grand public, de la vente de
billets, en essayant de limiter les files d’attentes, de la gestion des flux de visiteurs, de
l’information au grand public, de la médiation avec le visiteur tout en assurant un
accueil de qualité.
Pour cela, la Direction des Publics a développé un ensemble de produits: plans du
musée et parcours de visite en plusieurs langues, participation à la production des
audio-guides, organisation de visites-conférences et ateliers, dont des visites en
langues étrangères.
Face à un public de masse, sur lequel le musée n’a que très peu d’influence (les
touristes viennent souvent avec des tours opérateurs, prennent leurs propres guides et
suivent un parcours sur lequel le musée n’a aucune « influence »), et que l’on peut
décrire comme captif au sens où le Louvre est alors une visite incontournable, il existe
des publics qui ne viendraient pas spontanément au musée, et que le Louvre cherche à
attirer pour remplir sa mission de service public : rendre le musée accessible à tous.
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Ces publics sont définis comme prioritaires par le musée, qui mène envers eux une
politique très volontariste. Ces publics sont :
- le public jeune, qui sera le visiteur de demain et pourra alors être prescripteur dans
son entourage personnel, pour qui les freins à la visite peuvent être financiers (en
l'absence de revenus), ou d'ordre personnel (manque d'intérêt)
- le public handicapé, pour qui il faut améliorer l'accessibilité des collections
- le public du champ social, à qui l'on doit donner « l'envie de sortir et de s'approprier
le musée »
- de manière plus générale, le public national et plus spécifiquement francilien, qui ne
viendrait pas spontanément au Musée
Pour ces publics de « proximité », national et francilien, réputé craintif de la foule et
des files d'attentes, le public de masse constitue un frein. Par ailleurs, pour une grande
partie du public potentiel (qui comprend aussi le « non public »), le Louvre
impressionne par sa taille et par son statut.
Le musée veut donc dédramatiser la visite (une des publicités du musée faisait
allusion au cinéma et citait « on se fait une toile »).
Ainsi, pour le public du champ social, la Direction des Publics a créé des
« Rencontres », qui sont des conférences au musée par des conférenciers
professionnels, à destination des encadrants du champ social. Le but est de leur
apprendre à faire venir un groupe au musée, de leur décrire le fonctionnement
pratique du musée (tarif, ouverture des salles, situation des toilettes) et de leur donner
des bases en Histoire de l’Art pour qu’ils les transmettent aux groupes qu’ils
accompagneront par la suite.
Par ailleurs, le musée a une mission éducative, d’ « éducation permanente
privilégiée » : le but est de transmettre les savoirs de l’Histoire de l’Art et faire
découvrir à tous notre patrimoine national, que ce soit aux groupes scolaires qui
viennent en nombre ou par des formations professionnelles gratuites, à destination des
enseignants, qui serviront de relais du savoir.
La fidélisation des publics
Le musée a choisi de mettre en place une politique de fidélisation de ces publics
prioritaires. C’est sur ce sujet qu’a porté spécifiquement notre travail.
Il existe au musée divers moyens de fidélisation, mis en œuvre par des acteurs très
divers.
L’événementiel est beaucoup utilisé, car on sait que c’est ce qui attire le public de
proximité, plus que la visite des collections permanentes qu’il reporte plus facilement
à ultérieurement.
Le musée a donc multiplié récemment le nombre d’expositions par deux, et a créé le
concept de Nocturnes Jeunes, qui ont lieu tous les vendredis soirs. Certaines de ces
nocturnes présentent également des animations et des spectacles dans les salles,
comme cela a été le cas pour la Nocturne qui célébrait les dix ans de la carte Louvre
Jeune cette année. On aura ainsi pu écouter de la musique classique dans les salles,
14
assister à des spectacles de danse contemporaine ou des animations par un artiste
contemporain mettant en scène des nus parmi les statues grecques.
Ce genre d’animation permet d’attirer de nouveaux publics, de les fidéliser à ce genre
d’événements, voire de leur donner le goût de revenir pour visiter les collections
permanentes.
Le service du Mécénat et le service Internet sont également en train de développer une
politique de fidélisation. Pour ce dernier service, il s’agit du suivi des pages Internet
visitées par l’internaute et de la proposition de produits reliés.
Mais les principaux outils de fidélisation utilisés par le musée sont les cartes
d’adhésion de la Direction des Publics, mises en place en 1995.
Les cartes d’adhésion
Le Louvre propose au public des cartes d’adhésion annuelles qui dépendent du profil
de l’adhérent. Contrairement à Beaubourg ou à Orsay par exemple, qui ont choisi de
proposer leur « Laissez-Passer » ou leur « Carte Blanche » à tous les types de public,
le musée du Louvre a choisi de faire un premier pas vers la « personnalisation
visiteur ».
Il existe des cartes payantes et des laissez-passer gratuits, les premiers donnent droit à
un accès illimité aux collections permanentes, expositions, ainsi qu’un certain nombre
de services connexes, alors que les deuxièmes ne donnent accès qu’aux collections
permanentes.
LA CARTE LOUVRE JEUNES
La première carte d’adhésion a été créée en 1995,
à destination des jeunes de 18 à 26 ans. Elle valait
100F, elle vaut aujourd’hui 15€ (la carte est donc
rentabilisée en deux visites, le billet d’entrée
coûtant 8,50).
Les avantages de la carte sont :
•
•
•
•
•
•
•
Accès libre et illimité aux collections permanentes et aux expositions
temporaires du musée du Louvre et du musée Delacroix ;
Entrée privilégiée et sans attente par le passage Richelieu, la galerie du
Carrousel et la porte des Lions ;
Envoi des programmes du musée et d’une lettre d’information (possibilité de
recevoir cette information par email) à domicile à partir du fichier client de
l’application ;
Réductions tarifaires pour les activités culturelles du musée et notamment pour
les activités proposées en exclusivité aux adhérents de la carte ;
Tarifs préférentiels aux manifestations de l’auditorium ;
Possibilité d’inviter gratuitement une personne de son choix en nocturne les
mercredis et vendredis ;
Réductions tarifaires dans certains restaurants et espaces commerciaux liés au
musée du Louvre ainsi que dans certaines institutions culturelles partenaires.
15
Il existe à ce jour deux formules d’adhésion : individuelle ou collective. Dans les deux
cas l’adhésion est toujours nominative.
•
•
Les adhésions individuelles sont valides à compter de la date d’émission de la
carte et jusqu’au dernier jour du mois identique de l’année n+1.
Les adhésions collectives s’articulent autour d’un «correspondant», qui réunit
au moins dix adhésions dont la sienne. Ces adhésions regroupées sont valables
du 1er septembre de l’année en cours au 30 septembre de l’année suivante.
Les tarifs de la carte Louvre Jeunes sont actuellement de :
• 15 € pour l’adhésion individuelle
• 11 € pour l’adhésion collective
Le nombre mensuel de cartes n’est pas régulier tout au long de l’année, on constate
une forte saisonnalité, environ 60% de l’activité se déroulant sur les quatre derniers
mois de l’année, soit le début de l’année scolaire. A l’heure actuelle, on compte
environ 20 000 adhérents à la carte Louvre Jeunes. Parmi ceux-ci, l’adhésion
individuelle représente environ 85% des adhésions.
LA CARTE LOUVRE PROFESSIONNELS
En 2004, le musée revoit sa politique tarifaire, ce qui mène à la perte de gratuité de
certains publics, dont les artistes et enseignants. Pour compenser cette perte de
gratuité, le musée crée la CLP qui coûte 30€ (et est valable un an).
Les publics qui ont le droit à cette carte sont assez hétérogènes, mais le Louvre pense
qu’il s’agit de publics prescripteurs, c’est-à-dire susceptibles de revenir avec un
groupe.
La carte Louvre Professionnels s'adresse aux enseignants, aux documentalistes en
établissements scolaires ou universitaires, aux artisans d’art et aux artistes
professionnels, aux adultes chargés d’une mission d’encadrement, d’animation ou
d’éducation, aux critiques d’art et membres du Syndicat de la presse artistique ainsi
qu'aux étudiants en art de plus de 26 ans. Ces catégories sont susceptibles d’évoluer
d’une saison sur l’autre. Cette carte est délivrée sur présentation d’un justificatif
professionnel.
Les avantages de la carte sont :
• Accès libre et illimité aux collections permanentes et aux expositions
temporaires du musée du Louvre et du musée Delacroix;
• Entrée privilégiée et sans attente par le passage Richelieu, la galerie du
Carrousel et la porte des Lions ;
• Envoi des programmes du musée à domicile à partir du fichier client de
l’application ;
• Tarifs préférentiels aux manifestations de l’auditorium ;
• Possibilité d’inviter gratuitement une personne de son choix en nocturne les
mercredis et vendredis ;
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Le nombre d’adhérents de cette carte se situe aux alentours de 5 000.
En plus de ces cartes d’adhésion payantes, le musée propose aussi des laissez-passer
gratuits pour certaines catégories de publics : enseignants qui viennent avec une
classe, étudiants en art et étudiants partenaires – c’est-à-dire des étudiants qui
proposent certains services en échange de ce laissez-passer (présentation des œuvres
par exemple).
LE LAISSEZ- PASSER ENSEIGNANTS
Le laissez- passer des enseignants permet aux enseignants emmenant une classe au
musée de bénéficier de la gratuité d’accès au musée pendant un an à partir de sa date
d’émission et jusqu’au dernier jour du mois identique de l’année n+1. Deux laissezpasser sont délivrés par groupe effectuant une réservation.
Le laissez-passer offre :
• accès libre et illimité aux collections permanentes et aux expositions
temporaires du musée du Louvre et du musée Delacroix;
• entrée privilégiée et sans attente par le passage Richelieu, la galerie du
Carrousel et la porte des Lions ;
• tarifs préférentiels aux manifestations de l’auditorium.
Le laissez-passer des enseignants est délivré gratuitement à environ 6 000 enseignants
chaque année.
Les périodes fortes se situent de la fin septembre au mois de juin, les mois de juillet et
août étant « plus creux ».
LAISSEZ-PASSER DES ETUDIANTS EN ART
Le laissez-passer des étudiants en art, s'adresse aux étudiants de moins de 26 ans,
inscrits dans une école d'art et d'histoire de l'art française ou étrangère localisée en
France, publique ou privée, ainsi qu'aux étudiants de l'école nationale supérieure des
Beaux-arts de plus de 26 ans.
Ce laissez-passer est délivré gratuitement sur présentation d’un justificatif d’âge et
d’une carte d’étudiant en art.
Il est valide du 1er septembre de l’année en cours au 30 septembre de l’année
suivante.
L’essentiel de l’offre du laissez-passer des étudiants en art peut être ainsi formulé :
• Accès libre et illimité aux collections permanentes du musée du Louvre et du
musée Delacroix;
• Entrée privilégiée et sans attente par le passage Richelieu, la galerie du
Carrousel et la porte des Lions ;
• Tarifs préférentiels aux manifestations de l’auditorium ;
• Envoi régulier d’informations par courrier électronique.
17
Le laissez-passer des étudiants en art est délivré gratuitement.
Le nombre mensuel de cartes n’est pas régulier tout au long de l’année, on constate
une forte saisonnalité, 75 % de l’activité se déroulant sur de septembre à février.
Environ 18 000 laissez-passer sont actuellement délivrés chaque année.
LA CARTE DE LA SOCIETE DES AMIS DU LOUVRE
Parmi les publics prioritaires, on compte le public francilien. Or il n’existe aucune
carte d’adhésion créée pour eux.
Ceci est dû au fait que dans le champ des cartes existantes, il existe déjà la carte de la
Société des Amis du Louvre, qui est gérée non pas par la Direction des Publics mais,
comme son nom l’indique, par la Société d’Amis du musée, créée en 1897. Cette carte
coûte 50€, et donne à peu près les mêmes avantages que les cartes payantes du musée.
Les recettes de la carte sont reversées au Musée pour l’acquisition d’œuvres. Ce
dernier point explique que la Société des Amis du Louvre est un partenaire important
pour le musée, en particulier des conservateurs. La Direction des Publics ne peut donc
créer de carte qui entrerait en concurrence directe avec les Amis du Louvre.
18
2. La politique de fidélisation
en question
Afin de répondre à la décision d’Henri Loyrette de « placer les publics au centre du
musée », la Direction des Publics a choisi de développer la fidélisation comme moyen
de donner une nouvelle place aux publics, notamment via les cartes de fidélité.
Or il semble que les succès rencontrés par les différentes cartes proposées soient
mitigés. La Direction des publics elle-même constate effectivement certains
dysfonctionnements dans la gestion de ces cartes qui ne donnent pas entière
satisfaction.
C’est dans cette perspective, que la Direction des Publics nous a sollicités pour une
étude sur les problèmes d’organisation autour des cartes de fidélisation, aussi bien en
amont (leur conception) qu’en aval (leur vente dans l’Espace Adhésion), mais aussi
tout au long d’un process de production décrit comme lourd et complexe, fruit de
multiples stratifications historiques.
19
Un bilan en demi-teinte de la fidélisation
Le bilan autour des cartes d’adhésion actuelles est mitigé. Le volume et la croissance
des ventes sont faibles (certains chiffres sont même en baisse d’une année sur l’autre).
Par exemple, la Carte Louvre Professionnels ne représente que 5 000 à 6 000
adhésions par an, chiffre inférieur aux prévisions initiales de vente ; les taux de réadhésion ne dépassent pas 15% ou 20% pour la Carte Louvre Jeunes ou Louvre
Professionnels.
Par ailleurs, le système de suivi des adhésions ne permet pas aujourd’hui de connaître
de manière satisfaisante les attentes des adhérents, et l’usage qu’ils en font.
Quelle stratégie et quels outils pour une politique de fidélisation ?
Comme on l’a vu, le Musée a formalisé dans son COM (Contrat d’objectifs et de
moyens) un certain nombre de publics prioritaires. Ce contrat présente des objectifs
qualitatifs en termes de nature des publics (par exemple : améliorer l’accessibilité du
public handicapé) et des objectifs en termes quantitatifs (ex : le nombre de ventes de
Cartes Louvre Jeunes).
Mais quel comportement du public recherche-t-on ? Le musée souhaite qu’il soit un
« fidèle ». Quelle définition donner à la « fidélisation » ? La fréquence des visites ? Le
confort de la visite ? L’apprentissage de l’Histoire de l’Art ? Le suivi des activités
(visites-conférences et ateliers) ? Aucune réponse uniforme ne nous a été donnée,
mais davantage des réponses personnelles, très dépendantes de nos interlocuteurs.
Pour répondre son objectif de fidélisation, le Musée a conçu un certain nombre
d’outils : cartes de fidélisation, événementiel (nocturnes, dimanche gratuit), et offres
culturelles (ateliers, visites conférences, concerts), ainsi que des partenariats avec
d’autres établissements.
Cependant, la réflexion sur la stratégie de fidélisation ne semble pas encore vraiment
aboutie. Les cartes d’adhésion sont-elles le bon outil pour fidéliser le public ? Les
moyens de connaître le comportement du public « fidèle », adhérent aux cartes, sont
très limités. Les enquêtes de publics comme le Baromètre des Publics du Louvre, outil
de connaissance général administré à 8 000 à 10 000 visiteurs chaque année, donne
peu de résultats pour un public d’adhérents très minoritaires dans la masse des
touristes visitant le Musée. Une extrapolation permet tout de même d’estimer le
nombre moyen de visites des collections des porteurs de Carte Louvre Jeune à 4 par
an, chiffre qui semble satisfaire le Louvre.
Par ailleurs, il faudrait s’interroger sur le positionnement concurrentiel des cartes du
Louvre entre elles(n’existe-t-il pas de la concurrence entre la Carte de la Société des
Amis du Louvre, la Carte Louvre Professionnels et la Carte Louvre Enseignants ?)
Comment se positionnent les Cartes du Louvre par rapport aux Cartes des Musées
Pompidou, du Musée d’Orsay ? N’y a-t-il pas de la concurrence entre divers types de
produits offerts (par exemple entre la Carte Louvre Jeune – payante – et les Nocturnes
Jeunes) ?
20
La définition même de certaines cartes laisse à désirer : à qui s’adresse réellement la
Carte Louvre Professionnels ? Les vendeurs eux-mêmes de cette carte ne le savent pas
exactement, et les concepteurs ne sont pas satisfaits de sa définition. Par ailleurs, il y a
certains publics pour lesquels aucune offre n’a été créée : si le public de l’entreprise
bénéficie bien d’un chargé de développement, celui-ci n’a pas de produit à leur offrir,
à part la carte des Amis du Louvre.
Enfin, le public enseignant, prescripteur auprès du public scolaire, est un public avec
qui la communication n’a pas été très bonne, en particulier au moment de la
suppression très médiatisée de leur gratuité d’accès.
Des logiques d’acteurs différentes
Trois services de cultures très différentes travaillent sur ces cartes de fidélité, ce qui
peut expliquer leur travail de façon cloisonnée.
•
Le service culturel (SAEC) se charge de définir les activités destinées au
public. Au sein de ce service, on trouve plusieurs enseignants mis à disposition
par le Ministère de l’Education Nationale. C’est ce service à qui revient le
métier « noble » de transmission du savoir.
•
Le Service de développement des publics (SDP, que l’on peut, pour
schématiser, rapprocher d’une Direction marketing dans une entreprise), se
charge de la conception et de la promotion des produits de fidélité.
•
L’Espace Adhésion, qui dépend du Service de Vente (SVROC), est chargé de
délivrer les cartes d’adhésion. Or aujourd’hui le travail des encadrants de
l’Espace Adhésion semble se réduire à la gestion des équipes. Le SDP regrette
par ailleurs qu’il n’ait pas de relation hiérarchique avec la « force de vente »,
contrairement à la plupart des entreprises.
Organisation et méthode : la culture du « mode projet »
Une des attentes de la DP vis-à-vis de notre travail portait sur le développement d’une
gestion en mode « projet », c'est-à-dire où une équipe serait réunie autour d’un projet
commun, organisée en fonction de cet objectif à réaliser et non pas en fonction de
l’organisation hiérarchique traditionnelle, particulièrement forte au Louvre.
Effectivement, il nous est apparu que les modes d’organisation et de travail au jour
d’aujourd’hui sont encore très loin de cette organisation souhaitée. Les gens que nous
avons rencontrés nous ont tous dit « être submergés de travail », travailler dans
l’urgence en fonction des priorités du lendemain. Le manque d’anticipation des
porteurs de projet oblige tous les acteurs à tout faire au dernier moment, ce qui fait
que les réunions prévues pour aujourd’hui doivent souvent être remises au lendemain.
Ce travail dans l’urgence, « le nez dans le guidon » comme le reconnaît la Direction
des Publics elle-même, est dû avant tout à un manque d’organisation, de recul et
d’anticipation. Prenons l’exemple des « Nocturnes Jeunes ». Il s’agit de la gratuité du
21
Louvre pour les moins de 26 ans lors des nocturnes du vendredi et du mercredi. Ces
nocturnes sont souvent l’occasion de faire de l’ « évènementiel ». On est dans ce cas
en présence d’un véritable projet, faisant intervenir une très grande diversité
d’acteurs : acteurs extérieurs (intervenants d’écoles d’art et artistes), des acteurs de la
Direction du Public (programmateur Jeune au SAEC, chargé de développement du
public jeune au SDP…) et toute une série d’acteurs dont le rôle est un rôle de
« fonction support » : la signalétique du Musée, la direction de la surveillance, les
agents caissiers-contrôleurs… Il faut quelqu’un pour coordonner le tout, qui prenne la
responsabilité du projet et qui ait les moyens de le réaliser. Or jusqu’à très récemment,
personne n’en était en charge, ce qui faisait que personne ne prenait le temps de faire
des plannings et des échéanciers, d’organiser le travail pour le rendre plus efficace.
Ce manque de responsabilisation des acteurs est aussi présent en ce qui concerne
l’adhésion. Qui, par exemple, est chargé de la Carte Louvre Professionnels ?
Si pour la Carte Louvre Jeune, il est clair que c’est le responsable de l’ « unité
fidélisation » qui s’en occupe, la Carte Louvre Professionnels est laissée à l’abandon,
chaque chargé de développement peut s’en servir comme bon lui semble, et c’est ce
que font les chargés de développement du public du champ social et du public
handicapé. En revanche le chargé de développement de l’unité « entreprises », qui
s’adresse essentiellement aux comités d’entreprise, ne fait pas de cette carte un levier
d’action. Personne ne s’occupe de la stratégie globale et du positionnement de la
carte, et il semble donc normal que les chiffres de cette carte baisse.
Quelle légitimité pour la Direction des Publics au sein du Musée du
Louvre ? Un positionnement incertain.
Le rôle de la Direction des Publics au Louvre n'est pas défini et légitimé par tous, et
l'insertion de celle-ci au sein du Louvre n'est pas toujours aisée.
En effet, pour de nombreuses questions telles la conception des expositions, la
rédaction des cartels ou des audio-guides, il n'est pas évident de savoir à qui devrait
revenir la tâche. Aux conservateurs, qui ont la légitimité scientifique sur les œuvres et
sont détenteurs de la connaissance en la matière ? A la Direction des Publics, qui
connaît et prend en compte les besoins et envies du public, à qui les expositions sont
destinées ?
Les Conservateurs
Historiquement, les départements du Louvre ont toujours été la chasse gardée des
conservateurs, qui avaient sur leurs conservations respectives presque tous les
pouvoirs.
A son arrivée à la tête du Louvre en avril 2001, Henri Loyrette en décide la
réorganisation. Pour faire contrepoids aux puissantes conservations, il crée des
directions transverses telles la Direction des Publics ou la Direction du
22
Développement Culturel, directions qui ne sont pas en position de prestataires vis-àvis des conservations, mais qui existent à part entière et ont des objectifs propres.
Les conservateurs travaillent avec la Direction Culturelle et la Direction des Publics,
en particulier avec le Service de l’Action Educative et Culturelle (SAEC). Alors que
le rôle du SAEC est de mettre en contact le public et les œuvres, le rôle des
conservateurs est de veiller à leur sécurité, et de les étudier. Des objectifs antagonistes
et un passé en faveur des conservateurs impliquent des relations soit conflictuelles soit
quasi inexistantes entre le SAEC et les conservateurs. Ces conflits concernent le rôle
du public dans le musée et ses expositions, ainsi que le type de présentation que l'on
doit faire des œuvres : par exemple se pose la question de savoir s’il faut s'adresser à
un public novice, ou au contraire parler à un public spécialiste… La question se pose
aussi bien pour le discours à tenir à propos des œuvres, mais aussi sur les œuvres à
présenter, lors d'expositions par exemple.
Pour l’instant le pouvoir des conservateurs est encore prépondérant, mais cela est en
train de changer grâce aux multiples transformations que le musée connaît
aujourd’hui, sous l’impulsion d’Henri Loyrette.
Les difficultés de la Direction des Publics, créée en 2002, d’imposer sa logique à une
institution vieille de plus de deux siècles, peut expliquer un certain nombre des
dysfonctionnements internes aux services de la Direction des Publics.
23
3. Le salut de la politique des
publics par l’innovation des
produits ?
Les analyses précédentes suggèrent des voies de rationalisation non seulement de
l’organisation des services de la Direction des Publics chargés de la fidélisation, mais
plus encore de l’offre même de produits que celle-ci propose. C’est dans cette
perspective que nous avons proposé à la Direction des Publics une modification sur un
des produits existants. Nous avons ainsi pu observer la manière dont « réagissait »
l’organisation, tout en proposant une carte répondant aux attentes des adhérents. La
carte sur laquelle nous avons travaillé est la Carte Louvre Professionnels.
24
Le choix de la carte Louvre Professionnels
Compte tenu des éléments précédents, nous avons choisi de focaliser le reste de notre
étude sur la Carte Louvre Professionnels.
En effet, une demande de la Direction des Publics semblait émaner à ce sujet, et cette
carte semblait cristalliser l’ensemble des mécontentements en interne.
Les « chiffres » de la carte n’étaient pas satisfaisants : volumes de vente en baisse,
nombre d’adhérents (environ 5000) assez faible par rapport à ce que la Direction des
Publics avait initialement prévu, taux de ré-adhésion de seulement 15% - ce qui est
contradictoire avec la vocation d’une carte de fidélité.
Variation des ventes CLP 2004/2005
ventes mensuelles
1000
900
800
700
600
500
400
300
200
100
S
ep
te
m
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0
Pour la Direction des Publics, cette carte a été créée « par défaut » ou « en creux ».
Elle rassemble en effet l’ensemble des publics qui avaient perdu la gratuité suite à une
modification tarifaire en 2004 (enseignants, étudiants en art et artistes), d’où des
catégories de publics très hétérogènes, et une définition de publics peu flexible : les
publics ayant droit à cette carte sont très spécifiques et doivent présenter des
justificatifs. Le Service de Développement des Publics se plaint de la difficulté à
promouvoir cette carte, estimant que cette carte n’a pas d’identité.
C’est ainsi que cette carte a progressivement été quelque peu « négligée » par la
Direction des Publics : le responsable « fidélisation » à la DP se concentre davantage
sur la Carte Louvre Jeunes, la personne responsable des enseignants n’a pas dans ses
missions de promouvoir la CLP (alors que les enseignants représentent 50% du public
de la CLP), les relances de ré-adhésion ont été interrompues pendant un trimestre pour
le public CLP, les adhérents ne reçoivent pas de « newsletter » spécifique, mais
reçoivent des informations standard qui sont destinées à tous les adhérents du Musée,
etc.
Par ailleurs, cette carte cristallisait la plupart des dysfonctionnements plus globaux
que nous avions pointés :
25
-
-
pas d’organisation autour d’un projet : notamment pas de chef de projet ni
d’échéancier pour le suivi-correction du positionnement et des services attachés à
la carte ;
pas de coopération entre services sur ce produit : tout comme pour la Carte Louvre
Jeunes, pas de relation hiérarchique entre concepteurs et force de vente ;
la peur d’une concurrence frontale à la Société des Amis du Louvre.
Une faible connaissance des attentes des adhérents
Avant de commencer à travailler sur la CLP, nous avons cherché à recueillir le
maximum d’informations à son sujet, et en particulier à avoir une meilleure
connaissance de ces adhérents, décrits comme « hétérogènes ».
Combien de fois par an viennent-ils au Louvre ? Quelles salles visitent-ils ?
Participent-ils aux visites conférences ? L’offre proposée par le Louvre correspondelle bien à ce que le public recherche ?
Or, ces questions ne sont pas vraiment posées, et d’autre part, les outils de
connaissance des adhérents ne sont pas très développés, la culture de
l’évaluation n’étant pas encore inscrite dans les pratiques du Louvre.
Il existe pourtant un service chargé de réaliser des études pour l’ensemble des
directions du musée : le SEEP (Service Etude, Evaluation et Prospective), qui produit
deux dispositifs de connaissance de la satisfaction et des demandes du public :
-
Le BPL
Le Baromètre des Publics du Louvre (BPL) est un « outil fiabilisé ayant vocation à
mesurer les performances du musée sur les indicateurs prévus dans le Contrat
d’Objectifs et de Moyens ». Deux types de données sont recueillis, auprès d’un
échantillon de 8000 à 10 000 visiteurs par an (via un entretien durant de 3 à 10
minutes) : des données factuelles, et des données sur le « ressenti » de la visite.
Depuis avril 2004, le BPL est administré en face-à-face par un enquêteur.
-
Enquêtes qualitatives
Des enquêtes qualitatives peuvent également être réalisées, à la demande. Sur les
dernières années, aucune enquête n’a été menée sur les cartes d’adhésion et leurs
publics.
Par ailleurs, les adhérents donnent quelques informations au Musée lorsqu’ils
remplissent leur bulletin d’inscription. Ces informations sont saisies par les agents de
l’espace adhésion et sont sauvegardées dans une base de données chez un soustraitant. Mais les informations données sont très sommaires et peu exploitées par le
musée.
La seule véritable connaissance du public ne semble donc provenir que de
l’ « intuition » des concepteurs d’activité (du SAEC) et des chargés de développement
des publics (SDP) qui participent à certaines des visites conférences ou activités qu’ils
26
ont conçues pour en mesurer l’impact. Cependant, cet impact n’est ni quantifié, ni
partagé.
C’est pour cette raison que nous avons mené nous-mêmes une enquête qualitative sur
les adhérents à la CLP.
Une enquête auprès des adhérents CLP : méthodologie et démarche
Nous avons mené des entretiens téléphoniques dans la période du mois d'avril 2006
avec quarante-sept adhérents, soit une dizaine de personnes par type de public
adhérent : enseignants, éducateurs, encadrants du champ social, artistes
professionnels, artisans et étudiants en art de plus de 26 ans. Le guide d'entretien a été
conçu en relation avec le Service Evaluation, Etude et de Prospection (SEEP), et
validé par lui. Nos résultats ne sont pas statistiques, mais qualitatifs, et ont porté sur
les motifs d'adhésion, les attentes, les usages et la satisfaction des adhérents.
L’enquête visait aussi à répondre aux questions précises suivantes :
• Un adhérent de la carte Louvre Professionnels utilise-t-il sa carte pour sa
profession, ou « grâce à » sa profession (effet d’aubaine) ? Cette carte permetelle d'attirer des personnes qui ne seraient pas venues au Musée ?
• Quel usage un adhérent fait-il de sa carte? Quelle est la fréquence des visites,
et dans quel contexte ? Quelle est la durée moyenne de ces visites ? Quel est
l’intérêt qu’un adhérent porte aux visites conférences ?
• Les adhérents sont-ils satisfaits du produit et du service qui leur est proposé
par le musée du Louvre ?
• Quelle utilisation les provinciaux font-ils de la CLP ?
Résultats de l’enquête
-
Motifs d'adhésion
Les adhérents apprécient avant tout le fait que la carte leur donne une « liberté
d'accès » au Musée : « avec la carte, je viens au Musée quand je veux, autant de fois
que je veux ». Ils apprécient son côté pratique, qui leur permet de ne pas faire la
queue, et surtout, de ne pas avoir à prévoir leur visite. L'avantage tarifaire, important
certes, ne vient qu'en deuxième. Ce gain tarifaire provenant de l'adhésion à la CLP est
donc surtout un effet d'aubaine.
-
Pratique du musée
Les porteurs de CLP sont des gens qui viennent souvent, de 1 fois par mois à 1 fois
par semaine, et ce, pour des durées variables: ce peut être pour 3h, comme pour 1/2
heure (durée très fréquemment citée), voire même pour cinq minutes ! Certains
visiteurs font même des passages parfois deux fois dans la même journée.
Le prix du billet d'entrée étant rédhibitoire, la visite n'est « rentabilisée » que si le
visiteur vient pour une durée suffisante. Les adhérents, s’ils devaient acheter un billet
viendraient donc bien moins souvent, et en ce sens, la CLP incite à venir au Musée.
27
Il est intéressant de noter l'adhésion d'un grand nombre d’enseignants vivant en
province. Ceux-ci viennent souvent à Paris (jusqu’à 20 fois par an), et fréquentent le
Louvre environ 4 fois par an, voire plus. La Carte Louvre Professionnels leur est
particulièrement bien adaptée, disent-ils, car quand ils viennent à Paris ils ne
disposent que de très peu de temps pour venir au Louvre. Ils n'achèteraient pas un
billet pour une visite aussi courte et ont ainsi l'avantage de ne pas avoir à prévoir leur
visite.
-
Types de visites
Les types de visites sont assez variés.
Il y a ceux qui connaissent très bien le Louvre (fidèles depuis 10 ans ou plus), qui
peuvent venir pour voir un tableau en particulier.
Les étudiants en art effectuent un type de visite particulier : l'étudiant peut venir soit
avec sa classe, soit seul pour étudier une oeuvre qui lui a été conseillée par un de ses
professeurs, soit pour dessiner. « Il existe un esprit précis dans la recherche, on fait
une étude ciblée ». Les élèves savent déjà ce qu'ils viennent voir avant de venir.
Il y a ceux qui viennent au Louvre sans idée précise, pour y flâner, y aller à deux (la
visite est alors un évènement social), pour le plaisir.
Enfin, une grande majorité vient pour voir des expositions temporaires.
-
Visites-conférences et ateliers
Une majorité n'y a jamais participé. Soit parce qu'ils n'ont pas le temps, soit parce
qu'ils n'y ont jamais vraiment pensé, ou parce qu'ils ont « oublié » que ça existait. Le
contenu est parfois jugé « trop basique ».
Soit également parce que les horaires ne conviennent pas : « Je travaille en semaine »,
et qu'ils ne savent pas qu'il existe des visites conférences le soir et le week-end.
Certains proposent de « relancer les visites conférences de temps en temps ».
D'autres estiment déjà bien connaître le musée, ne pas avoir « besoin » de visites
conférences, estiment que « c'est une contrainte que d'écouter quelqu'un », ou
préfèrent « contempler plutôt qu'écouter ».
Par ailleurs, certains habitués du Louvre participent à des visites conférences, en
particulier les étudiants en art, mais il s'agit des conférences de l'Auditorium, sur des
thèmes bien précis (avec une fréquence qui peut aller de 3 fois par an à 1 fois par
mois). Un frein général à ces visites, qui par ailleurs les intéresseraient, est le prix
jugé trop élevé.
Il ressort des entretiens que les visiteurs souhaitent généralement visiter librement le
Musée.
-
Quel accompagnement pour les visiteurs ?
Si les adhérents ne veulent pas être « tenus par la main » une fois au musée, on peut
en revanche penser que la venue au musée n’est, elle, pas automatique, et qu’elle peut
justifier des actions visant à « accrocher » les visiteurs. On pense par exemple à toutes
les actions de « relais », ou aux Nocturnes Jeunes, mêmes si celles-ci ne sont pas
encore complètement utilisées avec cet objectif.
-
Lecture de l'information envoyée, par mail et par courrier
28
Les adhérents ont du mal à distinguer information institutionnelle du musée et
information « promotionnelle » de la Direction des Publics.
L'information envoyée est souvent « parcourue », « feuilletée ». Les adhérents sont
intéressés par les rappels et informations pratiques (dates, horaires...) sur des
expositions qui ont lieu au Louvre, et des contenus plus culturels sur des tableaux, des
peintres et des expositions.
Les adhérents lisent les documents à leur réception, mais ne s’en servent pas
ultérieurement.
Une suggestion faite est d'envoyer « des flashs d'information », plus près de la date de
l'événement (nocturnes, expositions, visites conférences), par email.
Certains adhérents affirment aussi ne pas avoir besoin d'information, car ils peuvent
chercher eux-mêmes l'information dont ils ont besoin sur le site Internet du Louvre.
-
Usage personnel ou usage professionnel ?
Les détenteurs de CLP en font essentiellement un usage personnel, l'usage
professionnel étant plus marqué pour les accompagnateurs du champ social et pour les
étudiants en art. Beaucoup l'affirment, certains en viennent presque à s’en excuser !
« Je viens pour des raisons très égoïstes ».
Certains professeurs estiment au contraire qu'il n’y a pas lieu de distinguer un « usage
personnel » d’un « usage professionnel » : « c'est une mission, un devoir pour moi en
tant que professeur de l'Education Nationale de me cultiver ». Pour ces personnes, la
matière enseignée importe d’ailleurs peu. Ainsi un professeur de statistiques nous
affirme : « c'est un devoir pour moi que d'avoir une culture complète ». Nous avons
entendu certaines réactions très violentes de la part d’enseignants : « La suppression
de la gratuité aux enseignants est un crime », « c'est minable, lamentable, suggéré
par les marketeurs », « c'est la mainmise du commerce sur la culture qui était ouverte
à tous », « c'est un droit car nous formons la jeunesse ».
Les artistes et artisans d'art disent tous venir au Musée pour des raisons
professionnelles.
-
Le travailleur du champ social, une démarche bien particulière
Le travailleur du champ social vient pour se former et pour préparer une visite avec
son groupe.
Un ordre de grandeur du nombre de visites par an pour ce type d'adhérents est de 6.
La structure finance l'achat de la carte. Les adhérents disent qu'ils auraient maintenant
le réflexe de s'inscrire à cette carte, mais que s’ils n'y avaient pas été invités ou
poussés par leur structure ou par le musée, ils ne l'auraient jamais fait seuls. La carte
est vue comme « une clé pour rentrer au Louvre comme chez soi ».
-
Les actions de promotion de la carte
Certains enseignants ne savaient pas qu'ils obtiendraient la gratuité s'ils venaient avec
leur classe, d'autres n'ont pas très bien compris le fonctionnement du système, et enfin
certains ignorent que le musée est gratuit pour les moins de 18 ans. Les professeurs
détenteurs de CLP ne connaissaient pas l'existence des formations professionnelles
29
pour les enseignants (il semblerait que la publicité ne soit faite que pour les détenteurs
de Carte Louvre Enseignants).
Par ailleurs, ils suggèrent souvent de faire plus de publicité pour les cartes (promotion
dans le métro, au Louvre...). « Je venais pour acheter une carte Amis du Louvre, je me
suis trompé d'endroit ». Beaucoup disent avoir découvert la carte par hasard.
-
Comparaisons avec d'autres cartes
La plupart des adhérents interrogés déclarent avoir choisi la CLP plutôt que la Carte
des Amis du Louvre, car elle est moins chère. D’'autres parce qu'elle justifie qu'ils
viennent au Louvre dans le cadre de leur activité professionnelle. Enfin, une personne
nous a dit « réfléchir » à prendre la Carte des Amis du Louvre, « car elle permet de
rencontrer les conservateurs ».
Beaucoup d'adhérents ont le Laissez-passer Pompidou ou la carte Sésame (Grand
Palais). Certains ont déjà eu la Carte Blanche du Musée d'Orsay. Il n'y a pas de grande
différence entre les cartes d'adhésion, si ce n'est l'avantage concurrentiel des cartes du
Louvre qui permettent d'inviter une deuxième personne les mercredis et les vendredis
soirs.
-
Suggestions d'amélioration
Les adhérents sont tous très satisfaits de leur carte, beaucoup ont remercié le Musée
de son existence.
Des propositions d'ordre pratique ont été émises:
La réduction de 5% en librairie est jugée « ridicule ». « Il faut soit l'augmenter soit la
supprimer ».
Par ailleurs beaucoup ne reçoivent pas d'informations par courrier. Enfin, l'accueil aux
caisses est parfois critiqué.
Pour ce qui est des propositions de contenu:
Il est suggéré de faire des séances de l'ordre du spectacle. Une idée proposée est
d'organiser des rencontres entre des conservateurs et des élèves en Histoire de l'Art,
soit pour leur parler de la matière, soit pour leur parler des métiers du Musée.
Il est également suggéré de créer des pass donnant accès à l’ensemble des grands
musées parisiens : le Louvre, Orsay, le Grand Palais, le Petit Palais, le Musée d'Art
Moderne, le Palais de Tokyo, Pompidou, principalement.
-
Quelles valeurs pour la CLP ?
Par rapport à la réflexion sur les « valeurs » de la CLP, si l'on nous dit que le rôle d'un
musée est de « diffuser » la culture, d'être un « relais » entre celle-ci et le public, la
CLP n'est pas pour les adhérents porteuse de « valeurs ». C'est avant tout une carte
pratique, qui permet de rentrer facilement dans le musée.
A partir de ces différentes analyses, on peut dégager, en résumé, les points suivants :
30
La CLP est bien « professionnelle » pour les éducateurs du champ social (qui avouent
également l'utiliser à des fins personnelles), et pour les étudiants en Art qui viennent
pour y étudier des œuvres.
Pour les autres, c'est une carte utilisée par des gens qui pourraient l'utiliser de manière
professionnelle, mais qui l'utilisent principalement de manière personnelle.
Le public des adhérents est soit très fidèle (étudiants en art par exemple, qui viennent
en moyenne une fois par semaine), soit un peu moins (enseignants), mais dans tous les
cas, il vient pour des durées assez courtes.
C'est cette « liberté » qu'offre la carte qui est vue comme son attrait principal.
Cette carte permet-elle bien de fidéliser les adhérents ? Oui, au sens où elle leur
permet de venir fréquemment et développe en eux ce goût pour la visite, non au sens
ou l’influence des actions du Louvre sur les adhérents est faible (faible participation
aux visites conférences, lecture rapide de l'information envoyée), et qu'elle s'adresse à
un public qui est peut-être déjà fidèle, avant même d'adhérer.
Dans tous les cas, cette carte répond à un besoin, et les adhérents en sont très
satisfaits.
Une proposition pour faire évoluer la Carte Louvre Professionnels
Comme on l’a vu, la carte Louvre Professionnels ne véhicule pas d’objectif explicite,
ni sur le public visé, ni sur le mode d’utilisation de la carte.
Nous nous sommes dit que le rôle d’une carte d’adhésion pouvait également être de
créer un lien entre le musée et le visiteur, alors que pour la Direction des Publics une
carte d’adhésion était vue comme une forme de billet d’entrée. Or la carte est pour le
musée l’occasion de stimuler un certain comportement du visiteur. Nous avons donc
proposé deux modifications pour aller dans ce sens.
a) Notre enquête a montré que malgré un taux de ré-adhésion très faible (15%),
l’ensemble des adhérents était très satisfait de la Carte Louvre Professionnels.
Comment expliquer un taux aussi bas ? D’une part par une faible relance de la part du
musée, d’autre part par un frein administratif dans la ré-adhésion. Les adhérents ne
veulent pas revenir à l’espace adhésion pour faire la queue, amener un justificatif
d’activité professionnelle, ils ne pensent pas forcément à réadhérer.
Nous avons donc proposé d’étendre l’adhésion, pour ceux qui le désirent (l’option
adhésion sur 1 an existe toujours) à une période de 2 ans, pour un prix de 55€.
L’avantage pour les adhérents n’est pas tant la modique réduction tarifaire (55€ au
lieu de deux fois 30€), mais le fait de ne pas à avoir à refaire la démarche
d’inscription qui peut être pénible. Ce faisant, le musée compte des adhérents sur une
période plus longue, et donc on s’est d’une certaine manière rapproché de l’objectif de
fidélisation.
b) Mais la vraie innovation dans notre proposition est sans doute l’ajout d’une visiteconférence gratuite dans les deux premiers mois de l’adhésion. Le but n’est pas de
proposer à l’adhérent de piocher parmi une visite qui existerait déjà, destinée au grand
public, mais de concevoir pour ce public de connaisseurs une visite-conférence
spécifique. En effet, pour un enseignant, un étudiant en art ou un professionnel du
monde de l’art, qui de plus vient environ 10 fois par an au musée, les visitesconférences proposées par le musée peuvent sembler peu intéressantes : découverte
des chefs d’œuvre du musée, de la peinture italienne, introduction au Louvre, etc. Le
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but de cette visite serait de l’emmener dans des lieux peu visités, qu’il ne connaît pas
forcément, ou pour voir des œuvres peu visitées. Les antiquités orientales ou des
expositions comme Contrepoint seraient de bons exemples de lieux ou œuvres à faire
découvrir.
De plus, cette initiation dans les deux premiers mois de l’adhésion pourrait donner
goût au visiteur de revenir et participer à d’autres visites-conférences.
C’est d’après nous un premier pas vers la personnalisation de la relation avec le
visiteur.
Le processus d’acceptation
Le discours général des agents du musée consiste à dire qu’une nouvelle proposition
est particulièrement difficile à faire accepter, en particulier à cause du conflit entre les
logiques contradictoires des enjeux financiers et de la mission de service public au
musée.
Or nos modifications intègrent ces enjeux : ils répondent à la mission de service
public, en assurant au visiteur un pas vers la personnalisation client et une meilleure
fidélisation du visiteur, et n’ont pas de grandes conséquences du point de vue
financier.
Nous avons en effet mis au point un modèle financier assez simple, qui intégrait une
hypothèse raisonnable de taux d’adhésion à la CLP sur 2 ans, les divers coûts et les
recettes ultérieures du musée.
Il est intéressant de noter que toute proposition doit être validée par la Direction
Générale, et que cette dernière est surtout intéressée par les conséquences financières
des projets.
Notre projet a été accepté assez facilement, ce qui permet d’être optimiste pour les
innovations futures de la Direction des Publics.
Conséquences organisationnelles
Une des raisons pour lesquelles nous avions proposé ce nouveau produit était, compte
tenu des difficultés organisationnelles déjà évoquées, de tester de nouveaux modes de
fonctionnement.
La conception d’une nouvelle visite-conférence, spécifique pour le public de la CLP,
nécessite une coopération entre le Service de Développement des Publics (qui
s’occupe des cartes d’adhésion) et le service qui crée les visites-conférences. Or ce
dernier n’a aujourd’hui qu’une très faible connaissance des adhérents.
L’occasion de concevoir ensemble une visite-conférence pour un type de public
spécifique sera l’occasion pour les deux services de coopérer davantage, et permettra
au service des visites-conférences de prendre conscience des enjeux de la fidélisation
des publics.
Mais c’est surtout un nouveau dynamisme que ce produit vise à insuffler au musée, en
montrant que l’innovation n’est pas insurmontable, innovation qui permettrait de
motiver les équipes de la Direction des Publics.
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Conclusion
A
vec 7 millions de visiteurs par an, pourquoi le Louvre, plus grand musée du
monde, dont les espaces initialement prévus pour 3,5 millions de visiteurs
sont aujourd’hui saturés, cherche-t-il encore à attirer du public, à faciliter sa
venue au musée et à améliorer la qualité de son accueil ?
Parce qu’au-delà du public de masse, à 72% touristique et à 53% primo-visiteur, il
existe un public de proximité, les franciliens, les jeunes, les handicapés et le public du
champ social, pour qui le Louvre, loin d’être un lieu incontournable, est très difficile
d’accès. Pour cet ensemble de publics prioritaires, le musée, et en particulier la
Direction des Publics, doit tout faire pour faciliter sa venue.
Ces questions liées aux publics et à sa fidélisation soulèvent des problèmes de fond au
sein du musée : la confrontation entre la mission de service public du musée et les
enjeux financiers et gestionnaires, d’une part, et d’autres part la confrontation entre
l’objectif de conservation des œuvres, mission traditionnelle du musée, et l’objectif de
médiation avec le public, mission plus récente qui peine à faire sa place au musée.
Fidéliser, mais à quel prix ?
La confrontation entre les traditions du musée et ses nouvelles logiques (introduction
de la logique financière, accueil d’un public de masse) rendent difficile l’action de la
Direction des Publics, dont le malaise est perceptible. Mais la réalisation de cette
action est nécessaire à l’accomplissement de la mission de service public du musée :
rendre ce dernier accessible à tous.
L’innovation produit par la « personnalisation visiteur » facilitera sans doute la greffe
de cette nouvelle logique, en permettant de concilier l’accueil d’un public de masse et
une relation visiteur personnalisée avec certains publics très spécifiques, prioritaires
pour le musée. Un enjeu important non seulement pour la Direction des Publics mais
aussi pour l’avenir du musée dans sa globalité.
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