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LUNDI 11 JUIN 2012 LES ECHOS
LE NOUVEAU SAUVETAGE EUROPÉEN
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BANKIA, LA BANQUE QUI
A FAIT TOMBER L’ESPAGNE
La mauvaise gestion de la nationalisation de Bankia a précipité l’Espagne dans une crise de confiance qui,
ajoutée à la tourmente menaçant la zone euro depuis maintenant deux ans, a mis le pays à genoux.
S
’il existait un manuel apprenant comment nationaliser
une banque, Bankia serait
très certainement l’exemple
de ce qu’il ne faut pas faire.
« Les cas de Dexia et de Bankia montrent que, quand
nous sommes confrontés à de dramatiques
nécessités de recapitalisation, la réaction
des gouvernements ou des superviseurs
nationaux est de sous-estimer l’importance
du problème, de présenter une première
évaluation, puis une deuxième, une troisième, une quatrième », a récemment critiqué le président de la Banque centrale
européenne (BCE), Mario Draghi.
La nationalisation de la quatrième banque espagnole, Bankia, a effectivement
donné lieu à un « bal de chiffres », comme
on dit ici, qui a largement contribué à la
confusion ambiante. Le 9 mai dernier,
l’entrée de l’Etat au capital de Bankia s’était
pourtant faite selon des modalités assez
simples : la conversion en actions d’un prêt
public accordé au groupe en 2010, pour un
montant de 4,5 milliards d’euros. Mais,
deux semaines plus tard, le nouveau président de Bankia, José Goirigolzarri, annonçait que sa banque avait besoin de 19 milliards d’euros supplémentaires, ébranlant
définitivement la confiance des marchés…
l’économie peine à repartir, puis retombe
en récession, la banque n’a que peu de
capacité de générer des bénéfices tandis
que la gestion des actifs toxiques demande
chaque trimestre de nouvelles provisions.
A son arrivée au pouvoir, en décembre 2011, le gouvernement de Mariano
Rajoy (PP) sait qu’il doit donner un dernier
coup de collier à la restructuration du secteur financier espagnol et gérer le « cas
Bankia ». Sa stratégie est de durcir les exigences de provision des actifs immobiliers
problématiques, forçant les entités les plus
Malgré les précautions
du ministre de l’Economie,
Luis de Guindos, qui insiste
sur la spécificité du cas
Bankia, les marchés
extrapolent
et s’inquiètent pour
l’ensemble du secteur
bancaire espagnol.
faibles ne pouvant fournir ce genre
d’efforts à se rapprocher des plus fortes.
L’exécutif pousse donc à une fusion avec
CaixaBank, la numéro trois du pays basée à
Barcelone. Mais l’opération ne se fait pas,
pour une série de raisons financières et
politiques.
Le régulateur pousse
les « cajas » à fusionner
entre elles. Problème,
explique un analyste,
la Banque d’Espagne ne joue
pas correctement son rôle
d’arbitre et autorise
des fusions essentiellement
guidées par des
considérations politiques.
Des projets pharaoniques
Déjà, le ver est dans la pomme. Bancaja est
l’une des trois principales entités financières de la communauté de Valence – avec la
CAM et Banco de Valencia. Cette région est
connue pour ses projets pharaoniques,
comme sa géante Cité des arts et des sciences (comprenant notamment un Opéra,
un planétarium et le plus grand aquarium
d’Europe), aujourd’hui endettée de plus de
700 millions d’euros… La construction de
ces projets démesurés, financée par les
fameuses caisses d’épargne reposait sur
des critères politiques – chaque région
voulait son Guggenheim, son aéroport, sa
liaison TGV, etc. – plus qu’économiques. Ils
se sont rapidement révélés peu rentables,
entraînant la faillite de nombreux constructeurs, promoteurs et financiers quand
la bulle immobilière a fini par exploser,
REUTERS
Bankia, c’est l’histoire d’un problème
sans cesse repoussé et grossissant comme
une boule de neige que l’on ferait rouler.
Pour comprendre ce mauvais film, il faut
revenir au premier semestre 2010. C’est
alors l’effervescence dans le secteur des
caisses d’épargne espagnoles. La Banque
d’Espagne veut forcer ces entités financières – très ancrées sur leurs terres d’origine,
souvent dominées par les politiques et
opérant comme de véritables banques de
« développement régional » – à se professionnaliser et à se restructurer. Il s’agit en
somme de briser les liens incestueux entre
la finance et la politique. Le régulateur
pousse donc les « cajas » à fusionner entre
elles. Problème, explique un analyste, la
Banque d’Espagne ne joue pas correctement son rôle d’arbitre et autorise des
fusions essentiellement guidées par des
considérations politiques. C’est le cas de
Bankia, composé le 10 juin 2010 entre les
deux grandes, Caja Madrid et Bancaja, et
les cinq petites, Caja de Canarias, Caja de
Avila, Caixa Laietana, Caja Segovia et Caja
Rioja. Caja Madrid et Bancaja, respectivement issus des régions de Madrid et de
Valence, deux communautés gouvernées
depuis longtemps par le Parti populaire
(PP), sont considérés comme des « cajas
du PP ». « Il s’agissait de faire la grande
caisse du PP », dénonce un observateur.
Des erreurs de communication
Bankia « trompe, escroque et laisse les gens sans maison », denonce l’écriteau brandi par ce manifestant devant une succursale
de la banque, à Madrid, début juin.
LA QUATRIÈME BANQUE
DU PAYS
- 298 milliards d’euros d’actifs.
- 12 millions de clients.
- Ratio de fonds propres de 9,5 %
post-recapitalisation.
- Taux de couverture
du portefeuille
lié à l’immobilier de 44,5 %
post-recapitalisation.
- Taux de couverture sur
l’ensemble des prêts de 13,1 %
après recapitalisation.
voilà plus de quatre ans. Est-ce un hasard si
Bancaja, la CAM et Banco de Valencia ont
tous les trois dû être nationalisés ? Si la
bulle immobilière ne se limite pas à la
région de Valence, celle-ci résume bien ses
excès avec ses scandales de corruption à
répétition. Dans la région madrilène aussi,
Caja Madrid a financé des projets fragiles,
pour des raisons éminemment politiques…
32 milliards d’actifs problématiques
Additionner plusieurs problèmes n’a
jamais permis de les résoudre. C’est pourtant l’erreur qui a été faite avec la constitution de Bankia. Car d’emblée, le groupe,
issu de la fusion et qui opère sous cette
marque depuis mars 2011, s’est retrouvé
grevé par 32 milliards d’euros d’actifs problématiques, c’est-à-dire des prêts aux promoteurs et aux constructeurs non remboursés, et d’actifs saisis à la suite des
impayés (des terrains, des immeubles à
moitié construits, des logements terminés, etc.). Qu’importe ! La banque décide
de se débarrasser d’une grande partie de
ces actifs toxiques en se scindant en deux :
d’un côté, BFA, qui récupère les actifs saisis
les plus problématiques (le foncier notamment) ainsi que les participations dans les
grandes entreprises espagnoles (pour
avoir un revenu financier grâce aux dividendes) ; de l’autre, Bankia, qui récupère
toute l’activité bancaire du groupe. Les
deux entités s’articulent ainsi : les sept caisses, vidées de leur activité financière,
détiennent chacune une participation
dans BFA, qui, elle-même, détient une participation dans Bankia.
Ce schéma complexe vise à « nettoyer »
Bankia avant son entrée en Bourse, prévue
pour juillet 2011. Un durcissement de la
législation espagnole en matière de fonds
propres l’oblige en effet à lever des fonds
sur les marchés. L’opération est conduite à
marche forcée. Quasiment toutes les
autres entités financières espagnoles
l’appuient : Bankia était déjà considéré
comme « systémique », un échec de l’opération aurait eu des conséquences sur
l’ensemble du secteur et l’économie espagnole tout entière. Mais les investisseurs
sont méfiants et Bankia doit « faire appel »
à ses clients pour écouler ses actions
(aujourd’hui, alors que le titre a perdu plus
de 70 %, les petits actionnaires se sont réunis pour déposer des plaintes auprès de la
justice). Tant bien que mal, l’introduction
en Bourse peut se faire, mais avec une très
importante décote de 60 % sur la valeur
comptable du groupe : Bankia réussit à
lever 3 milliards d’euros.
Le répit sera de courte durée. Sous couvert d’anonymat tant le sujet est délicat, les
analystes pointent régulièrement Bankia
comme le problème à régler. Alors que
Bankia, dirigé depuis début 2010 par
Rodrigo Rato, ancien ministre de l’Economie sous José Maria Aznar (PP) et ancien
directeur du Fonds monétaire international (FMI), assure qu’elle peut faire face
seule aux nouvelles exigences du gouvernement. La Banque d’Espagne approuve
d’ailleurs, sous condition, le plan qu’il présente fin mars pour s’y conformer. Il semble que ce feu vert n’ait pas plu au ministre
de l’Economie, Luis de Guindos. Certains
laissent entendre que c’est lui qui a
demandé au FMI d’inclure, dans son rapport préliminaire sur le secteur financier
espagnol publié le 25 avril, une allusion à
peine voilée à la situation de Bankia. Rapport qui va précipiter les événements :
quelques jours après, l’auditeur jette
l’éponge en refusant de signer les comptes,
qu’il juge gonflés, puis Rodrigo Rato
démissionne le lundi 7 mai.
Deux jours après, Bankia est nationalisé.
C’est là que commence la descente aux
enfers pour l’Espagne, matérialisée par
une hausse de ses taux d’emprunt sur les
marchés. Malgré les précautions de Luis de
Guindos, qui insiste sur la spécificité du cas
Bankia, les marchés extrapolent et
s’inquiètent pour l’ensemble du secteur
bancaire espagnol. En appliquant les très
exigeants critères de provision et de recapitalisation de Bankia au reste de la profession, les analystes mettent en évidence une
facture supplémentaire de 60 à 90 milliards
d’euros, soit entre 6 % et 9 % du PIB. Par
comparaison, le sauvetage de ses banques
a coûté 35 % du PIB à l’Irlande. Il y a trois
ans, alors qu’elle empruntait encore à des
taux bas, l’Espagne aurait pu lever ellemême ces fonds sur les marchés. Mais des
taux à 10 ans à plus de 6 %, comme
aujourd’hui, ne permettent pas d’émettre
de telles quantités de dette pour recapitaliser ses banques. Dans ce contexte, les
erreurs de communication du gouvernement de Mariano Rajoy, incapable d’expliquer clairement les mesures prises ces derniers mois, à commencer par la
nationalisation de Bankia, n’ont fait
qu’aggraver la situation. En sapant la confiance des opérateurs. « Dans la situation
difficile que traverse l’économie espagnole,
la variable la plus critique n’est pas la croissance ni le chômage mais la détérioration
de la confiance », jugeait vendredi Miguel
Angel Fernandez Ordoñez dans son dernier discours en tant que gouverneur de la
Banque d’Espagne. Cette confiance, Bankia comme l’ensemble des banques espagnoles doivent maintenant s’attacher à la
reconquérir. Leur tâche est immense.
JESSICA BERTHEREAU
CORRESPONDANTE À MADRID