baromaitre-n-12-mars-2011
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BAROmaître n° 12 - MARS 2011 Le dossier de la rédaction Liberté d’expression : plume et image Interview de M. Jacques Degrandi Avocats Sans Frontières France Maître Eolas en vingt questions Droit du Sexe SOMMAIRE I. LE DOSSIER DE LA RÉDACTION : LIBERTÉ D’EXPRESSION : plume et image PLUME ET LIBERTÉ D’EXPRESSION •Qui veut museler « les chiens de la démocratie » ? •Le secret des sources : Interview de Gérard Davet •« Le procès de Jacques Chirac », le roman d’un procès rêvé IMAGE ET LIBERTÉ D’EXPRESSION •Les procès historiques •La pratique photographique confrontée au droit à l’image •Interview de Maître Brossolet •Jeux en ligne : les enjeux d’un nouveau marché •Droit au pari : un bras de fer engagé, un débat apaisé VI. LE PASSÉ AU PRÉSENT II. LA VIE DU BARREAU •Interview de M. Jacques Degrandi, Premier président de la Cour d’appel de Paris •Le pôle 5 : « Vie économique » par Thierry Fossier, animateur du pôle 5 de la Cour d’appel de Paris V. CARTE BLANCHE : JEUX EN LIGNE •L’affaire Caillaux ou la comédie judiciaire de la IIIème République •Maître Eolas en vingt questions •Entretien avec Maître Jean-Denis Bredin •Entretien avec Jacques Attali •La Cour d’appel de Bordeaux : quand la vindicte s’en fût VII. L’AGENDA DE L’EFB •Juriscup 2010 •L’éloquence à Conférence •Interview de Maître Vanessa Boussardo l’EFB : la Petite III. DOSSIER BIS : DROIT DU SEXE VIII. EVASIONS CULTURELLES •Le fléau de la pédopornographie sur Internet •Le droit et la prostitution •Les maisons closes : du droit du sexe au droit au sexe •De l’art et la manière de séduire : grivois et obsédés s’abstenir •Handicap et sexualité : vers un droit à la sexualité •La solitude des avocats démentie par les séries télévisées sur le monde judiciaire ? •Interview de Caroline Vigneaux •Acteurs Avocats Associés : Rencontre avec Maître Adrien Pelon •La voix de son maître IV. HORS DES CÔTES IX. LES BONNES TOQUES •Avocats Sans Frontières France : « là où la défense n’a plus la parole » •La Transnistrie : Voyage au pays des derniers soviets •Restaurants italiens •La recette du Baromaître 3 L’EQUIPE EDITORIAL Directrice de la rédaction et de la publication : Sarah mauger Y a-t-il matière à se réjouir de l’accès, pour la deuxième fois, d’une femme au poste de bâtonnier? Et faut-il être une pétroleuse pour saluer l’élection de madame Christiane Feral-Schuhl ? On peut supposer, d’abord, qu’un peu plus d’un sur deux parmi nous pourra, sinon s’en féliciter, du moins ne pas s’en offusquer. Selon le ministère de la Justice, les femmes représentaient, en effet, 50,5 % des 50 314 confrères du barreau de Paris en février 2010 et près de 52 % en septembre 2010, alors que certains barreaux comptent plus de 60 % de femmes et que la féminisation de la profession n’a pas cessé de s’accentuer. Les femmes sont aussi plus nombreuses à être titulaires du Capa : 60 % pour les trois dernières promotions et cette proportion ne peut que croître puisqu’une très large majorité des élèves de la promotion 2011de l’EFB est féminine. Cette nouvelle donne démographique s’est également exprimée au plus haut niveau du barreau parisien. Sur les trois candidats au poste de bâtonnier, deux femmes étaient en lice. A vrai dire, il y a plutôt lieu de s’étonner que, jusqu’aux dernières élections, une seule femme ait pu accéder aux fonctions de bâtonnier de Paris. Faut-il comprendre que les hommes – mais peut-être aussi les femmes ? – accordent plus volontiers leur confianceàunhomme?Ouquelesfemmesentérinentleurposition dominée par une autocensure qui les dissuade de se présenter aux postes de responsabilité ? 2006 des cabinets d’avocats d’affaires), la persistance des disparités de revenus (après 10 ans d’exercice, le revenu moyen des hommes est deux fois plus élevé que celui des femmes) et les « sanctions » de fait de la maternité (25 % des femmes n’ont pas pris de congé maternitéet7%ontétélicenciéesenfindegrossesse). Christiane Feral-Schuhl appelait, entre autres mesures, à combattre une « discrimination culturelle latente toujours d’actualité ». Il faut s’en réjouir. Et si le bâtonnier n’a pas vocation à « changer le monde », du moins peut-on espérer qu’il puisse accompagner l’évolution morphologique de la profession, en faisant voler en éclats le « plafond de verre », en favorisant l’accès des femmes aux domaines majoritairement réservés aux hommes – les « affaires » et le pouvoir – et en les détournant de leur orientation traditionnelle vers les « petites structures », le « psychologique » et le « social ». Peut-être alors, l’adage des barreaux de France, qui voudrait que lorsqu’on plaide il n’y ait « point de sexe sous la robe », cessera-t-il d’êtreunepieusefiction? Sarah Mauger - Promotion Jacques Attali - Série N L’histoire débute au siècle dernier. Sous l’impulsion de René Viviani et Raymond Poincaré, la loi du 4 décembre 1900 permettant « aux femmes munies de diplômes de licence en droit, de prêter serment d’avocat et d’exercer cette fonction » est votée. Quelques jours plus tard, Jeanne Chauvin, docteur en droit, enseignante et militante de l’émancipation, prête serment et devient la première avocate de France, en dépit d’une une violente campagne misogyne. Il faut attendre 1950, pour voir la première femme élue au conseil de l’ordre – madame Lucile Tinayre-grenaudier – et le 30 novembre 1996, pour que madame Dominique de la garanderie remporte l’élection du dauphinat. Certes les temps changent : avec la féminisation de la profession, le combat est moins frontal. Quand, pour la première fois, avec la promotion Jean-Denis Bredin, l’effectif féminin a dépassé celui des hommes, une femme a été élue bâtonnier. mais certaines résistances restent fortement ancrées dans les mentalités. En témoignent l’accès limité des femmes à des postes de direction, leur sous-représentation parmi les associés des grands cabinets d’affaires (293 femmes sur les 1.371 associés des 110 cabinets d’affaires parisiens, soit 21,37 % selon La radiographie Le Baromaître 63 rue de Charenton 75012 Paris http://www.baromaitre.com Imprimeur : DILA - Paris Comité de rédaction : michael Fraysse Pierre-Emmanuel Frogé Sophie Joly grégoire Kopp Fanny Léger Léopold Lemiale Sarah mauger Hadrien Pellet mathilde Saltiel Directrice artistique : marion grateau Auteurs : Clémentine Bacri Lucie Berges Laurent Bonnet Florent Cardinaud guillaume Chiron Pierre-Emmanuel Frogé A.g. Philippe Herbeaux Sophie Joly grégoire Kopp Caroline Laverdet Anne Lejeune Léopold Lemiale Hadrien Pellet Tiphaine Renvoise mathilde Saltiel Vandrille Spire Claire Tordjman R. V. Romain Vanni Comité de relecture : marion grateau Fanny Léger Sarah mauger Hadrien Pellet mathilde Saltiel Photographes : Florent Cardinaud marion grateau Léopold Lemiale Illustration de couverture : Florent Cardinaud 4 5 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image DOSSIER DE LA REDACTION Introduction Introduction L’actualité se nourrit de faits, et par la force des choses, le journaliste aussi. Les lecteurs sont plus capricieux, et s’abreuvent de sensationnel, d’incongru, d’insolite. Pour cela, force est pour le journaliste de dénicher l’info et de trouver la photo qui fera le « buzz » et soulèvera l’opinion. La liberté d’expression du journaliste pose alors nombre de questions. Peut-il dire n’importe quoi ? Doit-il avoir une éthique particulière ? Doit-il divulguer les sources qui l’ont conduit à annoncer des informations majeures ? Mais le journaliste aura également le souci d’illustrer ses propos. Certaines photos valent mieux qu’un long discours, et encore une fois le travail du journaliste se trouve-t-il délicat à accomplir. Peut-il photographier n’importe qui et n’importe quoi ? En quoi consiste ce droit à l’image que l’on retrouve sans cesse confronté au sacro-saint principe du droit au respect de la vie privée ? SOMMAIRE PLUME ET LIBERTÉ D’EXPRESSION Qui veut museler « les chiens de la démocratie » ? Le secret des sources : Interview de Gérard Davet « Le procès de Jacques Chirac », le roman d’un procès rêvé IMAGE ET LIBERTÉ D’EXPRESSION Les procès historiques La pratique photographique confrontée au droit à l’image Témoignage : interview de Maître Brossolet Le Baromaître vous a préparé un dossier centré sur l’éternel affrontement entre ces diverses libertés fondamentales. photo : Florent Cardinaud 6 7 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ? La profession de journaliste serait, pour 66 % des français, soumise aux pressions des partis politiques et du pouvoir et pour 60 % à celles de l’argent1. Il ne faut pas se voiler la face et l’actualité nous donne à observer quotidiennement les relations ténues qu’entretiennent parfois la politique, les médias et la justice. Néanmoins, subir des pressions ne veut pas dire y céder et récemment certains journalistes ont relevé le défi qui leur a été lancé en résistant aux multiples intimidations et sollicitations dont ils peuvent faire l’objet tant de la part des politiques que des acteurs de la vie judiciaire. olitiquement incorrect peut être, tant que le journaliste se bat poursonindépendance,ilrecevralaconfiancedeseslecteurs. Au travers de cet article, nourri par des entretiens avec des journalistes, chroniqueurs judiciaires ou journalistes d’investigation, Le Baromaître tente de dresser un état des lieux de l’indépendance des journalistes et des moyens offerts par la loi du 4 janvier 2010 pour protéger la liberté d’information, pilier fondamental de toute démocratie, sans néanmoins faire du journaliste un citoyen au-dessus des lois. P LA LOI DU 4 JANVIEr 2010 PrOTECTION DES SOUrCES SUr LA La protection des sources constitue un élément de la déontologie des journalistes. Il est un devoir plus qu’un droit. On se souvient qu’en 2005, une journaliste du New York Times, Judith miller, a été emprisonnée près de 4 mois pour avoir refusé de révéler ses sources d’information à un procureur enquêtant sur une fuite médiatique portant sur l’identité d’un agent de la CIA. Elle n’a été relâchée qu’après que sa source l’ait effectivement autorisée à la dévoiler. La protection des sources journalistiques est primordiale pour la liberté de la presse dans une société démocratique. Sans cette protection, les sources se tariraient inéluctablement. Le fameux arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni de la Cour européenne des droits de l’homme l’énonce clairement2.Aufildeleur jurisprudence, les juges de Strasbourg ont façonné le cadre des devoirs et des responsabilités des journalistes leur offrant ainsi une quasi-immunité pénale, dès que leurs informations portent sur des questions d’intérêt public ou font l’objet d’une importante couverture médiatique, au point de parfois être accusés de caresser 8 dans le sens du poil ceux qu’ils surnomment les « chiens de garde de la démocratie ». Jusqu’à l’adoption de la loi du 4 janvier 2010, le principe du secret des sources était contenu dans des articles épars du code de procédure pénale ou dans des textes propres à la profession de journaliste, telle que la Charte des devoirs professionnels des journalistes français rédigée en 1918, qui énonce notamment qu’ « un journaliste digne de ce nom garde le secret professionnel (…) et ne confond pas son rôle avec celui du policier. » Encouragé par la jurisprudence de la CEDH, le législateur français a consacré le principe de la protection des sources des journalistes en modifiantlaloisurlapressedu29juillet1881,àlasuitedel’article 1er qui proclame le principe général de la liberté de la presse. Le code de procédure pénale a lui aussi été modifié. Son article 60-1 prévoit ainsi que lorsque le journaliste est au cœur d’une enquête judiciaire et qu’il détient des documents intéressant cette enquête, la remise des documents demandée par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire ne peut intervenir qu’avec son accord. Des dispositions règlent également le statut des journalistes appelés en tant que témoins dans une affaire : les articles 326 et 437 du code de procédure pénale créent une dispense propre à la profession de journaliste les autorisant à ne pas révéler leurs sources à l’occasion de leurs dépositions devant une juridiction. La loi du 4 janvier 2010 étend le champ de cette protection : elle reconnaît au profitdesjournalistesundroitabsoludesetairequivautpourtous les stades de la procédure pénale. Les mesures de perquisition étaient jusqu’alors encadrées par l’article 56-2 du code de procédure pénale imposant que, pratiquées dans les locaux d’une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, elles ne puissent être effectuées que par un magistrat. Le nouveau texte étend la protection aux « véhicules professionnels de ces É R U S N E C 1. Baromètre TNS Sofres publié en 2010 pour le journal « La Croix » 2. « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse (...) l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général » DOSSIER DE LA REDACTION Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ? entreprises ou agences » et surtout au « domicile d’un journaliste ». Est également une avancée de taille la faculté donnée au journaliste de s’opposer à la saisie d’un document si ce dernier estime qu’elle porte atteinte au libre exercice de sa profession ou constitue un obstacle injustifié à la diffusion de l’information. Dans cette hypothèse, le mécanisme mis en place prévoit que le document dont la saisie est contestée sera transmis sans délai au juge des libertés et de la détention qui devra statuer dans les cinq jours sur la validité de la contestation. Le non respect de ces prescriptions entraînera la nullité de la partie de la procédure découlant de la saisie irrégulière. Les journalistes font souvent face à des accusations de diffamation. Le journaliste se trouve dès lors devant un dilemme : soit il décide d’apporter la preuve de ses dires ou écrits et il est nécessairement contraint de révéler l’origine de ses sources ; soit il se retranche derrière une conception stricte du secret des sources et risque alors d’être condamné pour diffamation. La loi du 4 janvier 2010 vient résoudre ce dilemme avec le dernier alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose que « le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction ou de tout autre secret professionnel s’ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires ». LES LIMITES DE LA LOI : UNE APPLICATION QUI NE COULE PAS DE SOUrCE La reconnaissance du secret des sources empêche de décider des mesures d’investigation pour découvrir les sources d’un journaliste. mais elle n’interdit évidemment pas de poursuivre un journaliste pour diffamation, atteinte à la vie privée, violation du secret de la défense nationale ou non-dénonciation de crime. Si la loi nouvelle prévoit le principe de protection des sources, cette proclamation est immédiatement suivie d’une limite. Ainsi il pourra être porté atteinte au secret des sources des journalistes « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». En d’autres termes, seule une atteinte particulière à l’intérêt public pourrait légitimer une atteinte au principe de la protection des sources journalistiques. Toutefois, il reste à préciser les circonstances dans lesquelles la divulgation de données confidentielles pourrait porter atteinte à un « impératif prépondérant d’intérêt public ». De nombreux journalistes redoutent l’imprécision de cette expression très générale (cf. l’interview de m. gérard Davet, p. 12-13). Aussi la jurisprudence devrait venir définir les contours de ces impératifs prépondérants d’intérêt public en visant des cas exceptionnelstelsquelesatteintesàlasécuritéintérieure,letrafic de stupéfiants, les prises d’otages, les détournements d’avions, les attentats terroristes, etc. Cette solution aurait le mérite de respecter l’exigence de prévisibilité, condition sine qua non de la garantie de la sécurité juridique du journaliste. La loi ne contient en outre aucune incrimination en cas de violation du secret des sources et il est dès lors impossible de lui donner une force contraignante. La question se pose d’ailleurs dans le cas des plaintes récemment déposées par le journal Le monde qui pourraient rester lettres mortes. Par ailleurs, quelle que soit la protection accordée aux sources des journalistes, celle-ci sera réduite à néant s’il est permis que le journaliste taisant l’origine de sa source se voit mis en cause sur le fondement du recel de violation d’un secret professionnel (de l’enquête, de l’instruction, etc.). L’appareil de justice bénéficie du secret de l’enquête et de l’instruction ainsi que du secret des délibérés auquel n’est pas tenu le journaliste. Pourtant le législateur n’a pas voulu supprimer le délit de recel de violation du secret de l’instruction ou du secret professionnel. Des condamnations sont ainsi prononcées si les prévenus ont reconnu l’origine frauduleuse d’un document publié mais aussi s’il était évident qu’il leur avait été transmis par une personne astreinte au secret. LE JOUrNALISTE EST UN ACTEUr DU PrOCÈS Le temps de l’information n’est pas celui de la justice et deux vérités s’affrontent. Celle des journaux et celle de la salle d’audience. Le journaliste devient un acteur à part entière de tout procès dit « médiatique » au risque de court-circuiter les enquêtes policières et de piétiner la présomption d’innocence. Plus étonnant encore, les avocats eux-mêmes se servent souvent de leurs liens avec les journalistes spécialisés dans la couverture des grands procès pour tenter de gagner leur combat sur le plan médiatique et entraîner l’opinion dans leur sens. Il n’est plus un procès qui ne se joue dans les colonnes des journaux ou dans des livres publiés par les parties victimes ou mis en cause avant l’ouverture de la phase judiciaire. Les journalistes sont donc en permanence sollicités par les avocats pour relayer leur thèse et pour devenir leur porte-parole dans leurs médias respectifs. Le déroulement du procès Bettencourt, initié par une plainte contre X de Françoise meyers-Bettencourt pour abus de faiblesse en est un exemple. Ce serait l’avocat de madame Françoise meyersBettencourtquiauraitsollicitéplusieursjournalistesafinderendre publics des enregistrements réalisés par le majordome à l’insu de son employeur, enregistrements qui démontreraient la vulnérabilité de madame Liliane Bettencourt. Le contenu des bandes, livré à la 9 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ? justice, sera ainsi révélé par le site d’information mediapart et par le journal Le Point. rETOUr SUr L’AffAIrE BETTENCOUrT L’affaire Bettencourt qui a très vite pris une tournure politique a fait l’objet d’un véritable feuilleton médiatique. Cette affaire est aussi l’occasion de rendre compte des atteintes qui sont portées à l’indépendance de la presse et au secret des sources journalistiques. En effet, deux plaintes ont été déposées par Le monde. En septembre dernier, le journal Le monde annonce qu’il porte plainte contre X pour violation du secret des sources. Deux de ses journalistes qui suivaient l’affaire Bettencourt, Franck Johannès et gérard Davet, ont vu leurs factures téléphoniques détaillées – ou fadettes – interceptées par la Division centrale du Renseignement intérieur(DCRI)afind’identifierlasourceàl’originedelafuite. Ils avaient publié un article qui faisait état de déclarations faites par Patrice de maistre, le gestionnaire de fortune de l’héritière de L’Oréal, au cours de sa garde à vue quelques jours plus tôt au sujet du ministre Eric Woerth. L’étude de ces fadettes a révélé que les journalistes avaient communiqué avec David Sénat, Conseiller pénal au cabinet de michèle Alliot-marie, chargé d’expliquer les réformes mises en œuvre par la Chancellerie et de ce fait régulièrement en contact avec gérard Davet. Cette mise en lumière des rapports entre les deux hommes entraîna le renvoi immédiat du Conseiller. Cette première plainte est fondée sur le fait que les enquêteurs se sont affranchis de tout respect de la procédure prévue dans le cas de relevés des communications téléphoniques. La Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS), censée statuer sur ce type de prise de renseignements n’a en effet pas été saisie. La CNCIS est consultée dans toutes les affaires relatives à la prévention du terrorisme, en vertu de l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Or, la Direction GénéraledelaPoliceNationale(DGPN)aaffirméquel’identification de l’auteur des fuites au monde dans le dossier Bettencourt relevait de sa « mission de protection de la sécurité des institutions » et non pas du terrorisme. Par ailleurs, au terme de la loi du 4 janvier DOSSIER DE LA REDACTION Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ? 2010, la liste des appels téléphoniques d’un abonné ne peut être demandée à un opérateur de télécommunications que dans le seul cadre d’une procédure judiciaire et uniquement lorsqu’un impératif prépondérantd’intérêtpubliclejustifie. Dans un second temps, le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, se fondant sur une plainte de me georges Kiejman, a cherché à prouver que mme Prévost-Desprez, juge d’instruction saisie d’un supplément d’information dans le volet « abus de faiblesse » de l’affaire Bettencourt, diffusait des informations à la presse. Il a ainsi ordonné une enquête pour violation du secret professionnel et a chargé l’Inspection générale des Services (IgS) d’examiner les relevés téléphoniques des journalistes. C’est cette demande du procureur Courroye qui a nourri la seconde plainte déposée par le monde pour violation du secret des sources. Elle se fonde sur l’article 77-1-1 du code de procédure pénale mis en place par la loi du 4 janvier 2010, qui impose au procureur de demander à des journalistes une autorisation avant de se faire communiquer leurs factures détaillées. diffusion de l’émission « Les Infiltrés » qui avait amené un journaliste àsefairepasserpourunefillettede14anssurlatoileetquiétait rentré en contact avec des pédophiles sur des blogs de discussion. A la suite de cette émission, vingt-trois pédophiles avaient été interpellés après la dénonciation du journaliste. Au-delà de la question soulevée par l’usurpation d’identité par le journaliste et de son rôle dans l’incitation à perpétrer un crime, se pose le cas de conscience suivant : révéler sa source ou protéger des vies ? Révéler sa source ou violer la loi ? Pour le groupe CAPA, producteur de l’émission, il était du devoir du journaliste de dénoncer ces pédophiles qui étaient sur le point d’agir. Pour d’autres, le secret des sources ne doit jamais être levé. Comment concilier la déontologie d’une profession destinée à informer malgré toutes les pressions possibles et les prescriptions légales contraignantes ? Espérons que les tribunaux qui appliqueront la loi du 4 janvier 2010 nous apporteront rapidement des réponses. Pierre-Emmanuel Frogé – Promotion Jacques Attali – Série H Pour compléter cet imbroglio, le 25 octobre 2010, l’ordinateur portable de gérard Davet lui a été dérobé, à son domicile. Seul le PC et le gPS du journaliste ont été dérobés lors du cambriolage, ne laissant aucun doute sur les intentions des voleurs. La même mésaventure est survenue, le même jour, au journaliste du Point, Hervé gattegno, chargé également de suivre l’affaire Bettencourt. Son ordinateur a été, cette fois, subtilisé dans les locaux du magazine. Peu de temps après mediapart annonce que deux ordinateurs ont été volés dans sa rédaction. Pour le site, ces vols sont un moyen de faire pression non sur les journalistes, mais sur leurs sources, qui pourraient craindre de se faire découvrir et renoncer à témoigner. CONCLUSION Témoins privilégiés des dérives de notre société, les journalistes ont pour devoir de les dénoncer. mais ils doivent faire face à chaque instant à leur conscience, à leur éthique professionnelle. Le droit de se taire laisse au journaliste la liberté de préserver le secret de ses sources ou de les révéler. Il ne s’agit pas d’une obligation mais d’un droit. Le journaliste lui-même n’est tenu à une aucune obligation légale de secret professionnel comme l’est le médecin ou l’avocat. Seul le journaliste est juge de la transgression du secret. mais le journaliste est constamment confronté aux responsabilités qui pèsent sur lui du fait de la loi. Le code pénal punit ainsi la non dénonciation de crime (article 434-1), la non dénonciation de mauvais traitements (article 434-3), la non révélation de preuve d’innocence (article 434-11) ou la non assistance à personne en danger (article 223-3), etc. Le débat a été relancé à la suite de la 10 11 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image DOSSIER DE LA REDACTION Le secret des sources : Interview de Gérard Davet Interview de Gérard Davet Chef du service enquêtes-reportages pour le journal Le Monde, Gérard Davet suit l’affaire Bettencourt depuis ses prémisses. A deux reprises, ses factures téléphoniques détaillées – « fadettes » – ou celles de ses informateurs ont été utilisées par la Direction Centrale du renseignement Intérieur (DCrI) et par l’Inspection Générale des Services (IGS), sans son consentement ce qui a conduit Le Monde à déposer deux plaintes pour violation du secret des sources. Il fait l’objet d’une plainte pour violation du secret de l’enquête déposée par Me Kiejman, avocat de Liliane Bettencourt. Son ordinateur personnel a été dérobé à son domicile le même jour que celui du vol de l’ordinateur d’Hervé Gattegno dans les locaux du journal Le Point. Cet imbroglio judiciaire en marge d’une affaire politicofinancière nous a donné envie de le rencontrer et de lui poser quelques questions. Comment interprétez-vous l’utilisation de vos fadettes et de celles de certaines de vos sources supposées ? Pensez-vous que l’on cherche à vous intimider ? efficace de faire les fadettes que de faire une perquisition, c’est moins voyant. Le fait de rechercher les fadettes est courant, mais pour quelques professions répertoriées, comme les avocats, les médecins et les journalistes, il faut demander leur consentement aux intéressés ce qui n’a bien évidemment pas été fait en l’espèce. La loi du 4 janvier 2010 sur la protection des sources est foulée au pied. L’objectif est certainement l’intimidation. C’est une pression évidente sur la presse. En tant que journaliste, tout devient suspect. Les personnes qui m’aident dans mes enquêtes se méfient d’autant plus qu’elles ont vu ce qui était arrivé à David Sénat, l’un de mes informateurs présumés au ministère de la justice. Le tout sans qu’il n’y ait aucune preuve que cette personne m’ait effectivement aidé pour mon enquête, car les fadettes prouvent simplement que nous avons été en contact, ce qui n’a rien à voir. Il faut éviter de tomber dans la parano, je veux croire à la bonne santé de la justice de ce pays, mais c’est vrai que le doute existe surtout quand un cambriolage survient chez soi, au Point et à Médiapart dans un temps très rapproché. Quel est votre sentiment sur la législation applicable au journalisme ? Que pensez-vous de la loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources ? Jusqu’à l’adoption de cette loi, on pouvait se replier derrière le secret des sources dès qu’on était interrogé par des enquêteurs, ce qui gênait fortement le pouvoir. On s’aperçoit aujourd’hui que, certes ils ont fait voter une nouvelle loi que j’ai saluée à l’époque, tout en regrettant qu’elle n’aille pas au bout des choses, mais à côté de ça, ils s’en affranchissent de manière incroyable. Il s’agit d’un écran de fumée. Dans cette loi, il est prévu une réserve en cas d’impératif d’intérêt public. C’est une Quelle est votre conception du principe du secret des formulation qui laisse le champ ouvert puisqu’elle est extrêmement sources journalistiques ? vague. On pensait, naïvement, que ça ne concernerait que des cas qui mettraient en cause la sécurité Le secret des sources, c’est la pierre angulaire de notre nationale comme des affaires de terrorisme, « Le secret des travail, c’est son fondement même. C’est un principe d’ingérence économique, de criminalité organisée ou sources, c’est la évident et intangible. Un journaliste peut révéler ses d’autres affaires pour lesquelles l’enjeu est tel qu’on pierre angulaire de sources s’il l’estime nécessaire, mais c’est quelque accepterait que soit portée atteinte au secret des notre travail chose que je réprouve personnellement. Ca a été sources. Or, on se rend compte que c’était surtout pour de journaliste, c’est le cas dans quelques affaires, comme l’affaire des satisfaire des intérêts particuliers. C’est une manière son fondement « Infiltrés » sur la pédophilie ou le cas de Guillaume de privatiser la justice et la police qui me choque même » Dasquié qui était poursuivi pour compromission du terriblement. secret de la défense et qui avait désigné quelqu’un à la fin d’une garde à vue éprouvante. Je considère que même à l’issue d’une telle garde à vue, l’impératif de base est Cette loi modifie également les règles relatives aux de ne jamais révéler ses sources. Certains journalistes sont allés en perquisitions chez les journalistes. prison aux Etats-Unis pour protéger leurs sources et je suis prêt à accepter cette idée. Si on donne nos sources, il n’y aura plus de sources, Les perquisitions de journalistes sont de moins en moins nombreuses. Je et sans sources, il n’y a plus d’information et plus de journalisme. ne pense pas d’ailleurs que depuis que cette loi est entrée en vigueur, il y ait eu de perquisitions chez un journaliste. A côté de ça, c’est plus 12 Le droit ayant trait au journalisme devrait être harmonisé, il y a beaucoup de pans qui se contredisent. Par exemple, un journaliste, qui n’est pourtant pas tenu au secret de l’instruction, peut être poursuivi pour recel de la violation du secret de l’instruction, même si, pour sa défense, il peut produire les pièces litigieuses. « La loi du 4 janvier 2010 sur la protection des sources ? Il s’agit d’un écran de fumée » Que pensez-vous des exemples récents de publication par la presse de pièces clés avant l’ouverture d’un procès médiatique ? Il faut rappeler que le journaliste n’est pas astreint au secret de l’instruction, ni à aucun secret. Je pense que le secret de l’instruction à la façon française a vécu, parce que beaucoup de procès-verbaux sont ouverts à la presse. Il suffit de tarir d’un côté pour que ça sorte de l’autre, c’est le principe des vases communicants. Jusque-là les journalistes n’étaient pas considérés comme des acteurs de la vie judiciaire et politique, or plus ça va, plus on vient bousculer tous les calendriers. avocats font leur job et nous faisons le notre. En publiant des pièces de procédure, n’avez-vous pas l’impression en quelque sorte de mettre à mal le processus judiciaire et de risquer de porter atteinte à la présomption d’innocence ? Effectivement, on s’immisce dans le processus judiciaire, mais ce n’est pas mon propos. Je ne rentre pas dans ces considérations. Mes seules contraintes sont de faire du travail correct et que les informations que je sors soient béton, crédibles et contextualisées, qu’elles apportent réellement une plus-value à nos lecteurs. Si cela vient bouleverser le calendrier judiciaire, ce n’est pas mon problème. La présomption d’innocence est constamment bafouée, c’est comme le secret de l’instruction, ça ne veut plus dire grand-chose. Les gens se replient derrière, même lorsqu’ils sont mille fois coupables. Quand on a des éléments importants, on les écrit après les avoir vérifiés. Dans les affaires Outreau ou Allègre, le travail journalistique a été bâclé mais c’est à la lueur de ces affaires là que les journalistes progressent et essaient de s’autoréguler. Nous ne sommes surtout pas exempts de reproches, nous demeurons perfectibles. J’ai moi-même été condamné plusieurs fois en diffamation, j’en tire les conséquences. Je sais qu’il y a certaines choses qu’on peut faire, d’autres non. On apprend, nous aussi, au fur et à mesure. Le journaliste parfait, il n’est pas encore né. Propos recueillis par Sophie Joly – Promotion Jacques Attali – Série F & Pierre-Emmanuel Frogé – Promotion Jacques Attali – Série H Que pensez-vous de la tendance actuelle qu’ont les avocats à imposer aux journalistes un calendrier de communication avant l’ouverture d’un procès ? Les journalistes sont des réceptacles. Les gens s’adressent à nous pour de multiples raisons, pour faire avancer les enquêtes, pour devenir plus célèbres… Il y a pleins de motifs inavoués ou inavouables qui font que les avocats ont besoin de nous. Certains journalistes, comme Pascale Robert-Diard, ont refusé de faire partie d’un plan de communication défini par les avocats des parties. De mon côté, je n’ai pas cette pudeur là. Si on m’amenait des enregistrements clandestins, je commencerais par vérifier que c’est crédible et qu’il n’y a pas d’atteinte excessive à la vie privée, comme la santé physique ou la vie familiale, auquel cas je publierais ce qui mérite de l’être. Il ne faut pas oublier qu’à deux reprises la justice a reconnu que les enregistrements clandestins du majordome de Liliane Bettencourt pouvaient et devaient être publiés. Je considère que tout le monde a un calendrier de communication. Nous sommes au milieu de tout ça et il nous appartient de trancher. Les 13 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image « Le procès de Jacques Chirac », le roman d’un procès rêvé INTErVIEW DE PASCALE rOBErT-DIArD Chroniqueuse judiciaire du Monde depuis 2002, lauréate en 2004 du Prix Louis-Hachette pour sa couverture du procès Elf, Pascale robert-Diard nous ravit de ses comptes rendus d’audience souvent drôles et cocasses, parfois sombres mais toujours justes. Elle publie aujourd’hui « Le procès de Jacques Chirac », une fiction politique écrite à quatre mains avec françoise fressoz, directrice du service france du Monde, qu’elles signent du pseudonyme Cassiopée. A cette occasion, elle a accepté de répondre aux questions du Baromaître. Comment est née l’idée de raconter avant l’heure le procès de Jacques Chirac ? romancée ? Mais nous avions pris soin d’éviter tout risque de confusion dans l’esprit des lecteurs. Chaque épisode précisait qu’il s’agissait d’une fiction politique. Le recours à un pseudonyme s’est par ailleurs très vite imposé, justement pour distinguer cette fiction de notre travail de journalistes au quotidien. Nous avons également préféré des illustrations dessinées, dans un style BD, à des photos des acteurs du roman, afin de renforcer cette distinction entre fiction et réalité. Il ne s’agit donc pas d’un objet journalistique, mais bien d’une fiction politique, dont l’objectif était d’abord de faire sourire ! Outre les personnes impliquées dans ces affaires, pourquoi selon vous les procès politico-financiers attirent d’avantage l’attention des médias que les autres procès ? Les procès politico-financiers sont toujours particuliers car c’est le seul moment où les hommes politiques rencontrent les magistrats. Or à leur façon, ils sont sur les mêmes terrains, ceux de l’autorité et de la légitimité. Ils ne se comprennent pas et sont souvent dans une détestation réciproque. Dans ce type d’affaire, les hommes politiques ont vite fait d’emporter l’auditoire. Il revient alors aux magistrats de résister face aux politiques pendant le procès. Cette idée a germé lors de l’enterrement de Philippe Séguin. Un témoin privilégié de la naissance des affaires politico-financières des années 1990 venait de disparaitre. Le procès des emplois fictifs de la ville de Paris se rapprochait et une question nous taraudait l’esprit : ce procès sera-t-il pour l’ancien Président l’occasion de faire son testament politique ? Un avocat, fidèle de Jacques Chirac, nous a indiqué que cela ne risquait pas d’être le cas, car Jacques Chirac est aujourd’hui fatigué. Lorsque Le Monde a cherché un sujet pour le feuilleton de l’été, ce projet s’est imposé. Au fond, nous avons voulu raconter le « procès rêvé » de Jacques Chirac. Celui d’un grand fauve politique dont l’instinct se réveille quand on le cherche. Comment Jacques Chirac se préparait-il à affronter ce dernier acte de sa vie publique, cette comparution, en prévenu de droit commun, devant un tribunal correctionnel ? Pour moi, cela présentait un intérêt particulier car cela faisait le lien entre mes deux vies professionnelles ; j’ai longtemps été journaliste politique avant de me consacrer aux chroniques judiciaires. Quel accueil « Le procès de Jacques Chirac » a-t-il reçu de la part des lecteurs du Monde ? La publication de ce feuilleton dans un journal comme Le Monde en a surpris et déstabilisé certains, qui ne savaient pas comment appréhender cette histoire : s’agissait-il d’une fiction ou d’une information 14 « Nous avons voulu raconter le « procès rêvé » de Jacques Chirac. Celui d’un grand fauve politique dont l’instinct se réveille quand on le cherche » Que répondriez-vous à Maître Kiejman qui « constate avec désolation la tendance croissante des médias à substituer leur décision préalable à celle des tribunaux »1 ? Nous ne nous sommes pas substituées à la justice. En tout cas, cela n’était pas le but. Je ne pense pas que l’on puisse influencer les juges, mais il est vrai que certaines questions soulevées dans le roman se poseront. On imagine dans la fiction que Dominique Pauthe, qui présidera le tribunal lors du procès, se demande avant la première audience s’il appellera l’ancien 1. « un président déjà entré dans l’histoire », Le Monde Magasine, 25 septembre 2010, p. 9 DOSSIER DE LA REDACTION Interview de Pascale Robert-Diard On a appris que la Direction centrale du Renseignement intérieur s’est procuré les fadettes de journalistes sans leur autorisation et sans en référer à la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS). Qu’en Après avoir exercé pendant une quinzaine pensez-vous ? d’années comme journaliste politique au Monde, pourquoi avoir choisi de vous « L’affaire des L’affaire des fadettes des journalistes est significative tourner vers la chronique judiciaire ? fadettes des de la panique du Pouvoir. Il cherche à tarir les sources journalistes est des journalistes, mais je ne pense pas qu’il arrive à J’ai fait mon premier stage à la sortie du Centre de significative de museler la presse. Formation des Journalistes à l’édition Rhône-Alpes la panique En utilisant les fadettes de journalistes, sans du Monde où j’ai eu la chance de suivre Jean-Marc du pouvoir » l’autorisation du CNCIS ni des journalistes intéressés, la Théolleyre, grand chroniqueur judiciaire, lors du DCRI2 a enfreint la loi. Le Pouvoir s’assoit sur la légalité procès Barbie qui se tenait à Lyon. Ma vocation pour et ne recule devant rien. Non seulement il ne lésine la chronique judiciaire est née à cette époque. pas sur les moyens en se procurant les fadettes de journalistes – et de La chronique judiciaire est un exercice passionnant dans lequel les leurs sources supposées, de manière clairement illégale, mais il ment journalistes sont des media, au sens premier du terme. Leur rôle est ouvertement en niant toute implication. de raconter de quelle manière la justice est rendue au nom du peuple Pensez-vous que cette affaire repose la question des français et de pointer d’éventuels dysfonctionnements. rapports ambigus qu’entretient le Pouvoir politique Le palais de justice est le lieu où la société vient frapper, où l’on retrouve avec la Justice ? tous les débats d’actualité. Une audience est un concentré de la société presque caricatural. Les tribunaux sont des endroits magnifiques où L’histoire se répète. Dans notre démocratie, cette affaire est presque l’on croise des anonymes aux destins extraordinaires, au sens où ils d’une extrême banalité. On se souvient tous de l’affaire des écoutes de sortent de la normalité.Tous les milieux s’y rencontrent, les non-dits y sont l’Elysée sous Mitterrand ou de l’hélicoptère exposés et la complexité de l’homme y est dévoilée. dépêché dans l’HimaQue pensez-vous de la tendance actuelle qu’ont laya afin de retrouver le les avocats à chercher à imposer un calendrier de procureur Davenas et communication aux médias ? On pense bien d’éviter l’ouverture d’une judiciaire évidemment à Maître Metzner qui vous a approché information contre Xavière Tiberi. Dans récemment dans l’affaire Bettencourt. notre fiction « Le proL’affaire Bettencourt est un cas particulier. Il arrive souvent que les cès de Jacques Chirac », avocats se tournent vers les journalistes, mais en règle générale les l’épisode dans lequel plus courtisés sont les journalistes d’investigation. Au Monde, comme Bernadette Chirac se vers Nicolas au Figaro d’ailleurs, le traitement journalistique des affaires est tourne scindé en deux. Les journalistes qui couvrent les phases d’enquête et Sarkozy pour qu’il mette d’instruction ne sont pas les mêmes que ceux qui suivent le procès. Les fin aux poursuites à journalistes d’investigation effectuent leur propre enquête parallèlement l’encontre de l’ancien Président s’inspire de au processus judiciaire en amont du procès. la réalité. Bernadette Les chroniqueurs judiciaires ne prennent le relai qu’une fois le procès Chirac ne comprend ouvert. Ils posent alors un œil neuf sur la procédure. Nous n’avons pas pas que le Président de le mérite des journalistes d’investigation, car tout nous est donné. Lors la République n’ait pas réussi à arrêter le procès de Jacques Chirac. du procès, l’ensemble des éléments du dossier est rendu public. Le C’est symptomatique du fonctionnement actuel de nos institutions. chroniqueur n’a donc pas à faire de recherche et à trouver de sources Propos recueillis par ce qui lui permet une plus grande indépendance. Président « monsieur Jacques Chirac » comme il le ferait pour un simple prévenu ou « monsieur le Président » au risque de paraître révérencieux. Cette question se posera lors du vrai procès. Sophie Joly – Promotion Jacques Attali – Série F 2. Direction de Contrôle des Renseignements Intérieurs service de renseignements dépendant du ministère de l’Intérieur, et né de la fusion entre la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et de la Direction centrale des Renseignements Généraux (RG) 15 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image DOSSIER DE LA REDACTION Les procès historiques Liberté d’expression et image LA PHOTOGrAPHIE EST-ELLE UN ArT ? LE PrOCÈS MAYEr ET PIErSON mayer (1817- vers 1865) et Pierson (1822-1913), Portrait du comte de Cavour, 1856. Spécialisés dans le portrait photographique, Ernst mayer et Louis Pierson réalisent en 1856 le portrait du comte de Cavour, chef du royaume de Piémont-Sardaigne. Constatant que cette photographie a fait l’objet d’une reproduction et d’une commercialisation par leurs concurrents, les deux photographes et amis intentent une action en contrefaçon. Seulement, pour qu’il y ait contrefaçon, encore faut-il que la photographie soit une œuvre d’art. grande partie, dans la reproduction des paysages, du choix du point de vue, de la combinaison des effets de lumière et d’ombre, et, en outre dans les portraits, de la pose du sujet, de l’agencement des costumes et des accessoires, toutes choses abandonnées au sentiment artistique et qui donne à l’œuvre du photographe l’empreinte de sa personnalité »2. La photographie acquiert ainsi pleinement le statut juridique d’œuvre d’art. Cette victoire marque le début du travail reconnu de photographe et la révision de la législation française en matière de propriété littéraire et artistique. Toutefois,laCournemetpasfinàlaquerelleentrelapeintureetla photographie puisqu’aujourd’hui encore les livres d’histoire de l’art peinent à intégrer la photographie dans leurs pages. La photographie est-elle un art ? Voici une question qui semble n’avoir jamais existé tant la réponse paraît aujourd’hui évidente. Cependant cette réponse est vitale pour la photographie et les débats passionnent alors le monde des beaux-arts. photo : Florent Cardinaud La pétition des 26 « La photographie est un couperet qui dans l’éternité saisit l’instant qui l’a éblouie » [Henri Cartier-Bresson] Depuis la première photographie – « point de vue pris d’une fenêtre du Gras à Saint-Loupde Varennes » – prise en 1827 par Joseph Nicéphore Niépce, la photographie, medium puissant et novateur, est au cœur de nombreux débats et conflits qui ont régulièrement nourri les prétoires. Elle se situait déjà, au milieu du XIXème siècle, au carrefour exact de deux libertés fondamentales : la liberté d’expression et le respect de la vie privé. ors des procès qui ont tourmenté son histoire, les enjeux ont tout d’abord tournés autour de la reconnaissance de droits d’auteur pour les photographes. Puis, la question tranchée, le débat a glissé sur le terrain de la censure privée avec la montée en puissance de « la liberté des modernes », le « droit à l’obscurité » ou droit au respect de la vie privée devenu le parangon des limites opposées à la liberté d’expression. L 16 L’image et sa diffusion relèvent de l’éthique. Débats sur la retouche ou interrogations que suscitent certains clichés qui heurtent et choquent notre sensibilité mais qui, pourtant, jouent un rôle fondamentale dans l’information du public. A titre d’illustration, l’exposition de Larry Clark qui s’est récemment tenue au musée d’Art moderne de la ville de Paris a été interdite au moins de 18 ans, une première du genre. Au cœur de l’ensemble de ces conflits, et esclave du « choc des photos », le photographe, l’artiste, le reporter, le journaliste, le « paparazi », ou le simple anonyme qui vient de s’acheter un appareil-photo numérique bon marché, se trouve en permanence confronté à l’ensemble de ces contraintes et doit, outre ses qualités de photographe, disposer de solides connaissances en droit. Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N Bibliographie : Daniel girardin et Christian Pirker : « Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie » Acte Sud / musée de l’Elysée avril 2008. Hans-michael Koetzle « Photo Icons Petite histoire de la photo vol. 1 et 2 » Tacschen. Collectif d’auteur « Dictionnaire mondial de la photographie » Larousse. Bien que la photographie ait rendu un grand service à la peinture en la déchargeant de la représentation de la réalité, les peintres ont rapidement montré leur hostilité. En effet, un collectif de grands artistes, Ingres en tête, proteste contre l’assimilation de la photographie à l’art et précise que « la photographie se résume en une série d’opérations toutes manuelles, qui nécessite sans doute quelque habitude des manipulations qu’elle comporte, mais que les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune circonstance, être assimilées aux œuvres fruit de l’intelligence et de l’étude de l’art »1. La Cour de Cassation tranche : la photographie est un art Les juges de première instance donnent raison à Ingres. mais les deux photographes font appel de cette décision et obtiennent gain de cause en appel puis devant la Cour de cassation qui par un arrêt du 28 novembre 1862 énonce que « les dessins photographiques peuvent être leproduit de la pensée, de l’esprit, du goût et de l’intelligence de l’opérateur », et ajoute que « leur perfection, indépendamment de l’habitude de la main, dépend en 1. « Pétition des 26 » Le moniteur de la photographie,15 déc. 1862 (n°19), cité dans L. Sassère, pp. 149-151 2. Cass., 28 novembre 1862, annales de la propriété 1862, P 419-433 Portrait du comte de Cavour, 1856 © 17 DOSSIER DE LA REDACTION Les procès historiques PHOTOGrAPHIE ET MISE EN SCÈNE : « LE BAISEr DE L’HÔTEL DE VILLE » expriment toutes deux leur vérité : d’un côté, l’horreur de la guerre et, de l’autre, la force de l’amour. Robert Doisneau (1912-1994), Le baiser de l’hôtel de ville, 1950. Existe-t-il une photo qui incarne mieux l’amour et les promesses de la vie et qui à elle toute seule est devenue le symbole de Paris ? En 1950, le magasine Life commande à Robert Doisneau un reportage sur les amoureux de Paris. Tout d’abord oubliée, cette photo devient par la suite la figure de proue de la photographie humaniste des années 80. Elle fait l’objet d’un énorme succès commercial et se retrouve partout : posters, cartes postales, couvertures de magasines, etc. Succès non démenti à ce jour. Le procès des Lavergne et la terrible révélation A la fin des années 80, un couple – les Lavergne – se présente comme les amoureux de l’hôtel de ville et assigne en juillet 1992 Robert Doisneau devant le tribunal de grande instance de Paris pour violation de son droit à l’image et demande, outre l’attribution de dommages et intérêts, le retrait de la vente de tous les produits le représentant. C’est ainsi, qu’au cours du procès et à titre de moyen de défense, Doisneau dut confesser son terrible secret. Cette photographie n’a pas été prise sur le vif mais elle est l’objet d’une mise en scène méticuleuse de son auteur, Robert Doisneau. En effet, Doisneau a engagé une jeune comédienne des cours Simon, Françoise Bornet, rencontrée par hasard et qu’il a trouvé « très jolie ». Celle-ci est revenue le lendemain avec son amoureux pour la fameuse mise en scène qui donna lieu à trois photos. Les Lavergne sont évidemment déboutés3. A l’annonce du procès, le véritable couple assigne à son tour le célèbre photographe et demande des dommages et intérêts pour atteinte au respect de la vie privée. Le tribunal de grande instance de Paris tranche : la rémunération en contrepartie de ces photos était équitable et le couple ne peut prétendre être reconnaissable puisque de nombreuses personnes revendiquent être les « amants de l’hôtel de ville ». Partant, il n’y a pas de préjudice4. Doisneau blanchi, son œuvre moins Doisneau obtient ainsi gain de cause contre ces deux couples, mais au soir de sa vie, l’ensemble de son œuvre est remise en question. Lui qui incarne le photographe discret « pêcheur d’images » qui, tapi dans son coin, attend avec patience l’instant décisif, se retrouve metteur en scène, et manipulateur de moments. Cependant, à l’instar de « la mort d’un soldat républicain » de Franck Capa, cette photo ne souffrira pas vraiment de ces révélations. Peu importe que le soldat ne soit pas décédé, que les amoureux soient des comédiens, ces photos sont en elles-mêmes chargées de sens et 3. Cour d’appel de Paris, 1ère Ch, section A, 10 déc. 1996, Lavergne vs Doisneau 4. TGI Paris, 1ère Ch, 2 juin 1993, Bornet vs Doisneau LA rETOUCHE : « LE DrAPEAU rOUGE SUr LE rEICHSTAG » Evgueni Khaldei (1917-1997) Le drapeau rouge sur le Reichstag, 2 mai 1945 Le 2 mai 1945, alors que les combats font encore rage dans Berlin, le photographe de guerre Evgueni Khaldei réalise l’un des plus célèbres clichés du XXème siècle en faisant flotter le drapeau rouge sur la ville de Berlin à feu et à sang. Ces épreuves rendues à l’agence qui l’emploie, son directeur remarque immédiatement que l’homme au premier plan en bas à droite de l’image détient une montre à chaque poignet. Une montre effacée A cette époque, les soldats russes sont accusés de commettre des pillagessurleurshomologuesallemands.Afind’évitertoutscandale pouvant éclabousser cette trépidante victoire, il est décidé de retoucher la photo et d’effacer l’une des deux montres. La célèbre photo, icône de la propagande russe pendant la guerre froide comporte en elle-même un secret inavouable. Celui-ci n’éclatera qu’après la chute du mur de Berlin avec la publication de l’original comportant les deux montres. Cettephotod’époqueillustreparfaitementundébatdéfinitivement contemporain. La généralisation des outils numériques a rendu si facile la retouche des images qu’elle crée une vive tentation pour les photographes et ceux qui les éditent. une légère retouche, aussi minime qu’elle soit, peut changer le sens, la lecture ou l’interprétation d’un cliché et créer de vives polémiques. Le diamant effacé de Rachida Dati en couverture d’un magazine ou encore lacigarettedeJean-PaulSartreretiréesurl’affiche de son exposition à la BNF en 2005 sont autant d’illustrations célèbres. La question de la retouche, celle de savoir si elle est « acceptable » et, si oui, dans quelle mesure, constitue l’un des débats majeurs de la profession. Afin d’affirmer une position sans ambigüité,lejuryduWorldPress2010anotammentdisqualifiél’un de ses lauréats, Stepan Rudik, pour avoir enlevé un simple bout de pied de sa photo via Photoshop. 19 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image Les procès historiques Les procès historiques rEPrODUCTION D’UNE PHOTO CÉLÈBrE : LA PHOTO DU CHE Alberto Korda (1928-2001), Guerillero heroico, 1960 Photographie mythique et icône de la révolution castriste, le portrait de Ernesto « Che » guevara, « guerillero héroïco » ou « Che au béret et à l’étoile » est sans doute l’un des clichés les plus reproduits de l’histoire de la photographie. Le 6 mars 1960, Alberto Diaz gutiérrez, dit « Korda », photographe pour le journal cubain Revolución assiste aux funérailles des victimes du sabotage du bateau La Coubre sur le port de La Havane. Ce jour là, Fidel Castro prononce un discours aux côtés de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. A l’arrière de la tribune, pendant le discours, le Che s’avance l’espace d’un court instant et c’est à ce moment précis que Korda l’immortalise. « J’ai eu presque peur en voyant la rage qu’il exprimait. Il était peut être ému, furieux, je ne sais pas ». Pourtant, la photo n’est pas publiée. Ce n’est que sept ans plus tard et après la mort du Che en octobre 1967 en Bolivie qu’elle devient un mythe. Sans l’avis de Korda, la photo est recadrée sur le visage de Che puiselleestimpriméesuruneaffichegrandformatetfaitl’objetde millions de tirages. Dans un pays socialiste qui ne reconnait pas le droit de propriété, les droits d’auteur n’ont aucun sens. Par idéologie communiste, Korda ne réclamera jamais de droit de reproduction de cette photographie, considérant que celle-ci appartient à la Révolution. un peu à la manière de maurice Druon et de Joseph Kessel avec « Le chant des partisans » qui ne réclameront jamais un centime, considérant eux aussi que la chanson appartient à la Résistance, la photo du Che pourra être utilisée gratuitement par les générations futures de révolutionnaires. Cependant, l’industrie commence à s’emparer de cette icône et l’idéal incarné par le Che est détourné de son objet. L’homme au béret se retrouve notamment sur une bouteille de vodka de la marque Smirnoff. C’est le droit moral de l’auteur sur son œuvre que Korda entendra défendreàlafindesavie. restriction de la liberté de la presse à Cuba. mme Diaz Lopez ira jusqu’à demander plus d’un million d’euros de dommages et intérêts ramenés à plus juste proportion par le tribunal (6.000 euros)5. Elle poursuit également, de manière moins ostentatoire mais tout aussi révélatrice, le club de handball d’Ivry pour l’utilisation de la photo du Che sur leur maillot et obtient encore gain de cause. Doutes sur la paternité de Korda Coup de Tonnerre en 2008 avec la parution d’un article dans le journal marianne. Le journal indique qu’un ancien agent des services secrets cubains, Juan Vivés, opposant au régime Castriste, serait l’auteur de la photo du Che au béret et à l’étoile. Le régime aurait demandé à Korda de s’approprier le célèbre cliché car il aurait été intolérable que cette emblématique photographie soit l’œuvre d’un opposant. Juan Vivés prétendrait même que Korda lui aurait adressé une lettre d’excuse qu’il ne peut malheureusement produire. Lejournalestimmédiatementpoursuiviendiffamationparlafille du Che. Cependant, le tribunal de grande instance de Paris constate la nullité de l’assignation6. L’action est prescrite au regard des délais extrêmement courts de la loi sur la presse. La fille du Che introduit une nouvelle action cette fois-ci sur le fondement de l’atteinte aux droits moraux pour avoir, d’une part, accordé la paternité de l’œuvre à Juan Vivés et, d’autre part, reproduit la photo du Che sans autorisation, sans le nom de l’auteur et sans respecter l’intégrité de l’œuvre. La demanderesse produit alors les planches-contacts de Korda datées de 1960 que le tribunal considère comme « éléments de preuvesuffisants[…]delaprisedirecte»parlecélèbrephotographe. LeTGIdeParisdonneainsiraisonàlafilleduChe7. On peut penser que le débat sous l’angle de la diffamation aurait amené de plus amples développements sur l’origine de la photo du Che que celui de l’atteinte aux droits moraux. même si les preuves avancéesparJuanVivéssontinsuffisantes, cetarticleauracréeune controverse sur la paternité de la photographie qui est peut-être la plus célèbre de l’histoire. La croisade mondiale de la fille du Che Asamort, en2001, c’estsafille, DianaDiazLopez, quireprendle flambeauetvaentamerunevéritablecroisademondialecontreles reproductions détournées de la photo du Che. Ainsi, à deux reprises, elle obtient gain de cause devant le tribunal de grande instance de Paris pour utilisation illicite contre Reporters Sans Frontières. Ce dernier exploitant l’image pour illustrer la 20 DOSSIER DE LA REDACTION 5. TGI Paris, 9 juillet 2003 et 10 mars 2004, Diana Diaz Lopez vs Reporters Sans Frontières 6. Ordonnance du juge de la mise en l’état, TGI de Paris, 17ème Ch., 16 janvier 2008 7. TGI de Paris, 3ème Ch. 3ème Sect., 24 septembre 2008 Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N Alberto Korda, Guerillero heroico, Cuba, 1960 original © 2007, Prolitteris, Zurich 21 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image DOSSIER DE LA REDACTION La pratique photographique confrontée au droit à l’image La pratique photographique confrontée au droit à l’image « A mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n’en avez pas pris une photographie » [Emile Zola] s’expose à une peine d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. Le droit à l’image n’est inscrit dans aucune loi et les droits opposables aux photographes communément appelés « droit à l’image » sont le fruit d’une construction jurisprudentielle complexe et instable qui s’est développée au cours du XXème siècle. Le juge est alors chargé de concilier deux libertés fondamentales : la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée. Les exceptions nécessaires au droit à l’image nmai1968,unephotographied’unejeunefillebrandissantle drapeau noir de l’anarchie et le drapeau rouge du communisme avait fait la une d’un magazine. Cette photo, prise à son insu et sans autorisation, ne fût pas au goût de son père qui décidât purement et simplement de la déshériter. La jeune fille attaqua le journal en évaluant son préjudice à l’aune de l’héritage escompté. Cet exemple fameux illustre parfaitement les conséquences que la parution d’une image peut avoir sur la vie d’un citoyen. L’utilisation non autorisée d’images de choses ou de personnes fait alors courir à l’utilisateur le risque d’être condamné civilement et pénalement. E Que devient le droit du photographe face au droit au respect de l’intimité de la vie privée ? Quand peut-il opposer l’exception d’information ? ambigüité que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». A contrario donc, une image captée dans le cadre de la vie publique ne peut porter préjudice à quiconque. Le photographe doit faire preuve de bon sens et avant toute Cependant, la frontière entre vie privée et vie publique est ténue et prise de vue, systématiquement se poser la question de c’est par une appréciation in concreto que le juge statuera. En effet, il l’existence de droits qui lui seraient opposables et éventuellement se nesuffitpasd’êtredansunlieupublicpourquetouteimagepuisse prémunir en demandant les autorisations pour pouvoir diffuser ses être captée, non plus que de se trouver dans un lieu privé, pour photographies. Cependant, obtenir ces informations est parfois interdire toute photographie. impossible et constitue une entrave à son libre travail. L’usage, sans son autorisation, de l’image d’une personne dans le Ainsi, outre ses qualités de photographe, celui-ci doit désormais cadre de sa vie privée peut ainsi entraîner la mise en cause de la disposerdesolidesconnaissancesjuridiquesafindenepasvoirle responsabilité de l’utilisateur. En cas de litige, les juges reconnaissent produit de son activité attaqué. classiquement que « toute personne, (...), tire du respect dû à sa vie Le photographe se verra opposer deux types de droit : le droit à privée le droit de s’opposer à une diffusion de son image faite sans son l’image des personnes d’une part, et celui des biens, de l’autre. autorisation »1. Par conséquent, dès lors qu’une personne est le sujet principal de l’image et est parfaitement reconnaissable, il faut obtenir son LE DrOIT A L’IMAGE DES PErSONNES OU LA autorisation. MONTEE EN PUISSANCE DU rESPECT DE LA La condamnation, si elle a lieu, pourra prendre la forme de dommages et intérêts, de saisie des biens incriminés, ou de VIE PrIVEE publication judiciaire dans un organe de presse. La protection du droit à l’image repose essentiellement sur l’article L’utilisateur pourra aussi faire l’objet de sanctions pénales sur 9 du Code civil issu de la loi du 19 juillet 1970 qui énonce sans le fondement des articles 226-1 et suivants du code pénal et 22 1. Cass., Civ. 1ère, 2 mars 2004 Pour autant, les personnes photographiées ne pourront s’opposer à la diffusion de leur image dans certaines situations. En effet, le juge a admis sur la base de la liberté d’expression et du droit à l’information du public (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) qu’il était possible de publier des images de personnes impliquées dans un événement dès lors que cette image photo : Florent Cardinaud était destinée à l’information légitime du public et qu’elle ne portait pas atteinte à la dignité de cette personne. L’individu et sa vie publique De nombreuses exceptions s’appliquent, laissant alors le champ libre à la diffusion d’images. Toute image d’actualité immédiate se trouve ainsi exonérée de demande d’autorisation. La notoriété de ces personnes peut ainsi entraîner une réduction de la sphère de la vie privée. Les hommes politiques voient, au nom du droit à l’information la captation de leur image autorisée dès lors qu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions, qu’ils prononcent un discours, que cette captation soit effectuée dans les lieux publics ou dans des lieux dits « privés ». Les personnes dans l’exercice de leurs fonctions Les agents de Police peuvent être pris en photo mais ne doivent pouvoirêtreidentifiés.Lesemployé(e)sdesservicespublics(impôts, enseignements, SNCF), quant à eux, ne peuvent être pris en photo car ils sont assimilés à des personnes privées au même titre que des ouvriers dans une usine privée. Le cas intéressant du citoyen lambda photographié dans l’espace public Rien n’interdit, dans l’espace public, et pour son seul usage, de prendre des photos de personnes inconnues, et ce sans leur demander leur autorisation. Cependant, lorsque les photographies sont destinées à être diffusées, le problème se pose et le juge a parfois entendu au sens large la notion de droit à l’information. La jurisprudence s’attache au côté artistique des photos réalisées. C’est ce qui ressort d’une affaire célèbre qui illustre parfaitement cette exception artistique. Dans cette affaire, Luc Delahaye, photographe de l’agence Magnum2, n’avait pas demandé l’autorisation des voyageurs du métro parisien pour la réalisation de son livre « L’Autre » qui compilait des photos d’individus tous anonymes, prises au moyen d’un dispositif caché. Le plaignant soutenait que la publication sans son accord de cette photographie réalisée à son insu et reproduite dans un but commercial, constituait une violation de son droit à l’image et lui causait un grave préjudice au regard de l’expression de tristesse se Les foules Les conflits sociaux donnent toujours lieu à la parution de photographies en tête des journaux. Que se passe-t-il si une personne est reconnaissable et souhaite s’opposer à la diffusion de son image ? Si l’objet de l’image est une foule, il paraît impossible de demander à chacun l’autorisation pour reproduire. mais si le photographe fait un gros plan sur un petit groupe, on sort de l’hypothèse de foule. L’autorisation redevient nécessaire. Les personnages publics Toute personne médiatisée ne peut s’opposer à la publication de son image dans l’exercice de sa vie publique. 2. Fameuse agence fondée notamment par Henri Cartier-Bresson et Robert Capa photo : Florent Cardinaud 23 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image La pratique photographique confrontée au droit à l’image d’une autorisation des représentants légaux qui précise le cadre dans lequel l’image de leur enfant sera utilisée (lieu, durée, modalité de présentation, de diffusion, support). LE DrOIT A L’IMAGE DES BIENS OU LE PrIMAT DE LA LIBErTE D’EXPrESSION L’image et la propriété matérielle photo : Florent Cardinaud dégageant du portrait le ridiculisant. Cependant, le tribunal a considéré que « l’exercice par un individu de son droit à l’image [ne doit pas avoir] pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées qui s’exprime spécialement dans le travail d’un artiste »3. Ce jugement reconnaît ainsi le primat de la liberté d’expression artistique sur le droit à l’image, ce livre offrant « la perspective de fournir un témoignage sociologique et artistique particulier sur le comportement humain, étayé par l’analyse d’un philosophe et sociologue cosignataire du livre ». Les interdictions légales à la diffusion d’image de personnes Peut-on prendre en photo la maison ou le bien d’autrui ? un monument ? un bâtiment administratif ? une œuvre d’art ? La tour Eiffel ? En matière de droit à l’image des biens, à l’inverse de ce que l’on observe pour les personnes, le principe est celui de la liberté et l’interdiction l’exception. En effet, la haute juridiction, en sa formation plénière, a opéré un revirement et tranché en faveur de la liberté du photographe en énonçant que: « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal »4. Le propriétaire qui veut intenter une action contre un photographe ayant photographié son bien, depuis l’espace public, doit désormais prouver devant les juges l’existence d’un « trouble anormal ». Si la prise de vue est réalisée dans un lieu privé, il est toutefois conseillé d’obtenir une autorisation du propriétaire qui n’est pas tenudejustifiersonrefus. Terrains et personnels militaires En amendant la loi sur liberté de la presse du 29 juillet 1881, La loi dite « guigou » du 15 juin 2000 a créé des infractions spéciales de diffusion d’images. Il est interdit de photographier les terrains militaires, le personnel militaire (secret défense) et les gendarmeries (rattachées au ministère de la Défense). (1) Les personnes menottées - Pour les personnes présumées innocentes dont une image serait diffusée alors qu’elles sont menottées, la peine encourue est de 15.000 euros d’amende (article 35 ter I de la loi). Photos extérieures de bâtiments, parcs, jardins, marchés publics, voire paysages (2) Les victimes d’attentat à la dignité desquelles il aurait été porté atteinte - Depuis l’affaire de la photographie du préfet Erignac juste après son assassinat, le droit a hésité entre la préservation du droit à l’information (un des arguments des photoreporters était qu’il fallait montrer l’horreur des attentats pour informer les lecteurs et dissuader les attaques éventuelles) et la préservation de la vie privée des victimes, touchées au plus profond de leur intimité physique. La loi a tranché, lorsque le cliché porte atteinte à la dignité de la victime, la peine encourue est de 15.000 euros d’amende (article 35 quater de la loi). (3) Les mineurs - La prise de vue de mineurs doit être précédée 24 3. TGI Paris, 17e Ch., 2 juin 2004 4. Cass., A.P., 7 mai 2004 DOSSIER DE LA REDACTION La pratique photographique confrontée au droit à l’image Image et droit d’auteur les tableaux et les œuvres d’art) et souvent aussi les églises. La protection du droit d’auteur instituée par le Code de la Propriété intellectuelle s’applique à tous les auteurs (peintres, sculpteurs, architectes, designers, graphistes, chorégraphes, écrivains, etc.) et peutentrerenconflitdirectavecletravailduphotographe. Ainsi, un bâtiment récent sera protégé par le droit d’auteur de l’architecte c’est à dire tout au long de sa vie et 70 ans après sa mort. Il en va de même des sculptures, peintures, œuvres littéraires mais aussi des photographies. Le photographe doit donc obtenir l’autorisation de l’auteur de ces œuvres pour pouvoir diffuser ces photographies et un artiste peut s’opposer à ce que l’on photographie son œuvre d’art placée au centre d’une place publique. Ainsi, la Tour Eiffel peut être photographiée sans problème, du moins lorsqu’elle est « éteinte ». Illuminée, elle ne peut être reproduite sans autorisation car le jeu de lumière est protégé en tant qu’œuvre d’art. En cas d’impossibilité de retrouver l’auteur pour obtenir son accord, la pratique tolère de recourir à la mention « droits réservés ». Photos dans des lieux strictement privés (maison, jardin, entreprise, voiture, chantier, etc.) Les musées L’autorisation du propriétaire ou du musée est nécessaire, y compris pour les reproductions de peintures étant tombées dans le domaine public. Par exemple, au regard de son règlement intérieur (titre VI), au musée du Louvre, il est interdit de photographier dans la galerie d’Apollon et dans l’ensemble des salles de peinture du premier étage de l’aile Denon ainsi que sur le palier où est exposée la Victoire de Samothrace. Idem à la maison Van-gogh à Auverssur-Oise. Demême,lesflashssontinterditsdanslesmusées(pourpréserver L’autorisation du propriétaire des lieux est obligatoire. Photos dans des lieux privés à vocation publique (grands magasins, musées, hôtels, parkings, stades, salons, théâtres, restaurants, enceintes sportives, églises, gares, aéroports, etc.) Ici, on appliquera au « cas par cas ». Rien ne peut empêcher de réaliser, à titre personnel, la photo d’un proche au sein de ces lieux, mais le photographe devra obligatoirement demander une autorisation pour prendre une photo à usage professionnel. Par exemple, photographier la coupole des galeries Lafayette (monument classé) nécessite l’autorisation du magasin. Si interdiction il y a, elle doit être manifestement indiquée, mais peut parfois constituer un abus. Les dérives sont nombreuses. Rien n’autorise un organisateur de spectacle ou de sport à interdire les prises de vues à usage privé (et pourtant cela est indiqué au dos de nombreux tickets). Image et propriété industrielle Les biens sur lesquels apparaissent des marques, brevets, dénominations sociales ou d’autres signes distinctifs sont protégés par le Code de la Propriété Intellectuelle. Le photographe devra donc se prémunir d’une autorisation des titulaires de ces droits pour diffuser l’image. Plages naturistes Pour l’anecdote, il est interdit de photographier sur les plages naturistes (espaces publics de droit privé). Ces photos sont autorisées pour un usage privé mais l’obtention d’une autorisation est nécessaire pour une utilisation commerciale. A titre d’exemple, pour les bâtiments modernes, les architectes revendiquent souvent un droit de regard sur l’utilisation professionnelle qui est faite des photos montrant leurs réalisations. Si la prise de vue à but commercial se situe à l’intérieur du lieu public et qu’il existe un propriétaire unique du lieu, alors l’autorisation est requise (cas d’un parc de loisirs par exemple). En conclusion, la loi ne réglemente pas tout et dans bien des cas seule la jurisprudence - quand elle existe - permet de se faire une idée à l’avance de ce qui peut être requis ou non. Toute exploitation d’une image suppose l’accord de tous les titulaires de droits de celle-ci ou autour de celle-ci. Il convient de bien repérer les droits en présence et de se prémunir en obtenant les autorisations, souvent accordées sans difficulté si elles sont demandées préalablement. Photos d’objets communs Il n’y a pas de limitation. photo : Florent Cardinaud Texte et photos - Florent Cardinaud 25 DOSSIER DE LA REDACTION Liberté d’expression : plume et image DOSSIER DE LA REDACTION Interview de Maître Luc Brossolet : Droit dans la presse people ? Maître Brossolet, connu comme étant l’avocat parisien de Prisma Presse, deuxième groupe de presse en france et éditeur notamment des magazines Voici et Voilà, a très aimablement accepté de répondre aux questions du Baromaître. Les personnes concernées, pour agir, pourraient très bien se passer du droit à l’image comme fondement de leur action et se limiter à celui d’une atteinte à la vie privée, atteinte qui peut être commise aussi bien par le texte que par l’image. Néanmoins, dans certains cas, force est de reconnaître que le droit à l’image est autonome. Ce sont les cas où il est invoqué à l’exclusion de toute autre atteinte (atteinte à la vie privée, diffamation, atteinte à la dignité, atteinte aux droits des artistes interprètes, etc.). Disons, pour résumer que le besoin d’autonomie du droit à l’image se fait rarement sentir... D’où vient selon vous cette protection si importante de la vie privée en France en comparaison avec les systèmes dits « anglo-saxons » où la vie privée est quasi inexistante pour les personnes publiques ? Maître Brossollet, pouvez-vous brièvement décrire votre parcours professionnel ? nous En janvier 1987, je prête serment et deviens collaborateur pendant un an de cinq avocats exerçant en Cabinet groupé. L’année suivante, je ne collabore plus qu’avec Pierre et Monique Fayon, chez qui je me sens si bien que je m’y installe. En 1990, Olivier d’Antin me rejoint et nous nous associons l’année suivante. Après plusieurs années de débats doctrinaux et jurisprudentiels, existe-t-il pour vous aujourd’hui un droit à l’image autonome? La question me paraît loin d’être réglée par la doctrine. A s’attacher à la jurisprudence, on constate que dans l’immense majorité des cas, l’atteinte au droit à l’image est commise dans le cadre, plus large, d’une atteinte à la vie privée. 26 Jenesuispassûrquel’affirmation contenue dans votre question soit entièrement exacte. Pour ce qui concerne l’Europe, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme s’applique dans tous les pays ayant ratifié ladite Convention, c’est-à-dire aussi bien dans les pays latins qu’en Angleterre ou en Allemagne. Ce qui diffère, ce n’est pas le principe de la protection de la vie privée, mais peut-être la conception que l’on en a, ou si vous préférez, le contenu de cette notion. Je vous donne un exemple : un homme politique qui milite avec ferveur pour les valeurs traditionnelles de famille et de fidélité, part en vacances avec sa maîtresse. Doit-on passer ses vacances sous silence au motif qu’elles ne concernent que sa vie privée ou au contraire s’empresser d’en parler pour démontrer que les actes dudit homme politique ne sont pas en accord avec ses idées ? Je suppose que les réponses varieront selon les pays où elle est posée. L’autre différence réside dans la plus ou moins grande facilité qu’il y a à intenter un procès. En France, c’est en jeu d’enfant que de saisir une juridiction pour se plaindre d’une atteinte à la vie privée. C’est rapide et peu coûteux. En Angleterre, il en va sans doute différemment. Le procès risque d’être plus long, plus coûteux et l’on peut imaginer que cela est dissuasif. Interview de Maître Brossolet Avec le succès de la « presse people », les magazines ne préfèrent-ils pas payer des dommages intérêts pour continuer leur activité ? En d’autres termes, ne font-ils pas « recette de l’illégalité » ? C’est ce que répètent les plaideurs à longueur d’audience. Pour la presse, le jeu en vaudrait la chandelle. Il faudrait que les dommages et intérêts, déconnectés de l’idée de réparation, deviennent dissuasifs. Ceci étant, je ne pense pas que l’on puisse dire que les magazines préfèrent payer des dommages et intérêts. Ils sont plutôt d’avis qu’ils ne devraient pas être condamnés car la plupart du temps, les personnalités dont ils parlent ne sont pas très discrètes. De leur vie privée, elles ont fait un véritable tremplin pour accéder à une certaine notoriété. Pensez-vous que la mesure de publication judiciaire spécifiquement en matière d’atteinte à la vie privée soit une mesure efficace ? Toutdépenddecequel’onentendparefficace. Dansl’espritdes plaideurs, et, je le crains, souvent dans l’esprit des juridictions, les publications judiciaires n’ont d’autre vocation que de gêner les journauxauxquelsellessontinfligées. D’où ces placards ridicules qui ne servent à rien et en tous les cas sûrement pas à informer le lecteur. Quand on lui parle de condamnation, ce dernier, toute enquête le démontrerait, pense qu’on lui signale une décision répressive. Vous considérez-vous comme un militant ? A l’inverse, n’existe-t-il pas un abus du droit à l’image des « peoples » qui profitent d’un système qu’ils alimentent parfois eux-mêmes et qui leur a parfois aussi apporté leur statut de célébrité? Pour vous répondre, quelques exemples de ces abus. un magazine avait publié un jour la photographie d’une spécialiste de la météo la représentant en monokini. Cri d’horreur : la pudeur bafouée, etc... Le jugement est rendu, le chèque des dommages et intérêts encaissé, et la jolie demoiselle de faire quelques semaines plus tard la une du « Nouveau Playboy ». L’abus, pour ne pas dire l’hypocrisie, ou pire encore l’escroquerie au jugement passera parfois par la revendication d’un préjudice important alors même que l’article est anodin, ou mieux encore, alors même qu’il est poursuivi sans avoir été lu par les intéressés. On a déjà vu que certains s’en vantent ! Pas comme un militant mais comme un modeste auxiliaire de justice qui essaye d’être convaincant sur le thème : les choses sont plus compliquées qu’elles n’y paraissent. Pas toujours avec le succès espéré,lajusticecédantsouventàlatentationdetoutsimplifier. Que diriez-vous à un jeune photographe essayant de vous « paparazer » ? On partage ? Propos recueillis par Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N En droit de la presse, la diffusion sur l’ensemble du territoire permet au demandeur d’assigner dans le ressort de son choix supposé plus ou moins généreux pour l’octroi de dommages et intérêts, cette pratique dite de shopping judiciaire est-elle encore une réalité ? Le shopping judiciaire reste bien entendu une réalité. A votre avis qu’est-ce qui peut bien convaincre une personnalité habitant Paris, ayant pour conseil un avocat inscrit au Barreau de cette ville, poursuivant un journal édité par une société ayant également son siège social dans la capitale, à saisir une juridiction d’un département de la périphérie ? 27 La DILA : la diffusion légale assurée Créée par décret le 22 janvier 2010, la Direction de l’information légale et administrative (DILA) est issue de la fusion de la direction de la Documentation française et de la direction des Journaux officiels. Placée sous l’autorité du secrétaire générale du Gouvernement, l’institution exerce une mission majeure de service public : la diffusion légale. La diffusion légale en ligne Le Journal officiel électronique authentifié a la même valeur légale que le Journal officiel papier. Il est publié le même jour en version papier et sous forme numérique. Tous les textes publiés au Journal officiel entrent en vigueur, sauf exception, le lendemain de leur publication. Le Journal officiel électronique authentifié bénéficie d’une sécurisation informatique renforcée qui garantit la protection maximale de son contenu. Tous les JO parus depuis le 1er juin 2004 sont consultables de manière permanente. La publication au Journal officiel « Lois et décrets » rend les textes opposables aux citoyens. Legifrance.gouv.fr, le service public de la diffusion du droit par Internet, créé par le décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 permet un accès gratuit aux documents suivants : • les textes de droit en vigueur français : la Constitution, les codes, les autres textes législatifs et réglementaires (lois, ordonnances et décrets, mais également les arrêtés ainsi que les textes émanant des autorités administratives indépendantes), les bulletins officiels des ministères ; • les textes de droit en vigueur européen : traités communautaires, textes publiés au Journal officiel de l’Union européenne, transposition des directives, jurisprudence européenne ; • les textes de droit en vigueur international : les traités internationaux, la jurisprudence internationale ; • les conventions collectives nationales étendues notamment les accords salariaux et les arrêtés d’extension, dans leur version en vigueur. La diffusion légale exercée par la DILA Les publications de la DILA – imprimées ou numériques – font référence en matière d’information du citoyen et des administrations, en favorisant l’accès à la vie publique dans les domaines politique, administratif, économique, social, juridique et international. L’institution diffuse, entre autres, les textes législatifs et réglementaires, mettant à la disposition de tous la norme juridique française. Elle Le droit simplifié et accessible à tous grâce à la DILA Créé en 2000, le portail service-public.gouv.fr, édité par la DILA, a pour mission de faciliter et de simplifier l’accès à l’information administrative et aux services en ligne, en fédérant les différentes ressources publiques disponibles sur Internet et en les organisant en fonction des besoins des usagers. La rubrique « Justice », notamment, présente les caractéristiques du système judiciaire français. L’organisation de la justice française, les peines encourus ou encore la saisie d’un tribunal sont détaillées aux internautes pour faciliter leurs démarches. La collection Droits et démarches, quant à elle, est conçue sous la forme de guides pratiques. Elle propose une information administrative et juridique, structurée et concise, visant à mieux faire connaître au grand public les formalités courantes auxquelles il doit faire face au quotidien et à mieux l’informer sur ses droits. Le lecteur trouvera également des éclairages sous la forme de questions-réponses et un enrichissement apporté par des références de textes officiels, de codes et de formulaires, des adresses utiles, des adresses de sites internet. assure la publication des lois et décrets au Journal officiel et édite et diffuse les textes législatifs et réglementaires qui sont ensuite disponibles sur le site d’accès au droit : légifrance.gouv.fr. La DILA est donc un relais majeur de l’information juridique et remplit une mission de service public essentielle. Plus précisément, elle met à disposition des professionnels du droit une multitude d’outils et de ressources leur permettant d’approfondir leurs connaissances. L’institution édite également sous la marque « Journaux officiels », l’ensemble des codes officiels indispensables à la pratique juridique. Du Code civil au Code du travail en passant par le Code de procédure pénale, la marque offre un panel complet des textes de droit. Les autres actes à caractère normatif (Constitution, lois et actes réglementaires…) sont aussi publiés par les « Journaux officiels ». Les décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat ou encore de la Cour de cassation ainsi que la jurisprudence plus généralement sont également diffusés par la DILA. Les sources d’information proposées sont donc nombreuses. Enfin, la DILA garantit la transparence économique et financière par la publication au niveau national de l’ensemble des informations légales, économiques et financières relatives à la vie des entreprises (notamment grâce au Bulletin des annonces civiles et commerciales – BODACC.fr ou au Bulletin officiel des annonces des marchés publics – BOAMP.fr). Les données juridiques produites et diffusées par la DILA sont accessibles gratuitement, dans le respect du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par Internet. Avec une jurisprudence et une norme juridique française, en perpétuelle mutation, un accès en ligne permet des mises à jour fréquentes et une totale concordance entre les textes de droit et la pratique juridique. La DILA met donc à disposition des internautes plusieurs sites incontournables. La Documentation française, éditeur de référence des administrations La DILA, sous la marque « la Documentation française », figure parmi les premiers éditeurs publics d’ouvrages et de périodiques en France. Partenaire privilégié de plus de 150 administrations et organismes, elle édite des conventions collectives, des rapports annuels, des travaux de recherche et des publications de référence. Les études sont menées par de grandes personnalités juridiques ou politiques, offrant ainsi un autre regard sur le droit, moins objectif et plus critique. Son périmètre est national, européen et international sur des thèmes variés : administratif, économique, social et juridique. Les études d’Autorités administratives indépendantes (AAI), telles que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ou le Médiateur de la République, sont également éditées par la Documentation française. Les publications de la Documentation française Outre les rapports institutionnels, la Documentation française publie également ses propres ouvrages, poussant à une analyse contextuelle du droit français et international. La collection Documents d’études regroupe des extraits de textes du droit public français et international explicités et commentés par des professeurs d’Université. Plusieurs séries sont proposées : « Droit constitutionnel et institutions », « Droit administratif », « Droit international public », « Finances publiques », « Jurisprudence ». D’autres collections présentent des études de la situation judiciaire et juridique française. Les notices de la Documentation française ont notamment publié, en 2008, un ouvrage intitulé « Droit administratif et administration ». Ce livre de Jacques Petit reprend les bases du droit administratif en analysant son évolution et en présentant l’organisation, l’action et les moyens administratifs. Plus récemment, la collection Etudes de la Documentation française a publié un ouvrage, la Cour de cassation. Entièrement consacré à cette juridiction, cette publication permet de comprendre l’originalité des missions de la Cour, à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et sa place dans les institutions de la République. LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Interview de M. Jacques Degrandi, Premier président de la Cour d’appel de Paris Interview de M. Jacques Degrandi Comment décririez-vous la cour d’appel de Paris par comparaison aux autres cours que vous avez connues ? C’est la première cour d’appel que je préside. Il serait en conséquence présomptueux de la comparer à d’autres cours. Je me contenterai d’en rappeler les principales caractéristiques qui en font une juridiction hors normes. La présence dans son ressort du tribunal de grande instance de Paris lui confère, dans le domaine pénal, une compétence nationale en matière de terrorisme, de droit pénal boursier et de corruption internationale, quasi-nationale en santé publique (ressort de vingt-quatre des trente cinq cours d’appel), interrégionale en criminalité organisée et délinquance financière d’une très grande complexité (ressort de vingt-sept tribunaux de grande instance dépendant de neuf cours d’appel). C’est la même chose dans le secteur civil. La compétence est nationale en matière de brevets et marques communautaires et désormais de brevets nationaux, interrégionale ou régionale en matière de propriété littéraire et artistique, dessins et modèles, marques et indications géographiques, adoptions internationales, contestations de nationalité et pratiques restrictives de concurrence. Les effectifs de la cour représentent plus de cinq mille personnes, dont mille quatre cents magistrats. Son budget annuel, masse Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone 01 42 60 36 35 salariale incluse, est supérieur à quatre cents millions d’euros. Le ressort comporte plus de quatre vingt sites judiciaires, dont neuf tribunaux de grande instance, six parmi les plus la première importants de France. Installé depuis mai 2010 à présidence de la cour d’appel de Paris, M. Degrandi revient pour nous sur les enjeux et le fonctionnement de cette cour si particulière, à la lumière des missions dont il se trouve investit et des moyens pour mener celles-ci à bien. [Cette interview a été réalisée en novembre 2010] 30 De quels moyens humains et matériels spécifiques disposez-vous pour répondre aux particularités de notre cour ? Je viens de vous donner quelques chiffres en ce qui concerne les moyens humains répartis dans l’ensemble du ressort qui s’étend de la porte Maillot à Auxerre, autrement dit de la Défense aux portes de Dijon. Cela dit, la première présidence dispose d’un secrétariat général composé de quatre magistrats, dont un secrétaire général et trois chargés de mission, et seize fonctionnaires. Pour la gestion budgétaire, la gestion des ressources humaines, la formation, l’informatique, le premier président et le procureur général sont assistés par le service administratif régional, dirigé par un magistrat, dont l’effectif est de cent cinquante agents. Les dimensions de ces services reflètent les particularités de la cour même si les chefs de cour et les chefs de juridiction souhaiteraient qu’elles soient encore mieux prises en compte par les responsables du budget opérationnel de programme du ministère de la justice. Mais je dois dire que c’est une préoccupation partagée par la plupart des responsables de juridictions. En quoi consiste l’organisation en pôles, en quoi les usagers peuvent-ils y trouver une plus-value ? Envisagez vous des aménagements ? Les pôles ont été définis par mon prédécesseur dont j’entends reprendre les objectifs. Ils sont d’abord le lieu d’échanges juridiques internes et d’enrichissement des pratiques juridictionnelles. C’est en leur sein que doivent se mettre en place les mécanismes d’inventaire et de circulation des jurisprudences ainsi que des pratiques innovantes destinées à améliorer la qualité et la célérité de la justice. C’est à travers eux que doivent être recensés les besoins de formation, que doit être établie une contribution réelle au plan annuel de formation des magistrats comme des fonctionnaires, que doivent être organisées des actions locales de formation. Ils doivent être en outre un lieu d’échanges avec leur environnement. Il faut qu’y circulent des informations sur ce qui nous entoure : les entreprises, les syndicats, les magistrats étrangers, les universités. Enfin, ils doivent être les lieux naturels d’accueil des magistrats et fonctionnaires nouvellement affectés à la cour ou dans une chambre du pôle, d’épanouissement des modes alternatifs de résolution des litiges (médiation, conciliation), de contact avec les auxiliaires de justice, les mandataires de justice et les experts, de répartition et de suivi effectif des assistants de justice. En favorisant la réalisation de tels objectifs, ils permettent aux magistrats et fonctionnaires, appelés à mieux prendre conscience de leur appartenance institutionnelle, de définir des lignes directrices de jurisprudence et d’accroître subséquemment la sécurité juridique qui est un bien précieux pour les justiciables. Ces derniers bénéficient aussi de l’expertise que procure aux membres des pôles, la réflexion collective développée au sein de ces structures. Pour autant, celles-ci ne sont pas figées. Leur création a été assortie de l’établissement de bilans périodiques pour permettre d’apporter les améliorations commandées par l’expérience. Un groupe de travail a donc été mis en place pour apprécier la pertinence de la répartition des matières entre les pôles ou à l’intérieur de ceux-ci. Des aménagements sont donc susceptibles d’intervenir. Ainsi, par exemple, est-il prévu de regrouper les cours d’assises au sein d’un même pôle au mois de janvier 2011. La cour d’appel de Paris va connaître plusieurs longs procès dans les mois qui viennent ; quelles contraintes et quels défis cela représente-t-il pour vous ? La cour va effectivement devoir juger en l’espace d’une année, la plupart des grands procès qui ont été traités par le tribunal de grande instance de Paris au cours des trois années antérieures, dont ceux dits de l’hormone de croissance, du Sentier II, de l’Angolagate, mais encore les procès d’assises Fofana, Ferrara, Colonna. S’y ajoutent de nombreuses procédures de la juridiction interrégionale spécialisée en matière de criminalité organisée et de criminalité économique et financière. Beaucoup nécessitent la présence d’un magistrat et d’un greffier supplémentaires aux audiences pour sécuriser les débats, autrement dit leur permettre d’aller jusqu’à leur terme en cas d’incident affectant la composition de jugement. La contrainte est d’autant plus forte que plusieurs autres secteurs d’activité nécessitent un renfort pour promouvoir des délais raisonnables de jugement. Il faut organiser le service dans un contexte de restriction des moyens et d’accroissement des tâches. Une réflexion collective est entreprise sur les méthodes de travail, la définition de ratios par formation, la modélisation des décisions dans les matières qui s’y prêtent. Il faut à mon sens y associer les avocats qui pourraient nous aider grandement par une démarche déterminée vers la structuration des écritures des parties. Permettre par exemple au juge de distinguer facilement les moyens grâce à une forme imposée serait de nature à faire gagner un temps précieux pour les justiciables. Je suis certain que les années à venir vont nous imposer de progresser dans cette voie. En tout état de cause, l’accumulation de procès hors normes à la cour nous y incite en tous cas dès maintenant. La réforme de la procédure civile d’appel est imminente ; comment la présenteriez-vous globalement et quelles dispositions avez-vous dû prendre, y compris matériellement ? La Justice éprouve des difficultés pour rendre toutes les décisions dans un délai raisonnable et nos concitoyens n’hésitent plus à engager des actions pour en dénoncer les dysfonctionnements, confortés en cela par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Tous les acteurs du procès doivent s’engager dans une démarche de modernisation pour mieux maîtriser le juste temps judiciaire. La réforme de la procédure civile introduite par le décret du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile s’inscrit dans cette perspective. Elle impose des délais de mise en état rigoureux sous peine d’irrecevabilité ou de caducité. Elle nous engage fermement à recourir aux nouvelles technologies, l’article 930-1 du Code de procédure civile prévoyant la remise progressive des actes de procédure par voie électronique, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office. Pour l’instant, ces dispositions restent applicables à compter du 1er janvier 2011 pour les déclarations d’appel et les constitutions dans les procédures introduites à compter de cette date. A terme, la 31 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Interview de M. Jacques Degrandi, Premier président de la Cour d’appel de Paris communication électronique appliquée à la procédure civile en cause d’appel permettra de réduire les délais, les distances et les coûts, éviter les déplacements inutiles des auxiliaires de justice et induire des modalités de travail plus efficientes. Je suis aussi conscient que ces orientations sont à l’origine de craintes, parce qu’elles bousculent les habitudes, y compris celles des avocats, et s’accompagnent d’incertitudes sur les calendriers. En tout état de cause, les magistrats et le greffe de la cour ont engagé une réflexion associant les services de la Chancellerie, le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et les barreaux des autres arrondissements judiciaires du ressort, ainsi que la chambre des avoués. Il s’agit, avant même les derniers arbitrages, de se préparer pour que le système fonctionne au mieux dans les meilleurs délais possibles. Depuis mon installation le 10 mai 2010, je suis tout particulièrement ce dossier et remercie tous ceux qui s’y impliquent avec beaucoup de sérieux et sens du service rendu au justiciable. Les magistrats et le greffe revoient les trames de mise en état à la lumière des nouveaux textes. Elles ont été validées durant la deuxième quinzaine d’octobre et seront installées avant la fin du mois de novembre 2010. Dans le même temps, un vade-mecum de procédure civile sera finalisé grâce aux observations de tous les acteurs concernés. Il servira de socle et de guide à une réflexion plus générale sur l’évolution du droit au regard de nos spécificités parisiennes. Enfin, la cour d’appel de Paris teste d’ores et déjà la dématérialisation au sein des chambres devant lesquelles la représentation n’est pas obligatoire en permettant aux avocats de procéder à des transmissions dématérialisées via e-barreau. Cette phase expérimentale ouverte depuis le 18 mai 2010 associe quelques cabinets d’avocats des barreaux de Paris et du ressort spécialisés en droit social, le greffe social central, le service de la distribution et les chambres sociales. Les avoués sont bien évidemment invités à cette expérimentation qui profite de leur incomparable expérience. Les protocoles de communication électronique seront régularisés sous peu. Je tiens à ajouter que les améliorations passent aussi par la volonté commune de promouvoir le principe de concentration des écritures auquel je suis particulièrement attaché. Il n’est évidemment pas question de rechercher une justice expéditive et bâclée mais au contraire de tendre vers une justice plus loyale en contraignant d’emblée à exposer tous les tenants et aboutissants du procès. Ce principe de loyauté sera encore favorisé par la structure des écritures qui s’imposera dans le cadre de la future procédure civile européenne. Je sais pouvoir compter sur le dynamisme des avocats afin que notre cour continue d’être un modèle d’excellence. 32 La profession d’avoué est susceptible de disparaître. Est-ce une difficulté pour la cour ? La dernière rédaction du projet de loi précise que la fusion avocats/ avoués n’entrera en application qu’à compter du 1er janvier 2012. Les avoués devraient donc garder le monopole de la postulation jusqu’à cette date. Les difficultés tenant à leur suppression sont à mon sens de deux ordres. Une perte potentielle d’efficacité. Leur intervention introduit de la lisibilité dans les procédures parfois très complexes et représente un véritable gain pour les magistrats tandis que les échanges sont facilités par leur petit nombre. Les difficultés sont aussi techniques. Dans un processus général de modernisation des échanges, les avoués parisiens transmettent à la cour de Paris de façon dématérialisée leurs déclarations d’appel et les constitutions d’intimés dans le cadre d’une convention nationale. En contrepartie, ils accèdent à certaines données du greffe. Les réformes en cours ont abouti à la régularisation d’une convention nationale soumise à la signature du Conseil national des barreaux et à celle de la Chancellerie le 16 juin 2010. Les avocats peuvent d’ores et déjà saisir électroniquement la cour d’appel et procéder à la mise en état dans toutes les procédures sans représentation obligatoire. Les avoués peuvent continuer à échanger via leur réseau mais leur convention nationale ne sera pas reconduite très longtemps. Jusqu’à leur suppression, ils ont intérêt à communiquer via e-barreau, seul réseau qui sera autorisé pour toutes les procédures civiles. Dans cette mesure et grâce à une parfaite collaboration entre tous les acteurs, magistrats et greffe, Chancellerie, CNB et chambre parisienne des avoués, ces derniers sont activement associés à l’évolution du système e-barreau. Les services de la cour mettent tout en œuvre pour que le basculement en 2011 soit le moins pénalisant possible pour les justiciables. Je ne doute pas que cette concertation permettra une transition dans les meilleures conditions possibles. Cela dit, je reste convaincu que la disparition programmée des avoués devrait être subordonnée à la dématérialisation préalable de l’ensemble des procédures civiles. Nous sommes loin du compte. Je crains que certaines cours ne disposent pas des matériels et des personnels suffisants pour être en mesure, d’une part, de communiquer avec la communauté des avocats tellement plus nombreuse que celle des avoués, d’autre part, de traiter le contentieux à partir des pièces dématérialisées. Le monde judiciaire vit une révolution culturelle. Il faudra encore un peu de temps pour en intégrer toutes les conséquences. Interview de M. Jacques Degrandi Comment décririez-vous la profession d’avocat de demain ? Qu’attendent les magistrats des jeunes avocats ? Je pense que la communication électronique et la dématérialisation des procédures comme le travail partagé que permettent désormais les techniques informatiques vont transformer la profession d’avocat. Les déplacements et les pertes de temps seront moins nombreux, le travail de cabinet plus intense. En matière civile, la procédure écrite et les nouvelles technologies amoindriront encore l’importance de la plaidoirie. Le principe de concentration des demandes, des moyens, des preuves, qui prévaudra tôt ou tard, imposera à l’avocat du demandeur, hors cas d’urgence, de mettre en état la procédure avant l’exploit introductif d’instance. La défense devra disposer d’un délai suffisant pour en faire de même. Les délais avant jugement seront nécessairement raccourcis. Le succès de l’acte d’avocat, s’il est au rendez-vous, accroîtra sensiblement la fonction de rédacteur attachée à la profession. La future procédure participative de négociation assistée par avocat, bien comprise et intégrée par la profession, lui confèrera un rôle important de régulateur des conflits sociaux. Son adhésion aux procédures de médiation aboutira au même résultat. Au-delà, ainsi que je l’ai suggéré à la mission Darrois, je souhaite voir redéfinir le périmètre de la constitution d’avocat. La constitution obligatoire ne serait plus déterminée par la catégorie de la juridiction mais par la nature ou le quantum de la demande. Elle serait étendue à toutes les formations juridictionnelles, au premier comme au second degré de juridiction. Cela conduirait les avocats à intervenir nécessairement, selon le seuil ou la matière, devant le tribunal de commerce, le conseil de prud’hommes ou toute photo : Florent Cardinaud 33 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Interview de M. Jacques Degrandi, Premier président de la Cour d’appel de Paris autre juridiction. De même, la constitution devant les administrations deviendrait possible en toute matière, l’avocat étant investi du pouvoir de représenter ou simplement de celui d’assister l’administré qui le souhaite sans que l’administration ne puisse s’y opposer. Je souhaite par ailleurs voir promouvoir pour les avocats, le statut de magistrat associé ainsi que l’a préconisé le recteur Guinchard pour les professeurs de l’enseignement supérieur. Actuellement, les avocats peuvent compléter la formation collégiale du tribunal de grande instance et de la cour d’appel en application des articles L. 212-4 et L. 312-3 du Code de l’organisation judiciaire. Mais, d’une part, cette suppléance est ponctuelle et décidée par le président d’audience. D’autre part, elle n’est pas rémunérée. Il serait judicieux à mon sens de limiter le plus possible les formations à juge unique au tribunal de grande instance et de codifier de manière corollaire la faculté pour les chefs de cour et de juridiction de compléter les audiences collégiales par des avocats magistrats associés moyennant le règlement de vacations horaires. Outre que ce serait un nouveau facteur de rapprochement des professions, de telles dispositions permettraient de faire face à la restriction des moyens humains des juridictions et, par le biais d’une collégialité restaurée, d’améliorer encore la qualité de la justice. Avec les organes compétents de notre profession, vous vous êtes battu pour que les PPI soient encore rémunérés jusqu’en fin de 2010 ; espérez vous que la stabilité de cette rémunération soit retrouvée pour 2011 et la suite ? Les perspectives budgétaires concernant le fonctionnement des juridictions m’incitent à la plus grande prudence. Si nous ne pouvions dégager les sommes nécessaires à la gratification réglementaire des élèves avocats, j’en serai tout à fait et très sincèrement désolé. Je suis profondément convaincu que le stage de six mois des auditeurs de justice dans des cabinets d’avocats comme la réalisation du projet pédagogique individuel des élèves avocats en juridiction sont des facteurs puissants de rapprochement des deux professions. Les futurs magistrats sont mis en mesure d’appréhender les grandeurs et les difficultés de la défense ainsi que de l’exercice d’une profession libérale. Ils ne regardent plus les avocats de la même manière après avoir partagé leur vie professionnelle pendant quelques mois. Les élèves avocats touchent quant à eux du doigt les attentes des juges, leurs problèmes, les pratiques qu’ils devront éviter dans l’exercice de leur futur métier pour être plus efficaces. Il faut sauver ces échanges mais la solution, que je vais rechercher avec le bâtonnier et le directeur de l’Ecole de formation du barreau de Paris, n’est pas évidente. 34 LE PÔLE 5 : VIE ÉCONOMIQUE Le pôle numéro 5 Le pôle « Vie de l’entreprise, économie, finances », que j’anime avec l’assistance du Conseiller Loos, regroupe onze chambres civiles ou commerciales et deux chambres pénales, soit une quarantaine de magistrats du siège et autant de fonctionnaires de greffe, pour un stock de huit à neuf mille dossiers en cours. Il présente deux particularités, outre sa taille : Thierry Fossier les chambres à compétence nationale ou interrégionale qui caractérisent la Cour de Paris font presque toutes partie de ce pôle ; et c’est naturellement dans ce pôle que le droit européen trouve à s’appliquer le plus souvent. Il s’ajoute que « de facto », en raison de la densité de sièges sociaux qui caractérise Paris, ce pôle assume une part importante du contentieux d’affaires du territoire national. Naturellement, les usagers de la justice dans ce domaine ont des attentes bien connues : la rapidité de la mise en état, la collégialité très poussée, la précision des arrêts. Les magistrats qui y sont affectés l’ont très généralement voulu et reçoivent une formation en droit économique et en sciences économiques tout au long de leur présence dans ce pôle. Interview de M. Jacques Degrandi naturellement à la disposition des organes de la profession d’avocats pour mener à bien ce type de projet. Le pôle a par exemple joué un rôle important dans l’organisation du colloque de 2009 sur la crise, dans la mise en place de la réforme de la procédure d’appel cette année, etc. La chambre 5-7 Je ne résiste pas à l’envie de vous dire un mot d’une entité en partie originale au sein du pôle, et dont la compétence est à la fois nationale et communautaire : la chambre de la Régulation. Cette juridiction a été restructurée voici deux ans, en forme de « chambre » classique. Elle examine les recours engagés contre les décisions du ministère de l’économie et des finances (à savoir les services fiscaux et douaniers), et d’institutions historiquement dérivées de ce ministère que sont les autorités de régulation économique et de sanctions : Autorités des marchés financiers, de la concurrence et sectorielles (télécommunications, énergie, activités ferroviaires, Internet, jeux en ligne). L’œuvre juridictionnelle de cette chambre démultiplie toutes les caractéristiques du pôle dans son ensemble : complexité, relative urgence, ouverture aux sciences humaines, et pour le président de la chambre liens forts avec de multiples instances extérieures. Notre travail poursuit en outre un but particulier : l’introduction des droits de la défense dans des procédures administratives qui n’y sont, dans leur phase préjudiciaire, que partiellement soumises. Ces activités intellectuellement exaltantes se développent aussi dans un contexte politico-administratif très prégnant. Le nouveau palais de justice semble enfin entrer dans le domaine des certitudes ; en quoi la cour d’appel, ou son premier président, sont-ils concernés par ce chantier ? Les chefs de cour sont comme les chefs de juridiction, membres du conseil d’administration de l’établissement public du Palais de justice de Paris. Ils sont donc appelés à participer aux décisions essentielles qui vont déboucher sur la définition du projet et le choix entre les propositions qui seront faites par les partenaires privés. Ils seront ultérieurement appelés à suivre la construction jusqu’à la remise des clés de l’établissement. Audelà, ils auront des décisions à prendre en leur qualité de responsable du budget opérationnel de programme de la cour et d’ordonnateurs secondaires des dépenses. Mais plus encore, le futur déménagement du tribunal de grande instance conduira à redistribuer les surfaces judiciaires utiles du site historique sur l’île de la Cité. Il leur donnera la possibilité d’attribuer des bureaux aux magistrats et fonctionnaires qui n’en disposent pas ou sont répartis dans d’autres bâtiments loués. Ils superviseront aussi l’accueil des juridictions ou des services qui intégreront les lieux compte tenu de l’importance des surfaces qui seront libérées, dont une partie de celles actuellement occupées par la police judiciaire au 34, quai des Orfèvres. Le futur chantier fait donc d’ores et déjà partie des préoccupations des chefs de cour. Propos recueillis par Mathilde Saltiel - Promotion Jacques Attali – Série G & Claire Tordjman - Promotion Jacques Attali - Série G L’avocat L’animateur Le rôle de l’animateur, décrit par le Premier président dans l’interview qu’il vous a accordée, prend une dimension spécifique dans ce pôle. Je ne dois pas faire la leçon à mes collègues, dont l’expérience en droit des affaires est affirmée et dont beaucoup ont une vraie notoriété à l’extérieur de la cour d’appel. De toute façon, la vie judiciaire n’est pas pyramidale comme la vie politique ou administrative : un animateur doit épouser la diversité, rechercher l’harmonie, il ne commande pas. Mais en même temps, la première présidence a des attentes fortes à l’égard des chambres du pôle économique et financier. Notamment, il est essentiel, pour que le droit économique joue son rôle régulateur, que les divergences éventuelles d’interprétation de la loi soient repérées et si possible aplanies. Et puis les occasions sont nombreuses pour moi et Monsieur Loos d’organiser des actions de coordination, d’information, de formation, en interne ou en lien avec le Barreau, avec l’Ecole de la magistrature, avec l’Université. Je suis Dans cette chambre, et dans le pôle en général, il est essentiel que nous ayons affaire à des avocats hautement spécialisés, aussi bons juristes qu’économistes, et je ne peux qu’abonder dans le sens de ce que vient de vous dire le Premier président Degrandi : la plaidoirie est utile, à condition du moins qu’elle soit interactive, mais la préparation d’un très bon dossier, approfondi dès l’introduction du recours, et de très bonnes conclusions est ce qui convainc les magistrats et ce sur quoi ils travaillent. Il faut aussi que nous ayons de bonnes équipes de documentalistes, d’assistants et de stagiaires de très haut niveau. C’est vous dire combien nous espérons accueillir des élèves de l’EFB à l’avenir, comme nous l’avons fait dans de larges proportions dans le passé. Thierry Fossier - Animateur du pôle 5 de la Cour d’appel de Paris Présient de la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris 35 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Maître Eolas en vingt questions Juriste iconoclaste, Maître Eolas sait rendre sexy cette matière juridique qui nous paraît parfois vieille et austère. Son blog est désormais une référence incontournable, dépassant largement le microcosme des professionnels du droit et les frontières de l’Hexagone. Anonymement entré dans la sphère publique, il est régulièrement interviewé dans la presse écrite, à la radio et vient de faire l’actualité pour son « tweetclash » avec Pascal Nègre sur Twitter. Il a néanmoins pris le temps de répondre aux questions du Baromaître avec cet humour dont beaucoup sont déjà coutumiers. ? NAISSANCE 1/ Sans vouloir donner trop d’indications, ni dévoiler votre anonymat, quelles études avez-vous suivies et avez-vous toujours voulu être avocat ? Mon cursus est tout à fait ordinaire. M2 de droit privé, à une époque où cela s’appelait un DEA. Puis l’examen d’accès au CRFPA. Pas de double cursus : j’avais une vie sexuelle à la fac. 2/ Pourquoi avoir créé votre blog, le « Journal d’un avocat », en 2004 ? J’ai découvert les blogs courant 2003, à l’époque où le phénomène est arrivé en France. J’ai naturellement commencé à commenter sous les billets, et mes commentaires se sont faits de plus en plus longs, et appelaient des demandes de précisions d’autres lecteurs, très intéressés par les questions juridiques. Immanquablement, l’hôte des lieux finissait par me faire remarquer que je devrais ouvrir le mien, sans que je susse s’il s’agissait d’un encouragement admiratif ou d’une invitation à cesser de lui voler la vedette. Le déclic a eu lieu en 2004, quand deux lois sont venues simultanément 36 Maître Eolas en vingt questions devant le Parlement. L’une, la future LCEN, déchaînait les passions sur Internet, alors que son contenu était plutôt anodin, et même très protecteur des blogs amateurs. L’autre, la future loi Perben II, enflammait la profession d’avocat, mais laissait l’opinion publique indifférente. J’ai donc réalisé que l’information juridique répondait à un véritable besoin et non à une simple curiosité. Et que ce besoin n’était pas satisfait par des articles de presse parfois approximatifs, tant il est difficile de parler du droit et de la justice quand on n’en connaît pas les mécanismes. Pour rédiger un billet, je me suis fixé une règle simple. Quand je me suis inscrit en fac de droit, je suis allé faire un tour à la Bibliothèque, j’ai pris un code civil, l’ai ouvert au hasard et ai lu. Et j’ai été pris de panique. Je comprenais les mots séparément, mais mis côte à côte, ils ne voulaient plus rien dire. Je me suis dit que je n’y arriverais jamais et que j’avais fait une erreur en choisissant cette voie. Quand j’écris un billet, je l’écris pour ce moi de 18 ans, désespéré dans cette bibliothèque déserte. Je veux le rassurer, et pour cela, il faut qu’il comprenne ce que j’écris. Nous sommes la somme de nos traumatismes d’enfance, disait Freud quand il avait trop bu. 3/ Pour nous qui découvrons les horaires chargés de ce métier, une question se pose : comment faites-vous pour prendre le temps d’écrire aussi régulièrement ? Auriez-vous le don d’ubiquité ? C’est LA question à laquelle je n’échappe jamais. La réponse est toujours la même : plutôt que de perdre du temps à me demander « Il faudrait que je où je trouverai le temps d’écrire teste une année être un billet, je l’écris. Ne fumant pas, chargé de TD en j’économise déjà le temps perdu droit pénal » à pétuner (oui, ça existe, à vos dictionnaires) dans la rue. Je n’ai pas de maîtresse, ça me libère mes fins d’après midi. Je me prends une pause à l’heure du déjeuner, et je la passe à rédiger. Enfin, le goût immodéré des chaînes de télévision pour la télé-réalité, les variétés sans variété et les séries mal doublées me libère mes soirées. L’un dans l’autre, j’arrive à consacrer 2 heures par jour à ce blog, tout en restant un époux attentionné et un père exemplaire. Ça n’a rien d’un exploit. 4/ Comment avez-vous été amené à ouvrir votre blog à d’autres contributeurs, tels Aliocha ou Gascogne ? Vérifiez-vous leurs écrits avant publication ? J’ai remarqué leurs commentaires, révélant à la fois un vrai style, de l’esprit, ce qui est indispensable pour me séduire, et une absence de peur de descendre dans l’arène, se frotter aux débats en ligne qui peuvent parfois être vifs. Dans ce cas, plutôt que de se draper dans leur dignité outragée, ils paraient et ripostaient avec une habileté de fins bretteurs. Un jour que je guettais leurs commentaires, je me suis dit que ce serait encore mieux de guetter leurs billets. Je ne vérifie jamais leurs écrits avant. Ils ont les clefs, ils rédigent et publient eux-mêmes. ENGAGEMENT 5/ Votre blog est-il pour vous une façon d’agir et d’influencer en dehors de l’enceinte confinée des prétoires, afin de retrouver le rôle historiquement « politique » de l’avocat ? Non. Désolé pour votre question, joliment rédigée, mais non, absolument pas. L’influence sur Internet est quasi nulle. J’en veux pour preuve que la seule fois où je me suis ouvertement engagé dans un combat politique, c’était en faveur du oui ou référendum de 2005. Avec le succès que l’on sait. On ne vient pas me lire comme maître à penser. Beaucoup de mes lecteurs ne sont pas d’accord avec moi, et je tire une vraie fierté de leur lectorat, car c’est un beau compliment que l’on fait à son adversaire. Même si je n’ai rien contre les lecteurs, et surtout les lectrices, convaincues par mes propos et épousant mes idées. Mon seul capital, c’est la confiance que me témoignent mes lecteurs. Ce que je dis s’appuie sur des sources dont je donne les liens, et si on me signale une erreur, elle est toujours commise de bonne foi et je m’efforce de la corriger. Ma capacité d’influence se mesure à “l’effet Eolas” : quand je signale un lien intéressant, c’est plusieurs centaines à plusieurs milliers de visiteurs qui s’y rendent dans l’heure suivante (il arrive que des sites plantent parce que je les ai signalés !). C’est déjà beaucoup. Mais ça ne va pas plus loin. Et ça me va très bien, tout compte fait. J’aime trop l’esprit critique pour me plaindre d’en être entouré. sa décision HADOPI (Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009). C’est assez loin de la République des avocats, puisqu’il n’y a pas prédominance de cette profession par sa maîtrise du Verbe. Chacun apporte son expertise sur la question qu’il connaît. Il y a des blogs d’économistes passionnants, qui apportent leur éclairage sur telle affaire ou tel débat sur lequel le juriste n’a rien à dire : le débat sur les retraites, aussi intéressant soit-il, n’est pas juridique. En fait, la république des blogs est la vraie république, chacun débattant sur un pied d’égalité, et seul le mérite distinguant les meilleurs, exception faite de votre serviteur, dont le succès inexplicable ne peut être dû qu’à la chance. 7/ Quelles sont les réactions ordinales vis-à-vis de votre blog ? Ne vous a-t-on jamais fait de reproches d’ordre déontologique ? L’Ordre ne m’a jamais fait la moindre remarque sur mon blog, hormis un bâtonnier qui, ayant appris qui j’étais, m’a très chaudement félicité à titre personnel. Et ce dès le début : on ne peut affirmer que c’est à cause de mon succès. L’Ordre est beaucoup, beaucoup moins frileux qu’on ne le croit. Il faut dire que dès son ouverture, j’ai indiqué que ce blog n’était pas un site de cabinet d’avocat (d’où mon pseudonyme et mon refus de répondre à des demandes de consultation juridique), mais que je n’en respecterais pas moins la déontologie de ma profession, notamment en m’abstenant de parler de mes dossiers personnels. Ce choix, auquel je me suis toujours tenu, a semble-t-il satisfait l’Ordre, et je crois qu’il s’en félicite même tant je pense que mon blog a rejailli positivement sur l’image de la profession, en aidant à briser quelques clichés pourtant solides. 8/ L’écriture de votre blog a-t-elle une influence sur votre façon d’exercer votre métier d’avocat ? Non, j’espère que c’est même le contraire. Même si j’ai forcément beaucoup appris des échanges qui ont lieu avec les lecteurs en commentaires, tout particulièrement les magistrats. 6/ La république des blogs est-elle une résurgence de la République des avocats si chère à Berryer ? Désolé de répondre par la négative à chaque fois que vous faites une perspective historique, mais les blogs, et au-delà les réseaux sociaux, sont un phénomène qui dépasse de loin la profession d’avocat, qui ne fut ni la première à utiliser ce support, ni la plus nombreuse à l’utiliser. Les informaticiens sont surreprésentés, vous vous en doutez. L’Internet est devenu un nouvel espace d’expression, une nouvelle agora, et c’est formidable. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs consacré dans « En fait, la république des blogs est la vraie république, chacun débattant sur un pied d’égalité » 37 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Maître Eolas en vingt questions 9/ Pensez-vous que l’avocat peut avoir une fonction sociale ? Êtes-vous favorable à l’idée d’une « class action » à la française ? Je me méfie de ces expressions à tiroir où on peut mettre tant de chose. L’avocat, une fonction sociale ? Je ne suis même pas sûr que nous comprendrions cette expression de la même façon. L’avocat a essentiellement une fonction juridique et judiciaire. Ce qui implique un rôle social par ricochet. Après, chacun vit son métier de la façon dont il l’entend et de manière à lui donner le plus de substance possible, en fonction de sa conception. De même que je me méfie de l’expression « à la française ». Généralement, quand on l’accole à quelque chose, c’est de la même façon que les chinois accolent « à la chinoise » aux mots « droits de l’homme » : garde à vue à la française, par exemple. La class action, ou action de groupe, existe en droit américain et est bien connue et encadrée. S’il faut l’importer en droit français, prenons-la telle quelle, sans vouloir l’adapter, ce qui immanquablement la viderait de sa substance et la priverait de tout intérêt. Elle présente un intérêt réel à chaque fois qu’un acteur commercial a causé un préjudice minime, quelques dizaines d’euros, à un grand nombre de consommateurs. Seule une action de groupe permet de réparer ce préjudice dans son intégralité, qui est la seule sanction dissuasive. Je n’aurais rien contre, étant précisé que vu mon domaine d’activité, je n’aurais rien à y gagner. Maître Eolas en vingt questions un havre. Tout le monde est content. Je n’ai jamais eu la prétention ni l’illusion d’influencer durablement et en masse mes concitoyens. Simplement, ceux qui, au-delà de la colère et de l’indignation, veulent comprendre trouveront les clefs sur mon blog. Je ne puis faire mieux. Au moins, il y a un endroit où elles se trouvent. « J’aime trop l’esprit critique pour me plaindre d’en être entouré » 11/ Est-il possible de concilier l’humanité du commentateur et le rigorisme juridique de l’avocat ? LA rANÇON DU SUCCÈS 12/ Vous attendiez-vous à un tel succès ? Comment le gérer ? Comment gardez-vous la tête froide ? Non, je ne m’y attendais pas. Je croyais plafonner à 300 habitués, ce qui me paraissait déjà ingérable. J’en suis à plus de 20 000. Comment le gérer ? La question ne se pose pas. Je peux moins interagir en commentaires, forcément. Mais par une étrange alchimie, les commentaires sont de qualité et ne dégénèrent presque jamais. Il y a une volonté d’échanger, de confronter les points de vue, et même si la controverse peut être rude, je n’ai presque jamais à intervenir. Quant à garder la tête froide, il faudrait d’abord qu’elle chauffât. Mon anonymat y pourvoit. Quand je vais plaider, je suis traité comme un avocat parisien ordinaire. Les magistrats font semblant de m’écouter, les prévenus se croient meilleurs juristes que moi, mes confrères me faxent leurs pièces le lendemain de l’audience et personne ne m’adresse la parole dans les couloirs sauf pour me demander son chemin. C’est une cure quotidienne de modestie. 16/ Informer tous, n’est ce pas ne défendre personne ? Et n’informer personne, serait-ce défendre tout le monde ? 17/ Peut-on mettre un vent à Eolas ? J’essaye depuis 6 ans, en tout cas. MINISTÈRE DES BLOGS, DU TWIT ET DU TEMPS QUI PASSE 10/ Comment jugez-vous la portée concrète et réelle de votre engagement pour ce qu’on pourrait appeler d’une façon générale les « libertés publiques », alors que toute cette construction intellectuelle peut être balayée d’un revers de main dans l’opinion publique à chaque affaire de violeur multi-récidiviste ? QUELQUES QUESTIONS « fAÇON BErrYEr » 13/ En plus d’être un des blogueurs les plus lus de France, vous êtes désormais un des français les plus actifs et les plus suivis sur Twitter, avec près de 20 000 « followers » pour bientôt 10 000 tweets postés ! Comment gérezvous ce nouvel outil et qu’en attendez-vous ? Comme mon blog, du plaisir. Twitter est un bon complément du blog. Il m’oblige à la concision, ce qui n’est pas mon fort dans mes billets. C’est un format parfaitement adapté à l’Internet mobile (il m’arrive de tweeter des audiences en direct). Son instantanéité permet de faire passer très vite des infos urgentes, développées dans un billet qui forcément prendra du temps. 14/ Il est bien dommage de décerner un prix sans remettre de trophée… A quand une remise officielle de prix Busiris ? C’est prévu. Je travaille sur un site dédié et l’Académie s’est doté d’un superbe blason. Je compte à l’avenir imprimer un diplôme et l’envoyer au récipiendaire avec mes compliments. LE PLUS BEAU MÉTIEr DU MONDE Non, car Eolas est du gaélique irlandais, et n’a rien à voir avec le Dieu grec. Cela veut dire “connaissance, information”. 18/ Sommes-nous vraiment « ego » en droit ? Ego en droit, c’est la définition même de l’avocat. 19/ A force d’avertir vos concitoyens, ne craignez vous pas que vos « hé ho » lassent ? Ce jour là, je publierai mes billets dans l’Almanach Vermot. QUESTION INDISCrÈTE 20/ Votre plume fait l’unanimité. Pour suivre la voie d’Eolas, quel livre faut-il avoir sur sa table de chevet ? Celui que je devrais bientôt publier, bien sûr. Propos recueillis par Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – Série M & Hadrien Pellet – Promotion Jacques Attali – Série J 15/ Vos billets sont d’une pédagogie et d’une clarté remarquable, avez-vous déjà enseigné ? Cela pourraitil vous intéresser ? Merci. J’ai peu touché à l’enseignement, mais oui, je crois que l’expérience m’intéresserait. Il faudrait que je teste une année être chargé de TD en droit pénal, ou en procédure pénale et civile. Vous savez ce que de Moro Giafferi disait de l’opinion publique. Elle n’est pas plus à sa place sur mon blog que dans le prétoire. Je m’adresse à l’intelligence de mes lecteurs. Ceux qui veulent juste cracher leur haine médiocre ont les commentaires de la presse en ligne qui leur proposent 38 39 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Entretien avec Maître Jean-Denis Bredin Entretien avec Maître Bredin Afin d’introduire vos propos, pourriez-vous s’il vous plaît nous dire comment vous voyez votre fonction de parrain ? professeurs passionnants. Alors, j’ai fait plus de droit que de lettres. Et j’ai continué en droit. Je ne peux pas répondre précisément à votre question. Je la vois comme un lien professionnel d’abord, confraternel et amical ensuite, mais je ne sais pas bien ce qu’est la fonction de parrain. Oui, je suis resté fidèle à l’idée que les « lettres », comme on disait alors, sont importantes dans la vie, et dans la vie de beaucoup de juristes. J’ai été Professeur à Rennes pendant quinze ans, ensuite à Lille, à Dauphine, puis à Paris I. J’ai fait mon droit parce que les professeurs m’ont fasciné. Y a-t-il des obligations qui vous sont imposées ? En 1983, vous avez été l’auteur de « L’Affaire ». Ce livre traite de l’affaire Dreyfus. Avez-vous voulu prendre l’habit de l’historien ou plutôt celui de l’avocat engagé pour le rédiger ? L’Ordre, les représentants de l’Ordre ne m’ont pas fait état d’obligations, s’il y en a. Faire un grand gâteau pour le dernier jour ? Je ne sais pas ce que ce peut être. Cela m’a fait grand plaisir, mais je ne sais pas bien ce que cela recouvre. De l’historien. Très vite, je m’y suis beaucoup intéressé. Je vis un peu avec lui (Ndlr. en nous indiquant deux de ses tableaux dans son bureau). Je vous montre l’avocat de Dreyfus lors du procès de Rennes, qui pleure sous les pieds du Christ - car la justice militaire était encore rendue sous les pieds du Christ en croix. Il pleure parce qu’il a échoué. Vous voyez aussi Dreyfus qui sort entre deux rangs de militaires qui lui tournent le dos, après qu’il eut été injustement condamné. C’est à nous, élèvesavocats, de vous faire intervenir ? Le 15 juin 1989, vous êtes entré à l’Académie française et vous êtes devenu un immortel pour occuper le fauteuil n°3, celui qu’ont occupé avant vous Marguerite Yourcenar et Georges Clemenceau. Qu’avez-vous ressenti ? C’est à vous si vous le souhaitez ; il est vrai que je suis de nature peu bavarde et timide. Ce qui n’est pas bon pour être avocat (rires). Parrain de la promotion 2009-2010, Jean-Denis Bredin est l’un des membres fondateurs du cabinet Bredin Prat. Membre de l’Académie française, ancien professeur de droit privé, professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, il est également un auteur consacré. En toute simplicité, il a accepté de nous recevoir dans son bureau le 12 juin 2009 pour nous faire part de son rôle de parrain, de son parcours et de sa vision de la profession d’avocat. 40 Et vous avez continué à écrire… Un de vos premiers ouvrages publié chez LGDJ était « L’entreprise publique et semi-publique et le droit privé ». En quoi les réflexions que vous avez pu avoir à l’époque peuvent servir de réflexion encore aujourd’hui ? C’était ma thèse ! J’avais pour Président de thèse le Professeur Solus qui était un homme très compétent et aimable, mais qui était spécialiste de procédure. Et il m’avait dit : « Pas de procédure, non, non ! Vous allez faire votre thèse sur l’entreprise publique. C’est un sujet passionnant. C’est un sujet d’époque ». En fait j’avais fait droit et lettres ne sachant pas si j’allais devenir Professeur de Lettres ou Professeur de Droit. Mais en lettres, à la Sorbonne, j’ai regret à le dire, j’ai eu quelques professeurs ennuyeux. A l’époque, à la Faculté de Droit - Paris I n’était pas distinct de Paris II - j’ai entendu des A vrai dire, je suis allé dans cette prestigieuse maison un peu contraint, même si on n’est jamais contraint lorsqu’on reçoit des honneurs, parce qu’un certain nombre de bâtonniers et d’amis m’y ont conduit, car il y avait toujours, de tradition, un ou deux avocats à l’Académie. J’y suis allé par surcroît fort intéressé par l’idée que si j’étais élu, je succèderais à Marguerite Yourcenar dont l’œuvre m’avait passionné. Aujourd’hui, nombreux sont les jeunes élèves-avocats et les avocats qui ne voient leur carrière qu’à travers le droit des affaires et qui, quand on leur évoque de s’investir dans des causes, répondent qu’ils sont avocats d’affaires et que cela n’est pas leur travail. Affaire Seznec Le 25 mai 1923, Pierre Q., conseiller général du Finistère et Guillaume Seznec devaient se rendre à Paris afin d’y traiter une affaire d’achat et de revente de véhicules d’occasion américains. Pierre Q. avait annoncé à ses proches qu’il serait de retour, au plus tard, le 28 mai 1923. Il ne réapparaîtra jamais à son domicile. Guillaume Seznec regagna quant à lui Morlaix dans la nuit du 27 au 28 mai 1923. Principal suspect à cause de la découverte, le 20 juin 1923, de la valise de Pierre Q. dans laquelle se trouvait une promesse de vente d’un immeuble situé à Plourivo au bénéfice de Guillaume Seznec et à un prix inférieur au marché, la cour d’assises du Finistère le condamna le 4 novembre 1924 à la peine de travaux forcés à perpétuité. Libéré finalement le 14 mai 1947, il décède le 13 février 1954. Ayant toujours clamé son innocence, plusieurs demandes de révision de sa condamnation ont été présentées depuis les années 1920 par la famille Seznec et elles ont été le plus souvent rejetées. Toutefois, pour la quatorzième demande, la Commission de révision des condamnations pénales a indiqué le 11 avril 2005 qu’il y avait lieu de saisir la Cour de révision. Cependant, le 14 décembre 2006, cette Cour de révision a finalement considéré que la requête en révision ne pouvait être admise et elle l’a rejetée. Le volet judiciaire était alors définitivement clos. Jean-Denis Bredin était l’un des deux avocats du petit-fils de Guillaume Seznec.Ému par cette affaire, Robert Hossein présenta au théâtre de Paris, de janvier à avril 2010, « l’affaire Seznec ». Dans cette pièce de théâtre interactive, le public était invité à donner son avis sur l’enquête1... Cela peut se comprendre. Quand j’ai prêté serment, on ne disait pas avocat d’affaires, on disait « civiliste ». Robert Badinter, avec qui j’ai fondé ce cabinet, faisait du pénal. Il était appelé un « pénaliste ». Je n’en faisais pas du tout. J’ai plaidé quelques fois devant des juridictions pénales, mais rarement. Il me semblait alors que 1. Pour aller plus loin : Commission de révision des condamnations pénale, 11 avril 2005 : 01 REV 065 ; Crim., 14 décembre 2006, n°05-82943. 41 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Entretien avec Maître Jean-Denis Bredin Rencontre avec Jacques Attali l’avocat, qu’il soit civiliste ou pénaliste, pouvait être intéressé de la même manière par des injustices et par son rôle d’avocat dans la société. Pour vous qui avez été Premier Secrétaire de la Conférence, quelle est la place de l’éloquence dans le procès ? Dans l’affaire Seznec vous avez pris une part très importante. C’est contre l’injustice que vous vouliez vous battre? C’est ce sentiment que vous avez toujours honoré ? Je crois beaucoup à la place de l’éloquence, mais non pas à une éloquence figée, conventionnelle. Quelqu’un qui explique très simplement les faits d’une affaire en cinq minutes est éloquent. L’éloquence a des formes multiples. Et l’éloquence peut être tout à fait simple. Ce n’est pas la grande éloquence que l’on peut encore regarder à la Bibliothèque des avocats. Au premier étage, il y a un portrait de Fernand Labori, que l’on voit avec un bras levé, au-dessus de la tête, le torse dressé. Il figure une image de l’éloquence qui serait caricaturale aujourd’hui. L’éloquence peut être toute simple. Alors Premier Président de la Cour de Cassation, Pierre Bellet me disait : « la meilleure éloquence est celle qui ne se voit pas ». Oui, c’est un sentiment que j’ai toujours honoré. C’est pour cela que j’ai essayé d’être avocat, de réduire un peu le rôle de l’injustice. Ainsi, dans l’affaire Seznec, où nous avons échoué d’ailleurs, après d’autres qui avaient également échoué, j’espérais bien que nous arriverions à ouvrir la procédure de révision. J’ai compris que la Chambre criminelle avait une tendance, sans doute légitime, à réduire autant que possible le champ des révisions ordonnées, pour ne pas être encombrée d’une multitude d’affaires. Quels sont les avocats qui vous ont marqué ? Vous avez beaucoup écrit et vous vous êtes engagé dans de nombreuses d’affaires, qu’est ce qui vous a poussé à devenir avocat ? D’abord, j’avais des avocats dans ma famille. Cela m’a poussé un peu vers la profession, mais cela aurait pu aussi m’en éloigner. Le droit m’a beaucoup intéressé et, du droit, on passe volontiers à la profession d’avocat. Et puis, comme je vous l’ai dit, à la Faculté de Droit, les professeurs que j’ai connus étaient remarquables. Du métier d’avocat on disait une « très belle profession », un admirable « sacerdoce ». Je crois que l’on a tendance maintenant à en exagérer les difficultés. La difficulté était de gagner sa vie, mais cela a toujours été. Selon vous, quelles sont les qualités requises pour être un avocat ? Il y avait des civilistes qui plaidaient admirablement des causes civiles comme le Bâtonnier Chresteil. Il y avait aussi de grands pénalistes comme Maurice Garçon. Quand Maurice Garçon plaidait bien, il plaidait admirablement. C’est la crise, les élèves-avocats ont très peur de ce que sera le marché du travail, nous aimerions connaître votre sentiment sur les perspectives de la profession aujourd’hui ? Je n’ai pas l’impression que la profession soit menacée. Je crois qu’elle va se compliquer, qu’elle va se transformer, mais je ne crois pas qu’elle soit menacée. Les périodes de crises économiques et de crises sociales n’ont jamais beaucoup nui à la profession. Ce que je crois, c’est qu’elle risque d’être confrontée à de nouveaux problèmes, notamment au nombre sans cesse croissant des avocats. Rencontre avec Jacques Attali Lundi 4 octobre 2010, 9 heures. Après de nombreux échanges de mails et quelques reports, l’assistante de Jacques Attali m’a enfin trouvé un créneau de 15 minutes dans son agenda plus que chargé, afin d’accorder au Baromaître une entrevue acceptée de longue date. Un peu intimidé, je me présente rue de Miromesnil, dans le 8ème arrondissement de Paris, au sein des locaux d’Attali & Associés. Je pénètre dans ce superbe appartement haussmannien, à l’ambiance feutrée et aux murs couverts d’ouvrages en tous genres, en même temps qu’un autre homme, bien plus imposant que moi, qui prend place dans la salle de réunion. Je comprends vite que cette personne est « l’imprévu de dernière minute » dont l’assistante de Jacques Attali vient de me parler en m’accueillant ! Jacques Attali n’aura finalement que quelques instants à m’accorder. C’est avec entrain qu’il m’attrape au vol dès son arrivée et m’invite à le suivre dans son bureau, le temps pour lui de poser sa veste, d’allumer son ordinateur et de jeter un coup d’œil à ses mails. Comment êtes-vous devenu le parrain de la promotion 2010-2011 de l’EFB ? Des missions vous sont-elles confiées en tant que parrain ? On ne m’a fait part d’aucune tâche précise, mais je considère que ma responsabilité est d’être disponible pour ceux qui en auraient besoin. Je ne peux pas accueillir chacun d’entre vous, mais n’hésitez pas à me contacter à mon adresse mail. Dans un monde où de nombreux droits sont proclamés, mais au final bien peu sont effectifs, quelle est selon vous la place du droit alors que la liberté individuelle prédomine, chacun pouvant défaire ce à quoi il s’était engagé ? C’est ce dont j’avais pu parler, je crois, dans mon discours lors de la rentrée solennelle de l’EFB. Nous vivons dans un monde avec une sorte de déloyauté générale, qui rend les contrats instables. Mais le droit n’a pas à être loyal et juste, le droit représente avant tout un équilibre politique. Pour représenter un équilibre politique mondial, il faudrait donc réussir à mettre en œuvre une régulation d’ensemble, un droit global ? Il y aura un gouvernement européen comme il y aura un gouvernement mondial, on y arrivera. Mais comme il n’y a pas de gouvernement sans impôt, c’est assez difficile, et la fiscalité européenne est déjà bien plus élevée que ce qui existe… J’ai été contacté par le directeur de l’école, et j’ai accepté immédiatement, avec le plus grand plaisir. En tant que parrain, quel message pouvez-vous adresser aux futurs avocats que nous sommes ? Faut-il aussi avoir beaucoup d’empathie ? Pourquoi pensez-vous avoir été choisi ? Oui, peut-être. Il faut s’intéresser au droit quand même! Je me souviens d’un jour où j’avais plaidé contre un de mes vieux confrères. Je lui avais dit : « Mais quand même, il y a un problème de droit ! ». Il m’avait répondu : « Le droit, je m’en fous éperdument ! ». Et je lui avais dit : « Ah, bon ! Bien Monsieur ». J’étais trop respectueux de mes confrères. Je suis, entre autres, juriste, mais j’imagine que c’est surtout pour donner une sorte d’image, qu’il faut regarder vers l’avenir et que ce métier va beaucoup bouger. D’abord, vous savez que je suis à votre disposition et que chacun d’entre vous peut me contacter : [email protected] . Ensuite, il ne faut pas se borner aux sphères nationales, mais « penser Monde » ! Beaucoup travailler. Cela, vous le savez. Il faut aussi avoir beaucoup de patience dans les affaires. Et rester toujours indépendant. Propos recueillis et sélectionnés2 par Guillaume Chiron3 – Promotion Jean-Denis Bredin – Série F 42 2. Retrouvez la version intégrale sur www.aea-paris.net ou sur www.baromaitre.com. 3. Lors de cette interview, étaient également présents Sahand Saber et Lydia Hamoudi – Promotion Jean-Denis Bredin – séries M et G. Propos recueillis par Grégoire Kopp - Promotion Jacques Attali - Série M 43 DOSSIER BIS Droit du sexe DOSSIER BIS Le fléau de la pédopornographie sur Internet Internet a su ouvrir les portes de la diffusion de l’information au public et est désormais un moyen incontournable de la liberté d’expression. Néanmoins, sa facilité d’utilisation et sa démocratisation ont engendré de nombreuses dérives, dont la plus dangereuse concerne les enfants. Par une décision-cadre du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, le Conseil de l’Europe a défini cette dernière comme la représentation visuelle d’un enfant, qu’il soit réel ou non, participant à un comportement sexuellement explicite. Tour d’horizon des moyens législatifs et humains pour lutter contre la pédopornographie sur Internet. Lutte contre la cyber-pédopornographie : quelle législation ? u plan international, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le 20 novembre 1989 la Convention internationale des droits de l’enfant et a invité les Etats signataires à prendre les mesures nécessaires pour interdire la prostitution et la représentation pornographique d’enfants. A l’échelon européen, une décision du Conseil de l’Europe en date du 29 mai 2000, relative à la lutte contre la pédopornographie sur Internet, encourage les Etats membres à se montrer réactifs dans le traitement des infractions et à mettre en place des systèmes de signalement de contenus illicites par les internautes. Enfin, la décision-cadre du 22 décembre 2003 du Conseil de l’Europe met l’accent sur la coopération policière entre Etats membres afin de mieux poursuivre les auteurs d’infractions à caractère pédopornographique : la tentative et l’incitation à adopter de tels comportements doivent ainsi être punis, et les critères d’attribution de compétence des juridictions des Etats membres sont mieux définis. Enfin, au plan national, le code pénal protège les mineurs en ses articles 227-23 et 227-24, punissant de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende l’enregistrement ou la diffusion d’images pédopornographiques sur Internet, et leur tentative. A noter que la détention d’images pédopornographiques d’enfants – virtuels ou réels – est également punie. A Un constat alarmant Le 31 mars dernier s’est déroulé, comme chaque année, le Forum International sur la Cybercriminalité à Lille. La lutte contre la 44 Le fléau de la pédopornographie sur Internet pédopornographie était bien sûr au centre des interventions et les experts ont pu débattre d’un inquiétant rapport de la Commission européenne, selon lequel le nombre de sites hébergeant des contenus pédopornographiques est en hausse. Il apparaît même qu’environ 200 nouvelles images à caractère pédopornographique sont recensées sur le web chaque jour. En effet, les outils d’accès à ces contenus ne manquent pas : qu’il s’agisse de streaming, de téléchargements ou de connexion à des webcams, les délinquants sexuels bénéficient de nombreux moyens techniques pour assouvir leurs pulsions. Les chiffres avancés par un rapport de l’ONu présenté en septembre dernier reflètent d’ailleurs ce triste constat. Plus de 700.000 pédophiles seraient connectés en permanence sur Internet et plus de quatre millions de sites Internet présenteraient aujourd’hui des photos de jeunes mineurs. Lutte policière soutien des fAI et Au vu du développement fulgurant de la pédopornographie sur Internet, les méthodes de lutte des autorités policières et judiciaires ont été adaptées. un arrêté du 30 mars 2009 a ainsi autorisé les policiers et gendarmes à infiltrer les « chats » et autres plateformes communautaires en se faisant passer pour desmineurs, afind’entreren contact avec des délinquants campagne de sensibilisation de l’ONG Action Innocence potentiels. Autre moyen de lutte, la traque des détenteurs de contenus pédopornographiques sur les réseaux peer-to-peer. En entrant certains mots-clés dans les moteurs de recherche, les gendarmes ont alors accès à des listes de serveurs sur lesquels sont diffusés ces contenus, et peuvent remonter jusqu’aux internautes qui les détiennent. Il est triste de constater néanmoins que les effectifs humains sont trop légers pour poursuivre chaque cyber-délinquant. En outre, il est quasiment impossible de procéder à la suppression de sites Internet hébergeant des contenus pédopornographiques lorsque ceux-ci sont situés en dehors de l’union Européenne. Seul un système de blocage des sites pédopornographiques est envisageable, tel que prévu dans le cadre du projet de loi LOPPSI 2, la loi d’orientation pour la programmation et la performance de la sécurité intérieure. Les fournisseurs d’accès Internet pourraient donc être obligés d’empêcher « l’accès sans délai » aux adresses Internet communiquées par l’autorité administrative. De nouveaux fléaux : dédipics, grooming… Qui dit nouvelle mode chez les adolescents dit souvent dérive ou danger. Les « dédipics » en sont l’illustration parfaite sur la toile, et principalement sur les blogs. Cette nouvelle forme de monnaie virtuelle attise en effet la convoitise de certains prédateurs sexuels : une « dédipics » est une photo représentant une partie du corps d’un adolescent sur laquelle celuici y a inscrit le nom ou le pseudonyme d’un autre adolescent. Cette photo est alors publiée sur son www.actioninnocence.org blog, et la personne visée « paiera » l’auteur avec un certain nombre de commentaires. Le problème est que les pédophiles peuvent désormais facilement trouver les coordonnées de ces adolescents qui s’exhibent avec plus ou moins de pudeur, et entrer en contact avec eux. Autre fléau tendant à se développer, le « grooming ». Ce terme vise l’établissement par un adulte de liens d’amitié avec un enfant sur Internet, afin d’obtenir de lui des images érotiques ou pornographiques, voire des relations sexuelles. Sont souvent utilisés comme supports de communications les chats de type mSN, ou le récent « Chatroulette ». La loi du 5 mars 2007 a introduit une nouvelle infraction dans le code pénal, à l’article 227-22-1. Ainsi, « le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de 15 ans en utilisant un moyen de communication électronique » est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. Enfin, le1erjuillet2010, laConventionduConseildel’Europesur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels – dite Convention de Lanzarote – est entrée en vigueur, et criminalise le « grooming ». Néanmoins, seuls cinq Etats membres ont à ce jourratifiécetteconvention: l’Albanie, leDanemark, laGrèce, les Pays-Bas et Saint-marin. Vers une prise de responsabilité parentale ? Aujourd’hui média de masse, Internet est également le lieu de mauvaises rencontres pour les plus jeunes. Les pseudonymes et l’écran de l’ordinateur permettent aux prédateurs sexuels de mentir sur leur véritable identité et d’abuser des petites victimes. Alors qu’ils maîtrisent moins bien cet outil que leurs enfants, les parents doivent désormais protéger ces derniers sur le net. Pour ce faire, un accompagnement est mis en place. Le site Internet www.mineurs.fr informe ainsi les parents sur le contrôle qu’ils doivent opérer quant à l’utilisation de l’ordinateur par leurs enfants. Les fournisseurs d’accès à Internet ont d’ailleurs l’obligation de leur fournir un logiciel de contrôle parental. Si ces initiatives sont louables, une décision plus radicale pourrait être néanmoins envisagée par certains parents : bannirl’ordinateurdelachambredesenfants… Caroline Laverdet – Promotion Jacques Attali – Série G 45 DOSSIER BIS Droit du sexe DOSSIER BIS Le droit et la prostitution Peut-être le saviez-vous : en france, la prostitution est tout ce qu’il y a de plus légale ! Pourtant, si la prostitution n’est pas pénalement réprimée, elle reste moralement condamnée, y compris officiellement, tout en étant par ailleurs une activité fiscalisée, et ce alors qu’en pratique elle s’accompagne d’une nouvelle forme d’esclavage. ’activité qui consiste pour une personne à avoir des relations sexuelles contre rémunération, tout comme le fait pour un individu de rémunérer cette personne pour son service sexuel, ne constituent pas des infractions pénales en droit français. A première vue, comment pourrait-il en aller autrement, alors que la sexualité relève du corps, de la sphère de l’intime, c’est-à-dire précisément de ce dont chacun est libre de disposer ? L Au commencement était l’autorisation ou plutôt la permission. En effet, rien dans le droit français n’interdit de se livrer à des relations sexuelles tarifées, de manière occasionnelle ou régulière. Plus précisément, la prostitution n’est pas une infraction, elle ne correspond pas à un comportement pénalement répréhensible. Pour autant, le droit français n’autorise pas non plus la prostitution – ce qui en tout état de cause n’aurait pas de sens, puisque, en matière pénale, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. A contrario, et comme pour mieux souligner cette absence Le droit et la prostitution d’interdiction, toute une série d’activités connexes sont considérées comme illégales : du proxénétisme au racolage passif, en passant par le recours à la prostitution de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables. Dans chaque cas, ce n’est pas le principe des relations sexuelles tarifées qui est réprimé, mais leur exploitation abusive. Ainsi en est-il du proxénétisme qui recouvre plusieurs hypothèses énumérées à l’article 225-5 du Ccode pénal, telles le fait de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution, ou d’exercer sur cette personne une pression pour qu’elle se prostitue. La prostitution stricto sensu est donc une activité, professionnelle ou non, régulière ou occasionnelle, parfaitement légale. Au regard du droit, le ou la prostitué(e) est un travailleur indépendant comme un autre, sa seule particularité étant que son outil de travail se confond avec son corps. La prostitution est également totalement dérégulée, depuis la loi du 13 avril 1946 dite loi marthe Richard – la « Veuve qui Clôt » – par laquelle est ordonnée la fermeture des traditionnelles « maisons closes », véritable institution de la société française d’alors. Depuis, sont seulement interdites l’organisation et l’exploitation de la prostitution ainsi que ses manifestations visibles. D’où la transformation des « maisons de tolérances » en hôtels de passe et salons de massage. La prostitution est une activité économique si libre qu’elle est taxée! L’Etat, par le biais du fisc et de l’URSSAF, soumet à prélèvements chaque fois qu’il en a connaissance (le plus souvent au cours d’un redressement fiscal), les revenus tirés de l’activité de prostitution. La justice n’y trouve rien à redire, la Cour de cassation ayant admis que « la cotisation d’allocations familiales des employeurs et des travailleurs indépendants est due par toute personne physique exerçant, même à titre accessoire, une activité non salariée, telle celle en litige [la prostitution] »1. Le droit européen lui aussi considère que la prostitution est une activité économique comme une autre. A ce titre, lui sont appliqués les principes communautaires, dont celui de libre établissement2. Indifférence et taxation, telle serait donc l’attitude de l’Etat ? Les euphémismes, expressionspudiquestellesque«fillespubliques», «fillesdejoie»ou«damesgalantes»,toutceparfumdescandale attaché au plus vieux métier du monde n’auraient donc plus lieu d’être?Pourtant,lapositionofficielledelaFrancesurcesujetn’est pas neutre. En effet, depuis qu’elle a signé la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, la France est officiellement un pays abolitionniste. Cette convention, adoptée sous l’égide des Nations unies le 2 décembre 1949, proclame en tête de son préambule que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ». Suivent vingt-huit articles prévoyant la punition de l’exploitation de la prostitution, l’abolition de toute réglementation étatique de cette profession, et imposant aux Etats de développer la prévention et la réinsertion. En signant cette convention, puis en la ratifiant le 19 novembre 1960, notre pays a manifesté sa volonté de combattre la prostitution – et non seulement la traite des êtes humains – comme un mal en soi. Au premier abord, cette position officielle n’a que peu de conséquences. En effet, la France ne reconnaît ni ne réprime la prostitution. Quant à la convention de 1949, bien qu’elle condamne fermement la prostitution, elle ne la criminalise en aucune manière, laissant les Etats libres de la tolérer, ainsi que le fait la France. malgré tout, et quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de la prostitution (mal social, pratique contraire à la dignité individuelle, emploilibrementchoisi…), cettegigantesquetartufferied’Etatqui consiste à condamner ce que l’on reconnaît fiscalement, ne peut qu’heurter la conscience. L’Etat condamne ce commerce mais en vit ! Bref, il répudie les prostituées mais se garde bien de répudier leur argent, à l’image des bourgeois de Boule de Suif suppliant une femme de petite vertu de les sauver, pour ensuite mieux la rejeter dans les ténèbres du mépris une fois leur survie assurée. Schizophrénie ? Non, hypocrisie. Alors qu’il condamne le coït 46 rémunéré, l’Etatenprofite, àlamanièred’unproxénèteprélevant son pourcentage sur chaque passe. Le proxénète lui-même est imposable au titre des revenus qu’il tire de l’exploitation du travail de celui ou celle qu’il exploite, et doit verser la TVA : ainsi, l’on peut mener une activité illicite, en exploitant une autre personne, tout en générant de la valeur ajoutée sur ces activités de prostitution contrainte,valeurajoutéequel’Etats’empressedequantifieretdont ilprofite! Cette compromission étatique est choquante et de surcroît, induit en pratique des difficultés considérables pour les travailleuses du sexe qui sont pénalisées alors que dans leur immense majorité elles vivent et travaillent dans des conditions précaires, sont extrêmement vulnérables et très souvent sous la coupe de réseaux de proxénètes3. Alors que toute personne affiliée à l’URSSAF peut de ce simple fait obtenir des prestations familiales et cotiser au régime social des indépendants pour la retraite et à l’assurance maladie, cela ne va pas de soi pour les prostituées. Seuls certains centres uRSSAF acceptantl’affiliationsouslarubrique«Relationspubliques»4. Selon les services du Sénat, « dans tous les pays, sauf aux Pays-Bas, l’absence de reconnaissance juridique de la profession empêche les prostituées de disposer d’une couverture sociale complète »5. En outre, les rappels et majorationsquiinterviennentàl’occasiond’unrecouvrementfiscal imposent de disposer de revenus et obligent donc la personne à se prostituer pour payer. Reste la possibilité, puisqu’elles ne déclarent pas de revenus, de bénéficier du RSA et de la CMU. Maigre compensation. Par un paradoxe incroyable, les prostituées ne bénéficient ni de la liberté que le droit leur reconnaît, ni de l’intervention de l’Etat dans leurs affaires. Rien ne résume mieux cette situation que cet extrait d’une décision de justice : « lorsque l’on sait que les personnes prostituées sont le plus souvent victimes de sévices, de contraintes et de violences entraînant des dégradations physiques et morales et aboutissant à un esclavage non contestable, il apparaît surprenant que l’Etat commémore avec moult discours bienséants et démagogiques l’abolition de l’esclavage et maintienne volontairement un nombre important de personnes victimes de brutalités dans cet état en fiscalisant cet esclavage »6. Cette position, alliance contradictoire denon-reconnaissancejuridique, decondamnationofficielleetde réalisme fiscal plus proche du cynisme, constitue au mieux une ambiguïté non-résolue de notre droit, au pire une position à la fois moralement indéfendable et matériellement coupable. Laurent Bonnet – Promotion Jacques Attali – Série F 1. Cass. soc, 18 mai 1995, pourvoi n°93-18.641 2. CJCE, 20 novembre 2001, Malgorzata Jany c/ Pays-Bas, affaire C-268/99 3. Selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), « Environ 80 % des femmes se prostituant dans les grands centres urbains seraient sous la coupe de proxénètes. Ainsi, la prostitution est aujourd’hui largement le fait de jeunes personnes étrangères, victimes de réseaux criminels organisés ». http://www.travail-solidarite.gouv.fr/espaces,770/femmes-egalite,772/la-traite-et-l-exploitation,6179.html 4. Guide des droits sociaux, 2e éd., 2003, p. 99 (http://www.actupparis.org) 5. Document de travail : Le régime juridique de la prostitution, Octobre 2000, n° LC 79, p. 3-4 (http://www.senat.fr/europe/lc79.pdf) 6. Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, 17 décembre 1998 ; cité dans : CEDH, Tremblay c/ France, 11 septembre 2007 (requête no37194/02), § 10 47 DOSSIER BIS Droit du sexe DOSSIER BIS Les maisons closes : du droit du sexe au droit au sexe es maisons closes, interdites en France depuis la loi marthe Richard du 13 avril 19461 – que la légende attribue à l’influencedelafemmeduGénéraldeGaulle–sontremises à l’ordre du jour par les bruissements politiques et la production audiovisuelle. L Surfant sur la tendance, madame Chantal Brunel, députée umP de Seine et marne a, dans le cadre d’un groupe de travail sur la prostitution mis en place par le ministre de l’Intérieur, déposé un projet d’amendement examiné le 25 février 2010 devant l’Assemblée nationale. La députée s’est penchée sur la question d’une possible réouverture des maisons closes, avec de nombreux aménagements. légale et ne se distingue pas des autres branches de l’économie. Les prostituées bénéficient d’une couverture sociale et signent des contrats de travail. Le proxénète ne peut tomber sous le coup de la loi sauf si la personne dont il tire un bénéfice est mineure ou non consentante. En revanche, les pays abolitionnistes tolèrent la prostitution mais non sa réglementation. La prostituée est considérée comme une victime que l’Etat doit aider à se réinsérer. La réglementation française, abolitionniste, sans pour autant être isolée au sein de l’Europe, dénote avec certains de ses voisins qui n’ont jamais réellement interdit les maisons closes et les ont même légalisées. Ces Etats ont adopté une norme réglementariste considérant la prostitution comme une activité à part entière, et de cefaitnécessitantuneréglementationspécifique. Ainsi, l’amendement ne visait pas à proprement parler le « lupanar2 » tel qu’entendu dans la mémoire collective, c’est-àRé-institutionnaliser les maisons closes serait un moyen indéniable dire des maisons régies par des tenanciersd’encadrer la prostitution, et permettre des proxénètesquis’octroientdelargesbénéfices lieux où le sexe et son accès seraient encadrés en taillant leurs parts sur les loyers que leurs conformément à une législation stricte. Si les En Suisse, les maisons reversent les prostituées et un pourcentage avantages concernant les normes d’hygiène, closes existent sur les prestations effectuées3. La députée la fiscalité, le contrôle de l’activité et la lutte légalement depuis proposait une nouvelle approche des maisons contre la criminalité organisée sont les 1992, aux Pays-Bas closes et se démarquait de la conception bénéficesentendusd’unenouvellelégislation; officiellement depuis traditionnelle par l’emploi du terme « maisons quid d’un nouveau droit d’accès au sexe ? 2000, en Catalogne les ouvertes ». Celles-ci seraient destinées maisons de tolérance « aux femmes qui font de la prostitution S’il existe désormais une multitude de droits sont légales depuis le 1er leur métier, qui paient des impôts et qui sont subjectifs de toutes sortes, il n’y a qu’un pas août 2002, en Allemagne indépendantes ». L’objectif est d’instituer un à franchir entre le très en vogue « droit du les « eros centers » sont cadre légal susceptible de favoriser un système sexe », au plus ambigu « droit AU sexe ». autorisés dans certaines de cogestion inspiré du modèle libéral, dans Si le droit du sexe a une conception large zones. lequel chaque prostituée organiserait son recouvrant le cadre légal et les infractions à commerce dans la plus stricte transparence et caractère sexuel, telles que le harcèlement, légalité. Enfin, selon Madame Chantal Brunel le viol, les agressions, etc., le droit au sexe cet encadrement aurait pour but de protéger les prostituées, car pourrait apparaître comme certes une prérogative, mais plus selon elle, « les réseaux mafieux et les réseaux de traite d’humains ne encore comme une créance opposable. Opposable à qui ? A l’Etat, s’épanouissent que dans la clandestinité ». et donc au législateur, mais aussi à la société, et plus largement aux mœurs actuelles. Le présent projet ne serait pas contraire à la Loi marthe Richard interdisant les maisons closes car il s’agit de « maisons ouvertes » un droit subjectif est par essence attaché à la personne humaine. Si ayant un statut différent qui ne serait pas incompatible avec la loi la pratique du sexe a des bienfaits reconnus, il serait injuste que tous de 1946. Néanmoins, le projet serait illégal au regard de la loi du ne puissent y avoir accès. Le droit au sexe serait alors un moyen de 18mars2003quiinterditleracolagepassifdontladéfinitionreste rendre opposable à nos institutions le droit d’avoir une sexualité – encore aujourd’hui extrêmement vague4. Le présent amendement tarifée – dans un cadre légal et plus sain pour tous les participants. aurait alors pour but d’abroger cette dernière législation. Le législateur a, à cet égard, un rôle majeur à jouer. En France, la Face à la prostitution, les Etats, notamment européens, ont adopté prostitution est tolérée mais la loi prohibe – par une terminologie des réglementations différentes. Dans les pays réglementaristes, la équivoque – tout racolage passif et actif. Dès lors, la réouverture prostitution est autorisée. Elle est reconnue comme une activité de maisons dédiées à la prostitution serait une avancée vers un 48 Les maisons closes 1. Loi n° 46-685 du 13 avril 1946 tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme 2. Définition du Petit Larousse illustré : Mot emprunté du latin « lupa » qui signifie louve et qui servait à designer une fille publique dès la Rome antique 3. Madame Claude expliquait prendre entre 25 et 30% sur les prestations effectuées 4. Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, article 50 : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue d’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende » (Art. 225-10-1 du code pénal) encadrement de la prostitution, sa moralisation et un moyen de la rendre plus accessible. Bien sûr, l’idée dérange. Comment faire accepter qu’avoir une sexualité, de surcroît tarifée, est un droit subjectif dont la satisfaction résulterait de l’intérêt général, et pour lequel l’Etat tient le rôle primordial de permettre, ou à tout le moins de ne pas restreindre, cet accès au sexe ? un bref aperçu de la jurisprudence portant sur les contrats relatifs aux maisons closes permet d’illustrer le refus des magistrats d’intervenir dans un litige privé lorsque les deux parties sont considérées comme aussi « indignes » l’une que l’autre. Les décisions rendues laissent supposer que l’indignité de la pratique et l’immoralité des participants ne permettent pas de faire trancher leur litige devant une juridiction d’Etat5. une avancée substantielle vers 5. Cass. 1ère Civ., 15 février 1967 : JCP G 1967, IV, 46 une réglementation faciliterait la reconnaissance des prostituées, de leurs prestations, mais également des inévitables litiges susceptibles d’intervenir dans le cadre de cette activité. De là à envisager un retour de l’âge d’or de la prostitution « à la française », il y a un pas à ne pas franchir trop prématurément. Toutefois, permettre la réouverture de maisons de prostitution en y incluant l’idée que le droit au sexe serait un facteur de contrôle et de socialisation pourrait être (d)étonnant et réduire le sentiment de marginalisation qu’ont les prostituées et leurs clients. R. V - CRFPA de Versailles - HEDAC 49 DOSSIER BIS Droit du sexe DOSSIER BIS De l’art et la manière de séduire : grivois et obsédés s’abstenir Le harcèlement sexuel, infraction récente, détonne par son originalité riginal car le harcèlement sexuel fait l’objet de deux législations concurrentes, dans le code pénal et celui du travail et que le cumul de ces deux textes est possible. Depuis l’adoption de ces deux incriminations, le législateur n’a cessé d’œuvrer à leur harmonisation, atténuant une différence de rédaction par-ci1 et alignant les peines prévues par le code du travail sur celles du code pénal par-là. En effet, depuis la loi du 9 juillet 20102, la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende et la juridiction dispose de la possibilité d’ordonnerl’affichageouladiffusiondujugementdecondamnation. O Originale toujours car cette incrimination est la seule agression sexuelle qui ne consiste pas en un contact ou un spectacle imposé. Certains auteurs considèrent d’ailleurs que cette infraction n’est nullement une agression sexuelle mais aurait dû être classée dans les atteintes à la tranquillité des personnes3. Quelle que soit sa nature, le harcèlement sexuel peut se cumuler avec le viol, l’agression sexuelle ainsi que l’exhibition sexuelle. Originale enfin par l’objectif particulier que le législateur a attribué à cette incrimination. En effet, à l’origine le but était de sanctionner une forme de violence sociale perturbant les relations de travail. Ainsi, était engagée la lutte contre les comportements indécents des supérieurs hiérarchiques confondant passion amoureuse – ou simple désir – et abus d’autorité. La loi du 17 janvier 20024 a conféré à ce délit un objectif de droit commun en retenant une définition épurée qui s’affranchit de toute considération de relation de travail. De même, elle a supprimé l’exigence d’abus d’autorité accompagné d’ordres, menaces, contraintes ou pressions du harceleur. La caractérisation de l’infraction n’exige plus que la réunion de deux conditions simples : un élément matériel consistant en un fait de harcèlement et un dol spécial résultant de la volonté d’obtenir des faveurs sexuelles. Cette extension considérable de l’incrimination additionnée à des incertitudes et imprécisions rédactionnelles ont fait naître des difficultésàbiendeségards. En effet, l’article 222-33 du code pénal est dépourvu de précisions quant aux agissements incriminés. 50 En supprimant les adminicules accompagnant l’abus d’autorité, le législateur a opté pour une définition tautologique du harcèlement qui consiste logiquement – trop logiquement – dans « le fait de harceler ». Pour ajouter à la difficulté, le législateur s’est affranchi du sens des mots. Si le terme « harcèlement » postule logiquement la répétition d’actions sur une période de temps, il résulte des travaux parlementaires que son intention était de créer – moins logiquement – un délit consommé en en acte unique. Ces maladresses rédactionnelles ont ouvert malheureusement mais nécessairement la porte à l’interprétation et à l’arbitraire. Ainsi, le juge qui doit former un syllogisme parfait se voit dans l’obligation de déterminer lui-même la majeure... Chaque juge s’érige alors en quasi législateur et il est à craindre que le sort d’un citoyen ne change plusieurs fois en passant devant des tribunaux différents. Si l’incertitude créée par l’interprétation de la loi est problématique, c’est bien l’impression de l’instauration d’un ordre moral qui a inquiété. En effet, la lettre de l’article 222-33 du code pénal permet de réprimer tant les actes odieux ayant pour objectif l’obtention de faveurs sexuelles que les tentatives de séduction. Certains ont pu affirmerquelaréformearéduitl’infractionde harcèlement sexuel à un « délit de sentiment », équivalent puritain du délit d’opinion5. En effet, le législateur laisse au juge la difficile tâche d’appliquer cette incrimination sensible touchant au désir et à son rituel qu’est la séduction. Articulant liberté sexuelle des uns et libertédeplairedesautres, lejugesevoitimposerdedéfinirles canons de la séduction et d’examiner la justesse du style et du ton employés par le « Don Juan ». Le danger de cette incrimination est d’inclure dans le champ des comportementspunissablesceuxquin’ontd’autrefinalitéquede faire comprendre à l’interlocuteur l’intérêt que l’on éprouve pour luietdelefairesuccomber.Ladifficulté,elle,résidedanslefaitque la matière est éminemment subjective. Néanmoins, soyons rassurés, les juges n’ont pas fait de ce texte l’application excessive tant redoutée : l’épris qui adresse une brassée defleursafind’exprimer,parcelangageattentionné,toutel’ardeur de sa flamme n’est pas menacé par l’enfer des murs gris d’une prison. 1. Loi n°98-468 du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infraction sexuelles 2. Loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants 3. Marie-Laure RASSAT jurisclasseur de Droit pénal 4. Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale 5. Philippe CONTE « Une nouvelle fleur de légistique : le crime en boutons. A propos de la nouvelle définition du harcèlement sexuel » JCP G, 2002, Act. 320 De l’art et la manière de séduire Sont considérés comme caractérisant l’infraction, soit les seuls propos grivois ou les gestuelles suggestives ou indécentes instituant « un climat malsain et grossier », soit un comportement d’obsédé sexuel. A défaut de ces agissements scandaleux, une attitude de séduction ne constitue que ce que la jurisprudence a qualifié de manière très légère et romantique de « simples signaux conventionnels [permettant] d’exprimer la manifestation, non fautive au plan pénal, d’une inclination pouvant être sincère ». Laséductionresteundéfiàrelever. Philippe Herbeaux - CRFPA de Versailles - HEDAC HANDICAP ET SEXUALITÉ : VErS UN DrOIT A LA SEXUALITÉ ? « Existe-t-il un droit à la sexualité » ? Cette question est au centre du débat sur la création de « services d’accompagnement sexuel pour les personnes handicapées ». Réclamée par les associations de protection des droits des handicapés, cette mesure consiste à recruter et former des personnes spécialisées dans « l’assistance sexuelle » aux personnes atteintes d’un handicap physique ou mental. Cette revendication a surgi dans le sillage de la loi « handicap » du 11 février 2005, qui prévoit « l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens », et le « droit à compensation des conséquences de son handicap ». Jusqu’ici, l’accompagnement et la réparation de la souffrance des handicapés avaientétéenvisagésdupointdevuepsychologique,médical,financier,de l’insertion professionnelle ou de la citoyenneté, sans que jamais ne soit priseencompteleurdifficultéàaccéderauplaisirsexuel. Pourtant, sielle fut longtemps tenue muette, cette souffrance n’en est pas moins réelle. Les personnes en situation de dépendance physique ou mentale sont souvent dans l’impossibilité de s’épanouir sexuellement. C’est le cas, bien sûr, des individus isolés mais aussi des couples dont les deux partenaires sont trop lourdement handicapés pour avoir des relations sexuelles sans assistance. Bien souvent, cette frustration ne peut même pas être soulagée par les services d’une prostituée. Bernadette Soulier, sexologue spécialisée dans le handicap livre son expérience : « moi-même, je suis allée voir des prostituées pour leur demander si elles accepteraient ces handicapés : On en trouve une sur dix qui accepte »1. Cette situation douloureuse pèse également sur ceux qui s’occupent des handicapés au quotidien et sont confrontés à leurs frustrations et, parfois, à leurs demandes : directeurs d’établissements, associations, soignants, parents… Interviewée par Libération, une responsable de l’Association Française contre les myopathies décrit une situation catastrophique : « On connaît des situations de mamans qui masturbent leur fils, des soignants, très embêtés avec les érections de jeunes garçons handicapés, qui donnent un coup de main, répriment ou font semblant de ne pas voir »2. Les associations s’insurgent contre le silence, gêné et parfois hypocrite, qui entoure cette question : dès lors que l’on entend compenser toutes les conséquences du handicap, comment ne pas évoquer les douleurs induites par l’accumulation et le refoulement des tensions libidinales? Certains de nos voisins européens ont déjà répondu à cette attente avec la création de services d’accompagnement sexuel. Ceux-ci sont composés de femmes et d’hommes « formés aux spécificités des personnes en situation de grande dépendance physique ou mentale, [qui] sont rémunérés pour leur offrir des massages, caresses et expériences sexuelles, à domicile ou en institution »3.LesPays-Basfontfiguredepionnierenayantmisenplace,dès 1980, des associations de prostituées « spécialisées », dont les prestations sont remboursées par certaines collectivités locales. Le Danemark, l’Allemagne et la Suisse ont suivi. Les tenants d’un accompagnement sexuel à la française proposent de s’engager sur cette voie, tout en insistant sur la nécessité d’encadrer ces services de manière très stricte et de trier le personnel sur le volet. marcel Nuss, fondateur de l’association Coordination Handicap et Autonomie, préconise le recrutement de personnes issues du milieu paramédical (psychologues, kinés, aides soignants), et de ne pas aller au-delà de la masturbation. Du point de vue juridique, la mise en place de tels services est problématique. Comment articuler la nécessaire pénalisation du proxénétisme et la légalisation de l’accompagnement sexuel ? En effet, la loi assimile à un proxénète toute personne faisant « office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui » (article 225-6-1 du code pénal). Par conséquent,unemodificationdestextesquirégissentleproxénétismeest unpréalablenécessaireàlacréationdeservicesd’accompagnementafin de mettre à l’abri du risque pénal les responsables de ces services et les associations. Caroline gelly, juriste au sein d’Handicap International, propose une nouvelle rédaction du texte, qui incriminerait « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit […] de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite et rémunère la prostitution d’autrui », puis de faire peser la rémunération de l’accompagnant(e) sexuel sur un tiers. Ainsi, explique-t-elle, « la personne handicapée serait distincte de celle qui rémunère la prostitution d’autrui. Par conséquent, dans la mise en œuvre de l’accompagnement érotique, il manquerait inévitablement une condition pour que l’intermédiaire entre dans le champ d’application des sanctions pénales de l’article L.225-6 du code pénal et serait ainsi protégé »4. Face à ces revendications, les associations de lutte contre la prostitution dénoncent les risques de dérives. Pour Claudine Legrandier, responsable du « mouvement du Nid »5 , la création de tels services conduirait à fragiliser émotionnellement les handicapés et placer les accompagnants sexuels dans des situations ingérables6. Elle fournirait, en outre, « une vitrine rêvée pour l’industrie du sexe et les proxénètes qui ont tout intérêt à la respectabilité d’une activité présentée sous les dehors généreux du service à la personne »7. Les détracteurs du projet s’inquiètent surtout de la consécration d’un « droit à la sexualité ». La revendication d’un droit au bien être sexuel s’inscrit dans un contexte de prolifération de droits-créances, c’est-à-dire de droits attachés à la personne humaine (droit à un environnement sain, droit au logement, etc.). Or, si les droits-créances constituent indéniablement des progrès lorsqu’ils protègent le citoyen, garantissent son bien-être et sa dignité, peut-on en dire autant d’un droit dont la mise en œuvre favoriserait la marchandisation du corps d’autrui ? Du côté des associations de lutte contre la prostitution, on répond par la négative. Au prétexte, certes honorable, de soulager la souffrance de personnes handicapées, l’accompagnement érotique risquerait d’ouvrir la porte à une forme institutionnalisée d’exploitation sexuelle. 1. Bernadette Soulier, Un amour comme tant d’autres, handicapés moteurs et sexualité, APF, 2005 2. Libération, Handicap de vie intime, 25 septembre 2009 3. Claudine Legardinier, Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ?, Prostitution et Société, numéro 160 4. Passages cités dans l’ouvrage de Marcel NUSS, Handicaps et sexualités : le livre blanc, Editions Dunod 2008 5. Le mouvement du Nid, fondé dans les années 1930 par le père André-Marie Talvas. 6. Claudine Legardinier, Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ?, Prostitution et Société, numéro 160 7. idem A.G - CRFPA de Versailles - HEDAC 51 HORS DES CÔTES HORS DES CÔTES Avocats Sans Frontières France : « là où la défense n’a plus la parole » Avocats Sans Frontières France parce-qu’il n’y avait plus d’avocat sur place en mesure d’assurer leur défense. Il ne restait en effet que très peu d’avocats locaux et ceux-ci manquaient de moyens financiers pour offrir à leur client une bonne défense. Organisation de solidarité internationale, Avocats Sans frontières france mène depuis 1998 ses missions à travers le monde, « là où la défense n’a plus la parole ». Cette association jouit d’une reconnaissance tant nationale qu’internationale, elle a notamment obtenu en 2004 le statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU et en 2005 le statut consultatif auprès de l’Organisation internationale de la francophonie. En 2007, le GIE avocat, composé du Conseil National des Barreaux, du Barreau de Paris et de la Conférence des Bâtonniers, a décidé de créer, à l’initiative d’ASf france, un fonds d’urgence pour la défense. françois Cantier, avocat au barreau de Toulouse depuis 1971, est le président fondateur d’ASf france. Ce grand habitué du prétoire de la Cour pénale internationale a accepté de nous rencontrer et de nous présenter les activités d’Avocats Sans frontières france. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les différentes activités d’Avocats Sans Frontières France ? Le premier objectif d’ASF est la défense. Nous sommes avant tout des avocats et nous faisons ce que font tous les avocats du monde : défendre. Nous assurons la défense des personnes n’ayant pas accès à un avocat indépendant dans leur pays. Lorsqu’il n’y a pas d’avocat sur place, nous le faisons seuls, mais souvent nous assistons des consœurs et confrères menacés en raison de leur exercice professionnel. Le projet fondateur de l’association a été d’organiser la défense de prévenus et victimes du génocide hutu contre les tutsis devant les juridictions rwandaises. Dans le cadre du projet « Justice pour tous au Rwanda », nous sommes intervenus en faveur de ces personnes 52 Notre deuxième mission est de soutenir les avocats subissant des menaces en raison de leur activité professionnelle. Parce qu’ils acceptent de défendre certaines personnes, des avocats sont eux-mêmes inquiétés, menacés, poursuivis voire condamnés, et parfois à mort. Nous avons créé en 2008 l’Observatoire International des Avocats (OIA) dont la mission est, dans un premier temps, de recenser à travers le monde les cas d’avocats victimes de menaces, pressions, tortures, disparitions et autres atteintes à leur intégrité physique et morale et, dans un second temps, d’apporter à ces avocats une assistance matérielle, morale et juridique. Vous savez, dans de nombreux Etats, lorsqu’un avocat déplaît, il est assassiné. L’Observatoire soutient alors les procédures judiciaires concernant ces avocats assassinés. Le troisième objectif que nous nous sommes fixé est de renforcer les acteurs locaux de la justice et du droit sur le terrain. Nous organisons différents types de formations destinées aux avocats. La première formation que nous offrons porte sur les outils juridiques internationaux de protection des droits de l’homme. Nombreux sont les avocats, y compris français, qui manquent de connaissances sur les spécificités de la protection des droits de l’homme. Nous proposons également des formations comportementales dont l’objectif est de former les avocats aux réalités de leur métier, en leur apprenant notamment comment se comporter face à un client, à un confrère, à un procureur ou un juge. Enfin, et surtout, nous organisons des formations méthodologiques dont le but est de former de futurs formateurs qui pourront transmettre leur savoir-faire sur place. Ces formations sont supervisées par un conseil en ingénierie pédagogique et formation de formateurs. Avocats Sans Frontières n’est pas destiné à des avocats en mal d’exotisme ! En dehors de la formation de formateurs, l’ensemble des formations dispensées par ASF France est agréé par le Conseil National des Barreaux et pris en charge au titre de la formation continue. La reconnaissance de nos formations est également internationale, ASF France est d’ailleurs pressentie par la Cour pénale internationale pour assurer des formations. La dernière mission qu’ASF France s’est assignée est de favoriser l’accès au droit. ASF France participe sur le terrain à des programmes d’aide judiciaire en collaboration avec des juristes locaux, comme au Burundi, au Mali ou au Kosovo. dans ce pays. Deux projets, respectivement de lutte contre la torture et de lutte contre l’application de la peine de mort, ont depuis vu le jour au Nigéria. L’exemple le plus parlant est celui du Cambodge où, pendant deux décennies, le régime Khmer rouge a privé le pays d’une génération entière d’avocats et de magistrats. Aujourd’hui, la majorité des avocats cambodgiens sont installés à Phnom Penh et leurs tarifs sont beaucoup trop élevés pour la majorité de la population. ASF France a mis en place un programme Maître François Cantier d’assistance judiciaire gratuite président fondateur d’ASF France pour les populations les plus vulnérables sur l’ensemble du territoire en partenariat avec les barreaux locaux. Ce programme a permis d’installer un avocat dans chaque province et de sensibiliser la population au droit et à la justice. La population a trouvé chez ces avocats une aide précieuse pour se constituer partie civile devant les Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC) chargées de juger les responsables des crimes commis sous le régime Khmer rouge. Le 26 juillet 2010, Duch, l’ancien directeur du centre de détention et de torture S 21, a été condamné à 35 ans de prison pour différents chefs, et notamment ceux de crime contre l’humanité, persécution pour motifs politiques, torture et traitements inhumains. Fin 2010, quatre autres anciens hauts dirigeants des Khmers rouges seront jugés. A ce jour, plus de 1200 dossiers de constitution de partie civile ont été déposés par ASF France en vue de ce procès. ASF France a également œuvré pour la libération des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne qui avaient été accusés d’avoir inoculé le virus du sida à plus de 400 enfants en Libye. Les rumeurs les plus folles couraient à l’époque à leur égard, on les accusait d’être des agents à la solde du Mossad et de la CIA. Nous avons rapidement acquis la conviction qu’ils étaient innocents et que la contamination de ces enfants était accidentelle. Bien qu’ils n’aient pas été acquittés, ils ont été libérés dans les conditions que l’on connaît en 2007. Comment choisissez-vous les causes que vous défendez ? Y a-t-il un ou plusieurs critères qui entrent en ligne de compte ? Nous sommes évidemment obligés de sélectionner les cas dans lesquels nous nous engageons, car nos moyens financiers ne sont pas illimités, mais il est difficile de définir un critère de sélection a priori. Dans certains cas, nous intervenons à l’occasion d’une affaire exemplaire comme ce fut le cas au Nigéria par exemple. En 2003, Amina Lawal a été condamnée à mort par lapidation en vertu de la charia pour avoir mis un enfant au monde onze mois après son divorce. ASF France a alors proposé à ses défenseurs d’intervenir aux côtés de son avocate, Maître Hauwa Ibrahim. Cette affaire a connu une fin heureuse puisque la jeune fille a été acquittée, mais ce procès a révélé les difficultés de la justice nigériane et a marqué le début de l’engagement d’ASF France Un autre cas emblématique de la difficile lutte pour la protection des droits de l’homme est celui de Sakineh Ashtiani. Cette jeune femme iranienne a été condamnée à mort par lapidation pour adultère et est emprisonnée depuis 2006. Le réseau Avocats Sans Frontières a déposé un recours en grâce auprès des autorités iraniennes afin que la condamnation à mort ne soit pas exécutée. Son avocat et son fils ont depuis, malheureusement, été arrêtés. Si l’on devait vraiment définir un critère de choix des affaires dans lesquelles Avocats Sans Frontières France s’engage, ce serait le degré d’injustice. Y a-t-il des pays dans lesquels il est impossible ou difficile pour vous d’intervenir ? Malheureusement, oui. Il est très difficile pour des ONG d’intervenir dans des pays où les pressions étatiques sont très fortes comme la Birmanie, l’Iran, ou encore la Chine. Pour donner un exemple, Avocats Sans Frontières France s’est engagée pour la défense de Hu Jia, militant chinois et coordinateur de l’association « Avocats aux pieds nus » qui combat les injustices à l’aide des lois chinoises existantes. Celui-ci est détenu depuis 2007 pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Lors de nos visites sur place, nous n’avons pas eu l’autorisation de le rencontrer. Nous avons travaillé de concert avec ses avocats chinois, mais il est aujourd’hui encore emprisonné et sa santé se dégrade. En octobre 2008, il a reçu le prix Sakharov pour la liberté de penser, qui lui a été décerné par le Parlement européen en dépit des pressions exercées par les autorités chinoises sur les eurodéputés. Parfois, le cas inverse se présente, comme pour Haïti par exemple. Le Barreau de Paris nous a sollicités pour intervenir sur place mais il est difficile de savoir quelle voie d’action entreprendre. Nous travaillons actuellement sur ce projet, mais la principale urgence en Haïti est la reconstruction et la salubrité publique qui ne sont pas de notre compétence. 53 HORS DES CÔTES HORS DES CÔTES Avocats Sans Frontières France : « là où la défense n’a plus la parole » Avocats Sans Frontières France Quelles qualités recherchez vous chez les avocats désireux de vous accompagner ? Frontières. Nous bénéficions également de la confiance de plusieurs grandes entreprises comme Microsoft, Dalloz ou la Banque Populaire. La qualité essentielle que nous recherchons est l’engagement. Ce que l’on fait est difficile et parfois dangereux. Il faut croire aux valeurs que nous défendons, la présomption d’innocence, le droit à la vie, la liberté, le droit à l’intégrité de son corps et surtout le droit à une défense libre et indépendante. Avocats Sans Frontières France a la chance de pouvoir compter à ce jour près de 1 000 adhérents. Chaque année, plus de 100 d’entre eux apportent bénévolement leur aide et leur savoir-faire à l’association. Comme toutes les associations, nous sommes en permanence à la recherche d’adhérents qui sont pour nous un gage d’indépendance. Quel bilan faîtes-vous aujourd’hui de la protection des droits de l’homme dans le monde ? Les avocats sont les leaders dans la défense des droits de l’homme et, à ce titre, ils sont de plus en plus souvent menacés. La spécificité de notre association est que nos membres sont des professionnels du droit qui font l’effort d’acquérir les compétences juridiques nécessaires pour pouvoir agir dans le cadre de la solidarité judiciaire. Il est indispensable que nous nous formions aux particularités du droit local pour pouvoir apporter une aide efficace et cela prend du temps. Nos principales activités sont des travaux de fond, de recherche et d’analyse juridique, puisque quand nous ne pouvons pas intervenir sur place, il nous est toujours possible d’apporter nos compétences de praticiens du droit en participant à la rédaction de mémoires en défense ou de recours en grâce. Il est difficile de répondre à cette question. Il n’existe pas d’outils de mesure exacts de l’état d’avancement des droits de l’homme dans le monde, même si l’on peut bien sûr se référer aux travaux des organisations internationales comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Ce que l’on peut dire, concernant la profession d’avocat, c’est que les avocats sont souvent à la tête des mouvements de protestation contre les situations d’injustice et de violation des droits de l’homme. Ils sont leaders dans la défense des droits de l’homme et la marche vers la démocratie et, à ce titre, ils sont de plus en plus souvent menacés. L’opinion publique internationale est plus sensibilisée qu’auparavant aux cas de violation des droits de l’homme et se mobilise davantage contre ces injustices. C’est un gage d’espoir et un encouragement très fort pour nous. Il ne faut pas oublier que les droits de l’homme et le droit à la défense, c’est l’affaire de tous. Propos recueillis par Sophie Joly, Promotion Jacques Attali, Série F Avocats Sans Frontières France n’est pas destiné à des avocats en mal d’exotisme ! De quelles ressources bénéficie l’association Avocats Sans Frontières France ? Nos actions sont financées majoritairement par des bailleurs de fonds institutionnels, et ce à plus de 80%. A ce titre, l’Etat français participe au financement d’ASF France à hauteur de près de 50%. Nous trouvons également un soutien financier auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie, de 35 barreaux français dont ceux de Paris, Toulouse, Lille ou Bordeaux, du Conseil National des Barreaux ou encore de l’Union Européenne. La Fondation Clifford Chance a décidé en 2009 de soutenir le renforcement et le développement du mouvement Avocats Sans 54 55 HORS DES CÔTES HORS DES CÔTES La Transnistrie : Voyage au pays des derniers soviets Cet été, au mois d’août, j’ai eu l’occasion d’aller en Transnistrie. Vous ne connaissez pas ce pays ? Vous ouvrez un atlas, et il n’apparaît nulle part ? C’est normal, ce pays n’existe pas. Ou plutôt, il existe pour ses habitants, mais pas pour le reste du monde. En effet, il s’agit d’une République autonome, autoproclamée depuis 1990, et qui est restée à l’ère soviétique. A l’opposé de tous les anciens satellites de l’uRSS, cette région de 200 km du nord au sud a refusé l’indépendance, et a choisi de rester dans le giron russe. Il s’agit donc d’une sorte d’enclave russe, sauf qu’elle n’est reconnue par personne. Entrons pour une visite dans cette contrée hors du temps. La Transnistrie est une zone située en moldavie, petit pays à la limite est de l’Europe, à cheval entre les mondes slave et latin. Cette république, bien que non reconnue par la communauté internationale, bénéficie néanmoins de tous les attributs de la souveraineté : elle a sa propre constitution, son drapeau, ses frontières, son hymne, son président, son parlement, son gouvernement, son armée, sa monnaie, sa langue, etc. Petit retour historique pour expliquer cette incongruité : La moldavie a vécu une histoire tourmentée, et n’a cessé de basculer d’un camp à l’autre : ses 33 900 km2 ont alternativement été annexés à la grande Roumanie et à l’Empire Russe, laissant une empreinte culturelle et linguistique forte. C’est une ancienne République socialiste soviétique, qui a retrouvé les attributs de sa souveraineté le 27 août 1991, au terme d’un référendum. mais cette date qui signe l’indépendance du pays va, en contrepartie, être le signal de la perte de fait – sinon de droit – d’une partie de son territoire au profit de la République autoproclamée autonome de Transnistrie. Cette zone, à l’est du fleuve Dniestr, était dans les années 1980 peuplée de soviétiques venus de la mère-patrie russe, et avait été industrialisée par leurs soins. Lors des prémices de l’indépendance du gouvernement moldave, alors que le Parlement moldave adopte 56 La Transnistrie leroumaincommeseulelangueofficielledelaRépublique(etnon plus le russe), en juin 1990 les russophones de Transnistrie réclament le maintien de la région au sein de l’uRSS ou de la Russie. Avant les visites, il convient de changer de l’argent, car seule la monnaie locale – le rouble transnistrien – est acceptée. Particularité intéressante : il s’agit de la seule monnaie au monde qui n’est échangeable nulle part ailleurs ! Et idem pour la poste : les timbres sont à l’effigie du président et ne sont valables qu’a l’intérieur de la Transnistrie, ils ne permettent d’envoyer des lettres que sur le territoire transnistrien ! Le temps semble s’être arrêté, tout cela ressemble à un conte de propagande soviétique. Les gens se baignent au bord du fleuve, il fait beau. Et les magasins sont approvisionnés, sauf que la plupart des enseignes (telles que les stations-service et les supermarchés, détenus par la compagnie transnistrienne Sheriff) n’existent pas ailleurs en moldavie. Puis, le 2 septembre 1990, c’est-à-dire presque un an avant la déclaration d’indépendance de la moldavie, les habitants de Transnistrie, soutenus par la XIVe armée soviétique toujours vaillante malgré une uRSS moribonde, font eux-mêmes sécession, se séparant de la République moldave ! La République moldave de Transnistrie est alors autoproclamée, prenant Tiraspol comme capitale,autermed’unconflitquifaitplusd’unecentainedemorts. La nouvelle République demande son rattachement à l’uRSS, requête confirmée par les électeurs transnistriens lors du référendum d’auto-détermination du 17 septembre 2006. Lajournéeasuffipourlavisite, etbienqu’ilexistedeuxhôtelssur place (selon le guide du Routard, sans eau courante ni électricité), nous rentrons le soir même. Ce pays n’est reconnu à ce jour que par la russie. Il existe depuis l’automne 1992 un cessez-le-feu signé avec la Russie, quiagelétoutconflitdanslarégion. La situation n’est toujours pas réglée, et l’entrée en Transnistrie confirme ce sentiment : sur le pont reliant les deux rives du fleuve Dniestr, des tanks armés, recouverts de bâches de camouflage, pointent leurs canons vers la Moldavie, située de l’autre côté. L’armée soviétique maintient toujours la région très militarisée. De son côté, la moldavie est soutenue par l’union Européenne, et refuse la souveraineté transnistrienne. mais ce refus reste très théorique tant la Transnistrie est armée et apte à résister à toute « invasion » (elle a récupéré l’essentiel du parc industriel et militaire moldave). La statue de Lénine devant le siège du soviet suprême (Parlement) de Tiraspol La Transnistrie est une zone de non-droit (la moldavie n’y contrôle plusrien),laplaquetournanteenEuropedestraficsentousgenres, et considérée comme la poudrière de l’Europe. Elle était donc particulièrement déconseillée pour l’étudiante en mal d’aventures quejesuis… Je ne sais pas combien de temps ce pays sécessionniste continuera à exister, ni s’il sera un jour reconnu. En attendant, il vaut le coup d’œil ! Clémentine Bacri - Promotion Jean-Denis Bredin - Série G Pourtant, l’opportunité s’offrit à moi par l’intermédiaire de Veronica, une amie moldave rencontrée à Paris qui rentrait à Chisinau, pour le mois d’août. Lorsque je lui parlais de mon désir d’aller en Transnistrie, elle proposa de m’y emmener ! Du coup, le 26 août dernier, nous avons traversé les frontières moldave puis transnistrienne, armés de nos passeports (et oui, il s’agit toujours légalement du même pays, mais il faut quand même passer des frontières !). Aprèslepassageparleposte-frontièreàdevoirjustifierlaraisonde notre séjour, nous rencontrons à chaque coin de rue des militaires à pied et sur des chars armés, avec faucille et marteau sur le képi, et étoile rouge soviétique sur la poitrine. Les mêmes symboles que sur le drapeau du pays. Nous entrons dans la ville de Tiraspol, complètement irréelle : je m’attendais à une zone très pauvre et décatie, et j’arrive dans une ville carte-postale, où tout est neuf, repeint et où les statues de Lénine sont étincelantes ! Nous visitons la grande rue principale, qui relie la maison des Soviets, le gouvernement, et les ministères. Pas de photos, il y a trop de militaires dans les rues, et aucun touriste. 57 CARTE BLANCHE Jeux en ligne CARTE BLANCHE Jeux en ligne : les enjeux d’un nouveau marché les enjeux d’un nouveau marché Une mutation inévitable Et si le pari était gagnant ? omment la France a su modifier sa législation en un temps record, tout en conciliant les exigences du couple Bruxelles-Luxembourg avec les intérêts des monopoles, des nouveaux opérateurs et du sport. C Le Baromaître n°10 de juin 2010, dans son dossier relatif à l’actualité en droit du sport, évoquait l’arrivée des paris sportifs sur internet depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Six mois après la mise en place de cette régulation nouvelle en france, un second éclairage s’imposait, faisant état des problématiques et enjeux du secteur, du contexte juridique en passant par le rôle de l’avocat, sans oublier le « droit au pari », nouvelle forme d’exploitation des compétitions sportives. En ce jour du mois d’octobre 2010, les auditeurs de la Direction des Agréments et de la Supervision (DAS) de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), réunis en équipe restreinte, sont tombés d’accord : l’opérateur de jeux en ligne unibet va pouvoir exercer son activité en France. Il obtiendra trois agréments (paris sportifs ; paris hippiques ; jeux de cercle) quelques jours plus tard par décision du collège de l’ARJEL. Au total, ce sont 48 agréments qui ont été délivrés par cette Autorité administrative indépendante en quelques mois : un bouleversement dans la tradition juridique française, auparavant gouvernée par un principe d’interdiction générale des loteries depuis 1836 ainsi que des jeux de hasard. Retour sur le contexte de la loi du 12 mai 2010. L’équation à résoudre pour le législateur était celle-ci : une très forte demande de jeux en ligne face à un principe d’interdiction pour des raisons d’ordre public et d’ordre social et deux exceptions monopolistiques, la Française des Jeux (FDJ) et le Pari mutuel urbain (Pmu) : « des modalités de régulation quantitative inadaptées à l’économie de l’internet » explique Jean-François Vilotte, Président de l’ARJEL. Le tout sous la pression du droit communautaire. mises. La réalité du secteur des jeux en ligne en France était donc, avant la loi du 12 mai 2010, celle d’un marché déjà très ouvert mais clairement tourné vers les opérateurs illégaux. Ainsi, « la véritable question qui était posée au législateur n’était pas celle de savoir comment ouvrir le marché mais plutôt comment réguler efficacement le marché pour faire valoir les objectifs d’ordre public et d’ordre social qui sont ceux des pouvoirs publics français » explique l’ancien directeur de cabinet de Jean-François Lamour au ministère de la jeunesse et des sports. source Arjel Jean-François Vilotte Président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne En effet, « face au principe de prohibition ou d’offre limitée, la demande s’est tournée vers les « Nous sommes opérateurs illégaux qui, nombreux, passés ont révélé l’inefficacité des moyens d’une régulation de lutte contre ces opérateurs » quantitative à une poursuit Jean-François Vilotte. régulation une situation de fait à laquelle qualitative » s’ajoute une situation de droit : la légitimité des monopoles (FDJ et Pmu) développant une offre plus large en réponse à la demande, devenait de plus en plus contestable au regard du droit communautaire et notamment de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne relatif à la libre prestation de service. Ainsi, « réaffirmant les objectifs d’ordre public – lutte contre la fraude et le blanchiment – et d’ordre social – lutte contre l’addiction et protection des mineurs – le législateur a adapté cette régulation à l’économie de l’Internet. Nous sommes passés d’une régulation quantitative à une régulation qualitative ». De l’illégal au légal source bwin.fr 58 L’exempleestsignificatif:onestimeàunmilliardd’euroslemontant des mises sur les paris sportifs chaque année en France. Sur ce milliard, seuls 50 millions d’euros étaient le fait de la FDJ, unique opérateur autorisé auparavant, c’est-à-dire environ 5% du total des « Le point d’équilibre recherché est celui d’un basculement de la demande vers les sites légaux sans que sous l’effet de la publicité il y ait une explosion des mises » Le passage de l’illégal au légal était un objectif. Il est atteint. Pour autant le Président de l’ARJEL reste prudent et, tel un entraîneur sportif, veut inscrire les bons résultats de son équipe dans la durée, pour pouvoir tirer de véritables enseignements une fois la saison plus avancée. Les chiffres des jeux en ligne Après 6 mois d’ouverture du marché 450 millions d’euros le montant des mises sur les paris sportifs (environ 180 millions pour le football, soit 60% de parts de marché) 450 millions d’euros le montant des mises sur les paris hippiques Ce sont dans ces conditions que l’ARJEL a été créée avec pour activités principales : la délivrance des agréments aux opérateurs souhaitant avoir une activité sur le territoire Internet français selon des critères de transparence et de contrôle, la lutte contre les opérateurs illégaux et l’édiction de normes générales d’encadrement. « Le point d’équilibre recherché, ajoute Jean-François Vilotte, est celui d’un basculement de la demande vers les sites légaux sans que sous l’effet de la publicité il y ait une explosion des mises ». Si l’on prend l’exemple des paris sportifs, aujourd’hui, après 6 mois d’ouverture du marché, ce sont 450 millions de mises qui ont été enregistrées sur l’ensemble des sites agréés ; ce qui correspond à peu près à la prévision annuelle du milliard de mises. « Ces chiffres sont cohérents par rapport à l’estimation et au souhait du législateur », constate JeanFrançois Vilotte. 3,7 milliards d’euros le montant des mises sur le poker en cash game (considérant le recyclage immédiat des gains en cash game,unedivisiondecemontantparuncoefficient compris entre 20 et 25 correspond au montant réellement engagé par les joueurs) 412 millions d’euros le montant des droits d’entrée dans les tournois de poker fermés 2,1 millions le nombre de joueurs actifs en France (tous les secteurs de jeux confondus) 85 millions d’euros la somme dépensée par les opérateurs agréés en publicité (60 millions) et en sponsoring (25 millions) source Arjel fin décembre 2010 59 CARTE BLANCHE les enjeux d’un nouveau marché Un livre vert et un rapport national L’état de la jurisprudence communautaire Celle-ci tient en plusieurs points : L’avenir ensemble. Le Commissaire européen au marché Intérieur a annoncé la publication d’un Livre vert sur les jeux en ligne d’ici à la fin de l’année. S’il actera vraisemblablement la jurisprudence de la CJuE devenue claire et lisible dans ses principes (voir notre encadré), il posera nécessairement une réflexion sur les instruments de coopération entre Etats membres concernant les problématiques qui ne peuventêtreefficacementrégléesdanslestrictcadrenationalde régulation. Plus précisément, « on ne va pas, à très court terme, vers une harmonisation européenne du secteur car il y a des différences de sensibilité très fortes entre les 27 pays de l’Union » mais des éléments demeilleurecoopérationserontdéfinis. Une autre réflexion est celle que le Président de l’ARJEL mène concernant la protection de l’intégrité des compétitions et qui fera l’objet d’un rapport remis au mois de mars 2011 au ministre des sports.Ils’agitderéfléchiraveclesorganisateurs,lesopérateurset les pouvoirs publics aux dispositifs de prévention des risques à la sincérité des compétitions sportives. « Les paris sportifs n’ont pas inventé la corruption mais ils multiplient à l’infini le nombre de personnes qui ont un intérêt économique et financier au résultat d’un match, d’une compétition, « Les paris sportifs d’où une multiplication n’ont pas inventé la des risques de corruption mais ils corruption », explique Jeanmultiplient à l’infini le François Vilotte. nombre de personnes Le risque existe, il est très qui ont un intérêt international : l’objectif est économique et financier doncdedéfinirlesdispositifs au résultat communs efficaces sur le d’un match » plan national qui trouveraient un prolongement à l’international. •Aucunedirectivecommunautairerelativeauxjeuxenligne n’harmonise à ce jour le secteur dans l’union Européenne. Il appartient donc aux Etats membres d’adopter les cadres de régulation les plus adaptés à leur marché dans le respect des seuls articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne, relatifs respectivement à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services ; • Uncadrederégulationconstituéd’unmonopolepublic ou d’une offre limitée ne s’oppose pas aux dispositions du Traité, pour autant que ce cadre de régulation poursuive unbutd’intérêtgénéraletsoitjustifiéparlesprincipesde proportionnalité, de nécessité et de non discrimination ; • Aucun principe de réciprocité ne s’impose aux Etats membres quant à la reconnaissance d’un opérateur légal d’un état à l’autre. L’arrêt Santa Casa de la Cour de Justice de l’union Européenne (CJuE) du 8 septembre 2009 (C-42/07) le rappelle explicitement. Ainsi le principe d’un monopole public adapté et proportionné au but d’intérêt général prétendument poursuivi est admis par la CJuE : c’est le cas du Portugal à travers la jurisprudence Santa Casa. Néanmoins, lorsque le cadre de la régulation ne justifie plus une restriction des principes communautaires, la CJuE sanctionne les monopoles. C’est le cas de l’Allemagne à travers la récente décision Winner Wetten GmbH de la CJuE du 8 septembre 2010 (C-409/06). « La France a choisi une voie médiane tenant compte de la jurisprudence de la CJUE et de la demande forte de jeux, c’est-àdire une ouverture du secteur dans un cadre maîtrisé », précise le Président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne. 61 CARTE BLANCHE Jeux en ligne CARTE BLANCHE Droit au pari : un bras de fer engagé, un débat apaisé Le droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives - Ligue 1, Top 14, Pro A, Roland Garros, Tour de France - dont les Fédérations sportives ou les organisateurs sportifs sont propriétaires, conformément à l’article L. 333-1 du code du sport, inclut désormais le droit de consentir à l’organisation de paris sur ces manifestations. En effet, le nouvel article L. 333-1-1 du code du sport dispose que « le droit d’exploitation défini au premier alinéa de l’article L. 333-1 inclut le droit de consentir à l’organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives ». out opérateur de paris sportifs agréé par l’Autorité de régulation des jeux en ligne doit ainsi contracter avec l’organisateur d’une compétition avant de pouvoir proposer sur son site Internet des paris sur celle-ci. Au même titre que les droits TV ou les droits marketing, le droit au pari consacré par la loi du 12 mai 2010 jouit donc d’une commercialisation bien déterminée. T Lutte contre la fraude le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité : la plus haute juridiction administrative n’a pas entendu les arguments de l’opérateur et a validé le droit au pari. précis de l’évolution des cotes et des paris en vue de détecter des mouvements anormaux liés au trucage de la compétition. Le second objectif est d’assurer un retour financier pour le monde sportif. 62 Un des arguments majeurs soulevé par les pourfendeurs du droit au pari consiste à soutenir que les paris portent sur des résultats et plus précisément « des données factuelles non susceptibles d’appropriation » qui se trouveraient donc nécessairement hors du champ d’exploitation, qu’ainsi, le principe du droit à l’information serait violé. Néanmoins, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 14 octobre 2009, précisément relatif à une atteinte au droit de propriété de la Fédération Française de Tennis par un opérateur proposant illégalement des paris sur Roland Garros, a clairement balayé cet argument : « considérant en effet que l’objet du pari n’est évidemment pas le résultat connu, mais l’aléa qui n’existe que pour autant que la manifestation se déroule actuellement, et qui, par définition, disparaît une fois celle-ci terminée, l’acquisition du résultat tarissant aussitôt le flux économique généré par l’organisation de paris, ce qui achève de démontrer que ce flux est bien constitutif d’une exploitation de la manifestation sportive qui en est le support ». Dont acte. Conformément à l’article 3 du décret 2010-614 relatif aux conditions de commercialisation des droits portant sur l’organisation de paris en relation avec une manifestation ou compétition sportives, le prix en contrepartie de l’attribution du droit d’organiser des paris s’exprime en proportion des mises. Au sens de la loi du 12 mai 2010, la commercialisation du droit au pari par les organisateurs de manifestations sportives répond à deux objectifs précis : le premier est celui de préserver l’intégrité des compétitions sportives. En effet, les montants considérables mis en jeux sur des paris pris sur les L’accroissement des compétitions, le tout sans aucun contrôle, risques de fraude accentuent fortement le risque de fraude et en relation avec de suspicions de tricherie. Or « toute perte l’augmentation de confiance dans le sport porte atteinte à des flux financiers l’image de l’ensemble du mouvement sportif, dans le secteur des paris son intégrité, ainsi qu’aux valeurs qu’il véhicule justifie pleinement et nuit directement au développement et à la une redevance promotion des activités sportives en France » proportionnelle au souligne Cécile Thomas Trophime, avocate en montant total des mises droit du sport, aujourd’hui juriste à l’ARJEL. Si l’ARJEL a dans un premier temps défini les compétitions, types de résultats et phases de jeux pouvant faire l’objet de paris, les organisateurs doivent également, en contrepartie du droit au pari, établir un dispositif anti-fraude garantissant la sincérité des compétitions. Ce système comprend des actions concrètes de surveillance des compétitions, des interdictions de prises de paris par les personnes intéressées par les compétitions, voire le contrôle Droit au pari Considérant que, selon la loi du 12 mai 2010, le droit au pari tient compte « notamment des frais exposés par la détection et la prévention de la fraude » et que de plus, comme l’a déjà souligné le Parlement Européen, l’augmentation des flux financiers dans le secteur des paris en ligne accroît les risques de fraude, une redevance proportionnelle au montant total des mises se justifie pleinement. Cette redevance, pour la grande majorité des contrats de commercialisation, avoisine les 1% du montant total des mises engagées sur la compétition. Pour autant, ce droit au pari ne satisfait aucunement les opérateurs, privés de revenus substantiels, qui l’ont fait savoir. La bataille interne A la tête des contestataires, Betclic qui a attaqué le droit au pari devant le juge administratif et devant le Conseil d’Etat par source Ansa Un débat porté au niveau européen d’organisations sportives nationales et internationales parmi les plus importantes) s’est indigné des démarches judiciaires entreprises par les opérateurs pour s’exonérer du droit au pari : « les membres du SROC considèrent que l’intégration du droit d’exploitation des organisateurs de compétitions sportives dans la loi française sur les jeux en ligne est un exemple de très bonne pratique permettant d’assurer le financement durable du sport à tous les niveaux et de protéger l’intégrité des compétitions sportives. C’est pourquoi ils estiment que ce modèle devrait être suivi par les institutions et les gouvernements européens et exporté de la manière la plus large possible ». Le modèle français du droit d’exploitation des compétitions sportives fait l’objet d’un grand intérêt et est sans doute appelé à se répandre en Europe à plus ou moins long terme C’est bien l’ambition du législateur français que d’exporter sa législation en Europe et la reconnaissance du droit au pari dans les autres Etats membres en serait une très belle démonstration. En tout état de cause, l’intérêt grandit autour du droit au pari. Dernier exemple en date : Quirino Mancini, avocat associé du cabinet Sinisi Ceschini Mancini (Italie) a souligné fin octobre lors d’une conférence à Madrid organisée par l’International Masters of Gaming Law (IMGL) que le modèle français du droit d’exploitation des compétitions sportives faisait l’objet d’un grand intérêt et était sans doute appelé à se répandre en Europe à plus ou moins long terme. Vandrille Spire – Promotion Jacques Attali – Série F L’European Gaming and Betting Association (EGBA), association de lobby pour les opérateurs de paris en Europe a, elle aussi, entendu contester la légalité du droit au pari, cette fois-ci auprès du premier ministre français lui-même. Ce vent de contestation a dû dépasser nos frontières pour y trouver un écho : en effet le Sports Rights Owners Coalition (SROC), groupement des détenteurs de droits sportifs (une quarantaine 63 LE PASSÉ AU PRÉSENT LE PASSÉ AU PRÉSENT L’affaire Caillaux ou la comédie judiciaire de la IIIème République femmeduministredesfinancesJosephCaillaux, anéantit à sa source l’infamante campagne de presse menée contre son mari. Le directeur du Figaro, gaston Calmette, auteur principal de cettecampagne,s’écroulesouslesballes… Né le 30 mars 1863, Joseph Caillaux entre rapidement en politique. Néanmoins, d’infamantes campagnes de presse viendront ternir la carrière du « père de l’impôt sur le revenu ». De la chute du gouvernement Barthou en décembre 1913 au 16 mars 1914, près de 110 articles furent dirigés contre celui qu’Aristide Briand qualifiait de « Ploutocrate démagogue ». Tous, quasiment, furent signés de la main de gaston Calmette qui les concluait par « Continuons… A demain ». Il annonçait prochainement « Le rendez-vous de Monsieur Caillaux devant l’histoire » en référence à des télégrammes, « les verts », échangés entre Caillaux et les agents allemands en 1911. Le prétextedel’étouffementd’unconflitarméavec l’Allemagne dans la Baie d’Agadir n’empêchera pas la rumeur de trahison. « Joseph Caillaux travaille pour le roi de Prusse » titra le Figaro. Caillaux craignait en outre la publication d’un rapport du procureur Fabre témoignant du rôle joué par le ministre dans le scandale Rochette, financier véreux condamné en 1912 pour escroquerie. Le directeur du figaro vient d’être abattu de plusieurs balles de revolver. Le tireur n’est autre que la femme de l’un des hommes politiques les plus en vue du moment. Par ce geste d’épouse désespérée, elle pense mettre fin à une campagne de presse particulièrement virulente menée contre son mari, ministre des finances, dont la tête est réclamée depuis plusieurs mois pour cause de conflit d’intérêts avec certains fonds monétaires, d’enrichissement personnel et de déshonneur de la Patrie. Que nos chers lecteurs se rassurent ! Ils n’ont pas manqué l’information, bourrasque de plus dans le cyclone politico-médiatique « Bettencourt ». Nous sommes l’après-midi du 16 mars 1914, Henriette Caillaux, 64 L’acharnement de Calmette se poursuivra par la diffusion de la correspondance privée de Joseph Caillaux, alors marié à Berthe gueydan. Le journaliste se dira certes indigné d’une telle publication mais obligé de le faire pour délivrer son pays. Les lecteurs du Figaro y découvriront les intentions du ministre « J’ai écrasé l’impôt sur le revenu en ayant l’air de le défendre ». Inarrêtable, Calmette fera allusion aux « imprudentes correspondances » du ministre… Henriette Clarétie, qui deviendra la seconde madame Caillaux ne saurait échapper à la vindicte journalistique : sa vie privée allait-elle être déballée au grand jour ? Son honneur allait-il être trainé dans la boue, bafoué ? Le 14 mars 1914 Calmette « Joseph Caillaux triomphe : « Ma tâche est travaille pour le roi accomplie. Balayez ! Allez-y ! ». de Prusse » titra le Henriette Caillaux, devenue figaro « figarophobe », sollicita en vain l’aide du président du tribunal de la Seine, qui lui avouait l’impuissance de la justice. Son L’affaire Caillaux mari rendait dans le même temps visite au Président Poincaré. « Si Calmette publie une de mes lettres, je lui casserai la gueule » déclara Caillaux au Président de la République. De son côté, Henriette Caillaux, hantée par le désespoir, comprit qu’elle seule pouvait mettre fin à la calomnie. Dans sa lettre d’adieu à son « Mari bien aimé », elle expliquait qu’elle avait perdu patience et qu’elle seule ferait Joseph Caillaux justice. A 17h15, elle entrait au siège du Figaro. Six coups de feu retentirent dans le bureau de Calmette. Touché, à terre, le journaliste murmurera « Je n’ai fait que mon devoir, ce que j’ai fait, je l’ai fait sans haine ». À la police arrivée à la hâte, Henriette Caillaux dira « Il n’y a pas de justice en France, c’était le seul moyen d’en finir (…) Ne me touchez pas, je suis une dame, je suis la femme du ministre des finances ». Le procès mondain d’Henriette Caillaux Ce procès occupera le tout Paris pendant six audiences. C’est un événement politique, littéraire et bien sûr mondain, comme en témoigne la liste des témoins. Le Président Poincaré, le président du Conseil Briand, le ministre Barthou, l’écrivain et ami de Calmette Paul Bourget, le mathématicien et ministre de la guerre Painlevé, le dramaturge Henry Bernstein, et bien d’autres encore. « Voulez-vous vous lever Madame ? » Joseph Caillaux, omniprésent, dirige tout tel un chef d’orchestre. L’homme politique voulait que rien ne soit laissé au hasard, il entendait tout maîtriser. Sa fameuse « garde corse » dirigée par son bras droit, Ceccaldi, décidait de qui méritait d’assister à ce spectacle. Le public ainsi choisi était, de fait, acquis à la cause « Caillaux ». « La tourbe s’emparerait du Palais si (ma) garde corse ne la faisait pas rentrer sous Terre » écrivit plus tard Caillaux. Dans le box des accusés, Henriette Caillaux donne le ton et la mesure du spectacle : ce sera un événement mondain et grave. Très habillée, elle porte sur la tête « un cylindre de satin noir, surmonté de deux ailes de corbeaux, qui lui donnent un air de walkyrie moderne ». Ses mains sont gantées de noir. Face à elle, l’accusation, représentée par le Procureur général Herbaux qui hérita de l’étiquette « Caillautiste » dès les premiers instants du procès. La cravate de commandeur de la légion d’honneur remise la veille du procès y était-t-elle pour quelque chose ? À la barre, Barthou lancera d’ailleurs à l’accusée : « Madame, depuis que vous êtes ici, l’accusation n’a rien fait entendre contre vous ». A la droite de l’accusée, le président Albanel allait conduire les débats avec une courtoisie qui lui valu d’être taxé de laxiste par les journaux de droite. « Si Calmette publie une de mes lettres, je lui casserai la gueule » déclara Caillaux au Président de la république Quant au jury, sa composition déclencha une nouvelle rumeur qui inonda les couloirs du Palais de Justice lorsque l’urne contenant lesnomsdesjurésarrivadescelléesurlebureaudesmagistrats… un huissier prétendra une chute dans un escalier. Simple hasard ? manipulation du jury par des hommes de Caillaux ? Les archives de la préfecture de police révèleront qu’une enquête discrète fut menée sur les opinions politiques des jurés. Réactionnaires et conservateurs seront écartés, me Labori, conseil de madame Caillaux, récusera 8 noms. Ce 20 juillet 1914, Albanel se refusera une formule brutale du type « Accusée levez-vous ». Henriette Caillaux, la femme du ministre, il la connaît, il la côtoie ; à cette dame trop respectable il prononcera d’une voix délicate : « Voulez-vous vous lever Madame ? ». Les avocats des parties Avocat de la partie civile, conservateur, détestant Caillaux, le bâtonnier Chenu mettra tout en œuvre pour prouver que l’acte d’Henriette Caillaux était prémédité. Sur le banc de la défense, le bâtonnier Fernand Labori trépigne, prépare ses notes. Après avoir défendu notamment le capitaine Dreyfus, Emile Zola, il s’impose avec la défense d’Henriette Caillaux, comme l’un des avocats les plus convoités de l’histoire judiciaire de la IIIème République. 65 LE PASSÉ AU PRÉSENT LE PASSÉ AU PRÉSENT L’affaire Caillaux ou la comédie judiciaire de la IIIème République La tribune de Joseph Caillaux Joseph Caillaux s’était juré de faire sien ce procès. Si sa femme est acquittée, il en sortira vainqueur. Avec le même élan qu’à l’Assemblée, Joseph Caillaux monte à la tribune. Après deux jours d’audience, il est au centre de tous les débats, il interrompt les dépositions des témoins dérangeants, il vient au secours de sa défense s’il la juge trop fébrile. Il devient l’accusé par procuration. D’ailleurs lui-même s’accusera : « Je tiens à dire que cette femme qui est aujourd’hui dans le box des accusés s’y trouve en effet par ma faute ! (…) Je n’ai pas su la protéger contre la méchanceté et la calomnie (…) De ne pas avoir senti que, par amour pour moi, elle pouvait être capable d’un tel geste…Je l’en excuse, et je m’accuse moi-même ». La salle est domptée. Le procès d’Henriette Caillaux est dominé par deux questions : « A-t-elle voulu tuer ? », « A-t-elle tué ? ». Bien qu’insistant sur l’achat de l’arme dans l’après midi, et la lettre d’adieu, Chenu aura du mal à convaincre le jury d’un acte prémédité. D’autant que la défense va sortir de sa manche un atout majeur, le chirurgienDoyen.AmiducoupleCaillaux,ilqualifieralemeurtrede « roman ». Il montre qu’au vu des blessures de gaston Calmette, c’est bien le directeur du Figaro qui s’est « jeté sous les balles », tandis qu’Henriette Caillaux tirait en direction du sol comme si elle perdait le contrôle de son arme. Plus encore, le chirurgien s’indignera contre ses confrères qui ont opéré Calmette plus de cinq heures après le crime. Il les tiendra pour responsables de la mort du journaliste. Caillaux obtint ce qu’il voulut. Le doute venait de s’emparer de la Cour d’Assises, il ne quittera plus jamais l’esprit des jurés. mais la partie civile n’entendait pas laisser Joseph Caillaux triompher devant sa nouvelle tribune. Le bâtonnier Chenu avec la citation du témoin Latzarus, rédacteur du Figaro, passait à l’attaque. Le procès allait prendre une coloration politique. À la barre Latzarus évoque tout d’abord le rapport Fabre, dont le contenu fut révélé par Barthou à l’Assemblée. D’un ton grave Caillaux répondait : « Le document Fabre était un acte de gouvernement, je le ferai encore, si c’était à refaire ». Les jurés restèrent, n’en déplaise à me Chenu, assez insensibles à cet épisode du procès. À propos des fameux « verts », ces télégrammes qui attestaient de conversations entre Joseph Caillaux et le Reichstag, la crainte du ministre se faisait beaucoup plus grande. La partie civile jouait là sa plus grosse carte, mais surtout la dernière. Elle voyait en une disgrâce politique une condamnation certaine. Ces « verts », ceux-là même qui contraignirent Caillaux à démissionner un peu auparavant, l’ancien ministre les redoutait. Certes, ils n’étaient pas très explicites, mais Joseph Caillaux craignait que cette « germanophilie » ne le renvoyât devant une autre Cour. Il n’eut d’ailleurs pas tort. mais l’utilisation de ces documents se résuma à leur 66 simple évocation. une intervention du gouvernement, par crainte de représailles de la part de l’Allemagne, empêchera l’avocat Chenu de les divulguer. Le lendemain le procureur lira une déclaration du gouvernement : « Ces pièces ne sont que des prétendues copies de documents qui n’existent pas, et qui n’ont jamais existé. On ne peut donc en aucune façon les invoquer en vue de porter atteinte à l’honneur et au patriotisme de M. Caillaux ». Après cette lecture, le bâtonnier Labori concluait victorieusement « l’incident est clos ». Le naufrage de la partie civile commençait. Plus tard, l’interrogation de la provenance de cette déclaration du gouvernement sera posée. Les conditions d’approbation de Poincaré, en voyage en Russie à ce moment, furent remises en cause par le Président lui-même. Poincaré accusera directement certains membres de son gouvernement et proches de Caillaux d’avoir permis l’acquittement d’Henriette Caillaux. Le quatrième jour d’audience fut marqué par la déposition de la première madame Caillaux, Berthe gueydan. C’est d’un air revanchard et farouche qu’elle vint porter l’accusation contre celle qui « l’a mise dehors ». Elle expliquera que la crainte de sa rivale était infondée : cette correspondance entre Joseph et Henriette, « ce ne sont que des lettres d’une femme furieuse qui veut me faire jeter dehors. On n’y parle pas de politique ». Elle témoignera qu’elle eût été la seule L’affaire Caillaux et unique victime d’une telle révélation publique. Le même jour Barthou s’insurgera contre le président Albanel « Vous présidez avec tant de partialité que je refuse de continuer ». Les conseillers en vinrent même à reprocher au président de les « déshonorer ». Le lendemain la presse titre : « Les juges du procès Caillaux vont-ils se battre en duel ? ». invraisemblable. Il appellera gaston Calmette. Lui-même qui avait approuvé l’acquittement de ses femmes diffamées qui défendirent leur honneur. « Je le vois s’approcher de la barre. Il n’a plus le visage de la haine. Il a celui du pardon. C’est lui qui vous demande l’acquittement d’Henriette Caillaux. (…) Gardons nos colères pour l’ennemi (…) La guerre est à notre porte ». Chaque nouvelle journée d’audience était pour Joseph Caillaux Il fallut un peu moins d’une heure aux jurés pour répondre « non » une nouvelle tribune d’où il donnait libre court à son éloquence. aux deux questions posées. Non, Henriette Caillaux n’est pas coupable d’avoir L’auteur Bernstein fut l’un de ceux qui osa l’affronter donnée la mort à gaston Calmette. Non, elle n’a directement : « Nous assistons ici à une chose pas agi avec préméditation. Henriette Caillaux est inconcevable. Celle d’un homme qui monte sur le acquittée. cercueil de sa femme pour parler plus haut (…) je ne « Il faut que la sais quand sera la mobilisation, je ne sais pas quel jour presse soit digne Quelques applaudissements éclatent, alors qu’une part Caillaux, mais je dois le prévenir qu’à la guerre on de ses tornade d’ « A mort Caillaux ! » emporte le Palais de ne peut pas se faire remplacer par une femme et qu’il fonctions » Justice. Les injures pleuvent, des bagarres éclatent faut tirer soi-même ». à l’extérieur. Lasallejubile,exulte,chavire…Leprésidentsuspend mais les passions les plus déchainées allaient l’audience, Caillaux sort sous les huées. bien vite s’éteindre. Jean Jaurès est assassiné, Hors des frontières, la Serbie lance un ultimatum la mobilisation générale ordonnée, les canons à l’Autriche-Hongrie. La poudrière allait bientôt chargés… La France vient d’entrer dans ce qui sera « la grande exploser. guerre ». Dernier acte d’une comedia judiciare La plaidoirie du bâtonnier Chenu, outre les attaques envers la personnalité de Joseph Caillaux, est rythmée par la question de la préméditation. Pour lui, l’acte d’Henriette Caillaux était prémédité. Le bâtonnier Chenu conclura sa plaidoirie par la démonstration que Joseph Caillaux a poussé sa femme au crime. Henriette Caillaux ne résiste pas face à un tel assaut, elle vacille, s’effondre et sera évacuée. Le réquisitoire du ministère public sera aussi fébrile que l’a été l’accusation dans ce procès, ne sachant et n’osant surtout prendre une position définitive. Le procureur Herbaux réclamera tout de même la culpabilité d’Henriette Caillaux et requerra cinq années de réclusion. Tout au long du procès, me Labori se présenta comme un gardien de la liberté de la presse, cependant il ajouta : « Il faut que la presse soit digne de ses fonctions ». Le bâtonnier Labori débuta sa plaidoirie par l’évocation d’autres scenarii analogues. Il cita pour mémoire l’affaire de La lanterne dont il avait lu le récit dans le Figaro en 1898. Il s’agissait de la femme d’un député qui tira sur le secrétaire de la rédaction du journal pour se venger d’un article outrageux. Elle fut acquittée.Acquittéeencore, MadameClovisHuguesquimitfinà une campagne de presse infamante en abattant un journaliste de six balles. Au soutien de l’acquittement, Labori sortira une dernière botte Epilogue Parlant beaucoup, beaucoup trop, Caillaux commit de nouvelles imprudences envers des agents allemands comme Duval à la tête du Bonnet Rouge. LahargnedeClémenceaurefitsurface, Poincaré aurait témoigné à Barrès de sa priorité d’arrêter Caillaux. Le 14 janvier 1918, Joseph Caillaux était arrêté à son domicile pour « intelligence avec l’ennemi » et conduit à la prison de la Santé. Le 17 février, le jugement de Caillaux se tiendra au Sénat, érigé pour l’occasion en Haute Cour de justice. Pour ce second rendez-vous judiciaire du couple Caillaux, le tout Paris a refait le déplacement. Le trio de virtuoses, Demange, moutet, et moro-giaferri ne pourra pas empêcher, ce 23 Avril 1920, la condamnation de Joseph Caillaux. malgré la privation de ses droits civiques, il retrouvera le ministèredesfinances-ironiedudestin?-grâceàl’amnistievotée en 1925. Il achèvera sa carrière politique comme sénateur de la Sarthe aux côtés de ceux qui l’on jugé quelques années auparavant. « Ancien adversaire du Sénat, je suis devenu sénateur pour ma punition » écrivit-il. Joseph Caillaux meurt le 22 novembre 1944. Le général de gaulle appréciait ce personnage dont il dira qu’il était « le premier homme d’Etat moderne ». Romain Vanni – Promotion Jacques Attali – Série G 67 LE PASSÉ AU PRÉSENT LE PASSÉ AU PRÉSENT Cour d’appel de BORDEAUX : Quand la vindicte s’en fût1 On connaît Bordeaux pour deux choses. Elle est d’un coté la france des juges, mère de l’ENM et juste bras de trois départements. De l’autre, on la présente comme la france des vins, siège de Margaux, Petrus et Libourne. Le Baromaître ne pouvait donc omettre de visiter celle qui, sans conteste, incarne sous toutes ses coutures la france de la robe. a cour d’appel de Bordeaux est au centre d’un contentieux bien particulier. Celui du vin, car pour se rendre dans le bordelais,ilnesuffitpasdesuivreMarieBesnard2 partie de Poitiers pour faire reconnaître son innocence, encore faut-il être un tantinet œnophile. L La guerre des projets Bordeaux est à la croisée des ambitions grecques et romaines. Elle se veut délicate et virile, représentative et symbolique, romane et dorique. La cour d’appel de Bordeaux a hérité de ces gènes hétéroclites et son palais témoigne encore de ces contradictions. C’est ainsi que JosephAdolphe Thiac concevait en 1836 les plans d’une bâtissepareilleàunefillette chargée de tenir dans une main la cour criminelle de la ville, et dans l’autre la prison de Hâ. Au terme des divers projets successivement élaborés, lafilletteprenaitunpeud’embonpointpourdonnernaissanceàune demoiselle,languissantejeunefilledontleshumeurssuivaientcelles duconseilgénéral,quifiniraparromprelemarchédeconstruction, sujet à de brusques changements d’avis. Il est alors question de reconvertir l’ancienne prison, dont la salubrité fait l’objet de vives polémiques. De tout temps, le bon fonctionnement de la justice a pu se trouver ralenti par les impératifs de logement des condamnés. Aujourd’hui, le contrôleur des prisons surveille. Naguère, il semblerait que nul ne maîtrisait ces cellules obscures. Le dixième projet de Thiac s’avère être le bon. Le péristyle est grandiose, la salle centrale des pas perdus monumentale et les douze 68 colonnades juchant l’escalier principal titanesques. La demoiselle porte un nom : c’est marie-Jeanne. Elle a la silhouette d’une chopine. Ce Parthénon est un « Temple Palais » sur lequel quatre cariatides veillent. Il s’agit de michel de l’Hospital, malesherbes, d’Haguenau et montesquieu. La justice bordelaise porte dorénavant la barbe et perd un peu de sa féminité : c’est Balthazar offrant la myrrhe au justiciable. Il est cette force tranquille qui croît avec les siècles. Portalis devait initialement être le quatrième des rois mages bordelais. mais le conseil général de gironde lui fera boire le calice jusqu’à la lie. Un monde viti-vinicole Selon le bâtonnier Jean Philippe magret, « une part importante de l’activité judicaire (du département) concerne spécifiquement le droit de la vigne et du vin, c’est-à-dire des contentieux relatifs à tout ce qui touche au monde vitivinicole notamment les baux ruraux, la circulation des vins, les fraudes, le droit des marques, etc. »3. Le juriste curieux se portera ainsi à Bordeaux pour y goûter ses spécialités aromatiques comme contentieuses. Toutefois, si la villégiature à Bordeaux visera souvent à croiser un apprenti magistrat, Bordeaux la généreuse vous tiendra rigueur de ne pas en profiter pour parcourir ses chais, cépages et vallons vinifiés. La ville vous enivrera de son arôme. Puis l’on se demande quelles sont les charpentes de l’activité judicaire de la ville. L’homme de cour répondra machinalement que le droit bordelais repose sur un principe simple : séparer le bon grain de l’ivraie. Ainsi, le contrefaiseur se verra condamner quand le propriétaire d’un cépage d’exception bénéficieraquantàluidelaprotectionlaplusabsolue. L’architecte Thiac, créateur du « joli Bazar de Bordeaux » a bâti une barrique sophistiquée pour faire mûrir l’activité judicaire. Des reliquesdupasségardentl’édificeduhautdelatourdesanglaiset de la tour des minimes, comme si les organes de justice, assemblés dans ce tonneau de pierre, étaient menacés par une sorte de phylloxera judicaire. Le bouillonnement de l’activité condensée de ces divers degrés de 1. ou « Quand le vin dicte sans fût » 2. Marie Besnard fut inculpée en 1949 pour l’empoisonnement de 12 personnes dont son propre mari et fut d’abord jugée à Poitiers pour l’être plus tard devant les juridictions bordelaises. Cf. Baromaitre n°10 3. JCP G, n°12 – 22 mars 2010 p. 579 Cour d’appel de BORDEAUX juridiction n’aura de répit qu’une fois le dernier condamné à mort exécuté : le sieur Delafet. une seconde de persistance pour le Palais sanguinaire, avant que l’abolition de la peine de mort ne limite le seul nectar écarlate à celui de Bacchus. Un bien beau bourg fonctionne plus. Rogers vient alors à la rescousse. Celui-là même qui concevait quelques années plus tôt le centre Pompidou avec son collègue Piano. Untribunaldegrandeinstanceflambantneufallait, en1998, alléger les locaux dans lesquels la cour d’Appel siégeait de droit. Rogers perçait ainsi le tonneau de Diogène de ses passions fonctionnaires, faisant de Bordeaux ce fameux Nabuchodonosor, témoin historique de l’achèvement de sa maturation. Lafinduvingtièmesièclemarquepourlacourd’appeldeBordeaux, comme pour nombre de ses semblables, une accélération de la procédure. Le Palais est surchargé, fort en tanin et en affaires aux couleurs variables, aux fragrances incompatibles. L’AOC ne Hadrien Pellet - Promotion Jacques Attali – Série J Avocats ENVIRON uN mILLIER Bâtonnier : michel DuFRANC Première présidente Chantal BuSSIÈRE Procureur général Jean-marie DARDE Tribunaux de Grande Instance du ressort CHARENTE : Angoulême DORDOgNE : Bergerac, Perigueux gIRONDE : Bordeaux, Libourne Tribunaux d’instance du ressort CHARENTE : Angoulême, Cognac DORDOgNE : Bergerac, Perigueux, Saralt-la-Canéda gIRONDE : Arcachon, Bordeaux, Libourne 69 L’AGENDA DE L’EFB L’AGENDA DE L’EFB Juriscup 2010 Juriscup 2010 L’équipage du Pen Kalet IX représentant l’EFB 2010 est heureux de vous annoncer qu’il a remporté la coupe des meilleurs jeunes juristes de la Juriscup 2010 à Marseille. Le trophée pèse 2 kg, et brille de mille feux dans les couloirs de l’EFB rue de Charenton. Cette superbe aventure a été rendue possible par notre partenaire : la maison BOSC. UN EQUIPAGE DE COMPET’ L’équipage ur un bateau, rigueur et réactivité sont les maîtres mots. Les qualités individuelles et une bonne cohésion nous ont permis de remporter ce trophée. Sandrine et JB jouèrent un 4 mains digne des plus grands virtuoses du piano. Léo et Fanny, en numéros 2, constamment aux aguets firent des virements de bords et des empannages une simple formalité. Romain, Chloé et Alexandra : pas moins de 6 bras furent nécessaires pour tenir les écoutes de la voilure avant. Quant à la Grand Voile, elle fut confiée aux deux moussaillons Pierre-Marie et Alexandre dont le calme et la sagesse ont permis des réglages au millimètre. S Le bateau : le Pen Kalet IX, « tête dure » bretonne « Sur l’Attila, prévenir c’est toujours mieux, même s’il faut mettre un ris pour un vent force 2… » Le Pen Kalet IX, 9ème bateau de Georges le Troquet, concourt depuis plusieurs années pour l’EFB. Capitaine Georges navigue depuis toujours. En vieux loup de mer, il prédit les vents, manœuvre au gré des courants… Accompagnés de deux marins de son équipage, Gilles et Sébastien, ces trois navigateurs confirmés étaient Les bateaux les chefs de bords. Nous voulons ici les remercier pour leur patience, leur gentillesse et leur pédagogie sans lesquelles notre victoire n’aurait pas été possible. Il serait vain de vouloir dresser la liste exhaustive des rires et des larmes qui ont accompagné un tel périple. Le Baromaître vous propose ici un bref descriptif des caractéristiques de nos bateaux accompagnateurs, essayant autant que possible d’y mettre la forme (voir encadré). Les évènements « chocs » Léo, chef radio, a « bouché le port de Marseille » avec son Iphone ! Il était en outre photographe officiel de l’EFB et accessoirement le commis de la « chasse d’eau » (nom d’une écoute reliée au tangon !). « Alex sans draps » et Chloé furent quant à elles très « acide-du » sur le pont de l’infirmerie… Romain, « agent tout risque », a lutté contre un hélicoptère qui déréglait le spi. Georges « Hasselof » sauva la sirène Fanny des eaux. Enfin, le Pen Khalet IX lors de la dernière régate subissait un départ (un peu trop) coque contre coque… Romain Vanni – Promotion Jacques Attali – Série G & Hadrien Pellet– Promotion Jacques Attali – Série J LE JACQUES ATTILA Sun Odysssey 43 Un bateau sans encombre (apparente) UN ÉQUIPAGE DE PLAISANCE • Un équipage toujours prêt, et BSP souvent aux taquets ! Les 30 accompagnateurs L’AEA, soucieuse de proposer aux matelots les plus néophytes d’entre vous, a avitaillé trois « Pas d’ongle cassé un bateaux de luxe pour des teint halé et élèves avocats de prestige. les boites de nuit de C’est ainsi que trois navires, Marseille le Jacques Attila, le Bredelien amplement et le Bob l’aventure, baptisés visitées !» pour l’occasion, ont pu soutenir notre équipage Régate et dignement arborer les couleurs de notre école. Pour les vingt ans de la Juriscup, l’EFB était ainsi présente « en force », mêlant initiation à la voile et moments de détente. L’AEA vous l’avait promis : c’est sous les auspices bienveillants de Poséidon que l’EFB était « à la barre ». On se souviendra longtemps de la présence des avocats parisiens à Marseille ! • Chaque jour le bateau s’en vogue vers l’île, confondre Frioul et Vilnus c’est facile ! • Sur l’Attila, prévenir c’est toujours mieux, même s’il faut mettre un ris pour un vent force 2… LE BREDELIEN Sun Odysssey 43 Le bateau pierre précieuse (estampillé Diadème) • Les calanques à moteur : On les remercie, pas d’avarie, pas de voile sortie : le moteur était de rigueur ! • Pas d’ongle cassé, un teint halé et les boites de nuit de Marseille amplement visitées ! • Le Bredelien s’amuse. Champagne, Jet Set, Paillette : bienvenue sur la croisette ! LE BOB L’AVENTURE Oceanis 45 Accompagnateurs mais pas amateurs ! • Les skippers les mieux aguerris d’un coup de baume ne sont pas à l’abri ! • Darmaillan mouillant le bateau ? 24 secondes chrono ! • Quel est le point commun entre le Bob l’aventure et un ferry-boat ? * 70 * Les allers-retours ! 71 L’AGENDA DE L’EFB L’AGENDA DE L’EFB L’éloquence à l’EFB : La Petite Conférence i vous passez à l’EFB, vous l’apercevrez, de temps à autre, avec dans une main son rouleau de scotchs et dans l’autre ses affiches enroulées, glissant de fenêtres en portes, passant par tous les étages, avant de finir par la cage de l’ascenseur. Qui ? Le membre de l’AEA en charge du pôle éloquence, responsable de l’organisation du concours de la petite Conférence, et à ce titre chargé de communiquer avant chaque séance du concours. S Si vous le voyez se balader dans l’Ecole, en train d’en recouvrir les moindres recoins d’affiches annonçant une séance de la petite Conférence, c’est qu’il va y avoir de l’éloquence dans l’air. Avis aux amateurs : des plaideurs exaltés vont prononcer des plaidoiries enflammées, des invités prestigieux vont évaluer leurs jeunes futurs pairs, prononçant quelques doctes conseils avant de laisser la parole aux Secrétaires présents (généralement, au moins la moitié de la promo). Et pour finir, après deux, quatre ou six discours, tout ce petit monde se dirigera vers le bar d’en face pour un apéritif propre aux confidences et encouragements. Mais d’où vient ce concours peu connu ? Au commencement était une évidence : l’éloquence a toute sa place à l’EFB, et les élèves-avocats, bien qu’encore étudiants – et donc non-éligibles à participer au concours de la Conférence – devraient pouvoir malgré tout s’exercer à la rhétorique et affiner leur talent oratoire. Depuis des temps immémoriaux, un concours d’éloquence, label AEA, existait dans notre Ecole mais faisait double emploi avec le concours de la petite Conférence, organisé par les Secrétaires de la Conférence. Ce dernier poursuivait le même but : permettre aux presque-avocats que nous sommes de perfectionner notre éloquence, notamment dans l’optique de la préparation du concours de la Conférence. En effet, l’article 4 du Règlement de la Conférence (annexe IV du Règlement intérieur du Barreau de Paris) prévoit que : « Ce concours [celui de la Conférence du Barreau] pourra être préparé au cours de la période initiale de formation à l’EFB dans le cadre de la « petite conférence ». » Dans leur grande sagesse, les deux organisations décidèrent de fusionner les deux concours, lequel s’intitule maintenant « La petite Conférence – AEA ». Qui s’y présente ? Des élèves-avocats comme vous et moi. Nul besoin d’être un Cicéron en herbe ou un Démosthène en puissance... Il suffit d’avoir un peu de temps à consacrer à l’écriture de son discours et pouvoir être à l’EFB un soir de semaine, autour de 19h30. Tout le monde peut s’y présenter, ceux de la promotion sortante comme ceux de la promotion entrante. L’expérience n’est pas un pré-requis pour ce concours, mais le fruit que récoltent ceux qui ont le courage de s’y présenter. 72 En effet, contrairement aux autres concours d’éloquence qui existent de-ci de-là, la valeur ajoutée de la petite Conférence, pour le public comme pour les orateurs, c’est la formation. On revient au but initial : préparer, entraîner, former à l’éloquence, dans la perspective du concours de la Conférence. Points de sarcasmes et de moqueries gratuites, comme à la Berryer – ou alors si peu. Point de solennité pompeuse et étouffante, comme à la Conférence du Barreau. Ici, au contraire, une écoute patiente des Secrétaires, les conseils avisés d’une personnalité invitée pleine d’expérience et de sagesse, un public sage et bienveillant et la possibilité de visionner sa propre prestation (chaque séance étant filmée). D’où aussi une ambiance différente au moment de la reprise, car la longueur et la densité des conseils prodigués ne préjugent bien évidemment pas de l’appréciation du jury sur la prestation, une excellente prestation pouvant faire l’objet d’un plus grand nombre de remarques qu’une prestation qui sera moins bien notée mais qui aurait suscité moins de commentaires. Il est vrai que si les séances du premier tour possèdent un caractère souvent intimiste, qui favorise les conseils et les confidences, le deuxième tour, et surtout la finale prennent une autre ampleur. Pour commencer, le lieu change : fini l’EFB et ses amphis parfois décatis rappelant trop les années 1970, nous voici dans le Palais de Justice, dans la salle haute de la bibliothèque de l’Ordre des avocats ou dans la Salle des Criées. Mais pour les huit demi-finalistes et quatre finalistes, quelle consécration que de pouvoir plaider à la place des candidats à la Conférence, face à des Secrétaires réunis au complet et devant un public nombreux et où l’on voit quelques têtes grisonnantes, associés de cabinet prospectant ici et là de jeunes pousses prometteuses. Enfin, le prix pour le gagnant – une robe d’avocat offerte par la Maison Bosc – n’est pas négligeable. Au fond, la petite Conférence, c’est comme la grande mais en mieux : moins d’enjeux, plus de conseils. Petite par son nom, elle est assurément aussi grande quant à la qualité de ses candidats, l’intensité de leurs plaidoiries et l’expérience qu’ils y acquièrent. La Petite Conférence INTERVIEW DE MAÎTRE VANESSA BOUSSARDO Les candidats vous ont-ils fait penser à vous-même quand vous avez tenté la Conférence ? Les critères sont-ils les mêmes que ceux de la Conférence ? Le concours de la Conférence n’est pas si loin et forcement je me suis projetée dans les candidats. J’ai retrouvé à travers eux la même angoisse et le même plaisir qui m’animaient lorsque j’ai présenté la conférence. Les critères sont proches car l’idée est la même, l’orateur doit séduire, convaincre et émouvoir. Alors comme pour la Conférence, ce sont ces critères que l’on regarde même si bien sûr l’on tient compte du fait qu’il y a moins de candidats à l’EFB et qu’ils ont évidemment moins d’expérience. Toutefois, je peux vraiment dire que les discours de cette année étaient dignes de ceux prononcés lors de la Conférence. Avez-vous présenté conférence ? le concours de la petite La petite conférence serait-elle un tremplin vers la Conférence ? Non, à l’époque le concours était assez discret et l’évènement ne se déroulait pas du tout de la même manière. Alors qu’aujourd’hui il se passe sur trois tours, la petite conférence se déroulait en une fois avec un discours à la bibliothèque de l’EFB. On parlait ainsi peu de la petite conférence. Il s’agit d’un véritable entraînement car ce qui attend les candidats lors de la Conférence est exactement pareil. Les 2ème et 3ème tours se déroulent également à bibliothèque de l’Ordre et sont abordés de la même manière. Bien sûr il n’y a ni acquis ni certitude mais cela démontre néanmoins une aisance et une aptitude au discours qui, couplé avec l’expérience engrangée, constituent un acquis indéniable. Est-ce plus difficile de plaider ou de juger ? D’une manière générale, il est très difficile de juger car nous avons tous une sensibilité différente et se retrouver du jour au lendemain de l’autre côté de la barrière à devoir évaluer les performances d’un autre est toujours délicat. Cependant, j’ai pris beaucoup de plaisir avec la petite conférence et cette expérience a été véritablement enrichissante. Quel conseil principal donneriez-vous aux candidats qui se présentent ? Si vous montiez votre cabinet, embaucheriez-vous un des quatre finalistes ? (Rire) C’est difficile à dire puisque tous les candidats étaient talentueux. En revanche, ce que je puis dire avec certitude c’est que j’ai hâte de les voir passer le concours de la Conférence car je suis persuadé que l’on entendra parler d’eux. Propos recueillis par Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N Je dirais avant tout qu’il faut être soi-même, ne pas chercher à recopier un style car cela ne fonctionne pas. Chacun a son propre tempérament et sa personnalité et c’est ce qui fait la différence lors de son passage. Laurent Bonnet – Promotion Jacques Attali – série F 73 EVASIONS CULTURELLES La solitude des avocats démentie par les séries télévisées sur le monde judiciaire ? La justice, et notamment notre future profession, est une source intarissable d’inspiration pour les scénaristes des séries à succès. Parfois grossière déformation, parfois étonnamment juste, l’image que ces séries renvoient de notre métier mérite d’être étudiée, c’est l’objet de cet article. our vous réchauffer en cette saison glaciale, nous avons choisi de vous parler plus particulièrement du « couple » que les avocats forment dans les séries que vous regardez le soir, après une dure journée de labeur, à l’EFB ou en cabinet. P Prenons l’exemple d’Engrenages, une des séries phares de Canal +. Une série policière recommandée par les policiers : étonnant mais vrai. Engrenages est une série que les policiers ne désavouent pas, et pour cause. L’un des scénaristes, Eric de Barahir, est un ancien commissaire. Pourquoi prendre en exemple cette série plutôt qu’une autre ? A cause de son réalisme ? De la qualité des scénarios ? Du jeu des acteurs ? C’est cet ensemble qui a conduit la BBC à acquérir cette série où tout le petit monde de la justice se défie. De l’instruction au parquet, en passant par la police et le barreau. Le barreau est représenté dans Engrenages par Joséphine Karlsonn, une avocate pénaliste, interprétée par Audrey Fleurot. Qui veut devenir avocat doit connaître Joséphine Karlsonn. Elle incarne tout ce qu’on aimerait être et tout ce que nous détesterions devenir. Intelligente, rusée, excellente en procédure pénale, elle est capable de faire tomber une enquête pour un détail. Son vice : l’argent ? Le pouvoir ? Sa phrase fétiche, reprise dans le teaser de la saison 3, est à méditer pour les futurs avocats que nous sommes : « Faire libérer un innocent, c’est facile, c’est normal. Faire libérer un coupable, ça, ça m’excite… » En observant le parcours de Joséphine Karlsonn, on s’aperçoit qu’elle ne travaille jamais seule. Les scénaristes la font toujours évoluer en binôme. Les « couples » qu’elle forme avec ses confrères (toujours masculins) sont d’ailleurs un des atouts de la série. Dans la première saison, Joséphine travaille avec un ex-avocat radié du barreau suite à un viol. Grâce à lui, elle apprend à tirer parti des médias afin de promouvoir la cause de son client, ce qui lui permet par ailleurs de se bâtir une solide réputation. Seules les affaires pouvant intéresser les journalistes attirent l’avocate ambitieuse. Deuxième saison, deuxième rencontre phare de la carrière de J. Karlsonn : Maître Szabo, avocat pénaliste de renom, et sans scrupule. Maître Szabo va faire ressortir les traits de caractère les plus noirs de Joséphine. Avec lui, elle travaillera pour des délinquants qui attendent de leur avocat une quasi-servitude en échange de grosses sommes d’argent. Cet aspect du métier d’avocat revient d’ailleurs souvent 74 dans la série : Joséphine Karlsonn se retrouve à de nombreuses reprises face à des clients qui considèrent que les honoraires versés à leur avocat impliquent une obéissance aveugle. EVASIONS CULTURELLES La solitude des avocats démentie par les séries télévisées sur le monde judiciaire ? Toutes ces rencontres font que le métier d’avocat, réputé pour être un métier solitaire, est en réalité une profession dépendante du rapport que l’on a avec ses confrères. Engrenages, comme d’autres séries, met en exergue le fait qu’un avocat est plus fort lorsqu’il travaille en équipe, ou en couple. the first, the last, My everything » de Barry White dans les toilettes unisexes ou chanter dans le bar sous le regard bienveillant de la chanteuse Vonda Shepard. A travers le traitement de sa grande complicité avec l’associé John « Le biscuit » Cage et de celle avec le fétichiste Richard Finch, de ses amours contrariés avec Billy et Larry (interprété par l’incroyable Robert Downey Jr.), de son amitié souvent vache avec les autres collaboratrices Nelle et Ling ou avec sa secrétaire Elaine, la riche vie réelle et imaginaire d’Ally McBeal nous émeut, nous fait rire et nous présente également toutes les incongruités et les défauts du système judiciaire américain. Le succès de cette série tient évidemment au casting incroyable (Calista Flockhart la première) mais surtout à l’imaginaire débordant de son créateur et à la qualité des dialogues dont voici quelques pépites en VO : Les séries américaines proposent elles aussi un éventail de couples souvent originaux, toujours attachants, parfois inattendus qui participent à leur construction et à leur succès. Ally McBeal : - « There’s no sin in loving men. Only pain ! » - « Law and love are the same- romantic in concept but the actual practice can give you a yeast infection ». Vous souvenez-vous de la révolution télévisuelle provoquée par l’ancien avocat David E. Kelley auteur des brillantissimes Ally McBeal et The Practice ? Richard Finch : - « You’re not who you are, you’re only what other people think you are. Fishism ». - « Problem is just a bleak word for challenge ». - « Let me tell you something. I didn’t become a lawyer because I like the law; the law sucks. It’s boring, but it can also be used as a weapon. You want to bankrupt somebody ? Cost him everything he’s worked for ? Make his wife leave him, even make his kids cry ? Yeah, we can do that. » Troisième saison, Joséphine s’associe avec un ancien Procureur de la République devenu avocat pour se libérer de la pression hiérarchique du parquet. Il va critiquer les procédés illégaux que Joséphine met en œuvre pour gagner ses procès, ce qui mettra Joséphine face à ses propres contradictions en tant qu’avocate. D’un côté, nous étions plongés dans les mondes conscient et inconscient de la jeune avocate, Ally McBeal. Sortie fraiche et moulue de Harvard, poussée à la démission en raison d’un collaborateur trop caressant, elle intègre le cabinet d’un ancien camarade de promotion, Richard Finch. Elle y tombe nez à nez avec son amour d’enfance, Billy Thomas, celui pour qui elle a choisi le droit, celui aussi qui lui a préféré sa carrière voilà quelques années. Le cabinet se compose aussi de toute une kyrielle d’associés, de collaborateurs, de secrétaires qui tour à tour vont danser sur « You’re De l’autre côté, dans The Practice, nous sommes plongés dans la vie du cabinet de Bobby O’Donnell, avocat pénaliste spécialisé dans la défense. Fini ici l’imaginaire débridé et place à un réalisme parfois touchant, souvent cruel mais toujours incisif. L’avocat de Boston au regard bleu acier se démène corps et âme avec toute son équipe pour porter la meilleure défense et se trouve toujours confronté à des « district attorneys » impitoyables. Cette série s’adresse aux amoureux des joutes verbales dans les prétoires. Plus récemment sont apparues deux autres séries sur le monde judiciaire américain, Damages et The Good Wife. Dans la première, évolue Ellen Parsons, une brillante jeune avocate qui devient, malgré des avertissements bienveillants, la protégée de la puissante et aguerrie Patricia Hewes. Si ce choix coûte à Ellen sa vie personnelle, son innocence et ses illusions, il reflète également sa soif de pouvoir et de succès. Patricia Hewes tout à tour l’impressionne, la fascine mais aussi devient l’objet d’une haine profonde. De son côté, la redoutable avocate Patricia Hewes semble retrouver dans Ellen l’image de sa fille disparue sans pour autant cesser d’être prête à toutes les trahisons, y compris parmi ses proches. Pour autant elles ne parviennent pas à évoluer l’une sans l’autre, ces sentiments ambigus et contradictoires les mènent toujours à se retrouver. Le traitement de cette série peut devenir au fil des saisons trop systématique et donc lassant avec ce fonctionnement en flashbacks et un filtre de couleurs toujours identique. Toutefois la relation entre ces deux avocates continue à intriguer et à fasciner. Cet intérêt réside pour l’essentiel dans l’admirable interprétation portée par ces deux actrices, l’australienne Rosie Byrne et l’américaine Glenn Close. Si Glenn Close se trouve encore une fois dans un rôle proche de ceux de Madame de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses ou d’Alex Forrest dans Liaison Fatale, elle y excelle et la jeune Rosie Byrne parvient à lui tenir tête avec brio. En outre, cette série parvient à montrer de nombreux aspects du fonctionnement judiciaire américain. Ainsi à travers la « lecture » de la première saison, le mécanisme des class actions devient plus clair pour les téléspectateurs avertis. Dans la seconde, Alicia Florrick (Juliana Margulies, l’infirmière Carol Hattaway dans Urgences), est une « desperate housewife » de Chicago mariée au district attorney (Chris Noth alias Mister Big). Elle se trouve au centre d’un scandale politico – sexuel quand son mari est accusé, mis en prison pour des raisons politiques plus ou moins obscures et contraint d’avouer en direct ses infidélités. Dans The Good Wife, Alicia est une ancienne étudiante de Georgetown, avocate qui n’a jamais exercé pour se consacrer à sa famille. Devant désormais faire bouillir la marmite, elle s’adresse à son ancien camarade d’université Will Gardner qui l’engage comme « junior associate » dans son cabinet. Evidemment, Alicia fait la démonstration de bien des qualités, notamment humaines, au sein de ce cabinet. Elle parvient même à faire face à la compétition terrible qui l’oppose à un jeune diplômé aux dents longues. Surtout elle se lie d’amitié avec le détective privé du cabinet, Kalinda Sharma (personnage mystérieux mais essentiel au dénouement des dossiers et donc au succès du cabinet) et voit ressurgir des sentiments partagés avec Will Gardner. Finalement, elle se trouve tiraillée entre sa famille, son mari et ses enfants et puis cette nouvelle vie avec un exercice professionnel qui la comble et la perspective d’un nouvel amour qui la taraude. Si la vie personnelle d’Alicia empiète pour beaucoup sur sa vie professionnelle, elle la nourrit également. The Good Wife offre de très intéressantes séquences d’interrogatoires et de contre interrogatoires ou encore de plaidoiries et initie au fonctionnement complexe mais pourtant politiquement déterminant des élections des « districts attorneys ». N’hésitez pas à satisfaire votre curiosité : rendez vous devant un écran ! Lucie Berges – Promotion Jacques Attali – Série N & Tiphaine Renvoise – Promotion Jacques Attali – Série N 75 EVASIONS CULTURELLES EVASIONS CULTURELLES Interview de Caroline Vigneaux Devenue avocate en rétorquer : « Merci mon cher vieux confrère, l’avantage quand on est l’an 2000, Caroline jeune, c’est que l’on est au fait des dernières jurisprudences » ! C’est Vigneaux intégra la un métier génial, il faut en profiter au maximum. troupe de théâtre de l’UJA dès 2001, avant Des côtés négatifs ? d’être élue 11ème Secrétaire de la J’avais un peu de mal avec les contraintes des gros cabinets, bien que Conférence du stage cela soit très confortable aussi bien sur le plan financier que matériel. en 2005. Après une Je pense que si j’avais continué, j’aurai fini par monter ma structure : expérience télévisée trouver ses locaux, ses clients, tout gérer à sa façon, ça m’aurait vraiment dans l’émission emballée. l’Arène de France de Stéphane Bern, elle a Quand avez-vous commencé le théâtre ? choisi de raccrocher la robe en 2008 afin de C’est avec le spectacle de fin d’année de l’EFB que j’ai découvert la se consacrer à ce qui s’est imposé à elle comme scène, au cirque d’hiver. Nous avions préparé une sorte de remake de une irrésistible passion, la scène. C’est dans un Grease, je n’en avais jamais fait avant. Je me suis retrouvée devant café de Saint-Germain, dégustant une dorade 2000 personnes, dont le Bâtonnier, en train de faire Wonderwoman et un coca light, qu’elle a accepté de rencontrer alors que je cherchais une collaboration… C’était génial ! le Baromaître. Discussion à bâtons rompus avec une forte Et vous avez donc attrapé le virus ? personnalité au parcours hors du C’est avec le spectacle commun. Justement, pas trop dur d’abandonner ? Comment êtes-vous devenue avocate et pourquoi ? de fin d’année de l’EFB que j’ai découvert la scène, au cirque d’hiver. Je me suis retrouvée devant 2000 personnes, dont le Bâtonnier, en train de faire Wonderwoman alors que je cherchais une collaboration… C’était génial ! Après mon bac, je suis entrée en prépa pour faire une école de commerce, mais l’ambiance ne m’a absolument pas convenue ! Je suis donc allée en droit, mais toujours dans le but d’ensuite faire une école de commerce par admission parallèle en 3ème année. Mais la révélation fut ma découverte du droit civil en 2ème année, c’était décidé, je serai avocate ! J’ai donc préparé l’IEJ en même temps que ma maîtrise, puis gelé mon entrée à l’EFB d’un an pour faire un troisième cycle en droit des assurances. J’ai obtenu ma première collaboration au sein du cabinet du bâtonnier du Granrut, puis travaillé dans un cabinet américain, LeBoeuf, Lamb, Greene & MacRae, aujourd’hui Dewey & LeBoeuf. Je faisais principalement du contentieux des assurances, mais voulais avant tout plaider. La première fois que j’ai demandé et obtenu un renvoi, il me semblait que j’avais gagné l’affaire du siècle ! Et quel plaisir de se battre pour démontrer juridiquement ses théories, la sensation de monter sur le ring, de plaider, et que l’on nous donne raison ! Je me souviens d’un avocat à l’âge certain qui était mon contradicteur et m’avait présenté comme « sa jeune petite consœur ». J’ai adoré me lever et lui 76 DOSSIER DE PRESSE juin 2010 Interview de Caroline Vigneaux CAROLINE VIGNEAUX Concrètement, être comédienne, ça veut dire quoi ? La revue de l’UJA était dans la salle et le Président de l’époque m’a alors proposé de les rejoindre. J’y suis donc allée et y ai contribué pendant 3 ans. Je me suis éclatée, j’ai rencontré plein de gens, c’était vraiment sympa ! Mais comment trouver le temps et concilier avec l’emploi du temps bien chargé d’une jeune collaboratrice ? C’est un choix. J’ai toujours considéré qu’être avocate, c’est être libéral. Je ne me serais jamais baissée pour ramasser un dossier que l’on m’aurait jeté par terre. Tout dépend de notre façon d’être. Pendant l’année, c’est un soir de temps en temps pour créer le spectacle avec la troupe, il est toujours possible de se libérer ponctuellement à 19h. Les semaines où l’on joue, c’est plus compliqué, mais il suffit de prévenir son patron que l’on sortira à 17h et s’arranger. Et ensuite le concours de la Conférence … C’est Jean Castelain, votre bâtonnier, ancien secrétaire de la Conférence, qui m’en a parlé lorsque nous travaillions tous deux chez Granrut. J’ai passé le concours car je voulais avant tout faire des Assises. Le droit J’ai mis un an à arrêter, psychologiquement c’était très difficile. Mais quand j’ai débuté la scène, je jouais au Lieu, une petite salle de 40 places, et venais de terminer un procès aux Assises contre un Avocat Général avec lequel nous nous étions bien écharpés. Cette salle est si petite que l’entrée des artistes et des spectateurs se fait au même endroit, et comme il y a un spectacle avant, on se retrouve à attendre avec nos propres spectateurs. Et là j’entends derrière moi la voix de cet Avocat Général : « Maître Vigneaux, c’était donc bien vrai, ce n’est pas une légende, eh bien nous allons voir ça ce soir » ! Cela devait être ma 5ème représentation, je jouais une fée avec une perruque et une baguette magique, et je me disais qu’il était là. Il n’y avait plus de retour possible, je ne pouvais plus plaider devant lui ! Je n’avais plus de crédibilité ! Et j’ai vécu une heure de souffrance, j’étais pleine de trac, le spectacle était pourri… Mais j’ai eu énormément de mal à remettre ma lettre de démission, je n’arrivais pas à dire « je plante tout, je pars faire de la comédie » ! j’aime le métier d’avocat. Je l’aime autant qu’avant, mais j’ai simplement découvert quelque chose de plus fort. Quand la salle est comble, le public debout, j’en ai les larmes aux yeux des assurances me permettait déjà de plaider, c’était plus confortable, mais il y avait moins d’adrénaline. Ce fut une année formidable. Vous avez donc découvert le pénal à ce moment là ? Oui, et pour une fille c’est compliqué. Je me suis déjà faite débarquée de dossiers de braquage car lorsque le prévenu me voit arriver, il me dit « excusez-moi, mais il me faudrait un vrai avocat ! ». Mais les premières Assises… Il ne faut pas s’en priver quand l’on est avocat ! Le vrai problème pour moi est que quand j’étais avocate, j’avais mon titre et lorsque l’on me demandait ce que je faisais dans la vie, je pouvais répondre aisément. A présent, lorsque l’on me pose cette question, chose très fréquente dans la vie de tous les jours, je ne sais pas exactement quoi répondre ! Je dis « comédienne », mais tant que l’on n’est pas connu, cela ne veut rien dire, rien ne le prouve ! C’est très bizarre de se définir ainsi. De plus aujourd’hui je suis entrepreneuse, j’ai monté mon association et j’ai choisi de me produire. Je mets toutes les chances de mon côté mais c’est très dur, des gens avec de supers spectacles, il y en a plein… Mais je ne veux avoir aucun regret, ne pas me retrouver à 60 ans à me demander ce que cela aurait donné si j’avais essayé. Vous fixez-vous des échéances ? Oui, pas sur le long terme car c’est impossible, mais à moyen terme. Là par exemple je réécris mon spectacle et dois avoir fini pour décembre afin d’être programmée à Paris en janvier. En parlant de cela, comment trouvez-vous l’inspiration pour vos spectacles ? J’ai un carnet où je note tout, mais il est très compliqué de vulgariser. J’adorerais faire une blague sur l’article 700, mais c’est impossible, car vous rigolerez, moi aussi, mais pas grand monde ! De même, si je plaide aux Assises et que je dis « M. l’Avocat Général », personne ne sait à quoi cela correspond, tandis que si je dis « M. le Procureur », tout le monde comprend, alors qu’aux Assises il n’y a pas de Procureur ! 77 EVASIONS CULTURELLES Interview de Caroline Vigneaux De même, j’écris souvent des blagues qui me font beaucoup rire, en pensant qu’elles vont cartonner, mais personne ne se marre ! Je suis donc obligée de les enlever au bout de quelques mois… A côté de ça, j’en avais une autre qui n’était pas vraiment une vanne mais plutôt une transition et tous les soirs, elle faisait mourir de rire… Je ne comprends toujours pas pourquoi ! Et comment cela se passe pour trouver des salles, partir en tournée... ? Il y a Avignon, où je suis allée pour la deuxième fois, on y présente son spectacle et des programmateurs viennent faire leur marché. Après chez les pros, le bouche à oreille est primordial et il suffit que quelqu’un soit venu voir mon spectacle et l’apprécie pour qu’il en parle et me procure des dates. Autrement, par exemple, j’ai joué à Montbéliard il y a 15 jours, il y a eu un article dans l’Est Républicain et l’on m’a appelé pour d’autres dates dans une autre salle… En tout état de cause, le but est de jouer avant tout, de rencontrer le public, et de gagner en notoriété, ce qui permet de remplir sa salle. J’ai joué un an au théâtre des Blancs-Manteaux à Paris et quand tu arrives et qu’il y a deux personnes, c’est dur pour le moral, mais également dur pour les spectateurs ! Donc quelques moments de déprimes… Vous ne regrettez jamais ce choix ? Non pas du tout, mais Dieu sait que j’aime le métier d’avocat. Je l’aime autant qu’avant, mais j’ai simplement découvert quelque chose de plus fort. Quand la salle est comble, le public debout, j’en ai les larmes aux yeux. Je me dis chaque jour « quelle chance j’ai de vivre ça ! ». beaucoup travaillé. En audience, quand un confrère se lève et avance un argument, il faut être capable de répliquer. Maintenant, il peut se passer n’importe quoi pendant mes spectacles, je pourrais être surprise, mais j’enchaînerai ! le but est de jouer avant tout, de rencontrer le public, et de gagner en notoriété, ce qui permet de remplir sa salle Après « Il était une fée », votre second one woman show s’intitule « Caroline Vigneaux quitte la robe ». Quelles évolutions entre ces deux spectacles ? Depuis deux ans, j’ai découvert la scène, joué mon spectacle qui avait beaucoup de défauts car c’était un spectacle de jeunesse, mais il m’a permis de prendre le contact avec la scène et d’assumer tout ce que je fais. Je réalise aujourd’hui des trucs sur scène que je n’aurais pas pu faire il y a deux ans. Que pensez-vous que votre ancien métier d’avocat vous apporte aujourd’hui au théâtre ? Ca m’aide en répartie, notamment avec les Berryer, mais je l’ai C’est très courageux de tout plaquer pour vivre sa passion, mais arrivez-vous désormais à vivre du théâtre ? En vivre non, mais je ne perds plus d’argent et c’est déjà énorme ! Toutefois, je suis mariée, et cela change la vie, soyons honnête. De plus, j’ai pu économiser pendant mes dernières années de collaboration, les horaires effectués empêchant de dépenser ce que l’on gagne ! Mais je veux croire que cela va marcher. Un conseil à donner aux jeunes avocats ? Plaider un maximum, dites à vos patrons que vous voulez le faire et demandez à être impliqué ! Le métier d’avocat est magnifique, c’est vraiment un métier de passion, profitez-en ! Et donnez-vous les moyens de réussir, quelque soient vos objectifs, prenez le risque de décider de votre vie, de faire des choix. Propos recueillis par Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – Série M Caroline Vigneaux joue actuellement au théâtre du Temple tous les lundis et mardis à 20h15 Boutons de manchettes argent massif Maison Bosc Costumier des Cours, des Tribunaux et Universités depuis 1845 3, Boulevard du Palais – 75004 Paris 01 43 54 16 50 www.maisonbosc.com 78 EVASIONS CULTURELLES EVASIONS CULTURELLES Acteurs Avocats Associés : Rencontre avec Maître Adrien Pelon Après la première pièce très réussie de « Quatre pièces sur jardin », l’association Acteurs Avocats Associés (A.A.A) a retrouvé la scène de la bibliothèque de l’ordre des avocats du palais de Justice de Paris, pour nous enchanter avec « Interdit au public », mis en scène par Marie-Claude Gelin. éunis autour de la même passion, le théâtre, Valérie Desforges, Gilles Galvez, Fabienne Havet, David Lodyga, Adrien Pelon, Marie-Béatrice Roy, Georges Sauveur, Sivane Seniak et Quilina Vizzavona-Moulonguet ont également en commun le même métier, avocat. R Rencontre avec Maître Adrien Pelon, l’un des membres de cette association qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions : Depuis quand êtes-vous avocat ? Est-ce un métier que vous avez toujours voulu exercer ? J’ai prêté serment en novembre 2008. J’ai toujours baigné dans ce milieu qui m’a très tôt intéressé. Après ma terminale, la fac de droit s’est imposée comme une évidence dans l’optique de devenir Avocat. La pièce « Interdit au public » est pleine de nuances et de subtilités dans le jeu des acteurs, comment se sont déroulées les répétitions et à quelle fréquence ? La troupe des A.A.A., qui accueille des avocats de tous les Barreaux de la région parisienne, se réunit tous les mardis soir de 20h à 23h à la maison du Barreau de Paris. Toutefois, plus on approche des représentations, plus on intensifie les répétitions : le mois précédant la première on se retrouve tous les week-ends de 10h à 19h. Faisiez-vous du théâtre avant de prêter serment ? J’ai commencé le théâtre vers l’âge de 11 ans dans un cours de quartier. On écrivait nous même la pièce que nous allions présenter à nos familles et amis en fin d’année. J’ai intégré, en Première, les Cours Florent que j’ai suivis pendant deux ans. Je me suis ensuite concentré sur mon droit pour finalement reprendre le théâtre lors de la dernière année de l’EFB en intégrant la troupe. Le théâtre permet-il d’acquérir une confiance en soi qui permet d’évacuer le stress lors des plaidoiries ? Conseilleriez-vous le théâtre aux avocats de nature timide ? Toutes les activités qui supposent une exposition publique permettent d’acquérir confiance en soi. Le plus difficile est, en effet, de se confronter au regard des autres. Néanmoins, le théâtre présente cet avantage que les comédiens se dissimulent derrière un personnage. Ce qui compte alors n’est pas ce qu’on dit mais comment on le dit. En audience, à Rencontre avec Adrien Pelon l’inverse, les deux sont importants. Le théâtre permet également de travailler la prise de parole en public - indispensable à l’Avocat - et d’apprendre à canaliser son énergie. Pour toutes ces raisons je ne peux que conseiller une telle activité à mes futurs Confrères, timides ou non. Le métier d’avocat est un art oratoire, la présence sur scène procure-t-elle les mêmes sensations ? En audience comme sur scène, il nous appartient de capter l’attention de notre auditoire pour faire passer notre message. Nous donnons le meilleur de nous même ce qui procure une montée d’adrénaline qu’il nous revient d’apprivoiser. J’encourage vos lecteurs à se ménager un moment dans la semaine pour pratiquer une activité qui leur tient à cœur. Je sais que ce n’est pas toujours facile et que cela dépend souvent, pour un jeune collaborateur, du cabinet et des personnes avec lesquelles on travaille. Toutefois, il appartient à chacun de déterminer ses priorités et de se donner les moyens de les concilier. Propos recueillis par Anne Lejeune - CRFPA de Versailles - HEDAC LA VOIX DE SON MAÎTRE ous vous souvenez peut-être de cette question que vous avez sûrement croisé, il y a pile un an, parmi d’autres, une question de plus qui figurait dans les annales et à laquelle vous vous étiez appliqué à répondre, pour vous entraîner au Grand oral de l’examen d’entrée au CRFPA : « le fait, pour un avocat, de jouer de l’accordéon dans la rue, en déposant un chapeau pour recueillir l’argent des passants, constitue-t-il un manquement au devoir de délicatesse et de dignité ? ». Sans doute vous étiez-vous alors demandé d’où pouvait bien provenir une telle hypothèse, sans savoir que ce cas avait bel et bien existé, en 2002, devant le conseil de discipline du barreau de Bergerac. V Avec « La Voix de son maître », aucun risque de ce genre. Si des avocats y chantent et y jouent, c’est sans réclamer d’obole, rien que pour la musique, rien que pour le plaisir, le leur comme le votre. Juridiquement – car c’est une entité composée essentiellement de juristes – La Voix de Son Maître est une association créée en 1999, qui regroupe des avocats, des magistrats et différents acteurs du corps judiciaire, tous mûs par le goût de la musique et du chant et unis par l’envie d’exercer leurs talents. Oui, le Palais aussi regroupe des passionnés de sons, des affidés d’Euterpe, des fanatiques du piano et de la trompette. Une association, certes, mais plusieurs formations musicales. Chacune regroupe des personnes travaillant – en permanence ou de temps en temps – au Palais de justice de Paris, et chacune a son style musical, ses thèmes et son identité. L’Orchestre du Palais, d’abord, la plus ancienne puisque fondée en 1999, se définit comme une formation classique de vingt musiciens à cordes. En somme, l’ensemble symphonique – toutes proportions gardées – du Barreau de Paris. Viennent ensuite Les Relaxes, groupe de variété/Rock composé de sept musiciens (dont deux 80 Vous êtes un jeune avocat, un grand nombre d’élèvesavocats se demandent s’il est possible de concilier le travail et les loisirs, que souhaitez-vous leur dire ? chanteurs), qui se produisent de temps à autre dans des cafés et des clubs, Le Gospel du Palais, chœur dirigé par un ancien du « Golden Gate Quartet », Le Groupe Gainsbourg, créé en 2004 et enfin le Jazz Band du Palais, sept musiciens et trois chanteurs. Leur style musical est le jazz classique, New Orleans et Rythm’and Blues. Ils se sont produits dans des cabinets d’avocats, dans des soirées privées et à l’Auditorium de la Maison du Barreau. Qui sont ces membres des professions juridiques et judiciaires qui, heureux élus, disposent de temps libre et le consacrent à s’époumoner en rythme collectivement ? Des avocats sans rien à faire, qui se tournent les pouces en attendant leurs clients ? Des marginaux du Palais, qui ne craignent pas le ridicule ? Que nenni ! On y trouve de tout le monde, y compris des membres du Conseil de l’Ordre, comme Grégoire Lafarge, membre du Groupe Gainsbourg. Ils se produisent lors d’événements des plus officiels, comme le dîner annuel des Agréés du Tribunal de Commerce. Le bâtonnier assiste parfois à leur représentation, comme le 31 mars 2007, au sein de la Salle Haute de la Bibliothèque de l’Ordre. Tout ce petite monde est emmené par André Fourcade, huissier appariteur de l’Ordre des avocats à la cour de Paris et pianiste émérite. Où peut-on les voir ? Dans quelles salles parisiennes se produisent-ils ? Malheureusement, leur site Internet (http://lavoixdesonmaitre.com) est peu fourni – mais il vous suffit d’aller à l’entrée de l’Ordre, dans le Palais, et de demander à André lui-même, qui se fera un plaisir de vous parler de son œuvre ! Laurent Bonnet – Promotion Jacques Attali – Série F 81 LES BONNES TOQUES Restaurants italiens RESTAURANTS ITALIENS Les Cailloux De chaleureux restaurants s’appliquent bien volontiers à nous égayer, à faire rayonner notre mine et à honorer notre appétit transalpin. Profitons-en ! Casa Bini A l’orée du tumultueux boulevard Saint Germain, vous pourrez vous engouffrer dans la petite rue Grégoire de Tours qui abrite deux pépites : Casa Bini et sa fraîchement inaugurée trattoria, l’Oenosteria. Chez Casa Bini, signalée par de petits oliviers, le décor est sans prétention : nappes blanches et petit dédale de salles : une en entrant, une quelques marches plus haut, une à l’étage mais aucune n’est suffisamment imposante pour perdre son attrait. Les classiques de la maison se décomposent en antipasti, bruschetta (10-14€) et carpaccio – de bœuf ou de bresaola (1617€). Les autres entrées (fleurs de courgettes frites), les pâtes et autres plats de résistance changent tous les jours. Suivant les saisons : paccheri a la norma (tomates, aubergines et ricotta – 16€), spaghetti marinara (calamar, palourdes et moules – 21€), linguine à l’encre de seiche. L’inspiration est surtout toscane en cuisine mais la cave fait la part belle à d’autres régions italiennes (comme le Montepulciano di Abruzzo 2008, 36€ ou bien un rouge de Vénétie à 28€). En dessert, ne manquez pas le tiramisu (si vous êtes nombreux à en prendre, vous aurez même tout le plat et donc du rab !) ou la pana cotta au coulis de fruits rouges (10€). Service en V.O. plutôt avenant. Veillez à réserver le soir et demandez de préférence une table ronde à l’étage si vous êtes plus de quatre. Une arrivée à l’improviste ne sera pas forcément déçue puisque vous pourrez agréablement attendre qu’une table se libère autour d’un verre de vin et d’une assiette de charcuterie à l’annexe, quelques mètres plus loin – l’Oenosteria – ou tout simplement y dîner, autour d’une table commune et d’une carte concise. Dans le charmant et vivant quartier de la butte aux cailles, cette adresse ne déroge pas à la description de cette contrée. On se trouve dans un bistrot, empruntant au brut et à l’industriel, où l’on peut également s’attabler en pleine journée pour se rafraîchir et calmer une fringale sucrée. Pendant les beaux jours, une petite terrasse entoure le restaurant et les grandes baies vitrées sont ouvertes. L’orientation gastronomique du restaurant démontre qu’une carte bon marché n’est pas synonyme de carte banale. Plusieurs influences régionales sont représentées : pensez en entrée à une spécialité de Saranza (trio de mini cèpes au pesto, ragoût et fromage – 11€) et, en plat, à une spécialité de Ligure comme le trofie au pesto de basilic (sorte de gnocchis allongés – 16€). D’autres propositions, d’envergure nationale cette fois, ne vous décevront pas : risotto au citron et romarin (16€), bar grillé avec sa poêlée d’artichauts (22€) ou côtes d’agneau grillées au romarin et courgettes (17€). Le rapport qualité/prix des vins est à noter, aussi bien au verre (Valpolicella Classico 2007 Santi à 4,5€ ou Nebbiolo d’Alba 2005 Tenuta Falchetto à 6€), qu’en fillettes et en bouteilles. Lors du choix de votre dessert, laissez-vous tenter par un tiramisu revisité aux fruits rouges (9€) ou ignorez la légère entorse à la veine très italienne de la carte en optant pour la délicieuse mousse au chocolat (7€). L’ambiance est à la hauteur du succès du restaurant. La clientèle est plutôt jeune et la salle s’anime le soir. Le service, parfois pressé, reste efficace. 58 Rue Des Cinq Diamants 75013 - 01 45 80 15 08 Métro Corvisart (6) - Fermé dimanche et lundi CASA BINI 36 rue Grégoire de Tours 75006 - 01 46 34 05 60 Métro Odéon (4/10) - Fermé le dimanche OENOSTERIA 40 rue Grégoire de Tours 75006 - 01 77 15 94 13 Métro Odéon (4/10) ou Mabillon (10) - Fermé dimanche 83 LES BONNES TOQUES LES BONNES TOQUES Restaurants italiens Le Paris 16 Une devanture rouge, dans la rue des Belles Feuilles aux abords de la place de Mexico. Un cadre rustique mais chaleureux, des tables et chaises en bois, une deuxième salle quelques marches plus haut et un personnel sympathique rendent le moment agréable. La carte est variée et convient aussi bien aux petites faims qu’aux grands appétits. Les assiettes d’antipasti, végétariennes ou carnivores (respectivement 12,5 et 16€) pourront complaire les attablés à l’heure du déjeuner. A toute heure, il faudra pourtant réussir à choisir parmi les pâtes alléchantes : de simples et succulentes rigatoni crème et parmesan (11€), des rigatoni amatriciana (tomates, lardons et mozzarella – 11,5€), ou l’une des préparations du jour (linguine aux morilles). Ou vous vous laisserez tenter par une spécialité de la maison : l’escalope de veau : très fine, parfaitement cuite et fondante à souhait, elle se décline en plusieurs saveurs : milanaise – classique, simplement panée (14€), parmigiana (mozzarella et aubergine – 15€) ou encore valdostene (mozzarella et jambon de parme – 15€). Ce plat incontournable et copieux s’accompagne de très fins spaghettis à la sauce tomate (que vous pouvez faire remplacer par du plus diététique). Restaurants italiens En dessert, si vous n’avez pas décidé de lui substituer un assortiment de fromages (6€) ou seulement du gorgonzola (4€), ne manquez pas l’excellent tiramisu (7€). Le remarquable rapport qualité/satiété/prix se vérifie un peu moins dans la carte des flacons : comptez pas moins de 8€ le verre de vin (hors vin du mois, à 6€, aléatoire) et 40€ pour un toscan Vino Nobile Montepulciano (Lodola Nuova « Ruffino », 2005) ou 32€ pour un piémontais Dolcetto d’Alba « Parusso » 2008. Le restaurant est plein de vie et les convives, d’un joyeux mélange, aux mines satisfaites et repues, ont l’air d’en profiter. Pensez à réserver aussi bien au déjeuner qu’au dîner. 18 rue des Belles Feuilles 75116 - 01 47 04 56 33 Métro Trocadéro (6/9) ou Victor Hugo (9) - Fermé dimanche La Pizzetta L’Enoteca Sur la majestueuse avenue Trudaine bordée d’arbres se trouve la Pizzetta, petit restaurant, prolongé été comme hiver par une terrasse. Décor brut épuré, belle hauteur sous plafond, voilà de quoi mettre à l’aise sans trop attirer l’attention. Et pour cause, le clou du spectacle ici, ce sont les pizzas, sous trois déclinaisons : classique, verte (à la roquette) et à la farine complète. En vrac : une classique revisitée (tomate, mozzarella de buffle crue, tomates fraîches, ail et basilic – 14€), une gourmande (tomate, mozzarella, speck et gorgonzola – 15€) et pour une version light (si tant est que ce soit possible) : une pizza à la farine complète agrémentée de tomates, mozzarella et légumes de saison grillés (15€). Certes les prix ne flirtent pas avec ceux que l’on trouve en Italie, mais le rapport qualité / prix ne fait pas défaut et s’applique également à la courte carte des vins. Les amateurs de pâtes ne seront pourtant pas déçus – goûtez par exemple les casarecci au pistou rouge de Matteo (12,5€) ou les maccheroni artisanales au ragoût de bœuf (13€) – pas plus que les éternels carnivores (pièces de bœuf et ratatouille au romarin –18€) ou adeptes de fruits de mer (calamars grillés – 17 €, ou espadon à la sicilienne – 19€). Quant aux douceurs, pas de surprise : tiramisu (7€) ou panna cotta et son coulis de saison (6€). Le restaurant a du succès et le service peut s’en ressentir dans les « rush » du week end. Heureusement, il existe une annexe quelques mètres plus loin – la Salumeria – qui dispose d’une autre carte (plus rustique et rudimentaire : bruschetta, assiettes de charcuterie, etc.) mais qui vous servira bien volontiers la cuisine de sa voisine. En prime, la Salumeria offre une belle sélection, entre autres, d’huile d’olive, de fromages et de charcuterie à emporter. Entre le Marais et la Seine, le long de la royale rue Charles V, entrez dans la haute et imposante salle de l’Enoteca, aux poutres et pierres apparentes et dont les lustres en verre sont soufflés à Murano. Un escalier vous mènera à une autre salle ouverte sur celle de plain-pied. La cuisine, authentique, et le menu change toutes les semaines. La carte est bel et bien originale et en saison, des plats à la truffe blanche d’Alba vous seront proposés, en respectant au mieux le coût du produit brut (tagliolini fraîches à la truffe blanche d’Alba, beurre et parmesan – 39€). Quelques illustrations, évanescentes par définition, mettent l’eau à la bouche : soufflé de parmesan et sa sauce au vinaigre balsamique caramélisé (9€), cassolette de calamars, lentilles, menthe basilic et sa boutargue de Sardaigne (11€), pappardelle con ragu’d’anatra (ragoût de canard, mijoté au vin rouge, parfumé à la cannelle et à la sauge – 15€) ou pennette au pistou de noisette, ail et basilic (14€). Le soir, un menu entrée/plat/ dessert est proposé à partir de la carte principale (28€), que l’on peut choisir d’agrémenter par la sélection de vins au verre, chaque étape du menu étant couplée à un vin différent (43€). L’expérience en vaut le détour car l’Enoteca, qui porte bien son nom, a distingué sa cave en remportant le prix de la meilleure carte des vins italiens à l’étranger (Salon international Vinitaly, 2005). Le service sera ravi de vous conseiller, plein d’enthousiasme, une bouteille, y compris à emporter. En prime, la chaleureuse Enoteca accueille les dîneurs jusqu’à 23h30, y compris le dimanche ! 25 rue Charles V 75004 - 01 42 78 91 44 Métro Saint-Paul (1) ou Pont Marie (7) Ouvert tous les jours Mathilde Saltiel - Promotion Jacques Attali - Série G LA PIZZETTA 22 avenue Trudaine 75009 - 01 48 78 14 08 Métro Anvers (2) ou Pigalle (2/12) - Fermé dimanche soir LA SALUMERIA 20 avenue Trudaine 75009 - 01 42 82 06 32 Ouvert tous les jours 84 85 LES BONNES TOQUES La recettes du Baromaître LES BONNES TOQUES La recette du Baromaître Pennes crémeuses aux girolles Ingrédients pour 4 personnes : •400g de pennes •300g de girolles (ou de cèpes ou de morilles) •3 échalotes •3 noix de beurre •1 cuillère à soupe d’huile d’olive •150 ml de crème fraîche épaisse •1 pincée de noix de muscade •Sel et poivre 1. Nettoyez les champignons pour leur ôter terre et autres dépôts. 2. Chemisez les échalotes et émincez-les. 3. Dans une poêle, faites chauffez à feu doux, trois noix de beurre et la cuillère à soupe d’huile d’olive puis faites-y revenir les échalotes émincées jusqu’à ce qu’elles deviennent tendres (environ 5 minutes). 4. Ajoutez les girolles dans la poêle et laissez cuire quelques minutes à feu doux en mélangeant de temps en temps. 5. Portez une casserole d’eau salée à ébullition, jetez-y les pâtes et laissez les cuire le temps indiqué. 6. Pendant la cuisson des pâtes, ajoutez la crème fraîche à la poêle et laissez cuire à feu doux pendant 8-10 minutes, en remuant de temps en temps. 7. Ajoutez la pincée de noix de muscade, salez et poivrez. Une fois les pâtes égouttées, incorporez la sauce crémeuse aux girolles et dégustez immédiatement ! Mathilde Saltiel - Promotion Jacques Attali - Série G 86 87