le nouvel espace électoral portugais
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le nouvel espace électoral portugais
François GUICHARD, Lusotopie 1996, pp. 29-39 LE NOUVEL ESPACE ÉLECTORAL PORTUGAIS (JANVIER 1996) < N Minho ? Bragança ? Viana do Castelo MINHO < ? Braga PORTO TRÁS-OS-MONTES ? Vila Real ? Douro OCÉAN Aveiro ? Viseu ? ? Guarda BEIRAS ATLANTIQUE Coimbra ? Mondego ESPAGNE ? Castelo Branco Leiria ? < Tage Portalegre ? Santarém ? ESTREMADURA RIBATEJO LISBONNE Altitude (m) ? < ? Setúbal ? 1 000 Évora 500 ALENTEJO 200 0 Sado MINHO ? Beja ? Braga 0 Région naturelle Chef-lieu de district 50 100 km Des. : F. GUICHARD ALGARVE ? Faro Guadiana LE PORTUGAL CONTINENTAL 30 François GUICHARD AÇORES MADÈRE Hab./km2 1000 500 200 100 50 20 0 50 100 km Des. : F. GUICHARD Densité de la population au dernier recensement (1991), par "concelhos" LE NOUVEL ESPACE ÉLECTORAL PORTUGAIS La population portugaise (10 millions de personnes) se concentre sur l'étroite plaine littorale occidentale, notamment autour des deux agglomérations majeures de Lisbonne (2,5 millions d'habitants) et de Porto (1,2 million), ainsi que dans les bassins encore semi-ruraux du Minho central. L'émigration des années 1960-70 a surtout dépeuplé les campagnes du Nord-Est montagneux, et d'abord les plus périphériques. Au contraire, c'est surtout l'exode rural vers Lisbonne qui s'est alimenté des gros bourgs d'ouvriers agricoles sans terres de l'Alentejo. L'Algarve horticole et touristique a mieux résisté. Le Portugal est devenu ces dernières années un pays majoritairement urbain, l'exode rural se nourrissant de la fin de l'émigration massive, de la déprise agricole en voie d'accélération et de la scolarisation enfin généralisée. 31 32 François GUICHARD Viana do Castelo Vila Real Braga Bragança Porto AÇORES Aveiro Viseu Guarda % des voix obtenues par Jorge SAMPAIO (PS, centre gauche), ÉLU MADÈRE Coimbra < 30 % Castelo Branco 30 - 39 % 40 - 49 % Leiria 50 - 59 % Santarém Portalegre 60 - 69 % 70 % et + Lisbonne Moyenne nationale : 53, 8 % Setúbal Évora Des. : F. GUICHARD Beja Faro PORTUGAL Élections présidentielles 1996 Résultats par districts Aux élections présidentielles de janvier 1996, il n'y a eu finalement que deux candidats en lice : Anibal Cavaco Silva, premier ministre sans discontinuer de 1985 à 1995, et Jorge Sampaio, jusqu'alors maire de Lisbonne. Il en est résulté une nette bipolarisation droite-gauche de l'électorat. Il en allait de même il y a dix ans, mais au second tour seulement, lorsque Mário Soares (PS) l'avait finalement emporté sur Diogo Freitas do Amaral (CDS, droite) avec un écart de voix un peu plus serré qu'aujourd'hui (51,2 % contre 48,8 % des voix). Ce qui est étonnant — plus qu'un résultat en réalité attendu par les observateurs, pour sanctionner une certaine usure du pouvoir au quotidien — c'est l'extraordinaire stabilité géographique de l'électorat qu'expriment ces deux cartes. LE NOUVEL ESPACE ÉLECTORAL PORTUGAIS 33 Viana do Castelo Vila Real Braga Bragança Porto AÇORES Aveiro Viseu Guarda % des voix obtenues par Anibal CAVACO SILVA (PSD, centre droit) MADÈRE Coimbra < 30 % Castelo Branco 30 - 39 % 40 - 49 % Leiria 50 - 59 % Santarém Portalegre 60 - 69 % 70 % et + Lisbonne Moyenne nationale : 46, 2 % Setúbal Évora Des. : F. GUICHARD Beja Faro PORTUGAL Élections présidentielles 1996 Résultats par districts Les plaines de l'Alentejo méridional restent les bastions forts de la gauche, de façon aussi spectaculaire qu'au temps pourtant bien révolu de la réforme agraire (1975-79). À gauche inclinent aussi, mais plus modérément, les régions urbaines de Lisbonne, Porto et Coimbra. Par contre, les campagnes du Nord et des archipels atlantiques continuent de voter en forte majorité à droite. Vingt ans passés de démocratie et d'élections répétées, le corps électoral portugais fait preuve d'une extrême continuité, alors même que ses modes et conditions de vie se sont entretemps profondément modifiés, notamment par les effets d'une urbanisation rapide et de la montée en puissance parallèle des activités tertiaires. 34 François GUICHARD Porto Açores Madère Abstentions moyenne nationale : 33,6 % 23,7 - 29,9 % 30 - 33,5 % 33,6 - 37 % Lisbonne 37,1 - 45 % 45,1 - 57,2 % 0 50 100 km Des. : F. GUICHARD PORTUGAL Élections présidentielles 1996 Résultats par "concelhos" LE NOUVEL ESPACE ÉLECTORAL PORTUGAIS Les taux les plus élevés correspondent pour l'essentiel aux régions qui combinent les handicaps naturels et socio-économiques : terres de forte émigration ou d'exode rural (Nord-Est montagneux, régions frontalières, Sud-Ouest alentejan et "serra" d'Algarve, Açores, côte Nord de Madère). Ce sont des pays accidentés, isolés, où la population vieillit et où les friches progressent. L'abstention s'y comprend d'autant mieux quand on sait que les émigrants n'ont pas, jusqu'à présent, droit de vote à distance pour les élections présidentielles, contrairement aux législatives. Mais elle est également significative dans quelques "concelhos" méridionaux à forte tradition communiste, comme en Alentejo (Serpa) ou à l'Est de Lisbonne : c'est alors peut-être une forme de protestation contre l'absence de candidat représentant une gauche plus radicale. 35 36 François GUICHARD Porto Açores Madère Votes A. CAVACO SILVA (PSD) moyenne nationale : 46,2 % < 50 % 50 - 59,9 % 60 - 69,9 % 70 - 79,9 % Lisbonne 80 % et + 0 50 100 km Des. : F. GUICHARD PORTUGAL Élections présidentielles 1996 Résultats par "concelhos" LE NOUVEL ESPACE ÉLECTORAL PORTUGAIS Compte tenu de la personnalité contrastée du candidat, représentant certes la droite, mais aussi symbole des années de modernisation accélérée que le pays vient de traverser, son succès paraissait pouvoir résulter d'une synthèse des votes conservateurs et modernistes. C'est justement là qu'il a échoué, car ce sont nettement les premiers qui l'emportent. Le vote Cavaco Silva est partout minoritaire dans le Sud : on pouvait s'y attendre. Mais il en va de même en Algarve, dont le tissu social et la tradition politique sont plus hétérogènes (à l'exception de Loulé, "concelho" d'origine de l'ex-premier ministre). Surtout, il ne l'a guère emporté que dans le "rural profond" et a perdu non seulement dans les grandes agglomérations, mais aussi dans les espaces semi-urbanisés et les villes moyennes comme Braga, Guimarães, Coimbra, Guarda, Covilhã. Le Portugal jeune et urbain a peut-être moins manifesté sa soif de modernité que sa peur du chômage et de la déchirure sociale. 37 38 François GUICHARD Porto Açores Madère Votes J. SAMPAIO (PS) moyenne nationale : 53,8 % < 50 % 50 - 59,9 % 60 - 69,9 % 70 - 79,9 % Lisbonne 80 % et + 0 50 100 km Des. : F. GUICHARD PORTUGAL Élections présidentielles 1996 Résultats par "concelhos" LE NOUVEL ESPACE ÉLECTORAL PORTUGAIS La victoire de Jorge Sampaio n'a pourtant rien d'un raz-de-marée. Il l'a certes emporté en régions urbaines, mais en général d'une courte tête, même dans la capitale qui l'avait choisi pour maire : le choix paraît avoir été plus guidé par la raison que par l'enthousiasme. Une nouvelle fois, ce sont les terres plus radicales de l'Alentejo rural, des banlieues populaires au Sud de Lisbonne (Barreiro) ou au Nord de Porto (Matosinhos) et de quelques foyers industriels isolés, d'ailleurs en crise aiguë (Marinha Grande, Covilhã) qui votent le plus fidèlement à gauche, même si c'est pour un candidat plus modéré qu'elles ne le souhaiteraient peut-être. À gauche comme à droite, le scrutin bipolaire a donc une nouvelle fois tiré vers le centre les petits de tous bords, les marginalisés du tissu social, voués au rôle de force d'appoint pour des projets politiques où ils ne pourront sans doute se retrouver qu'imparfaitement. Mais aurait-il pu en aller autrement ? Mars 1996 François GUICHARD CENPA/CNRS, Bordeaux 39