baromaitre-n-12-mars-2011

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baromaitre-n-12-mars-2011
BAROmaître
n° 12 - MARS 2011
Le dossier
de la rédaction
Liberté d’expression :
plume et image
Interview de M. Jacques Degrandi
Avocats Sans Frontières France
Maître Eolas en vingt questions
Droit du Sexe
SOMMAIRE
I. LE DOSSIER DE LA RÉDACTION :
LIBERTÉ D’EXPRESSION : plume et image
PLUME ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
•Qui veut museler « les chiens de la
démocratie » ?
•Le secret des sources : Interview de
Gérard Davet
•« Le procès de Jacques Chirac », le
roman d’un procès rêvé
IMAGE ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
•Les procès historiques
•La pratique photographique confrontée
au droit à l’image
•Interview de Maître Brossolet
•Jeux en ligne : les enjeux d’un nouveau
marché
•Droit au pari : un bras de fer engagé, un
débat apaisé
VI. LE PASSÉ AU PRÉSENT
II. LA VIE DU BARREAU
•Interview de M. Jacques Degrandi,
Premier président de la Cour d’appel
de Paris
•Le pôle 5 : « Vie économique »
par Thierry Fossier, animateur du pôle
5 de la Cour d’appel de Paris
V. CARTE BLANCHE : JEUX EN LIGNE
•L’affaire Caillaux ou la comédie
judiciaire de la IIIème République
•Maître Eolas en vingt questions
•Entretien avec Maître Jean-Denis
Bredin
•Entretien avec Jacques Attali
•La Cour d’appel de Bordeaux : quand la
vindicte s’en fût
VII. L’AGENDA DE L’EFB
•Juriscup 2010
•L’éloquence à
Conférence
•Interview de Maître Vanessa Boussardo
l’EFB
:
la
Petite
III. DOSSIER BIS : DROIT DU SEXE
VIII. EVASIONS CULTURELLES
•Le fléau de la pédopornographie sur
Internet
•Le droit et la prostitution
•Les maisons closes : du droit du sexe au
droit au sexe
•De l’art et la manière de séduire :
grivois et obsédés s’abstenir
•Handicap et sexualité : vers un droit à
la sexualité
•La solitude des avocats démentie
par les séries télévisées sur le monde
judiciaire ?
•Interview de Caroline Vigneaux
•Acteurs Avocats Associés : Rencontre
avec Maître Adrien Pelon
•La voix de son maître
IV. HORS DES CÔTES
IX. LES BONNES TOQUES
•Avocats Sans Frontières France : « là où
la défense n’a plus la parole »
•La Transnistrie : Voyage au pays des
derniers soviets
•Restaurants italiens
•La recette du Baromaître
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L’EQUIPE
EDITORIAL
Directrice de la rédaction et de la publication :
Sarah mauger
Y a-t-il matière à se réjouir de l’accès, pour la deuxième fois, d’une
femme au poste de bâtonnier? Et faut-il être une pétroleuse pour
saluer l’élection de madame Christiane Feral-Schuhl ?
On peut supposer, d’abord, qu’un peu plus d’un sur deux parmi nous
pourra, sinon s’en féliciter, du moins ne pas s’en offusquer. Selon le
ministère de la Justice, les femmes représentaient, en effet, 50,5 %
des 50 314 confrères du barreau de Paris en février 2010 et près
de 52 % en septembre 2010, alors que certains barreaux comptent
plus de 60 % de femmes et que la féminisation de la profession n’a
pas cessé de s’accentuer. Les femmes sont aussi plus nombreuses à
être titulaires du Capa : 60 % pour les trois dernières promotions et
cette proportion ne peut que croître puisqu’une très large majorité
des élèves de la promotion 2011de l’EFB est féminine.
Cette nouvelle donne démographique s’est également exprimée au
plus haut niveau du barreau parisien. Sur les trois candidats au poste
de bâtonnier, deux femmes étaient en lice.
A vrai dire, il y a plutôt lieu de s’étonner que, jusqu’aux dernières
élections, une seule femme ait pu accéder aux fonctions de
bâtonnier de Paris. Faut-il comprendre que les hommes – mais
peut-être aussi les femmes ? – accordent plus volontiers leur
confianceàunhomme?Ouquelesfemmesentérinentleurposition
dominée par une autocensure qui les dissuade de se présenter aux
postes de responsabilité ?
2006 des cabinets d’avocats d’affaires), la persistance des disparités
de revenus (après 10 ans d’exercice, le revenu moyen des hommes
est deux fois plus élevé que celui des femmes) et les « sanctions »
de fait de la maternité (25 % des femmes n’ont pas pris de congé
maternitéet7%ontétélicenciéesenfindegrossesse).
Christiane Feral-Schuhl appelait, entre autres mesures, à combattre
une « discrimination culturelle latente toujours d’actualité ». Il
faut s’en réjouir. Et si le bâtonnier n’a pas vocation à « changer le
monde », du moins peut-on espérer qu’il puisse accompagner
l’évolution morphologique de la profession, en faisant voler en
éclats le « plafond de verre », en favorisant l’accès des femmes aux
domaines majoritairement réservés aux hommes – les « affaires » et
le pouvoir – et en les détournant de leur orientation traditionnelle
vers les « petites structures », le « psychologique » et le « social ».
Peut-être alors, l’adage des barreaux de France, qui voudrait que
lorsqu’on plaide il n’y ait « point de sexe sous la robe », cessera-t-il
d’êtreunepieusefiction?
Sarah Mauger - Promotion Jacques Attali - Série N
L’histoire débute au siècle dernier.
Sous l’impulsion de René Viviani et Raymond Poincaré, la loi du
4 décembre 1900 permettant « aux femmes munies de diplômes
de licence en droit, de prêter serment d’avocat et d’exercer cette
fonction » est votée.
Quelques jours plus tard, Jeanne Chauvin, docteur en droit,
enseignante et militante de l’émancipation, prête serment et
devient la première avocate de France, en dépit d’une une violente
campagne misogyne.
Il faut attendre 1950, pour voir la première femme élue au conseil
de l’ordre – madame Lucile Tinayre-grenaudier – et le 30 novembre
1996, pour que madame Dominique de la garanderie remporte
l’élection du dauphinat.
Certes les temps changent : avec la féminisation de la profession,
le combat est moins frontal. Quand, pour la première fois, avec la
promotion Jean-Denis Bredin, l’effectif féminin a dépassé celui des
hommes, une femme a été élue bâtonnier.
mais certaines résistances restent fortement ancrées dans les
mentalités. En témoignent l’accès limité des femmes à des postes
de direction, leur sous-représentation parmi les associés des
grands cabinets d’affaires (293 femmes sur les 1.371 associés des
110 cabinets d’affaires parisiens, soit 21,37 % selon La radiographie
Le Baromaître
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Photographes :
Florent Cardinaud
marion grateau
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Illustration de couverture :
Florent Cardinaud
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DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
DOSSIER DE LA REDACTION
Introduction
Introduction
L’actualité se nourrit
de faits, et par la force
des choses, le journaliste aussi. Les lecteurs sont plus capricieux, et s’abreuvent de
sensationnel,
d’incongru,
d’insolite.
Pour
cela, force est pour le
journaliste de dénicher
l’info et de trouver la
photo
qui
fera
le
« buzz » et soulèvera
l’opinion.
La liberté d’expression
du journaliste pose alors
nombre de questions.
Peut-il dire n’importe
quoi ? Doit-il avoir une
éthique particulière ?
Doit-il
divulguer
les
sources qui l’ont conduit
à annoncer des informations majeures ?
Mais le journaliste aura
également
le
souci
d’illustrer ses propos.
Certaines photos valent mieux qu’un long
discours, et encore une
fois le travail du journaliste se trouve-t-il délicat à accomplir. Peut-il
photographier
n’importe qui et n’importe
quoi ? En quoi consiste
ce droit à l’image que
l’on retrouve sans cesse
confronté au sacro-saint
principe du droit au respect de la vie privée ?
SOMMAIRE
PLUME ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
Qui veut museler « les chiens de la démocratie » ?
Le secret des sources : Interview de Gérard Davet
« Le procès de Jacques Chirac », le roman d’un
procès rêvé
IMAGE ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
Les procès historiques
La pratique photographique confrontée au droit à
l’image
Témoignage : interview de Maître Brossolet
Le
Baromaître
vous
a préparé un dossier
centré sur l’éternel affrontement entre ces
diverses libertés fondamentales.
photo : Florent Cardinaud
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DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ?
La profession de journaliste serait, pour
66 % des français, soumise aux pressions des
partis politiques et du pouvoir et pour 60 %
à celles de l’argent1. Il ne faut pas se voiler
la face et l’actualité nous donne à observer
quotidiennement
les
relations
ténues
qu’entretiennent parfois la politique, les médias
et la justice. Néanmoins, subir des pressions ne
veut pas dire y céder et récemment certains
journalistes ont relevé le défi qui leur a été
lancé en résistant aux multiples intimidations
et sollicitations dont ils peuvent faire l’objet
tant de la part des politiques que des acteurs
de la vie judiciaire.
olitiquement incorrect peut être, tant que le journaliste se bat
poursonindépendance,ilrecevralaconfiancedeseslecteurs.
Au travers de cet article, nourri par des entretiens avec des
journalistes, chroniqueurs judiciaires ou journalistes d’investigation,
Le Baromaître tente de dresser un état des lieux de l’indépendance
des journalistes et des moyens offerts par la loi du 4 janvier 2010
pour protéger la liberté d’information, pilier fondamental de
toute démocratie, sans néanmoins faire du journaliste un citoyen
au-dessus des lois.
P
LA LOI DU 4 JANVIEr 2010
PrOTECTION DES SOUrCES
SUr
LA
La protection des sources constitue un élément de la déontologie
des journalistes. Il est un devoir plus qu’un droit. On se souvient
qu’en 2005, une journaliste du New York Times, Judith miller,
a été emprisonnée près de 4 mois pour avoir refusé de révéler
ses sources d’information à un procureur enquêtant sur une fuite
médiatique portant sur l’identité d’un agent de la CIA. Elle n’a été
relâchée qu’après que sa source l’ait effectivement autorisée à la
dévoiler.
La protection des sources journalistiques est
primordiale pour la liberté de la presse dans une
société démocratique. Sans cette protection, les
sources se tariraient inéluctablement. Le fameux arrêt
Goodwin c/ Royaume-Uni de la Cour européenne des
droits de l’homme l’énonce clairement2.Aufildeleur
jurisprudence, les juges de Strasbourg ont façonné le
cadre des devoirs et des responsabilités des journalistes
leur offrant ainsi une quasi-immunité pénale, dès que
leurs informations portent sur des questions d’intérêt
public ou font l’objet d’une importante couverture
médiatique, au point de parfois être accusés de caresser
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dans le sens du poil ceux qu’ils surnomment les « chiens de garde
de la démocratie ».
Jusqu’à l’adoption de la loi du 4 janvier 2010, le principe du secret
des sources était contenu dans des articles épars du code de
procédure pénale ou dans des textes propres à la profession de
journaliste, telle que la Charte des devoirs professionnels des
journalistes français rédigée en 1918, qui énonce notamment
qu’ « un journaliste digne de ce nom garde le secret professionnel (…)
et ne confond pas son rôle avec celui du policier. »
Encouragé par la jurisprudence de la CEDH, le législateur français a
consacré le principe de la protection des sources des journalistes en
modifiantlaloisurlapressedu29juillet1881,àlasuitedel’article
1er qui proclame le principe général de la liberté de la presse.
Le code de procédure pénale a lui aussi été modifié. Son article
60-1 prévoit ainsi que lorsque le journaliste est au cœur d’une
enquête judiciaire et qu’il détient des documents intéressant cette
enquête, la remise des documents demandée par le procureur de
la République ou l’officier de police judiciaire ne peut intervenir
qu’avec son accord.
Des dispositions règlent également le statut des journalistes appelés
en tant que témoins dans une affaire : les articles 326 et 437 du
code de procédure pénale créent une dispense propre à la
profession de journaliste les autorisant à ne pas révéler leurs sources
à l’occasion de leurs dépositions devant une juridiction. La loi du 4
janvier 2010 étend le champ de cette protection : elle reconnaît au
profitdesjournalistesundroitabsoludesetairequivautpourtous
les stades de la procédure pénale.
Les mesures de perquisition étaient jusqu’alors encadrées par
l’article 56-2 du code de procédure pénale imposant que, pratiquées
dans les locaux d’une entreprise de presse ou de communication
audiovisuelle, elles ne puissent être effectuées que par un magistrat.
Le nouveau texte étend la protection aux
« véhicules professionnels de ces
É
R
U
S
N
E
C
1. Baromètre TNS Sofres publié en 2010 pour le journal « La Croix »
2. « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse (...) l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général »
DOSSIER DE LA REDACTION
Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ?
entreprises ou agences » et surtout au « domicile d’un journaliste ».
Est également une avancée de taille la faculté donnée au journaliste
de s’opposer à la saisie d’un document si ce dernier estime qu’elle
porte atteinte au libre exercice de sa profession ou constitue
un obstacle injustifié à la diffusion de l’information. Dans cette
hypothèse, le mécanisme mis en place prévoit que le document
dont la saisie est contestée sera transmis sans délai au juge des
libertés et de la détention qui devra statuer dans les cinq jours sur
la validité de la contestation. Le non respect de ces prescriptions
entraînera la nullité de la partie de la procédure découlant de la
saisie irrégulière.
Les journalistes font souvent face à des accusations de diffamation.
Le journaliste se trouve dès lors devant un dilemme : soit il décide
d’apporter la preuve de ses dires ou écrits et il est nécessairement
contraint de révéler l’origine de ses sources ; soit il se retranche
derrière une conception stricte du secret des sources et risque
alors d’être condamné pour diffamation. La loi du 4 janvier 2010
vient résoudre ce dilemme avec le dernier alinéa de l’article 35 de
la loi du 29 juillet 1881 qui dispose que « le prévenu peut produire
pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse
donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d’une
violation du secret de l’enquête ou de l’instruction ou de tout autre
secret professionnel s’ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la
vérité des faits diffamatoires ».
LES LIMITES DE LA LOI : UNE APPLICATION
QUI NE COULE PAS DE SOUrCE
La reconnaissance du secret des sources empêche de décider des
mesures d’investigation pour découvrir les sources d’un journaliste.
mais elle n’interdit évidemment pas de poursuivre un journaliste
pour diffamation, atteinte à la vie privée, violation du secret de la
défense nationale ou non-dénonciation de crime.
Si la loi nouvelle prévoit le principe de protection des sources,
cette proclamation est immédiatement suivie d’une limite. Ainsi il
pourra être porté atteinte au secret des sources des journalistes
« si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les
mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au
but légitime poursuivi ».
En d’autres termes, seule une atteinte particulière à l’intérêt public
pourrait légitimer une atteinte au principe de la protection des
sources journalistiques. Toutefois, il reste à préciser les circonstances
dans lesquelles la divulgation de données confidentielles pourrait
porter atteinte à un « impératif prépondérant d’intérêt public ». De
nombreux journalistes redoutent l’imprécision de cette expression
très générale (cf. l’interview de m. gérard Davet, p. 12-13).
Aussi la jurisprudence devrait venir définir les contours de
ces impératifs prépondérants d’intérêt public en visant des cas
exceptionnelstelsquelesatteintesàlasécuritéintérieure,letrafic
de stupéfiants, les prises d’otages, les détournements d’avions,
les attentats terroristes, etc. Cette solution aurait le mérite de
respecter l’exigence de prévisibilité, condition sine qua non de la
garantie de la sécurité juridique du journaliste.
La loi ne contient en outre aucune incrimination en cas de violation
du secret des sources et il est dès lors impossible de lui donner
une force contraignante. La question se pose d’ailleurs dans le cas
des plaintes récemment déposées par le journal Le monde qui
pourraient rester lettres mortes.
Par ailleurs, quelle que soit la protection accordée aux sources
des journalistes, celle-ci sera réduite à néant s’il est permis que
le journaliste taisant l’origine de sa source se voit mis en cause
sur le fondement du recel de violation d’un secret professionnel
(de l’enquête, de l’instruction, etc.). L’appareil de justice bénéficie
du secret de l’enquête et de l’instruction ainsi que du secret des
délibérés auquel n’est pas tenu le journaliste. Pourtant le législateur
n’a pas voulu supprimer le délit de recel de violation du secret de
l’instruction ou du secret professionnel. Des condamnations sont
ainsi prononcées si les prévenus ont reconnu l’origine frauduleuse
d’un document publié mais aussi s’il était évident qu’il leur avait été
transmis par une personne astreinte au secret.
LE JOUrNALISTE EST UN ACTEUr DU
PrOCÈS
Le temps de l’information n’est pas celui de la justice et deux vérités
s’affrontent. Celle des journaux et celle de la salle d’audience. Le
journaliste devient un acteur à part entière de tout procès dit
« médiatique » au risque de court-circuiter les enquêtes policières
et de piétiner la présomption d’innocence.
Plus étonnant encore, les avocats eux-mêmes se servent souvent
de leurs liens avec les journalistes spécialisés dans la couverture
des grands procès pour tenter de gagner leur combat sur le plan
médiatique et entraîner l’opinion dans leur sens. Il n’est plus un
procès qui ne se joue dans les colonnes des journaux ou dans
des livres publiés par les parties victimes ou mis en cause avant
l’ouverture de la phase judiciaire. Les journalistes sont donc
en permanence sollicités par les avocats pour relayer leur thèse
et pour devenir leur porte-parole dans leurs médias respectifs.
Le déroulement du procès Bettencourt, initié par une plainte
contre X de Françoise meyers-Bettencourt pour abus de faiblesse
en est un exemple. Ce serait l’avocat de madame Françoise meyersBettencourtquiauraitsollicitéplusieursjournalistesafinderendre
publics des enregistrements réalisés par le majordome à l’insu de
son employeur, enregistrements qui démontreraient la vulnérabilité
de madame Liliane Bettencourt. Le contenu des bandes, livré à la
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DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ?
justice, sera ainsi révélé par le site d’information mediapart et par le
journal Le Point.
rETOUr SUr L’AffAIrE BETTENCOUrT
L’affaire Bettencourt qui a très vite pris une tournure politique a
fait l’objet d’un véritable feuilleton médiatique. Cette affaire est
aussi l’occasion de rendre compte des atteintes qui sont portées à
l’indépendance de la presse et au secret des sources journalistiques.
En effet, deux plaintes ont été déposées par Le monde.
En septembre dernier, le journal Le monde annonce qu’il porte
plainte contre X pour violation du secret des sources. Deux de ses
journalistes qui suivaient l’affaire Bettencourt, Franck Johannès et
gérard Davet, ont vu leurs factures téléphoniques détaillées – ou
fadettes – interceptées par la Division centrale du Renseignement
intérieur(DCRI)afind’identifierlasourceàl’originedelafuite. Ils
avaient publié un article qui faisait état de déclarations faites par
Patrice de maistre, le gestionnaire de fortune de l’héritière de
L’Oréal, au cours de sa garde à vue quelques jours plus tôt au sujet
du ministre Eric Woerth. L’étude de ces fadettes a révélé que les
journalistes avaient communiqué avec David Sénat, Conseiller pénal
au cabinet de michèle Alliot-marie, chargé d’expliquer les réformes
mises en œuvre par la Chancellerie et de ce fait régulièrement en
contact avec gérard Davet. Cette mise en lumière des rapports
entre les deux hommes entraîna le renvoi immédiat du Conseiller.
Cette première plainte est fondée sur le fait que les enquêteurs
se sont affranchis de tout respect de la procédure prévue dans le
cas de relevés des communications téléphoniques. La Commission
Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS),
censée statuer sur ce type de prise de renseignements n’a en effet
pas été saisie.
La CNCIS est consultée dans toutes les affaires relatives à la
prévention du terrorisme, en vertu de l’article 6 de la loi du 23
janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Or, la Direction
GénéraledelaPoliceNationale(DGPN)aaffirméquel’identification
de l’auteur des fuites au monde dans le dossier Bettencourt relevait
de sa « mission de protection de la sécurité des institutions » et non
pas du terrorisme. Par ailleurs, au terme de la loi du 4 janvier
DOSSIER DE LA REDACTION
Qui veut museler les « chiens de garde de la démocratie » ?
2010, la liste des appels téléphoniques d’un abonné ne peut être
demandée à un opérateur de télécommunications que dans le seul
cadre d’une procédure judiciaire et uniquement lorsqu’un impératif
prépondérantd’intérêtpubliclejustifie.
Dans un second temps, le procureur de Nanterre, Philippe Courroye,
se fondant sur une plainte de me georges Kiejman, a cherché à
prouver que mme Prévost-Desprez, juge d’instruction saisie d’un
supplément d’information dans le volet « abus de faiblesse » de
l’affaire Bettencourt, diffusait des informations à la presse. Il a ainsi
ordonné une enquête pour violation du secret professionnel et
a chargé l’Inspection générale des Services (IgS) d’examiner les
relevés téléphoniques des journalistes.
C’est cette demande du procureur Courroye qui a nourri la seconde
plainte déposée par le monde pour violation du secret des sources.
Elle se fonde sur l’article 77-1-1 du code de procédure pénale
mis en place par la loi du 4 janvier 2010, qui impose au procureur
de demander à des journalistes une autorisation avant de se faire
communiquer leurs factures détaillées.
diffusion de l’émission « Les Infiltrés » qui avait amené un journaliste
àsefairepasserpourunefillettede14anssurlatoileetquiétait
rentré en contact avec des pédophiles sur des blogs de discussion. A la
suite de cette émission, vingt-trois pédophiles avaient été interpellés
après la dénonciation du journaliste. Au-delà de la question
soulevée par l’usurpation d’identité par le journaliste et de son rôle
dans l’incitation à perpétrer un crime, se pose le cas de conscience
suivant : révéler sa source ou protéger des vies ? Révéler sa source
ou violer la loi ? Pour le groupe CAPA, producteur de l’émission,
il était du devoir du journaliste de dénoncer ces pédophiles qui
étaient sur le point d’agir. Pour d’autres, le secret des sources ne doit
jamais être levé.
Comment concilier la déontologie d’une profession destinée à
informer malgré toutes les pressions possibles et les prescriptions
légales contraignantes ? Espérons que les tribunaux qui appliqueront
la loi du 4 janvier 2010 nous apporteront rapidement des réponses.
Pierre-Emmanuel Frogé – Promotion Jacques Attali – Série H
Pour compléter cet imbroglio, le 25 octobre 2010, l’ordinateur
portable de gérard Davet lui a été dérobé, à son domicile. Seul le
PC et le gPS du journaliste ont été dérobés lors du cambriolage,
ne laissant aucun doute sur les intentions des voleurs. La même
mésaventure est survenue, le même jour, au journaliste du Point,
Hervé gattegno, chargé également de suivre l’affaire Bettencourt.
Son ordinateur a été, cette fois, subtilisé dans les locaux du magazine.
Peu de temps après mediapart annonce que deux ordinateurs ont
été volés dans sa rédaction. Pour le site, ces vols sont un moyen de
faire pression non sur les journalistes, mais sur leurs sources, qui
pourraient craindre de se faire découvrir et renoncer à témoigner.
CONCLUSION
Témoins privilégiés des dérives de notre société, les journalistes ont
pour devoir de les dénoncer. mais ils doivent faire face à chaque
instant à leur conscience, à leur éthique professionnelle.
Le droit de se taire laisse au journaliste la liberté de préserver le
secret de ses sources ou de les révéler. Il ne s’agit pas d’une obligation
mais d’un droit. Le journaliste lui-même n’est tenu à une aucune
obligation légale de secret professionnel comme l’est le médecin
ou l’avocat. Seul le journaliste est juge de la transgression du secret.
mais le journaliste est constamment confronté aux responsabilités
qui pèsent sur lui du fait de la loi. Le code pénal punit ainsi la non
dénonciation de crime (article 434-1), la non dénonciation de
mauvais traitements (article 434-3), la non révélation de preuve
d’innocence (article 434-11) ou la non assistance à personne en
danger (article 223-3), etc. Le débat a été relancé à la suite de la
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DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
DOSSIER DE LA REDACTION
Le secret des sources : Interview de Gérard Davet
Interview de Gérard Davet
Chef du service enquêtes-reportages
pour le journal Le
Monde,
Gérard
Davet suit l’affaire
Bettencourt depuis
ses prémisses. A
deux reprises, ses
factures téléphoniques
détaillées
– « fadettes » – ou
celles de ses informateurs ont été utilisées par la Direction
Centrale du renseignement Intérieur (DCrI)
et par l’Inspection Générale des Services
(IGS), sans son consentement ce qui a conduit
Le Monde à déposer deux plaintes pour
violation du secret des sources. Il fait l’objet d’une plainte pour violation du secret de
l’enquête déposée par Me Kiejman, avocat de
Liliane Bettencourt. Son ordinateur personnel
a été dérobé à son domicile le même jour que
celui du vol de l’ordinateur d’Hervé Gattegno
dans les locaux du journal Le Point. Cet imbroglio judiciaire en marge d’une affaire politicofinancière nous a donné envie de le rencontrer
et de lui poser quelques questions.
Comment interprétez-vous l’utilisation de vos fadettes
et de celles de certaines de vos sources supposées ?
Pensez-vous que l’on cherche à vous intimider ?
efficace de faire les fadettes que de faire une perquisition, c’est moins
voyant.
Le fait de rechercher les fadettes est courant, mais pour quelques
professions répertoriées, comme les avocats, les médecins et les
journalistes, il faut demander leur consentement aux intéressés ce qui
n’a bien évidemment pas été fait en l’espèce. La loi du 4 janvier 2010
sur la protection des sources est foulée au pied.
L’objectif est certainement l’intimidation. C’est une pression évidente sur
la presse. En tant que journaliste, tout devient suspect. Les personnes
qui m’aident dans mes enquêtes se méfient d’autant plus qu’elles
ont vu ce qui était arrivé à David Sénat, l’un de mes informateurs
présumés au ministère de la justice. Le tout sans qu’il n’y ait aucune
preuve que cette personne m’ait effectivement aidé pour mon enquête,
car les fadettes prouvent simplement que nous avons été en contact, ce
qui n’a rien à voir. Il faut éviter de tomber dans la parano, je veux croire
à la bonne santé de la justice de ce pays, mais c’est vrai que le doute
existe surtout quand un cambriolage survient chez soi, au Point et à
Médiapart dans un temps très rapproché.
Quel est votre sentiment sur la législation applicable
au journalisme ?
Que pensez-vous de la loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources ?
Jusqu’à l’adoption de cette loi, on pouvait se replier derrière le secret
des sources dès qu’on était interrogé par des enquêteurs, ce qui gênait
fortement le pouvoir. On s’aperçoit aujourd’hui que, certes ils ont fait voter une nouvelle loi que j’ai saluée à l’époque, tout en regrettant qu’elle
n’aille pas au bout des choses, mais à côté de ça, ils s’en affranchissent
de manière incroyable. Il s’agit d’un écran de fumée. Dans cette loi,
il est prévu une réserve en cas d’impératif d’intérêt public. C’est une
Quelle est votre conception du principe du secret des formulation qui laisse le champ ouvert puisqu’elle est extrêmement
sources journalistiques ?
vague. On pensait, naïvement, que ça ne concernerait que des cas qui mettraient en cause la sécurité
Le secret des sources, c’est la pierre angulaire de notre
nationale comme des affaires de terrorisme,
« Le secret des
travail, c’est son fondement même. C’est un principe
d’ingérence économique, de criminalité organisée ou
sources, c’est la
évident et intangible. Un journaliste peut révéler ses
d’autres affaires pour lesquelles l’enjeu est tel qu’on
pierre angulaire de
sources s’il l’estime nécessaire, mais c’est quelque
accepterait que soit portée atteinte au secret des
notre travail
chose que je réprouve personnellement. Ca a été
sources. Or, on se rend compte que c’était surtout pour
de journaliste, c’est
le cas dans quelques affaires, comme l’affaire des
satisfaire des intérêts particuliers. C’est une manière
son fondement
« Infiltrés » sur la pédophilie ou le cas de Guillaume
de privatiser la justice et la police qui me choque
même »
Dasquié qui était poursuivi pour compromission du
terriblement.
secret de la défense et qui avait désigné quelqu’un
à la fin d’une garde à vue éprouvante. Je considère
que même à l’issue d’une telle garde à vue, l’impératif de base est Cette loi modifie également les règles relatives aux
de ne jamais révéler ses sources. Certains journalistes sont allés en perquisitions chez les journalistes.
prison aux Etats-Unis pour protéger leurs sources et je suis prêt à
accepter cette idée. Si on donne nos sources, il n’y aura plus de sources, Les perquisitions de journalistes sont de moins en moins nombreuses. Je
et sans sources, il n’y a plus d’information et plus de journalisme.
ne pense pas d’ailleurs que depuis que cette loi est entrée en vigueur,
il y ait eu de perquisitions chez un journaliste. A côté de ça, c’est plus
12
Le droit ayant trait au journalisme devrait être harmonisé, il y a beaucoup de pans qui se contredisent. Par exemple, un journaliste, qui n’est
pourtant pas tenu au secret de l’instruction, peut être poursuivi pour
recel de la violation du secret de l’instruction, même si, pour sa défense,
il peut produire les pièces litigieuses.
« La loi du 4 janvier
2010 sur la
protection des
sources ? Il s’agit
d’un écran
de fumée »
Que
pensez-vous
des
exemples récents de publication par la presse de pièces
clés avant l’ouverture d’un
procès médiatique ?
Il faut rappeler que le journaliste
n’est pas astreint au secret de
l’instruction, ni à aucun secret.
Je pense que le secret de l’instruction à la façon française a vécu, parce
que beaucoup de procès-verbaux sont ouverts à la presse. Il suffit de
tarir d’un côté pour que ça sorte de l’autre, c’est le principe des vases
communicants. Jusque-là les journalistes n’étaient pas considérés
comme des acteurs de la vie judiciaire et politique, or plus ça va, plus on
vient bousculer tous les calendriers.
avocats font leur job et nous faisons le notre.
En publiant des pièces de procédure, n’avez-vous
pas l’impression en quelque sorte de mettre à mal le
processus judiciaire et de risquer de porter atteinte à la
présomption d’innocence ?
Effectivement, on s’immisce dans le processus judiciaire, mais ce n’est
pas mon propos. Je ne rentre pas dans ces considérations. Mes seules
contraintes sont de faire du travail correct et que les informations que
je sors soient béton, crédibles et contextualisées, qu’elles apportent
réellement une plus-value à nos lecteurs. Si cela vient bouleverser le
calendrier judiciaire, ce n’est pas mon problème.
La présomption d’innocence est constamment bafouée, c’est comme
le secret de l’instruction, ça ne veut plus dire grand-chose. Les gens se
replient derrière, même lorsqu’ils sont mille fois coupables. Quand on a
des éléments importants, on les écrit après les avoir vérifiés. Dans les
affaires Outreau ou Allègre, le travail journalistique a été bâclé mais c’est
à la lueur de ces affaires là que les journalistes progressent et essaient
de s’autoréguler. Nous ne sommes surtout pas exempts de reproches,
nous demeurons perfectibles. J’ai moi-même été condamné plusieurs
fois en diffamation, j’en tire les conséquences. Je sais qu’il y a certaines
choses qu’on peut faire, d’autres non. On apprend, nous aussi, au fur et
à mesure. Le journaliste parfait, il n’est pas encore né.
Propos recueillis par
Sophie Joly – Promotion Jacques Attali – Série F
& Pierre-Emmanuel Frogé – Promotion Jacques Attali – Série H
Que pensez-vous de la tendance actuelle qu’ont les
avocats à imposer aux journalistes un calendrier de
communication avant l’ouverture d’un procès ?
Les journalistes sont des réceptacles. Les gens s’adressent à nous pour
de multiples raisons, pour faire avancer les enquêtes, pour devenir plus
célèbres… Il y a pleins de motifs inavoués ou inavouables qui font que
les avocats ont besoin de nous. Certains journalistes, comme Pascale
Robert-Diard, ont refusé de faire partie d’un plan de communication
défini par les avocats des parties.
De mon côté, je n’ai pas cette pudeur là. Si on m’amenait des
enregistrements clandestins, je commencerais par vérifier que c’est
crédible et qu’il n’y a pas d’atteinte excessive à la vie privée, comme
la santé physique ou la vie familiale, auquel cas je publierais ce qui
mérite de l’être. Il ne faut pas oublier qu’à deux reprises la justice a
reconnu que les enregistrements clandestins du majordome de Liliane
Bettencourt pouvaient et devaient être publiés.
Je considère que tout le monde a un calendrier de communication. Nous
sommes au milieu de tout ça et il nous appartient de trancher. Les
13
DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
« Le procès de Jacques Chirac », le roman d’un procès rêvé
INTErVIEW DE PASCALE rOBErT-DIArD
Chroniqueuse
judiciaire
du Monde depuis 2002,
lauréate en 2004 du Prix
Louis-Hachette pour sa
couverture du procès Elf,
Pascale robert-Diard nous
ravit de ses comptes rendus
d’audience souvent drôles
et cocasses, parfois sombres
mais toujours justes. Elle
publie aujourd’hui « Le procès de Jacques Chirac », une fiction politique
écrite à quatre mains avec françoise fressoz,
directrice du service france du Monde, qu’elles
signent du pseudonyme Cassiopée. A cette
occasion, elle a accepté de répondre aux
questions du Baromaître.
Comment est née l’idée de raconter avant l’heure le
procès de Jacques Chirac ?
romancée ? Mais nous avions pris soin d’éviter tout risque de confusion dans l’esprit des lecteurs. Chaque épisode précisait qu’il s’agissait
d’une fiction politique. Le recours à un pseudonyme s’est par ailleurs très
vite imposé, justement pour distinguer cette fiction de notre travail de
journalistes au quotidien. Nous avons également préféré des illustrations
dessinées, dans un style BD, à des photos des acteurs du roman, afin de
renforcer cette distinction entre fiction et réalité.
Il ne s’agit donc pas d’un objet journalistique, mais bien d’une fiction
politique, dont l’objectif était d’abord de faire sourire !
Outre les personnes impliquées dans ces affaires,
pourquoi selon vous les procès politico-financiers
attirent d’avantage l’attention des médias que les autres
procès ?
Les procès politico-financiers sont toujours particuliers car c’est le seul
moment où les hommes politiques rencontrent les magistrats. Or à leur
façon, ils sont sur les mêmes terrains, ceux de l’autorité et de la légitimité. Ils ne se comprennent pas et sont souvent dans une détestation
réciproque.
Dans ce type d’affaire, les hommes politiques ont vite fait d’emporter
l’auditoire. Il revient alors aux magistrats de résister face aux politiques
pendant le procès.
Cette idée a germé lors de l’enterrement de Philippe Séguin. Un témoin
privilégié de la naissance des affaires politico-financières des années
1990 venait de disparaitre. Le procès des emplois fictifs de la ville de
Paris se rapprochait et une question nous taraudait l’esprit : ce procès
sera-t-il pour l’ancien Président l’occasion de faire son testament politique ? Un avocat, fidèle de Jacques Chirac, nous a indiqué que cela
ne risquait pas d’être le cas, car Jacques Chirac est aujourd’hui fatigué.
Lorsque Le Monde a cherché un sujet pour le feuilleton de l’été, ce
projet s’est imposé. Au fond, nous avons voulu raconter le « procès
rêvé » de Jacques Chirac. Celui d’un grand fauve politique dont l’instinct
se réveille quand on le cherche. Comment Jacques Chirac se préparait-il
à affronter ce dernier acte de sa vie publique, cette comparution, en
prévenu de droit commun, devant un tribunal correctionnel ?
Pour moi, cela présentait un intérêt particulier car cela faisait le lien
entre mes deux vies professionnelles ; j’ai longtemps été journaliste
politique avant de me consacrer aux chroniques judiciaires.
Quel accueil « Le procès de Jacques Chirac » a-t-il reçu
de la part des lecteurs du Monde ?
La publication de ce feuilleton dans un journal comme Le Monde en
a surpris et déstabilisé certains, qui ne savaient pas comment appréhender cette histoire : s’agissait-il d’une fiction ou d’une information
14
« Nous avons voulu
raconter le « procès
rêvé » de Jacques
Chirac. Celui d’un
grand fauve
politique dont
l’instinct se réveille
quand on le cherche »
Que répondriez-vous à Maître Kiejman qui
« constate avec désolation la tendance croissante des
médias à substituer leur décision préalable à celle des
tribunaux »1 ?
Nous ne nous sommes pas substituées à la justice. En tout cas, cela
n’était pas le but.
Je ne pense pas que l’on puisse influencer les juges, mais il est vrai que
certaines questions soulevées dans le roman se poseront. On imagine
dans la fiction que Dominique Pauthe, qui présidera le tribunal lors du
procès, se demande avant la première audience s’il appellera l’ancien
1. « un président déjà entré dans l’histoire », Le Monde Magasine, 25 septembre 2010, p. 9
DOSSIER DE LA REDACTION
Interview de Pascale Robert-Diard
On a appris que la Direction centrale du
Renseignement intérieur s’est procuré les fadettes de
journalistes sans leur autorisation et sans en référer à
la Commission Nationale de Contrôle des
Interceptions de Sécurité (CNCIS). Qu’en
Après avoir exercé pendant une quinzaine
pensez-vous ?
d’années comme journaliste politique au
Monde, pourquoi avoir choisi de vous
« L’affaire des
L’affaire des fadettes des journalistes est significative
tourner vers la chronique judiciaire ?
fadettes des
de la panique du Pouvoir. Il cherche à tarir les sources
journalistes est
des journalistes, mais je ne pense pas qu’il arrive à
J’ai fait mon premier stage à la sortie du Centre de
significative de
museler la presse.
Formation des Journalistes à l’édition Rhône-Alpes
la panique
En utilisant les fadettes de journalistes, sans
du Monde où j’ai eu la chance de suivre Jean-Marc
du pouvoir »
l’autorisation du CNCIS ni des journalistes intéressés, la
Théolleyre, grand chroniqueur judiciaire, lors du
DCRI2 a enfreint la loi. Le Pouvoir s’assoit sur la légalité
procès Barbie qui se tenait à Lyon. Ma vocation pour
et ne recule devant rien. Non seulement il ne lésine
la chronique judiciaire est née à cette époque.
pas sur les moyens en se procurant les fadettes de journalistes – et de
La chronique judiciaire est un exercice passionnant dans lequel les leurs sources supposées, de manière clairement illégale, mais il ment
journalistes sont des media, au sens premier du terme. Leur rôle est ouvertement en niant toute implication.
de raconter de quelle manière la justice est rendue au nom du peuple
Pensez-vous que cette affaire repose la question des
français et de pointer d’éventuels dysfonctionnements.
rapports ambigus qu’entretient le Pouvoir politique
Le palais de justice est le lieu où la société vient frapper, où l’on retrouve avec la Justice ?
tous les débats d’actualité. Une audience est un concentré de la société
presque caricatural. Les tribunaux sont des endroits magnifiques où L’histoire se répète. Dans notre démocratie, cette affaire est presque
l’on croise des anonymes aux destins extraordinaires, au sens où ils d’une extrême banalité. On se souvient tous de l’affaire des écoutes de
sortent de la normalité.Tous les milieux s’y rencontrent, les non-dits y sont l’Elysée sous Mitterrand
ou
de
l’hélicoptère
exposés et la complexité de l’homme y est dévoilée.
dépêché dans l’HimaQue pensez-vous de la tendance actuelle qu’ont laya afin de retrouver le
les avocats à chercher à imposer un calendrier de procureur Davenas et
communication aux médias ? On pense bien d’éviter l’ouverture d’une
judiciaire
évidemment à Maître Metzner qui vous a approché information
contre Xavière Tiberi. Dans
récemment dans l’affaire Bettencourt.
notre fiction « Le proL’affaire Bettencourt est un cas particulier. Il arrive souvent que les cès de Jacques Chirac »,
avocats se tournent vers les journalistes, mais en règle générale les l’épisode dans lequel
plus courtisés sont les journalistes d’investigation. Au Monde, comme Bernadette Chirac se
vers
Nicolas
au Figaro d’ailleurs, le traitement journalistique des affaires est tourne
scindé en deux. Les journalistes qui couvrent les phases d’enquête et Sarkozy pour qu’il mette
d’instruction ne sont pas les mêmes que ceux qui suivent le procès. Les fin aux poursuites à
journalistes d’investigation effectuent leur propre enquête parallèlement l’encontre de l’ancien
Président s’inspire de
au processus judiciaire en amont du procès.
la réalité. Bernadette
Les chroniqueurs judiciaires ne prennent le relai qu’une fois le procès Chirac ne comprend
ouvert. Ils posent alors un œil neuf sur la procédure. Nous n’avons pas pas que le Président de
le mérite des journalistes d’investigation, car tout nous est donné. Lors la République n’ait pas réussi à arrêter le procès de Jacques Chirac.
du procès, l’ensemble des éléments du dossier est rendu public. Le C’est symptomatique du fonctionnement actuel de nos institutions.
chroniqueur n’a donc pas à faire de recherche et à trouver de sources
Propos recueillis par
ce qui lui permet une plus grande indépendance.
Président « monsieur Jacques Chirac » comme il le ferait pour un
simple prévenu ou « monsieur le Président » au risque de paraître
révérencieux. Cette question se posera lors du vrai procès.
Sophie Joly – Promotion Jacques Attali – Série F
2. Direction de Contrôle des Renseignements Intérieurs service de renseignements dépendant du ministère de l’Intérieur, et né de la fusion entre la Direction de la Surveillance
du Territoire (DST) et de la Direction centrale des Renseignements Généraux (RG)
15
DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
DOSSIER DE LA REDACTION
Les procès historiques
Liberté d’expression et image
LA PHOTOGrAPHIE EST-ELLE UN ArT ?
LE PrOCÈS MAYEr ET PIErSON
mayer (1817- vers 1865) et Pierson (1822-1913), Portrait du comte
de Cavour, 1856.
Spécialisés dans le portrait photographique, Ernst mayer et Louis
Pierson réalisent en 1856 le portrait du comte de Cavour, chef du
royaume de Piémont-Sardaigne. Constatant que cette photographie
a fait l’objet d’une reproduction et d’une commercialisation par leurs
concurrents, les deux photographes et amis intentent une action en
contrefaçon. Seulement, pour qu’il y ait contrefaçon, encore faut-il
que la photographie soit une œuvre d’art.
grande partie, dans la reproduction des paysages, du choix du point de
vue, de la combinaison des effets de lumière et d’ombre, et, en outre
dans les portraits, de la pose du sujet, de l’agencement des costumes et
des accessoires, toutes choses abandonnées au sentiment artistique et
qui donne à l’œuvre du photographe l’empreinte de sa personnalité »2.
La photographie acquiert ainsi pleinement le statut juridique
d’œuvre d’art. Cette victoire marque le début du travail reconnu de
photographe et la révision de la législation française en matière de
propriété littéraire et artistique.
Toutefois,laCournemetpasfinàlaquerelleentrelapeintureetla
photographie puisqu’aujourd’hui encore les livres d’histoire de l’art
peinent à intégrer la photographie dans leurs pages.
La photographie est-elle un art ?
Voici une question qui semble n’avoir jamais existé tant
la réponse paraît aujourd’hui évidente. Cependant cette
réponse est vitale pour la photographie et les débats
passionnent alors le monde des beaux-arts.
photo : Florent Cardinaud
La pétition des 26
« La photographie est un couperet qui dans l’éternité
saisit l’instant qui l’a éblouie » [Henri Cartier-Bresson]
Depuis la première photographie – « point de
vue pris d’une fenêtre du Gras à Saint-Loupde Varennes » – prise en 1827 par Joseph
Nicéphore Niépce, la photographie, medium
puissant et novateur, est au cœur de nombreux
débats et conflits qui ont régulièrement nourri
les prétoires.
Elle se situait déjà, au milieu du XIXème
siècle, au carrefour exact de deux libertés
fondamentales : la liberté d’expression et le
respect de la vie privé.
ors des procès qui ont tourmenté son histoire, les enjeux ont
tout d’abord tournés autour de la reconnaissance de droits
d’auteur pour les photographes. Puis, la question tranchée, le
débat a glissé sur le terrain de la censure privée avec la montée en
puissance de « la liberté des modernes », le « droit à l’obscurité »
ou droit au respect de la vie privée devenu le parangon des limites
opposées à la liberté d’expression.
L
16
L’image et sa diffusion relèvent de l’éthique. Débats sur la retouche
ou interrogations que suscitent certains clichés qui heurtent et
choquent notre sensibilité mais qui, pourtant, jouent un rôle
fondamentale dans l’information du public.
A titre d’illustration, l’exposition de Larry Clark qui s’est récemment
tenue au musée d’Art moderne de la ville de Paris a été interdite au
moins de 18 ans, une première du genre.
Au cœur de l’ensemble de ces conflits, et esclave du « choc des
photos », le photographe, l’artiste, le reporter, le journaliste, le
« paparazi », ou le simple anonyme qui vient de s’acheter un
appareil-photo numérique bon marché, se trouve en permanence
confronté à l’ensemble de ces contraintes et doit, outre ses qualités
de photographe, disposer de solides connaissances en droit.
Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N
Bibliographie :
Daniel girardin et Christian Pirker : « Controverses, une histoire juridique et
éthique de la photographie » Acte Sud / musée de l’Elysée avril 2008.
Hans-michael Koetzle « Photo Icons Petite histoire de la photo vol. 1
et 2 » Tacschen.
Collectif d’auteur « Dictionnaire mondial de la photographie » Larousse.
Bien que la photographie ait rendu un grand service à
la peinture en la déchargeant de la représentation de la
réalité, les peintres ont rapidement montré leur hostilité.
En effet, un collectif de grands artistes, Ingres en tête,
proteste contre l’assimilation de la photographie à l’art
et précise que « la photographie se résume en une série
d’opérations toutes manuelles, qui nécessite sans doute
quelque habitude des manipulations qu’elle comporte, mais
que les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune
circonstance, être assimilées aux œuvres fruit de l’intelligence
et de l’étude de l’art »1.
La Cour de Cassation tranche : la
photographie est un art
Les juges de première instance donnent raison à Ingres.
mais les deux photographes font appel de cette décision
et obtiennent gain de cause en appel puis devant la
Cour de cassation qui par un arrêt du 28 novembre
1862 énonce que « les dessins photographiques peuvent
être leproduit de la pensée, de l’esprit, du goût et de
l’intelligence de l’opérateur », et ajoute que « leur perfection,
indépendamment de l’habitude de la main, dépend en
1. « Pétition des 26 » Le moniteur de la photographie,15 déc. 1862 (n°19), cité dans L. Sassère, pp. 149-151
2. Cass., 28 novembre 1862, annales de la propriété 1862, P 419-433
Portrait du comte de Cavour, 1856 ©
17
DOSSIER DE LA REDACTION
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Les procès historiques
PHOTOGrAPHIE ET MISE EN SCÈNE : « LE
BAISEr DE L’HÔTEL DE VILLE »
expriment toutes deux leur vérité : d’un côté, l’horreur de la guerre
et, de l’autre, la force de l’amour.
Robert Doisneau (1912-1994), Le baiser de l’hôtel de ville, 1950.
Existe-t-il une photo qui incarne mieux l’amour et les promesses
de la vie et qui à elle toute seule est devenue le symbole de Paris ?
En 1950, le magasine Life commande à Robert Doisneau un
reportage sur les amoureux de Paris. Tout d’abord oubliée, cette
photo devient par la suite la figure de proue de la photographie
humaniste des années 80. Elle fait l’objet d’un énorme succès
commercial et se retrouve partout : posters, cartes postales,
couvertures de magasines, etc. Succès non démenti à ce jour.
Le procès des Lavergne et la terrible révélation
A la fin des années 80, un couple – les Lavergne – se présente
comme les amoureux de l’hôtel de ville et assigne en juillet 1992
Robert Doisneau devant le tribunal de grande instance de Paris
pour violation de son droit à l’image et demande, outre l’attribution
de dommages et intérêts, le retrait de la vente de tous les produits
le représentant.
C’est ainsi, qu’au cours du procès et à titre de moyen de défense,
Doisneau dut confesser son terrible secret. Cette photographie n’a
pas été prise sur le vif mais elle est l’objet d’une mise en scène
méticuleuse de son auteur, Robert Doisneau. En effet, Doisneau a
engagé une jeune comédienne des cours Simon, Françoise Bornet,
rencontrée par hasard et qu’il a trouvé « très jolie ». Celle-ci est
revenue le lendemain avec son amoureux pour la fameuse mise en
scène qui donna lieu à trois photos. Les Lavergne sont évidemment
déboutés3.
A l’annonce du procès, le véritable couple assigne à son tour le
célèbre photographe et demande des dommages et intérêts pour
atteinte au respect de la vie privée. Le tribunal de grande instance
de Paris tranche : la rémunération en contrepartie de ces photos
était équitable et le couple ne peut prétendre être reconnaissable
puisque de nombreuses personnes revendiquent être les « amants
de l’hôtel de ville ». Partant, il n’y a pas de préjudice4.
Doisneau blanchi, son œuvre moins
Doisneau obtient ainsi gain de cause contre ces deux couples, mais
au soir de sa vie, l’ensemble de son œuvre est remise en question.
Lui qui incarne le photographe discret « pêcheur d’images » qui,
tapi dans son coin, attend avec patience l’instant décisif, se retrouve
metteur en scène, et manipulateur de moments.
Cependant, à l’instar de « la mort d’un soldat républicain » de Franck
Capa, cette photo ne souffrira pas vraiment de ces révélations. Peu
importe que le soldat ne soit pas décédé, que les amoureux soient
des comédiens, ces photos sont en elles-mêmes chargées de sens et
3. Cour d’appel de Paris, 1ère Ch, section A, 10 déc. 1996, Lavergne vs Doisneau
4. TGI Paris, 1ère Ch, 2 juin 1993, Bornet vs Doisneau
LA rETOUCHE : « LE DrAPEAU rOUGE SUr
LE rEICHSTAG »
Evgueni Khaldei (1917-1997) Le drapeau rouge sur le Reichstag, 2
mai 1945
Le 2 mai 1945, alors que les combats font encore rage dans Berlin, le
photographe de guerre Evgueni Khaldei réalise l’un des plus célèbres
clichés du XXème siècle en faisant flotter le drapeau rouge sur la
ville de Berlin à feu et à sang. Ces épreuves rendues à l’agence qui
l’emploie, son directeur remarque immédiatement que l’homme au
premier plan en bas à droite de l’image détient une montre à chaque
poignet.
Une montre effacée
A cette époque, les soldats russes sont accusés de commettre des
pillagessurleurshomologuesallemands.Afind’évitertoutscandale
pouvant éclabousser cette trépidante victoire, il est décidé de
retoucher la photo et d’effacer l’une des deux montres. La célèbre
photo, icône de la propagande russe pendant la guerre froide
comporte en elle-même un secret inavouable. Celui-ci n’éclatera
qu’après la chute du mur de Berlin avec la publication de l’original
comportant les deux montres.
Cettephotod’époqueillustreparfaitementundébatdéfinitivement
contemporain. La généralisation des outils numériques a rendu si
facile la retouche des images qu’elle crée une vive tentation pour les
photographes et ceux qui les éditent.
une légère retouche, aussi minime qu’elle soit, peut changer le sens,
la lecture ou l’interprétation d’un cliché et créer de vives polémiques.
Le diamant effacé de Rachida Dati en couverture d’un magazine ou
encore lacigarettedeJean-PaulSartreretiréesurl’affiche de son
exposition à la BNF en 2005 sont autant d’illustrations célèbres.
La question de la retouche, celle de savoir si elle est
« acceptable » et, si oui, dans quelle mesure, constitue l’un des
débats majeurs de la profession. Afin d’affirmer une position sans
ambigüité,lejuryduWorldPress2010anotammentdisqualifiél’un
de ses lauréats, Stepan Rudik, pour avoir enlevé un simple bout de
pied de sa photo via Photoshop.
19
DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
Les procès historiques
Les procès historiques
rEPrODUCTION D’UNE PHOTO CÉLÈBrE :
LA PHOTO DU CHE
Alberto Korda (1928-2001), Guerillero heroico, 1960
Photographie mythique et icône de la révolution castriste, le portrait
de Ernesto « Che » guevara, « guerillero héroïco » ou « Che au
béret et à l’étoile » est sans doute l’un des clichés les plus reproduits
de l’histoire de la photographie.
Le 6 mars 1960, Alberto Diaz gutiérrez, dit « Korda », photographe
pour le journal cubain Revolución assiste aux funérailles des victimes
du sabotage du bateau La Coubre sur le port de La Havane. Ce jour
là, Fidel Castro prononce un discours aux côtés de Jean-Paul Sartre
et Simone de Beauvoir. A l’arrière de la tribune, pendant le discours,
le Che s’avance l’espace d’un court instant et c’est à ce moment
précis que Korda l’immortalise.
« J’ai eu presque peur en voyant la rage qu’il exprimait.
Il était peut être ému, furieux, je ne sais pas ».
Pourtant, la photo n’est pas publiée. Ce n’est que sept ans plus tard
et après la mort du Che en octobre 1967 en Bolivie qu’elle devient
un mythe.
Sans l’avis de Korda, la photo est recadrée sur le visage de Che
puiselleestimpriméesuruneaffichegrandformatetfaitl’objetde
millions de tirages.
Dans un pays socialiste qui ne reconnait pas le droit de propriété,
les droits d’auteur n’ont aucun sens. Par idéologie communiste,
Korda ne réclamera jamais de droit de reproduction de cette
photographie, considérant que celle-ci appartient à la Révolution.
un peu à la manière de maurice Druon et de Joseph Kessel avec
« Le chant des partisans » qui ne réclameront jamais un centime,
considérant eux aussi que la chanson appartient à la Résistance, la
photo du Che pourra être utilisée gratuitement par les générations
futures de révolutionnaires.
Cependant, l’industrie commence à s’emparer de cette icône et
l’idéal incarné par le Che est détourné de son objet. L’homme au
béret se retrouve notamment sur une bouteille de vodka de la
marque Smirnoff.
C’est le droit moral de l’auteur sur son œuvre que Korda entendra
défendreàlafindesavie.
restriction de la liberté de la presse à Cuba. mme Diaz Lopez ira
jusqu’à demander plus d’un million d’euros de dommages et intérêts
ramenés à plus juste proportion par le tribunal (6.000 euros)5.
Elle poursuit également, de manière moins ostentatoire mais tout
aussi révélatrice, le club de handball d’Ivry pour l’utilisation de la
photo du Che sur leur maillot et obtient encore gain de cause.
Doutes sur la paternité de Korda
Coup de Tonnerre en 2008 avec la parution d’un article dans le
journal marianne.
Le journal indique qu’un ancien agent des services secrets cubains,
Juan Vivés, opposant au régime Castriste, serait l’auteur de la photo
du Che au béret et à l’étoile.
Le régime aurait demandé à Korda de s’approprier le célèbre cliché
car il aurait été intolérable que cette emblématique photographie
soit l’œuvre d’un opposant. Juan Vivés prétendrait même que Korda
lui aurait adressé une lettre d’excuse qu’il ne peut malheureusement
produire.
Lejournalestimmédiatementpoursuiviendiffamationparlafille
du Che.
Cependant, le tribunal de grande instance de Paris constate la
nullité de l’assignation6. L’action est prescrite au regard des délais
extrêmement courts de la loi sur la presse.
La fille du Che introduit une nouvelle action cette fois-ci sur le
fondement de l’atteinte aux droits moraux pour avoir, d’une part,
accordé la paternité de l’œuvre à Juan Vivés et, d’autre part, reproduit
la photo du Che sans autorisation, sans le nom de l’auteur et sans
respecter l’intégrité de l’œuvre.
La demanderesse produit alors les planches-contacts de Korda
datées de 1960 que le tribunal considère comme « éléments de
preuvesuffisants[…]delaprisedirecte»parlecélèbrephotographe.
LeTGIdeParisdonneainsiraisonàlafilleduChe7.
On peut penser que le débat sous l’angle de la diffamation aurait
amené de plus amples développements sur l’origine de la photo du
Che que celui de l’atteinte aux droits moraux. même si les preuves
avancéesparJuanVivéssontinsuffisantes, cetarticleauracréeune
controverse sur la paternité de la photographie qui est peut-être la
plus célèbre de l’histoire.
La croisade mondiale de la fille du Che
Asamort, en2001, c’estsafille, DianaDiazLopez, quireprendle
flambeauetvaentamerunevéritablecroisademondialecontreles
reproductions détournées de la photo du Che.
Ainsi, à deux reprises, elle obtient gain de cause devant le tribunal
de grande instance de Paris pour utilisation illicite contre Reporters
Sans Frontières. Ce dernier exploitant l’image pour illustrer la
20
DOSSIER DE LA REDACTION
5. TGI Paris, 9 juillet 2003 et 10 mars 2004, Diana Diaz Lopez vs Reporters Sans Frontières
6. Ordonnance du juge de la mise en l’état, TGI de Paris, 17ème Ch., 16 janvier 2008
7. TGI de Paris, 3ème Ch. 3ème Sect., 24 septembre 2008
Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N
Alberto Korda, Guerillero heroico, Cuba, 1960 original © 2007, Prolitteris, Zurich
21
DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
DOSSIER DE LA REDACTION
La pratique photographique confrontée au droit à l’image
La pratique photographique confrontée au droit à l’image
« A mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez
vu quelque chose à fond si vous n’en avez pas pris une
photographie » [Emile Zola]
s’expose à une peine
d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros
d’amende.
Le droit à l’image n’est inscrit dans aucune
loi et les droits opposables aux photographes
communément appelés « droit à l’image » sont
le fruit d’une construction jurisprudentielle
complexe et instable qui s’est développée au
cours du XXème siècle.
Le juge est alors chargé de concilier deux
libertés fondamentales : la liberté d’expression
et le droit au respect de la vie privée.
Les
exceptions
nécessaires au droit
à l’image
nmai1968,unephotographied’unejeunefillebrandissantle
drapeau noir de l’anarchie et le drapeau rouge du communisme avait fait la une d’un magazine. Cette photo, prise à son
insu et sans autorisation, ne fût pas au goût de son père qui décidât
purement et simplement de la déshériter. La jeune fille attaqua le
journal en évaluant son préjudice à l’aune de l’héritage escompté.
Cet exemple fameux illustre parfaitement les conséquences que la
parution d’une image peut avoir sur la vie d’un citoyen.
L’utilisation non autorisée d’images de choses ou de personnes fait
alors courir à l’utilisateur le risque d’être condamné civilement et
pénalement.
E
Que devient le droit du photographe face au droit au
respect de l’intimité de la vie privée ? Quand peut-il
opposer l’exception d’information ?
ambigüité que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
A contrario donc, une image captée dans le cadre de la vie publique
ne peut porter préjudice à quiconque.
Le photographe doit faire preuve de bon sens et avant toute Cependant, la frontière entre vie privée et vie publique est ténue et
prise de vue, systématiquement se poser la question de c’est par une appréciation in concreto que le juge statuera. En effet, il
l’existence de droits qui lui seraient opposables et éventuellement se nesuffitpasd’êtredansunlieupublicpourquetouteimagepuisse
prémunir en demandant les autorisations pour pouvoir diffuser ses être captée, non plus que de se trouver dans un lieu privé, pour
photographies. Cependant, obtenir ces informations est parfois interdire toute photographie.
impossible et constitue une entrave à son libre travail.
L’usage, sans son autorisation, de l’image d’une personne dans le
Ainsi, outre ses qualités de photographe, celui-ci doit désormais cadre de sa vie privée peut ainsi entraîner la mise en cause de la
disposerdesolidesconnaissancesjuridiquesafindenepasvoirle responsabilité de l’utilisateur. En cas de litige, les juges reconnaissent
produit de son activité attaqué.
classiquement que « toute personne, (...), tire du respect dû à sa vie
Le photographe se verra opposer deux types de droit : le droit à privée le droit de s’opposer à une diffusion de son image faite sans son
l’image des personnes d’une part, et celui des biens, de l’autre.
autorisation »1.
Par conséquent, dès lors qu’une personne est le sujet principal
de l’image et est parfaitement reconnaissable, il faut obtenir son
LE DrOIT A L’IMAGE DES PErSONNES OU LA autorisation.
MONTEE EN PUISSANCE DU rESPECT DE LA La condamnation, si elle a lieu, pourra prendre la forme de
dommages et intérêts, de saisie des biens incriminés, ou de
VIE PrIVEE
publication judiciaire dans un organe de presse.
La protection du droit à l’image repose essentiellement sur l’article L’utilisateur pourra aussi faire l’objet de sanctions pénales sur
9 du Code civil issu de la loi du 19 juillet 1970 qui énonce sans le fondement des articles 226-1 et suivants du code pénal et
22
1. Cass., Civ. 1ère, 2 mars 2004
Pour autant, les personnes photographiées
ne pourront s’opposer à
la diffusion de leur image
dans certaines situations.
En effet, le juge a admis sur la base de la
liberté d’expression et du
droit à l’information du
public (article 10 de la
Convention européenne
des droits de l’homme)
qu’il était possible de
publier des images de
personnes
impliquées
dans un événement dès
lors que cette image
photo : Florent Cardinaud
était destinée à l’information légitime du public et
qu’elle ne portait pas atteinte à la dignité de cette personne.
L’individu et sa vie publique
De nombreuses exceptions s’appliquent, laissant alors le champ
libre à la diffusion d’images. Toute image d’actualité immédiate se
trouve ainsi exonérée de demande d’autorisation.
La notoriété de ces personnes peut ainsi entraîner une réduction de
la sphère de la vie privée.
Les hommes politiques voient, au nom du droit à l’information la
captation de leur image autorisée dès lors qu’ils sont dans l’exercice
de leurs fonctions, qu’ils prononcent un discours, que cette captation
soit effectuée dans les lieux publics ou dans des lieux dits « privés ».
Les personnes dans l’exercice de leurs fonctions
Les agents de Police peuvent être pris en photo mais ne doivent
pouvoirêtreidentifiés.Lesemployé(e)sdesservicespublics(impôts,
enseignements, SNCF), quant à eux, ne peuvent être pris en photo
car ils sont assimilés à des personnes privées au même titre que des
ouvriers dans une usine privée.
Le cas intéressant du citoyen lambda photographié
dans l’espace public
Rien n’interdit, dans l’espace public, et pour son seul usage, de
prendre des photos de personnes inconnues, et ce sans leur
demander leur autorisation.
Cependant, lorsque les photographies sont destinées à être
diffusées, le problème se pose et le juge a parfois entendu au sens
large la notion de droit à l’information.
La jurisprudence s’attache au côté artistique des photos réalisées.
C’est ce qui ressort d’une affaire célèbre qui illustre parfaitement
cette exception artistique.
Dans cette affaire, Luc Delahaye, photographe de l’agence Magnum2,
n’avait pas demandé l’autorisation des voyageurs du métro parisien
pour la réalisation de son livre « L’Autre » qui compilait des photos
d’individus tous anonymes, prises au moyen d’un dispositif caché.
Le plaignant soutenait que la publication sans son accord de
cette photographie réalisée à son insu et reproduite dans un but
commercial, constituait une violation de son droit à l’image et lui
causait un grave préjudice au regard de l’expression de tristesse se
Les foules
Les conflits sociaux donnent toujours lieu à la parution de
photographies en tête des journaux. Que se passe-t-il si une
personne est reconnaissable et souhaite s’opposer à la diffusion de
son image ?
Si l’objet de l’image est une foule, il paraît impossible de demander
à chacun l’autorisation pour reproduire. mais si le photographe fait
un gros plan sur un petit groupe, on sort de l’hypothèse de foule.
L’autorisation redevient nécessaire.
Les personnages publics
Toute personne médiatisée ne peut s’opposer à la publication de
son image dans l’exercice de sa vie publique.
2. Fameuse agence fondée notamment par Henri Cartier-Bresson et Robert Capa
photo : Florent Cardinaud
23
DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
La pratique photographique confrontée au droit à l’image
d’une autorisation des représentants légaux qui précise le cadre
dans lequel l’image de leur enfant sera utilisée (lieu, durée, modalité
de présentation, de diffusion, support).
LE DrOIT A L’IMAGE DES BIENS OU LE PrIMAT DE LA LIBErTE D’EXPrESSION
L’image et la propriété matérielle
photo : Florent Cardinaud
dégageant du portrait le ridiculisant.
Cependant, le tribunal a considéré que « l’exercice par un individu de
son droit à l’image [ne doit pas avoir] pour effet de faire arbitrairement
obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées qui s’exprime
spécialement dans le travail d’un artiste »3.
Ce jugement reconnaît ainsi le primat de la liberté d’expression
artistique sur le droit à l’image, ce livre offrant « la perspective
de fournir un témoignage sociologique et artistique particulier sur le
comportement humain, étayé par l’analyse d’un philosophe et
sociologue cosignataire du livre ».
Les interdictions légales à la diffusion d’image de
personnes
Peut-on prendre en photo la maison ou le bien d’autrui ? un
monument ? un bâtiment administratif ? une œuvre d’art ? La tour
Eiffel ?
En matière de droit à l’image des biens, à l’inverse de ce que l’on
observe pour les personnes, le principe est celui de la liberté et
l’interdiction l’exception.
En effet, la haute juridiction, en sa formation plénière, a opéré un
revirement et tranché en faveur de la liberté du photographe en
énonçant que: « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit
exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation
de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal »4.
Le propriétaire qui veut intenter une action contre un photographe
ayant photographié son bien, depuis l’espace public, doit désormais
prouver devant les juges l’existence d’un « trouble anormal ».
Si la prise de vue est réalisée dans un lieu privé, il est toutefois
conseillé d’obtenir une autorisation du propriétaire qui n’est pas
tenudejustifiersonrefus.
Terrains et personnels militaires
En amendant la loi sur liberté de la presse du 29 juillet 1881, La loi
dite « guigou » du 15 juin 2000 a créé des infractions spéciales de
diffusion d’images.
Il est interdit de photographier les terrains militaires, le personnel
militaire (secret défense) et les gendarmeries (rattachées au ministère de la Défense).
(1) Les personnes menottées - Pour les personnes présumées
innocentes dont une image serait diffusée alors qu’elles sont
menottées, la peine encourue est de 15.000 euros d’amende (article
35 ter I de la loi).
Photos extérieures de bâtiments, parcs, jardins,
marchés publics, voire paysages
(2) Les victimes d’attentat à la dignité desquelles il aurait été porté
atteinte - Depuis l’affaire de la photographie du préfet Erignac juste
après son assassinat, le droit a hésité entre la préservation du droit
à l’information (un des arguments des photoreporters était qu’il
fallait montrer l’horreur des attentats pour informer les lecteurs et
dissuader les attaques éventuelles) et la préservation de la vie privée
des victimes, touchées au plus profond de leur intimité physique.
La loi a tranché, lorsque le cliché porte atteinte à la dignité de la
victime, la peine encourue est de 15.000 euros d’amende (article
35 quater de la loi).
(3) Les mineurs - La prise de vue de mineurs doit être précédée
24
3. TGI Paris, 17e Ch., 2 juin 2004
4. Cass., A.P., 7 mai 2004
DOSSIER DE LA REDACTION
La pratique photographique confrontée au droit à l’image
Image et droit d’auteur
les tableaux et les œuvres d’art) et souvent aussi les églises.
La protection du droit d’auteur instituée par le Code de la Propriété
intellectuelle s’applique à tous les auteurs (peintres, sculpteurs,
architectes, designers, graphistes, chorégraphes, écrivains, etc.) et
peutentrerenconflitdirectavecletravailduphotographe.
Ainsi, un bâtiment récent sera protégé par le droit d’auteur de
l’architecte c’est à dire tout au long de sa vie et 70 ans après sa
mort. Il en va de même des sculptures, peintures, œuvres littéraires
mais aussi des photographies.
Le photographe doit donc obtenir l’autorisation de l’auteur de ces
œuvres pour pouvoir diffuser ces photographies et un artiste peut
s’opposer à ce que l’on photographie son œuvre d’art placée au
centre d’une place publique.
Ainsi, la Tour Eiffel peut être photographiée sans problème, du moins
lorsqu’elle est « éteinte ». Illuminée, elle ne peut être reproduite sans
autorisation car le jeu de lumière est protégé en tant qu’œuvre d’art.
En cas d’impossibilité de retrouver l’auteur pour obtenir son accord,
la pratique tolère de recourir à la mention « droits réservés ».
Photos dans des lieux strictement privés (maison,
jardin, entreprise, voiture, chantier, etc.)
Les musées
L’autorisation du propriétaire ou du musée est nécessaire, y compris
pour les reproductions de peintures étant tombées dans le domaine
public. Par exemple, au regard de son règlement intérieur (titre
VI), au musée du Louvre, il est interdit de photographier dans la
galerie d’Apollon et dans l’ensemble des salles de peinture du
premier étage de l’aile Denon ainsi que sur le palier où est exposée
la Victoire de Samothrace. Idem à la maison Van-gogh à Auverssur-Oise.
Demême,lesflashssontinterditsdanslesmusées(pourpréserver
L’autorisation du propriétaire des lieux est obligatoire.
Photos dans des lieux privés à vocation publique
(grands magasins, musées, hôtels, parkings, stades,
salons, théâtres, restaurants, enceintes sportives,
églises, gares, aéroports, etc.)
Ici, on appliquera au « cas par cas ». Rien ne peut empêcher de
réaliser, à titre personnel, la photo d’un proche au sein de ces
lieux, mais le photographe devra obligatoirement demander une
autorisation pour prendre une photo à usage professionnel.
Par exemple, photographier la coupole des galeries Lafayette
(monument classé) nécessite l’autorisation du magasin.
Si interdiction il y a, elle doit être manifestement indiquée, mais
peut parfois constituer un abus. Les dérives sont nombreuses. Rien
n’autorise un organisateur de spectacle ou de sport à interdire les
prises de vues à usage privé (et pourtant cela est indiqué au dos de
nombreux tickets).
Image et propriété industrielle
Les biens sur lesquels apparaissent des marques, brevets,
dénominations sociales ou d’autres signes distinctifs sont protégés
par le Code de la Propriété Intellectuelle. Le photographe devra
donc se prémunir d’une autorisation des titulaires de ces droits
pour diffuser l’image.
Plages naturistes
Pour l’anecdote, il est interdit de photographier
sur les plages naturistes (espaces publics de droit
privé).
Ces photos sont autorisées pour un usage privé mais l’obtention
d’une autorisation est nécessaire pour une utilisation commerciale.
A titre d’exemple, pour les bâtiments modernes, les architectes
revendiquent souvent un droit de regard sur l’utilisation
professionnelle qui est faite des photos montrant leurs réalisations.
Si la prise de vue à but commercial se situe à l’intérieur du lieu public
et qu’il existe un propriétaire unique du lieu, alors l’autorisation est
requise (cas d’un parc de loisirs par exemple).
En conclusion, la loi ne réglemente pas tout
et dans bien des cas seule la jurisprudence
- quand elle existe - permet de se faire une idée à
l’avance de ce qui peut être requis ou non. Toute
exploitation d’une image suppose l’accord de tous
les titulaires de droits de celle-ci ou autour de
celle-ci. Il convient de bien repérer les droits
en présence et de se prémunir en obtenant les
autorisations, souvent accordées sans difficulté si
elles sont demandées préalablement.
Photos d’objets communs
Il n’y a pas de limitation.
photo : Florent Cardinaud
Texte et photos - Florent Cardinaud
25
DOSSIER DE LA REDACTION
Liberté d’expression : plume et image
DOSSIER DE LA REDACTION
Interview de Maître Luc Brossolet : Droit dans la presse people ?
Maître Brossolet, connu comme étant l’avocat
parisien de Prisma Presse, deuxième groupe
de presse en france et éditeur notamment des
magazines Voici et Voilà, a très aimablement
accepté de répondre aux questions du
Baromaître.
Les personnes concernées, pour agir, pourraient très bien se passer du
droit à l’image comme fondement de leur action et se limiter à celui
d’une atteinte à la vie privée, atteinte qui peut être commise aussi bien
par le texte que par l’image.
Néanmoins, dans certains cas, force est de reconnaître que le droit à
l’image est autonome. Ce sont les cas où il est invoqué à l’exclusion
de toute autre atteinte (atteinte à la vie privée, diffamation, atteinte à
la dignité, atteinte aux droits des
artistes interprètes, etc.).
Disons, pour résumer que le
besoin d’autonomie du droit à
l’image se fait rarement sentir...
D’où vient selon vous cette
protection si importante
de la vie privée en
France en comparaison
avec les
systèmes dits
« anglo-saxons » où
la vie privée est quasi
inexistante
pour
les
personnes publiques ?
Maître Brossollet, pouvez-vous brièvement
décrire votre parcours professionnel ?
nous
En janvier 1987, je prête serment et deviens collaborateur pendant un
an de cinq avocats exerçant en Cabinet groupé. L’année suivante, je ne
collabore plus qu’avec Pierre et Monique Fayon, chez qui je me sens si
bien que je m’y installe. En 1990, Olivier d’Antin me rejoint et nous nous
associons l’année suivante.
Après plusieurs années de débats doctrinaux et
jurisprudentiels, existe-t-il pour vous aujourd’hui un
droit à l’image autonome?
La question me paraît loin d’être réglée par la doctrine. A s’attacher
à la jurisprudence, on constate que dans l’immense majorité des cas,
l’atteinte au droit à l’image est commise dans le cadre, plus large, d’une
atteinte à la vie privée.
26
Jenesuispassûrquel’affirmation
contenue dans votre question
soit entièrement exacte. Pour
ce qui concerne l’Europe,
l’article 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des
droits de l’homme s’applique
dans tous les pays ayant ratifié
ladite Convention, c’est-à-dire aussi bien dans les pays latins qu’en
Angleterre ou en Allemagne.
Ce qui diffère, ce n’est pas le principe de la protection de la
vie privée, mais peut-être la conception que l’on en a, ou si
vous préférez, le contenu de cette notion. Je vous donne un
exemple : un homme politique qui milite avec ferveur pour les
valeurs traditionnelles de famille et de fidélité, part en vacances
avec sa maîtresse. Doit-on passer ses vacances sous silence au motif
qu’elles ne concernent que sa vie privée ou au contraire s’empresser
d’en parler pour démontrer que les actes dudit homme politique
ne sont pas en accord avec ses idées ? Je suppose que les réponses
varieront selon les pays où elle est posée.
L’autre différence réside dans la plus ou moins grande facilité qu’il
y a à intenter un procès. En France, c’est en jeu d’enfant que de
saisir une juridiction pour se plaindre d’une atteinte à la vie privée.
C’est rapide et peu coûteux. En Angleterre, il en va sans doute
différemment. Le procès risque d’être plus long, plus coûteux et l’on
peut imaginer que cela est dissuasif.
Interview de Maître Brossolet
Avec le succès de la « presse people », les magazines
ne préfèrent-ils pas payer des dommages intérêts pour
continuer leur activité ? En d’autres termes, ne font-ils
pas « recette de l’illégalité » ?
C’est ce que répètent les plaideurs à longueur d’audience. Pour la
presse, le jeu en vaudrait la chandelle. Il faudrait que les dommages et
intérêts, déconnectés de l’idée de réparation, deviennent dissuasifs.
Ceci étant, je ne pense pas que l’on puisse dire que les magazines
préfèrent payer des dommages et intérêts.
Ils sont plutôt d’avis qu’ils ne devraient pas être condamnés car la
plupart du temps, les personnalités dont ils parlent ne sont pas très
discrètes. De leur vie privée, elles ont fait un véritable tremplin pour
accéder à une certaine notoriété.
Pensez-vous que la mesure de publication judiciaire
spécifiquement en matière d’atteinte à la vie privée
soit une mesure efficace ?
Toutdépenddecequel’onentendparefficace. Dansl’espritdes
plaideurs, et, je le crains, souvent dans l’esprit des juridictions, les
publications judiciaires n’ont d’autre vocation que de gêner les
journauxauxquelsellessontinfligées.
D’où ces placards ridicules qui ne servent à rien et en tous les
cas sûrement pas à informer le lecteur. Quand on lui parle de
condamnation, ce dernier, toute enquête le démontrerait, pense
qu’on lui signale une décision répressive.
Vous considérez-vous comme un militant ?
A l’inverse, n’existe-t-il pas un abus du droit à l’image
des « peoples » qui profitent d’un système qu’ils
alimentent parfois eux-mêmes et qui leur a parfois
aussi apporté leur statut de célébrité?
Pour vous répondre, quelques exemples de ces abus. un magazine
avait publié un jour la photographie d’une spécialiste de la météo la
représentant en monokini. Cri d’horreur : la pudeur bafouée, etc...
Le jugement est rendu, le chèque des dommages et intérêts encaissé,
et la jolie demoiselle de faire quelques semaines plus tard la une du
« Nouveau Playboy ».
L’abus, pour ne pas dire l’hypocrisie, ou pire encore l’escroquerie au
jugement passera parfois par la revendication d’un préjudice
important alors même que l’article est anodin, ou mieux encore,
alors même qu’il est poursuivi sans avoir été lu par les intéressés. On
a déjà vu que certains s’en vantent !
Pas comme un militant mais comme un modeste auxiliaire de justice
qui essaye d’être convaincant sur le thème : les choses sont plus
compliquées qu’elles n’y paraissent. Pas toujours avec le succès
espéré,lajusticecédantsouventàlatentationdetoutsimplifier.
Que diriez-vous à un jeune photographe essayant de
vous « paparazer » ?
On partage ?
Propos recueillis par
Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N
En droit de la presse, la diffusion sur l’ensemble du
territoire permet au demandeur d’assigner dans le
ressort de son choix supposé plus ou moins généreux
pour l’octroi de dommages et intérêts, cette pratique
dite de shopping judiciaire est-elle encore une réalité ?
Le shopping judiciaire reste bien entendu une réalité. A votre
avis qu’est-ce qui peut bien convaincre une personnalité habitant
Paris, ayant pour conseil un avocat inscrit au Barreau de cette ville,
poursuivant un journal édité par une société ayant également son
siège social dans la capitale, à saisir une juridiction d’un département
de la périphérie ?
27
La DILA : la diffusion légale assurée
Créée par décret le 22 janvier 2010, la Direction de l’information légale et administrative (DILA) est issue de la
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administratif, économique, social, juridique et international.
L’institution diffuse, entre autres, les textes législatifs et réglementaires,
mettant à la disposition de tous la norme juridique française. Elle
Le droit simplifié et accessible à tous grâce à la DILA
Créé en 2000, le portail service-public.gouv.fr, édité
par la DILA, a pour mission de faciliter et de simplifier
l’accès à l’information administrative et aux services
en ligne, en fédérant les différentes ressources
publiques disponibles sur Internet et en les organisant
en fonction des besoins des usagers.
La rubrique « Justice », notamment, présente les
caractéristiques du système judiciaire français.
L’organisation de la justice française, les peines
encourus ou encore la saisie d’un tribunal sont
détaillées aux
internautes pour faciliter leurs
démarches.
La collection Droits et démarches, quant à elle,
est conçue sous la forme de guides pratiques. Elle
propose une information administrative et juridique,
structurée et concise, visant à mieux faire connaître
au grand public les formalités courantes auxquelles
il doit faire face au quotidien et à mieux l’informer
sur ses droits.
Le lecteur trouvera également des éclairages sous la
forme de questions-réponses et un enrichissement
apporté par des références de textes officiels, de
codes et de formulaires, des adresses utiles, des
adresses de sites internet.
assure la publication des lois et décrets au Journal officiel et édite et
diffuse les textes législatifs et réglementaires qui sont ensuite
disponibles sur le site d’accès au droit : légifrance.gouv.fr.
La DILA est donc un relais majeur de l’information juridique et remplit
une mission de service public essentielle. Plus précisément, elle met
à disposition des professionnels du droit une multitude d’outils et de
ressources leur permettant d’approfondir leurs connaissances.
L’institution édite également sous la marque « Journaux officiels »,
l’ensemble des codes officiels indispensables à la pratique juridique.
Du Code civil au Code du travail en passant par le Code de
procédure pénale, la marque offre un panel complet des textes
de droit. Les autres actes à caractère normatif (Constitution, lois
et actes réglementaires…) sont aussi publiés par les « Journaux
officiels ». Les décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du
Conseil d’Etat ou encore de la Cour de cassation ainsi que la
jurisprudence plus généralement sont également diffusés par la
DILA. Les sources d’information proposées sont donc nombreuses.
Enfin, la DILA garantit la transparence économique et financière
par la publication au niveau national de l’ensemble des informations
légales, économiques et financières relatives à la vie des entreprises
(notamment grâce au Bulletin des annonces civiles et commerciales
– BODACC.fr ou au Bulletin officiel des annonces des marchés
publics – BOAMP.fr).
Les données juridiques produites et diffusées par la DILA sont
accessibles gratuitement, dans le respect du décret n° 2002-1064
du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par
Internet. Avec une jurisprudence et une norme juridique française,
en perpétuelle mutation, un accès en ligne permet des mises à jour
fréquentes et une totale concordance entre les textes de droit et la
pratique juridique. La DILA met donc à disposition des internautes
plusieurs sites incontournables.
La Documentation française, éditeur de référence
des administrations
La DILA, sous la marque « la Documentation française », figure
parmi les premiers éditeurs publics d’ouvrages et de périodiques
en France. Partenaire privilégié de plus de 150 administrations et
organismes, elle édite des conventions collectives, des rapports
annuels, des travaux de recherche et des publications de référence.
Les études sont menées par de grandes personnalités juridiques ou
politiques, offrant ainsi un autre regard sur le droit, moins objectif et
plus critique. Son périmètre est national, européen et international
sur des thèmes variés : administratif, économique, social et juridique.
Les études d’Autorités administratives indépendantes (AAI), telles
que la Commission nationale de l’informatique et des libertés
(CNIL) ou le Médiateur de la République, sont également éditées
par la Documentation française.
Les publications de la Documentation française
Outre les rapports institutionnels, la Documentation française
publie également ses propres ouvrages, poussant à une analyse
contextuelle du droit français et international. La collection
Documents d’études regroupe des extraits de textes du droit public
français et international explicités et commentés par des professeurs
d’Université. Plusieurs séries sont proposées : « Droit constitutionnel
et institutions », « Droit administratif », « Droit international public »,
« Finances publiques », « Jurisprudence ».
D’autres collections présentent des études de la situation judiciaire
et juridique française. Les notices de la Documentation française ont
notamment publié, en 2008, un ouvrage intitulé « Droit administratif
et administration ». Ce livre de Jacques Petit reprend les bases
du droit administratif en analysant son évolution et en présentant
l’organisation, l’action et les moyens administratifs.
Plus récemment, la collection Etudes de la Documentation française
a publié un ouvrage, la Cour de cassation. Entièrement consacré à
cette juridiction, cette publication permet de comprendre l’originalité
des missions de la Cour, à la suite de la révision constitutionnelle du
23 juillet 2008 et sa place dans les institutions de la République.
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Interview de M. Jacques Degrandi,
Premier président de la Cour d’appel de Paris
Interview de M. Jacques Degrandi
Comment décririez-vous la
cour d’appel de Paris par
comparaison aux autres cours
que vous avez connues ?
C’est la première cour d’appel que
je préside. Il serait en conséquence
présomptueux de la comparer à
d’autres cours. Je me contenterai d’en
rappeler les principales caractéristiques
qui en font une juridiction hors normes.
La présence dans son ressort du tribunal
de grande instance de Paris lui confère,
dans le domaine pénal, une compétence
nationale en matière de terrorisme, de
droit pénal boursier et de corruption
internationale, quasi-nationale en santé
publique (ressort de vingt-quatre des
trente cinq cours d’appel), interrégionale
en criminalité organisée et délinquance
financière d’une très grande complexité
(ressort de vingt-sept tribunaux de
grande instance dépendant de neuf
cours d’appel). C’est la même chose
dans le secteur civil. La compétence
est nationale en matière de brevets et
marques communautaires et désormais
de brevets nationaux, interrégionale
ou régionale en matière de propriété
littéraire et artistique, dessins et modèles,
marques et indications géographiques,
adoptions internationales, contestations
de nationalité et pratiques restrictives
de concurrence. Les effectifs de la
cour représentent plus de cinq mille
personnes, dont mille quatre cents
magistrats. Son budget annuel, masse
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone 01 42 60 36 35
salariale incluse, est supérieur à quatre
cents millions d’euros. Le ressort comporte plus de quatre vingt sites
judiciaires, dont neuf tribunaux de grande instance, six parmi les plus
la première importants de France.
Installé depuis mai 2010 à
présidence de la cour d’appel de Paris, M.
Degrandi revient pour nous sur les enjeux et le
fonctionnement de cette cour si particulière, à
la lumière des missions dont il se trouve investit
et des moyens pour mener celles-ci à bien.
[Cette interview a été réalisée en novembre 2010]
30
De quels moyens humains et matériels spécifiques
disposez-vous pour répondre aux particularités de
notre cour ?
Je viens de vous donner quelques chiffres en ce qui concerne les moyens
humains répartis dans l’ensemble du ressort qui s’étend de la porte
Maillot à Auxerre, autrement dit de la Défense aux portes de Dijon. Cela
dit, la première présidence dispose d’un secrétariat général composé
de quatre magistrats, dont un secrétaire général et trois chargés de
mission, et seize fonctionnaires. Pour la gestion budgétaire, la gestion des
ressources humaines, la formation, l’informatique, le premier président
et le procureur général sont assistés par le service administratif régional,
dirigé par un magistrat, dont l’effectif est de cent cinquante agents. Les
dimensions de ces services reflètent les particularités de la cour même
si les chefs de cour et les chefs de juridiction souhaiteraient qu’elles
soient encore mieux prises en compte par les responsables du budget
opérationnel de programme du ministère de la justice. Mais je dois dire
que c’est une préoccupation partagée par la plupart des responsables
de juridictions.
En quoi consiste l’organisation en pôles, en quoi les
usagers peuvent-ils y trouver une plus-value ? Envisagez
vous des aménagements ?
Les pôles ont été définis par mon prédécesseur dont j’entends reprendre
les objectifs. Ils sont d’abord le lieu d’échanges juridiques internes et
d’enrichissement des pratiques juridictionnelles. C’est en leur sein que
doivent se mettre en place les mécanismes d’inventaire et de circulation
des jurisprudences ainsi que des pratiques innovantes destinées à
améliorer la qualité et la célérité de la justice. C’est à travers eux que
doivent être recensés les besoins de formation, que doit être établie
une contribution réelle au plan annuel de formation des magistrats
comme des fonctionnaires, que doivent être organisées des actions
locales de formation. Ils doivent être en outre un lieu d’échanges avec
leur environnement. Il faut qu’y circulent des informations sur ce qui
nous entoure : les entreprises, les syndicats, les magistrats étrangers,
les universités. Enfin, ils doivent être les lieux naturels d’accueil des
magistrats et fonctionnaires nouvellement affectés à la cour ou dans une
chambre du pôle, d’épanouissement des modes alternatifs de résolution
des litiges (médiation, conciliation), de contact avec les auxiliaires de
justice, les mandataires de justice et les experts, de répartition et de
suivi effectif des assistants de justice. En favorisant la réalisation de
tels objectifs, ils permettent aux magistrats et fonctionnaires, appelés
à mieux prendre conscience de leur appartenance institutionnelle,
de définir des lignes directrices de jurisprudence et d’accroître
subséquemment la sécurité juridique qui est un bien précieux pour les
justiciables. Ces derniers bénéficient aussi de l’expertise que procure
aux membres des pôles, la réflexion collective développée au sein de
ces structures. Pour autant, celles-ci ne sont pas figées. Leur création a
été assortie de l’établissement de bilans périodiques pour permettre
d’apporter les améliorations commandées par l’expérience. Un groupe
de travail a donc été mis en place pour apprécier la pertinence de la
répartition des matières entre les pôles ou à l’intérieur de ceux-ci. Des
aménagements sont donc susceptibles d’intervenir. Ainsi, par exemple,
est-il prévu de regrouper les cours d’assises au sein d’un même pôle au
mois de janvier 2011.
La cour d’appel de Paris va connaître plusieurs longs
procès dans les mois qui viennent ; quelles contraintes
et quels défis cela représente-t-il pour vous ?
La cour va effectivement devoir juger en l’espace d’une année, la
plupart des grands procès qui ont été traités par le tribunal de grande
instance de Paris au cours des trois années antérieures, dont ceux
dits de l’hormone de croissance, du Sentier II, de l’Angolagate, mais
encore les procès d’assises Fofana, Ferrara, Colonna. S’y ajoutent de
nombreuses procédures de la juridiction interrégionale spécialisée
en matière de criminalité organisée et de criminalité économique et
financière. Beaucoup nécessitent la présence d’un magistrat et d’un
greffier supplémentaires aux audiences pour sécuriser les débats,
autrement dit leur permettre d’aller jusqu’à leur terme en cas d’incident
affectant la composition de jugement. La contrainte est d’autant plus
forte que plusieurs autres secteurs d’activité nécessitent un renfort pour
promouvoir des délais raisonnables de jugement. Il faut organiser le
service dans un contexte de restriction des moyens et d’accroissement
des tâches. Une réflexion collective est entreprise sur les méthodes de
travail, la définition de ratios par formation, la modélisation des décisions
dans les matières qui s’y prêtent. Il faut à mon sens y associer les avocats
qui pourraient nous aider grandement par une démarche déterminée
vers la structuration des écritures des parties. Permettre par exemple
au juge de distinguer facilement les moyens grâce à une forme imposée
serait de nature à faire gagner un temps précieux pour les justiciables. Je
suis certain que les années à venir vont nous imposer de progresser dans
cette voie. En tout état de cause, l’accumulation de procès hors normes
à la cour nous y incite en tous cas dès maintenant.
La réforme de la procédure civile d’appel est
imminente ; comment la présenteriez-vous globalement
et quelles dispositions avez-vous dû prendre, y compris
matériellement ?
La Justice éprouve des difficultés pour rendre toutes les décisions dans
un délai raisonnable et nos concitoyens n’hésitent plus à engager des
actions pour en dénoncer les dysfonctionnements, confortés en cela
par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Tous les acteurs du procès doivent s’engager dans une démarche de
modernisation pour mieux maîtriser le juste temps judiciaire. La réforme
de la procédure civile introduite par le décret du 9 décembre 2009
relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière
civile s’inscrit dans cette perspective. Elle impose des délais de mise
en état rigoureux sous peine d’irrecevabilité ou de caducité. Elle nous
engage fermement à recourir aux nouvelles technologies, l’article 930-1
du Code de procédure civile prévoyant la remise progressive des actes
de procédure par voie électronique, sous peine d’irrecevabilité relevée
d’office. Pour l’instant, ces dispositions restent applicables à compter
du 1er janvier 2011 pour les déclarations d’appel et les constitutions
dans les procédures introduites à compter de cette date. A terme, la
31
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Interview de M. Jacques Degrandi,
Premier président de la Cour d’appel de Paris
communication électronique appliquée à la procédure civile en cause
d’appel permettra de réduire les délais, les distances et les coûts, éviter les
déplacements inutiles des auxiliaires de justice et induire des modalités
de travail plus efficientes. Je suis aussi conscient que ces orientations
sont à l’origine de craintes, parce qu’elles bousculent les habitudes, y
compris celles des avocats, et s’accompagnent d’incertitudes sur les
calendriers. En tout état de cause, les magistrats et le greffe de la cour
ont engagé une réflexion associant les services de la Chancellerie, le
Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et les barreaux des
autres arrondissements judiciaires du ressort, ainsi que la chambre des
avoués. Il s’agit, avant même les derniers arbitrages, de se préparer pour
que le système fonctionne au mieux dans les meilleurs délais possibles.
Depuis mon installation le 10 mai 2010, je suis tout particulièrement
ce dossier et remercie tous ceux qui s’y impliquent avec beaucoup de
sérieux et sens du service rendu au justiciable. Les magistrats et le
greffe revoient les trames de mise en état à la lumière des nouveaux
textes. Elles ont été validées durant la deuxième quinzaine d’octobre
et seront installées avant la fin du mois de novembre 2010. Dans le
même temps, un vade-mecum de procédure civile sera finalisé grâce
aux observations de tous les acteurs concernés. Il servira de socle et de
guide à une réflexion plus générale sur l’évolution du droit au regard de
nos spécificités parisiennes.
Enfin, la cour d’appel de Paris teste d’ores et déjà la dématérialisation
au sein des chambres devant lesquelles la représentation n’est pas
obligatoire en permettant aux avocats de procéder à des transmissions
dématérialisées via e-barreau. Cette phase expérimentale ouverte
depuis le 18 mai 2010 associe quelques cabinets d’avocats des
barreaux de Paris et du ressort spécialisés en droit social, le greffe social
central, le service de la distribution et les chambres sociales. Les avoués
sont bien évidemment invités à cette expérimentation qui profite de leur
incomparable expérience. Les protocoles de communication électronique
seront régularisés sous peu.
Je tiens à ajouter que les améliorations passent aussi par la volonté
commune de promouvoir le principe de concentration des écritures
auquel je suis particulièrement attaché. Il n’est évidemment pas question
de rechercher une justice expéditive et bâclée mais au contraire de
tendre vers une justice plus loyale en contraignant d’emblée à exposer
tous les tenants et aboutissants du procès. Ce principe de loyauté sera
encore favorisé par la structure des écritures qui s’imposera dans le
cadre de la future procédure civile européenne. Je sais pouvoir compter
sur le dynamisme des avocats afin que notre cour continue d’être un
modèle d’excellence.
32
La profession d’avoué est susceptible de disparaître.
Est-ce une difficulté pour la cour ?
La dernière rédaction du projet de loi précise que la fusion avocats/
avoués n’entrera en application qu’à compter du 1er janvier 2012. Les
avoués devraient donc garder le monopole de la postulation jusqu’à cette
date. Les difficultés tenant à leur suppression sont à mon sens de deux
ordres. Une perte potentielle d’efficacité. Leur intervention introduit de
la lisibilité dans les procédures parfois très complexes et représente un
véritable gain pour les magistrats tandis que les échanges sont facilités
par leur petit nombre. Les difficultés sont aussi techniques. Dans un
processus général de modernisation des échanges, les avoués parisiens
transmettent à la cour de Paris de façon dématérialisée leurs déclarations
d’appel et les constitutions d’intimés dans le cadre d’une convention
nationale. En contrepartie, ils accèdent à certaines
données du greffe. Les réformes en cours ont abouti à
la régularisation d’une convention nationale soumise
à la signature du Conseil national des barreaux et à
celle de la Chancellerie le 16 juin 2010. Les avocats
peuvent d’ores et déjà saisir électroniquement la cour
d’appel et procéder à la mise en état dans toutes
les procédures sans représentation obligatoire. Les
avoués peuvent continuer à échanger via leur réseau
mais leur convention nationale ne sera pas reconduite
très longtemps. Jusqu’à leur suppression, ils ont intérêt
à communiquer via e-barreau, seul réseau qui sera
autorisé pour toutes les procédures civiles. Dans cette
mesure et grâce à une parfaite collaboration entre
tous les acteurs, magistrats et greffe, Chancellerie,
CNB et chambre parisienne des avoués, ces derniers
sont activement associés à l’évolution du système
e-barreau.
Les services de la cour mettent tout en œuvre pour
que le basculement en 2011 soit le moins pénalisant
possible pour les justiciables. Je ne doute pas que
cette concertation permettra une transition dans
les meilleures conditions possibles. Cela dit, je reste
convaincu que la disparition programmée des avoués
devrait être subordonnée à la dématérialisation
préalable de l’ensemble des procédures civiles. Nous
sommes loin du compte. Je crains que certaines cours
ne disposent pas des matériels et des personnels
suffisants pour être en mesure, d’une part, de
communiquer avec la communauté des avocats
tellement plus nombreuse que celle des avoués,
d’autre part, de traiter le contentieux à partir des
pièces dématérialisées. Le monde judiciaire vit une
révolution culturelle. Il faudra encore un peu de temps
pour en intégrer toutes les conséquences.
Interview de M. Jacques Degrandi
Comment décririez-vous la profession d’avocat de
demain ? Qu’attendent les magistrats des jeunes
avocats ?
Je pense que la communication électronique et la dématérialisation
des procédures comme le travail partagé que permettent désormais
les techniques informatiques vont transformer la profession d’avocat.
Les déplacements et les pertes de temps seront moins nombreux, le
travail de cabinet plus intense. En matière civile, la procédure écrite
et les nouvelles technologies amoindriront encore l’importance de la
plaidoirie. Le principe de concentration des demandes, des moyens, des
preuves, qui prévaudra tôt ou tard, imposera à l’avocat du demandeur,
hors cas d’urgence, de mettre en état la procédure avant l’exploit
introductif d’instance. La défense devra disposer d’un délai suffisant pour
en faire de même. Les délais avant jugement seront nécessairement
raccourcis. Le succès de l’acte d’avocat, s’il est au rendez-vous, accroîtra
sensiblement la fonction de rédacteur attachée à la profession. La
future procédure participative de négociation assistée par avocat, bien
comprise et intégrée par la profession, lui confèrera un rôle important
de régulateur des conflits sociaux. Son adhésion aux procédures de
médiation aboutira au même résultat. Au-delà, ainsi que je l’ai suggéré à
la mission Darrois, je souhaite voir redéfinir le périmètre de la constitution
d’avocat. La constitution obligatoire ne serait plus déterminée par la
catégorie de la juridiction mais par la nature ou le quantum de la
demande. Elle serait étendue à toutes les formations juridictionnelles,
au premier comme au second degré de juridiction. Cela conduirait
les avocats à intervenir nécessairement, selon le seuil ou la matière,
devant le tribunal de commerce, le conseil de prud’hommes ou toute
photo : Florent Cardinaud
33
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Interview de M. Jacques Degrandi,
Premier président de la Cour d’appel de Paris
autre juridiction. De même, la constitution devant les administrations
deviendrait possible en toute matière, l’avocat étant investi du pouvoir
de représenter ou simplement de celui d’assister l’administré qui le
souhaite sans que l’administration ne puisse s’y opposer. Je souhaite par
ailleurs voir promouvoir pour les avocats, le statut de magistrat associé
ainsi que l’a préconisé le recteur Guinchard pour les professeurs de
l’enseignement supérieur. Actuellement, les avocats peuvent compléter
la formation collégiale du tribunal de grande instance et de la cour
d’appel en application des articles L. 212-4 et L. 312-3 du Code de
l’organisation judiciaire. Mais, d’une part, cette suppléance est ponctuelle
et décidée par le président d’audience. D’autre part, elle n’est pas
rémunérée. Il serait judicieux à mon sens de limiter le plus possible les
formations à juge unique au tribunal de grande instance et de codifier
de manière corollaire la faculté pour les chefs de cour et de juridiction de
compléter les audiences collégiales par des avocats magistrats associés
moyennant le règlement de vacations horaires. Outre que ce serait un
nouveau facteur de rapprochement des professions, de telles dispositions
permettraient de faire face à la restriction des moyens humains des
juridictions et, par le biais d’une collégialité restaurée, d’améliorer encore
la qualité de la justice.
Avec les organes compétents de notre profession,
vous vous êtes battu pour que les PPI soient encore
rémunérés jusqu’en fin de 2010 ; espérez vous que la
stabilité de cette rémunération soit retrouvée pour
2011 et la suite ?
Les perspectives budgétaires concernant le fonctionnement des
juridictions m’incitent à la plus grande prudence. Si nous ne pouvions
dégager les sommes nécessaires à la gratification réglementaire des
élèves avocats, j’en serai tout à fait et très sincèrement désolé. Je suis
profondément convaincu que le stage de six mois des auditeurs de justice
dans des cabinets d’avocats comme la réalisation du projet pédagogique
individuel des élèves avocats en juridiction sont des facteurs puissants
de rapprochement des deux professions. Les futurs magistrats sont mis
en mesure d’appréhender les grandeurs et les difficultés de la défense
ainsi que de l’exercice d’une profession libérale. Ils ne regardent plus les
avocats de la même manière après avoir partagé leur vie professionnelle
pendant quelques mois. Les élèves avocats touchent quant à eux du
doigt les attentes des juges, leurs problèmes, les pratiques qu’ils devront
éviter dans l’exercice de leur futur métier pour être plus efficaces. Il
faut sauver ces échanges mais la solution, que je vais rechercher avec
le bâtonnier et le directeur de l’Ecole de formation du barreau de Paris,
n’est pas évidente.
34
LE PÔLE 5 : VIE ÉCONOMIQUE
Le pôle numéro 5
Le pôle « Vie de l’entreprise,
économie, finances », que
j’anime avec l’assistance du
Conseiller Loos, regroupe
onze chambres civiles ou
commerciales
et
deux
chambres pénales, soit une
quarantaine de magistrats du
siège et autant de fonctionnaires de greffe, pour un stock
de huit à neuf mille dossiers
en cours. Il présente deux
particularités, outre sa taille :
Thierry Fossier
les chambres à compétence
nationale ou interrégionale qui
caractérisent la Cour de Paris font presque toutes partie de ce
pôle ; et c’est naturellement dans ce pôle que le droit européen
trouve à s’appliquer le plus souvent. Il s’ajoute que « de facto »,
en raison de la densité de sièges sociaux qui caractérise Paris, ce
pôle assume une part importante du contentieux d’affaires du
territoire national. Naturellement, les usagers de la justice dans
ce domaine ont des attentes bien connues : la rapidité de la mise
en état, la collégialité très poussée, la précision des arrêts. Les
magistrats qui y sont affectés l’ont très généralement voulu et
reçoivent une formation en droit économique et en sciences
économiques tout au long de leur présence dans ce pôle.
Interview de M. Jacques Degrandi
naturellement à la disposition des organes de la profession
d’avocats pour mener à bien ce type de projet. Le pôle a par
exemple joué un rôle important dans l’organisation du colloque
de 2009 sur la crise, dans la mise en place de la réforme de la
procédure d’appel cette année, etc.
La chambre 5-7
Je ne résiste pas à l’envie de vous dire un mot d’une entité en
partie originale au sein du pôle, et dont la compétence est à la
fois nationale et communautaire : la chambre de la Régulation.
Cette juridiction a été restructurée voici deux ans, en forme
de « chambre » classique. Elle examine les recours engagés
contre les décisions du ministère de l’économie et des finances
(à savoir les services fiscaux et douaniers), et d’institutions
historiquement dérivées de ce ministère que sont les
autorités de régulation économique et de sanctions : Autorités des
marchés financiers, de la concurrence et sectorielles
(télécommunications, énergie, activités ferroviaires, Internet, jeux
en ligne). L’œuvre juridictionnelle de cette chambre démultiplie
toutes les caractéristiques du pôle dans son ensemble : complexité, relative urgence, ouverture aux sciences humaines, et pour le
président de la chambre liens forts avec de multiples instances
extérieures. Notre travail poursuit en outre un but particulier :
l’introduction des droits de la défense dans des procédures
administratives qui n’y sont, dans leur phase préjudiciaire, que
partiellement soumises. Ces activités intellectuellement exaltantes
se développent aussi dans un contexte politico-administratif très
prégnant.
Le nouveau palais de justice semble enfin entrer dans le
domaine des certitudes ; en quoi la cour d’appel, ou son
premier président, sont-ils concernés par ce chantier ?
Les chefs de cour sont comme les chefs de juridiction, membres du
conseil d’administration de l’établissement public du Palais de justice de
Paris. Ils sont donc appelés à participer aux décisions essentielles qui vont
déboucher sur la définition du projet et le choix entre les propositions qui
seront faites par les partenaires privés. Ils seront ultérieurement appelés
à suivre la construction jusqu’à la remise des clés de l’établissement. Audelà, ils auront des décisions à prendre en leur qualité de responsable
du budget opérationnel de programme de la cour et d’ordonnateurs
secondaires des dépenses. Mais plus encore, le futur déménagement
du tribunal de grande instance conduira à redistribuer les surfaces
judiciaires utiles du site historique sur l’île de la Cité. Il leur donnera
la possibilité d’attribuer des bureaux aux magistrats et fonctionnaires
qui n’en disposent pas ou sont répartis dans d’autres bâtiments loués.
Ils superviseront aussi l’accueil des juridictions ou des services qui
intégreront les lieux compte tenu de l’importance des surfaces qui seront
libérées, dont une partie de celles actuellement occupées par la police
judiciaire au 34, quai des Orfèvres. Le futur chantier fait donc d’ores et
déjà partie des préoccupations des chefs de cour.
Propos recueillis par
Mathilde Saltiel - Promotion Jacques Attali – Série G
& Claire Tordjman - Promotion Jacques Attali - Série G
L’avocat
L’animateur
Le rôle de l’animateur, décrit par le Premier président dans
l’interview qu’il vous a accordée, prend une dimension spécifique
dans ce pôle. Je ne dois pas faire la leçon à mes collègues, dont
l’expérience en droit des affaires est affirmée et dont beaucoup
ont une vraie notoriété à l’extérieur de la cour d’appel. De
toute façon, la vie judiciaire n’est pas pyramidale comme la vie
politique ou administrative : un animateur doit épouser la
diversité, rechercher l’harmonie, il ne commande pas. Mais en
même temps, la première présidence a des attentes fortes
à l’égard des chambres du pôle économique et financier.
Notamment, il est essentiel, pour que le droit économique joue son
rôle régulateur, que les divergences éventuelles d’interprétation de
la loi soient repérées et si possible aplanies. Et puis les occasions sont
nombreuses pour moi et Monsieur Loos d’organiser des actions de
coordination, d’information, de formation, en interne ou en lien avec
le Barreau, avec l’Ecole de la magistrature, avec l’Université. Je suis
Dans cette chambre, et dans le pôle en général, il est essentiel que
nous ayons affaire à des avocats hautement spécialisés, aussi bons
juristes qu’économistes, et je ne peux qu’abonder dans le sens
de ce que vient de vous dire le Premier président Degrandi : la
plaidoirie est utile, à condition du moins qu’elle soit
interactive, mais la préparation d’un très bon dossier, approfondi dès
l’introduction du recours, et de très bonnes conclusions est ce qui
convainc les magistrats et ce sur quoi ils travaillent. Il faut aussi que
nous ayons de bonnes équipes de documentalistes, d’assistants et
de stagiaires de très haut niveau. C’est vous dire combien nous
espérons accueillir des élèves de l’EFB à l’avenir, comme nous
l’avons fait dans de larges proportions dans le passé.
Thierry Fossier - Animateur du pôle 5 de la Cour d’appel de Paris Présient de la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris
35
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Maître Eolas en vingt questions
Juriste iconoclaste,
Maître Eolas sait
rendre sexy cette
matière
juridique
qui nous paraît parfois vieille et austère.
Son blog est désormais une référence
incontournable, dépassant largement le
microcosme des professionnels du droit
et les frontières de
l’Hexagone.
Anonymement entré dans la sphère publique,
il est régulièrement interviewé dans la presse
écrite, à la radio et vient de faire l’actualité
pour son « tweetclash » avec Pascal Nègre
sur Twitter. Il a néanmoins pris le temps de
répondre aux questions du Baromaître avec cet
humour dont beaucoup sont déjà coutumiers.
?
NAISSANCE
1/ Sans vouloir donner trop d’indications, ni dévoiler
votre anonymat, quelles études avez-vous suivies et
avez-vous toujours voulu être avocat ?
Mon cursus est tout à fait ordinaire. M2 de droit privé, à une époque où
cela s’appelait un DEA. Puis l’examen d’accès au CRFPA. Pas de double
cursus : j’avais une vie sexuelle à la fac.
2/ Pourquoi avoir créé votre blog, le « Journal d’un
avocat », en 2004 ?
J’ai découvert les blogs courant 2003, à l’époque où le phénomène
est arrivé en France. J’ai naturellement commencé à commenter sous
les billets, et mes commentaires se sont faits de plus en plus longs, et
appelaient des demandes de précisions d’autres lecteurs, très intéressés
par les questions juridiques. Immanquablement, l’hôte des lieux finissait
par me faire remarquer que je devrais ouvrir le mien, sans que je susse
s’il s’agissait d’un encouragement admiratif ou d’une invitation à cesser
de lui voler la vedette.
Le déclic a eu lieu en 2004, quand deux lois sont venues simultanément
36
Maître Eolas en vingt questions
devant le Parlement. L’une, la future LCEN, déchaînait les passions
sur Internet, alors que son contenu était plutôt anodin, et même très
protecteur des blogs amateurs. L’autre, la future loi Perben II, enflammait
la profession d’avocat, mais laissait l’opinion publique indifférente.
J’ai donc réalisé que l’information juridique répondait à un véritable
besoin et non à une simple curiosité. Et que ce besoin n’était pas
satisfait par des articles de presse parfois approximatifs, tant il est
difficile de parler du droit et de la justice quand on n’en connaît pas
les mécanismes.
Pour rédiger un billet, je me suis fixé une règle simple. Quand je me suis
inscrit en fac de droit, je suis allé faire un tour à la Bibliothèque, j’ai pris
un code civil, l’ai ouvert au hasard et ai lu. Et j’ai été pris de panique. Je
comprenais les mots séparément, mais mis côte à côte, ils ne voulaient
plus rien dire. Je me suis dit que je n’y arriverais jamais et que j’avais fait
une erreur en choisissant cette voie. Quand j’écris un billet, je l’écris pour
ce moi de 18 ans, désespéré dans cette bibliothèque déserte. Je veux le
rassurer, et pour cela, il faut qu’il comprenne ce que j’écris.
Nous sommes la somme de nos traumatismes d’enfance, disait Freud
quand il avait trop bu.
3/ Pour nous qui découvrons les horaires chargés de
ce métier, une question se pose : comment faites-vous
pour prendre le temps d’écrire aussi régulièrement ?
Auriez-vous le don d’ubiquité ?
C’est LA question à laquelle je
n’échappe jamais. La réponse est
toujours la même : plutôt que de
perdre du temps à me demander
« Il faudrait que je
où je trouverai le temps d’écrire
teste une année être
un billet, je l’écris. Ne fumant pas,
chargé de TD en
j’économise déjà le temps perdu
droit pénal »
à pétuner (oui, ça existe, à vos
dictionnaires) dans la rue. Je n’ai
pas de maîtresse, ça me libère mes
fins d’après midi. Je me prends une pause à l’heure du déjeuner, et je
la passe à rédiger. Enfin, le goût immodéré des chaînes de télévision
pour la télé-réalité, les variétés sans variété et les séries mal doublées
me libère mes soirées. L’un dans l’autre, j’arrive à consacrer 2 heures
par jour à ce blog, tout en restant un époux attentionné et un père
exemplaire. Ça n’a rien d’un exploit.
4/ Comment avez-vous été amené à ouvrir votre blog
à d’autres contributeurs, tels Aliocha ou Gascogne ?
Vérifiez-vous leurs écrits avant publication ?
J’ai remarqué leurs commentaires, révélant à la fois un vrai style, de
l’esprit, ce qui est indispensable pour me séduire, et une absence de
peur de descendre dans l’arène, se frotter aux débats en ligne qui
peuvent parfois être vifs. Dans ce cas, plutôt que de se draper dans leur
dignité outragée, ils paraient et ripostaient avec une habileté de fins
bretteurs. Un jour que je guettais leurs commentaires, je me suis dit que
ce serait encore mieux de guetter leurs billets.
Je ne vérifie jamais leurs écrits avant. Ils ont les clefs, ils rédigent et
publient eux-mêmes.
ENGAGEMENT
5/ Votre blog est-il pour vous une façon d’agir et
d’influencer en dehors de l’enceinte confinée des
prétoires, afin de retrouver le rôle historiquement
« politique » de l’avocat ?
Non. Désolé pour votre question, joliment rédigée, mais non, absolument
pas. L’influence sur Internet est quasi nulle. J’en veux pour preuve que la
seule fois où je me suis ouvertement engagé dans un combat politique,
c’était en faveur du oui ou référendum de 2005. Avec le succès que
l’on sait. On ne vient pas me lire comme maître à penser. Beaucoup
de mes lecteurs ne sont pas d’accord avec moi, et je tire une vraie
fierté de leur lectorat, car c’est un beau compliment que l’on fait à
son adversaire. Même si je n’ai rien contre les lecteurs, et surtout les
lectrices, convaincues par mes propos et épousant mes idées.
Mon seul capital, c’est la confiance que me témoignent mes lecteurs.
Ce que je dis s’appuie sur des sources dont je donne les liens, et si on
me signale une erreur, elle est toujours commise de bonne foi et je
m’efforce de la corriger.
Ma capacité d’influence se mesure à “l’effet Eolas” : quand je signale
un lien intéressant, c’est plusieurs centaines à plusieurs milliers de
visiteurs qui s’y rendent dans l’heure suivante (il arrive que des sites
plantent parce que je les ai signalés !).
C’est déjà beaucoup. Mais ça ne va pas plus loin. Et ça me va très bien,
tout compte fait. J’aime trop l’esprit critique pour me plaindre d’en être
entouré.
sa décision HADOPI (Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009).
C’est assez loin de la République des avocats, puisqu’il n’y a pas
prédominance de cette profession par sa maîtrise du Verbe. Chacun
apporte son expertise sur la question qu’il connaît. Il y a des blogs
d’économistes passionnants, qui apportent leur éclairage sur telle affaire
ou tel débat sur lequel le juriste n’a rien à dire : le débat sur les retraites,
aussi intéressant soit-il, n’est pas juridique.
En fait, la république des blogs est la vraie république, chacun débattant
sur un pied d’égalité, et seul le mérite distinguant les meilleurs, exception
faite de votre serviteur, dont le succès inexplicable ne peut être dû qu’à
la chance.
7/ Quelles sont les réactions ordinales vis-à-vis de votre
blog ? Ne vous a-t-on jamais fait de reproches d’ordre
déontologique ?
L’Ordre ne m’a jamais fait la moindre remarque sur mon blog, hormis
un bâtonnier qui, ayant appris qui j’étais, m’a très chaudement félicité
à titre personnel. Et ce dès le début : on ne peut affirmer que c’est à
cause de mon succès. L’Ordre est beaucoup, beaucoup moins frileux
qu’on ne le croit.
Il faut dire que dès son ouverture, j’ai indiqué que ce blog n’était pas
un site de cabinet d’avocat (d’où mon pseudonyme et mon refus de
répondre à des demandes de consultation juridique), mais que je n’en
respecterais pas moins la déontologie de ma profession, notamment en
m’abstenant de parler de mes dossiers personnels.
Ce choix, auquel je me suis toujours tenu, a semble-t-il satisfait l’Ordre,
et je crois qu’il s’en félicite même tant je pense que mon blog a rejailli
positivement sur l’image de la profession, en aidant à briser quelques
clichés pourtant solides.
8/ L’écriture de votre blog a-t-elle une influence sur
votre façon d’exercer votre métier d’avocat ?
Non, j’espère que c’est même le contraire. Même si j’ai forcément
beaucoup appris des échanges qui ont lieu avec les lecteurs en
commentaires, tout particulièrement les magistrats.
6/ La république des blogs est-elle une résurgence de la
République des avocats si chère à Berryer ?
Désolé de répondre par la négative à chaque fois que vous faites une
perspective historique, mais les blogs, et au-delà les réseaux sociaux,
sont un phénomène qui dépasse de loin la profession d’avocat, qui ne
fut ni la première à utiliser ce support, ni la plus nombreuse à l’utiliser.
Les informaticiens sont surreprésentés, vous vous en doutez.
L’Internet est devenu un nouvel espace d’expression, une nouvelle agora,
et c’est formidable. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs consacré dans
« En fait, la république
des blogs est la vraie
république, chacun
débattant sur un pied
d’égalité »
37
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Maître Eolas en vingt questions
9/ Pensez-vous que l’avocat peut avoir une fonction
sociale ? Êtes-vous favorable à l’idée d’une « class
action » à la française ?
Je me méfie de ces expressions à tiroir où on peut mettre tant
de chose. L’avocat, une fonction sociale ? Je ne suis même pas sûr
que nous comprendrions cette expression de la même façon.
L’avocat a essentiellement une fonction juridique et judiciaire.
Ce qui implique un rôle social par ricochet. Après, chacun vit
son métier de la façon dont il l’entend et de manière à lui donner
le plus de substance possible, en fonction de sa conception.
De même que je me méfie de
l’expression « à la française ».
Généralement, quand on l’accole à
quelque chose, c’est de la même
façon que les chinois accolent
« à la chinoise » aux mots « droits de
l’homme » : garde à vue à la française,
par exemple. La class action, ou
action de groupe, existe en droit
américain et est bien connue et
encadrée. S’il faut l’importer en
droit français, prenons-la telle
quelle, sans vouloir l’adapter, ce qui
immanquablement la viderait de sa
substance et la priverait de tout intérêt.
Elle présente un intérêt réel à chaque
fois qu’un acteur commercial a
causé un préjudice minime, quelques
dizaines d’euros, à un grand nombre
de consommateurs. Seule une action
de groupe permet de réparer ce
préjudice dans son intégralité, qui est
la seule sanction dissuasive. Je n’aurais
rien contre, étant précisé que vu mon
domaine d’activité, je n’aurais rien à y
gagner.
Maître Eolas en vingt questions
un havre. Tout le monde est content. Je n’ai jamais eu la prétention
ni l’illusion d’influencer durablement et en masse mes concitoyens.
Simplement, ceux qui, au-delà de la colère et de l’indignation, veulent
comprendre trouveront les clefs sur mon blog. Je ne puis faire mieux. Au
moins, il y a un endroit où elles se trouvent.
« J’aime trop l’esprit
critique pour me
plaindre d’en être
entouré »
11/ Est-il possible de concilier l’humanité du
commentateur et le rigorisme juridique de l’avocat ?
LA rANÇON DU SUCCÈS
12/ Vous attendiez-vous à un
tel succès ? Comment le gérer ?
Comment gardez-vous la tête
froide ?
Non, je ne m’y attendais pas. Je croyais
plafonner à 300 habitués, ce qui me
paraissait déjà ingérable. J’en suis à plus
de 20 000.
Comment le gérer ? La question ne se
pose pas. Je peux moins interagir en
commentaires, forcément. Mais par une
étrange alchimie, les commentaires sont
de qualité et ne dégénèrent presque
jamais. Il y a une volonté d’échanger, de
confronter les points de vue, et même
si la controverse peut être rude, je n’ai
presque jamais à intervenir.
Quant à garder la tête froide, il faudrait
d’abord qu’elle chauffât. Mon anonymat
y pourvoit. Quand je vais plaider, je suis
traité comme un avocat parisien ordinaire. Les magistrats font semblant
de m’écouter, les prévenus se croient meilleurs juristes que moi, mes
confrères me faxent leurs pièces le lendemain de l’audience et personne
ne m’adresse la parole dans les couloirs sauf pour me demander son
chemin. C’est une cure quotidienne de modestie.
16/ Informer tous, n’est ce pas ne défendre personne ?
Et n’informer personne, serait-ce défendre tout le monde ?
17/ Peut-on mettre un vent à Eolas ?
J’essaye depuis 6 ans, en tout cas.
MINISTÈRE
DES BLOGS,
DU TWIT
ET DU TEMPS
QUI PASSE
10/ Comment jugez-vous la portée concrète et réelle
de votre engagement pour ce qu’on pourrait appeler
d’une façon générale les « libertés publiques », alors
que toute cette construction intellectuelle peut être
balayée d’un revers de main dans l’opinion publique à
chaque affaire de violeur multi-récidiviste ?
QUELQUES QUESTIONS « fAÇON
BErrYEr »
13/ En plus d’être un des blogueurs les plus lus de France,
vous êtes désormais un des français les plus actifs et les
plus suivis sur Twitter, avec près de 20 000 « followers
» pour bientôt 10 000 tweets postés ! Comment gérezvous ce nouvel outil et qu’en attendez-vous ?
Comme mon blog, du plaisir. Twitter est un bon complément du blog. Il
m’oblige à la concision, ce qui n’est pas mon fort dans mes billets. C’est
un format parfaitement adapté à l’Internet mobile (il m’arrive de tweeter
des audiences en direct). Son instantanéité permet de faire passer très
vite des infos urgentes, développées dans un billet qui forcément prendra
du temps.
14/ Il est bien dommage de décerner un prix sans
remettre de trophée… A quand une remise officielle de
prix Busiris ?
C’est prévu. Je travaille sur un site dédié et l’Académie s’est doté d’un
superbe blason. Je compte à l’avenir imprimer un diplôme et l’envoyer au
récipiendaire avec mes compliments.
LE PLUS BEAU MÉTIEr DU MONDE
Non, car Eolas est du gaélique irlandais, et n’a rien à voir avec le Dieu
grec. Cela veut dire “connaissance, information”.
18/ Sommes-nous vraiment « ego » en droit ?
Ego en droit, c’est la définition même de l’avocat.
19/ A force d’avertir vos concitoyens, ne craignez vous
pas que vos « hé ho » lassent ?
Ce jour là, je publierai mes billets dans l’Almanach Vermot.
QUESTION INDISCrÈTE
20/ Votre plume fait l’unanimité. Pour suivre la voie
d’Eolas, quel livre faut-il avoir sur sa table de chevet ?
Celui que je devrais bientôt publier, bien sûr.
Propos recueillis par
Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – Série M
& Hadrien Pellet – Promotion Jacques Attali – Série J
15/ Vos billets sont d’une pédagogie et d’une clarté
remarquable, avez-vous déjà enseigné ? Cela pourraitil vous intéresser ?
Merci. J’ai peu touché à l’enseignement, mais oui, je crois que l’expérience
m’intéresserait. Il faudrait que je teste une année être chargé de TD en
droit pénal, ou en procédure pénale et civile.
Vous savez ce que de Moro Giafferi disait de l’opinion publique. Elle n’est
pas plus à sa place sur mon blog que dans le prétoire. Je m’adresse à
l’intelligence de mes lecteurs. Ceux qui veulent juste cracher leur haine
médiocre ont les commentaires de la presse en ligne qui leur proposent
38
39
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Entretien avec Maître Jean-Denis Bredin
Entretien avec Maître Bredin
Afin
d’introduire
vos
propos,
pourriez-vous
s’il vous plaît nous dire
comment vous voyez votre
fonction de parrain ?
professeurs passionnants. Alors, j’ai fait plus de droit que de lettres. Et
j’ai continué en droit.
Je ne peux pas répondre
précisément à votre question. Je la
vois comme un lien professionnel
d’abord, confraternel et amical
ensuite, mais je ne sais pas bien ce
qu’est la fonction de parrain.
Oui, je suis resté fidèle à l’idée que les « lettres », comme on disait alors,
sont importantes dans la vie, et dans la vie de beaucoup de juristes. J’ai
été Professeur à Rennes pendant quinze ans, ensuite à Lille, à Dauphine,
puis à Paris I. J’ai fait mon droit parce que les professeurs m’ont fasciné.
Y a-t-il des obligations qui
vous sont imposées ?
En 1983, vous avez été l’auteur de « L’Affaire ». Ce livre
traite de l’affaire Dreyfus. Avez-vous voulu prendre
l’habit de l’historien ou plutôt celui de l’avocat engagé
pour le rédiger ?
L’Ordre, les représentants de l’Ordre
ne m’ont pas fait état d’obligations,
s’il y en a. Faire un grand gâteau
pour le dernier jour ? Je ne sais pas
ce que ce peut être. Cela m’a fait
grand plaisir, mais je ne sais pas
bien ce que cela recouvre.
De l’historien. Très vite, je m’y suis beaucoup intéressé. Je vis un peu avec
lui (Ndlr. en nous indiquant deux de ses tableaux dans son bureau).
Je vous montre l’avocat de Dreyfus lors du procès de Rennes, qui pleure
sous les pieds du Christ - car la justice militaire était encore rendue sous
les pieds du Christ en croix. Il pleure parce qu’il a échoué. Vous voyez
aussi Dreyfus qui sort entre deux rangs de militaires qui lui tournent le
dos, après qu’il eut été injustement condamné.
C’est à nous, élèvesavocats, de vous faire
intervenir ?
Le 15 juin 1989, vous êtes entré à l’Académie française
et vous êtes devenu un immortel pour occuper le
fauteuil n°3, celui qu’ont occupé avant vous Marguerite
Yourcenar et Georges Clemenceau. Qu’avez-vous
ressenti ?
C’est à vous si vous le souhaitez ; il
est vrai que je suis de nature peu
bavarde et timide. Ce qui n’est pas
bon pour être avocat (rires).
Parrain de la promotion 2009-2010, Jean-Denis
Bredin est l’un des membres fondateurs du
cabinet Bredin Prat. Membre de l’Académie
française, ancien professeur de droit privé,
professeur émérite à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne, il est également un auteur
consacré. En toute simplicité, il a accepté de
nous recevoir dans son bureau le 12 juin 2009
pour nous faire part de son rôle de parrain, de
son parcours et de sa vision de la profession
d’avocat.
40
Et vous avez continué à écrire…
Un de vos premiers ouvrages publié chez LGDJ était
« L’entreprise publique et semi-publique et le
droit privé ». En quoi les réflexions que vous avez pu
avoir à l’époque peuvent servir de réflexion encore
aujourd’hui ?
C’était ma thèse ! J’avais pour Président de thèse le Professeur Solus qui
était un homme très compétent et aimable, mais qui était spécialiste
de procédure. Et il m’avait dit : « Pas de procédure, non, non ! Vous
allez faire votre thèse sur l’entreprise publique. C’est un sujet
passionnant. C’est un sujet d’époque ». En fait j’avais fait droit
et lettres ne sachant pas si j’allais devenir Professeur de Lettres ou
Professeur de Droit. Mais en lettres, à la Sorbonne, j’ai regret à le
dire, j’ai eu quelques professeurs ennuyeux. A l’époque, à la Faculté
de Droit - Paris I n’était pas distinct de Paris II - j’ai entendu des
A vrai dire, je suis allé dans cette prestigieuse maison un peu contraint,
même si on n’est jamais contraint lorsqu’on reçoit des honneurs, parce
qu’un certain nombre de bâtonniers et d’amis m’y ont conduit, car il y
avait toujours, de tradition, un ou deux avocats à l’Académie. J’y suis allé
par surcroît fort intéressé par l’idée que si j’étais élu, je succèderais à
Marguerite Yourcenar dont l’œuvre m’avait passionné.
Aujourd’hui, nombreux sont les jeunes élèves-avocats
et les avocats qui ne voient leur carrière qu’à travers
le droit des affaires et qui, quand on leur évoque
de s’investir dans des causes, répondent qu’ils sont
avocats d’affaires et que cela n’est pas leur travail.
Affaire Seznec
Le 25 mai 1923, Pierre Q.,
conseiller général du Finistère
et Guillaume Seznec devaient
se rendre à Paris afin d’y
traiter une affaire d’achat
et de revente de véhicules
d’occasion américains.
Pierre Q. avait annoncé à ses proches qu’il serait de retour,
au plus tard, le 28 mai 1923. Il ne réapparaîtra jamais à son
domicile.
Guillaume Seznec regagna quant à lui Morlaix dans la nuit du
27 au 28 mai 1923.
Principal suspect à cause de la découverte, le 20 juin 1923, de
la valise de Pierre Q. dans laquelle se trouvait une promesse
de vente d’un immeuble situé à Plourivo au bénéfice de
Guillaume Seznec et à un prix inférieur au marché, la cour
d’assises du Finistère le condamna le 4 novembre 1924 à la
peine de travaux forcés à perpétuité. Libéré finalement le 14
mai 1947, il décède le 13 février 1954.
Ayant toujours clamé son innocence, plusieurs demandes
de révision de sa condamnation ont été présentées depuis
les années 1920 par la famille Seznec et elles ont été le plus
souvent rejetées.
Toutefois, pour la quatorzième demande, la Commission de
révision des condamnations pénales a indiqué le 11 avril 2005
qu’il y avait lieu de saisir la Cour de révision.
Cependant, le 14 décembre 2006, cette Cour de révision a
finalement considéré que la requête en révision ne pouvait
être admise et elle l’a rejetée. Le volet judiciaire était alors
définitivement clos.
Jean-Denis Bredin était l’un des deux avocats du petit-fils
de Guillaume Seznec.Ému par cette affaire, Robert Hossein
présenta au théâtre de Paris, de janvier à avril 2010, « l’affaire
Seznec ». Dans cette pièce de théâtre interactive, le public était
invité à donner son avis sur l’enquête1...
Cela peut se comprendre. Quand j’ai prêté serment, on ne disait pas
avocat d’affaires, on disait « civiliste ». Robert Badinter, avec qui j’ai
fondé ce cabinet, faisait du pénal. Il était appelé un
« pénaliste ». Je n’en faisais pas du tout. J’ai plaidé quelques fois
devant des juridictions pénales, mais rarement. Il me semblait alors que
1. Pour aller plus loin : Commission de révision des condamnations pénale, 11 avril 2005 : 01 REV 065 ; Crim., 14 décembre 2006, n°05-82943.
41
LA VIE DU BARREAU
LA VIE DU BARREAU
Entretien avec Maître Jean-Denis Bredin
Rencontre avec Jacques Attali
l’avocat, qu’il soit civiliste ou pénaliste, pouvait être intéressé de la même
manière par des injustices et par son rôle d’avocat dans la société.
Pour vous qui avez été Premier Secrétaire de la
Conférence, quelle est la place de l’éloquence dans le
procès ?
Dans l’affaire Seznec vous avez pris une part très
importante. C’est contre l’injustice que vous vouliez
vous battre? C’est ce sentiment que vous avez toujours
honoré ?
Je crois beaucoup à la place de l’éloquence, mais non pas à une
éloquence figée, conventionnelle. Quelqu’un qui explique très simplement
les faits d’une affaire en cinq minutes est éloquent. L’éloquence a des
formes multiples. Et l’éloquence peut être tout à fait simple. Ce n’est
pas la grande éloquence que l’on peut encore regarder à la Bibliothèque
des avocats. Au premier étage, il y a un portrait de Fernand Labori, que
l’on voit avec un bras levé, au-dessus de la tête, le torse dressé. Il figure
une image de l’éloquence qui serait caricaturale aujourd’hui. L’éloquence
peut être toute simple. Alors Premier Président de la Cour de Cassation,
Pierre Bellet me disait : « la meilleure éloquence est celle qui ne se voit
pas ».
Oui, c’est un sentiment que j’ai toujours honoré. C’est pour cela que
j’ai essayé d’être avocat, de réduire un peu le rôle de l’injustice. Ainsi,
dans l’affaire Seznec, où nous avons échoué d’ailleurs, après d’autres
qui avaient également échoué, j’espérais bien que nous arriverions à
ouvrir la procédure de révision. J’ai compris que la Chambre criminelle
avait une tendance, sans doute légitime, à réduire autant que possible
le champ des révisions ordonnées, pour ne pas être encombrée d’une
multitude d’affaires.
Quels sont les avocats qui vous ont marqué ?
Vous avez beaucoup écrit et vous vous êtes engagé dans
de nombreuses d’affaires, qu’est ce qui vous a poussé à
devenir avocat ?
D’abord, j’avais des avocats dans ma famille. Cela m’a poussé un peu
vers la profession, mais cela aurait pu aussi m’en éloigner. Le droit m’a
beaucoup intéressé et, du droit, on passe volontiers à la profession
d’avocat. Et puis, comme je vous l’ai dit, à la Faculté de Droit, les
professeurs que j’ai connus étaient remarquables. Du métier d’avocat on
disait une « très belle profession », un admirable « sacerdoce ». Je crois
que l’on a tendance maintenant à en exagérer les difficultés. La difficulté
était de gagner sa vie, mais cela a toujours été.
Selon vous, quelles sont les qualités requises pour être
un avocat ?
Il y avait des civilistes qui plaidaient admirablement des causes civiles
comme le Bâtonnier Chresteil. Il y avait aussi de grands pénalistes
comme Maurice Garçon. Quand Maurice Garçon plaidait bien, il plaidait
admirablement.
C’est la crise, les élèves-avocats ont très peur de ce que
sera le marché du travail, nous aimerions connaître
votre sentiment sur les perspectives de la profession
aujourd’hui ?
Je n’ai pas l’impression que la profession soit menacée. Je crois qu’elle va
se compliquer, qu’elle va se transformer, mais je ne crois pas qu’elle soit
menacée. Les périodes de crises économiques et de crises sociales n’ont
jamais beaucoup nui à la profession. Ce que je crois, c’est qu’elle risque
d’être confrontée à de nouveaux problèmes, notamment au nombre
sans cesse croissant des avocats.
Rencontre avec Jacques Attali
Lundi 4 octobre 2010, 9 heures.
Après de nombreux échanges de mails et
quelques reports, l’assistante de Jacques
Attali m’a enfin trouvé un créneau de
15 minutes dans son agenda plus que chargé,
afin d’accorder au Baromaître une entrevue
acceptée de longue date. Un peu intimidé,
je me présente rue de Miromesnil, dans le
8ème arrondissement de Paris, au sein des
locaux d’Attali & Associés. Je pénètre dans
ce superbe appartement haussmannien, à
l’ambiance feutrée et aux murs couverts
d’ouvrages en tous genres, en même temps
qu’un autre homme, bien plus imposant que
moi, qui prend place dans la salle de réunion.
Je comprends vite que cette personne est
« l’imprévu de dernière minute » dont
l’assistante de Jacques Attali vient de me
parler en m’accueillant ! Jacques Attali
n’aura finalement que quelques instants à
m’accorder. C’est avec entrain qu’il m’attrape
au vol dès son arrivée et m’invite à le suivre
dans son bureau, le temps pour lui de poser sa
veste, d’allumer son ordinateur et de jeter un
coup d’œil à ses mails.
Comment êtes-vous devenu le parrain de la promotion
2010-2011 de l’EFB ?
Des missions vous sont-elles confiées en tant que
parrain ?
On ne m’a fait part d’aucune tâche précise, mais je considère que ma
responsabilité est d’être disponible pour ceux qui en auraient besoin.
Je ne peux pas accueillir chacun d’entre vous, mais n’hésitez pas à me
contacter à mon adresse mail.
Dans un monde où de nombreux droits sont proclamés,
mais au final bien peu sont effectifs, quelle est selon
vous la place du droit alors que la liberté individuelle
prédomine, chacun pouvant défaire ce à quoi il s’était
engagé ?
C’est ce dont j’avais pu parler, je crois, dans mon discours lors de la
rentrée solennelle de l’EFB. Nous vivons dans un monde avec une
sorte de déloyauté générale, qui rend les contrats instables. Mais le
droit n’a pas à être loyal et juste, le droit représente avant tout un
équilibre politique.
Pour représenter un équilibre politique mondial,
il faudrait donc réussir à mettre en œuvre une
régulation d’ensemble, un droit global ?
Il y aura un gouvernement européen comme il y aura un gouvernement
mondial, on y arrivera. Mais comme il n’y a pas de gouvernement sans
impôt, c’est assez difficile, et la fiscalité européenne est déjà bien plus
élevée que ce qui existe…
J’ai été contacté par le directeur de l’école, et j’ai accepté
immédiatement, avec le plus grand plaisir.
En tant que parrain, quel message pouvez-vous
adresser aux futurs avocats que nous sommes ?
Faut-il aussi avoir beaucoup d’empathie ?
Pourquoi pensez-vous avoir été choisi ?
Oui, peut-être. Il faut s’intéresser au droit quand même! Je me souviens
d’un jour où j’avais plaidé contre un de mes vieux confrères. Je lui avais
dit : « Mais quand même, il y a un problème de droit ! ». Il m’avait
répondu : « Le droit, je m’en fous éperdument ! ». Et je lui avais dit : « Ah,
bon ! Bien Monsieur ». J’étais trop respectueux de mes confrères.
Je suis, entre autres, juriste, mais j’imagine que c’est surtout pour
donner une sorte d’image, qu’il faut regarder vers l’avenir et que ce
métier va beaucoup bouger.
D’abord, vous savez que je suis à votre disposition et que chacun
d’entre vous peut me contacter : [email protected] . Ensuite, il ne faut
pas se borner aux sphères nationales, mais « penser Monde » !
Beaucoup travailler. Cela, vous le savez. Il faut aussi avoir beaucoup de
patience dans les affaires. Et rester toujours indépendant.
Propos recueillis et sélectionnés2 par
Guillaume Chiron3 – Promotion Jean-Denis Bredin – Série F
42
2. Retrouvez la version intégrale sur www.aea-paris.net ou sur www.baromaitre.com.
3. Lors de cette interview, étaient également présents Sahand Saber et Lydia Hamoudi – Promotion Jean-Denis Bredin – séries M et G.
Propos recueillis par
Grégoire Kopp - Promotion Jacques Attali - Série M
43
DOSSIER BIS
Droit du sexe
DOSSIER BIS
Le fléau de la pédopornographie sur Internet
Internet a su ouvrir les portes de la
diffusion de l’information au public et est
désormais un moyen incontournable de la
liberté d’expression. Néanmoins, sa facilité
d’utilisation et sa démocratisation ont
engendré de nombreuses dérives, dont la plus
dangereuse concerne les enfants. Par une
décision-cadre du 22 décembre 2003 relative
à la lutte contre l’exploitation sexuelle des
enfants et la pédopornographie, le Conseil
de l’Europe a défini cette dernière comme la
représentation visuelle d’un enfant, qu’il soit
réel ou non, participant à un comportement
sexuellement explicite. Tour d’horizon des
moyens législatifs et humains pour lutter
contre la pédopornographie sur Internet.
Lutte contre la cyber-pédopornographie :
quelle législation ?
u plan international, l’Assemblée générale des Nations
unies a adopté le 20 novembre 1989 la Convention
internationale des droits de l’enfant et a invité les Etats
signataires à prendre les mesures nécessaires pour interdire la
prostitution et la représentation pornographique d’enfants. A
l’échelon européen, une décision du Conseil de l’Europe en date
du 29 mai 2000, relative à la lutte contre la pédopornographie sur
Internet, encourage les Etats membres à se montrer réactifs dans
le traitement des infractions et à mettre en place des systèmes
de signalement de contenus illicites par les internautes. Enfin,
la décision-cadre du 22 décembre 2003 du Conseil de l’Europe
met l’accent sur la coopération policière entre Etats membres
afin de mieux poursuivre les auteurs d’infractions à caractère
pédopornographique : la tentative et l’incitation à adopter de
tels comportements doivent ainsi être punis, et les critères
d’attribution de compétence des juridictions des Etats membres
sont mieux définis. Enfin, au plan national, le code pénal protège
les mineurs en ses articles 227-23 et 227-24, punissant de sept ans
d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende l’enregistrement
ou la diffusion d’images pédopornographiques sur Internet, et leur
tentative. A noter que la détention d’images pédopornographiques
d’enfants – virtuels ou réels – est également punie.
A
Un constat alarmant
Le 31 mars dernier s’est déroulé, comme chaque année, le Forum
International sur la Cybercriminalité à Lille. La lutte contre la
44
Le fléau de la pédopornographie sur Internet
pédopornographie était bien sûr au centre des interventions et les
experts ont pu débattre d’un inquiétant rapport de la Commission
européenne, selon lequel le nombre de sites hébergeant des
contenus pédopornographiques est en hausse. Il apparaît même
qu’environ 200 nouvelles images à caractère pédopornographique
sont recensées sur le web chaque jour. En effet, les outils d’accès à ces
contenus ne manquent pas :
qu’il s’agisse de streaming,
de téléchargements ou de
connexion à des webcams,
les délinquants sexuels
bénéficient de nombreux
moyens techniques pour
assouvir
leurs
pulsions.
Les chiffres avancés par
un rapport de l’ONu
présenté en septembre
dernier reflètent d’ailleurs
ce triste constat. Plus de
700.000 pédophiles seraient
connectés en permanence
sur Internet et plus de
quatre millions de sites
Internet
présenteraient
aujourd’hui des photos de
jeunes mineurs.
Lutte policière
soutien des fAI
et
Au vu du développement
fulgurant de la pédopornographie sur Internet, les
méthodes de lutte des
autorités policières et judiciaires ont été adaptées. un
arrêté du 30 mars 2009 a
ainsi autorisé les policiers
et gendarmes à infiltrer les
« chats » et autres
plateformes communautaires
en se faisant passer pour
desmineurs, afind’entreren
contact avec des délinquants campagne de sensibilisation de l’ONG Action Innocence
potentiels. Autre moyen de
lutte, la traque des détenteurs de contenus pédopornographiques
sur les réseaux peer-to-peer. En entrant certains mots-clés dans
les moteurs de recherche, les gendarmes ont alors accès à des
listes de serveurs sur lesquels sont diffusés ces contenus, et peuvent
remonter jusqu’aux internautes qui les détiennent. Il est triste de
constater néanmoins que les effectifs humains sont trop légers
pour poursuivre chaque cyber-délinquant. En outre, il est quasiment
impossible de procéder à la suppression de sites Internet hébergeant
des contenus pédopornographiques lorsque ceux-ci sont situés en
dehors de l’union Européenne. Seul un système de blocage des sites
pédopornographiques est
envisageable, tel que prévu
dans le cadre du projet de loi
LOPPSI 2, la loi d’orientation
pour la programmation
et la performance de la
sécurité
intérieure. Les
fournisseurs d’accès Internet
pourraient donc être obligés
d’empêcher « l’accès sans
délai » aux adresses Internet
communiquées par l’autorité
administrative.
De nouveaux
fléaux : dédipics,
grooming…
Qui dit nouvelle mode
chez les adolescents dit
souvent dérive ou danger.
Les « dédipics » en sont
l’illustration parfaite sur la
toile, et principalement sur
les blogs. Cette nouvelle
forme de monnaie virtuelle
attise en effet la convoitise
de certains prédateurs
sexuels : une « dédipics »
est une photo représentant
une partie du corps d’un
adolescent sur laquelle celuici y a inscrit le nom ou le
pseudonyme d’un autre
adolescent. Cette photo
est alors publiée sur son
www.actioninnocence.org blog, et la personne visée
« paiera » l’auteur avec
un certain nombre de commentaires. Le problème est que les
pédophiles peuvent désormais facilement trouver les coordonnées
de ces adolescents qui s’exhibent avec plus ou moins de pudeur, et
entrer en contact avec eux.
Autre fléau tendant à se développer, le « grooming ». Ce terme
vise l’établissement par un adulte de liens d’amitié avec un
enfant sur Internet, afin d’obtenir de lui des images érotiques ou
pornographiques, voire des relations sexuelles. Sont souvent utilisés
comme supports de communications les chats de type mSN, ou
le récent « Chatroulette ». La loi du 5 mars 2007 a introduit une
nouvelle infraction dans le code pénal, à l’article 227-22-1. Ainsi,
« le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur
de 15 ans en utilisant un moyen de communication électronique » est
puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.
Enfin, le1erjuillet2010, laConventionduConseildel’Europesur
la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels –
dite Convention de Lanzarote – est entrée en vigueur, et criminalise
le « grooming ». Néanmoins, seuls cinq Etats membres ont à ce
jourratifiécetteconvention: l’Albanie, leDanemark, laGrèce, les
Pays-Bas et Saint-marin.
Vers une prise de responsabilité parentale ?
Aujourd’hui média de masse, Internet est également le lieu de
mauvaises rencontres pour les plus jeunes. Les pseudonymes et
l’écran de l’ordinateur permettent aux prédateurs sexuels de mentir
sur leur véritable identité et d’abuser des petites victimes. Alors
qu’ils maîtrisent moins bien cet outil que leurs enfants, les parents
doivent désormais protéger ces derniers sur le net. Pour ce faire, un
accompagnement est mis en place. Le site Internet www.mineurs.fr
informe ainsi les parents sur le contrôle qu’ils doivent opérer quant à
l’utilisation de l’ordinateur par leurs enfants. Les fournisseurs d’accès
à Internet ont d’ailleurs l’obligation de leur fournir un logiciel de
contrôle parental. Si ces initiatives sont louables, une décision plus
radicale pourrait être néanmoins envisagée par certains parents :
bannirl’ordinateurdelachambredesenfants…
Caroline Laverdet – Promotion Jacques Attali – Série G
45
DOSSIER BIS
Droit du sexe
DOSSIER BIS
Le droit et la prostitution
Peut-être le saviez-vous : en france, la
prostitution est tout ce qu’il y a de plus
légale ! Pourtant, si la prostitution n’est pas
pénalement réprimée, elle reste moralement
condamnée, y compris officiellement, tout en
étant par ailleurs une activité fiscalisée, et ce
alors qu’en pratique elle s’accompagne d’une
nouvelle forme d’esclavage.
’activité qui consiste pour une personne à avoir des relations
sexuelles contre rémunération, tout comme le fait pour un
individu de rémunérer cette personne pour son service
sexuel, ne constituent pas des infractions pénales en droit français.
A première vue, comment pourrait-il en aller autrement, alors que
la sexualité relève du corps, de la sphère de l’intime, c’est-à-dire
précisément de ce dont chacun est libre de disposer ?
L
Au commencement était l’autorisation ou plutôt la permission.
En effet, rien dans le droit français n’interdit de se livrer à des
relations sexuelles tarifées, de manière occasionnelle ou régulière.
Plus précisément, la prostitution n’est pas une infraction, elle ne
correspond pas à un comportement pénalement répréhensible.
Pour autant, le droit français n’autorise pas non plus la prostitution –
ce qui en tout état de cause n’aurait pas de sens, puisque, en matière
pénale, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.
A contrario, et comme pour mieux souligner cette absence
Le droit et la prostitution
d’interdiction, toute une série d’activités connexes sont considérées
comme illégales : du proxénétisme au racolage passif, en passant
par le recours à la prostitution de mineurs ou de personnes
particulièrement vulnérables. Dans chaque cas, ce n’est pas le
principe des relations sexuelles tarifées qui est réprimé, mais leur
exploitation abusive. Ainsi en est-il du proxénétisme qui recouvre
plusieurs hypothèses énumérées à l’article 225-5 du Ccode pénal,
telles le fait de recevoir des subsides d’une personne se livrant
habituellement à la prostitution, ou d’exercer sur cette personne
une pression pour qu’elle se prostitue.
La prostitution stricto sensu est donc une activité, professionnelle ou
non, régulière ou occasionnelle, parfaitement légale. Au regard du
droit, le ou la prostitué(e) est un travailleur indépendant comme un
autre, sa seule particularité étant que son outil de travail se confond
avec son corps.
La prostitution est également totalement dérégulée, depuis
la loi du 13 avril 1946 dite loi marthe Richard – la « Veuve qui
Clôt » – par laquelle est ordonnée la fermeture des traditionnelles
« maisons closes », véritable institution de la société française
d’alors. Depuis, sont seulement interdites l’organisation et
l’exploitation de la prostitution ainsi que ses manifestations visibles.
D’où la transformation des « maisons de tolérances » en hôtels de
passe et salons de massage.
La prostitution est une activité économique si libre qu’elle est taxée!
L’Etat, par le biais du fisc et de l’URSSAF, soumet à prélèvements
chaque fois qu’il en a connaissance (le plus souvent au cours d’un
redressement fiscal), les revenus tirés de l’activité de prostitution.
La justice n’y trouve rien à redire, la Cour de cassation ayant admis
que « la cotisation d’allocations familiales des employeurs et des
travailleurs indépendants est due par toute personne physique exerçant,
même à titre accessoire, une activité non salariée, telle celle en litige
[la prostitution] »1. Le droit européen lui aussi considère que la
prostitution est une activité économique comme une autre. A ce
titre, lui sont appliqués les principes communautaires, dont celui de
libre établissement2.
Indifférence et taxation, telle serait donc l’attitude de l’Etat ? Les
euphémismes, expressionspudiquestellesque«fillespubliques»,
«fillesdejoie»ou«damesgalantes»,toutceparfumdescandale
attaché au plus vieux métier du monde n’auraient donc plus lieu
d’être?Pourtant,lapositionofficielledelaFrancesurcesujetn’est
pas neutre. En effet, depuis qu’elle a signé la Convention pour la
répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation
de la prostitution d’autrui, la France est officiellement un pays
abolitionniste. Cette convention, adoptée sous l’égide des Nations
unies le 2 décembre 1949, proclame en tête de son préambule que
« la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres
humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité
et la valeur de la personne humaine ». Suivent vingt-huit articles
prévoyant la punition de l’exploitation de la prostitution, l’abolition
de toute réglementation étatique de cette profession, et imposant
aux Etats de développer la prévention et la réinsertion. En signant
cette convention, puis en la ratifiant le 19 novembre 1960, notre
pays a manifesté sa volonté de combattre la prostitution – et non
seulement la traite des êtes humains – comme un mal en soi.
Au premier abord, cette position officielle n’a que peu de
conséquences. En effet, la France ne reconnaît ni ne réprime la
prostitution. Quant à la convention de 1949, bien qu’elle condamne
fermement la prostitution, elle ne la criminalise en aucune manière,
laissant les Etats libres de la tolérer, ainsi que le fait la France.
malgré tout, et quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de la
prostitution (mal social, pratique contraire à la dignité individuelle,
emploilibrementchoisi…), cettegigantesquetartufferied’Etatqui
consiste à condamner ce que l’on reconnaît fiscalement, ne peut
qu’heurter la conscience. L’Etat condamne ce commerce mais en
vit ! Bref, il répudie les prostituées mais se garde bien de répudier
leur argent, à l’image des bourgeois de Boule de Suif suppliant une
femme de petite vertu de les sauver, pour ensuite mieux la rejeter
dans les ténèbres du mépris une fois leur survie assurée.
Schizophrénie ? Non, hypocrisie. Alors qu’il condamne le coït
46
rémunéré, l’Etatenprofite, àlamanièred’unproxénèteprélevant
son pourcentage sur chaque passe. Le proxénète lui-même est
imposable au titre des revenus qu’il tire de l’exploitation du travail
de celui ou celle qu’il exploite, et doit verser la TVA : ainsi, l’on peut
mener une activité illicite, en exploitant une autre personne, tout
en générant de la valeur ajoutée sur ces activités de prostitution
contrainte,valeurajoutéequel’Etats’empressedequantifieretdont
ilprofite!
Cette compromission étatique est choquante et de surcroît, induit
en pratique des difficultés considérables pour les travailleuses du
sexe qui sont pénalisées alors que dans leur immense majorité elles
vivent et travaillent dans des conditions précaires, sont extrêmement
vulnérables et très souvent sous la coupe de réseaux de proxénètes3.
Alors que toute personne affiliée à l’URSSAF peut de ce simple
fait obtenir des prestations familiales et cotiser au régime social
des indépendants pour la retraite et à l’assurance maladie, cela ne
va pas de soi pour les prostituées. Seuls certains centres uRSSAF
acceptantl’affiliationsouslarubrique«Relationspubliques»4. Selon
les services du Sénat, « dans tous les pays, sauf aux Pays-Bas, l’absence
de reconnaissance juridique de la profession empêche les prostituées de
disposer d’une couverture sociale complète »5. En outre, les rappels et
majorationsquiinterviennentàl’occasiond’unrecouvrementfiscal
imposent de disposer de revenus et obligent donc la personne à se
prostituer pour payer. Reste la possibilité, puisqu’elles ne déclarent
pas de revenus, de bénéficier du RSA et de la CMU. Maigre
compensation.
Par un paradoxe incroyable, les prostituées ne bénéficient ni de
la liberté que le droit leur reconnaît, ni de l’intervention de l’Etat
dans leurs affaires. Rien ne résume mieux cette situation que cet
extrait d’une décision de justice : « lorsque l’on sait que les personnes
prostituées sont le plus souvent victimes de sévices, de contraintes
et de violences entraînant des dégradations physiques et morales et
aboutissant à un esclavage non contestable, il apparaît surprenant que
l’Etat commémore avec moult discours bienséants et démagogiques
l’abolition de l’esclavage et maintienne volontairement un nombre
important de personnes victimes de brutalités dans cet état en
fiscalisant cet esclavage »6. Cette position, alliance contradictoire
denon-reconnaissancejuridique, decondamnationofficielleetde
réalisme fiscal plus proche du cynisme, constitue au mieux une
ambiguïté non-résolue de notre droit, au pire une position à la fois
moralement indéfendable et matériellement coupable.
Laurent Bonnet – Promotion Jacques Attali – Série F
1. Cass. soc, 18 mai 1995, pourvoi n°93-18.641
2. CJCE, 20 novembre 2001, Malgorzata Jany c/ Pays-Bas, affaire C-268/99
3. Selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), « Environ 80 % des femmes se prostituant dans les grands centres urbains seraient sous la
coupe de proxénètes. Ainsi, la prostitution est aujourd’hui largement le fait de jeunes personnes étrangères, victimes de réseaux criminels organisés ».
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/espaces,770/femmes-egalite,772/la-traite-et-l-exploitation,6179.html
4. Guide des droits sociaux, 2e éd., 2003, p. 99 (http://www.actupparis.org)
5. Document de travail : Le régime juridique de la prostitution, Octobre 2000, n° LC 79, p. 3-4 (http://www.senat.fr/europe/lc79.pdf)
6. Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, 17 décembre 1998 ; cité dans : CEDH, Tremblay c/ France, 11 septembre 2007 (requête no37194/02), § 10
47
DOSSIER BIS
Droit du sexe
DOSSIER BIS
Les maisons closes : du droit du sexe au droit au sexe
es maisons closes, interdites en France depuis la loi marthe
Richard du 13 avril 19461 – que la légende attribue à
l’influencedelafemmeduGénéraldeGaulle–sontremises
à l’ordre du jour par les bruissements politiques et la production
audiovisuelle.
L
Surfant sur la tendance, madame Chantal Brunel, députée umP
de Seine et marne a, dans le cadre d’un groupe de travail sur la
prostitution mis en place par le ministre de l’Intérieur, déposé
un projet d’amendement examiné le 25 février 2010 devant
l’Assemblée nationale. La députée s’est penchée sur la question
d’une possible réouverture des maisons closes, avec de nombreux
aménagements.
légale et ne se distingue pas des autres branches de l’économie.
Les prostituées bénéficient d’une couverture sociale et signent
des contrats de travail. Le proxénète ne peut tomber sous le coup
de la loi sauf si la personne dont il tire un bénéfice est mineure
ou non consentante. En revanche, les pays abolitionnistes tolèrent
la prostitution mais non sa réglementation. La prostituée est
considérée comme une victime que l’Etat doit aider à se réinsérer.
La réglementation française, abolitionniste, sans pour autant être
isolée au sein de l’Europe, dénote avec certains de ses voisins
qui n’ont jamais réellement interdit les maisons closes et les ont
même légalisées. Ces Etats ont adopté une norme réglementariste
considérant la prostitution comme une activité à part entière, et de
cefaitnécessitantuneréglementationspécifique.
Ainsi, l’amendement ne visait pas à proprement parler le
« lupanar2 » tel qu’entendu dans la mémoire collective, c’est-àRé-institutionnaliser les maisons closes serait un moyen indéniable
dire des maisons régies par des tenanciersd’encadrer la prostitution, et permettre des
proxénètesquis’octroientdelargesbénéfices
lieux où le sexe et son accès seraient encadrés
en taillant leurs parts sur les loyers que leurs
conformément à une législation stricte. Si les
En Suisse, les maisons
reversent les prostituées et un pourcentage
avantages concernant les normes d’hygiène,
closes existent
sur les prestations effectuées3. La députée
la fiscalité, le contrôle de l’activité et la lutte
légalement depuis
proposait une nouvelle approche des maisons
contre la criminalité organisée sont les
1992, aux Pays-Bas
closes et se démarquait de la conception
bénéficesentendusd’unenouvellelégislation;
officiellement depuis
traditionnelle par l’emploi du terme « maisons
quid d’un nouveau droit d’accès au sexe ?
2000, en Catalogne les
ouvertes ». Celles-ci seraient destinées
maisons de tolérance
« aux femmes qui font de la prostitution
S’il existe désormais une multitude de droits
sont légales depuis le 1er
leur métier, qui paient des impôts et qui sont
subjectifs de toutes sortes, il n’y a qu’un pas
août 2002, en Allemagne
indépendantes ». L’objectif est d’instituer un
à franchir entre le très en vogue « droit du
les « eros centers » sont
cadre légal susceptible de favoriser un système
sexe », au plus ambigu « droit AU sexe ».
autorisés dans certaines
de cogestion inspiré du modèle libéral, dans
Si le droit du sexe a une conception large
zones.
lequel chaque prostituée organiserait son
recouvrant le cadre légal et les infractions à
commerce dans la plus stricte transparence et
caractère sexuel, telles que le harcèlement,
légalité. Enfin, selon Madame Chantal Brunel
le viol, les agressions, etc., le droit au sexe
cet encadrement aurait pour but de protéger les prostituées, car
pourrait apparaître comme certes une prérogative, mais plus
selon elle, « les réseaux mafieux et les réseaux de traite d’humains ne
encore comme une créance opposable. Opposable à qui ? A l’Etat,
s’épanouissent que dans la clandestinité ».
et donc au législateur, mais aussi à la société, et plus largement aux
mœurs actuelles.
Le présent projet ne serait pas contraire à la Loi marthe Richard
interdisant les maisons closes car il s’agit de « maisons ouvertes »
un droit subjectif est par essence attaché à la personne humaine. Si
ayant un statut différent qui ne serait pas incompatible avec la loi
la pratique du sexe a des bienfaits reconnus, il serait injuste que tous
de 1946. Néanmoins, le projet serait illégal au regard de la loi du
ne puissent y avoir accès. Le droit au sexe serait alors un moyen de
18mars2003quiinterditleracolagepassifdontladéfinitionreste rendre opposable à nos institutions le droit d’avoir une sexualité –
encore aujourd’hui extrêmement vague4. Le présent amendement
tarifée – dans un cadre légal et plus sain pour tous les participants.
aurait alors pour but d’abroger cette dernière législation.
Le législateur a, à cet égard, un rôle majeur à jouer. En France, la
Face à la prostitution, les Etats, notamment européens, ont adopté
prostitution est tolérée mais la loi prohibe – par une terminologie
des réglementations différentes. Dans les pays réglementaristes, la
équivoque – tout racolage passif et actif. Dès lors, la réouverture
prostitution est autorisée. Elle est reconnue comme une activité
de maisons dédiées à la prostitution serait une avancée vers un
48
Les maisons closes
1. Loi n° 46-685 du 13 avril 1946 tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme
2. Définition du Petit Larousse illustré : Mot emprunté du latin « lupa » qui signifie louve et qui servait à designer une fille publique dès la Rome antique
3. Madame Claude expliquait prendre entre 25 et 30% sur les prestations effectuées
4. Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, article 50 : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue
d’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende » (Art. 225-10-1 du code pénal)
encadrement de la prostitution, sa moralisation et un moyen de la
rendre plus accessible.
Bien sûr, l’idée dérange. Comment faire accepter qu’avoir une
sexualité, de surcroît tarifée, est un droit subjectif dont la satisfaction
résulterait de l’intérêt général, et pour lequel l’Etat tient le rôle
primordial de permettre, ou à tout le moins de ne pas restreindre,
cet accès au sexe ?
un bref aperçu de la jurisprudence portant sur les contrats relatifs
aux maisons closes permet d’illustrer le refus des magistrats
d’intervenir dans un litige privé lorsque les deux parties sont
considérées comme aussi « indignes » l’une que l’autre. Les
décisions rendues laissent supposer que l’indignité de la pratique et
l’immoralité des participants ne permettent pas de faire trancher leur
litige devant une juridiction d’Etat5. une avancée substantielle vers
5. Cass. 1ère Civ., 15 février 1967 : JCP G 1967, IV, 46
une réglementation faciliterait la reconnaissance des prostituées, de
leurs prestations, mais également des inévitables litiges susceptibles
d’intervenir dans le cadre de cette activité.
De là à envisager un retour de l’âge d’or de la prostitution
« à la française », il y a un pas à ne pas franchir trop prématurément.
Toutefois, permettre la réouverture de maisons de prostitution en y
incluant l’idée que le droit au sexe serait un facteur de contrôle et
de socialisation pourrait être (d)étonnant et réduire le sentiment de
marginalisation qu’ont les prostituées et leurs clients.
R. V - CRFPA de Versailles - HEDAC
49
DOSSIER BIS
Droit du sexe
DOSSIER BIS
De l’art et la manière de séduire : grivois et obsédés s’abstenir
Le harcèlement sexuel, infraction récente,
détonne par son originalité
riginal car le harcèlement sexuel fait l’objet de deux
législations concurrentes, dans le code pénal et celui du
travail et que le cumul de ces deux textes est possible.
Depuis l’adoption de ces deux incriminations, le législateur n’a
cessé d’œuvrer à leur harmonisation, atténuant une différence
de rédaction par-ci1 et alignant les peines prévues par le code du
travail sur celles du code pénal par-là. En effet, depuis la loi du 9
juillet 20102, la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et
de 15.000 euros d’amende et la juridiction dispose de la possibilité
d’ordonnerl’affichageouladiffusiondujugementdecondamnation.
O
Originale toujours car cette incrimination est la seule agression
sexuelle qui ne consiste pas en un contact ou un spectacle imposé.
Certains auteurs considèrent d’ailleurs que
cette infraction n’est nullement une agression
sexuelle mais aurait dû être classée dans les
atteintes à la tranquillité des personnes3. Quelle
que soit sa nature, le harcèlement sexuel peut
se cumuler avec le viol, l’agression sexuelle ainsi
que l’exhibition sexuelle.
Originale enfin par l’objectif particulier que
le législateur a attribué à cette incrimination.
En effet, à l’origine le but était de sanctionner
une forme de violence sociale perturbant
les relations de travail. Ainsi, était engagée la
lutte contre les comportements indécents
des supérieurs hiérarchiques confondant
passion amoureuse – ou simple désir – et
abus d’autorité. La loi du 17 janvier 20024 a
conféré à ce délit un objectif de droit commun
en retenant une définition épurée qui
s’affranchit de toute considération de relation de travail. De même,
elle a supprimé l’exigence d’abus d’autorité accompagné d’ordres,
menaces, contraintes ou pressions du harceleur.
La caractérisation de l’infraction n’exige plus que la réunion de deux
conditions simples : un élément matériel consistant en un fait de
harcèlement et un dol spécial résultant de la volonté d’obtenir des
faveurs sexuelles.
Cette extension considérable de l’incrimination additionnée à des
incertitudes et imprécisions rédactionnelles ont fait naître des
difficultésàbiendeségards.
En effet, l’article 222-33 du code pénal est dépourvu
de précisions quant aux agissements incriminés.
50
En supprimant les adminicules accompagnant
l’abus d’autorité, le législateur a opté pour une
définition tautologique du harcèlement qui consiste
logiquement – trop logiquement – dans « le fait de
harceler ».
Pour ajouter à la difficulté, le législateur s’est affranchi du sens
des mots. Si le terme « harcèlement » postule logiquement la
répétition d’actions sur une période de temps, il résulte des
travaux parlementaires que son intention était de créer – moins
logiquement – un délit consommé en en acte unique.
Ces maladresses rédactionnelles ont ouvert malheureusement mais
nécessairement la porte à l’interprétation et à l’arbitraire. Ainsi, le
juge qui doit former un syllogisme parfait se voit dans l’obligation
de déterminer lui-même la majeure... Chaque juge s’érige alors en
quasi législateur et il est à craindre que le sort
d’un citoyen ne change plusieurs fois en passant
devant des tribunaux différents.
Si l’incertitude créée par l’interprétation de la
loi est problématique, c’est bien l’impression de
l’instauration d’un ordre moral qui a inquiété. En
effet, la lettre de l’article 222-33 du code pénal
permet de réprimer tant les actes odieux ayant
pour objectif l’obtention de faveurs sexuelles
que les tentatives de séduction. Certains ont pu
affirmerquelaréformearéduitl’infractionde
harcèlement sexuel à un « délit de sentiment »,
équivalent puritain du délit d’opinion5.
En effet, le législateur laisse au juge la difficile
tâche d’appliquer cette incrimination sensible
touchant au désir et à son rituel qu’est la
séduction. Articulant liberté sexuelle des uns et
libertédeplairedesautres, lejugesevoitimposerdedéfinirles
canons de la séduction et d’examiner la justesse du style et du ton
employés par le « Don Juan ».
Le danger de cette incrimination est d’inclure dans le champ des
comportementspunissablesceuxquin’ontd’autrefinalitéquede
faire comprendre à l’interlocuteur l’intérêt que l’on éprouve pour
luietdelefairesuccomber.Ladifficulté,elle,résidedanslefaitque
la matière est éminemment subjective.
Néanmoins, soyons rassurés, les juges n’ont pas fait de ce texte
l’application excessive tant redoutée : l’épris qui adresse une brassée
defleursafind’exprimer,parcelangageattentionné,toutel’ardeur
de sa flamme n’est pas menacé par l’enfer des murs gris d’une
prison.
1. Loi n°98-468 du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infraction sexuelles
2. Loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les
enfants
3. Marie-Laure RASSAT jurisclasseur de Droit pénal
4. Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale
5. Philippe CONTE « Une nouvelle fleur de légistique : le crime en boutons. A propos de la nouvelle définition du harcèlement sexuel » JCP G, 2002, Act. 320
De l’art et la manière de séduire
Sont considérés comme caractérisant l’infraction, soit les seuls
propos grivois ou les gestuelles suggestives ou indécentes instituant
« un climat malsain et grossier », soit un comportement d’obsédé
sexuel. A défaut de ces agissements scandaleux, une attitude de
séduction ne constitue que ce que la jurisprudence a qualifié de
manière très légère et romantique de « simples signaux conventionnels
[permettant] d’exprimer la manifestation, non fautive au plan pénal,
d’une inclination pouvant être sincère ».
Laséductionresteundéfiàrelever.
Philippe Herbeaux - CRFPA de Versailles - HEDAC
HANDICAP ET SEXUALITÉ : VErS UN DrOIT A LA SEXUALITÉ ?
« Existe-t-il un droit à la sexualité » ? Cette question est au centre du débat
sur la création de « services d’accompagnement sexuel pour les personnes
handicapées ». Réclamée par les associations de protection des droits
des handicapés, cette mesure consiste à recruter et former des personnes
spécialisées dans « l’assistance sexuelle » aux personnes atteintes d’un
handicap physique ou mental.
Cette revendication a surgi dans le sillage de la loi « handicap » du 11
février 2005, qui prévoit « l’accès aux droits fondamentaux reconnus à
tous les citoyens », et le « droit à compensation des conséquences de son
handicap ».
Jusqu’ici, l’accompagnement et la réparation de la souffrance des handicapés
avaientétéenvisagésdupointdevuepsychologique,médical,financier,de
l’insertion professionnelle ou de la citoyenneté, sans que jamais ne soit
priseencompteleurdifficultéàaccéderauplaisirsexuel. Pourtant, sielle
fut longtemps tenue muette, cette souffrance n’en est pas moins réelle. Les
personnes en situation de dépendance physique ou mentale sont souvent
dans l’impossibilité de s’épanouir sexuellement. C’est le cas, bien sûr, des
individus isolés mais aussi des couples dont les deux partenaires sont trop
lourdement handicapés pour avoir des relations sexuelles sans assistance.
Bien souvent, cette frustration ne peut même pas être soulagée par les
services d’une prostituée.
Bernadette Soulier, sexologue spécialisée dans le handicap livre son
expérience : « moi-même, je suis allée voir des prostituées pour leur demander
si elles accepteraient ces handicapés : On en trouve une sur dix qui accepte »1.
Cette situation douloureuse pèse également sur ceux qui s’occupent des
handicapés au quotidien et sont confrontés à leurs frustrations et, parfois,
à leurs demandes : directeurs d’établissements, associations, soignants,
parents… Interviewée par Libération, une responsable de l’Association
Française contre les myopathies décrit une situation catastrophique : « On
connaît des situations de mamans qui masturbent leur fils, des soignants, très
embêtés avec les érections de jeunes garçons handicapés, qui donnent un coup
de main, répriment ou font semblant de ne pas voir »2.
Les associations s’insurgent contre le silence, gêné et parfois hypocrite, qui
entoure cette question : dès lors que l’on entend compenser toutes les
conséquences du handicap, comment ne pas évoquer les douleurs induites
par l’accumulation et le refoulement des tensions libidinales?
Certains de nos voisins européens ont déjà répondu à cette attente avec
la création de services d’accompagnement sexuel. Ceux-ci sont composés
de femmes et d’hommes « formés aux spécificités des personnes en situation
de grande dépendance physique ou mentale, [qui] sont rémunérés pour
leur offrir des massages, caresses et expériences sexuelles, à domicile ou en
institution »3.LesPays-Basfontfiguredepionnierenayantmisenplace,dès
1980, des associations de prostituées « spécialisées », dont les prestations
sont remboursées par certaines collectivités locales. Le Danemark,
l’Allemagne et la Suisse ont suivi.
Les tenants d’un accompagnement sexuel à la française proposent de
s’engager sur cette voie, tout en insistant sur la nécessité d’encadrer ces
services de manière très stricte et de trier le personnel sur le volet. marcel
Nuss, fondateur de l’association Coordination Handicap et Autonomie,
préconise le recrutement de personnes issues du milieu paramédical
(psychologues, kinés, aides soignants), et de ne pas aller au-delà de la
masturbation.
Du point de vue juridique, la mise en place de tels services est
problématique. Comment articuler la nécessaire pénalisation du
proxénétisme et la légalisation de l’accompagnement sexuel ? En effet, la
loi assimile à un proxénète toute personne faisant « office d’intermédiaire
entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite
ou rémunère la prostitution d’autrui » (article 225-6-1 du code pénal). Par
conséquent,unemodificationdestextesquirégissentleproxénétismeest
unpréalablenécessaireàlacréationdeservicesd’accompagnementafin
de mettre à l’abri du risque pénal les responsables de ces services et les
associations.
Caroline gelly, juriste au sein d’Handicap International, propose une nouvelle
rédaction du texte, qui incriminerait « le fait, par quiconque, de quelque
manière que ce soit […] de faire office d’intermédiaire entre deux personnes
dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite et rémunère la prostitution
d’autrui », puis de faire peser la rémunération de l’accompagnant(e) sexuel
sur un tiers. Ainsi, explique-t-elle, « la personne handicapée serait distincte
de celle qui rémunère la prostitution d’autrui. Par conséquent, dans la mise
en œuvre de l’accompagnement érotique, il manquerait inévitablement une
condition pour que l’intermédiaire entre dans le champ d’application des
sanctions pénales de l’article L.225-6 du code pénal et serait ainsi protégé »4.
Face à ces revendications, les associations de lutte contre la prostitution
dénoncent les risques de dérives. Pour Claudine Legrandier, responsable du
« mouvement du Nid »5 , la création de tels services conduirait à fragiliser
émotionnellement les handicapés et placer les accompagnants sexuels
dans des situations ingérables6. Elle fournirait, en outre, « une vitrine rêvée
pour l’industrie du sexe et les proxénètes qui ont tout intérêt à la respectabilité
d’une activité présentée sous les dehors généreux du service à la personne »7.
Les détracteurs du projet s’inquiètent surtout de la consécration d’un
« droit à la sexualité ». La revendication d’un droit au bien être sexuel
s’inscrit dans un contexte de prolifération de droits-créances, c’est-à-dire
de droits attachés à la personne humaine (droit à un environnement
sain, droit au logement, etc.). Or, si les droits-créances constituent
indéniablement des progrès lorsqu’ils protègent le citoyen, garantissent
son bien-être et sa dignité, peut-on en dire autant d’un droit dont la mise
en œuvre favoriserait la marchandisation du corps d’autrui ? Du côté des
associations de lutte contre la prostitution, on répond par la négative.
Au prétexte, certes honorable, de soulager la souffrance de personnes
handicapées, l’accompagnement érotique risquerait d’ouvrir la porte à une
forme institutionnalisée d’exploitation sexuelle.
1. Bernadette Soulier, Un amour comme tant d’autres, handicapés moteurs et sexualité, APF, 2005
2. Libération, Handicap de vie intime, 25 septembre 2009
3. Claudine Legardinier, Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ?, Prostitution et Société, numéro 160
4. Passages cités dans l’ouvrage de Marcel NUSS, Handicaps et sexualités : le livre blanc, Editions Dunod 2008
5. Le mouvement du Nid, fondé dans les années 1930 par le père André-Marie Talvas.
6. Claudine Legardinier, Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ?, Prostitution et Société, numéro 160
7. idem
A.G - CRFPA de Versailles - HEDAC
51
HORS DES CÔTES
HORS DES CÔTES
Avocats Sans Frontières France :
« là où la défense n’a plus la parole »
Avocats Sans Frontières France
parce-qu’il n’y avait plus d’avocat sur place en mesure d’assurer leur
défense. Il ne restait en effet que très peu d’avocats locaux et ceux-ci
manquaient de moyens financiers pour offrir à leur client une bonne
défense.
Organisation de solidarité internationale,
Avocats Sans frontières france mène depuis
1998 ses missions à travers le monde, « là
où la défense n’a plus la parole ». Cette
association jouit d’une reconnaissance tant
nationale qu’internationale, elle a notamment
obtenu en 2004 le statut consultatif spécial
auprès du Conseil économique et social
de l’ONU et en 2005 le statut consultatif
auprès de l’Organisation internationale de la
francophonie. En 2007, le GIE avocat, composé
du Conseil National des Barreaux, du Barreau
de Paris et de la Conférence des Bâtonniers, a
décidé de créer, à l’initiative d’ASf france, un
fonds d’urgence pour la défense.
françois Cantier, avocat au barreau de Toulouse
depuis 1971, est le président fondateur d’ASf
france. Ce grand habitué du prétoire de la
Cour pénale internationale a accepté de nous
rencontrer et de nous présenter les activités
d’Avocats Sans frontières france.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les
différentes activités d’Avocats Sans Frontières France ?
Le premier objectif d’ASF est la défense. Nous sommes avant tout
des avocats et nous faisons ce que font tous les avocats du monde :
défendre. Nous assurons la défense des personnes n’ayant pas accès à
un avocat indépendant dans leur pays. Lorsqu’il n’y a pas d’avocat sur
place, nous le faisons seuls, mais souvent nous assistons des consœurs et
confrères menacés en raison de leur exercice professionnel.
Le projet fondateur de l’association a été d’organiser la défense de
prévenus et victimes du génocide hutu contre les tutsis devant les
juridictions rwandaises. Dans le cadre du projet « Justice pour tous
au Rwanda », nous sommes intervenus en faveur de ces personnes
52
Notre deuxième mission est de soutenir les avocats subissant des
menaces en raison de leur activité professionnelle. Parce qu’ils acceptent
de défendre certaines personnes, des avocats sont eux-mêmes inquiétés,
menacés, poursuivis voire condamnés, et parfois à mort. Nous avons
créé en 2008 l’Observatoire International des Avocats (OIA) dont la
mission est, dans un premier temps, de recenser à travers le monde les
cas d’avocats victimes de menaces, pressions, tortures, disparitions et
autres atteintes à leur intégrité physique et morale et, dans un second
temps, d’apporter à ces avocats une assistance matérielle, morale et
juridique. Vous savez, dans de nombreux Etats, lorsqu’un avocat déplaît,
il est assassiné. L’Observatoire soutient alors les procédures judiciaires
concernant ces avocats assassinés.
Le troisième objectif que nous nous sommes fixé est de renforcer les
acteurs locaux de la justice et du droit sur le terrain. Nous organisons
différents types de formations destinées aux avocats. La première
formation que nous offrons porte sur les outils juridiques internationaux
de protection des droits de l’homme. Nombreux sont les avocats, y
compris français, qui manquent de connaissances sur les spécificités
de la protection des droits de l’homme. Nous proposons également des
formations comportementales dont l’objectif est de former les avocats
aux réalités de leur métier, en leur apprenant notamment comment se
comporter face à un client, à un confrère, à un procureur ou un juge.
Enfin, et surtout, nous organisons des formations méthodologiques dont
le but est de former de futurs formateurs qui pourront transmettre leur
savoir-faire sur place. Ces formations sont supervisées par un conseil en
ingénierie pédagogique et formation de formateurs.
Avocats Sans
Frontières n’est
pas destiné à des
avocats en mal
d’exotisme !
En dehors de la formation de formateurs, l’ensemble des formations
dispensées par ASF France est agréé par le Conseil National des
Barreaux et pris en charge au titre de la formation continue. La
reconnaissance de nos formations est également internationale, ASF
France est d’ailleurs pressentie par la Cour pénale internationale pour
assurer des formations.
La dernière mission qu’ASF France s’est assignée est de favoriser l’accès
au droit. ASF France participe sur le terrain à des programmes d’aide
judiciaire en collaboration avec
des juristes locaux, comme au
Burundi, au Mali ou au Kosovo.
dans ce pays. Deux projets, respectivement de lutte contre la torture et
de lutte contre l’application de la peine de mort, ont depuis vu le jour
au Nigéria.
L’exemple le plus parlant
est celui du Cambodge où,
pendant deux décennies, le
régime Khmer rouge a privé le
pays d’une génération entière
d’avocats et de magistrats.
Aujourd’hui, la majorité des
avocats cambodgiens sont
installés à Phnom Penh et
leurs tarifs sont beaucoup
trop élevés pour la majorité
de la population. ASF France
a mis en place un programme
Maître François Cantier
d’assistance judiciaire gratuite
président fondateur d’ASF France
pour les populations les plus
vulnérables sur l’ensemble du
territoire en partenariat avec les barreaux locaux. Ce programme a
permis d’installer un avocat dans chaque province et de sensibiliser
la population au droit et à la justice. La population a trouvé chez ces
avocats une aide précieuse pour se constituer partie civile devant les
Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC)
chargées de juger les responsables des crimes commis sous le régime
Khmer rouge. Le 26 juillet 2010, Duch, l’ancien directeur du centre
de détention et de torture S 21, a été condamné à 35 ans de prison
pour différents chefs, et notamment ceux de crime contre l’humanité,
persécution pour motifs politiques, torture et traitements inhumains. Fin
2010, quatre autres anciens hauts dirigeants des Khmers rouges seront
jugés. A ce jour, plus de 1200 dossiers de constitution de partie civile
ont été déposés par ASF France en vue de ce procès.
ASF France a également œuvré pour la libération des infirmières bulgares
et du médecin d’origine palestinienne qui avaient été accusés d’avoir
inoculé le virus du sida à plus de 400 enfants en Libye. Les rumeurs
les plus folles couraient à l’époque à leur égard, on les accusait d’être
des agents à la solde du Mossad et de la CIA. Nous avons rapidement
acquis la conviction qu’ils étaient innocents et que la contamination de
ces enfants était accidentelle. Bien qu’ils n’aient pas été acquittés, ils ont
été libérés dans les conditions que l’on connaît en 2007.
Comment choisissez-vous les causes que vous
défendez ? Y a-t-il un ou plusieurs critères qui entrent
en ligne de compte ?
Nous sommes évidemment obligés de sélectionner les cas dans lesquels
nous nous engageons, car nos moyens financiers ne sont pas illimités,
mais il est difficile de définir un critère de sélection a priori.
Dans certains cas, nous intervenons à l’occasion d’une affaire exemplaire
comme ce fut le cas au Nigéria par exemple. En 2003, Amina Lawal a
été condamnée à mort par lapidation en vertu de la charia pour avoir
mis un enfant au monde onze mois après son divorce. ASF France a
alors proposé à ses défenseurs d’intervenir aux côtés de son avocate,
Maître Hauwa Ibrahim. Cette affaire a connu une fin heureuse puisque
la jeune fille a été acquittée, mais ce procès a révélé les difficultés de
la justice nigériane et a marqué le début de l’engagement d’ASF France
Un autre cas emblématique de la difficile lutte pour la protection des
droits de l’homme est celui de Sakineh Ashtiani. Cette jeune femme
iranienne a été condamnée à mort par lapidation pour adultère et
est emprisonnée depuis 2006. Le réseau Avocats Sans Frontières a
déposé un recours en grâce auprès des autorités iraniennes afin que la
condamnation à mort ne soit pas exécutée. Son avocat et son fils ont
depuis, malheureusement, été arrêtés.
Si l’on devait vraiment définir un critère de choix des affaires dans
lesquelles Avocats Sans Frontières France s’engage, ce serait le degré
d’injustice.
Y a-t-il des pays dans lesquels il est impossible ou
difficile pour vous d’intervenir ?
Malheureusement, oui. Il est très difficile pour des ONG d’intervenir dans
des pays où les pressions étatiques sont très fortes comme la Birmanie,
l’Iran, ou encore la Chine.
Pour donner un exemple, Avocats Sans Frontières France s’est engagée
pour la défense de Hu Jia, militant chinois et coordinateur de l’association
« Avocats aux pieds nus » qui combat les injustices à l’aide des lois
chinoises existantes. Celui-ci est détenu depuis 2007 pour « incitation
à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Lors de nos visites sur place,
nous n’avons pas eu l’autorisation de le rencontrer. Nous avons travaillé
de concert avec ses avocats chinois, mais il est aujourd’hui encore
emprisonné et sa santé se dégrade. En octobre 2008, il a reçu le prix
Sakharov pour la liberté de penser, qui lui a été décerné par le Parlement
européen en dépit des pressions exercées par les autorités chinoises sur
les eurodéputés.
Parfois, le cas inverse se présente, comme pour Haïti par exemple. Le
Barreau de Paris nous a sollicités pour intervenir sur place mais il est
difficile de savoir quelle voie d’action entreprendre. Nous travaillons
actuellement sur ce projet, mais la principale urgence en Haïti est
la reconstruction et la salubrité publique qui ne sont pas de notre
compétence.
53
HORS DES CÔTES
HORS DES CÔTES
Avocats Sans Frontières France :
« là où la défense n’a plus la parole »
Avocats Sans Frontières France
Quelles qualités recherchez vous chez les avocats
désireux de vous accompagner ?
Frontières. Nous bénéficions également de la confiance de plusieurs
grandes entreprises comme Microsoft, Dalloz ou la Banque Populaire.
La qualité essentielle que nous recherchons est l’engagement. Ce que
l’on fait est difficile et parfois dangereux. Il faut croire aux valeurs que
nous défendons, la présomption d’innocence, le droit à la vie, la liberté,
le droit à l’intégrité de son corps et surtout le droit à une défense libre
et indépendante.
Avocats Sans Frontières France a la chance de pouvoir compter à ce
jour près de 1 000 adhérents. Chaque année, plus de 100 d’entre eux
apportent bénévolement leur aide et leur savoir-faire à l’association.
Comme toutes les associations, nous sommes en permanence à la
recherche d’adhérents qui sont pour nous un gage d’indépendance.
Quel bilan faîtes-vous aujourd’hui de la protection des
droits de l’homme dans le monde ?
Les avocats sont les
leaders dans la défense
des droits de l’homme
et, à ce titre,
ils sont de plus en plus
souvent menacés.
La spécificité de notre association est que nos membres sont des
professionnels du droit qui font l’effort d’acquérir les compétences
juridiques nécessaires pour pouvoir agir dans le cadre de la solidarité
judiciaire. Il est indispensable que nous nous formions aux particularités
du droit local pour pouvoir apporter une aide efficace et cela prend du
temps. Nos principales activités sont des travaux de fond, de recherche
et d’analyse juridique, puisque quand nous ne pouvons pas intervenir
sur place, il nous est toujours possible d’apporter nos compétences de
praticiens du droit en participant à la rédaction de mémoires en défense
ou de recours en grâce.
Il est difficile de répondre à cette question. Il n’existe pas d’outils de
mesure exacts de l’état d’avancement des droits de l’homme dans
le monde, même si l’on peut bien sûr se référer aux travaux des
organisations internationales comme Amnesty International ou
Human Rights Watch.
Ce que l’on peut dire, concernant la profession d’avocat, c’est que les
avocats sont souvent à la tête des mouvements de protestation contre
les situations d’injustice et de violation des droits de l’homme. Ils sont
leaders dans la défense des droits de l’homme et la marche vers la
démocratie et, à ce titre, ils sont de plus en plus souvent menacés.
L’opinion publique internationale est plus sensibilisée qu’auparavant aux
cas de violation des droits de l’homme et se mobilise davantage contre
ces injustices. C’est un gage d’espoir et un encouragement très fort pour
nous. Il ne faut pas oublier que les droits de l’homme et le droit à la
défense, c’est l’affaire de tous.
Propos recueillis par
Sophie Joly, Promotion Jacques Attali, Série F
Avocats Sans Frontières France n’est pas destiné à des avocats en mal
d’exotisme !
De quelles ressources bénéficie l’association Avocats
Sans Frontières France ?
Nos actions sont financées majoritairement par des bailleurs de fonds
institutionnels, et ce à plus de 80%. A ce titre, l’Etat français participe
au financement d’ASF France à hauteur de près de 50%. Nous trouvons
également un soutien financier auprès de l’Organisation internationale
de la Francophonie, de 35 barreaux français dont ceux de Paris,
Toulouse, Lille ou Bordeaux, du Conseil National des Barreaux ou encore
de l’Union Européenne.
La Fondation Clifford Chance a décidé en 2009 de soutenir le
renforcement et le développement du mouvement Avocats Sans
54
55
HORS DES CÔTES
HORS DES CÔTES
La Transnistrie : Voyage au pays des derniers soviets
Cet été, au mois d’août, j’ai eu
l’occasion d’aller en Transnistrie.
Vous ne connaissez pas ce pays ?
Vous ouvrez un atlas, et il n’apparaît
nulle part ? C’est normal, ce pays
n’existe pas. Ou plutôt, il existe
pour ses habitants, mais pas pour le
reste du monde.
En effet, il s’agit d’une République
autonome, autoproclamée depuis
1990, et qui est restée à l’ère
soviétique. A l’opposé de tous les
anciens satellites de l’uRSS, cette
région de 200 km du nord au sud
a refusé l’indépendance, et a choisi
de rester dans le giron russe. Il
s’agit donc d’une sorte d’enclave russe, sauf qu’elle n’est reconnue
par personne.
Entrons pour une visite dans cette contrée hors du temps.
La Transnistrie est une zone située en moldavie, petit pays à la limite
est de l’Europe, à cheval entre les mondes slave et latin.
Cette république, bien que non reconnue par la
communauté internationale, bénéficie néanmoins
de tous les attributs de la souveraineté : elle a sa
propre constitution, son drapeau, ses frontières,
son hymne, son président, son parlement, son
gouvernement, son armée, sa monnaie, sa
langue, etc.
Petit retour historique pour expliquer cette incongruité :
La moldavie a vécu une histoire tourmentée, et n’a cessé de
basculer d’un camp à l’autre : ses 33 900 km2 ont alternativement
été annexés à la grande Roumanie et à l’Empire Russe, laissant une
empreinte culturelle et linguistique forte.
C’est une ancienne République socialiste soviétique, qui a retrouvé
les attributs de sa souveraineté le 27 août 1991, au terme d’un
référendum. mais cette date qui signe l’indépendance du pays
va, en contrepartie, être le signal de la perte de fait – sinon de
droit – d’une partie de son territoire au profit de la République
autoproclamée autonome de Transnistrie.
Cette zone, à l’est du fleuve Dniestr, était dans les années 1980
peuplée de soviétiques venus de la mère-patrie russe, et avait été
industrialisée par leurs soins. Lors des prémices de l’indépendance
du gouvernement moldave, alors que le Parlement moldave adopte
56
La Transnistrie
leroumaincommeseulelangueofficielledelaRépublique(etnon
plus le russe), en juin 1990 les russophones de Transnistrie réclament
le maintien de la région au sein de l’uRSS ou de la Russie.
Avant les visites, il convient de changer de l’argent, car seule la
monnaie locale – le rouble transnistrien – est acceptée. Particularité
intéressante : il s’agit de la seule monnaie au monde qui n’est
échangeable nulle part ailleurs ! Et idem pour la poste : les timbres
sont à l’effigie du président et ne sont valables qu’a l’intérieur de
la Transnistrie, ils ne permettent d’envoyer des lettres que sur le
territoire transnistrien !
Le temps semble s’être arrêté, tout cela ressemble à un conte de
propagande soviétique. Les gens se baignent au bord du fleuve, il
fait beau. Et les magasins sont approvisionnés, sauf que la plupart
des enseignes (telles que les stations-service et les supermarchés,
détenus par la compagnie transnistrienne Sheriff) n’existent pas
ailleurs en moldavie.
Puis, le 2 septembre 1990, c’est-à-dire presque un an avant la
déclaration d’indépendance de la moldavie, les habitants de
Transnistrie, soutenus par la XIVe armée soviétique toujours
vaillante malgré une uRSS moribonde, font eux-mêmes sécession,
se séparant de la République moldave ! La République moldave
de Transnistrie est alors autoproclamée, prenant Tiraspol comme
capitale,autermed’unconflitquifaitplusd’unecentainedemorts.
La nouvelle République demande son rattachement à l’uRSS, requête
confirmée par les électeurs transnistriens lors du référendum
d’auto-détermination du 17 septembre 2006.
Lajournéeasuffipourlavisite, etbienqu’ilexistedeuxhôtelssur
place (selon le guide du Routard, sans eau courante ni électricité),
nous rentrons le soir même.
Ce pays n’est reconnu à ce jour que par la russie.
Il existe depuis l’automne 1992 un cessez-le-feu signé avec la
Russie, quiagelétoutconflitdanslarégion. La situation n’est
toujours pas réglée, et l’entrée en Transnistrie
confirme ce sentiment : sur le pont reliant les deux
rives du fleuve Dniestr, des tanks armés, recouverts
de bâches de camouflage, pointent leurs canons vers
la Moldavie, située de l’autre côté. L’armée soviétique
maintient toujours la région très militarisée. De son côté, la moldavie
est soutenue par l’union Européenne, et refuse la souveraineté
transnistrienne. mais ce refus reste très théorique tant la Transnistrie
est armée et apte à résister à toute « invasion » (elle a récupéré
l’essentiel du parc industriel et militaire moldave).
La statue de Lénine devant le siège du soviet suprême
(Parlement) de Tiraspol
La Transnistrie est une zone de non-droit (la moldavie n’y contrôle
plusrien),laplaquetournanteenEuropedestraficsentousgenres,
et considérée comme la poudrière de l’Europe. Elle était donc
particulièrement déconseillée pour l’étudiante en mal d’aventures
quejesuis…
Je ne sais pas combien de temps ce pays sécessionniste continuera à
exister, ni s’il sera un jour reconnu. En attendant, il vaut le coup d’œil !
Clémentine Bacri - Promotion Jean-Denis Bredin - Série G
Pourtant, l’opportunité s’offrit à moi par l’intermédiaire de Veronica,
une amie moldave rencontrée à Paris qui rentrait à Chisinau,
pour le mois d’août. Lorsque je lui parlais de mon désir d’aller en
Transnistrie, elle proposa de m’y emmener !
Du coup, le 26 août dernier, nous avons traversé les frontières
moldave puis transnistrienne, armés de nos passeports (et oui, il
s’agit toujours légalement du même pays, mais il faut quand même
passer des frontières !).
Aprèslepassageparleposte-frontièreàdevoirjustifierlaraisonde
notre séjour, nous rencontrons à chaque coin de rue des militaires
à pied et sur des chars armés, avec faucille et marteau sur
le képi, et étoile rouge soviétique sur la poitrine. Les
mêmes symboles que sur le drapeau du pays.
Nous entrons dans la ville de Tiraspol, complètement irréelle : je
m’attendais à une zone très pauvre et décatie, et j’arrive dans une
ville carte-postale, où tout est neuf, repeint et où les statues de
Lénine sont étincelantes ! Nous visitons la grande rue principale, qui
relie la maison des Soviets, le gouvernement, et les ministères. Pas
de photos, il y a trop de militaires dans les rues, et aucun touriste.
57
CARTE BLANCHE
Jeux en ligne
CARTE BLANCHE
Jeux en ligne : les enjeux d’un nouveau marché
les enjeux d’un nouveau marché
Une mutation
inévitable
Et si le pari était gagnant ?
omment la France a su modifier sa législation en un
temps record, tout en conciliant les exigences du couple
Bruxelles-Luxembourg avec les intérêts des monopoles, des
nouveaux opérateurs et du sport.
C
Le Baromaître n°10 de juin 2010, dans son dossier
relatif à l’actualité en droit du sport, évoquait
l’arrivée des paris sportifs sur internet depuis
l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-476 du 12 mai
2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la
régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard
en ligne.
Six mois après la mise en place de cette régulation
nouvelle en france, un second éclairage s’imposait,
faisant état des problématiques et enjeux du
secteur, du contexte juridique en passant par le rôle
de l’avocat, sans oublier le « droit au pari », nouvelle
forme d’exploitation des compétitions sportives.
En ce jour du mois d’octobre 2010, les auditeurs de la Direction des
Agréments et de la Supervision (DAS) de l’Autorité de régulation
des jeux en ligne (ARJEL), réunis en équipe restreinte, sont
tombés d’accord : l’opérateur de jeux en ligne unibet va pouvoir
exercer son activité en France. Il obtiendra trois agréments (paris
sportifs ; paris hippiques ; jeux de cercle) quelques jours plus tard
par décision du collège de l’ARJEL.
Au total, ce sont 48 agréments qui ont été délivrés par cette Autorité
administrative indépendante en quelques mois : un bouleversement
dans la tradition juridique française, auparavant gouvernée par un
principe d’interdiction générale des loteries depuis 1836 ainsi que
des jeux de hasard. Retour sur le contexte de la loi du 12 mai 2010.
L’équation à résoudre pour le
législateur était celle-ci : une très
forte demande de jeux en ligne
face à un principe d’interdiction
pour des raisons d’ordre public
et d’ordre social et deux
exceptions
monopolistiques,
la Française des Jeux (FDJ)
et le Pari mutuel urbain
(Pmu) : « des modalités de
régulation quantitative inadaptées
à l’économie de l’internet »
explique Jean-François Vilotte,
Président de l’ARJEL. Le tout
sous la pression du droit
communautaire.
mises. La réalité du secteur des jeux en ligne en France était donc,
avant la loi du 12 mai 2010, celle d’un marché déjà très ouvert mais
clairement tourné vers les opérateurs illégaux.
Ainsi, « la véritable question qui était posée au législateur n’était pas
celle de savoir comment ouvrir le marché mais plutôt comment réguler
efficacement le marché pour faire valoir les objectifs d’ordre public et
d’ordre social qui sont ceux des pouvoirs publics français » explique
l’ancien directeur de cabinet de Jean-François Lamour au ministère
de la jeunesse et des sports.
source Arjel
Jean-François Vilotte
Président de l’Autorité de régulation
des jeux en ligne
En effet, « face au principe de
prohibition ou d’offre limitée, la
demande s’est tournée vers les
« Nous sommes
opérateurs illégaux qui, nombreux,
passés
ont révélé l’inefficacité des moyens
d’une régulation
de lutte contre ces opérateurs »
quantitative à une
poursuit Jean-François Vilotte.
régulation
une situation de fait à laquelle
qualitative »
s’ajoute une situation de
droit : la légitimité des monopoles
(FDJ et Pmu) développant une
offre plus large en réponse à la
demande, devenait de plus en
plus contestable au regard du droit communautaire et notamment
de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’union
européenne relatif à la libre prestation de service.
Ainsi, « réaffirmant les objectifs d’ordre public – lutte contre la fraude et
le blanchiment – et d’ordre social – lutte contre l’addiction et protection
des mineurs – le législateur a adapté cette régulation à l’économie
de l’Internet. Nous sommes passés d’une régulation quantitative à une
régulation qualitative ».
De l’illégal au légal
source bwin.fr
58
L’exempleestsignificatif:onestimeàunmilliardd’euroslemontant
des mises sur les paris sportifs chaque année en France. Sur ce
milliard, seuls 50 millions d’euros étaient le fait de la FDJ, unique
opérateur autorisé auparavant, c’est-à-dire environ 5% du total des
« Le point d’équilibre
recherché est celui d’un
basculement de la
demande vers les sites
légaux sans que sous
l’effet de la publicité
il y ait une explosion
des mises »
Le passage de l’illégal au légal était un objectif. Il est atteint.
Pour autant le Président de l’ARJEL reste prudent et, tel un entraîneur
sportif, veut inscrire les bons résultats de son équipe dans la durée,
pour pouvoir tirer de véritables enseignements une fois la saison
plus avancée.
Les chiffres des jeux en ligne
Après 6 mois d’ouverture du marché
450 millions d’euros
le montant des mises sur les paris sportifs (environ
180 millions pour le football, soit 60% de parts
de marché)
450 millions d’euros
le montant des mises sur les paris hippiques
Ce sont dans ces conditions que l’ARJEL a été créée avec pour
activités principales : la délivrance des agréments aux opérateurs
souhaitant avoir une activité sur le territoire Internet français selon
des critères de transparence et de contrôle, la lutte contre les
opérateurs illégaux et l’édiction de normes générales d’encadrement.
« Le point d’équilibre recherché, ajoute Jean-François Vilotte, est celui
d’un basculement de la demande vers les sites légaux sans que sous
l’effet de la publicité il y ait une
explosion des mises ».
Si l’on prend l’exemple des
paris sportifs, aujourd’hui,
après 6 mois d’ouverture
du marché, ce sont 450
millions de mises qui ont été
enregistrées sur l’ensemble
des sites agréés ; ce qui
correspond à peu près à la
prévision annuelle du milliard
de mises. « Ces chiffres sont
cohérents par rapport à
l’estimation et au souhait du
législateur », constate JeanFrançois Vilotte.
3,7 milliards d’euros
le montant des mises sur le poker en cash game
(considérant le recyclage immédiat des gains en cash
game,unedivisiondecemontantparuncoefficient
compris entre 20 et 25 correspond au montant
réellement engagé par les joueurs)
412 millions d’euros
le montant des droits d’entrée dans les tournois de
poker fermés
2,1 millions
le nombre de joueurs actifs en France (tous les
secteurs de jeux confondus)
85 millions d’euros
la somme dépensée par les opérateurs agréés en
publicité (60 millions) et en sponsoring (25 millions)
source Arjel
fin décembre 2010
59
CARTE BLANCHE
les enjeux d’un nouveau marché
Un livre vert et un rapport national
L’état de la jurisprudence communautaire
Celle-ci tient en plusieurs points :
L’avenir ensemble.
Le Commissaire européen au marché Intérieur a annoncé la
publication d’un Livre vert sur les jeux en ligne d’ici à la fin de
l’année.
S’il actera vraisemblablement la jurisprudence de la CJuE devenue
claire et lisible dans ses principes (voir notre encadré), il posera
nécessairement une réflexion sur les instruments de coopération
entre Etats membres concernant les problématiques qui ne
peuventêtreefficacementrégléesdanslestrictcadrenationalde
régulation. Plus précisément, « on ne va pas, à très court terme, vers
une harmonisation européenne du secteur car il y a des différences de
sensibilité très fortes entre les 27 pays de l’Union » mais des éléments
demeilleurecoopérationserontdéfinis.
Une autre réflexion est celle que le Président de l’ARJEL mène
concernant la protection de l’intégrité des compétitions et qui fera
l’objet d’un rapport remis au mois de mars 2011 au ministre des
sports.Ils’agitderéfléchiraveclesorganisateurs,lesopérateurset
les pouvoirs publics aux dispositifs de prévention des risques à la
sincérité des compétitions sportives. « Les paris sportifs n’ont pas
inventé la corruption mais ils multiplient à l’infini le nombre de personnes
qui ont un intérêt économique
et financier au résultat d’un
match, d’une compétition,
« Les paris sportifs
d’où
une
multiplication
n’ont pas inventé la
des
risques
de
corruption mais ils
corruption », explique Jeanmultiplient à l’infini le
François Vilotte.
nombre de personnes
Le risque existe, il est très
qui ont un intérêt
international : l’objectif est
économique et financier
doncdedéfinirlesdispositifs
au résultat
communs efficaces sur le
d’un
match »
plan national qui trouveraient
un
prolongement
à
l’international.
•Aucunedirectivecommunautairerelativeauxjeuxenligne
n’harmonise à ce jour le secteur dans l’union Européenne. Il
appartient donc aux Etats membres d’adopter les cadres
de régulation les plus adaptés à leur marché dans le respect des seuls articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne, relatifs respectivement à la
liberté d’établissement et à la libre prestation de services ;
• Uncadrederégulationconstituéd’unmonopolepublic
ou d’une offre limitée ne s’oppose pas aux dispositions du
Traité, pour autant que ce cadre de régulation poursuive
unbutd’intérêtgénéraletsoitjustifiéparlesprincipesde
proportionnalité, de nécessité et de non discrimination ;
• Aucun principe de réciprocité ne s’impose aux Etats
membres quant à la reconnaissance d’un opérateur
légal d’un état à l’autre. L’arrêt Santa Casa de la Cour de
Justice de l’union Européenne (CJuE) du 8 septembre 2009
(C-42/07) le rappelle explicitement.
Ainsi le principe d’un monopole public adapté et
proportionné au but d’intérêt général prétendument
poursuivi est admis par la CJuE : c’est le cas du Portugal à
travers la jurisprudence Santa Casa.
Néanmoins, lorsque le cadre de la régulation ne justifie
plus une restriction des principes communautaires, la CJuE
sanctionne les monopoles. C’est le cas de l’Allemagne à
travers la récente décision Winner Wetten GmbH de la CJuE
du 8 septembre 2010 (C-409/06).
« La France a choisi une voie médiane tenant compte de la jurisprudence de la CJUE et de la demande forte de jeux, c’est-àdire une ouverture du secteur dans un cadre maîtrisé », précise
le Président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne.
61
CARTE BLANCHE
Jeux en ligne
CARTE BLANCHE
Droit au pari : un bras de fer engagé, un débat apaisé
Le droit d’exploitation des manifestations ou
compétitions sportives - Ligue 1, Top 14, Pro
A, Roland Garros, Tour de France - dont les
Fédérations sportives ou les organisateurs sportifs
sont propriétaires, conformément à l’article
L. 333-1 du code du sport, inclut désormais le
droit de consentir à l’organisation de paris sur ces
manifestations.
En effet, le nouvel article L. 333-1-1 du code du sport
dispose que « le droit d’exploitation défini au premier
alinéa de l’article L. 333-1 inclut le droit de consentir
à l’organisation de paris sur les manifestations ou
compétitions sportives ».
out opérateur de paris sportifs agréé par l’Autorité de
régulation des jeux en ligne doit ainsi contracter avec
l’organisateur d’une compétition avant de pouvoir proposer
sur son site Internet des paris sur celle-ci. Au même titre que les
droits TV ou les droits marketing, le droit au pari consacré par
la loi du 12 mai 2010 jouit donc d’une commercialisation bien
déterminée.
T
Lutte contre la fraude
le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité : la plus
haute juridiction administrative n’a pas entendu les arguments de
l’opérateur et a validé le droit au pari.
précis de l’évolution des cotes et des paris en vue de détecter
des mouvements anormaux liés au trucage de la compétition. Le
second objectif est d’assurer un retour financier pour le monde
sportif.
62
Un des arguments majeurs soulevé par les pourfendeurs du droit
au pari consiste à soutenir que les paris portent sur des résultats
et plus précisément « des données factuelles non susceptibles
d’appropriation » qui se trouveraient donc nécessairement hors du
champ d’exploitation, qu’ainsi, le principe du droit à l’information
serait violé.
Néanmoins, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 14 octobre
2009, précisément relatif à une atteinte au droit de propriété de
la Fédération Française de Tennis par un opérateur proposant
illégalement des paris sur Roland Garros, a clairement balayé cet
argument : « considérant en effet que l’objet du pari n’est évidemment
pas le résultat connu, mais l’aléa qui n’existe que pour autant que la
manifestation se déroule actuellement, et qui, par définition, disparaît
une fois celle-ci terminée, l’acquisition du résultat tarissant aussitôt
le flux économique généré par l’organisation de paris, ce qui achève
de démontrer que ce flux est bien constitutif d’une exploitation de la
manifestation sportive qui en est le support ». Dont acte.
Conformément à l’article 3 du décret 2010-614 relatif aux conditions
de commercialisation des droits portant sur l’organisation de paris
en relation avec une manifestation ou compétition sportives, le
prix en contrepartie de l’attribution du droit d’organiser des paris
s’exprime en proportion des mises.
Au sens de la loi du 12 mai 2010, la commercialisation du droit
au pari par les organisateurs de manifestations sportives répond
à deux objectifs précis : le premier est celui
de préserver l’intégrité des compétitions
sportives. En effet, les montants considérables
mis en jeux sur des paris pris sur les
L’accroissement des
compétitions, le tout sans aucun contrôle,
risques de fraude
accentuent fortement le risque de fraude et
en relation avec
de suspicions de tricherie. Or « toute perte
l’augmentation
de confiance dans le sport porte atteinte à
des flux financiers
l’image de l’ensemble du mouvement sportif,
dans le secteur des paris
son intégrité, ainsi qu’aux valeurs qu’il véhicule
justifie pleinement
et nuit directement au développement et à la
une redevance
promotion des activités sportives en France »
proportionnelle au
souligne Cécile Thomas Trophime, avocate en
montant total des mises
droit du sport, aujourd’hui juriste à l’ARJEL.
Si l’ARJEL a dans un premier temps défini
les compétitions, types de résultats et
phases de jeux pouvant faire l’objet de paris, les organisateurs
doivent également, en contrepartie du droit au pari, établir un
dispositif anti-fraude garantissant la sincérité des compétitions.
Ce système comprend des actions concrètes de surveillance
des compétitions, des interdictions de prises de paris par les
personnes intéressées par les compétitions, voire le contrôle
Droit au pari
Considérant que, selon la loi du 12 mai 2010,
le droit au pari tient compte « notamment des
frais exposés par la détection et la prévention
de la fraude » et que de plus, comme
l’a déjà souligné le Parlement Européen,
l’augmentation des flux financiers dans le
secteur des paris en ligne accroît les risques
de fraude, une redevance proportionnelle au
montant total des mises se justifie pleinement.
Cette redevance, pour la grande majorité des
contrats de commercialisation, avoisine les
1% du montant total des mises engagées sur
la compétition.
Pour autant, ce droit au pari ne satisfait
aucunement les opérateurs, privés de
revenus substantiels, qui l’ont fait savoir.
La bataille interne
A la tête des contestataires, Betclic qui a attaqué le droit au
pari devant le juge administratif et devant le Conseil d’Etat par
source Ansa
Un débat porté au niveau européen
d’organisations sportives nationales et internationales parmi les plus
importantes) s’est indigné des démarches judiciaires entreprises par
les opérateurs pour s’exonérer du droit au pari : « les membres
du SROC considèrent que l’intégration du droit d’exploitation des
organisateurs de compétitions sportives dans la loi française sur les jeux
en ligne est un exemple de très bonne pratique permettant d’assurer le
financement durable du sport à tous les niveaux et de protéger l’intégrité
des compétitions sportives. C’est pourquoi ils estiment que ce modèle
devrait être suivi par les institutions et les gouvernements européens et
exporté de la manière la plus large possible ».
Le modèle français
du droit d’exploitation des
compétitions
sportives fait l’objet
d’un grand intérêt
et est sans doute
appelé à se répandre
en Europe à plus ou moins
long terme
C’est bien l’ambition du législateur français que d’exporter sa
législation en Europe et la reconnaissance du droit au pari dans les
autres Etats membres en serait une très belle démonstration. En
tout état de cause, l’intérêt grandit autour du droit au pari. Dernier
exemple en date : Quirino Mancini, avocat associé du cabinet Sinisi
Ceschini Mancini (Italie) a souligné fin octobre lors d’une conférence
à Madrid organisée par l’International Masters of Gaming Law (IMGL)
que le modèle français du droit d’exploitation des compétitions
sportives faisait l’objet d’un grand intérêt et était sans doute appelé
à se répandre en Europe à plus ou moins long terme.
Vandrille Spire – Promotion Jacques Attali – Série F
L’European Gaming and Betting Association (EGBA), association de
lobby pour les opérateurs de paris en Europe a, elle aussi, entendu
contester la légalité du droit au pari, cette fois-ci auprès du premier
ministre français lui-même.
Ce vent de contestation a dû dépasser nos frontières pour y trouver
un écho : en effet le Sports Rights Owners Coalition (SROC),
groupement des détenteurs de droits sportifs (une quarantaine
63
LE PASSÉ AU PRÉSENT
LE PASSÉ AU PRÉSENT
L’affaire Caillaux ou la comédie judiciaire de la IIIème République
femmeduministredesfinancesJosephCaillaux,
anéantit à sa source l’infamante campagne de
presse menée contre son mari. Le directeur
du Figaro, gaston Calmette, auteur principal de
cettecampagne,s’écroulesouslesballes…
Né le 30 mars 1863, Joseph Caillaux entre
rapidement
en
politique.
Néanmoins,
d’infamantes campagnes de presse viendront
ternir la carrière du « père de l’impôt sur
le revenu ». De la chute du gouvernement
Barthou en décembre 1913 au 16 mars 1914,
près de 110 articles furent dirigés contre celui
qu’Aristide Briand qualifiait de « Ploutocrate
démagogue ». Tous, quasiment, furent signés de
la main de gaston Calmette qui les concluait
par « Continuons… A demain ». Il annonçait
prochainement « Le rendez-vous de Monsieur
Caillaux devant l’histoire » en référence à des
télégrammes, « les verts », échangés entre
Caillaux et les agents allemands en 1911. Le
prétextedel’étouffementd’unconflitarméavec
l’Allemagne dans la Baie d’Agadir n’empêchera
pas la rumeur de trahison. « Joseph Caillaux
travaille pour le roi de Prusse » titra le Figaro.
Caillaux craignait en outre la publication d’un
rapport du procureur Fabre témoignant du rôle
joué par le ministre dans le scandale Rochette,
financier véreux condamné en 1912 pour
escroquerie.
Le directeur du figaro vient d’être abattu de
plusieurs balles de revolver.
Le tireur n’est autre que la femme de l’un des
hommes politiques les plus en vue du moment.
Par ce geste d’épouse désespérée, elle
pense mettre fin à une campagne de presse
particulièrement virulente menée contre son
mari, ministre des finances, dont la tête est
réclamée depuis plusieurs mois pour cause
de conflit d’intérêts avec certains fonds
monétaires, d’enrichissement personnel et de
déshonneur de la Patrie.
Que nos chers lecteurs se rassurent !
Ils n’ont pas manqué l’information, bourrasque de plus dans le
cyclone politico-médiatique « Bettencourt ».
Nous sommes l’après-midi du 16 mars 1914, Henriette Caillaux,
64
L’acharnement de Calmette se poursuivra par la diffusion de la
correspondance privée de Joseph Caillaux, alors marié à Berthe
gueydan. Le journaliste se dira certes indigné d’une telle publication
mais obligé de le faire pour délivrer son pays. Les lecteurs du
Figaro y découvriront les intentions du ministre « J’ai écrasé l’impôt
sur le revenu en ayant l’air de le défendre ». Inarrêtable, Calmette
fera allusion aux « imprudentes correspondances » du ministre…
Henriette Clarétie, qui deviendra la seconde madame Caillaux ne
saurait échapper à la vindicte journalistique : sa vie privée allait-elle
être déballée au grand jour ? Son
honneur allait-il être trainé dans la
boue, bafoué ?
Le 14 mars 1914 Calmette
« Joseph Caillaux
triomphe : « Ma tâche est
travaille pour le roi
accomplie. Balayez ! Allez-y ! ».
de Prusse » titra le
Henriette Caillaux, devenue
figaro
« figarophobe », sollicita en vain
l’aide du président du tribunal
de la Seine, qui lui avouait
l’impuissance de la justice. Son
L’affaire Caillaux
mari rendait dans le même temps
visite au Président Poincaré.
« Si Calmette publie une de
mes lettres, je lui casserai la
gueule » déclara Caillaux au
Président de la République. De
son côté, Henriette Caillaux,
hantée par le désespoir, comprit
qu’elle seule pouvait mettre
fin à la calomnie. Dans sa lettre
d’adieu à son « Mari bien aimé »,
elle expliquait qu’elle avait perdu
patience et qu’elle seule ferait
Joseph Caillaux
justice.
A 17h15, elle entrait au siège du Figaro. Six coups de feu retentirent
dans le bureau de Calmette. Touché, à terre, le journaliste
murmurera « Je n’ai fait que mon devoir, ce que j’ai fait, je l’ai fait sans
haine ». À la police arrivée à la hâte, Henriette Caillaux dira « Il
n’y a pas de justice en France, c’était le seul moyen d’en finir (…) Ne
me touchez pas, je suis une dame, je suis la femme du ministre des
finances ».
Le procès mondain d’Henriette Caillaux
Ce procès occupera le tout Paris
pendant six audiences. C’est un
événement politique, littéraire et bien
sûr mondain, comme en témoigne
la liste des témoins. Le Président
Poincaré, le président du Conseil
Briand, le ministre Barthou, l’écrivain
et ami de Calmette Paul Bourget,
le mathématicien et ministre de
la guerre Painlevé, le dramaturge
Henry Bernstein, et bien d’autres encore.
« Voulez-vous
vous lever
Madame ? »
Joseph Caillaux, omniprésent, dirige tout tel un chef d’orchestre.
L’homme politique voulait que rien ne soit laissé au hasard, il
entendait tout maîtriser.
Sa fameuse « garde corse » dirigée par son bras droit, Ceccaldi,
décidait de qui méritait d’assister à ce spectacle. Le public ainsi choisi
était, de fait, acquis à la cause « Caillaux ». « La tourbe s’emparerait
du Palais si (ma) garde corse ne la faisait pas rentrer sous Terre »
écrivit plus tard Caillaux.
Dans le box des accusés, Henriette Caillaux donne le ton et la
mesure du spectacle : ce sera un événement mondain et grave. Très
habillée, elle porte sur la tête « un cylindre de satin noir, surmonté
de deux ailes de corbeaux, qui lui donnent un air de walkyrie
moderne ». Ses mains sont gantées de noir.
Face à elle, l’accusation, représentée par le Procureur général
Herbaux qui hérita de l’étiquette « Caillautiste » dès les premiers
instants du procès. La cravate de commandeur de la légion
d’honneur remise la veille du procès y était-t-elle pour quelque
chose ? À la barre, Barthou lancera d’ailleurs à l’accusée : « Madame,
depuis que vous êtes ici, l’accusation n’a rien fait entendre contre
vous ». A la droite de l’accusée, le président Albanel allait
conduire les débats avec une courtoisie qui lui valu d’être taxé de
laxiste par les journaux de droite.
« Si Calmette publie
une de mes lettres,
je lui casserai la
gueule » déclara
Caillaux au
Président de la
république
Quant au jury, sa composition déclencha une nouvelle rumeur qui
inonda les couloirs du Palais de Justice lorsque l’urne contenant
lesnomsdesjurésarrivadescelléesurlebureaudesmagistrats…
un huissier prétendra une chute dans un escalier. Simple hasard ?
manipulation du jury par des hommes de Caillaux ? Les archives de la
préfecture de police révèleront qu’une enquête discrète fut menée
sur les opinions politiques des jurés. Réactionnaires et conservateurs
seront écartés, me Labori, conseil de madame Caillaux, récusera 8
noms.
Ce 20 juillet 1914, Albanel se refusera une formule brutale du type
« Accusée levez-vous ». Henriette Caillaux, la femme du ministre, il
la connaît, il la côtoie ; à cette dame trop respectable il prononcera
d’une voix délicate : « Voulez-vous vous lever Madame ? ».
Les avocats des parties
Avocat de la partie civile, conservateur, détestant Caillaux, le
bâtonnier Chenu mettra tout en œuvre pour prouver que l’acte
d’Henriette Caillaux était prémédité.
Sur le banc de la défense, le bâtonnier Fernand Labori trépigne,
prépare ses notes. Après avoir défendu notamment le capitaine
Dreyfus, Emile Zola, il s’impose avec la défense d’Henriette Caillaux,
comme l’un des avocats les plus convoités de l’histoire judiciaire de
la IIIème République.
65
LE PASSÉ AU PRÉSENT
LE PASSÉ AU PRÉSENT
L’affaire Caillaux ou la comédie judiciaire de la IIIème République
La tribune de Joseph Caillaux
Joseph Caillaux s’était juré de faire sien ce procès. Si sa femme
est acquittée, il en sortira vainqueur. Avec le même élan qu’à
l’Assemblée, Joseph Caillaux monte à la tribune. Après deux jours
d’audience, il est au centre de tous les débats, il interrompt les
dépositions des témoins dérangeants, il vient au secours de sa
défense s’il la juge trop fébrile. Il devient l’accusé par procuration.
D’ailleurs lui-même s’accusera :
« Je tiens à dire que cette femme qui est aujourd’hui dans le box des
accusés s’y trouve en effet par ma faute ! (…) Je n’ai pas su la protéger
contre la méchanceté et la calomnie (…) De ne pas avoir senti que, par
amour pour moi, elle pouvait être capable d’un tel geste…Je l’en excuse,
et je m’accuse moi-même ». La salle est domptée.
Le procès d’Henriette Caillaux est dominé par deux questions :
« A-t-elle voulu tuer ? », « A-t-elle tué ? ».
Bien qu’insistant sur l’achat de l’arme dans l’après midi, et la lettre
d’adieu, Chenu aura du mal à convaincre le jury d’un acte prémédité.
D’autant que la défense va sortir de sa manche un atout majeur, le
chirurgienDoyen.AmiducoupleCaillaux,ilqualifieralemeurtrede
« roman ». Il montre qu’au vu des blessures de gaston Calmette,
c’est bien le directeur du Figaro qui s’est « jeté sous les balles », tandis
qu’Henriette Caillaux tirait en direction du sol comme si elle perdait
le contrôle de son arme. Plus encore, le chirurgien s’indignera contre
ses confrères qui ont opéré Calmette plus de cinq heures après le
crime. Il les tiendra pour responsables de la mort du journaliste.
Caillaux obtint ce qu’il voulut. Le doute venait de s’emparer de la
Cour d’Assises, il ne quittera plus jamais l’esprit des jurés.
mais la partie civile n’entendait pas laisser Joseph Caillaux triompher
devant sa nouvelle tribune. Le bâtonnier Chenu avec la citation
du témoin Latzarus, rédacteur du Figaro, passait à l’attaque. Le
procès allait prendre une coloration politique. À la barre Latzarus
évoque tout d’abord le rapport Fabre, dont le contenu fut révélé
par Barthou à l’Assemblée. D’un ton grave Caillaux répondait :
« Le document Fabre était un acte de gouvernement, je le ferai encore, si
c’était à refaire ». Les jurés restèrent, n’en déplaise à me Chenu, assez
insensibles à cet épisode du procès.
À propos des fameux « verts », ces télégrammes qui attestaient
de conversations entre Joseph Caillaux et le Reichstag, la crainte
du ministre se faisait beaucoup plus grande. La partie civile jouait
là sa plus grosse carte, mais surtout la dernière. Elle voyait en
une disgrâce politique une condamnation certaine. Ces « verts »,
ceux-là même qui contraignirent Caillaux à démissionner un peu
auparavant, l’ancien ministre les redoutait. Certes, ils n’étaient
pas très explicites, mais Joseph Caillaux craignait que cette
« germanophilie » ne le renvoyât devant une autre Cour. Il n’eut
d’ailleurs pas tort. mais l’utilisation de ces documents se résuma à leur
66
simple évocation. une intervention du gouvernement, par crainte de
représailles de la part de l’Allemagne, empêchera l’avocat Chenu
de les divulguer. Le lendemain le procureur lira une déclaration du
gouvernement : « Ces pièces ne sont que des prétendues copies de
documents qui n’existent pas, et qui n’ont jamais existé. On ne peut
donc en aucune façon les invoquer en vue de porter atteinte à l’honneur
et au patriotisme de M. Caillaux ».
Après cette lecture, le bâtonnier Labori concluait victorieusement
« l’incident est clos ».
Le naufrage de la partie civile commençait.
Plus tard, l’interrogation de la provenance de cette déclaration
du gouvernement sera posée. Les conditions d’approbation de
Poincaré, en voyage en Russie à ce moment, furent remises en cause
par le Président lui-même. Poincaré accusera directement certains
membres de son gouvernement et proches de Caillaux d’avoir
permis l’acquittement d’Henriette Caillaux.
Le quatrième jour d’audience fut marqué par la déposition de
la première madame Caillaux, Berthe gueydan. C’est d’un air
revanchard et farouche qu’elle vint porter l’accusation contre celle
qui « l’a mise dehors ». Elle expliquera que la crainte de sa rivale était
infondée : cette correspondance entre Joseph et Henriette, « ce ne
sont que des lettres d’une femme furieuse qui veut me faire jeter dehors.
On n’y parle pas de politique ». Elle témoignera qu’elle eût été la seule
L’affaire Caillaux
et unique victime d’une telle révélation publique.
Le même jour Barthou s’insurgera contre le président Albanel
« Vous présidez avec tant de partialité que je refuse de continuer ».
Les conseillers en vinrent même à reprocher au président de les
« déshonorer ». Le lendemain la presse titre : « Les juges du procès
Caillaux vont-ils se battre en duel ? ».
invraisemblable. Il appellera gaston Calmette. Lui-même qui avait
approuvé l’acquittement de ses femmes diffamées qui défendirent
leur honneur. « Je le vois s’approcher de la barre. Il n’a plus le visage de
la haine. Il a celui du pardon. C’est lui qui vous demande l’acquittement
d’Henriette Caillaux. (…) Gardons nos colères pour l’ennemi (…) La
guerre est à notre porte ».
Chaque nouvelle journée d’audience était pour Joseph Caillaux Il fallut un peu moins d’une heure aux jurés pour répondre « non »
une nouvelle tribune d’où il donnait libre court à son éloquence. aux deux questions posées.
Non, Henriette Caillaux n’est pas coupable d’avoir
L’auteur Bernstein fut l’un de ceux qui osa l’affronter
donnée la mort à gaston Calmette. Non, elle n’a
directement : « Nous assistons ici à une chose
pas agi avec préméditation. Henriette Caillaux est
inconcevable. Celle d’un homme qui monte sur le
acquittée.
cercueil de sa femme pour parler plus haut (…) je ne
« Il faut que la
sais quand sera la mobilisation, je ne sais pas quel jour
presse soit digne
Quelques applaudissements éclatent, alors qu’une
part Caillaux, mais je dois le prévenir qu’à la guerre on
de ses
tornade d’ « A mort Caillaux ! » emporte le Palais de
ne peut pas se faire remplacer par une femme et qu’il
fonctions »
Justice. Les injures pleuvent, des bagarres éclatent
faut tirer soi-même ».
à l’extérieur.
Lasallejubile,exulte,chavire…Leprésidentsuspend
mais les passions les plus déchainées allaient
l’audience, Caillaux sort sous les huées.
bien vite s’éteindre. Jean Jaurès est assassiné,
Hors des frontières, la Serbie lance un ultimatum
la mobilisation générale ordonnée, les canons
à l’Autriche-Hongrie. La poudrière allait bientôt
chargés… La France vient d’entrer dans ce qui sera « la grande
exploser.
guerre ».
Dernier acte d’une comedia judiciare
La plaidoirie du bâtonnier Chenu, outre les attaques envers la
personnalité de Joseph Caillaux, est rythmée par la question de la
préméditation. Pour lui, l’acte d’Henriette Caillaux était prémédité.
Le bâtonnier Chenu conclura sa plaidoirie par la démonstration que
Joseph Caillaux a poussé sa femme au crime. Henriette Caillaux ne
résiste pas face à un tel assaut, elle vacille, s’effondre et sera évacuée.
Le réquisitoire du ministère public sera aussi fébrile que l’a été
l’accusation dans ce procès, ne sachant et n’osant surtout prendre
une position définitive. Le procureur Herbaux réclamera tout de
même la culpabilité d’Henriette Caillaux et requerra cinq années
de réclusion.
Tout au long du procès, me Labori se présenta comme un gardien
de la liberté de la presse, cependant il ajouta : « Il faut que la presse
soit digne de ses fonctions ». Le bâtonnier Labori débuta sa plaidoirie
par l’évocation d’autres scenarii analogues. Il cita pour mémoire
l’affaire de La lanterne dont il avait lu le récit dans le Figaro en 1898.
Il s’agissait de la femme d’un député qui tira sur le secrétaire de la
rédaction du journal pour se venger d’un article outrageux. Elle fut
acquittée.Acquittéeencore, MadameClovisHuguesquimitfinà
une campagne de presse infamante en abattant un journaliste de
six balles.
Au soutien de l’acquittement, Labori sortira une dernière botte
Epilogue
Parlant beaucoup, beaucoup trop, Caillaux commit de nouvelles
imprudences envers des agents allemands comme Duval à la tête
du Bonnet Rouge. LahargnedeClémenceaurefitsurface, Poincaré
aurait témoigné à Barrès de sa priorité d’arrêter Caillaux. Le 14
janvier 1918, Joseph Caillaux était arrêté à son domicile pour
« intelligence avec l’ennemi » et conduit à la prison de la Santé. Le
17 février, le jugement de Caillaux se tiendra au Sénat, érigé pour
l’occasion en Haute Cour de justice. Pour ce second rendez-vous
judiciaire du couple Caillaux, le tout Paris a refait le déplacement.
Le trio de virtuoses, Demange, moutet, et moro-giaferri ne
pourra pas empêcher, ce 23 Avril 1920, la condamnation de Joseph
Caillaux. malgré la privation de ses droits civiques, il retrouvera le
ministèredesfinances-ironiedudestin?-grâceàl’amnistievotée
en 1925. Il achèvera sa carrière politique comme sénateur de la
Sarthe aux côtés de ceux qui l’on jugé quelques années auparavant.
« Ancien adversaire du Sénat, je suis devenu sénateur pour ma
punition » écrivit-il. Joseph Caillaux meurt le 22 novembre 1944.
Le général de gaulle appréciait ce personnage dont il dira qu’il était
« le premier homme d’Etat moderne ».
Romain Vanni – Promotion Jacques Attali – Série G
67
LE PASSÉ AU PRÉSENT
LE PASSÉ AU PRÉSENT
Cour d’appel de BORDEAUX : Quand la vindicte s’en fût1
On connaît Bordeaux pour deux choses. Elle
est d’un coté la france des juges, mère de
l’ENM et juste bras de trois départements. De
l’autre, on la présente comme la france des
vins, siège de Margaux, Petrus et Libourne. Le
Baromaître ne pouvait donc omettre de visiter
celle qui, sans conteste, incarne sous toutes
ses coutures la france de la robe.
a cour d’appel de Bordeaux est au centre d’un contentieux
bien particulier. Celui du vin, car pour se rendre dans le
bordelais,ilnesuffitpasdesuivreMarieBesnard2 partie de
Poitiers pour faire reconnaître son innocence, encore faut-il être un
tantinet œnophile.
L
La guerre des
projets
Bordeaux
est
à
la
croisée des ambitions
grecques et romaines.
Elle se veut délicate et
virile, représentative et
symbolique, romane et
dorique. La cour d’appel de
Bordeaux a hérité de ces
gènes hétéroclites et son
palais témoigne encore de
ces contradictions.
C’est ainsi que JosephAdolphe Thiac concevait
en 1836 les plans d’une
bâtissepareilleàunefillette
chargée de tenir dans une
main la cour criminelle de
la ville, et dans l’autre la
prison de Hâ. Au terme des divers projets successivement élaborés,
lafilletteprenaitunpeud’embonpointpourdonnernaissanceàune
demoiselle,languissantejeunefilledontleshumeurssuivaientcelles
duconseilgénéral,quifiniraparromprelemarchédeconstruction,
sujet à de brusques changements d’avis.
Il est alors question de reconvertir l’ancienne prison, dont la
salubrité fait l’objet de vives polémiques. De tout temps, le bon
fonctionnement de la justice a pu se trouver ralenti par les impératifs
de logement des condamnés. Aujourd’hui, le contrôleur des prisons
surveille. Naguère, il semblerait que nul ne maîtrisait ces cellules
obscures.
Le dixième projet de Thiac s’avère être le bon. Le péristyle est
grandiose, la salle centrale des pas perdus monumentale et les douze
68
colonnades juchant l’escalier principal titanesques. La demoiselle
porte un nom : c’est marie-Jeanne. Elle a la silhouette d’une chopine.
Ce Parthénon est un « Temple Palais » sur lequel quatre cariatides
veillent. Il s’agit de michel de l’Hospital, malesherbes, d’Haguenau
et montesquieu. La justice bordelaise porte dorénavant la barbe
et perd un peu de sa féminité : c’est Balthazar offrant la myrrhe au
justiciable. Il est cette force tranquille qui croît avec les siècles.
Portalis devait initialement être le quatrième des rois mages
bordelais. mais le conseil général de gironde lui fera boire le calice
jusqu’à la lie.
Un monde viti-vinicole
Selon le bâtonnier Jean Philippe magret, « une part importante de
l’activité judicaire (du département) concerne spécifiquement le droit
de la vigne et du vin, c’est-à-dire des contentieux relatifs à tout ce
qui touche au monde vitivinicole notamment les baux
ruraux, la circulation des
vins, les fraudes, le droit des
marques, etc. »3. Le juriste
curieux se portera ainsi à
Bordeaux pour y goûter
ses spécialités aromatiques
comme contentieuses.
Toutefois, si la villégiature
à Bordeaux visera souvent
à croiser un apprenti
magistrat, Bordeaux la
généreuse vous tiendra
rigueur de ne pas en
profiter pour parcourir ses
chais, cépages et vallons
vinifiés. La ville vous
enivrera de son arôme.
Puis l’on se demande
quelles sont les charpentes
de l’activité judicaire de la ville. L’homme de cour répondra
machinalement que le droit bordelais repose sur un principe
simple : séparer le bon grain de l’ivraie. Ainsi, le contrefaiseur se
verra condamner quand le propriétaire d’un cépage d’exception
bénéficieraquantàluidelaprotectionlaplusabsolue.
L’architecte Thiac, créateur du « joli Bazar de Bordeaux » a bâti
une barrique sophistiquée pour faire mûrir l’activité judicaire. Des
reliquesdupasségardentl’édificeduhautdelatourdesanglaiset
de la tour des minimes, comme si les organes de justice, assemblés
dans ce tonneau de pierre, étaient menacés par une sorte de
phylloxera judicaire.
Le bouillonnement de l’activité condensée de ces divers degrés de
1. ou « Quand le vin dicte sans fût »
2. Marie Besnard fut inculpée en 1949 pour l’empoisonnement de 12 personnes dont son propre mari et fut d’abord jugée à Poitiers pour l’être plus tard devant les
juridictions bordelaises. Cf. Baromaitre n°10
3. JCP G, n°12 – 22 mars 2010 p. 579
Cour d’appel de BORDEAUX
juridiction n’aura de répit qu’une fois le dernier condamné à mort
exécuté : le sieur Delafet. une seconde de persistance pour le Palais
sanguinaire, avant que l’abolition de la peine de mort ne limite le seul
nectar écarlate à celui de Bacchus.
Un bien beau bourg
fonctionne plus.
Rogers vient alors à la rescousse. Celui-là même qui concevait
quelques années plus tôt le centre Pompidou avec son collègue
Piano. Untribunaldegrandeinstanceflambantneufallait, en1998,
alléger les locaux dans lesquels la cour d’Appel siégeait de droit.
Rogers perçait ainsi le tonneau de Diogène de ses passions
fonctionnaires, faisant de Bordeaux ce fameux Nabuchodonosor,
témoin historique de l’achèvement de sa maturation.
Lafinduvingtièmesièclemarquepourlacourd’appeldeBordeaux,
comme pour nombre de ses semblables, une accélération de
la procédure. Le Palais est surchargé, fort en tanin et en affaires
aux couleurs variables, aux fragrances incompatibles. L’AOC ne
Hadrien Pellet - Promotion Jacques Attali – Série J
Avocats
ENVIRON uN mILLIER
Bâtonnier : michel DuFRANC
Première présidente
Chantal BuSSIÈRE
Procureur général
Jean-marie DARDE
Tribunaux de Grande Instance du ressort
CHARENTE : Angoulême
DORDOgNE : Bergerac, Perigueux
gIRONDE : Bordeaux, Libourne
Tribunaux d’instance du ressort
CHARENTE : Angoulême, Cognac
DORDOgNE : Bergerac, Perigueux, Saralt-la-Canéda
gIRONDE : Arcachon, Bordeaux, Libourne
69
L’AGENDA DE L’EFB
L’AGENDA DE L’EFB
Juriscup 2010
Juriscup 2010
L’équipage du Pen Kalet IX représentant l’EFB 2010
est heureux de vous annoncer qu’il a remporté la
coupe des meilleurs jeunes juristes de la Juriscup 2010
à Marseille. Le trophée pèse 2 kg, et brille de mille
feux dans les couloirs de l’EFB rue de Charenton.
Cette superbe aventure a été rendue possible par
notre partenaire : la maison BOSC.
UN EQUIPAGE DE COMPET’
L’équipage
ur un bateau, rigueur et réactivité sont les maîtres mots. Les
qualités individuelles et une bonne cohésion nous ont permis
de remporter ce trophée.
Sandrine et JB jouèrent un 4 mains digne des plus grands virtuoses
du piano. Léo et Fanny, en numéros 2, constamment aux aguets firent
des virements de bords et des empannages une simple formalité.
Romain, Chloé et Alexandra : pas moins de 6 bras furent nécessaires
pour tenir les écoutes de la voilure avant. Quant à la Grand Voile,
elle fut confiée aux deux moussaillons Pierre-Marie et Alexandre
dont le calme et la sagesse ont permis des réglages au millimètre.
S
Le bateau : le Pen Kalet IX,
« tête dure » bretonne
« Sur l’Attila,
prévenir c’est
toujours mieux, même
s’il faut mettre un ris
pour un vent
force 2… »
Le Pen Kalet IX, 9ème bateau de
Georges le Troquet, concourt
depuis plusieurs années pour
l’EFB.
Capitaine
Georges
navigue depuis toujours. En
vieux loup de mer, il prédit les
vents, manœuvre au gré des
courants… Accompagnés de
deux marins de son équipage,
Gilles et Sébastien, ces trois
navigateurs confirmés étaient
Les bateaux
les chefs de bords.
Nous voulons ici les remercier pour
leur patience, leur gentillesse et leur
pédagogie sans lesquelles notre victoire
n’aurait pas été possible.
Il serait vain de vouloir dresser la liste exhaustive des rires et des
larmes qui ont accompagné un tel périple. Le Baromaître vous
propose ici un bref descriptif des caractéristiques de nos bateaux
accompagnateurs, essayant autant que possible d’y mettre la forme
(voir encadré).
Les évènements « chocs »
Léo, chef radio, a « bouché le port de
Marseille » avec son Iphone ! Il était
en outre photographe officiel de l’EFB
et accessoirement le commis de la
« chasse d’eau » (nom d’une écoute reliée au tangon !). « Alex
sans draps » et Chloé furent quant à elles très « acide-du » sur le
pont de l’infirmerie… Romain, « agent tout risque », a lutté contre
un hélicoptère qui déréglait le spi. Georges « Hasselof » sauva la
sirène Fanny des eaux. Enfin, le Pen Khalet IX lors de la dernière
régate subissait un départ (un peu trop) coque contre coque…
Romain Vanni – Promotion Jacques Attali – Série G
& Hadrien Pellet– Promotion Jacques Attali – Série J
LE JACQUES ATTILA
Sun Odysssey 43
Un bateau sans encombre (apparente)
UN ÉQUIPAGE DE PLAISANCE
• Un équipage toujours prêt, et BSP souvent aux taquets !
Les 30 accompagnateurs
L’AEA, soucieuse de proposer
aux matelots les plus néophytes
d’entre vous, a avitaillé trois
« Pas d’ongle cassé un
bateaux de luxe pour des
teint halé et
élèves avocats de prestige.
les boites de nuit de
C’est ainsi que trois navires,
Marseille
le Jacques Attila, le Bredelien
amplement
et le Bob l’aventure, baptisés
visitées !»
pour l’occasion, ont pu soutenir
notre équipage Régate et
dignement arborer les couleurs
de notre école.
Pour les vingt ans de la Juriscup, l’EFB était ainsi présente « en force
», mêlant initiation à la voile et moments de détente.
L’AEA vous l’avait promis : c’est sous les auspices bienveillants de
Poséidon que l’EFB était « à la barre ». On se souviendra longtemps
de la présence des avocats parisiens à Marseille !
• Chaque jour le bateau s’en vogue vers l’île, confondre Frioul et Vilnus c’est facile !
• Sur l’Attila, prévenir c’est toujours mieux, même s’il faut mettre un ris pour un vent force 2…
LE BREDELIEN
Sun Odysssey 43
Le bateau pierre précieuse (estampillé Diadème)
• Les calanques à moteur : On les remercie, pas d’avarie, pas de voile sortie : le moteur était de rigueur !
• Pas d’ongle cassé, un teint halé et les boites de nuit de Marseille amplement visitées !
• Le Bredelien s’amuse.
Champagne, Jet Set, Paillette : bienvenue sur la croisette !
LE BOB L’AVENTURE
Oceanis 45
Accompagnateurs mais pas amateurs !
• Les skippers les mieux aguerris d’un coup de baume ne sont pas à l’abri !
• Darmaillan mouillant
le bateau ? 24 secondes chrono !
• Quel est le point commun entre le Bob l’aventure et un ferry-boat ? *
70
* Les allers-retours !
71
L’AGENDA DE L’EFB
L’AGENDA DE L’EFB
L’éloquence à l’EFB : La Petite Conférence
i vous passez à l’EFB, vous l’apercevrez, de temps à autre,
avec dans une main son rouleau de scotchs et dans l’autre
ses affiches enroulées, glissant de fenêtres en portes, passant
par tous les étages, avant de finir par la cage de l’ascenseur. Qui ?
Le membre de l’AEA en charge du pôle éloquence, responsable
de l’organisation du concours de la petite Conférence, et à ce titre
chargé de communiquer avant chaque séance du concours.
S
Si vous le voyez se balader dans l’Ecole, en train d’en recouvrir
les moindres recoins d’affiches annonçant une séance de la petite
Conférence, c’est qu’il va y avoir de l’éloquence dans l’air. Avis aux
amateurs : des plaideurs exaltés vont prononcer des plaidoiries enflammées, des invités prestigieux vont évaluer leurs jeunes futurs
pairs, prononçant quelques doctes conseils avant de laisser la parole
aux Secrétaires présents (généralement, au moins la moitié de la
promo). Et pour finir, après deux, quatre ou six discours, tout ce
petit monde se dirigera vers le bar d’en face pour un apéritif propre
aux confidences et encouragements. Mais d’où vient ce concours
peu connu ?
Au commencement était une évidence :
l’éloquence a toute sa place à l’EFB, et les
élèves-avocats, bien qu’encore étudiants – et
donc non-éligibles à participer au concours de
la Conférence – devraient pouvoir malgré tout
s’exercer à la rhétorique et affiner leur talent
oratoire. Depuis des temps immémoriaux, un
concours d’éloquence, label AEA, existait dans
notre Ecole mais faisait double emploi avec
le concours de la petite Conférence, organisé par les Secrétaires de la Conférence. Ce
dernier poursuivait le même but : permettre
aux presque-avocats que nous sommes de
perfectionner notre éloquence, notamment dans l’optique de la
préparation du concours de la Conférence. En effet, l’article 4 du
Règlement de la Conférence (annexe IV du Règlement intérieur du
Barreau de Paris) prévoit que : « Ce concours [celui de la Conférence
du Barreau] pourra être préparé au cours de la période initiale de
formation à l’EFB dans le cadre de la « petite conférence ». »
Dans leur grande sagesse, les deux organisations décidèrent
de fusionner les deux concours, lequel s’intitule maintenant
« La petite Conférence – AEA ».
Qui s’y présente ? Des élèves-avocats comme vous et moi. Nul
besoin d’être un Cicéron en herbe ou un Démosthène en
puissance... Il suffit d’avoir un peu de temps à consacrer à l’écriture
de son discours et pouvoir être à l’EFB un soir de semaine, autour
de 19h30. Tout le monde peut s’y présenter, ceux de la promotion
sortante comme ceux de la promotion entrante. L’expérience n’est
pas un pré-requis pour ce concours, mais le fruit que récoltent ceux
qui ont le courage de s’y présenter.
72
En effet, contrairement aux autres concours d’éloquence qui
existent de-ci de-là, la valeur ajoutée de la petite Conférence, pour
le public comme pour les orateurs, c’est la formation. On revient
au but initial : préparer, entraîner, former à l’éloquence, dans la
perspective du concours de la Conférence. Points de sarcasmes et
de moqueries gratuites, comme à la Berryer – ou alors si peu. Point
de solennité pompeuse et étouffante, comme à la Conférence du
Barreau. Ici, au contraire, une écoute patiente des Secrétaires, les
conseils avisés d’une personnalité invitée pleine d’expérience et de
sagesse, un public sage et bienveillant et la possibilité de visionner
sa propre prestation (chaque séance étant filmée). D’où aussi une
ambiance différente au moment de la reprise, car la longueur et la
densité des conseils prodigués ne préjugent bien évidemment pas
de l’appréciation du jury sur la prestation, une excellente prestation
pouvant faire l’objet d’un plus grand nombre de remarques qu’une
prestation qui sera moins bien notée mais qui aurait suscité moins
de commentaires.
Il est vrai que si les séances du premier tour
possèdent un caractère souvent intimiste,
qui favorise les conseils et les confidences, le
deuxième tour, et surtout la finale prennent une autre ampleur. Pour commencer, le
lieu change : fini l’EFB et ses amphis parfois
décatis rappelant trop les années 1970, nous
voici dans le Palais de Justice, dans la salle
haute de la bibliothèque de l’Ordre des
avocats ou dans la Salle des Criées. Mais pour
les huit demi-finalistes et quatre finalistes,
quelle consécration que de pouvoir plaider à
la place des candidats à la Conférence, face à
des Secrétaires réunis au complet et devant un
public nombreux et où l’on voit quelques têtes
grisonnantes, associés de cabinet prospectant ici et là de jeunes
pousses prometteuses. Enfin, le prix pour le gagnant – une robe
d’avocat offerte par la Maison Bosc – n’est pas négligeable.
Au fond, la petite Conférence, c’est comme la grande mais en
mieux : moins d’enjeux, plus de conseils. Petite par son nom, elle est
assurément aussi grande quant à la qualité de ses candidats, l’intensité de leurs plaidoiries et l’expérience qu’ils y acquièrent.
La Petite Conférence
INTERVIEW DE MAÎTRE VANESSA BOUSSARDO
Les candidats vous ont-ils fait
penser à vous-même quand vous
avez tenté la Conférence ?
Les critères sont-ils les mêmes que ceux de la
Conférence ?
Le concours de la Conférence n’est pas
si loin et forcement je me suis projetée
dans les candidats. J’ai retrouvé à travers
eux la même angoisse et le même plaisir
qui m’animaient lorsque j’ai présenté la
conférence.
Les critères sont proches car l’idée est la même, l’orateur doit séduire,
convaincre et émouvoir.
Alors comme pour la Conférence, ce sont ces critères que l’on
regarde même si bien sûr l’on tient compte du fait qu’il y a moins
de candidats à l’EFB et qu’ils ont évidemment moins d’expérience.
Toutefois, je peux vraiment dire que les discours de cette année
étaient dignes de ceux prononcés lors de la Conférence.
Avez-vous présenté
conférence ?
le
concours
de
la
petite
La petite conférence serait-elle un tremplin vers la
Conférence ?
Non, à l’époque le concours était assez discret et l’évènement ne
se déroulait pas du tout de la même manière. Alors qu’aujourd’hui il
se passe sur trois tours, la petite conférence se déroulait en une fois
avec un discours à la bibliothèque de l’EFB. On parlait ainsi peu de
la petite conférence.
Il s’agit d’un véritable entraînement car ce qui attend les candidats
lors de la Conférence est exactement pareil. Les 2ème et 3ème tours
se déroulent également à bibliothèque de l’Ordre et sont abordés de
la même manière.
Bien sûr il n’y a ni acquis ni certitude mais cela démontre néanmoins
une aisance et une aptitude au discours qui, couplé avec l’expérience
engrangée, constituent un acquis indéniable.
Est-ce plus difficile de plaider ou de juger ?
D’une manière générale, il est très difficile de juger car nous avons
tous une sensibilité différente et se retrouver du jour au lendemain
de l’autre côté de la barrière à devoir évaluer les performances d’un
autre est toujours délicat.
Cependant, j’ai pris beaucoup de plaisir avec la petite conférence et
cette expérience a été véritablement enrichissante.
Quel conseil principal donneriez-vous aux candidats
qui se présentent ?
Si vous montiez votre cabinet, embaucheriez-vous un
des quatre finalistes ?
(Rire) C’est difficile à dire puisque tous les candidats étaient
talentueux. En revanche, ce que je puis dire avec certitude c’est que
j’ai hâte de les voir passer le concours de la Conférence car je suis
persuadé que l’on entendra parler d’eux.
Propos recueillis par
Léopold Lemiale – Promotion Jacques Attali – Série N
Je dirais avant tout qu’il faut être soi-même, ne pas chercher à
recopier un style car cela ne fonctionne pas. Chacun a son propre
tempérament et sa personnalité et c’est ce qui fait la différence lors
de son passage.
Laurent Bonnet – Promotion Jacques Attali – série F
73
EVASIONS CULTURELLES
La solitude des avocats démentie par les séries télévisées
sur le monde judiciaire ?
La justice, et notamment notre future
profession, est une source intarissable
d’inspiration pour les scénaristes des séries à
succès. Parfois grossière déformation, parfois
étonnamment juste, l’image que ces séries
renvoient de notre métier mérite d’être
étudiée, c’est l’objet de cet article.
our vous réchauffer en cette saison glaciale, nous avons choisi
de vous parler plus particulièrement du « couple » que les
avocats forment dans les séries que vous regardez le soir,
après une dure journée de labeur, à l’EFB ou en cabinet.
P
Prenons l’exemple d’Engrenages, une des séries phares de Canal +.
Une série policière recommandée par les policiers : étonnant mais
vrai. Engrenages est une série que les policiers ne désavouent pas,
et pour cause. L’un des scénaristes, Eric de Barahir, est un ancien
commissaire.
Pourquoi prendre en exemple cette série plutôt qu’une autre ? A
cause de son réalisme ? De la qualité des scénarios ? Du jeu des
acteurs ? C’est cet ensemble qui a conduit la BBC à acquérir cette
série où tout le petit monde de la justice se défie. De l’instruction au
parquet, en passant par la police et le barreau.
Le barreau est représenté dans Engrenages par Joséphine Karlsonn,
une avocate pénaliste, interprétée par Audrey Fleurot. Qui veut
devenir avocat doit connaître Joséphine Karlsonn. Elle incarne tout
ce qu’on aimerait être et tout ce que nous détesterions devenir.
Intelligente, rusée, excellente en procédure pénale, elle est capable
de faire tomber une enquête pour un détail. Son vice : l’argent ? Le
pouvoir ?
Sa phrase fétiche, reprise dans le teaser de la saison 3, est à méditer
pour les futurs avocats que nous sommes : « Faire libérer un innocent,
c’est facile, c’est normal. Faire libérer un coupable, ça, ça m’excite… »
En observant le parcours de Joséphine Karlsonn, on s’aperçoit qu’elle
ne travaille jamais seule. Les scénaristes la font toujours évoluer en
binôme. Les « couples » qu’elle forme avec ses confrères (toujours
masculins) sont d’ailleurs un des atouts de la série.
Dans la première saison, Joséphine travaille avec un ex-avocat radié
du barreau suite à un viol. Grâce à lui, elle apprend à tirer parti des
médias afin de promouvoir la cause de son client, ce qui lui permet
par ailleurs de se bâtir une solide réputation. Seules les affaires
pouvant intéresser les journalistes attirent l’avocate ambitieuse.
Deuxième saison, deuxième rencontre phare de la carrière de J.
Karlsonn : Maître Szabo, avocat pénaliste de renom, et sans scrupule.
Maître Szabo va faire ressortir les traits de caractère les plus noirs de
Joséphine. Avec lui, elle travaillera pour des délinquants qui attendent
de leur avocat une quasi-servitude en échange de grosses sommes
d’argent. Cet aspect du métier d’avocat revient d’ailleurs souvent
74
dans la série : Joséphine Karlsonn se retrouve à de nombreuses
reprises face à des clients qui considèrent que les honoraires versés
à leur avocat impliquent une obéissance aveugle.
EVASIONS CULTURELLES
La solitude des avocats démentie par les séries télévisées
sur le monde judiciaire ?
Toutes ces rencontres font que le métier d’avocat, réputé pour être
un métier solitaire, est en réalité une profession dépendante du
rapport que l’on a avec ses confrères. Engrenages, comme d’autres
séries, met en exergue le fait qu’un avocat est plus fort lorsqu’il
travaille en équipe, ou en couple.
the first, the last, My everything » de Barry White dans les toilettes
unisexes ou chanter dans le bar sous le regard bienveillant de la
chanteuse Vonda Shepard.
A travers le traitement de sa grande complicité avec l’associé John
« Le biscuit » Cage et de celle avec le fétichiste Richard Finch, de
ses amours contrariés avec Billy et Larry (interprété par l’incroyable
Robert Downey Jr.), de son amitié souvent vache avec les autres
collaboratrices Nelle et Ling ou avec sa secrétaire Elaine, la riche
vie réelle et imaginaire d’Ally McBeal nous émeut, nous fait rire et
nous présente également toutes les incongruités et les défauts du
système judiciaire américain.
Le succès de cette série tient évidemment au casting incroyable
(Calista Flockhart la première) mais surtout à l’imaginaire débordant
de son créateur et à la qualité des dialogues dont voici quelques
pépites en VO :
Les séries américaines proposent elles aussi un
éventail de couples souvent originaux, toujours
attachants, parfois inattendus qui participent à leur
construction et à leur succès.
Ally McBeal :
- « There’s no sin in loving men. Only pain ! »
- « Law and love are the same- romantic in concept but the actual
practice can give you a yeast infection ».
Vous souvenez-vous de la révolution télévisuelle provoquée par
l’ancien avocat David E. Kelley auteur des brillantissimes Ally McBeal
et The Practice ?
Richard Finch :
- « You’re not who you are, you’re only what other people think you are.
Fishism ».
- « Problem is just a bleak word for challenge ».
- « Let me tell you something. I didn’t become a lawyer because I like
the law; the law sucks. It’s boring, but it can also be used as a weapon.
You want to bankrupt somebody ? Cost him everything he’s worked for ?
Make his wife leave him, even make his kids cry ? Yeah, we can do that. »
Troisième saison, Joséphine s’associe avec un ancien Procureur de la
République devenu avocat pour se libérer de la pression hiérarchique
du parquet. Il va critiquer les procédés illégaux que Joséphine met en
œuvre pour gagner ses procès, ce qui mettra Joséphine face à ses
propres contradictions en tant qu’avocate.
D’un côté, nous étions plongés dans les mondes conscient et
inconscient de la jeune avocate, Ally McBeal. Sortie fraiche et moulue
de Harvard, poussée à la démission en raison d’un collaborateur
trop caressant, elle intègre le cabinet d’un ancien camarade de
promotion, Richard Finch. Elle y tombe nez à nez avec son amour
d’enfance, Billy Thomas, celui pour qui elle a choisi le droit, celui aussi
qui lui a préféré sa carrière voilà quelques années.
Le cabinet se compose aussi de toute une kyrielle d’associés, de
collaborateurs, de secrétaires qui tour à tour vont danser sur « You’re
De l’autre côté, dans The Practice, nous sommes plongés dans la
vie du cabinet de Bobby O’Donnell, avocat pénaliste spécialisé dans
la défense. Fini ici l’imaginaire débridé et place à un réalisme parfois
touchant, souvent cruel mais toujours incisif. L’avocat de Boston au
regard bleu acier se démène corps et âme avec toute son équipe
pour porter la meilleure défense et se trouve toujours confronté
à des « district attorneys » impitoyables. Cette série s’adresse aux
amoureux des joutes verbales dans les prétoires.
Plus récemment sont apparues deux autres séries sur le monde
judiciaire américain, Damages et The Good Wife.
Dans la première, évolue Ellen Parsons, une brillante jeune avocate
qui devient, malgré des avertissements bienveillants, la protégée de la
puissante et aguerrie Patricia Hewes. Si ce choix coûte à Ellen sa vie
personnelle, son innocence et ses illusions, il reflète également sa soif
de pouvoir et de succès. Patricia Hewes tout à tour l’impressionne,
la fascine mais aussi devient l’objet d’une haine profonde. De son
côté, la redoutable avocate Patricia Hewes semble retrouver dans
Ellen l’image de sa fille disparue sans pour autant cesser d’être prête
à toutes les trahisons, y compris parmi ses proches. Pour autant
elles ne parviennent pas à évoluer l’une sans l’autre, ces sentiments
ambigus et contradictoires les mènent toujours à se retrouver.
Le traitement de cette série peut devenir au fil des saisons trop
systématique et donc lassant avec ce fonctionnement en flashbacks
et un filtre de couleurs toujours identique. Toutefois la relation
entre ces deux avocates continue à intriguer et à fasciner. Cet intérêt
réside pour l’essentiel dans l’admirable interprétation portée par ces
deux actrices, l’australienne Rosie Byrne et l’américaine Glenn Close.
Si Glenn Close se trouve encore une fois dans un rôle proche de
ceux de Madame de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses ou
d’Alex Forrest dans Liaison Fatale, elle y excelle et la jeune Rosie
Byrne parvient à lui tenir tête avec brio.
En outre, cette série parvient à montrer de nombreux aspects du
fonctionnement judiciaire américain. Ainsi à travers la « lecture »
de la première saison, le mécanisme des class actions devient plus
clair pour les téléspectateurs avertis. Dans la seconde, Alicia Florrick
(Juliana Margulies, l’infirmière Carol Hattaway dans Urgences), est
une « desperate housewife » de Chicago mariée au district attorney
(Chris Noth alias Mister Big). Elle se trouve au centre d’un scandale
politico – sexuel quand son mari est accusé, mis en prison pour des
raisons politiques plus ou moins obscures et contraint d’avouer en
direct ses infidélités.
Dans The Good Wife, Alicia est une ancienne étudiante de
Georgetown, avocate qui n’a jamais exercé pour se consacrer à sa
famille. Devant désormais faire bouillir la marmite, elle s’adresse à
son ancien camarade d’université Will Gardner qui l’engage comme
« junior associate » dans son cabinet. Evidemment, Alicia fait la
démonstration de bien des qualités, notamment humaines, au sein
de ce cabinet. Elle parvient même à faire face à la compétition
terrible qui l’oppose à un jeune diplômé aux dents longues. Surtout
elle se lie d’amitié avec le détective privé du cabinet, Kalinda Sharma
(personnage mystérieux mais essentiel au dénouement des dossiers
et donc au succès du cabinet) et voit ressurgir des sentiments
partagés avec Will Gardner. Finalement, elle se trouve tiraillée entre
sa famille, son mari et ses enfants et puis cette nouvelle vie avec un
exercice professionnel qui la comble et la perspective d’un nouvel
amour qui la taraude.
Si la vie personnelle d’Alicia empiète pour beaucoup sur sa vie
professionnelle, elle la nourrit également. The Good Wife offre
de très intéressantes séquences d’interrogatoires et de contre
interrogatoires ou encore de plaidoiries et initie au fonctionnement
complexe mais pourtant politiquement déterminant des élections
des « districts attorneys ».
N’hésitez pas à satisfaire votre curiosité : rendez vous devant un
écran !
Lucie Berges – Promotion Jacques Attali – Série N
& Tiphaine Renvoise – Promotion Jacques Attali – Série N
75
EVASIONS CULTURELLES
EVASIONS CULTURELLES
Interview de Caroline Vigneaux
Devenue avocate en rétorquer : « Merci mon cher vieux confrère, l’avantage quand on est
l’an 2000, Caroline jeune, c’est que l’on est au fait des dernières jurisprudences » ! C’est
Vigneaux intégra la un métier génial, il faut en profiter au maximum.
troupe de théâtre de
l’UJA dès 2001, avant
Des côtés négatifs ?
d’être élue 11ème
Secrétaire
de
la J’avais un peu de mal avec les contraintes des gros cabinets, bien que
Conférence du stage cela soit très confortable aussi bien sur le plan financier que matériel.
en 2005. Après une Je pense que si j’avais continué, j’aurai fini par monter ma structure :
expérience télévisée trouver ses locaux, ses clients, tout gérer à sa façon, ça m’aurait vraiment
dans
l’émission emballée.
l’Arène de France de
Stéphane Bern, elle a
Quand avez-vous commencé le théâtre ?
choisi de raccrocher
la robe en 2008 afin de C’est avec le spectacle de fin d’année de l’EFB que j’ai découvert la
se consacrer à ce qui s’est imposé à elle comme scène, au cirque d’hiver. Nous avions préparé une sorte de remake de
une irrésistible passion, la scène. C’est dans un Grease, je n’en avais jamais fait avant. Je me suis retrouvée devant
café de Saint-Germain, dégustant une dorade 2000 personnes, dont le Bâtonnier, en train de faire Wonderwoman
et un coca light, qu’elle a accepté de rencontrer alors que je cherchais une collaboration… C’était génial !
le Baromaître. Discussion à
bâtons rompus avec une forte
Et vous avez donc attrapé le virus ?
personnalité au parcours hors du
C’est avec le spectacle
commun.
Justement, pas trop dur d’abandonner ?
Comment êtes-vous devenue avocate et
pourquoi ?
de fin d’année de l’EFB
que j’ai découvert la
scène, au cirque d’hiver.
Je me suis retrouvée
devant 2000 personnes,
dont le Bâtonnier,
en train de faire
Wonderwoman alors
que je cherchais une
collaboration…
C’était génial !
Après mon bac, je suis entrée en prépa pour faire
une école de commerce, mais l’ambiance ne m’a
absolument pas convenue ! Je suis donc allée en
droit, mais toujours dans le but d’ensuite faire une
école de commerce par admission parallèle en
3ème année. Mais la révélation fut ma découverte
du droit civil en 2ème année, c’était décidé, je serai
avocate ! J’ai donc préparé l’IEJ en même temps
que ma maîtrise, puis gelé mon entrée à l’EFB d’un
an pour faire un troisième cycle en droit des assurances. J’ai obtenu
ma première collaboration au sein du cabinet du bâtonnier du Granrut,
puis travaillé dans un cabinet américain, LeBoeuf, Lamb, Greene &
MacRae, aujourd’hui Dewey & LeBoeuf. Je faisais principalement
du contentieux des assurances, mais voulais avant tout plaider. La
première fois que j’ai demandé et obtenu un renvoi, il me semblait
que j’avais gagné l’affaire du siècle ! Et quel plaisir de se battre pour
démontrer juridiquement ses théories, la sensation de monter sur le
ring, de plaider, et que l’on nous donne raison ! Je me souviens d’un
avocat à l’âge certain qui était mon contradicteur et m’avait présenté
comme « sa jeune petite consœur ». J’ai adoré me lever et lui
76
DOSSIER DE PRESSE juin 2010
Interview de Caroline Vigneaux
CAROLINE VIGNEAUX
Concrètement, être comédienne, ça veut dire quoi ?
La revue de l’UJA était dans la salle et le Président
de l’époque m’a alors proposé de les rejoindre. J’y
suis donc allée et y ai contribué pendant 3 ans. Je
me suis éclatée, j’ai rencontré plein de gens, c’était
vraiment sympa !
Mais comment trouver le temps et
concilier avec l’emploi du temps bien
chargé d’une jeune collaboratrice ?
C’est un choix. J’ai toujours considéré qu’être
avocate, c’est être libéral. Je ne me serais jamais
baissée pour ramasser un dossier que l’on m’aurait
jeté par terre. Tout dépend de notre façon d’être. Pendant l’année, c’est
un soir de temps en temps pour créer le spectacle avec la troupe, il est
toujours possible de se libérer ponctuellement à 19h. Les semaines où
l’on joue, c’est plus compliqué, mais il suffit de prévenir son patron que
l’on sortira à 17h et s’arranger.
Et ensuite le concours de la Conférence …
C’est Jean Castelain, votre bâtonnier, ancien secrétaire de la Conférence,
qui m’en a parlé lorsque nous travaillions tous deux chez Granrut. J’ai
passé le concours car je voulais avant tout faire des Assises. Le droit
J’ai mis un an à arrêter, psychologiquement c’était très difficile. Mais
quand j’ai débuté la scène, je jouais au Lieu, une petite salle de 40 places,
et venais de terminer un procès aux Assises contre un Avocat Général
avec lequel nous nous étions bien écharpés. Cette salle est si petite que
l’entrée des artistes et des spectateurs se fait au même endroit, et comme
il y a un spectacle avant, on se retrouve à attendre avec nos propres
spectateurs. Et là j’entends derrière moi la voix de cet Avocat Général :
« Maître Vigneaux, c’était donc bien vrai, ce n’est pas une légende,
eh bien nous allons voir ça ce soir » ! Cela devait être ma 5ème
représentation, je jouais une fée avec une perruque et une baguette
magique, et je me disais qu’il était là. Il n’y avait plus de retour possible,
je ne pouvais plus plaider devant lui ! Je n’avais plus de crédibilité ! Et
j’ai vécu une heure de souffrance, j’étais pleine de trac, le spectacle
était pourri… Mais j’ai eu énormément de mal à remettre ma lettre
de démission, je n’arrivais pas à dire « je plante tout, je pars faire de
la comédie » !
j’aime le métier
d’avocat. Je l’aime
autant qu’avant,
mais j’ai simplement
découvert quelque chose
de plus fort. Quand
la salle est comble, le
public debout, j’en ai
les larmes aux yeux
des assurances me permettait
déjà de plaider, c’était plus
confortable, mais il y avait
moins d’adrénaline. Ce fut une
année formidable.
Vous
avez
donc
découvert le pénal à ce
moment là ?
Oui, et pour une fille c’est
compliqué. Je me suis déjà
faite débarquée de dossiers
de braquage car lorsque le
prévenu me voit arriver, il me dit « excusez-moi, mais il me faudrait
un vrai avocat ! ». Mais les premières Assises… Il ne faut pas s’en
priver quand l’on est avocat !
Le vrai problème pour moi est que quand j’étais avocate, j’avais mon
titre et lorsque l’on me demandait ce que je faisais dans la vie, je pouvais
répondre aisément. A présent, lorsque l’on me pose cette question, chose
très fréquente dans la vie de tous les jours, je ne sais pas exactement
quoi répondre ! Je dis « comédienne », mais tant que l’on n’est pas
connu, cela ne veut rien dire, rien ne le prouve ! C’est très bizarre de se
définir ainsi. De plus aujourd’hui je suis entrepreneuse, j’ai monté mon
association et j’ai choisi de me produire. Je mets toutes les chances de
mon côté mais c’est très dur, des gens avec de supers spectacles, il y en
a plein… Mais je ne veux avoir aucun regret, ne pas me retrouver à 60
ans à me demander ce que cela aurait donné si j’avais essayé.
Vous fixez-vous des échéances ?
Oui, pas sur le long terme car c’est impossible, mais à moyen terme. Là
par exemple je réécris mon spectacle et dois avoir fini pour décembre
afin d’être programmée à Paris en janvier.
En parlant de cela, comment trouvez-vous l’inspiration
pour vos spectacles ?
J’ai un carnet où je note tout, mais il est très compliqué de vulgariser.
J’adorerais faire une blague sur l’article 700, mais c’est impossible, car
vous rigolerez, moi aussi, mais pas grand monde ! De même, si je plaide
aux Assises et que je dis « M. l’Avocat Général », personne ne sait
à quoi cela correspond, tandis que si je dis « M. le Procureur », tout
le monde comprend, alors qu’aux Assises il n’y a pas de Procureur !
77
EVASIONS CULTURELLES
Interview de Caroline Vigneaux
De même, j’écris souvent des blagues qui me font beaucoup rire, en
pensant qu’elles vont cartonner, mais personne ne se marre ! Je suis
donc obligée de les enlever au bout de quelques mois… A côté de ça,
j’en avais une autre qui n’était pas vraiment une vanne mais plutôt une
transition et tous les soirs, elle faisait mourir de rire… Je ne comprends
toujours pas pourquoi !
Et comment cela se passe pour trouver des salles, partir
en tournée... ?
Il y a Avignon, où je suis allée pour la deuxième fois, on y présente
son spectacle et des programmateurs viennent faire leur marché.
Après chez les pros, le bouche à oreille est primordial et il suffit que
quelqu’un soit venu voir mon spectacle et l’apprécie pour qu’il en
parle et me procure des dates. Autrement, par exemple, j’ai joué à
Montbéliard il y a 15 jours, il y a eu un article dans l’Est Républicain
et l’on m’a appelé pour d’autres dates dans une autre salle… En tout
état de cause, le but est de jouer avant tout, de rencontrer le public, et
de gagner en notoriété, ce qui permet de remplir sa salle. J’ai joué un
an au théâtre des Blancs-Manteaux à Paris et quand tu arrives et qu’il
y a deux personnes, c’est dur pour le moral, mais également dur pour
les spectateurs !
Donc quelques moments de déprimes…
Vous ne regrettez jamais ce choix ?
Non pas du tout, mais Dieu sait que j’aime le
métier d’avocat. Je l’aime autant qu’avant, mais j’ai
simplement découvert quelque chose de plus fort.
Quand la salle est comble, le public debout, j’en ai
les larmes aux yeux. Je me dis chaque jour « quelle
chance j’ai de vivre ça ! ».
beaucoup travaillé. En audience, quand un confrère se lève et avance
un argument, il faut être capable de répliquer. Maintenant, il peut se
passer n’importe quoi pendant mes spectacles, je pourrais être surprise,
mais j’enchaînerai !
le but est de jouer
avant tout, de
rencontrer le public,
et de gagner en
notoriété, ce qui
permet de remplir
sa salle
Après « Il était une fée », votre second one woman
show s’intitule « Caroline Vigneaux quitte la robe ».
Quelles évolutions entre ces deux spectacles ?
Depuis deux ans, j’ai découvert la scène, joué mon spectacle qui avait
beaucoup de défauts car c’était un spectacle de jeunesse, mais il m’a
permis de prendre le contact avec la scène et d’assumer tout ce que
je fais. Je réalise aujourd’hui des trucs sur scène que je n’aurais pas pu
faire il y a deux ans.
Que pensez-vous que votre ancien métier d’avocat
vous apporte aujourd’hui au théâtre ?
Ca m’aide en répartie, notamment avec les Berryer, mais je l’ai
C’est
très
courageux
de
tout
plaquer pour vivre sa passion, mais
arrivez-vous désormais à vivre du
théâtre ?
En vivre non, mais je ne perds plus d’argent et c’est
déjà énorme ! Toutefois, je suis mariée, et cela change
la vie, soyons honnête. De plus, j’ai pu économiser
pendant mes dernières années de collaboration, les
horaires effectués empêchant de dépenser ce que
l’on gagne ! Mais je veux croire que cela va marcher.
Un conseil à donner aux jeunes avocats ?
Plaider un maximum, dites à vos patrons que vous voulez le
faire et demandez à être impliqué ! Le métier d’avocat est
magnifique, c’est vraiment un métier de passion, profitez-en ! Et
donnez-vous les moyens de réussir, quelque soient vos objectifs,
prenez le risque de décider de votre vie, de faire des choix.
Propos recueillis par
Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – Série M
Caroline Vigneaux joue actuellement
au théâtre du Temple
tous les lundis et mardis à 20h15
Boutons de manchettes argent massif
Maison Bosc
Costumier des Cours, des Tribunaux et Universités depuis 1845
3, Boulevard du Palais – 75004 Paris
01 43 54 16 50
www.maisonbosc.com
78
EVASIONS CULTURELLES
EVASIONS CULTURELLES
Acteurs Avocats Associés : Rencontre avec Maître Adrien Pelon
Après la première pièce très réussie de
« Quatre pièces sur jardin », l’association
Acteurs Avocats Associés (A.A.A) a retrouvé
la scène de la bibliothèque de l’ordre des
avocats du palais de Justice de Paris, pour nous
enchanter avec « Interdit au public », mis en
scène par Marie-Claude Gelin.
éunis autour de la même passion, le théâtre, Valérie
Desforges, Gilles Galvez, Fabienne Havet, David Lodyga,
Adrien Pelon, Marie-Béatrice Roy, Georges Sauveur,
Sivane Seniak et Quilina Vizzavona-Moulonguet ont également en
commun le même métier, avocat.
R
Rencontre avec Maître Adrien Pelon, l’un des membres de cette
association qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions :
Depuis quand êtes-vous avocat ? Est-ce un métier que
vous avez toujours voulu exercer ?
J’ai prêté serment en novembre 2008. J’ai toujours baigné dans ce
milieu qui m’a très tôt intéressé. Après ma terminale, la fac de droit
s’est imposée comme une évidence dans l’optique de devenir Avocat.
La pièce « Interdit au public » est pleine de
nuances et de subtilités dans le jeu des acteurs,
comment se sont déroulées les répétitions et à quelle
fréquence ?
La troupe des A.A.A., qui accueille des avocats de tous les Barreaux de la
région parisienne, se réunit tous les mardis soir de 20h à 23h à la maison
du Barreau de Paris. Toutefois, plus on approche des représentations,
plus on intensifie les répétitions : le mois précédant la première on se
retrouve tous les week-ends de 10h à 19h.
Faisiez-vous du théâtre avant de prêter serment ?
J’ai commencé le théâtre vers l’âge de 11 ans dans un cours de quartier.
On écrivait nous même la pièce que nous allions présenter à nos familles
et amis en fin d’année. J’ai intégré, en Première, les Cours Florent que
j’ai suivis pendant deux ans. Je me suis ensuite concentré sur mon droit
pour finalement reprendre le théâtre lors de la dernière année de l’EFB
en intégrant la troupe.
Le théâtre permet-il d’acquérir une confiance en
soi qui permet d’évacuer le stress lors des plaidoiries
? Conseilleriez-vous le théâtre aux avocats de nature
timide ?
Toutes les activités qui supposent une exposition publique permettent
d’acquérir confiance en soi. Le plus difficile est, en effet, de se confronter
au regard des autres. Néanmoins, le théâtre présente cet avantage que
les comédiens se dissimulent derrière un personnage. Ce qui compte
alors n’est pas ce qu’on dit mais comment on le dit. En audience, à
Rencontre avec Adrien Pelon
l’inverse, les deux sont importants.
Le théâtre permet également de travailler la prise de parole en
public - indispensable à l’Avocat - et d’apprendre à canaliser son énergie.
Pour toutes ces raisons je ne peux que conseiller une telle activité à mes
futurs Confrères, timides ou non.
Le métier d’avocat est un art oratoire, la présence sur
scène procure-t-elle les mêmes sensations ?
En audience comme sur scène, il nous appartient de capter l’attention
de notre auditoire pour faire passer notre message. Nous donnons le
meilleur de nous même ce qui procure une montée d’adrénaline qu’il
nous revient d’apprivoiser.
J’encourage vos lecteurs à se ménager un moment dans la semaine
pour pratiquer une activité qui leur tient à cœur. Je sais que ce n’est pas
toujours facile et que cela dépend souvent, pour un jeune collaborateur,
du cabinet et des personnes avec lesquelles on travaille. Toutefois, il
appartient à chacun de déterminer ses priorités et de se donner les
moyens de les concilier.
Propos recueillis par
Anne Lejeune - CRFPA de Versailles - HEDAC
LA VOIX DE SON MAÎTRE
ous vous souvenez peut-être de cette question que vous
avez sûrement croisé, il y a pile un an, parmi d’autres,
une question de plus qui figurait dans les annales
et à laquelle vous vous étiez appliqué à répondre, pour vous
entraîner au Grand oral de l’examen d’entrée au CRFPA : « le fait,
pour un avocat, de jouer de l’accordéon dans la rue, en déposant
un chapeau pour recueillir l’argent des passants, constitue-t-il un
manquement au devoir de délicatesse et de dignité ? ». Sans
doute vous étiez-vous alors demandé d’où pouvait bien provenir
une telle hypothèse, sans savoir que ce cas avait bel et bien existé,
en 2002, devant le conseil de discipline du barreau de Bergerac.
V
Avec « La Voix de son maître », aucun risque de ce genre. Si des
avocats y chantent et y jouent, c’est sans réclamer d’obole, rien que
pour la musique, rien que pour le plaisir, le leur comme le votre.
Juridiquement – car c’est une entité composée essentiellement
de juristes – La Voix de Son Maître est une association créée
en 1999, qui regroupe des avocats, des magistrats et différents
acteurs du corps judiciaire, tous mûs par le goût de la musique et
du chant et unis par l’envie d’exercer leurs talents. Oui, le Palais
aussi regroupe des passionnés de sons, des affidés d’Euterpe, des
fanatiques du piano et de la trompette.
Une association, certes, mais plusieurs formations musicales.
Chacune regroupe des personnes travaillant – en permanence
ou de temps en temps – au Palais de justice de Paris, et chacune
a son style musical, ses thèmes et son identité. L’Orchestre du
Palais, d’abord, la plus ancienne puisque fondée en 1999, se définit
comme une formation classique de vingt musiciens à cordes.
En somme, l’ensemble symphonique – toutes proportions
gardées – du Barreau de Paris. Viennent ensuite Les Relaxes,
groupe de variété/Rock composé de sept musiciens (dont deux
80
Vous êtes un jeune avocat, un grand nombre d’élèvesavocats se demandent s’il est possible de concilier le
travail et les loisirs, que souhaitez-vous leur dire ?
chanteurs), qui se produisent de temps à autre dans des cafés
et des clubs, Le Gospel du Palais, chœur dirigé par un ancien du
« Golden Gate Quartet », Le Groupe Gainsbourg, créé en 2004
et enfin le Jazz Band du Palais, sept musiciens et trois chanteurs.
Leur style musical est le jazz classique, New Orleans et Rythm’and
Blues. Ils se sont produits dans des cabinets d’avocats, dans des
soirées privées et à l’Auditorium de la Maison du Barreau.
Qui sont ces membres des professions juridiques et judiciaires
qui, heureux élus, disposent de temps libre et le consacrent à
s’époumoner en rythme collectivement ? Des avocats sans rien
à faire, qui se tournent les pouces en attendant leurs clients ?
Des marginaux du Palais, qui ne craignent pas le ridicule ? Que
nenni ! On y trouve de tout le monde, y compris des membres
du Conseil de l’Ordre, comme Grégoire Lafarge, membre du
Groupe Gainsbourg. Ils se produisent lors d’événements des
plus officiels, comme le dîner annuel des Agréés du Tribunal de
Commerce. Le bâtonnier assiste parfois à leur représentation,
comme le 31 mars 2007, au sein de la Salle Haute de la
Bibliothèque de l’Ordre.
Tout ce petite monde est emmené par André Fourcade, huissier
appariteur de l’Ordre des avocats à la cour de Paris et pianiste
émérite. Où peut-on les voir ? Dans quelles salles parisiennes
se produisent-ils ? Malheureusement, leur site Internet
(http://lavoixdesonmaitre.com) est peu fourni – mais il vous suffit
d’aller à l’entrée de l’Ordre, dans le Palais, et de demander à
André lui-même, qui se fera un plaisir de vous parler de son
œuvre !
Laurent Bonnet – Promotion Jacques Attali – Série F
81
LES BONNES TOQUES
Restaurants italiens
RESTAURANTS ITALIENS
Les Cailloux
De chaleureux restaurants s’appliquent bien
volontiers à nous égayer, à faire rayonner notre
mine et à honorer notre appétit transalpin.
Profitons-en !
Casa Bini
A l’orée du tumultueux boulevard Saint Germain, vous pourrez
vous engouffrer dans la petite rue Grégoire de Tours qui abrite
deux pépites : Casa Bini et sa fraîchement inaugurée trattoria,
l’Oenosteria. Chez Casa Bini, signalée par de petits oliviers, le
décor est sans prétention : nappes blanches et petit dédale de
salles : une en entrant, une quelques marches plus haut, une à
l’étage mais aucune n’est suffisamment imposante pour perdre
son attrait.
Les classiques de la maison se décomposent en antipasti, bruschetta (10-14€) et carpaccio – de bœuf ou de bresaola (1617€). Les autres entrées (fleurs de courgettes frites), les pâtes
et autres plats de résistance changent tous les jours. Suivant les
saisons : paccheri a la norma (tomates, aubergines et ricotta –
16€), spaghetti marinara (calamar, palourdes et moules – 21€),
linguine à l’encre de seiche.
L’inspiration est surtout toscane en cuisine mais la cave fait la
part belle à d’autres régions italiennes (comme le Montepulciano di Abruzzo 2008, 36€ ou bien un rouge de Vénétie à 28€).
En dessert, ne manquez pas le tiramisu (si vous êtes nombreux
à en prendre, vous aurez même tout le plat et donc du rab !)
ou la pana cotta au coulis de fruits rouges (10€).
Service en V.O. plutôt avenant. Veillez à réserver le soir et demandez de préférence une table ronde à l’étage si vous êtes
plus de quatre. Une arrivée à l’improviste ne sera pas forcément déçue puisque vous pourrez agréablement attendre
qu’une table se libère autour d’un verre de vin et d’une assiette de charcuterie à l’annexe, quelques mètres plus loin –
l’Oenosteria – ou tout simplement y dîner, autour d’une table
commune et d’une carte concise.
Dans le charmant et vivant quartier de la butte aux cailles, cette
adresse ne déroge pas à la description de cette contrée. On
se trouve dans un bistrot, empruntant au brut et à l’industriel,
où l’on peut également s’attabler en pleine journée pour se
rafraîchir et calmer une fringale sucrée. Pendant les beaux jours,
une petite terrasse entoure le restaurant et les grandes baies vitrées sont ouvertes. L’orientation gastronomique du restaurant
démontre qu’une carte bon marché n’est pas synonyme de
carte banale. Plusieurs influences régionales sont représentées
: pensez en entrée à une spécialité de Saranza (trio de mini
cèpes au pesto, ragoût et fromage – 11€) et, en plat, à une
spécialité de Ligure comme le trofie au pesto de basilic (sorte
de gnocchis allongés – 16€). D’autres propositions, d’envergure
nationale cette fois, ne vous décevront pas : risotto au citron
et romarin (16€), bar grillé avec sa poêlée d’artichauts (22€)
ou côtes d’agneau grillées au romarin et courgettes (17€). Le
rapport qualité/prix des vins est à noter, aussi bien au verre
(Valpolicella Classico 2007 Santi à 4,5€ ou Nebbiolo d’Alba
2005 Tenuta Falchetto à 6€), qu’en fillettes et en bouteilles. Lors
du choix de votre dessert, laissez-vous tenter par un tiramisu
revisité aux fruits rouges (9€) ou ignorez la légère entorse à
la veine très italienne de la carte en optant pour la délicieuse
mousse au chocolat (7€). L’ambiance est à la hauteur du succès
du restaurant. La clientèle est plutôt jeune et la salle s’anime le
soir. Le service, parfois pressé, reste efficace.
58 Rue Des Cinq Diamants 75013 - 01 45 80 15 08
Métro Corvisart (6) - Fermé dimanche et lundi
CASA BINI
36 rue Grégoire de Tours 75006 - 01 46 34 05 60
Métro Odéon (4/10) - Fermé le dimanche
OENOSTERIA
40 rue Grégoire de Tours 75006 - 01 77 15 94 13
Métro Odéon (4/10) ou Mabillon (10) - Fermé dimanche
83
LES BONNES TOQUES
LES BONNES TOQUES
Restaurants italiens
Le Paris 16
Une devanture rouge, dans la rue des Belles Feuilles
aux abords de la place de Mexico. Un cadre rustique
mais chaleureux, des tables et chaises en bois, une
deuxième salle quelques marches plus haut et un
personnel sympathique rendent le moment agréable.
La carte est variée et convient aussi bien aux petites faims qu’aux grands
appétits. Les
assiettes
d’antipasti, végétariennes
ou carnivores (respectivement 12,5 et 16€)
pourront complaire les
attablés à l’heure du
déjeuner. A toute heure,
il faudra pourtant réussir
à choisir parmi les pâtes
alléchantes : de simples
et succulentes rigatoni
crème et parmesan (11€),
des rigatoni amatriciana
(tomates, lardons et mozzarella – 11,5€), ou l’une
des préparations du jour
(linguine aux morilles). Ou
vous vous laisserez tenter
par une spécialité de la maison : l’escalope de veau : très fine, parfaitement cuite
et fondante à souhait, elle se décline en plusieurs
saveurs : milanaise – classique, simplement panée
(14€), parmigiana (mozzarella et aubergine – 15€) ou
encore valdostene (mozzarella et jambon de parme
– 15€). Ce plat incontournable et copieux s’accompagne de très fins spaghettis à la sauce tomate (que
vous pouvez faire remplacer par du plus diététique).
Restaurants italiens
En dessert, si vous n’avez pas décidé de lui substituer
un assortiment de fromages (6€) ou seulement du
gorgonzola (4€), ne manquez pas l’excellent tiramisu
(7€). Le remarquable rapport qualité/satiété/prix
se vérifie un peu moins dans la carte des flacons :
comptez pas moins de 8€ le verre de vin (hors vin
du mois, à 6€, aléatoire) et 40€ pour un toscan Vino
Nobile Montepulciano (Lodola Nuova « Ruffino »,
2005) ou 32€ pour un piémontais Dolcetto d’Alba «
Parusso » 2008. Le restaurant est plein de vie et les
convives, d’un joyeux mélange, aux mines satisfaites et
repues, ont l’air d’en profiter. Pensez à réserver aussi
bien au déjeuner qu’au dîner.
18 rue des Belles Feuilles 75116 - 01 47 04 56 33
Métro Trocadéro (6/9) ou Victor Hugo (9) - Fermé
dimanche
La Pizzetta
L’Enoteca
Sur la majestueuse
avenue Trudaine bordée d’arbres se trouve
la Pizzetta, petit restaurant, prolongé été
comme hiver par une
terrasse. Décor brut
épuré, belle hauteur
sous plafond, voilà de
quoi mettre à l’aise
sans trop attirer l’attention. Et pour cause,
le clou du spectacle
ici, ce sont les pizzas,
sous trois déclinaisons
: classique, verte (à la
roquette) et à la farine
complète. En vrac : une classique revisitée (tomate, mozzarella
de buffle crue, tomates fraîches, ail et basilic – 14€), une gourmande (tomate, mozzarella, speck et gorgonzola – 15€) et
pour une version light (si tant est que ce soit possible) : une
pizza à la farine complète agrémentée de tomates, mozzarella
et légumes de saison grillés (15€). Certes les prix ne flirtent
pas avec ceux que l’on trouve en Italie, mais le rapport qualité
/ prix ne fait pas défaut et s’applique également à la courte
carte des vins. Les amateurs de pâtes ne seront pourtant pas
déçus – goûtez par exemple les casarecci au pistou rouge de
Matteo (12,5€) ou les maccheroni artisanales au ragoût de
bœuf (13€) – pas plus que les éternels carnivores (pièces de
bœuf et ratatouille au romarin –18€) ou adeptes de fruits de
mer (calamars grillés – 17 €, ou espadon à la sicilienne – 19€).
Quant aux douceurs, pas de surprise : tiramisu (7€) ou panna
cotta et son coulis de saison (6€). Le restaurant a du succès et
le service peut s’en ressentir dans les « rush » du week end.
Heureusement, il existe une annexe quelques mètres plus loin
– la Salumeria – qui dispose d’une autre carte (plus rustique
et rudimentaire : bruschetta, assiettes de charcuterie, etc.)
mais qui vous servira bien volontiers la cuisine de sa voisine.
En prime, la Salumeria offre une belle sélection, entre autres,
d’huile d’olive, de fromages et de charcuterie à emporter.
Entre le Marais et la Seine, le long de la royale rue Charles V, entrez dans la haute et imposante salle de l’Enoteca, aux poutres
et pierres apparentes et dont les lustres en verre sont soufflés à
Murano. Un escalier vous mènera à une autre salle ouverte sur
celle de plain-pied. La cuisine, authentique, et le menu change
toutes les semaines. La carte est bel et bien originale et en
saison, des plats à la truffe blanche d’Alba vous seront proposés, en respectant au mieux le coût du produit brut (tagliolini
fraîches à la truffe blanche d’Alba, beurre et parmesan – 39€).
Quelques illustrations, évanescentes par définition, mettent
l’eau à la bouche : soufflé de parmesan et sa sauce au vinaigre
balsamique caramélisé (9€), cassolette de calamars, lentilles,
menthe basilic et sa boutargue de Sardaigne (11€), pappardelle
con ragu’d’anatra (ragoût de canard, mijoté au vin rouge, parfumé à la cannelle et à la sauge – 15€) ou pennette au pistou
de noisette, ail et basilic (14€). Le soir, un menu entrée/plat/
dessert est proposé à partir de la carte principale (28€), que
l’on peut choisir d’agrémenter par la sélection de vins au verre,
chaque étape du menu étant couplée à un vin différent (43€).
L’expérience en vaut le détour car l’Enoteca, qui porte bien son
nom, a distingué sa cave en remportant le prix de la meilleure
carte des vins italiens à l’étranger (Salon international Vinitaly,
2005). Le service sera ravi de vous conseiller, plein d’enthousiasme, une bouteille, y compris à emporter. En prime, la chaleureuse Enoteca accueille les dîneurs jusqu’à 23h30, y compris
le dimanche !
25 rue Charles V 75004 - 01 42 78 91 44
Métro Saint-Paul (1) ou Pont Marie (7)
Ouvert tous les jours
Mathilde Saltiel - Promotion Jacques Attali - Série G
LA PIZZETTA
22 avenue Trudaine 75009 - 01 48 78 14 08
Métro Anvers (2) ou Pigalle (2/12) - Fermé dimanche soir
LA SALUMERIA
20 avenue Trudaine 75009 - 01 42 82 06 32
Ouvert tous les jours
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LES BONNES TOQUES
La recettes du Baromaître
LES BONNES TOQUES
La recette du Baromaître
Pennes crémeuses aux girolles
Ingrédients pour 4 personnes :
•400g de pennes
•300g de girolles (ou de cèpes ou de morilles)
•3 échalotes
•3 noix de beurre
•1 cuillère à soupe d’huile d’olive
•150 ml de crème fraîche épaisse
•1 pincée de noix de muscade
•Sel et poivre
1. Nettoyez les champignons pour leur ôter terre et autres
dépôts.
2. Chemisez les échalotes et émincez-les.
3. Dans une poêle, faites chauffez à feu doux, trois noix
de beurre et la cuillère à soupe d’huile d’olive puis faites-y
revenir les échalotes émincées jusqu’à ce qu’elles deviennent
tendres (environ 5 minutes).
4. Ajoutez les girolles dans la poêle et laissez cuire quelques
minutes à feu doux en mélangeant de temps en temps.
5. Portez une casserole d’eau salée à ébullition, jetez-y les
pâtes et laissez les cuire le temps indiqué.
6. Pendant la cuisson des pâtes, ajoutez la crème fraîche à la
poêle et laissez cuire à feu doux pendant 8-10 minutes, en
remuant de temps en temps.
7. Ajoutez la pincée de noix de muscade, salez et poivrez. Une
fois les pâtes égouttées, incorporez la sauce crémeuse aux
girolles et dégustez immédiatement !
Mathilde Saltiel - Promotion Jacques Attali - Série G
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