Psychologie du Travail et des Organisations

Transcription

Psychologie du Travail et des Organisations
et des
Psychologie
du Travail
Organisations
Fondée en 1995 à l'initiative de Claude Lemoine et Michel Rousson,
sous l'égide de l'Association Internationale de Psychologie du Travail
de Langue Française, cette revue publie des articles originaux, des
revues de questions, des comptes-rendus de recherches, y compris
celles réalisées sur le terrain ou dans une perspective d'application.
Elle présente également des comptes rendus d'ouvrages et des notes
sur l'actualité du domaine.
Audience
Psychologie du Travail et des Organisations s’adresse aux
enseignants, aux chercheurs et aux praticiens du domaine et à un
plus vaste public : étudiants, responsables des ressources humaines,
gestionnaires, ergonomes, médecins du travail…
Objectifs
Les thèmes principaux concernent les aspects individuels, psychosociaux et structurels du travail et des organisations. À titre d'exemples
non exclusifs, on peut citer les questions portant sur : la gestion et le
développement des ressources humaines (formation, compétences,
innovation), l'organisation et l'évaluation des systèmes (changement,
communication, climat), les articulations hommes-organisationstechniques (représentations, aspects culturels, négociation, coopération,
style de direction), la santé (bien-être, conditions de travail, stress,
risques, sécurité), l'environnement, les aspects psychologiques liés à
l'emploi et au non emploi (sélection, orientation, évaluation des
personnes, insertion, identité, implication), le rôle du psychologue
(expertise, conseil, mode d'intervention), l'épistémologie, la
méthodologie et la déontologie.
La revue comporte environ 384 pages distribuées en 4 numéros par an.
La revue publie régulièrement des numéros à thèmes. Les travaux
doivent satisfaire aux critères de vérification scientifique.
Comité de rédaction:
Directeur éditorial:
Professeur Claude Lemoine
(Université de Lille 3)
[email protected]
ou [email protected]
Rédacteur en chef :
Professeur Georges Masclet
[email protected]
ou [email protected]
Assistante de rédaction:
Lysiane Masclet
[email protected]
ou [email protected]
Membres du comité de rédaction:
 Bernard Gangloff (Université de Rouen)
 Dongo-Rémi Kouabenan (Université de Grenoble)
 André Savoie (Université de Montréal)
 Michel Rousson (Université de Neuchâtel)
 Christian Vandenberghe (HEC Montréal)
 Anne Marie Vonthron (Université Paris X, Paris OuestNanterre)
Comité scientifique:
A.Battistelli (Université de Vérone), J.-L. Bernaud (Université de
Rouen), M. Depolo (Université de Bologne), P. Desrumaux (Université
de Lille 3), A. Di Fabio (Université de Florence), J. -E. Duplessis de
Losada (Université de Buenos Aires), B. Fabi (Université de TroisRivières), G. Fischer (Université de Metz), P. Gilbert (lAE, Paris), R.
Jacob (Université de Trois-Rivières), G. Karnas (Université libre de
Bruxelles), R. Lescarbeau (Université de Sherbrooke), C. Louche
(Université de Montpellier), Marcel Lourel de L'Université d'Artois,
Nicole Rascle de L'Université de Bordeaux 2, A- Rondeau (Université
de Montréal), M. Rousson (Université de Neuchâtel). P. Salengros
(Université de Bruxelles), N. Semmer (Université de Berne), R.
Thionville (Université de Rouen) Didier Truchot de L'université de
Franche Comté
PTO est indexée
Thomson Reuter (Thomson Scientific - ISI)
INIST CNRS
PsycINFO - American Psychological Association
©AIPTLF : Tous droits de traduction, de reproduction, et d’adaptation réservés
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Editorial
Chers Collègues lecteurs de PTO,
Quand vous aurez ce numéro dans les mains, nous serons au
mois de Janvier. Aussi je souhaite à nos fidèles lecteurs et abonnés
une très bonne année 2011. Que cet an nouveau transcende PTO,
notre revue et agrémente vos lectures et vos idées. C’est Alain
Trognon de l’Université de Nancy 2 qui a coordonné ce numéro
spécial consacré à la réforme de l’hôpital. Vous y trouverez des
articles originaux qui en plus de servir notre science devraient fournir
aux praticiens des pistes de réflexion et d’intervention.
Je cède la parole à Alain Trognon qui nous présente ce numéro
spécial.
Georges Masclet
Professeur Émérite des Universités
Rédacteur en chef
290
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Malaise chez les personnels para-médicaux des
établissement publics de soin
L'hôpital public est certainement l'organisation qui a connu le plus de
réformes en France depuis une dizaine d'années (Masclet). Parmi ses
personnels, les personnels para-médicaux, surtout infirmiers et
aides-soignants, en ont été les plus affectés, qui ont subi en peu
d'années une reforme de leur formation ainsi que de nombreuses
transformations profondes des conditions d'exercice de leur
profession. Ces transformations sont très étendues. Elles touchent en
effet les structures institutionnelles (Garcia, Vaxevanoglou &
Ponnelle), l'organisation formelle et fonctionnelle du travail : sa
division interprofessionnelle (qu'est-ce qui distingue un infirmier
excerçant en milieu psychiatrique d'un infirmier exerçant en milieu
non psychiatrique ? qu'est-ce qui distingue un infirmier d'un aidesoignant exerçant tous deux en milieu psychiatrique ? qu'est-ce qui
constitue une équipe mobile de soins palliatifs ? (Batt & Trognon) ; sa
définition même au travers de ses modes d'accomplissement et de
l'évaluation de l'activité : en quoi, par exemple, l'implantation d'un
système de tarification de l'activité modifie-t-elle l'équilibre existant
entre la dimension technique et la dimension relationnelle du travail
d'infirmier et sa perception par l'agent (Demarey & Dal Pra) ? Elles
retentissent profondément sur l'efficacité, les relations avec l'unité, la
hiérarchie, les collègues, les patients, l'environnement, etc., et donc
le vécu du et au travail (Garcia et al.), jusqu'à entraîner la mise en
oeuvre d'une enquête européenne (PRESST-NEXT, rapportée par
Masclet) destinée à comprendre "pourquoi et comment les
professionnels
para-médicaux
quittent
prématurément
leur
profession".
C'est dire que, même s'il ne touche (ici) qu'une profession, le
"malaise des personnels para-médicaux des établissements publics
de soin" est un phénomène "social total" qui transparaît
naturellement dans tous les articles ici rassemblés précisément en
raison de la diversité de leurs angles d'approche. Nous avons fait ce
choix parce qu'il autorise des lectures plurielles et transversales.
Juste un exemple : le "rôle propre" de l'infirmier, dont on sait qu'il
291
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
constitue un signifiant majeur de la profession infirmière. La
perception, par les infirmiers titulaires ou stagiaires, de sa possibilité
d'accomplissement dans l'activité entretient un rapport étroit avec la
satisfaction ressentie par l'agent, et d'autant plus qu'il s'estime guidé
"dans la vie" par des valeurs d'autonomie (Lheureux). Or, les
évolutions récentes brouillent ce signifiant. Que devient le "rôle
propre" quand est introduite une tarification de l'activité (Demarey &
Dal Pra), le temps "purement technique" n'étant pas commensurable
au "temps relationnel" ? Et l'on voit les premières conséquences de
ce problème apparaître dans les enquêtes consacrées aux attitudes
des professionnels envers leur métier lorsque leurs résultats
conduisent à constater que (Masclet) : "les pays où le temps
relationnel est très développé sont aussi ceux où l'incertitude sur ce
qui peut être dit au malade ou sa famille est la plus faible".
N'allez pas croire que le changement qui est devenu une substance
dans la nov-langue de nos post-modernes renouvèlera de fond en
combles ses agents : Garcia et al. nous apprennent que les
personnels qui subissent le changement transportent avec eux les
représentations qu'ils ont acquises dans leurs situations de travail
initiales, en particulier celles des modes de conduite de projets qu'ils
ont "expériencés". Ils en conservent, semble-t-il une certaine
méfiance vis-à-vis de leurs différents niveaux d'encadrement. A
supposer que des changements soient vraiment nécessaires, il y
aurait
lieu alors, comme y invitent plusieurs articles du présent numéro, de
changer profondément ses modes d'accompagnement.
Alain Trognon
Docteur en Psychologie, Docteur es-lettres et Sciences Humaines
Professeur des Universités de classe exceptionnelle (CE2)
Université Nancy2, Psychologie Sociale
Directeur du Groupe de Recherche sur les Communications (GRC),
Laboratoire InterPsy (EA 4432)100
292
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
CONTENTS
Éditorial
p 290
Éditorial d'Alain Trognon
p 291
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou
& Sandrine Ponnelle
Collective work and organizational restructuring
p 296
Florent Lheureux
Professional representations, job satisfaction,
and career choice of nurses: The role of autonomy values
p 312
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
The french system of payment per medical act (T2A):
What are the changes for the activity of nurses?
An exploratory study
p 326
Martine Batt & Alain Trognon
The psychiatric hospital paramedic team:
Impact of Current Developments over two decades
Analyzing a supervisory meeting
p 342
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Interlocutory Analysis of a Complaint
Expressed by a Mobil Palliative Care Team
p 362
Georges Masclet
To optimize care, we must give meaning to work
p 390
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
SOMMAIRE
Éditorial
p 290
Éditorial d'Alain Trognon
p 291
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou
& Sandrine Ponnelle
Le travail collectif à l’épreuve des restructurations
organisationnelles
p 296
Florent Lheureux
Représentations professionnelles, satisfaction
au travail et choix de carrière des
personnels infirmiers : le rôle des valeurs d’autonomie
p 312
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
La tarification à l’activité (T2A) : Quelles transformations
pour l’activité du personnel infirmier ? Etude exploratoire.
p 326
Martine Batt & Alain Trognon
L’équipe paramédicale à l’hôpital psychiatrique :
Retentissement actuel d’une évolution de deux décennies
Analyse d’un entretien de supervision
p 342
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Analyse interlocutoire d’une plainte
exprimée par une équipe mobile de soins palliatifs
p 362
Georges Masclet
Pour optimiser le soin, il faut donner du sens au travail
p 390
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Le travail collectif à l’épreuve
des restructurations organisationnelles
Collective work and organizational restructuring
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 
 Université Lille2–CERESTE, Faculté de Médecine Pôle Recherche, 1 place de Verdun,
59045 Lille Cedex, France, [email protected]
 Université Lille2–CERESTE, Faculté de Médecine Pôle Recherche, 1 place de
Verdun, 59045 Lille Cedex, France, [email protected]
 Université de Picardie Jules Verne, UFR Sciences et Techniques des Activités
Physiques et Sportives, Allée P. Grousset, 80025, Amiens Cedex, France, LPA,
Laboratoire de Psychologie Appliquée EA 4298 [email protected]
Résumé
L‟Analyse Ergonomique du Travail (Daniellou, 1996 ; Wisner, 1996) et l‟Analyse
Psychologique de l‟activité (Leplat, 2000), mettent en lumière les interrelations entre les
facteurs principaux des situations de travail. L‟objectif de l‟étude est de montrer
l‟influence sur la perception des impacts des changements organisationnels, des
situations initiales de travail, des modes de conduites des projets et des typologies de
transformation organisationnelles. Les représentations du personnel soignant dans les
hôpitaux psychiatriques en réorganisation, les projets, les modèles de transformation et
l‟activité ont été analysées. Les impacts de collectifs de travail et les plus grandes
difficultés lors de fusions ont été mis en évidences. Les conséquences théoriques,
méthodologiques et interventionnelles sont discutées.
Abstract
The ergonomic analysis of work (Daniellou, 1996; Wisner, 1996) and especially the
psychological analysis of real working activity (Leplat, 2000) allow investigating the
main factors of work situations. The objective is to show the influence on the nursing
representations of psychiatric services that are restructured, of the initial working
situations, the projects, the restructuring models. The analyses assess the nursing
representations of psychiatric services that are restructured, the projects, the restructuring
models, the real working activity. The data show impacts of collective work and
restructuring models, especially the damaging consequences of fusions. The results
enable the authors to discuss from the points of views of theory, methodology and
interventions.
Mots clés : réorganisations, hôpital, collectif, représentations
Keywords: restructurings, hospital, collective, representation
296
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
1. Travail collectif, réorganisations et travail soignant
L‟activité correspond à ce que l‟homme fait pour réaliser la tâche
prescrite en même temps qu‟il poursuit ses propres finalités, qui contribuent à
redéfinir les buts et conditions de cette tâche (Leplat, 2000). Les individus n‟y
étant pas systématiquement obligés (Toniolo, 2005), la coordination collective
est généralement laissée aux bons soins de chacun mais de personne en
particulier (Lacoste, 2001). La prescription ne prend que peu en compte
l‟activité collective. La redéfinition des buts et des tâches est essentielle mais
souvent conflictuelle lorsqu‟elle s‟effectue à plusieurs, à fortiori dans le cadre
de restructurations. L‟activité collective est ainsi d‟autant plus problématique
qu‟elle est centrale lors de nombreuses médiations entre logiques (médicale,
soignante, administrative, gestionnaire) et temporalités (des projets).
Les hôpitaux sont prototypiques de la difficulté de travailler ensemble
sans prescription et avec des ressources insuffisantes, notamment lors de
changements organisationnels. Ainsi les restructurations dépendent des
relations de proximité (Bouthillette, Havlovic et Van der Wal, 2001), des
processus et des caractéristiques des organisations (Bennebroek Gravenhorst,
Werkman et Boonstra, 2003). La crise de l‟hôpital peut être une conséquence de
la difficulté d‟agir ensemble (Pascal, 2004), ce qui rend difficile une vision
partagée et un apprentissage organisationnel (Pascal, 2004). L‟articulation
collective à l‟hôpital doit permettre la circulation et l‟intégration des
informations, la gestion des aléas et la coordination des actions (Lacoste, 2000).
L‟articulation infirmière est relative à la responsabilité organisationnelle inter
métiers, opérationnelle, pratique, temporelle, des processus de soins et des
processus administratifs (Kostulski, 2000). L‟analyse du travail dans une
perspective de transformations organisationnelles, permet de comprendre le
travail infirmier, à travers les régulations organisationnelles, collectives et
individuelles, permettant l‟équilibre entre les demandes de l‟organisation,
l‟activité soignante et les caractéristiques des salariés (Gonon, 2003). Mais les
hôpitaux restent des organisations peu stabilisées, en particulier à cause de
barrières socio-organisationnelles (Bagnara, Parlangeli et Tartaglia, 2009), ce
qui attribue un rôle central à l‟activité collective soignante dans les régulations
organisationnelles.
Le travail collectif à l‟hôpital est déterminant pour l‟efficacité ainsi que
pour la santé (Amourous, 2004 ; Sainsaulieu, 2006 ; Vaxevanoglou, 2002a). La
santé au travail se construit à partir des transactions entre l‟environnement et
l‟individu et les ressources disponibles pour gérer les contraintes (Aldwin,
2000 ; Lancry et Ponnelle, 2004 ; Lazarus et Folkman, 1984 ; Vezina, 2002).
Les collectifs de travail sont une ressource essentielle pour permettre la
dialectique entre l‟organisation prescrite et l‟activité individuelle (Dejours,
297
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
2005). Le soutien social (Karasek et Theorell, 1990) structure les interrelations
entre santé, travail collectif et organisation.
2. Objectifs
Le secteur psychiatrique est davantage étudié depuis quelques années
(Lawoko, Soares et Peter, 2004 ; Vaxevanoglou, 2002b ; Winstanley et
Whittington, 2002). Cette étude s‟intéresse aux interactions entre les
dimensions prescriptives, collectives et l‟activité lors de restructurations
d‟Etablissements Publics de Santé Mentale (EPSM).
Ces interactions générales sont étudiées et opérationnalisées à travers les
déterminants des représentations des transformations, sur l‟ensemble de la
population et en fonction de sous-populations réparties au sein des modèles de
transformation.
L‟objectif premier est de mettre en lumière les déterminants de la
perception des impacts des changements. Il s‟agit de cerner les impacts des
situations initiales de travail et plus spécifiquement des dimensions collectives
du travail, sur les représentations des changements. Il s‟agit également
d‟observer
les impacts des modes de conduite des projets sur les
représentations des impacts des changements.
Le second objectif consiste à cerner les variations des représentations
des impacts des changements en fonction des typologies de transformation. Il
est supposé que le rôle des collectifs varie en fonction des typologies de
transformations.
3. Méthodologie
Afin d‟analyser ces hypothèses et d‟accompagner les restructurations
d‟EPSM, l‟Analyse Ergonomique du Travail (AET) (Daniellou, 1996 ; Wisner,
1996) et notamment l‟Analyse Psychologique de l‟activité (Leplat, 2000) ont
permis de dimensionner les interventions.
3.1 Population
La population de l‟étude est composée de 63 infirmier(e)s et 10 aidessoignant(e)s qui interviennent dans un Etablissement Public de Santé Mentale
(EPSM). L‟âge moyen est de 33,4 ans (E.T. = 9,79) et l‟ancienneté dans le
service est de 29,4 mois (E.T. = 23,65).
298
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
3.2 Typologie des projets de restructurations
L‟analyse des projets de transformations a eu pour objectif de cerner la
nature et la forme des évolutions qui impactent la santé des soignants et la prise
en charge des patients. L‟analyse et l‟accompagnement des projets et des traces
de fonctionnement permettent d‟observer les compromis des acteurs. Les modes
de conduite de projet sont interrogées au niveau d‟un hôpital, d‟un service, d‟une
unité. Les ressources organisationnelles, les stratégies individuelles et
collectives, les impacts des transformations des structures de soins sur
l‟organisation, les conditions et le contenu du travail et la santé des soignants ont
été étudiés.
Trois modèles de réorganisation (Fabi, Lescarbeau et Blondel, 2001) ont
été distingués :
La délocalisation : fermeture d‟unités intramuros, déplacements des lits
d‟hospitalisation vers des cliniques (à transformer ou concevoir) proches
des populations.
- La fusion : regroupements de services et / ou d‟unités sous une même
entité (existante ou nouvelle).
- La délocalisation intersectorielle : combinaison des modèles précédents,
fusion de deux ou plusieurs services.
L‟application de cette typologie a permis de délimiter les quatre
transformations suivantes (T):
- Délocalisation/fusion de deux services (T1 ; n=14 soignants)
- Délocalisation d‟un service (T2 ; n=28),
- Délocalisation/fusion de trois unités dans le même service (T3 ; n=18).
- Un service composé de deux unités qui ne subissent pas de
transformations font fonction de groupe contrôle, mais sont
indirectement concernées par les réorganisations de leur EPSM (T4 ;
n=13).
3.3 Analyse des représentations
Les analyses des représentations et de l‟activité dans les services initiaux
et futurs, s‟effectuent à partir de questionnaires, d‟observations, de verbalisations
et d‟entretiens. Les questionnaires abordent les représentations des dimensions
individuelle et collective de l‟activité dans les situations de travail avant
transformations (situations initiales), les transformations et les modes de
conduite de projet. Les échelles de Lickert en quatre points sont identiques (oui,
plutôt oui, plutôt non, non) à l‟ensemble des items. Ces questionnaires ont été
299
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
administrés en passation directe dans les services. Les projets personnels et les
bases des projets de service étaient connus.
Le Questionnaire d‟Evaluation des Représentations des Déterminants
Organisationnels et Psychosociaux (QERDOPS) porte sur les déterminants
organisationnels et psychosociaux du stress des équipes soignantes en hôpital
psychiatrique (Vaxevanoglou, 1997). Il permet d‟aborder les représentations
qu‟ont les soignants de leurs situations de travail initiales, à travers cinq facteurs
:
-
F1 « les relations et interactions avec la hiérarchie » (9 items avec un
alpha de Cronbach pour notre échantillon de α =.67) ;
F2 « la confrontation entre l‟opérateur et de l‟organisation » (13 items, α
= .87) ;
F3 « le rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa
représentation de sa capacité à y faire face » (7 items, α=.67) ;
F4 « le soutien social, les interactions entre l‟opérateur et ses collègues
du point de vue social et opérationnel » (5 items, α=.86) ;
F5 « sens, utilité et valeur du travail perçu » (5 items, α=.75).
En plus du QERDOPS, nous avons construit un questionnaire
exploratoire composé de deux parties évaluant :
-
Les modes de conduite des projets (5 items) qui concernent les difficultés
quotidiennes, l‟implication personnelle, l‟implication de la hiérarchie, la
participation au projet de l‟unité et la prise en compte de l‟avis personnel.
-
Les Perceptions des impacts des changements (16 items) qui interrogent
la sécurité, la santé psychique, la santé physique, l‟accomplissement, la
qualité de vie hors travail, les relations avec la hiérarchie, dans l‟unité,
avec les patients, l‟environnement, la prise en charge, l‟efficacité de
l‟équipe, les moyens, l‟autonomie, les compétences, la charge et le
contenu de travail.
Les variables en jeu dans cette étude sont résumées dans la figure 1.
300
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
Figure 1: Schématisation du modèle de la recherche
Typologies de
transformations
(T1 à T4)
Situations
initiales
(QERDOPS)
Modes de
Conduite de
projet
Perceptions des
impacts des
changements
Les flèches pleines représentent les impacts testés sur l‟ensemble de la population. Les
flèches en pointillés représentent les impacts testés en fonction des typologies de
transformations, l‟approche différentielle.
3.4 Analyse de l‟activité et représentation
Les situations de travail, la santé et les liens entre santé et travail,
nécessitent des analyses articulant des approches qualitative et quantitative qui
s‟articulent au sein de l‟Analyse Ergonomique du Travail (AET, Volkoff, 2005).
Outre l‟analyse des projets, l‟activité et les représentations sont étudiées sous
l‟angle d‟indices provoqués (questionnaires, verbalisations, mises en discussion
des analyses) et de traces spontanées (observations des actions et des
modifications de l‟environnement, régulations, filières, flux, conditions,
risques…). Les données quantitatives et qualitatives doivent être lues
conjointement, même si les résultats aux questionnaires structurent pour
l‟essentiel cet article. Pour une présentation plus détaillée des éléments
qualitatifs, il convient de se référer au travail de Garcia et Vaxevanoglou (2008).
L‟analyse conjointe de l‟activité et des représentations permet de préciser
la compréhension des deux. L‟absence de représentation homogène d‟une
population au travail a pu être soulignée, d‟où l‟intérêt d‟une approche en termes
d‟enjeux (Dumond, 2005). Une organisation peut être considérée comme
homogène à partir d‟un faible consensus (Lok, Westwood, et Crawford, 2005).
301
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
La culture organisationnelle peut référer aux pratiques dans les unités, les
départements et les équipes, et par opposition aux organisations dans leur
ensemble (Van der Berg et Wilderom, 2004). Les représentations varient en
fonction de l‟activité, donc des services. Il est ainsi utile d‟intégrer conjointement
des approches générales et locales, quantitatives et qualitatives, en termes de
représentations, d‟activité et d‟enjeux.
4. Résultats
Les analyses statistiques des données ont été effectuées à partir de tests
de régressions simples et de tests non paramétriques ( ANOVA de Kruskal-Wallis).
Compte tenu des différences significatives obtenues par le biais de cette
ANOVA, ces analyses ont été complétées par des comparaisons post-hoc deux à
deux en utilisant le test de Mann-Whitney. Le traitement des données a été
réalisé à partir des logiciels STATISTICA STATVIEW.
4.1 Déterminants de la perception des impacts des changements
Les situations initiales (facteurs organisationnels et psychosociaux) et les
conduites des projets expliquent de 7.3 % à 16.8 % de la variance de la
perception des impacts des changements. Le mode de conduite de projet (β=.386,
t=3.53, p=.0008), les relations à la hiérarchie (F1, β=.41, t=3.78, p=.0004), les
relations aux collègues (F4 ; β=.42, t=3.93, p=.0003), la confrontation entre
l‟opérateur et l‟organisation (F4, β=.33, t=2.95, p=.004),) ont des impacts
significatifs sur les modes de changements. En revanche, le rapport opérationnel
avec la situation (F3) n‟est pas significatif.
Les situations initiales influent donc sur les représentations des impacts
des changements. Les verbalisations des soignants dans les situations évaluées
comme critiques confirment la méfiance vis-à-vis des divers niveaux
d‟encadrement, le retour sur les promesses apparemment non tenues ou encore le
vécu de mise à l‟écart des projets. Les soignants ramènent les risques principaux
des changements à ce qui relève de la dimension collective du travail, à savoir
les relations avec la hiérarchie, les relations avec les collègues et les modes de
conduites de projet.
302
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
4.2
Impacts des typologies de transformation sur la
perception des impacts des changements
Tableau 1 : rangs moyens (M) obtenus au test de Kruskal-Wallis
F1
F2
F3
F4
F5
Conduite
de
projet
44,35
Impacts des
changements
Délocalisation
M
33,89
47,64
45,14
26,32
44,07
29,71
–fusion
de deux
services (T1)
Délocalisation
M
30,30
24,01
37,55
32,03
23,69
23,55
31,00
(T2)
Délocalisation
M
49,30
41,91
41,66
50,88
47,22
41,94
48,61
fusion de trois
unités (T3)
Groupe
M
37,73
46,88
20,57
39,96
43,88
51,19
41,69
contrôle :
pas de
transformation
(T4)
Valeur
H
9,192
17,729 10,882 13,536 18,320 19,830
9,941
Kruskall-Wallis
p.
p.
.0269
0006
0125
0037
.0005
.0003
.0192
Les représentations sont d’autant plus négatives que les moyennes sont élevées
F1, F2, F3, F4, F5 sont les facteurs organisationnels et psychosociaux du Qerdops.
F1 : facteur « relations et interactions avec la hiérarchie »
F2 : facteur « confrontation entre l’opérateur et de l’organisation »
F3 : facteur « rapport opérationnel de l’individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire
face »
F4 : facteur « soutien social, les interactions entre l’opérateur et ses collègues du point de vue social et
opérationnel »
F5 : facteur « sens, utilité et valeur du travail perçu »
H : H corrigé pour ex-aequo
p. : probabilité critique corrigée pour ex-aequo
Au-delà de cette approche générale de la population, les analyses
quantitatives montrent que les facteurs psychosociaux et organisationnels du
Qerdops, concernant les situations initiales de travail, ont des impacts spécifiques
en fonction des modèles de transformation (tableau I). Ces impacts significatifs
(p.c. ‹ 0,05 et p.c. ‹ 0,01), mettent en évidence des variations des représentations
des situations initiales, des changements et des conduites de projets, en fonction
des modèles de transformation. Les impacts généraux des facteurs psychosociaux
et organisationnels et des conduites de projet, sur les représentations des
transformations, sont donc modulés spécifiquement en fonction des types de
transformation.
303
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
Ces différences générales, obtenues par le test de Kruskal-Wallis, sont
précisées grâce aux comparaisons deux à deux (tableau II) permises par le test de
Mann-Whitney, qui spécifie les différences entre les sous-groupes de la
population. Seules les différences significatives sont présentées.
Tableau 2 : différences significatives obtenues au test de Mann-Whitney
Déterminants
F1
F2
F3
T3
U = 122,50
z = -2,92
p <0,004
U = 135,00
z = -2,64
p <0,009
T2
T4
T1
T1
T3
T4
T4
T3
U = 37,00
z = 2,64
p <0,009
U = 52,50
z = 2,60
p <0,01
U = 69,50
z =-2,15
p < 0,04
U = 65,00
z = -3,28
p <0,002
U = 87,00
z = 2,68
p <0,008
U = 66,50
z = 3,46
p < 0,0006
F4
U = 124,00
U = 48,50
z =-2,92
z = -2,99
p <0,004
p <0,003
F5
U = 85,50
U =72,50
U = 99,50
z = -3,77
z =-3,09
z = 2,59
p <0,0002
p <0,002
p <0,009
Conduite
U = 126,00
U = 42,50
U = 85,00
de projet
z = -2,84
z =-3,92
z =2,97
p <0,005
p <0,0001
p <0,003
Impacts
U = 131,50
U = 57,00
des
z = -2,71
z = -2,63
changements
p <0,007
p <0,009
Seules les différences significatives sont présentées. Le type de transformation (T1, T2, T3, T4) de la première
ligne est comparé au type de transformation de la deuxième ligne.
F1, F2, F3, F4, F5 sont les facteurs organisationnels et psychosociaux du Qerdops.T1, T2, T3, T4 sont les
modèles de transformations.
F1 : facteur « relations et interactions avec la hiérarchie »
F2 : facteur « confrontation entre l’opérateur et de l’organisation »
F3 : facteur « rapport opérationnel de l’individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire
face »
F4 : facteur « soutien social, les interactions entre l’opérateur et ses collègues du point de vue social et
opérationnel »
F5 : facteur « sens, utilité et valeur du travail perçu »
T1 Délocalisation–fusion de deux services ; T2 Délocalisation ; T3 Délocalisation-fusion de trois unités ; T4 :
Groupe contrôle : pas de transformation
U score U de Mann-Whitney ; z : z ajusté ; p. : probabilité critique
Ces comparaisons deux à deux montrent que les personnels subissant des
délocalisations (T2) ont des perceptions significativement meilleures (p.c. ‹
0,01), par rapport à ceux subissant des délocalisations – fusions de trois unités
(T3) pour six facteurs sur sept, par rapport à ceux ne subissant pas de
transformations (T4) pour trois facteurs sur sept, ainsi que par rapport à ceux
subissant des délocalisations – fusions de deux services (T1) pour trois facteurs
sur sept.
304
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
Ces comparaisons deux à deux montrent également que les personnels
subissant des délocalisations – fusions de deux services (T1) entraînent des
perceptions significativement meilleures (p.c. ‹ 0,01) que ceux subissant des
délocalisations – fusions de trois unités (T3), pour trois facteurs sur sept.
Enfin, le facteur F3 « rapport opérationnel de l‟individu avec la situation,
sa représentation de sa capacité à y faire face » est évalué de façon
significativement meilleure (p.c. ‹ 0,01) par les personnels ne subissant pas de
transformation (T4), par rapport à ceux subissant un des trois autres types de
transformations.
Les analyses qualitatives permettent de mieux comprendre les différentes
spécificités, et notamment que les modèles de délocalisation (T2) et de
délocalisation - fusion de trois unités (T3) sont les extrêmes. La délocalisation –
fusion de trois unités révèle des évaluations négatives des relations avec la
hiérarchie (F1) et aux collègues (F4), et des impacts des changements. Un climat
social d‟ensemble (F1 et F4) est évalué négativement, difficilement surmontable
pour l‟élaboration constructive de transformations, et d‟autant plus
problématique que les personnels se connaissent. Le projet, perçu comme
« flou » est de plus en plus conflictuel et perçu comme dangereux (sécurité des
soignants et des patients).
A l‟inverse, dans le cas de la délocalisation – fusion de deux services
(T1), les évaluations négatives de la confrontation avec la réalité objective (F2)
et du rapport opérationnel (F3), montrent que les soignants pensent subir les
transformations sans gain essentiel, contrairement au gain comptable présumé.
Les impacts perçus des changements et de leurs mises en œuvre invalident la
crédibilité du projet. Les verbalisations insistent sur des décideurs éloignés du
terrain, une participation minime et des conditions de travail dénigrées. Ces
difficultés sont des obstacles moindres compte tenu de meilleures relations avec
les collègues et la hiérarchie. Le personnel évalue encore négativement la
conduite de projet, mais n‟est pas fortement opposé aux changements. Ses
problèmes initiaux sont principalement opérationnels, soignants et médicaux, et
non des problèmes sociaux généraux, relationnels ou relevant du travail
collectif.
Les écueils opérationnels du travail collectif entre deux équipes qui ne se
connaissent pas, et le climat social général, ne peuvent pas être perçus à travers
le questionnaire présenté. Les observations et les entretiens insistent néanmoins
sur les difficiles uniformisations des méthodes de travail, et sur les capacités
d‟arbitrages de la hiérarchie. Enfin, l‟impact de la conduite de projet sur les
représentations des impacts des changements est moindre. Les modes de
305
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
conduite de projet sont perçues encore plus négativement que les changements
en eux-mêmes, perçus comme partiellement utiles puisque les services se
rapprochent des populations. Ce sont donc surtout la mise en œuvre des projets
et les situations initiales qui posent problème, les soignants craignent le report
des problèmes existants dans les situations futures.
La représentation négative de la conduite de projet, par les personnels ne
subissant pas de transformation et faisant fonction de groupe contrôle (T4), est
surtout relative à une sous implication apparente des collègues d‟autres unités,
ainsi que d‟eux-mêmes malgré les interactions avec des services en partance. La
représentation plus positive par ces mêmes personnels des situations initiales de
travail du point de vue du « rapport opérationnel de l‟individu avec la situation,
sa représentation de sa capacité à y faire face », semble suggérer une situation
initiale stabilisée : le turnover des patients et des personnels est relativement
faible, et le projet de ces unités parait accepté.
Enfin, les personnels qui se délocalisent (un service - T2) sans évaluation
très négative, permettent de relativiser la notion de résistance au changement, et
justifient les interprétations concernant les modèles de transformation. Les
problèmes ne sont pas inévitables lors de transformations, mais naissent
principalement des spécificités des changements, de leurs mises en œuvre ou
encore du vécu des situations initiales.
5. Discussion et conclusion
Cette étude a mis en évidence certains liens entre les dimensions
prescriptives, les dimensions collectives et l‟activité lors de restructurations
organisationnelles. Certains liens sont des lignes de force générales, alors que
d‟autres liens paraissent plus spécifiques aux modèles de transformations, qui
modulent les liens généraux. Ces spécificités appuient l‟idée d‟analyses
qualitatives et quantitatives, générales et spécifiques, afin d‟obtenir différents
niveaux d‟analyse des représentations et d‟expliquer les déterminants du travail
les plus spécifiques grâce aux analyses qualitatives.
De façon générale, les représentations des changements sont impactées
par les modes de conduite des projets et des situations initiales de travail, en
particulier des relations aux collègues et à la hiérarchie. Les facteurs conduisant
à une situation initiale défavorable (mode de conduite de projet, relations à la
hiérarchie, relations aux collègues, confrontation entre l‟opérateur et de
l‟organisation) sont perçus comme entraînant des changements à risques pour la
sécurité des patients et la santé des soignants. A contrario, on accepte plus
facilement de transformer des situations satisfaisantes, grâce à une hiérarchie
proche du terrain et un collectif fort influant sur des projets jugés légitimes,
306
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
prenant en compte les difficultés, surtout la sécurité. Les contraintes
personnelles sont minorées au sein du service qui se délocalise et qui s‟éloigne
pourtant le plus de l‟EPSM intramuros. Le groupe contrôle, c‟est-à-dire le
service ne subissant pas de transformation, n‟a pas de perceptions plus positives
que le service qui se délocalise – à l‟exception du rapport opérationnel à la
situation de travail. Enfin, les fusions sont les types de transformations les plus
problématiques : représentations de défiance, problèmes opérationnels... Le
changement n‟est donc pas intrinsèquement problématique du point de vue des
personnels, contrairement à sa crédibilité et à la crédibilité des informations,
aux situations initiales et aux types de transformation.
L‟homogénéité limitée des représentations souligne l‟intérêt de
différencier l‟initial, le futur, le processus et les rythmes d‟évolution
conflictuels. La perception des situations de travail impacte la perception des
transformations mais n‟est pas la seule, puisque la conduite de projet et les
modèles de transformation l‟influence également. Les dynamiques et les enjeux
de travail, généraux et locaux, donnent leurs sens aux représentations, dont
l‟homogénéité sur une grande organisation reste limitée. Donner du sens aux
représentations, comprendre et intervenir nécessite différents grains d‟analyse,
relatifs aux dynamiques et variétés du travail réel, objectifs et gains pour les
personnels, critères de métiers, activités collectives spécifiques… Une analyse
qualitative et quantitative permet d‟approcher les représentations des soignants
(Kim et Motsei, 2002) et les enjeux des restructurations (Dumond, 2005). Les
aspects politiques sont alors essentiels -relations de pouvoir (Munduate et
Bennebroek Gravenhorst, 2003), processus du changement (Pichault et
Schoeners, 2003)... L‟objectif opérationnel central peut être le rapprochement
des logiques, pratiques et prescriptions conflictuelles, surtout entre les niveaux
soignants, médicaux et administratifs. Les soignants se demandent
constamment si les transformations sont positives pour les patients, ou pour
l‟administration dont ils ne partagent pas les critères. L‟analyse de l‟activité
infirmière permet alors de renouveler l‟organisation médicale, les coopérations
médicales et soignantes ainsi qu‟une meilleure adéquation entre les effectifs
soignants et les exigences organisationnelles (Lapeyrière, 2000). La conception
distribuée (Béguin, 2004) nécessite donc un collectif de conception multi métier
contraignant.
Ce type de démarche nécessite une approche systémique des
organisations et des situations de travail, et donc de préférence plusieurs types
de relevés, pour comprendre au mieux les liens multiples entre différentes
variables : une situation initiale mal perçue dans un service entraîne des
problèmes de communications entre niveaux hiérarchiques, des changements
pilotés de façon maladroite ou la fixation de buts inappropriés à la réalité du
terrain… Dans ce cadre, l‟analyse des changements organisationnels remet en
307
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
cause l‟approche déterministe (Héran, 1997). Par exemple, séparer strictement
les impacts d‟une situation initiale, d‟une conduite de projet et d‟un type de
transformation, reste inopérant. Une approche systémique et analytique permet
de comprendre le système de travail au travers de son fonctionnement et de ses
productions (quantité-qualité-santé-développement). La question n‟est pas
simplement méthodologique mais aussi épistémologique, l‟intervention dans le
milieu en transformation est le passage obligé pour en comprendre la
complexité et l‟impacter.
Références
Aldwin, C.M. (2000). Stress, coping and development, New York : The Guilford Press.
Amourous, C. (2004). Que faire de l’hôpital ? Paris : L‟Harmattan.
Bagnara, S., Parlangeli, O. & Tartaglia, R. (2010). Are hospitals becoming high
reliability organizations ? Applied Ergonomics, 41, 713–718.
Béguin, P. (2004). L'Ergonome, acteur de la conception. In P. Falzon (Ed.), Ergonomie
(pp.375-390). Paris: PUF.
Bennebroek Gravenhorst, K.M., Werkman, R.A. & Boonstra, J.J. (2003). The change
capacity of organisations: general assessment and five configurations. Applied
Psychology: an international review, 52, n°1, 83-105.
Bouthillette, F. Havlovic, S.J. & Van der Wal, R. (2001). Restructuring the health care
system in British Colombia: the experience of the shaugnessy hospital
employees. Anxiety, Stress and Coping, 14, 75–91.
Daniellou, F. (1996). Questions épistémologiques autour de l‟ergonomie. In : Daniellou,
F. (Ed.), L’ergonomie en quête de ses principes, débats épistémologiques (pp.
1-18). Toulouse : Octares.
Dejours, C. (2005). Le facteur humain. Paris : Presses Universitaires de France.
Dumond J.P. (2005). Sans licenciements, pourquoi les restructurations sont-elles encore
brutales ? Psychologie du travail et des organisations, 11, 241-255.
Fabi, B., Lescarbeau, R. & Blondel, C. (2001). La réorganisation du travail : synthèse de
documentation et observations de terrain. Psychologie du travail et des
organisations, 7,15-52.
Garcia, F. & Vaxevanoglou, X. (2008). Prescription, activité, régulations. Le travail
collectif dans le secteur psychiatrique en restructuration. In P. Negroni & Y.
Haradji (Eds.). Actes du 43ème congrès de la Self, 26-35. Saint-Just-La-Pendue :
ANACT.
Gonon, O. (2003). Des régulations en lien avec l‟âge, la santé et les caractéristiques du
travail : le cas des infirmières d‟un centre hospitalier français. Université du
Québec,
Canada.
Revue
électronique
Pistes,
5
(1) :
http://pettnt/pistes/v5n1/articles/v5n1a1.htm.
Karasek, R. & Theorell, T. (1990). Healthy work : stress, productivity and the
reconstruction of working life. New York : Basic Books.
Héran, F. (1997). Le recul du déterminisme, fondement du changement organisationnel.
Cahiers lillois d’économie et de sociologie, 29, n°1, 123-139.
Kim J. & Motsei M. (2002). Women enjoy punishment : Attitudes and experiences of
gender-based violence among PHC nurses in rural South Africa. Social Science
and Medicine, 54, 1243–1254.
308
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
Kostulski, K. (2000). Communication et accomplissement collectif de l‟activité : une
perspective conversationnelle. Appliquée aux transmissions dans les équipes de
soin à l‟hôpital. In B. Mélier & Y. Queinnec (Eds.) Actes du 35ème congrès de la
Self,
418-427.
Toulouse:
Octarès.
http://www.ergonomieself.org/self2000/self2000pdf/collectif.pdf.
Lacoste, M. (2000). Le langage et la structuration des collectifs. In : Weill- Fassina, A.
& Benchekroun, T.H. (Eds.), Le travail collectif – Perspectives actuelles en
ergonomie (pp. 55-70). Toulouse : Octarès.
Lacoste, M. (2001). Quand communiquer c‟est coordonner. Communication à l‟hôpital
et coordination des équipes. In : Borzeix, A. & Fraenkel, B. (Eds.), Langage et
travail, Communication, cognition, action (pp. 323-342). Paris : CNRS
Éditions.
Lancry, A. & Ponnelle, S. (2004). La santé psychique au travail. In : Brangier, E ;,
Lancry, A. & Louche, C. (Eds.), les dimensions humaines du travail : théories
et pratiques de la psychologie du travail et des organisations (pp. 285-312).
Nancy : Presses Universitaires de Nancy.
Lawoko, S., Soares, J. & Peter, P. (2004). Violence towards psychiatric staff : a
comparison of gender, job and environmental characteristics in England and
Sweden. Work and stress, 18, n°1, 39-55.
Lapeyrière, S. (2000). Communications dans le travail. Mieux les analyser pour prévoir
des organisations de travail cohérentes et coopératives. In B. Mélier & Y.
Queinnec (Eds.) Actes du 35ème congrès de la Self, 460-467. Toulouse : Octarès.
http://www.ergonomie-self.org/self2000/self2000pdf/cooperation.pdf.
Lazarus, R.S. & Folkman, S. (1984). Stress, appraisal and coping. New York, Springer.
Leplat, J. (2000).L'analyse psychologique de l'activité en ergonomie.
Toulouse :
Octarès.
Lok, P., Westwood, R. & Crawford, J. (2005). The significance of organizational
subculture for organizational commitment. Applied Psychology, 54, n°4, 491515.
Munduate L. & Bennebroek Gravenhorst, K.M. (2003). Power dynamics and
organisational change. Applied Psychology, 52, n°1, 1-13.
Pascal, C. (2004). Du colloque singulier au colloque pluriel: le processus au service du
mieux faire ensemble. In Amourous, C. (Ed.), Que faire de l’hôpital ? (pp. 73104). Paris : L‟Harmattan, La Librairie des humanités.
Pichault, F. & Schoeners, F. (2003). HRM practices in a process of organisational
change : a contextualist perspective. Applied Psychology, 52, n°1, 120-143.
Sainsaulieu, I. (2006). Les appartenances collectives à l'hôpital. Sociologie du Travail,
48, n°1, 72-87.
Toniolo, A.M. (2005). Résolution de problème individuel en situation collective : une
dynamique complexe à l‟épreuve de l‟expérimentation. Revue européenne de
psychologie appliquée, 55, 29–42.
Van der Berg, P. & Wilderom, C. (2004). Defining, Measuring, and Comparing
Organisational Cultures. Applied Psychology, 53, n°4, 570-582.
Vaxevanoglou, X. (1997). Déterminants organisationnels et psychosociaux, activité de
travail et santé psychique au travail. Thèse, Université de Picardie Jules Verne,
Amiens. Lille : Presses Universitaires du Septentrion (1999).
309
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle
Vaxevanoglou, X. (2002a). Le stress au travail et la santé psychique du point de vue de
l‟ergonomie de l‟activité. In : Neboit, M. & Vézina, M. (Eds.), Stress au travail
et santé psychique (pp. 119-127). Toulouse : Octarès.
Vaxevanoglou X. (2002b). Les déterminants organisationnels et psychosociaux du stress
des équipes soignantes. In : Neboit, M. & Vézina, M. (Eds.), Stress au travail et
santé psychique (pp. 209-226). Toulouse : Octarès.
Vezina, M. (2002). Stress au travail et santé psychique : rappel des différentes
approches. In : Neboit, M. & Vézina, M. (Eds.), Stress au travail et santé
psychique (pp. 47-58). Toulouse : Octarès.
Volkoff, S. (2005). Des comptes à rendre : usages des analyses quantitatives en santé au
travail pour l‟Ergonomie. In : Volkoff, S. (Ed.), L'ergonomie et les chiffres de
la santé au travail : ressources, tensions et pièges (pp. 3-74). Toulouse :
Octarès.
Winstanley, S. & Whittington, R. (2002). Anxiety, burnout and coping styles in general
hospital staff exposed to workplace aggression: a model of burnout and
vulnerability to aggression. Work and Stress, 16, 302-315.
Wisner, A. (1996). Questions épistémologiques en ergonomie et en analyse du travail.
In : Daniellou, F. (Ed.), L’ergonomie en quête de ses principes, débats
épistémologiques (pp. 29-56). Toulouse : Octarès.
310
311
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Représentations professionnelles, satisfaction au travail et
choix de carrière des personnels infirmiers : le rôle des
valeurs d’autonomie
Professional representations, job satisfaction, and career
choice of nurses: The role of autonomy values
Florent Lheureux
Université Grenoble II, Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie-Personnalité,
Cognition, Changement Social, 1251 avenue centrale, Domaine universitaire, 38400
Saint Martin d'Hères. [email protected]
Résumé
On s'intéresse aux facteurs pouvant inciter les infirmiers à quitter leur profession. Dans
ce cadre, la satisfaction au travail apparaît comme un facteur explicatif majeur,
dépendant de la place accordée au "rôle propre" infirmier. Par ailleurs, plusieurs études
ont mis en évidence l'importance des valeurs concernant la satisfaction au travail. Dès
lors, et en référence au concept de représentations professionnelles, on pose que la
satisfaction des infirmiers dépend de l'importance du rôle propre dans la représentation
de leur fonction, et cela d'autant plus que les valeurs d'Autonomie sont primordiales
pour eux. Une étude, réalisée auprès d'infirmiers titulaires et stagiaires, conforte cette
approche, soulignant ainsi le rôle crucial de ces valeurs dans la satisfaction des
infirmiers.
Abstract
We are interested in factors which can incite nurses to abandon their profession. In this
frame, job satisfaction appears as a major explanatory factor, depending on the status
granted to nurses' "own role". Besides, several studies show the importance of values
concerning job satisfaction. Then, and in reference to the concept of professional
representations, we consider that nurses' job satisfaction depends on the importance of
the own role in the representation of their function, all the more that Autonomy values
are essential for them. A study, realized with regis tered and student nurses, confirm this
approach, so underlining the crucial role of these values for the job satisfaction of
nurses.
Mots-clés: Fonction infirmière, rôle propre, valeurs d‟autonomie, représentations
professionnelles, satisfaction
Key-words: Nurses, own role, autonomy values, professional representations, job
satisfaction
312
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
1. Introduction : exercice du rôle propre infirmier et satisfaction au
travail
On s'intéresse aux facteurs pouvant inciter les infirmiers à quitter leur
profession (phénomène illustré, par exemple, par Estryn-Behart, & Muster,
2007 ; Estryn-Behart, Négri, & Le Nézet, 2007). Plusieurs études expliquent cet
abandon par une faible satisfaction au travail (Cavanagh 1992 ; El-Jardali,
Dimassi, Dumit, Jamal, & Mouro, 2009 ; Gauci-Borda, & Norman, 1997 ; Lu,
While, & Barriball, 2005 ; Strachota, Normandin, O‟Brien, Clary, & Krukow,
2003). Dans cette optique, comprendre ce départ nécessite de pouvoir expliquer
en préalable l'insatisfaction au travail de certains infirmiers. Parmi les facteurs
liés à la satisfaction (i.e. le degré avec lequel l'emploi actuel est plus ou moins à
l'origine d'affects positifs, Locke, 1976) des infirmiers, le respect de leur
"autonomie" apparaît comme un facteur primordial (Bjørk, Samdal, Hansen,
Tørstad, & Hamilton, 2007 ; Estryn-Behart, & Muster, 2007 ; Estryn-Behart et
al., 2007 ; Fynn, 2001 ; Weisman, Alexander, & Chase, 1980). L'autonomie
correspond en France (cf. loi du 31 mai 1978) au concept de "rôle propre", qui
institue la reconnaissance des compétences spécifiques des infirmiers, faisant
d'eux des collaborateurs privilégiés des médecins et non leurs exécutants.
Globalement, selon les études évoquées plus haut, plus les personnels infirmiers
ont la possibilité d'appliquer de manière autonome leurs compétences propres,
plus ils sont satisfaits. De même, comme le montre Guimelli (1994), les
infirmiers en formation se représentant l'exercice du rôle propre comme
possible dans le secteur dans lequel ils sont formés (e.g. public) souhaitent
généralement plus y rester après leurs études que ceux pensant l'inverse, ces
derniers envisageant alors d'exercer dans le secteur alternatif (e.g. privé).
2. Problématique et hypothèses générales
Dans le cadre de cette contribution, on se réfère de manière conjointe
aux concepts de représentations professionnelles et de valeurs, en vue
d'approfondir l'analyse de la satisfaction des infirmiers.
2.1. Représentation de la fonction infirmière et satisfaction
On considère en effet que la fonction infirmière constitue pour les
infirmiers un objet de représentation professionnelle. Ce concept (cf. Bataille,
2000 ; Bataille, Blin, Jacquet-Mias, & Piaser, 1997 ; Blin, 1997a, 1997b ;
Piaser, & Bataille, 2008) désigne une catégorie particulière de représentations
sociales (Moscovici, 1976). A ce titre, elles sont des ensembles d'éléments
cognitifs élaborés et partagés par les membres de groupes professionnels à
propos "d'objets" de leur environnement de travail. Leur étude permet ainsi de
313
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
comprendre les rapports qu'entretiennent ces groupes avec ces derniers.
Toutefois, le fait qu'ils appartiennent – groupes et objets – au même milieu
professionnel, implique certaines particularités (Piaser & Bataille, 2008). En
effet, alors que les représentations sociales sont issues du "sens commun", les
représentations professionnelles "sont élaborées dans l'action et l'interaction
professionnelle" (Bataille et al., 1997, p. 63). Dès lors, ces représentations sont
composées d'éléments de natures scientifique, technique, pratique, relationnelle,
organisationnelle et institutionnelle, dont l'organisation interne est "intimement
liée aux différents problèmes qui ont à être résolus ou évités dans le cadre d‟un
exercice professionnel" (Gonin, 2008, p. 36).
Par conséquent, suivant cette approche, on peut considérer que la
fonction infirmière sera représentée sous l'influence simultanée de ses éléments
définitoires (plaçant le rôle propre au cœur de la profession) mais également
sous l'influence des contraintes s'exerçant individuellement sur les personnels
infirmiers lors de leur pratique effective. On peut donc s'attendre à ce que
l'importance des éléments relatifs au rôle propre soit consensuellement
reconnue (de par leur caractère identitaire), tout en étant éventuellement
pondérée à la baisse si son application est rendue difficile par le contexte
professionnel spécifique à chaque infirmier. Partant de cette analyse, on
envisage que l'importance des éléments relatifs au rôle propre dans la
représentation de la fonction infirmière influence significativement la
satisfaction au travail des personnels infirmiers.
2.2. Adéquation aux valeurs d'Autonomie et satisfaction
On s'intéresse également au concept de "valeurs", afin de définir plus
précisément les conditions sociocognitives faisant du rôle propre un élément
essentiel ou non de la satisfaction des infirmiers. Le terme "valeurs" (Rokeach,
1973 ; Schwartz, 1992, 2006) désigne des principes de vie relatifs aux finalités
d'existence et aux manières d'agir socialement désirables, liés aux affects et
impliqués dans l'émission de jugements et d'actions à l'encontre d'une pluralité
de situations, "d'objets" ou de personnes formant l'environnement d'un individu.
Selon la théorie des valeurs de base de Schwartz (1992, 2002), il existe dix
types de valeurs : Stimulation, Hédonisme, Réussite, Pouvoir, Sécurité,
Tradition, Conformité, Bienveillance, Universalisme et Autonomie. Les valeurs
appartenant à la même catégorie partagent la même motivation sous-jacente.
Par exemple, les valeurs de Bienveillance (Secourable, Honnête, Loyal, etc.)
ont toutes pour motivation commune la préservation et l'amélioration du bienêtre des autres. Les valeurs sont également hiérarchisées, ce qui implique que
certaines prévalent sur d'autres dans la dans la manière qu'a un individu
d'interagir avec son environnement. On s'intéresse ici tout particulièrement aux
valeurs d'Autonomie, c'est-à-dire celles visant la promotion de la liberté de
pensée et d'action (Liberté, Indépendance, Choisir ses propres buts, etc.). Cette
314
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
caractéristique amène en effet à supposer que leur importance dans la hiérarchie
des valeurs joue un rôle en ce qui concerne la satisfaction au travail des
infirmiers, lorsqu'elle est mise en relation avec leur rôle propre. En effet,
diverses études ont mis en évidence que la divergence entre les valeurs d'une
personne et celles véhiculées par l'organisation (Cunnigham & Sagas, 2004 ;
Nyock Ilouga, 2006 ; Stinglhamber, Bentein, & Vandenberghe, 2004 ; Tepeci
& Bartlett, 2002 ; Verplanken, 2004) ou encore le fait que cette dernière soit
perçue comme ne permettant pas l'atteinte de valeurs terminales importantes
(George & Jones, 1996, 1997 ; Hochwarter, Perrewé, Ferris, & Brymer, 1999 ;
Locke, 1976), tendent à favoriser l'insatisfaction au travail et le départ des
employés. En d'autres termes, les individus préfèrent évoluer dans des
environnements "congruents" avec leurs valeurs, et donc à éviter ceux qui sont
incongruents de ce point de vue (cf., par exemple, Amos & Weathington, 2008 ;
Kroeger, 1995 ; Verquer, Beehr & Wagner, 2003). Ce constat amène ainsi à
poser, comme le fait Boussougou-Moussavou (2003, p. 31), "qu'il n'est guère
possible d'apprécier la satisfaction d'un individu […] sans connaître la
hiérarchie des valeurs intérieures qui lui est propre".
Partant de ces considérations, il est probable que l'importance (faible vs.
forte) des valeurs d'Autonomie dans la hiérarchie des valeurs module la relation
causale entre l'importance des éléments relatifs au rôle propre et la satisfaction
au travail. Autrement dit, on peut s'attendre à ce que la satisfaction des
infirmiers dépende de l'importance du rôle propre dans la représentation qu'ils
ont de leur fonction, et cela d'autant plus fortement que les valeurs d'Autonomie
sont primordiales à leurs yeux.
3. Méthode
3.1. Population
Cette recherche a concerné 120 infirmiers d'un département du sud de la
France, dont 102 femmes pour 18 hommes, avec un âge médian de 25 ans (1er
quartile = 22, 3e quartile = 33). Soixante exerçaient leur métier en tant
qu'Infirmiers Diplômés d'Etat (IDE) avec une expérience médiane de 4 ans (1 er
quartile = 1, 3e quartile = 12), les autres participants étaient en formation (30 en
1ère année et 30 en 3e année). Ces deux groupes étaient composés à parts égales
de personnes officiant (comme titulaire ou stagiaire) en hôpital public ou en
hôpital privé.
3.2. Procédure et matériel
Chaque participant a répondu à un questionnaire en quatre parties. La
première s'inspirait du Schwartz's Value Survey (SVS, Schwartz, 1992, 2006),
outil rendant compte des dix types de valeurs évoqués plus haut, parmi
315
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
lesquelles figurent les valeurs d'Autonomie. Seules les quarante-quatre valeurs
considérées comme "culturellement stables" ont été mesurées ici, afin d'alléger
le questionnaire tout en préservant sa validité. Le SVS présente chaque valeur,
en l'accompagnant d'une courte description [e.g. "Indépendant (ne compter que
sur soi, être autosuffisant)"] et d'une échelle de réponse en neuf modalités,
allant de "opposée à mes valeurs" (-1) à "d'importance suprême" (+7). Cette
dernière correspond, selon Schwartz, à la manière spontanée avec laquelle les
individus attribuent de l'importance aux valeurs. En ce qui concerne la consigne
donnée, on s'est inspiré de celle employée par Wach et Hammer (2003). Enfin,
conformément aux préconisations de Schwartz, chaque réponse fournie par un
individu a été centrée autour de la moyenne de ses quarante-quatre réponses.
Plus le score ainsi obtenu est élevé, plus il juge la valeur concernée comme
primordiale. On peut dès lors estimer l'importance de chaque type de valeurs.
La seconde partie du questionnaire étudiait la représentation que les
infirmiers ont de leur fonction à l'aide d'une liste de vingt items repris du travail
de Guimelli (1994), parmi lesquels une moitié réfère au rôle propre, les dix
autres au rôle prescrit par le corps médical (pour un aperçu de ces items cf.
tableau 1 en partie "résultats"). On a ici fait usage du Test d'Indépendance au
Contexte (TIC, Lo Monaco, Lheureux, & Halimi-Falkowicz, 2008). Le TIC
permet de déterminer le statut structural (central vs. périphérique) des éléments
constituant une représentation, et d'ainsi rendre compte de leurs importances
respectives. En effet, selon Abric (1994), il existe au sein des représentations
sociales (et, par extension, au sein des représentations professionnelles, cf.
Bataille, 2000) des éléments "centraux" et des éléments "périphériques". Les
éléments centraux sont définis comme consensuels, générateurs et organisateurs
du reste de la représentation, ainsi que "relativement indépendants du contexte
immédiat" (Abric, 1994, p. 28). Ils déterminent l'orientation générale que prend
le rapport du groupe à l'objet, indépendamment et au-delà des contingences
situationnelles. Par contraste, les éléments périphériques peuvent faire l'objet de
plus fortes divergences interindividuelles et sont dépendants du contexte
immédiat. En effet, ces éléments interviennent dans le sens attribué à l'objet,
mais uniquement d'une manière contingente et limitée. Le TIC se présente sous
la forme d‟une liste de questions testant le caractère indépendant ou dépendant
du contexte, pour le sujet, des différents items étudiés. Par exemple, il a été
demandé : "A votre avis, est-ce que toujours, dans tous les cas, la fonction
infirmière c‟est surveiller étroitement les résultats des traitements ?" Venaient
ensuite quatre choix de réponse : "non" (codé 1), "plutôt non" (2), "plutôt oui"
(3) et "oui" (4). La formulation "toujours, dans tous les cas" opérationnalisant
l‟idée d‟indépendance au contexte, une réponse positive signifiait dès lors que
pour le répondant l‟élément concerné est valide en toutes situations. Grâce au
TIC on a pu ainsi estimer, notamment, l‟importance des éléments relatifs au
rôle propre.
316
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
La troisième partie portait sur la satisfaction au travail des IDE et le
choix du futur secteur d‟activité des infirmiers en formation. La satisfaction des
IDE a été appréhendée par une échelle de huit items inspirés de travaux
antérieurs (Lu, While, & Barriball, 2005 ; Stamps, 1997), mesurant le degré
avec lequel ils sont satisfaits par différents "aspects" de leur travail : perspective
d‟évolution, responsabilités personnelles, paie, conditions matérielles, contacts
avec les malades, relations avec les collègues, relations avec la hiérarchie et
charge de travail. Présenté sous forme affirmative, chaque item était associé à
une échelle d'accord en cinq modalités, allant de "Non" (codée 1) à "Oui"
(codée 5). Par exemple, il était proposé "D‟une manière générale, je suis très
satisfait par mes perspectives actuelles d‟évolution de carrière" ou encore
"D‟une manière générale, je suis très satisfait par mes relations avec mes
collègues de travail". Cette échelle, ayant une homogénéité interne suffisante
(=.70 ; cf. Nunally, 1978), a permis de mesurer la satisfaction globale des
IDE. Les élèves infirmiers ont pour leur part hiérarchisé par ordre de préférence
cinq débouchés possibles de leurs études : deux relevant du secteur public
(hôpital public, hôpital psychiatrique public) et trois du secteur privé (hôpital
privé, hôpital psychiatrique privé, cabinet libéral). Les élèves étant stagiaires
dans les secteurs public ou privé, il a été créé un score de préférence pour le
secteur actuel d‟activité [1 ; 5], en calculant, pour chaque élève du secteur
public, la différence entre les classements moyens des débouchés publics et
privés (mpublic - mprivé) et inversement pour chaque élève du secteur privé (mprivé
- mpublic).
Pour finir, les répondants ont précisé leurs sexe, âge, ancienneté pour
les IDE ou année de formation pour les élèves infirmiers.
3.3. Hypothèses
Compte tenu de l'ensemble des éléments avancés précédemment
plusieurs hypothèses ont été formulées. Concernant les IDE, on s‟attendait tout
d‟abord (hypothèse 1) à ce que plus les éléments relatifs au rôle propre
obtiennent des scores d‟indépendance au contexte élevés plus ils sont satisfaits
de leur travail. On supposait ensuite (hypothèse 2) que cette relation est plus
forte pour les infirmiers ayant pour les valeurs d‟Autonomie les scores
d'importance les plus élevés, que pour les infirmiers avec les scores les plus
faibles.
Concernant les personnels infirmiers en formation, on prévoyait
(hypothèse 3) que plus les éléments relatifs au rôle propre ont des scores
d‟indépendance au contexte élevés plus les élèves infirmiers souhaitent rester
dans leur secteur de formation une fois diplômés. On anticipait également
(hypothèse 4) que cette relation est plus forte pour les élèves ayant pour les
317
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
valeurs d‟Autonomie les scores d'importance les plus élevés, que pour les
élèves avec les scores les plus faibles.
4. Résultats
4.1. La représentation de la fonction infirmière
Guimelli (1994) différencie les éléments de cette représentation en deux
ensembles distincts, selon qu'ils relèvent des rôles propre ou prescrit. Dans cette
perspective, en vue d'affiner cette analyse typologique, une analyse en
composantes principales (ACP) avec rotation VARIMAX a été conduite sur les
réponses données par l‟ensemble de notre échantillon. Cette analyse a permis
d‟extraire sept facteurs avec une valeur propre supérieure à 1 (Kaiser, 1960) et
expliquant ensemble 61% de la variance (cf. tableau 1, saturations reportées
>.40).
Tableau 1. Résultat de l’ACP réalisée sur les vingt items
de la représentation de la fonction infirmière
Items
F1
F2
F3
F4
F5
F6
F7
*Utilisation du dossier soin
0.69
*Démarche de soin
0.65
Fréquence relations hiérarchie
0.64
Surveiller résultats traitements
0.52
*Travail relations avec objectifs 0.44
0.43
*Éducation des malades
0.73
*Entretiens avec malades
0.72
*Marge d'initiative
0.60
*Considérer malade = entité
0.52
*Recherche
0.43
Expliquer technique chirurgie
0.82
Performant techniques de pointe
0.74
Noter mouvements malades
0.71
Intégrer équipe soudée
0.65
Retranscrire prescriptions
0.49 0.62
Exécuter prescriptions
0.78
Soins urgents si abs. médecin
0.47 0.57
Participer diagnostic médical
0.78
*Formation élèves/auxiliaires
0.64
*Délégation soins aide-soignant
0.63
Valeurs propres
2.23 2.16 1.51 1.59 1.78 1.49 1.43
Variance expliquée
11% 11% 8% 8% 9% 7% 7%
* Items renvoyant au rôle propre selon Guimelli (1994)
318
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
Le facteur 1 regroupe les items relatifs aux soins des malades, que cela
soit au niveau de la démarche globale ou de son suivi (tenue du dossier de soin,
suivis des traitements et gestion des relations sur la base d'objectifs), l'ensemble
étant défini en concertation avec la hiérarchie. Le second facteur renvoie à la
prise en charge "humaine" et autonome des malades. En effet, il concerne le
malade en tant qu'entité propre, nécessitant d'être écouté et éduqué, dans une
finalité d'accompagnement, voire également de recherche, le tout avec une
pleine initiative. Le facteur 3 relève pour sa part de la maîtrise technique, avec
en arrière-plan le fait "d'être à l'avant-garde" en matière de connaissance des
dernières évolutions. En ce qui concerne le quatrième facteur, on peut
considérer qu'il réfère en filigrane à l'idée de coordination dans l'encadrement
en équipe des malades, que cela soit du point de vue de leurs mouvements
internes dans l'établissement ou de la notification des prescriptions dont ils font
l'objet. Le facteur suivant (n°5), fait plus encore mention des prescriptions
médicales, au niveau notamment de leurs retranscription écrite et application.
Le facteur 6 désigne l'éventuelle implication des infirmiers dans ce qui relève
plus spécifiquement du domaine médical (diagnostic et soins d'urgence). Enfin,
le dernier et septième facteur désigne le rôle hiérarchique de formation et
d'encadrement des élèves, aides-soignants et autres auxiliaires placés sous leur
direction.
Si l'on applique la dichotomie de Guimelli (1994) entre éléments
relevant plus des rôles propre ou prescrit, on note immédiatement que deux
facteurs (2 et 7) concernent uniquement le rôle propre (prise en charge humaine
des malades et encadrement), alors que quatre autres (3, 4, 5 et 6) relèvent
entièrement des aspects prescrits (maîtrise technique, coordination,
prescriptions, actes médicaux). Le facteur 1 (soins) apparaît "mixte" de ce point
de vue. Cette représentation peut ainsi essentiellement se résumer à ces sept
composantes, qui privilégient généralement plus l'un ou l'autre des deux rôles.
4.2. La satisfaction des infirmiers professionnels
Portons désormais directement notre attention sur les résultats propres à
confirmer ou infirmer nos hypothèses 1 et 2. L'emploi d'une analyse de
régression multiple avec en variables explicatives les sept séries de scores
factoriels et en variable dépendante la satisfaction moyenne, révèle un effet
significatif des deux composantes "prise en charge humaine" (F2 : β=.27,
t(57)=3.23, p<.01) et "actes médicaux" (F6 : β=.35, t(57)=3.92, p<.001),
expliquant ensemble 19% (R²) de la variance. L'impact de la "prise en charge
humaine" confirme directement l'hypothèse 1, puisqu'elle renvoie
exclusivement au rôle propre. En ce qui concerne l'impact de la composante
"actes médicaux", il montre que non seulement ce qui influe sur la satisfaction
319
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
c'est le fait de pouvoir exercer son rôle propre, mais c'est également le fait de
pouvoir exercer ce qui relève plus du domaine médical (ce qui va finalement
dans le sens d'une certaine "émancipation" vis-à-vis du corps médical).
En ce qui concerne la seconde hypothèse, on observe bien, comme
attendu, une modulation de cette relation par l'importance des valeurs
d'Autonomie. En effet, lorsque l'on distingue, sur l'ensemble de l'échantillon et
sur la base de la médiane, les individus ayant donné plus d'importance à ces
valeurs de ceux leur ayant accordé une moindre importance, on note que la
satisfaction des premiers est assez fortement dépendante de ces deux
composantes (R²=.28 ; F2 : β=.41, t(31)=3.59, p<.01; F6 : β=.37, t(31)=2.95,
p<.01), alors que celle des seconds n'est pas significativement sous cette
influence (R²=.07 ; F2 : β=-.02, t(23)=-0.11, ns ; F6 : β=.23, t(23)=1.55, ns).
Autrement dit, les infirmiers accordant d'une manière générale dans leur vie une
place primordiale aux valeurs d'Autonomie sont bien plus "sensibles" à
l'importance du rôle propre et à l'exécution d'actes médicaux que les infirmiers
n'ayant pas situé ces valeurs parmi les plus essentielles.
4.3. L‟orientation des infirmiers en formation
L'application du même protocole d'analyse montre que lorsque l'on ne
distingue pas les individus en fonction de leur adhésion aux valeurs
d'Autonomie, aucune "composante" de leur représentation n'influe
significativement sur le souhait des élèves infirmiers à rester ou non dans leur
secteur de formation. Par contraste, lorsqu'on isole les individus ayant de fortes
valeurs d'Autonomie, la composante "encadrement" a alors un effet significatif
(F7 : β=.44, t(24)=2.37, p<.03, R²=.19), ce qui n'est pas le cas pour les élèves
leur accordant moins d'importance (F7 : β=-.22, t(32)=-1.27, ns, R²=.05). Ce
résultat est à mettre en relation avec le statut des infirmiers en formation :
n'étant pas titulaires, la promotion et le développement de leurs compétences,
notamment relatives au rôle propre, passe avant tout par l'encadrement dont ils
font l'objet. Il est alors cohérent que seuls les élèves considérant les valeurs
d'Autonomie comme essentielles soient significativement "sensibles" à ce
critère, ce qui apparaît assez conforme avec l'hypothèse posée à ce propos.
5. Discussion et conclusion
La présente recherche illustre à nouveau l'importance que revêt le rôle
propre des infirmiers dans leur satisfaction au travail. En effet, plus ils se
représentent leur fonction autour d'éléments relatifs à la prise en charge
"humaine" des malades (relevant du rôle propre) plus ils sont satisfaits, cette
prise en charge "humaine" expliquant, avec la possibilité d'effectuer des actes
médicaux, 19% (R²) de la variance de leur satisfaction. Ce constat, quoique
important, ne constitue pas une innovation compte tenu du savoir établi en la
320
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
matière. La référence au concept de "valeurs" n'en est également pas une. Ce
qui constitue en réalité l'originalité de ce travail, c'est la mise en perspective des
éléments relatifs aux infirmiers en tant que personnes d'une part : leurs valeurs,
et ce qui relève de leur spécificité en tant que professionnels d'autre part : leur
rôle propre. En effet, du point de vue professionnel, le concept de rôle propre
infirmier est par définition ancré dans l'idée d'autonomie vis-à-vis du pouvoir
médical. Or, du point de vue personnel (cf. Schwartz, 1992, 2006), il existe,
parmi la pluralité des valeurs guidant la vie des individus, des valeurs dites
"d'Autonomie". Le système entier des valeurs étant hiérarchisé par ordre de
priorité, on s'est alors interrogé quant au rôle que pouvait jouer ces valeurs,
selon leur place primordiale ou secondaire dans ce système, en ce qui concerne
l'importance du rôle propre vis-à-vis de la satisfaction au travail. Etant donné le
rôle prêté aux représentations professionnelles (cf., par exemple, Bataille et al,
1997) et aux valeurs (cf. par exemple les travaux sur la congruence personneenvironnement, Kroeger, 1995), on s'est attendu à ce que la satisfaction des
infirmiers dépende de l'importance du rôle propre dans la représentation qu'ils
ont de leur fonction, et cela d'autant plus fortement que les valeurs d'Autonomie
sont primordiales à leurs yeux. Les résultats obtenus corroborent cette
approche, puisque seule la satisfaction des IDE accordant une place essentielle
aux valeurs d'autonomie est significativement sous l'influence, notamment, de
l'importance du rôle propre (i.e. la prise en charge humaine) dans la
représentation qu'ils ont de leur fonction (R²=.28). On notera, d'une manière
complémentaire, que seuls les élèves infirmiers considérant les valeurs
d'Autonomie comme primordiales sont significativement "sensibles" à
l'encadrement (autre composante du rôle propre) en ce qui concerne le fait de
souhaiter ou non rester dans leur secteur de formation une fois le diplôme
obtenu (R²=.19). Ces résultats illustrent par conséquent, comme attendu, le rôle
non négligeable des valeurs d'Autonomie dans ce cadre.
D'un point de vue appliqué, il est alors envisageable, d'une part, de
mieux prévenir l'insatisfaction professionnelle des infirmiers ou, d'autre part, de
pouvoir amoindrir cette insatisfaction une fois effective. Les résultats obtenus
suggèrent en effet d'identifier au plus tôt les personnels les plus "vulnérables" à
une mise en cause de leur rôle propre : ceux accordant dans leur vie une place
fondamentale aux valeurs d'Autonomie. Interroger les infirmiers en ce qui
concerne leurs valeurs, suivant la théorie de Schwartz, peut permettre cette
identification. À cette fin, on peut faire usage du SVS, mais également du Short
Schwartz' Value Survey (SSVS, Lindeman & Verkasalo, 2005), outil beaucoup
moins coûteux pour les répondants car étudiant avec une efficacité quasi
équivalente l'importance des types de valeurs au moyen de dix items.
On peut, pareillement, envisager amoindrir l'insatisfaction d'un
infirmier accordant beaucoup d'importance aux valeurs d'Autonomie, en ayant
une connaissance fine de la hiérarchie de ses valeurs. Les travaux de Tetlock
321
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
(1986) montrent en effet que lorsqu'une situation crée un conflit de valeurs
(lorsqu'elle exige de choisir entre deux actions opposées quant aux valeurs
qu'elles permettent d'atteindre), ce sont alors les valeurs les plus importantes qui
priment sur les autres dans le rapport de l‟individu à cette situation. On peut
ainsi, potentiellement, compenser une déficience d'autonomie par le rôle propre
(entraînant de l'insatisfaction) en développant des conditions de travail propices
à l'atteinte d'autres valeurs aussi importantes, voire plus importantes. Il est en
effet rare qu'un seul type de valeurs prévale sur tous les autres, d'autres valeurs
ayant également une grande importance personnelle.
En conclusion, cette recherche a permis de préciser les conditions
sociocognitives dans lesquelles l'importance accordée au rôle propre dans
l'organisation hospitalière et dans sa contrepartie représentationnelle, influence
la satisfaction et le choix de carrière des infirmiers. Ces conditions sont
relatives à la place des valeurs d'Autonomie dans le système entier des valeurs
d'un individu, dont la considération s'avère autant cruciale en termes
d'explication, de prévention que d'intervention.
Références
Abric, J.-C. (1994). Les représentations sociales: aspects théoriques, In. J. C. Abric
(Ed.), Pratiques sociales et représentations (pp. 11-35), Paris: Presses
Universitaires de France.
Amos, E.A., & Weathington, B.L. (2008). An analysis of the relation between
employee-organization value congruence and employee attitudes. The Journal
of Psychology, 142(6), 615–631
Bataille, M. (2000). Représentation, implicitation, implication ; des représentations
sociales aux représentations professionnelles. In Garnier, C. & Rouquette, M.
L. (Ed.), Les Représentations en éducation et formation (pp. 165-189).
Montréal: Editions Nouvelles.
Bataille M., Blin J-F., Jacquet-Mias C., & Piaser A. (1997) Représentations sociales,
représentations professionnelles, système des activités professionnelles.
L‘année de la recherche en sciences de l’éducation. Paris : Presses
Universitaires de France.
Bjørk, I.T., Samdal, G.B.,Hansen, B.S. Tørstad, S., & Hamilton, G.A. (2007). Job
satisfaction in a Norwegian population of nurses: A questionnaire survey.
International Journal of Nursing Studies, 44, 747–757
Blin, J.-F. (1997a). Représentations, pratiques et identités professionnelles. Paris :
L'Harmattan.
Blin, J.-F. (1997b). Les représentations professionnelles : un outil d'analyse du travail.
Education Permanente, 132, 159-170.
Boussougou-Moussavou, J-A. (2003). Enquête sur la satisfaction au travail des cadres
d'entreprise et d'administration publique. Psychologie du Travail et des
Organisations, 9(3-4), 25-64.
322
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
Cavanagh, S. (1992). Job satisfaction of nursing staff working in hospitals. Journal of
Advanced Nursing, 17, 704–711.
Cunnigham, G.B., & Sagas, M. (2004). Examining the main and interactive effects of
deep- and surface-level diversity on job satisfaction and organizational
turnover intentions. Organizational Analysis, 12(3), 319-332
El-Jardali, F., Dimassi, H., Dumit, N., Jamal, D., & Mouro, G. (2009). A national crosssectional study on nurses' intent to leave and job satisfaction in Lebanon:
implications for policy and practice. BMC Nursing, 8(3),13p.
Estryn-Behart, M., Négri, J.-F., & Le Nézet, O. (2007). Abandon prématuré de la
profession infirmière, le respect des valeurs professionnelles dépend des
conditions de travail. Droit Déontologie & Soins, 7, 308-327.
Estryn-Behart, M., & Muster, D. (2007). Promouvoir la santé des soignants. Plus d‟un
sur dix veut abandonner sa profession. Le Concours Médical, 129 (29/30),
1020-1025.
Fynn, C.P. (2001). Autonomy: an important component for nurses' job satisfaction.
International Journal of Nursing Studies, 38, 349-357.
Gauci-Borda, R., & Norman, I. (1997). Factors influencing turnover and absence of
nurses: a research review. International Journal of Nursing Studies, 34(6),
385–394.
George, J., & Jones, G. (1996). The experience of work and turnover intentions:
Interactive effects of value attainment, job satisfaction, and positive mood.
Journal of Applied Psychology, 81, 318–325.
George, J., & Jones, G. (1997). Experiencing work: Values, attitudes, and mood.
Human Relations, 50, 393–416.
Gonin, A. (2008). L'aide à autrui dans le champ de l'intervention sociale. Une
approche psychosociale des représentations professionnelles : historicité,
ancrage, fonctions. Thèse de Doctorat de l'université Lumière – Lyon II.
Guimelli, C. (1994). La fonction d'infirmière. Pratiques et représentations sociales. In.
J.-C. Abric (Ed.), Pratiques sociales et représentations (pp. 60-108), Paris :
Presses Universitaires de France.
Hochwarter, W.A., Perrewé, P.L., Ferris, G.R., & Brymer, R.A. (1999). Job satisfaction
and performance: The moderating effects of value attainment and affective
disposition. Journal of Vocational Behavior, 54, 296-313.
Kaiser H. F. (1960). The application of electronic computers to factor analysis.
Educational and Psychological Measurement, 20, 141-151.
Kroeger, N. W. (1995). Person–environment fit in the final jobs of retirees. The Journal
of Social Psychology, 135, 545–552.
Lo Monaco, G., Lheureux, F., & Halimi-Falkowicz, S. (2008). Test d‟indépendance au
contexte (TIC) et structure des représentations sociales. Revue Suisse de
Psychologie/Swiss Journal of Psychology, 67(2), 119-123.
Locke, E. (1976). The nature and consequences of job satisfaction. In M.D. Dunnette
(Ed.), Handbook of industrial and organizational psychology (pp. 1297–1349).
Chicago: Rand–McNally.
Lu, H., While, A. E., & Barriball, K. L. (2005). Job satisfaction among nurses: A
literature review. International Journal of Nursing Studies, 42, 211-227.
Moscovici, S. (1976). La psychanalyse, son image, son public. Paris: Presses
Universitaires de France.
Nunnally, J. C. (1978). Psychometric theory. New York: McGraw Hill.
323
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Florent Lheureux
Nyock Ilouga, S. (2006). L‟impact de la congruence objective des valeurs sur
l‟engagement normatif envers l‟organisation. Psychologie du Travail et des
Organisations, 12, 307-325.
Piaser, A., & Bataille, M. (2008). Of contextualised use of “social” and “professional”.
In Chaïb, M., Danermark, B. & Selander, S. (Edt.), Social Representations and
Transformation of Knowledge. Jönköping: School of Education and
Communication, Jönköping University..
Rokeach, M. (1973). The nature of human values. New York: Free Press.
Schwartz, S. H. (1992). Universals in the content and structure of values: theory and
empirical tests in 20 countries. In M. Zanna (Ed.), Advances in experimental
social psychology (Vol. 25, pp. 1-65), New York: Academic Press.
Schwartz, S. H. (2006). Les valeurs de base de la personne. Revue Française de
Sociologie, 47(4), 929-968.
Stamps, P. L. (1997). Nurses and work satisfaction: An index for measurement.
Chicago: Health Administration Press.
Stinglhamber, F., Bentein, K., & Vandenberghe, C. (2004). Congruence de valeurs et
engagement envers l'organisation et le groupe de travail. Psychologie du
Travail et des Organisations, 10, 165-187.
Strachota, E., Normandin, P., O‟Brien, N., Clary, M., & Krukow, B. (2003). Reasons
registered nurses leave or change employment status. Journal of Nursing
Administration, 33 (2), 111–117.
Tepeci, M., & Bartlett, A.L.B. (2002). The hospitality culture profile: A measure of
individual values, organizational culture, and person-organization fit as
predictor of job satisfaction and behavioural intentions. Hospitality
Management, 21, 151.170.
Tetlock, P. E. (1986). A value pluralism model of ideological reasoning. Journal of
Personality and Social Psychology, 50(4), 819-27.
Lindeman, M., & Verkasalo, M. (2005). Measuring values with the short Schwartz's
Value Survey. Journal of Personality Assessment, 85(2), 170-178.
Verplanken, B. (2004). Values congruence and job satisfaction among nurses: A human
relations perspective. International Journal of Nursing Studies, 41, 599-605.
Verquer, M. L., Beehr, T. A., & Wagner, S. H. (2003). A meta-analysis of relations
between person–organization fit and work attitudes. Journal of Vocational
Behavior, 63, 473–489.
Wach, M., & Hammer, B. (2003). La structure des valeurs en France d‟après le modèle
de Schwartz. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 4, 47-85.
Weisman, C.S., Alexander, C.S., & Chase, G.A. (1980). Job satisfaction among hospital
nurses: A longitudinal study. Health Services Researches, 15(4), 341-364.
324
325
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
La tarification à l’activité (T2A) :
Quelles transformations pour l’activité du personnel
infirmier ? Etude exploratoire.
The french system of payment per medical act (T2A) :
What are the changes for the activity of nurses ?
An exploratory study
Catherine Demarey* & Julie Dal Pra*
*Université Catholique de Lille, Faculté Libre des Lettres et Sciences Humaines, Unité
de recherche en Psychologie : OCeS (Organisation, Clinique et Sujet), Equipe : Travail,
Organisation, Santé, 60 Bd Vauban, BP109, F-59 016 Lille Cedex.
[email protected]
Résumé
Cet article présente une étude exploratoire qui tente de cerner les transformations de
l‟activité des infirmiers suite à l‟implantation du système de tarification à l‟activité
(T2A). Les apports théoriques explicatifs sont ceux des théories sur l‟activité. La T2A
est envisagée comme un organisateur prescriptif de l‟activité de soins. Les principaux
résultats des analyses qualitatives illustrent des changements au niveau de
l‟organisation du travail (cadence, rythme, productivité, rentabilité et turnover).
L‟intensification de l‟activité mentionnée par les infirmiers concerne essentiellement
une augmentation de l‟activité technique au détriment de l‟activité relationnelle qui s‟en
trouve empêchée. Les répercussions identifiées dans le discours des infirmiers sont la
frustration, la perte de sens et une perte de la qualité de la prise en charge.
Abstract
This article presents an exploratory study, which attempts to analyse the changes which
have occurred in the professional life of nurses in France since the introduction of the
system of payment per medical act (T2A). The theoretical background is provided by
theories on the activity. The T2A system is intended to provide a means of organising
nursing care. The main results of qualitative analysis undertaken show above all
changes in the way nurses‟ work is organised (pace, rhythm, productivity, value for
money and turnover). The more intense workload mentioned by the nurses concerns
above all an increase in technical and administrative activity rather than any personal
interaction with the patients, which appears to have suffered from the changes. The
repercessions identified by the nursing staff include frustration, a loss of meaning in
their work and a lower standard of nursing care provided.
Mots-clés : activité, pouvoir d‟agir, activité empêchée, T2A, infirmiers
Keywords : Activity, ability to act, hindered activity, T2A, nursing
326
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
1. Introduction
L‟hôpital aujourd‟hui se trouve face à la mise en œuvre de différentes
réformes liées au « Plan Hôpital 2007 ». Notamment, la gestion des activités de
soins est désormais supportée par le système de tarification à l‟activité (T2A).
Au-delà de la codification des actes, ce système vient indirectement organiser et
structurer l‟activité des soignants. La littérature n‟est pas exempt de travaux
illustrant l‟impact de ce type d‟outils informatiques sur l‟activité de travail
(Bobillier-Chaumon, 2003 ; Brangier & Hammes, 2007 ; Caroly, 2007 ;
Demarey & Danguy, à paraître, pour exemple). Intensification, parcellisation du
travail, décloisonnement des espaces de travail ou encore gestion des activités
sont au cœur des questionnements. Il s‟agit alors d‟identifier les nouveaux
modèles explicatifs des activités qui se mettent en place car les conduites de
travail sont transformées aussi bien au niveau de la micro-organisation qu‟au
niveau de la macro-organisation.
Dans ce cadre, l‟activité représente le concept central de notre travail en
ce sens où nous approchons avec elle, la nature même du travail et ses
changements. Dans l‟étude exploratoire que nous proposons, il s‟agit de voir en
quoi l‟activité des infirmiers se trouve transformée par l‟introduction d‟un outil
de gestion telle que la tarification à l‟activité.
2. Position du problème
La santé, aujourd‟hui devenue une responsabilité collective, se trouve
au cœur des préoccupations actuelles du gouvernement.
Le manque de personnel, le temps de travail trop élevé, la saturation des
services d‟urgence à l‟hôpital, les contraintes administratives trop lourdes à
gérer sont autant d‟exemples qui illustrent un climat difficile dans les milieux
hospitaliers français. Pour répondre à ce contexte de « crise », de nombreuses
réformes ont été instanciées : parmi elles, le « plan hôpital 20071, ». Ce dernier
comprend 4 axes majeurs :
- « Moderniser les structures hospitalières en accordant davantage de
confiance à la capacité de décision de leurs responsables.
- Desserrer le carcan des règles d'achats publics pour accélérer les
investissements et simplifier la gestion.
- Redonner aux établissements leurs capacités d'innovation et d'adaptation,
mais aussi leur fournir les moyens de leur développement.
- Disposer de davantage d'autonomie et de capacité d‟initiative dans
l'exercice de leurs responsabilités quotidiennes. »
Ainsi, l‟une des principales mutations amenées par cette réforme
concerne le mode de financement des établissements hospitaliers.
1
www.sante.gouv.fr
327
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
Jusqu‟en 2004, deux systèmes de financement des établissements de
santé existaient. Les établissements publics et les établissements privés
participant au service public hospitalier (PSPH) étaient dotés depuis 1983 d‟une
enveloppe de financement annuelle et limitative (appelée Dotation globale).
Parallèlement, les cliniques privées utilisaient un système de tarification à la
journée basé sur le nombre d‟actes réalisés. Afin d‟homogénéiser le mode de
financement des hôpitaux (publics et privés), la T2A a été étendue à l‟ensemble
des établissements de santé français en 2005. Désormais, le budget alloué par le
ministère de la santé aux hôpitaux, va dépendre de l‟activité réelle des
établissements, c‟est à dire du nombre d‟actes techniques réalisés et de leurs
tarifs. Autrement dit, le financement des hôpitaux se voit directement dépendant
du nombre de patients accueillis et du tarif auquel leur hospitalisation est
estimée.
Dans ce cadre, les établissements de santé se sont vus dotés d‟un nouvel
outil de gestion d‟activité, nommé T2A (Tarification à l‟activité). Cet outil,
basé sur un système de codage de données médicales quantifiées et
standardisées, permet une traçabilité des actes techniques et soins effectués.
Bien que concernant les médecins, il semble que cette nouvelle implantation ne
soit pas sans conséquence sur l‟activité des équipes soignantes. Aussi, nous
nous sommes attachées à comprendre les répercussions possibles que peut
engendrer la mise en place de la T2A sur leur activité. Par exemple, le
raccourcissement des durées des séjours hospitaliers engendrerait une
augmentation des flux des patients. Nous pouvons nous interroger alors sur une
éventuelle intensification de leur activité quotidienne et sur les répercussions
possibles sur la qualité de leur travail. Ce système de tarification à l‟activité
conduit ainsi, à une rationalisation du travail par la mise en place de procédures
de standardisation du temps de séjours des patients en fonction de leur
pathologie. Ce dernier pourrait servir, à la fois, à la gestion d‟activité et à
l‟activité de gestion c'est-à-dire, à la macro-organisation et à la microorganisation (Demarey & al., 2008) des activités de soins introduisant un
possible contrôle du personnel qui risque de voir son autonomie se restreindre
et se limiter. Cette autonomie s‟en trouverait d‟autant plus réduite que les soins,
les examens médicaux, les entrées et sorties des patients sont programmées en
fonction du temps de séjour anticipé. Dans ce cadre, le personnel soignant doit
faire face à une gestion des soins et des patients en flux tendus. Ils doivent
alors, non seulement, faire preuve d‟adaptabilité face au turnover important de
patients, mais aussi, de polyvalence pour répondre aux besoins, si nécessaires,
des différents services (nouvelle gouvernance des hôpitaux). Ainsi, la
polyvalence, l‟élargissement des tâches, l‟augmentation des responsabilités, la
codification des tâches, la standardisation, la prescription, le contrôle du travail
via l‟outil informatique, l‟autonomie limitée, etc., n‟introduisent-ils pas des
principes néo-tayloristes de l‟organisation du travail ?
328
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
La T2A s‟ajoute donc au cadre prescriptif multi-source de l‟activité des
soignants et risque d‟entraîner une diminution du pouvoir d‟agir (Clot, 2008)
empêchant l‟activité des infirmiers.
Cette partie dédiée à la position de problème nous amène donc à poser
l‟objectif de notre étude qui consiste à identifier les transformations introduites
par le système de tarification à l‟activité.
3. Apports Théoriques
Dans cette étude, l‟activité représente le concept central de notre travail.
Il va nous permettre d‟appréhender les transformations introduites par cette
réforme hospitalière : la tarification à l‟activité. Dans un tel contexte de
changement et par l‟introduction d‟un système prescriptif supplémentaire, les
apports théoriques présentés ci-après apporterons des éléments d‟une part, pour
comprendre l‟organisation et le développement de l‟activité des infirmiers et
d‟autre part, d‟identifier les effets positifs et négatifs de la T2A sur leurs
activités.
3.1 La T2A : un organisateur prescriptif de l‟activité des infirmiers ?
Sans prétendre à l‟exhaustivité, il est toutefois, important de revenir sur
le concept de prescription afin de comprendre comment l‟activité des infirmiers
est organisée et se développe en milieu hospitalier. Nous verrons que la
prescription y est complexe, multi-source et dans une certaine mesure,
également, paradoxale.
Toute activité se trouve régie par un ensemble de prescriptions. Pour
Daniellou (2002, p.10), la prescription est une « injonction de faire émise par
une autorité ». Elle préexiste à l‟activité, concerne différents objectifs (quantité,
qualité, délais, etc.), précise les procédures, les règlements et les résultats
attendus (Guerrin et al., 2006).
Les différents types de prescriptions du travail peuvent être identifiés
selon leur forme et selon leur source. Classiquement, nous retrouvons dans les
formes possibles de la prescription : la prescription taylorienne, la prescription
floue ou encore la prescription amont/aval. Rappelons que la prescription
taylorienne prescrit et prédit le travail suivant le principe du «one best way».
Cette forme stricte contraint fortement le développement de l‟activité ce qui
peut aboutir à son confinement (Hatchuel, 1996). A l‟inverse, la prescription
floue est définie comme un « dispositif organisationnel (qui) n‟a pas vocation
de rationaliser dans le détail les actes de travail mais de favoriser les
comportements d‟initiative et de prise en charge des variabilités de l‟activité »
(Duc, 2002, p.119). Cette prescription laisse alors des marges de manœuvres
importantes pour les sujets agissants. Quant à la prescription amont/aval, elle
concerne des éléments fixés en amont et qui correspondent, en situation à un
contrôle aval. Ainsi, «le travailleur concerné doit anticiper les formes de
l‟évaluation aval pour les transformer en objectifs amont » (Daniellou, 2002,
329
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
p.10), ce qui est une manière indirecte de contraindre le salarié à atteindre les
objectifs attendus.
Nous pouvons également classer les types de prescriptions selon leurs
sources. Six (2002) propose de distinguer (i) la prescription descendante qui
provient de la hiérarchie ou de l‟organisation et (ii) la prescription ascendante
qui vient de la matière à travailler. Par exemple, si la matière est l‟humain, la
prescription provient alors du patient ou encore du client pour exemple. Nous
pouvons également identifier les prescriptions dites multisources qui émanent
de différentes autorités. Le travailleur doit « mettre en débat une diversité de
sources de prescriptions, établir des priorités, trier entre elles, et parfois ne pas
pouvoir les satisfaire toutes tout le temps » (Daniellou, 2002, p.11).
Si nous revenons aux prescriptions concernant l‟activité des infirmiers,
l‟analyse des différents documents et fiches dédiés à cet effet de notre structure
d‟étude a permis d‟identifier huit prescriptions dont sept de type floue et une de
type taylorienne. Elles sont les suivantes : dans le respect des règles
professionnelles des infirmiers, incluant notamment le secret professionnel, il
s‟agit de :
-
-
« de protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé des personnes ou
l‟autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques, en tenant en
compte de la personnalité de chacune d‟elles, dans ses composantes
psychologique, sociale, économique et culturelle ;
de prévenir et évaluer la souffrance et la détresse des personnes et de participer
à leur soulagement ;
de concourir au recueil des informations et aux méthodes qui seront utilisées
par le médecin pour établir son diagnostic ;
de participer à l‟évaluation du degré de dépendance des personnes ;
d‟appliquer les prescriptions médicales et les protocoles établis par le médecin
;
de participer à la surveillance clinique des patients et à la mise en œuvre des
thérapeutiques ;
de favoriser le maintien, l‟insertion ou la réinsertion des personnes dans le
cadre de vie familial et social ;
d‟accompagner les patients en fin de vie, et en tant que de besoin leur
entourage. »
Nous constatons que ces prescriptions sont multi-sources, floues,
descendantes et ascendantes. Les prescriptions ascendantes viennent du patient.
La prescription « appliquer les prescriptions médicales et les protocoles établis
par le médecin » se trouve taylorisé par l‟introduction du système de tarification
à la T2A.
330
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
3.2 Vers une activité empêchée des infirmiers ?
3.2.1 Le concept d‟activité
Afin de pourvoir comprendre le développement de l‟activité, reposons
quelques définitions du concept d‟activité.
Classiquement, l‟activité renvoie à ce qu‟un opérateur réalise dans une
situation particulière pour réaliser une tâche prescrite, c'est-à-dire « ce que
l‟homme fait pour réaliser la tâche prescrite en même temps que ses propres
finalités » (Leplat, 2000, p.9). Pour De Montmollin (1995, p.18), l‟activité est
« l’exercice de la possibilité que possède tout être vivant d’agir sur son
environnement et de réagir aux stimulations qu’il reçoit de celui-ci. Mais
l’activité n’est pas le comportement, elle est le processus par lequel le
comportement est engendré ». Comme l‟explique Guérin & al. (2006, p.52),
l‟activité se trouve influencée par de nombreux déterminants, d‟une part, par
l‟opérateur (ses «caractéristiques personnelles», son «état instantané», son
«expérience», etc.) et d‟autre part, par l‟entreprise, ses règles et ses contraintes
(« les objectifs à atteindre », « l‟organisation du travail », « l‟environnement »,
etc.). Ces déterminants vont donc venir structurer et organiser l‟activité de
l‟opérateur. Pour aller plus loin dans la compréhension de ce concept, rappelons
la contribution importante de la psychologie russe dont Barabantchikov
(2007,p.45-46) en a dressé une synthèse et dégagé les propriétés importantes :
(i) « l‟activité n‟existe pas en soi, elle est le fait de quelqu‟un» , (ii) « l‟activité
est toujours tournée vers un objet », (iii) « l‟activité est de nature sociale », (iv)
« l‟activité n‟est pas possible en dehors des moyens de transformation de la
réalité » et (v) « l‟activité est conscience ». Nous constatons qu‟à travers ces
quelques définitions, l‟activité demeure un concept riche et complexe.
Toutefois, comme le mentionne Schwartz (2007, p.14), « chaque fois qu‟il y a
quelque chose comme « activité », que ce soit le mot ou l‟expression, c‟est (…)
toujours en vue de résoudre un problème lié à l‟unité de l‟être humain ». Ainsi,
appréhender l‟activité et son développement est nécessaire lorsqu‟il s‟agit de
comprendre les dysfonctionnements et les effets négatifs pour l‟opérateur et
pour l‟organisation. Face à ces questions et en accord, avec Clot (2006,2008), il
nous semble que nous ne pouvons plus nous contenter de la conception
traditionnelle de la psychologie ergonomique en ce sens où celle-ci ne permet
pas de rendre compte de tout ce qui se joue lors du développement de l‟activité.
Clot (2010) rappelle la nécessité d‟interroger la dimension subjective de
l‟activité. « […] Activité veut dire activité propre : activité qui part et
s‟enracine dans le sujet actif pour s‟épanouir le cas échéant, dans un contexte
social » (Tosquelles, 2009, p.47, cité par Clot, 2010, p.14). L‟activité, c‟est
aussi pour l‟auteur, le « trait d‟union » entre le sujet et le collectif (Clot,
op.cité).
« Ainsi, l‟activité est quelque chose en mouvement voire en
développement et qui devrait être regardée sous différents « prismes »,
331
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
notamment, subjectif, individuel, collectif, historico-culturel, organisationnel,
pour exemple » (Demarey & Danguy, à paraître).
3.2.2 Apports de l‟approche clinique de l‟activité
La clinique de l‟activité se révèle être une ressource et un cadre
théorique d‟une grande richesse pour comprendre les conséquences de la T2A
en tant que déterminant pouvant entraîner des transformations dans
l‟organisation de l‟activité des infirmiers. Nous poserons ci-après quelques
notions de base de cette approche.
Pour Clot (2006, p.98) l‟activité se trouve « triplement dirigée » : « par
la conduite du sujet », « vers l‟activité des autres » et « au travers de l‟objet de
travail ». En cela, l‟activité n‟est pas isolée mais fait bien le lien entre le sujet et
le collectif. L‟auteur distingue l‟activité réalisée du réel de l‟activité permettant
ainsi la prise en compte de la dimension subjective. Ainsi, selon Clot (2006, p.
119), l‟activité ne peut se réduire à « ce qui se fait » mais concerne aussi « ce
qui ne se fait pas, ce qu‟on ne peut pas faire, ce qu‟on cherche à faire sans y
parvenir – les échecs-, ce qu‟on aurait voulu ou pu faire (…) Il faut ajouter –
paradoxe fréquent – ce qu‟on fait pour ne pas faire ce qui est à faire ou encore
ce qu‟on fait sans vouloir le faire ». Nous voyons bien ici, à travers cette
définition du réel de l‟activité, émerger la question des capacités et des
possibilités d‟agir du sujet. Comme l‟indique Kostulski (2010, p31), « le
pouvoir d‟agir au travail est une clé de voûte de la santé et de l‟efficacité ».
Aussi, l‟introduction du système de la tarification à l‟acte tend à
rigidifier la prescription relative au respect de l‟application des prescriptions et
protocoles mis en place par le médecin, ce qui risque d‟entraîner une diminution
du pouvoir d‟agir dont les conséquences peuvent se traduire par des effets
négatifs sur la santé et l‟efficacité des soignants. Nous voyons en cela que la
T2A peut être source d‟empêchement.
3.2.3 Activité empêchée et pouvoir d‟agir
Tout d‟abord, pour comprendre ce qu‟est une « activité empêchée »
(Clot, 2008), revenons sur la notion de pouvoir d‟agir. Selon Rabardel (2005, p.
19), le pouvoir d‟agir « dépend des conditions externes et internes au sujet » à
un moment donné. Autrement dit, le pouvoir d‟agir dépend non seulement de
facteurs propres au sujet lui-même, mais aussi d‟autres facteurs, tels que la
situation, le lieu, le temps, l‟environnement etc. Rabardel (2005, p. 19) parle
ainsi de « champ du temporellement et localement situé ». En reprenant
« l‟établi » de Linhart, Rabardel (2005) montre que, malgré la conservation des
capacités d‟agir, la perte du pouvoir d‟agir (amputation) de Demarcy se trouve à
l‟origine de sa souffrance.
Clot (2008, p. 13) vient compléter cette définition du concept de
pouvoir d‟agir. Selon lui, il « mesure le rayon d‟action effectif du sujet ou des
332
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
sujets dans leur milieu professionnel habituel, ce qu‟on peut aussi appeler le
rayonnement de l‟activité, son pouvoir de recréation ». Ainsi, le pouvoir d‟agir
réfère donc à l‟ensemble des éléments nouveaux apportés par le sujet et qui
contribuent, de ce fait, à la recréation de son activité. Toutefois, il convient de
noter que dans certaines situations, le sujet ne peut exprimer pleinement sa
créativité, comme l‟entend Clot. Dans ce cadre, le sujet verra son pouvoir d‟agir
limité et son « activité empêchée ».
Comme nous l‟avons mentionné ci-dessus, l‟activité réalisée se
distingue du réel de l‟activité c'est-à-dire « les activités suspendues, contrariées
ou empêchées, les contre-activités qui l’empoisonnent ou l’intoxiquent font
partie de l’activité » (Clot, 2005, p.6).
Aujourd‟hui, certaines organisations définissent ce qui est à faire par le
sujet, sans leur donner les moyens nécessaires à cela. Le sujet se trouve alors
devant une impossibilité : même s‟il veut faire ce qui est à faire, il ne le peut
pas. Comme l‟énonce Clot (2006), ces « organisation(s) du travail (…) les
prive(nt) des moyens d‟exercer les responsabilités qu‟ils assument malgré tout
(…) ». En ce sens, l‟activité se trouve être une réelle épreuve pour le sujet qui
se voit sans cesse confronté au conflit, entre vouloir et pouvoir, et donc, entre le
possible et l‟impossible. En effet, celui-ci se trouve continuellement tiraillé
entre ce qu‟il veut faire et ce qui lui est possible de faire. Ainsi, comme
l‟énonce Clot (2006, p. 121), le réel constitue le « croisement d‟activités parfois
rivales » source de conflits que le sujet cherchera sans cesse à dépasser.
L‟individu se devra de composer avec celles-ci, bien qu‟elles puissent être
cause d‟une diminution de son pouvoir d‟agir.
Sznelwar & al. (2006, p. 28-29) abordent la notion d‟empêchement
comme « [..] un processus qui rend l‟action difficile, la paralyse, la bloque, qui
obstrue, inhibe ou fait obstacle à l‟exécution d‟une action. Le concept
d‟empêchement s‟applique quand le sujet n‟a pas d‟autre choix sinon celui de
céder, de s‟arrêter de faire, de s‟arrêter de « fonctionner », de s‟arrêter « d‟être
» ». Comme le dit Lhuilier (2006, p. 197) « l‟empêchement de l‟activité est plus
fondamentalement privation du pouvoir de l‟action ».
Selon les organisations et leur organisation du travail, il n‟est pas
toujours possible, pour le sujet, de faire preuve de créativité, non pas que celuici n‟en n‟ait pas les capacités, mais c‟est bien souvent la situation qui ne le lui
permet pas. Dans ce cadre, comme le précise Clot (2006,p.4), en citant la
critique du Taylorisme faite par Wallon (1932-1976), « en amputant l‟homme
de son initiative, on l‟ampute d‟une grande partie de ses disponibilités qui laisse
dans le silence toute une série d‟activités nécessaires ». Il s‟agit d‟une
amputation de son pouvoir d‟agir. L‟homme est un être créatif, aux
compétences multiples, pour qui l‟activité constitue un moyen de mettre en
œuvre ses capacités d‟agir et de développer sa créativité. En être privé
représente de ce fait, une amputation du pouvoir d‟agir. Lorsque le sujet se
trouve amputé de son pouvoir d‟agir, l‟activité va, pour lui, perdre de son sens.
333
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
Clot (2008, p. 13) établit ainsi un lien direct entre sens de l‟activité et pouvoir
d‟agir du sujet. Selon lui, « vidée de son sens, l‟activité du sujet se voit amputée
de son pouvoir d‟agir quand les buts de l‟action entrain de se faire sont déliés de
ce qui compte réellement pour lui et que d‟autres buts valables, réduits au
silence, sont laissés en jachère ».
3.3 Problématique
Dans le cadre de cette réforme du système de santé français, ce nouvel
outil de gestion de l‟activité, T2A, n‟est pas sans conséquence sur l‟organisation
du travail des soignants. Comme nous l‟avons abordé dans les parties dédiées à
la position du problème et aux apports théoriques, la T2A entraîne une
codification des actes qui semble accentué le respect des prescriptions et des
protocoles mis en place. L‟objectif de cette première étude est de voir si le
système de tarification à l‟activité, entraînant un turnover important du nombre
de patients, semble engendrer une réorganisation du travail infirmier, qui de ce
fait, se trouve face à une intensification de son activité de soins (technique) et à
un empêchement de son activité relationnelle avec le patient.
4. Etude
4.1 Présentation du terrain
4.1.1 Description du lieu d‟investigation
Afin de tester notre hypothèse, nous sommes intervenus au sein d‟un
établissement hospitalier PSPH (Participant au Service Public Hospitalier) du
Nord-Pas de Calais. Il s‟agit d‟un organisme du secteur privé à but non lucratif,
régi par la loi du 1er juillet 1901, et qui donc relève de la Convention Collective
F.E.H.A.P. (Fédération des Etablissements Hospitaliers et d‟Aide à la
Personne). En tant que tel, l‟établissement allie missions d‟intérêt général et
d‟utilité sociale, tout comme dans le secteur public. Il convient de préciser que
même si l‟établissement se trouve géré par un mode de gestion privé, il reçoit
des financements de l‟état et se voit soumis au même mode d‟allocation du
budget que les hôpitaux publics (passage du système de dotation globale au
système de tarification à l‟activité).
4.1.2 Description de la population
Nous avons mené notre recherche sur un échantillon de 20 infirmiers en
horaires postés (matin et après-midi). Notre population se compose de 16
femmes et 4 hommes, âgés entre 26 à 56 ans.
4.1.3 Méthodologie
Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs dont l‟objectif est de
décrire l‟activité des infirmiers et d‟identifier les changements introduits par le
système de tarification à l‟acte et leurs effets sur l‟organisation du travail.
334
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
L‟analyse utilisée est une analyse de contenu suivant les principes
méthodologiques proposés par Bardin (2001). Comme l‟indique l‟auteur (2001,
p. 136), en citant Berelson (1971), «le thème correspond à une affirmation sur
un sujet. C'est-à-dire une phrase, ou une phrase composée, habituellement un
résumé ou une phrase condensée, sous laquelle un vaste ensemble de
formulations singulières peuvent être affectée ». Dans le cadre de notre étude,
l‟analyse thématique consistera donc à relever des «noyaux de sens», tel que le
précise Bardin (2001, p. 137). Nous nous baserons sur le postulat selon lequel
«l‟importance d‟une unité d‟enregistrement croit avec sa fréquence
d‟apparition» (Bardin, 2001, p. 140). Autrement dit, le nombre d‟apparition
d‟un thème dans le discours du sujet est représentatif de l‟importance que ce
dernier lui attribue. Il s‟agit ici d‟une analyse thématique quantitative
(fréquence d‟apparition du thème). Afin de réaliser l‟exploitation de notre
matériel, il nous faut tout d‟abord identifier nos catégories sémantiques. Trois
catégories sont identifiées comprenant chacune des sous-catégories pouvant être
décomposées. La première catégorie comprend les types de prescriptions,
l‟organisation du travail, les tâches et l‟intensification. La seconde catégorie
correspond au pouvoir d‟agir. Il s‟agit ici de rechercher dans le discours des
infirmiers les éléments qui renvoient à ce concept. Ce qui diffère de la manière
dont il est étudié en clinique de l‟activité. Cette catégorie est composée des sous
catégories suivantes : ressources, diminution du pouvoir d‟agir et
«redéveloppement» du pouvoir d‟agir. Un troisième catégorie est identifiée et
concerne les pistes d‟amélioration.
4.2 Principaux résultats
Nous présenterons dans cette partie, les principaux résultats obtenus
suite à l‟analyse de contenu ainsi réalisée.
Après avoir procédé à une retranscription des entretiens et à leur
analyse, nous constatons que les verbalisations concernent majoritairement la
description de l‟activité (52,34%), les éléments relatifs au pouvoir d‟agir
(45,66%) et puis de manière moindre les propositions d‟amélioration (1,99%,
tableau n°1). Cette dernière catégorie, étant peu représentée, nous n‟en
proposerons pas ici dans cet article, un exposé détaillé.
Tableau 1 : Répartition des verbalisations par catégories principales (pourcentage)
Description de l‟activité
Pouvoir d‟agir
Propositions d‟amélioration
52,34%
45,66%
1,99%
Pour la catégorie « description de l‟activité, nous constatons que
50,72% des verbalisations concernent l‟organisation du travail et 30,40%
renvoient aux tâches. Pour la catégorie « pouvoir d‟agir », les thèmes
335
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
apparaissant le plus sont la diminution/amputation du pouvoir d‟agir (52,77%)
et les ressources (37,24%). Ces résultats apparaissent dans le tableau n°2, ciaprès.
Tableau 2 : Répartition des verbalisations par sous-catégories (pourcentage)
Description de l’activité
Pouvoir d’agir
Types de prescriptions
Organisation du travail
Tâches
Intensification
Ressources
Diminution/amputation
Développement
6,48%
50,72%
30,40%
12,39%
37,24%
52,77%
9,99%
Le tableau n°3 reprend en détail les fréquences d‟apparition des thèmes
par sous-sous catégories.
Tableau 3 : Répartition des verbalisations par sous sous-catégories (pourcentage)
Description
de l’activité
par le sujet
Les types de
prescriptions
Organisation
du travail
Tâches
Intensification
Prescriptions
tayloriennes
Prescriptions floues
Durées d‟hospitalisation
plus courtes
Turnover
Rentabilité
Productivité/Exigence
quantitative
Rythme de
travail/cadence
Contexte
Pénibilité/fatigue/usure
Actions
Buts/motifs
Aléas/imprévus/
interruptions
Augmentation de
l‟activité technique
Augmentation de
l‟activité administrative
336
27,78%
72,22%
44,55%
13,35%
19,74%
20,31%
23,58%
6,25%
12,22%
74,64%
17,54%
7,81%
77,91%
22,09%
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
Ressources
Pouvoir
d’agir
Ressources internes
Ressources externes
Diminution du
pouvoir d‟agir
Sources
Répercussions
« Redéveloppement du
pouvoir
d‟agir »
Résignation
Heures supplémentaires
Gestion du temps
Fuite du personnel
Organisation entre
collègues
Connaissances
expérience
Appréciations
personnelles
Outils
Utilisation
Impossibilité de
soins
Impossibilité
relationnelle
Manque de
moyens
Relations avec
les médecins et
la hiérarchie
Pression
Qualité de la
prise en charge
Frustration/
Perte de sens
Dissolution du
collectif
26,91%
73,09%
69,80%
30,20%
8,21%
42,29%
12,94%
22,64%
13,93%
45,15%
47,26%
7,59%
35,54%
7,43%
28,10%
11,57%
17,36%
Tout d‟abord, revenons sur le détail des résultats de la catégorie
« description de l‟activité ». Concernant les types de prescriptions, nous
trouvons davantage de verbalisations concernant les prescriptions floues
(72,22%) que de prescriptions tayloriennes (27,78%). Pour l‟organisation du
travail, les thèmes émergeant des discours sont (i) le rythme de travail et la
cadence (23,58%), (ii) la productivité (20,31%), (iii) la rentabilité (19,74%) et
le turnover (13,35%) comme l‟illustre les exemples du tableau n°4.
Tableau 4 : Exemples de verbalisations pour les thèmes rythme de travail
et cadence, productivité et rentabilité.
Rythme de
travail/
cadence
«Faut toujours aller plus vite, plus vite…, avant la T2A, c’était pas comme
ça quand même hein… moins en tout cas, ça c’est sur » ; « faut aller vite ».
Productivité
« Il faut enchainer, en fait » ; « on a de plus en plus l’impression d’être à
l’usine, de faire du travail un petit peu à la chaine » ; « ils nous demandent
de produire, produire, toujours produire, toujours plus… »
« Maintenant, le message de la direction, c’est… ouais soigner certes mais
Rentabilité
337
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
faut qu’on ramasse de l’argent pour faire vivre l’établissement » ; « avant,
y’avait pas toute cette stratégie pour gagner de l’argent…maintenant, vous
savez, l’hôpital c’est une véritable entreprise hein… »
«Un lit ça refroidit pas ici, vous comprenez ce que je veux dire, un lit vide
est un lit réoccupé euh… automatiquement, quoi… » ; « Là, ça va… ça
vient… ça fait que ça…».
Turnover
Concernant l‟intensification de l‟activité, les thèmes verbalisés par les
infirmiers sont relatifs à l‟augmentation de l‟activité technique (77,91%) et de
l‟activité administrative (22,09%). Les exemples de verbalisations sont indiqués
dans le tableau n°5.
Tableau 5 : Exemples de verbalisations pour les thèmes augmentation de
l’activité technique et de l’activité administrative
Augmentation
Activité technique
Augmentation
Activité
administrative
« Nous, on a plus de boulot au niveau soins… » ; « Au niveau des soins,
y’en avait beaucoup moins, même au niveau des pansements… »
« On est de plus en plus pris par les charges administratives… avec
toutes les entrées, les sorties…».
Pour la deuxième catégorie « pouvoir d‟agir », nous avons catégorisé
les éléments se rapportant à ce concept. Il ressort les éléments suivants.
Concernant le thème des ressources, 73,09% des verbalisations portent
sur les appréciations personnelles en tant que ressources internes et 69,80%
concernent les outils pour les ressources externes (cf. tableau n°6).
Tableau°6 : Exemples de verbalisations pour les thèmes ressources internes
et ressources externes
Appréciations
personnelles
Outils
« moi, je pense qu’on va vers une…, vers, on va dire, un avenir où je
ressens plus maintenant la médecine à deux vitesses, je ressens ça… et
je trouve aussi qu’on demande à faire de la santé quelque chose de
financier, un peu du business… »
« dossiers d‟entrée» ; « dossier de soins» ; «tensiomètres électroniques
» ; «pieds de perf »
Les sources de diminution que nous avons relevées à travers les
verbalisations des infirmiers sont relatives à l‟impossibilité relationnelle
(42,29%), les relations avec les médecins et la hiérarchie (22,64%), la pression
(13,93%) et le manque de moyens (12,94%). Des exemples de verbalisations
sont présentés dans le tableau ci-dessous.
Tableau 7 : Exemples de verbalisations pour les thèmes sources
de diminution du pouvoir d’agir.
Impossibilités
relationnelles
Relations médecins et
« on a une grosse grosse activité aussi et donc on n’a plus de temps à
consacrer pour le patient, fin pour discuter, je veux dire
« nous, on n’a pas tant de poids que ça au niveau paramédical par
338
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
rapport à la T2A, c’est les médecins qui nous dictent ce qu’ils veulent…
nous, on a rien à dire… » ; « tous les médecins sont comme ça, « j’ai
prescrit quelque chose, ça doit être fait tout de suite » ; « on se fait
forcément un peu engueulé si ça va
pas mais… ce qui a c’est que c’est sans forcément chercher à savoir
pourquoi ça n’a pas été fait… » ; « les médecins ne cherchent pas à
savoir pourquoi on a eu ce souci là… »
hiérarchie
A travers les verbalisations des infirmiers, nous avons identifié le thème
répercussions (cf. tableau n°8) qui comprend la frustration/perte de sens
(47,26%) et la qualité de la prise en charge (45,15%).
Tableau 8 : Exemples de verbalisations pour le thème répercussions
de la diminution du pouvoir d’agir.
Frustration/perte
sens
de
Qualité de la prise en
charge
« des fois, on rentre chez nous, on a l’impression d’avoir fait entre
guillemets du boulot de merde, et on le sait et on sait que demain on
reviendra et on refera ce même boulot de merde » ; « c’est un petit peu
dépersonnalisé, ça a plus de sens » ; « on s’y retrouve de moins en
moins » ; « des fois, je me dis pourquoi j’ai fait
ce métier là si c’est pour faire de la production »
« parfois, vous savez y’a des gens qui sortent, qui devraient encore
rester hein…, qui sont pas guéris et qui vont récidiver hein…, qui
reviennent 15 jours après, puisque y’a un temps alloué alors c’est
tout… » ; « la qualité n’y est plus » « les gens dès qu’ils sont plus ou
moins stabilisés au niveau des soins, faut directement les faire
sortir…mais c’est parfois trop tôt… »
Pour terminer, pour le thème « redéveloppement » du pouvoir d‟agir
(cf. tableau n°9), les éléments en lien concernent notamment les sous-thèmes
résignation (35,54%) et gestion du temps (28,10%).
Tableau 9 : Exemples de verbalisations pour le thème redéveloppement
du pouvoir d’agir.
Résignation
Gestion du temps
«alors des fois, on abandonne… » ; « On dit plus rien, on fait…fin on essaie de
faire et puis c’est tout… » ; « Mais bon…après c’est comme ça et puis c’est
tout»
«ben ce que je fais souvent, c’est que j’essaye de me dépêcher en début de
poste…comme ça à la fin de mon poste, j’essaie de garder un peu de temps pour
mes patients… »
Pour résumer, les éléments importants relevés dans le discours des
infirmiers sont relatifs à des changements au niveau de l‟organisation du travail
(cadence, rythme, productivité, rentabilité et turnover). Les infirmiers indiquent
une intensification de leur activité qui se traduit par une augmentation de
l‟activité technique. L‟activité relationnelle avec le patient se trouve empêchée.
Les répercussions identifiées dans les verbalisations sont la frustration, la perte
de sens et une perte de la qualité de la prise en charge.
339
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
Conclusion
Notre étude est exploratoire et descriptive. Les résultats ainsi obtenus
apportent des éléments allant dans le sens de notre questionnement qu‟il nous
faut continuer de travailler dans les études à venir. L‟introduction de la T2A en
tant qu‟outil de gestion amène une réorganisation de l‟activité de soins en
suivant un cadre prescriptif s‟appuyant sur des principes tayloriens. Comme
l‟indique De Montmollin (2002, p. 99), « les hôpitaux (…) produisent des biens
et des services en suivant des procédures, le plus souvent efficace, qui
n‟empruntent rien, ou si peu, au discours des sciences humaines et sociales.
Persistance du Taylorisme dans sa pureté d‟origine ? Non, mais persistance du
cadre théorique, oui ». De même, comme le souligne Linhart (2004, p. 58)
«enserré dans des logiques comptables qui restent taylorienne, l‟organisation du
travail, son évolution, sa gestion et son contrôle se font à partir d‟une rationalité
quantitative qui décompose et saisit chaque activité séparément. Cette logique
ne disparaît pas, loin de là, elle s‟étend à des secteurs qui n‟en relevait pas
auparavant comme les hôpitaux ».
Cette logique de gestion n‟entraine t-elle donc pas des tensions et des
contradictions dans les systèmes d‟activité (Demarey &al., 2010) comme celle
du soin. Notamment, l‟impossibilité relationnelle et la baisse de la qualité de la
prise en charge s‟en trouve renforcées. Frustration et perte de sens sont à
regarder sous l‟angle de la diminution du pouvoir d‟agir des sujets (Clot, 2008).
Cette dernière n‟est pas sans conséquence sur le sujet et son activité. Comme le
souligne Ricoeur (1990, p. 223), « la souffrance n‟est pas uniquement définie
par la douleur physique ou mentale mais par la diminution, voire la destruction
de la capacité d‟agir, du pouvoir faire, ressenti comme une atteinte à l‟intégrité
de soi ». Il s‟agit d‟une « impuissance à dire, à faire, à raconter et à s‟estimer.
C‟est un empêchement ».
Références
Barabanchtchikov V. (2007). La question de l‟activité dans la psychologie russe. In V.
Nosulenko & P. Rabardel (Eds), Rubinstein aujourd‟hui. Nouvelles figures de l’activité
humaine. Paris : Octarès.
Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu (10ème éd.). Paris : Presses Universitaires de France
Bobillier Chaumon M. (2003), Evolutions techniques et mutations du travail : émergence de
nouveaux modèles d‟activité. Le travail humain 2003/2, Volume 66, p. 161-192.
Brangier, E. & Hammes, S. (2007). Comment mesurer la relation humain-technologieorganisation? Elaboration d‟un questionnaire de mesure de la relation humain-technologieorganisation basée sur le modèle de la symbiose. Pistes, vol. 9 N°2.
http://www.pistes.uqam.ca/v9n2/articles/v9n2a4.htm.
Caroly, S. (2007). Les mutations du travail face aux défis technologiques : quelles incidences
sur la santé? Pistes, vol. 9 N°2. http://www.pistes.uqam.ca/v9n2/articles/v9n2a5.htm.
Clot, Y. (2005). Pourquoi et comment s‟occuper du développement en clinique de l‟activité ?
Symposium ARTCO, 4-6 Juillet 2005, Lyon, 13p.
Clot, Y. (2006). La fonction psychologique du travail (5ème éd.). Paris: Presses Universitaires
de France
340
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Catherine Demarey & Julie Dal Pra
Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. PUF
Clot, Y. (2010). Pourquoi l‟activité dans la clinique du travail ? In Y. Clot & D. Lhuilier (Eds) :
Agir en clinique du travail. Collection Clinique du travail. Toulouse : Erès.
Clot, Y. & Lhuilier, D. (2010). Agir en clinique du travail. Collection Clinique du travail.
Toulouse : Erès.p.13-25.
Daniellou F. (2002). Le travail des prescriptions. 37ème Congrès de la SELF. « Nouvelles
formes de travail, nouvelles formes d’analyse », Aix en Provence, 9-16.
De Montmollin, M. (2002). Discours sur l’organisation du travail. Paris : L‟Harmattan
De Montmollin, M. (1995). Vocabulaire de l’ergonomie. Collection travail. Toulouse :
Octarès.
Demarey, C. & Danguy, M (A paraître). Le langage comme objet de prescription et de
production dans les centres d‟appels. In A-R. Galiano (Ed.) : La place du langage, de la
parole et du discours en psychologie : problématiques actuelles. Editions Desclée de
brouwer.
Demarey, C. & Legrand, JJ. (2010). Les entropies au travail ? Vers une ébauche d‟une
élaboration multidimensionnelle de l‟entropie. 16ième Congrès de l’Association
internationale de Psychologie de langue française : le travail dans tous ses états. 6-9 juillet
2010, Lille, France.
Demarey, C., & Poupeville, J.(2008). De la micro-organisation vers la macro-organisation de
l‟activité. Symposium : La nouvelle entropie des organisations : une nécessaire
compréhension, 15ième Congrès de l'Association internationale de psychologie du travail
de langue française : entre tradition et innovation, comment transformons-nous l'univers
de travail? 19-22 août 2008, Laval, Québec.
Duc, M, (2002). Le travail en chantier. Toulouse: Octarès.
Guérin F., Laville A., Daniellou F., Duraffourg J., Kerguelen A. (2006). Comprendre le travail
pour le transformer. La pratique de l’ergonomie. Paris: Editions ANACT
Hatchuel, A. (1996). Coopération et conception collective : variété et crises des rapports de
prescription. In E. Friedberg & G. de Terssac, Coopération et conception. Toulouse :
Octarès, 101-121.
Kostulski, K. (2010). Quelles connaissances pour l‟action en clinique du travail ? In Y. Clot &
D. Lhuilier. Agir en clinique du travail. . Collection Clinique du travail. Toulouse :
Erès.p27-38.
Leplat, J. (2000). L’analyse psychologique de l’activité en ergonomie : Aperçu sur son
évolution, ses modèles et ses méthodes. Paris : Octarès.
Lhuilier D. (2006). Cliniques du travail. Paris : Erès
Linhart, D. (2004). La modernisation des entreprises. Paris : La Découverte
Rabardel, P (2005).Instrument subjectif et développement du pouvoir d‟agir. In P. Rabardel &
P. Pastré (Eds.). Modèles du sujet pour la conception : Dialectique, activités,
développement. Toulouse : Octarès.
Ricoeur, P. (1990). Soi même comme un autre. Paris : Seuil
Schwartz, Y. (2007). Un bref aperçu de l‟histoire culturelle du concept d‟activité. Activités,
4(2), pp. 122-133. http://www.activites.org/v4n2/v4n2.pdf.
Six F. (2002). De la prescription à la préparation du travail ; la dimension sociale du travail.
Exemple du travail des compagnons et de l‟encadrement sur les chantiers du bâtiment.
37ème Congrès de la SELF. « Nouvelles formes de travail, nouvelles formes d’analyse »,
Aix en Provence, 121-133.
Sznelwar, L.I., Mascia, F.L., & Bouyer, G. (2006). L‟empêchement au travail : une source
majeure de TMS ? Activités, 3 (2), 27-44, http://www.activites.org/3n2/activites-v3n2.pdf
341
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
L’équipe paramédicale à l’hôpital psychiatrique :
Retentissement actuel d’une évolution de deux décennies
Analyse d’un entretien de supervision
The psychiatric hospital paramedic team:
Impact of Current Developments over two decades
Analyzing a supervisory meeting
Martine Batt* & Alain Trognon**2
* Université de Nancy2, Laboratoire Interpsy, GRC, [email protected]
**Université de Nancy2, Laboratoire Interpsy, GRC, [email protected]
Résumé
A l‟aube de la réforme de la formation des infirmiers en France, ce travail tente de faire
le point sur l‟évolution de l‟exercice de l‟infirmier et de l‟insertion des aides-soignants
dans les services d‟hospitalisation psychiatrique. Postulant que l‟interaction est une
interface ouverte sur l‟individu d‟un côté et sur les systèmes collectifs de l‟autre, les
auteurs abordent leur étude par l‟analyse d‟un entretien de supervision d‟une équipe
soignante d‟une institution hospitalière psychiatrique.
Abstract
At the advent of the reform of nursing education in France, this study attempts to give
an overview of changes in the work practices of nurses and the employment of nurse‟s
aides in psychiatric wards of hospitals. Based on the assumption that interaction acts as
an interface between the individual on one side and collective systems on the other, the
authors approach this issue by analyzing a supervisory meeting of a caregiving team in
a psychiatric hospital.
Mots-clés : équipe paramédicale, infirmière psychiatrique, aide-soignant, analyse de
discours
Key-words : Psychiatric hospital paramedic team, healthcare assistant, discourse
analysis
2
Nous remercions Anne-Sophie Collinet, Sophie Delaire, Karene Barotte et Elise Diana pour leur
relecture de cet article. Ces personnes n‟appartiennent pas à l‟équipe enregistrée.
342
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
1. Introduction
En 2010, alors qu‟en France la psychiatrie de secteur fête ses 50 ans 3, la
logique d‟une offre thérapeutique extrahospitalière aux personnes présentant
une pathologie mentale s‟est imposée avec la création des CMP, CATTP,
hôpitaux de jour, appartements thérapeutiques, maisons communautaires, et –
depuis moins de dix ans– hospitalisations à domicile4 (Martin, 2000 ; Pascal,
Simonnot & al., 2003 ; Semal & Revillon, 2009). L‟équipe paramédicale joue
un rôle prépondérant dans le succès de cette articulation d‟une offre de soin
avec une insertion sociale individualisée du patient. Pour remplir ses missions,
l‟équipe soignante a su s‟adapter à un système pour lequel sa formation ne
l‟avait pas forcément préparée. En effet, défendant le point de vue d‟une
approche holistique de la personne, qui associerait les dimensions somatique et
psychique qui la constituent, une décision politique et administrative a été
arrêtée quant à la prise en charge de la maladie mentale, il y a un peu moins
d‟une vingtaine d‟années, en France, en fusionnant les diplômes d‟infirmier de
secteur psychiatrique et d‟infirmier de soins généraux. Cette décision, dont nous
ne cessons d‟observer les retombées relativement fortes qui se sont produites
dans la réalité de leur mise en œuvre, au sein même des équipes de soins, aussi
bien sur le plan organisationnel que technique et interindividuel, a eu des effets
dont certains iront jusqu‟à affirmer qu‟ils ont ébranlé le fonctionnement de
l‟hôpital psychiatrique : « il y a une destruction véritable du champ même de la
psychiatrie. La suppression du diplôme d‟infirmier psychiatrique, c‟est le plus
gros scandale de ce siècle. » (Oury, 1998).
Nous choisissons d‟aborder les questions soulevées par cette réforme, à
travers « une parole dans l‟interaction » (Goffman, 1983) car nous considérons
qu‟elles relèvent de relations interindividuelles en tant qu‟elles incarnent les
institutions sociales concernées. C‟est ainsi que nous procéderons à l‟analyse
d‟un entretien de supervision d‟une équipe paramédicale d‟un centre hospitalier
psychiatrique. Notre exposé se déroulera en deux parties. Nous analyserons,
dans un premier temps, la technique d‟animation qui a été mise en œuvre et le
profil interactionnel de l‟entretien de groupe tel qu‟il s‟est montré au cours de
cette première séance de supervision. Puis, dans un second temps, nous
procéderons à une analyse des contributions essentielles à la révélation des
phénomènes propres à ce genre d‟équipe. Pour ce faire, nous nous situerons aux
niveaux 2, 3 et 4 de Doise (1982, 1999) ; nous observerons ainsi les différentes
positions des agents concernés (Niveau 3), interdépendants d‟un système
sociétal (niveau 4) qui façonne leur activité. A travers les processus
interactionnels en jeu (niveau 2), nous ferons émerger « les systèmes de
3
Le 15 mars 1960, l‟idée de Secteur prend forme avec une circulaire qui s‟est traduite par un
mouvement de désinstitutionalisation à partir de 1970.
4
Cf. Circulaire DHOS/O n° 2004-44 du 4 février 2004 rappelant le rôle et les objectifs de
l‟hospitalisation à domicile.
343
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
croyances, de représentations, d‟évaluations et de normes sociales » (Doise,
ibidem) de ce prototype d‟équipe. Notre travail consistera à répondre aux
questions suivantes 5 : quelles sont les spécificités de la situation de
communication dans lesquelles cet entretien s‟est déployé ? Par quels processus
les échanges interlocutoires se sont-ils réglés ? Avec quels effets ? Quels
phénomènes socio-cognitifs ont-ils fait émerger ? Comment les interpréter ?
2. Les transformations dans les équipes de soins des secteurs hospitaliers
psychiatriques
Tout d‟abord, rappelons l‟organisation hiérarchique des paramédicaux.
Le cadre supérieur de santé subordonne plusieurs équipes paramédicales. Le
supérieur hiérarchique direct de chaque équipe est le cadre de santé –un
infirmier qui a une formation complémentaire de neuf mois. Une équipe est
composée d‟agents des services hospitaliers (ASH : récemment nommé
« employé polyvalent de collectivités »), et d‟une équipe soignante constituée
d‟aides-soignants et d‟infirmiers. Les ASH s‟occupent de l‟entretien des sols et
distribuent les repas –notons qu‟ils ont tendance à disparaître des services
hospitaliers, le plus souvent remplacés pour l‟entretien des sols par des
employés d‟entreprises privées contractuelles. Les aides-soignants n‟ont pas de
rôle propre, leur affectation se situe en creux entre les ASH et les infirmiers.
Plus les soins requièrent un haut niveau de technicité (comme dans les services
de réanimation, soins intensifs, néonatalogie, etc.), plus l‟organisation
hiérarchique de l‟équipe est marquée et inversement. C‟est ainsi que dans les
secteurs hospitaliers de long séjour ou certaines unités de psychiatrie qui
s‟apparentent à des lieux de vie, les distinctions entre les aides-soignants et les
infirmiers sont ténues.
L‟évolution de la profession d‟infirmier psychiatrique
Depuis sa création en 18786 jusqu‟à très récemment 7, la formation des
infirmiers français a régulièrement été confrontée à de profondes modifications,
souvent rendues nécessaires par de solides avancées scientifiques, aussi bien
théoriques que techniques, qui, progressivement, sont venues transformer les
missions des professionnels de terrain. Le législateur a constamment
accompagné ces changements 8. En outre, en réformant le programme des
5
Notons que ces questions sont celles auxquelles la psychologie sociale de l‟usage du langage
tente de répondre de manière générale (cf. Bromberg & Trognon, 2004 ; Olry-Louis, 2009).
6
Création de l‟école d‟infirmiers de « l‟asile de la Salpêtrière ».
7
Cf. Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d‟état d‟infirmier (J.O. du 7 aout 2009).
8
En 1922, le titre d‟infirmier diplômé de l‟état français est créé. En 1955, l‟arrêté du 23 juillet
réglemente le premier diplôme pour les infirmiers des hôpitaux psychiatriques, sanctionnant une
formation de deux ans. En 1969, le titre d‟infirmier de secteur psychiatrique est entériné.
344
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
études conduisant au diplôme d‟état d‟infirmier, le Décret du 23 mars 1992 (et
l‟Arrêté du 30 mars de la même année) a tout particulièrement marqué
l‟exercice de la profession en mettant fin aux études séparées d‟infirmier
diplômé d‟état en 3 années et d‟infirmier de secteur psychiatrique en 33 mois.
Alors qu‟auparavant, il n‟était reconnu à ce dernier qu‟un champ de
compétences limité aux seuls lieux d‟exercice luttant contre les maladies
mentales, à partir de 1992, un diplôme d‟état unique assurait la polyvalence de
la fonction. Parallèlement, des mesures étaient aménagées pour les infirmiers de
secteur psychiatrique déjà diplômés ; ils pouvaient obtenir, grâce à un stage de
trois mois dans certains services de soins de l‟hôpital général, une équivalence
du diplôme d‟état d‟infirmier. L‟inverse n‟était pas prévu : un infirmier de soins
généraux pouvait tout à fait venir exercer son métier en psychiatrie sans autre
formation. C‟est ainsi qu‟une décennie de difficultés rencontrées par les
infirmiers venus exercer en psychiatrie a fini par déclencher une enquête
gouvernementale lancée auprès des Instituts de Formation en Soins Infirmiers
(IFSI), laquelle débouchait sur la mise en œuvre d‟une formation de base
nécessaire aux soins psychiatriques. Un dispositif faisant appel à des référentstuteurs confié au personnel infirmier expérimenté fut inventé à la suite de la
présentation d‟un rapport, commandé par la Direction Générale de la Santé, au
Comité Consultatif de santé mentale en avril 2002 9. Par la suite, le plan
« psychiatrie et santé mentale 2005-2008 » identifiait comme une priorité la
mise en place d‟un agencement visant un renforcement de la formation initiale
et continue des infirmiers exerçant en psychiatrie, et, par là même, une
meilleure adaptation des infirmiers nouvellement diplômés et prêts à exercer
leur métier sur le terrain de la psychiatrie10.
L‟insertion des AS dans les équipes du secteur psychiatrique
Comme l‟aide-soignant, partenaire majeur de l‟équipe soignante, n‟a
pas de rôle propre11, il n‟existe pas de référentiel métier qui précise un
inventaire d‟actes qui lui sont spécifiquement attribués. Néanmoins, l‟aidesoignant doit disposer de compétences 12 permettant de contribuer à une prise en
charge globale des personnes, à leur éducation et à celle de leur entourage, en
9
Cf. Circulaire DGS/DHOS n° 2003-366 du 10 juillet 2003 relative à la mise en œuvre des
enseignements concernant la santé mentale prévus par l‟Arrêté du 30 mars 1992 relatif au
programme des études conduisant au diplôme d‟Etat d‟infirmier. Date d‟application : immédiate.
10
Cf. Circulaire DGS/DHOS n° 2006-21 du 16 janvier 2006 à la mise en œuvre du tutorat pour les
nouveaux infirmiers exerçant en psychiatrie.
11
Le métier d‟aide-soignant est défini réglementairement par le décret n° 89-241 du 18 avril 1989
modifié.
12
Le Diplôme Professionnel d‟Aide-Soignant (D.P.A.S.), diplôme de catégorie V, valide une
formation de 10 mois. Cf. Arrêtés du 22 octobre 2005 (J.O. du 13 novembre 2005), du 8 février
2007 (J.O. du 17 février 2007) et Circulaire DGS du 19 février 2007 et Décret n°2007-1301 du 31
août 2007.
345
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
liaison avec les intervenants d‟une équipe pluridisciplinaire13. Trois grandes
missions lui sont attribuées 14: collaboration avec l‟infirmier dans la
surveillance, collaboration dans l‟aide apportée au patient et dans l‟hygiène. Il
apparaît ainsi que les actions que doit accomplir l‟aide-soignant dépendent
complètement de celles de l‟infirmier, sous la responsabilité de qui il est
directement placé. Il dispose de très peu d‟autonomie dans les soins à apporter
au patient, même si, en pratique, on observe une évolution positive de son
métier, forcément liée à la diminution constante du nombre d‟infirmiers
(Venuat, 2009). C‟est d‟ailleurs pour cette même raison que l‟on assiste à son
implantation grandissante en psychiatrie, laquelle, finalement, n‟est pas très
surprenante si l‟on considère que le rôle de base de l‟aide-soignant est l‟accueil,
l‟aide aux soins, et l‟observation. En effet, il va de soi que c‟est l‟observation et
l‟écoute réalisées par l‟équipe soignante, dans son entier, qui gouverne
prioritairement la réflexion qui fonde le projet global du patient.
Ces catégories de professionnels sont représentées par le groupe concerné par la
supervision que nous allons étudier dès à présent.
2. La supervision
La demande de supervision
Les groupes de supervision ont été conçus dès leur origine, par Balint,
pour effectuer un « retour sur expérience [devant] permettre à chacun, grâce aux
échanges avec les autres participants (leurs interprétations, critiques, questions),
mais également grâce aux éclairages fournis par l‟animateur, de découvrir des
aspects méconnus de sa pratique habituelle, notamment sa part dans le
processus, tout en construisant des représentations plus approfondies des
situations auxquelles il est confronté. » (Levy, 2002, p. 302). Il s‟agit d‟un
dispositif « de formation ou de perfectionnement fondé […] sur l‟analyse
d‟expériences professionnelles, récentes ou en cours, présentées par leurs
auteurs dans le cadre d‟un groupe composé de personnes exerçant la même
profession. [Ce dispositif] concerne en priorité des professions dont le point
commun est de répondre à des demandes d‟aide ou de soin (médecins et
psychiatres, personnels paramédicaux, psychologues cliniciens, analystes de
groupe, psychosociologues, formateurs, travailleurs sociaux, éducateurs,
enseignants) et pour lesquels la dimension relationnelle constitue un élément
central. » (ibidem).
13Arrêté du 22 juillet 1994.
14Cf. Circulaire DGS/DHOS n° 96-31 du 19 janvier 1996.
346
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
La séance de supervision qui va être examinée ici a réuni des membres
d‟une équipe soignante d‟un service d‟hospitalisation d‟un centre hospitalier
psychiatrique départemental. Sa mise en place faisait suite à une demande
adressée antérieurement à la direction de l‟hôpital par le personnel du pavillon
en fonction à l‟époque. D‟âpres discussions s‟étaient ensuivies avec la direction
qui proposait un autre type d‟intervention. Puis la demande était tombée dans
l‟oubli, pour revenir à l‟ordre du jour alors que l‟équipe s‟était, entre temps,
fortement renouvelée. C‟est là ce que souligne CA, le cadre infirmier de
l‟équipe, au début de l‟entretien transcrit intégralement :
CA = cadre, A = animateur, /…/ = période inaudible
(…)
CA2 : parce que en fin de compte, il y a eu deux temps. Il y a eu un temps,
donc, avant que j‟arrive il y avait eu une demande de supervision qui avait
été faite par l‟équipe, alors par des personnes de l‟équipe de l‟époque, mais
qui ne sont plus présentes, et puis l‟année dernière, à peu près à la même
époque, il y a eu tout un problème, au niveau des soins, il y a eu des
problèmes de violence, enfin, ça a été relativement loin, et euh, sur ce, la
demande de supervision a été remise en tout cas fortement à l‟ordre du
jour. Alors par contre, je tiens à spécifier, hein, parce que, euh, je pense
que vous étiez présents monsieur A, il y avait deux demandes qui n‟avaient
pas du tout les mêmes finalités
A3 : c‟est ça
CA3 : donc il faut absolument que les choses soient claires dès le départ, ce
n‟est pas une demande de l‟institution, c‟est une demande de l‟équipe,
c'est-à-dire que les objectifs ne sont pas du tout les mêmes, hein. Et ça il
faut que ce soit vraiment bien précisé, hein, parce que, euh, ça n‟a pas du
tout la même portée, quoi, hein. Parce que moi, j‟entendais encore hier,
quelques, il y en a qui disaient que c‟était une demande qui émanait de la
direction, non !
A4 : non
CA4 : il y a eu, ce n‟est pas du tout en tout cas ce qui était euh, donc là
c‟est une demande qui a été retravaillée, donc avec un certain nombre
d‟objectifs, avec Mme Chef de Service et moi-même. Avec des objectifs
vraiment centrés sur les pratiques, sur l‟analyse, sur le soin.
A5 : c‟est ça
CA5 : c‟est clair, net. Voilà.
(…)
Six soignants sont réunis autour d‟un animateur (A) : un cadre
infirmier (CA) ; trois infirmiers (IDE) : Irène (I), Jean (J) et Karine (K) ; une
aide soignante (AS) : Suzanne (S). Tous, sauf la cadre, sont nouveaux dans le
service. Irène et Jean exercent leur métier depuis de nombreuses années, mais la
première intègre pour la première fois une unité psychiatrique alors que le
second y a fait toute sa carrière. Karine et Suzanne sont, eux, de jeunes
diplômés.
347
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
La conduite de l‟entretien de supervision
C‟est selon une démarche utilisée en logique interlocutoire (Trognon &
Batt, 2007, 2010 ; Batt & Trognon, 2009, 2010) et en particulier à partir de la
théorie pragmatique des actes de langage (Searle & Vanderveken, 1985) que
nous analysons le travail réalisé par l‟animateur du groupe. Cette théorie
reconnaît cinq types d‟usage du langage : assertif (on décrit, on affirme, etc.) ;
directif (on pose une question, on exprime une requête) ; expressif (on traduit
un état psychologique) ; promissif (on s‟engage) et déclaratif. Pour compléter
cette première approche, nous nous rapportons à la théorie des questionsréponses développée par Hintikka (1976), car cet auteur aborde les questions
dans un cadre, la sémantique du jeu théorétique de dialogue, compatible dans
ses grandes lignes à celui que la logique interlocutoire tente de mettre en œuvre.
Parmi les interrogatives, Hintikka distingue les propositionnelles et les
catégorielles. Les premières sont les questions où le choix a trait à des
propositions ; on y compte les questions dont la réponse attendue est oui/non ou
les questions à choix multiples (par exemple : fromage ou dessert ?). Les
secondes sont des questions pour lesquelles le choix porte sur les valeurs d‟une
variable quantifiée (ce sont les questions du type qui ? quand ? où ? etc.). Alors
que les premières ont classiquement pour effet de clore la parole et abréger les
interactions, les secondes tendent, au contraire, à faire produire du discours à
l‟interviewé.
Les 79 interventions de l‟animateur ont été codées. Le tableau 1 et la
figure 1 indiquent comment ils se répartissent dans le détail (Tab. 1) et en
proportions (Fig. 1). On observe une majorité d‟actes assertifs (66,6% =
secteurs noirs de la figure 2) par rapport aux interrogatives (13,4%) et aux
requêtes (13,8% dont 12,6% indirectes). La plupart des interrogatives sont des
questions catégorielles (8,6% catégorielles vs 4,8% propositionnelles). Il faut
ainsi mettre en relation (i) la prédominance des relances assertives (26,3%) –
dont une grande majorité de reformulations sur les sentiments (18,8%), (ii) les
questions « ouvertes » et (iii) les invitations indirectes à s‟exprimer (les 4
étiquettes en italique sur la figure 2), avec une conduite d‟entretien visant la
production de vécus, ressentis, opinions et représentations des interactants,
d‟autant plus que, quelques soient les modes d‟intervention, les actes accomplis
sur le registre référentiel sont minoritaires. Il faut enfin souligner l‟importance
du métadiscours produit –plus de 40% des assertions– qui signale une activité
de régulation. Bref, comme on aurait pu s‟y attendre de la part de cet animateur
à la solide expérience de supervision de groupe, son activité réalise les trois
fonctions essentielles exigées par son rôle : les fonctions de production, de
facilitation et de régulation indispensables à la cohésion du groupe (Blanchet &
Trognon, 2008 ; Leclerc, 1999).
348
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
Tableau 1. Répartition des différentes catégories d’interventions de l’animateur
Expr.
Directifs
Assertifs
Occurrence dans la conversation
%
Reformulation des sentiments
18,8
Assertions à partir du discours de
Réitération discours sur état du monde 6,3
l‟autre
Réponses à des questions
1,2
18,4
Métadiscours sur l‟activité du Déductions Conclusions
groupe
Synthèse
21,9
1,2
Sur les sentiments
En oui-non
Sur un état du monde
2,4
Sur les contenus de
Questions
Disjonctives
1,2
pensée
Sur les contenus de
4,9
Catégorielle pensée
Sur un état du monde
3,7
Directe
Développer le discours
1,2
Invitations
Se présenter
1,2
Indirecte
Développer le discours 11,4
Phatique
3,7
Accord
2,4
Figure 1. Proportion des différentes interventions de l’animateur
349
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
Analyse des résultats quantitatifs
2.1.1.
Le contenu thématique et séquentiel
Dans la totalité de l‟entretien, sept catégories thématiques ont été
identifiées (accord inter-juges : 97% ; 78 juges15). Avec l‟énoncé pour unité de
comptage, nous mettons en évidence (Tab. 2) que le thème majoritaire est « la
place des aides-soignantes dans l‟équipe » (un quart de l‟entretien) puis, hormis
la présentation du cadre de l‟intervention, c‟est la question des locaux –local de
soins (18.9%) ou projet de salle de détente (17, 5%)– qui occupe la scène
conversationnelle, et, enfin, l‟organisation du travail (12,9%). En étudiant
l‟organisation interactionnelle de l‟entretien (Roulet & al., 1985), on constate
qu‟au fur et à mesure du déroulement de l‟entretien, 42 séquences
interactionnelles se sont développées (Tab. 3).
2.1.2.
La place dans l‟interaction
Considérant que la production individuelle d‟énoncés est un bon indice
de l‟espace conversationnel occupé par chaque interlocuteur, nous avons
comparé les quantités d‟énoncés de chaque membre du groupe (Tab. 2). On
observe que la participation des interactants à la réunion est très disparate. Par
ordre décroissant, cela donne : CA-(A/I)-J-K-S. Pour compléter l‟analyse des
conduites des locuteurs lors de leurs prises de parole, nous avons calculé le
rapport entre le nombre de tours de parole et le nombre d‟énoncés produits. On
observe ainsi que, par rapport à la moyenne du groupe (3,4), c‟est la cadre qui a
tendance à garder la parole le plus longtemps lorsqu‟elle lui est donnée (4,5),
puis l‟animateur (3,7), Irène (3,2) et Suzanne (3), et que ce sont Karine (2,4) et
Jean (2,3) qui font les interventions les plus brèves. L‟animateur, qui intervient
peu (sa contribution représente 21,8% de tout l‟entretien), s‟exprime beaucoup
au début de l‟entretien pour présenter la demande de supervision (61,4% de
l‟ensemble de ses interventions). Ce déséquilibre notable s‟explique par le fait
qu‟il s‟agit de sa première rencontre avec ce groupe, et que décrire l‟origine, le
contexte, le cadre organisationnel, les enjeux de son intervention constitue la
première étape, indispensable, de son animation. Notons la très faible
participation de Suzanne (3,1%), minoritaire même lorsqu‟est mis en débat le
rôle de l‟aide-soignante dans l‟équipe. Sur ce thème, ce sont les infirmiers les
plus prolixes (Karine : 48,2% ; Irène : 40,4% ; Jean : 36,2% vs Suzanne : 8,3%).
Cette forte contribution de Karine est d‟autant plus remarquable que, comme
Suzanne, elle ne participe qu‟à très peu d‟interactions (9/42, cf. Tab. 3) à
15
Les juges étaient des étudiants de L3 de psychologie.
350
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
l‟inverse d‟Irène qui contribue au plus grand nombre de discussions du groupe
(29/42).
Tableau 2. La participation interactionnelle des membres du groupe
Présentation contexte
A
CA Irène Jean Karine Suzanne Total
Animateur Cadre IDE IDE IDE
AS
61.4
1.5
5.4 6.5
0
0
20.7
0.8
0
Rôle des AS
0.3
19.5
Salle de détente
5.2
28.5
13
Local de soins
0.7
48.5
16.6
14
5.1
Total : énoncés (%)
21.8
34.2
Total : tours de parole (%)
20.2
25.9
22
Rapport : tours de
parole/énoncés
3.7
4.5
3.2
Thèmes (%)
Présentation participants
Organisation travail
10.8
5.7
5.8
27.7
5.6
40,4 36.2
48.2
8.3
24 .1
7.9
30.5
19.4
17.5
9.4
8.2
41.6
18.9
13.33 37.6
7
2.7
12.9
21.1 12.1
7.4
3.1
100
17.5
10.5
3.6
100
2.3
2.4
3
Tableau 3. Contribution des membres du groupe
aux séquences interactionnelles
Séquences (n)
Contribution (%)
Enoncés (n)
2.1.3.
Irène
29
69
626
Animateur
20
47,6
557
Cadre
18
42,8
484
Jean
18
42,8
381
Karine
9
21,4
265
Suzanne
7
16,6
149
Le flux interactionnel
Depuis les travaux de Sacks, Schegloff et Jefferson (1974), il est bien
établi que l‟organisation des tours de parole est « véritablement le produit d‟une
relation se déroulant à la fois sur un plan cognitif et sur un plan pratique »
(Ghiglione & Trognon, 1993, p. 111) entre deux locuteurs. En relevant
systématiquement les locuteurs courants et les locuteurs suivants de l‟entretien
(Cosnier, 1989, p. 234-235), nous avons identifié les relations qui s‟y sont
tissées.
264 relations duelles apparaissent (Tab. 4), où dominent, par leur
fréquence, les couples (n échanges) : A/CA (44) et I/CA (44), CA/J (32), K/I
(29) et I/J (26). Certaines relations sont rares comme J/S (1) et K/S (1), S/CA et
A/K (2), S/I (3) et J/K (5). Une étude complémentaire met en évidence deux
triades (I/J/A, I/J/CA) et un quatuor (I/K/S/A).
351
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
Tableau 4. Le flux interactionnel
Animateur
Cadre
Irène
Jean
Karine
Suzanne
Total
A
CA
Animateur Cadre
23
21
9
24
11
13
1
10
7
0
49
70
Irène
IDE
11
20
16
15
1
63
Jean Karine Suzanne
IDE
IDE
AS
8
1
7
19
12
2
10
14
2
3
0
2
0
1
1
40
31
11
Total
50
74
59
43
28
10
264
De plus, nous observons un modèle relationnel où la cadre et l‟aide-soignante
ont des positions particulières (Fig. 2). La cadre apparaît au centre du réseau des
communications. L‟aide-soignante, quant à elle, s‟exprime uniquement après
les trois membres les plus communicatifs (n fois) : [l‟animateur (7), la cadre (2)
et Irène (2)], et peu interviennent après elle [Irène (1), Jean (1) et Karine (1)].
On remarque ainsi que l‟aide-soignante, dont on a déjà noté l‟effacement, agit
très peu comme « stimulus » et répond surtout aux « stimulations » des
dominants.
Figure 2. Le réseau de communication
A
S
K
CA
I
J
2.1.4. Conclusions de la première analyse
Les différents résultats d‟analyse reflètent l‟organisation thématique et
relationnelle qui s‟est agencée dans ce groupe lors de sa première séance de
supervision. Certains des aspects mis en évidence semblent reproduire la
structure des statuts valides à l‟extérieur du groupe et au sein de l‟institution : la
cadre forme un couple équilibré avec l‟animateur, et se partage avec lui le
leadership. Quant à l‟aide soignante, elle se distingue d‟abord par sa minorité
352
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
d‟interventions. Cela est particulièrement remarquable lorsqu‟elle est exclue du
débat sur sa fonction. Elle est alors le référent du discours, mais est placée en
position de « non-personne » (au sens de Benveniste), ne prenant guère
position, et lorsqu‟elle le fait, ce n‟est que très brièvement. Au-delà d‟un réflexe
de protection des faces (au sens de Goffman, 1987), dans ce lieu où la
problématique de son insertion dans l‟équipe est mise en scène, et où elle est
donc particulièrement exposée, son effacement, paradoxal, a valeur de message
(au sens de Watzlawick, 1975). La contribution de Karine à ce débat est
également remarquable car cette infirmière a un profil discursif similaire à celui
de Suzanne sauf quand il s‟agit de s‟exprimer sur le rôle des aides-soignants.
D‟autre part, notons que, bien qu‟aucune contrainte formelle ne pesait sur cet
entretien de supervision, un réseau relationnel très particulier est apparu,
constitué de « couplements » et de sous-groupes. Ce sont les origines et les
effets de ces phénomènes de communication de groupe que nous allons analyser
dès maintenant en seconde partie.
3. La mission de l’équipe paramédicale en débat
La représentation de la tâche en psychiatrie
C‟est à travers les propos d‟Irène que l‟on perçoit les conséquences qui
découlent de la fusion des diplômes d‟infirmier de secteur psychiatrique et
d‟infirmier de soins généraux, en application des dispositions réglementaires de
1992. Ainsi, alors qu‟un tour de table est initié par l‟animateur afin que chacun
puisse se présenter, elle énonce :
I = Irène /…/ = période inaudible
I4 : Oui, je m‟appelle Irène, je suis infirmière à, „fin je suis à Pavillon P.
depuis deux mois, je viens me former en psychiatrie parce que je n‟ai pas
de formation en psychiatrie, je suis infirmière DE, parce que je n‟ai jamais
travaillé en psychiatrie donc je fais un stage intra muros parce que j‟ai
demandé un poste en extra euh donc, „faut, je viens rencontrer un p‟tit peu
les pathologies que je ne connaissais pas, pas vraiment, pas bien du tout
même, du tout, et, euh donc euh, j‟ai l‟impression de commencer, quelque
part un nouveau métier par rapport au métier que j‟exerçais avant, des
choses complètement différentes, et je suis là depuis 2 mois, depuis fin
mars, et je, je, „fin /…/ j‟ai un peu de mal à me positionner au niveau de la
psychiatrie, c‟est plus /…/, c‟est, enfin, oui mais bon, euh, je, j‟ai quand
même du plaisir, et euh, peut-être que je ferai certainement un test dans,
dans, on verra
Outre les nombreuses marques d‟anxiété que le discours d‟Irène
contient (Mahl, 1959) –rectifications, phrases interrompues, répétitions en série
d‟un ou plusieurs mots, bégaiements– on observe que sa présentation de soi
353
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
commence par « je suis infirmière DE ». Dans la communauté linguistique des
paramédicaux, par « Infirmière DE », il faut entendre « infirmière diplômée
d‟état de soins généraux » et non pas « infirmière de secteur
psychiatrique diplômé d‟état ». La distinction est telle qu‟Irène parle d‟un
nouveau métier quand il s‟agit d‟évoquer l‟exercice de son métier à l‟hôpital
psychiatrique. On remarque son besoin d‟exprimer, dès le début de sa prise de
parole, ses difficultés : « j‟ai un peu de mal à me positionner au niveau de la
psychiatrie. » Ce discours témoigne de la grande difficulté, voire
l‟impossibilité, pour un soignant « du corps » de transposer son savoir faire
dans un service de soins mentaux. Ainsi :
I = Irène /…/ = période inaudible
I39 : (…) pis „fin moi, je connaissais pas, donc euh, la psychiatrie, donc
euh, effectivement, le nombre, tout ce personnel, euh, ben, mais tout de
suite j‟me disais « ah, c‟est super, c‟est bien, oh, pour bosser, ça va être
génial » non, mais ça peut être, parce que je ne connaissais pas du tout le
travail, hein, moi j‟avais l‟habitude du petit chariot, p‟tits soins, machin,
euh, /…/ J‟me disais « mais qu‟est-ce qu‟on va faire avec tout c‟monde ? »
Euh, j‟étais tellement, tellement conditionnée par un, par un autre
système /…/
Manifestement, « l‟embarras » d‟Irène tient dans sa difficulté à concevoir
précisément sa tâche. Sa description de son métier « d‟avant », « petit chariot,
p‟tits soins », qui contraste avec « tout ce monde », traduit sa perte de repères.
Si l‟on s‟en tient à la tâche prescrite, quelque soit le secteur de soins, « relèvent
du rôle propre de l'infirmier les soins liés aux fonctions d'entretien et de
continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un
manque ou une diminution d'autonomie d'une personne ou d'un groupe de
personnes. Dans ce cadre, l'infirmier a la compétence pour prendre les
initiatives et accomplir les soins qu'il juge nécessaire16 ». Mais soins généraux
et soins psychiatriques sont deux systèmes qui divergent en raison des enjeux
soulevés par la pathologie concernée et son expression symptomatique. Si dans
la première situation, le soignant ne se trouve jamais en contact immédiat avec
le trouble de son patient, dans la seconde, c‟est l‟inverse. Pensons au
saignement non colmaté d‟une plaie, à la manifestation douloureuse de l‟ulcère
gastrique, à l‟essoufflement du cardiaque et comparons aux tentatives
manipulatoires du pervers dont le soignant est souvent la première cible.
Comme l‟a identifié et clairement exprimé Irène, les « soins du corps » sont
médiatisés par un charriot à pansements, par la distribution de médicaments, par
la réalisation d‟un électrocardiogramme, etc. En psychiatrie, le médiateur, c‟est
la parole ; le soin s‟exécute de pensée à pensée, dans l‟espace relationnel
16
Article R. 4311-3 du code de santé publique.
354
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
spécifique de l‟entretien infirmier. En décloisonnant les champs d‟exercice
professionnel de l‟infirmier, le législateur a-t-il mesuré l‟ampleur de ces
différences ?
Les spécificités du soin et du travail en équipe
La désorientation de l‟infirmière nouvellement en poste en psychiatrie a
des conséquences multiples, puisque, des difficultés à circonscrire sa propre
tâche découle son incompétence à définir les exigences du travail de l‟équipe et
l‟activité des agents qu‟elle subordonne17. Dans la séquence suivante, et en
particulier dans le court dialogue inséré entre Irène et Suzanne, l‟infirmière
indique sa difficulté à intégrer le rôle de l‟aide-soignante et à évaluer les limites
de sa mission.
Avec I=Irène, S=Suzanne
I6 : Moi en fait, pour ce qui concerne les aides-soignantes, j‟ai eu du mal à
cerner leur, leur rôle exact parce que moi je viens de l‟hôpital général où
les rôles sont bien définis, bien arrêtés, vraiment bien cadrés et je, j‟ai plus
de mal, je crois, je ne sais pas si euh, à l’aide-soignante Suzanne je ne sais
pas si ça te pose des difficultés sur ce que je fais, ce que je peux faire et ce
que je dois faire euh
S7 : Non, t‟es bien dans ton rôle, t‟as pas du tout
I7 : Moi je me pose des questions, ouais, j‟m‟en pose hein un peu parce
que, ça c‟est quelque chose qui m‟a, qui m‟a, euh comment dire, bon, „faut
pas rester à avoir des œillères, le rôle exact de machin, mais euh, en gros
c‟est euh, c‟est euh, 6 secondes, non, je ne connaissais pas le, mais
l‟intégration à l‟équipe n‟est pas mal, hein, ça c‟est quelque chose que,
euh, ben, avec les infirmières c‟est beaucoup plus hiérarchisé, hein, tu vois,
c‟est beaucoup plus, la différence est beaucoup nette, hein, tandis que là,
bon à part, j‟vous dis, les histoires de rôles puisque, puisqu‟il n‟y a pas de
soin euh, il n‟y pas de soin technique dans ce, dans ce travail là, donc euh,
donc hein, le rôle de l‟aide-soignante, alors euh, est un p‟tit peu, donc euh,
hein, „fin j‟ai du mal à l‟appréhender, mais je trouve que, au niveau de
l‟équipe, bon ben, l‟aide-soignante et l‟équipe d‟infirmières, l‟aidesoignante est bien intégrée ici, hein.
En psychiatrie, la primauté de l‟observation et de l‟écoute parmi
l‟ensemble des tâches qui incombent au soignant, est à l‟origine d‟une grande
similitude entre les rôles de l‟aide-soignant et de l‟infirmier. Si bien que lors
des réunions pluriprofessionnelles de synthèse, où s‟élabore le projet global du
patient, chaque membre de l‟équipe soignante, quelque soit son grade, est invité
à restituer son écoute, sa perception du patient, à exprimer son point de vue,
avec la même considération. De plus, en santé mentale, les missions de confort
17
Sur la question, se reporter à Trognon & Dessagne, 2003.
355
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
et de bien-être, l‟exécution des petits soins du quotidien qui relèvent
habituellement de la compétence des aides-soignants, peut, paradoxalement,
exiger de solides connaissances en psychopathologie et une haute expertise
relationnelle : entreprendre de faire le ménage de sa chambre avec un patient
schizophrène, dispenser des soins d‟hygiène auprès d‟une personne délirante,
guider un patient anorexique dans le choix du menu de son repas du lendemain,
etc. Ainsi, ces gestes qui entrent pleinement dans le cadre de la fonction d‟aidesoignant, relèvent d‟une étroite interdépendance du couple infirmier/aidesoignant dans la mise en œuvre des moyens nécessaires à une prise en charge
adaptée.
Les dispositifs techniques des services de soins
Ce n‟est pas par hasard si le thème qui a, après le rôle des aidessoignants, dominé l‟entretien de supervision est la question des locaux, et en
particulier le bureau de l‟équipe soignante. C‟est l‟intervention d‟Irène, qui, là
encore, illustre le clivage des deux cultures :
I = Irène, CA = cadre, /…/ = période inaudible
22 secondes
I8 : C‟est vrai que ce serait bien qu‟il y ait, un endroit où être tranquille,
„fin, à l‟écart
CA23 : mmh
I9 : oui à l‟écart un peu des patients
CA24 : mmmh
12 secondes
I36 : les patients appellent ça l‟aquarium, ils l‟appellent l‟aquarium
Classiquement, dans les services de soins, le bureau infirmier est situé à
un endroit stratégique, par exemple, proche des chambres qui accueillent les
patients les plus lourds, ou près de la salle de soins, ou à côté de la tisanerie, etc.
Son emplacement est toujours redondant avec le cadre théorique dans lequel est
pensé le soin. Dans l‟unité où travaille Irène, le bureau infirmier, entièrement
vitré, est situé au milieu du service, comme cela a été traditionnellement le cas,
pendant de nombreuses décennies, dans la plupart des services de psychiatrie
français. Le désir qu‟exprime Irène, de créer une distance avec les malades, ce
que ne lui offre pas le bureau actuel, est très naturellement lié à son cursus
professionnel. Alors qu‟à l‟hôpital général, le risque de l‟infection nosocomiale
est omniprésent dans l‟esprit des soignants, de nombreux moyens sont déployés
pour protéger les patients, notamment en les séparant –parfois même en les
isolants quand cela est nécessaire. A l‟inverse, alors que la pathologie
psychiatrique amène à des retraits, le soin consiste justement à lutter contre
l‟isolement du patient, à le faire sortir de sa chambre et se mêler à l‟autre –les
autres patients et les soignants. C‟est pourquoi, par exemple, les patients
356
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
prennent leurs repas ensemble, la salle de télévision est commune, etc. C‟est la
raison pour laquelle aussi, au-delà du symbolique, la configuration des locaux
est conçue pour matérialiser le lien entre les patients et les soignants.
Un second grand principe de la prise en charge du patient en santé
mentale, c‟est lui permettre d‟exprimer sa souffrance par la parole. Cet enjeu
essentiel est conditionné par la mise en scène de la disponibilité du soignant et
son expertise à décrypter chez le patient l‟envie de parler. C‟est là ce
qu‟explique Jean :
Avec J = Jean, A= animateur, /…/ = période inaudible
J35 : on a l‟impression de se mettre en décalage, bon moi, (…), mais bon,
y‟avait ces moments privilégiés où on pouvait accorder une heure, deux
heures à un patient à discuter dans un coin, à parler de différents, peu
importe hein, sous n‟importe quel prétexte, et puis là, j‟ai l‟impression que
on ne peut plus se le permettre, ou alors, on a peur de se le permettre, parce
que justement on a peur de se mettre en défaut avec nos collègues, où eux,
ils sont obligés de gérer tout ça [le travail administratif], pis, euh, bon ben
si on s‟accorde du temps avec ses patients bon ben, on leur laisse toutes les
charges administratives et pis euh, alors que ça il le faut, il faudrait leur
accorder du temps 4 secondes parce qu‟il y a une demande certaine
10 secondes
J36 : Pis les entretiens dans un bureau, on n‟aime pas. C‟est pas ça, c‟est
mieux dans le
CA76 : Y‟a le /../
J37 : on peut pas dire « tiens on va mener un entretien », j‟veux dire c‟est
quand le patient le sent, euh, „faut que ça se fasse, ça se programme pas,
„fin c‟est mon point de vue
(…)
J39 : (…) et éventuellement on peut dire à un patient que si il a envie de
parler, bon on est tranquille pour discuter, bon ça peut se faire hein, je ne
suis pas contre, parce que il y a des patients qui aiment bien s‟isoler, hein,
en tête à tête comme ça, ok,
10 secondes
A58 : Et ça [le travail administratif] vous empêche de, de déambuler dans
le service, donc d‟être disponible à, ce pour quoi vous êtes là en somme
J40 : Voilà, c‟est ça
A59 : Et là vous /…/ de l‟administratif
J41 : Faut le faire l‟administratif, mais je veux dire, on est arrivés dans un,
à un niveau où finalement l‟un a pris trop le pas sur l‟autre. Bon, faut le
faire, hein, tout ce qui est administratif faut le faire, /…/ c‟est établi comme
ça, il faut passer par là, mais ça a pris trop le pas sur notre fonction
originelle, faut dire aussi qu‟avec la disparition aussi de notre spécificité
d‟infirmier psychiatrique, elle a disparu donc euh, la tendance est de tout
étalonner de la même façon à l‟hôpital général et à l‟hôpital psychiatrique.
5 secondes
357
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
Jean se plaint de la lourdeur des procédures administratives qu‟impose
l‟obligation de renseigner des dossiers de plus en plus détaillés. Il constate que,
forcé de se retirer dans son bureau (il précisera plus tard : face à l’écran de
l’ordinateur du service) ce qu‟il exprime au patient, c‟est d‟abord son
indisponibilité. Ainsi, il apparaît que, pour des raisons différentes, Irène et Jean
estiment que le bureau infirmier, tel qu‟il est conçu actuellement, nuit à la
qualité de leur travail. La première, issue des soins généraux, se plaint de la
transparence des parois vitrées de ce local situé au milieu du service, ce qui
génère le sentiment désagréable d‟un contact permanent avec le patient. Le
second, de culture psychiatrique, se plaint au contraire d‟une tendance à
l‟éloignement du soignant par rapport au patient, lié à un temps trop important
passé dans son bureau. En J41, finalement, il attribue la responsabilité de cette
situation, qu‟il estime être en contradiction avec les fondements de son métier, à
la « disparition de sa spécificité d’infirmier psychiatrique. ».
Ainsi, on constate que les deux infirmiers ont intégré qu‟au-delà de sa
fonction purement instrumentale, le bureau infirmier, qui appartient pleinement
au dispositif de soin, matérialise un système de représentation qui découle
directement du modèle théorique dans lequel est pensée la prise en charge du
patient. Finalement, il apparaît que l‟entretien de supervision a permis à cette
équipe de soignants d‟échanger, de confronter et peut-être même de prendre
conscience du sens induit par le dispositif dans lequel s‟exerce leur métier.
Conclusion
En conclusion, l‟analyse que nous venons de présenter a mis
concrètement en exergue l‟impact de la formation des professionnels de soins
sur leur conception intime, ici rendue publique, de leur métier. Or, comme nous
le rappelions en introduction, un nouveau parcours de formation des infirmiers
a vu le jour, en France, par l‟arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d‟Etat
d‟infirmier. Il apparaît, qu‟outre le fait que le législateur a prévu pour cette
formation une part importante aux enseignements de sciences humaines,
notamment des processus psychologiques et psychopathologiques, c‟est avant
tout la volonté de former des cliniciens autonomes et réflexifs qui crée un
profond bouleversement dans le monde des soignants. En effet, alors que le
métier d‟infirmier était jusqu‟alors défini autour d‟une logique d‟actes, cultiver
et maintenir une posture réflexive sont dorénavant des exigences de la
formation des infirmiers dans une logique de construction de compétences
applicables dans la transversalité de leur activité. Il est donc très probable que,
dans une conception dynamique, liant intimement des données théoriques et
cliniques, l‟application de ces principes transposables à toute situation de soin
va considérablement faciliter le passage pour les nouveaux professionnels d‟un
358
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
univers de soin à un autre, réconciliant enfin, dans une réelle vision globale, les
multiples facettes de l‟activité des paramédicaux.
Références
Batt, M. & Trognon, A. (2009). Ergonomie cognitive d‟une consultation génétique pour
le test présymptomatique de maladie de Huntington. Psychologie du travail et
des organisations, 15, 1, 21-40.
Batt, M., Trognon, A. & Langard, A. (2010). Analyse interlocutoire d‟une plainte
exprimée par une équipe mobile de soins palliatifs. Psychologie du travail et
des organisations, à paraître.
Blanchet, A. & Trognon, A. (2008). La psychologie des groupes. Paris : Armand Colin.
Bromberg, M. & Trognon, A. (2004). Psychologie sociale et communication. Paris :
Dunod.
Cosnier, J. (1989). Les tours et le copilotage dans les interactions conversationnelles, in
R. Castel, J. Cosnier & I. Joseph, Le parler frais d’Erving Goffman, (pp. 233244). Paris: Minuit.
Doise, W. (1982). L’explication en psychologie sociale. Paris : PUF.
Doise, W. (1999). Psychologie sociale. Grand dictionnaire de la psychologie. Paris :
Larousse.
Ghiglione, R. & Trognon, A. (1993). Où va la pragmatique? Grenoble : PUG.
Goffman, E. (1983). The interaction order. American Sociological Review 48: 1-17.
Goffman, E. (1987). Façons de parler. Paris : Minuit.
Hintikka, J. (1976). The semantics of questions and the questions of semantics: case
studies in the interrelations of logic, semantics, and syntax. Acta Philosophica
Fennica, vol. XXVIII, Issue 4, 1-200. Amsterdam : North Holland Publishing
Company.
Leclerc, C. (1999). Comprendre et construire les groupes. Quebec: les Presses de
l‟université de Laval.
Levy, A. (2002). Analyse des pratiques. In J. Barus-Michel, E. Enriquez, & A. Levy
(Eds.), Vocabulaire de psychosociologie : références et positions (pp. 302-312).
Ramonville Saint Agne : Erès.
Mahl, G. F. (1959). Exploring emotional states by content analysis. In I de S. Pool,
Trends in contents analysis.
Martin, J.P. (2000). Pratiques et clinique de terrain. Paris: Eres.
Olry-Louis, I. (2005). Marcel Bromberg & Alain Trognon (2004). Psychologie sociale
et communication, L'orientation scolaire et professionnelle, 34, 3, 393-403.
Oury, J. (1998). Interview d‟Eric Favereau. Libération. 27 juin.
Pascal, J. C, Simonnot, A. L., Faucher, L., Garret-Gloanec, N. Alternative à
l’hospitalisation psychiatrique de l’adulte. EMC.
Roulet, E., Auchlin, A., Moeschler, J., Rubattel, C. & Scheling, M. (1985).
L’articulation du discours en français contemporain. Berne : Peter Lang.
Sacks, H., Schegloff, E. & Jefferson, G. (1974). A simplest systematics for the
organization of turn-taking for conversation. Language, 50, 696-735.
Searle, J R. & Vanderveken, D. (1985). Foundations of illocutionary logic. Cambridge:
Cambridge University Press.
359
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt & Alain Trognon
Semal, R. & Revillon, J. J. (2009). A propos de l‟intégration des soins psychiatriques
dans la ville, évaluation d‟une structure d‟hospitalisation à domicile sur un
secteur de psychiatrie adulte. Annales Medico-psychologiques, 167 (2), 127-133.
Trognon, A. & Batt, M. (2007). Quelles méthodes logiques pour l'étude de l'interaction
en psychologie ? In C. Chabrol & I. Olry-Louis (eds), Interactions
communicatives et psychologie (p. 53-65). Paris : Presses de la Sorbonne
nouvelle.
Trognon, A. & Batt, M. (2010). Interlocutory Logic: A Unified Framework for
Studying Conversation Interaction. In J. Streek (ed.), New Adventures in
Language and Interaction (p. 9-40). Bruxelles: Benjamins.
Trognon, A. & Dessagne, L. (2003). Les équipes de travail. In J. Allouche, P. Bernoux,
B. Gazier, I. Huault, P. Louart, G. Schmidt & A. Trognon (comité de pilotage)
Encyclopédie des ressources humaines (pp. 452-455). Paris : Vuibert.
Venuat, F. (2009). Evolution de la pratique aide-soignante en psychiatrie. http://ile-defrance.sante.gouv.fr/dass.
Watzlawick, P., Beavin, J.H., & Jackson, D. (1972). Une logique de la communication.
Paris : Seuil.
360
361
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Analyse interlocutoire d’une plainte
exprimée par une équipe mobile de soins palliatifs
Interlocutory Analysis of a Complaint
Expressed by a Mobil Palliative Care Team
Martine Batt* Alain Trognon** & Alexandre Langard** 18
* Université de Nancy2, Laboratoire Interpsy, GRC, [email protected]
Université de Nancy2, Laboratoire Interpsy, GRC, [email protected]
Résumé
Dans cet article, les auteurs présentent la construction collaborative d‟une plainte
exprimée par une équipe de soins placée en situation d‟interaction entre deux passations
individuelles (pré-test/post-test) du Questionnaire de Climat d‟Entreprise (QCE).
L‟analyse de l‟interdiscours réalisée avec la logique interlocutoire met en évidence la
syntaxe de cette élaboration ainsi que le tissage d‟une représentation de leur situation
professionnelle par les participants, tous membres d‟une équipe mobile de soins
palliatifs d‟un centre hospitalier.
Abstract
This article points out the merits of conducting an interlocutory analysis of a group
meeting held between two administrations of a questionnaire. Here, the Company
Climate Questionnaire was filled out individually by the members of the group before
and after the meeting. Changed attitudes toward the supervisory staff were observed
after the discussion. All participants were members of a mobile palliative care team at a
university hospital. The verbal interaction analysis allowed us to identify the
collaborative facet of the complaint that surfaced, and to determine what intersubjective processes arising during the group discussion triggered the expressed
changes of opinion.
Mots-clés : Plainte. Interaction. Analyse interlocutoire. Satisfaction au travail. Equipe
mobile de soins palliatifs. Climat d‟entreprise.
Key-words : Complain. Interaction. Interlocutory analysis. Job satisfaction. Mobile
palliative care team. Company climate.
18
Nous remercions Maryse Regnier pour sa relecture de cet article.
362
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
1. Introduction
L‟intérêt vis-à-vis de la perception individuelle qu‟ont les agents de leur
entreprise s‟est considérablement accru au cours de la dernière décennie dans
des contextes plus ou moins particuliers (comme fut celui du rapport
Technologia sur les conditions de travail, France Télécom, 2009). Cet intérêt
grandissant se justifie notamment par la place importante accordée à la
perception du climat de l‟entreprise parmi les nombreux facteurs en jeu dans la
satisfaction au travail. L‟hôpital est certainement plus concerné que n‟importe
quelle autre entreprise par cette problématique étant donné l‟impact des
conditions de travail sur la qualité des soins souligné par de nombreux auteurs
(Di Fabio & Bartolini, 2009 ; Duffy & Richard, 2006). A l‟aube de la mise en
application de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires »19 qui vise
notamment à réformer la gouvernance de l‟hôpital et moderniser sa gestion,
nous avons souhaité explorer les caractéristiques du rapport qu‟une équipe
mobile de soins palliatifs 20 (UMSP) d‟un centre hospitalier entretenait avec son
institution. Relativement récent 21, ce type d‟équipe nous intéressait tout
particulièrement en raison de la spécificité de sa place dans l‟institution
hospitalière, et notamment l‟aspect transversal de son activité, ainsi que de la
pluridisciplinarité qui la caractérise (Derniaux, Chevallier, Perineau, 2005 ;
Nectoux & Thominet, 2005). Si plusieurs études révèlent le sentiment d‟échec
et le manque de valorisation ressenti par les soignants d‟UMSP, par rapport aux
services où s‟opèrent les avancées thérapeutiques les plus récentes (Lyckholm,
2001 ; Martin-Primat & Richard, 2008), il est bien attesté qu‟un des motifs
essentiel de leur satisfaction repose sur le travail en petite équipe au sein d‟une
vaste organisation hospitalière (Bonnières, Estryn-Behar & Lassaunières,
2010). Nous nous sommes ainsi interrogés sur la spécificité de leur relation à
leur environnement organisationnel. La manière la plus répandue d‟explorer
cette dimension est la passation de questionnaires auto-administrés ; la
littérature abonde de travaux importants de ce type qui fournissent des
19
En France, le texte de loi "Hôpital, patients, santé et territoires" a été publié au Journal officiel
du 21 juillet 2009.
20
Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d‟une
maladie grave, évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi
que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et
spirituelle (définition de la Société Française d‟accompagnement et de soins palliatifs donne cette
définition).
21
Les UMSP ont été créées en France il y a une dizaine d‟années, peu après la circulaire Laroque
du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins palliatifs et à l'accompagnement des malades
en phase terminale. De manière générale, l‟équipe mobile participe à la promotion et au
renforcement des soins palliatifs au sein d‟un réseau, elle contribue à la continuité des soins entre
les différents lieux de soins et permet la cohérence dans la pratique, grâce à la coopération de ses
membres.
363
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
indicateurs utiles à l‟analyse des conditions de travail (publiés en particulier
dans cette revue). Nous-mêmes généralement peu enclins à utiliser cette
méthode et prudents dans l‟analyse des déclarations des individus recueillies
par cette voie, nous avons néanmoins choisi le Questionnaire de Climat
d‟Entreprise (QCE) comme outil permettant d‟évaluer les variations d‟opinion
émergeant dans un entretien de groupe entre deux passations individuelles de ce
questionnaire.
Ainsi, nous poursuivons trois objectifs dans ce travail. Premièrement,
nous souhaitons explorer la représentation par un groupe de sa situation
professionnelle. Pour ce faire, nous avons utilisé le QCE comme un outil
d‟évaluation pré-test/post-test. Secondement, nous souhaitons saisir directement
cette élaboration par ce groupe, dans l‟ici et le maintenant. L‟étude de
l‟interdiscours nous a permis d‟accéder à cette connaissance. Pour finir, nous
cherchons à décrire les processus intersubjectifs responsables de l‟évolution des
attitudes individuelles survenue dans l‟interaction et objectivée par le test. Les
écarts de réponses aux questionnaires observés après discussion ont été analysés
dans cette perspective avec l‟aide de la logique interlocutoire, méthode
d‟analyse qui s‟est imposée pour une description minutieuse des échanges.
2. Méthode
2.1. Les participants
Les participants de cette étude appartiennent à une UMSP implantée
dans un centre hospitalier depuis une dizaine d‟années. Cette équipe intervient
dans les différents secteurs de l‟hôpital sur appel des équipes soignantes, en
journée et 5 jours sur 7. L‟exercice des soignants est le plus souvent indirect, il
consiste essentiellement en des conseils et soutiens à leurs collègues des
secteurs de soins et des familles de patients. Leurs interventions concernent
aussi bien la sphère somatique, psychologique et socio-familiale. L‟équipe
participe, en plus, à une courte réunion quotidienne de planification des
interventions et une réunion de synthèse hebdomadaire où sont abordés les
dossiers des malades pris en charge. Notre groupe d‟étude est constitué de
l‟équipe non médicale de l‟unité – 2 infirmiers (I1 et I2), le psychologue (P),
l‟assistant social (T) et le secrétaire (S). Tous ont une ancienneté supérieure à 3
ans dans le service.
2.2. Le matériel et la procédure
2.2.1. Le questionnaire
Afin de mesurer la perception individuelle qu‟avaient les soignants de
leur service, nous leur avons soumis la passation du Questionnaire de Climat
364
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
d‟Entreprise : Q.C.E.22 Cet auto-questionnaire est conçu pour établir un
diagnostic qualificatif et quantitatif du climat psychosocial d‟une entreprise à
partir des perceptions de ses membres. Il fournit des indices sur des aspects
particuliers du fonctionnement d‟une organisation comme la communication, la
gestion, l‟implication, les relations avec les autres. 14 échelles sont mesurées
par 128 questions auxquelles les individus répondent en choisissant parmi
quatre possibilités : faux, plutôt faux, plutôt vrai, vrai. Chaque réponse est cotée
soit positivement, soit négativement. A un niveau individuel versus groupal,
trois niveaux d‟analyse déterminent respectivement (i) le taux de satisfaction
global, (ii) le pourcentage de satisfaction et d‟insatisfaction pour les 14 échelles,
(iii) une attitude favorable ou défavorable pour chacun des 128 items. Nous
escomptions qu‟après une première passation individuelle, ce questionnaire
déclenche, dans un second temps, une discussion des agents autour de leurs
perceptions du service et de leurs difficultés rencontrées au quotidien. Dans
cette perspective, l‟expérimentation s‟est déroulée en trois temps :
- première passation individuelle du QCE. Chacun des cinq membres
avait pour tâche de remplir le questionnaire de manière individuelle ; ils
répondaient aux 128 items sans délai de temps ;
- 30 minutes après : entretien de groupe enregistré. L‟animateur invitait
le groupe à commenter les items du questionnaire et décrire les
difficultés rencontrées lors de sa passation. Mais les interviewés ne
devaient pas rendre publiques leurs réponses au test ;
- 30 minutes après : seconde passation individuelle du questionnaire,
toujours sans délai de temps.
2.2.2. L‟entretien de groupe
L‟entretien de groupe a été transcrit dans son intégralité afin de saisir
directement les prises de positions des cinq membres en interaction les unes
avec les autres. Pour procéder à cette analyse, nous avons eu recours à une
méthode d‟analyse, la logique interlocutoire, mise au point au Groupe de
Recherche sur les Communications (GRC) à l‟université Nancy2. Théorie de la
démonstration dialogique du « discours en interaction » (Kerbrat-Orecchioni,
2005), cette méthode nous intéressait tout particulièrement pour étudier
l‟élaboration, dans le talk-in-interaction, selon la belle expression de Schegloff
(1991), le mécanisme intersubjectif qui allait donner lieu aux modifications
d‟attitudes objectivées dans les scores de la seconde passation du test. C‟est
donc à la microgénèse d‟une influence réciproque que nous pouvions accéder
par cette démarche. Nous allons l‟exposer dès maintenant.
22 Editions du Centre de Psychologie Appliquée, 1996.
365
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
3. L’examen d’un
interlocutoire
fragment
d’interlocution :
notions
de logique
Le but de la logique interlocutoire est d'expliciter formellement les
événements indissolublement psycho-socio-discursifs qui surviennent
« naturellement » dans l‟interlocution, et son ambition est de fournir une
logique naturelle de l‟usage de la parole en interaction (Trognon & Batt, 2010 ;
Trognon, Batt, Bromberg & al., 2010). Cette méthode d‟analyse s‟est déjà
montrée féconde dans l‟étude d‟interactions dans des contextes multiples :
élaboration opérationnelle d‟un diagnostic (Trognon & Batt, 2003), annonce de
diagnostic médical (Batt, Trognon & Vernant, 2004 ; Batt & Trognon, 2006,
2009, 2010a), raisonnement et résolution de problème (Trognon, Batt & Laux,
2007 ; Trognon, Batt, Rebuschi & al., 2010 ; Trognon, Sorsana, Batt & al.,
2008), analyse de texte narratif (Trognon & Batt, 2002), analyse d‟entretien de
groupe (Batt & Trognon, 2010b) et de situations de travail (Sannino &
Trognon, 2003 ; Trognon & Kostulski, 1999). En tant que théorie des
mouvements de dialogue dans leur contexte d‟énonciation, les formes
discursives que nous analysons sont des fragments d‟interlocution constitués de
tours de parole, lesquels peuvent comporter un ou plusieurs énoncés. C‟est
l‟énoncé que nous adoptons comme unité d‟analyse, défini comme une unité
syntaxico-sémantique qui a la forme logique <F(P)>.
3.1. L‟unité d‟analyse : l‟énoncé F(p)
F - la force illocutoire de l‟acte de langage- est l‟opérateur pragmatique
d‟une phrase énoncée dans un certain contexte. F définit le but de l‟acte de
langage : assertif, directif, commissif, déclaratif ou expressif (Searle &
Vanderveken, 1985 ; Vanderveken, 1988, 1990) En logique interlocutoire, nous
formalisons F dans ses subtilités d‟usage dialogiques : <f1, f2, f3, f4> où f1 est la
force exprimée littéralement, f2 la force indirecte de l‟acte (s‟il y a lieu), f3 les
implicatures de l‟acte, f4 la fonction conversationnelle de l‟acte23.
P est le contenu propositionnel (CP) de l‟acte de langage. Il porte la
fonction référentielle du discours et il se présente, selon la conception
frégéenne, comme une proposition, qu‟en logique interlocutoire, nous
traduisons formellement en langage du calcul des prédicats du premier ordre.
Chaque proposition est ainsi traitée comme un symbole incomplet (un prédicat)
et une suite d‟arguments qui complète ce prédicat. Par exemple, l‟énoncé : « la
terre tourne autour du soleil » s‟analyse comme un symbole incomplet (ou
prédicat) « …tourne autour de … » et la suite de symboles (ou arguments) « la
23
f2, f3, f4 ne sont pas donnés simultanément dans le discours. Ils résultent d‟un processus de
mise en partage de l‟intercompréhension qui transforme le « sens du locuteur » en « sens des
interlocuteurs » (Clark, 1996), selon un processus décrit dans Trognon et Brassac (1992),
Trognon et Saint Dizier (1999), Trognon (2002).
366
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
terre », « le soleil » (exemple emprunté à Lepage, 1991, p. 115). Formellement,
cet énoncé pourra se traduire par l‟expression T(t, s) avec T pour le prédicat et t
et s pour les arguments respectifs « terre » et « soleil ». La fonction de chaque
prédicat consiste à établir une relation entre des arguments (ou des objets) ; cela
revient à assigner une interprétation à un prédicat qui sera valide ou non valide
dans le monde d‟énonciation de référence.
3.2. Le monde mis en scène conversationnellement
Ce monde d‟énonciation n‟est autre, pour J. Hintikka (1989), que
l‟expression d‟une certaine interprétation de la réalité par un certain locuteur :
une croyance que p par exemple (Hintikka, 1962). Dans sa sémantique des
mondes possibles (Kripke, Kanger & Hintikka), Hintikka, qui reconnaît la
complexité de la langue naturelle, démontre que l‟on ne peut pas dire
simplement qu‟une expression linguistique a la valeur vrai ou faux, mais qu‟en
appliquant de nouvelles règles logiques, on l‟interprète en relation à un monde
possible auquel accède ce locuteur. De fait, si tous les participants à une
conversation accèdent à la même interprétation concernant l‟énoncé p, alors p
est validé conversationnellement. Cela ne signifie pas que p est vrai car une
croyance partagée peut se révéler complètement fausse ; dans ce cas, le monde
défini par la croyance est différent du monde réel dans lequel cette croyance
s‟exprime. En pratique, afin d‟éclaircir certains traits structurels du discours
naturel, nous avons parfois, nous analystes, à nous positionner dans un système
formel modalisé. Il est alors primordial d‟être attentif à la traduction
intradiscursive de l‟état psychologique du locuteur qui s‟effectue à l‟aide
d‟éléments verbaux que l‟on appelle des modalités. Nous retenons les modalités
essentielles (Gardies, 1979) : modalité ontique (il est nécessaire que p, il est
possible que p, il est inévitable que p, il est éventuel que p, ainsi que les termes
peut-être, certainement, probablement, etc. ), modalité déontique (il est
obligatoire que p, il est permis que p, il est interdit que p, ainsi que il faut que p,
on doit, etc.), modalité épistémique (x sait que p, x croit que p, x sait que non p,
x croit que non p), modalité temporelle (il se trouvera toujours que p, il se
trouve que p, il s‟est trouvé que p, ainsi que les termes il y a longtemps,
maintenant, hier, demain, etc.), mais également les modalités intentionnelles
puisque nous devons à J. Hintikka (1989) d‟avoir démontré la pertinence
d‟appliquer une logique modale à la psychologie de l‟intentionnalité. Les
marqueurs de la modalisation intentionnelle sont le plus souvent des verbes
« psychologiques » (x désire p, x craint p, etc.). En procédant de la sorte –ce
que nous ferons dans le présent travail– nous mettons en évidence que les
367
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
énoncés que nous analysons formellement sont toujours relatifs à un certain
point de vue24 (Trognon & Batt, 2002, 2003, 2010).
3.3. La relation interénoncés
Dans l‟analyse du CP, on relèvera encore minutieusement les liens qui
articulent les énoncés et grâce auxquels leur statut pragmatique se construit. Ils
sont représentés selon la « description des connecteurs pragmatiques du français
contemporains » fournie par la théorie des structures hiérarchiques de la
conversation (Roulet, Auchlin, Moeschler & al., 1985, chapitre 2), sachant que
ces descriptions sont redécrites comme autant de règles de jeux de dialogue
selon Carlson (1983). Par exemple, le connecteur mais est selon la classification
genevoise un connecteur contre-argumentatif qui articule « des actes interactifs
entretenant une relation (sémantique, argumentative ou pragmatique) de
„contradiction‟, tout en résolvant cette contradiction à l‟intérieur de
l‟intervention ». Cette « contradiction et sa résolution » se réalisent
pragmatiquement par des fonctions illocutoires ou interactives différentes : rejet
d‟un argument (i.e. le contre-argument), rejet d‟un fait et constatation d‟une
contradiction (dans la terminologie généralement utilisée, concession, réfutation
et contre-factualité). » (Roulet & al, 1985, p.133). Maintenant, pour aller un peu
plus loin dans l‟analyse de l‟usage de « mais », en terme de règle de jeu de
dialogue notamment, on se réfère aux travaux de Carlson (1983), où la règle de
dialogue associée au connecteur mais (D. mais) stipule que si un locuteur a
accompli un acte initiatif concernant un certain thème, alors n‟importe quel
joueur peut contribuer au jeu initié au moyen d‟un acte réactif débutant par mais
et concernant un thème coordonné mais contradictoire. Enfin, parmi les
relations inter-énoncés, les assertions qui constituent la réponse à une question,
sont au centre de notre étude. C‟est cet aspect que nous développons ci-après.
3.4. Les questions-réponses
Pour aborder la sémantique des questions, nous nous référerons aux
travaux de J. Hintikka (1976, 1981), parce que cet auteur aborde les questions
dans un cadre qui est compatible dans ses grandes lignes, à celui que la logique
interlocutoire tente de mettre en œuvre.
Pour Hintikka, qu‟elles soient catégorielles, c'est-à-dire « des questions
pour lesquelles le choix porte sur les valeurs d‟une variable quantifiée »
(Hintikka, 1976, p. 60) ou qu‟elles soient propositionnelles, c'est-à-dire des
questions « où le choix a trait à des propositions » (Hintikka, 1976, p. 60), les
questions sont des requêtes d‟information qui présentent un double aspect. Elles
24
Les énoncés ne s‟exprimeront pas en termes de « vrai » ou « faux ». Ce sont des attitudes
propositionnelles qui sont étudiées, par exemple pour les modalités épistémiques, en termes de
« su », « insu », « cru », « incru » (cf. Gardies, 1979).
368
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
sont des demandes qui spécifient l‟information visée : le desideratum des
questions. Le desideratum consiste en un certain état épistémique je sais (qui,
comment, combien, pourquoi, etc.) X, pour les questions catégorielles ou bien je
sais si X, pour les questions propositionnelles. Ainsi, en posant une question
comme Qui est venu, on veut savoir qui est venu. Par conséquent, l‟information
qu‟on vise à obtenir se réduit au contenu sémantique de la relative « qui est
venu » enchâssée dans je sais qui est venu. Maintenant, sur la base de l‟analyse
où « qui est venu » revient à connaître quelqu‟un, une ou plusieurs personnes,
dont on sait que elle(s) est(sont) venues, l‟expression « savoir qui » peut se
traduire en une expression épistémique « savoir que » tombant sous la portée
d‟un quantificateur. En tant que quantificateurs, les questions catégorielles
possèdent deux interprétations. Premièrement, une interprétation universelle,
comme par exemple : « pour tout x, si x habite ici alors a sait que x habite
ici » ce qui se traduit formellement par (x) (x habite ici  a sait que x habite
ici)25 – ce qui correspond à une interprétation universelle de who (mais de
même pour what, when, why, etc. d‟où l‟expression « question en wh- »).
Secondement, une interprétation existentielle car « a sait qui est venu » pourrait
également s‟interpréter existentiellement comme : (x) (a sait que x est venu),
qui s‟écrit encore (x) (x est venu  a sait que x est venu). Il faut cependant
bien voir que le questionneur qui pose une question désire une réponse qui le
satisfait pleinement. Plaçons-nous par exemple dans la situation d‟une personne
posant une question dont le desideratum serait (x) Sje F(x)26 et qui recevrait
« b » ou « F(b) » en réponse. Supposons en outre que « b » soit une réponse
vraie, c'est-à-dire que F(b) soit le cas, que destinateur et destinataire de la
question sachent que b existe, mais que le questionneur ne sache pas qui est b.
Le questionneur devrait dans ce cas demander un supplément d‟information :
« mais qui est b ? ». « Fréquemment, un cas de substitution vraie de la matrice
est rejeté comme réponse (complètement concluante) à la question posée parce
qu‟elle ne permet pas au questionneur de situer l‟entité en question sur sa
« carte » du monde » (Hintikka, 1981, p 66). Cet exemple nous permet de
comprendre ce qu‟est une réponse qui satisfait complètement le questionneur
ou, selon Hintikka, une réponse concluante. F(b) constitue une réponse
concluante seulement si F(b) implique S je F(x)27 avec [(x) Sje (b = x)]. Cela
revient à dire que « b » est une réponse conclusive si et seulement si le
questionneur peut énoncer : Je sais qui est b.
Les questions propositionnelles appellent aussi deux lectures :
disjonctive, dont le desideratum est [je sais que p 1  je sais que p 2  ….  je
sais que pk], expression qui équivaut à [(p1  je sais que p1)  (p2  je sais que
25
(x) : quel que soit x.
Sje F(x) : je sais F(x) = je sais ce qui instancie le prédicat F.
27
 : symbolisation logique du connecteur « et » ;  : symbolisation logique du connecteur
« ou ».
26
369
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
p2)  …  (pk  je sais que pk)] ; et conjonctive dont le desideratum est [(p1 
je sais que p1)  (p2  je sais que p2) … (pk  je sais que pk)] (Hintikka,
1976, p. 62).
Comme le signale Hintikka, la théorie qu‟il propose constitue
« principalement […] une analyse de la relation question-réponse28. Les
réponses apportées aux questions sont dites conclusives si elles n‟ont pas besoin
d‟explication supplémentaire pour satisfaire le questionneur. Elles se définissent
aussi comme des réponses qui remplissent pleinement (et non pas partiellement)
l‟état de choses spécifié par le desideratum. Les réponses partielles sont de ce
fait des réponses qui satisfont seulement en partie le desideratum (Hintikka,
1976, p. 41).
3.5. Le système dialectique
Ainsi, la complexité du système dialectique qui régit l‟accomplissement
d‟une séquence interlocutoire tient essentiellement à la relation originale,
constituée de règles pragmatiques et logiques, qui unit une suite d‟énoncés. Ce
système constitue un jeu de dialogue spécifique (Walton & Krabbe, 1995 ;
Larrue & Trognon, 1994 ; Trognon & Batt, 2010) que l‟analyse interlocutoire
permet d‟identifier.
4. Résultats quantitatifs
Les pourcentages de satisfaction obtenus globalement, lors des deux
passations, pour chaque échelle et par le groupe dans son ensemble sont portés
sur le tableau 129.
Tableau 1. Résultats globaux des deux passations individuelles du test QCE
Echelle
% Satisfaction
Avant
Après
1 Cohérence de la stratégie et du fonctionnement
2 Politique d'ouverture sociale
0,39
0,33
0,61
0,59
3 Confort matériel et moral
4 Clarté de la tâche
0,7
0,75
0,76
0,99
5 Disponibilité et fluidité de l'information
0,28
0,27
28 [Il ajoute qu‟] « il va sans dire qu‟elle constitue l‟ingrédient fondamental de toute théorie
possible des questions et des réponses. On peut la mettre en œuvre au fondement d‟une théorie,
fort intéressante, des dialogues par questions et réponses. Et, à leur tour, ces dialogues peuvent
tenir lieu de modèles de l‟activité de recherche d‟information. » (Hintikka, 1981, p. 68).
29 En raison du très faible effectif d‟individus (<6), nous n‟avons pas pu comparer
statistiquement les scores.
370
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
6 Souplesse de la supervision
7 Encouragement aux idées novatrices
0,53
0,59
0,26
0,16
8 Esprit d'équipe
9 Qualité des relations personnelles
0,76
0,79
0,85
0,77
10 Sentiment d'équité
11 Responsabilité, autonomie
0,56
0,59
0,95
0,88
12 Implication
13 Liberté d'expression
0,85
0,82
0,44
0,28
14 Prise en considération
0,5
0,42
Globalement, 6 échelles sur 14 sont évaluées favorablement (Tab. 1) : ce sont
les échelles 3, 4, 8, 9, 11 et 12. En tout, 4 échelles indiquent des scores
moyens : échelles 2, 6, 10, 14. Par contre, les échelles 1, 5, 7 et 13 sont évaluées
défavorablement, surtout l‟échelle 7. Selon le concepteur du test, ces échelles
aux scores les plus faibles reflètent des perceptions essentiellement relatives à la
Direction de l‟équipe :
- l‟échelle 1 reflète les perceptions relatives à la cohérence et à
l‟efficacité du fonctionnement de l‟entreprise et de la stratégie
développée par la Direction : dynamisme, définition des objectifs, prise
de décision, vues à long terme, adaptabilité, etc. ;
- l‟échelle 5 reflète les perceptions relatives à la circulation de
l‟information. La diffusion de l‟information, qu‟elle soit montante ou
descendante s‟effectue-t-elle ouvertement, facilement et librement, sans
blocage à travers l‟organisation ? La communication s‟établit-elle sans
difficulté à tous les niveaux ?
- l‟échelle 7 reflète les perceptions relatives à l‟attitude de la Direction
vis-à-vis des initiatives personnelles. La Direction paraît inciter les
individus à prendre des risques calculés pour améliorer leur résultat, à
planifier leur tâche et à proposer des vues ou des idées nouvelles sur
l‟organisation du travail ;
- l‟échelle 13 reflète les perceptions relatives à la liberté d‟exprimer,
auprès des responsables et publiquement, ses sentiments, ses émotions
et ses opinions - qu‟elles soient positives ou négatives - vis-à-vis de
l‟entreprise, ce qui suppose une relation de soutien personnalisé avec la
Direction et les responsables directs.
On observe des changements d‟attitudes avant/après discussion dans
toutes les échelles sans exception. Les échelles les plus résistantes à
l‟interaction sont les échelles 4 (2 changements favorables), échelle 12 (un
changement favorable et un défavorable) et échelle 8 (un changement
favorable). Notons que ces trois échelles sont celles qui ont des scores de
371
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
satisfaction élevés. Par contre, la majorité des changements d‟attitude apparaît
dans les échelles 13 (14 défavorables, 1 favorable) et échelle 5 (10
défavorables, 5 favorable).
S‟agissant de l‟échelle 5, on dénombre, après interaction, 4 ralliements
à une majorité de réponses cotées dans un sens d‟insatisfaction pour l‟item
25 (la communication vers le bas consiste essentiellement à recevoir des
directives), ce qui donne une unanimité défavorable. On observe, après
l‟entretien, le même consensus négatif pour les items 12 (l‟information est
toujours bloquée au même niveau), 18 (ici, il est difficile d‟obtenir que les
décisions soient prises rapidement), 37 (les responsables sont rarement là où il
faut), 40 (il est difficile d‟obtenir des informations claires, précises et sûres) et
47 (Les responsables semblent toujours bien informés, mais négligent
d‟informer les autres).
On dénombre sur l‟échelle 13 une unanimité défavorable après
interaction aux items 19 (je peux facilement parler à mes responsables de mes
problèmes personnels), 100 (j'ai facilement des conversations personnelles avec
mes responsables) et 106 (j'ai des rapports amicaux avec mes responsables) ; on
observe aussi plusieurs changements d‟attitudes aux items concernent la
relation entre les responsables et l‟équipe : 6 (dans mon entreprise, les gens
peuvent se permettre d'exprimer leurs sentiments), 88 (devant les responsables, il
m'est difficile de dire ce que je pense vraiment), 50 (mes responsables ignorent
mes problèmes personnels, en cas de difficultés dans mon travail) et 122 (les
gens tendent à cacher ce qu'ils pensent des autres). Notons que S et I2 n‟ont
que des avis défavorables après interaction.
L‟échelle 7 (encouragement aux idées novatrices) présente non
seulement le pourcentage de satisfaction le plus faible aux deux passations mais
présente également la différence de score la plus élevée avant/après interaction
(0,1 point). Cette échelle ne comporte aucune modification favorable. Nous
avons donc souhaité analyser les réponses à cette échelle de manière détaillée.
Cela donne (colonne A = 1ère passation ; colonne B = 2ème passation) :
372
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Tableau 2. Réponses individuelles, échelle « encouragement aux idées novatrices »
P
Echelle 7
T
S
I1
I2
A B A B A B A B A B
9
Ici, on encourage les idées novatrices et originales
21
Ici on encourage les gens à adopter des vues à long terme
45
Les nouvelles propositions sont souvent prises en
considération
70
L‟initiative et la réussite personnelles sont mises en valeur
78
Les gens sont encouragés à prendre des risques calculés
pour améliorer leurs résultats
107
Dans mon entreprise, faire des choses de façon différente
est mis en valeur
0 0 1 1 0 0 1 1 1 1
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
0 0 1 1 1 0 1 0 0 0
1 0 0 0 0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0 1 0 0 0
On observe une unanimité de réponses défavorables aux deux
passations aux items 21 (ici on encourage les gens à adopter des vues à long
terme) et 78 (les gens sont encouragés à prendre des risques calculés pour
améliorer leurs résultats), un partage des points de vue sans modification
avant/après à l‟item 9 (ici, on encourage les idées novatrices et originales) et
avec une modification dans un sens défavorable pour chaque item (mais pas par
le même individu à chaque fois) aux items 45 (Les nouvelles propositions sont
souvent prises en considération), 70 (L‟initiative et la réussite personnelles sont
mises en valeur) et 107 (Dans mon entreprise, faire des choses de façon
différente est mis en valeur). T et I2 ne modifient aucune réponse. Les
changements se distribuent sur P (item 70), S (item 45) et I1 (Items 45 et 107)
qui se rallient ainsi à la majorité. Notons que P et S n‟ont que des avis
défavorables après interaction.
En résumé, l‟entretien de groupe a eu pour effet de très nombreux
changements d‟attitude dans un sens défavorable dans l‟appréciation des
rapports entre l‟équipe et la Direction. Afin de mettre à jour les processus
interactionnels susceptibles d‟être à l‟origine de cette évolution, nous avons,
dans le corpus de transcription, isolé puis analysé un fragment d‟interlocution
en rapport direct avec le thème de l‟échelle 7 mais recouvrant également des
problématiques soulevées par les échelles 5 et 13. C‟est ce travail que nous
présentons maintenant.
373
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
5. Analyse interlocutoire
Le fragment d‟interlocution que nous avons sélectionné est issu du
premier tiers du polylogue à cinq participants (Kerbrat-Orecchioni, 2004 ;
Traverso 2004) que constitue l‟entretien de groupe dans son entier. Il est
constitué de 34 tours de parole (104P-138I2) que nous analyserons en tenant
compte du caractère séquentiel de l‟interaction. Pour la clarté de l‟exposé, nous
présenterons ce corpus découpé en plusieurs séquences thématiques. Afin de
repérer l‟articulation des thèmes les uns avec les autres, nous avons construit,
pour tout l‟entretien, à partir de la formalisation des contenus propositionnels en
calcul des prédicats du premier ordre, une frise chronologique avec un code
couleur30, qui respecte la séquentialité de l‟interlocution. Cela donne, par
exemple pour l‟extrait qui nous intéresse, la figure 1 où apparaît la succession
des tours de parole 105I2, 113T, (…), 118I2, 119I1. La première ligne porte les
prédicats, les seconde et troisième lignes portent respectivement les arguments
1 et 2. Chaque prédicat est codé en fonction du thème qu‟il représente : le
leadership au sens large (diagonales fines), le changement (rayures verticales),
et une forme de plainte particulière (treillis gris) que nous présenterons ci-après.
Figure 1. Frise chronologique thématique
(..) 105I2
accompagne (…) changer
quelqu'un
nous
on
la réunion
du mardi
113T
118I2
(…) imposer (…) manquer
de
on
nous
on
cadre
119I1
manquer
de
(..)
on
guide
5.1 Enchainement dialogique de la première séquence 104P-112I2
La première séquence est un trilogue où interviennent P, T et I2. Voici :
104P : Les voitures de fonction, on sait bien que ça bouge pas très bien, mais on
n‟a pas forcement envie de faire bouger les choses. Je sais pas, je reprends
l‟exemple de la synthèse, c‟est quand même ça, on avait dit que tous les matins à
9h, on se réunissait jusque 9h15, on n‟l‟a jamais fait, on se dit que ce serait peut
être mieux, mais on hésite à le faire
105I2 : On a rarement quelqu‟un qui nous accompagne dans la démarche. Même
la réunion de synthèse les mardis, on avait dit qu‟il fallait qu‟on change, qu‟on
fasse autrement, etc.., et la fois d‟après, c‟était reparti comme avant
106T : Il n‟y a pas de leader
30
Pour des raisons de place, nous ne pouvons pas présenter la frise de l‟extrait dans sa totalité.
374
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
107I2 : Eh si, il y a un leader, mais le problème
108P : Il en faut forcément un, mais c‟est vrai qu‟il n‟assure pas son rôle
109T : Du coup ça reste stagnant
110I2 : Heu, ben oui, c‟est qu‟on n‟a pas envie
111P : Oui c‟est pour ça, moi je pense
112I2 : C‟est qu‟on n‟a pas envie. Les efforts, c‟est donnant-donnant
5.1.1. La thèse soutenue par P : l‟état mental de l‟équipe
responsable de l‟échec
En 104P, P constate une non évolution de l‟équipe dont il semble
attribuer la responsabilité à l‟équipe elle-même. Il semble indiquer que l‟équipe
agit contre son propre jugement, et il démontre qu‟il lui manque une propension
à faire ce dont elle sait que ce serait meilleur pour elle. Analysé sous un angle
cognitif, l‟état mental de « on » décrit ici par P s‟apparente à une faiblesse de la
volonté (Davidson, 1991 ; Ogien, 1993) : les agents estiment qu‟une certaine
ligne de conduite est probablement meilleure que celle qu‟ils suivent. Pour P,
les membres de l‟équipe (on) croient (on sait bien que) qu‟un changement est
probablement nécessaire (ce serait peut être mieux) mais ne réalisent pas ce
changement (on n’l’a jamais fait, …mais on hésite à le faire). L‟origine de ce
défaut est, selon P, une absence de désir : mais on n’a pas envie de faire bouger
les choses. Ainsi, l‟intentionnalité (ou état mental) que P attribue à l‟équipe est
complexe, composée de deux intentionnalités –fondamentales selon Searle
(1985) : la croyance et le désir. Formellement, cet état intentionnel de « on »
s‟exprime par la formule  (avec  pour symboliser la modalité ontique « peutêtre »,  pour la négation) :
 : Croyanceon [ (changer(on) = Etre Mieux(on)] &  Désiron [changer(on)]
5.1.2. Le contre implicite de I2
Mais, de manière subtile, l‟assertion de P est immédiatement contrée,
du moins partiellement. C‟est I2 qui, la première, ouvre le débat. 105aI2 « On a
rarement quelqu’un qui nous accompagne dans la démarche » accueille la
chute de 104P « on hésite ». On observe tout d‟abord la reprise d‟un « on »
collectif introduit par P, renforcé par un « nous » qui se rapporte aussi à
l‟équipe. Alors que P présentait son équipe comme défaillante, I2 apporte un
nouvel éclairage. Selon lui, l‟équipe subit un défaut d‟accompagnement de la
part de « quelqu‟un ». Or, « accompagner quelqu‟un » signifie « se joindre à
lui, pour le suivre ou le guider, dans un mouvement qu‟il a auparavant initié ».
375
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Ce que le discours de I2 présuppose donc, c‟est que l‟équipe a initié une
démarche de changement ; il affirme ensuite qu‟elle a manqué d‟aide pour
progresser dans la démarche. L‟introduction d‟un tiers sur la scène
conversationnelle a pour effet d‟éclipser l‟argument mental invoqué par P et de
décharger la responsabilité des membres de l‟équipe sur une tierce personne
non identifiée. Analysé sous le même angle que précédemment, l‟état mental
décrit en 105aI2 s‟exprime par la formule ‟ où l‟argument de I2, la croyance
en un défaut d‟aide de la part de quelqu'un, serait le conjoint droit de la formule
 ainsi modifiée. Cela donne ‟ = Croyanceon [ (Changer(on)) → Etre
Mieux(on)] & Croyanceon [ x (accompagner (x, on)].
En 105bI2, « on avait dit qu’il fallait qu’on change, qu’on fasse
autrement, etc.., et la fois d’après, c’était reparti comme avant », I2 utilise la
modalité déontique « il fallait ». Tout comme P, I2 rapporte ce que le groupe
(on) avait asserté (on avait dit que) dans le passé. Or, nous savons (Searle &
Vanderveken, 1985, p. 18 ; Ghiglione & Trognon, 1993, p. 163), que de « x
asserte y » on peut déduire « x croit y » ; ainsi, de « on avait dit „qu‟il fallait
qu‟on change‟ », on peut déduire « on croyait „qu‟il fallait qu‟on change‟ ». On
observe ainsi que, selon I2, l‟équipe (on) croyait qu‟un changement était
indispensable (il fallait). D‟un point de vue formel, le changement en question
constitue le contenu intentionnel de la croyance de « on », le conjoint gauche
des expressions  et ‟. Ce contenu intentionnel est maintenant placé sous la
portée de la modalité déontique « il fallait », ce qui donne (avec  pour
symboliser la modalité déontique) : Croyanceon [ (changer(on))].
Formellement, cela revient à dire que, par l‟usage de la modalité déontique, I2
indique en 105bI2 que, selon la croyance de l‟équipe, un changement s‟imposait
dans tous les mondes admissibles parmi les mondes qui lui étaient accessibles,
au moment même où il énonçait « il fallait qu’on change » (i.e. à tout monde
futur au monde (Wn-k) où a été énoncée cette obligation). L‟expression ‟‟ qui
correspond à l‟état mental de l‟équipe décrit en 105I2 donne :
‟‟ : Croyanceon [(Changer(on)) → Etre Mieux (on)]
&
Croyanceon [ x (Accompagner (x, nous)]
Mais, plus précisément, entre le moment de l‟énonciation de l‟équipe
(t‟‟ en Wn-k) et le moment t actuel (moment de l‟énonciation de I2, situé en
Wn), correspond un intervalle de temps j, qu‟est l‟univers temporel (Wn-1)
postérieur à (Wn-k) et antérieur à Wn, où un moment t‟ correspond à ce que I2
la fois d’après ». Selon I2, en Wn-1, les actions
376
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
accomplies étaient les mêmes que celles accomplies en Wn-k (« c’était reparti
comme avant »). Par conséquent, la nécessité de changement (changement)
connue de l‟équipe en Wn-k n‟a pas eu lieu en Wn-1. Partant, le monde actuel,
Wn, est maintenant identique à Wn-k. Sur une représentation linéaire du temps,
cela donne :
Figure 2
j
t„„
Wn-k
Wn
on avait dit que
changement
t„
Wn-1
t
la fois d‟après
c‟était reparti comme avant
 changement
changement
L‟échec du changement, présenté comme une initiative avortée, est
intersubjectivement validé par P et I2 à l‟issue de ces deux premiers tours de
parole. Les interlocuteurs ont cependant avancé des interprétations différentes :
alors que P fournissait une explication interne, liée aux agents, I2 attribuait une
cause externe, un manque d‟aide venue de l‟extérieur pour atteindre les buts que
l‟équipe s‟était fixés. Or, comme le rappellent Blanchet et Trognon (2008, p.
98), « le leader effectue une tâche complexe en favorisant la progression du
groupe vers ses buts ». Ainsi, même s‟il semble peu probable que T se réfère à
cette définition de manière aussi explicite au moment où il énonce 106T (il n’y
a pas de leader), c‟est pourtant en la prenant en considération que se déduit
logiquement son intervention à partir de 105I2. 106T « il n’y a pas de leader »
ne fait pas partie du discours de I2 mais tout se passe comme si celui-ci l‟avait
déclenché. En effet :
104P (renforcé par 105bI2) : on ne réalise pas les buts que l‟on s‟est fixés
105aI2 : on a rarement quelqu'un qui nous accompagne dans la démarche
Def. : le leader effectue une tâche complexe en favorisant la progression du
groupe vers ses buts
______________________________________________________
106T : il manque le leader
377
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
I2, en énonçant 107I2 (Eh si, il y a un leader), marqué par le « si »
d‟opposition, semble exclure catégoriquement la déduction de T, qui, nous
l‟avons vu, se déduit pourtant logiquement de son propre discours. Ensuite, il
apporte immédiatement une restriction introduite par « mais » (mais le
problème), ne rejetant ainsi que partiellement 106T. Tout se passe comme si
deux interprétations différentes de 106T avaient été envisagées par I2 : (i) il n‟y
a pas de supérieur hiérarchique (leader-statut) et (ii) il n‟y a pas d‟agent
assumant le rôle de leader, par exemple en l‟accompagnant (leader-fonctionnel).
En logique des prédicats du premier ordre, on symbolise le prédicat : être leader
hiérarchique par L1 ; assurer le rôle de leader par L2. Mais, en plus, en disant
« il y a un leader », I2 semble se référer à un individu particulier, connu d‟au
moins lui-même (mais a priori, de ses interlocuteurs-collègues aussi). 107I2
exhibe ainsi une sorte de dépendance contextuelle qui se traduit par l‟expression
« il y a quelqu'un dont T sait qu‟il est le leader ». Formellement, cela donne :
107I2 : (x) (L1x  L2x)
5.1.3. Le consensus
C‟est 108P, « il en faut forcément un, mais c’est vrai qu’il n’assure pas
son rôle », qui désambigüise doublement 107I2. Déjà, la première partie de
108P, 108aP « il en faut forcément un », par l‟usage du déontique forcément,
indique une norme : quelque soit l‟équipe, il existe un leader. Cette
généralisation a pour effet de renforcer 107aI2 (il y a un leader). Ensuite, la
seconde partie, 108bP, introduite par le connecteur d‟opposition « mais »,
apporte une restriction à 108aP, qui, introduite par l‟expression « c‟est vrai
que », semble valider une des deux alternatives interprétatives de 106T. 108bP
« il n’assure pas son rôle » illustre, en effet, la thèse selon laquelle il manque
un leader fonctionnel. Dans l‟énoncé « c’est vrai qu’il n’assure pas son rôle »,
le pronom personnel « il » se rapporte à un individu connu de T (grâce à
l‟expression c‟est vrai que) et de P. Selon T et P, il y aurait ainsi un leader
connu d‟au moins eux deux qui n‟assure pas son rôle de leader. Formellement,
cela donne :
108P : (x) (L1x   L2x)
En 109T, « Du coup ça reste stagnant », T relie à l‟aide du connecteur
consécutif « du coup » la proposition précédente « il [le leader] n’assure pas
son rôle » à son assertion selon laquelle ça reste stagnant, thèse déjà défendue
par I2 et T. L‟expression « du coup » symbolise le processus déductif qui a
opéré et produit ainsi une conclusion selon laquelle le défaut de leadership est à
l‟origine du non changement. Formellement, cela donne, avec la symbolisation
378
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Cx = x change (notons l‟inversion du quantificateur existentiel par rapport à
105I2 qui exprime que maintenant les interlocuteurs se référent à un individu
connu) :
109T : (x)  (L2x) →  C (on)
Puis, en 110I2 « on n’a pas envie », l‟assertion du non désir de l‟équipe
réapparaît, énoncée cette fois par I2. Evidemment, en 111P, P ratifie l‟assertion
(oui), qui n‟est autre que l‟expression de son idée initiale. Puis en disant « c’est
pour ça moi je pense », il s‟apprête à justifier une pensée β (qu‟il revendique
avec insistance) à l‟aide de « ça » qui se rapporte à « on n‟a pas envie » que I2
vient de rappeler et que P a ratifé. L‟énoncé incomplet 111P a ainsi la forme :
moi je pense que β parce que α, avec α = on n‟a pas envie. Cela revient à : je
pense que β parce que « on n‟a pas envie », « on n‟a pas envie » cause β.
Formellement, cela donne : 111P : on n‟a pas envie → β.
Mais, en 112aI2, I2 coupe la parole à P avec « c’est qu’on n’a pas
envie ». L‟expression « c‟est que » qui débute son énoncé introduit également
une justification. Ainsi, 112aI2 a la forme : si β c‟est que α, avec α = on n‟a pas
envie. Cela revient à : β parce que « on n‟a pas envie », « on n‟a pas envie »
cause β. Formellement, cela donne : 112aI2 : on n‟a pas envie → β.
Les pensées de I2 et de P semblent se rejoindre. Si on rapporte 111P et
112aI2 aux énoncés qu‟ils ont intersubjectivement validés auparavant (on n’a
jamais fait, c’était reparti comme avant), on peut sans difficulté compléter 111P
et 112I2. Cela donne avec β = on ne change pas : 111P ou 112aI2 : on n‟a pas
envie → on ne change pas. Traduit en logique des prédicats du premier
ordre (on écrit l‟expression implicitée mais non dite en italique) :
111P ou 112aI2 : Désiron(Con) →  C (on)
En 112bI2, « les efforts, c’est donnant-donnant », I2 clôt la séquence.
Comme en 109T, qui était directement déductible de son propre discours, I2
laisse sous-entendre un rapport entre les efforts de changement (non)réalisés par
l‟équipe et la (non)coopération du leader. Cette déclaration, qui n‟est pas sans
rappeler la stratégie de réciprocité d‟un jeu perdant-perdant, met explicitement
en avant la relation entre les intentions et les actions de l‟équipe en indiquant
que les unes sont la condition de satisfaction des autres (à l‟instar de Searle,
1985, p. 104). Finalement, le consensus auquel sont parvenus les trois
interlocuteurs à l‟issue d‟un trilogue de 9 tours de parole s‟exprime par l‟énoncé
symbolique suivant :
379
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Conclusion : {[(x) ( L2x)] → [Désiron(Con)]} → [ C (on)]
Notons la particularité syntaxique de cette expression constituée
uniquement de propositions formées avec des négations.
5.1.4. La logique interlocutoire du trilogue
La forme dialectique de ce trilogue est représentée en logique
interlocutoire par un tableau à trois colonnes, mettant ainsi en évidence la
propriété de dialogicité de l‟interlocution puisqu‟à chaque colonne correspond
la contribution d‟un interlocuteur, mais aussi la propriété de séquentialité,
puisque les énoncés sont inscrits de haut en bas dans l‟ordre de leur apparition.
Cela donne le tableau 3.
Le jeu de dialogue qui s‟est accompli a mis aux prises P, dans la
position de promoteur de sa thèse initiale et I2, comme utilisateur de cette thèse.
P a proposé en 104P une phrase complexe qui comportait le connecteur de
conjonction : Désiron [C(on)]  [C(on)]. I2 a retenu un conjoint [C(on)], et
l‟a renforcé par l‟usage de la modalité déontique. Quelques tours de parole plus
tard, il agissait de la même manière avec le second conjoint de 104P : Désiron
[C(on)]. Là encore, il ne s‟y est pas opposé. On observe que I2, avec l‟aide de
T, a intégré les arguments de P et a déclenché un enchaînement de déductions
auquel ont participé les 3 interlocuteurs. Cette dérivation logique a fini par
aboutir à une conclusion qui n‟est autre que, à partir de l‟assertion du premier
énonciateur (en 104P), l‟intégration des assertions de tous mais unies par des
relations originales. Pour représenter cette co-construction par une déduction
naturelle, il suffit de tracer un indicateur de portée devant chaque nouvel
élément mis en évidence par l‟analyse (Tab. 2). Ces éléments ouvrent dans la
dérivation logique une ligne auxiliaire au fur et à mesure de leur apparition ;
Cela donne (avec P (x,y) pour x accompagne y, les autres symbolisations ont
déjà été présentées infra) :
380
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Tableau 3. Logique interlocutoire de la séquence 104P-112I2
I2
T
P
104P
 Désiron [C(on)]

[C(on)]
105I2
[C(on)]
 (x) [P(x, on)]
106T
(x) (Lx)
107I2
(x) (L1x  L2x)
108P
(x) (L2x)
=
 (x) [P(x, on)]
109T
(x) (L2x) → [C(on)]
110I2
Désiron [C(on)]
111P
Désiron [C(on)] →
[C(on)]
112I2
 Désiron [C(on)] →
[C(on)]
Conclusion
[(x) (L2x)] → {[Désiron(Con)] → [C(on)] }
381
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
1 [Désiron (C(on)]  [C(on)]
104P
2
(x) P (x, on)
105Ia2
3
C(on)
E-1 105Ib2
4
{(x) P (x, on)}
R-2
5
{(x) P (x, on)}  [(x) L2
106T-107I2-108P
6
[(x) L2(x)]
E-5
7
[(x) L2(x)]
R-6
8
Désiron (C(on)]
E-1
9
[(x) L2(x)]
 Désiron (C(on)]
I-7,9
10
Désiron (C(on)]
E-1110I2
11
C(on)
R-3
12
Désiron (C(on)]  C(on)
I-10, 11
13
{[(x) L2(x)]Désiron(C(on)]}  {Désiron (C(on)]  C(on)}}
I-9, 12
14
{[(x) L2(x)]Désiron(C(on)]}  {Désiron (C(on)]  C(on)}} ├
├I-13
{[(x) L2(x)]Désiron(C(on)]} C(on)}}
Déduction naturelle de la conclusion consensuelle 104P-112I2
5.2. Seconde séquence 113T-131T : le développement de la plainte
Dans la suite de l‟entretien, I1 prend la parole, contribuant ainsi à
l‟entretien de groupe. Cette seconde séquence constitue donc un polylogue à
quatre participants :
113T : Oui, mais moi, je trouve qu‟on nous impose très peu de choses
114 P : Ben oui, mais est-ce que c‟est bien ?
115T : Ben non, je ne te dis pas que c‟est bien
116P : Ouais
117T : Non, je ne dis pas du tout que c‟est bien
118I2 : On manque de cadre
119I1 : Oui c‟est ça, on manque d‟un guide
120T : Enfin, je veux dire que c‟est une trop grande liberté
121I2 : Non, je ne suis pas si sûr. Non je ne suis pas si sûr.
122T : A quel niveau alors ?
123I2 : J‟ai l‟impression qu‟on me coupe l‟herbe sous les pieds
124I1 : Il manque un animateur, un cadre qui anime
125I2 : Dans certains domaines, donc moi, j‟arrête
126T : Des projets qu‟on t‟a poussé à faire ?
127I2 : Non, qu‟on a amené l‟initiative, mais pas au terme
128P : Qu‟on ne t‟a pas encouragé
129T : Qu‟on ne t‟a pas encouragé à pousser
130I2 : On nous dit oui au départ
131T : Mais par contre, je trouve qu‟il n‟y a aucun projet imposé
382
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
On observe dans le déroulement de cette séquence un changement de
style discursif par rapport à l‟extrait précédent. L‟interaction verbale est
marquée par une évolution du mode énonciatif individuel et collectif qui,
comme nous allons le démontrer, façonne la dynamique des énoncés produits et
retentit sur l‟enchaînement concret des échanges.
Dès 113T, le mode énonciatif de T consiste à affirmer son jugement
personnel en se distinguant, ce qui crée un effet d‟individualisation particulier
au sein de cet entretien de groupe : il introduit l‟expression de sa pensée par un
verbe d‟opinion (113T, 131T), procède à la dénégation des interprétations
possibles de ses assertions (115T, 117T) ou encore, exprime son intentionnalité
de communiquer (120T). Cela donne :
113T : Trouver [T, (Imposer (on, nous, très peu de choses))]
115T : Non {asserter [T, (Imposer (on, nous, très peu de choses) = être
bien)]}
117T : Non {asserter du tout [T, (Imposer (on, nous, très peu de choses)
= être bien)]}
120T : Vouloir dire [T, (Etre (c‟, trop grande liberté))]
131T : Trouver [T, non avoir (il, projet imposé)]
On constate également, qu‟après avoir tenu, de 104P à 112I2, un
discours marqué par l‟usage de la négation syntaxique pour exprimer des idées
négatives sur soi et sur le leader de l‟équipe, les interlocuteurs construisent
maintenant un discours où prédominent des propositions à polarité sémantique
négative. C‟est le cas, par exemple, de l‟intervention 118I2 « on manque de
cadre » dont on observe que I1 exploite toute l‟étendue de sens. En effet, le
terme « cadre » dans « on manque de cadre » autorise plusieurs interprétations :
(i) dans une organisation hospitalière, le cadre est l‟agent qui assume la
responsabilité hiérarchique de l‟équipe de soins qu‟il encadre et anime ; (ii)
mais à la proposition « on manque de cadre », avec « de » comme indéfini, peut
correspondre également un sens plus général. Le discours de I1 reprend les
deux significations : la première, en 119I1, par la reformulation « on manque
d’un guide » et la seconde, un peu plus à distance, en 124I1, en pointant l‟agent
qui fait défaut « il manque un animateur, un cadre qui anime ». D‟ailleurs,
118I2 et 119I1 sont deux énoncés qui présentent la même forme prédicative :
[Manquer de (on, cadre)] et [Manquer de (on, guide)]. La succession de ces
deux énoncés, courts, formellement identiques, crée, outre un effet de rapidité,
une impression de prise de parole collective qui entre en contraste avec le style
individualiste de T. Cette impression est accentuée d‟une part, par la place du
pronom « on », qui se rapporte à l‟équipe, en premier argument dans chacun des
deux énoncés, et d‟autre part, par la portée de 119I1 qui, non seulement ratifie
383
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
118I2 dans son étendue sémantique, mais aussi dans sa dimension pragmatique
de plainte.
L‟aspect énonciatif, interactif et collaboratif de cette plainte qui
structure l‟interaction depuis 104P, évolue également, dessinant très localement
un (micro)genre discursif (le G2 de Kerbrat-Orecchioni, 2003) où alternent et se
mélangent des discours explicatifs et illustratifs voire un (micro)récit illustratif.
T et I2 s‟opposent. Sur le contenu de leur plainte, tout d‟abord ; alors
dénonce être empêchée dans ses projets. Cette dissimilitude est manifeste
lorsqu‟en réaction à l‟affirmation de T, en 120T, qui porte sur un contenu
indéterminé (c’est une
), I2 illustre le désaccord qu‟elle
venait juste de réitérer en 121I2, par j’ai l’impression qu’on me coupe l’herbe
sous les pieds en 123I2. Sa présentation de soi, victime d‟un préjudice, avec le
prédicat « couper », à valence fortement négative, laisse entrevoir une vive
souffrance personnelle, même si la correspondance de sa déclaration avec la
réalité est atténuée par le modalisateur intentionnel « j‟ai l‟impression que »
(qui introduit un monde incertain, lequel pourrait accepter un monde alternatif
où quelqu'un dirait « j‟ai l‟impression que…ne …pas »). Le témoignage de I2 a
la forme d‟un raisonnement logiquement déductible : de la prémisse « on me
coupe l‟herbe sous les pieds », il déduit ensuite, en 125I2, « donc moi j‟arrête ».
S‟apparentant davantage aux « negative observations » de Schegloff (1988)
qu‟à une plainte au sens de Heinemann et Traverso (2009), la doléance de I2
n‟est accompagnée d‟aucun ressenti (tristesse, colère, exaspération, …). Il
attribue la responsabilité de l‟obstruction à la réalisation de ses projets à un
« on », à l‟identité indéterminée. Rien n‟indique que « on » est l‟un des
interlocuteurs présents ; il s‟agit donc d‟une plainte indirecte au sens d‟une
« third-party complaints » de Traverso (2009).
Dès lors, c‟est l‟échec d‟une tentative de co-construction d‟un microrécit que va produire l‟interaction. La charge plaintive de 123I2 capte
l‟attention de son destinataire, le groupe co-présent, qui le témoigne par ses
relances. Mais I2 n‟entre pas dans le discours événementiel vers lequel les
reformulations et les demandes d‟information de ses collègues l‟orientent. On
observe notamment un singulier télescopage entre les présuppositions d‟une
question factuelle31 de T et le contenu sémantique du discours explicite de I2.
Tandis qu‟elle lui était jusque là intime, I2 rend publique en 123I2 son
impression d‟être supplantée, dépassée par d‟autres projets que ceux qu‟il a
imaginés et initiés. Il pourrait, dès lors, se dire que ses collègues savent, et
qu‟ils savent qu‟il sait qu‟ils savent. Mais, contre toute attente, la demande de
confirmation de T en 126T, (des projets qu’on t’a poussé à faire ?), qui
présuppose bien l‟existence de projets, annihile toute l‟ingénierie de I2
31
Pour une présentation de l‟aspect présuppositionnel des questions, se reporter à Hintikka, 1976.
384
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
contenue dans son affirmation précédente. I2 pourrait avoir de bonnes raisons
de penser que T n‟a pas saisi que sa plainte porte justement sur l‟absence de
considération de sa créativité. C‟est finalement sa réponse qui lève le
malentendu (29I2 : Non, qu’on a amené l’initiative, mais pas au terme). Le sens
128P, puis T, en 129T, expriment (128P) Qu’on ne t’a pas encouragé et (129T)
Qu’on ne t’a pas encouragé à pousser. Partiellement, mais pas totalement, car
ne pas encourager quelqu'un à poursuivre un projet est moins conséquent que de
l‟en empêcher. L‟effet recherché par I2 au moment où il livre sa pensée n‟est
réellement connu que de lui-même. A-t-il parlé simplement pour faire savoir ou
pour défendre la légitimité de son désaccord et emporter l‟adhésion ? Il peut
constater, en tous les cas, que sa plainte n‟a pas eu pour effet de se faire
plaindre, ni de récolter le ralliement de ses collègues. Nonobstant, par un
glissement de « je » à « on » puis à « nous » (127I2 : Non, qu’on a amené
l’initiative ; 130I2 : On nous dit oui au départ), I2 inclut l‟équipe dans sa
plainte, si bien qu‟il devient difficile, finalement, de déterminer qui est le
plaignant, I2 ou l‟équipe.
Conclusion
Dans cette étude, il s‟agissait de s‟intéresser aux mouvements de
pensées d‟individus placés en situation d‟interaction entre deux administrations
d‟un même questionnaire. Il était demandé à ces agents de s‟exprimer grâce à
ce questionnaire sur leur perception de leur ambiance de travail. Les scores
ainsi obtenus mettent en évidence une perception globalement favorable de leur
environnement professionnel. Néanmoins, on observe des résultats très
défavorables. Ces derniers mettent en exergue une difficulté dans la
communication et dans le rapport de l‟équipe avec sa hiérarchie. Ce sont ces
deux dimensions qui sont le plus concernées par les changements d‟opinion
dans un sens défavorable avant/après interaction.
Dans son ensemble, l‟entretien n‟a pas révélé de difficulté entravant la
communication au sein du groupe. Ces agents ont l‟habitude de se retrouver
entre eux, sans supérieur hiérarchique et loin de l‟équipe médicale, dans la salle
de détente pour échanger de manière informelle au sujet de leurs conditions de
travail. C‟est sans doute ce qui a joué dans la fluidité des échanges et permis
des débats sans frein apparent de protection de faces pourtant très exposées
dans ce contexte (Goffman, 1987). On relève, par ailleurs, que cette
interlocution d‟une trentaine de tours de parole est comparable sur le plan
fonctionnel aux « big packages » de Sachs (1992, p. 354) car il est incontestable
que l‟entretien s‟est déroulé par « blocs » de mouvements interactionnels,
comme l‟a montré notre analyse.
L‟analyse du premier extrait a mis en évidence le mécanisme interactionnel qui
a permis à l‟équipe de pointer consensuellement la nature de ses difficultés
385
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
inhérentes à son encadrement. Nous avons démontré, à partir des mots qui ont
été échangés, comment ce consensus a émergé. Ce ne sont pas des informations
nouvelles apportées par l‟un ou l‟autre qui ont fait basculer les opinions dans un
sens défavorable. Ce que nous avons observé, c‟est la co-construction d‟une
nouvelle architecture de ces éléments bien connus de tous, mais tissés dans/par
l‟interaction avec de nouveaux liens logiques. Une telle réorganisation de
pensée a sans doute été à l‟origine des écarts de score apparus dans les
questionnaires. Quant aux basculements très défavorables observés sur l‟échelle
7, les échanges du second extrait d‟interlocution les expliquent sans doute en
qui ne s‟est pas exprimé au cours de cette séquence, pour I1 et pour P. T n‟a pas
modifié son point de vue, qui n‟est favorable que sur un point « les nouvelles
propositions sont souvent prises en considération ». Au regard de l‟analyse des
échanges entre lui et I2, il n‟y a rien d‟étonnant à relever cette stabilité. Par
contre, les changements de I1 sont cohérents avec sa manière générique de faire
découler de chaque plainte exprimée un défaut patent d‟encadrement.
S‟agissant du revirement négatif de P à la question « l’initiative et la réussite
personnelles sont mises en valeur », nous formulons une hypothèse. Souvenonsnous du « crissement » interactionnel survenu à un moment délicat où I2 livrait
une part intime de soi (123-125I2/126T). Par sa maladresse, T rompait le cours
d‟une révélation, probablement l‟origine d‟une blessure d‟ordre narcissique.
C‟est alors P, qui prenant le troisième tour de parole qui aurait dû revenir à T,
avait le premier rectifié l‟erreur d‟interprétation de T. Il est possible que dans ce
contexte social particulier, P ait pris la mesure de la difficulté rencontrée par I2.
En effet, une des particularités des paramédicaux est leur organisation très
hiérarchisée dans les secteurs de soins 32 avec un contrôle plus ou moins étroit
des cadres sur les soignants. On observe que tout se passe comme si la
révélation de I2 avait opéré comme un déclic, éclairant P, professionnel de
l‟écoute, sur la souffrance de I2 limité dans l‟initiative de ses actions. Ainsi, P
peut déduire du témoignage de son collègue que l‟une des spécificités de
l‟activité de l‟infirmier, qui tient à son absence d‟autonomie, résiste à la
mobilité et la transversalité de cette UMSP. P, quant à lui, ne subit pas cette
rigidité, même s‟il appartient à la même équipe fonctionnelle, et
pluridisciplinaire, que ses collègues infirmiers. Il est fort possible que le
changement de réponse du psychologue soit la manifestation d‟un mouvement
d‟empathie. D‟où l‟échange :
135P : On nous demande de suivre quoi
136I2: C‟est vrai qu‟on manque de projets collectifs même
137T: Une trop grande liberté aussi
138I2 : Et puis d‟un autre coté, on nous serre un peu trop dans certains domaines
32
Cf. Batt & Trognon (2010, dans ce même numéro).
386
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
En conclusion, la procédure expérimentale qui a été mise en œuvre et la
logique interlocutoire appliquée à cette démarche originale ont permis de
dévoiler la syntaxe de la construction d‟une représentation de groupe dans le
tissage de l‟interdiscours accompagnée de ses effets. L‟analyse du corpus, dont
nous n‟avons pu présenter ici qu‟un extrait, a permis de mettre à jour des
processus intrinsèques a la nature collaborative d‟une plainte de groupe.
Références
Batt, M., Luporsi, E., Trognon, A., Laux, J. & Michel, M. (2006). Etude exploratoire
des propriétés communicationnelles de la consultation d'oncogénétique. Revue
Francophone de Psycho-Oncologie, 1, 1-5.
Batt, M., Trognon, A. & Vernant, D. (2004). Quand l‟argument effleure la conviction :
Analyse interlocutoire d‟une croyance dans un entretien de médecine
prédictive. Psychologie de l’interaction, 17-18, 167-218.
Batt, M. & Trognon, A. (2009). Ergonomie cognitive d‟une consultation génétique pour
le test présymptomatique de maladie de Huntington. Psychologie du travail et
des organisations, 15, 1, 21-40.
Batt, M. & Trognon, A. (2010a). De quelles méthodes logiques avons-nous besoin pour
soutenir le projet d‟une logique naturelle de l‟usage du langage en interaction ?
Sciences du langage et demandes sociales. In Hudelot (Eds), Sciences du
langage et demandes sociales (pp. 31-53). Limoges : Editions Lambert-Lucas.
Batt, M. & Trognon, A. (2010b). L‟équipe paramédicale à l‟hôpital psychiatrique :
retentissement actuel d‟une évolution de deux décennies. Psychologie du
travail et des organisations, à paraître.
Blanchet, A. & Trognon, A. (2008). La psychologie des groupes. Paris : A. Colin.
Bonnières, A., Estryn-Behar, M. & Lassaunières, JM. (2010). Déterminants de la
satisfaction professionnelle des médecins et infirmières de soins palliatifs.
Médecine Palliative : Soins de support-Accompagnement-Ethique. Sous
presse.
Carlson, L. (1983). Dialogue games. An approach to discourse Analysis. Dordrecht:
Reidel.
Clark, H. (1996). Linguistic process in deductive reasoning. Psychological Review, 4,
387-404.
Davidson, D. (1991). Paradoxes de l’irrationalité. Combas : Editions de l‟Eclat.
Di Fabio, A. & Bartolini, C. (2009). L‟impact de la justice organisationnelle sur la
satisfaction au travail et l‟engagement affectif dans un hôpital italien.
Psychologie du travail et des organisations, 15, 420-434.
Derniaux, A., Chevallier, J. & Perineau, M. (2005). La transversalité en équipe mobile
de soins palliatifs (EMSP) : essai d‟élaboration d‟un concept. Médecine
Palliative : Soins de support-Accompagnement-Ethique, 4 (3), 146-151.
Duffy, R.D. & Richard, G.V. (2006). Physician job satisfaction across six major
specialties. Journal of Vocational Behavior, 68, 548-559.
Gardies, J. L. (1979). Essai sur la logique des modalités. Paris : PUF.
Goffman, E. (1987). Façon de parler. Paris : Editions de Minuit.
Ghiglione, R. & Trognon, A. (1993). Où va la pragmatique? Grenoble : PUG.
387
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Heinemann, T. & Traverso, V. (2009). Complaining in interaction. Journal of
Pragmatics, 41, 2381-2384.
Hintikka, J. (1962). Knowledge and Belief. An Introduction to the Logic of the Two
Notions. Ithaca, New York : Cornell University Press.
Hintikka, J. (1976). The semantics of Questions and the Questions of Semantics
(Societas philosophica fennica).
Hintikka, J. (1981). Questions de réponses et bien d‟autres questions encore. Langue
Française, 52, 56-69.
Hintikka, J. (1989). L’intentionnalité et les mondes possibles. Tr. fr. N. Lavand. Lille :
Presse universitaires de Lille.
Kerbrat-Orecchioni, C. (2003). Les genres de l‟oral : Types d‟interactions et types
d‟activités.UniversitéLumièreLyon,http://icar.univlyon2.fr/Equipe1/actes/journ
ees_genre.htm
Kerbrat-Orecchioni, C. (2004). Introducing polylogue. Journal of Pragmatics, 36, 1-24.
Kerbrat-Orecchioni, C. (2005). Le discours en interaction. Paris : Armand Colin.
Larrue, J. & Trognon, A. (1994). Introduction à la pragmatique du discours politique. In
A. Trognon & J. Larrue (Eds.), Pragmatique du discours politique (pp. 5-16).
Paris : Armand Colin.
Lepage, F. (1991). Éléments de logique contemporaine. Paris : Dunod.
Lyckholm, L. (2001). Dealing with stress, burnout, and grief in the practice of
oncology. Lancet Oncology, 2, 750-755.
Martin-Primat, E. & Richard, A. (2008). Le vécu psychologique des médecins,
infirmières et psychologues en UMSP. Médecine Palliative : Soins de supportAccompagnement-Ethique, 7, 2, 91-97.
Nectoux, M. & Thominet, P. (2005). Aspects infirmiers du travail d‟Équipe Mobile de
Soins Palliatifs. Médecine Palliative : Soins de support-AccompagnementEthique, 4 (2), 80-84.
Ogien, R. (1993). La faiblesse de la volonté. Paris : PUF.
Pateson, R. (2007). Aspects de l‟usage des questionnaires et l‟auto-observation.
Psychologie du travail et des organisations, 4, 13.
Roulet, E., Auchlin, A., Moeschler, J., Rubattel, C. & Scheling, M. (1985).
L’articulation du discours en français contemporain. Berne : Peter Lang.
Sachs, H. (1992). Lectures on Conversations, Vol. I & II. Oxford : Blackwell.
Sannino, A. & Trognon, A. (2003). Un'introduzione alla Logica Interlocutoria: Come
studiare l‟interlocuzione per accedere alle dinamiche generative del pensiero e
dei rapporti sociali. Ricerche di Psicologia, 2, 26, 171-204.
Searle, J. R. (1985). L’Intentionalité. Tr. fr. C. Pichevin. Paris : Minuit. [Original Wok
Published 1983. Intentionality. An essay in the philosophy of mind. Cambridge
University Press].
Schegloff, Emanuel A. (1988). Goffman and the analysis of conversation. In: Drew, P.,
Wootton, A.J. (Eds.), Erving Goffman: Exploring the Interaction Order (pp.
89–135). Cambridge: Cambridge University Press.
Schegloff, E. A. (1991). Reflections on Talk and Social Structure. In D. Boden and D.
H. Zimmerman (Ed). Talk and Social Structure (pp. 44-70). Berkeley :
University of California Press.
Searle, J. R. & Vanderveken, D. (1985). Foundations of illocutionary logic. Cambridge:
Cambridge University Press.
388
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
Traverso, V. (2004). Interlocutive “crowding” and “splitting” in polylogues; the case of
a meeting of researchers, Journal of Pragmatics, 36, 53-74.
Traverso, V. (2009). The dilemnas of third-party complaints in conversation between
friends. Journal of Pragmatics, (41), 12, 2385-2399.
Trognon, A. (2002). Speech Acts and the Logic of Mutual Understanding. In D.
Vanderveken & S. Kubo (Eds.), Essays in Speech Acts Theory (pp. 121-133).
Amsterdam: John Benjamins and sons.
Trognon, A. & Batt, M. (2002). Logique interlocutoire d‟un incipit. In E. Roulet & M.
Burger (eds.), Les modèles du discours au défit d’un ‘dialogue romanesque’ :
L’incipit du roman de R. Pinget Le Libera (pp. 403-459). Nancy : Presses
Universitaires de Nancy.
Trognon, A. & Batt, M. (2003). Comment représenter le passage de l‟Intersubjectif à
l‟Intrasubjectif ? Essai de Logique Interlocutoire. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 32(3), 399-436.
Trognon, A. & Batt, M. (2010). Interlocutory Logic: A Unified Framework for
Studying Conversation Interaction. In J. Streek (ed.), New Adventures in
Language and Interaction, (pp. 9-40). Bruxelles: Benjamins.
Trognon, A., Batt., M. & Laux, J. (2007). Psychologie sociale et raisonnement. In S.
Rossi & J. B. Van der Henst (Eds.), Psychologies du raisonnement (pp. 143168). Bruxelles : de Boeck.
Trognon, A., Batt, M., Bromberg, M., Sorsana, C. & Frigout, S. (2010). Les formes
logiques de la parole-en-interaction quelques bases de la logique interlocutoire,
in : Ph. Castel, M.F., Lacassagne, E., Salès-Wuillemin (Eds.). Psychologie
sociale de la communication 2, Paris : De Boeck.
Trognon, A., Batt, M., Rebuschi, M. & Sorsana, C. (2010). Une approche des
raisonnements émergents de l'interlocution : la logique interlocutoire.
Pratiques, à paraître.
Trognon, A., Batt, M., Schwarz, B., Perret-Clermont, A. N. & Marro, P. (2006).
Logique interlocutoire de la résolution d'un problème d‟arithmétique
élémentaire au sein d'une dyade. Psychologie Française 51, 2, 171-187.
Trognon, A. & Brassac, C. (1992). L'enchaînement conversationnel. Cahiers de
linguistique française, 13, 67-108.
Trognon, A. & Kostulski, K. (1999). Eléments d'une théorie socio-cognitive de
l'interaction conversationnelle. Psychologie Française, 44, 4, 307-318.
Trognon, A. & Saint-Dizier, V. (1999). L‟organisation conversationnelle des
malentendus : Le cas d‟un dialogue tutoriel. Journal of Pragmatics, 31, 787815.
Trognon, A., Sorsana, C., Batt, M. & Longin, D. (2008). Peer interaction and problem
solving. One example of a logical-discursive analysis of a process of joint
decision making. European Journal of Developmental Psychology 5 (5): 623643.
Vanderveken, D. (1988). Les actes de discours. Bruxelles: Mardaga.
Vanderveken, D. (1990). Meaning and Speech Acts (1): Principles of Language Use
(2): Formal Semantics of Success and satisfaction. Cambridge: Cambridge
University Press.
Walton, D. N., & Krabbe, E. C. W. (1995). Commitment in dialogue: Basic concepts of
interpersonal reasoning. Albany, N.Y.: State University of New York Press.
389
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard
390
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Pour optimiser le soin, il faut donner du sens au travail
To optimize care, we must give meaning to work
Georges Masclet
Professeur Emérite des Universités
[email protected]
Résumé
Une des conditions de l‟optimisation d‟un soin, réside dans la qualité du climat
organisationnel dans lequel il s‟effectue. Or, l‟hôpital français est aujourd‟hui dans une
entropie maximale que portent ses agents. Un stress de nature paroxystique agite ces
derniers qui s‟épuisent, deviennent violents, ou encore présentent des conduites
addictives de toutes natures.
Cette entropie a pour motif dix ans de réformes pour introduire le « Nouveau
Management Public » afin d‟adapter nos hôpitaux au contexte économique mondial. Le
but est d‟optimiser les moyens dont disposent ceux-ci.
Le motif est recevable, ce sont les conditions de la réorganisation qui ne le sont pas. La
prescription s‟est faite sans aucune autre démarche que l‟information par circulaires
comme c‟est le cas dans la fonction publique traditionnelle.
Aucunes formations pour construire de nouvelles compétences nécessaires à la nouvelle
donne, n‟ont été systématiquement programmées à cet effet. Résultats, les plus hardis
du personnel s‟adaptent et les autres s‟effondrent.
Rendre du sens au travail hospitalier, devient alors un leitmotiv nécessaire à
l‟organisation sous peine de voir tous les efforts de modernisation tourner court et
justifier les résistances du personnel à celle-ci.
Abstract
A condition of the optimization of care lies in the quality of organizational climate in
which it occurs. However, the French hospital today is in a maximum entropy that
supports its agents. A paroxysmal stress waves that they are exhausted or become
violent, even present addictive behaviors of all kinds.
This entropy has for origin ten years of reforms to introduce the "New Public
Management" to adapt our hospitals to global economic conditions. The goal is to
optimize the resources available to them.
The pattern is admissible, but the terms of the reorganization are not. The prescription
was made without further action except information by notes, as is the case in the
traditional public service.
No training to build new skills necessary for this new deal, have been systematically
programmed for this purpose. Results, the boldest of staff adapt and others fail. Giving
back sense to the hospital work, becomes a leitmotiv for the organization lest all the
efforts to modernize run short and justify the resistance of staff to it.
Mots clefs : réforme hospitalière, entropie, stress, sens au travail.
Keywords: hospital reform, entropy, stress, meaning to work.
391
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
1. Introduction
Aucun soin, ne peut s'avérer efficace s'il est pratiqué dans une
organisation où règne une entropie importante.
Le terme d'entropie est une notion abstraite empruntée au courant systémique
(Lemoine, Masclet 2007). Il désigne le degré d'incertitude ou de désordre dans
l'arrangement des éléments du système que constitue une organisation.
Cette incertitude était appréhendée classiquement, il y a encore une quinzaine
d'années, au travers d'indicateurs concrets tels que : le taux d'absentéisme, le
nombre d'accidents de travail, le taux de rebuts, les conflits, l'insatisfaction du
personnel, le turn-over, le manque de communication… (Masclet 2001).
Cette approche est désormais insuffisante, au regard de la nouvelle
symptomatologie des organisations. On constate aujourd'hui, en effet, que
l'expression psychosomatique a remplacé le conflit social dans bien des cas. Le
mal-être ne s'exprime plus désormais dans les entreprises de façon collective et
conflictuelle, il est intériorisé par les opérateurs. La conséquence c‟est la
violence, les conduites addictives, le burn-out…(Lemoine, Masclet 2007)
Il est donc important de voir en quoi consistent ces nouvelles entropies
pour essayer d'en comprendre les origines. Car si la nouvelle entropie, à
première vue, ne menace plus la production, elle concerne néanmoins toutes les
organisations, tant elle est devenue par son ampleur l‟un des plus graves
problèmes de notre temps, pour les individus. Elle menace de façon dramatique
leur santé physique et mentale, au point qu'elle constitue un danger capable de
mettre à terme en péril la bonne marche des organisations. L‟hôpital en 2010 en
est un bon exemple.
2. Les Formes de la nouvelle entropie des organisations
Le stress est devenu une donnée ambiante de notre temps. Ainsi, en
2008, un rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques
psychosociaux au travail de Philippe Nasse, magistrat honoraire et Patrick
Légeron, médecin psychiatre remis à M.Xavier Bertrand, alors Ministre du
Travail, des Relations sociales et de la Solidarité (Légeron & Nasse 2008)
signalait que le stress allait continuer à poser un ensemble de problèmes divers,
complexes et importants du fait du poids de leurs conséquences. Un des motifs
majeur évoqué, réside dans le fait que, les risques liés au stress, se
développent à la frontière entre la sphère privée (le psychisme individuel) et la
sphère sociale (les collectifs d‟individus au travail), ils sont au cœur de
beaucoup de conflits
Des études épidémiologiques menées antérieurement montraient déjà
que les pathologies liées à l'excès de stress qui se développaient dans les pays
industrialisés allaient induire un coût économique de 2 à 3 % du PNB de
l'Union Européenne (Bressan, cité par Légeron 2001). Dans ces mêmes pays on
392
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
évaluait à 60% l'ensemble des journées de travail perdues à cause du stress
(Légeron, 2001). Chouanière et al (2003) évaluaient à 41 millions le nombre de
salariés européens concernés par des problèmes de santé dus au stress au travail.
Et, ce coût atteindrait annuellement 20 milliards d'euros.
Le coût du stress au travail a donc pris une ampleur considérable et ne semble
pas se résorber, mais là ne sont pas ses seuls aspects négatifs. En effet, outre le
fait qu'il soit à l'origine de troubles somatiques importants (anxiété, fatigue,
ulcères gastriques, angine de poitrine, eczéma…) il est à l'origine de copings
inadaptés, que les individus développent pour faire face aux tensions auxquelles
ils sont confrontés. Ainsi, des violences, des conduites addictives de différentes
natures, du burn-out, se développent-ils de façon dramatique dans les
organisations de tous ordres.
2.1 La violence au travail
La violence au travail est un phénomène préoccupant partout dans le
monde et en forte progression. Ses répercussions sur la santé inquiètent à la fois
les médecins du travail et les psychiatres. Elle s'origine le plus souvent, dans
l'organisation inadaptée du travail. Ainsi, la violence institutionnelle exercée par
une personne ou un groupe de personnes rassemble aussi bien le mobbing que
le harcèlement moral et sexuel. Ce sont des agressions répétées et durables,
auxquelles on ne peut attribuer un mobile.
Le harcèlement moral est une technique de destruction consciente ou
inconsciente de la personne visée. C'est une violence psychologique qui peut
comporter une variété d'expressions. Injures, propos humiliants, isolation forcée
en sont les manifestations les plus courantes. Parmi les principales formes de
violences psychologiques nous retiendrons pour étude ici, le bullying, le
mobbing.
Le bullying est une forme de harcèlement, qui s'exprime dans le milieu
du travail, par un ensemble de pressions. Elles consistent en « des
comportements offensants, toujours imprévisibles, irrationnels et injustes par
lesquels une ou plusieurs personnes, souvent des gestionnaires, visent à
rabaisser de façon persistante un ou plusieurs salariés par des moyens
malveillants et humiliants » (Chappell et Di Martino, 2000).
Le mobbing selon Leymann (1996) est un processus de harcèlement
d'une victime, par un ou plusieurs persécuteurs à la suite d'un conflit banal. Il
s'agit d'un processus auto-entretenu et répété sur une longue période qui se
manifeste notamment par des paroles, des gestes, des écrits unilatéraux, de
nature à porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou
psychique de l'autre.
Mais, l'institution elle même peut être génératrice de violence. Ainsi, le
harcèlement institutionnel participe d'une stratégie de gestion de l'ensemble du
393
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
personnel. Dans ce cas précis la violence ne relève pas d'un problème
épisodique ou individuel mais bien d'une réalité structurelle et stratégique
(Dejours 2000). Le harcèlement professionnel, est parfois organisé à l'encontre
d'un ou plusieurs salariés précisément désignés. Cette stratégie managériale est
destinée à contourner les procédures légales de licenciement (Dejours 1998).
2.2 Les addictions en milieu professionnel
Mais, un des symptômes les plus spectaculaire dans l'expression des
nouvelles entropies s'exprime, dans les diverses formes d'addictions classiques
et moins classiques des opérateurs.
Ainsi, plusieurs facteurs favorisent la prise de psychotropes sur le lieu de
travail. D'une part, le monde de l'entreprise valorise une certaine attitude, celle
de l'homme sociable, sûr de lui, boute-en-train. D'autre part, les notions de
performance et de compétition poussent certains salariés à utiliser des produits
psychoactifs pour faire face aux contraintes de leurs tâches, gérer la pression...
pour tenir le coup.
Aussi, le milieu professionnel expose-t-il les personnes à des pressions
psychologiques qui peuvent inciter à fumer, consommer de l'alcool ou se
droguer. Ces comportements à risques constituent pour elles un système de
défense face au stress, aux tâches répétitives et peu motivantes, aux
changements dans l'organisation du travail, aux horaires perturbés, à l'absence
de reconnaissance, à l'insatisfaction au travail, aux harcèlements, à la peur de
perdre son emploi, aux objectifs non atteignables, à la dégradation des relations
au travail, aux problèmes de communication, à l'isolement...
Les conséquences de ces comportements à risques sont dramatiques.
Ainsi, rien que la prise d'alcool (Garnier 2006) sur le lieu de travail serait à
l'origine de 15 à 20% des accidents du travail et d'un taux similaire
d'absentéisme, de conflits au travail et de licenciements. Les conséquences
économiques ne sont pas moindres et se traduisent par des pertes de
productivité, des baisses de la qualité, des risques d'incidents, des erreurs, des
risques pour les outils de production, des retards, des dégradations de l'image de
l'entreprise, des risques pénaux et civils pour l'employeur…
Toutefois, il est à noter que si la consommation d'alcool diminue ou se
stabilise, l'usage de cannabis et de produits psychoactifs est en forte hausse.
Désormais, dans le monde du travail, comme dans le milieu sportif, la recherche
de performance entraîne l'utilisation de produits qui y participent. On peut
remarquer de manière générale, une augmentation des pressions et du stress
ressenti par les travailleurs. En effet, depuis 5 à 10 ans, les médecins du travail
voient arriver des salariés qui consomment des substances psychoactives à des
fins de dopage.
Selon Michel Hautefeuille (2005) médecin du travail, « les personnes
qui viennent nous voir ne sont pas toxicomanes, elles sont tout simplement
394
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
piégées à l'intérieur d'un système de dopage… ». En effet, les salariés qui
présentent des conduites addictives partagent avec les non-usagers, une image
très négative de la toxicomanie. L'intégration économique et le maintien d'un
statut social restent chez eux une préoccupation majeure.
Cette manière nouvelle, depuis une trentaine d'années, de considérer
l'activité comme une dimension centrale de sa vie, a entraîné des formes de
dépendances contradictoires : le workaholisme ou l'addiction au travail. Celle-ci
se définit comme une relation pathologique d'un sujet à son travail. Elle est
caractérisée par une compulsion à lui consacrer toujours plus de temps et
d'énergie. Le sujet se dévoue entièrement à son travail en excluant toute autre
activité ou investissement (familial par exemple). Il s'identifie à son rôle
professionnel et sa carrière prend une importance exorbitante. Le phénomène de
dépendance est durable. Il persiste en dépit des conséquences négatives sur la
santé physique et psychologique et sur la vie sociale. Ce trouble est plus
souvent le lot des classes sociales moyennes ou supérieures.
Fassel (1992) dit de l'addiction au travail, que c'est la plus « clean » de
toutes les addictions. Mais, c'est aussi une des plus difficiles à combattre du fait
de l'importance de la pression sociale qui la renforce. Elle est encouragée par la
société parce qu'elle semble être socialement productive. En effet, le travail et
l'auto esclavagisme du workaholique n'ont jamais suscité d'objections de la part
des dirigeants ni même de la société. Pour comprendre cette dépendance, il faut
la comparer au travail des artisans et des commerçants, qui de tous temps, ont
travaillé beaucoup, sans pour autant être workaholiques. Comprenons que pour
ces derniers, l'outil de travail et sa pérennisation imposaient le débord. Mais
pour le workaholique, le travail n'est pas motivé par des causes ou des
conséquences matérielles ou économiques, ni par la réalisation d'une œuvre
quelconque. C'est l'exécution elle-même et ses propres procédures qui
constituent l'objet de la dépendance. On peut ainsi établir un parallèle entre le
workaholisme et d'autres conduites addictives, tels que les jeux d'argent, les
troubles alimentaires, le sport ou l'hypersexualité.
Il est évident que dans bien des cas, cette pathologie, surtout au début,
ne dérange pas les dirigeants des entreprises qui voient là du dévouement, de la
conscience professionnelle et bien d'autres alibis organisationnels. Il faut quand
même avoir à l'idée, que l'intoxiqué du travail finit par être source de conflits et
de discriminations. Le workaholique finit par irriter tout le monde et générer
des conflits de tous ordres. Il est continuellement occupé, constamment
accaparé par son travail. Il évite ses collègues tant sur le registre relationnel
institutionnel que sur le plan humain. Il effectue régulièrement des heures
supplémentaires sans rémunération. Il rechigne souvent à prendre ses jours de
congés. Sa vie personnelle n'est pas non moins affectée. Il néglige puis fuit ses
relations personnelles. Sa vie hors travail n'existe plus et ne constitue plus un
coping face au stress généré par le travail. Les retentissements somatiques ne se
font souvent pas attendre. Ce sont d'abord des céphalées chroniques, puis des
395
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
lombalgies. A l'extrême, des troubles dépressifs apparaissent puis des ulcères,
de l'hypertension voire des infarctus et souvent le bum-out (Fassel 1992).
2.3 Le burn-out et l'organisation
Le burn-out selon Shirom (2003) peut se définir comme « une réaction
affective au stress permanent et dont le noyau central est la diminution
graduelle, avec le temps, des ressources énergétiques individuelles, qui
comprennent l'expression de l'épuisement émotionnel, de la fatigue physique et
de la lassitude cognitive. » Selon Truchot (2004), le burn-out contribue à
augmenter l'insatisfaction au travail et à diminuer l'engagement et l'implication
des opérateurs. Dans leur travail ces derniers commettent des erreurs qu'on ne
peut attribuer ni à leur manque de connaissance ni à leur carence d'expérience.
Enfin le burn-out est aussi souvent à l'origine de la détérioration des relations
entre collègues, mais aussi dans celle des rapports avec les clients, les patients,
les élèves…
3. L'Hôpital et son entropie
L'entropie de l'hôpital est mis en évidence par le projet PRESST qui
signifie : PRomouvoir en Europe Santé et Satisfaction des Soignants au Travail.
Il fait partie de cette importante étude scientifique européenne NEXT (Nurses
Early Exit Study), dont l'objectif est d'analyser pourquoi et comment, les
professionnels paramédicaux quittent prématurément leur profession. Cette
étude propose des pistes de réflexion, pour prévenir ce phénomène et mieux
aborder l'avenir (Behar 2008).
L'enquête a été menée, en Europe à partir de 2004, auprès de 69 902
soignants de toute qualification. Le taux de réponses global est de 53,2 % soit
37 161 répondants.
Concernant les problèmes de santé mentale, le questionnaire proposait
une rubrique :
«Trouble de la santé mentale (ex : dépression, « burn out », anxiété, insomnie)».
Concernant ce point, près du quart des soignants ont déclaré des troubles de la
santé mentale en Pologne, France et Allemagne. Ce n'est le cas que de 15 % ou
moins aux Pays-Bas, en Finlande et en Norvège. C'est en France que les
soignants sont les plus nombreux à déclarer être suivis médicalement pour
troubles de la santé mentale (9,8 %) ensuite on trouve l'Allemagne, la GrandeBretagne et la Belgique (7,8 %, 7,6 % et 6,7 %). Moins de 5 % des soignants
des autres pays déclarent être suivis médicalement.
Pour ce qui est de la santé au travail, la question était libellée ainsi : «
Dans la liste suivante, inscrivez les maladies et blessures dont vous souffrez
396
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
actuellement. Indiquez aussi si un médecin a fait le diagnostic ou traité ces
problèmes de santé ». (Il s'agissait de cocher selon une liste détaillée que nous
reprendrons plus loin).
Les soignants de l'échantillon européen ont déclaré avoir eu les affections
suivantes :
- un accident 13 % (9,7 % traité),
- des troubles musculo-squelettiques 52,8 % (28,7 % traités),
- une maladie cardio-vasculaire 11,6 % (9,1 % traitée),
- une maladie respiratoire 13,8 % (9,2 % traitée),
- des troubles de la santé mentale 18,9 % (5,4 % traités),
- des troubles neurologiques ou sensoriels 19,4 % (10,5 % traités),
- des troubles digestifs 22,3 % (11,3 % traités),
- des problèmes cutanés 27,7 % (15,6 % traités),
- une maladie métabolique ou endocrine 8,4 %
- une maladie sanguine 5,7 %
- une tumeur 2 %
- une pathologie congénitale 1,6 %
Une autre question concernait les troubles musculo-squelettiques et le
questionnaire, dans sa liste, s'intéressait aux : « Pathologies ostéo-articulaire ou
musculaire du dos, des membres ou de toute partie du corps ex. : douleur
répétée articulaire, des articulations, des muscles, sciatique, arthrite, arthrose) ».
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont déclarés par près de 60 % des
soignants allemands slovaques, italiens et français. Ils concernent près de 40 %
de ceux travaillant aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Norvège.
L'étude plus spécifique des AS et ASH montre des résultats voisins sauf en
Belgique où ils sont plus concernés par les TMS que l'ensemble des soignants
de tous grades. Si l'on s'intéresse aux TMS traités médicalement, alors ils sont
plus de 40 % dans ce cas en Belgique et en Allemagne alors que sur l'ensemble
de l'échantillon aucun pays ne dépasse la proportion de 40 % de soignants suivis
médicalement pour TMS.
Il est clair, que pour le psychologue du travail, c'est bien de la «
nouvelle entropie » dont il s'agit, même si ici, ce sont surtout les symptômes
médicaux qui sont mis en avant.
Les motifs objectivés par les professionnels du soin
Parmi les motifs du malaise objectivés par les soignants dans l‟enquête
PRESST-NEXT, sont d'abord mis en avant par ces derniers des relations pas
toujours aisées entre les collègues et les supérieurs. Puis vient le temps
disponible pour les transmissions, la charge de travail, la crainte de faire des
erreurs, de mal informer le malade, etc… Tout cela entraîne le développement
397
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
d‟une insatisfaction diffuse, qui va parfois jusqu'au désir de quitter la
profession. Mais des « arrêts-maladie », des pathologies physiques, notamment
dorsolombaires, des problèmes de santé mentale traités médicalement, qui
constituent des signes objectifs de mal-être dans ce monde sont aussi évoqués.
Ainsi, 61,9 % des soignants en Allemagne sont insatisfaits des
possibilités de donner aux patients la qualité des soins dont ils ont besoin. Ce
pourcentage s'élève à 58,21 % en Pologne, 49,5 % en France, 40,2 % en Grande
Bretagne, 39,6 % en Italie et 38 % en Slovaquie. Il ne représente que 33,1 % en
Finlande, ainsi que 33 % aux Pays-Bas, et 31,2 % en Belgique dont seulement
moins de 5 % se disent très insatisfaits. Seuls 18,3 % des soignants norvégiens
sont insatisfaits dont 2,1 % de très insatisfaits.
La crainte des erreurs est une préoccupation majeure aussi pour les
soignants. Plus des deux tiers travaillent avec ce souci.
Les infirmiers et infirmiers spécialisés français craignent davantage de faire des
erreurs que la moyenne des IDE (Infirmiers Diplômés d‟État) européens (85,7
% dans l'enquête PRESST, contre 68,7 % dans l'ensemble de l'échantillon
européen). Les aides soignants et ASH craignent aussi de faire des erreurs. Des
erreurs d‟ordre techniques, qu'ils lient aux modifications rapides des
prescriptions, du fait de la réduction des durées moyennes de séjour. En France,
38,8 % des soignants disent avoir fréquemment ou très fréquemment des
informations trop tard, 31,5 % des ordres contradictoires, 27,3 % des
informations insuffisantes.
On constate, par ailleurs, que dans les pays, où le temps relationnel est
très développé, sont aussi, ceux où l'incertitude sur ce qui peut être dit au
malade ou à sa famille est la plus faible.
Ces résultats montrent l'importance des stratégies d‟adaptation, développées
collectivement et individuellement au cours du temps, par les soignants dans les
services « qui marchent bien ».
Kobasa, Maddi et Khan (1982), Pronost &Tap (1996) parlent de
Hardiesse. Ce coping suppose une certaine marge de manœuvre sur les effectifs
et les moyens, une organisation du travail qui prend en considération les
difficultés et les nécessités du travail soignant, une certaine stabilité et entente
dans l‟équipe.
Le management, à la fois des individus et des équipes, semble bien en
cause, même s'il est largement déterminé par le contexte sociétal global
(Masclet 2004).
398
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
4. La position du problème
Comme on le constate aujourd'hui, les nouvelles entropies concernent
toutes les organisations et l'Hôpital n'échappe pas à la règle. Elles concernent
toutefois comme on le constate, moins le collectif des entreprises que les
individus eux-mêmes. Par ailleurs, le phénomène questionne par son effet
massif au point que l'intervention s'avère nécessaire. Un tel phénomène ne peut
donc laisser insensible. Les dirigeants d'entreprises et des hôpitaux notamment
y sont très réceptifs tant pour des raisons humaines qu'économiques. Le coût du
remplacement d'un opérateur amène en effet l'entrepreneur à plus de
considérations pour celui-ci, qui plus est dans l'hôpital où le soignant devient
difficile à remplacer. Par ailleurs il faut constater que le portefeuille de
compétences d'une entreprise est devenu au moins aussi important que son
capital. Les organisations qui n'en sont pas convaincues risquent un jour d'en
payer, dans tous les sens du terme, le tribut. Intervenir s'impose donc, mais
comment ? Trouver les raisons de ces entropies constitue sans doute un
préalable. Divers motifs dispositionnels et organisationnels peuvent être
avancés. Leur examen nous éclairera sans doute, mais, au préalable, examinons
les motifs de l‟entropie hospitalière.
4.1 L‟Entropie Hospitalière
De toutes les institutions et organisations, l‟Hôpital en France est sans
doute celle qui a essuyé, notamment ces dix dernières années, le plus de
transformations fondamentales et radicales.
La consommation de soins et de biens médicaux en France est légèrement
inférieure à 10 % du PIB (9 % en 2007). Elle tend à augmenter, sous les effets
conjugués du ralentissement de la croissance depuis le milieu des années 1970,
du vieillissement de la population, enfin des innovations médicales, qui
permettent de soigner mieux mais pour un coût plus élevé. Les budgets
hospitaliers en représentent près de la moitié (44 % en 2007). Ils sont financés
essentiellement par la Sécurité sociale (à 83 % en 2005), qui l'est à son tour
principalement par des cotisations sociales reposant sur les salaires et sur
d'autres revenus. Face à ce qu'ils ressentent de plus en plus comme un coût à
minimiser, les gouvernements successifs ont pris différentes mesures pour «
maîtriser » ces dépenses.
Ainsi, si les hôpitaux français ont fait l'objet de nombreuses réformes au
cours du XXe siècle, la période récente est marquée par une intensification de
leur rythme et par une forte prégnance de cet objectif : loi hospitalière de 1991,
ordonnances «Juppé» de 1996, plans « Hôpital 2007 » (2002) puis « Hôpital
2012 » (2007), enfin loi « Bachelot » ou « Hôpital, Patients, Santé et Territoires
» (HPST, 2009).
399
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
Fin 2002, Jean François Mattei, Le Ministre de la Santé du
Gouvernement Raffarin, lance un plan, dit« Hôpital 2007 ». Il se situe dans la
lignée des réformes hospitalières entreprises depuis les années 1990, qui visent
notamment à mieux « maîtriser » les dépenses de santé. Il comporte nombre
d'outils empruntés à la panoplie du « Nouveau Management Public (Le NMP),
comme la mise en place progressive d'une « tarification à l'activité » (T2A),
recourt à des partenariats public/privé, le regroupement de services hospitaliers
en « pôles » financièrement responsables, voire « autonomes », ou encore la «
modernisation » des statuts de la fonction publique hospitalière dans un sens
rapprochant son fonctionnement de celui du secteur privé. A certains endroits et
dans certains services ce plan se traduit notamment, via l'administration
hospitalière, par une pression sur les effectifs.
Le nouveau management public est un paradigme d'action publique,
c'est-à-dire un ensemble d'idées et de pratiques que les pouvoirs publics tentent
de mettre en œuvre dans les administrations et les services publics. Forgé aux
États-Unis et au Royaume-Uni au cours des années 1980 et 1990, sous les
administrations Reagan et Thatcher puis Clinton et Blair, il a essaimé dans de
nombreux pays.
Le cas français permet de préciser la nature de ses outils. Les pouvoirs
publics de notre pays y ont en effet aujourd'hui largement recours. En premier
lieu, nous trouvons « Le Downsizing : ou down-say-zing ». Ce management
Masclet (Lemoine-Masclet 2007) le définit littéralement comme le plan social
d'une entreprise. Sa pratique s'accompagne généralement d'une diminution des
effectifs et de la réduction de la taille de l'entreprise. Le but escompté de
l'opération est d'améliorer l'efficacité du fonctionnement de l'organisation afin
de dégager des gains de productivité et d'accroître sa compétitivité. L‟objectif :
« débureaucratiser» l‟organisation en la rendant « Lean and mean » (maigre et
méchante) et par là même plus compétitive. Ces types de pratiques ont fini par
toucher les cadres intermédiaires et souvenons-nous qu‟un ministre célèbre
souhaitait même l‟appliquer à l‟Éducation Nationale. Son vœu est aujourd‟hui
largement exhaussé. L‟équivalent français est le « dégraissage ». « Les Trente
cinq heures » à l‟hôpital sans embauche en contrepartie ont été un réel
downsizing. Nous trouvons ensuite l‟utilisation du
benchmarking ou
« indicateurs de « performance ». « Qui veut s’améliorer doit se mesurer, qui
veut être le meilleur doit se comparer » (Camp 1995). Le benchmarking est une
méthode managériale qui consiste à rechercher en permanence les meilleures
pratiques afin d‟adopter ou d‟adapter leurs aspects positifs et de les mettre en
œuvre pour progresser et devenir « le meilleur des meilleurs » (Camp 1995).
L‟objectif du benchmarking est de faire évoluer une situation actuelle,
susceptible d‟être améliorée vers une situation plus compétitive, en ayant pour
originalité de comparer des sociétés, des administrations, des services ou
bureaux évoluant dans d‟autres domaines d‟activités. Comment ? En
comprenant les autres et en examinant comment ils arrivent à faire des choses
400
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
que d‟autres ne sont pas capable de faire, ce qui implique, bien entendu, de
commencer par se connaître soi-même, chercher ce qui se fait de mieux,
reconnaître les différences et en tirer profit pour atteindre le but recherché.
Concrètement, cette recherche des « bonnes pratiques » prend du temps et
plusieurs voies sont possibles : sources internes (bibliothèque, revues,
publications, services internes) et externes. Mais aussi, les remontées du terrain
(du bas vers le haut : bottom-up) : retour d‟information clientèle, citoyen,
enquêtes téléphoniques, visites sur site ou investigations plus spécialisées
(Lemoine-Masclet 2007).
L‟empowerment ou «responsabilisation» est aussi préconisée. La
responsabilisation – ou Délégation – (empowerment) : Rosabeth Moss Kanter
(1992) cité par Masclet (2004) était la principale instigatrice de ce mouvement,
très à la mode dans le monde du management au début des années 90. Le
principe de responsabilisation, ou de délégation, qui a pour but de libérer les
facultés d‟innovation et de changement des individus à l‟intérieur d‟une
entreprise, implique généralement une participation accrue des employés dans
l‟organisation en stimulant notamment leur esprit d‟initiative et d‟entreprise.
Et puis pêle-mêle, selon les cas on va trouver des incitations financières
au rendement, des recours à des consultants privés et à des agences spécialisées,
des dédifférenciations globales entre les secteurs public et privé… (Berlogey
2010). Toutes ces dispositions managériales sont justifiées par une recherche
d'efficacité et par le souci d'économiser les deniers publics. Il s'agirait en fait de
mieux rentabiliser la dépense publique, autrement dit de réduire les coûts à
prestations égales ou d'accroître les prestations à budget égal. Ce phénomène
culmine dans une réforme des finances publiques amorcée par la loi organique
sur les lois de finances (LOLF. 2001) et poursuivie par la révision générale des
politiques publiques (RGPP, 2007). Ce phénomène se décline à présent dans un
nombre croissant de secteurs : santé, politiques sociales, éducation, recherche,
justice, police, défense, immigration. (Berlogey 2010).
Toutes ces avancées managériales se sont traduites par un nombre
impressionnant de réformes : les « Trente cinq heures », le nouveau
management public (NMP), la LOLF, la Nouvelle Gouvernance des Hôpitaux,
la tarification à l‟activité (la T2A), la Haute Autorité de Santé (HAS),
l‟Hospitalisation à Domicile (HAD), les services de soins à domicile (SSAD), la
réforme des services sociaux à l‟hôpital, la réformes du statut des cadre de
santé, la réforme de la formation des infirmiers, la loi « Hôpital, Patient, Santé
Territoire »…
Toutes ces nouvelles conceptions de l‟hôpital ont eu moins de dix ans
pour se mettre en place. Il n‟est pas étonnant aujourd‟hui, que cette institution
soit en difficulté organisationnelle et ce d‟autant, que les personnels ont dû
quasiment s‟adapter sans préparation autres que les circulaires administratives
et les réunions d‟informations. Chacun a donc dû faire face au mieux de ses
401
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
dispositions et de son environnement organisationnel. Essayons de comprendre
comment ces facteurs ont pu être des facilitateurs ou des obstacles.
4.2 Des facteurs dispositionnels
Nous désignons ici sous le vocable de facteurs dispositionnels
l'ensemble des modes de faire face que l'individu a monté au long de sa vie
pour s'adapter aux situations qu'il a traversées. Les anglo-saxons les désignent
sous le terme de coping. La tradition psychanalytique réfère quant à elle au
terme de mécanismes de défenses.
L'examen de théories de la personnalité ayant tentées de rendre compte
du problème posé par l‟adaptation aux incertitudes organisationnelles, que la
notion de coping nous est apparue comme des plus pertinentes.
C'est à Heider (1944) cité par Dubois (1987) que nous devons les théories sur
l'attribution causale forme de théorie de la personnalité. Croyance qui distingue
les individus ayant des contrôles interne de ceux qui ont plutôt des attributions
externes. Notre société valoriserait largement la notion d'internalité parce que
l'individu adapté aujourd'hui doit de se monter responsable de ses actes.
Dubois (1987) montre que les individus dits internes semblent mieux s'adapter
aux situations auxquelles ils sont confrontés que les externes. Il parait donc
intéressant de se pencher sur les réactions de ces internes face aux événements
jugés stressants. Anderson (cité par Dubois, 1987) a réalisé une série d'études
portant sur les réactions de dirigeants de petites entreprises confrontés à une
inondation de leurs locaux. La recherche montre que les internes et les externes
ne perçoivent pas de la même façon une situation pourtant objectivement
identique. Les externes sont plus sensibles au stress que les internes et
réagissent moins bien dans la mesure où ils présentent un nombre important de
réactions émotionnelles et peu de comportements réellement adaptés.
Cette manière de considérer les facteurs dispositionnels pour le problème qui
nous concerne, nous semble peu heuristique pour envisager quelques
remédiations possibles. Apprendre à un individu à se comporter en « interne »
ne résoudra vraisemblablement pas ses problèmes de stress et d‟adaptation au
travail.
Deux cardiologues américains, Friedman et Rosenman (1974) suite à
l'étude de patients, présentant des troubles coronariens, distinguent deux formes
d'adaptation chez les individus. Ils constatent en effet que ces malades ne
présentent pas les mêmes symptômes. Leur théorie va consister à scinder la
population en deux groupes A et B, cette typologie renvoyant à deux manières
différentes de réagir face a une situation stressante. Dans leur vie quotidienne,
les individus de type A se caractérisent par :
- un esprit de compétition marqué
- un désir de réussite sociale ou professionnelle
- une hyperactivité
402
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
- de l'impatience
- un sentiment d'urgence
- une certaine tension qui peut être interprétée comme de l'hostilité à l'égard
d'autrui.
Les individus de type B peuvent être, quant à eux, décrits comme
l'opposé des individus de type A. Ceux-ci n'éprouvent pas de sentiment
d'urgence et sont capables de se relaxer sans se culpabiliser...
Des études tendent à montrer que le fait de présenter un comportement de type
A, double le risque d'accidents cardio-vasculaires indépendamment des facteurs
traditionnels de ce risque.
Cependant, cette typologie a été largement contestée dans la mesure où
un trait de personnalité conduirait une personne à réagir de manière stéréotypée
face aux situations pourtant différentes. Rivolier (1989) précise qu'un individu
de type B peut quand c'est nécessaire, se comporter de la même façon qu'un
individu de type A.
Ces théories sont peu opérationnelles pour établir une théorie du
changement et la seule chose qu‟on peut en déduire, c'est qu'il y aurait des types
de personnalités plus adaptatives que d'autres.
C'est l'idée que retient Masclet (2010), en disant que les personnes adaptatives
vont utilisées pour faire face aux situations de la vie des copings (stratégies de
faire face aux stress interne et externe) adaptés: comme l'anticipation, la
capacité d'avoir recours à autrui ce qu'on appelle la faculté d'affiliation,
l'altruisme, l'humour, l'affirmation de soi ou l'assertivité, l'auto-observation, la
sublimation(sport pour canaliser la colère ou l'art pour canaliser les conflits et la
mise à l'écart.
Certains auteurs : travaillant avec cette idée, ont isolé le concept de
hardiesse comme coping permettant de faire face au stress des soignants,
(Kobasa, Maddi et Khan 1982), (Pronost & Tap 1996).
Dans ce courant, les chercheurs pensent que le processus de faire face au stress
(coping) est en lien avec les caractéristiques personnelles et les ressources de
l‟environnement. Ainsi, se référant à Lazarus & Folkman (1984), et l‟idée que
les ressources personnelles comprennent les croyances, l‟anxiété-trait et la
hardiesse, Kobasa (1982) introduit le contrôle perçu (appréciation subjective de
l‟individu sur le degré d‟influence qu‟il a sur l‟environnement) comme la
composante essentielle d‟un type de personnalité qu‟il qualifie d‟ « hardi ». La
hardiesse se présenterait alors comme la résultante de trois caractéristiques de la
personne, à savoir l‟engagement, la maîtrise et le défi (Kobasa, 1982).
L‟engagement renvoie à un sens général de volonté, de détermination,
de valorisation des activités courantes et des relations interpersonnelles. Il est
défini comme une implication totale à l‟interaction personne et environnement.
L‟engagement se base sur un sens social Kobasa (1982). Selon les auteurs,
l‟engagement s‟oppose à la dépendance sociale, à l‟abandon et à la perte
d‟autonomie. C‟est l‟expression du développement des potentiels.
403
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
Le contrôle se caractérise par la maîtrise de soi. Il s‟agit d‟une habileté
à décider, à réaliser le choix de ses actions, à développer des capacités
d‟interventions personnelles sur les événements. Le contrôle s‟oppose à
l‟impuissance et à la manipulation (Kobasa, 1982).
Le défi se traduit par un enthousiasme devant les événements porteurs
de changements, de développement personnel. Le défi suppose la curiosité et la
souplesse adaptative, par l‟anticipation de réalisation pleine d‟intérêts, le défi
s‟oppose à la méfiance, mais aussi à la sécurité et à la stabilité (Kobasa, 1982).
Plusieurs études menées par le même auteur démontrent une faible prévalence
de la maladie et les caractéristiques de la personne hardie. Les sujets en bonne
santé sont capables d‟engagement, de contrôle et de défi.
Les personnes « hardies » ont conscience qu‟elles ont la possibilité
d‟avoir une influence sur les problèmes et une maîtrise des situations. Elles sont
engagées dans l‟action et vivent les événements comme autant d‟opportunités
de développement personnel.
Elles utilisent en priorité des stratégies d‟adaptation actives et cherchent
les soutiens de personnes favorisant la résolution des problèmes.
Les personnes « non hardies » vivent un fort sentiment d‟impuissance et
se laissent déborder par la situation source de stress. Ces dernières supportent
moins bien les stress psychosociaux que les plus « hardies » (Steptoe, 1991).
Ces personnes développent plutôt des stratégies de faire face au stress
défensives telles le retrait et le refus, s‟épuisent émotionnellement et à terme
s‟installent progressivement dans l‟épuisement professionnel ou burnout.
De nombreuses recherches ont démontré les liens significatifs entre la
hardiesse et l‟épuisement professionnel tel que défini par Maslach cité par
Pronost &Tap (1997). Le manque de hardiesse des infirmières et l‟épuisement
professionnel sont significativement corrélés (Millet-Smith, 1984 ; Keane et al.
1985 ; Topf, 1989).
Certains de ces auteurs démontrent que l‟engagement dimension de la
hardiesse est la variable la plus prédictive. Les infirmières qui ont une capacité
d‟engagement particulière dans le travail sont les moins menacées d‟épuisement
professionnel (D‟Ambrosia, 1987 ; Topf, 1989 ; Keane et al. 1985 ; Duquette et
al. 1990).
Morisette en 1992 montre que les infirmières situées en soins intensifs
ont un bon niveau de hardiesse et que plus elles font preuve d‟engagement et de
contrôle, moins elles manifestent de l‟épuisement professionnel.
Les personnes en difficultés vont au contraire, elles, pour faire face aux stress,
utiliser des copings inadaptés telles que des conduites addictives, du burnout et
ou des conduites violentes.
L'intérêt de présenter les personnalités en difficulté à partir de ces
types de copings inadaptés, c'est pouvoir ensuite avoir le choix de mettre en
placedes prises en charges préventives à la fois sur les registres individuels mais
aussi sociaux et collectifs.
404
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
Ainsi, si l'on se réfère à Pédinielli et al. (1997), citant Jeammet (1995)
c'est dans les assises narcissiques de l'individu qu'il faut rechercher l'origine des
conduites addictives. Les addictés seraient en effet en difficulté quand il s'agit
de rencontrer l'alter. La prévention pourrait alors consister à leur réapprendre
l'émotion et notamment l'émotion positive. Quant aux personnes en situation de
burnout selon Masclet (2007) leur état de santé serait la conséquence de la quête
d‟un idéal de vie déçu. Ne peut-on en déduire que pour elles, la prévention
consisterait à admettre et réapprendre que « l‟Organisation » n‟est jamais
« Idéale » mais surtout le résultat de compromis démocratiques optimaux.
Enfin, à propos de violence (Duroy, 2010), n‟est-il pas loisible de penser que
les personnes qui y recourent en fin de compte, devraient réapprendre à marquer
le pas et exprimer leur conflit intra et extra psychique autrement que par l'agir
c'est-à-dire autrement que par le passage à l'acte ou le retrait apathique et
l'agression passive.
Ceci nous amène alors à reconsidérer la question des managements
dans une perspective plus humaniste qu‟ils ne le sont aujourd‟hui, pour
favoriser la hardiesse au travail.
4.3 Des facteurs organisationnels
Le Nouveau Management Public que sous-tend, le néo-libéralisme, est
en fait un retour à la chrématistique (conception du marché) que dénonçait
Aristote. Masclet (2004) pense que cette forme d'économie met l‟individu au
centre du dispositif comme le souhaite la position humaniste, mais les motifs ne
sont toutefois pas ici les mêmes. Il ne s‟agit plus ici cette fois de mobiliser chez
l‟homme des dimensions psychologiques qui lui permettraient de s‟épanouir,
mais plutôt de solliciter celles qui le rendront plus performant à la tâche.
Pour cela, les techniques sont variées et peu étudiées par les
psychologues en France. Ces derniers ont, en effet, deux attitudes humanistes
vis-à-vis de celles-ci. Soit, ils les rejettent au nom de la déontologie, soit ils en
étudient les effets pour mieux les dénoncer, par exemple dans les études sur le
burn-out ou sur le stress. Aubert et al. (1991) nous donnent une idée des
moyens utilisés pour mobiliser les opérateurs par devers eux (Masclet, 2004).
Les méthodes sont variées et consistent par exemple à mettre l‟individu
en tension sur le plan narcissique : par une forte sélectivité au niveau de
l‟embauche, par une politique active de gratifications, par une image de toute
puissance, par une ambiance élitiste…
Une autre technique consiste à faire en sorte que l‟individu mobilise ses
mécanismes de défenses contre l‟angoisse, pour renforcer son investissement au
travail : par la mobilité et la flexibilité des structures, par des calendriers très
chargés, par la résolution des problèmes dans l‟urgence, par la survalorisation
405
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
de l‟action…Un troisième procédé tend à canaliser l‟énergie libidinale sur des
objectifs productifs : par l‟exigence du toujours plus, par la domination des
exigences commerciales.
Ces techniques managériales reposent sur un ensemble de
représentations (des images, des valeurs, une culture d‟entreprise, une éthique,
une philosophie basée sur un idéal commun) et un modèle de personnalité
(fondé sur le désir de réussite, d‟aimer la compétition et le challenge, la
réalisation de soi dans le travail, l‟accomplissement personnel, le goût de la
communication). Elles s'appuient sur l‟idée que la mobilisation des ressources
humaines et l‟implication des hommes, avec eux ou malgré eux, constituent le
facteur essentiel de l‟efficacité des entreprises. Dès lors, les dimensions
psychologiques du management prennent une importance considérable. Il se
noue, en effet, une relation interactive entre la structure psychique et la
structure organisationnelle qui suppose une adéquation entre le profil structurel
et fonctionnel de l‟organisation et la personnalité des salariés. Ce système
« socio- mental » du management moderne se paie d‟un fort coût humain. Les
bénéfices psychologiques : accomplissement personnel, narcissisme, plaisir,
créativité…sont contrebalancés par des brûlures psychiques comme le stress, la
dépression et la désillusion.
Ainsi, dans les organisations qui ont pris le pas de cette pseudomodernité on ne parle plus d'obéissance, de discipline, de conformité à la
morale, mais de flexibilité, de changement, de rapidité de réaction, etc…
Maîtrise de soi, souplesse psychique et affective, capacités d‟actions font que
chacun doit endurer la charge de s‟adapter en permanence. Gagneurs,
aventuriers et autres battants ont envahi le paysage imaginaire de l'entreprise.
Chacun doit partir à la conquête de son identité personnelle, et viser la réussite
sociale par l‟initiative individuelle et personnelle. Remédier, pour prévenir du
stress, va donc consister à promouvoir des managements, comme ceux, que
prônaient Likert ou Argyris cités par Masclet (2004). C'est-à-dire manager en
donnant du sens au travail.
5. En conclusion donner du sens au travail, c’est manager
humainement et efficacement
Le sens du travail c'est d'abord du sens pour soi. Il y a une hiérarchie du
sens ou plusieurs sens que l'individu donne à son travail. Manager c‟est
considérer ces sens.
Le sens peut être donné par la satisfaction que l'individu tire de son
travail ou de son activité.
Pour Herzberg et al. (1959), la satisfaction au travail dépend beaucoup
plus de facteurs intrinsèques tels que la nature de la tâche, le niveau de
406
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
responsabilité, ou encore la possibilité de développer ses compétences... que de
facteurs extrinsèques comme le salaire ou encore les relations entre collègues.
Une autre idée développée par Maslow (1946), évoque une hiérarchie de
besoins qui pourraient donner du sens au travail. Pour cela, il distingue cinq
types de besoins qu'il hiérarchise sous forme de pyramide. Ce sont d‟abord les
besoins physiologiques, le salaire de l'individu lui permet ainsi de manger,
boire, s'abriter. Viennent ensuite, les besoins de sécurité, l'entreprise assure la
sécurité telle que la sécurité de l'emploi, la protection sociale, la protection de la
santé. Ce sont aussi les besoins d'appartenance, ou besoins liés aux relations
sociales, qui concernent le besoin pour l'individu d'entretenir des relations
interpersonnelles satisfaisantes sur le lieu de son travail. Puis viennent les
besoins d'estime de soi et d'estime de la part d'autrui (collègues de travail et
supérieur hiérarchique). Ce sont enfin, les besoins d'accomplissement ou
d'actualisation de ses compétences tels que le développement des capacités et
l'épanouissement dans la réalisation de l'activité.
Mais selon Masclet (2010), le sens de l'activité est plus profond. Le :
« Travailler plus pour gagner plus » n'a pas rallié les foules. Il constate
qu‟aujourd‟hui les individus souhaitent de plus en plus de temps pour euxmêmes. Temps qu'ils désirent utiliser à des fins personnelles et qui donne du
sens à leur vie. Temps pour profiter des enfants qui grandissent, temps à
consacrer à la famille, aux amis, aux loisirs. Beaucoup se posent la question
d‟une nouvelle spiritualité, qui, sans toujours devoir leur donner une réponse au
sens de la vie, au moins, n'en néglige pas une spéculation que de toute façon le
« tout travail » occulterait.
Nous vivons, dans cette postmodernité, une époque de remise en cause
complète de la signification du travail. Nous ne pouvons plus souscrire
aujourd‟hui, à la religion du travail comme les hommes de l'après seconde
guerre mondiale. Ces hommes à l'esprit puritain qui voyaient dans le travail une
exaltation du « dieu du Progrès », une dévotion à la religion du sacrifice dans le
travail. Nous vivons un temps dans lequel les vielles valeurs du travail et de la
famille sont devenues désuètes. Pourquoi ?
Parce que la consommation de masse a pris une ampleur démesurée.
Les mentalités se sont modifiées dans le sens d'une idéologie de la
consommation. La postmodernité vise globalement la promotion du plaisir et ne
prône plus l'effort et le sacrifice. Pour Lipovetsky (1992) : « L'avènement de la
société de consommation de masse et ses normes de bonheur individualiste ont
joué un rôle essentiel : l'évangile du travail a été détrôné par la valorisation du
bien-être, des loisirs et du temps libre ». Ce sont les valeurs hédonistes qui
mesurent toutes les autres valeurs, si donc le travail doit conserver un attrait, il
faut qu'il puisse participer de la « fun morality de notre époque ».
Mais la contradiction n'est pas mince en l'affaire : c'est la même société
qui au début du 20ème siècle professait la morale du travail, en même temps
qu‟elle entreprenait de le déshumaniser pour transformer l'ouvrier en automate
407
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
sans pensée (Lemoine-Masclet 2007). Du coup, dans la postmodernité, une
opinion s'est définitivement installée dans nos mentalités : la vie commence
après le travail. La vie, c'est mener la « vraie vie », celle qui commence après le
labeur quotidien quand on peut s'amuser. Cela veut dire que l'homme
postmoderne vit dans la représentation de la dualité travail/loisir. Dans l'usine
moderne, l'ouvrier travaille seulement pour de l'argent et il commence à vivre
quand il sort du boulot, quand il prend des vacances. Huit heures par jour il
s'ennuie. Onze mois sur douze il s'ennuie. La vraie vie est ailleurs, après le
travail, elle est dans le loisir, les plaisirs quotidiens, elle est dans la
consommation, elle commence affalée sur le canapé devant la télévision. Et
comme elle n'est pas dans le travail, il faut donc multiplier les ponts, ménager
des horaires flexibles, le temps du travail, pour sans cesse gagner de la vie en
temps libre. L‟hédonisme postmoderne prétend d‟ailleurs qu‟on ne peut profiter
de la vie qu‟en dehors du temps de travail. Le travail procure l‟argent, qui à son
tour permet d‟acheter le bonheur sur les étalages, les vacances, les choses dont
on rêve, c‟est-à-dire une manière de profiter de la vie. La publicité est là pour
inciter sans cesse le consommateur à fuir en rêvant.
Tant que la conception du travail sera sous tendue par le profit, celui-ci
restera un moyen qui permet l‟euphorie de la consommation. L‟existence ne
pourra avoir d‟autre sens que de gagner davantage, pour avoir plus. Nous serons
incapables de voir dans le travail autre chose qu'un moyen de profiter, de
capitaliser. Mais cela vaut-il vraiment la peine de perdre sa vie, tout en
cherchant à la gagner ? Ne sommes-nous pas piégés par la représentation
postmoderne de la vie ?
Que cherchons-nous exactement dans le travail ? La plupart d‟entre
nous répondraient : « un moyen de gagner de l‟argent ». Mais, inconsciemment,
la nécessité qui nous pousse à chercher du travail et à vouloir travailler n‟estelle vraiment qu‟économique ? En fait, n'est ce pas la jouissance entière de la
« Vie » que nous cherchons ? Et celle-ci n'est pas seulement qu‟en dehors du
travail. Elle est aussi dedans. Au fond de nous, chacun aspire à un travail qui
soit l‟accomplissement de soi car travailler c'est aussi se réaliser. Nous
cherchons dans le travail un vrai plaisir, une satisfaction, une reconnaissance
sociale. Nous cherchons dans le travail une justification, du sens à donner à
notre vie. Nous avons besoin de nous sentir utile pour les autres et de nous
sentir existé à nos propres yeux. Il y a donc beaucoup d‟hypocrisie à ne vouloir
justifier le travail, que dans des motifs purement économiques. Les vraies
raisons sont bien plus profondes. Chacun travaille pour l‟estime de soi. Comme
le dit Kant (1784), chacun travaille pour soi. Fondamentalement, et même si
cette conscience n‟est pas très claire, nous ne travaillons pas pour avoir, mais
surtout pour être et nous sentir être davantage. C‟est la raison pour laquelle le
travail peut nous procurer de la joie. Il ne s‟agit donc pas seulement de chercher
à gagner sa vie tout en la perdant, ce que font hélas la plupart des gens, en ne
voyant de justification du travail que du point de vue économique. Il s‟agit
408
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
plutôt de gagner sa vie, tout en gagnant la Vie. La nécessité qui pousse
l‟homme à travailler, c‟est la nécessité de s‟accomplir en tant qu‟être humain.
Le travail, comme toute autre activité, est une forme d‟expansion de la
conscience, une jouissance et conquête de soi.
Mais attention, cela dépend d'une condition, renouveler entièrement
notre compréhension du travail, en explorant en profondeur la dimension de la
conscience dans le travail, en regardant le travail sous son angle
phénoménologique. La conscience qui travaille est une conscience qui se
plonge dans une action qui contribue à une œuvre. L‟expansion de soi dans une
œuvre qui en est la clé, c‟est manifestement le sens originel du travail, c‟est à
dire l‟essence de la pensée humaniste. En fin de compte un management pour
l‟homme épanoui et non contraint.
Où mieux qu‟à l‟hôpital, un tel projet doit-il être actualisé ?
Références
Argyris, C. (1970). Participation et organisation (trad.fr.), Paris, Dunod.
Aubert, N. Gruere, J-P., Jabes, J., Laroche, H.,Michel, S. (1991). Management.
Paris, P.U.F.
Belorgey, N. (2010). L’hôpital sous pression. Paris, La Découverte.
Behar. M-E. (2008). Santé des soignants en France et en Europe. Paris, presses
de L‟EHESP.
Camp. R-C. (1995). Benchmarking,The search for Industrie Best Practices that
lead to Superior Performances. Portland,Ascq-Quality Press.
Chappell, D. & Di-Martino,V. (2000). La violence au travail. Genève, Bureau
International du Travail.
Chouanière, D., François, M., Guillemey, M., Langevin, V., Pentecôte, A., Van
DeWeerdt, C., Weibel, L., Dornier., G. (2003). Le stress au travail. Le
point des connaissances sur..., Travail et Sécurité. Juillet 2003.
D'Ambrosia, S.J. (1987). A study to examine if there is a relationship between
burnout and hardiness of nurses working with oncology patients.
Unpublished Doctoral Dissertation. Temple University.
Dejours, C. (1998). La souffrance en France : la banalisation de l’injustice
sociale, Paris, Seuil.
Dejours, C. (2000). Travail, usure mentale. Essai de psychopathologie du
travail, Paris, Bayard Centurion.
Dubois. N. (1987). La psychologie du contrôle. Les croyances internes et
externes. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
Duquette, A., Kérouac, S.S., Beaudet, L. (1990). Facteurs reliés à l'épuisement
professionnel du personnel infirmier : un examen critique d'études
empiriques. Montréal, Université de Montréal.
Duroy,Y. (2010). Orange stressé. Paris, la Découverte.
409
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
Fassel, D. (1992). Working ourselves to death: the high cost of workaholism,
the rewards of recovery. San Francisco ,Thorsons.
Fontana, D. (1990). Gérer le stress. Bruxelles, Mardaga.
Friedman, M. & Rosenman, F. (1974). Type A Behavior and your heart,New
York,Knopf.
Garnier, S. (2006).
Alcool et substances psychoactives dans
l'entreprise:salariés et D.R.H. s'expriment. Communiqué de Presse,
Paris, INPES.
Hautefeuille, A-M. (2005). Travail et Alcool. Lille, A.N.P.A.A.
Herzberg, F., Mausner, B., & Snyderman, B. B. (1959). The Motivation to Work
(2nd ed.). New York : John Wiley & Sons.
Kant, E. (1784). Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite.
Trad. J.M. Muglioni.
Paris, Bordas, 1988, 12-13
Kanter, R.M. (1992). L’entreprise en éveil : maîtriser les stratégies du
management post-industriel.
Trad. Franç. E. MERLO. Paris, Inter-éditions.
Keane, A., Ducette, J., Adler, D.C. (1985). Stress in ICU and non-ICU nurses.
Nursing Research. 34 (4), 231-236.
Kobasa, S.C. (1982). Commitment and coping in stress resistance among
lawyers. Journal of Personality and Social Psychology. 42, (4), 707-717.
Kobasa, S.C., Maddi, S.R., Khan, S. (1982). Hardiness and Health : a
prospective study. Journal of personality and social Psychology. 42 (1),
168-177.
Kobasa, S.C., Maddi, S.R., Pucetti, M.C. (1982). Personality and exercise as
buffers in the stress-illness relationship. Journal of behavioral medecine.
5 (4), 391,404.
Lazarus, R.S., Folkman, S. (1984). Stress, apraisal and coping. Springer, New
York publishing company
Legeron, P. (2001). Le Stress au Travail. Paris, Odile Jacob.
Légeron. P. & Nasse. N. (2008).Rapport sur la détermination, la mesure et le
suivi des risques psychosociaux au travail, remis à M. Xavier Bertrand,
Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité. Paris,
Ministère du travail.
Lemoine, C., Masclet, G. (2007). Psychosociologie des organisations et les
nouvelles théories des organisations. in Alain Trognon et Marcel
Bromberg, Nouveaux cours de Psychologie – Master : Psychologie
sociale et Ressources Humaines. Sous la direction de S. Ionescu et A.
Blanchet. Paris, P.U.F.
Leyman, H. (1996). Mobbing. La persécution au travail. Paris, Seuil.
Likert, K. (1974). Le gouvernement participatif de l'entreprise, Paris, GauthierVillars.
410
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
Lipovetsky, G. (1992). Le Crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 1992.
Mc Gregor, D. (1974). La dimension humaine de l'entreprise, Paris, GauthierVillars.
Masclet, G. (2000). La dimension psychologique du Management. Villeneuve
d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.
Masclet, G., et Coll. (2001). Le Management des Écoles. In L’École et le
Management. Sous la direction de G. Masclet. Paris AUBIN.
Masclet, G. (2004). Contexte, Pouvoir et Management In Brangier, E., Lancry,
A. & Louche, C. Les dimensions Humaines du travail. Nancy, P.U.N.
Masclet, G. (2005). Manager humainement ! Pourquoi et comment. In actes du
colloque international-AFPA/INOIP : L'approche Psychologique du
Travail : ses apports dans les champs de l'orientation,de la formation et
des ressources humaines Lille 17-18 Nov 2005 ; Publication AFPA.
Masclet, G., Dusquenois, E., Delcourt, C. (2007). Une étude de l‟épuisement
professionnel chez les enseignants du premier degré. Psychologie et
Education, 2.
Masclet, G. (2010). De l'identification des violences institutionnelles, à la
nouvelle entropie des organisations : quelles issues ? In Martin-Mattera,
Violence et victimation. Villeneuve d‟Ascq, Presses du Septentrion.
Maslow, A.H. (1946). A theory of human motivation, Psychological Review,
vol.50.
Millet-Smith, J.M. (1984). The relationship of locus of control, achievement
motivation, perceived instrumentality and burnout in registered
professional nurses. Unpublished Doctoral Dissertation, Syracuse
University.
Morisette, F. (1992). Facteurs reliés à l’épuisement professionnel des
infirmières francophones œuvrant aux soins intensifs au Québec.
Mémoire de maîtrise. Faculté des sciences infirmiers, Université de
Montréal, 1993.
Pedinielli, J-L., Rouan, G., Bertagne, P. (1997). Psychopathologies des
addictions. Paris, P.U.F.
Porter, M.E. (1986). L’avantage concurrentiel des nations. Trad. France Ph. De
Lavergne.ParisInter-Editions.
Pronost, A.M., Tap, P. (1996). La prévention du burnout et ses incidences sur
les stratégies de coping. In Widlocher D. et al. Psychologie de la santé.
Psychologie française. 41 (2), 165-172.
Pronost, A.M., Tap, P. (1997). Usure professionnelle et formation en soins
palliatifs. Cahiers Internationaux de psychologie sociale.33.
Rivolier, J. (1989). L’homme stressé. Paris, P.U.F.
Shirom, A. (2003). Job-related burnout : A review In J.C.Quick et L.E Tetrick,
Handbook of occupational health psychology.Washington, DC,
American Psychology Association.
411
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management
Georges Masclet
Steptoe, A. (1991). Adaptation à l'environnement : psychologie de la
réaction au stress. Coll. scientifique Stablon 4.
Topf, M. (1989). Personality, hardiness, occupational stress and burnout on
critical care nurses. Research in Nursing & Health. 12, 179-188.
Truchot, D. (2004). L'épuisement professionnel et Burn out concepts, modèles,
interventions. Paris, Dunod.
412
Abonnement 2011
Les demandes d'abonnement sont à envoyer à Claude Lemoine, AIPTLF,
Université Lille 3, UFR Psychologie, BP 60149, F 59653 Villeneuve d'Ascq cedex.
Tél.: 03 20 41 69 68
Tarif annuel 2011
(4 numéros de 100 pages environ)
Internet
Papier
Papier
+ Internet
Individuels
Etudiants (- de 28 ans, justificatifs)
Institutions
Individuels
Etudiants (- de 28 ans, justificatifs)
Institutions
Individuels
Etudiants (- de 28 ans, justificatifs)
Institutions
France et
pays de l'UE
40 €
20 €
90 €
60 €
30 €
110 €
80 €
40 €
125 €
Autres
Pays
40 €
20 €
90 €
70 €
40 €
120 €
90 €
50 €
135 €
Prix au numéro 25 € (frais de port non compris)
Les prix indiqués sont nets (ttc), les frais de virement sont à la charge du client. En cas de
virement étranger, ajouter 10 Euros.
Règlement - par chèque à l'ordre de l’AIPTLF.
- par virement bancaire IBAN :
Crédit Mutuel, 969 av. République
F 59700 Marcq en Baroeul.
N° FR761562 9027 2000 0448 8270 158
Abonnement également directement en ligne sur
www.revue-pto.com
Adhésion AIPTLF : 20 € ([email protected] ou [email protected]). Pour les membres de l'AIPTLF, le justificatif d'abonnement permet
d'obtenir une réduction sur la cotisation de l'année (10 euros au lieu de 20).
Celle-ci est à régler directement à l'AIPTLF, Pr. C. Lemoine (cf. supra).
……………………………………………………………………………………………………………………………
Bon de commande
Je m’abonne à Psychologie du Travail et des Organisations pour l’année 2011
O Version papier
O Version Internet
O Individuels
O Etudiants
O Version Papier et Internet
O Institutions
Nom de l’institution: ………………………………………………………………………………………………………………
Nom: ………………………………………………………………………………………………………………………………………
Prénom: …………………………………………………………………………………………………………………………………
Adresse: …………………………………………………………………………………………………………………………………
Tel:………………………………………
Je verse …………………€
E-Mail:………………………………………………………………………
O par chèque
O par virement bancaire
413