De la saisie informatique à la capture numérique

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De la saisie informatique à la capture numérique
http://revel.unice.fr
Pour citer cet article :
Jean-Pierre Mohen, Christian Lahanier, Christiane Eluère, Olivier Feihl,
" De la saisie informatique à la capture numérique des objets de musées ",
Alliage, n°53-54 - Décembre 2003, ,
mis en ligne le 07 août 2012.
URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3667
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De la saisie informatique à la capture numérique des
objets de musées
Jean-Pierre Mohen
Directeur du Laboratoire de recherche des musées de France et du
service de restauration des musées de France.
Christian Lahanier
Chef du département Documentation du Centre de recherche et de
restauration des musées de France, dirige un programme de
recherche et développement dans le cadre de projets européens sur
l'image.
Christiane Eluère
Conservateur en chef du Patrimoine, chargée de mission au Centre
de recherche et de restauration des Musées de France.
Olivier Feihl
Archéologue-photogrammètre, administrateur du groupe Archidata
(Lausanne), spécialiste de la numérisation tridimensionnelle de
sites, de monuments et d'objets muséographiques.
fr
145-154
Depuis le début des années 90, l’apport des nouvelles technologies de l’information au
domaine de l’informatique et du numérique permet de réactualiser les données imprimées, ou
consignées dans des registres, celles contenues dans des clichés, des tirages ou des rapports
archivés et rarement consultés, puisque non recensés et indexés. Le souvenir de ces
documents dormants, qui font partie de l’histoire des recherches menées depuis un demisiècle, s’efface avec le temps et le passage des générations.
Nous sommes persuadés que les sciences de l’information sont à même de revitaliser cette
documentation technique estimée peu fiable, et certainement moins précise que les résultats
obtenus avec les nouvelles techniques d’analyse plus ponctuelles et plus sensibles permettant
de caractériser, par voie non intrusive, la différence de composition d’un matériau dans son
épaisseur, témoignage de son élaboration ou de son vieillissement.
La recherche menée sur les collections de musées, différente de la recherche pure, est
cumulative. En effet, si la compréhension des propriétés physico-chimiques de la matière ou
des phénomènes physiques qui paraissent invariables avec le temps, la vie des œuvres d’art en
dépend. L’histoire des œuvres passe également par celle de la connaissance de l’évolution de
leur matériau constitutif, les restaurations que les objets ont subies et les altérations naturelles
qui modifient leur constitution et leur composition. En particulier, les métaux non nobles, tels
que les alliages de cuivre ou le plomb, subissent des dégradations parfois radicales et
irréversibles au cours du temps, qu’il est nécessaire de connaître et de maîtriser.
La principale mission de la documentation d’un centre de recherche est d’assurer l’accès et
la sauvegarde des documents mais aussi de retrouver l’information scientifique et technique
soit par indexation manuelle, soit au moyen de moteurs de recherche en texte intégral ou de
reconnaissance automatique de contenu d’image. C’est ce que nous nous attachons de mettre
en place depuis l’an 2000 dans le cadre des projets européens ARTISTE et SCULPTEUR et depuis
peu le projet national ART3D.
La nature des documents scientifiques et techniques du C2RMF
Le Centre de recherche et de restauration des musées de France, dont la création remonte à
1931, possède un fonds exceptionnel de données sur la matérialité des œuvres :
Tableau 1
Masse de données
1931-2003 : 70 ans d’histoire
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17 400 peintures et 34.000 objets étudiés ou restaurés conservés dans 1.200
musées,
250 000 photographies tout format,
100 000 radiographies,
70 000 analyses physico-chimiques, structurales, isotopiques, minéralogique
et la datation
7 500 rapports d’étude et de restauration,
16 500 dossiers de restauration
16 000 fiches de santé,
50 procès verbaux des commission de restauration,
600 constats d ’état
10 000 ouvrages
70 titres de revues
2500 articles
L’informatique est un outil d’aide à la décision, au contrôle, à la gestion, à la consultation
et à l’édition des activités et des informations produites par toute institution. Elle facilite la
programmation des activités et permet d’en extraire des états utiles à la prévision.
Le suivi par informatique des flux d’informations liées aux activités communes d’un centre
dont les travaux sont complémentaires et variés (prévention, restauration, recherche,
documentation, communication, administration, etc.), et dont les travaux se trouvent répartis
sur plusieurs sites (Carrousel du Louvre, pavillon de Flore et Petite Écurie à Versailles), doit
être l’une de ses priorités. Simultanément à la gestion dans le temps de la durée et de
l’enchaînement de toutes ses activités au moyen d’un logiciel de flux de travaux (workflow),
celle des données permanentes qui relèvent du documentaire et constituent sa mémoire
collective doit être menée à long terme.
La base de données EROS (European Research Open System)
du C2RMF
Une banque d’images numériques, qu’elle soit de nature iconographique ou technique, doit
être gérée à partir d’une base de données comportant des informations structurées de nature
historique, muséologique, matérielle et analytique sur les œuvres, sources sémantiques de leur
contenu iconographique ou technique.
Certains nous laissaient pressentir, dès 1990, lors du développement de la première base
NARCISSE du C2RMF élaborée pour la gestion des images numérisées en haute définition, que
le temps de l’indexation était révolu puisque la rapidité des ordinateurs allait permettre, par
indexation automatique, de retrouver et de localiser une information dans un volume illimité
de données sous forme de texte numérisé avec reconnaissance de caractère, et même de
retrouver des images présentant des similarités de contenu.
Treize ans après, nous constatons que ces prévisions étaient exactes mais lentes à se mettre
en place et que la terminologie et le multilinguisme, opérations onéreuses entreprises dans le
cadre européen, sont encore utiles à la normalisation des concepts pour la recherche et
l’interopérabilité des bases constituées. Il en va de même pour les vocabulaires dans un
domaine spécialisé tel que celui de la science appliquée à l’art. La diffusion des données au
niveau international passe par l’établissement préalable de correspondances linguistiques,
puisque chaque pays a recours à sa langue nationale pour gérer ses informations.
Nos premières préoccupations se sont donc avérées puisque aujourd’hui, la gestion
documentaire des informations techniques est une nécessité sur le plan communautaire et que
le nombre d’intervenants ne cesse de croître. Cette reconnaissance tardive, après dix ans
d’efforts, donne cependant aux promoteurs la grande satisfaction de voir les adeptes
convaincus de la nécessité de mettre en place une large collaboration qui seule peut permettre
de lutter en urgence contre les dégradations subies par le patrimoine. La conservation
préventive, la recherche et la mise en ligne de l’information accumulée depuis un demi-siècle
peut donner une synergie à la conservation des biens culturels.
La gestion électronique des documents permet de sauvegarder, de retrouver, et d’accéder à
l’information. Imagine-t-on encore aujourd’hui de gérer des fichiers manuels ? Comment
interroger ou exploiter statistiquement des tableaux de données ou des images sans
applications informatiques ?
La base EROS gère aujourd’hui cinq catégories d’informations :
— les méta-données des œuvres ;
— les méta-données des images obtenues par des numérisations de clichés
photographiques et radiographiques, mais aussi des images électroniques (caméra infra-rouge,
microscope optique et électronique etc.) et des images numériques par capture directe de
l’objet ;
— les méta-données et les résultats des analyses de composition élémentaire, structurale,
isotopique et moléculaire, ainsi que les datations ;
— les méta-données des rapports d’étude et de restauration, des rapports de conservation
préventive, des procès-verbaux des commissions de restauration ; des fiches de santé, des
constats d’état, des articles et des synthèses électroniques,
— les méta-données de la régie des œuvres.
Tableau 2 :
EROS : des téra-octets en ligne
• 17 400 notices de peintures ,
• 34 000 notices d’objets,
• 220 000 notices de clichés dont 140 000 clichés et 3 000
ensembles radiographiques sont numérisés et assemblés,
• 7 500 notices de rapports d’étude dont 2 500 en texte
intégral,
• 13 500 notices de rapports de restauration dont 1500 en
texte intégral,
• 6 600 fiches de santé des tableaux ,
• 628 constats d’état,
• 50 procès verbaux des commissions de restauration,
• 100 synthèses électroniques sur les peintures.
Ces éléments ont été numérisés, en interne, entre 1996 et 2000, aux moyens des
équipements développés dans le cadre de projets européens, dont les clichés grand format à
l’aide du scanner Thomson, encore opérationnel malgré l’évolution des techniques, en
particulier pour la gestion de la couleur.
Figure 1. Le scanner à plat Thomson Broadcast
Outre la numérisation des archives photographiques et radiographiques, nous avons, dès
1998, élaboré au C2RMF un système de numérisation directe en haute définition des objets
archéologiques.
La numérisation panoramique directe des objets en 2D
Le C2RMF a développé, dans le cadre du projet européen ACOHIR, un nouveau système de
numérisation panoramique et en haute définition d’objets archéologiques. L’objet placé sur
une table tournante pilotée par ordinateur, est enregistré avec une caméra digitale 24 fois par
rotation. Une mire MacBeth est préalablement enregistrée pour obtenir une image calibrée en
couleur.
Figure 2. Vue générale du système ACOHIR
Ces images, transformées au format pyramidal tuilé, restituent une vue panoramique sur
moniteur au moyen du viseur EROS ; elles permettent aussi d’examiner des détails de sa
surface. Ces images servent à élaborer des animations pour le Web ou des reconstruction par
traitement d’image du développé du décor de sa surface afin de l’imprimer sur un support
grande largeur.
En 2000, un vase chinois en bronze de 238 mm de haut a été numérisé à une définition de
2000 x 3000 pixels (soit plus de 10 point/mm). La planche, composée de 24 images, montre la
vue panoramique de cet objet.
Figure 3. Vase chinois de type Hu,
daté entre 1400 et 1000 avant J.-C., appartenant au musée Guimet à Paris (inv
MA442)
L’enregistrement panoramique de 24 images du décor gravé qui figure sur la partie
supérieure de cet objet, avec une résolution de 30 points/mm, a permis de reconstituer une vue
panoramique aplanie (développé) en prenant deux points communs sur des vues adjacentes et
en recollant par traitement d’image, l’ensemble des vues. La haute définition du cliché final
(8000 x 1200 pixels) a permis d’imprimer ce document sur un support de 1,27 m de large.
Figure 4. Vue panoramique du décor gravé du vase chinois
Le renouvellement de cet équipement dans le cadre du projet SCULPTEUR va permettre de
construire des images 3D à partir de trente-six vues panoramiques prises dans un espace
calibré. Un logiciel de modélisation développé par l’ENST permet de reconstituer la surface
extérieure de l’objet par un maillage composé de triangles juxtaposés (appelé fil de fer). La
texture est ensuite appliquée sur le maillage afin d’obtenir une vue 3D de l’objet.
La numérisation 3D par camera laser
Différentes technologies articulées autour d’instruments à base de systèmes optiques
permettent de saisir de façon automatisée la morphologie d’objets ou de scènes avec une très
grande précision et des temps d’acquisition extrêmement courts.
Le principe général est basé sur un balayage lumineux des surfaces (laser ou frange de
lumière blanche) saisi par un capteur optique excentré. À chaque numérisation, les scanners
enregistrent un nuage de points dont la densité varie d’un modèle à l’autre ou de la proximité
du scanner face à l’objet. Les scanners professionnels de haute définition permettent de
mesurer des scènes avec des résolutions allant d’un point par centième de millimètre à
quelques millimètres.
Les différentes vues 3D sont ensuite assemblées au moyen de logiciels capables d’analyser
la morphologie des surfaces et de reconnaître automatiquement les zones de superposition.
Des textures photographiques de différentes résolution sont acquises en parallèle et peuvent
être appliquées sur la géométrie mesurée.
Nous présentons ici la technologie développée avec le scanner MINOLTA VI 900 pour
l’archivage, la documentation et la réplique des œuvres d’art
D’une conception modulaire, cet appareillage permet de travailler rapidement sur site avec
une mise en place extrêmement simple. Couplé à un plateau tournant, il permet l’acquisition
automatique d’objets jusqu’à 100 kg de poids et 1,50 m de côté.
Figure 5. L’installation du scanner Minolta dans les dépôts du musée
Thomas-Henry à Cherbourg.
Pour les objets plus grands, la saisie est faite en tournant autour de l’objet avec le scanner.
Les différentes vues sont prises en assurant entre elles un recouvrement de cinquante pour
cent ; elles sont ensuite assemblées automatiquement par l’analyse de la morphologie des
zones communes.
La comparaison virtuelle et tridimensionnelle de deux bœufs
en bronze
La numérisation des deux bœufs (n° 20 865 et 20 866) ) a été réalisée à la demande de
François Schweizer, directeur des laboratoires du musée d’Art et d’Histoire de Genève.
Figure 6. Les deux bœufs mis côte à côte avant leur assemblage virtuel
Les deux pièces ont été numérisées à l’aide du scanner optique à balayage laser Minolta
VI900 et d’un plateau tournant asservi par l’ordinateur de contrôle du scanner et permettant
d’obtenir une vue 3D de l’objet mesuré tous les X degrés. Les différentes vues géométriques
ont été ensuite assemblées automatiquement par le logiciel. Chaque objet a été pris en
totalisant 159 760 faces pour le n° 20 866 et 163 605 faces pour le n° 20 865.
fig.7 : Cartographie 3D des écarts entre les deux bœufs ; l’unité est donnée
en millimètre
Les deux pièces ont été superposées numériquement et la cartographie des différences
métriques a pu être calculée. Les résultats bruts montrent que la distance moyenne séparant
les deux pièces est de 1,008 mm, avec un écart type de 0,93 mm. Les différences les plus
grandes s’observent évidemment aux extrémités des cornes et de la queue, où elles excèdent
5 mm. Par contre, la tête, le train avant et le corps montrent que 85 % des points présentent
des écarts inférieurs à 1,2 mm et 50 % inférieurs à 0,6 mm.
Une anomalie semble se dessiner au niveau de l’arrière-train, notamment sur la patte
postérieure gauche, laquelle présente en dessous du genou des différences supérieures à cinq
millimètres. L’analyse matérielle réalisée sur cette zone a montré qu’il s’agissait d’une
réparation déjà intervenue dans l’Antiquité.
Étude comparative tridimensionnelle des gorytes de Rostov et
Kiev
Figure 8. Les deux gorytes avec en haut celui de Kiev et en bas celui de
Rostov
Ces deux revêtements en or de gorytes ou carquois sont des pièces prestigieuses ayant
appartenu, sans doute, à des personnages d'élite. Ils étaient vraisemblablement fixés sur un
support en matériel plus épais aujourd'hui disparu : un cuir, peut-être, ou des éléments en bois
fin et léger ? Ils consistent en une feuille d'or relativement épaisse et rigide, obtenue par
martelage et planage du métal. Le décor historié pose le problème de son exécution :
généralement ce type de décor composé de scènes figuratives organisées en registres et
bordées de motifs géométriques est obtenu par estampage, procédé qui permet d'obtenir un
motif en creux à la face interne et en relief à la face externe, par l'application en dessous de la
feuille d'un modèle en relief, ou au contraire à partir d'une matrice en creux, dans laquelle on
impressionne la feuille, pour obtenir un décor en relief. L'or en feuille étant malléable, il est le
matériau idéal pour ce procédé décoratif, d'ailleurs très utilisé en orfèvrerie antique, dans de
nombreuses civilisations. Les Scythes ont produit en utilisant cette technique des objets de
grande dimension. Le problème posé par les deux gorytes que nous avons eu à notre
disposition grâce à l'heureuse concomitance de deux expositions temporaires, était de savoir,
s'ils pouvaient provenir du même atelier, étant donné leur très grande similitude apparente sur
le plan de la forme générale et sur celui du décor, ou bien si l'un d'eux était la copie de l'autre,
et de vérifier à l'occasion si l'orfèvre avait utilisé successivement plusieurs matrices ou s'il n'y
en avait qu'une seule.
Afin de comparer les techniques de fabrication de deux gorytes scythes en or, conservés à
Rostov et à Kiev, nous avons procédé à leur numérisation 3D ; un troisième goryte est
conservé à Thessalonique. Une cartographie complète en trois dimensions des gorytes a pu
être dressée pour comparer globalement, mais aussi en détail, la surface de ces deux objets.
Méthode d’acquisition des données
La numérisation des objets a été effectuée sur place en toute sécurité avec le scanner laser
Minolta VI 900, en respectant l’intégrité de ces objets. Une vingtaine de prise de vues,
comprenant 320.000 points chacune, ont été réalisées sous plusieurs angles, afin de couvrir la
géométrie complète des carquois. La fiabilité du scanner permet d’acquérir une résolution
d’un point tous les 0,2 mm.
Figure 9
La numérisation 3D s’est faite directement devant la vitrine d’exposition, et les
textures en haute résolution ont été réalisée avec la caméra Jumboscan et une
rampe lumineuse
Simultanément à l’acquisition laser, une acquisition numérique RVB en très haute résolution
a été effectuée afin d’appliquer la texture drapée sur la surface du carquois. Ces textures ont
été enregistrées avec la caméra Jumboscan de Lumière Technologie (150 millions de pixels
par image).
Compte tenu de la faible dimension du goryte, sa reconstruction informatique a nécessité
un travail minutieux. De plus, en raison du nombre élevé de points mesurés, un filtrage et un
sous-échantillonnage ont été nécessaires pour obtenir des modèles tridimensionnels de bonne
qualité.
Figure 10
La texture photographique a été plaquée sur la géométrie par une projection
inverse à la position de prise de vue
Traitement d’image pour comparer les gorytes
En raison du caractère novateur que représente la comparaison virtuelle de deux objets,
nous nous sommes inspirés des techniques mixtes de géomatique (géométrie et de traitement
d’images) pour obtenir des résultats fiables. Ainsi, la plupart des comparaisons ont été
effectuées par superposition virtuelle locale des modèles selon un ajustement statistique,
c’est-à-dire en minimisant l’écart entre ces deux modèles sans déformer leur structure ni leur
géométrie.
Figure 11
La superposition des deux plaques s’est faite par un rapprochement statistique
de l’ensemble des points de chacune des deux
Après avoir constaté que l’un des modèles présentait une courbure générale plus accentuée,
la comparaison globale des objets n’avait plus de sens sinon de mettre en avant cette
déformation probablement due aux incidents subis par ces objets.
Figure 12. Cartographie des différences de la scène 6.
Les zones bleues présentent des écarts inférieurs au millimètre. 583 043 points
ont été comparés dans cette scène
Alors, au vu de la grande similarité des formes et de leurs décors en relief, nous avons
découpé les carquois en plusieurs scènes. Chacune a été ajustée sur la scène homologue pour
effectuer une comparaison points à points. La précision du scanner alliée à la bonne restitution
géométrique de ces objets permet de mesurer et de comparer un nombre considérable de
points, en moyenne 400.000 par scène. Les résultats de ces superpositions sont présentés sous
forme d’images, où la couleur traduit l’écart en millimètres point à point entre les scènes. En
l’occurrence, plus l’image est bleue, plus l’écart moyen entre les reliefs est faible ; plus elle
est rouge, plus il s’approche du seuil, en général égal à 4 ou 5 millimètres. Au-delà, les écarts
illustrent la déformation de la courbure générale des modèles.
Une analyse statistique permet d’effectuer un bilan quantitatif sur les écarts entre les points
comparés. Un détail de ces statistiques est fourni pour chaque scène. En général, 85 % des
points présentent des différences inférieures au millimètre. Quelques zones très localisées
présentent une géométrie différente. Dans toutes les scènes étudiées, la comparaison locale
permet d’affirmer que les carquois sont, à cette échelle, identiques du point de vue
géométrique. Ces résultats montrent que, s’il était possible de plaquer un objet sur l’autre,
l’écart mesurable entre les deux carquois n’atteindrait pas plus de 2 ou 3 millimètres. Ces
deux objets comportent des décors cohérents, vraisemblablement réalisés avec les mêmes
matrices. Le relief des personnages de certaines scènes présente un écart plus marqué entre les
deux gorytes, comme des zones d’enfoncement ou de retraits homogènes. S’agit-il de
restaurations ?
La mesure tridimensionnelle réalisée à partir d’images numériques d’objets archéologiques
va permettre de comparer avec précision les techniques de production utilisées dans
l’Antiquité. Les technologies informatiques ouvrent de nouvelles perspectives pour la
recherche et la documentation des collections de musées. Elles devraient s’intégrer plus
largement dans le domaine des problématiques archéométriques et muséales, même si leur
rapide évolution, sur le plan technique, les rend très vite obsolètes.
Le problème posé par les gorytes scythes similaires de forme et de décor, trouvés dans des
sépultures différentes, jusque dans celle de Philippe, père d'Alexandre, en Macédoine, n'avait
jamais été abordé de manière précise (mesure dans les trois dimensions). Les résultats
rapportés dans cet article permettent de répondre aux questions posées par les archéologues
sur la technique de fabrication de ces pièces de prestige. Mais, il renvoie aussi l'archéologue à
d'autres recherches : si des matrices sont d'évidence utilisées, en quelle matière étaient-elles ?
En pierre, en métal, en bois dur ? Qui les fabriquait ? Les Athéniens pour diffuser leurs idées
religieuses ? Ou les orfèvres scythes pour une clientèle qui aimait cette référence grecque
d'une légende sans doute troyenne ?
On comprend dès lors, tout l'intérêt d'une approche pluridisciplinaire pour résoudre des
problèmes de mentalité complexes, mais passionnants.
E. Reeder, éd., L'or des rois scythes, Réunion des Musées Nationaux, Paris, San Antonio
(Texas, É.-U.), Baltimore (Maryland, É.-U.), 2001.
V. Schiltz V., « Deux gorytes identiques en Macédoine et dans le Kouban », Revue
Archéologique, n°2, 1979, p.305-310.

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