Psychologie du Travail et des Organisations
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Psychologie du Travail et des Organisations
et des Psychologie du Travail Organisations Fondée en 1995 à l'initiative de Claude Lemoine et Michel Rousson, sous l'égide de l'Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française, cette revue publie des articles originaux, des revues de questions, des comptes-rendus de recherches, y compris celles réalisées sur le terrain ou dans une perspective d'application. Elle présente également des comptes rendus d'ouvrages et des notes sur l'actualité du domaine. Audience Psychologie du Travail et des Organisations s’adresse aux enseignants, aux chercheurs et aux praticiens du domaine et à un plus vaste public : étudiants, responsables des ressources humaines, gestionnaires, ergonomes, médecins du travail… Objectifs Les thèmes principaux concernent les aspects individuels, psychosociaux et structurels du travail et des organisations. À titre d'exemples non exclusifs, on peut citer les questions portant sur : la gestion et le développement des ressources humaines (formation, compétences, innovation), l'organisation et l'évaluation des systèmes (changement, communication, climat), les articulations hommes-organisationstechniques (représentations, aspects culturels, négociation, coopération, style de direction), la santé (bien-être, conditions de travail, stress, risques, sécurité), l'environnement, les aspects psychologiques liés à l'emploi et au non emploi (sélection, orientation, évaluation des personnes, insertion, identité, implication), le rôle du psychologue (expertise, conseil, mode d'intervention), l'épistémologie, la méthodologie et la déontologie. La revue comporte environ 384 pages distribuées en 4 numéros par an. La revue publie régulièrement des numéros à thèmes. Les travaux doivent satisfaire aux critères de vérification scientifique. Comité de rédaction: Directeur éditorial: Professeur Claude Lemoine (Université de Lille 3) [email protected] ou [email protected] Rédacteur en chef : Professeur Georges Masclet [email protected] ou [email protected] Assistante de rédaction: Lysiane Masclet [email protected] ou [email protected] Membres du comité de rédaction: Bernard Gangloff (Université de Rouen) Dongo-Rémi Kouabenan (Université de Grenoble) André Savoie (Université de Montréal) Michel Rousson (Université de Neuchâtel) Christian Vandenberghe (HEC Montréal) Anne Marie Vonthron (Université Paris X, Paris OuestNanterre) Comité scientifique: A.Battistelli (Université de Vérone), J.-L. Bernaud (Université de Rouen), M. Depolo (Université de Bologne), P. Desrumaux (Université de Lille 3), A. Di Fabio (Université de Florence), J. -E. Duplessis de Losada (Université de Buenos Aires), B. Fabi (Université de TroisRivières), G. Fischer (Université de Metz), P. Gilbert (lAE, Paris), R. Jacob (Université de Trois-Rivières), G. Karnas (Université libre de Bruxelles), R. Lescarbeau (Université de Sherbrooke), C. Louche (Université de Montpellier), Marcel Lourel de L'Université d'Artois, Nicole Rascle de L'Université de Bordeaux 2, A- Rondeau (Université de Montréal), M. Rousson (Université de Neuchâtel). P. Salengros (Université de Bruxelles), N. Semmer (Université de Berne), R. Thionville (Université de Rouen) Didier Truchot de L'université de Franche Comté PTO est indexée Thomson Reuter (Thomson Scientific - ISI) INIST CNRS PsycINFO - American Psychological Association ©AIPTLF : Tous droits de traduction, de reproduction, et d’adaptation réservés PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Editorial Chers Collègues lecteurs de PTO, Quand vous aurez ce numéro dans les mains, nous serons au mois de Janvier. Aussi je souhaite à nos fidèles lecteurs et abonnés une très bonne année 2011. Que cet an nouveau transcende PTO, notre revue et agrémente vos lectures et vos idées. C’est Alain Trognon de l’Université de Nancy 2 qui a coordonné ce numéro spécial consacré à la réforme de l’hôpital. Vous y trouverez des articles originaux qui en plus de servir notre science devraient fournir aux praticiens des pistes de réflexion et d’intervention. Je cède la parole à Alain Trognon qui nous présente ce numéro spécial. Georges Masclet Professeur Émérite des Universités Rédacteur en chef 290 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Malaise chez les personnels para-médicaux des établissement publics de soin L'hôpital public est certainement l'organisation qui a connu le plus de réformes en France depuis une dizaine d'années (Masclet). Parmi ses personnels, les personnels para-médicaux, surtout infirmiers et aides-soignants, en ont été les plus affectés, qui ont subi en peu d'années une reforme de leur formation ainsi que de nombreuses transformations profondes des conditions d'exercice de leur profession. Ces transformations sont très étendues. Elles touchent en effet les structures institutionnelles (Garcia, Vaxevanoglou & Ponnelle), l'organisation formelle et fonctionnelle du travail : sa division interprofessionnelle (qu'est-ce qui distingue un infirmier excerçant en milieu psychiatrique d'un infirmier exerçant en milieu non psychiatrique ? qu'est-ce qui distingue un infirmier d'un aidesoignant exerçant tous deux en milieu psychiatrique ? qu'est-ce qui constitue une équipe mobile de soins palliatifs ? (Batt & Trognon) ; sa définition même au travers de ses modes d'accomplissement et de l'évaluation de l'activité : en quoi, par exemple, l'implantation d'un système de tarification de l'activité modifie-t-elle l'équilibre existant entre la dimension technique et la dimension relationnelle du travail d'infirmier et sa perception par l'agent (Demarey & Dal Pra) ? Elles retentissent profondément sur l'efficacité, les relations avec l'unité, la hiérarchie, les collègues, les patients, l'environnement, etc., et donc le vécu du et au travail (Garcia et al.), jusqu'à entraîner la mise en oeuvre d'une enquête européenne (PRESST-NEXT, rapportée par Masclet) destinée à comprendre "pourquoi et comment les professionnels para-médicaux quittent prématurément leur profession". C'est dire que, même s'il ne touche (ici) qu'une profession, le "malaise des personnels para-médicaux des établissements publics de soin" est un phénomène "social total" qui transparaît naturellement dans tous les articles ici rassemblés précisément en raison de la diversité de leurs angles d'approche. Nous avons fait ce choix parce qu'il autorise des lectures plurielles et transversales. Juste un exemple : le "rôle propre" de l'infirmier, dont on sait qu'il 291 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management constitue un signifiant majeur de la profession infirmière. La perception, par les infirmiers titulaires ou stagiaires, de sa possibilité d'accomplissement dans l'activité entretient un rapport étroit avec la satisfaction ressentie par l'agent, et d'autant plus qu'il s'estime guidé "dans la vie" par des valeurs d'autonomie (Lheureux). Or, les évolutions récentes brouillent ce signifiant. Que devient le "rôle propre" quand est introduite une tarification de l'activité (Demarey & Dal Pra), le temps "purement technique" n'étant pas commensurable au "temps relationnel" ? Et l'on voit les premières conséquences de ce problème apparaître dans les enquêtes consacrées aux attitudes des professionnels envers leur métier lorsque leurs résultats conduisent à constater que (Masclet) : "les pays où le temps relationnel est très développé sont aussi ceux où l'incertitude sur ce qui peut être dit au malade ou sa famille est la plus faible". N'allez pas croire que le changement qui est devenu une substance dans la nov-langue de nos post-modernes renouvèlera de fond en combles ses agents : Garcia et al. nous apprennent que les personnels qui subissent le changement transportent avec eux les représentations qu'ils ont acquises dans leurs situations de travail initiales, en particulier celles des modes de conduite de projets qu'ils ont "expériencés". Ils en conservent, semble-t-il une certaine méfiance vis-à-vis de leurs différents niveaux d'encadrement. A supposer que des changements soient vraiment nécessaires, il y aurait lieu alors, comme y invitent plusieurs articles du présent numéro, de changer profondément ses modes d'accompagnement. Alain Trognon Docteur en Psychologie, Docteur es-lettres et Sciences Humaines Professeur des Universités de classe exceptionnelle (CE2) Université Nancy2, Psychologie Sociale Directeur du Groupe de Recherche sur les Communications (GRC), Laboratoire InterPsy (EA 4432)100 292 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management CONTENTS Éditorial p 290 Éditorial d'Alain Trognon p 291 Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Collective work and organizational restructuring p 296 Florent Lheureux Professional representations, job satisfaction, and career choice of nurses: The role of autonomy values p 312 Catherine Demarey & Julie Dal Pra The french system of payment per medical act (T2A): What are the changes for the activity of nurses? An exploratory study p 326 Martine Batt & Alain Trognon The psychiatric hospital paramedic team: Impact of Current Developments over two decades Analyzing a supervisory meeting p 342 Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Interlocutory Analysis of a Complaint Expressed by a Mobil Palliative Care Team p 362 Georges Masclet To optimize care, we must give meaning to work p 390 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management SOMMAIRE Éditorial p 290 Éditorial d'Alain Trognon p 291 Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Le travail collectif à l’épreuve des restructurations organisationnelles p 296 Florent Lheureux Représentations professionnelles, satisfaction au travail et choix de carrière des personnels infirmiers : le rôle des valeurs d’autonomie p 312 Catherine Demarey & Julie Dal Pra La tarification à l’activité (T2A) : Quelles transformations pour l’activité du personnel infirmier ? Etude exploratoire. p 326 Martine Batt & Alain Trognon L’équipe paramédicale à l’hôpital psychiatrique : Retentissement actuel d’une évolution de deux décennies Analyse d’un entretien de supervision p 342 Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Analyse interlocutoire d’une plainte exprimée par une équipe mobile de soins palliatifs p 362 Georges Masclet Pour optimiser le soin, il faut donner du sens au travail p 390 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Le travail collectif à l’épreuve des restructurations organisationnelles Collective work and organizational restructuring Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Université Lille2–CERESTE, Faculté de Médecine Pôle Recherche, 1 place de Verdun, 59045 Lille Cedex, France, [email protected] Université Lille2–CERESTE, Faculté de Médecine Pôle Recherche, 1 place de Verdun, 59045 Lille Cedex, France, [email protected] Université de Picardie Jules Verne, UFR Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, Allée P. Grousset, 80025, Amiens Cedex, France, LPA, Laboratoire de Psychologie Appliquée EA 4298 [email protected] Résumé L‟Analyse Ergonomique du Travail (Daniellou, 1996 ; Wisner, 1996) et l‟Analyse Psychologique de l‟activité (Leplat, 2000), mettent en lumière les interrelations entre les facteurs principaux des situations de travail. L‟objectif de l‟étude est de montrer l‟influence sur la perception des impacts des changements organisationnels, des situations initiales de travail, des modes de conduites des projets et des typologies de transformation organisationnelles. Les représentations du personnel soignant dans les hôpitaux psychiatriques en réorganisation, les projets, les modèles de transformation et l‟activité ont été analysées. Les impacts de collectifs de travail et les plus grandes difficultés lors de fusions ont été mis en évidences. Les conséquences théoriques, méthodologiques et interventionnelles sont discutées. Abstract The ergonomic analysis of work (Daniellou, 1996; Wisner, 1996) and especially the psychological analysis of real working activity (Leplat, 2000) allow investigating the main factors of work situations. The objective is to show the influence on the nursing representations of psychiatric services that are restructured, of the initial working situations, the projects, the restructuring models. The analyses assess the nursing representations of psychiatric services that are restructured, the projects, the restructuring models, the real working activity. The data show impacts of collective work and restructuring models, especially the damaging consequences of fusions. The results enable the authors to discuss from the points of views of theory, methodology and interventions. Mots clés : réorganisations, hôpital, collectif, représentations Keywords: restructurings, hospital, collective, representation 296 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 1. Travail collectif, réorganisations et travail soignant L‟activité correspond à ce que l‟homme fait pour réaliser la tâche prescrite en même temps qu‟il poursuit ses propres finalités, qui contribuent à redéfinir les buts et conditions de cette tâche (Leplat, 2000). Les individus n‟y étant pas systématiquement obligés (Toniolo, 2005), la coordination collective est généralement laissée aux bons soins de chacun mais de personne en particulier (Lacoste, 2001). La prescription ne prend que peu en compte l‟activité collective. La redéfinition des buts et des tâches est essentielle mais souvent conflictuelle lorsqu‟elle s‟effectue à plusieurs, à fortiori dans le cadre de restructurations. L‟activité collective est ainsi d‟autant plus problématique qu‟elle est centrale lors de nombreuses médiations entre logiques (médicale, soignante, administrative, gestionnaire) et temporalités (des projets). Les hôpitaux sont prototypiques de la difficulté de travailler ensemble sans prescription et avec des ressources insuffisantes, notamment lors de changements organisationnels. Ainsi les restructurations dépendent des relations de proximité (Bouthillette, Havlovic et Van der Wal, 2001), des processus et des caractéristiques des organisations (Bennebroek Gravenhorst, Werkman et Boonstra, 2003). La crise de l‟hôpital peut être une conséquence de la difficulté d‟agir ensemble (Pascal, 2004), ce qui rend difficile une vision partagée et un apprentissage organisationnel (Pascal, 2004). L‟articulation collective à l‟hôpital doit permettre la circulation et l‟intégration des informations, la gestion des aléas et la coordination des actions (Lacoste, 2000). L‟articulation infirmière est relative à la responsabilité organisationnelle inter métiers, opérationnelle, pratique, temporelle, des processus de soins et des processus administratifs (Kostulski, 2000). L‟analyse du travail dans une perspective de transformations organisationnelles, permet de comprendre le travail infirmier, à travers les régulations organisationnelles, collectives et individuelles, permettant l‟équilibre entre les demandes de l‟organisation, l‟activité soignante et les caractéristiques des salariés (Gonon, 2003). Mais les hôpitaux restent des organisations peu stabilisées, en particulier à cause de barrières socio-organisationnelles (Bagnara, Parlangeli et Tartaglia, 2009), ce qui attribue un rôle central à l‟activité collective soignante dans les régulations organisationnelles. Le travail collectif à l‟hôpital est déterminant pour l‟efficacité ainsi que pour la santé (Amourous, 2004 ; Sainsaulieu, 2006 ; Vaxevanoglou, 2002a). La santé au travail se construit à partir des transactions entre l‟environnement et l‟individu et les ressources disponibles pour gérer les contraintes (Aldwin, 2000 ; Lancry et Ponnelle, 2004 ; Lazarus et Folkman, 1984 ; Vezina, 2002). Les collectifs de travail sont une ressource essentielle pour permettre la dialectique entre l‟organisation prescrite et l‟activité individuelle (Dejours, 297 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 2005). Le soutien social (Karasek et Theorell, 1990) structure les interrelations entre santé, travail collectif et organisation. 2. Objectifs Le secteur psychiatrique est davantage étudié depuis quelques années (Lawoko, Soares et Peter, 2004 ; Vaxevanoglou, 2002b ; Winstanley et Whittington, 2002). Cette étude s‟intéresse aux interactions entre les dimensions prescriptives, collectives et l‟activité lors de restructurations d‟Etablissements Publics de Santé Mentale (EPSM). Ces interactions générales sont étudiées et opérationnalisées à travers les déterminants des représentations des transformations, sur l‟ensemble de la population et en fonction de sous-populations réparties au sein des modèles de transformation. L‟objectif premier est de mettre en lumière les déterminants de la perception des impacts des changements. Il s‟agit de cerner les impacts des situations initiales de travail et plus spécifiquement des dimensions collectives du travail, sur les représentations des changements. Il s‟agit également d‟observer les impacts des modes de conduite des projets sur les représentations des impacts des changements. Le second objectif consiste à cerner les variations des représentations des impacts des changements en fonction des typologies de transformation. Il est supposé que le rôle des collectifs varie en fonction des typologies de transformations. 3. Méthodologie Afin d‟analyser ces hypothèses et d‟accompagner les restructurations d‟EPSM, l‟Analyse Ergonomique du Travail (AET) (Daniellou, 1996 ; Wisner, 1996) et notamment l‟Analyse Psychologique de l‟activité (Leplat, 2000) ont permis de dimensionner les interventions. 3.1 Population La population de l‟étude est composée de 63 infirmier(e)s et 10 aidessoignant(e)s qui interviennent dans un Etablissement Public de Santé Mentale (EPSM). L‟âge moyen est de 33,4 ans (E.T. = 9,79) et l‟ancienneté dans le service est de 29,4 mois (E.T. = 23,65). 298 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 3.2 Typologie des projets de restructurations L‟analyse des projets de transformations a eu pour objectif de cerner la nature et la forme des évolutions qui impactent la santé des soignants et la prise en charge des patients. L‟analyse et l‟accompagnement des projets et des traces de fonctionnement permettent d‟observer les compromis des acteurs. Les modes de conduite de projet sont interrogées au niveau d‟un hôpital, d‟un service, d‟une unité. Les ressources organisationnelles, les stratégies individuelles et collectives, les impacts des transformations des structures de soins sur l‟organisation, les conditions et le contenu du travail et la santé des soignants ont été étudiés. Trois modèles de réorganisation (Fabi, Lescarbeau et Blondel, 2001) ont été distingués : La délocalisation : fermeture d‟unités intramuros, déplacements des lits d‟hospitalisation vers des cliniques (à transformer ou concevoir) proches des populations. - La fusion : regroupements de services et / ou d‟unités sous une même entité (existante ou nouvelle). - La délocalisation intersectorielle : combinaison des modèles précédents, fusion de deux ou plusieurs services. L‟application de cette typologie a permis de délimiter les quatre transformations suivantes (T): - Délocalisation/fusion de deux services (T1 ; n=14 soignants) - Délocalisation d‟un service (T2 ; n=28), - Délocalisation/fusion de trois unités dans le même service (T3 ; n=18). - Un service composé de deux unités qui ne subissent pas de transformations font fonction de groupe contrôle, mais sont indirectement concernées par les réorganisations de leur EPSM (T4 ; n=13). 3.3 Analyse des représentations Les analyses des représentations et de l‟activité dans les services initiaux et futurs, s‟effectuent à partir de questionnaires, d‟observations, de verbalisations et d‟entretiens. Les questionnaires abordent les représentations des dimensions individuelle et collective de l‟activité dans les situations de travail avant transformations (situations initiales), les transformations et les modes de conduite de projet. Les échelles de Lickert en quatre points sont identiques (oui, plutôt oui, plutôt non, non) à l‟ensemble des items. Ces questionnaires ont été 299 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle administrés en passation directe dans les services. Les projets personnels et les bases des projets de service étaient connus. Le Questionnaire d‟Evaluation des Représentations des Déterminants Organisationnels et Psychosociaux (QERDOPS) porte sur les déterminants organisationnels et psychosociaux du stress des équipes soignantes en hôpital psychiatrique (Vaxevanoglou, 1997). Il permet d‟aborder les représentations qu‟ont les soignants de leurs situations de travail initiales, à travers cinq facteurs : - F1 « les relations et interactions avec la hiérarchie » (9 items avec un alpha de Cronbach pour notre échantillon de α =.67) ; F2 « la confrontation entre l‟opérateur et de l‟organisation » (13 items, α = .87) ; F3 « le rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » (7 items, α=.67) ; F4 « le soutien social, les interactions entre l‟opérateur et ses collègues du point de vue social et opérationnel » (5 items, α=.86) ; F5 « sens, utilité et valeur du travail perçu » (5 items, α=.75). En plus du QERDOPS, nous avons construit un questionnaire exploratoire composé de deux parties évaluant : - Les modes de conduite des projets (5 items) qui concernent les difficultés quotidiennes, l‟implication personnelle, l‟implication de la hiérarchie, la participation au projet de l‟unité et la prise en compte de l‟avis personnel. - Les Perceptions des impacts des changements (16 items) qui interrogent la sécurité, la santé psychique, la santé physique, l‟accomplissement, la qualité de vie hors travail, les relations avec la hiérarchie, dans l‟unité, avec les patients, l‟environnement, la prise en charge, l‟efficacité de l‟équipe, les moyens, l‟autonomie, les compétences, la charge et le contenu de travail. Les variables en jeu dans cette étude sont résumées dans la figure 1. 300 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Figure 1: Schématisation du modèle de la recherche Typologies de transformations (T1 à T4) Situations initiales (QERDOPS) Modes de Conduite de projet Perceptions des impacts des changements Les flèches pleines représentent les impacts testés sur l‟ensemble de la population. Les flèches en pointillés représentent les impacts testés en fonction des typologies de transformations, l‟approche différentielle. 3.4 Analyse de l‟activité et représentation Les situations de travail, la santé et les liens entre santé et travail, nécessitent des analyses articulant des approches qualitative et quantitative qui s‟articulent au sein de l‟Analyse Ergonomique du Travail (AET, Volkoff, 2005). Outre l‟analyse des projets, l‟activité et les représentations sont étudiées sous l‟angle d‟indices provoqués (questionnaires, verbalisations, mises en discussion des analyses) et de traces spontanées (observations des actions et des modifications de l‟environnement, régulations, filières, flux, conditions, risques…). Les données quantitatives et qualitatives doivent être lues conjointement, même si les résultats aux questionnaires structurent pour l‟essentiel cet article. Pour une présentation plus détaillée des éléments qualitatifs, il convient de se référer au travail de Garcia et Vaxevanoglou (2008). L‟analyse conjointe de l‟activité et des représentations permet de préciser la compréhension des deux. L‟absence de représentation homogène d‟une population au travail a pu être soulignée, d‟où l‟intérêt d‟une approche en termes d‟enjeux (Dumond, 2005). Une organisation peut être considérée comme homogène à partir d‟un faible consensus (Lok, Westwood, et Crawford, 2005). 301 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle La culture organisationnelle peut référer aux pratiques dans les unités, les départements et les équipes, et par opposition aux organisations dans leur ensemble (Van der Berg et Wilderom, 2004). Les représentations varient en fonction de l‟activité, donc des services. Il est ainsi utile d‟intégrer conjointement des approches générales et locales, quantitatives et qualitatives, en termes de représentations, d‟activité et d‟enjeux. 4. Résultats Les analyses statistiques des données ont été effectuées à partir de tests de régressions simples et de tests non paramétriques ( ANOVA de Kruskal-Wallis). Compte tenu des différences significatives obtenues par le biais de cette ANOVA, ces analyses ont été complétées par des comparaisons post-hoc deux à deux en utilisant le test de Mann-Whitney. Le traitement des données a été réalisé à partir des logiciels STATISTICA STATVIEW. 4.1 Déterminants de la perception des impacts des changements Les situations initiales (facteurs organisationnels et psychosociaux) et les conduites des projets expliquent de 7.3 % à 16.8 % de la variance de la perception des impacts des changements. Le mode de conduite de projet (β=.386, t=3.53, p=.0008), les relations à la hiérarchie (F1, β=.41, t=3.78, p=.0004), les relations aux collègues (F4 ; β=.42, t=3.93, p=.0003), la confrontation entre l‟opérateur et l‟organisation (F4, β=.33, t=2.95, p=.004),) ont des impacts significatifs sur les modes de changements. En revanche, le rapport opérationnel avec la situation (F3) n‟est pas significatif. Les situations initiales influent donc sur les représentations des impacts des changements. Les verbalisations des soignants dans les situations évaluées comme critiques confirment la méfiance vis-à-vis des divers niveaux d‟encadrement, le retour sur les promesses apparemment non tenues ou encore le vécu de mise à l‟écart des projets. Les soignants ramènent les risques principaux des changements à ce qui relève de la dimension collective du travail, à savoir les relations avec la hiérarchie, les relations avec les collègues et les modes de conduites de projet. 302 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 4.2 Impacts des typologies de transformation sur la perception des impacts des changements Tableau 1 : rangs moyens (M) obtenus au test de Kruskal-Wallis F1 F2 F3 F4 F5 Conduite de projet 44,35 Impacts des changements Délocalisation M 33,89 47,64 45,14 26,32 44,07 29,71 –fusion de deux services (T1) Délocalisation M 30,30 24,01 37,55 32,03 23,69 23,55 31,00 (T2) Délocalisation M 49,30 41,91 41,66 50,88 47,22 41,94 48,61 fusion de trois unités (T3) Groupe M 37,73 46,88 20,57 39,96 43,88 51,19 41,69 contrôle : pas de transformation (T4) Valeur H 9,192 17,729 10,882 13,536 18,320 19,830 9,941 Kruskall-Wallis p. p. .0269 0006 0125 0037 .0005 .0003 .0192 Les représentations sont d’autant plus négatives que les moyennes sont élevées F1, F2, F3, F4, F5 sont les facteurs organisationnels et psychosociaux du Qerdops. F1 : facteur « relations et interactions avec la hiérarchie » F2 : facteur « confrontation entre l’opérateur et de l’organisation » F3 : facteur « rapport opérationnel de l’individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » F4 : facteur « soutien social, les interactions entre l’opérateur et ses collègues du point de vue social et opérationnel » F5 : facteur « sens, utilité et valeur du travail perçu » H : H corrigé pour ex-aequo p. : probabilité critique corrigée pour ex-aequo Au-delà de cette approche générale de la population, les analyses quantitatives montrent que les facteurs psychosociaux et organisationnels du Qerdops, concernant les situations initiales de travail, ont des impacts spécifiques en fonction des modèles de transformation (tableau I). Ces impacts significatifs (p.c. ‹ 0,05 et p.c. ‹ 0,01), mettent en évidence des variations des représentations des situations initiales, des changements et des conduites de projets, en fonction des modèles de transformation. Les impacts généraux des facteurs psychosociaux et organisationnels et des conduites de projet, sur les représentations des transformations, sont donc modulés spécifiquement en fonction des types de transformation. 303 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Ces différences générales, obtenues par le test de Kruskal-Wallis, sont précisées grâce aux comparaisons deux à deux (tableau II) permises par le test de Mann-Whitney, qui spécifie les différences entre les sous-groupes de la population. Seules les différences significatives sont présentées. Tableau 2 : différences significatives obtenues au test de Mann-Whitney Déterminants F1 F2 F3 T3 U = 122,50 z = -2,92 p <0,004 U = 135,00 z = -2,64 p <0,009 T2 T4 T1 T1 T3 T4 T4 T3 U = 37,00 z = 2,64 p <0,009 U = 52,50 z = 2,60 p <0,01 U = 69,50 z =-2,15 p < 0,04 U = 65,00 z = -3,28 p <0,002 U = 87,00 z = 2,68 p <0,008 U = 66,50 z = 3,46 p < 0,0006 F4 U = 124,00 U = 48,50 z =-2,92 z = -2,99 p <0,004 p <0,003 F5 U = 85,50 U =72,50 U = 99,50 z = -3,77 z =-3,09 z = 2,59 p <0,0002 p <0,002 p <0,009 Conduite U = 126,00 U = 42,50 U = 85,00 de projet z = -2,84 z =-3,92 z =2,97 p <0,005 p <0,0001 p <0,003 Impacts U = 131,50 U = 57,00 des z = -2,71 z = -2,63 changements p <0,007 p <0,009 Seules les différences significatives sont présentées. Le type de transformation (T1, T2, T3, T4) de la première ligne est comparé au type de transformation de la deuxième ligne. F1, F2, F3, F4, F5 sont les facteurs organisationnels et psychosociaux du Qerdops.T1, T2, T3, T4 sont les modèles de transformations. F1 : facteur « relations et interactions avec la hiérarchie » F2 : facteur « confrontation entre l’opérateur et de l’organisation » F3 : facteur « rapport opérationnel de l’individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » F4 : facteur « soutien social, les interactions entre l’opérateur et ses collègues du point de vue social et opérationnel » F5 : facteur « sens, utilité et valeur du travail perçu » T1 Délocalisation–fusion de deux services ; T2 Délocalisation ; T3 Délocalisation-fusion de trois unités ; T4 : Groupe contrôle : pas de transformation U score U de Mann-Whitney ; z : z ajusté ; p. : probabilité critique Ces comparaisons deux à deux montrent que les personnels subissant des délocalisations (T2) ont des perceptions significativement meilleures (p.c. ‹ 0,01), par rapport à ceux subissant des délocalisations – fusions de trois unités (T3) pour six facteurs sur sept, par rapport à ceux ne subissant pas de transformations (T4) pour trois facteurs sur sept, ainsi que par rapport à ceux subissant des délocalisations – fusions de deux services (T1) pour trois facteurs sur sept. 304 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Ces comparaisons deux à deux montrent également que les personnels subissant des délocalisations – fusions de deux services (T1) entraînent des perceptions significativement meilleures (p.c. ‹ 0,01) que ceux subissant des délocalisations – fusions de trois unités (T3), pour trois facteurs sur sept. Enfin, le facteur F3 « rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » est évalué de façon significativement meilleure (p.c. ‹ 0,01) par les personnels ne subissant pas de transformation (T4), par rapport à ceux subissant un des trois autres types de transformations. Les analyses qualitatives permettent de mieux comprendre les différentes spécificités, et notamment que les modèles de délocalisation (T2) et de délocalisation - fusion de trois unités (T3) sont les extrêmes. La délocalisation – fusion de trois unités révèle des évaluations négatives des relations avec la hiérarchie (F1) et aux collègues (F4), et des impacts des changements. Un climat social d‟ensemble (F1 et F4) est évalué négativement, difficilement surmontable pour l‟élaboration constructive de transformations, et d‟autant plus problématique que les personnels se connaissent. Le projet, perçu comme « flou » est de plus en plus conflictuel et perçu comme dangereux (sécurité des soignants et des patients). A l‟inverse, dans le cas de la délocalisation – fusion de deux services (T1), les évaluations négatives de la confrontation avec la réalité objective (F2) et du rapport opérationnel (F3), montrent que les soignants pensent subir les transformations sans gain essentiel, contrairement au gain comptable présumé. Les impacts perçus des changements et de leurs mises en œuvre invalident la crédibilité du projet. Les verbalisations insistent sur des décideurs éloignés du terrain, une participation minime et des conditions de travail dénigrées. Ces difficultés sont des obstacles moindres compte tenu de meilleures relations avec les collègues et la hiérarchie. Le personnel évalue encore négativement la conduite de projet, mais n‟est pas fortement opposé aux changements. Ses problèmes initiaux sont principalement opérationnels, soignants et médicaux, et non des problèmes sociaux généraux, relationnels ou relevant du travail collectif. Les écueils opérationnels du travail collectif entre deux équipes qui ne se connaissent pas, et le climat social général, ne peuvent pas être perçus à travers le questionnaire présenté. Les observations et les entretiens insistent néanmoins sur les difficiles uniformisations des méthodes de travail, et sur les capacités d‟arbitrages de la hiérarchie. Enfin, l‟impact de la conduite de projet sur les représentations des impacts des changements est moindre. Les modes de 305 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle conduite de projet sont perçues encore plus négativement que les changements en eux-mêmes, perçus comme partiellement utiles puisque les services se rapprochent des populations. Ce sont donc surtout la mise en œuvre des projets et les situations initiales qui posent problème, les soignants craignent le report des problèmes existants dans les situations futures. La représentation négative de la conduite de projet, par les personnels ne subissant pas de transformation et faisant fonction de groupe contrôle (T4), est surtout relative à une sous implication apparente des collègues d‟autres unités, ainsi que d‟eux-mêmes malgré les interactions avec des services en partance. La représentation plus positive par ces mêmes personnels des situations initiales de travail du point de vue du « rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face », semble suggérer une situation initiale stabilisée : le turnover des patients et des personnels est relativement faible, et le projet de ces unités parait accepté. Enfin, les personnels qui se délocalisent (un service - T2) sans évaluation très négative, permettent de relativiser la notion de résistance au changement, et justifient les interprétations concernant les modèles de transformation. Les problèmes ne sont pas inévitables lors de transformations, mais naissent principalement des spécificités des changements, de leurs mises en œuvre ou encore du vécu des situations initiales. 5. Discussion et conclusion Cette étude a mis en évidence certains liens entre les dimensions prescriptives, les dimensions collectives et l‟activité lors de restructurations organisationnelles. Certains liens sont des lignes de force générales, alors que d‟autres liens paraissent plus spécifiques aux modèles de transformations, qui modulent les liens généraux. Ces spécificités appuient l‟idée d‟analyses qualitatives et quantitatives, générales et spécifiques, afin d‟obtenir différents niveaux d‟analyse des représentations et d‟expliquer les déterminants du travail les plus spécifiques grâce aux analyses qualitatives. De façon générale, les représentations des changements sont impactées par les modes de conduite des projets et des situations initiales de travail, en particulier des relations aux collègues et à la hiérarchie. Les facteurs conduisant à une situation initiale défavorable (mode de conduite de projet, relations à la hiérarchie, relations aux collègues, confrontation entre l‟opérateur et de l‟organisation) sont perçus comme entraînant des changements à risques pour la sécurité des patients et la santé des soignants. A contrario, on accepte plus facilement de transformer des situations satisfaisantes, grâce à une hiérarchie proche du terrain et un collectif fort influant sur des projets jugés légitimes, 306 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle prenant en compte les difficultés, surtout la sécurité. Les contraintes personnelles sont minorées au sein du service qui se délocalise et qui s‟éloigne pourtant le plus de l‟EPSM intramuros. Le groupe contrôle, c‟est-à-dire le service ne subissant pas de transformation, n‟a pas de perceptions plus positives que le service qui se délocalise – à l‟exception du rapport opérationnel à la situation de travail. Enfin, les fusions sont les types de transformations les plus problématiques : représentations de défiance, problèmes opérationnels... Le changement n‟est donc pas intrinsèquement problématique du point de vue des personnels, contrairement à sa crédibilité et à la crédibilité des informations, aux situations initiales et aux types de transformation. L‟homogénéité limitée des représentations souligne l‟intérêt de différencier l‟initial, le futur, le processus et les rythmes d‟évolution conflictuels. La perception des situations de travail impacte la perception des transformations mais n‟est pas la seule, puisque la conduite de projet et les modèles de transformation l‟influence également. Les dynamiques et les enjeux de travail, généraux et locaux, donnent leurs sens aux représentations, dont l‟homogénéité sur une grande organisation reste limitée. Donner du sens aux représentations, comprendre et intervenir nécessite différents grains d‟analyse, relatifs aux dynamiques et variétés du travail réel, objectifs et gains pour les personnels, critères de métiers, activités collectives spécifiques… Une analyse qualitative et quantitative permet d‟approcher les représentations des soignants (Kim et Motsei, 2002) et les enjeux des restructurations (Dumond, 2005). Les aspects politiques sont alors essentiels -relations de pouvoir (Munduate et Bennebroek Gravenhorst, 2003), processus du changement (Pichault et Schoeners, 2003)... L‟objectif opérationnel central peut être le rapprochement des logiques, pratiques et prescriptions conflictuelles, surtout entre les niveaux soignants, médicaux et administratifs. Les soignants se demandent constamment si les transformations sont positives pour les patients, ou pour l‟administration dont ils ne partagent pas les critères. L‟analyse de l‟activité infirmière permet alors de renouveler l‟organisation médicale, les coopérations médicales et soignantes ainsi qu‟une meilleure adéquation entre les effectifs soignants et les exigences organisationnelles (Lapeyrière, 2000). La conception distribuée (Béguin, 2004) nécessite donc un collectif de conception multi métier contraignant. Ce type de démarche nécessite une approche systémique des organisations et des situations de travail, et donc de préférence plusieurs types de relevés, pour comprendre au mieux les liens multiples entre différentes variables : une situation initiale mal perçue dans un service entraîne des problèmes de communications entre niveaux hiérarchiques, des changements pilotés de façon maladroite ou la fixation de buts inappropriés à la réalité du terrain… Dans ce cadre, l‟analyse des changements organisationnels remet en 307 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle cause l‟approche déterministe (Héran, 1997). Par exemple, séparer strictement les impacts d‟une situation initiale, d‟une conduite de projet et d‟un type de transformation, reste inopérant. Une approche systémique et analytique permet de comprendre le système de travail au travers de son fonctionnement et de ses productions (quantité-qualité-santé-développement). La question n‟est pas simplement méthodologique mais aussi épistémologique, l‟intervention dans le milieu en transformation est le passage obligé pour en comprendre la complexité et l‟impacter. Références Aldwin, C.M. (2000). Stress, coping and development, New York : The Guilford Press. Amourous, C. (2004). Que faire de l’hôpital ? Paris : L‟Harmattan. Bagnara, S., Parlangeli, O. & Tartaglia, R. (2010). Are hospitals becoming high reliability organizations ? Applied Ergonomics, 41, 713–718. Béguin, P. (2004). L'Ergonome, acteur de la conception. In P. Falzon (Ed.), Ergonomie (pp.375-390). Paris: PUF. Bennebroek Gravenhorst, K.M., Werkman, R.A. & Boonstra, J.J. (2003). The change capacity of organisations: general assessment and five configurations. Applied Psychology: an international review, 52, n°1, 83-105. 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Toulouse : Octarès. 310 311 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Représentations professionnelles, satisfaction au travail et choix de carrière des personnels infirmiers : le rôle des valeurs d’autonomie Professional representations, job satisfaction, and career choice of nurses: The role of autonomy values Florent Lheureux Université Grenoble II, Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie-Personnalité, Cognition, Changement Social, 1251 avenue centrale, Domaine universitaire, 38400 Saint Martin d'Hères. [email protected] Résumé On s'intéresse aux facteurs pouvant inciter les infirmiers à quitter leur profession. Dans ce cadre, la satisfaction au travail apparaît comme un facteur explicatif majeur, dépendant de la place accordée au "rôle propre" infirmier. Par ailleurs, plusieurs études ont mis en évidence l'importance des valeurs concernant la satisfaction au travail. Dès lors, et en référence au concept de représentations professionnelles, on pose que la satisfaction des infirmiers dépend de l'importance du rôle propre dans la représentation de leur fonction, et cela d'autant plus que les valeurs d'Autonomie sont primordiales pour eux. Une étude, réalisée auprès d'infirmiers titulaires et stagiaires, conforte cette approche, soulignant ainsi le rôle crucial de ces valeurs dans la satisfaction des infirmiers. Abstract We are interested in factors which can incite nurses to abandon their profession. In this frame, job satisfaction appears as a major explanatory factor, depending on the status granted to nurses' "own role". Besides, several studies show the importance of values concerning job satisfaction. Then, and in reference to the concept of professional representations, we consider that nurses' job satisfaction depends on the importance of the own role in the representation of their function, all the more that Autonomy values are essential for them. A study, realized with regis tered and student nurses, confirm this approach, so underlining the crucial role of these values for the job satisfaction of nurses. Mots-clés: Fonction infirmière, rôle propre, valeurs d‟autonomie, représentations professionnelles, satisfaction Key-words: Nurses, own role, autonomy values, professional representations, job satisfaction 312 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux 1. Introduction : exercice du rôle propre infirmier et satisfaction au travail On s'intéresse aux facteurs pouvant inciter les infirmiers à quitter leur profession (phénomène illustré, par exemple, par Estryn-Behart, & Muster, 2007 ; Estryn-Behart, Négri, & Le Nézet, 2007). Plusieurs études expliquent cet abandon par une faible satisfaction au travail (Cavanagh 1992 ; El-Jardali, Dimassi, Dumit, Jamal, & Mouro, 2009 ; Gauci-Borda, & Norman, 1997 ; Lu, While, & Barriball, 2005 ; Strachota, Normandin, O‟Brien, Clary, & Krukow, 2003). Dans cette optique, comprendre ce départ nécessite de pouvoir expliquer en préalable l'insatisfaction au travail de certains infirmiers. Parmi les facteurs liés à la satisfaction (i.e. le degré avec lequel l'emploi actuel est plus ou moins à l'origine d'affects positifs, Locke, 1976) des infirmiers, le respect de leur "autonomie" apparaît comme un facteur primordial (Bjørk, Samdal, Hansen, Tørstad, & Hamilton, 2007 ; Estryn-Behart, & Muster, 2007 ; Estryn-Behart et al., 2007 ; Fynn, 2001 ; Weisman, Alexander, & Chase, 1980). L'autonomie correspond en France (cf. loi du 31 mai 1978) au concept de "rôle propre", qui institue la reconnaissance des compétences spécifiques des infirmiers, faisant d'eux des collaborateurs privilégiés des médecins et non leurs exécutants. Globalement, selon les études évoquées plus haut, plus les personnels infirmiers ont la possibilité d'appliquer de manière autonome leurs compétences propres, plus ils sont satisfaits. De même, comme le montre Guimelli (1994), les infirmiers en formation se représentant l'exercice du rôle propre comme possible dans le secteur dans lequel ils sont formés (e.g. public) souhaitent généralement plus y rester après leurs études que ceux pensant l'inverse, ces derniers envisageant alors d'exercer dans le secteur alternatif (e.g. privé). 2. Problématique et hypothèses générales Dans le cadre de cette contribution, on se réfère de manière conjointe aux concepts de représentations professionnelles et de valeurs, en vue d'approfondir l'analyse de la satisfaction des infirmiers. 2.1. Représentation de la fonction infirmière et satisfaction On considère en effet que la fonction infirmière constitue pour les infirmiers un objet de représentation professionnelle. Ce concept (cf. Bataille, 2000 ; Bataille, Blin, Jacquet-Mias, & Piaser, 1997 ; Blin, 1997a, 1997b ; Piaser, & Bataille, 2008) désigne une catégorie particulière de représentations sociales (Moscovici, 1976). A ce titre, elles sont des ensembles d'éléments cognitifs élaborés et partagés par les membres de groupes professionnels à propos "d'objets" de leur environnement de travail. Leur étude permet ainsi de 313 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux comprendre les rapports qu'entretiennent ces groupes avec ces derniers. Toutefois, le fait qu'ils appartiennent – groupes et objets – au même milieu professionnel, implique certaines particularités (Piaser & Bataille, 2008). En effet, alors que les représentations sociales sont issues du "sens commun", les représentations professionnelles "sont élaborées dans l'action et l'interaction professionnelle" (Bataille et al., 1997, p. 63). Dès lors, ces représentations sont composées d'éléments de natures scientifique, technique, pratique, relationnelle, organisationnelle et institutionnelle, dont l'organisation interne est "intimement liée aux différents problèmes qui ont à être résolus ou évités dans le cadre d‟un exercice professionnel" (Gonin, 2008, p. 36). Par conséquent, suivant cette approche, on peut considérer que la fonction infirmière sera représentée sous l'influence simultanée de ses éléments définitoires (plaçant le rôle propre au cœur de la profession) mais également sous l'influence des contraintes s'exerçant individuellement sur les personnels infirmiers lors de leur pratique effective. On peut donc s'attendre à ce que l'importance des éléments relatifs au rôle propre soit consensuellement reconnue (de par leur caractère identitaire), tout en étant éventuellement pondérée à la baisse si son application est rendue difficile par le contexte professionnel spécifique à chaque infirmier. Partant de cette analyse, on envisage que l'importance des éléments relatifs au rôle propre dans la représentation de la fonction infirmière influence significativement la satisfaction au travail des personnels infirmiers. 2.2. Adéquation aux valeurs d'Autonomie et satisfaction On s'intéresse également au concept de "valeurs", afin de définir plus précisément les conditions sociocognitives faisant du rôle propre un élément essentiel ou non de la satisfaction des infirmiers. Le terme "valeurs" (Rokeach, 1973 ; Schwartz, 1992, 2006) désigne des principes de vie relatifs aux finalités d'existence et aux manières d'agir socialement désirables, liés aux affects et impliqués dans l'émission de jugements et d'actions à l'encontre d'une pluralité de situations, "d'objets" ou de personnes formant l'environnement d'un individu. Selon la théorie des valeurs de base de Schwartz (1992, 2002), il existe dix types de valeurs : Stimulation, Hédonisme, Réussite, Pouvoir, Sécurité, Tradition, Conformité, Bienveillance, Universalisme et Autonomie. Les valeurs appartenant à la même catégorie partagent la même motivation sous-jacente. Par exemple, les valeurs de Bienveillance (Secourable, Honnête, Loyal, etc.) ont toutes pour motivation commune la préservation et l'amélioration du bienêtre des autres. Les valeurs sont également hiérarchisées, ce qui implique que certaines prévalent sur d'autres dans la dans la manière qu'a un individu d'interagir avec son environnement. On s'intéresse ici tout particulièrement aux valeurs d'Autonomie, c'est-à-dire celles visant la promotion de la liberté de pensée et d'action (Liberté, Indépendance, Choisir ses propres buts, etc.). Cette 314 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux caractéristique amène en effet à supposer que leur importance dans la hiérarchie des valeurs joue un rôle en ce qui concerne la satisfaction au travail des infirmiers, lorsqu'elle est mise en relation avec leur rôle propre. En effet, diverses études ont mis en évidence que la divergence entre les valeurs d'une personne et celles véhiculées par l'organisation (Cunnigham & Sagas, 2004 ; Nyock Ilouga, 2006 ; Stinglhamber, Bentein, & Vandenberghe, 2004 ; Tepeci & Bartlett, 2002 ; Verplanken, 2004) ou encore le fait que cette dernière soit perçue comme ne permettant pas l'atteinte de valeurs terminales importantes (George & Jones, 1996, 1997 ; Hochwarter, Perrewé, Ferris, & Brymer, 1999 ; Locke, 1976), tendent à favoriser l'insatisfaction au travail et le départ des employés. En d'autres termes, les individus préfèrent évoluer dans des environnements "congruents" avec leurs valeurs, et donc à éviter ceux qui sont incongruents de ce point de vue (cf., par exemple, Amos & Weathington, 2008 ; Kroeger, 1995 ; Verquer, Beehr & Wagner, 2003). Ce constat amène ainsi à poser, comme le fait Boussougou-Moussavou (2003, p. 31), "qu'il n'est guère possible d'apprécier la satisfaction d'un individu […] sans connaître la hiérarchie des valeurs intérieures qui lui est propre". Partant de ces considérations, il est probable que l'importance (faible vs. forte) des valeurs d'Autonomie dans la hiérarchie des valeurs module la relation causale entre l'importance des éléments relatifs au rôle propre et la satisfaction au travail. Autrement dit, on peut s'attendre à ce que la satisfaction des infirmiers dépende de l'importance du rôle propre dans la représentation qu'ils ont de leur fonction, et cela d'autant plus fortement que les valeurs d'Autonomie sont primordiales à leurs yeux. 3. Méthode 3.1. Population Cette recherche a concerné 120 infirmiers d'un département du sud de la France, dont 102 femmes pour 18 hommes, avec un âge médian de 25 ans (1er quartile = 22, 3e quartile = 33). Soixante exerçaient leur métier en tant qu'Infirmiers Diplômés d'Etat (IDE) avec une expérience médiane de 4 ans (1 er quartile = 1, 3e quartile = 12), les autres participants étaient en formation (30 en 1ère année et 30 en 3e année). Ces deux groupes étaient composés à parts égales de personnes officiant (comme titulaire ou stagiaire) en hôpital public ou en hôpital privé. 3.2. Procédure et matériel Chaque participant a répondu à un questionnaire en quatre parties. La première s'inspirait du Schwartz's Value Survey (SVS, Schwartz, 1992, 2006), outil rendant compte des dix types de valeurs évoqués plus haut, parmi 315 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux lesquelles figurent les valeurs d'Autonomie. Seules les quarante-quatre valeurs considérées comme "culturellement stables" ont été mesurées ici, afin d'alléger le questionnaire tout en préservant sa validité. Le SVS présente chaque valeur, en l'accompagnant d'une courte description [e.g. "Indépendant (ne compter que sur soi, être autosuffisant)"] et d'une échelle de réponse en neuf modalités, allant de "opposée à mes valeurs" (-1) à "d'importance suprême" (+7). Cette dernière correspond, selon Schwartz, à la manière spontanée avec laquelle les individus attribuent de l'importance aux valeurs. En ce qui concerne la consigne donnée, on s'est inspiré de celle employée par Wach et Hammer (2003). Enfin, conformément aux préconisations de Schwartz, chaque réponse fournie par un individu a été centrée autour de la moyenne de ses quarante-quatre réponses. Plus le score ainsi obtenu est élevé, plus il juge la valeur concernée comme primordiale. On peut dès lors estimer l'importance de chaque type de valeurs. La seconde partie du questionnaire étudiait la représentation que les infirmiers ont de leur fonction à l'aide d'une liste de vingt items repris du travail de Guimelli (1994), parmi lesquels une moitié réfère au rôle propre, les dix autres au rôle prescrit par le corps médical (pour un aperçu de ces items cf. tableau 1 en partie "résultats"). On a ici fait usage du Test d'Indépendance au Contexte (TIC, Lo Monaco, Lheureux, & Halimi-Falkowicz, 2008). Le TIC permet de déterminer le statut structural (central vs. périphérique) des éléments constituant une représentation, et d'ainsi rendre compte de leurs importances respectives. En effet, selon Abric (1994), il existe au sein des représentations sociales (et, par extension, au sein des représentations professionnelles, cf. Bataille, 2000) des éléments "centraux" et des éléments "périphériques". Les éléments centraux sont définis comme consensuels, générateurs et organisateurs du reste de la représentation, ainsi que "relativement indépendants du contexte immédiat" (Abric, 1994, p. 28). Ils déterminent l'orientation générale que prend le rapport du groupe à l'objet, indépendamment et au-delà des contingences situationnelles. Par contraste, les éléments périphériques peuvent faire l'objet de plus fortes divergences interindividuelles et sont dépendants du contexte immédiat. En effet, ces éléments interviennent dans le sens attribué à l'objet, mais uniquement d'une manière contingente et limitée. Le TIC se présente sous la forme d‟une liste de questions testant le caractère indépendant ou dépendant du contexte, pour le sujet, des différents items étudiés. Par exemple, il a été demandé : "A votre avis, est-ce que toujours, dans tous les cas, la fonction infirmière c‟est surveiller étroitement les résultats des traitements ?" Venaient ensuite quatre choix de réponse : "non" (codé 1), "plutôt non" (2), "plutôt oui" (3) et "oui" (4). La formulation "toujours, dans tous les cas" opérationnalisant l‟idée d‟indépendance au contexte, une réponse positive signifiait dès lors que pour le répondant l‟élément concerné est valide en toutes situations. Grâce au TIC on a pu ainsi estimer, notamment, l‟importance des éléments relatifs au rôle propre. 316 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux La troisième partie portait sur la satisfaction au travail des IDE et le choix du futur secteur d‟activité des infirmiers en formation. La satisfaction des IDE a été appréhendée par une échelle de huit items inspirés de travaux antérieurs (Lu, While, & Barriball, 2005 ; Stamps, 1997), mesurant le degré avec lequel ils sont satisfaits par différents "aspects" de leur travail : perspective d‟évolution, responsabilités personnelles, paie, conditions matérielles, contacts avec les malades, relations avec les collègues, relations avec la hiérarchie et charge de travail. Présenté sous forme affirmative, chaque item était associé à une échelle d'accord en cinq modalités, allant de "Non" (codée 1) à "Oui" (codée 5). Par exemple, il était proposé "D‟une manière générale, je suis très satisfait par mes perspectives actuelles d‟évolution de carrière" ou encore "D‟une manière générale, je suis très satisfait par mes relations avec mes collègues de travail". Cette échelle, ayant une homogénéité interne suffisante (=.70 ; cf. Nunally, 1978), a permis de mesurer la satisfaction globale des IDE. Les élèves infirmiers ont pour leur part hiérarchisé par ordre de préférence cinq débouchés possibles de leurs études : deux relevant du secteur public (hôpital public, hôpital psychiatrique public) et trois du secteur privé (hôpital privé, hôpital psychiatrique privé, cabinet libéral). Les élèves étant stagiaires dans les secteurs public ou privé, il a été créé un score de préférence pour le secteur actuel d‟activité [1 ; 5], en calculant, pour chaque élève du secteur public, la différence entre les classements moyens des débouchés publics et privés (mpublic - mprivé) et inversement pour chaque élève du secteur privé (mprivé - mpublic). Pour finir, les répondants ont précisé leurs sexe, âge, ancienneté pour les IDE ou année de formation pour les élèves infirmiers. 3.3. Hypothèses Compte tenu de l'ensemble des éléments avancés précédemment plusieurs hypothèses ont été formulées. Concernant les IDE, on s‟attendait tout d‟abord (hypothèse 1) à ce que plus les éléments relatifs au rôle propre obtiennent des scores d‟indépendance au contexte élevés plus ils sont satisfaits de leur travail. On supposait ensuite (hypothèse 2) que cette relation est plus forte pour les infirmiers ayant pour les valeurs d‟Autonomie les scores d'importance les plus élevés, que pour les infirmiers avec les scores les plus faibles. Concernant les personnels infirmiers en formation, on prévoyait (hypothèse 3) que plus les éléments relatifs au rôle propre ont des scores d‟indépendance au contexte élevés plus les élèves infirmiers souhaitent rester dans leur secteur de formation une fois diplômés. On anticipait également (hypothèse 4) que cette relation est plus forte pour les élèves ayant pour les 317 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux valeurs d‟Autonomie les scores d'importance les plus élevés, que pour les élèves avec les scores les plus faibles. 4. Résultats 4.1. La représentation de la fonction infirmière Guimelli (1994) différencie les éléments de cette représentation en deux ensembles distincts, selon qu'ils relèvent des rôles propre ou prescrit. Dans cette perspective, en vue d'affiner cette analyse typologique, une analyse en composantes principales (ACP) avec rotation VARIMAX a été conduite sur les réponses données par l‟ensemble de notre échantillon. Cette analyse a permis d‟extraire sept facteurs avec une valeur propre supérieure à 1 (Kaiser, 1960) et expliquant ensemble 61% de la variance (cf. tableau 1, saturations reportées >.40). Tableau 1. Résultat de l’ACP réalisée sur les vingt items de la représentation de la fonction infirmière Items F1 F2 F3 F4 F5 F6 F7 *Utilisation du dossier soin 0.69 *Démarche de soin 0.65 Fréquence relations hiérarchie 0.64 Surveiller résultats traitements 0.52 *Travail relations avec objectifs 0.44 0.43 *Éducation des malades 0.73 *Entretiens avec malades 0.72 *Marge d'initiative 0.60 *Considérer malade = entité 0.52 *Recherche 0.43 Expliquer technique chirurgie 0.82 Performant techniques de pointe 0.74 Noter mouvements malades 0.71 Intégrer équipe soudée 0.65 Retranscrire prescriptions 0.49 0.62 Exécuter prescriptions 0.78 Soins urgents si abs. médecin 0.47 0.57 Participer diagnostic médical 0.78 *Formation élèves/auxiliaires 0.64 *Délégation soins aide-soignant 0.63 Valeurs propres 2.23 2.16 1.51 1.59 1.78 1.49 1.43 Variance expliquée 11% 11% 8% 8% 9% 7% 7% * Items renvoyant au rôle propre selon Guimelli (1994) 318 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux Le facteur 1 regroupe les items relatifs aux soins des malades, que cela soit au niveau de la démarche globale ou de son suivi (tenue du dossier de soin, suivis des traitements et gestion des relations sur la base d'objectifs), l'ensemble étant défini en concertation avec la hiérarchie. Le second facteur renvoie à la prise en charge "humaine" et autonome des malades. En effet, il concerne le malade en tant qu'entité propre, nécessitant d'être écouté et éduqué, dans une finalité d'accompagnement, voire également de recherche, le tout avec une pleine initiative. Le facteur 3 relève pour sa part de la maîtrise technique, avec en arrière-plan le fait "d'être à l'avant-garde" en matière de connaissance des dernières évolutions. En ce qui concerne le quatrième facteur, on peut considérer qu'il réfère en filigrane à l'idée de coordination dans l'encadrement en équipe des malades, que cela soit du point de vue de leurs mouvements internes dans l'établissement ou de la notification des prescriptions dont ils font l'objet. Le facteur suivant (n°5), fait plus encore mention des prescriptions médicales, au niveau notamment de leurs retranscription écrite et application. Le facteur 6 désigne l'éventuelle implication des infirmiers dans ce qui relève plus spécifiquement du domaine médical (diagnostic et soins d'urgence). Enfin, le dernier et septième facteur désigne le rôle hiérarchique de formation et d'encadrement des élèves, aides-soignants et autres auxiliaires placés sous leur direction. Si l'on applique la dichotomie de Guimelli (1994) entre éléments relevant plus des rôles propre ou prescrit, on note immédiatement que deux facteurs (2 et 7) concernent uniquement le rôle propre (prise en charge humaine des malades et encadrement), alors que quatre autres (3, 4, 5 et 6) relèvent entièrement des aspects prescrits (maîtrise technique, coordination, prescriptions, actes médicaux). Le facteur 1 (soins) apparaît "mixte" de ce point de vue. Cette représentation peut ainsi essentiellement se résumer à ces sept composantes, qui privilégient généralement plus l'un ou l'autre des deux rôles. 4.2. La satisfaction des infirmiers professionnels Portons désormais directement notre attention sur les résultats propres à confirmer ou infirmer nos hypothèses 1 et 2. L'emploi d'une analyse de régression multiple avec en variables explicatives les sept séries de scores factoriels et en variable dépendante la satisfaction moyenne, révèle un effet significatif des deux composantes "prise en charge humaine" (F2 : β=.27, t(57)=3.23, p<.01) et "actes médicaux" (F6 : β=.35, t(57)=3.92, p<.001), expliquant ensemble 19% (R²) de la variance. L'impact de la "prise en charge humaine" confirme directement l'hypothèse 1, puisqu'elle renvoie exclusivement au rôle propre. En ce qui concerne l'impact de la composante "actes médicaux", il montre que non seulement ce qui influe sur la satisfaction 319 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux c'est le fait de pouvoir exercer son rôle propre, mais c'est également le fait de pouvoir exercer ce qui relève plus du domaine médical (ce qui va finalement dans le sens d'une certaine "émancipation" vis-à-vis du corps médical). En ce qui concerne la seconde hypothèse, on observe bien, comme attendu, une modulation de cette relation par l'importance des valeurs d'Autonomie. En effet, lorsque l'on distingue, sur l'ensemble de l'échantillon et sur la base de la médiane, les individus ayant donné plus d'importance à ces valeurs de ceux leur ayant accordé une moindre importance, on note que la satisfaction des premiers est assez fortement dépendante de ces deux composantes (R²=.28 ; F2 : β=.41, t(31)=3.59, p<.01; F6 : β=.37, t(31)=2.95, p<.01), alors que celle des seconds n'est pas significativement sous cette influence (R²=.07 ; F2 : β=-.02, t(23)=-0.11, ns ; F6 : β=.23, t(23)=1.55, ns). Autrement dit, les infirmiers accordant d'une manière générale dans leur vie une place primordiale aux valeurs d'Autonomie sont bien plus "sensibles" à l'importance du rôle propre et à l'exécution d'actes médicaux que les infirmiers n'ayant pas situé ces valeurs parmi les plus essentielles. 4.3. L‟orientation des infirmiers en formation L'application du même protocole d'analyse montre que lorsque l'on ne distingue pas les individus en fonction de leur adhésion aux valeurs d'Autonomie, aucune "composante" de leur représentation n'influe significativement sur le souhait des élèves infirmiers à rester ou non dans leur secteur de formation. Par contraste, lorsqu'on isole les individus ayant de fortes valeurs d'Autonomie, la composante "encadrement" a alors un effet significatif (F7 : β=.44, t(24)=2.37, p<.03, R²=.19), ce qui n'est pas le cas pour les élèves leur accordant moins d'importance (F7 : β=-.22, t(32)=-1.27, ns, R²=.05). Ce résultat est à mettre en relation avec le statut des infirmiers en formation : n'étant pas titulaires, la promotion et le développement de leurs compétences, notamment relatives au rôle propre, passe avant tout par l'encadrement dont ils font l'objet. Il est alors cohérent que seuls les élèves considérant les valeurs d'Autonomie comme essentielles soient significativement "sensibles" à ce critère, ce qui apparaît assez conforme avec l'hypothèse posée à ce propos. 5. Discussion et conclusion La présente recherche illustre à nouveau l'importance que revêt le rôle propre des infirmiers dans leur satisfaction au travail. En effet, plus ils se représentent leur fonction autour d'éléments relatifs à la prise en charge "humaine" des malades (relevant du rôle propre) plus ils sont satisfaits, cette prise en charge "humaine" expliquant, avec la possibilité d'effectuer des actes médicaux, 19% (R²) de la variance de leur satisfaction. Ce constat, quoique important, ne constitue pas une innovation compte tenu du savoir établi en la 320 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux matière. La référence au concept de "valeurs" n'en est également pas une. Ce qui constitue en réalité l'originalité de ce travail, c'est la mise en perspective des éléments relatifs aux infirmiers en tant que personnes d'une part : leurs valeurs, et ce qui relève de leur spécificité en tant que professionnels d'autre part : leur rôle propre. En effet, du point de vue professionnel, le concept de rôle propre infirmier est par définition ancré dans l'idée d'autonomie vis-à-vis du pouvoir médical. Or, du point de vue personnel (cf. Schwartz, 1992, 2006), il existe, parmi la pluralité des valeurs guidant la vie des individus, des valeurs dites "d'Autonomie". Le système entier des valeurs étant hiérarchisé par ordre de priorité, on s'est alors interrogé quant au rôle que pouvait jouer ces valeurs, selon leur place primordiale ou secondaire dans ce système, en ce qui concerne l'importance du rôle propre vis-à-vis de la satisfaction au travail. Etant donné le rôle prêté aux représentations professionnelles (cf., par exemple, Bataille et al, 1997) et aux valeurs (cf. par exemple les travaux sur la congruence personneenvironnement, Kroeger, 1995), on s'est attendu à ce que la satisfaction des infirmiers dépende de l'importance du rôle propre dans la représentation qu'ils ont de leur fonction, et cela d'autant plus fortement que les valeurs d'Autonomie sont primordiales à leurs yeux. Les résultats obtenus corroborent cette approche, puisque seule la satisfaction des IDE accordant une place essentielle aux valeurs d'autonomie est significativement sous l'influence, notamment, de l'importance du rôle propre (i.e. la prise en charge humaine) dans la représentation qu'ils ont de leur fonction (R²=.28). On notera, d'une manière complémentaire, que seuls les élèves infirmiers considérant les valeurs d'Autonomie comme primordiales sont significativement "sensibles" à l'encadrement (autre composante du rôle propre) en ce qui concerne le fait de souhaiter ou non rester dans leur secteur de formation une fois le diplôme obtenu (R²=.19). Ces résultats illustrent par conséquent, comme attendu, le rôle non négligeable des valeurs d'Autonomie dans ce cadre. D'un point de vue appliqué, il est alors envisageable, d'une part, de mieux prévenir l'insatisfaction professionnelle des infirmiers ou, d'autre part, de pouvoir amoindrir cette insatisfaction une fois effective. Les résultats obtenus suggèrent en effet d'identifier au plus tôt les personnels les plus "vulnérables" à une mise en cause de leur rôle propre : ceux accordant dans leur vie une place fondamentale aux valeurs d'Autonomie. Interroger les infirmiers en ce qui concerne leurs valeurs, suivant la théorie de Schwartz, peut permettre cette identification. À cette fin, on peut faire usage du SVS, mais également du Short Schwartz' Value Survey (SSVS, Lindeman & Verkasalo, 2005), outil beaucoup moins coûteux pour les répondants car étudiant avec une efficacité quasi équivalente l'importance des types de valeurs au moyen de dix items. On peut, pareillement, envisager amoindrir l'insatisfaction d'un infirmier accordant beaucoup d'importance aux valeurs d'Autonomie, en ayant une connaissance fine de la hiérarchie de ses valeurs. Les travaux de Tetlock 321 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Florent Lheureux (1986) montrent en effet que lorsqu'une situation crée un conflit de valeurs (lorsqu'elle exige de choisir entre deux actions opposées quant aux valeurs qu'elles permettent d'atteindre), ce sont alors les valeurs les plus importantes qui priment sur les autres dans le rapport de l‟individu à cette situation. On peut ainsi, potentiellement, compenser une déficience d'autonomie par le rôle propre (entraînant de l'insatisfaction) en développant des conditions de travail propices à l'atteinte d'autres valeurs aussi importantes, voire plus importantes. Il est en effet rare qu'un seul type de valeurs prévale sur tous les autres, d'autres valeurs ayant également une grande importance personnelle. En conclusion, cette recherche a permis de préciser les conditions sociocognitives dans lesquelles l'importance accordée au rôle propre dans l'organisation hospitalière et dans sa contrepartie représentationnelle, influence la satisfaction et le choix de carrière des infirmiers. Ces conditions sont relatives à la place des valeurs d'Autonomie dans le système entier des valeurs d'un individu, dont la considération s'avère autant cruciale en termes d'explication, de prévention que d'intervention. Références Abric, J.-C. (1994). Les représentations sociales: aspects théoriques, In. J. C. Abric (Ed.), Pratiques sociales et représentations (pp. 11-35), Paris: Presses Universitaires de France. Amos, E.A., & Weathington, B.L. (2008). An analysis of the relation between employee-organization value congruence and employee attitudes. The Journal of Psychology, 142(6), 615–631 Bataille, M. (2000). 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[email protected] Résumé Cet article présente une étude exploratoire qui tente de cerner les transformations de l‟activité des infirmiers suite à l‟implantation du système de tarification à l‟activité (T2A). Les apports théoriques explicatifs sont ceux des théories sur l‟activité. La T2A est envisagée comme un organisateur prescriptif de l‟activité de soins. Les principaux résultats des analyses qualitatives illustrent des changements au niveau de l‟organisation du travail (cadence, rythme, productivité, rentabilité et turnover). L‟intensification de l‟activité mentionnée par les infirmiers concerne essentiellement une augmentation de l‟activité technique au détriment de l‟activité relationnelle qui s‟en trouve empêchée. Les répercussions identifiées dans le discours des infirmiers sont la frustration, la perte de sens et une perte de la qualité de la prise en charge. Abstract This article presents an exploratory study, which attempts to analyse the changes which have occurred in the professional life of nurses in France since the introduction of the system of payment per medical act (T2A). The theoretical background is provided by theories on the activity. The T2A system is intended to provide a means of organising nursing care. The main results of qualitative analysis undertaken show above all changes in the way nurses‟ work is organised (pace, rhythm, productivity, value for money and turnover). The more intense workload mentioned by the nurses concerns above all an increase in technical and administrative activity rather than any personal interaction with the patients, which appears to have suffered from the changes. The repercessions identified by the nursing staff include frustration, a loss of meaning in their work and a lower standard of nursing care provided. Mots-clés : activité, pouvoir d‟agir, activité empêchée, T2A, infirmiers Keywords : Activity, ability to act, hindered activity, T2A, nursing 326 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra 1. Introduction L‟hôpital aujourd‟hui se trouve face à la mise en œuvre de différentes réformes liées au « Plan Hôpital 2007 ». Notamment, la gestion des activités de soins est désormais supportée par le système de tarification à l‟activité (T2A). Au-delà de la codification des actes, ce système vient indirectement organiser et structurer l‟activité des soignants. La littérature n‟est pas exempt de travaux illustrant l‟impact de ce type d‟outils informatiques sur l‟activité de travail (Bobillier-Chaumon, 2003 ; Brangier & Hammes, 2007 ; Caroly, 2007 ; Demarey & Danguy, à paraître, pour exemple). Intensification, parcellisation du travail, décloisonnement des espaces de travail ou encore gestion des activités sont au cœur des questionnements. Il s‟agit alors d‟identifier les nouveaux modèles explicatifs des activités qui se mettent en place car les conduites de travail sont transformées aussi bien au niveau de la micro-organisation qu‟au niveau de la macro-organisation. Dans ce cadre, l‟activité représente le concept central de notre travail en ce sens où nous approchons avec elle, la nature même du travail et ses changements. Dans l‟étude exploratoire que nous proposons, il s‟agit de voir en quoi l‟activité des infirmiers se trouve transformée par l‟introduction d‟un outil de gestion telle que la tarification à l‟activité. 2. Position du problème La santé, aujourd‟hui devenue une responsabilité collective, se trouve au cœur des préoccupations actuelles du gouvernement. Le manque de personnel, le temps de travail trop élevé, la saturation des services d‟urgence à l‟hôpital, les contraintes administratives trop lourdes à gérer sont autant d‟exemples qui illustrent un climat difficile dans les milieux hospitaliers français. Pour répondre à ce contexte de « crise », de nombreuses réformes ont été instanciées : parmi elles, le « plan hôpital 20071, ». Ce dernier comprend 4 axes majeurs : - « Moderniser les structures hospitalières en accordant davantage de confiance à la capacité de décision de leurs responsables. - Desserrer le carcan des règles d'achats publics pour accélérer les investissements et simplifier la gestion. - Redonner aux établissements leurs capacités d'innovation et d'adaptation, mais aussi leur fournir les moyens de leur développement. - Disposer de davantage d'autonomie et de capacité d‟initiative dans l'exercice de leurs responsabilités quotidiennes. » Ainsi, l‟une des principales mutations amenées par cette réforme concerne le mode de financement des établissements hospitaliers. 1 www.sante.gouv.fr 327 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra Jusqu‟en 2004, deux systèmes de financement des établissements de santé existaient. Les établissements publics et les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH) étaient dotés depuis 1983 d‟une enveloppe de financement annuelle et limitative (appelée Dotation globale). Parallèlement, les cliniques privées utilisaient un système de tarification à la journée basé sur le nombre d‟actes réalisés. Afin d‟homogénéiser le mode de financement des hôpitaux (publics et privés), la T2A a été étendue à l‟ensemble des établissements de santé français en 2005. Désormais, le budget alloué par le ministère de la santé aux hôpitaux, va dépendre de l‟activité réelle des établissements, c‟est à dire du nombre d‟actes techniques réalisés et de leurs tarifs. Autrement dit, le financement des hôpitaux se voit directement dépendant du nombre de patients accueillis et du tarif auquel leur hospitalisation est estimée. Dans ce cadre, les établissements de santé se sont vus dotés d‟un nouvel outil de gestion d‟activité, nommé T2A (Tarification à l‟activité). Cet outil, basé sur un système de codage de données médicales quantifiées et standardisées, permet une traçabilité des actes techniques et soins effectués. Bien que concernant les médecins, il semble que cette nouvelle implantation ne soit pas sans conséquence sur l‟activité des équipes soignantes. Aussi, nous nous sommes attachées à comprendre les répercussions possibles que peut engendrer la mise en place de la T2A sur leur activité. Par exemple, le raccourcissement des durées des séjours hospitaliers engendrerait une augmentation des flux des patients. Nous pouvons nous interroger alors sur une éventuelle intensification de leur activité quotidienne et sur les répercussions possibles sur la qualité de leur travail. Ce système de tarification à l‟activité conduit ainsi, à une rationalisation du travail par la mise en place de procédures de standardisation du temps de séjours des patients en fonction de leur pathologie. Ce dernier pourrait servir, à la fois, à la gestion d‟activité et à l‟activité de gestion c'est-à-dire, à la macro-organisation et à la microorganisation (Demarey & al., 2008) des activités de soins introduisant un possible contrôle du personnel qui risque de voir son autonomie se restreindre et se limiter. Cette autonomie s‟en trouverait d‟autant plus réduite que les soins, les examens médicaux, les entrées et sorties des patients sont programmées en fonction du temps de séjour anticipé. Dans ce cadre, le personnel soignant doit faire face à une gestion des soins et des patients en flux tendus. Ils doivent alors, non seulement, faire preuve d‟adaptabilité face au turnover important de patients, mais aussi, de polyvalence pour répondre aux besoins, si nécessaires, des différents services (nouvelle gouvernance des hôpitaux). Ainsi, la polyvalence, l‟élargissement des tâches, l‟augmentation des responsabilités, la codification des tâches, la standardisation, la prescription, le contrôle du travail via l‟outil informatique, l‟autonomie limitée, etc., n‟introduisent-ils pas des principes néo-tayloristes de l‟organisation du travail ? 328 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra La T2A s‟ajoute donc au cadre prescriptif multi-source de l‟activité des soignants et risque d‟entraîner une diminution du pouvoir d‟agir (Clot, 2008) empêchant l‟activité des infirmiers. Cette partie dédiée à la position de problème nous amène donc à poser l‟objectif de notre étude qui consiste à identifier les transformations introduites par le système de tarification à l‟activité. 3. Apports Théoriques Dans cette étude, l‟activité représente le concept central de notre travail. Il va nous permettre d‟appréhender les transformations introduites par cette réforme hospitalière : la tarification à l‟activité. Dans un tel contexte de changement et par l‟introduction d‟un système prescriptif supplémentaire, les apports théoriques présentés ci-après apporterons des éléments d‟une part, pour comprendre l‟organisation et le développement de l‟activité des infirmiers et d‟autre part, d‟identifier les effets positifs et négatifs de la T2A sur leurs activités. 3.1 La T2A : un organisateur prescriptif de l‟activité des infirmiers ? Sans prétendre à l‟exhaustivité, il est toutefois, important de revenir sur le concept de prescription afin de comprendre comment l‟activité des infirmiers est organisée et se développe en milieu hospitalier. Nous verrons que la prescription y est complexe, multi-source et dans une certaine mesure, également, paradoxale. Toute activité se trouve régie par un ensemble de prescriptions. Pour Daniellou (2002, p.10), la prescription est une « injonction de faire émise par une autorité ». Elle préexiste à l‟activité, concerne différents objectifs (quantité, qualité, délais, etc.), précise les procédures, les règlements et les résultats attendus (Guerrin et al., 2006). Les différents types de prescriptions du travail peuvent être identifiés selon leur forme et selon leur source. Classiquement, nous retrouvons dans les formes possibles de la prescription : la prescription taylorienne, la prescription floue ou encore la prescription amont/aval. Rappelons que la prescription taylorienne prescrit et prédit le travail suivant le principe du «one best way». Cette forme stricte contraint fortement le développement de l‟activité ce qui peut aboutir à son confinement (Hatchuel, 1996). A l‟inverse, la prescription floue est définie comme un « dispositif organisationnel (qui) n‟a pas vocation de rationaliser dans le détail les actes de travail mais de favoriser les comportements d‟initiative et de prise en charge des variabilités de l‟activité » (Duc, 2002, p.119). Cette prescription laisse alors des marges de manœuvres importantes pour les sujets agissants. Quant à la prescription amont/aval, elle concerne des éléments fixés en amont et qui correspondent, en situation à un contrôle aval. Ainsi, «le travailleur concerné doit anticiper les formes de l‟évaluation aval pour les transformer en objectifs amont » (Daniellou, 2002, 329 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra p.10), ce qui est une manière indirecte de contraindre le salarié à atteindre les objectifs attendus. Nous pouvons également classer les types de prescriptions selon leurs sources. Six (2002) propose de distinguer (i) la prescription descendante qui provient de la hiérarchie ou de l‟organisation et (ii) la prescription ascendante qui vient de la matière à travailler. Par exemple, si la matière est l‟humain, la prescription provient alors du patient ou encore du client pour exemple. Nous pouvons également identifier les prescriptions dites multisources qui émanent de différentes autorités. Le travailleur doit « mettre en débat une diversité de sources de prescriptions, établir des priorités, trier entre elles, et parfois ne pas pouvoir les satisfaire toutes tout le temps » (Daniellou, 2002, p.11). Si nous revenons aux prescriptions concernant l‟activité des infirmiers, l‟analyse des différents documents et fiches dédiés à cet effet de notre structure d‟étude a permis d‟identifier huit prescriptions dont sept de type floue et une de type taylorienne. Elles sont les suivantes : dans le respect des règles professionnelles des infirmiers, incluant notamment le secret professionnel, il s‟agit de : - - « de protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé des personnes ou l‟autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques, en tenant en compte de la personnalité de chacune d‟elles, dans ses composantes psychologique, sociale, économique et culturelle ; de prévenir et évaluer la souffrance et la détresse des personnes et de participer à leur soulagement ; de concourir au recueil des informations et aux méthodes qui seront utilisées par le médecin pour établir son diagnostic ; de participer à l‟évaluation du degré de dépendance des personnes ; d‟appliquer les prescriptions médicales et les protocoles établis par le médecin ; de participer à la surveillance clinique des patients et à la mise en œuvre des thérapeutiques ; de favoriser le maintien, l‟insertion ou la réinsertion des personnes dans le cadre de vie familial et social ; d‟accompagner les patients en fin de vie, et en tant que de besoin leur entourage. » Nous constatons que ces prescriptions sont multi-sources, floues, descendantes et ascendantes. Les prescriptions ascendantes viennent du patient. La prescription « appliquer les prescriptions médicales et les protocoles établis par le médecin » se trouve taylorisé par l‟introduction du système de tarification à la T2A. 330 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra 3.2 Vers une activité empêchée des infirmiers ? 3.2.1 Le concept d‟activité Afin de pourvoir comprendre le développement de l‟activité, reposons quelques définitions du concept d‟activité. Classiquement, l‟activité renvoie à ce qu‟un opérateur réalise dans une situation particulière pour réaliser une tâche prescrite, c'est-à-dire « ce que l‟homme fait pour réaliser la tâche prescrite en même temps que ses propres finalités » (Leplat, 2000, p.9). Pour De Montmollin (1995, p.18), l‟activité est « l’exercice de la possibilité que possède tout être vivant d’agir sur son environnement et de réagir aux stimulations qu’il reçoit de celui-ci. Mais l’activité n’est pas le comportement, elle est le processus par lequel le comportement est engendré ». Comme l‟explique Guérin & al. (2006, p.52), l‟activité se trouve influencée par de nombreux déterminants, d‟une part, par l‟opérateur (ses «caractéristiques personnelles», son «état instantané», son «expérience», etc.) et d‟autre part, par l‟entreprise, ses règles et ses contraintes (« les objectifs à atteindre », « l‟organisation du travail », « l‟environnement », etc.). Ces déterminants vont donc venir structurer et organiser l‟activité de l‟opérateur. Pour aller plus loin dans la compréhension de ce concept, rappelons la contribution importante de la psychologie russe dont Barabantchikov (2007,p.45-46) en a dressé une synthèse et dégagé les propriétés importantes : (i) « l‟activité n‟existe pas en soi, elle est le fait de quelqu‟un» , (ii) « l‟activité est toujours tournée vers un objet », (iii) « l‟activité est de nature sociale », (iv) « l‟activité n‟est pas possible en dehors des moyens de transformation de la réalité » et (v) « l‟activité est conscience ». Nous constatons qu‟à travers ces quelques définitions, l‟activité demeure un concept riche et complexe. Toutefois, comme le mentionne Schwartz (2007, p.14), « chaque fois qu‟il y a quelque chose comme « activité », que ce soit le mot ou l‟expression, c‟est (…) toujours en vue de résoudre un problème lié à l‟unité de l‟être humain ». Ainsi, appréhender l‟activité et son développement est nécessaire lorsqu‟il s‟agit de comprendre les dysfonctionnements et les effets négatifs pour l‟opérateur et pour l‟organisation. Face à ces questions et en accord, avec Clot (2006,2008), il nous semble que nous ne pouvons plus nous contenter de la conception traditionnelle de la psychologie ergonomique en ce sens où celle-ci ne permet pas de rendre compte de tout ce qui se joue lors du développement de l‟activité. Clot (2010) rappelle la nécessité d‟interroger la dimension subjective de l‟activité. « […] Activité veut dire activité propre : activité qui part et s‟enracine dans le sujet actif pour s‟épanouir le cas échéant, dans un contexte social » (Tosquelles, 2009, p.47, cité par Clot, 2010, p.14). L‟activité, c‟est aussi pour l‟auteur, le « trait d‟union » entre le sujet et le collectif (Clot, op.cité). « Ainsi, l‟activité est quelque chose en mouvement voire en développement et qui devrait être regardée sous différents « prismes », 331 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra notamment, subjectif, individuel, collectif, historico-culturel, organisationnel, pour exemple » (Demarey & Danguy, à paraître). 3.2.2 Apports de l‟approche clinique de l‟activité La clinique de l‟activité se révèle être une ressource et un cadre théorique d‟une grande richesse pour comprendre les conséquences de la T2A en tant que déterminant pouvant entraîner des transformations dans l‟organisation de l‟activité des infirmiers. Nous poserons ci-après quelques notions de base de cette approche. Pour Clot (2006, p.98) l‟activité se trouve « triplement dirigée » : « par la conduite du sujet », « vers l‟activité des autres » et « au travers de l‟objet de travail ». En cela, l‟activité n‟est pas isolée mais fait bien le lien entre le sujet et le collectif. L‟auteur distingue l‟activité réalisée du réel de l‟activité permettant ainsi la prise en compte de la dimension subjective. Ainsi, selon Clot (2006, p. 119), l‟activité ne peut se réduire à « ce qui se fait » mais concerne aussi « ce qui ne se fait pas, ce qu‟on ne peut pas faire, ce qu‟on cherche à faire sans y parvenir – les échecs-, ce qu‟on aurait voulu ou pu faire (…) Il faut ajouter – paradoxe fréquent – ce qu‟on fait pour ne pas faire ce qui est à faire ou encore ce qu‟on fait sans vouloir le faire ». Nous voyons bien ici, à travers cette définition du réel de l‟activité, émerger la question des capacités et des possibilités d‟agir du sujet. Comme l‟indique Kostulski (2010, p31), « le pouvoir d‟agir au travail est une clé de voûte de la santé et de l‟efficacité ». Aussi, l‟introduction du système de la tarification à l‟acte tend à rigidifier la prescription relative au respect de l‟application des prescriptions et protocoles mis en place par le médecin, ce qui risque d‟entraîner une diminution du pouvoir d‟agir dont les conséquences peuvent se traduire par des effets négatifs sur la santé et l‟efficacité des soignants. Nous voyons en cela que la T2A peut être source d‟empêchement. 3.2.3 Activité empêchée et pouvoir d‟agir Tout d‟abord, pour comprendre ce qu‟est une « activité empêchée » (Clot, 2008), revenons sur la notion de pouvoir d‟agir. Selon Rabardel (2005, p. 19), le pouvoir d‟agir « dépend des conditions externes et internes au sujet » à un moment donné. Autrement dit, le pouvoir d‟agir dépend non seulement de facteurs propres au sujet lui-même, mais aussi d‟autres facteurs, tels que la situation, le lieu, le temps, l‟environnement etc. Rabardel (2005, p. 19) parle ainsi de « champ du temporellement et localement situé ». En reprenant « l‟établi » de Linhart, Rabardel (2005) montre que, malgré la conservation des capacités d‟agir, la perte du pouvoir d‟agir (amputation) de Demarcy se trouve à l‟origine de sa souffrance. Clot (2008, p. 13) vient compléter cette définition du concept de pouvoir d‟agir. Selon lui, il « mesure le rayon d‟action effectif du sujet ou des 332 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra sujets dans leur milieu professionnel habituel, ce qu‟on peut aussi appeler le rayonnement de l‟activité, son pouvoir de recréation ». Ainsi, le pouvoir d‟agir réfère donc à l‟ensemble des éléments nouveaux apportés par le sujet et qui contribuent, de ce fait, à la recréation de son activité. Toutefois, il convient de noter que dans certaines situations, le sujet ne peut exprimer pleinement sa créativité, comme l‟entend Clot. Dans ce cadre, le sujet verra son pouvoir d‟agir limité et son « activité empêchée ». Comme nous l‟avons mentionné ci-dessus, l‟activité réalisée se distingue du réel de l‟activité c'est-à-dire « les activités suspendues, contrariées ou empêchées, les contre-activités qui l’empoisonnent ou l’intoxiquent font partie de l’activité » (Clot, 2005, p.6). Aujourd‟hui, certaines organisations définissent ce qui est à faire par le sujet, sans leur donner les moyens nécessaires à cela. Le sujet se trouve alors devant une impossibilité : même s‟il veut faire ce qui est à faire, il ne le peut pas. Comme l‟énonce Clot (2006), ces « organisation(s) du travail (…) les prive(nt) des moyens d‟exercer les responsabilités qu‟ils assument malgré tout (…) ». En ce sens, l‟activité se trouve être une réelle épreuve pour le sujet qui se voit sans cesse confronté au conflit, entre vouloir et pouvoir, et donc, entre le possible et l‟impossible. En effet, celui-ci se trouve continuellement tiraillé entre ce qu‟il veut faire et ce qui lui est possible de faire. Ainsi, comme l‟énonce Clot (2006, p. 121), le réel constitue le « croisement d‟activités parfois rivales » source de conflits que le sujet cherchera sans cesse à dépasser. L‟individu se devra de composer avec celles-ci, bien qu‟elles puissent être cause d‟une diminution de son pouvoir d‟agir. Sznelwar & al. (2006, p. 28-29) abordent la notion d‟empêchement comme « [..] un processus qui rend l‟action difficile, la paralyse, la bloque, qui obstrue, inhibe ou fait obstacle à l‟exécution d‟une action. Le concept d‟empêchement s‟applique quand le sujet n‟a pas d‟autre choix sinon celui de céder, de s‟arrêter de faire, de s‟arrêter de « fonctionner », de s‟arrêter « d‟être » ». Comme le dit Lhuilier (2006, p. 197) « l‟empêchement de l‟activité est plus fondamentalement privation du pouvoir de l‟action ». Selon les organisations et leur organisation du travail, il n‟est pas toujours possible, pour le sujet, de faire preuve de créativité, non pas que celuici n‟en n‟ait pas les capacités, mais c‟est bien souvent la situation qui ne le lui permet pas. Dans ce cadre, comme le précise Clot (2006,p.4), en citant la critique du Taylorisme faite par Wallon (1932-1976), « en amputant l‟homme de son initiative, on l‟ampute d‟une grande partie de ses disponibilités qui laisse dans le silence toute une série d‟activités nécessaires ». Il s‟agit d‟une amputation de son pouvoir d‟agir. L‟homme est un être créatif, aux compétences multiples, pour qui l‟activité constitue un moyen de mettre en œuvre ses capacités d‟agir et de développer sa créativité. En être privé représente de ce fait, une amputation du pouvoir d‟agir. Lorsque le sujet se trouve amputé de son pouvoir d‟agir, l‟activité va, pour lui, perdre de son sens. 333 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra Clot (2008, p. 13) établit ainsi un lien direct entre sens de l‟activité et pouvoir d‟agir du sujet. Selon lui, « vidée de son sens, l‟activité du sujet se voit amputée de son pouvoir d‟agir quand les buts de l‟action entrain de se faire sont déliés de ce qui compte réellement pour lui et que d‟autres buts valables, réduits au silence, sont laissés en jachère ». 3.3 Problématique Dans le cadre de cette réforme du système de santé français, ce nouvel outil de gestion de l‟activité, T2A, n‟est pas sans conséquence sur l‟organisation du travail des soignants. Comme nous l‟avons abordé dans les parties dédiées à la position du problème et aux apports théoriques, la T2A entraîne une codification des actes qui semble accentué le respect des prescriptions et des protocoles mis en place. L‟objectif de cette première étude est de voir si le système de tarification à l‟activité, entraînant un turnover important du nombre de patients, semble engendrer une réorganisation du travail infirmier, qui de ce fait, se trouve face à une intensification de son activité de soins (technique) et à un empêchement de son activité relationnelle avec le patient. 4. Etude 4.1 Présentation du terrain 4.1.1 Description du lieu d‟investigation Afin de tester notre hypothèse, nous sommes intervenus au sein d‟un établissement hospitalier PSPH (Participant au Service Public Hospitalier) du Nord-Pas de Calais. Il s‟agit d‟un organisme du secteur privé à but non lucratif, régi par la loi du 1er juillet 1901, et qui donc relève de la Convention Collective F.E.H.A.P. (Fédération des Etablissements Hospitaliers et d‟Aide à la Personne). En tant que tel, l‟établissement allie missions d‟intérêt général et d‟utilité sociale, tout comme dans le secteur public. Il convient de préciser que même si l‟établissement se trouve géré par un mode de gestion privé, il reçoit des financements de l‟état et se voit soumis au même mode d‟allocation du budget que les hôpitaux publics (passage du système de dotation globale au système de tarification à l‟activité). 4.1.2 Description de la population Nous avons mené notre recherche sur un échantillon de 20 infirmiers en horaires postés (matin et après-midi). Notre population se compose de 16 femmes et 4 hommes, âgés entre 26 à 56 ans. 4.1.3 Méthodologie Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs dont l‟objectif est de décrire l‟activité des infirmiers et d‟identifier les changements introduits par le système de tarification à l‟acte et leurs effets sur l‟organisation du travail. 334 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra L‟analyse utilisée est une analyse de contenu suivant les principes méthodologiques proposés par Bardin (2001). Comme l‟indique l‟auteur (2001, p. 136), en citant Berelson (1971), «le thème correspond à une affirmation sur un sujet. C'est-à-dire une phrase, ou une phrase composée, habituellement un résumé ou une phrase condensée, sous laquelle un vaste ensemble de formulations singulières peuvent être affectée ». Dans le cadre de notre étude, l‟analyse thématique consistera donc à relever des «noyaux de sens», tel que le précise Bardin (2001, p. 137). Nous nous baserons sur le postulat selon lequel «l‟importance d‟une unité d‟enregistrement croit avec sa fréquence d‟apparition» (Bardin, 2001, p. 140). Autrement dit, le nombre d‟apparition d‟un thème dans le discours du sujet est représentatif de l‟importance que ce dernier lui attribue. Il s‟agit ici d‟une analyse thématique quantitative (fréquence d‟apparition du thème). Afin de réaliser l‟exploitation de notre matériel, il nous faut tout d‟abord identifier nos catégories sémantiques. Trois catégories sont identifiées comprenant chacune des sous-catégories pouvant être décomposées. La première catégorie comprend les types de prescriptions, l‟organisation du travail, les tâches et l‟intensification. La seconde catégorie correspond au pouvoir d‟agir. Il s‟agit ici de rechercher dans le discours des infirmiers les éléments qui renvoient à ce concept. Ce qui diffère de la manière dont il est étudié en clinique de l‟activité. Cette catégorie est composée des sous catégories suivantes : ressources, diminution du pouvoir d‟agir et «redéveloppement» du pouvoir d‟agir. Un troisième catégorie est identifiée et concerne les pistes d‟amélioration. 4.2 Principaux résultats Nous présenterons dans cette partie, les principaux résultats obtenus suite à l‟analyse de contenu ainsi réalisée. Après avoir procédé à une retranscription des entretiens et à leur analyse, nous constatons que les verbalisations concernent majoritairement la description de l‟activité (52,34%), les éléments relatifs au pouvoir d‟agir (45,66%) et puis de manière moindre les propositions d‟amélioration (1,99%, tableau n°1). Cette dernière catégorie, étant peu représentée, nous n‟en proposerons pas ici dans cet article, un exposé détaillé. Tableau 1 : Répartition des verbalisations par catégories principales (pourcentage) Description de l‟activité Pouvoir d‟agir Propositions d‟amélioration 52,34% 45,66% 1,99% Pour la catégorie « description de l‟activité, nous constatons que 50,72% des verbalisations concernent l‟organisation du travail et 30,40% renvoient aux tâches. Pour la catégorie « pouvoir d‟agir », les thèmes 335 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra apparaissant le plus sont la diminution/amputation du pouvoir d‟agir (52,77%) et les ressources (37,24%). Ces résultats apparaissent dans le tableau n°2, ciaprès. Tableau 2 : Répartition des verbalisations par sous-catégories (pourcentage) Description de l’activité Pouvoir d’agir Types de prescriptions Organisation du travail Tâches Intensification Ressources Diminution/amputation Développement 6,48% 50,72% 30,40% 12,39% 37,24% 52,77% 9,99% Le tableau n°3 reprend en détail les fréquences d‟apparition des thèmes par sous-sous catégories. Tableau 3 : Répartition des verbalisations par sous sous-catégories (pourcentage) Description de l’activité par le sujet Les types de prescriptions Organisation du travail Tâches Intensification Prescriptions tayloriennes Prescriptions floues Durées d‟hospitalisation plus courtes Turnover Rentabilité Productivité/Exigence quantitative Rythme de travail/cadence Contexte Pénibilité/fatigue/usure Actions Buts/motifs Aléas/imprévus/ interruptions Augmentation de l‟activité technique Augmentation de l‟activité administrative 336 27,78% 72,22% 44,55% 13,35% 19,74% 20,31% 23,58% 6,25% 12,22% 74,64% 17,54% 7,81% 77,91% 22,09% PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra Ressources Pouvoir d’agir Ressources internes Ressources externes Diminution du pouvoir d‟agir Sources Répercussions « Redéveloppement du pouvoir d‟agir » Résignation Heures supplémentaires Gestion du temps Fuite du personnel Organisation entre collègues Connaissances expérience Appréciations personnelles Outils Utilisation Impossibilité de soins Impossibilité relationnelle Manque de moyens Relations avec les médecins et la hiérarchie Pression Qualité de la prise en charge Frustration/ Perte de sens Dissolution du collectif 26,91% 73,09% 69,80% 30,20% 8,21% 42,29% 12,94% 22,64% 13,93% 45,15% 47,26% 7,59% 35,54% 7,43% 28,10% 11,57% 17,36% Tout d‟abord, revenons sur le détail des résultats de la catégorie « description de l‟activité ». Concernant les types de prescriptions, nous trouvons davantage de verbalisations concernant les prescriptions floues (72,22%) que de prescriptions tayloriennes (27,78%). Pour l‟organisation du travail, les thèmes émergeant des discours sont (i) le rythme de travail et la cadence (23,58%), (ii) la productivité (20,31%), (iii) la rentabilité (19,74%) et le turnover (13,35%) comme l‟illustre les exemples du tableau n°4. Tableau 4 : Exemples de verbalisations pour les thèmes rythme de travail et cadence, productivité et rentabilité. Rythme de travail/ cadence «Faut toujours aller plus vite, plus vite…, avant la T2A, c’était pas comme ça quand même hein… moins en tout cas, ça c’est sur » ; « faut aller vite ». Productivité « Il faut enchainer, en fait » ; « on a de plus en plus l’impression d’être à l’usine, de faire du travail un petit peu à la chaine » ; « ils nous demandent de produire, produire, toujours produire, toujours plus… » « Maintenant, le message de la direction, c’est… ouais soigner certes mais Rentabilité 337 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra faut qu’on ramasse de l’argent pour faire vivre l’établissement » ; « avant, y’avait pas toute cette stratégie pour gagner de l’argent…maintenant, vous savez, l’hôpital c’est une véritable entreprise hein… » «Un lit ça refroidit pas ici, vous comprenez ce que je veux dire, un lit vide est un lit réoccupé euh… automatiquement, quoi… » ; « Là, ça va… ça vient… ça fait que ça…». Turnover Concernant l‟intensification de l‟activité, les thèmes verbalisés par les infirmiers sont relatifs à l‟augmentation de l‟activité technique (77,91%) et de l‟activité administrative (22,09%). Les exemples de verbalisations sont indiqués dans le tableau n°5. Tableau 5 : Exemples de verbalisations pour les thèmes augmentation de l’activité technique et de l’activité administrative Augmentation Activité technique Augmentation Activité administrative « Nous, on a plus de boulot au niveau soins… » ; « Au niveau des soins, y’en avait beaucoup moins, même au niveau des pansements… » « On est de plus en plus pris par les charges administratives… avec toutes les entrées, les sorties…». Pour la deuxième catégorie « pouvoir d‟agir », nous avons catégorisé les éléments se rapportant à ce concept. Il ressort les éléments suivants. Concernant le thème des ressources, 73,09% des verbalisations portent sur les appréciations personnelles en tant que ressources internes et 69,80% concernent les outils pour les ressources externes (cf. tableau n°6). Tableau°6 : Exemples de verbalisations pour les thèmes ressources internes et ressources externes Appréciations personnelles Outils « moi, je pense qu’on va vers une…, vers, on va dire, un avenir où je ressens plus maintenant la médecine à deux vitesses, je ressens ça… et je trouve aussi qu’on demande à faire de la santé quelque chose de financier, un peu du business… » « dossiers d‟entrée» ; « dossier de soins» ; «tensiomètres électroniques » ; «pieds de perf » Les sources de diminution que nous avons relevées à travers les verbalisations des infirmiers sont relatives à l‟impossibilité relationnelle (42,29%), les relations avec les médecins et la hiérarchie (22,64%), la pression (13,93%) et le manque de moyens (12,94%). Des exemples de verbalisations sont présentés dans le tableau ci-dessous. Tableau 7 : Exemples de verbalisations pour les thèmes sources de diminution du pouvoir d’agir. Impossibilités relationnelles Relations médecins et « on a une grosse grosse activité aussi et donc on n’a plus de temps à consacrer pour le patient, fin pour discuter, je veux dire « nous, on n’a pas tant de poids que ça au niveau paramédical par 338 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra rapport à la T2A, c’est les médecins qui nous dictent ce qu’ils veulent… nous, on a rien à dire… » ; « tous les médecins sont comme ça, « j’ai prescrit quelque chose, ça doit être fait tout de suite » ; « on se fait forcément un peu engueulé si ça va pas mais… ce qui a c’est que c’est sans forcément chercher à savoir pourquoi ça n’a pas été fait… » ; « les médecins ne cherchent pas à savoir pourquoi on a eu ce souci là… » hiérarchie A travers les verbalisations des infirmiers, nous avons identifié le thème répercussions (cf. tableau n°8) qui comprend la frustration/perte de sens (47,26%) et la qualité de la prise en charge (45,15%). Tableau 8 : Exemples de verbalisations pour le thème répercussions de la diminution du pouvoir d’agir. Frustration/perte sens de Qualité de la prise en charge « des fois, on rentre chez nous, on a l’impression d’avoir fait entre guillemets du boulot de merde, et on le sait et on sait que demain on reviendra et on refera ce même boulot de merde » ; « c’est un petit peu dépersonnalisé, ça a plus de sens » ; « on s’y retrouve de moins en moins » ; « des fois, je me dis pourquoi j’ai fait ce métier là si c’est pour faire de la production » « parfois, vous savez y’a des gens qui sortent, qui devraient encore rester hein…, qui sont pas guéris et qui vont récidiver hein…, qui reviennent 15 jours après, puisque y’a un temps alloué alors c’est tout… » ; « la qualité n’y est plus » « les gens dès qu’ils sont plus ou moins stabilisés au niveau des soins, faut directement les faire sortir…mais c’est parfois trop tôt… » Pour terminer, pour le thème « redéveloppement » du pouvoir d‟agir (cf. tableau n°9), les éléments en lien concernent notamment les sous-thèmes résignation (35,54%) et gestion du temps (28,10%). Tableau 9 : Exemples de verbalisations pour le thème redéveloppement du pouvoir d’agir. Résignation Gestion du temps «alors des fois, on abandonne… » ; « On dit plus rien, on fait…fin on essaie de faire et puis c’est tout… » ; « Mais bon…après c’est comme ça et puis c’est tout» «ben ce que je fais souvent, c’est que j’essaye de me dépêcher en début de poste…comme ça à la fin de mon poste, j’essaie de garder un peu de temps pour mes patients… » Pour résumer, les éléments importants relevés dans le discours des infirmiers sont relatifs à des changements au niveau de l‟organisation du travail (cadence, rythme, productivité, rentabilité et turnover). Les infirmiers indiquent une intensification de leur activité qui se traduit par une augmentation de l‟activité technique. L‟activité relationnelle avec le patient se trouve empêchée. Les répercussions identifiées dans les verbalisations sont la frustration, la perte de sens et une perte de la qualité de la prise en charge. 339 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Catherine Demarey & Julie Dal Pra Conclusion Notre étude est exploratoire et descriptive. Les résultats ainsi obtenus apportent des éléments allant dans le sens de notre questionnement qu‟il nous faut continuer de travailler dans les études à venir. L‟introduction de la T2A en tant qu‟outil de gestion amène une réorganisation de l‟activité de soins en suivant un cadre prescriptif s‟appuyant sur des principes tayloriens. Comme l‟indique De Montmollin (2002, p. 99), « les hôpitaux (…) produisent des biens et des services en suivant des procédures, le plus souvent efficace, qui n‟empruntent rien, ou si peu, au discours des sciences humaines et sociales. Persistance du Taylorisme dans sa pureté d‟origine ? Non, mais persistance du cadre théorique, oui ». De même, comme le souligne Linhart (2004, p. 58) «enserré dans des logiques comptables qui restent taylorienne, l‟organisation du travail, son évolution, sa gestion et son contrôle se font à partir d‟une rationalité quantitative qui décompose et saisit chaque activité séparément. Cette logique ne disparaît pas, loin de là, elle s‟étend à des secteurs qui n‟en relevait pas auparavant comme les hôpitaux ». Cette logique de gestion n‟entraine t-elle donc pas des tensions et des contradictions dans les systèmes d‟activité (Demarey &al., 2010) comme celle du soin. Notamment, l‟impossibilité relationnelle et la baisse de la qualité de la prise en charge s‟en trouve renforcées. Frustration et perte de sens sont à regarder sous l‟angle de la diminution du pouvoir d‟agir des sujets (Clot, 2008). Cette dernière n‟est pas sans conséquence sur le sujet et son activité. Comme le souligne Ricoeur (1990, p. 223), « la souffrance n‟est pas uniquement définie par la douleur physique ou mentale mais par la diminution, voire la destruction de la capacité d‟agir, du pouvoir faire, ressenti comme une atteinte à l‟intégrité de soi ». Il s‟agit d‟une « impuissance à dire, à faire, à raconter et à s‟estimer. C‟est un empêchement ». Références Barabanchtchikov V. (2007). La question de l‟activité dans la psychologie russe. In V. Nosulenko & P. Rabardel (Eds), Rubinstein aujourd‟hui. Nouvelles figures de l’activité humaine. Paris : Octarès. Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu (10ème éd.). Paris : Presses Universitaires de France Bobillier Chaumon M. (2003), Evolutions techniques et mutations du travail : émergence de nouveaux modèles d‟activité. Le travail humain 2003/2, Volume 66, p. 161-192. Brangier, E. & Hammes, S. (2007). Comment mesurer la relation humain-technologieorganisation? 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Postulant que l‟interaction est une interface ouverte sur l‟individu d‟un côté et sur les systèmes collectifs de l‟autre, les auteurs abordent leur étude par l‟analyse d‟un entretien de supervision d‟une équipe soignante d‟une institution hospitalière psychiatrique. Abstract At the advent of the reform of nursing education in France, this study attempts to give an overview of changes in the work practices of nurses and the employment of nurse‟s aides in psychiatric wards of hospitals. Based on the assumption that interaction acts as an interface between the individual on one side and collective systems on the other, the authors approach this issue by analyzing a supervisory meeting of a caregiving team in a psychiatric hospital. Mots-clés : équipe paramédicale, infirmière psychiatrique, aide-soignant, analyse de discours Key-words : Psychiatric hospital paramedic team, healthcare assistant, discourse analysis 2 Nous remercions Anne-Sophie Collinet, Sophie Delaire, Karene Barotte et Elise Diana pour leur relecture de cet article. Ces personnes n‟appartiennent pas à l‟équipe enregistrée. 342 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon 1. Introduction En 2010, alors qu‟en France la psychiatrie de secteur fête ses 50 ans 3, la logique d‟une offre thérapeutique extrahospitalière aux personnes présentant une pathologie mentale s‟est imposée avec la création des CMP, CATTP, hôpitaux de jour, appartements thérapeutiques, maisons communautaires, et – depuis moins de dix ans– hospitalisations à domicile4 (Martin, 2000 ; Pascal, Simonnot & al., 2003 ; Semal & Revillon, 2009). L‟équipe paramédicale joue un rôle prépondérant dans le succès de cette articulation d‟une offre de soin avec une insertion sociale individualisée du patient. Pour remplir ses missions, l‟équipe soignante a su s‟adapter à un système pour lequel sa formation ne l‟avait pas forcément préparée. En effet, défendant le point de vue d‟une approche holistique de la personne, qui associerait les dimensions somatique et psychique qui la constituent, une décision politique et administrative a été arrêtée quant à la prise en charge de la maladie mentale, il y a un peu moins d‟une vingtaine d‟années, en France, en fusionnant les diplômes d‟infirmier de secteur psychiatrique et d‟infirmier de soins généraux. Cette décision, dont nous ne cessons d‟observer les retombées relativement fortes qui se sont produites dans la réalité de leur mise en œuvre, au sein même des équipes de soins, aussi bien sur le plan organisationnel que technique et interindividuel, a eu des effets dont certains iront jusqu‟à affirmer qu‟ils ont ébranlé le fonctionnement de l‟hôpital psychiatrique : « il y a une destruction véritable du champ même de la psychiatrie. La suppression du diplôme d‟infirmier psychiatrique, c‟est le plus gros scandale de ce siècle. » (Oury, 1998). Nous choisissons d‟aborder les questions soulevées par cette réforme, à travers « une parole dans l‟interaction » (Goffman, 1983) car nous considérons qu‟elles relèvent de relations interindividuelles en tant qu‟elles incarnent les institutions sociales concernées. C‟est ainsi que nous procéderons à l‟analyse d‟un entretien de supervision d‟une équipe paramédicale d‟un centre hospitalier psychiatrique. Notre exposé se déroulera en deux parties. Nous analyserons, dans un premier temps, la technique d‟animation qui a été mise en œuvre et le profil interactionnel de l‟entretien de groupe tel qu‟il s‟est montré au cours de cette première séance de supervision. Puis, dans un second temps, nous procéderons à une analyse des contributions essentielles à la révélation des phénomènes propres à ce genre d‟équipe. Pour ce faire, nous nous situerons aux niveaux 2, 3 et 4 de Doise (1982, 1999) ; nous observerons ainsi les différentes positions des agents concernés (Niveau 3), interdépendants d‟un système sociétal (niveau 4) qui façonne leur activité. A travers les processus interactionnels en jeu (niveau 2), nous ferons émerger « les systèmes de 3 Le 15 mars 1960, l‟idée de Secteur prend forme avec une circulaire qui s‟est traduite par un mouvement de désinstitutionalisation à partir de 1970. 4 Cf. Circulaire DHOS/O n° 2004-44 du 4 février 2004 rappelant le rôle et les objectifs de l‟hospitalisation à domicile. 343 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon croyances, de représentations, d‟évaluations et de normes sociales » (Doise, ibidem) de ce prototype d‟équipe. Notre travail consistera à répondre aux questions suivantes 5 : quelles sont les spécificités de la situation de communication dans lesquelles cet entretien s‟est déployé ? Par quels processus les échanges interlocutoires se sont-ils réglés ? Avec quels effets ? Quels phénomènes socio-cognitifs ont-ils fait émerger ? Comment les interpréter ? 2. Les transformations dans les équipes de soins des secteurs hospitaliers psychiatriques Tout d‟abord, rappelons l‟organisation hiérarchique des paramédicaux. Le cadre supérieur de santé subordonne plusieurs équipes paramédicales. Le supérieur hiérarchique direct de chaque équipe est le cadre de santé –un infirmier qui a une formation complémentaire de neuf mois. Une équipe est composée d‟agents des services hospitaliers (ASH : récemment nommé « employé polyvalent de collectivités »), et d‟une équipe soignante constituée d‟aides-soignants et d‟infirmiers. Les ASH s‟occupent de l‟entretien des sols et distribuent les repas –notons qu‟ils ont tendance à disparaître des services hospitaliers, le plus souvent remplacés pour l‟entretien des sols par des employés d‟entreprises privées contractuelles. Les aides-soignants n‟ont pas de rôle propre, leur affectation se situe en creux entre les ASH et les infirmiers. Plus les soins requièrent un haut niveau de technicité (comme dans les services de réanimation, soins intensifs, néonatalogie, etc.), plus l‟organisation hiérarchique de l‟équipe est marquée et inversement. C‟est ainsi que dans les secteurs hospitaliers de long séjour ou certaines unités de psychiatrie qui s‟apparentent à des lieux de vie, les distinctions entre les aides-soignants et les infirmiers sont ténues. L‟évolution de la profession d‟infirmier psychiatrique Depuis sa création en 18786 jusqu‟à très récemment 7, la formation des infirmiers français a régulièrement été confrontée à de profondes modifications, souvent rendues nécessaires par de solides avancées scientifiques, aussi bien théoriques que techniques, qui, progressivement, sont venues transformer les missions des professionnels de terrain. Le législateur a constamment accompagné ces changements 8. En outre, en réformant le programme des 5 Notons que ces questions sont celles auxquelles la psychologie sociale de l‟usage du langage tente de répondre de manière générale (cf. Bromberg & Trognon, 2004 ; Olry-Louis, 2009). 6 Création de l‟école d‟infirmiers de « l‟asile de la Salpêtrière ». 7 Cf. Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d‟état d‟infirmier (J.O. du 7 aout 2009). 8 En 1922, le titre d‟infirmier diplômé de l‟état français est créé. En 1955, l‟arrêté du 23 juillet réglemente le premier diplôme pour les infirmiers des hôpitaux psychiatriques, sanctionnant une formation de deux ans. En 1969, le titre d‟infirmier de secteur psychiatrique est entériné. 344 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon études conduisant au diplôme d‟état d‟infirmier, le Décret du 23 mars 1992 (et l‟Arrêté du 30 mars de la même année) a tout particulièrement marqué l‟exercice de la profession en mettant fin aux études séparées d‟infirmier diplômé d‟état en 3 années et d‟infirmier de secteur psychiatrique en 33 mois. Alors qu‟auparavant, il n‟était reconnu à ce dernier qu‟un champ de compétences limité aux seuls lieux d‟exercice luttant contre les maladies mentales, à partir de 1992, un diplôme d‟état unique assurait la polyvalence de la fonction. Parallèlement, des mesures étaient aménagées pour les infirmiers de secteur psychiatrique déjà diplômés ; ils pouvaient obtenir, grâce à un stage de trois mois dans certains services de soins de l‟hôpital général, une équivalence du diplôme d‟état d‟infirmier. L‟inverse n‟était pas prévu : un infirmier de soins généraux pouvait tout à fait venir exercer son métier en psychiatrie sans autre formation. C‟est ainsi qu‟une décennie de difficultés rencontrées par les infirmiers venus exercer en psychiatrie a fini par déclencher une enquête gouvernementale lancée auprès des Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), laquelle débouchait sur la mise en œuvre d‟une formation de base nécessaire aux soins psychiatriques. Un dispositif faisant appel à des référentstuteurs confié au personnel infirmier expérimenté fut inventé à la suite de la présentation d‟un rapport, commandé par la Direction Générale de la Santé, au Comité Consultatif de santé mentale en avril 2002 9. Par la suite, le plan « psychiatrie et santé mentale 2005-2008 » identifiait comme une priorité la mise en place d‟un agencement visant un renforcement de la formation initiale et continue des infirmiers exerçant en psychiatrie, et, par là même, une meilleure adaptation des infirmiers nouvellement diplômés et prêts à exercer leur métier sur le terrain de la psychiatrie10. L‟insertion des AS dans les équipes du secteur psychiatrique Comme l‟aide-soignant, partenaire majeur de l‟équipe soignante, n‟a pas de rôle propre11, il n‟existe pas de référentiel métier qui précise un inventaire d‟actes qui lui sont spécifiquement attribués. Néanmoins, l‟aidesoignant doit disposer de compétences 12 permettant de contribuer à une prise en charge globale des personnes, à leur éducation et à celle de leur entourage, en 9 Cf. Circulaire DGS/DHOS n° 2003-366 du 10 juillet 2003 relative à la mise en œuvre des enseignements concernant la santé mentale prévus par l‟Arrêté du 30 mars 1992 relatif au programme des études conduisant au diplôme d‟Etat d‟infirmier. Date d‟application : immédiate. 10 Cf. Circulaire DGS/DHOS n° 2006-21 du 16 janvier 2006 à la mise en œuvre du tutorat pour les nouveaux infirmiers exerçant en psychiatrie. 11 Le métier d‟aide-soignant est défini réglementairement par le décret n° 89-241 du 18 avril 1989 modifié. 12 Le Diplôme Professionnel d‟Aide-Soignant (D.P.A.S.), diplôme de catégorie V, valide une formation de 10 mois. Cf. Arrêtés du 22 octobre 2005 (J.O. du 13 novembre 2005), du 8 février 2007 (J.O. du 17 février 2007) et Circulaire DGS du 19 février 2007 et Décret n°2007-1301 du 31 août 2007. 345 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon liaison avec les intervenants d‟une équipe pluridisciplinaire13. Trois grandes missions lui sont attribuées 14: collaboration avec l‟infirmier dans la surveillance, collaboration dans l‟aide apportée au patient et dans l‟hygiène. Il apparaît ainsi que les actions que doit accomplir l‟aide-soignant dépendent complètement de celles de l‟infirmier, sous la responsabilité de qui il est directement placé. Il dispose de très peu d‟autonomie dans les soins à apporter au patient, même si, en pratique, on observe une évolution positive de son métier, forcément liée à la diminution constante du nombre d‟infirmiers (Venuat, 2009). C‟est d‟ailleurs pour cette même raison que l‟on assiste à son implantation grandissante en psychiatrie, laquelle, finalement, n‟est pas très surprenante si l‟on considère que le rôle de base de l‟aide-soignant est l‟accueil, l‟aide aux soins, et l‟observation. En effet, il va de soi que c‟est l‟observation et l‟écoute réalisées par l‟équipe soignante, dans son entier, qui gouverne prioritairement la réflexion qui fonde le projet global du patient. Ces catégories de professionnels sont représentées par le groupe concerné par la supervision que nous allons étudier dès à présent. 2. La supervision La demande de supervision Les groupes de supervision ont été conçus dès leur origine, par Balint, pour effectuer un « retour sur expérience [devant] permettre à chacun, grâce aux échanges avec les autres participants (leurs interprétations, critiques, questions), mais également grâce aux éclairages fournis par l‟animateur, de découvrir des aspects méconnus de sa pratique habituelle, notamment sa part dans le processus, tout en construisant des représentations plus approfondies des situations auxquelles il est confronté. » (Levy, 2002, p. 302). Il s‟agit d‟un dispositif « de formation ou de perfectionnement fondé […] sur l‟analyse d‟expériences professionnelles, récentes ou en cours, présentées par leurs auteurs dans le cadre d‟un groupe composé de personnes exerçant la même profession. [Ce dispositif] concerne en priorité des professions dont le point commun est de répondre à des demandes d‟aide ou de soin (médecins et psychiatres, personnels paramédicaux, psychologues cliniciens, analystes de groupe, psychosociologues, formateurs, travailleurs sociaux, éducateurs, enseignants) et pour lesquels la dimension relationnelle constitue un élément central. » (ibidem). 13Arrêté du 22 juillet 1994. 14Cf. Circulaire DGS/DHOS n° 96-31 du 19 janvier 1996. 346 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon La séance de supervision qui va être examinée ici a réuni des membres d‟une équipe soignante d‟un service d‟hospitalisation d‟un centre hospitalier psychiatrique départemental. Sa mise en place faisait suite à une demande adressée antérieurement à la direction de l‟hôpital par le personnel du pavillon en fonction à l‟époque. D‟âpres discussions s‟étaient ensuivies avec la direction qui proposait un autre type d‟intervention. Puis la demande était tombée dans l‟oubli, pour revenir à l‟ordre du jour alors que l‟équipe s‟était, entre temps, fortement renouvelée. C‟est là ce que souligne CA, le cadre infirmier de l‟équipe, au début de l‟entretien transcrit intégralement : CA = cadre, A = animateur, /…/ = période inaudible (…) CA2 : parce que en fin de compte, il y a eu deux temps. Il y a eu un temps, donc, avant que j‟arrive il y avait eu une demande de supervision qui avait été faite par l‟équipe, alors par des personnes de l‟équipe de l‟époque, mais qui ne sont plus présentes, et puis l‟année dernière, à peu près à la même époque, il y a eu tout un problème, au niveau des soins, il y a eu des problèmes de violence, enfin, ça a été relativement loin, et euh, sur ce, la demande de supervision a été remise en tout cas fortement à l‟ordre du jour. Alors par contre, je tiens à spécifier, hein, parce que, euh, je pense que vous étiez présents monsieur A, il y avait deux demandes qui n‟avaient pas du tout les mêmes finalités A3 : c‟est ça CA3 : donc il faut absolument que les choses soient claires dès le départ, ce n‟est pas une demande de l‟institution, c‟est une demande de l‟équipe, c'est-à-dire que les objectifs ne sont pas du tout les mêmes, hein. Et ça il faut que ce soit vraiment bien précisé, hein, parce que, euh, ça n‟a pas du tout la même portée, quoi, hein. Parce que moi, j‟entendais encore hier, quelques, il y en a qui disaient que c‟était une demande qui émanait de la direction, non ! A4 : non CA4 : il y a eu, ce n‟est pas du tout en tout cas ce qui était euh, donc là c‟est une demande qui a été retravaillée, donc avec un certain nombre d‟objectifs, avec Mme Chef de Service et moi-même. Avec des objectifs vraiment centrés sur les pratiques, sur l‟analyse, sur le soin. A5 : c‟est ça CA5 : c‟est clair, net. Voilà. (…) Six soignants sont réunis autour d‟un animateur (A) : un cadre infirmier (CA) ; trois infirmiers (IDE) : Irène (I), Jean (J) et Karine (K) ; une aide soignante (AS) : Suzanne (S). Tous, sauf la cadre, sont nouveaux dans le service. Irène et Jean exercent leur métier depuis de nombreuses années, mais la première intègre pour la première fois une unité psychiatrique alors que le second y a fait toute sa carrière. Karine et Suzanne sont, eux, de jeunes diplômés. 347 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon La conduite de l‟entretien de supervision C‟est selon une démarche utilisée en logique interlocutoire (Trognon & Batt, 2007, 2010 ; Batt & Trognon, 2009, 2010) et en particulier à partir de la théorie pragmatique des actes de langage (Searle & Vanderveken, 1985) que nous analysons le travail réalisé par l‟animateur du groupe. Cette théorie reconnaît cinq types d‟usage du langage : assertif (on décrit, on affirme, etc.) ; directif (on pose une question, on exprime une requête) ; expressif (on traduit un état psychologique) ; promissif (on s‟engage) et déclaratif. Pour compléter cette première approche, nous nous rapportons à la théorie des questionsréponses développée par Hintikka (1976), car cet auteur aborde les questions dans un cadre, la sémantique du jeu théorétique de dialogue, compatible dans ses grandes lignes à celui que la logique interlocutoire tente de mettre en œuvre. Parmi les interrogatives, Hintikka distingue les propositionnelles et les catégorielles. Les premières sont les questions où le choix a trait à des propositions ; on y compte les questions dont la réponse attendue est oui/non ou les questions à choix multiples (par exemple : fromage ou dessert ?). Les secondes sont des questions pour lesquelles le choix porte sur les valeurs d‟une variable quantifiée (ce sont les questions du type qui ? quand ? où ? etc.). Alors que les premières ont classiquement pour effet de clore la parole et abréger les interactions, les secondes tendent, au contraire, à faire produire du discours à l‟interviewé. Les 79 interventions de l‟animateur ont été codées. Le tableau 1 et la figure 1 indiquent comment ils se répartissent dans le détail (Tab. 1) et en proportions (Fig. 1). On observe une majorité d‟actes assertifs (66,6% = secteurs noirs de la figure 2) par rapport aux interrogatives (13,4%) et aux requêtes (13,8% dont 12,6% indirectes). La plupart des interrogatives sont des questions catégorielles (8,6% catégorielles vs 4,8% propositionnelles). Il faut ainsi mettre en relation (i) la prédominance des relances assertives (26,3%) – dont une grande majorité de reformulations sur les sentiments (18,8%), (ii) les questions « ouvertes » et (iii) les invitations indirectes à s‟exprimer (les 4 étiquettes en italique sur la figure 2), avec une conduite d‟entretien visant la production de vécus, ressentis, opinions et représentations des interactants, d‟autant plus que, quelques soient les modes d‟intervention, les actes accomplis sur le registre référentiel sont minoritaires. Il faut enfin souligner l‟importance du métadiscours produit –plus de 40% des assertions– qui signale une activité de régulation. Bref, comme on aurait pu s‟y attendre de la part de cet animateur à la solide expérience de supervision de groupe, son activité réalise les trois fonctions essentielles exigées par son rôle : les fonctions de production, de facilitation et de régulation indispensables à la cohésion du groupe (Blanchet & Trognon, 2008 ; Leclerc, 1999). 348 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon Tableau 1. Répartition des différentes catégories d’interventions de l’animateur Expr. Directifs Assertifs Occurrence dans la conversation % Reformulation des sentiments 18,8 Assertions à partir du discours de Réitération discours sur état du monde 6,3 l‟autre Réponses à des questions 1,2 18,4 Métadiscours sur l‟activité du Déductions Conclusions groupe Synthèse 21,9 1,2 Sur les sentiments En oui-non Sur un état du monde 2,4 Sur les contenus de Questions Disjonctives 1,2 pensée Sur les contenus de 4,9 Catégorielle pensée Sur un état du monde 3,7 Directe Développer le discours 1,2 Invitations Se présenter 1,2 Indirecte Développer le discours 11,4 Phatique 3,7 Accord 2,4 Figure 1. Proportion des différentes interventions de l’animateur 349 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon Analyse des résultats quantitatifs 2.1.1. Le contenu thématique et séquentiel Dans la totalité de l‟entretien, sept catégories thématiques ont été identifiées (accord inter-juges : 97% ; 78 juges15). Avec l‟énoncé pour unité de comptage, nous mettons en évidence (Tab. 2) que le thème majoritaire est « la place des aides-soignantes dans l‟équipe » (un quart de l‟entretien) puis, hormis la présentation du cadre de l‟intervention, c‟est la question des locaux –local de soins (18.9%) ou projet de salle de détente (17, 5%)– qui occupe la scène conversationnelle, et, enfin, l‟organisation du travail (12,9%). En étudiant l‟organisation interactionnelle de l‟entretien (Roulet & al., 1985), on constate qu‟au fur et à mesure du déroulement de l‟entretien, 42 séquences interactionnelles se sont développées (Tab. 3). 2.1.2. La place dans l‟interaction Considérant que la production individuelle d‟énoncés est un bon indice de l‟espace conversationnel occupé par chaque interlocuteur, nous avons comparé les quantités d‟énoncés de chaque membre du groupe (Tab. 2). On observe que la participation des interactants à la réunion est très disparate. Par ordre décroissant, cela donne : CA-(A/I)-J-K-S. Pour compléter l‟analyse des conduites des locuteurs lors de leurs prises de parole, nous avons calculé le rapport entre le nombre de tours de parole et le nombre d‟énoncés produits. On observe ainsi que, par rapport à la moyenne du groupe (3,4), c‟est la cadre qui a tendance à garder la parole le plus longtemps lorsqu‟elle lui est donnée (4,5), puis l‟animateur (3,7), Irène (3,2) et Suzanne (3), et que ce sont Karine (2,4) et Jean (2,3) qui font les interventions les plus brèves. L‟animateur, qui intervient peu (sa contribution représente 21,8% de tout l‟entretien), s‟exprime beaucoup au début de l‟entretien pour présenter la demande de supervision (61,4% de l‟ensemble de ses interventions). Ce déséquilibre notable s‟explique par le fait qu‟il s‟agit de sa première rencontre avec ce groupe, et que décrire l‟origine, le contexte, le cadre organisationnel, les enjeux de son intervention constitue la première étape, indispensable, de son animation. Notons la très faible participation de Suzanne (3,1%), minoritaire même lorsqu‟est mis en débat le rôle de l‟aide-soignante dans l‟équipe. Sur ce thème, ce sont les infirmiers les plus prolixes (Karine : 48,2% ; Irène : 40,4% ; Jean : 36,2% vs Suzanne : 8,3%). Cette forte contribution de Karine est d‟autant plus remarquable que, comme Suzanne, elle ne participe qu‟à très peu d‟interactions (9/42, cf. Tab. 3) à 15 Les juges étaient des étudiants de L3 de psychologie. 350 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon l‟inverse d‟Irène qui contribue au plus grand nombre de discussions du groupe (29/42). Tableau 2. La participation interactionnelle des membres du groupe Présentation contexte A CA Irène Jean Karine Suzanne Total Animateur Cadre IDE IDE IDE AS 61.4 1.5 5.4 6.5 0 0 20.7 0.8 0 Rôle des AS 0.3 19.5 Salle de détente 5.2 28.5 13 Local de soins 0.7 48.5 16.6 14 5.1 Total : énoncés (%) 21.8 34.2 Total : tours de parole (%) 20.2 25.9 22 Rapport : tours de parole/énoncés 3.7 4.5 3.2 Thèmes (%) Présentation participants Organisation travail 10.8 5.7 5.8 27.7 5.6 40,4 36.2 48.2 8.3 24 .1 7.9 30.5 19.4 17.5 9.4 8.2 41.6 18.9 13.33 37.6 7 2.7 12.9 21.1 12.1 7.4 3.1 100 17.5 10.5 3.6 100 2.3 2.4 3 Tableau 3. Contribution des membres du groupe aux séquences interactionnelles Séquences (n) Contribution (%) Enoncés (n) 2.1.3. Irène 29 69 626 Animateur 20 47,6 557 Cadre 18 42,8 484 Jean 18 42,8 381 Karine 9 21,4 265 Suzanne 7 16,6 149 Le flux interactionnel Depuis les travaux de Sacks, Schegloff et Jefferson (1974), il est bien établi que l‟organisation des tours de parole est « véritablement le produit d‟une relation se déroulant à la fois sur un plan cognitif et sur un plan pratique » (Ghiglione & Trognon, 1993, p. 111) entre deux locuteurs. En relevant systématiquement les locuteurs courants et les locuteurs suivants de l‟entretien (Cosnier, 1989, p. 234-235), nous avons identifié les relations qui s‟y sont tissées. 264 relations duelles apparaissent (Tab. 4), où dominent, par leur fréquence, les couples (n échanges) : A/CA (44) et I/CA (44), CA/J (32), K/I (29) et I/J (26). Certaines relations sont rares comme J/S (1) et K/S (1), S/CA et A/K (2), S/I (3) et J/K (5). Une étude complémentaire met en évidence deux triades (I/J/A, I/J/CA) et un quatuor (I/K/S/A). 351 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon Tableau 4. Le flux interactionnel Animateur Cadre Irène Jean Karine Suzanne Total A CA Animateur Cadre 23 21 9 24 11 13 1 10 7 0 49 70 Irène IDE 11 20 16 15 1 63 Jean Karine Suzanne IDE IDE AS 8 1 7 19 12 2 10 14 2 3 0 2 0 1 1 40 31 11 Total 50 74 59 43 28 10 264 De plus, nous observons un modèle relationnel où la cadre et l‟aide-soignante ont des positions particulières (Fig. 2). La cadre apparaît au centre du réseau des communications. L‟aide-soignante, quant à elle, s‟exprime uniquement après les trois membres les plus communicatifs (n fois) : [l‟animateur (7), la cadre (2) et Irène (2)], et peu interviennent après elle [Irène (1), Jean (1) et Karine (1)]. On remarque ainsi que l‟aide-soignante, dont on a déjà noté l‟effacement, agit très peu comme « stimulus » et répond surtout aux « stimulations » des dominants. Figure 2. Le réseau de communication A S K CA I J 2.1.4. Conclusions de la première analyse Les différents résultats d‟analyse reflètent l‟organisation thématique et relationnelle qui s‟est agencée dans ce groupe lors de sa première séance de supervision. Certains des aspects mis en évidence semblent reproduire la structure des statuts valides à l‟extérieur du groupe et au sein de l‟institution : la cadre forme un couple équilibré avec l‟animateur, et se partage avec lui le leadership. Quant à l‟aide soignante, elle se distingue d‟abord par sa minorité 352 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon d‟interventions. Cela est particulièrement remarquable lorsqu‟elle est exclue du débat sur sa fonction. Elle est alors le référent du discours, mais est placée en position de « non-personne » (au sens de Benveniste), ne prenant guère position, et lorsqu‟elle le fait, ce n‟est que très brièvement. Au-delà d‟un réflexe de protection des faces (au sens de Goffman, 1987), dans ce lieu où la problématique de son insertion dans l‟équipe est mise en scène, et où elle est donc particulièrement exposée, son effacement, paradoxal, a valeur de message (au sens de Watzlawick, 1975). La contribution de Karine à ce débat est également remarquable car cette infirmière a un profil discursif similaire à celui de Suzanne sauf quand il s‟agit de s‟exprimer sur le rôle des aides-soignants. D‟autre part, notons que, bien qu‟aucune contrainte formelle ne pesait sur cet entretien de supervision, un réseau relationnel très particulier est apparu, constitué de « couplements » et de sous-groupes. Ce sont les origines et les effets de ces phénomènes de communication de groupe que nous allons analyser dès maintenant en seconde partie. 3. La mission de l’équipe paramédicale en débat La représentation de la tâche en psychiatrie C‟est à travers les propos d‟Irène que l‟on perçoit les conséquences qui découlent de la fusion des diplômes d‟infirmier de secteur psychiatrique et d‟infirmier de soins généraux, en application des dispositions réglementaires de 1992. Ainsi, alors qu‟un tour de table est initié par l‟animateur afin que chacun puisse se présenter, elle énonce : I = Irène /…/ = période inaudible I4 : Oui, je m‟appelle Irène, je suis infirmière à, „fin je suis à Pavillon P. depuis deux mois, je viens me former en psychiatrie parce que je n‟ai pas de formation en psychiatrie, je suis infirmière DE, parce que je n‟ai jamais travaillé en psychiatrie donc je fais un stage intra muros parce que j‟ai demandé un poste en extra euh donc, „faut, je viens rencontrer un p‟tit peu les pathologies que je ne connaissais pas, pas vraiment, pas bien du tout même, du tout, et, euh donc euh, j‟ai l‟impression de commencer, quelque part un nouveau métier par rapport au métier que j‟exerçais avant, des choses complètement différentes, et je suis là depuis 2 mois, depuis fin mars, et je, je, „fin /…/ j‟ai un peu de mal à me positionner au niveau de la psychiatrie, c‟est plus /…/, c‟est, enfin, oui mais bon, euh, je, j‟ai quand même du plaisir, et euh, peut-être que je ferai certainement un test dans, dans, on verra Outre les nombreuses marques d‟anxiété que le discours d‟Irène contient (Mahl, 1959) –rectifications, phrases interrompues, répétitions en série d‟un ou plusieurs mots, bégaiements– on observe que sa présentation de soi 353 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon commence par « je suis infirmière DE ». Dans la communauté linguistique des paramédicaux, par « Infirmière DE », il faut entendre « infirmière diplômée d‟état de soins généraux » et non pas « infirmière de secteur psychiatrique diplômé d‟état ». La distinction est telle qu‟Irène parle d‟un nouveau métier quand il s‟agit d‟évoquer l‟exercice de son métier à l‟hôpital psychiatrique. On remarque son besoin d‟exprimer, dès le début de sa prise de parole, ses difficultés : « j‟ai un peu de mal à me positionner au niveau de la psychiatrie. » Ce discours témoigne de la grande difficulté, voire l‟impossibilité, pour un soignant « du corps » de transposer son savoir faire dans un service de soins mentaux. Ainsi : I = Irène /…/ = période inaudible I39 : (…) pis „fin moi, je connaissais pas, donc euh, la psychiatrie, donc euh, effectivement, le nombre, tout ce personnel, euh, ben, mais tout de suite j‟me disais « ah, c‟est super, c‟est bien, oh, pour bosser, ça va être génial » non, mais ça peut être, parce que je ne connaissais pas du tout le travail, hein, moi j‟avais l‟habitude du petit chariot, p‟tits soins, machin, euh, /…/ J‟me disais « mais qu‟est-ce qu‟on va faire avec tout c‟monde ? » Euh, j‟étais tellement, tellement conditionnée par un, par un autre système /…/ Manifestement, « l‟embarras » d‟Irène tient dans sa difficulté à concevoir précisément sa tâche. Sa description de son métier « d‟avant », « petit chariot, p‟tits soins », qui contraste avec « tout ce monde », traduit sa perte de repères. Si l‟on s‟en tient à la tâche prescrite, quelque soit le secteur de soins, « relèvent du rôle propre de l'infirmier les soins liés aux fonctions d'entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d'autonomie d'une personne ou d'un groupe de personnes. Dans ce cadre, l'infirmier a la compétence pour prendre les initiatives et accomplir les soins qu'il juge nécessaire16 ». Mais soins généraux et soins psychiatriques sont deux systèmes qui divergent en raison des enjeux soulevés par la pathologie concernée et son expression symptomatique. Si dans la première situation, le soignant ne se trouve jamais en contact immédiat avec le trouble de son patient, dans la seconde, c‟est l‟inverse. Pensons au saignement non colmaté d‟une plaie, à la manifestation douloureuse de l‟ulcère gastrique, à l‟essoufflement du cardiaque et comparons aux tentatives manipulatoires du pervers dont le soignant est souvent la première cible. Comme l‟a identifié et clairement exprimé Irène, les « soins du corps » sont médiatisés par un charriot à pansements, par la distribution de médicaments, par la réalisation d‟un électrocardiogramme, etc. En psychiatrie, le médiateur, c‟est la parole ; le soin s‟exécute de pensée à pensée, dans l‟espace relationnel 16 Article R. 4311-3 du code de santé publique. 354 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon spécifique de l‟entretien infirmier. En décloisonnant les champs d‟exercice professionnel de l‟infirmier, le législateur a-t-il mesuré l‟ampleur de ces différences ? Les spécificités du soin et du travail en équipe La désorientation de l‟infirmière nouvellement en poste en psychiatrie a des conséquences multiples, puisque, des difficultés à circonscrire sa propre tâche découle son incompétence à définir les exigences du travail de l‟équipe et l‟activité des agents qu‟elle subordonne17. Dans la séquence suivante, et en particulier dans le court dialogue inséré entre Irène et Suzanne, l‟infirmière indique sa difficulté à intégrer le rôle de l‟aide-soignante et à évaluer les limites de sa mission. Avec I=Irène, S=Suzanne I6 : Moi en fait, pour ce qui concerne les aides-soignantes, j‟ai eu du mal à cerner leur, leur rôle exact parce que moi je viens de l‟hôpital général où les rôles sont bien définis, bien arrêtés, vraiment bien cadrés et je, j‟ai plus de mal, je crois, je ne sais pas si euh, à l’aide-soignante Suzanne je ne sais pas si ça te pose des difficultés sur ce que je fais, ce que je peux faire et ce que je dois faire euh S7 : Non, t‟es bien dans ton rôle, t‟as pas du tout I7 : Moi je me pose des questions, ouais, j‟m‟en pose hein un peu parce que, ça c‟est quelque chose qui m‟a, qui m‟a, euh comment dire, bon, „faut pas rester à avoir des œillères, le rôle exact de machin, mais euh, en gros c‟est euh, c‟est euh, 6 secondes, non, je ne connaissais pas le, mais l‟intégration à l‟équipe n‟est pas mal, hein, ça c‟est quelque chose que, euh, ben, avec les infirmières c‟est beaucoup plus hiérarchisé, hein, tu vois, c‟est beaucoup plus, la différence est beaucoup nette, hein, tandis que là, bon à part, j‟vous dis, les histoires de rôles puisque, puisqu‟il n‟y a pas de soin euh, il n‟y pas de soin technique dans ce, dans ce travail là, donc euh, donc hein, le rôle de l‟aide-soignante, alors euh, est un p‟tit peu, donc euh, hein, „fin j‟ai du mal à l‟appréhender, mais je trouve que, au niveau de l‟équipe, bon ben, l‟aide-soignante et l‟équipe d‟infirmières, l‟aidesoignante est bien intégrée ici, hein. En psychiatrie, la primauté de l‟observation et de l‟écoute parmi l‟ensemble des tâches qui incombent au soignant, est à l‟origine d‟une grande similitude entre les rôles de l‟aide-soignant et de l‟infirmier. Si bien que lors des réunions pluriprofessionnelles de synthèse, où s‟élabore le projet global du patient, chaque membre de l‟équipe soignante, quelque soit son grade, est invité à restituer son écoute, sa perception du patient, à exprimer son point de vue, avec la même considération. De plus, en santé mentale, les missions de confort 17 Sur la question, se reporter à Trognon & Dessagne, 2003. 355 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon et de bien-être, l‟exécution des petits soins du quotidien qui relèvent habituellement de la compétence des aides-soignants, peut, paradoxalement, exiger de solides connaissances en psychopathologie et une haute expertise relationnelle : entreprendre de faire le ménage de sa chambre avec un patient schizophrène, dispenser des soins d‟hygiène auprès d‟une personne délirante, guider un patient anorexique dans le choix du menu de son repas du lendemain, etc. Ainsi, ces gestes qui entrent pleinement dans le cadre de la fonction d‟aidesoignant, relèvent d‟une étroite interdépendance du couple infirmier/aidesoignant dans la mise en œuvre des moyens nécessaires à une prise en charge adaptée. Les dispositifs techniques des services de soins Ce n‟est pas par hasard si le thème qui a, après le rôle des aidessoignants, dominé l‟entretien de supervision est la question des locaux, et en particulier le bureau de l‟équipe soignante. C‟est l‟intervention d‟Irène, qui, là encore, illustre le clivage des deux cultures : I = Irène, CA = cadre, /…/ = période inaudible 22 secondes I8 : C‟est vrai que ce serait bien qu‟il y ait, un endroit où être tranquille, „fin, à l‟écart CA23 : mmh I9 : oui à l‟écart un peu des patients CA24 : mmmh 12 secondes I36 : les patients appellent ça l‟aquarium, ils l‟appellent l‟aquarium Classiquement, dans les services de soins, le bureau infirmier est situé à un endroit stratégique, par exemple, proche des chambres qui accueillent les patients les plus lourds, ou près de la salle de soins, ou à côté de la tisanerie, etc. Son emplacement est toujours redondant avec le cadre théorique dans lequel est pensé le soin. Dans l‟unité où travaille Irène, le bureau infirmier, entièrement vitré, est situé au milieu du service, comme cela a été traditionnellement le cas, pendant de nombreuses décennies, dans la plupart des services de psychiatrie français. Le désir qu‟exprime Irène, de créer une distance avec les malades, ce que ne lui offre pas le bureau actuel, est très naturellement lié à son cursus professionnel. Alors qu‟à l‟hôpital général, le risque de l‟infection nosocomiale est omniprésent dans l‟esprit des soignants, de nombreux moyens sont déployés pour protéger les patients, notamment en les séparant –parfois même en les isolants quand cela est nécessaire. A l‟inverse, alors que la pathologie psychiatrique amène à des retraits, le soin consiste justement à lutter contre l‟isolement du patient, à le faire sortir de sa chambre et se mêler à l‟autre –les autres patients et les soignants. C‟est pourquoi, par exemple, les patients 356 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon prennent leurs repas ensemble, la salle de télévision est commune, etc. C‟est la raison pour laquelle aussi, au-delà du symbolique, la configuration des locaux est conçue pour matérialiser le lien entre les patients et les soignants. Un second grand principe de la prise en charge du patient en santé mentale, c‟est lui permettre d‟exprimer sa souffrance par la parole. Cet enjeu essentiel est conditionné par la mise en scène de la disponibilité du soignant et son expertise à décrypter chez le patient l‟envie de parler. C‟est là ce qu‟explique Jean : Avec J = Jean, A= animateur, /…/ = période inaudible J35 : on a l‟impression de se mettre en décalage, bon moi, (…), mais bon, y‟avait ces moments privilégiés où on pouvait accorder une heure, deux heures à un patient à discuter dans un coin, à parler de différents, peu importe hein, sous n‟importe quel prétexte, et puis là, j‟ai l‟impression que on ne peut plus se le permettre, ou alors, on a peur de se le permettre, parce que justement on a peur de se mettre en défaut avec nos collègues, où eux, ils sont obligés de gérer tout ça [le travail administratif], pis, euh, bon ben si on s‟accorde du temps avec ses patients bon ben, on leur laisse toutes les charges administratives et pis euh, alors que ça il le faut, il faudrait leur accorder du temps 4 secondes parce qu‟il y a une demande certaine 10 secondes J36 : Pis les entretiens dans un bureau, on n‟aime pas. C‟est pas ça, c‟est mieux dans le CA76 : Y‟a le /../ J37 : on peut pas dire « tiens on va mener un entretien », j‟veux dire c‟est quand le patient le sent, euh, „faut que ça se fasse, ça se programme pas, „fin c‟est mon point de vue (…) J39 : (…) et éventuellement on peut dire à un patient que si il a envie de parler, bon on est tranquille pour discuter, bon ça peut se faire hein, je ne suis pas contre, parce que il y a des patients qui aiment bien s‟isoler, hein, en tête à tête comme ça, ok, 10 secondes A58 : Et ça [le travail administratif] vous empêche de, de déambuler dans le service, donc d‟être disponible à, ce pour quoi vous êtes là en somme J40 : Voilà, c‟est ça A59 : Et là vous /…/ de l‟administratif J41 : Faut le faire l‟administratif, mais je veux dire, on est arrivés dans un, à un niveau où finalement l‟un a pris trop le pas sur l‟autre. Bon, faut le faire, hein, tout ce qui est administratif faut le faire, /…/ c‟est établi comme ça, il faut passer par là, mais ça a pris trop le pas sur notre fonction originelle, faut dire aussi qu‟avec la disparition aussi de notre spécificité d‟infirmier psychiatrique, elle a disparu donc euh, la tendance est de tout étalonner de la même façon à l‟hôpital général et à l‟hôpital psychiatrique. 5 secondes 357 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon Jean se plaint de la lourdeur des procédures administratives qu‟impose l‟obligation de renseigner des dossiers de plus en plus détaillés. Il constate que, forcé de se retirer dans son bureau (il précisera plus tard : face à l’écran de l’ordinateur du service) ce qu‟il exprime au patient, c‟est d‟abord son indisponibilité. Ainsi, il apparaît que, pour des raisons différentes, Irène et Jean estiment que le bureau infirmier, tel qu‟il est conçu actuellement, nuit à la qualité de leur travail. La première, issue des soins généraux, se plaint de la transparence des parois vitrées de ce local situé au milieu du service, ce qui génère le sentiment désagréable d‟un contact permanent avec le patient. Le second, de culture psychiatrique, se plaint au contraire d‟une tendance à l‟éloignement du soignant par rapport au patient, lié à un temps trop important passé dans son bureau. En J41, finalement, il attribue la responsabilité de cette situation, qu‟il estime être en contradiction avec les fondements de son métier, à la « disparition de sa spécificité d’infirmier psychiatrique. ». Ainsi, on constate que les deux infirmiers ont intégré qu‟au-delà de sa fonction purement instrumentale, le bureau infirmier, qui appartient pleinement au dispositif de soin, matérialise un système de représentation qui découle directement du modèle théorique dans lequel est pensée la prise en charge du patient. Finalement, il apparaît que l‟entretien de supervision a permis à cette équipe de soignants d‟échanger, de confronter et peut-être même de prendre conscience du sens induit par le dispositif dans lequel s‟exerce leur métier. Conclusion En conclusion, l‟analyse que nous venons de présenter a mis concrètement en exergue l‟impact de la formation des professionnels de soins sur leur conception intime, ici rendue publique, de leur métier. Or, comme nous le rappelions en introduction, un nouveau parcours de formation des infirmiers a vu le jour, en France, par l‟arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d‟Etat d‟infirmier. Il apparaît, qu‟outre le fait que le législateur a prévu pour cette formation une part importante aux enseignements de sciences humaines, notamment des processus psychologiques et psychopathologiques, c‟est avant tout la volonté de former des cliniciens autonomes et réflexifs qui crée un profond bouleversement dans le monde des soignants. En effet, alors que le métier d‟infirmier était jusqu‟alors défini autour d‟une logique d‟actes, cultiver et maintenir une posture réflexive sont dorénavant des exigences de la formation des infirmiers dans une logique de construction de compétences applicables dans la transversalité de leur activité. Il est donc très probable que, dans une conception dynamique, liant intimement des données théoriques et cliniques, l‟application de ces principes transposables à toute situation de soin va considérablement faciliter le passage pour les nouveaux professionnels d‟un 358 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt & Alain Trognon univers de soin à un autre, réconciliant enfin, dans une réelle vision globale, les multiples facettes de l‟activité des paramédicaux. Références Batt, M. & Trognon, A. (2009). Ergonomie cognitive d‟une consultation génétique pour le test présymptomatique de maladie de Huntington. Psychologie du travail et des organisations, 15, 1, 21-40. Batt, M., Trognon, A. & Langard, A. (2010). Analyse interlocutoire d‟une plainte exprimée par une équipe mobile de soins palliatifs. Psychologie du travail et des organisations, à paraître. Blanchet, A. & Trognon, A. (2008). La psychologie des groupes. Paris : Armand Colin. 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Paris : Seuil. 360 361 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Analyse interlocutoire d’une plainte exprimée par une équipe mobile de soins palliatifs Interlocutory Analysis of a Complaint Expressed by a Mobil Palliative Care Team Martine Batt* Alain Trognon** & Alexandre Langard** 18 * Université de Nancy2, Laboratoire Interpsy, GRC, [email protected] Université de Nancy2, Laboratoire Interpsy, GRC, [email protected] Résumé Dans cet article, les auteurs présentent la construction collaborative d‟une plainte exprimée par une équipe de soins placée en situation d‟interaction entre deux passations individuelles (pré-test/post-test) du Questionnaire de Climat d‟Entreprise (QCE). L‟analyse de l‟interdiscours réalisée avec la logique interlocutoire met en évidence la syntaxe de cette élaboration ainsi que le tissage d‟une représentation de leur situation professionnelle par les participants, tous membres d‟une équipe mobile de soins palliatifs d‟un centre hospitalier. Abstract This article points out the merits of conducting an interlocutory analysis of a group meeting held between two administrations of a questionnaire. Here, the Company Climate Questionnaire was filled out individually by the members of the group before and after the meeting. Changed attitudes toward the supervisory staff were observed after the discussion. All participants were members of a mobile palliative care team at a university hospital. The verbal interaction analysis allowed us to identify the collaborative facet of the complaint that surfaced, and to determine what intersubjective processes arising during the group discussion triggered the expressed changes of opinion. Mots-clés : Plainte. Interaction. Analyse interlocutoire. Satisfaction au travail. Equipe mobile de soins palliatifs. Climat d‟entreprise. Key-words : Complain. Interaction. Interlocutory analysis. Job satisfaction. Mobile palliative care team. Company climate. 18 Nous remercions Maryse Regnier pour sa relecture de cet article. 362 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 1. Introduction L‟intérêt vis-à-vis de la perception individuelle qu‟ont les agents de leur entreprise s‟est considérablement accru au cours de la dernière décennie dans des contextes plus ou moins particuliers (comme fut celui du rapport Technologia sur les conditions de travail, France Télécom, 2009). Cet intérêt grandissant se justifie notamment par la place importante accordée à la perception du climat de l‟entreprise parmi les nombreux facteurs en jeu dans la satisfaction au travail. L‟hôpital est certainement plus concerné que n‟importe quelle autre entreprise par cette problématique étant donné l‟impact des conditions de travail sur la qualité des soins souligné par de nombreux auteurs (Di Fabio & Bartolini, 2009 ; Duffy & Richard, 2006). A l‟aube de la mise en application de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires »19 qui vise notamment à réformer la gouvernance de l‟hôpital et moderniser sa gestion, nous avons souhaité explorer les caractéristiques du rapport qu‟une équipe mobile de soins palliatifs 20 (UMSP) d‟un centre hospitalier entretenait avec son institution. Relativement récent 21, ce type d‟équipe nous intéressait tout particulièrement en raison de la spécificité de sa place dans l‟institution hospitalière, et notamment l‟aspect transversal de son activité, ainsi que de la pluridisciplinarité qui la caractérise (Derniaux, Chevallier, Perineau, 2005 ; Nectoux & Thominet, 2005). Si plusieurs études révèlent le sentiment d‟échec et le manque de valorisation ressenti par les soignants d‟UMSP, par rapport aux services où s‟opèrent les avancées thérapeutiques les plus récentes (Lyckholm, 2001 ; Martin-Primat & Richard, 2008), il est bien attesté qu‟un des motifs essentiel de leur satisfaction repose sur le travail en petite équipe au sein d‟une vaste organisation hospitalière (Bonnières, Estryn-Behar & Lassaunières, 2010). Nous nous sommes ainsi interrogés sur la spécificité de leur relation à leur environnement organisationnel. La manière la plus répandue d‟explorer cette dimension est la passation de questionnaires auto-administrés ; la littérature abonde de travaux importants de ce type qui fournissent des 19 En France, le texte de loi "Hôpital, patients, santé et territoires" a été publié au Journal officiel du 21 juillet 2009. 20 Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d‟une maladie grave, évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle (définition de la Société Française d‟accompagnement et de soins palliatifs donne cette définition). 21 Les UMSP ont été créées en France il y a une dizaine d‟années, peu après la circulaire Laroque du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins palliatifs et à l'accompagnement des malades en phase terminale. De manière générale, l‟équipe mobile participe à la promotion et au renforcement des soins palliatifs au sein d‟un réseau, elle contribue à la continuité des soins entre les différents lieux de soins et permet la cohérence dans la pratique, grâce à la coopération de ses membres. 363 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard indicateurs utiles à l‟analyse des conditions de travail (publiés en particulier dans cette revue). Nous-mêmes généralement peu enclins à utiliser cette méthode et prudents dans l‟analyse des déclarations des individus recueillies par cette voie, nous avons néanmoins choisi le Questionnaire de Climat d‟Entreprise (QCE) comme outil permettant d‟évaluer les variations d‟opinion émergeant dans un entretien de groupe entre deux passations individuelles de ce questionnaire. Ainsi, nous poursuivons trois objectifs dans ce travail. Premièrement, nous souhaitons explorer la représentation par un groupe de sa situation professionnelle. Pour ce faire, nous avons utilisé le QCE comme un outil d‟évaluation pré-test/post-test. Secondement, nous souhaitons saisir directement cette élaboration par ce groupe, dans l‟ici et le maintenant. L‟étude de l‟interdiscours nous a permis d‟accéder à cette connaissance. Pour finir, nous cherchons à décrire les processus intersubjectifs responsables de l‟évolution des attitudes individuelles survenue dans l‟interaction et objectivée par le test. Les écarts de réponses aux questionnaires observés après discussion ont été analysés dans cette perspective avec l‟aide de la logique interlocutoire, méthode d‟analyse qui s‟est imposée pour une description minutieuse des échanges. 2. Méthode 2.1. Les participants Les participants de cette étude appartiennent à une UMSP implantée dans un centre hospitalier depuis une dizaine d‟années. Cette équipe intervient dans les différents secteurs de l‟hôpital sur appel des équipes soignantes, en journée et 5 jours sur 7. L‟exercice des soignants est le plus souvent indirect, il consiste essentiellement en des conseils et soutiens à leurs collègues des secteurs de soins et des familles de patients. Leurs interventions concernent aussi bien la sphère somatique, psychologique et socio-familiale. L‟équipe participe, en plus, à une courte réunion quotidienne de planification des interventions et une réunion de synthèse hebdomadaire où sont abordés les dossiers des malades pris en charge. Notre groupe d‟étude est constitué de l‟équipe non médicale de l‟unité – 2 infirmiers (I1 et I2), le psychologue (P), l‟assistant social (T) et le secrétaire (S). Tous ont une ancienneté supérieure à 3 ans dans le service. 2.2. Le matériel et la procédure 2.2.1. Le questionnaire Afin de mesurer la perception individuelle qu‟avaient les soignants de leur service, nous leur avons soumis la passation du Questionnaire de Climat 364 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard d‟Entreprise : Q.C.E.22 Cet auto-questionnaire est conçu pour établir un diagnostic qualificatif et quantitatif du climat psychosocial d‟une entreprise à partir des perceptions de ses membres. Il fournit des indices sur des aspects particuliers du fonctionnement d‟une organisation comme la communication, la gestion, l‟implication, les relations avec les autres. 14 échelles sont mesurées par 128 questions auxquelles les individus répondent en choisissant parmi quatre possibilités : faux, plutôt faux, plutôt vrai, vrai. Chaque réponse est cotée soit positivement, soit négativement. A un niveau individuel versus groupal, trois niveaux d‟analyse déterminent respectivement (i) le taux de satisfaction global, (ii) le pourcentage de satisfaction et d‟insatisfaction pour les 14 échelles, (iii) une attitude favorable ou défavorable pour chacun des 128 items. Nous escomptions qu‟après une première passation individuelle, ce questionnaire déclenche, dans un second temps, une discussion des agents autour de leurs perceptions du service et de leurs difficultés rencontrées au quotidien. Dans cette perspective, l‟expérimentation s‟est déroulée en trois temps : - première passation individuelle du QCE. Chacun des cinq membres avait pour tâche de remplir le questionnaire de manière individuelle ; ils répondaient aux 128 items sans délai de temps ; - 30 minutes après : entretien de groupe enregistré. L‟animateur invitait le groupe à commenter les items du questionnaire et décrire les difficultés rencontrées lors de sa passation. Mais les interviewés ne devaient pas rendre publiques leurs réponses au test ; - 30 minutes après : seconde passation individuelle du questionnaire, toujours sans délai de temps. 2.2.2. L‟entretien de groupe L‟entretien de groupe a été transcrit dans son intégralité afin de saisir directement les prises de positions des cinq membres en interaction les unes avec les autres. Pour procéder à cette analyse, nous avons eu recours à une méthode d‟analyse, la logique interlocutoire, mise au point au Groupe de Recherche sur les Communications (GRC) à l‟université Nancy2. Théorie de la démonstration dialogique du « discours en interaction » (Kerbrat-Orecchioni, 2005), cette méthode nous intéressait tout particulièrement pour étudier l‟élaboration, dans le talk-in-interaction, selon la belle expression de Schegloff (1991), le mécanisme intersubjectif qui allait donner lieu aux modifications d‟attitudes objectivées dans les scores de la seconde passation du test. C‟est donc à la microgénèse d‟une influence réciproque que nous pouvions accéder par cette démarche. Nous allons l‟exposer dès maintenant. 22 Editions du Centre de Psychologie Appliquée, 1996. 365 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 3. L’examen d’un interlocutoire fragment d’interlocution : notions de logique Le but de la logique interlocutoire est d'expliciter formellement les événements indissolublement psycho-socio-discursifs qui surviennent « naturellement » dans l‟interlocution, et son ambition est de fournir une logique naturelle de l‟usage de la parole en interaction (Trognon & Batt, 2010 ; Trognon, Batt, Bromberg & al., 2010). Cette méthode d‟analyse s‟est déjà montrée féconde dans l‟étude d‟interactions dans des contextes multiples : élaboration opérationnelle d‟un diagnostic (Trognon & Batt, 2003), annonce de diagnostic médical (Batt, Trognon & Vernant, 2004 ; Batt & Trognon, 2006, 2009, 2010a), raisonnement et résolution de problème (Trognon, Batt & Laux, 2007 ; Trognon, Batt, Rebuschi & al., 2010 ; Trognon, Sorsana, Batt & al., 2008), analyse de texte narratif (Trognon & Batt, 2002), analyse d‟entretien de groupe (Batt & Trognon, 2010b) et de situations de travail (Sannino & Trognon, 2003 ; Trognon & Kostulski, 1999). En tant que théorie des mouvements de dialogue dans leur contexte d‟énonciation, les formes discursives que nous analysons sont des fragments d‟interlocution constitués de tours de parole, lesquels peuvent comporter un ou plusieurs énoncés. C‟est l‟énoncé que nous adoptons comme unité d‟analyse, défini comme une unité syntaxico-sémantique qui a la forme logique <F(P)>. 3.1. L‟unité d‟analyse : l‟énoncé F(p) F - la force illocutoire de l‟acte de langage- est l‟opérateur pragmatique d‟une phrase énoncée dans un certain contexte. F définit le but de l‟acte de langage : assertif, directif, commissif, déclaratif ou expressif (Searle & Vanderveken, 1985 ; Vanderveken, 1988, 1990) En logique interlocutoire, nous formalisons F dans ses subtilités d‟usage dialogiques : <f1, f2, f3, f4> où f1 est la force exprimée littéralement, f2 la force indirecte de l‟acte (s‟il y a lieu), f3 les implicatures de l‟acte, f4 la fonction conversationnelle de l‟acte23. P est le contenu propositionnel (CP) de l‟acte de langage. Il porte la fonction référentielle du discours et il se présente, selon la conception frégéenne, comme une proposition, qu‟en logique interlocutoire, nous traduisons formellement en langage du calcul des prédicats du premier ordre. Chaque proposition est ainsi traitée comme un symbole incomplet (un prédicat) et une suite d‟arguments qui complète ce prédicat. Par exemple, l‟énoncé : « la terre tourne autour du soleil » s‟analyse comme un symbole incomplet (ou prédicat) « …tourne autour de … » et la suite de symboles (ou arguments) « la 23 f2, f3, f4 ne sont pas donnés simultanément dans le discours. Ils résultent d‟un processus de mise en partage de l‟intercompréhension qui transforme le « sens du locuteur » en « sens des interlocuteurs » (Clark, 1996), selon un processus décrit dans Trognon et Brassac (1992), Trognon et Saint Dizier (1999), Trognon (2002). 366 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard terre », « le soleil » (exemple emprunté à Lepage, 1991, p. 115). Formellement, cet énoncé pourra se traduire par l‟expression T(t, s) avec T pour le prédicat et t et s pour les arguments respectifs « terre » et « soleil ». La fonction de chaque prédicat consiste à établir une relation entre des arguments (ou des objets) ; cela revient à assigner une interprétation à un prédicat qui sera valide ou non valide dans le monde d‟énonciation de référence. 3.2. Le monde mis en scène conversationnellement Ce monde d‟énonciation n‟est autre, pour J. Hintikka (1989), que l‟expression d‟une certaine interprétation de la réalité par un certain locuteur : une croyance que p par exemple (Hintikka, 1962). Dans sa sémantique des mondes possibles (Kripke, Kanger & Hintikka), Hintikka, qui reconnaît la complexité de la langue naturelle, démontre que l‟on ne peut pas dire simplement qu‟une expression linguistique a la valeur vrai ou faux, mais qu‟en appliquant de nouvelles règles logiques, on l‟interprète en relation à un monde possible auquel accède ce locuteur. De fait, si tous les participants à une conversation accèdent à la même interprétation concernant l‟énoncé p, alors p est validé conversationnellement. Cela ne signifie pas que p est vrai car une croyance partagée peut se révéler complètement fausse ; dans ce cas, le monde défini par la croyance est différent du monde réel dans lequel cette croyance s‟exprime. En pratique, afin d‟éclaircir certains traits structurels du discours naturel, nous avons parfois, nous analystes, à nous positionner dans un système formel modalisé. Il est alors primordial d‟être attentif à la traduction intradiscursive de l‟état psychologique du locuteur qui s‟effectue à l‟aide d‟éléments verbaux que l‟on appelle des modalités. Nous retenons les modalités essentielles (Gardies, 1979) : modalité ontique (il est nécessaire que p, il est possible que p, il est inévitable que p, il est éventuel que p, ainsi que les termes peut-être, certainement, probablement, etc. ), modalité déontique (il est obligatoire que p, il est permis que p, il est interdit que p, ainsi que il faut que p, on doit, etc.), modalité épistémique (x sait que p, x croit que p, x sait que non p, x croit que non p), modalité temporelle (il se trouvera toujours que p, il se trouve que p, il s‟est trouvé que p, ainsi que les termes il y a longtemps, maintenant, hier, demain, etc.), mais également les modalités intentionnelles puisque nous devons à J. Hintikka (1989) d‟avoir démontré la pertinence d‟appliquer une logique modale à la psychologie de l‟intentionnalité. Les marqueurs de la modalisation intentionnelle sont le plus souvent des verbes « psychologiques » (x désire p, x craint p, etc.). En procédant de la sorte –ce que nous ferons dans le présent travail– nous mettons en évidence que les 367 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard énoncés que nous analysons formellement sont toujours relatifs à un certain point de vue24 (Trognon & Batt, 2002, 2003, 2010). 3.3. La relation interénoncés Dans l‟analyse du CP, on relèvera encore minutieusement les liens qui articulent les énoncés et grâce auxquels leur statut pragmatique se construit. Ils sont représentés selon la « description des connecteurs pragmatiques du français contemporains » fournie par la théorie des structures hiérarchiques de la conversation (Roulet, Auchlin, Moeschler & al., 1985, chapitre 2), sachant que ces descriptions sont redécrites comme autant de règles de jeux de dialogue selon Carlson (1983). Par exemple, le connecteur mais est selon la classification genevoise un connecteur contre-argumentatif qui articule « des actes interactifs entretenant une relation (sémantique, argumentative ou pragmatique) de „contradiction‟, tout en résolvant cette contradiction à l‟intérieur de l‟intervention ». Cette « contradiction et sa résolution » se réalisent pragmatiquement par des fonctions illocutoires ou interactives différentes : rejet d‟un argument (i.e. le contre-argument), rejet d‟un fait et constatation d‟une contradiction (dans la terminologie généralement utilisée, concession, réfutation et contre-factualité). » (Roulet & al, 1985, p.133). Maintenant, pour aller un peu plus loin dans l‟analyse de l‟usage de « mais », en terme de règle de jeu de dialogue notamment, on se réfère aux travaux de Carlson (1983), où la règle de dialogue associée au connecteur mais (D. mais) stipule que si un locuteur a accompli un acte initiatif concernant un certain thème, alors n‟importe quel joueur peut contribuer au jeu initié au moyen d‟un acte réactif débutant par mais et concernant un thème coordonné mais contradictoire. Enfin, parmi les relations inter-énoncés, les assertions qui constituent la réponse à une question, sont au centre de notre étude. C‟est cet aspect que nous développons ci-après. 3.4. Les questions-réponses Pour aborder la sémantique des questions, nous nous référerons aux travaux de J. Hintikka (1976, 1981), parce que cet auteur aborde les questions dans un cadre qui est compatible dans ses grandes lignes, à celui que la logique interlocutoire tente de mettre en œuvre. Pour Hintikka, qu‟elles soient catégorielles, c'est-à-dire « des questions pour lesquelles le choix porte sur les valeurs d‟une variable quantifiée » (Hintikka, 1976, p. 60) ou qu‟elles soient propositionnelles, c'est-à-dire des questions « où le choix a trait à des propositions » (Hintikka, 1976, p. 60), les questions sont des requêtes d‟information qui présentent un double aspect. Elles 24 Les énoncés ne s‟exprimeront pas en termes de « vrai » ou « faux ». Ce sont des attitudes propositionnelles qui sont étudiées, par exemple pour les modalités épistémiques, en termes de « su », « insu », « cru », « incru » (cf. Gardies, 1979). 368 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard sont des demandes qui spécifient l‟information visée : le desideratum des questions. Le desideratum consiste en un certain état épistémique je sais (qui, comment, combien, pourquoi, etc.) X, pour les questions catégorielles ou bien je sais si X, pour les questions propositionnelles. Ainsi, en posant une question comme Qui est venu, on veut savoir qui est venu. Par conséquent, l‟information qu‟on vise à obtenir se réduit au contenu sémantique de la relative « qui est venu » enchâssée dans je sais qui est venu. Maintenant, sur la base de l‟analyse où « qui est venu » revient à connaître quelqu‟un, une ou plusieurs personnes, dont on sait que elle(s) est(sont) venues, l‟expression « savoir qui » peut se traduire en une expression épistémique « savoir que » tombant sous la portée d‟un quantificateur. En tant que quantificateurs, les questions catégorielles possèdent deux interprétations. Premièrement, une interprétation universelle, comme par exemple : « pour tout x, si x habite ici alors a sait que x habite ici » ce qui se traduit formellement par (x) (x habite ici a sait que x habite ici)25 – ce qui correspond à une interprétation universelle de who (mais de même pour what, when, why, etc. d‟où l‟expression « question en wh- »). Secondement, une interprétation existentielle car « a sait qui est venu » pourrait également s‟interpréter existentiellement comme : (x) (a sait que x est venu), qui s‟écrit encore (x) (x est venu a sait que x est venu). Il faut cependant bien voir que le questionneur qui pose une question désire une réponse qui le satisfait pleinement. Plaçons-nous par exemple dans la situation d‟une personne posant une question dont le desideratum serait (x) Sje F(x)26 et qui recevrait « b » ou « F(b) » en réponse. Supposons en outre que « b » soit une réponse vraie, c'est-à-dire que F(b) soit le cas, que destinateur et destinataire de la question sachent que b existe, mais que le questionneur ne sache pas qui est b. Le questionneur devrait dans ce cas demander un supplément d‟information : « mais qui est b ? ». « Fréquemment, un cas de substitution vraie de la matrice est rejeté comme réponse (complètement concluante) à la question posée parce qu‟elle ne permet pas au questionneur de situer l‟entité en question sur sa « carte » du monde » (Hintikka, 1981, p 66). Cet exemple nous permet de comprendre ce qu‟est une réponse qui satisfait complètement le questionneur ou, selon Hintikka, une réponse concluante. F(b) constitue une réponse concluante seulement si F(b) implique S je F(x)27 avec [(x) Sje (b = x)]. Cela revient à dire que « b » est une réponse conclusive si et seulement si le questionneur peut énoncer : Je sais qui est b. Les questions propositionnelles appellent aussi deux lectures : disjonctive, dont le desideratum est [je sais que p 1 je sais que p 2 …. je sais que pk], expression qui équivaut à [(p1 je sais que p1) (p2 je sais que 25 (x) : quel que soit x. Sje F(x) : je sais F(x) = je sais ce qui instancie le prédicat F. 27 : symbolisation logique du connecteur « et » ; : symbolisation logique du connecteur « ou ». 26 369 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard p2) … (pk je sais que pk)] ; et conjonctive dont le desideratum est [(p1 je sais que p1) (p2 je sais que p2) … (pk je sais que pk)] (Hintikka, 1976, p. 62). Comme le signale Hintikka, la théorie qu‟il propose constitue « principalement […] une analyse de la relation question-réponse28. Les réponses apportées aux questions sont dites conclusives si elles n‟ont pas besoin d‟explication supplémentaire pour satisfaire le questionneur. Elles se définissent aussi comme des réponses qui remplissent pleinement (et non pas partiellement) l‟état de choses spécifié par le desideratum. Les réponses partielles sont de ce fait des réponses qui satisfont seulement en partie le desideratum (Hintikka, 1976, p. 41). 3.5. Le système dialectique Ainsi, la complexité du système dialectique qui régit l‟accomplissement d‟une séquence interlocutoire tient essentiellement à la relation originale, constituée de règles pragmatiques et logiques, qui unit une suite d‟énoncés. Ce système constitue un jeu de dialogue spécifique (Walton & Krabbe, 1995 ; Larrue & Trognon, 1994 ; Trognon & Batt, 2010) que l‟analyse interlocutoire permet d‟identifier. 4. Résultats quantitatifs Les pourcentages de satisfaction obtenus globalement, lors des deux passations, pour chaque échelle et par le groupe dans son ensemble sont portés sur le tableau 129. Tableau 1. Résultats globaux des deux passations individuelles du test QCE Echelle % Satisfaction Avant Après 1 Cohérence de la stratégie et du fonctionnement 2 Politique d'ouverture sociale 0,39 0,33 0,61 0,59 3 Confort matériel et moral 4 Clarté de la tâche 0,7 0,75 0,76 0,99 5 Disponibilité et fluidité de l'information 0,28 0,27 28 [Il ajoute qu‟] « il va sans dire qu‟elle constitue l‟ingrédient fondamental de toute théorie possible des questions et des réponses. On peut la mettre en œuvre au fondement d‟une théorie, fort intéressante, des dialogues par questions et réponses. Et, à leur tour, ces dialogues peuvent tenir lieu de modèles de l‟activité de recherche d‟information. » (Hintikka, 1981, p. 68). 29 En raison du très faible effectif d‟individus (<6), nous n‟avons pas pu comparer statistiquement les scores. 370 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 6 Souplesse de la supervision 7 Encouragement aux idées novatrices 0,53 0,59 0,26 0,16 8 Esprit d'équipe 9 Qualité des relations personnelles 0,76 0,79 0,85 0,77 10 Sentiment d'équité 11 Responsabilité, autonomie 0,56 0,59 0,95 0,88 12 Implication 13 Liberté d'expression 0,85 0,82 0,44 0,28 14 Prise en considération 0,5 0,42 Globalement, 6 échelles sur 14 sont évaluées favorablement (Tab. 1) : ce sont les échelles 3, 4, 8, 9, 11 et 12. En tout, 4 échelles indiquent des scores moyens : échelles 2, 6, 10, 14. Par contre, les échelles 1, 5, 7 et 13 sont évaluées défavorablement, surtout l‟échelle 7. Selon le concepteur du test, ces échelles aux scores les plus faibles reflètent des perceptions essentiellement relatives à la Direction de l‟équipe : - l‟échelle 1 reflète les perceptions relatives à la cohérence et à l‟efficacité du fonctionnement de l‟entreprise et de la stratégie développée par la Direction : dynamisme, définition des objectifs, prise de décision, vues à long terme, adaptabilité, etc. ; - l‟échelle 5 reflète les perceptions relatives à la circulation de l‟information. La diffusion de l‟information, qu‟elle soit montante ou descendante s‟effectue-t-elle ouvertement, facilement et librement, sans blocage à travers l‟organisation ? La communication s‟établit-elle sans difficulté à tous les niveaux ? - l‟échelle 7 reflète les perceptions relatives à l‟attitude de la Direction vis-à-vis des initiatives personnelles. La Direction paraît inciter les individus à prendre des risques calculés pour améliorer leur résultat, à planifier leur tâche et à proposer des vues ou des idées nouvelles sur l‟organisation du travail ; - l‟échelle 13 reflète les perceptions relatives à la liberté d‟exprimer, auprès des responsables et publiquement, ses sentiments, ses émotions et ses opinions - qu‟elles soient positives ou négatives - vis-à-vis de l‟entreprise, ce qui suppose une relation de soutien personnalisé avec la Direction et les responsables directs. On observe des changements d‟attitudes avant/après discussion dans toutes les échelles sans exception. Les échelles les plus résistantes à l‟interaction sont les échelles 4 (2 changements favorables), échelle 12 (un changement favorable et un défavorable) et échelle 8 (un changement favorable). Notons que ces trois échelles sont celles qui ont des scores de 371 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard satisfaction élevés. Par contre, la majorité des changements d‟attitude apparaît dans les échelles 13 (14 défavorables, 1 favorable) et échelle 5 (10 défavorables, 5 favorable). S‟agissant de l‟échelle 5, on dénombre, après interaction, 4 ralliements à une majorité de réponses cotées dans un sens d‟insatisfaction pour l‟item 25 (la communication vers le bas consiste essentiellement à recevoir des directives), ce qui donne une unanimité défavorable. On observe, après l‟entretien, le même consensus négatif pour les items 12 (l‟information est toujours bloquée au même niveau), 18 (ici, il est difficile d‟obtenir que les décisions soient prises rapidement), 37 (les responsables sont rarement là où il faut), 40 (il est difficile d‟obtenir des informations claires, précises et sûres) et 47 (Les responsables semblent toujours bien informés, mais négligent d‟informer les autres). On dénombre sur l‟échelle 13 une unanimité défavorable après interaction aux items 19 (je peux facilement parler à mes responsables de mes problèmes personnels), 100 (j'ai facilement des conversations personnelles avec mes responsables) et 106 (j'ai des rapports amicaux avec mes responsables) ; on observe aussi plusieurs changements d‟attitudes aux items concernent la relation entre les responsables et l‟équipe : 6 (dans mon entreprise, les gens peuvent se permettre d'exprimer leurs sentiments), 88 (devant les responsables, il m'est difficile de dire ce que je pense vraiment), 50 (mes responsables ignorent mes problèmes personnels, en cas de difficultés dans mon travail) et 122 (les gens tendent à cacher ce qu'ils pensent des autres). Notons que S et I2 n‟ont que des avis défavorables après interaction. L‟échelle 7 (encouragement aux idées novatrices) présente non seulement le pourcentage de satisfaction le plus faible aux deux passations mais présente également la différence de score la plus élevée avant/après interaction (0,1 point). Cette échelle ne comporte aucune modification favorable. Nous avons donc souhaité analyser les réponses à cette échelle de manière détaillée. Cela donne (colonne A = 1ère passation ; colonne B = 2ème passation) : 372 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Tableau 2. Réponses individuelles, échelle « encouragement aux idées novatrices » P Echelle 7 T S I1 I2 A B A B A B A B A B 9 Ici, on encourage les idées novatrices et originales 21 Ici on encourage les gens à adopter des vues à long terme 45 Les nouvelles propositions sont souvent prises en considération 70 L‟initiative et la réussite personnelles sont mises en valeur 78 Les gens sont encouragés à prendre des risques calculés pour améliorer leurs résultats 107 Dans mon entreprise, faire des choses de façon différente est mis en valeur 0 0 1 1 0 0 1 1 1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 On observe une unanimité de réponses défavorables aux deux passations aux items 21 (ici on encourage les gens à adopter des vues à long terme) et 78 (les gens sont encouragés à prendre des risques calculés pour améliorer leurs résultats), un partage des points de vue sans modification avant/après à l‟item 9 (ici, on encourage les idées novatrices et originales) et avec une modification dans un sens défavorable pour chaque item (mais pas par le même individu à chaque fois) aux items 45 (Les nouvelles propositions sont souvent prises en considération), 70 (L‟initiative et la réussite personnelles sont mises en valeur) et 107 (Dans mon entreprise, faire des choses de façon différente est mis en valeur). T et I2 ne modifient aucune réponse. Les changements se distribuent sur P (item 70), S (item 45) et I1 (Items 45 et 107) qui se rallient ainsi à la majorité. Notons que P et S n‟ont que des avis défavorables après interaction. En résumé, l‟entretien de groupe a eu pour effet de très nombreux changements d‟attitude dans un sens défavorable dans l‟appréciation des rapports entre l‟équipe et la Direction. Afin de mettre à jour les processus interactionnels susceptibles d‟être à l‟origine de cette évolution, nous avons, dans le corpus de transcription, isolé puis analysé un fragment d‟interlocution en rapport direct avec le thème de l‟échelle 7 mais recouvrant également des problématiques soulevées par les échelles 5 et 13. C‟est ce travail que nous présentons maintenant. 373 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 5. Analyse interlocutoire Le fragment d‟interlocution que nous avons sélectionné est issu du premier tiers du polylogue à cinq participants (Kerbrat-Orecchioni, 2004 ; Traverso 2004) que constitue l‟entretien de groupe dans son entier. Il est constitué de 34 tours de parole (104P-138I2) que nous analyserons en tenant compte du caractère séquentiel de l‟interaction. Pour la clarté de l‟exposé, nous présenterons ce corpus découpé en plusieurs séquences thématiques. Afin de repérer l‟articulation des thèmes les uns avec les autres, nous avons construit, pour tout l‟entretien, à partir de la formalisation des contenus propositionnels en calcul des prédicats du premier ordre, une frise chronologique avec un code couleur30, qui respecte la séquentialité de l‟interlocution. Cela donne, par exemple pour l‟extrait qui nous intéresse, la figure 1 où apparaît la succession des tours de parole 105I2, 113T, (…), 118I2, 119I1. La première ligne porte les prédicats, les seconde et troisième lignes portent respectivement les arguments 1 et 2. Chaque prédicat est codé en fonction du thème qu‟il représente : le leadership au sens large (diagonales fines), le changement (rayures verticales), et une forme de plainte particulière (treillis gris) que nous présenterons ci-après. Figure 1. Frise chronologique thématique (..) 105I2 accompagne (…) changer quelqu'un nous on la réunion du mardi 113T 118I2 (…) imposer (…) manquer de on nous on cadre 119I1 manquer de (..) on guide 5.1 Enchainement dialogique de la première séquence 104P-112I2 La première séquence est un trilogue où interviennent P, T et I2. Voici : 104P : Les voitures de fonction, on sait bien que ça bouge pas très bien, mais on n‟a pas forcement envie de faire bouger les choses. Je sais pas, je reprends l‟exemple de la synthèse, c‟est quand même ça, on avait dit que tous les matins à 9h, on se réunissait jusque 9h15, on n‟l‟a jamais fait, on se dit que ce serait peut être mieux, mais on hésite à le faire 105I2 : On a rarement quelqu‟un qui nous accompagne dans la démarche. Même la réunion de synthèse les mardis, on avait dit qu‟il fallait qu‟on change, qu‟on fasse autrement, etc.., et la fois d‟après, c‟était reparti comme avant 106T : Il n‟y a pas de leader 30 Pour des raisons de place, nous ne pouvons pas présenter la frise de l‟extrait dans sa totalité. 374 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 107I2 : Eh si, il y a un leader, mais le problème 108P : Il en faut forcément un, mais c‟est vrai qu‟il n‟assure pas son rôle 109T : Du coup ça reste stagnant 110I2 : Heu, ben oui, c‟est qu‟on n‟a pas envie 111P : Oui c‟est pour ça, moi je pense 112I2 : C‟est qu‟on n‟a pas envie. Les efforts, c‟est donnant-donnant 5.1.1. La thèse soutenue par P : l‟état mental de l‟équipe responsable de l‟échec En 104P, P constate une non évolution de l‟équipe dont il semble attribuer la responsabilité à l‟équipe elle-même. Il semble indiquer que l‟équipe agit contre son propre jugement, et il démontre qu‟il lui manque une propension à faire ce dont elle sait que ce serait meilleur pour elle. Analysé sous un angle cognitif, l‟état mental de « on » décrit ici par P s‟apparente à une faiblesse de la volonté (Davidson, 1991 ; Ogien, 1993) : les agents estiment qu‟une certaine ligne de conduite est probablement meilleure que celle qu‟ils suivent. Pour P, les membres de l‟équipe (on) croient (on sait bien que) qu‟un changement est probablement nécessaire (ce serait peut être mieux) mais ne réalisent pas ce changement (on n’l’a jamais fait, …mais on hésite à le faire). L‟origine de ce défaut est, selon P, une absence de désir : mais on n’a pas envie de faire bouger les choses. Ainsi, l‟intentionnalité (ou état mental) que P attribue à l‟équipe est complexe, composée de deux intentionnalités –fondamentales selon Searle (1985) : la croyance et le désir. Formellement, cet état intentionnel de « on » s‟exprime par la formule (avec pour symboliser la modalité ontique « peutêtre », pour la négation) : : Croyanceon [ (changer(on) = Etre Mieux(on)] & Désiron [changer(on)] 5.1.2. Le contre implicite de I2 Mais, de manière subtile, l‟assertion de P est immédiatement contrée, du moins partiellement. C‟est I2 qui, la première, ouvre le débat. 105aI2 « On a rarement quelqu’un qui nous accompagne dans la démarche » accueille la chute de 104P « on hésite ». On observe tout d‟abord la reprise d‟un « on » collectif introduit par P, renforcé par un « nous » qui se rapporte aussi à l‟équipe. Alors que P présentait son équipe comme défaillante, I2 apporte un nouvel éclairage. Selon lui, l‟équipe subit un défaut d‟accompagnement de la part de « quelqu‟un ». Or, « accompagner quelqu‟un » signifie « se joindre à lui, pour le suivre ou le guider, dans un mouvement qu‟il a auparavant initié ». 375 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Ce que le discours de I2 présuppose donc, c‟est que l‟équipe a initié une démarche de changement ; il affirme ensuite qu‟elle a manqué d‟aide pour progresser dans la démarche. L‟introduction d‟un tiers sur la scène conversationnelle a pour effet d‟éclipser l‟argument mental invoqué par P et de décharger la responsabilité des membres de l‟équipe sur une tierce personne non identifiée. Analysé sous le même angle que précédemment, l‟état mental décrit en 105aI2 s‟exprime par la formule ‟ où l‟argument de I2, la croyance en un défaut d‟aide de la part de quelqu'un, serait le conjoint droit de la formule ainsi modifiée. Cela donne ‟ = Croyanceon [ (Changer(on)) → Etre Mieux(on)] & Croyanceon [ x (accompagner (x, on)]. En 105bI2, « on avait dit qu’il fallait qu’on change, qu’on fasse autrement, etc.., et la fois d’après, c’était reparti comme avant », I2 utilise la modalité déontique « il fallait ». Tout comme P, I2 rapporte ce que le groupe (on) avait asserté (on avait dit que) dans le passé. Or, nous savons (Searle & Vanderveken, 1985, p. 18 ; Ghiglione & Trognon, 1993, p. 163), que de « x asserte y » on peut déduire « x croit y » ; ainsi, de « on avait dit „qu‟il fallait qu‟on change‟ », on peut déduire « on croyait „qu‟il fallait qu‟on change‟ ». On observe ainsi que, selon I2, l‟équipe (on) croyait qu‟un changement était indispensable (il fallait). D‟un point de vue formel, le changement en question constitue le contenu intentionnel de la croyance de « on », le conjoint gauche des expressions et ‟. Ce contenu intentionnel est maintenant placé sous la portée de la modalité déontique « il fallait », ce qui donne (avec pour symboliser la modalité déontique) : Croyanceon [ (changer(on))]. Formellement, cela revient à dire que, par l‟usage de la modalité déontique, I2 indique en 105bI2 que, selon la croyance de l‟équipe, un changement s‟imposait dans tous les mondes admissibles parmi les mondes qui lui étaient accessibles, au moment même où il énonçait « il fallait qu’on change » (i.e. à tout monde futur au monde (Wn-k) où a été énoncée cette obligation). L‟expression ‟‟ qui correspond à l‟état mental de l‟équipe décrit en 105I2 donne : ‟‟ : Croyanceon [(Changer(on)) → Etre Mieux (on)] & Croyanceon [ x (Accompagner (x, nous)] Mais, plus précisément, entre le moment de l‟énonciation de l‟équipe (t‟‟ en Wn-k) et le moment t actuel (moment de l‟énonciation de I2, situé en Wn), correspond un intervalle de temps j, qu‟est l‟univers temporel (Wn-1) postérieur à (Wn-k) et antérieur à Wn, où un moment t‟ correspond à ce que I2 la fois d’après ». Selon I2, en Wn-1, les actions 376 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard accomplies étaient les mêmes que celles accomplies en Wn-k (« c’était reparti comme avant »). Par conséquent, la nécessité de changement (changement) connue de l‟équipe en Wn-k n‟a pas eu lieu en Wn-1. Partant, le monde actuel, Wn, est maintenant identique à Wn-k. Sur une représentation linéaire du temps, cela donne : Figure 2 j t„„ Wn-k Wn on avait dit que changement t„ Wn-1 t la fois d‟après c‟était reparti comme avant changement changement L‟échec du changement, présenté comme une initiative avortée, est intersubjectivement validé par P et I2 à l‟issue de ces deux premiers tours de parole. Les interlocuteurs ont cependant avancé des interprétations différentes : alors que P fournissait une explication interne, liée aux agents, I2 attribuait une cause externe, un manque d‟aide venue de l‟extérieur pour atteindre les buts que l‟équipe s‟était fixés. Or, comme le rappellent Blanchet et Trognon (2008, p. 98), « le leader effectue une tâche complexe en favorisant la progression du groupe vers ses buts ». Ainsi, même s‟il semble peu probable que T se réfère à cette définition de manière aussi explicite au moment où il énonce 106T (il n’y a pas de leader), c‟est pourtant en la prenant en considération que se déduit logiquement son intervention à partir de 105I2. 106T « il n’y a pas de leader » ne fait pas partie du discours de I2 mais tout se passe comme si celui-ci l‟avait déclenché. En effet : 104P (renforcé par 105bI2) : on ne réalise pas les buts que l‟on s‟est fixés 105aI2 : on a rarement quelqu'un qui nous accompagne dans la démarche Def. : le leader effectue une tâche complexe en favorisant la progression du groupe vers ses buts ______________________________________________________ 106T : il manque le leader 377 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard I2, en énonçant 107I2 (Eh si, il y a un leader), marqué par le « si » d‟opposition, semble exclure catégoriquement la déduction de T, qui, nous l‟avons vu, se déduit pourtant logiquement de son propre discours. Ensuite, il apporte immédiatement une restriction introduite par « mais » (mais le problème), ne rejetant ainsi que partiellement 106T. Tout se passe comme si deux interprétations différentes de 106T avaient été envisagées par I2 : (i) il n‟y a pas de supérieur hiérarchique (leader-statut) et (ii) il n‟y a pas d‟agent assumant le rôle de leader, par exemple en l‟accompagnant (leader-fonctionnel). En logique des prédicats du premier ordre, on symbolise le prédicat : être leader hiérarchique par L1 ; assurer le rôle de leader par L2. Mais, en plus, en disant « il y a un leader », I2 semble se référer à un individu particulier, connu d‟au moins lui-même (mais a priori, de ses interlocuteurs-collègues aussi). 107I2 exhibe ainsi une sorte de dépendance contextuelle qui se traduit par l‟expression « il y a quelqu'un dont T sait qu‟il est le leader ». Formellement, cela donne : 107I2 : (x) (L1x L2x) 5.1.3. Le consensus C‟est 108P, « il en faut forcément un, mais c’est vrai qu’il n’assure pas son rôle », qui désambigüise doublement 107I2. Déjà, la première partie de 108P, 108aP « il en faut forcément un », par l‟usage du déontique forcément, indique une norme : quelque soit l‟équipe, il existe un leader. Cette généralisation a pour effet de renforcer 107aI2 (il y a un leader). Ensuite, la seconde partie, 108bP, introduite par le connecteur d‟opposition « mais », apporte une restriction à 108aP, qui, introduite par l‟expression « c‟est vrai que », semble valider une des deux alternatives interprétatives de 106T. 108bP « il n’assure pas son rôle » illustre, en effet, la thèse selon laquelle il manque un leader fonctionnel. Dans l‟énoncé « c’est vrai qu’il n’assure pas son rôle », le pronom personnel « il » se rapporte à un individu connu de T (grâce à l‟expression c‟est vrai que) et de P. Selon T et P, il y aurait ainsi un leader connu d‟au moins eux deux qui n‟assure pas son rôle de leader. Formellement, cela donne : 108P : (x) (L1x L2x) En 109T, « Du coup ça reste stagnant », T relie à l‟aide du connecteur consécutif « du coup » la proposition précédente « il [le leader] n’assure pas son rôle » à son assertion selon laquelle ça reste stagnant, thèse déjà défendue par I2 et T. L‟expression « du coup » symbolise le processus déductif qui a opéré et produit ainsi une conclusion selon laquelle le défaut de leadership est à l‟origine du non changement. Formellement, cela donne, avec la symbolisation 378 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Cx = x change (notons l‟inversion du quantificateur existentiel par rapport à 105I2 qui exprime que maintenant les interlocuteurs se référent à un individu connu) : 109T : (x) (L2x) → C (on) Puis, en 110I2 « on n’a pas envie », l‟assertion du non désir de l‟équipe réapparaît, énoncée cette fois par I2. Evidemment, en 111P, P ratifie l‟assertion (oui), qui n‟est autre que l‟expression de son idée initiale. Puis en disant « c’est pour ça moi je pense », il s‟apprête à justifier une pensée β (qu‟il revendique avec insistance) à l‟aide de « ça » qui se rapporte à « on n‟a pas envie » que I2 vient de rappeler et que P a ratifé. L‟énoncé incomplet 111P a ainsi la forme : moi je pense que β parce que α, avec α = on n‟a pas envie. Cela revient à : je pense que β parce que « on n‟a pas envie », « on n‟a pas envie » cause β. Formellement, cela donne : 111P : on n‟a pas envie → β. Mais, en 112aI2, I2 coupe la parole à P avec « c’est qu’on n’a pas envie ». L‟expression « c‟est que » qui débute son énoncé introduit également une justification. Ainsi, 112aI2 a la forme : si β c‟est que α, avec α = on n‟a pas envie. Cela revient à : β parce que « on n‟a pas envie », « on n‟a pas envie » cause β. Formellement, cela donne : 112aI2 : on n‟a pas envie → β. Les pensées de I2 et de P semblent se rejoindre. Si on rapporte 111P et 112aI2 aux énoncés qu‟ils ont intersubjectivement validés auparavant (on n’a jamais fait, c’était reparti comme avant), on peut sans difficulté compléter 111P et 112I2. Cela donne avec β = on ne change pas : 111P ou 112aI2 : on n‟a pas envie → on ne change pas. Traduit en logique des prédicats du premier ordre (on écrit l‟expression implicitée mais non dite en italique) : 111P ou 112aI2 : Désiron(Con) → C (on) En 112bI2, « les efforts, c’est donnant-donnant », I2 clôt la séquence. Comme en 109T, qui était directement déductible de son propre discours, I2 laisse sous-entendre un rapport entre les efforts de changement (non)réalisés par l‟équipe et la (non)coopération du leader. Cette déclaration, qui n‟est pas sans rappeler la stratégie de réciprocité d‟un jeu perdant-perdant, met explicitement en avant la relation entre les intentions et les actions de l‟équipe en indiquant que les unes sont la condition de satisfaction des autres (à l‟instar de Searle, 1985, p. 104). Finalement, le consensus auquel sont parvenus les trois interlocuteurs à l‟issue d‟un trilogue de 9 tours de parole s‟exprime par l‟énoncé symbolique suivant : 379 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Conclusion : {[(x) ( L2x)] → [Désiron(Con)]} → [ C (on)] Notons la particularité syntaxique de cette expression constituée uniquement de propositions formées avec des négations. 5.1.4. La logique interlocutoire du trilogue La forme dialectique de ce trilogue est représentée en logique interlocutoire par un tableau à trois colonnes, mettant ainsi en évidence la propriété de dialogicité de l‟interlocution puisqu‟à chaque colonne correspond la contribution d‟un interlocuteur, mais aussi la propriété de séquentialité, puisque les énoncés sont inscrits de haut en bas dans l‟ordre de leur apparition. Cela donne le tableau 3. Le jeu de dialogue qui s‟est accompli a mis aux prises P, dans la position de promoteur de sa thèse initiale et I2, comme utilisateur de cette thèse. P a proposé en 104P une phrase complexe qui comportait le connecteur de conjonction : Désiron [C(on)] [C(on)]. I2 a retenu un conjoint [C(on)], et l‟a renforcé par l‟usage de la modalité déontique. Quelques tours de parole plus tard, il agissait de la même manière avec le second conjoint de 104P : Désiron [C(on)]. Là encore, il ne s‟y est pas opposé. On observe que I2, avec l‟aide de T, a intégré les arguments de P et a déclenché un enchaînement de déductions auquel ont participé les 3 interlocuteurs. Cette dérivation logique a fini par aboutir à une conclusion qui n‟est autre que, à partir de l‟assertion du premier énonciateur (en 104P), l‟intégration des assertions de tous mais unies par des relations originales. Pour représenter cette co-construction par une déduction naturelle, il suffit de tracer un indicateur de portée devant chaque nouvel élément mis en évidence par l‟analyse (Tab. 2). Ces éléments ouvrent dans la dérivation logique une ligne auxiliaire au fur et à mesure de leur apparition ; Cela donne (avec P (x,y) pour x accompagne y, les autres symbolisations ont déjà été présentées infra) : 380 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard Tableau 3. Logique interlocutoire de la séquence 104P-112I2 I2 T P 104P Désiron [C(on)] [C(on)] 105I2 [C(on)] (x) [P(x, on)] 106T (x) (Lx) 107I2 (x) (L1x L2x) 108P (x) (L2x) = (x) [P(x, on)] 109T (x) (L2x) → [C(on)] 110I2 Désiron [C(on)] 111P Désiron [C(on)] → [C(on)] 112I2 Désiron [C(on)] → [C(on)] Conclusion [(x) (L2x)] → {[Désiron(Con)] → [C(on)] } 381 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 1 [Désiron (C(on)] [C(on)] 104P 2 (x) P (x, on) 105Ia2 3 C(on) E-1 105Ib2 4 {(x) P (x, on)} R-2 5 {(x) P (x, on)} [(x) L2 106T-107I2-108P 6 [(x) L2(x)] E-5 7 [(x) L2(x)] R-6 8 Désiron (C(on)] E-1 9 [(x) L2(x)] Désiron (C(on)] I-7,9 10 Désiron (C(on)] E-1110I2 11 C(on) R-3 12 Désiron (C(on)] C(on) I-10, 11 13 {[(x) L2(x)]Désiron(C(on)]} {Désiron (C(on)] C(on)}} I-9, 12 14 {[(x) L2(x)]Désiron(C(on)]} {Désiron (C(on)] C(on)}} ├ ├I-13 {[(x) L2(x)]Désiron(C(on)]} C(on)}} Déduction naturelle de la conclusion consensuelle 104P-112I2 5.2. Seconde séquence 113T-131T : le développement de la plainte Dans la suite de l‟entretien, I1 prend la parole, contribuant ainsi à l‟entretien de groupe. Cette seconde séquence constitue donc un polylogue à quatre participants : 113T : Oui, mais moi, je trouve qu‟on nous impose très peu de choses 114 P : Ben oui, mais est-ce que c‟est bien ? 115T : Ben non, je ne te dis pas que c‟est bien 116P : Ouais 117T : Non, je ne dis pas du tout que c‟est bien 118I2 : On manque de cadre 119I1 : Oui c‟est ça, on manque d‟un guide 120T : Enfin, je veux dire que c‟est une trop grande liberté 121I2 : Non, je ne suis pas si sûr. Non je ne suis pas si sûr. 122T : A quel niveau alors ? 123I2 : J‟ai l‟impression qu‟on me coupe l‟herbe sous les pieds 124I1 : Il manque un animateur, un cadre qui anime 125I2 : Dans certains domaines, donc moi, j‟arrête 126T : Des projets qu‟on t‟a poussé à faire ? 127I2 : Non, qu‟on a amené l‟initiative, mais pas au terme 128P : Qu‟on ne t‟a pas encouragé 129T : Qu‟on ne t‟a pas encouragé à pousser 130I2 : On nous dit oui au départ 131T : Mais par contre, je trouve qu‟il n‟y a aucun projet imposé 382 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard On observe dans le déroulement de cette séquence un changement de style discursif par rapport à l‟extrait précédent. L‟interaction verbale est marquée par une évolution du mode énonciatif individuel et collectif qui, comme nous allons le démontrer, façonne la dynamique des énoncés produits et retentit sur l‟enchaînement concret des échanges. Dès 113T, le mode énonciatif de T consiste à affirmer son jugement personnel en se distinguant, ce qui crée un effet d‟individualisation particulier au sein de cet entretien de groupe : il introduit l‟expression de sa pensée par un verbe d‟opinion (113T, 131T), procède à la dénégation des interprétations possibles de ses assertions (115T, 117T) ou encore, exprime son intentionnalité de communiquer (120T). Cela donne : 113T : Trouver [T, (Imposer (on, nous, très peu de choses))] 115T : Non {asserter [T, (Imposer (on, nous, très peu de choses) = être bien)]} 117T : Non {asserter du tout [T, (Imposer (on, nous, très peu de choses) = être bien)]} 120T : Vouloir dire [T, (Etre (c‟, trop grande liberté))] 131T : Trouver [T, non avoir (il, projet imposé)] On constate également, qu‟après avoir tenu, de 104P à 112I2, un discours marqué par l‟usage de la négation syntaxique pour exprimer des idées négatives sur soi et sur le leader de l‟équipe, les interlocuteurs construisent maintenant un discours où prédominent des propositions à polarité sémantique négative. C‟est le cas, par exemple, de l‟intervention 118I2 « on manque de cadre » dont on observe que I1 exploite toute l‟étendue de sens. En effet, le terme « cadre » dans « on manque de cadre » autorise plusieurs interprétations : (i) dans une organisation hospitalière, le cadre est l‟agent qui assume la responsabilité hiérarchique de l‟équipe de soins qu‟il encadre et anime ; (ii) mais à la proposition « on manque de cadre », avec « de » comme indéfini, peut correspondre également un sens plus général. Le discours de I1 reprend les deux significations : la première, en 119I1, par la reformulation « on manque d’un guide » et la seconde, un peu plus à distance, en 124I1, en pointant l‟agent qui fait défaut « il manque un animateur, un cadre qui anime ». D‟ailleurs, 118I2 et 119I1 sont deux énoncés qui présentent la même forme prédicative : [Manquer de (on, cadre)] et [Manquer de (on, guide)]. La succession de ces deux énoncés, courts, formellement identiques, crée, outre un effet de rapidité, une impression de prise de parole collective qui entre en contraste avec le style individualiste de T. Cette impression est accentuée d‟une part, par la place du pronom « on », qui se rapporte à l‟équipe, en premier argument dans chacun des deux énoncés, et d‟autre part, par la portée de 119I1 qui, non seulement ratifie 383 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard 118I2 dans son étendue sémantique, mais aussi dans sa dimension pragmatique de plainte. L‟aspect énonciatif, interactif et collaboratif de cette plainte qui structure l‟interaction depuis 104P, évolue également, dessinant très localement un (micro)genre discursif (le G2 de Kerbrat-Orecchioni, 2003) où alternent et se mélangent des discours explicatifs et illustratifs voire un (micro)récit illustratif. T et I2 s‟opposent. Sur le contenu de leur plainte, tout d‟abord ; alors dénonce être empêchée dans ses projets. Cette dissimilitude est manifeste lorsqu‟en réaction à l‟affirmation de T, en 120T, qui porte sur un contenu indéterminé (c’est une ), I2 illustre le désaccord qu‟elle venait juste de réitérer en 121I2, par j’ai l’impression qu’on me coupe l’herbe sous les pieds en 123I2. Sa présentation de soi, victime d‟un préjudice, avec le prédicat « couper », à valence fortement négative, laisse entrevoir une vive souffrance personnelle, même si la correspondance de sa déclaration avec la réalité est atténuée par le modalisateur intentionnel « j‟ai l‟impression que » (qui introduit un monde incertain, lequel pourrait accepter un monde alternatif où quelqu'un dirait « j‟ai l‟impression que…ne …pas »). Le témoignage de I2 a la forme d‟un raisonnement logiquement déductible : de la prémisse « on me coupe l‟herbe sous les pieds », il déduit ensuite, en 125I2, « donc moi j‟arrête ». S‟apparentant davantage aux « negative observations » de Schegloff (1988) qu‟à une plainte au sens de Heinemann et Traverso (2009), la doléance de I2 n‟est accompagnée d‟aucun ressenti (tristesse, colère, exaspération, …). Il attribue la responsabilité de l‟obstruction à la réalisation de ses projets à un « on », à l‟identité indéterminée. Rien n‟indique que « on » est l‟un des interlocuteurs présents ; il s‟agit donc d‟une plainte indirecte au sens d‟une « third-party complaints » de Traverso (2009). Dès lors, c‟est l‟échec d‟une tentative de co-construction d‟un microrécit que va produire l‟interaction. La charge plaintive de 123I2 capte l‟attention de son destinataire, le groupe co-présent, qui le témoigne par ses relances. Mais I2 n‟entre pas dans le discours événementiel vers lequel les reformulations et les demandes d‟information de ses collègues l‟orientent. On observe notamment un singulier télescopage entre les présuppositions d‟une question factuelle31 de T et le contenu sémantique du discours explicite de I2. Tandis qu‟elle lui était jusque là intime, I2 rend publique en 123I2 son impression d‟être supplantée, dépassée par d‟autres projets que ceux qu‟il a imaginés et initiés. Il pourrait, dès lors, se dire que ses collègues savent, et qu‟ils savent qu‟il sait qu‟ils savent. Mais, contre toute attente, la demande de confirmation de T en 126T, (des projets qu’on t’a poussé à faire ?), qui présuppose bien l‟existence de projets, annihile toute l‟ingénierie de I2 31 Pour une présentation de l‟aspect présuppositionnel des questions, se reporter à Hintikka, 1976. 384 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard contenue dans son affirmation précédente. I2 pourrait avoir de bonnes raisons de penser que T n‟a pas saisi que sa plainte porte justement sur l‟absence de considération de sa créativité. C‟est finalement sa réponse qui lève le malentendu (29I2 : Non, qu’on a amené l’initiative, mais pas au terme). Le sens 128P, puis T, en 129T, expriment (128P) Qu’on ne t’a pas encouragé et (129T) Qu’on ne t’a pas encouragé à pousser. Partiellement, mais pas totalement, car ne pas encourager quelqu'un à poursuivre un projet est moins conséquent que de l‟en empêcher. L‟effet recherché par I2 au moment où il livre sa pensée n‟est réellement connu que de lui-même. A-t-il parlé simplement pour faire savoir ou pour défendre la légitimité de son désaccord et emporter l‟adhésion ? Il peut constater, en tous les cas, que sa plainte n‟a pas eu pour effet de se faire plaindre, ni de récolter le ralliement de ses collègues. Nonobstant, par un glissement de « je » à « on » puis à « nous » (127I2 : Non, qu’on a amené l’initiative ; 130I2 : On nous dit oui au départ), I2 inclut l‟équipe dans sa plainte, si bien qu‟il devient difficile, finalement, de déterminer qui est le plaignant, I2 ou l‟équipe. Conclusion Dans cette étude, il s‟agissait de s‟intéresser aux mouvements de pensées d‟individus placés en situation d‟interaction entre deux administrations d‟un même questionnaire. Il était demandé à ces agents de s‟exprimer grâce à ce questionnaire sur leur perception de leur ambiance de travail. Les scores ainsi obtenus mettent en évidence une perception globalement favorable de leur environnement professionnel. Néanmoins, on observe des résultats très défavorables. Ces derniers mettent en exergue une difficulté dans la communication et dans le rapport de l‟équipe avec sa hiérarchie. Ce sont ces deux dimensions qui sont le plus concernées par les changements d‟opinion dans un sens défavorable avant/après interaction. Dans son ensemble, l‟entretien n‟a pas révélé de difficulté entravant la communication au sein du groupe. Ces agents ont l‟habitude de se retrouver entre eux, sans supérieur hiérarchique et loin de l‟équipe médicale, dans la salle de détente pour échanger de manière informelle au sujet de leurs conditions de travail. C‟est sans doute ce qui a joué dans la fluidité des échanges et permis des débats sans frein apparent de protection de faces pourtant très exposées dans ce contexte (Goffman, 1987). On relève, par ailleurs, que cette interlocution d‟une trentaine de tours de parole est comparable sur le plan fonctionnel aux « big packages » de Sachs (1992, p. 354) car il est incontestable que l‟entretien s‟est déroulé par « blocs » de mouvements interactionnels, comme l‟a montré notre analyse. L‟analyse du premier extrait a mis en évidence le mécanisme interactionnel qui a permis à l‟équipe de pointer consensuellement la nature de ses difficultés 385 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard inhérentes à son encadrement. Nous avons démontré, à partir des mots qui ont été échangés, comment ce consensus a émergé. Ce ne sont pas des informations nouvelles apportées par l‟un ou l‟autre qui ont fait basculer les opinions dans un sens défavorable. Ce que nous avons observé, c‟est la co-construction d‟une nouvelle architecture de ces éléments bien connus de tous, mais tissés dans/par l‟interaction avec de nouveaux liens logiques. Une telle réorganisation de pensée a sans doute été à l‟origine des écarts de score apparus dans les questionnaires. Quant aux basculements très défavorables observés sur l‟échelle 7, les échanges du second extrait d‟interlocution les expliquent sans doute en qui ne s‟est pas exprimé au cours de cette séquence, pour I1 et pour P. T n‟a pas modifié son point de vue, qui n‟est favorable que sur un point « les nouvelles propositions sont souvent prises en considération ». Au regard de l‟analyse des échanges entre lui et I2, il n‟y a rien d‟étonnant à relever cette stabilité. Par contre, les changements de I1 sont cohérents avec sa manière générique de faire découler de chaque plainte exprimée un défaut patent d‟encadrement. S‟agissant du revirement négatif de P à la question « l’initiative et la réussite personnelles sont mises en valeur », nous formulons une hypothèse. Souvenonsnous du « crissement » interactionnel survenu à un moment délicat où I2 livrait une part intime de soi (123-125I2/126T). Par sa maladresse, T rompait le cours d‟une révélation, probablement l‟origine d‟une blessure d‟ordre narcissique. C‟est alors P, qui prenant le troisième tour de parole qui aurait dû revenir à T, avait le premier rectifié l‟erreur d‟interprétation de T. Il est possible que dans ce contexte social particulier, P ait pris la mesure de la difficulté rencontrée par I2. En effet, une des particularités des paramédicaux est leur organisation très hiérarchisée dans les secteurs de soins 32 avec un contrôle plus ou moins étroit des cadres sur les soignants. On observe que tout se passe comme si la révélation de I2 avait opéré comme un déclic, éclairant P, professionnel de l‟écoute, sur la souffrance de I2 limité dans l‟initiative de ses actions. Ainsi, P peut déduire du témoignage de son collègue que l‟une des spécificités de l‟activité de l‟infirmier, qui tient à son absence d‟autonomie, résiste à la mobilité et la transversalité de cette UMSP. P, quant à lui, ne subit pas cette rigidité, même s‟il appartient à la même équipe fonctionnelle, et pluridisciplinaire, que ses collègues infirmiers. Il est fort possible que le changement de réponse du psychologue soit la manifestation d‟un mouvement d‟empathie. D‟où l‟échange : 135P : On nous demande de suivre quoi 136I2: C‟est vrai qu‟on manque de projets collectifs même 137T: Une trop grande liberté aussi 138I2 : Et puis d‟un autre coté, on nous serre un peu trop dans certains domaines 32 Cf. Batt & Trognon (2010, dans ce même numéro). 386 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Martine Batt Alain Trognon & Alexandre Langard En conclusion, la procédure expérimentale qui a été mise en œuvre et la logique interlocutoire appliquée à cette démarche originale ont permis de dévoiler la syntaxe de la construction d‟une représentation de groupe dans le tissage de l‟interdiscours accompagnée de ses effets. L‟analyse du corpus, dont nous n‟avons pu présenter ici qu‟un extrait, a permis de mettre à jour des processus intrinsèques a la nature collaborative d‟une plainte de groupe. Références Batt, M., Luporsi, E., Trognon, A., Laux, J. & Michel, M. (2006). Etude exploratoire des propriétés communicationnelles de la consultation d'oncogénétique. Revue Francophone de Psycho-Oncologie, 1, 1-5. Batt, M., Trognon, A. & Vernant, D. (2004). Quand l‟argument effleure la conviction : Analyse interlocutoire d‟une croyance dans un entretien de médecine prédictive. Psychologie de l’interaction, 17-18, 167-218. Batt, M. & Trognon, A. (2009). Ergonomie cognitive d‟une consultation génétique pour le test présymptomatique de maladie de Huntington. Psychologie du travail et des organisations, 15, 1, 21-40. Batt, M. & Trognon, A. (2010a). De quelles méthodes logiques avons-nous besoin pour soutenir le projet d‟une logique naturelle de l‟usage du langage en interaction ? 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Un stress de nature paroxystique agite ces derniers qui s‟épuisent, deviennent violents, ou encore présentent des conduites addictives de toutes natures. Cette entropie a pour motif dix ans de réformes pour introduire le « Nouveau Management Public » afin d‟adapter nos hôpitaux au contexte économique mondial. Le but est d‟optimiser les moyens dont disposent ceux-ci. Le motif est recevable, ce sont les conditions de la réorganisation qui ne le sont pas. La prescription s‟est faite sans aucune autre démarche que l‟information par circulaires comme c‟est le cas dans la fonction publique traditionnelle. Aucunes formations pour construire de nouvelles compétences nécessaires à la nouvelle donne, n‟ont été systématiquement programmées à cet effet. Résultats, les plus hardis du personnel s‟adaptent et les autres s‟effondrent. Rendre du sens au travail hospitalier, devient alors un leitmotiv nécessaire à l‟organisation sous peine de voir tous les efforts de modernisation tourner court et justifier les résistances du personnel à celle-ci. Abstract A condition of the optimization of care lies in the quality of organizational climate in which it occurs. However, the French hospital today is in a maximum entropy that supports its agents. A paroxysmal stress waves that they are exhausted or become violent, even present addictive behaviors of all kinds. This entropy has for origin ten years of reforms to introduce the "New Public Management" to adapt our hospitals to global economic conditions. The goal is to optimize the resources available to them. The pattern is admissible, but the terms of the reorganization are not. The prescription was made without further action except information by notes, as is the case in the traditional public service. No training to build new skills necessary for this new deal, have been systematically programmed for this purpose. Results, the boldest of staff adapt and others fail. Giving back sense to the hospital work, becomes a leitmotiv for the organization lest all the efforts to modernize run short and justify the resistance of staff to it. Mots clefs : réforme hospitalière, entropie, stress, sens au travail. Keywords: hospital reform, entropy, stress, meaning to work. 391 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet 1. Introduction Aucun soin, ne peut s'avérer efficace s'il est pratiqué dans une organisation où règne une entropie importante. Le terme d'entropie est une notion abstraite empruntée au courant systémique (Lemoine, Masclet 2007). Il désigne le degré d'incertitude ou de désordre dans l'arrangement des éléments du système que constitue une organisation. Cette incertitude était appréhendée classiquement, il y a encore une quinzaine d'années, au travers d'indicateurs concrets tels que : le taux d'absentéisme, le nombre d'accidents de travail, le taux de rebuts, les conflits, l'insatisfaction du personnel, le turn-over, le manque de communication… (Masclet 2001). Cette approche est désormais insuffisante, au regard de la nouvelle symptomatologie des organisations. On constate aujourd'hui, en effet, que l'expression psychosomatique a remplacé le conflit social dans bien des cas. Le mal-être ne s'exprime plus désormais dans les entreprises de façon collective et conflictuelle, il est intériorisé par les opérateurs. La conséquence c‟est la violence, les conduites addictives, le burn-out…(Lemoine, Masclet 2007) Il est donc important de voir en quoi consistent ces nouvelles entropies pour essayer d'en comprendre les origines. Car si la nouvelle entropie, à première vue, ne menace plus la production, elle concerne néanmoins toutes les organisations, tant elle est devenue par son ampleur l‟un des plus graves problèmes de notre temps, pour les individus. Elle menace de façon dramatique leur santé physique et mentale, au point qu'elle constitue un danger capable de mettre à terme en péril la bonne marche des organisations. L‟hôpital en 2010 en est un bon exemple. 2. Les Formes de la nouvelle entropie des organisations Le stress est devenu une donnée ambiante de notre temps. Ainsi, en 2008, un rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail de Philippe Nasse, magistrat honoraire et Patrick Légeron, médecin psychiatre remis à M.Xavier Bertrand, alors Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité (Légeron & Nasse 2008) signalait que le stress allait continuer à poser un ensemble de problèmes divers, complexes et importants du fait du poids de leurs conséquences. Un des motifs majeur évoqué, réside dans le fait que, les risques liés au stress, se développent à la frontière entre la sphère privée (le psychisme individuel) et la sphère sociale (les collectifs d‟individus au travail), ils sont au cœur de beaucoup de conflits Des études épidémiologiques menées antérieurement montraient déjà que les pathologies liées à l'excès de stress qui se développaient dans les pays industrialisés allaient induire un coût économique de 2 à 3 % du PNB de l'Union Européenne (Bressan, cité par Légeron 2001). Dans ces mêmes pays on 392 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet évaluait à 60% l'ensemble des journées de travail perdues à cause du stress (Légeron, 2001). Chouanière et al (2003) évaluaient à 41 millions le nombre de salariés européens concernés par des problèmes de santé dus au stress au travail. Et, ce coût atteindrait annuellement 20 milliards d'euros. Le coût du stress au travail a donc pris une ampleur considérable et ne semble pas se résorber, mais là ne sont pas ses seuls aspects négatifs. En effet, outre le fait qu'il soit à l'origine de troubles somatiques importants (anxiété, fatigue, ulcères gastriques, angine de poitrine, eczéma…) il est à l'origine de copings inadaptés, que les individus développent pour faire face aux tensions auxquelles ils sont confrontés. Ainsi, des violences, des conduites addictives de différentes natures, du burn-out, se développent-ils de façon dramatique dans les organisations de tous ordres. 2.1 La violence au travail La violence au travail est un phénomène préoccupant partout dans le monde et en forte progression. Ses répercussions sur la santé inquiètent à la fois les médecins du travail et les psychiatres. Elle s'origine le plus souvent, dans l'organisation inadaptée du travail. Ainsi, la violence institutionnelle exercée par une personne ou un groupe de personnes rassemble aussi bien le mobbing que le harcèlement moral et sexuel. Ce sont des agressions répétées et durables, auxquelles on ne peut attribuer un mobile. Le harcèlement moral est une technique de destruction consciente ou inconsciente de la personne visée. C'est une violence psychologique qui peut comporter une variété d'expressions. Injures, propos humiliants, isolation forcée en sont les manifestations les plus courantes. Parmi les principales formes de violences psychologiques nous retiendrons pour étude ici, le bullying, le mobbing. Le bullying est une forme de harcèlement, qui s'exprime dans le milieu du travail, par un ensemble de pressions. Elles consistent en « des comportements offensants, toujours imprévisibles, irrationnels et injustes par lesquels une ou plusieurs personnes, souvent des gestionnaires, visent à rabaisser de façon persistante un ou plusieurs salariés par des moyens malveillants et humiliants » (Chappell et Di Martino, 2000). Le mobbing selon Leymann (1996) est un processus de harcèlement d'une victime, par un ou plusieurs persécuteurs à la suite d'un conflit banal. Il s'agit d'un processus auto-entretenu et répété sur une longue période qui se manifeste notamment par des paroles, des gestes, des écrits unilatéraux, de nature à porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique de l'autre. Mais, l'institution elle même peut être génératrice de violence. Ainsi, le harcèlement institutionnel participe d'une stratégie de gestion de l'ensemble du 393 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet personnel. Dans ce cas précis la violence ne relève pas d'un problème épisodique ou individuel mais bien d'une réalité structurelle et stratégique (Dejours 2000). Le harcèlement professionnel, est parfois organisé à l'encontre d'un ou plusieurs salariés précisément désignés. Cette stratégie managériale est destinée à contourner les procédures légales de licenciement (Dejours 1998). 2.2 Les addictions en milieu professionnel Mais, un des symptômes les plus spectaculaire dans l'expression des nouvelles entropies s'exprime, dans les diverses formes d'addictions classiques et moins classiques des opérateurs. Ainsi, plusieurs facteurs favorisent la prise de psychotropes sur le lieu de travail. D'une part, le monde de l'entreprise valorise une certaine attitude, celle de l'homme sociable, sûr de lui, boute-en-train. D'autre part, les notions de performance et de compétition poussent certains salariés à utiliser des produits psychoactifs pour faire face aux contraintes de leurs tâches, gérer la pression... pour tenir le coup. Aussi, le milieu professionnel expose-t-il les personnes à des pressions psychologiques qui peuvent inciter à fumer, consommer de l'alcool ou se droguer. Ces comportements à risques constituent pour elles un système de défense face au stress, aux tâches répétitives et peu motivantes, aux changements dans l'organisation du travail, aux horaires perturbés, à l'absence de reconnaissance, à l'insatisfaction au travail, aux harcèlements, à la peur de perdre son emploi, aux objectifs non atteignables, à la dégradation des relations au travail, aux problèmes de communication, à l'isolement... Les conséquences de ces comportements à risques sont dramatiques. Ainsi, rien que la prise d'alcool (Garnier 2006) sur le lieu de travail serait à l'origine de 15 à 20% des accidents du travail et d'un taux similaire d'absentéisme, de conflits au travail et de licenciements. Les conséquences économiques ne sont pas moindres et se traduisent par des pertes de productivité, des baisses de la qualité, des risques d'incidents, des erreurs, des risques pour les outils de production, des retards, des dégradations de l'image de l'entreprise, des risques pénaux et civils pour l'employeur… Toutefois, il est à noter que si la consommation d'alcool diminue ou se stabilise, l'usage de cannabis et de produits psychoactifs est en forte hausse. Désormais, dans le monde du travail, comme dans le milieu sportif, la recherche de performance entraîne l'utilisation de produits qui y participent. On peut remarquer de manière générale, une augmentation des pressions et du stress ressenti par les travailleurs. En effet, depuis 5 à 10 ans, les médecins du travail voient arriver des salariés qui consomment des substances psychoactives à des fins de dopage. Selon Michel Hautefeuille (2005) médecin du travail, « les personnes qui viennent nous voir ne sont pas toxicomanes, elles sont tout simplement 394 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet piégées à l'intérieur d'un système de dopage… ». En effet, les salariés qui présentent des conduites addictives partagent avec les non-usagers, une image très négative de la toxicomanie. L'intégration économique et le maintien d'un statut social restent chez eux une préoccupation majeure. Cette manière nouvelle, depuis une trentaine d'années, de considérer l'activité comme une dimension centrale de sa vie, a entraîné des formes de dépendances contradictoires : le workaholisme ou l'addiction au travail. Celle-ci se définit comme une relation pathologique d'un sujet à son travail. Elle est caractérisée par une compulsion à lui consacrer toujours plus de temps et d'énergie. Le sujet se dévoue entièrement à son travail en excluant toute autre activité ou investissement (familial par exemple). Il s'identifie à son rôle professionnel et sa carrière prend une importance exorbitante. Le phénomène de dépendance est durable. Il persiste en dépit des conséquences négatives sur la santé physique et psychologique et sur la vie sociale. Ce trouble est plus souvent le lot des classes sociales moyennes ou supérieures. Fassel (1992) dit de l'addiction au travail, que c'est la plus « clean » de toutes les addictions. Mais, c'est aussi une des plus difficiles à combattre du fait de l'importance de la pression sociale qui la renforce. Elle est encouragée par la société parce qu'elle semble être socialement productive. En effet, le travail et l'auto esclavagisme du workaholique n'ont jamais suscité d'objections de la part des dirigeants ni même de la société. Pour comprendre cette dépendance, il faut la comparer au travail des artisans et des commerçants, qui de tous temps, ont travaillé beaucoup, sans pour autant être workaholiques. Comprenons que pour ces derniers, l'outil de travail et sa pérennisation imposaient le débord. Mais pour le workaholique, le travail n'est pas motivé par des causes ou des conséquences matérielles ou économiques, ni par la réalisation d'une œuvre quelconque. C'est l'exécution elle-même et ses propres procédures qui constituent l'objet de la dépendance. On peut ainsi établir un parallèle entre le workaholisme et d'autres conduites addictives, tels que les jeux d'argent, les troubles alimentaires, le sport ou l'hypersexualité. Il est évident que dans bien des cas, cette pathologie, surtout au début, ne dérange pas les dirigeants des entreprises qui voient là du dévouement, de la conscience professionnelle et bien d'autres alibis organisationnels. Il faut quand même avoir à l'idée, que l'intoxiqué du travail finit par être source de conflits et de discriminations. Le workaholique finit par irriter tout le monde et générer des conflits de tous ordres. Il est continuellement occupé, constamment accaparé par son travail. Il évite ses collègues tant sur le registre relationnel institutionnel que sur le plan humain. Il effectue régulièrement des heures supplémentaires sans rémunération. Il rechigne souvent à prendre ses jours de congés. Sa vie personnelle n'est pas non moins affectée. Il néglige puis fuit ses relations personnelles. Sa vie hors travail n'existe plus et ne constitue plus un coping face au stress généré par le travail. Les retentissements somatiques ne se font souvent pas attendre. Ce sont d'abord des céphalées chroniques, puis des 395 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet lombalgies. A l'extrême, des troubles dépressifs apparaissent puis des ulcères, de l'hypertension voire des infarctus et souvent le bum-out (Fassel 1992). 2.3 Le burn-out et l'organisation Le burn-out selon Shirom (2003) peut se définir comme « une réaction affective au stress permanent et dont le noyau central est la diminution graduelle, avec le temps, des ressources énergétiques individuelles, qui comprennent l'expression de l'épuisement émotionnel, de la fatigue physique et de la lassitude cognitive. » Selon Truchot (2004), le burn-out contribue à augmenter l'insatisfaction au travail et à diminuer l'engagement et l'implication des opérateurs. Dans leur travail ces derniers commettent des erreurs qu'on ne peut attribuer ni à leur manque de connaissance ni à leur carence d'expérience. Enfin le burn-out est aussi souvent à l'origine de la détérioration des relations entre collègues, mais aussi dans celle des rapports avec les clients, les patients, les élèves… 3. L'Hôpital et son entropie L'entropie de l'hôpital est mis en évidence par le projet PRESST qui signifie : PRomouvoir en Europe Santé et Satisfaction des Soignants au Travail. Il fait partie de cette importante étude scientifique européenne NEXT (Nurses Early Exit Study), dont l'objectif est d'analyser pourquoi et comment, les professionnels paramédicaux quittent prématurément leur profession. Cette étude propose des pistes de réflexion, pour prévenir ce phénomène et mieux aborder l'avenir (Behar 2008). L'enquête a été menée, en Europe à partir de 2004, auprès de 69 902 soignants de toute qualification. Le taux de réponses global est de 53,2 % soit 37 161 répondants. Concernant les problèmes de santé mentale, le questionnaire proposait une rubrique : «Trouble de la santé mentale (ex : dépression, « burn out », anxiété, insomnie)». Concernant ce point, près du quart des soignants ont déclaré des troubles de la santé mentale en Pologne, France et Allemagne. Ce n'est le cas que de 15 % ou moins aux Pays-Bas, en Finlande et en Norvège. C'est en France que les soignants sont les plus nombreux à déclarer être suivis médicalement pour troubles de la santé mentale (9,8 %) ensuite on trouve l'Allemagne, la GrandeBretagne et la Belgique (7,8 %, 7,6 % et 6,7 %). Moins de 5 % des soignants des autres pays déclarent être suivis médicalement. Pour ce qui est de la santé au travail, la question était libellée ainsi : « Dans la liste suivante, inscrivez les maladies et blessures dont vous souffrez 396 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet actuellement. Indiquez aussi si un médecin a fait le diagnostic ou traité ces problèmes de santé ». (Il s'agissait de cocher selon une liste détaillée que nous reprendrons plus loin). Les soignants de l'échantillon européen ont déclaré avoir eu les affections suivantes : - un accident 13 % (9,7 % traité), - des troubles musculo-squelettiques 52,8 % (28,7 % traités), - une maladie cardio-vasculaire 11,6 % (9,1 % traitée), - une maladie respiratoire 13,8 % (9,2 % traitée), - des troubles de la santé mentale 18,9 % (5,4 % traités), - des troubles neurologiques ou sensoriels 19,4 % (10,5 % traités), - des troubles digestifs 22,3 % (11,3 % traités), - des problèmes cutanés 27,7 % (15,6 % traités), - une maladie métabolique ou endocrine 8,4 % - une maladie sanguine 5,7 % - une tumeur 2 % - une pathologie congénitale 1,6 % Une autre question concernait les troubles musculo-squelettiques et le questionnaire, dans sa liste, s'intéressait aux : « Pathologies ostéo-articulaire ou musculaire du dos, des membres ou de toute partie du corps ex. : douleur répétée articulaire, des articulations, des muscles, sciatique, arthrite, arthrose) ». Les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont déclarés par près de 60 % des soignants allemands slovaques, italiens et français. Ils concernent près de 40 % de ceux travaillant aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Norvège. L'étude plus spécifique des AS et ASH montre des résultats voisins sauf en Belgique où ils sont plus concernés par les TMS que l'ensemble des soignants de tous grades. Si l'on s'intéresse aux TMS traités médicalement, alors ils sont plus de 40 % dans ce cas en Belgique et en Allemagne alors que sur l'ensemble de l'échantillon aucun pays ne dépasse la proportion de 40 % de soignants suivis médicalement pour TMS. Il est clair, que pour le psychologue du travail, c'est bien de la « nouvelle entropie » dont il s'agit, même si ici, ce sont surtout les symptômes médicaux qui sont mis en avant. Les motifs objectivés par les professionnels du soin Parmi les motifs du malaise objectivés par les soignants dans l‟enquête PRESST-NEXT, sont d'abord mis en avant par ces derniers des relations pas toujours aisées entre les collègues et les supérieurs. Puis vient le temps disponible pour les transmissions, la charge de travail, la crainte de faire des erreurs, de mal informer le malade, etc… Tout cela entraîne le développement 397 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet d‟une insatisfaction diffuse, qui va parfois jusqu'au désir de quitter la profession. Mais des « arrêts-maladie », des pathologies physiques, notamment dorsolombaires, des problèmes de santé mentale traités médicalement, qui constituent des signes objectifs de mal-être dans ce monde sont aussi évoqués. Ainsi, 61,9 % des soignants en Allemagne sont insatisfaits des possibilités de donner aux patients la qualité des soins dont ils ont besoin. Ce pourcentage s'élève à 58,21 % en Pologne, 49,5 % en France, 40,2 % en Grande Bretagne, 39,6 % en Italie et 38 % en Slovaquie. Il ne représente que 33,1 % en Finlande, ainsi que 33 % aux Pays-Bas, et 31,2 % en Belgique dont seulement moins de 5 % se disent très insatisfaits. Seuls 18,3 % des soignants norvégiens sont insatisfaits dont 2,1 % de très insatisfaits. La crainte des erreurs est une préoccupation majeure aussi pour les soignants. Plus des deux tiers travaillent avec ce souci. Les infirmiers et infirmiers spécialisés français craignent davantage de faire des erreurs que la moyenne des IDE (Infirmiers Diplômés d‟État) européens (85,7 % dans l'enquête PRESST, contre 68,7 % dans l'ensemble de l'échantillon européen). Les aides soignants et ASH craignent aussi de faire des erreurs. Des erreurs d‟ordre techniques, qu'ils lient aux modifications rapides des prescriptions, du fait de la réduction des durées moyennes de séjour. En France, 38,8 % des soignants disent avoir fréquemment ou très fréquemment des informations trop tard, 31,5 % des ordres contradictoires, 27,3 % des informations insuffisantes. On constate, par ailleurs, que dans les pays, où le temps relationnel est très développé, sont aussi, ceux où l'incertitude sur ce qui peut être dit au malade ou à sa famille est la plus faible. Ces résultats montrent l'importance des stratégies d‟adaptation, développées collectivement et individuellement au cours du temps, par les soignants dans les services « qui marchent bien ». Kobasa, Maddi et Khan (1982), Pronost &Tap (1996) parlent de Hardiesse. Ce coping suppose une certaine marge de manœuvre sur les effectifs et les moyens, une organisation du travail qui prend en considération les difficultés et les nécessités du travail soignant, une certaine stabilité et entente dans l‟équipe. Le management, à la fois des individus et des équipes, semble bien en cause, même s'il est largement déterminé par le contexte sociétal global (Masclet 2004). 398 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet 4. La position du problème Comme on le constate aujourd'hui, les nouvelles entropies concernent toutes les organisations et l'Hôpital n'échappe pas à la règle. Elles concernent toutefois comme on le constate, moins le collectif des entreprises que les individus eux-mêmes. Par ailleurs, le phénomène questionne par son effet massif au point que l'intervention s'avère nécessaire. Un tel phénomène ne peut donc laisser insensible. Les dirigeants d'entreprises et des hôpitaux notamment y sont très réceptifs tant pour des raisons humaines qu'économiques. Le coût du remplacement d'un opérateur amène en effet l'entrepreneur à plus de considérations pour celui-ci, qui plus est dans l'hôpital où le soignant devient difficile à remplacer. Par ailleurs il faut constater que le portefeuille de compétences d'une entreprise est devenu au moins aussi important que son capital. Les organisations qui n'en sont pas convaincues risquent un jour d'en payer, dans tous les sens du terme, le tribut. Intervenir s'impose donc, mais comment ? Trouver les raisons de ces entropies constitue sans doute un préalable. Divers motifs dispositionnels et organisationnels peuvent être avancés. Leur examen nous éclairera sans doute, mais, au préalable, examinons les motifs de l‟entropie hospitalière. 4.1 L‟Entropie Hospitalière De toutes les institutions et organisations, l‟Hôpital en France est sans doute celle qui a essuyé, notamment ces dix dernières années, le plus de transformations fondamentales et radicales. La consommation de soins et de biens médicaux en France est légèrement inférieure à 10 % du PIB (9 % en 2007). Elle tend à augmenter, sous les effets conjugués du ralentissement de la croissance depuis le milieu des années 1970, du vieillissement de la population, enfin des innovations médicales, qui permettent de soigner mieux mais pour un coût plus élevé. Les budgets hospitaliers en représentent près de la moitié (44 % en 2007). Ils sont financés essentiellement par la Sécurité sociale (à 83 % en 2005), qui l'est à son tour principalement par des cotisations sociales reposant sur les salaires et sur d'autres revenus. Face à ce qu'ils ressentent de plus en plus comme un coût à minimiser, les gouvernements successifs ont pris différentes mesures pour « maîtriser » ces dépenses. Ainsi, si les hôpitaux français ont fait l'objet de nombreuses réformes au cours du XXe siècle, la période récente est marquée par une intensification de leur rythme et par une forte prégnance de cet objectif : loi hospitalière de 1991, ordonnances «Juppé» de 1996, plans « Hôpital 2007 » (2002) puis « Hôpital 2012 » (2007), enfin loi « Bachelot » ou « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » (HPST, 2009). 399 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet Fin 2002, Jean François Mattei, Le Ministre de la Santé du Gouvernement Raffarin, lance un plan, dit« Hôpital 2007 ». Il se situe dans la lignée des réformes hospitalières entreprises depuis les années 1990, qui visent notamment à mieux « maîtriser » les dépenses de santé. Il comporte nombre d'outils empruntés à la panoplie du « Nouveau Management Public (Le NMP), comme la mise en place progressive d'une « tarification à l'activité » (T2A), recourt à des partenariats public/privé, le regroupement de services hospitaliers en « pôles » financièrement responsables, voire « autonomes », ou encore la « modernisation » des statuts de la fonction publique hospitalière dans un sens rapprochant son fonctionnement de celui du secteur privé. A certains endroits et dans certains services ce plan se traduit notamment, via l'administration hospitalière, par une pression sur les effectifs. Le nouveau management public est un paradigme d'action publique, c'est-à-dire un ensemble d'idées et de pratiques que les pouvoirs publics tentent de mettre en œuvre dans les administrations et les services publics. Forgé aux États-Unis et au Royaume-Uni au cours des années 1980 et 1990, sous les administrations Reagan et Thatcher puis Clinton et Blair, il a essaimé dans de nombreux pays. Le cas français permet de préciser la nature de ses outils. Les pouvoirs publics de notre pays y ont en effet aujourd'hui largement recours. En premier lieu, nous trouvons « Le Downsizing : ou down-say-zing ». Ce management Masclet (Lemoine-Masclet 2007) le définit littéralement comme le plan social d'une entreprise. Sa pratique s'accompagne généralement d'une diminution des effectifs et de la réduction de la taille de l'entreprise. Le but escompté de l'opération est d'améliorer l'efficacité du fonctionnement de l'organisation afin de dégager des gains de productivité et d'accroître sa compétitivité. L‟objectif : « débureaucratiser» l‟organisation en la rendant « Lean and mean » (maigre et méchante) et par là même plus compétitive. Ces types de pratiques ont fini par toucher les cadres intermédiaires et souvenons-nous qu‟un ministre célèbre souhaitait même l‟appliquer à l‟Éducation Nationale. Son vœu est aujourd‟hui largement exhaussé. L‟équivalent français est le « dégraissage ». « Les Trente cinq heures » à l‟hôpital sans embauche en contrepartie ont été un réel downsizing. Nous trouvons ensuite l‟utilisation du benchmarking ou « indicateurs de « performance ». « Qui veut s’améliorer doit se mesurer, qui veut être le meilleur doit se comparer » (Camp 1995). Le benchmarking est une méthode managériale qui consiste à rechercher en permanence les meilleures pratiques afin d‟adopter ou d‟adapter leurs aspects positifs et de les mettre en œuvre pour progresser et devenir « le meilleur des meilleurs » (Camp 1995). L‟objectif du benchmarking est de faire évoluer une situation actuelle, susceptible d‟être améliorée vers une situation plus compétitive, en ayant pour originalité de comparer des sociétés, des administrations, des services ou bureaux évoluant dans d‟autres domaines d‟activités. Comment ? En comprenant les autres et en examinant comment ils arrivent à faire des choses 400 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet que d‟autres ne sont pas capable de faire, ce qui implique, bien entendu, de commencer par se connaître soi-même, chercher ce qui se fait de mieux, reconnaître les différences et en tirer profit pour atteindre le but recherché. Concrètement, cette recherche des « bonnes pratiques » prend du temps et plusieurs voies sont possibles : sources internes (bibliothèque, revues, publications, services internes) et externes. Mais aussi, les remontées du terrain (du bas vers le haut : bottom-up) : retour d‟information clientèle, citoyen, enquêtes téléphoniques, visites sur site ou investigations plus spécialisées (Lemoine-Masclet 2007). L‟empowerment ou «responsabilisation» est aussi préconisée. La responsabilisation – ou Délégation – (empowerment) : Rosabeth Moss Kanter (1992) cité par Masclet (2004) était la principale instigatrice de ce mouvement, très à la mode dans le monde du management au début des années 90. Le principe de responsabilisation, ou de délégation, qui a pour but de libérer les facultés d‟innovation et de changement des individus à l‟intérieur d‟une entreprise, implique généralement une participation accrue des employés dans l‟organisation en stimulant notamment leur esprit d‟initiative et d‟entreprise. Et puis pêle-mêle, selon les cas on va trouver des incitations financières au rendement, des recours à des consultants privés et à des agences spécialisées, des dédifférenciations globales entre les secteurs public et privé… (Berlogey 2010). Toutes ces dispositions managériales sont justifiées par une recherche d'efficacité et par le souci d'économiser les deniers publics. Il s'agirait en fait de mieux rentabiliser la dépense publique, autrement dit de réduire les coûts à prestations égales ou d'accroître les prestations à budget égal. Ce phénomène culmine dans une réforme des finances publiques amorcée par la loi organique sur les lois de finances (LOLF. 2001) et poursuivie par la révision générale des politiques publiques (RGPP, 2007). Ce phénomène se décline à présent dans un nombre croissant de secteurs : santé, politiques sociales, éducation, recherche, justice, police, défense, immigration. (Berlogey 2010). Toutes ces avancées managériales se sont traduites par un nombre impressionnant de réformes : les « Trente cinq heures », le nouveau management public (NMP), la LOLF, la Nouvelle Gouvernance des Hôpitaux, la tarification à l‟activité (la T2A), la Haute Autorité de Santé (HAS), l‟Hospitalisation à Domicile (HAD), les services de soins à domicile (SSAD), la réforme des services sociaux à l‟hôpital, la réformes du statut des cadre de santé, la réforme de la formation des infirmiers, la loi « Hôpital, Patient, Santé Territoire »… Toutes ces nouvelles conceptions de l‟hôpital ont eu moins de dix ans pour se mettre en place. Il n‟est pas étonnant aujourd‟hui, que cette institution soit en difficulté organisationnelle et ce d‟autant, que les personnels ont dû quasiment s‟adapter sans préparation autres que les circulaires administratives et les réunions d‟informations. Chacun a donc dû faire face au mieux de ses 401 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet dispositions et de son environnement organisationnel. Essayons de comprendre comment ces facteurs ont pu être des facilitateurs ou des obstacles. 4.2 Des facteurs dispositionnels Nous désignons ici sous le vocable de facteurs dispositionnels l'ensemble des modes de faire face que l'individu a monté au long de sa vie pour s'adapter aux situations qu'il a traversées. Les anglo-saxons les désignent sous le terme de coping. La tradition psychanalytique réfère quant à elle au terme de mécanismes de défenses. L'examen de théories de la personnalité ayant tentées de rendre compte du problème posé par l‟adaptation aux incertitudes organisationnelles, que la notion de coping nous est apparue comme des plus pertinentes. C'est à Heider (1944) cité par Dubois (1987) que nous devons les théories sur l'attribution causale forme de théorie de la personnalité. Croyance qui distingue les individus ayant des contrôles interne de ceux qui ont plutôt des attributions externes. Notre société valoriserait largement la notion d'internalité parce que l'individu adapté aujourd'hui doit de se monter responsable de ses actes. Dubois (1987) montre que les individus dits internes semblent mieux s'adapter aux situations auxquelles ils sont confrontés que les externes. Il parait donc intéressant de se pencher sur les réactions de ces internes face aux événements jugés stressants. Anderson (cité par Dubois, 1987) a réalisé une série d'études portant sur les réactions de dirigeants de petites entreprises confrontés à une inondation de leurs locaux. La recherche montre que les internes et les externes ne perçoivent pas de la même façon une situation pourtant objectivement identique. Les externes sont plus sensibles au stress que les internes et réagissent moins bien dans la mesure où ils présentent un nombre important de réactions émotionnelles et peu de comportements réellement adaptés. Cette manière de considérer les facteurs dispositionnels pour le problème qui nous concerne, nous semble peu heuristique pour envisager quelques remédiations possibles. Apprendre à un individu à se comporter en « interne » ne résoudra vraisemblablement pas ses problèmes de stress et d‟adaptation au travail. Deux cardiologues américains, Friedman et Rosenman (1974) suite à l'étude de patients, présentant des troubles coronariens, distinguent deux formes d'adaptation chez les individus. Ils constatent en effet que ces malades ne présentent pas les mêmes symptômes. Leur théorie va consister à scinder la population en deux groupes A et B, cette typologie renvoyant à deux manières différentes de réagir face a une situation stressante. Dans leur vie quotidienne, les individus de type A se caractérisent par : - un esprit de compétition marqué - un désir de réussite sociale ou professionnelle - une hyperactivité 402 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet - de l'impatience - un sentiment d'urgence - une certaine tension qui peut être interprétée comme de l'hostilité à l'égard d'autrui. Les individus de type B peuvent être, quant à eux, décrits comme l'opposé des individus de type A. Ceux-ci n'éprouvent pas de sentiment d'urgence et sont capables de se relaxer sans se culpabiliser... Des études tendent à montrer que le fait de présenter un comportement de type A, double le risque d'accidents cardio-vasculaires indépendamment des facteurs traditionnels de ce risque. Cependant, cette typologie a été largement contestée dans la mesure où un trait de personnalité conduirait une personne à réagir de manière stéréotypée face aux situations pourtant différentes. Rivolier (1989) précise qu'un individu de type B peut quand c'est nécessaire, se comporter de la même façon qu'un individu de type A. Ces théories sont peu opérationnelles pour établir une théorie du changement et la seule chose qu‟on peut en déduire, c'est qu'il y aurait des types de personnalités plus adaptatives que d'autres. C'est l'idée que retient Masclet (2010), en disant que les personnes adaptatives vont utilisées pour faire face aux situations de la vie des copings (stratégies de faire face aux stress interne et externe) adaptés: comme l'anticipation, la capacité d'avoir recours à autrui ce qu'on appelle la faculté d'affiliation, l'altruisme, l'humour, l'affirmation de soi ou l'assertivité, l'auto-observation, la sublimation(sport pour canaliser la colère ou l'art pour canaliser les conflits et la mise à l'écart. Certains auteurs : travaillant avec cette idée, ont isolé le concept de hardiesse comme coping permettant de faire face au stress des soignants, (Kobasa, Maddi et Khan 1982), (Pronost & Tap 1996). Dans ce courant, les chercheurs pensent que le processus de faire face au stress (coping) est en lien avec les caractéristiques personnelles et les ressources de l‟environnement. Ainsi, se référant à Lazarus & Folkman (1984), et l‟idée que les ressources personnelles comprennent les croyances, l‟anxiété-trait et la hardiesse, Kobasa (1982) introduit le contrôle perçu (appréciation subjective de l‟individu sur le degré d‟influence qu‟il a sur l‟environnement) comme la composante essentielle d‟un type de personnalité qu‟il qualifie d‟ « hardi ». La hardiesse se présenterait alors comme la résultante de trois caractéristiques de la personne, à savoir l‟engagement, la maîtrise et le défi (Kobasa, 1982). L‟engagement renvoie à un sens général de volonté, de détermination, de valorisation des activités courantes et des relations interpersonnelles. Il est défini comme une implication totale à l‟interaction personne et environnement. L‟engagement se base sur un sens social Kobasa (1982). Selon les auteurs, l‟engagement s‟oppose à la dépendance sociale, à l‟abandon et à la perte d‟autonomie. C‟est l‟expression du développement des potentiels. 403 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet Le contrôle se caractérise par la maîtrise de soi. Il s‟agit d‟une habileté à décider, à réaliser le choix de ses actions, à développer des capacités d‟interventions personnelles sur les événements. Le contrôle s‟oppose à l‟impuissance et à la manipulation (Kobasa, 1982). Le défi se traduit par un enthousiasme devant les événements porteurs de changements, de développement personnel. Le défi suppose la curiosité et la souplesse adaptative, par l‟anticipation de réalisation pleine d‟intérêts, le défi s‟oppose à la méfiance, mais aussi à la sécurité et à la stabilité (Kobasa, 1982). Plusieurs études menées par le même auteur démontrent une faible prévalence de la maladie et les caractéristiques de la personne hardie. Les sujets en bonne santé sont capables d‟engagement, de contrôle et de défi. Les personnes « hardies » ont conscience qu‟elles ont la possibilité d‟avoir une influence sur les problèmes et une maîtrise des situations. Elles sont engagées dans l‟action et vivent les événements comme autant d‟opportunités de développement personnel. Elles utilisent en priorité des stratégies d‟adaptation actives et cherchent les soutiens de personnes favorisant la résolution des problèmes. Les personnes « non hardies » vivent un fort sentiment d‟impuissance et se laissent déborder par la situation source de stress. Ces dernières supportent moins bien les stress psychosociaux que les plus « hardies » (Steptoe, 1991). Ces personnes développent plutôt des stratégies de faire face au stress défensives telles le retrait et le refus, s‟épuisent émotionnellement et à terme s‟installent progressivement dans l‟épuisement professionnel ou burnout. De nombreuses recherches ont démontré les liens significatifs entre la hardiesse et l‟épuisement professionnel tel que défini par Maslach cité par Pronost &Tap (1997). Le manque de hardiesse des infirmières et l‟épuisement professionnel sont significativement corrélés (Millet-Smith, 1984 ; Keane et al. 1985 ; Topf, 1989). Certains de ces auteurs démontrent que l‟engagement dimension de la hardiesse est la variable la plus prédictive. Les infirmières qui ont une capacité d‟engagement particulière dans le travail sont les moins menacées d‟épuisement professionnel (D‟Ambrosia, 1987 ; Topf, 1989 ; Keane et al. 1985 ; Duquette et al. 1990). Morisette en 1992 montre que les infirmières situées en soins intensifs ont un bon niveau de hardiesse et que plus elles font preuve d‟engagement et de contrôle, moins elles manifestent de l‟épuisement professionnel. Les personnes en difficultés vont au contraire, elles, pour faire face aux stress, utiliser des copings inadaptés telles que des conduites addictives, du burnout et ou des conduites violentes. L'intérêt de présenter les personnalités en difficulté à partir de ces types de copings inadaptés, c'est pouvoir ensuite avoir le choix de mettre en placedes prises en charges préventives à la fois sur les registres individuels mais aussi sociaux et collectifs. 404 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet Ainsi, si l'on se réfère à Pédinielli et al. (1997), citant Jeammet (1995) c'est dans les assises narcissiques de l'individu qu'il faut rechercher l'origine des conduites addictives. Les addictés seraient en effet en difficulté quand il s'agit de rencontrer l'alter. La prévention pourrait alors consister à leur réapprendre l'émotion et notamment l'émotion positive. Quant aux personnes en situation de burnout selon Masclet (2007) leur état de santé serait la conséquence de la quête d‟un idéal de vie déçu. Ne peut-on en déduire que pour elles, la prévention consisterait à admettre et réapprendre que « l‟Organisation » n‟est jamais « Idéale » mais surtout le résultat de compromis démocratiques optimaux. Enfin, à propos de violence (Duroy, 2010), n‟est-il pas loisible de penser que les personnes qui y recourent en fin de compte, devraient réapprendre à marquer le pas et exprimer leur conflit intra et extra psychique autrement que par l'agir c'est-à-dire autrement que par le passage à l'acte ou le retrait apathique et l'agression passive. Ceci nous amène alors à reconsidérer la question des managements dans une perspective plus humaniste qu‟ils ne le sont aujourd‟hui, pour favoriser la hardiesse au travail. 4.3 Des facteurs organisationnels Le Nouveau Management Public que sous-tend, le néo-libéralisme, est en fait un retour à la chrématistique (conception du marché) que dénonçait Aristote. Masclet (2004) pense que cette forme d'économie met l‟individu au centre du dispositif comme le souhaite la position humaniste, mais les motifs ne sont toutefois pas ici les mêmes. Il ne s‟agit plus ici cette fois de mobiliser chez l‟homme des dimensions psychologiques qui lui permettraient de s‟épanouir, mais plutôt de solliciter celles qui le rendront plus performant à la tâche. Pour cela, les techniques sont variées et peu étudiées par les psychologues en France. Ces derniers ont, en effet, deux attitudes humanistes vis-à-vis de celles-ci. Soit, ils les rejettent au nom de la déontologie, soit ils en étudient les effets pour mieux les dénoncer, par exemple dans les études sur le burn-out ou sur le stress. Aubert et al. (1991) nous donnent une idée des moyens utilisés pour mobiliser les opérateurs par devers eux (Masclet, 2004). Les méthodes sont variées et consistent par exemple à mettre l‟individu en tension sur le plan narcissique : par une forte sélectivité au niveau de l‟embauche, par une politique active de gratifications, par une image de toute puissance, par une ambiance élitiste… Une autre technique consiste à faire en sorte que l‟individu mobilise ses mécanismes de défenses contre l‟angoisse, pour renforcer son investissement au travail : par la mobilité et la flexibilité des structures, par des calendriers très chargés, par la résolution des problèmes dans l‟urgence, par la survalorisation 405 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet de l‟action…Un troisième procédé tend à canaliser l‟énergie libidinale sur des objectifs productifs : par l‟exigence du toujours plus, par la domination des exigences commerciales. Ces techniques managériales reposent sur un ensemble de représentations (des images, des valeurs, une culture d‟entreprise, une éthique, une philosophie basée sur un idéal commun) et un modèle de personnalité (fondé sur le désir de réussite, d‟aimer la compétition et le challenge, la réalisation de soi dans le travail, l‟accomplissement personnel, le goût de la communication). Elles s'appuient sur l‟idée que la mobilisation des ressources humaines et l‟implication des hommes, avec eux ou malgré eux, constituent le facteur essentiel de l‟efficacité des entreprises. Dès lors, les dimensions psychologiques du management prennent une importance considérable. Il se noue, en effet, une relation interactive entre la structure psychique et la structure organisationnelle qui suppose une adéquation entre le profil structurel et fonctionnel de l‟organisation et la personnalité des salariés. Ce système « socio- mental » du management moderne se paie d‟un fort coût humain. Les bénéfices psychologiques : accomplissement personnel, narcissisme, plaisir, créativité…sont contrebalancés par des brûlures psychiques comme le stress, la dépression et la désillusion. Ainsi, dans les organisations qui ont pris le pas de cette pseudomodernité on ne parle plus d'obéissance, de discipline, de conformité à la morale, mais de flexibilité, de changement, de rapidité de réaction, etc… Maîtrise de soi, souplesse psychique et affective, capacités d‟actions font que chacun doit endurer la charge de s‟adapter en permanence. Gagneurs, aventuriers et autres battants ont envahi le paysage imaginaire de l'entreprise. Chacun doit partir à la conquête de son identité personnelle, et viser la réussite sociale par l‟initiative individuelle et personnelle. Remédier, pour prévenir du stress, va donc consister à promouvoir des managements, comme ceux, que prônaient Likert ou Argyris cités par Masclet (2004). C'est-à-dire manager en donnant du sens au travail. 5. En conclusion donner du sens au travail, c’est manager humainement et efficacement Le sens du travail c'est d'abord du sens pour soi. Il y a une hiérarchie du sens ou plusieurs sens que l'individu donne à son travail. Manager c‟est considérer ces sens. Le sens peut être donné par la satisfaction que l'individu tire de son travail ou de son activité. Pour Herzberg et al. (1959), la satisfaction au travail dépend beaucoup plus de facteurs intrinsèques tels que la nature de la tâche, le niveau de 406 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet responsabilité, ou encore la possibilité de développer ses compétences... que de facteurs extrinsèques comme le salaire ou encore les relations entre collègues. Une autre idée développée par Maslow (1946), évoque une hiérarchie de besoins qui pourraient donner du sens au travail. Pour cela, il distingue cinq types de besoins qu'il hiérarchise sous forme de pyramide. Ce sont d‟abord les besoins physiologiques, le salaire de l'individu lui permet ainsi de manger, boire, s'abriter. Viennent ensuite, les besoins de sécurité, l'entreprise assure la sécurité telle que la sécurité de l'emploi, la protection sociale, la protection de la santé. Ce sont aussi les besoins d'appartenance, ou besoins liés aux relations sociales, qui concernent le besoin pour l'individu d'entretenir des relations interpersonnelles satisfaisantes sur le lieu de son travail. Puis viennent les besoins d'estime de soi et d'estime de la part d'autrui (collègues de travail et supérieur hiérarchique). Ce sont enfin, les besoins d'accomplissement ou d'actualisation de ses compétences tels que le développement des capacités et l'épanouissement dans la réalisation de l'activité. Mais selon Masclet (2010), le sens de l'activité est plus profond. Le : « Travailler plus pour gagner plus » n'a pas rallié les foules. Il constate qu‟aujourd‟hui les individus souhaitent de plus en plus de temps pour euxmêmes. Temps qu'ils désirent utiliser à des fins personnelles et qui donne du sens à leur vie. Temps pour profiter des enfants qui grandissent, temps à consacrer à la famille, aux amis, aux loisirs. Beaucoup se posent la question d‟une nouvelle spiritualité, qui, sans toujours devoir leur donner une réponse au sens de la vie, au moins, n'en néglige pas une spéculation que de toute façon le « tout travail » occulterait. Nous vivons, dans cette postmodernité, une époque de remise en cause complète de la signification du travail. Nous ne pouvons plus souscrire aujourd‟hui, à la religion du travail comme les hommes de l'après seconde guerre mondiale. Ces hommes à l'esprit puritain qui voyaient dans le travail une exaltation du « dieu du Progrès », une dévotion à la religion du sacrifice dans le travail. Nous vivons un temps dans lequel les vielles valeurs du travail et de la famille sont devenues désuètes. Pourquoi ? Parce que la consommation de masse a pris une ampleur démesurée. Les mentalités se sont modifiées dans le sens d'une idéologie de la consommation. La postmodernité vise globalement la promotion du plaisir et ne prône plus l'effort et le sacrifice. Pour Lipovetsky (1992) : « L'avènement de la société de consommation de masse et ses normes de bonheur individualiste ont joué un rôle essentiel : l'évangile du travail a été détrôné par la valorisation du bien-être, des loisirs et du temps libre ». Ce sont les valeurs hédonistes qui mesurent toutes les autres valeurs, si donc le travail doit conserver un attrait, il faut qu'il puisse participer de la « fun morality de notre époque ». Mais la contradiction n'est pas mince en l'affaire : c'est la même société qui au début du 20ème siècle professait la morale du travail, en même temps qu‟elle entreprenait de le déshumaniser pour transformer l'ouvrier en automate 407 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet sans pensée (Lemoine-Masclet 2007). Du coup, dans la postmodernité, une opinion s'est définitivement installée dans nos mentalités : la vie commence après le travail. La vie, c'est mener la « vraie vie », celle qui commence après le labeur quotidien quand on peut s'amuser. Cela veut dire que l'homme postmoderne vit dans la représentation de la dualité travail/loisir. Dans l'usine moderne, l'ouvrier travaille seulement pour de l'argent et il commence à vivre quand il sort du boulot, quand il prend des vacances. Huit heures par jour il s'ennuie. Onze mois sur douze il s'ennuie. La vraie vie est ailleurs, après le travail, elle est dans le loisir, les plaisirs quotidiens, elle est dans la consommation, elle commence affalée sur le canapé devant la télévision. Et comme elle n'est pas dans le travail, il faut donc multiplier les ponts, ménager des horaires flexibles, le temps du travail, pour sans cesse gagner de la vie en temps libre. L‟hédonisme postmoderne prétend d‟ailleurs qu‟on ne peut profiter de la vie qu‟en dehors du temps de travail. Le travail procure l‟argent, qui à son tour permet d‟acheter le bonheur sur les étalages, les vacances, les choses dont on rêve, c‟est-à-dire une manière de profiter de la vie. La publicité est là pour inciter sans cesse le consommateur à fuir en rêvant. Tant que la conception du travail sera sous tendue par le profit, celui-ci restera un moyen qui permet l‟euphorie de la consommation. L‟existence ne pourra avoir d‟autre sens que de gagner davantage, pour avoir plus. Nous serons incapables de voir dans le travail autre chose qu'un moyen de profiter, de capitaliser. Mais cela vaut-il vraiment la peine de perdre sa vie, tout en cherchant à la gagner ? Ne sommes-nous pas piégés par la représentation postmoderne de la vie ? Que cherchons-nous exactement dans le travail ? La plupart d‟entre nous répondraient : « un moyen de gagner de l‟argent ». Mais, inconsciemment, la nécessité qui nous pousse à chercher du travail et à vouloir travailler n‟estelle vraiment qu‟économique ? En fait, n'est ce pas la jouissance entière de la « Vie » que nous cherchons ? Et celle-ci n'est pas seulement qu‟en dehors du travail. Elle est aussi dedans. Au fond de nous, chacun aspire à un travail qui soit l‟accomplissement de soi car travailler c'est aussi se réaliser. Nous cherchons dans le travail un vrai plaisir, une satisfaction, une reconnaissance sociale. Nous cherchons dans le travail une justification, du sens à donner à notre vie. Nous avons besoin de nous sentir utile pour les autres et de nous sentir existé à nos propres yeux. Il y a donc beaucoup d‟hypocrisie à ne vouloir justifier le travail, que dans des motifs purement économiques. Les vraies raisons sont bien plus profondes. Chacun travaille pour l‟estime de soi. Comme le dit Kant (1784), chacun travaille pour soi. Fondamentalement, et même si cette conscience n‟est pas très claire, nous ne travaillons pas pour avoir, mais surtout pour être et nous sentir être davantage. C‟est la raison pour laquelle le travail peut nous procurer de la joie. Il ne s‟agit donc pas seulement de chercher à gagner sa vie tout en la perdant, ce que font hélas la plupart des gens, en ne voyant de justification du travail que du point de vue économique. Il s‟agit 408 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Georges Masclet plutôt de gagner sa vie, tout en gagnant la Vie. La nécessité qui pousse l‟homme à travailler, c‟est la nécessité de s‟accomplir en tant qu‟être humain. Le travail, comme toute autre activité, est une forme d‟expansion de la conscience, une jouissance et conquête de soi. Mais attention, cela dépend d'une condition, renouveler entièrement notre compréhension du travail, en explorant en profondeur la dimension de la conscience dans le travail, en regardant le travail sous son angle phénoménologique. La conscience qui travaille est une conscience qui se plonge dans une action qui contribue à une œuvre. L‟expansion de soi dans une œuvre qui en est la clé, c‟est manifestement le sens originel du travail, c‟est à dire l‟essence de la pensée humaniste. En fin de compte un management pour l‟homme épanoui et non contraint. Où mieux qu‟à l‟hôpital, un tel projet doit-il être actualisé ? Références Argyris, C. (1970). Participation et organisation (trad.fr.), Paris, Dunod. Aubert, N. Gruere, J-P., Jabes, J., Laroche, H.,Michel, S. (1991). 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